C’était la guerre des tranchées (1993) Jacques TARDI

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C’était la guerre des tranchées (1993) Jacques TARDI

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C’était la guerre des tranchées (1993) Jacques TARDI

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Arts, états et pouvoir Art du visuel et art du langageTitre C’était la guerre des tranchéesArtiste Jacques Tardi, dessinateur français, né en 1946Identification Bande dessinéeDimensions Date de l’oeuvre 1993Technique(s) Lieu d’exposition

Contexte historique :Près de 80 ans séparent l’œuvre de Tardi des événements qui y sont évoqués, la Première Guerre Mondiale. Le dessinateur réussit à mettre en évidence l’absurdité de ce conflit en abordant notamment des thèmes comme la souffrance, l’impuissance des soldats mais aussi les cas de soldats fusillés « pour l’exemple ».

Biographie de l’artiste : Jacques Tardi est né en 1946. Etudiant à l'école des beaux-arts de Lyon, puis aux Arts décoratifs de Paris, Jacques Tardi fait ses débuts en 1969 dans l'hebdomadaire Pilote. En 1972 paraît sa première longue histoire, Rumeurs sur le Rouergue (scénario Christin, éditée chez Futuropolis en 1976). C'est en 1976 que Jacques Tardi fait son entrée chez Casterman et entame le cycle des Aventures extraordinaires d'Adèle Blanc-Sec, dont le succès ne se fait pas attendre. Le neuvième album de cette série populaire, intitulé Le labyrinthe infernal , paraît en 2007, et le film de Luc Besson adaptant les quatre premiers tomes sort au cinéma en 2010. Il a toujours été hanté par la Première Guerre Mondiale, au cours de laquelle, notamment, son grand-père a été gazé. La composition de C’était la guerre des tranchées (Casterman, 1993), qui est une œuvre particulièrement documentée, lui a demandé dix années de travail.

Œuvres liées : textes étudiés en français (courriers de soldats, carnets de front, extrait de A l’ouest rien de nouveau Erich Maria Remarque et du Feu d’Henri Barbusse)

Un long dimanche de fiançailles Sébastien Japrisot - A l’ouest rien de nouveau Erich Maria Remarque

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Analyse de l’œuvre

Le document se compose de trois planches de bande dessinée, offrant chacune trois vignettes de format identique. Le dessin est en noir et blanc, d’un trait net mais lourd et épais. Ces éléments créent une unité et de par leur peu d’originalité, indiquent la banalité de la situation mise en place : un couple déchiré par la guerre. L’écrit a une part assez importante, par les bulles mais aussi par la reproduction des courriers que s’envoient les deux principaux personnages.

Le récit : ces planches présentent la guerre à travers le regard croisé d’un couple : lui, Pierre, est sur le front. Elle, Edith, travaille en usine à Paris. Seules les deux premières vignettes et la dernière évoquent la situation désespérée de Pierre : blessé, il se trouve pris dans des barbelés au milieu du no man’s land. Les deux soldats français qui, dans la dernière vignette, l’observent depuis la tranchée, confirment qu’il ne s’en tirera pas (« comme un insecte dans une toile d’araignée »). Les six vignettes centrales présentent Edith, d’abord à l’usine d’armement où elle lit la carte de son mari et y répond, puis devant la vitrine de la bijouterie. Elle est comme encadrée par les images de son mari, pour montrer qu’elle pense à lui, d’autant qu’elle vient de recevoir une carte … mais sans savoir qu’il est en train de mourir.

Les personnages : Pierre, enchevêtré dans les barbelés, l’uniforme déchiré, incapable de bouger, dans une position à la fois tragique et grotesque, est une représentation très éloignée du soldat français héroïque, qui était décrit dans la presse par exemple (presse évoquée dans la seconde vignette de la seconde planche : Le Matin). Tardi montre un homme qui souffre, qui a peur et implore de l’aide ou va chercher du courage dans la pensée de sa femme. Edith, quant à elle, est présentée comme un personnage éteint : yeux baissés, visage fermé, sans expression. Elle semble accablée par la situation (vignettes 5 et 6 où la disproportion montre une femme écrasée entre le panneau qui ordonne le silence et le courrier de son mari).

Le graphisme : les trois premières vignettes montrent de grandes similitudes : les poteaux et les barbelés du no man’s land produisent le même effet d’emprisonnement, d’écrasement que les machines de l’usine, dans laquelle, en l’occurrence, on fabrique des obus ! Dans les deux cas, les personnages semblent privés de leur liberté, de leur personnalité. De même, dans les deux dernières vignettes, les personnages, représentés de dos, sont spectateurs d’une situation face à laquelle ils sont impuissants : Edith contemple des richesses auxquelles elle n’a pas accès, les deux camarades de Pierre le regardent mourir sans rien faire. D’ailleurs, par le graphisme de la dernière vignette, l’artiste évoque la déshumanisation : le soldat agonisant n’a plus qu’une forme indistincte, plus de visage, il n’est qu’un point noir immobile, ce à quoi fait également référence le récitatif : « on aurait dit un insecte pris dans une toile d’araignée ». On pourrait assimiler le cadre dans lequel est représenté le soldat dans cette dernière vignette à un cercueil (les planches de bois) ou à un cadre photo, ce qui sera à l’avenir, tout ce qui restera à Edith de son mari (des photos).

Les courriers : la carte de Pierre évoque le quotidien du soldat, sur un ton plutôt optimiste : les colis reçus, le cantonnement, la possibilité de se faire un peu d’argent … mais sans jamais de plaintes. Il évoque sa prochaine permission et le cadeau qu’il va pouvoir faire à sa femme. On peut s’interroger sur l’honnêteté des propos : souci de ne pas inquiéter son épouse ou effet de la censure ? La réponse d’Edith est plus critique et pessimiste. Elle évoque aussi davantage le déchirement de la séparation. L’importance de ces courriers est également évoquée par leur taille disproportionnée par rapport au personnage : c’est la dernière carte qu’Edith recevra signée de Pierre. De même c’est la dernière lettre qu’elle lui enverra (et qu’il ne recevra même pas) puisqu’il est en train de mourir.

Le réalisme : de nombreux éléments font de cette bande dessinée un témoignage poignant et lui donnent une dimension historique.

- La situation des personnages- Le registre de langue, familier, voire vulgaire, des soldats- Des personnages communs, banals, de la vie ordinaire- La reproduction des courriers (mise en page de la carte, graphie, fautes d’orthographe …)