Considerations sur Hitler - Haffner, Sebastian.pdf

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  • Titre original :Anmerkungen zu Hitler

    Adolf Hitler vers 1930. Photo-Re-Pubblic/Leemage

    Kindler Verlag, 1978, 2001 Perrin, un dpartement ddi8, 2014

    ditions Perrin12, avenue dItalie

    75013 ParisTl. : 01 44 16 09 00Fax : 01 44 16 09 01

    www.editions-perrin.fr

    ISBN Kindler Verlag, Berlin : 978-3-463-40352-6

    EAN Perrin : 978-2-262-04957-7

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  • Sommaire

    Couverture

    Titre

    Copyright

    Prface1 - VIE

    2 - RALISATIONS3 - SUCCS4 - ERREURS

    5 - FAUTES6 - CRIMES

    7 - TRAHISON

  • Actualit des Editions Perrin

  • Prface

    crire sur Hitler nest pas facile. Ily a toujours quelque chose de trop. Tropdmotion, trop de psychologie, trop depages. Pour penser une bonnebiographie, on doit, dit-on, y mettre delempathie. Oui, mais avec Hitler ?Comment aborder un homme devenu,sous nos latitudes, lincarnation du mal ?Esprer comprendre Hitler, objettoujours brlant, toujours obscur,ncessite lemploi dune lumire froide.Cest elle qui fait la valeur du prsent

  • ouvrage enfin rdit en franais et dansune traduction rvise. LesConsidrations sont ltude la plusoriginale, la plus abordable, la plusstimulante sur Hitler. Ces qualits sontdemeures intactes depuis la premireparution en Allemagne, en 1978. Ellestiennent la personnalit hors norme etau parcours parfaitement atypique de sonauteur. Il faut donc commencer parprsenter Sebastian Haffner.

    Surprise, lhomme nest pashistorien. Il nest jamais entr dans undpt darchives, il na pas coiff latoque des professeurs. Juriste deformation, journaliste de mtier,Allemand devenu Anglais puisregermanis sur le tard, bourgeois

  • soixante-huitard, nationaliste de gauche,voici un tre rare. De son vrai nom, ilest Raimund Pretzel, n Berlin en 1907dans une famille de moyennebourgeoisie protestante nageant dans lecourant progressiste des belles annesde lempereur Guillaume. Raimund seforge dabord la silhouette dun dandycultiv, mlomane, sportif, qui se piquedcrire mais, devant son insuccs, finit,maussade, par faire son droit. Ilnexprime pas dides politiquesprcises jusquen 1933 mais le nazismele heurte demble, surtout par sacoloration plbienne. Il renonce vite la magistrature pour lcriture, au prixdune adhsion lAssociation descrivains allemands, mise au pas par

  • Goebbels. Il feuilletonne dans desjournaux lgers. Il y apprend tenir sonlecteur en haleine, crire dru et vite. Ily tanche son got immodr de laprovocation. Sa liaison avec unejournaliste dascendance juive, ErikaSchmidt-Landry, le met en conflit avecles lois raciales de Nuremberg. Debohme, leur amour devient clandestin etmortellement dangereux. Erika, enceinte,parvient migrer en Grande-Bretagneen 1938. Raimund la suit, librement. Ilrenonce pour elle une carrireconfortable et un accommodementavec le rgime le choix de 99 % desAllemands de lpoque.

    Ds le premier jour de la SecondeGuerre mondiale, Pretzel pouse sans

  • conditions la cause allie. Au printemps1940, un premier livre Germany :Jekyll and Hyde droule une analysepercutante du Troisime Reich. Ilrencontre assez de succs pour sortirRaimund de lobscurit et nourrir safamille mais aussi pour le contraindre choisir un pseudonyme SebastianHaffner qui pargne ses prochesdemeurs Berlin. Au moment olouvrage parat, Pretzel-Haffner setrouve intern dans un camp prs deBarton, avant dtre relgu sur lle deWight comme 10 000 des 73 000rfugis allemands et autrichiensprsents sur le sol britannique. Il estrelch au bout de quelques mois suite une intervention de son diteur et une

  • interpellation aux Communes. Ce gestedmocratique extraordinaire, vu lescirconstances, attache jamais son cur lAngleterre. En mars 1941, il se voitconfier la rubrique politique du Zeitung,un quotidien en langue allemande destin la communaut migre et auxprisonniers de guerre de la Wehrmacht.Ses billets rvlent une personnalitpolitiquement inclassable, remarquablesurtout par sa dfense intraitable desintrts britanniques et son admirationpour Churchill. Pretzel caresse un tempslide de rassembler lmigrationgermanique en une sorte de Francelibre dont il cherchera en vain le deGaulle, un autre de ses sujetsdadmiration. Il revient vite de cette

  • chimre et lche le Zeitung pourlObserver, o lon relve dj lessignatures de George Orwell et dIsaacDeutscher. Sa collaboration lhebdomadaire le plus influent duroyaume durera vingt ans.

    Ses ditoriaux sont souventremarquables par leurs anticipations.Ds 1943, Haffner exprime sa mfiancevis--vis de lURSS stalinienne etlabsolue ncessit dune unificationeuropenne rendant la guerreimpossible. Il choque aussi endemandant lexcution de tous les nazis,y compris le demi-million de soldats dela Waffen-SS. Il est un des rares questionner lexigence de redditioninconditionnelle adresse lAllemagne

  • Casablanca, qui lui semble bien peupolitique par son extrmisme. Aprs laguerre, il ne rentre pas en Allemagne.Citoyen britannique depuis 1948, ildevient le plus cout des journalistesdu royaume dans le domaine des affairestrangres. Dabord atlantiste pur, ilplaide inlassablement pour la rsistance lexpansionnisme sovitique, applauditau plan Marshall puis lOtan, appelle la rintgration de son ex-patrie dans leconcert des nations. La mort de Stalinelui fait oprer un de ces virages 180 degrs qui vont le rendre clbre et,parfois, corner sa crdibilit. Avanttout le monde, il demande la dtente, ledsarmement, la neutralisation de laMitteleuropa et donc la fin de la

  • prsence militaire amricaine. Il va troploin. Dsavou par sa rdaction, il perdsa place dditorialiste vedette et,bless, quitte la Grande-Bretagne. Ilretourne vivre Berlin en 1954.

    Immdiatement ml la viepolitique ouest-allemande, Haffner sefait le critique impitoyable de lapolitique trangre de Bonn et drive gauche. Il se dclare pour unrapprochement des deux Allemagnes envue dune runification, adoucit savision du camp socialiste. Il change decap en 1958 avec lultimatum deKhrouchtchev sur Berlin, qui le choquepar sa violence. Adenauer devient songrand homme. Il rompt dfinitivementavec lObserver, place ses ditoriaux

  • Die Welt, premier quotidiendAllemagne, proprit dAxel Springer,trs anticommuniste, accueillant auxanciens nazis. Haffner rduit nanmoinssa drive droite en se prononant pourla reconnaissance de la ligne Oder-Neisse comme frontire orientale delAllemagne, labandon de touteprtention sur les territoires occups parla Pologne, pch le plus grave contrelesprit de la rpublique de Bonn . Enoctobre 1962, il bifurque nouveauaprs la crise des missiles de Cuba etlrection du mur de Berlin. Lerapprochement avec lURSS et la RDAlui semble lordre du jour ; il rompt l-dessus avec Die Welt, entre au Stern,marqu gauche, et pige Kontakt,

  • lextrme gauche. Sa position politiquese stabilise alors sous la forme dunsoutien lOstpolitik de Willy Brandt le troisime de ses objets dadmirationaprs Churchill et de Gaulle quidbouchera, en 1972, sur unereconnaissance mutuelle des deuxAllemagnes.

    Emport, motif, provocateur,inclassable, Haffner ne craint ni lerreurni loutrance, mais lennui et le prt--penser. Anticonformiste dans les annes1960, il fait moins recette dans ladcennie qui suit. Ses positions se sontbanalises, Willy Brandt ralise toutesses aspirations de nationaliste degauche . Incapable de supporter sonretour dans le main stream , refusant

  • le rle du tonton de la bonne conscienceallemande, il lve le pied sur sesactivits journalistiques et revient sapassion de toujours, lhistoire. Dans cechamp assoupi o les universitairespondent leurs livres comme des ufstrop bien calibrs, le bulldozer Haffnersattaque trs vite au grand monstre delhistoire allemande.

    Les Considrations sur Hitlerparaissent, avons-nous dit, en 1978.Cest le meilleur livre de SebastianHaffner, et son prfr. soixante etonze ans, il rencontre son premier vraisuccs ddition, norme, en Allemagneet ltranger. Quels sont les ingrdientsde ce succs ?

  • Lcriture, dabord : concise,ramasse, truffe de formules chocs, derapprochements nouveaux. Haffnermatrise toute la panoplie de lavulgarisation, ce vilain mot qui dsigne,chez lui, la forme la plus haute de latransmission. La brivet du propos,labsence de notes reposent sur un partipris pdagogique. quoi bon cesnormes livres dont on se demande, unefois referms, ce quils vous ont laiss ?Aucune des trois grandes biographies encirculation (Fest, Toland, Kershaw) nefait moins de mille pages, cinq fois levolume que voici. Haffner sacrifielrudition au questionnement. De cefait, son livre tombe dans la catgoriedes essais historiques.

  • La froideur du regard la lumirefroide voque plus haut est un autretrait tonnant, dautant plus quil nexistepas, pour un Allemand en tout cas, desujet plus charg dmotion que celui deHitler. Parler de lui avec sobrit etdistance quand vingt-cinq ans plus ttles camps dextermination fonctionnaient capacit maximale, dans une socitouest-allemande o les anciens nazistaient encore nombreux aux manettes,cela nallait pas de soi. Haffner lersistant, lAllemand en uniformebritannique, pouvait se le permettre, iltait au-dessus de tout soupon.

    Inutile de chercher dans les pagesqui suivent un portrait psychologique duFhrer : lauteur range ce chapitre dans

  • la catgorie des obligations dhistoriendont il se dispense volontiers. Il le faitavec dautant plus daise quil ny a pas, ses yeux, dHitler priv. Cet homme-lna eu ni femme (si ce nest quelquesheures avant sa mort et pour lacontraindre au suicide), ni enfant, ni ami,ni mtier, seulement une vie hsitantentre politique et prophtisme. Et ilimporte peu de savoir ce quun prophtefait de ses soires. Pas de psychologie,donc : ces Considrations ne sont pasune biographie.

    Le plan de louvrage est inhabituel.Vie. Ralisations. Succs. Erreurs.Fautes. Crimes. Trahison. Sept essaisincisifs, surprenants, stimulants. Septangles diffrents pour clairer le

  • phnomne Hitler. Il ny a pas ici dercit chronologique mais un inventaireorient par des catgories qui sont enralit des questions, lesquellesappellent des rponses aussi clairesquune ligne en bas dun bilancomptable. Il fallait oser.

    La pense dHaffner fonctionne lafaon de celle dun mathmaticien. Ilnonce un fait auquel il donne la valeurdun axiome, quil pousse ensuitejusqu ses ultimes consquences. Lersultat donne parfois le vertige. crire,par exemple, quaucun homme na,comme Hitler, autant pes sur son sicleet que, par consquent, sans lui il nyaurait pas eu dtat dIsral et pas dedcolonisation (du moins dans les

  • formes et les rythmes quelle a eus)lon conoit que cette faon ait irritplus dun universitaire. Mais quel poil gratter pour lamateur dhistoire ! CestquHaffner a horreur de laisser seslecteurs face des gouffres si profondsquils ne renvoient aucun cho. Il prenddonc des risques. Finalement, sesquelques outrecuidances ne psent paslourd face la masse dintuitionsfcondes et daperus nouveaux. Voicicinq de ces axiomes haffnriens quinous semblent de premire importance.

    1. Hitler est un doctrinaire, unhomme ides fixes. Ce quil a dcidlest une fois pour toutes. Arrtons-nouspar exemple sur la dcision majeure desa vie, entrer en politique, date

  • doctobre 1919, mais qui, en ralit, estfonde sur une promesse survenue onzemois plus tt : Il ny aura plus jamaisen Allemagne un nouveaunovembre 1918. Entendez : plusjamais de rvolution entranant ladfaite. En quelques lignes lumineuses,nous comprenons quil faut prendre cesmots tirs de Mein Kampf avec le plusgrand srieux. Comme il fallait prendreau srieux le discours du Reichstag, le30 janvier 1939, clamant la face dumonde : Si la finance juiveinternationale jette encore une fois lespeuples les uns contre les autres dansune guerre mondiale, le rsultat [] ensera lextermination de la race juive enEurope. Ce qu lpoque personne

  • na fait. Cest cette promesse de 1918qui fonde, en effet, le programmepolitique dHitler, sa dcision dereprendre la guerre au plus vite, de lamener jusquau bout, de ne tolreraucune opposition, aucune demandedarmistice, aucune dfaite. Leprogramme est affich dentre : tout ourien.

    2. Hitler occupe la place centraledans le Troisime Reich. Il en est lavolont agissante. Il na pas t unemarionnette au service de tel ou telgroupe dintrts, thorie soutenue parles marxistes et par diversessociologies. Sans lui, pas de parti nazi,pas de guerre, pas dextermination desjuifs.

  • 3. Hitler doit ses succs lafaiblesse de ses adversaires et sontonnante capacit la dtecter. Quandla rpublique de Weimar est forte, dansles annes 1920, il choue dans sesentreprises ; il ne prend le pouvoir quun rgime moribond, abandonn partous, y compris par les rpublicains. Lagauche et le centre, passifs et rsigns, illes crase ; avec les conservateurs, enrevanche, retranchs dans leurs bastions arme, diplomatie, administration ilpatine et compose. Face laTroisime Rpublique franaise et Chamberlain, la victoire est aise. Maisquapparaissent les Churchill, lesStaline et les Roosevelt, la partie estfinie. Hitler nabat que les arbres dj

  • pourris.4. Hitler a deux buts de guerre :

    conqurir la Russie et exterminer lesjuifs. Impossible de les sparer. Il nesintresse ni lAngleterre ni auxtats-Unis, seulement la Russie et auxjuifs. Le premier objectif se drobedfinitivement aprs lchec devantMoscou durant lhiver 1941-1942.Hitler le comprend aussitt, et le dit,ltonnant tant que les historiens nontgure tenu compte des tmoignages quirapportent ce jugement pourtantessentiel. Une seconde question se poseds lors : pourquoi continuer la guerre sielle est perdue ? Pour au moins gagnerlautre guerre, rpond Haffner, cellecontre les juifs. En clair, les trois

  • dernires annes de combat de laWehrmacht nont eu dautre fonction quede tenir un front labri duquelfonctionnaient chambres gaz etcrmatoires. La dfense de la patrie nat que le faux nez de lextermination.

    5. Si Hitler a pes trs lourd surlhistoire, il nest pas pour autant un grand homme , comme Napolon a pultre. Non seulement cause delampleur de ses crimes, mais du faitquil nest pas un homme dtat. Ltatne lintresse pas. Il nest rien pour lui,la force arme est tout ; cest dailleursle seul domaine o il ait une vritablecomptence. Il a dtruit les rgles defonctionnement de ltat, institusciemment un chaos dadministrations et

  • dofficines en lutte permanente entreelles, refus denvisager mme une rglede succession. Hitler ne possde aucundes traits propres aux btisseursdempires. Lui disparu, il ne reste quuntas de cendres.

    Bien sr, raison dune ide fortepar page, toutes celles rassembles dansles Considrations nont pas passlpreuve du temps. On peut toujoursobjecter celui qui tranche quil auraitd ciseler, laudacieux quil aurait dsoupeser. Sebastian Haffner est unartiste de lhistoire. Ses grands coups debrosse peuvent heurter, mais ils fontapparatre ses lecteurs un vrai proposhistorique. Vite et bien, il donne de quoipenser laction dun homme qui a su

  • sduire et entraner dans le meurtre demasse une des socits les plusmodernes du temps.

    Pour terminer, nous voudrions attirerlattention du lecteur franais sur unpoint important. Haffner a ditorialispendant trente ans. Il a crit pourdfendre des ides, propager des pointsde vue. On se tromperait sur lhomme etsur ce livre si on les imaginait indemnesde toute pense politique, de toutevolont de dmontrer. Il en est une,vidente, qui court travers ces pages :sparer Hitler de lAllemagne. Hitlernest pas lhritier de Luther, du GrandFrdric ou de Bismarck. Lhistoireallemande na pas prpar sa venuecomme lAncien Testament a prpar le

  • Nouveau. Hitler est un corps trangervenu de cet empire multinational desHabsbourg. Nest-ce pas de l que surgitson antismitisme meurtrier ? Nest-cepas vers le peuple allemand quil a, infine, tourn sa rage exterminatrice ?Nest-ce pas lAllemagne quil ainflig les dgts les plus irrparables ?Que lon adhre ou pas ces jugements,on est forc de rflchir et de slever.

    Saluons donc cette rdition quirend nouveau accessible une raret :lalliage de lhistoire populaire et de laplus haute exigence intellectuelle.

    Jean LOPEZParis, septembre 2014

  • 1VIE

    Le pre dAdolf Hitler tait ungagneur. Fils illgitime dune servante,il parvint un poste lev defonctionnaire et mourut honor, jouissantde la considration de tous.

    Le fils fut dabord un perdant. Ilinterrompit ses tudes au collge,choua lexamen dentre aux Beaux-Arts et mena de sa dix-huitime jusqusa vingt-cinquime anne, Vienne

  • dabord, puis Munich, sans professionet sans projets, une vie de retrait avantlheure et de bohme. Sa pensiondorphelin, la vente occasionnelle duntableau le maintenaient flot. Au dbutdes hostilits, en 1914, il sengageacomme volontaire dans larmebavaroise. Quatre annes sur le frontsensuivirent, au cours desquelles soncourage lui valut la Croix de fer desdeux classes ; mais labsence daptitudeau commandement lempcha deslever au-dessus du grade de caporal.Aprs la fin de la guerre, quil passadans un hpital de larrire o il avaitt admis comme gaz, il connut pendantun an la vie de caserne . Il navaittoujours pas de projets professionnels ni

  • de perspectives davenir. Il avait djtrente ans.

    Cest cet ge quil se joignit, lautomne 1919, un petit partidextrme droite dans lequel il jouabientt un rle dcisif, et cest ainsi quecommena la carrire politique quidevait finalement faire de lui unpersonnage historique.

    Du 20 avril 1889 au 30 avril 1945,la vie dHitler stend presqueexactement sur cinquante-six ans, moinsque la dure normale dune vie. Unabme inexplicable semble sparer sestrente premires annes des vingt-sixsuivantes. Un obscur rat pendant trenteans ; puis, brusquement, une notabilitlocale ; enfin lhomme autour duquel

  • tournait la politique mondiale dans sonensemble. Comment accorder cesdonnes ?

    Cet abme a suscit maintesrflexions ; il est pourtant plus apparentque rel. Non seulement parce que lacarrire politique dHitler est galementtrs morcele pendant les dix premiresannes ; ni parce quHitler commehomme politique sest aussi rvlntre en fin de compte quun rat certes de trs grand style. Mais avanttout parce que la vie personnelledHitler est reste trs pauvre et trstrique jusque dans la deuximepriode, la priode publique de sonexistence, et qu linverse sa viepolitique intrieure, pendant les

  • premires dcennies extrieurementinsignifiantes, se signale dj, yregarder de plus prs, par des traitsinhabituels, qui prparent tout ce qui asuivi.

    La faille qui traverse effectivementla vie dHitler nest pasperpendiculaire, mais longitudinale. Ilny a pas chec et faiblesse jusquen1919, force et grandes actions partirde 1920. Mais, avant comme aprs, unefaon particulirement intense de vivrela politique, en mme temps quune viepersonnelle particulirement pauvre.Lobscur bohme davant-guerre vivaitet sagitait dj au milieu desvnements politiques comme sil avaitt un politicien de premier rang ; et

  • dans sa vie prive le Fhrer, chancelierdu Reich, resta un bohme parvenu. Lamarque caractristique de cette vie,cest son unidimensionnalit.

    Beaucoup de biographies portent ensous-titre, sous le nom de leur hros, lesmots : Sa vie et son poque , laconjonction exprimant davantage unesparation quun lien. Les chapitresbiographiques alternent avec ceux quisont consacrs lhistoire ; la grandeindividualit est campe sur fond dunehistoire dessine grands traits, ellesen dtache autant quelle sy inscrit.On ne peut pas crire une vie dHitler decette faon. Tout ce quelle contientdimportant se confond avec lhistoire,est de lhistoire. Le jeune Hitler reflte

  • lhistoire ; celui de la deuxime priodela reflte encore, mais commence agirsur elle ; le dernier la dtermine. Cestdabord lhistoire qui le fait, puis cestlui qui fait lhistoire. Cela vaut la peinequon en parle. Pour le reste de sa vie,linventaire ne signale en fait que nant aprs 1919 comme avant. Faisons-enrapidement le tour.

    Avant comme aprs , ilmanque dans cette vie tout ce qui donnenormalement du poids, de la chaleur etde la dignit lexistence dun homme :la culture, le mtier, lamour, lamiti, lemariage, la paternit. La politique et lapassion politique un instant mises part,cest une vie sans contenu, et pour cetteraison une vie non pas heureuse, certes,

  • mais trangement lgre, de peu depoids, facile jeter. Cest ainsi quunedisponibilit permanente au suicideaccompagne toute la carrire politiquedHitler. Et la fin vient effectivement,comme quelque chose dvident, lesuicide.

    On sait quHitler na pas t mariet quil na pas eu denfants1. De mme,lamour na jou quun rleinhabituellement rduit dans sa vie.Quelques femmes, peu nombreuses ; illes a considres comme accessoires etne les a pas rendues heureuses. EvaBraun, blesse par son manquedattention et par de constanteshumiliations Il ne se sert de moi qudes fins bien prcises , tenta par deux

  • fois de se suicider ; sa devancire GeliRaubal, nice dHitler, se suicidaeffectivement sans doute pour lesmmes raisons. Hitler tait alors entourne lectorale sans elle , et parson acte elle lobligea pour une fois une seule fois interrompre quelquechose dimportant pour lui. Hitler portale deuil, puis la remplaa. Cette sombrehistoire est ce qui ressemble le plus ungrand amour dans la vie dHitler.

    Hitler navait pas damis. Il aimait passer des heures avec des auxiliairesde service chauffeurs, gardes du corps,secrtaires , monopolisant toujours laparole. Cest avec cette chauffeureska quil se dtendait. Ilse refusa toute sa vie une amiti

  • vritable. Ses relations avec deshommes tels que Goering, Goebbels,Himmler restrent toujours froides etdistantes. Rhm, le seul parmi sespaladins avec lequel il fut tu et toidepuis le dbut, sera abattu sur sonordre. Principalement, certes, parcequil tait devenu politiquement gnant ;toujours est-il que les liens damiti neconstiturent pas un obstacle. Et si lonsonge la peur quprouvait Hitlerdevant toute intimit, on en arrive mme se demander dans quelle mesurelexigence suranne damiti manifestepar Rhm ntait pas un mobilesupplmentaire pour le supprimer.

    Restent la culture et le mtier. Hitlernavait pas reu de formation en rgle,

  • mais simplement pass quelques annesau collge, avec de mauvaisesapprciations. Dun autre ct, il avaitbeaucoup lu pendant ses annesderrance, mais en ne retenant jamais, deson propre aveu, que ce quil croyaitdj savoir. Dans le domaine politique,Hitler avait les connaissances dunfervent lecteur de journaux. Il ntaitvraiment ferr que dans le domainemilitaire, y compris les questionstechniques. cet gard, son expriencepratique de combattant le rendaitcapable dassimiler ce quil lisait dunpoint de vue critique. Aussi curieux quecela paraisse, son exprience au frontconstitue sans doute sa seule priode deformation intellectuelle. Par ailleurs, il

  • resta toute sa vie le type mme du demi-savant quelquun qui savait toujourstout mieux que tout le monde et quiaimait jeter des connaissancesapproximatives ou fausses, un bric--brac de lectures dsordonnes, la ttede son public, de prfrence un publicauquel il pt ainsi en imposer parcequignorant de tout. Les conversations la table du quartier gnral du Fhrerportent un tmoignage accablant sur seslacunes.

    Hitler na jamais eu de mtier et najamais cherch en avoir ; au contraire,il sen est vritablement dtourn alorsquil tait encore temps. Sa peur davoirun mtier est un trait aussi saillant chezlui que sa peur du mariage ou de

  • lintimit. On ne saurait non plus lequalifier de politicien de mtier. Lapolitique fut sa vie, jamais un mtier.Durant sa priode de maturationpolitique, il mentionna tantt laprofession de peintre, tantt celledcrivain, de commerant ou dagent depublicit ; ensuite il fut simplement leFhrer, qui ntait responsable devantpersonne dabord Fhrer du parti, lafin Fhrer tout court. Les premiresfonctions politiques quil ait jamaisoccupes furent celles de chancelier duReich ; et dun point de vueprofessionnel il fut un curieuxchancelier, partant quand il lui plaisait,lisant ou ne lisant pas les dossiers, songr et sa convenance, ne runissant

  • quirrgulirement le Conseil et plus dutout partir de 1938. Sa faon detravailler ne fut jamais celle du premierfonctionnaire de ltat, mais plutt celledun artiste ignorant les contraintes,attendant linspiration, apparemmentoisif pendant des jours et des semaines,puis se jetant soudainement dans uneactivit fbrile lorsquil tait visit parlesprit. Cest pendant les quatredernires annes de sa vie, commecommandant en chef des armes,quHitler exera pour la premire foisune activit rgulire. Impossibledsormais de scher les deux runionsdtat-major quotidiennes. Linspirationse fit alors de plus en plus rare.

  • On sera peut-tre tent dobjecterquune vie prive vide et insignifiantenest pas rare chez des hommes qui seconsacrent entirement au grand but queleur volont sest donn et qui ontlambition de marquer une date danslhistoire. Cest une erreur. On citeraquatre hommes avec lesquels ilsimpose, pour des raisons diffrentes,de comparer Hitler, mais face auxquelsil ne soutient pas la comparaison :Napolon, Bismarck, Lnine et Mao.Aucun dentre eux, pas mme Napolon,na finalement connu un chec aussiterrible quHitler ; cest principalementpour cela quHitler ne soutient pas lacomparaison, mais cette raison peut trelaisse de ct ici. Ce quil faut surtout

  • souligner, cest quaucun dentre eux nat aussi exclusivement politicienquHitler, et une telle nullit dans tousles autres domaines. Tous quatre taientextrmement cultivs et avaient fait leurspreuves dans un mtier avant dentrer en politique et dans lhistoire :gnral, diplomate, avocat, professeur.Ils furent maris tous les quatre, etLnine le seul ne pas avoir denfants.Ils connurent tous le grand amour :Josphine de Beauharnais, KatharinaOrloff, Inessa Armand, Jiang Qing. Cestcela qui rend ces grands hommeshumains ; sans cette plnitude humaine ilmanquerait quelque chose leurgrandeur. Quelque chose qui manque Hitler.

  • Autre chose lui manque encore quilfaut voquer brivement avant denvenir ce qui, dans la vie dHitler, vautdtre examin. On ne trouve pas chezHitler de dveloppement, de maturationde son caractre et de son tre propre.Son caractre, prcocement fix peut-tre vaudrait-il mieux dire : arrt ,reste tonnamment semblable lui-mme, sans que rien vienne sy ajouter.Tous les traits tendres, attachants,conciliants lui font dfaut, sauf fairevaloir sa peur des contacts humains, quiressemble parfois de la timidit,comme un trait conciliant. Ses qualits volont, tmrit, courage, endurance se trouvent toutes du ct dur . Etplus encore ses dfauts : absence de

  • scrupules, esprit de vengeance,infidlit, cruaut. Sy ajoute, et cela dsle dbut, une incapacit totale lautocritique. Toute sa vie durant, Hitlerfut extraordinairement infatu de lui-mme, enclin depuis les premiersjusquaux derniers jours se surestimer.Staline et Mao ont froidement utilis leculte de leur personne comme uninstrument politique, sans se laisser pourautant tourner la tte. Hitler ne fut passeulement lobjet du culte dHitler, il enfut le premier, le plus persvrant et leplus fervent zlateur.

    Mais cest assez de la personne etde la maigre biographie personnelledHitler ; passons sa biographiepolitique qui, elle, mrite examen et qui

  • ne manque, contrairement labiographie personnelle, ni dundveloppement ni dune gradation. Ellecommence bien avant sa premireapparition publique et passe par septtapes ou sauts :

    1. La concentration prcoce sur lapolitique comme succdan de la vie.

    2. Le premier acte politique (encorepriv) : lmigration dAutriche enAllemagne.

    3. La dcision de devenir un hommepolitique.

    4. La dcouverte de ses capacitshypnotiques comme orateur de masses.

    5. La dcision de devenir Fhrer.6. La dcision de subordonner son

    programme politique son esprance de

  • vie personnelle qui quivaut ladcision de dclencher la guerre.

    7. La dcision de se suicider.Les deux dernires dcisions se

    distinguent des prcdentes par leurcaractre solitaire. Dans les autres, lesaspects subjectif et objectif sontinsparables. Ce sont des dcisionsdHitler, mais elles sont chaque foisportes par lesprit du temps ou lair dutemps, comme par le vent soufflant dansune voile.

    Lintrt passionn pour la politique,naissant chez le jeune homme de dix-huitou dix-neuf ans dont lambitionartistique avait chou mais quirinvestissait cette ambition dans sanouvelle sphre dintrt, correspondait

  • dj lair du temps ou en dcoulait.LEurope des premires annes davant-guerre tait beaucoup plus politisequaujourdhui. Ctait une Europe degrandes puissances imprialistes caractrise de faon permanente etgnrale par la concurrence, les luttes deposition, la possibilit dune guerre :situation passionnante pour tout unchacun. Ctait aussi une Europe de luttedes classes, de rvolution rouge promiseou apprhende ; cela aussi taitpassionnant. Quelle quen ftlorientation, la conversation politiquetait alors omniprsente, chaque tablebourgeoise, dans chaque bistrot ouvrier.La vie prive celle des travailleurs,mais aussi celle des bourgeois tait

  • alors beaucoup plus troite et pluspauvre quaujourdhui. En contrepartie,chacun, durant les dernires heures de lajourne, tait avec son pays un lion ouun aigle, ou le porte-drapeau du grandavenir promis sa classe sociale. Hitler,qui navait rien dautre faire, tait celatoute la journe. La politique tait alorsun succdan de la vie jusqu un certainpoint pour presque tous, et sans rservepour le jeune Hitler.

    Nationalisme et socialisme taientdes mots dordre puissants, quimobilisaient les foules. Quelle ne devaitpas tre leur force explosive si lonparvenait, dune manire ou dune autre, les conjoindre ! Il est possible, maisnon certain, que le jeune Hitler ait dj

  • eu cette ide. Il crivit plus tard quecest lge de vingt ans, dans la Viennedes annes 1910, quil avait pos le fondement de granit de sa visionpolitique du monde ; mais on peut sedemander si cest vraiment bon droitque cette vision du monde porte le nomde national-socialisme. La vritablesouche primitive de lhitlrisme, cequil y a en lui de premier et defondamental, ne consiste pas, en effet, enla fusion du nationalisme et dusocialisme, mais du nationalisme et delantismitisme. Et il semble quelantismitisme ait t llmentprimordial. Ds le dbut, Hitler le portaavec lui, comme une bosse congnitale.Mais le nationalisme lui aussi, un

  • nationalisme bien prcis, marqu dusceau vlkisch et du rve de la GrandeAllemagne, date sans conteste de sonpoque viennoise. Le socialisme aucontraire est trs probablement un ajoutultrieur.

    Lantismitisme dHitler est unproduit dEurope de lEst. Au tournantdu sicle, lantismitisme tait en dclinen Europe de lOuest et en Allemagne,lassimilation et lintgration des juifssouhaites et en voie de ralisation.Mais en Europe de lEst et du Sud-Est,o les nombreux juifs vivaient de gr oude force comme un peuple isol aumilieu du peuple, lantismitisme tait(est encore ?) endmique et meurtrier ; ilne visait pas lassimilation et

  • lintgration, mais la disparition etlextermination. Et cet antismitismemeurtrier dEurope de lEst, quinoffrait aucune issue aux juifs, poussaitde profondes racines Vienne, dans letroisime arrondissement de laquelle,daprs le clbre mot de Metternich,commencent les Balkans ; cest lquHitler sen empara. Nous ne savonspas comment. Aucune expriencepersonnelle dsagrable na trapporte, lui-mme na rien prtendu detel. Daprs lexpos de Mein Kampf, illui suffit de ressentir les juifs commedes tres diffrents pour tablir laconclusion : Puisquils sont diffrents,il faut quils disparaissent. Nousverrons dans un chapitre ultrieur

  • comment Hitler a rationalis par la suitecette conclusion, et dans un autrecomment il la mise en pratique. Audbut, cet antismitisme meurtrier, de lavariante est-europenne, sil sinsinuaprofondment et solidement dans lejeune homme, resta sans consquencepratique sur sa propre vie, encoreobscure.

    Il en va autrement de sonnationalisme pangermaniste, lautreproduit de ses annes viennoises. Il fut lorigine, en 1913, de la premiredcision politique de sa vie ladcision dmigrer en Allemagne.

    Le jeune Hitler tait un Autrichienqui ne se sentait pas Autrichien maisAllemand, un Allemand frustr,

  • injustement exclu de la fondation duReich et du Reich lui-mme, unAllemand laiss pour compte. Ilpartageait en cela le sentiment dungrand nombre dAustro-Allemands deson poque. Cest grce lappui delAllemagne tout entire que lesAllemands dAutriche avaient pudominer et faonner leur empiremultinational. Ils taient exclusdAllemagne depuis 1866, minorit ausein de leur propre empire, sans dfense long terme contre le nationalismenaissant de tous les Autrichiensdobligation, condamns uneprminence partage prsent avecles Hongrois au maintien de laquelleleur force et leur nombre ne suffisaient

  • plus. Une situation aussi prcairepouvait donner lieu aux conclusions lesplus diffrentes. Le jeune Hitler, djtrs abrupt, tira ds le dpart laconclusion la plus radicale : lAutrichedevait seffondrer, mais il fallait que decette chute naisse un empirepangermanique qui rassemblt derecheftous les Autrichiens allemands, et qui,par son poids, domint son tour tousles petits tats qui seraient sescohritiers. En esprit, il ntait dj plusun sujet de Sa Majest impriale etroyale, mais le citoyen de cet empirepangermanique venir, et il en tira pourlui-mme la consquence, la plusradicale encore une fois, en migrant auprintemps 1913.

  • Nous savons aujourdhui quHitlerquitta Vienne pour Munich afindchapper au service militaireautrichien. Il prouva que ce ntait pas legeste dun embusqu et dun couard ensengageant comme volontaire ds ledbut de la guerre en 1914 ; mais danslarme allemande, et non autrichienne.La guerre tait dj dans lair en 1913,et Hitler ne voulait pas se battre pourune cause dont il stait intrieurementdtach, ni pour un tat quil considraitcomme perdu. Il tait encore loin lpoque de vouloir devenir un hommepolitique comment laurait-il pu, tantdans lEmpire allemand un tranger sanstravail ? , mais il agissait dj de faonpolitique.

  • Pendant la guerre, Hitler futpolitiquement heureux. Seul sonantismitisme resta insatisfait silnavait tenu qu lui, on aurait profit dela guerre pour extirper du Reichl internationalisme , mot par lequel ildsignait les juifs. Mais cela mis part,tout se passa trs bien pendant quatreans ; une victoire suivait lautre. Seulsles Autrichiens subissaient des dfaites. Il arrivera lAutriche ce que jaitoujours prvu , crivait-ilsentencieusement du front ses amismunichois.

    Venons-en maintenant la dcisiondHitler de devenir un homme politique une des nombreuses dcisions quilqualifia de la plus difficile de ma

  • vie . Elle fut rendue objectivementpossible par la rvolution de 1918. DanslEmpire, un tranger dans la positionsociale dHitler navait pas la moindrechance de pouvoir sengager dans uneactivit politique, si ce nest peut-tre auSPD, mais Hitler ny avait pas sa placeet le parti tait dailleurs un cul-de-sacpour tous ceux qui voulaient influer surla politique effective de ltat. Cest larvolution qui ouvrit aux partis la voiedu pouvoir et qui branla simultanmentleur systme traditionnel, suffisammentpour donner une chance aux formationsnouvelles les crations de partis furentinnombrables en 1918 et en 1919. Mmela nationalit autrichienne dHitler neconstituait plus un obstacle pour

  • participer activement la politiqueallemande. Le rattachement del Autriche allemande , comme ondisait alors, bien quil ft interdit par lesvainqueurs, tait passionnment souhaitdes deux cts de la frontire etintrieurement anticip depuis 1918, sibien quun Autrichien ntaitpratiquement plus considr comme untranger en Allemagne. Et il ny avaitplus aucune barrire sociale pour unpoliticien allemand aprs une rvolutionqui avait supprim la souverainetimpriale et les privilges de lanoblesse.

    Nous insistons sur ce point parcequil est toujours nglig. On saitquHitler entra en politique comme

  • lennemi jur de la rvolution de 1918,le crime de novembre , et nousrpugnons pour cette raison voir en luile produit de celle-ci. Mais cest bien cequil fut, objectivement, de la mmefaon que Napolon fut un produit de laRvolution franaise, dont il eut raisonlui aussi dune certaine faon. Ilsauraient t impensables lun et lautresans la rvolution qui les prcda. Et ilsnont rien restaur, ni lun ni lautre, dece dont la rvolution avait fait tablerase. Ils en furent les ennemis, maisprirent sa succession.

    Subjectivement aussi on peut encroire Hitler pour cette fois , le moisde novembre 1918 lui donna limpulsionncessaire pour dcider de devenir un

  • homme politique, quand bien mme ladcision ne date vritablement que delautomne 1919. Novembre 1918 fut sonexprience dveil. Il ne faut plusjamais quil y ait un novembre 1918 enAllemagne et il ny en aura plusjamais : telle fut, aprs maintescogitations et spculations politiques, sapremire rsolution politique, lepremier but concret que se proposa lejeune politicien en chambre etdailleurs le seul quil ait vraimentatteint. Il ny eut effectivement pas denovembre 1918 au cours de la SecondeGuerre mondiale : ni cessation en tempsutile dune guerre qui commenait treperdue, ni rvolution. Hitler empchalune et lautre.

  • Comprenons bien tout ce que veutdire ce plus jamais unnovembre 1918 beaucoup de chosesen ralit. Premirement la rsolution derendre impossible une ventuellervolution dans une situation commecelle de novembre 1918. Maisdeuximement la rsolution sanslaquelle la premire naurait pas desens de recrer une telle situation. Etcela signifiait dj troisimement une reprise de la guerre perdue ouabandonne. Quatrimement, ilsagissait de reprendre la guerre partirdune situation intrieure qui exclt touteespce de force rvolutionnairepotentielle. De l, il ny avait quun pasjusquau cinquime point : suppression

  • de tous les partis de gauche et alors,pourquoi pas, en une seule lessive, detous les partis ? Mais puisquon nepouvait pas supprimer ce quil y avaitderrire les partis de gauche, la classeouvrire, il fallait gagner celle-cipolitiquement au nationalisme, ce quivoulait dire, siximement, quil fallaitlui proposer le socialisme, tout au moinsune espce de socialisme, prcismentle national-socialisme. Mais il fallaitextirper septimement sa croyanceactuelle, le marxisme, ce qui voulait dire huitimement exterminerphysiquement les politiciens et lesintellectuels marxistes, parmi lesquelsfiguraient fort heureusement un bonnombre de juifs, ce qui permettait

  • neuvimement, mais tout premiersouhait dHitler dexterminer du mmecoup tous les juifs.

    On voit donc que, au moment oHitler entre en politique, son programmede politique intrieure tait presquecomplet. Entre novembre 1918 etoctobre 1919, date laquelle il devintun homme politique, il avait eu le tempsde tirer ses ides au clair et de lesmettre en ordre. Et il faut reconnatreque le talent pour mettre au clair sesides et en tirer les consquences ne luimanquait pas, dj pendant sa jeunesseviennoise, pas plus que le courage detransposer dans la pratique, de faontout aussi radicale quen thorie, lesconsquences quil avait tires. Il faut

  • certes remarquer que tout cet dificeintellectuel reposait sur une erreur :celle de croire que la rvolution avaitt la cause de la dfaite. Elle en tait enralit leffet. Mais cette erreur, Hitlerla partageait avec un trs grand nombredAllemands.

    Lexprience de 1918 ne lui avaitpas encore fourni de programme depolitique extrieure. Celui-ci ne futacquis quau cours des six ou septannes suivantes, mais autant nous endbarrasser tout de suite brivement. Ilny eut dabord que la dcision dereprendre dans tous les cas la guerre quiavait t interrompue trop tt daprsHitler. Puis vint lide de ne pas faire decette nouvelle guerre la simple

  • rptition de lautre, mais de lappuyersur une nouvelle constellationdalliances, plus favorable, en exploitantles oppositions qui avaient min lacoalition adverse pendant et aprs laPremire Guerre mondiale. Nouslaissons de ct ici les phases au traversdesquelles se dveloppa cette ide ainsique les diffrentes possibilits aveclesquelles Hitler joua dans les annes1920-1925 ; on en trouvera lexposdans dautres ouvrages. Toujours est-ilque le plan final, consign dans MeinKampf, prvoyait une alliance aveclAngleterre et lItalie, ou tout au moinsleur neutralit bienveillante ; les tatsqui avaient succd lAutriche-Hongrie ainsi que la Pologne devaient

  • fournir des peuples auxiliaires, laFrance serait un ennemi secondaire liminer dentre de jeu, tandis que laRussie constituait lennemi principal,quil fallait conqurir et soumettre defaon permanente pour la rendre savocation despace vital allemand,d Inde allemande . Tel est le plan quifut lorigine de la Seconde Guerremondiale, mais qui choua ds le dpartpuisque lAngleterre et la Polognenacceptrent pas les rles qui leuravaient t dvolus. Nous auronsplusieurs fois loccasion dy revenir.Nous ne pouvons nous y attarderdavantage pour le moment, sagissant dela formation des ides politiquesdHitler.

  • Nous en sommes lentre dHitlersur la scne politique et publique,pendant lautomne et lhiver des annes1919-1920. Ce fut son exprience de laperce, aprs lveil de novembre 1918.Cette perce ne rside pas tant dans lefait quil soit rapidement devenulhomme fort du Parti ouvrier allemand(DAP), quil rebaptisa aussitt Partinational-socialiste des travailleursallemands (NSDAP). Il ny fallait pasgrand-chose. Quand il y entra, le partitait une obscure association darrire-salle de bistrot comptant quelquescentaines de membres peu importants.Limportance de la perce tient bienplutt la dcouverte quil fit de sapuissance dorateur. Elle peut tre

  • exactement date du 24 fvrier 1920,jour o Hitler tint avec un succspercutant son premier discours dans unerunion de masse.

    Nul nignore la facult dHitler detransformer les assembles les plushtroclites plus elles taient grandeset mlanges, mieux cela valait en unemasse homogne et mallable, et deplonger cette masse dans une sorte dtatde transe pour lamener ensuite uneespce dorgasme collectif. Elle nereposait pas exactement sur un artoratoire les discours dHitlercommenaient lentement et avechsitation, manquaient dune vritablestructure logique et parfois mme duncontenu clair ; de plus sa voix tait

  • enroue, rauque et gutturale , ctaitune facult hypnotique, celle qui permet une force de volont concentre desemparer tout moment et en toutecirconstance dun inconscient collectif.Cet effet hypnotique sur les massesconstitua le premier capital politiquedHitler et resta longtemps le seul. Saforce est connue par les innombrablestmoignages de ceux qui la subirent.

    Mais plus important que leffet surles masses tait leffet sur Hitler lui-mme pour le comprendre, il fautsimaginer ce que put produire sur unhomme qui avait de bonnes raisons de secroire impuissant la consciencesoudaine daccomplir des miracles depuissance. Autrefois dj, au milieu de

  • ses compagnons darmes, Hitler taitparfois sorti de son mutisme habituel,semportant soudain dans ses proposjusquau dchanement lorsque laconversation venait voquer les sujetsqui lagitaient intrieurement : lapolitique et les juifs. Mais lpoque ilnavait veill que de la gne, sattirantune rputation de rveur . Voil quele rveur rapparaissait soudaincomme un matre des foules, comme le tambour , le roi de Munich . Lafiert silencieuse et amre delincompris se mua en la suffisanceenivrante dun homme port par lesuccs.

    Il se savait maintenant capable dequelque chose dont personne dautre

  • ntait capable. Il savait galement, aumoins en politique intrieure,exactement ce quil voulait ; et il nepouvait manquer de remarquer queparmi les autres politiciens, du ctdroit de la scne sur laquelle il allaitdevenir une figure minente dans lesannes suivantes, politiciens qui taientprovisoirement beaucoup plus clbresque lui, aucun ne savait vraiment cequil voulait. Ces facteurs lui donnrentle sentiment dtre unique sentimentpour lequel il avait toujours eu desprdispositions et qui le portait surtout se croire plus malin que les autres ,mais mconnu . Cest partir de lque se dveloppa progressivement ladcision sans doute la plus importante

  • de sa vie politique, celle qui eut la plusgrande porte : devenir le Fhrer.

    Il est impossible de dater cettedcision, qui ne fut dailleurs pasdclenche par un vnement prcis. Ilest en tout cas certain quelle navait pasencore t prise au cours des premiresannes de la carrire politique dHitler. cette poque il se satisfaisait encoredtre devenu lagent publicitaire, le tambour dun mouvement dveilnational. Il prouvait encore du respectpour les dignitaires dchus de lEmpire,qui se runissaient alors Munich etfomentaient toutes sortes de projets decoups dtat ; et particulirement pour legnral Ludendorff qui avait dirigltat-major allemand pendant les deux

  • dernires annes de la guerre et quipassait prsent pour la figure centralede tous les mouvements dechambardement de droite.

    Ce respect ne rsista pas uneconnaissance plus troite de lhomme. la conscience quil avait de dominer lesmasses avec assurance, conscience quilne partageait avec personne, sajoutaitde plus en plus chez Hitler le sentimentdune supriorit politique etintellectuelle sur tous ses concurrentspossibles et imaginables. cela dutsadjoindre un moment ou un autrelide une ide qui ne va pas de soi que cette concurrence navait passimplement pour objet la rpartition descharges et lordre de prsance entre les

  • membres dun futur gouvernement dedroite, mais bien quelque chose quinavait encore jamais exist : la positionde dictateur tout-puissant, dli de touteentrave tenant la Constitution ou lasparation des pouvoirs, ignorant lescontraintes dun exercice collgial dupouvoir, et cela sans limitation de dure.

    Ici apparat le vide que la monarchieavait laiss derrire elle endisparaissant sans espoir de retour, etque la rpublique de Weimar navait passu combler, nayant t accepte ni parles rvolutionnaires de novembre 1918ni par leurs adversaires, et restant, selonla clbre formule, une rpubliquesans rpublicains . Ainsi se dveloppa,au dbut des annes 1920, une

  • atmosphre dans laquelle la nostalgiede quelque chose qui soit analogue auxforces dautrefois devient irrsistible et travaille pour lhomme unique ,selon la formule de Jacob Burckhardt. Etce nest pas seulement comme succdande lempereur perdu quune grandepartie de la nation aspirait trouver lhomme unique , mais pour une autreraison encore : par dpit davoir perdula guerre, par rancune impuissante lgard dun trait de paix impos etressenti comme une humiliation. Lepote Stefan George exprimait un tatdesprit largement rpandu lorsquilprophtisait, en 1921, une poque qui

    fait natre lHomme unique, le seul quipeut aider,

  • et lui traait de surcrot la marche suivre :

    [il] brise les chanes, [il] balaye lesdbris,

    Rtablit lordre dont le fouet ramne lesgars

    Dans le droit ternel o le grand denouveau est grand,

    Matre de nouveau matre, discipline denouveau discipline,

    Il attache le vrai symbole sur ltendarddu peuple

    Et mne travers la tempte et lessignaux affreux

    De laurore sa cohorte fidle versluvre

    Du jour veill et plante le NouveauRgne.

    Voil qui parat taill sur mesurepour Hitler ! Le vrai symbole ,

  • savoir la croix gamme, ornait mmedepuis plusieurs annes mais sansconnotation antismite les ouvrages deStefan George. Et ces vers antrieurs deGeorge, datant de 1907, ont dj lesaccents dune vision prmonitoiredHitler :

    Lhomme ! laction ! ainsi soupire lepeuple et le grand conseil.

    Ne comptez pas sur ceux qui ont mang vos tables !

    Celui peut-tre qui longtemps est restparmi vos assassins,

    Qui a dormi dans vos cellules : se lve etagit2.

    Il est peu vraisemblable quHitlerait connu les vers de George, mais ilconnaissait ltat desprit largement

  • rpandu quils exprimaient et celui-ciagissait sur lui. Toutefois, la dcisiondtre lui-mme cet homme que tousattendaient et dont ils attendaient desmiracles exigeait indniablement uncourage farouche, que personne endehors dHitler navait lpoque et quepersonne neut par la suite. Cettedcision pleinement mrie est attestedans le premier tome de Mein Kampf,dict en 1924, et sa premire mise enuvre formelle date de la reconstitutiondu parti en 1925. Le nouveau NSDAP nereconnaissait demble, etdfinitivement, quune seule volont :celle du Fhrer. Le fait que la dcisionde devenir le Fhrer se soitultrieurement ralise dans un cadre

  • infiniment plus vaste constitue danslvolution politique intrieure dHitlerun saut moins important que le premier,qui rside dans laudace mme de ladcision.

    Entre les deux scoulrent, selon lemode de calcul, six, neuf ou mme dixannes car ce nest pas mme en 1933,mais seulement en 1934, la mortdHindenburg, quHitler accda aupouvoir absolu du Fhrer, celui qui nade responsabilit lgard depersonne et Hitler avait quarante-cinqans lorsquil devint le Fhrer. Laquestion se posait alors pour lui desavoir quelles parties de son programmede politique intrieure et de politiqueextrieure il serait en mesure de raliser

  • pendant le temps quil lui restait vivre ; et il rpondit cette question parla plus surprenante, et la plus souventmconnue encore aujourdhui, de sesdcisions politiques vitales, la premirequil ait tenue totalement secrte. Sarponse fut : la totalit ! Et cette rponseimpliquait quelque chose de monstrueux, savoir la subordination de sa politiqueet de son programme politique la dureprsume de son existence terrestre.

    Cest l une dcision sansprcdent, au sens le plus strict duterme. Quon y songe : la vie deshommes est courte, celle des tats et despeuples est longue. Il ny a pas que lesConstitutions, rpublicaines oumonarchiques, qui en tiennent

  • naturellement compte, les grandshommes eux aussi, qui veulent entrerdans lhistoire , sy conforment, que cesoit par raison ou par instinct. Aucun desquatre avec lesquels nous avons djcompar Hitler na postul quil taitirremplaable ni agi en fonction dunetelle hypothse. Bismarck sattribua desfonctions puissantes, mais clairementdlimites, au sein dun dificeconstitutionnel conu pour durer ; etlorsquil dut quitter ces fonctions, ilsexcuta non certes sans maugrer,mais il le fit. Napolon essaya de fonderune dynastie. Lnine et Mao organisrentles partis crs par eux comme lesppinires o apparatraient leurssuccesseurs, et de fait ces partis ont

  • produit des successeurs capables etlimin les incapables, ft-ce au prix decrises sanglantes.

    On ne trouve rien de tout cela chezHitler. Tout fut consciemment construitpar lui sur lide quil taitirremplaable, sur un ternel moi ou lechaos , voire, pourrait-on dire, aprsmoi le dluge . Pas de Constitution ;pas de dynastie celle-ci auraitdailleurs t mal venue, sans mmetenir compte de lhostilit dHitler lgard du mariage et du fait quilnavait pas denfants ; mais pas nonplus de vritable parti supportant ltat,produisant chaque Fhrer et luisurvivant. Pour Hitler, le parti ntaitque linstrument de sa prise de pouvoir

  • personnelle, aussi neut-il jamais deBureau politique, et ny laissa-t-iljamais grandir de princes hritiers. Il serefusait penser au-del de la dure deson existence, faire des prparatifs.Tout devait arriver de son fait.

    Mais cela crait une urgence qui nepouvait manquer de le pousser prendredes dcisions politiques prcipites etinadquates. Comment en effet ne seraitpas inadquate une politique qui nestpas dtermine par les circonstances etles possibilits dune situation donne,mais par la dure dune seule vie ? Telletait pourtant la signification de ladcision dHitler. Elle signifiaitnotamment que la grande guerre pourlespace vital quil projetait devait

  • absolument tre mene de son vivant etpar lui. Bien videmment, il ne parlajamais de cela en public : les Allemandsauraient sans doute t un peu surpris.Mais tout est ouvertement avou dans lesnotes dictes Bormann enfvrier 1945. Aprs stre plaint davoircommenc la guerre avec une anne deretard, en 1939 seulement au lieu de1938 Mais je ne pouvais rien faire,les Anglais et les Franais ayant cd toutes mes exigences Munich , ilpoursuit : La fatalit me contraint tout accomplir pendant la courte duredune seule vie dhomme L o lesautres disposent dune ternit, je naique quelques malheureuses annes. Lesautres savent quils auront des

  • successeurs Mais il stait mis lui-mme dans limpossibilit den avoir.

    Au dbut des hostilits, il lui arrivaplusieurs fois mais jamaispubliquement de laisser entrevoir quiltait dcid inscrire lhistoire delAllemagne dans sa biographiepersonnelle et la subordonner celle-ci. Cest ainsi quil dclara au ministreroumain des Affaires trangresGafencu, lors de la visite de celui-ci Berlin au printemps de 1939 : Jaiatteint la cinquantaine, je prfre avoirla guerre maintenant plutt qucinquante-cinq ans ou soixante. Le22 aot, devant ses gnraux, il justifia sa dcision inbranlable de dclencherla guerre en arguant entre autres du

  • rang de sa personnalit et de son autoritincomparable , qui feraient peut-tredfaut plus tard : Nul ne sait combiende temps il me reste vivre. Etquelques mois plus tard, le23 novembre, devant les mmes,exhorts prparer plus rapidement lesplans de loffensive louest : Ledernier facteur quil me faut mentionner,toute modestie mise part, cest mapropre personne : irremplaable.Aucune personnalit militaire ou civilene pourrait se substituer moi. Lestentatives dattentat peuvent serenouveler Le sort du Reich nedpend que de moi. Jagirai enconsquence.

  • Donc, en dernier ressort, la volontde subordonner lhistoire lautobiographie, le destin des tats etdes peuples au cours de sa propre vie :une volont qui coupe littralement lesouffle par son caractre absurde etexcessif. Il nest pas possible de dire quel moment elle sest empare dHitler.Elle est certes contenue en germe dans laconception hitlrienne du Fhrer, djtablie au milieu des annes 1920 : ilny a quun pas de labsolueirresponsabilit du Fhrer soncaractre absolument irremplaable.Mais certains signes tendent montrerquHitler na franchi ce pas qui taitaussi un pas dcisif vers la guerre quau cours de la seconde moiti des

  • annes 1930. Le premier indice en cesens est fourni par la conversationsecrte du 5 novembre 1937, contenuedans le protocole dit dHossbach, aucours de laquelle il donna sesministres et militaires du plus haut rangun premier aperu, encore assez vague,de ses projets de guerre, les plongeantdans une peur violente. Ce furentprobablement les succs tonnants deses premires annes de gouvernement,que lui-mme navait pas prvus, quiportrent la confiance quil avait en lui-mme son paroxysme, jusquausentiment de son lection particulire,qui le justifiait non seulement se placerau mme rang que lAllemagne, maisaussi Le sort du Reich dpend de

  • moi subordonner la vie et la mort

  • de lAllemagne aux siennes propres.Cest en tout cas ce quil fit.

    Et, en ce qui le concerne, la vie et lamort furent toujours trs proches lunede lautre. On sait quil se suicida, et cesuicide narriva pas par hasard. Il ypenchait au contraire chaque insuccset se faisait un principe dtre toutinstant prt jeter cette mme vie delaquelle il faisait dpendre le sort delAllemagne. Aprs lchec du putsch deMunich en 1923, il dclara ErnstHanfstaengl, chez qui il stait dabordcach, quil allait en finir et se tuer ;Hanfstaengl prtend quil eut quelquepeine len dissuader. Au cours dunecrise ultrieure, en dcembre 1932,alors que le parti tait menac de

  • scission, il dit Goebbels, qui rapportala chose : Si le parti scroule, jeprends un pistolet et je me tue dans lescinq minutes.

    Compte tenu de son suicide effectifle 30 avril 1945, on ne peut voir l desimples faons de parler. Dans lespropos tenus Goebbels, ce sont surtoutles mots dans les cinq minutes quisont clairants. Au cours de dclarationsultrieures qui vont dans le mme sens,ces minutes se transformrent ensecondes et finalement mme en unefraction de seconde . Il semblequHitler se soit demand durant toute savie combien de temps il fallait pour unsuicide et quelle en tait de ce fait ladifficult. Aprs Stalingrad, il exprima

  • dans les termes suivants la dceptionque lui avait cause le marchal Paulusen se rendant aux Russes au lieu de setuer : Cet homme devrait se tirer uneballe dans la tte, de la mme faon queles gnraux se jetaient autrefois sur leurpe lorsquils voyaient que leur causetait perdue Comment peut-on avoirpeur de cette seconde qui nous dlivrede ladversit, lorsque le devoir ne nousretient pas dans cette valle de misre !Hein ? Et aprs lattentat du 20 juillet : Si ma vie avait trouv son terme, jepuis dire que cela naurait t, pour moi,que la fin des soucis, des nuits sanssommeil et dune douloureuse maladiedes nerfs. Une simple fraction de

  • seconde nous libre de tout et nousprocure le repos et la paix ternelle.

    Cest ainsi que le suicide dHitler,lorsquil se produisit effectivement, nesuscita gure de surprise et fut accueillicomme quelque chose qui allait presquede soi, et cela nullement parce que lessuicides des responsables iraientgnralement de soi aprs une guerreperdue ; au contraire, ils sontextrmement rares. Celui dHitlerparaissait aller de soi parce que sa vieentire semblait, rtrospectivement, yavoir tendu ds le dpart. La viepersonnelle dHitler avait t trop videpour mriter, ses propres yeux, dtreconserve dans le malheur ; et sa viepolitique fut presque ds le dbut une

  • vie du tout ou rien. Aprs que le rien futtomb, le suicide sensuivait comme delui-mme. Hitler navait jamais manqudu courage spcifique que demande lesuicide ; et on lui aurait toujours faitcrdit de ce courage si on stait pos laquestion. Cest pour cette raisonqutrangement on ne lui en a gurevoulu de son suicide, il paraissait tropnaturel.

    Ce qui sembla moins naturel, etcomme marqu dune pnible faute destyle, cest quil ait entran dans la mortsa matresse, laquelle il navait gureattach dimportance durant sa vie,aprs lavoir secrtement pouse vingt-quatre heures auparavant, dans un geste la fois curieusement mouvant et trs

  • petit-bourgeois, dnu dallure. Cestseulement bien aprs quon apprit quilavait galement essay dentranerlAllemagne, ou ce quil en restait, danssa mort ; fort heureusement pour luialors, car de cela on lui en auraitbeaucoup voulu. Mais ce sujet, ainsi quela question de ses rapports aveclAllemagne en gnral, sera aborddans le dernier chapitre, Trahison .

    Voyons dabord quelles furent lesextraordinaires ralisations dHitler,puis ses succs, encore plus tonnantspour ses contemporains. Car il estindniable que ni les unes ni les autresnont manqu.

  • 1. On a prtendu rcemment quHitler avait euun fils naturel dune Franaise alors quil tait soldat enFrance en 1917. supposer que cela soit vrai, il restequil ne la jamais connu. Lexprience de la paternitest absente de la vie dHitler.

    2. Stefan George (1868-1933), important pote,plus gure lu aujourdhui ; il a fond des liguesmasculines et apparat dans de nombreuses parties deson uvre de la maturit, partir de 1907, comme leprophte du Troisime Reich. Il faut noter cependantque celui-ci lui dplut profondment lors de sonavnement. Il se droba aux honneurs nationaux quiavaient t prvus pour son soixante-cinquimeanniversaire, le 12 juillet 1933, migrant en Suisse o ilmourut la mme anne. Le comte Claus vonStauffenberg, qui perptra lattentat contre Hitler du20 juillet 1944 et fut puni de mort, avait t membre ducercle de George et fut lun des derniers disciples dupote vieillissant. Il avait dabord salu avecenthousiasme la prise du pouvoir par Hitler. Lechapitre de lhistoire des ides en Allemagne quisintitulerait George, Hitler, Stauffenberg reste crire.

  • 2RALISATIONS

    Au cours des six premires annesdun rgne qui dura douze ans, Hitlersurprit amis et ennemis par une srie deralisations dont presque personne, audpart, ne laurait cru capable. Ce sontces ralisations qui droutrent alors sesadversaires ils formaient encore unemajorit en Allemagne en 1933 et lesdsarmrent intrieurement, et qui luivalent aujourdhui encore, sous le

  • manteau, une certaine renomme auprsdune partie de la vieille gnration.

    Hitler navait dabord eu quunerputation de dmagogue. Mais sesexploits dorateur et dhypnotiseur desmasses avaient toujours tindiscutables, faisant de lui, au cours deces annes de crise qui trouvrent leurpoint culminant en 1930-1932, uncandidat de plus en plus srieux aupouvoir. Il ny avait pourtant personne,ou presque, pour croire quune foisarriv au pouvoir il saurait y faire sespreuves. Gouverner, disait-on, cestautre chose que de tenir des discours.On remarquait aussi que, dans sesdiscours, au cours desquels il injuriaitsans retenue les gouvernants, Hitler

  • demandait tout le pouvoir pour lui etpour son parti, parlant selon le churdes mcontents de tous bords sans sesoucier des contradictions, et ne faisantjamais une seule proposition concrte pour lutter contre la criseconomique et le chmage proccupation dominante lpoque.Tucholsky exprimait un avis largementpartag en crivant : Cet hommenexiste pas ; il nest que le bruit quiloccasionne. Le choc psychologique futdautant plus grand lorsque lindividu enquestion se rvla, aprs 1933, tre unhomme extrmement dynamique, inventifet efficace.

    Une chose pourtant aurait d frapperles observateurs et les censeurs dHitler

  • ds avant 1933, en dehors mme de sapuissance oratoire, sils y avaientregard dun peu plus prs : son talentdorganisateur ou, plus exactement, sacapacit se doter dinstruments depouvoir efficaces et les matriser. LeNSDAP de la fin des annes 1920 fut depart en part luvre dHitler ; et ildominait dj tous les partis par sonorganisation avant de commencer, audbut des annes 1930, regrouper desmasses dlecteurs. Il laissait loinderrire lui lorganisation du SPD, quiavait pourtant fait ses preuves ; plusencore que ce dernier lpoqueimpriale, il tait devenu un tat dansltat, un contre-pouvoir en formatrduit. Et contrairement au SPD,

  • rapidement devenu lourd et satisfait delui-mme, le NSDAP dHitler avaitpossd, ds le dpart, une tonnantedynamique. Il nobissait qu unevolont dominatrice unique laptitudedHitler mettre au pas ou liminercomme en se jouant les concurrents etles opposants au sein du parti, voilencore un trait prmonitoire qui auraitpu sauter aux yeux des observateursattentifs ds les annes 1920 ; pleindardeur belliqueuse jusque dans sesplus modestes ramifications, ctait unemachine lectorale cumante et piaffantecomme lAllemagne nen avait encorejamais connu. Et la deuxime crationdHitler au cours des annes 1920, sonarme de guerre civile, les SA, faisait

  • apparatre comme autant de clubsbourgeois impuissants toutes les autresassociations politiques de combat delpoque le Casque dacier desnationalistes allemands, ltendardimprial des sociaux-dmocrates etmme les combattants communistes duFront rouge. Elle les surpassait toutes defort loin par son ardeur belliqueuse etrisque-tout, mais videmment aussi parsa brutalit et son envie de meurtre. Elle et elle seule faisait vraiment peur.

    Cest dailleurs cette peur,volontairement entretenue par Hitler, quiexplique que la terreur et les violationsdu droit qui accompagnrent sa prise dupouvoir, en mars 1933, aient suscitaussi peu dindignation et de volont de

  • rsistance. On avait craint pire que cela.Pendant un an, les SA avaient annoncavec une joie sanguinaire une Nuit deslongs couteaux . Celle-ci neut paslieu ; il ny eut que des attentats isols,secrets et bientt juguls, quoiquejamais punis, lendroit de quelquesadversaires particulirement has. Hitleravait personnellement et solennellementannonc sous la foi du serment,tmoignant devant la Cour suprme quaprs son accession au pouvoir, desttes tomberaient les ttes des assassins de novembre . L-dessus,ce fut presque un soulagement, auprintemps et pendant lt 1933, de voirque les vtrans de la rvolution de1918 et les personnages de premier plan

  • de la Rpublique taient simplement enferms dans des camps deconcentration, o ils taient certesexposs un traitement brutal etincertains de leur vie, mais dont ilspurent gnralement sortir tt ou tard.Quelques-uns ne furent pas mmeinquits. On stait attendu despogroms ; la place de cela il y eutpendant une seule journe le 1er avril1933 un boycott plutt symbolique desmagasins juifs, sans effusion de sang.Bref, ctait tout fait affreux, mais unpeu moins tout de mme que prvu. Etceux qui disaient avec raison, commelavenir allait le prouver cela ne faitque commencer reurent un dmentiapparent lorsque la terreur recula

  • lentement au cours des annes 1933 et1934, faisant place, dans les annes1935-1937, les bonnes annesnazies, une certaine normalit toutjuste trouble par la permanence descamps de concentration, dsormais deplus en plus faiblement attests audemeurant. Les autres, ceux qui avaientdit tout cela, ce ne sont que deregrettables phnomnes de transition ,semblaient pour le moment devoirgarder raison.

    Au total, il faut qualifier de chef-duvre de psychologie la manire dontHitler utilisa et dosa la terreur au coursdes six premires annes : dabordlveil de la peur par des menacessauvages, ensuite des mesures de terreur,

  • lourdes mais un peu en retrait parrapport aux menaces, puis un passageprogressif vers une quasi-normalit,sans renoncer compltement un peu deterreur en arrire-plan. Hitler provoquaainsi, auprs de tous ceux qui lui taientdabord dfavorables ou qui restaientdans lexpectative donc la majorit ,une dose approprie dintimidation, sansles pousser une rsistance dsespre ;et, fait plus important encore, sans troples dtourner des ralisations du rgimequi suscitaient un jugement plus positif.

    Parmi ces ralisations positivesdHitler, qui laissaient tout le reste loinderrire, il faut dabord citer le miracleconomique. Lexpression nexistait pasencore alors ; elle a t forge pour

  • dsigner ltonnante entreprise dereconstruction et de relance de lreErhard, aprs la Seconde Guerremondiale. Mais elle convient bien mieuxencore ce qui se passa en Allemagnesous Hitler au milieu des annes 1930.Limpression de miracle effectif fut alorsbeaucoup plus profonde et plus forte, etlhomme qui laccomplissait, Hitler,acquit une dimension de thaumaturge.

    En janvier 1933, lorsque Hitlerdevint chancelier du Reich, il y avait6 millions de chmeurs en Allemagne.Trois brves annes plus tard, en 1936,le retour au plein emploi tait uneralit. Dun tat de dtresse criante etde misre des masses, on tait pass un bien-tre modeste mais tranquille. Et,

  • chose presque aussi importante, dsarroiet dsespoir avaient fait place laconfiance et lassurance. Plusmiraculeusement encore, le passage dela dpression la prospritconomique stait effectu sansinflation, avec une stabilit totale dessalaires et des prix. Mme LudwigErhard, plus tard, na pas russi cela.

    On ne se reprsente pas dans toutesa force le saisissement par lequel lesAllemands ragirent ce miracle et quifit en particulier basculer en rangs serrsla classe ouvrire allemande du SPD etdu parti communiste vers Hitler, aprs1933. Ce sentiment domina lAllemagnetout au long des annes 1936-1938,relguant tous ceux qui refusaient Hitler

  • dans le rle de chicaneurs geignards. Il a peut-tre ses dfauts, mais il nousa redonn du travail et du pain : ainsisexprimaient, en ces annes, les ancienslecteurs du SPD et du KPD, quiformaient encore en 1933 la grandemasse des adversaires dHitler.

    Le miracle conomique allemanddes annes 1930 fut-il vraiment luvredHitler ? Malgr dvidentesobjections, force est sans doute derpondre par laffirmative. Une choseest parfaitement exacte : Hitler taitignorant dans le domaine de lconomieet de la politique conomique ; la plusgrande partie des trouvailles quiprovoqurent le miracle conomique neprovient pas de lui, notamment le

  • dangereux numro dquilibrismefinancier dont tout dpendait et qui futindubitablement luvre dun autrehomme : son magicien de la finance ,Hjalmar Schacht. Mais ce fut Hitler quiplaa Schacht dabord la tte de laBanque centrale, puis celle duministre de lconomie, et qui le laissafaire. Et ce fut Hitler qui sortit les plansde relance prpars avant son arrive aupouvoir des tiroirs o les avaientrelgus tous les scrupules possibles etimaginables, mais surtout des scrupulesfinanciers, et qui les fit mettre en uvre des bons du Trsor aux bons dechange, du service du travail auxautoroutes. Il ntait certes pasconomiste et navait sans doute jamais

  • imagin venir au pouvoir par le dtourdune crise conomique, avec la tchede remdier un chmage massif. Cettetche ntait en rien faite pour lui ;jusquen 1933, lconomie navait guretenu de place dans ses plans et seslucubrations politiques. Mais il avaitassez dinstinct politique pourcomprendre que lconomie tenait pourle moment le rle principal, etcurieusement assez dinstinctconomique pour reconnatre,contrairement au malheureux Brningpar exemple, que lexpansion taitprovisoirement plus importante que lastabilit budgtaire et montaire.

    videmment, il avait en outre,contrairement ses prdcesseurs, le

  • pouvoir dobtenir par la contrainte aumoins une apparence de stabilitmontaire. Car on ne saurait ignorercette ombre au tableau du miracleconomique hitlrien : comme il seproduisait au milieu dune dpressionmondiale persistante et quil faisait delAllemagne un lot de bien-tre, ilfallait cloisonner lconomie allemandevis--vis du monde extrieur et, commeson financement tait de tendanceinvitablement inflationniste, fixerautoritairement les salaires et les prix.Lun et lautre taient possibles pour unrgime dictatorial, avec des camps deconcentration larrire-plan : Hitlernavait ni associations patronales nisyndicats prendre en considration, il

  • suffisait de les faire entrer ensemble deforce dans le Front allemand dutravail pour les rduire au silence. Etun entrepreneur qui faisait commerceavec ltranger sans autorisation ou quiaugmentait le prix de ses produitspouvait tre jet en camp deconcentration, tout comme un ouvrier quiexigeait une augmentation de salaire oumenaait de faire grve pour cela. Cesten ce sens-l aussi quil faut voir dans lemiracle conomique des annes 1930luvre dHitler ; dans une certainemesure, ceux qui acceptaient les campsde concentration au nom du miracleconomique ne manquaient pas delogique.

  • Le miracle conomique fut luvrela plus populaire dHitler, mais non laseule. Le rarmement de lAllemagne,quil ralisa galement pendant les sixpremires annes de sa domination, futau moins aussi sensationnel et inattendu.Lorsque Hitler devint chancelier,lAllemagne avait une arme de100 000 hommes sans armementmoderne, et pas daviation. En 1938,elle tait devenue la plus grandepuissance militaire et ariennedEurope. Un tour de force incroyable,mais qui naurait pas t possible sanscertains travaux prparatoires pendant lapriode de Weimar et qui ntait pas,dans le dtail, luvre dHitler, maisune performance de lestablishment

  • militaire. Pourtant cest dHitler quevinrent les ordres et linspiration ; moinsencore que le miracle conomique, lemiracle militaire nest pensable sans uneimpulsion dcisive dHitler, et plusencore que le miracle conomique, pourlequel Hitler improvisait, il fut leproduit de ses rsolutions et de sesprojets les plus anciens. Le fait quentreles mains dHitler il nait pasprcisment constitu une bndictionpour lAllemagne doit tre laiss ici dect : ce nen tait pas moins, toutcomme le miracle conomique, uneralisation dont personne auparavantnaurait cru Hitler capable. Le fait delavoir mene bien contre toute attenteprovoqua ltonnement et ladmiration ;

  • peut-tre aussi une certaine inquitudechez quelques-uns quest-ce quil nousprpare avec ce rarmementacclr ? , mais de la satisfaction etun orgueil national chez la plupart. Dansle domaine militaire comme dans ledomaine conomique, Hitler staitrvl thaumaturge ; seule lobstination avoir toujours raison pouvait encorerefuser quon lui accordereconnaissance et obissance.

    Deux aspects de la politique derarmement dHitler seront brivementabords ici, le troisime appelantquelques dveloppementssupplmentaires.

    1. On a souvent prtendu que lemiracle conomique et le miracle

  • militaire avaient t une seule et mmechose, que la cration demploisdcoulait totalement ou au moinsessentiellement du rarmement. Cela estfaux. Certes, le service militaireobligatoire dbarrassa les rues dequelques centaines de milliers dechmeurs potentiels, et la production engrandes sries de chars, de canons etdavions procura un salaire et du pain quelques centaines de milliers demtallos. Mais la grande majorit des6 millions de chmeurs quHitler trouvaen arrivant au pouvoir fut rintgredans des industries civiles tout faitnormales. Goering, qui profra parvantardise beaucoup de btises dans savie, mit en circulation lpoque le mot

  • dordre trompeur : Des canons laplace du beurre. En ralit, leTroisime Reich produisit des canons etdu beurre, et beaucoup dautres chosesencore.

    2. Le rarmement avait aussi unimportant aspect de politique trangre :il signifiait la mise hors jeu de partiesnotables du trait de Versailles, en mmetemps quun triomphe politique sur laFrance et lAngleterre, et unetransformation radicale des rapports deforce en Europe. Mais il sera questionde cela dans un autre contexte, auchapitre Succs . Ici, cest de laralisation en tant que telle quil sagit.

    3. Il y a dans celle-ci unecontribution toute personnelle dHitler

  • qui mrite un bref examen. Nous avonsdit plus haut que lnorme travail dedtail impos par le rarmement navaitpas t laffaire dHitler, mais celle duministre de la Guerre et des gnraux.Il faut relever une exception cela.Hitler simmisa dans une question dedtail qui devait rvler toute sonimportance dans le dveloppementultrieur de la guerre, en dfinissant lui-mme lorganisation de la nouvellearme, et donc sa tactique future : contrelavis dune majorit crasantedexperts militaires, il prit la dcisionde crer des divisions et des armes dechars intgres, oprant de faonindpendante. Ces nouvelles formations,que larme allemande tait la seule

  • possder en 1938, se rvlrent unearme dcisive au cours des deuxpremires annes de la guerre et furentensuite imites par toutes les autresarmes.

    Leur cration revientpersonnellement au mrite dHitler etconstitue sa plus haute ralisation dansle domaine militaire suprieure sonactivit, conteste, de gnral en chefdes armes pendant la guerre. SansHitler, la minorit de gnraux reprsents avant tout par Guderian qui avait entrevu les possibilits dunearme indpendante de chars ne se seraitsans doute pas plus impose contre lamajorit conservatrice quen Angleterreou en France, o les avocats de larme

  • de chars, Fuller et de Gaulle, chourentface la rsistance des traditionalistes.Il est peine exagr de dire que cescontroverses militaires internes, peuintressantes pour les civils, dcidrent lavance du sort des campagnes de1939-1941, en particulier de lacampagne de France de 1940. Le faitquHitler ait alors pris la dcision justeconstitue une de ses ralisations caches contrairement aux autres, quil sechargeait de mettre lui-mmeimmdiatement en scne et necontribua pas dans limmdiat lerendre populaire ; au contraire, elle lerendit franchement impopulaire auprsdes militaires conservateurs. Mais ellefut payante ; le triomphe militaire sur la

  • France en 1940 fit douter deux-mmesles derniers, les plus irrductibles deses adversaires en Allemagne.

    Mais dj auparavant, en 1938,Hitler avait russi se rallier la grandemajorit de cette majorit qui avaitencore vot contre lui en 1933, et ce futpeut-tre l le plus grand de sesexploits, qui fait honte aujourdhui auxsurvivants de lancienne gnration etreste incomprhensible aux plus jeunes.Aujourdhui, les anciens ont vite fait dedire : Comment avons-nous pu ? , etles jeunes : Comment avez-vous pu ? Mais, lpoque, il fallait un espritpntrant et profond pour voir lesracines caches de la catastrophe futuredj luvre dans les ralisations et

  • les succs, et une force de caractre tout fait exceptionnelle pour se soustraire leur effet. Les discours quHitlerprononait en aboyant et lcume auxlvres, et qui, lorsquon les entendaujourdhui, provoquent la rpulsion oule fou rire, se dtachaient lpoque surun arrire-plan de faits qui touffaitintrieurement toute objection chezlauditeur. Cest cet arrire-plan de faitsqui impressionnait et non les aboiementsou lcume.

    Voici un extrait du discours du28 avril 1938 :

    Jai vaincu le chaos en Allemagne, jairtabli lordre, considrablement augment laproduction dans tous les secteurs de notreconomie nationale Jai russi rintroduiredans des productions utiles jusquau dernier des

  • 7 millions de chmeurs dont le sort nous touchaittant, tous Jai non seulement fait lunitpolitique du peuple allemand, mais jai procd son rarmement et je me suis de plus en plusefforc de supprimer, paragraphe aprsparagraphe, le trait dont les quatre centquarante-huit articles constituent le viol le plusinfme qui ait jamais t inflig aux peuples etaux hommes. Jai rendu au Reich les provincesqui lui avaient t voles en 1919, jai ramendans leur patrie des millions dAllemandsprofondment malheureux qui nous avaient tarrachs, jai reconstitu lunit historiquemillnaire de lespace vital allemand, et je mesuis efforc de parvenir ce rsultat sans fairecouler de sang et sans infliger mon peuple ou dautres les souffrances dune guerre. Je suisparvenu ce rsultat par mes propres forces, moiqui tais encore, il y a vingt et un ans, un ouvrieret un soldat inconnu de mon peuple

    Une faon curante de se porterlui-mme aux nues. Un style ridicule

  • les 7 millions de chmeurs dont le sortnous touchait tant . Mais, bon sang !tout est vrai ou presque. Ceux quisaccrochaient aux quelques points quintaient peut-tre pas vrais malgr tout(vaincu, le chaos sans Constitution ?Rtabli, lordre avec des camps deconcentration ?) ne pouvaient manquerde se prendre parfois eux-mmes pourdes ergoteurs pusillanimes etsentencieux. Quant au reste, que pouvait-on lui opposer en avril 1939 ? De faitlconomie refleurissait, de fait leschmeurs avaient retrouv du travail ily en avait 6 millions et non 7, maissoit , le rarmement tait rel, le traitde Versailles tait effectivementredevenu lettre morte et qui let cru

  • possible en 1933 ? , la Sarre et largion de Klaipda taient effectivementredevenues parties intgrantes du Reich,de mme que lAutriche et les Sudtes,et leurs habitants sen rjouissaientvraiment leurs cris de joie taientencore dans toutes les oreilles. Il nyavait effectivement, par miracle, pas eude guerre, et personne ne pouvait nierquHitler ft un inconnu vingt ansauparavant pas un ouvrier, sans doute,mais soit. tait-il parvenu tous cesrsultats par ses propres forces ? Certes,il avait trouv des auxiliaires et descollaborateurs, mais pouvait-onsrieusement prtendre que tout se seraitfait aussi bien sans lui ? Pouvait-on parconsquent refuser Hitler sans refuser du

  • mme coup tout ce quil avait ralis, etses traits dplaisants, ses mfaits mmentaient-ils pas de simples petitesfausses notes en comparaison de toutesces ralisations ?

    La question que les vieuxadversaires dHitler, les bourgeoiscultivs et distingus, mme leschrtiens engags ou les marxistes, seposaient au milieu et la fin des annes1930, face aux indniables ralisationsdHitler, ses miracles ininterrompus,la question quils devaient tous se posertait la suivante : se pourrait-il que mespropres critres soient faux ? Que toutce que jai appris et quoi jai cru soitpeut-tre erron ? Ne suis-je pas rfutpar ce qui se passe sous mes yeux ? Si le

  • monde le monde conomique, lemonde politique, le monde moral taitvraiment tel que je lai toujours cru, unhomme comme lui devrait faire failliteen moins de rien de la faon la plusridicule, et il naurait mme jamais darriver jusque-l ! Et pourtant, en moinsde vingt ans, il est sorti du nant le plustotal pour devenir la figure centrale dumonde, et tout lui russit, mme ce quiparat impossible, tout, tout ! Nest-cepas une preuve ? Ne suis-je pas obligde rviser toutes mes ides, mmeesthtiques, mme morales ? Ne dois-jepas avouer au moins que mon attente etmes prvisions ont t dmenties et memontrer plus prudent dans mes critiqueset mes jugements ?

  • Ces doutes sont tout faitcomprhensibles, et mmesympathiques. Mais de l au premier Heil Hitler ! encore rticent, il nyavait pas loin.

    En gnral, ceux qui avaient ainsit convaincus ou moiti convaincuspar le spectacle des ralisationshitlriennes ne devinrent pas des nazispour autant ; mais ils devinrent desadeptes dHitler, ils crurent au Fhrer.Cette foi dans le Fhrer, son apoge,fut certainement le fait de plus de 90 %des Allemands.

    Quel exploit incroyable derassembler ainsi presque tout le peuplederrire soi, et cela en moins de dixans ! Non par la dmagogie, mais pour

  • lessentiel par des ralisations. Aussilongtemps quHitler navait dispos quede sa dmagogie, de sa force depersuasion hypnotique, de sa facultdenvoter et de griser les masses dans les annes 1920 , il navait guredpass les 5 % de partisans parmi lesAllemands ; ils taient 2,5 % lors deslections au Reichstag en 1928. Lemarasme conomique des annes 1930-1933 et lincurie complte de tous lesautres gouvernements et partis face cemarasme lui procurrent les 40 %suivants. Mais il conquit les derniers50 %, ceux qui furent dcisifs, aprs1933, essentiellement grce sesralisations. Aprs 1938, quiconqueformulait une critique lgard dHitler,

  • dans les milieux o cela tait encorepossible, sentendait invariablementrpondre tt ou tard, parfois aprs undemi-acquiescement ( Cette histoireavec les juifs, a ne me plat pas nonplus ) : Mais alors, ce quil aralis ! Non pas : Mais quelenthousiasme dans ses discours ! , ni : Mais comme il a fait merveille encoreau dernier congrs du parti ! , nimme : Mais quel succs ! Non : Mais alors, ce quil a ralis ! Quepouvait-on bien rpondre cela en1938, ou mme encore au printemps delanne 1939 ?

    Il y avait une autre expression toutefaite que les partisans de frache datedHitler utilisaient constamment cette

  • poque. Elle consistait dire : Si leFhrer savait cela ! , et suggrait que lacroyance dans le Fhrer et ladhsion aunational-socialisme restaient bien deuxchoses distinctes. Ce qui, dans lenational-socialisme, ne plaisait pas auxgens et ils taient encore nombreuxceux qui beaucoup de choses neplaisaient pas , ils cherchaientinstinctivement en dcharger Hitler.Dun point de vue objectif, ils avaientvidemment tort. Hitler tait autantresponsable des mesures de destructionque des mesures de construction de sonrgime il faut en un sens qualifier de ralisation dHitler la destruction deltat de droit et de ldificeconstitutionnel, sur laquelle nous

  • reviendrons , des ralisationsdestructrices qui taient aussi puissantesque ses ralisations positives dans lesdomaines conomique et militaire. Cestquelque part entre les unes et les autresque prennent place ses ralisations dansle domaine social, o les lments dedestruction et de construction se fontquilibre.

    Pendant les douze annes de sonrgne, Hitler mit en uvre de profondestransformations sociales. Mais il faut icifaire soigneusement la part des choses.

    Il y a trois grands processus detransformation sociale qui ont commenc la fin de lpoque impriale, ontcontinu sous Weimar et galement sousHitler, et se poursuivent encore en

  • Allemagne fdrale et en RDA. Ce sontpremirement la dmocratisation etlgalisation de la socit, cest--direla dissolution des castes etlassouplissement des conditions declasse ; deuximement le renversementde la morale sexuelle, cest--dire ladvaluation croissante et le refus delascse chrtienne et de la dcencebourgeoise ; et troisimementlmancipation des femmes, cest--direle nivellement progressif de ladiffrence des sexes dans le systmejuridique et dans le monde du travail.Dans ces trois domaines, la contributiondHitler, positive ou ngative, estrelativement faible ; si nous voquonsici cette question, cest uniquement

  • cause de lide fausse mais rpanduesuivant laquelle il aurait frein oubloqu ces trois volutions.

    Le cas le plus frappant est celui delmancipation des femmes, qui fut,comme on le sait, rejete en paroles parle national-socialisme, mais qui enralit progressa grands pas, surtoutpendant les six ans de la secondepriode du rgime, marque par laguerre, et ce avec le plein accord etparfois mme le soutien actif du parti etde ltat. Jamais autant de femmes nontexerc des mtiers et des fonctionsdhommes que pendant la SecondeGuerre mondiale, et il nest pluspossible de revenir sur cettetransformation pas plus que cela

  • naurait sans doute t possible si Hitleravait survcu la guerre.

    Dans le domaine de la moralesexuelle, les prises de position dunational-socialisme taientcontradictoires. On vantait la puret desmurs allemandes, mais on pourfendaitaussi la cagoterie des curs et la moraletroite de la petite bourgeoisie et on nevoyait rien objecter une sainesensualit , surtout lorsque celle-ci,dans le cadre conjugal ou non, taitpourvoyeuse dune progniture de bonnerace. Dans la ralit, le culte du corps etde la sexualit, dont lessor avaitcommenc dans les annes 1920, ne futpas ralenti au cours des annes 1930 et1940.

  • En ce qui concerne enfin lasuppression progressive des privilgesdus au rang et labolition des barriresde classe, les nationaux-socialistes entaient trs officiellement partisans,contrairement aux fascistes italiens quiavaient inscrit leur drapeau lertablissement dun tat corporatif une raison parmi dautres pour ne pasmettre le national-socialisme dHitler etle fascisme de Mussolini dans le mmesac. Ils ne changrent que levocabulaire ; ce qui stait auparavantappel la socit sans classes devenait avec eux la communautnationale . En pratique, ctait la mmechose. Il est indniable que, sous Hitler,les ascensions et les chutes, le mlange

  • des classes et leur clatement ont tplus importants encore que pendant lapriode de Weimar. Place au mrite et aux opinions mritantes ; tout ntaitpas beau voir mais incontestablement progressiste , au sens dunegalisation progressive. Cette volution favorise ici par Hitler lui-mme tait particulirement importante pour cequi est du corps des officiers presqueentirement rserv laristocratie danslarme de 100 000 hommes de Weimar.Les premiers feld-marchaux dHitler,issus de larme de Weimar, taient desgens particule ; ce ne fut pratiquementjamais le cas parmi les derniers.

    Tout cela soit dit en passant et parsouci dexhaustivit ; je rappelle quil

  • sagit l dvolutions qui avaientcommenc avant Hitler, qui se sontpoursuivies tant aprs que sous Hitler etqui nont t que peu modifies, dans unsens ou dans lautre, par lactiondHitler. Il existe, en revanche, une autregrande transformation sociale qui futluvre personnelle dHitler et qui,curieusement, devait tre neutralise enRpublique fdrale mais maintenue etpoursuivie en RDA : ce quHitler lui-mme appela la socialisation deshommes . Quavons-nous besoin desocialiser les banques et les usines ,avait-il dclar Rauschning. Il sagitdintgrer solidement les hommes unediscipline laquelle ils ne peuventchapper Nous socialisons les

  • hommes. Il faut maintenant aborder lect socialiste du national-socialismehitlrien.

    Pour qui voit, avec Marx, lacaractristique dcisive ou mme uniquedu socialisme dans la socialisation desmoyens de production, il ne sauraitvidemment tre question dun tel aspectsocialiste du national-socialisme. Hitlerna pas socialis les moyens deproduction, il ntait donc passocialiste : voil qui rgle tout pour lemarxiste. Attention ! Laffaire nest pasaussi simple. Il est intressant deremarquer que les tats socialistesactuels, sans exception aucune, ne sensont pas tenus la socialisation desmoyens de production mais au contraire

  • se sont donn en outre beaucoup de malpour socialiser les hommes , cest--dire pour organiser leur existence sousune forme collective, si possible duberceau jusqu la tombe, et pour lescontraindre un mode de vie socialiste , en les intgrantsolidement une disc