Deleuze - L'Image Temps Et l'Image Mouvement (Cours de Vincennes)

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    Deleuze, Gilles -

    Cours de Vincennessur l'image temps etl'image mouvement

    Cours Vincennes - St Denis

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    Bergson,Matire et Mmoire - 05/01/1981

    J'aborderais le premier chapitre deMatire et Mmoire. Ce premier chapitre estextraordinaire en soi, et par rapport l'oeuvre de Bergson. Mme dans le

    bergsonisme, il a une situation unique. C'est un texte trs curieux.Supposons que la psychologie, la fin du 19me sicle, se soit trouv dans unecrise. Cette crise c'tait qu'ils ne pouvaient plus se tenir dans la situationsuivante, c'est dire une distribution des choses telles qu'il y eut des imagesdans la conscience et des mouvements dans le corps. Cet espce de mondefractur en images dans la conscience et en mouvements dans le corps soulevaittellement de difficults. Mais pourquoi est-ce que a soulevait des difficults la fin du 19me sicle et pas avant ? Est-ce que, par hasard, a concide avec lesdbuts du cinma ? Est-ce que le cinma n'aurait pas t une espce de troublerendant de plus en plus impossible une sparation de l'image en tant qu'ellerenverrait une conscience et d'un mouvement en tant qu'il renverrait descorps ?Au dbut du vingtime sicle, les deux grandes ractions contre cettepsychologie classique qui s'tait enlise dans la dualit de l'image dans laconscience et du mouvement dans le corps, les deux ractions de dessinent.L'une qui donnera le courant phnomnologique, l'autre qui donnera lebergsonisme. La phnomnologie a trait si durement Bergson, ne serait-ce quepour se dmarquer de lui. Ce qu'il y a de commun entre la phnomnologie etBergson, c'est cet espce de dpassement de la dualit image-mouvement. Ils

    veulent sortir la psychologie d'une ornire. Mais si ce but leur est commun, ils leralisent, ils l'effectuent de manire compltement diffrente. Et je disais que sil'on accepte que le secret de la phnomnologie est contenu dans la formulestrotype bien connu "toute conscience est conscience de quelque chose", parquoi ils pensaient justement surmonter la dualit de la conscience et du corps, dela conscience et des choses. Le procd bergsonien est compltement diffrent etsa formule strotype, si on l'inventait, ce serait : "toute conscience est quelquechose". Il faut voir la diffrence entre ces deux formules, et l aussi j'avais unehypothse, comme marginale, concernant le cinma, savoir est-ce que d'une

    certaine manire ce n'est pas Bergson qui est trs en avance sur laphnomnologie.Dans toute sa thorie de la perception, la phnomnologie, malgr tout, conservedes positions pr-cinmatographiques, tandis que Bergson qui, dans l'EvolutionCratrice, opre une condamnation si globale et si rapide au cinma, dveloppepeut-tre dans Matire et Mmoire un trange univers qu'on pourrait appelercinmatographique et qui est beaucoup plus proche d'une conceptioncinmatographique du mouvement que la conception phnomnologique dumouvement.

    Je vous raconte ce premier chapitre avec ce qu'il a de trs bizarre. C'est un textetrs difficile. Ce texte nous lance de plein fouet, immdiatement, que bien

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    entendu, il n'y a pas de dualit entre l'image et le mouvement, somme si l'imagetait dans la conscience et le mouvement dans les choses. Qu'est-ce qu'il y a ? Ily a uniquement des Images-mouvement. C'est en elle-mme que l'image estmouvement et c'est en lui-mme que le mouvement est image. La vritable unit

    de l'exprience c'est l'image-mouvement. A ce niveau il n'y a que des images-mouvement. Un univers d'images-mouvement. Les images-mouvement c'estl'univers. L'ensemble des images-mouvement, cet ensemble illimit, c'estl'univers. Dans quelles atmosphre est-on ? Bergson se demandera de quel pointde vue parle-t-il ? C'est un chapitre trs inspir.Un univers illimit d'images-mouvement, a veut dire quoi ? Ca veut dire que,fondamentalement, l'image agit et ragit. L'image c'est ce qui agit et ragit.L'image c'est ce qui agit sur d'autres images et ce qui ragit l'action d'autresimages. L'image subit des actions d'autres images et elle ragit. Pourquoi ce mot"image" ? C'est trs simple, et otute comprhension est un peu affective. L'imagec'est ce qui apparat. On appelle image ce qui apparat. La philosophie a toujoursdit "ce qui apparat c'est le phnomne". Le phnomne, l'image, c'est ce quiapparat en tant que a apparat. Bergson nous dit donc que ce qui apparat est enmouvement et, en un sens, c'est trs classique. Ce qui ne va pas tre classique,c'est ce qu'il en tire. Il va prendre au srieux cette ide. Si ce qui apparat c'est enmouvement, il n'y a que des images-mouvement. Ca veut dire, non seulementque l'image agit et ragit, elle agit sur d'autres images et les autres imagesragissent sur elle, mais elle agit et ragit dans toutes ses parties lmentaires.Ces parties lmentaires qui sont elles-mmes des images, ou des mouvements,

    votre choix. Elle ragit dans toutes ses parties lmentaires ou, comme ditBergson, sous toutes ses faces : chaque image agit et ragit dans toutes sesparties et sous toutes ses faces qui sont elles-mmes des images. Ca veut direquoi ? Il essaie de nous dire : ne considrez pas que l'image est un supportd'action et de raction, mais que l'image est en elle-mme, dans toutes sesparties, et sous toutes ses faces, action et raction, ou si vous prfrez : action etraction c'est des images. En d'autres termes, l'image c'est l'branlement, c'est lavibration.Ds lors, c'est vident que l'image c'est le mouvement. L'expression qui n'est pas

    dans le texte de Bergson mais qui est tout le temps suggre par le texte,l'expression image-mouvement est ds lors fonde de ce point de vue.Bergson veut nous dire qu'il n'y a ni chose ni conscience, qu'il y a des images-mouvement et que c'est a l'univers. En d'autres termes, il y a un en-soi del'image. Une image n'a aucun besoin d'tre aperue. Il y a des images qui sontaperues, mais il y en a d'autres qui ne sont pas aperues. Un mouvement peuttrs bien ne pas tre vu par quelqu'un, c'est une image-mouvement. C'est unbranlement, une vibration qui rpond la dfinition mme de l'image-mouvement, savoir une Image-mouvement c'est ce qui est compos dans toutes

    ses parties et sous toutes ses faces par des actions et des ractions. Il n'y a que dumouvement, c'est dire il n'y a que des images.

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    Donc, la lettre, il n'y a ni chose ni conscience. La phnomnologie garderaencore les catgories de choses et de conscience, en en bouleversant le rapport ?Pour Bergson, ce niveau, au premier chapitre, il n'y a plus ni chose niconscience. Il n'y a que des images-mouvement en perptuelle variation les unes

    par rapport aux autres. Pourquoi ? Parce que c'est le monde des images-mouvement puisque toute image en tant qu'image exerce des actions et subit desactions, puisque ses parties en tant qu'images sont elles-mmes des actions etdes ractions. La chose c'est des images, les choses c'est des images, desbranlements, des vibrations. La table c'est un systme d'branlements, devibrations.J'introduis tout de suite quelque chose qui peut clairer certains textes deBergson. Une molcule, c'est une image dirait Bergson, et justement c'est uneimage parce qu'elle est strictement identique ses mouvements. Quand lesphysiciens nous parlent de trois tats de la matire, tat gazeux, tat solide, tatliquide. Ils se dfinissent avant tout par des mouvements molculaires de typesdiffrents, les molcules n'ont pas le mme mouvement dans les trois tats. Maisc'est toujours de l'image-mouvement, c'est dire des vibrations, desbranlements, soumis des lois sans doute. La loi c'est le rapport d'une action etd'une raction. Ces lois peuvent tre extraordinairement complexes. Et, pas plusqu'il n'y a de choses, il n'y a pas de conscience. Pourquoi ? Par exemple, la chosesolide c'est une image-mouvement d'un certain type. C'est lorsque le mouvementdes molcules est confin par l'action des autres molcules dans un espacerestreint de telle manire que la vibration oscille autour d'une position moyenne.

    Au contraire, dans un tat gazeux, il y a un libre parcours des molcules les unespar rapport aux autres. Mais tout a c'est des types d'branlements diffrents. Etpas plus qu'il n'y a de choses, il n'y a de conscience. Ma conscience c'est quoi ?C'est une image, c'est une image-mouvement, une image parmi les autres. Moncorps, mon cerveau, ce sont des images-mouvement parmi les autres. Aucunprivilge. Tout est image-mouvement et se distingue par les types demouvements et par les lois qui rglementent le rapport des actions et desractions dans cet univers.Je viens juste de suggrer cette identit image=mouvement. Bergson y ajoute

    quelque chose de trs important dans ce premier chapitre : non seulementimage=mouvement, mais image=mouvement=matire. D'une certaine manire,a va de soi, mais c'est aussi trs difficile. Pour comprendre la triple identit, ilfaut procder en cascade.Il faut d'abord montrer l'identit premire image=mouvement, et l'identit de lamatire dcoule de l'identit image=mouvement. C'est parce que l'image estgale au mouvement que la matire est gale l'image-mouvement. La matirec'est cet univers des images-mouvement en tant qu'elles sont en actions etractions les unes par rapport aux autres.

    Et pourquoi est-ce que la matire et l'image se concilient si bien ? C'est parceque la matire c'est ce qui n'a pas de virtualit, par dfinition. Bergson dit que

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    dans la matire il n'y a jamais rien de cach. Il y a mille choses que nous nevoyons pas, mais il y a une chose que je sais, comme a priori, commeindpendamment de l'exprience, selon Bergson en tous cas, c'est que si dans lamatire il peut y avoir beaucoup plus que ce que je vois, c'est en ce sens qu'elle

    n'a pas de virtualit. Dans la matire il n'y a et ne peut avoir que du mouvement.Alors, bien sr, il y a des mouvements que je ne vois pas. C'est une reprise duthme prcdent, il y a des images que je ne perois pas, ce n'en est pas moinsdes images telles qu'il a dfini l'image. L'image n'est nullement en rfrence laconscience, pour une simple raison : c'est que la conscience est une image parmiles autres.Dans une espce d'ordre des raisons, il faudrait dire : je commence par montrerl'galit de l'image et du mouvement, et c'est de cette galit de l'image et dumouvement que je suis en droit de conclure l'galit de la matire avec l'image-mouvement. Nous voil donc avec notre triple identit.Cette triple identit, image=mouvement=matire, c'est donc comme l'universinfini d'une universelle variation, perptuellement des actions et ractions. Cen'est pas l'image qui agit sur d'autres images et ce n'est pas l'image qui ragit d'autres images, mais c'est l'image dans toutes ses parties et sous toutes ses facesqui est en elle-mme action et raction, c'est dire vibration et branlement.De quel point de vue est-ce que Bergson peut dcouvrir cet univers de l'image-mouvement ? Bergson se le demande et il rpond que c'est le point de vue dusens commun. En effet, le sens commun ne croit pas une dualit de laconscience et des choses. Le sens commun sait bien que nous saisissons plus que

    des reprsentations et moins que des choses. Le sens commun s'installe dans unmonde intermdiaire, des choses qui nous seraient opaques et desreprsentations qui nous seraient intrieures. Bergson dit que cet univers desimages-mouvement, finalement, c'est le point de vue du sens commun. Neserait-ce pas plutt le point de vue de la camra ?Univers infini d'universelles variations, c'est a l'ensemble des images-mouvement. Est-ce que je pourrais dfinir cet univers comme une espce demcanisme ? Action et raction. Il est bien vrai qu'il possde avec le mcanismeun rapport troit, savoir qu'il n'y a pas de finalit dans cet univers. Cet univers

    est comme il est, tel qu'il se produit et tel qu'il apparat, il n'a ni raison ni but.Bien plus, pour Bergson cette question n'a pas de sens. Donc cet univers semblebien mcanique. Mais en fait, pas du tout. Pourquoi est-ce que cet univers desimages-mouvement ne peut pas tre un univers mcanique ? Si on prend ausrieux le concept de mcanisme, je crois qu'il rpond trois critres dontBergson a trs bien parl : premier critre c'est l'instauration d'un systme clos,de systmes artificiellement ferms. Une relation mcanique implique unsystme clos auquel elle se rfre et dans lequel il se droule. Le deuximecritre c'est qu'il implique des coupes immobiles dans le mouvement. Oprer des

    coupes immobiles dans le mouvement, savoir l'tat du systme l'instant t. Letroisime critre c'est qu'il implique des actions de contact qui dirigent le

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    processus tel qu'il se passe dans le systme clos. On a vu prcdemment quechez Bergson l'univers des images-mouvement n'est pas un systme clos. C'estl une premire diffrence avec un systme mcanique. L'univers des images-mouvement est un univers ouvert et pourtant il ne faut pas le confondre avec ce

    que Bergson appelait, dans l'Evolution Cratrice, le Tout ouvert au sens de laDure. Voil que maintenant nous avons trois notions distinguer :le systme artificiellement clos ou ensemblesle Tout, ou chaque tout, qui est fondamentalement de l'ordre de la durel'univers qui dsignerait l'ensemble des images-mouvement en tant qu'ellesagissent les unes sur les autres et qu'elles ragissent les unes aux autres.Donc cet univers des images-mouvement n'est pas de type mcanique puisqu'ilne s'inscrit pas dans des systmes clos. Cet univers ne procde pas par coupesimmobiles du mouvement puisque, en effet, il procde par mouvement. Et si,comme nous l'avons vu prcdemment aussi, le mouvement est la coupe dequelque chose, on ne doit pas confondre la coupe immobile du mouvement avecle mouvement lui-mme comme coupe de la dure. Or dans l'univers desimages-mouvement, les seules coupes sont les mouvements eux-mmes, savoirles faces de l'image. C'est donc une deuximes diffrence avec un systmemcaniste. Troisime diffrence : l'univers des images-mouvement exclut deloin les actions de contact, en quoi ? Les actions subies aprs une images'tendent aussi loin et distance qu'on voudra, d'aprs quoi ? D'aprs lesvibrations correspondantes.Bergson qui a tellement critiqu les coupes qu'on opre sur le mouvement, on

    s'attendrait ce que, trs souvent, il prenne comme exemple de ces coupesimmobiles opres sur le mouvement, qu'il prenne comme exemple l'atome.L'atome c'est typiquement une coupe immobile opre sur le mouvement. Or

    jamais il n'invoque l'atome quand il parle des coupes immobiles. Il se fait uneide trs riche de l'atome; l'atome est toujours insparable d'un flux, d'une onded'action qu'il reoit et d'une onde de raction qu'il met. Jamais Bergson n'aconu l'atome comme une coupe immobile. Il conoit l'atome comme il faut leconcevoir, savoir comme corpuscule en relation fondamentale avec des ondes,en relation insparable avec des ondes, ou comme un centre insparable des

    lignes de forces. En ce sens l'atome, pour lui, nest fondamentalement pas dutout une coupe opre sur le mouvement, mais bien une image-mouvement.Pour ces trois raisons je dis que l'univers des images-mouvement mrite le nomd'univers parce qu'il ne se rduit pas un systme mcanique, et pourtant ilexclut toute finalit, tout but, bien plus il exclut toute raison. D'o la ncessit detrouver un terme qui distinguerait bien la spcificit de cet univers des images-mouvement. Le mot machinique me parat ncessaire. Ce n'est pas un universmcaniste ni mcanique, c'est un univers machinique. C'est l'univers machiniquedes images-mouvement. Quel est ici l'intrt de machinique ? C'est que c'est par

    lui que nous pouvons englober la triple identit image=mouvement=matire.

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    C'est l'agencement machinique des images-mouvement. Est-ce que ce n'est pascela le cinma, tout au moins dans une dfinition partielle ?Ce qui me parat trs tonnant dans ce premier thme c'est que jamais, maconnaissance, on n'avait montr que l'image tait la fois matrielle et

    dynamique. Lorsqu'il s'occupera de l'imagination, Bachelard, par d'autresmoyens, le retrouvera sa manire, savoir l'ide que l'imagination est dans sonessence matrielle et dynamique. C'est affirm avec une force extraordinairedans le premier chapitre : l'image c'est la ralit matrielle et dynamique.

    Dans tous les textes de Bergson avant Matire et Mmoire, et dans tous ceuxaprs Matire et Mmoire, vous vous retrouvez dans un terrain bien connu quiest le bergsonisme, et si j'essaie de le dfinir, d'un ct vous avez l'espace, del'autre ct, vous avez le vrai mouvement et la dure. Le premier chapitre deMatire et Mmoire fait une avance fantastique parce qu'il semble bien nousdire tout fait autre chose, il nous dit que le vrai mouvement c'est la matire, etla matire-mouvement c'est l'image. Il n'est plus question de dure. Il nousintroduit dans cet univers trs spcial que j'appelle par commodit l'universmachinique des images-mouvement. La question est comment est-ce qu'unepointe aussi avance va pouvoir se concilier avec les livres prcdents et avecles livres qui vont suivre ? A partir du premier chapitre de Matire et Mmoireon assiste la dcouverte d'un univers matriel des images-mouvement, au pointque le problme de l'tendue ne se pose mme plus. Pourquoi ? Parce que c'estl'tendue qui est dans la matire et non pas la matire dans l'tendue. Ce qui

    compte c'est la triple identit image=mouvement=matire. Cette triple identitdfinit ce qu'on appellera dsormais l'univers matriel ou l'agencementmachinique des images-mouvement.e cinma c'est l'agencement des images-mouvement.C'est le premier point et c'est beau comme un roman, c'est plus beau que desromans car dans cet univers machinique des images-mouvement, qui agissent etragissent les unes sur les autres, en perptuelle vibration, c'est a l'image. Voilque quelque chose va se passer.Dans ce monde va surgir quelque chose d'extraordinaire. Qu'est-ce qui peut se

    passer dans cet univers sinon des images qui, perptuellement, clapotent.Quelque chose arrive dans cet univers. Cet univers d'images-mouvement n'a rien voir pour le moment avec une perception quelconque. Comment va natre uneperception ? Pour le moment je n'ai pas introduit la catgorie de perception. Ilfaut penser l'immobilit en termes de mouvement ... (...)...Comprenez les rgles du concept que Bergson s'est impos : il nous a dit que lamatire ne contient rien de plus que ce qu'elle nous donne. Il n'y a rien de cachdans la matire : qu'est-ce qui peut se passer dans cet univers ? Il estcompltement exclu de faire appel quelque chose qui ne serait pas du

    mouvement. C'est le suspens quoi.Il va se passer ceci : certaines images prsentent un phnomne de retard.

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    Bergson n'introduit rien de plus que le retard. Retard a veut dire que, au niveaude certaines images, l'action subie ne se prolonge pas immdiatement en ractionexcute. Entre l'action subie et l'action excute, il y a un intervalle. C'estprodigieux a : la seule chose qu'il se donne c'est un intervalle de mouvement. A

    la lettre, c'est des riens. Il y a des images constitues de telle sorte qu'entrel'action qu'elles subissent et la raction qu'elles excutent, il y a un laps detemps; un intervalle. Bergson nous dit que la supriorit de certaines images cen'est pas d'avoir une me, ce n'est pas d'avoir une conscience - elles restentcompltement dans le domaine des images-mouvement -, simplement c'estcomme si l'action subie et la raction excute taient distendues. Qu'est-ce qu'ily a entre les deux ? Pour le moment rien. Un intervalle. Est-ce qu'il y aura desimages qui se dfiniront uniquement au niveau du mouvement : retard dumouvement ?On ne demande rien d'autre qu'un petit cart. Un petit intervalle entre deuxmouvements. Il y aurait donc deux sortes d'images :I/ Des images qui subissent des actions et qui ragissent dans toutes leurs partieset sous toutes leurs faces, immdiatement.2/ Un autre type d'images qui simplement prsentent un cart entre l'action et laraction.On rservera le mot action proprement parler des ractions qui nesurviennent qu'aprs l'cart. De telles images sont dites agir proprement parler.En d'autres termes, il y a action lorsque la raction ne s'enchane pasimmdiatement avec l'action subie. C'est une dfinition temporelle. Et les

    dfinitions de Bergson c'est toujours des dfinitions temporelles : c'est toujoursdans le temps qu'il dfinit les choses ou les tres.Prenons un exemple : mon cerveau. Mon cerveau c'est une image-mouvement,mais c'est une drle d'image. Diffrence entre l'image-cerveau et la mollepinire : dans l'arc rflexe un branlement reu, une action subie, se prolongeimmdiatement. Il y a donc un enchanement immdiat, sans intervalle, entre lescellules sensitives qui reoivent l'excitation (en trs gros), et les cellulesmotrices de la moelle qui dclenchent la raction. Mon cerveau reoit uneexcitation et bizarrement un dtour se fait : l'excitation remonte, elle remonte

    aux cellules de l'encphale, aux cellules corticales. De l elle redescend auxcellules motrices de la moelle. Donc diffrence entre une action rflexe et uneaction crbrale. Tout a c'est du pur mouvement. C'est a le retard. L'intervalleentre les deux mouvements a t pris par le dtour ud mouvement. Lephilosophe n'a besoin que d'une dfinition temporelle du cerveau, et la premiredfinition temporelle ce sera un cart. Le cerveau est lui-mme un cart, un cartentre un mouvement peru et un mouvement rendu, cart la faveur duquel seproduit un dtour du mouvement.Qu'est-ce qu'implique cet cart ? Bergson va nous donner trois choses :

    L'image spciale (l'cart) qui est ainsi doue de cette proprit de dtour; on nepeut plus dire qu'elle subit des actions, on ne peut plus dire qu'elle reoit des

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    excitations dans toutes ses parties et sur toutes ses faces. C'tait le cas del'image-mouvement ordinaire. Quand il y a cart entre le mouvement reu et lemouvement excut, la condition mme pour qu'il y ait cart c'est que lemouvement reu soit localis, que l'excitation reue soit localise. l'image

    spciale sera une image qui ne reoit les excitations qui s'exercent sur elle quedans certaines de ses parties et sur certaines de ses faces. Ca veut dire quelorsque une autre image agit sur elle, elle ne retient qu'une partie de l'action del'autre image. Il y a des choses qui traversent l'image spciale et quoi elle resteindiffrente. En d'autres termes, elle ne retient que ce qui l'intresse. En effet,elle ne retient que ce qu'elle est capable de saisir dans certaines de ses parties etsur certaines de ses faces. Elle retient ce qui l'intresse. Exemple :Dans la lumire, le vivant ne retient que certaines longueurs d'ondes et quecertaines frquences. Le reste le traverse et il est indiffrent au reste.L'opposition devient trs rigoureuse : l'image spciale qui prsente lephnomne d'cart, de ce fait mme, elle ne reoit l'action qu'elle subit que surcertaines faces ou dans certaines parties, et ds lors, elle laisse chapper del'image - ou de la chose, a revient au mme -, qui agit sur elle, elle laissechapper beaucoup.Le premier caractre de l'cart ou de l'image spciale a va tre : slectionner.Slectionner dans l'excitation reue. Ou liminer, soustraire. Il y aura des chosesque l'image spciale laissera passer, au contraire une image ordinaire ne laisserien passer puisque, encore une fois, elle reoit sur toutes ses parties et sur toutesses faces. L'image spciale ne reoit que sur certaines faces et des parties

    privilgies. Donc elle laisse passer normment de choses. Je ne verrai pas au-del et en-de de certaines longueurs d'ondes, de telles ou telles frquences. Unanimal verra ou entendra des choses que moi je ne sens pas.C'est ce premier aspect de la slection ou de l'limination qui va dfinir lephnomne de l'cart, ou ce type d'image spciale.Deuximement : considrons l'action subie, dans ce qui en reste, puisque en tantqu'image spciale, j'ai slectionn les actions que je subissais. Considronsmaintenant ce que je subis comme action : je subis un branlement, je reois desvibrations. Je ne parle plus de celles que j'limine, je parle de ce que je laisse

    passer. Je parle de celles que je reois sur une de mes faces privilgies et surcertaines de mes parties. Qu'est-ce qui se passe pour cette action subie, et ce serale deuxime caractre. Dans le circuit rflexe pas de problme, elle seprolongeait en raction excute par l'intermdiaire des centres moteurs. Maison a vu que l, il y a un dtour par l'encphale. Que veut dire ce dtour ?Tout se passe comme si l'action subie quand elle arrive dans l'encphale -appareil prodigieusement compliqu -, se divise en une infinit de cheminsnaissants. Tout se passe comme si l'excitation reue se divisait l'infini commeen une sorte de multiplicit de chemins esquisss. L'excitation se retrouve

    devant une espce de division de soi en mille chemins corticaux, et toujoursremanis. C'est une multidivision. Multidivision de l'excitation reue. Voila dans

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    la description bergsonienne ce que fait le cerveau.Bergson est en train de nous dire que, videmment, le cerveau n'introduit pas desimages, les images taient l avant. Non. Le cerveau divise un mouvementd'excitations reues en une infinit de chemins, a c'est le deuxime aspect : ce

    n'est plus une slection-soustraction, c'est une division. Deuxime aspect del'cart : la division de l'branlement ou de l'excitation reue. L'action subie ne seprolonge plus dans une raction immdiate, il se divise en une infinit deractions naissantes. Cette division est comme une espce d'hsitation. Bergsonn'emploie pas ce mot l, mais j'en aurai besoin. C'est une hsitation, comme sil'excitation reue hsitait, engageait un pied dans tel chemin cortical, un tel autrepied dans tel autre chemin, etc. C'est comme un delta en gographie.Troisimement grce cette division et ces subdivisions de l'excitation reue parle cortex, qu'est-ce qui va se passer ? Quand il y aura une redescente au centremoteur de la moelle, il faudra que ce ne soit plus le prolongement de l'excitationreue, mais que ce soit comme une espce d'intgration de toutes les petitesractions crbrales naissantes. Apparatra quelque chose de radicalementnouveau par rapport l'excitation reue. C'est ce qu'on appellera une action proprement parler.Ce troisime niveau, on dira qu'il consiste en ceci que ce sont des imagesspciales parce que, au lieu d'enchaner leurs ractions avec l'excitation, elleschoisissent la raction qu'elles vont avoir en fonction de l'excitation.Voil donc trois termes entirement cintiques, c'est dire en termes demouvement. On a rien introduit qui ressemble un esprit. Ces trois termes

    cintiques permettent de dfinir l'image spciale, c'est :I/ soustraire-slectionner,2/ diviser,3/ choisir.Et choisir n'implique pas du tout ce niveau la conscience.La dfinition temporelle partir des textes de Bergson :Choisir c'est intgrer la multiplicit des ractions naissantes telle qu'elle s'opraitou se traait dans le cortex. Une telle image qui est capable de slectionnerquelque chose dans les actions qu'elle subie, de diviser l'excitation qu'elle reoit,

    et de choisir l'action qu'elle va excuter en fonction de l'excitation reue, unetelle image appelons-la image subjective. Remarquez qu'elle fait absolumentpartie des images-mouvement. Elle est tout entire dfinie en mouvement. Sujet n'est ici qu'un mot pour dsigner l'cart entre l'excitation et l'action. Jedirais que l'image subjective c'est un cart et cet cart dfinit uniquement uncentre qu'il faudra bien appeler un centre d'indtermination.Quand il y a cart entre l'excitation subie et la raction excute, il y a centred'indtermination. Ca veut dire que, en fonction de l'excitation subie, je ne peuxpas prvoir quelle sera la raction excute. Le sujet c'est un centre

    d'indtermination.Voil que la dfinition spatiale correspond la ralit temporelle du sujet : par

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    sujet, on entend quelque chose qui se produit dans le monde, c'est dire dansl'univers des images-mouvement, c'est un centre d'indtermination qui est dfinitemporellement par l'cart entre le mouvement reu et le mouvement excut.Cet cart ayant les trois aspects (voir supra).

    Voil la seconde ide du premier chapitre qui nous introduit tout droit unetroisime ide : quel est le lien entre ces caractres ? Le centre d'indterminationest donc dfini par soustraction, division et choix. Quel est le lien de ces troiscaractres ? C'est mon troisime problme concernant le premier chapitre de

    Matire et Mmoire.Ces images spciales ne reoivent pas le tout de l'action. Elle limine un trsgrand nombre de parties de l'image qui agit sur elle, c'est dire de l'objet qui agitsur elle. On peroit trs trs peu de choses. Bergson dit que c'est notre grandeurde ne pas percevoir assez. Percevoir c'est par dfinition percevoir pas assez. Si jepercevais tout, je ne percevrais pas. Percevoir c'est saisir la chose. Monproblme devient celui-ci : pourquoi est-ce que les images spciales sont douesde perception ? C'est forc puisqu'elles oprent la soustraction-slection, ellesperoivent la chose dans certaines parties d'elle-mme, privilgies, sur certainesde leurs faces. Elles peroivent la chose, oui, mais moins beaucoup de choses.

    La perception d'une chose c'est la chose moins quelque chose qui ne m'intressepas. Vous vous rappelez que toutes les images-mouvement, sur toutes leursfaces et dans toutes leurs parties, sont en communication les unes avec lesautres, c'est dire qu'elles changent du mouvement. Ce n'est pas de bonnes

    conditions pour percevoir. La table ne peroit pas. Il n'y a pas d'cart entre lesactions et les ractions, il n'y a pas de slection. Pour percevoir il faut que jecoupe la chose sur ses bords ; il faut que je l'empche de communiquer avec lesautres choses dans lesquelles elle dissoudrait ses mouvements. Comme ditBergson, il faut bien que je l'isole. Et ce n'est pas seulement sur les bords que jedois soustraire ; pour avoir une perception, c'est dans la chose mme : jecompose mon systme de couleurs avec les longueurs d'ondes et les frquencesqui me concernent. La perception nat uniquement que d'une limitation de lachose.

    Quelle diffrence y a-t-il entre la chose et la perception de la chose ? L on esten plein coeur de ce qui faisait les difficults de la psychologie classique. D'unecertaine manire, il n'y a pas de diffrence : la perception est la chose mme.Encore une fois, dire que les choses sont des perceptions, oui, beaucoup dephilosophes l'avaient dit dans le pass, par exemple Berkeley. Mais ce que veutdire Bergson n'a absolument rien de commun avec a, car quand les autresphilosophes disaient a, a voulait dire : les choses finalement se confondentavec les perceptions que j'en ai.Bergson ne veut pas du tout dire a. Il veut dire que les choses sont des

    perceptions en soi ...

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    Cours Vincennes - St Denis - 1982

    Les caractres que nous gardons ou par lesquels nous dfinissons le pland'immanence ou plan de matire. C'est la mme chose. On a vu les raisons pourlesquelles moi a m'arrangeait de parler de plan d'immanence. C'est la mmechose, Bergson lui parle d'un plan de la matire. Alors toujours cette anne dansmon besoin d'avoir des schmas

    [Gilles Deleuze se lve et fait un schma au tableau]

    alors mon plan d'immanence : le voil. On peut, ou on doit, au point o nous ensommes, le dfinir de trois faons strictement quivalentes, puisque finalementce autour de quoi nous tournons, dans ce plan d'immanence, c'est une sried'galits : image = mouvement = matire = lumire.Nous retenons trois caractres fondamentaux de ce plan d'immanence ou plan dematire. Premier caractre : c'est l'ensemble infini des images-mouvement, entant qu'elles ragissent les unes sur les autres sur toutes leurs faces et dans toutesleurs parties. Ce point, je le considre comme puis par nos deux sancesprcdentes. Deuxime caractre : ce plan c'est aussi bien la collection deslignes ou des figures de lumires, lignes et figures de lumire s'opposant lignesrigides ou figures gomtriques qui n'existent pas encore. Et, en effet, on a vu

    que sur ce plan des images-mouvement (tout a est trs cohrent), rien de solidene peut tre assign, pas plus que ne peut tre assign une droite et une gauche,un haut et un bas.Collection des lignes de lumire et des figures de lumire, entendons que c'estabsolument autre chose que ce qui plus tard apparatra comme lignes rigides,figures gomtriques, ou corps solides, et qui revient ce statut que nousavons vu que Bergson donne dans des phrases qui ont l'air d'tre desmtaphores et qui n'en sont pas du tout puisque c'est autant de clin d'il lathorie de la relativit, savoir l'ide que sur le plan de la matire qui est

    finalement exclusivement et uniquement lumire : la matire, c'est la lumire.Sur ce plan, la lumire ne cesse de diffuser. Pas plus que le plan ne connat dehaut ou de bas, de droite ou de gauche, de corps solide, la lumire sur ce planqui ne cesse de diffuser c'est--dire se propager en tous sens et toutes directions :la lumire ne connat ni rflexion ni rfraction, c'est--dire aucun arrt d'aucunesorte. Elle ne cesse de se propager, elle diffuse.Ce qui nous permettait, au niveau de ce second caractre, de rpondre unequestion importante : comment Bergson ose-t-il appeler quelque chose qui ne seprsente personne, c'est--dire qui ne renvoie aucun il, aucune

    conscience, puisque aucun il n'est l, aucune conscience n'est l. Ou je peuxdire aussi bien : il y a autant d'yeux que vous voudrez, mais l'il au sens que

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    vous pouvez lui donner n'est quune image-mouvement parmi les autres, donc nejouit strictement d'aucun privilge. Alors pourquoi parler d'image ?C'est parce que l'il est dans les choses, les images sont lumire. Les imagessont lumire et cette lumire ne cesse de se propager exactement comme l'image

    est mouvement, et le mouvement ne cesse de se propager, c'est--dire demouvement reu il se transforme immdiatement en mouvement de raction, demouvement d'action en mouvement de raction, systme d'action et de raction.Je peux dire aussi bien, ce moment-l, si l'il est dans les choses l aussi il ya un texte extrmement beau de Bergson, qui est : photographie il y a, la photoest dj prise et tire dans les choses, en d'autres termes, c'est bien un universd'images, images pour personne, lumire pour personne. Cette lumire n'a pasbesoin de se rvler, elle ne se rvle pas, dit Bergson trs bizarrement puisqu'elle ne se cesse de diffuser et de se propager. Ce qui implique que, sansdoute, la lumire ne se rvlera que dans la mesure o elle sera arrte par uneopacit quelconque. Mais sur ce plan d'immanence on a aucune place encorepour une opacit quelconque. Les choses sont lumineuses, les choses par lmme sont mouvement, elles sont lignes de lumire, figures de lumire. End'autres termes, je peux trs bien dj dire et parler de mais en quel sens ? Jedirais que les choses sont des perceptions, ou que les images sont desperceptions.Qui peroit ? Personne. Les images elles-mmes. Qu'est-ce qu'elles peroivent ?Elles peroivent exactement jusque-l o elles reoivent de mouvement, et

    jusque-l o elles excutent, o elles ragissent par du mouvement. Un atome,

    en ce sens, n'est rien qu'un mouvement qui, en tant que tel, est perception detous les mouvements dont il subit l'influence, et de tous les mouvements qu'ilexerce comme sa propre influence sur les autres atomes.Je dirai donc que chaque image est perception, mme pas perception de soi-mme, puisqu'il n'y a pas de chose, mais chaque image-mouvement estperception de tous les mouvements qui agissent sur elle et de tous lesmouvements par lesquels elle agit sur les autres images. En d'autres termes, jedirai de chaque chose qu'elle est une perception totale, je dirai de chaque chosequ'elle est je prends un mot un peu plus technique qui fait mieux comprendre

    chaque chose est une prhension. Chaque chose est une image-mouvement qui,en tant que tel, apprhende tous les mouvements qu'elle reoit et tous lesmouvements qu'elle excute.Ca revient dire que, sur le plan d'immanence, il n'y a que des lignes et desfigures de lumire. Voil le second caractre. Le premier, c'tait : le pland'immanence est l'ensemble infini des images-mouvement en tant qu'ellesvarient les unes par rapport aux autres. Second caractre c'est la collectioninfinie, ou le trac infini, des lignes ou figures de lumire.Troisime caractre, et c'est Anne Querrien qui disait : il n'y a rien faire, tu n'y

    chapperas pas, il faudra bien introduire du temps. Il ne faudra pas simplementintroduire du mouvement et de la lumire, il faudra introduire du temps. Et moi

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    je disais, oui et non. Et puis l-dessus, parce que c'est comme a qu'on travaille,tantt c'est une intervention, tantt j'ai eu une lettre d'Anne Querrien, plusdtaille sur la manire dont elle comprenait le truc. Elle aurait pu fairel'intervention oralement. Et puis je me suis dit que, videmment, elle a raison.

    Puis a posait un problme quant la lettre du texte de Bergson. Dans quellemesure est-ce qu'on est infidle ou bien on reste trs fidle Bergson ? Moi jecrois qu'on est trs profondment fidle Bergson. C'est une question qui peutintresser certains d'entre vous, ou au contraire ne pas du tout intresser certainsautres qui s'en foutent de savoir si on est fidle Bergson ou pas : moi, am'intresse, a m'intresse modrment. Mais voil quAnne Querrien me fait laremarque. On va voir, mais a se dgage. Je crois qu'elle a raison quand elle ditque sur ce plan d'immanence (qui est dj trs bizarre, parce que ce qui comptece n'est pas le mot plan, on va voir pourquoi le mot ). Evidemment, il faut dutemps.Pourquoi ? A moins de concevoir, selon la vieille tradition, la lumire commeinstantane, par exemple selon une tradition encore de type cartsien. On a vuque ce n'tait pas le cas, que Bergson a dans la tte son rglement de compteavec la relativit dEinstein. Par rglement de compte, je n'entends pas uncombat, j'entends une mise au point entre philosophie et physique.Lumire et temps s'impliquent. Bien plus d'aprs le premier caractre, le pland'immanence est lui-mme un ensemble infini de mouvements, en ce sens ilimplique le temps comme variable. Je dirai que le plan d'immanence on n'a pasle choix comporte ncessairement du temps. Il comporte ncessairement du

    temps comme variable des mouvements qui s'oprent sur lui. , il faut le mettreentre guillemets, parce que, en fait, il ne distingue pas les mouvements quis'oprent sur lui.En d'autres termes, c'est le troisime caractre de mon plan d'immanence, il estbloc d'espace-temps. Ca pose toutes sortes de problmes.Dans le chapitre II de Matire et Mmoire, on croyait avoir tout compris et onreoit un grand coup, car Bergson, dans la premire page du chapitre II de

    Matire et Mmoire, nous dit que le plan de la matire est une coupe instantanedans le devenir en gnral. Quelle coupe ? On ne peut pas empcher qu'il l'ait dit

    : c'est une coupe instantane. Donc il semble y refuser la dimension du temps,c'est une coupe instantane du devenir. Du coup on est gns. Bon.Il faut consentir l'ide, on va voir de plus prt. Alors, on cherche, on cherche.On se dit : comment est-ce qu'il a pu dire a, l a ne va pas Comprenez leproblme : comment est-ce qu'il peut dire que c'est une coupe instantane, alorsqu'il vient de nous expliquer que le plan de matire tait l'ensemble de toutes lesimages-mouvement qui varient les unes par rapport aux autres ? Cette variationet cette mobilit impliquent du temps. Alors ce n'est pas une coupe instantane ?Une coupe instantane, par dfinition, c'est immobile, et de tout temps, Bergson,

    dans tous ses autres textes, Bergson relie trs prcisment instantan etimmobile. Quand il parle d'une vue instantane sur le mouvement, a veut dire

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    une position immobile. Donc il ne peut pas vouloir dire, c'est une coupeinstantane pourtant il le dit. En effet, c'est une coupe mobile. Une coupemobile, c'est une coupe temporelle, c'est une coupe qui comprend du temps.C'est ce qu'on appelait l'anne dernire une perspective non pas spatiale, mais

    une perspective temporelle. Donc le plan d'immanence est une coupe mobile.Ds lors il implique le temps comme variable du mouvement, donc il ne peutpas tre instantan. Il ne peut pas tre instantan on n'a pas le choix.Heureusement, dans le chapitre III un autre passage nous montre que Bergsonest plus prudent. Dans le chapitre III, il nous dit que le plan de matire est unecoupe transversale de l'universel devenir. Il nous dit qu' ce titre, c'est le lieu depassage des mouvements reus et renvoys; mais , a ne peut avoir qu'un sens :c'est que a implique le Temps. Tout comme la lumire, comme les lignes delumire et les figures de lumire impliquent le temps. Donc ce n'est pas unecoupe instantane.Pourquoi est-ce que Bergson le dit quand mme, l ? Comprenez, j'insistebeaucoup l-dessus parce que c'est une manire de lire les philosophes. Quandon crit, quand les gens crivent, ils ont quand mme un thme principal quivarie : supposons qu chaque page corresponde un thme principal et desthmes secondaires; quand je fais de quelque chose mon thme principal, jepourrais aller assez vite sur mes thmes secondaires. Je ne peux pas dire tout lafois; je serais amen employer des commodits d'expression. Je serais forcd'aller vite sur tel point qui n'est pas mon point principal. Si aprs on me dit : jedirais.

    C'est le cas. Quand il dit : le plan de matire est une coupe instantane dudevenir, c'est justement dans une page o il ne se soucie plus de ce qu'est le plande matire, o il se soucie de tout fait autre chose. Donc on peut consentir l'ide qu'il va vite. Ce n'est toutefois pas une rponse suffisante : il va vited'accord, mais il dit . Cherchons un peu plus loin.En quel sens le plan de matire implique et comporte-t-il ncessairement dutemps ? Je viens de le dire : comme il se confond avec les mouvements qui sefont sur lui, comme il se confond avec les mouvements qui ne cessent des'changer et de se propager sur lui, c'est--dire avec cette collection des images-

    mouvement, on peut considrer une espce de mouvement d'ensemble de tout leplan puisqu'il est l'ensemble infini de toutes les images-mouvement. Unensemble infini. Ensemble infini et mouvements. Ce sont des mouvements detranslation, translation impliquant dplacement sur le plan, dplacement dansl'espace.Or Bergson a une grande ide que, l, je ne veux plus commenter parce que jel'avais commenter beaucoup l'anne dernire, et qui va tre fondamentale pournous. Donc je la rappelle, je la rsume pour ceux qui ne sont pas au courant,c'est une ide trs claire. Oubliez tout ce qui prcde, cette ide consiste nous

    dire ceci : vous comprenez, un mouvement de translation c'est un changement deposition entre, disons pour le moment puisqu'on ne peut pas employer d'autres

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    mots, entre . Par exemple vient au point . Un mouvement de translation, c'est undplacement dans l'espace. On a vu quau niveau o nous en sommes du pland'immanence, les mouvements de translation sont des diffusions. Des diffusions,des propagations en tous sens et en toutes directions. C'est des mouvements de

    translation. BERGSON a une ide trs simple qui est chez lui comme une espced'hritage d'Aristote : c'est que le mouvement de translation dans l'espace n'a passa raison en soi (je ne vais pas reprendre toutes les raisons de BERGSON, peuimporte, il faut juste que vous compreniez ce point). Un mouvement detranslation dans l'espace exprime toujours quelque chose de plus profond etd'une autre nature : un mouvement de translation dans l'espace exprime toujoursun changement qualitatif, ou une altration. Une altration, c'est un changementqualitatif. Qu'est-ce qui change qualitativement ? La rponse de BERGSON esttrs prcise : la seule qui puisse changer qualitativement, c'est--dire qui necesse pas de changer en fonction de sa nature, c'est ce qu'il faudra appeler . Seulun Tout ou le Tout, peu importe, change et ne cesse de changer, c'est sa naturede changer. Traduisons : un mouvement de translation dans l'espace exprime unchangement dans le Tout.C'est presque de la terminologie qu'il faut que vous saisissiez bien : qu'est ce quec'est ce Tout ? C'est quelque chose qu'on n'a pas du tout encore rencontr.Heureusement, on l'a rencontr l'anne dernire. L on ne la pas du tout encorerencontr. Changements qualitatifs, tout a, mon plan d'immanence, mon plan dematire, il ne comprend que des mouvements de translation dans l'espace. Il necomprend rien d'autre. Changement qualitatif, qu'est-ce que c'est ? Ce qui ne

    cesse pas de changer, c'est le devenir. D'accord : le devenir ne cesse pas dechanger : mme pas ce qui devient, il n'y a pas de ce qui devient, il y a ledevenir. Le devenir ne cesse pas de changer, c'est sa dfinition; le devenir, c'estle changement qualitatif; le devenir, c'est l'altration. Trs bien. Mais on ne saitpas ce que c'est, le devenir; voil que c'est le Tout aussi. Ha bon, le devenir c'estle Tout! Mais on ne sait pas plus ce que c'est que le Tout.C'est intressant pour nous parce qu'on ne comprend rien encore, mais on voit,on comprend tant de choses avant d'avoir compris, on comprend au moins qu'ilne faut pas confondre et . Le plan d'immanence, c'est l'ensemble infini des

    images-mouvement, ou si vous prfrez des figures et des lignes de lumire.Bon. a d'accord. Mais que ce soit les mouvements de translation ou ceux de cetensemble infini, que ce soit les mouvements de translation ou que ce soit leslignes et figures de lumire, elles expriment quelque chose qui est d'une autrenature : des altrations qualitatives et des changements qualitatifs dans un Toutsuppos, c'est--dire dans un devenir.[Si le Tout] L j'ai une autre srie d'galits qui n'a rien voir avec mesgalits de tout lheure. Ces galits que je mets de ct et dont actuellement jene sais pas que faire, c'est : Tout = devenir = changement qualitatif ou altration.

    Tout ce que nous dit Bergson en plus, pour nous guider, sentimentalement on sedit que srement c'est quelque chose de trs important qu'il est en train de nous

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    Bergson ?, ne se pose plus. Evidemment, on y est fidles. Voil ce premierpoint.

    Question : J'ai une question

    Gilles Deleuze : Mon Dieu!

    Suite de la question : par rapport Dure et simultanit.

    Gilles Deleuze :je rponds trs vite parce que, mon avis, ce n'est pas une vraiedifficult. Dans Dure et Simultanit, encore une fois, c'est une confrontationavec la thorie de la relativit. Il ne se met pas du tout sur, ou au niveau, dunplan de la matire tel qu'on vient de le dfinir, un plan d'images et demouvement. Il se met sur un plan o coexistent des lignes dites rigides ougomtriques et des lignes de lumire. Il constate que la relativit fait unrenversement, que la thorie de la relativit opre un renversement quand auxrapports entre les deux types de lignes.Et c'est dj l-dessus que j'insisterais beaucoup, savoir que la physique pr-einsteinienne considrait que c'tait les lignes rigides, ou les figuresgomtriques l je prends un mot vague qui commandaient aux lignes delumire, ou qui dterminait le mouvement des lignes de lumire; la thorie de larelativit fait un renversement absolu et fondamental, savoir que ce sont leslignes de lumire et les quations tablissables entre ces lignes et figures de

    lumire qui vont dterminer et commander la permanence et la solidit deslignes qu'on appellera rigides et gomtriques. Donc c'est uniquement sous cetaspect que je peux tirer moi ou invoquer Dure et simultanit. L-dessus,quand je me transporte Matire et Mmoire, si j'ajoute : quel est le problmede Dure et Simultanit, mon avis Bergson accepte compltement l'ide d'unprimat des lignes de lumire et des figures de lumire. En ce sens, il esteinsteinien. C'est un drame, Dure et simultanit, c'est le drame d'unphilosophe. Les crivains connaissent aussi ces drames : le drame c'est un livrequi Je vais vous raconter le drame de Dure et simultanit. Il accepte

    compltement ce premier grand principe qu'il tire de la relative; il accepte aussiun second grand principe de la relativit, savoir : l'ide, le mot n'est pas de lui,mais ce qui correspond des blocs d'espace-temps. Il l'accepte aussi. Etpourquoi il l'accepte ? Il n'est pas idiot, il sait assez de mathmatiques pour trsbien comprendre la thorie de la relativit, mais il ne prtend pas tre un gnieen physique ni en mathmatiques. Il ne prtend pas apporter quelque chose denouveau en physique ou en mathmatiques, sinon il aurait fait desmathmatiques ou de la physique au lieu de faire de la philosophie. Donc il neprtend pas du tout discuter la thorie de la relativit, il ne prtend pas du tout

    dire : Einstein s'est tromp, moi je vais vous expliquer pourquoi. Il ne faut pasexagrer, il n'a pas perdu la tte. Seulement voil que les lecteurs, quand ils ont

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    lu Dure et simultanit, ils ont cru que Bergson discutait de la relativit ettrouvait que, la lettre, Einstein s'tait tromp. Vous me direz que ce n'tait pasdifficile d'expliquer aux gens que ce n'tait pas a. Non. Quand vous avez fait unlivre qui subit un tel contresens ou qui est accueilli d'une telle manire, c'est

    foutu. Pour redresser, il faudrait refaire le livre. Il faudrait le refaire, et commeen fait, quand on se mle de ces choses, on a dj quelque chose d'autre faire,pas question de refaire un livre. C'tait foutu pour Bergson, d'o son attitude trsrigide : non seulement jusqu' sa mort il interdit toute rdition de Dure etsimultanit, ce qui confirme les gens, ce qui confirme tous les connards dansl'ide quil s'est lui-mme rendu compte qu'il se trompait, mais en fait ce n'estpas a : il n'tait pas en tat de corriger une erreur gnralise des lecteurs. Cen'est pas possible de corriger une mauvaise comprhension. A ce moment-l, ilfaut faire autre chose. Il ne faut pas passer son temps corriger quelque chose,on ne peut pas. Alors l il tait fichu, d'une certaine manire, car il s'agissait dequoi en fait. Donc jusqu' sa mort, et au-del de sa mort puisque son testamentest explicite, il interdit tant qu'il en aura le pouvoir, c'est--dire tant qu'il aurades hritiers capables de maintenir son interdiction, il interdit toute rdition deDure et simultanit. Et c'est donc tout rcemment que Dure et simultanit apu tre republi. Mais je crois que ce n'est pas une question rgle, parce quilme semble qu'on n'a pas expliqu ce que je suppose qu'il s'est pass. Enfin, c'estune hypothse que je prsente, car le problme pour lui tait trs diffrent.C'tait : j'accepte la thorie de la relativit; bien plus, c'est une des figuresfondamentales de la science moderne. Encore une fois, il n'est pas fou, il ne va

    pas se mettre discuter Einstein

    (Changement de la bande.)

    Est-ce que Einstein est en droit de conclure : il n'y a pas de temps universel.Est-ce que la thorie de la relativit permet de conclure une thorie du tempsrel ? Une thorie du temps rel d'aprs laquelle il n'y aurait pas de tempsuniversel ? Voil la question.La thse de Bergson est trs simple. Elle consiste dire : attention!, la thorie du

    temps rel n'est plus une affaire de physique, c'est une affaire de philosophie.Qu'est-ce que a veut dire a ? Et le but de Dure et simultanit, et c'est le seulbut de Dure et simultanit, o Bergson a besoin de bien montrer qu'il intgrecompltement Einstein. Le seul but, c'est [de] dire : autant moi je fais un pasvers Einstein, cest--dire que je ne vais pas discuter ce qu'il dit en physique,pourquoi diable Einstein, lui grand physicien, croit-il possible de faire unephilosophie qui, quand mme, n'est pas fameuse ? Non seulement, elle n'est pasfameuse, mais elle prsente une thse philosophique d'aprs laquelle il y auraitune multiplicit irrductible de Temps. Ce que Bergson va essayer de montrer

    dans Dure et simultanit, c'est que l'ide des blocs d'espace-temps, et mme

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    d'une srie infinie de bloc d'espace-temps, n'empche pas l'unicit d'un tempsrel conu comme devenir.A ce moment-l, le livre devient extrmement clair. Et encore une fois on n'estpas encore en mesure de comprendre cette histoire de devenir. Mais ce qui

    m'intresse, c'est d'avoir fond l'ide que le plan d'immanence, ou que les plansd'immanence, en fait le plan d'immanence avec sa srie infinie de prsentations.Tous ces plans d'immanence sont des coupes mobiles d'un universel devenir.Alors ton objection, elle est trs juste si on s'en tient Dure et Simultanit,mais dans Dure et Simultanit, il ne s'agit pas du tout du plan de la matire telqu'il l'entend lui, BERGSON; il s'agit d'un plan o bien sr il y a la matire, il ya la lumire, mais il y a aussi ce que nous n'avons pas encore : des figuresrigides, des solides, dont on va voir pour nous, au niveau de Matire etMmoire, quoiqu'il ne le pose pas ce problme, a va tre nous de le poser, il atellement de choses faire. Etre fidle lui, a va tre remplir des trous qu'il alaiss, ou je ne sais pas quoi. Au point o nous en sommes, il va falloir rendrecompte de la formation de lignes gomtriques; je ne peux pas me les donner,

    j'en ai pas. A ce niveau-l, je n'ai que des lignes de lumire. Au contraire, dansDure et Simultanit ou le chapitre auquel tu fais allusion n'est pas unchapitre de philosophie, c'est un chapitre de physique , il se donne les deux lafois. Il ne se demande pas d'o viennent les lignes de lumire et d'o viennentles lignes gomtriques : il y en a, quoi! Il y a d'une part des lignesgomtriques, il y a d'autre part des lignes de lumire qui sont dans un rapportnonable.

    Anne Querrien : Je serais d'accord d'une certaine faon. Bergson a tout faitraison de dire que c'est une coupe instantane dans le devenir [ ? ? ? ?] condition de changer de gomtrie et de revenir ce que je t'avais racont sur lagomtrie des cathdrales, c'est--dire que pour les ouvriers qui ne connaissentpas la gomtrie analytique ou descriptive deux coupes, prcisent il y avait unecoupe au sol partir de laquelle on levait la cathdrale, et les dimensions,suivant le mouvement qu'on faisait faire aux pierres la plus grande lvation,les dimensions de la coupe au sol taient variables. Il y avait donc une seule

    coupe plane d'un univers trois dimensions. Tu me suis ? C'est un autre type degomtrie, justement des rapports entre les lignes de mouvements, et les lignesgomtriques o il n'y a pas de conservation des distances. Donc effectivementil y a un seul plan, qui est une coupe instantane. Du moment qu'on pose ledevenir comme existant, il suffit d'une seule coupe instantane, il n'y a pasbesoin d'avoir trente-six coupes! Et a a compltement voir avec ce qu'on vousracontait sur le plan de consistance.

    Gilles Deleuze : mais non, mais non. D'une part il y a une question de faits.

    Bergson, lui, en a besoin. Il n'y a pas de discussion, il y a p', p, p, etc., l'infini. Lui, il a a. Il a cette pluralit de prsentations puisque le plan de la

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    matire ne cesse de se dplacer en mme temps on va le voir parce que sur leplan de la matire, il y a quelque chose aussi qui ne cesse de se dplacer, et donton n'a pas encore vu la matire. Donc lui, il en a besoin. D'autre part, puisque tudis que le plan de matire est ncessairement un bloc d'espace-temps

    Anne Querrien : Je dis que c'est une reprsentation. On peut choisir dereprsenter a dans les dimensions de l'espace et du temps parce que ce sontcelles qu'on a le plus travaill en mathmatiques appliques. Mais on pourraittrs bien imaginer que ce soit dans des dimensions, que je ne connais pas. Maistant donn qu'on prend ces dimensions-l, on peut avoir une succession deplans comme tu dis, mais il y a aussi concevable une coupe instantane quiserait une sorte de cristallisation, enfin les deux choses ne seraient pascontradictoires. On peut la fois dire que le plan est une coupe instantane dudevenir, et dire d'autre part aussi qu'il y a des sries de bloc spatio-temporelsGilles Deleuze : si tu fais cristalliser toutes les prsentations du plan de matire,il y aura un ennui, il me semble; c'est que, ce moment-l, qu'est ce qui vat'empcher de le confondre avec le Tout ?Anne Querrien : C'est effectivement le risque. Le Tout, dans sa forme habituelle,ce serait a. Oui. a peut se faire.Gilles Deleuze : (rires) a peut se faire Mais l tu es infidle BERGSON! Cen'est pas grave, mais ce serait un autre systme Rponse Richard : le deveniruniversel et le Temps impersonnel, c'est pareil.Donc tout va bien, vous voyez L-dessus, progressons vite. Je disais, jemaintiens, et tout le monde est d'accord que, au moins, c'est possible : sries de

    ces blocs espace-temps. Je dis : n'en retenons qu'un, revenons p je me metsdans un cas simple, c'est dj assez compliqu comme a , qu'est-ce qui peutse passer ? Qu'est-ce qui peut arriver ? Parce quon est coincs, l! On esttellement coincs qu'on est bien incapables de comprendre ce que c'est que ceshistoires de Tout, de devenir, qui nous renvoient un autre lment que le plande matire. On demande qu'est-ce qui se passe sur le plan de matire ainsi dfini,c'est--dire dfini par les trois dfinitions, les trois caractristiques prcdentes ?La rponse de BERGSON, c'est cette rponse qui laisse tellement tonn parceque, encore une fois, ce ne sont des choses qu'on ne voit que dans Matire et

    Mmoire, il dit : pas difficile, imaginez quen certains points de ce plan dematire, de notre plan d'immanence, surgisse quoi ? Encore une fois, je n'aipas le droit de faire appel quoi que ce soit qui excde le mouvement, ou lalumire. Est-ce qu'il tient sa promesse ? C'est si beau, essayons de le suivre aussiloin que possible; il dit : la seule chose qui puisse arriver dans tous ces parcoursde mouvements, d'actions, de ractions, c'est des intervalles, des intervalles demouvement. Il ne se donne rien d'autre que le mouvement. Il dit seulement : encertains points de mon plan d'immanence, il va y avoir un intervalle entre lemouvement reu et le mouvement excut. De bizarres atomes, on va voir

    comment a a pu se former ces choses-l. Bizarres atomes ? Un intervalle entre,c'est des images-mouvements, ce sont des images-mouvement spciales.

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    Imaginez des images-mouvements spciales traverses d'un intervalle. Intervalleentre le mouvement que cette image reoit et le mouvement qu'elle transmet,dans tous les sens. Mais on va voir, est-ce que c'est encore dans tous les sens ?Rien que des intervalles, ou comme il dit : des carts. Il est trs fort pour dire : je

    ne donne rien d'autre que du mouvement. Qu'est-ce qu'il me faut ? Ce qu'il mefaut, je vous parlais du mouvement, maintenant je vous parle et je vous dis : il ya certaines images-mouvement, pourquoi ? Je n'en sais rien encore. Il y acertaines images-mouvement qui prsentent un cart entre le mouvement reu etle mouvement excut. Un intervalle de mouvement. Je ne demande pour dfinirle plan de la matire que des mouvements et des intervalles de mouvement. C'estpour a que l'anne dernire, quand je m'occupais plus de cinma, je disais : il ya quand mme quelqu'un, un grand homme de cinma, qui a dit et qui a fait desmanifestes sur : je ne demande pour faire le cinma de l'avenir, je ne demandeque du mouvement et des intervalles de mouvement, et qui ajoutait : lesintervalles de mouvement, c'est encore plus important que le mouvement; maisdonnez-moi des mouvements et des intervalles de mouvements, et je vous ferais,quoi ? Le monde comme cin-il. Cin-il : cest--dire toutes les thories deZiga Vertov consistent et reposent exclusivement sur : les deux notions demouvement et d'intervalles de mouvement. Et qu'est-ce que Vertov estimaitfaire, tort ou raison ? Il estimait faire le cinma matrialiste, digne de lasocit communiste de l'avenir. Et ce cinma matrialiste ne demandait que desmouvements et des intervalles de mouvements. A cet gard, a ne m'tonne paspuisque le premier chapitre de Matire et Mmoire, le premier chapitre me

    parait le texte le plus matrialiste du monde. Alors BERGSON a tant de choses dire qu'il va tout de suite loin, il dit : qu'est-ce que c'est cet intervalle demouvement ? Je ne me donne rien que de la matire, des images qui, au lieu detransmettre immdiatement le mouvement reu, sont telles qu'il y un intervalleentre le mouvement qu'elles reoivent et le mouvement qu'elles rendent ce seraquoi ? Donnons-leur un nom puisque ce sont des images trs spciales : ce sontdes images vivantes. N'oublions pas notre identit qui est compltement fondeet qui continue : image = matire = mouvement, etc. Ce seront des matires-vivantes. Et en effet comment est-ce qu'on dfinit un vivant par opposition un

    non vivant ? On dfinit un vivant par l'existence d'un intervalle ou d'un cartentre le mouvement qu'il reoit et le mouvement qu'il rend, c'est--dire lemouvement qu'il excute. C'est a un vivant.Mais qu'est-ce qu'il y a de plus vivant que le vivant ? BERGSON y va tout droit,puisqu'il se rserve pour plus tard l'tude du vivant, pour un autre livre. Ce quil'intresse l, dans Matire et Mmoire, c'est d'arriver le plus vite une matirevivante qui est l'expression la plus pousse, la plus complexe, de l'cart ou del'intervalle, savoir : le cerveau! Il s'adresse tout de suite un degr trscomplexe d'laboration de la matire vivante. Il dit : qu'est-ce que c'est qu'un

    cerveau ? Un cerveau, c'est de la matire d'accord. N'allez pas croire qu'il y ades images dans le cerveau, le cerveau, c'est une image parmi les autres : c'est

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    une image-mouvement. C'est comme tout, c'est une image-mouvement;simplement, c'est une image-mouvement trs spciale, c'est une image-mouvement qui prsente un maximum d'cart entre le mouvement reu et lemouvement excut.

    Qu'est-ce que a permet, un cerveau ? En d'autres termes le cerveau, c'est rien;c'est rien, c'est un cart, c'est un intervalle. Seulement, c'est un intervalle quicompte, parce que qu'est-ce qui se passe quand il y a un intervalle entre unmouvement reu et le mouvement excut ? Il se passe deux choses : cemoment-l, l'image est, la lettre, cartele. Les images vivantes, c'est desimages carteles. J'appelle image cartele une image qui prsente un intervalleentre le mouvement reu et le mouvement excut. Qu'est-ce que a implique ?Ca implique deux choses qui vont tre fantastiques, qui vont tre l'closion dunouveau, mme si on ne comprend pas pourquoi ni comment. C'est bizarre toutecette histoire : il suffisait d'un intervalle entre les deux, pour que quoi ? Pour quel'action subie soit fixe et isole. Isole et fixe, oui, isole du reste des images-mouvement. Vous me direz : toujours plusieurs agissent sur une image-mouvement, oui. Plusieurs agissent. Mais lorsque je me trouve devant l'imageprivilgie intervalle, elle va tre en mesure d'isoler une action principale. Onva voir pourquoi. En d'autres termes, elle arrive isoler l'action qu'elle subit, cequi tait impossible pour les autres images sur le plan d'immanence et mme devancer l'action qu'elle subit. Et de l'autre ct, puisqu'il y a cart, la ractionqu'elle produit, la raction qu'elle excute, l'action qu'elle retransmet, elle va trecapable de quoi ? Grce l'cart, grce cette fois-ci au retard, vous voyez, il y a

    anticipation sur une face : j'isole l'action que je subis et j'anticipe sur elle; surl'autre face, il y a retard. L'cart, c'est une action retarde. L'intervalle me donneun peu de temps. Pourquoi ? Au lieu que ma raction soit la retransmission del'action subie ou la propagation de l'action subie, tout se passe comme si lesimages vivantes taient capables de produire des actions retardes, c'est--diredes actions nouvelles par rapport aux influences et aux actions subies. Desactions qui ne dcoulent pas immdiatement de l'action subie.D'un ct action subie et anticipe, d'un autre ct action retarde et doncnouvelle par rapport l'action subie. A cela vous reconnaissez des vivants, et de

    prfrences des vivants crbraux, dous de cerveaux.Il nous suffisait juste l'intervalle. Vertov et BERGSON mme combat. Maisnous, on a besoin d'un tout petit peu plus. Et l a devient tellement facile!Prolongeons un peu. On dit : quand mme, il exagre de sauter tout de suite aucerveau. Nous, on va essayer de dire ce qui se passe avant : on va imaginer unehistoire qui est l'Histoire de la Terre; ce moment-l, on prend un livre sur lesorigines de la vie. On se dit : sur le plan d'immanence a vous n'a paschapp : mon apparition d'intervalles avec ses deux aspects : ds que desimages-mouvement apparaissent, qui cartlent le mouvement reu et le

    mouvement excut, c'est--dire isolent l'action subie et anticipent sur elle,d'autre part retardent l'action excut et ds lors produisent du nouveau, a ds

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    que a apparat je peux dire que j'ai rendu compte de ces images spciales dupoint de vue sur le plan d'immanence, de quel point de vue ? Du point de vue dupremier caractre du plan d'immanence, savoir : ensemble infini d'images-mouvement. J'ai dit : le plan d'immanence tant dfini comme ensemble infini

    d'images-mouvement ragissant les unes sur les autres, apparat sur ce plancertaines images trs spciales qu'on appellera des images-vivantes ou desmatires-vivantes et qui prsentent un intervalle de mouvement. D'accord ? Bon.La rigueur exige que je dise ce qui se passe, bien que tout ces points de vuesoient lis, du point de vue du second caractre du plan d'immanence, qui tait :diffusion de la lumire et propagation de lignes et figures de lumire pure.Qu'est-ce qui se passe, l ? Il faut que je trouve quelque chose de correspondant,vous comprenez ? Que je puisse dire, et bien voil aussi l'quivalent del'intervalle. L'intervalle, c'tait en terme de mouvement, intervalles demouvement. Mais l'histoire du mouvement, c'tait le premier caractre du plan;le second caractre du plan, c'est la lumire et sa propagation, sa diffusion.Qu'est de qui se passe de ce point de vue-l ? Qu'est ce que c'est les imagesvivantes ? Mes images lumineuses de tout l'heure, avant que je n'aie faitintervenir des images spciales, carteles, petit ou grand cart. Qu'est ce quise passait pour mes lignes et figures de lumires, diffusion, propagation en toussens et toutes directions ? Chaque image tait lumineuse en elle-mme, elle nerecevait pas de la lumire d'ailleurs. Il n'y avait pas une conscience qui venait lesclairer du dehors, elles n'en avaient pas besoin : les choses taient lumineusesen elles-mmes puisque c'tait des images de lumire. Simplement cette lumire,

    elle n'tait pas rvle parce qu'elle n'avait pas tre rvle. Pourquoi est-cequ'elle aurait t rvle ? A qui ? C'est bien parce qu'il y a un plein derfrencesJe parlais d'un rglement de compte avec EINSTEIN, mais il a aussi unrglement de compte avec l'ancien Testament. BERGSON tait juif, son histoireest trs complique : il s'est converti au catholicisme tout fait la fin de sa vie,mais il a voulu absolument le tenir secret parce que c'tait le moment d'Hitler,donc il voulait continuer passer pour juif, il le restait trs profondment, c'estune trs curieuse histoire. Et le rapport de BERGSON avec l'ancien Testament,

    c'est un rapport trs fondamental, et mme le Bergsonisme. Je crois que toutecette histoire de lumire est trs lie toutes sortes de thmes religieux chez lui.Je dis : cette lumire, elle n'avait pas se rvler. C'est bien parce qu'on entendau catchisme, parait-il, on entend des enfants qui disent : mais avant la lumire,qu'est ce qu'il y avait ? La rponse de BERGSON, c'est : avant la lumire, maisil y avait la lumire Il ne faut pas parler davant la lumire, il faut parler de,avant que la lumire ne soit rvle. Ce n'est pas du tout pareil. Mais la diffusionuniverselle de la lumire c'est le plan d'immanence de tout temps. On a vu que,de tout temps, bien avant qu'il y ait la moindre cellule vivante.

    Qu'est-ce qui se passe ? Voil que les images lumineuses spciales apparaissent,[et] que j'appelle c'est la mme chose. Je veux dire : ce que l'intervalle de

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    mouvement est au mouvement, qu'est-ce qui va l'tre la lumire ? Elles ont uneproprit trs spciale, c'est des images carteles, elles vont arrter la lumire.Elles ne vont avoir qu'un pouvoir : elles vont rflchir la lumire. Les imagesvivantes vont rflchir la lumire. A plus forte raison lorsque ces images

    vivantes auront un cerveau, ou lorsqu'elles auront des yeux, ce seront desphnomnes de plus en plus complexes de rflexion de la lumire. Ce quel'intervalle de mouvement est au mouvement, la rflexion de la lumire va l'tre la lumire. C'est--dire : elles vont recevoir un rayon, elles vont arriver isolerune ligne de lumire a, c'est le premier aspect de l'image-mouvement vivante; et, deuxime aspect, elles vont rflchir la lumire. En d'autres termes, qu'est-ce qu'elles vont fournir ? Elles vont fournir la photo, si photo il y a, et tirer dansles choses de tout temps. Seulement, la photo tait translucide, dit BERGSON. Ilfaudrait dire , la lettre; la photo tait transparente. La photo tait dans leschoses, mais elle tait transparente. Qu'est-ce qui manquait ? L, le style deBERGSON est un style trs trs grandiose : ce qui manquait, c'tait derrire laplaque dit-il, et la plaque, c'tait rien d'autre que chaque image-mouvement.Derrire la plaque, ce qui manquait, c'tait l'cran noir. L'cran noir ncessairepour que la lumire soit rvle. Qu'est-ce que les images vivantes, du point devue cette fois-ci de la lumire, apportent ? L'cran noir qui manquait.Uniquement l'cran noir qui manquait. En d'autres termes, qu'est-ce que c'estque la conscience ? A la limite, qu'est-ce que c'est que la conscience ?La conscience, c'est le contraire d'une lumire. Toute philosophe a vcu surl'ide que la conscience c'tait une lumire, et bien non. Ce qui est lumire, c'est

    la matire. Et puis voil : la conscience, c'est ce qui rvle la lumire. Pourquoi ?Parce que la conscience, c'est l'cran noir. La conscience, c'est l'opacit, qui entant que tel va emmener la lumire se rvler, c'est--dire se rflchir. Donc,renversement complet : ce n'est pas la conscience qui claire les choses, c'est leschoses qui s'clairent elles-mmes, qui s'clairent si bien elles-mmes que lalumire n'est pas rvle; la photo dans les choses est transparente mais elle estl : il faut l'image vivante pour fournir l'cran noir sur lequel la lumire va buterse rflchir. Et nous ne sommes rien d'autre que a. Tout l'heure, nous tionsintervalles entre mouvements et rien d'autres, nous n'tions que de petits

    intervalles. Dans la mesure o nous avions un cerveau, nous tions de grandsintervalles. Et maintenant, a ne vaut pas mieux. Cest formidable, commerglement de comptes avec l'homme (rires) Vous vous croyez lumire,pauvres gens, vous n'tes que des crans noirs, vous n'tes que des opacits dansle monde de la lumire.Qu'est-ce que a veut dire ensuite quand on reproche BERGSON de n'avoirpas connu l'inconscient, ou d'avoir ignorer l'inconscient ? Qu'est-ce que vousvoulez qu'il fasse de l'inconscient, une fois dit que la manire dont il a dfini laconscience, c'est l'opacit pure, c'est l'opacit brute. Il n'a vraiment pas besoin

    d'inconscient. Je ne vois pas bien ce qu'il en ferait Il a dj tout mis ce qu'ilfallait, dans la conscience, alors Bon, a marche.

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    a, c'est le deuxime caractre de ces images vivantes crbrales, crbralises.C'est un haut niveau de complexit. C'est rudement bien fait, vous voyez que lesdeux se font cho. Action subie qui tait isole, action retarde qui, ds lors,tait nouvelle, et puis l : lignes de lumire isoles et lignes de lumire rflchie,

    a se vaut. L'cran noir du point de vue de la lumire et l'intervalle du point devue du mouvement se correspondent tout fait. Je poserais enfin une troisimequestion, elle est toute simple : puisque mon plan d'immanence a un troisimecaractre qui est d'tre une coupe mobile, une coupe mobile de l'universeldevenir, de ce troisime point de vue, qu'est-ce que vont apporter les imagesspciales, images ou matires vivantes ? L comme on n'a pas encore vu leshistoires d'universel devenir, je ne peux rpondre qu'une chose qu'elles peuventapporter c'est quoi ? Nous sommes en droit de supposer que ces images-vivantes seront avec l'universel devenir, dont le plan d'immanence, dont le plande matire est une coupe mobile, et [ce] bien que ces images spciales serontavec cet universel devenir dans un rapport trs particulier, dans un rapportprivilgi. Je ne peux pas en dire plus. Elles ne seront pas comme le plan quipourtant les contient; ces images vivantes ne seront pas de simples coupesmobiles de l'universel devenir, elles auront un rapport plus intime avec cetuniversel devenir mais lequel ? a, on n'en sait rien. On laisse a de ct, onpeut pas, on a pas les moyens. Et puis on n'est pas presss. On pourrait dire : ilexagre, il se donne tout de suite le cerveau!Il se le donne merveilleusement parce qu'il l'analyse comme matire, le cerveau.Il montre trs bien dans le premier chapitre comment le cerveau n'est finalement

    qu'une matire capable d'arrter l'action subie, et de reporter l'action subie. a, ille montre merveille, avec tous les rapports, en faisant une brve analyse, maistrs belle, du cerveau et de la moelle pinire. Trs beau. Rien retoucher. Il mesemble que toutes les thories du cerveau, aujourd'hui, elles insistentnormment l-dessus. Ce n'est pas du tout un ensemble de trucs qui setouchent. C'est trs curieux, les biologistes actuels du cerveau. On a longtempsparl de toutes sortes de choses qui se touchaient, qui se tenaient dans lecerveau, qui se mettaient en contact, aujourd'hui les trucs de contact au niveaudes phnomnes intra-crbraux, ce n'est plus du tout la tendance. Ils parlent

    tout le temps de trucs qui sautent, d'actions qui font des sauts, d'un point l'autre. Je crois que les textes de BERGSON tiendraient trs trs bien auxconceptions actuelles.Mais dans mon souci de rajouter un petit quelque chose, je dirais : tout a c'taitpas possible quand le plan d'immanence tait trs chaud, c'est--dire lignes delumire; tout a qu'est-ce que c'tait chaud! Le plan d'immanence tait avant toutchaud. Trs trs chaud! Tout fait chaud. a n'a l'air de rien, mais si vous vousreportez n'importe quel livre bien fait sur l'origine de la vie, vous apprendrezque la vie ne pourrait pas apparatre sans certaines conditions de chaleur

    extrmes. Bien plus, [que] les matires qui prparaient la vie ne pouvaient pasapparatre dans de telles conditions, si simples qu'elles soient, et pourtant elles

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    n'taient pas simples. Il a fallu quelque chose comme une perte de chaleur. D'oc'est venu, a me dpasse Mais enfin, je ne dois pas tre le seul Il fautsupposer que sur mon plan d'immanence un refroidissement s'est produit.Evidemment, c'est embtant : d'o il vient ce refroidissement ? Je peux rendre

    compte de sa chaleur : qu'il fasse chaud et bouillant avec mes lignes de lumire,a rend compte. Mais voil que a se refroidit J'y penserai d'ici l'anneprochaine, on peut toujours trouver une raison, si quelqu'un en trouve une! Il nefaut pas trouver une raison qui invoque un extrieur du plan d'immanence. Laseule issue : il faudrait montrer qu'il y a eu un plan d'immanence qui a coup;une coupe mobile de l'universel devenir a coup de telle manire que l'effet a tun refroidissement du plan Ce n'est pas de la tarte montrer, ca, et puis a n'aaucune importance, et a ne changerait rien!Supposons qu'on ait montr a : a s'est refroidit. Alors ont commencl'universel mouvement, l'universelle variation des images-mouvement,l'universel clapotement des images-mouvement. Avec le refroidissement ontcommenc se former des images-mouvements, qui taient trs loin du vivant,mais qui taient dj un peu bizarres. Et leur bizarrerie, tout le monde estunanime, tous les savants sont unanimes pour dire : elles ne pouvaient pasapparatre tant que la terre tait trs chaude, car vous avez dj compris : monplan d'immanence, ce n'est pas seulement la Terre, c'est l'Univers. a ne pouvaitpas apparatre tant que la Terre tait trs chaude c'est quoi ? C'est ces matirestrs spciales, je parle toujours en termes d'images et de matire. Ces images ouces matires trs spciales, qui ne sont pas du tout encore vivantes et qui ont la

    proprit de tourner le plan de polarisation de la lumire vers ce qu'on appelleraune droite ou une gauche, [et] ce sont les substances ou matires ditesdextrogyres ou levogyres. Les matires dextrogyres font tourner le plan depolarisation de la lumire vers la droite, comme leur nom l'indique, et leslevogyres les fait tourner vers la gauche. Ca ne pouvait pas apparatre quand laterre tait trs chaude c'est bien. Avec de pareilles matires, j'ai djconstitution de droite et de gauche. Droite et gauche ne peuvent pas se dfinirsans rfrence (Fin de la bande.)

    Voil mon plan d'immanence et ce qu'on appelle la soupe pr-biotique, une vastesoupe pr-biotique. Bien plus disons : il faut concevoir dj des micro-intervalles dans la soupe pr-biotique. Cette formule doit rendre tout trs clair.Dj quand je dis micro-intervalles, c'est trs curieux, ces substances. Maisquand vont apparatre les substances vivantes les plus simples, les plusrudimentaires, ces micro-intervalles vont se confirmer.

    Intervention : il y a des yeux dans le bouillon (clat de rire gnral)

    Gilles Deleuze : trs spirituel (il pouffe de rire). Donc il y a des micro-

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    intervalles, et puis toute l'volution de la vie et a Bergson ne le dvelopperapas, il a autre chose faire dans lEvolution Cratrice , mais il faudraitpercevoir la monte partir des micro-intervalles des substances dextrogyres etlevogyres, partir d'elles la monte vers des macro-intervalles, assignables dans

    le temps. Et pourquoi est-ce qu'on avait besoin de mettre le Temps dans notreplan d'immanence, vous le comprenez ? Dans notre plan d'immanence, dansnotre plan de matire, la notion d'intervalle mme, si vous ne vous donnez pas letemps, vous vous donnez un pur cart spatial, et il faudra bien que cet cartspatial soit un intervalle temporel.

    Anne Querrien : intervention inaudible sur la coupe et la temprature, lesautres dimensions possibles.

    Gilles Deleuze : La temprature, elle tait prise dans la lumire, donc tu ne peuxpas la reflanquer dans le devenir sinon sous une toute autre forme. Il te faut deuxtempratures comme chez Malebranches : une temprature tempraturante etune temprature temperature! On n'a pas finiL-dessus, j'essaie d'aller plus vite. Donc vous voyez que l'volution pourraittre conue comme l'affirmation volutive et progressive de ce que je peux aussibien appeler les intervalles de mouvement, les crans noirs ou rflexions delumire, ou les rapports privilgis d'expression avec l'universel devenir. Qu'est-ce qui se passe ? Maintenant on les tient, ces images spciales. Nous allons les

    appeler comment ? pour bien montrer quon n'a rien introduit d'autre quel'image-mouvement, que du mouvement ou de la lumire. On na introduit eneffet que de l'intervalle de mouvement, que de l'cran noir, c'est--dire, lalettre, du rien. On va les appeler : centres d'indtermination. C'est trs important,c'est dj pure indtermination puisque a consiste empcher que lemouvement reu se prolonge en mouvement excut; a consiste empcherque la lumire diffuse en tous sens et en toutes directions. Mais a n'a aucunedtermination par soi-mme, a arrte du mouvement, a retarde du mouvement,a rflchit de la lumire tout a. Les images vivantes et crbralises, c'est--

    dire de coup : nous nous sommes ns partir des trucs pr-biotiques, dessubstances dextrogyres, levogyres. Nous sommes enfin ns, chacun de vous estsur ce plan, mais dans quel tat, mon Dieu! A l'tat d'cran noir, c'est--dire lemeilleur de vous-mme, l'tat d'intervalle de mouvement, et chacun de vous yest. Comment est-ce que vous vous distinguez les uns des autres ? Evidemment,vous ne recevez pas les mmes mouvements, vous n'excutez pas les mmesmouvements, vous rflchissez pas les mmes rayons lumineux : chacun tailleson monde sur le plan d'immanence. Si bien que si je prends un de ces [ ? ? ? ?]vous n'tes pas plus dtermins les uns que les autres, vous n'tes rien que des

    centres d'indtermination. Et si vous pouviez le rester, sans doute ce serait Il yen a qui retombent, priodiquement. On peut considrer, alors que ce serait

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    comme une thrapeutie, certaines maladies comme retour l'tat de centred'indtermination. En fait, ces maladies, c'est des conqutes prodigieuses, c'est letroisime genre de connaissance de Spinoza, c'est le retour au plan d'immanence.Si bien que le seul fait de savoir un tel bonheur doit suffire gurir de ces tats

    dont certains se plaignent.Comment a se passe ? J'ai un centre d'indtermination, il se passe trois choses.Je prcise : que a aille par trois, ce n'est pas ma faute, et a n'a aucuneimportance, et a ne correspond pas du tout aux trois caractres prcdents. Onl'a vu, mais on navait pas les bases suffisantes, maintenant on devrait arriver comprendre. Premire chose qui arrive en fonction de ce centred'indtermination, c'est--dire de cette image-mouvement trs spciale. A votrechoix, vous direz : une action est isole des autres parmi toutes les actions. Cetteimage-mouvement trs spciale, c'est comme si elle avait spcialis une de sesfaces. Ce n'est pas comme si Vous vous rappelez le statut des images-mouvement pures dont on tait parti, elles reoivent des actions et excute desractions, c'est--dire, elles subissent des variations sur toutes leurs faces et danstoutes leurs parties. C'est pour a que j'ai tellement insister tout le temps sur cetexte de Bergson : sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties. L, cesimages spciales, ces centres d'indtermination, tout se passe comme silsavaient dlgus une face la rception. C'est pour a que a suppose dj ladistinction de la droite, de la gauche. (Parenthse que j'ai oublie : c'est dj auniveau de la soupe pr-biotique quon commence, non pas avoir des solides,mais tendre vers une laboration des solides; et le chemin du vivant, et la

    constitution des choses en solides, a ne va faire qu'un, a va tre un chemin tout fait vers la simultanit.)Mais alors ce n'est plus du tout l'tat des images-mouvement qui agissent etragissent sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties; ces imagesprivilgies, ces images vivantes ont spcialis une de leur face la rception.Elles ne reoivent d'action, pas seulement sur cette face, mais elles ont une facecapable d'isoler les actions qu'elle reoit. Donc elles ont une face privilgie derception. (Dessein : l'image, d'un ct de l'cart, a spcialis une de ses faces la rception). D'accord, elle est attaque sur toutes les autres faces par des

    actions subies, a n'empche pas qu'elle a une face rceptrice privilgie. Avecl'volution du vivant, cette surface, cette face de rception, portera les organesdes sens. A plus forte raison avec le dveloppement du visage, les organes derceptions se feront de plus en plus spcialiss. Bon. Cette face rceptrice elleest trs importante puisque, en effet, elle permet d'isoler l'action subie, etd'anticiper sur l'action subie, c'est--dire s'apprhender des actions possibles.Car, en effet, avec le dveloppement des organes des sens va se produire laperception distance. En d'autres termes, grce a cette premire face spcialisedans la rception, que je peux dire : l'image vivante peroit.

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    Qu'est-ce que ce sera, ds lors, une image-perception ? Une image-perception cesera l'image d'une action subie en tant qu'isole et mme devance, anticipe,par une image-mouvement spciale qui la reoit.En dautres termes, je peux dire de toute ncessit, les images vivantes, en

    fonction de ltat quelles prsentent, auront des images-perceptions.Et vous voyez, ce moment-l, le statut de la perception. Quand je disais tout lheure : mais les atomes cest des perceptions totales. Ils peroivent tout cequils subissent et tout ce quils font. Donc cest des prhensions totales. Lesperceptions que vous et moi nous avons, cest videmment pas plus que ce queperoit un atome, nous percevons beaucoup moins, cest une soustraction. Nousnous n'avons que des perceptions partielles, cest mme pour a quelles sontconscientes. Nous navons que des perceptions partielles, nous percevons desexcitations, cest--dire des actions subies, que nous isolons en mme temps.Cest--dire : nous les soustrayons presque, do une page merveilleuse deBERGSON sur la comparaison de la perception avec un cadrage. Le cadragetant prcisment lopration qui permet disoler sur un ensemble infinidactions subies ou dexcitations subies, telle et telle, tel ensemble finidexcitations. Lopration de la perception ce sera un cadrage ou comme il ditaussi : la mise en tableau.Jai donc des images-perception qui ne sont pas plus que les images-mouvement, qui sont moins! Le centre dindtermination qui sest contentdisoler les actions subit, et cest cette opration disolement par rapport lensemble de toutes les variations qui constitue la perception, et qui constitue le

    cadrage du monde par le vivant. Donc jai des images-perception. Je dirais : l,le centre dindtermination, limage-vivante se donne des images-perception.Premier point. Et si jessaie de traduire en termes de lumire, la mme chose : entant qucran noir qui arrte la lumire par une face privilgie, il va rflchir lalumire, et cette opration darrter la lumire et de la rflchir va constituer laperception.Parfait. Limpide.Donc limage spciale vivante a elle-mme des images-perception.Deuximement. Passons un autre bout, lautre cart, lautre dimension de

    lcart. Un intervalle entre laction subie et laction excute, si bien que lactionexcute est quelque chose de nouveau par rapport laction subie. Du tempssest pass pendant lequel le vivant a pu laborer ce quon avait appel : nonplus une simple raction, mais une riposte, ou une rponse; et une riposte ou unerponse, cest--dire une raction nouvelle par rapport laction subie, cest aquon appelle : action proprement parler, lorsque nous disons : le vivant,contrairement une chose inanime, le vivant agit.Quest-ce que a implique, a ? a n'implique pas seulement... et aprs tout vouscomprenez bien que de la perception laction il y a un passage continu, cest

    mme ce quon veut dire quand on dit - , le plus platement, que toute perceptionest sensori-motrice. La perception est dj cheval sur laction. Cest que, en

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    effet, la perception elle ne se contentait pas dtre un cadrage, cest--diredisoler certaines actions subies pour les arrter et les devancer. Elles ne sedfinissaient pas seulement par un cadrage et par un isolement, elles sedfinissaient par un phnomne nouveau ; cest sur le plan dimmanence , par

    une espce dincurvation.Autour de chaque centre dindtermination, le monde connat une courbe. Eneffet, lensemble des actions qui sexprimaient sur le centre dindtermination,sorganisait comme une espce de milieu dont le centre dindtermination allaittre le centre, si bien que le monde sincurvait et que ctait a qui dfinissaitlhorizon de la perception. La perception ntait