Conan Doyle Scandale Boheme Im (Full Margins)

52

description

French Version of A. Conan Doyle's short story "A Scandal in Bohemia."

Transcript of Conan Doyle Scandale Boheme Im (Full Margins)

Arthur Conan Doyle 1859-1930 UN SCANDALE EN BOHME Les aventures de Sherlock Holmes (juillet 1891)

Table des matires I.................................................................................................3II.............................................................................................22III.............................................................................................41Toutes les aventures de Sherlock Holmes..............................47 propos de cette dition lectronique..................................50

I Pour Sherlock Holmes, elle est toujours la femme. Il la juge tellement suprieure tout son sexe, quil ne lappelle presque jamais par son nom ; elle est et elle restera la femme. Aurait-il donc prouv lgard dIrne Adler un sentiment voisin de lamour ? Absolument pas ! Son esprit lucide, froid, admirablement quilibr rpugnait toute motion en gnral et celle de lamour en particulier. Je tiens Sherlock Holmes pour la machine observer et raisonner la plus parfaite qui ait exist sur la plante ; amoureux, il naurait plus t le mme. Lorsquil parlait des choses du coeur, ctait toujours pour les assaisonner dune pointe de raillerie ou dun petit rire ironique. Certes, en tant quobservateur, il les apprciait : nest-ce pas par le coeur que sclairent les mobiles et les actes des cratures humaines ? Mais en tant que logicien professionnel, il les rpudiait : dans un temprament aussi dlicat, aussi subtil que le sien, lirruption dune passion aurait introduit un lment de dsordre dont aurait pu ptir la rectitude de ses dductions. Il spargnait donc les motions fortes, et il mettait autant de soin sen tenir lcart qu viter, par exemple de fler lune de ses loupes ou de semer des grains de poussire dans un instrument de prcision. Telle tait sa nature. Et pourtant une femme limpressionna : la femme, Irne Adler, qui laissa nanmoins un souvenir douteux et discut. Ces derniers temps, je navais pas beaucoup vu Holmes. Mon mariage avait spar le cours de nos vies. Toute mon attention se trouvait absorbe par mon bonheur personnel, si complet, ainsi que par les mille petits soucis qui fondent sur lhomme qui se cre un vrai foyer. De son ct, Holmes stait isol dans notre meubl de Baker Street ; son got pour la bohme saccommodait mal de toute forme de socit ; enseveli sous de vieux livres, il alternait la cocane et lambition : il ne sortait de la torpeur de la drogue que pour se livrer la fougueuse nergie de son temprament. Il tait toujours trs attir par la criminologie, aussi occupait-il ses dons exceptionnels dpister quelque malfaiteur et lucider des nigmes que la police officielle dsesprait de dbrouiller. Divers chos de son activit mtaient parvenus par intervalles : notamment son voyage Odessa o il avait t appel pour le meurtre des Trepoff, la solution quil apporta au drame tnbreux qui se droula entre les frres Atkinson de Trincomalee, enfin la mission quil russit fort discrtement pour la famille royale de Hollande. En dehors de ces manifestations de vitalit, dont javais simplement connaissance par la presse quotidienne, jignorais presque tout de mon ancien camarade et ami. Un soir ctait le 20 mars 1888 javais visit un malade et je rentrais chez moi (car je mtais remis la mdecine civile) lorsque mon chemin me fit passer par Baker Street. Devant cette porte dont je navais pas perdu le souvenir et qui sera toujours associe dans mon esprit au prlude de mon mariage comme aux sombres circonstances de ltude en Rouge, je fus empoign par le dsir de revoir Holmes et de savoir quoi il employait ses facults extraordinaires. Ses fentres taient claires ; levant les yeux, je distingue mme sa haute silhouette mince qui par deux fois se profila derrire le rideau. Il arpentait la pice dun pas rapide, impatient ; sa tte tait incline sur sa poitrine, ses mains croises derrire son dos. Je connaissais suffisamment son humeur et ses habitudes pour deviner quil avait repris son travail. Dlivr des rves de la drogue, il avait d se lancer avec ardeur sur une nouvelle affaire. Je sonnai, et je fus conduit lappartement que javais jadis partag avec lui. Il ne me prodigua pas deffusions. Les effusions ntaient pas son fort. Mais il fut content, je crois, de me voir. A peine me dit-il un mot. Toutefois son regard bienveillant mindiqua un fauteuil ; il me tendit un tui cigares ; son doigt me dsigna une cave liqueurs et une bouteille deau gazeuse dans un coin. Puis il se tint debout devant le feu et me contempla de haut en bas, de cette manire pntrante qui nappartenait qu lui. Le mariage vous russit ! observa-t-il. Ma parole, Watson, vous avez pris sept livres et demie depuis que je vous ai vu. Sept, rpondis-je. Vraiment ? Jaurais cru un peu plus. Juste un tout petit peu plus, jimagine, Watson. Et vous avez recommenc faire de la clientle, ce que je vois. Vous ne maviez pas dit que vous aviez lintention de reprendre le collier ! Alors, comment le savez-vous ? Je le vois ; je le dduis. Comment sais-je que rcemment vous vous tes fait tremper, et que vous tes nanti dune bonne maladroite et peu soigneuse ? Mon cher Holmes, dis-je, ceci est trop fort ! Si vous aviez vcu quelques sicles plus tt, vous auriez certainement t brl vif. H bien ! oui, il est exact que jeudi jai march dans la campagne et que je suis rentr chez moi en piteux tat ; mais comme jai chang de vtement, je me demande comment vous avez pu le voir, et le dduire. Quant Mary-Jane, elle est incorrigible ! ma femme lui a donn ses huit jours ; mais l encore, je ne conois pas comment vous lavez devin. Il rit sous cape et frotta lune contre lautre ses longues mains nerveuses. Cest dune simplicit enfantine, dit-il. Mes yeux me disent que sur le ct intrieur de votre soulier gauche, juste lendroit quclaire la lumire du feu, le cuir est marque de six gratignures presque parallles ; de toute vidence, celles-ci ont t faites par quelquun qui a sans prcaution gratt autour des bords de la semelle pour en dtacher une crote de boue. Do, voyez-vous, ma double dduction que vous tes sorti par mauvais temps et que, pour nettoyer vos chaussures, vous ne disposez que dun spcimen trs mdiocre de la domesticit londonienne. En ce qui concerne la reprise de votre activit professionnelle, si un gentleman qui entre ici, introduit avec lui des relents diodoforme, arbore sur son index droit la trace noire du nitrate dargent, et porte un chapeau haut de forme pourvu dune bosse indiquant lendroit o il dissimule son stthoscope, je serais en vrit bien stupide pour ne pas lidentifier comme un membre actif du corps mdical. Je ne pus mempcher de rire devant laisance avec laquelle il mexpliquait la marche de ses dductions. Quand je vous entends me donner vos raisons, lui dis-je, les choses mapparaissent toujours si ridiculement simples quil me semble que je pourrais en faire autant ; et cependant chaque fois que vous me fournissez un nouvel exemple de votre manire de raisonner, je reste pantois jusqu ce que vous mexposiez votre mthode. Mes yeux ne sont-ils pas aussi bons que les vtres ? Mais si ! rpondit-il en allumant une cigarette et en se jetant dans un fauteuil. Seulement vous voyez, et vous nobservez pas. La distinction est claire. Tenez, vous avez frquemment vu les marches qui conduisent cet appartement, nest-ce pas ? Frquemment. Combien de fois ? Je ne sais pas : des centaines de fois. Bon. Combien y en a-t-il ? Combien de marches ? Je ne sais pas. Exactement ! Vous navez pas observ. Et cependant vous avez vu. Toute la question est l. Moi, je sais quil y a dix-sept marches, parce que, la fois, jai vu et observ. A propos, puisque vous vous intressez ces petits problmes et que vous avez t assez bon pour relater lune ou lautre de mes modestes expriences, peut-tre vous intresserez-vous ceci Il me tendit une feuille de papier lettres, paisse et rose, qui se trouvait ouverte sur la table. Je lai reue au dernier courrier, reprit-il. Lisez haute voix. La lettre ntait pas date, et elle ne portait ni signature ni adresse de lexpditeur : On vous rendra visite ce soir huit heures moins le quart. Il sagit dun gentleman qui dsire vous consulter sur une affaire de la plus haute importance. Les rcents services que vous avez rendus lune des cours dEurope ont tmoign que vous tes un homme qui on peut se fier en scurit pour des choses capitales. Les renseignements sur vous, nous sont, de diffrentes sources, venus. Soyez chez vous cette heure-l, et ne vous formalisez pas si votre visiteur est masqu. Voil qui est mystrieux au possible ! dis-je. A votre avis, quest-ce que a signifie ? Je nai encore aucune donne. Et btir une thorie avant davoir des donnes est une erreur monumentale : insensiblement on se met torturer les faits pour quils collent avec la thorie, alors que ce sont les thories qui doivent coller avec les faits. Mais de la lettre elle-mme, que dduisez-vous ? Jexamine attentivement lcriture, et le papier. Son auteur est sans doute assez fortun, remarquai-je en mefforant dimiter la mthode de mon camarade. Un tel papier cote au moins une demi-couronne le paquet : il est particulirement solide, fort. Particulirement : vous avez dit le mot. Ce nest pas un papier fabriqu en Angleterre. Regardez-le en transparence. Jobis, et je vis un grand E avec un petit g, un P, et un grand G avec un petit t, en filigrane dans le papier. Quest-ce que vous en pensez ? demanda Holmes. Le nom du fabricant, probablement ; ou plutt son monogramme. Pas du tout. Le G avec le petit t signifie Gesellschaft, qui est la traduction allemande de Compagnie . Cest labrviation courante, qui correspond notre Cie . P, bien sr, veut dire Papier . Maintenant voici Eg. Ouvrons notre Informateur continental Il sempara dun lourd volume marron. Eglow, Eglonitz Nous y sommes : Egria, situe dans une rgion de langue allemande, en Bohme, pas loin de Carlsbad. Clbre parce que Wallensten y trouva la mort, et pour ses nombreuses verreries et papeteries. Ah, ah ! mon cher, quen dites vous ? Ses yeux tincelaient ; il souffla un gros nuage de fume bleue et triomphale. Le papier a donc t fabriqu en Bohme, dis-je. En effet. Et lauteur de la lettre est un Allemand. Avez-vous remarqu la construction particulire de la phrase : Les renseignements sur vous nous sont de diffrentes sources venus. ? Ni un Franais, ni un Russe ne laurait crite ainsi. Il ny a quun Allemand pour tre aussi discourtois avec ses verbes. Il reste toutefois dcouvrir ce que me veut cet Allemand qui mcrit sur papier de Bohme et prfre porter un masque plutt que me laisser voir son visage. Dailleurs le voici qui arrive, sauf erreur, pour lever tous nos doutes. Tandis quil parlait, jentendis des sabots de chevaux, puis un grincement de roues contre la bordure du trottoir, enfin un vif coup de sonnette. Holmes sifflota. Daprs le bruit, deux chevaux ! Oui, confirma-t-il aprs avoir jet un coup doeil par la fentre un joli petit landau, conduit par une paire de merveilles qui valent cent cinquante guines la pice. Dans cette affaire, Watson, il y a de largent gagner, dfaut dautre chose ! Je crois que je ferais mieux de men aller, Holmes. Pas le moins du monde, docteur. Restez votre place. Sans mon historiographe, je suis un homme perdu. Et puis, laffaire promet ! Ce serait dommage de la manquer. Mais votre client Ne vous tracassez pas. Je puis avoir besoin de vous, et lui aussi. Le voici. Asseyez-vous dans ce fauteuil, docteur, et soyez attentif. Un homme entra. Il ne devait pas mesurer moins de deux mtres, et il tait pourvu dun torse et de membres herculens. Il tait richement vtu : dune opulence qui, en Angleterre, passait presque pour du mauvais got. De lourdes bandes dastrakan barraient les manches et les revers de son veston crois ; le manteau bleu fonc quil avait jet sur ses paules tait doubl dune soie couleur de feu et retenu au cou par une aigue-marine flamboyante. Des demi-bottes qui montaient jusquau mollet et dont le haut tait garni dune paisse fourrure brune compltaient limpression dun faste barbare. Il tenait un chapeau larges bords, et la partie suprieure de son visage tait recouverte dun masque noir qui descendait jusquaux pommettes ; il avait d lajuster devant la porte, car sa main tait encore leve lorsquil entra. Le bas du visage rvlait un homme nergique, volontaire : la lvre paisse et tombante ainsi quun long menton droit suggraient un caractre rsolu pouvant aller lextrme de lobstination. Vous avez lu ma lettre ? demanda-t-il dune voix dure, profonde, fortement timbre dun accent allemand. Je vous disais que je viendrais Il nous regardait lun aprs lautre ; videmment il ne savait pas auquel sadresser. Asseyez-vous, je vous prie, dit Holmes. Voici mon ami et confrre, le docteur Watson, qui est parfois assez complaisant pour maider. A qui ai-je lhonneur de parler ? Considrez que vous parlez au comte von Kramm, gentilhomme de Bohme. Dois-je comprendre que ce gentleman qui est votre ami est homme dhonneur et de discrtion, et que je puis lui confier des choses de la plus haute importance ? Sinon, je prfrerais mentretenir avec vous seul. Je me levai pour partir, mais Holmes me saisit par le poignet et me repoussa dans le fauteuil. Ce sera tous les deux, ou personne ! dclara-t-il. Devant ce gentleman, vous pouvez dire tout ce que vous me diriez moi seul. Le comte haussa ses larges paules. Alors je commence, dit-il, par vous demander le secret le plus absolu pendant deux annes ; pass ce dlai, laffaire naura plus dimportance. Pour linstant, je nexagre pas en affirmant quelle risque dinfluer sur le cours de lhistoire europenne. Vous avez ma parole, dit Holmes. Et la mienne. Pardonnez-moi ce masque, poursuivit notre trange visiteur. Lauguste personne qui memploie dsire que son collaborateur vous demeure inconnu, et je vous avouerai tout de suite que le titre sous lequel je me suis prsent nest pas exactement le mien. Je men doutais ! fit schement Holmes. Les circonstances sont extrmement dlicates. Il ne faut reculer devant aucune prcaution pour touffer tout germe de ce qui pourrait devenir un immense scandale et compromettre gravement lune des familles rgnantes de lEurope. Pour parler clair, laffaire concerne la grande maison dOrmstein, do sont issus les rois hrditaires de Bohme. Je le savais aussi, murmura Holmes en sinstallant dans un fauteuil et en fermant les yeux. Notre visiteur contempla avec un visible tonnement la silhouette dgingande, nonchalante de lhomme qui lui avait t sans nul doute dpeint comme le logicien le plus incisif et le policier le plus dynamique de lEurope. Holmes rouvrit les yeux avec lenteur pour dvisager non sans impatience son client : Si Votre Majest daignait condescendre exposer le cas o elle se trouve, observa-t-il, je serais plus mme de la conseiller. Lhomme bondit hors de son fauteuil pour marcher de long en large, sous leffet dune agitation quil tait incapable de contrler. Puis, avec un geste dsespr, il arracha le masque quil portait et le jeta terre. Vous avez raison, scria-t-il. Je suis le roi. Pourquoi mefforcerais-je de vous le cacher ? Pourquoi, en effet ? dit Holmes presque voix basse. Votre Majest navait pas encore prononc une parole que je savais que javais en face de moi Wilhelm Gottsreich Sigismond von Ormstein, grand-duc de Cassel-Falstein, et roi hrditaire de Bohme. Mais vous pouvez comprendre, reprit notre visiteur tranger qui stait rassis tout en passant sa main sur son front haut et blanc, vous pouvez comprendre que je ne suis pas habitu rgler ce genre daffaires par moi-mme. Et pourtant il sagit dune chose si dlicate que je ne pouvais la confier un collaborateur quelconque sans tomber sous sa coupe. Je suis venu incognito de Prague dans le but de vous consulter. Alors, je vous en prie, consultez ! dit Holmes en refermant les yeux. En bref, voici les faits : il y a environ cinq annes, au cours dune longue visite Varsovie, jai fait la connaissance dune aventurire clbre, Irne Adler. Son nom vous dit srement quelque chose. Sil vous plat, docteur, voudriez-vous regarder sa fiche ? murmura Holmes sans ouvrir les yeux. Depuis plusieurs annes, il avait adopt une mthode de classement pour collationner toutes les informations concernant les gens et les choses, si bien quil tait difficile de parler devant lui dune personne ou dun fait sans quil ne pt fournir aussitt un renseignement. Dans ce cas prcis, je trouvai la biographie dIrne Adler intercale entre celle dun rabbin juif et celle dun chef dtat-major qui avait crit une monographie sur les poissons des grandes profondeurs sous-marines. Voyons, dit Holmes. Hum ! Ne dans le New Jersey en 1858. Contralto Hum ! La Scala Hum ! Prima donna lOpra imprial de Varsovie Oui ! Abandonne la scne Ah ! Habite Londres Tout fait cela. A ce que je vois, Votre Majest sest laiss prendre aux filets de cette jeune personne, lui a crit quelques lettres compromettantes, et serait aujourdhui dsireuse quelles lui fussent restitues. Exactement. Mais comment Y a-t-il eu un mariage secret ? Non. Pas de papiers, ni de certificats lgaux ? Aucun. Dans ce cas je ne comprends plus votre Majest. Si cette jeune personne essayait de se servir de vos lettres pour vous faire chanter ou pour tout autre but, comment pourrait-elle prouver quelles sont authentiques ? Mon criture Peuh, peuh ! Des faux ! Mon papier lettres personnel Un vol ! Mon propre sceau Elle laura imit ! Ma photographie Elle la achete ! Mais nous avons t photographis ensemble ! Oh ! la la ! Voil qui est trs mauvais. Votre Majest a manqu de distinction. Elle mavait rendu fou : javais perdu la tte ! Vous vous tes srieusement compromis. A lvoque, je ntais que prince hritier. Jtais jeune. Aujourdhui je nai que trente ans. Il faut rcuprer la photographie. Nous avons essay, nous navons pas russi. Votre Majest paiera. Il faut racheter. Elle ne la vendra pas. La drober, alors. Cinq tentatives ont t effectues. Deux fois des cambrioleurs ma solde ont fouill sa maison de fond en comble. Une fois nous avons tendu une vritable embuscade. Aucun rsultat. Pas de trace de la photographie ? Pas la moindre. Holmes clata de rire : Voil un trs joli petit problme ! dit-il. Mais qui est trs grave pour moi, rpliqua le roi sur un ton de reproche. Trs grave, cest vrai. Et que se propose-t-elle de faire avec cette photographie ? Ruiner ma vie. Mais comment ? Je suis sur le point de me marier. Je lai entendu dire. Avec Clotilde Lothman de Saxe-Meningen, la seconde fille du roi de Scandinavie. Vous connaissez peut-tre la rigidit des principes de cette famille : la princesse elle-mme est la dlicatesse personnifie. Si lombre dun doute plane sur ma conduite, tout sera rompu. Et Irne Adler ? Menace de leur faire parvenir la photographie. Et elle le fera. Je suis sr quelle le fera ! Vous ne la connaissez pas : elle a une me dacier. Elle combine le visage de la plus ravissante des femmes avec le caractre du plus dtermin des hommes. Plutt que de me voir mari avec une autre, elle irait aux pires extrmits : aux pires ! tes-vous certain quelle ne la pas encore envoye ? Certain. Pourquoi ? Parce quelle a dclar quelle lenverrait le jour o les fianailles seraient publies. Or elles seront rendues publiques lundi prochain. Oh ! mais nous avons encore trois jours devant nous ! laissa tomber Holmes en touffant un billement. Heureusement, car jai pour lheure une ou deux affaires importantes rgler. Votre Majest ne quitte pas Londres ? Non. Vous me trouverez au Langham, sous le nom de comte von Kramm. Alors je vous enverrai un mot pour vous tenir au courant de la marche de laffaire. Je vous en prie. Je suis terriblement inquiet. Et, quant largent ? Je vous laisse carte blanche. Absolument ? Je donnerais lune des provinces de mon royaume en change de cette photographie. Et pour les frais immdiats ? Le roi chercha sous son manteau une lourde bourse en peau de chamois et la dposa sur la table. Elle contient trois cents livres sterling en or, et sept cents en billets, dit-il. Holmes rdigea un reu sur une feuille de son carnet, et le lui tendit. Et ladresse de la demoiselle ? demanda-t-il. Briony Lodge, Serpentine Avenue, Saint Johns Wood. Holmes la nota, avant dinterroger : Une autre question : la photographie est format album ? Oui. Bien. Bonne nuit, Majest. Jai confiance. Nous aurons bientt dexcellentes nouvelles vous communiquer Et vous aussi, bonne nuit, Watson ! ajouta-t-il, lorsque les roues du landau royal sbranlrent pour descendre la rue. Si vous avez la gentillesse de passer ici demain aprs-midi trois heures, je serai heureux de bavarder un peu avec vous.

II A trois heures prcises jtais Baker Street, mais Holmes ntait pas encore de retour. La logeuse mindiqua quil tait sorti un peu aprs huit heures du matin. Je massis au coin du feu, avec lintention de lattendre aussi longtemps quil le faudrait. Dj cette histoire me passionnait : elle ne se prsentait pas sous laspect lugubre des deux crimes que jai dj relats : toutefois sa nature mme ainsi que la situation leve de son hros lui confraient un intrt spcial. Par ailleurs, la manire quavait mon ami de matriser une situation et le spectacle de sa logique incisive, aigu, me procuraient un vif plaisir : jaimais tudier son systme de travail et suivre de prs les mthodes (subtiles autant que hardies) grce aux quelles il dsembrouillait les cheveaux les plus inextricables. Jtais si accoutum ses succs que lhypothse dun chec ne meffleurait mme pas. Il tait prs de quatre heures quand la porte souvrit pour laisser pntrer une sorte de valet dcurie qui semblait pris de boisson : rougeaud, hirsute, il talait de gros favoris, et ses vtements taient minables. Ltonnant talent de mon ami pour se dguiser mtait connu, mais je dus le regarder trois reprises avant dtre sr que ctait bien lui. Il madressa un signe de tte et disparut dans sa chambre, do il ressortit cinq minutes plus tard, habill comme son ordinaire dun respectable costume de tweed. Il plongea les mains dans ses poches, allongea les jambes devant le feu, et partit dun joyeux rire qui dura plusieurs minutes. H bien ! a alors ! scria-t-il. Il suffoquait ; il se reprit rire, et il rit de si bon coeur quil dut stendre, court de souffle, sur son canap. Que se passe-t-il ? Cest trop drle ! Je parie que vous ne devinerez jamais comment jai employ ma matine ni ce que jai fini par faire. Je ne sais pas Je suppose que vous avez surveill les habitudes et peut- tre la maison de Mlle Irne Adler. Cest vrai ! Mais la suite na pas t banale. Je vais tout vous raconter. Ce matin, jai quitt la maison un peu aprs huit heures, dguis en valet dcurie cherchant de lembauche. Car entre les hommes de chevaux il existe une merveilleuse sympathie, presque une franc-maonnerie : si vous tes lun des leurs, vous saurez en un tournemain tout ce que vous dsirez savoir. Jai trouv de bonne heure Briony Lodge. Cette villa est un bijou : situ juste sur la route avec un jardin derrire ; deux tages ; une norme serrure la porte ; un grand salon droite, bien meubl, avec de longues fentres descendant presque jusquau plancher et pourvues de ces absurdes fermetures anglaises quun enfant pourrait ouvrir. Derrire, rien de remarquable, sinon une fentre du couloir qui peut tre atteinte du toit de la remise. Jai fait le tour de la maison, je lai examine sous tous les angles, sans pouvoir noter autre chose dintressant. Jai ensuite descendu la rue en flnant et jai dcouvert, comme je my attendais, une curie dans un chemin qui longe lun des murs du jardin. Jai donn un coup de main aux valets qui bouchonnaient les chevaux : en change, jai reu une pice de monnaie, un verre de whisky, un peu de gros tabac pour bourrer deux pipes, et tous les renseignements dont javais besoin sur Mlle Adler, sans compter ceux que jai obtenus sur une demi-douzaine de gens du voisinage et dont je me moque perdument mais il fallait bien que jcoute aussi leurs biographies, nest-ce pas ? Quoi, au sujet dIrne Adler ? demandai-je Oh ! elle a fait tourner toutes les ttes des hommes de l-bas! Cest la plus exquise des cratures de cette terre : elle vit paisiblement, chante des concerts, sort en voiture chaque jour cinq heures, pour rentrer dner sept heures prcises, rarement dautres heures, sauf lorsquelle chante. Ne reoit quun visiteur masculin, mais le reoit souvent. Un beau brun, bien fait, lgant ; il ne vient jamais moins dune fois par jour, et plutt deux. Cest un M. Godfrey Norton, membre du barreau. Voyez lavantage quil y a davoir des cochers dans sa confidence ! Tous ceux-l le connaissaient pour lavoir ramen chacun une douzaine de fois de Serpentine Avenue. Quand ils eurent vid leur sac, je fis les cent pas du ct de la villa tout en laborant mon plan de campagne. Ce Godfrey Norton tait assurment un personnage dimportance dans notre affaire : un homme de loi ! Cela sannonait mal. Quelle tait la nature de ses relations avec Irne Adler, et pourquoi la visitait-il si souvent ? tait-elle sa cliente, son amie, ou sa matresse ? En tant que cliente, elle lui avait sans doute confi la photographie pour quil la garde. En tant que matresse, ctait moins vraisemblable. De la rponse cette question dpendait mon plan : continuerais-je travailler Briony Lodge ? Ou moccuperais-je plutt de lappartement que ce monsieur possdait dans le quartier des avocats ? Je crains de vous ennuyer avec ces dtails, mais il faut bien que je vous expose toutes mes petites difficults si vous voulez vous faire une ide exacte de la situation. Je vous coute attentivement. Jtais en train de peser le pour et le contre dans ma tte quand un fiacre sarrta devant Briony Lodge ; un gentleman en sortit- ctait un trs bel homme, brun, avec un nez droit, des moustaches De toute vidence, lhomme dont on mavait parl. Il semblait trs press, cria au cocher de lattendre, et sengouffra a lintrieur ds que la bonne lui eut ouvert la porte : visiblement il agissait comme chez lui Il y avait une demi-heure quil tait arriv ; javais pu lapercevoir, par les fentres du salon, marchant dans la pice grandes enjambes ; il parlait avec animation et il agitait ses bras. Elle, je ne lavais pas vue. Soudain il ressortit ; il paraissait encore plus nerveux qu son arrive. En montant dans son fiacre, il tira une montre en or de son gousset : Filez comme le vent ! cria-t-il. Dabord chez Gross et Hankey Regent Street, puis lglise Sainte-Monique dans Edgware Road. Une demi-guine pour boire si vous faites la course en vingt minutes ! Les voil partis. Je me demande ce que je dois faire, si je ne ferais pas mieux de les suivre, quand dbouche du chemin un coquet petit landau ; le cocher a son vtement demi boutonn, sa cravate sous loreille ; les attaches du harnais sortent des boucles ; le landau nest mme pas arrt quelle jaillit du vestibule pour sauter dedans. Je ne lai vue que le temps dun clair, mais je peux vous affirmer que cest une fort jolie femme, et quun homme serait capable de se faire tuer pour ce visage-l A lglise Sainte-Monique, John ! crie-t-elle. Et un demi souverain si vous y arrivez en vingt minutes ! Cest trop beau pour que je rate loccasion. Jhsite : vais je courir pour rattraper le landau et monter dedans, ou me cacher derrire. Au mme moment, voici un fiacre. Le cocher regarde deux fois le client dguenill qui lui fait signe, mais je ne lui laisse pas le temps de rflchir, je saute : A lglise Sainte-Monique ! lui dis je. Et un demi-souverain pour vous si vous y tes en moins de vingt minutes ! Il tait midi moins vingt-cinq ; naturellement, ce qui se maniganait tait clair comme le jour. Mon cocher fona. Je ne crois pas que jaie jamais t conduit aussi vite, mais les autres avaient pris de lavance. Quand jarrive, le fiacre et le landau sont arrts devant la porte, leurs chevaux fument. Moi, je paie mon homme et me prcipite dans lglise. Pas une me lintrieur, sauf mes deux poursuivis et un prtre en surplis qui semblent discuter ferme. Tous trois se tiennent debout devant lautel. Je prends par un bas-ct, et je flne comme un oisif qui visite une glise. Tout coup, ma grande surprise, mes trois personnages se tournent vers moi, et Godfrey Norton court ma rencontre. Dieu merci ! scrie-t-il. Vous ferez laffaire. Venez ! Venez! Pour quoi faire ? Venez, mon vieux ! Il ne nous reste plus que trois minutes pour que ce soit lgal. Me voil moiti entran vers lautel et, avant que je sache o jen suis, je mentends bredouiller des rponses qui me sont chuchotes loreille ; en fait, japporte ma garantie au sujet de choses dont je suis trs ignorant et je sers de tmoin pour un mariage entre Irne Adler, demoiselle, et Godfrey Norton, clibataire. La crmonie se droule en quelques instants ; aprs quoi je me fais congratuler dun ct par le conjoint, de lautre par la conjointe tandis que le prtre, en face, rayonne en me regardant. Je crois que cest la situation la plus absurde dans laquelle je me sois jamais trouv ; lorsque je me la suis rappele tout lheure, je nai pu mempcher de rire gorge dploye. Sans doute y avait-il un quelconque vice de forme dans la licence de mariage, le prtre devait absolument refuser de consacrer lunion sans un tmoin, et mon apparition a probablement pargn au fianc de courir les rues en qute dun homme valable. La fiance ma fait cadeau dun souverain, que jentends porter ma chane de montre en souvenir de cet heureux vnement. Laffaire a pris une tournure tout fait imprvue, dis je. Mais ensuite ? H bien ! Jai trouv mes plans plutt compromis. Tout donnait limpression que le couple allait senvoler immdiatement ; des mesures aussi nergiques que promptes simposaient donc. Cependant, la porte de lglise, ils partirent chacun de leur ct : lui vers son quartier, elle pour sa villa. Je sortirai cinq heures comme dhabitude pour aller dans le parc, lui dit-elle en le quittant. Je nentendis rien de plus. Ils se sparrent, et moi, je men vais prendre des dispositions personnelles. Lesquelles ? Dabord quelques tranches de boeuf froid et un verre de bire rpondit-il en sonnant. Jtais trop occup pour songer me nourrir, et ce soir, je serai encore plus occup, selon toute vraisemblance. A propos, docteur, jaurais besoin de vos services. Vous men voyez rjoui. Cela ne vous gnerait pas de violer la loi ? Pas le moins du monde. Ni de risquer dtre arrt ? Non, si la cause est bonne. Oh ! la cause est excellente ! Alors je suis votre homme. Jtais sr que je pourrais compter sur vous. Mais quest-ce que vous voulez au juste ? Quand Mme Turner aura apport le plateau, je vous expliquerai. Maintenant, ajouta-t-il en se jetant sur la simple collation que sa propritaire lui avait fait monter, je vais tre oblig de parler la bouche pleine car je ne dispose pas de beaucoup de temps. Il est prs de cinq heures. Dans deux heures nous devons nous trouver sur les lieux de laction. Mlle Irne, ou plutt Madame, revient de sa promenade sept heures. Il faut que nous soyons Briony Lodge pour la rencontrer. Et aprs, quoi ? Laissez le reste mon initiative. Jai dj prpar ce qui doit arriver. Le seul point sur lequel je dois insister, cest que vous ninterviendrez aucun moment, quoi quil se passe. Je resterai neutre ? Vous ne ferez rien, absolument rien. Il y aura probablement pour moi quelques dsagrments lgers encourir. Ne vous en mlez point. Tout se terminera par mon transport dans la villa. Quatre ou cinq minutes plus tard, la fentre du salon sera ouverte. Vous devrez vous tenir tout prs de cette fentre ouverte. Oui. Vous devrez me surveiller, car je serai visible. Oui. Et quand je lverai ma main comme ceci vous lancerez dans la pice, ce que je vous remettrai pour le lancer et, en mme temps, vous crierez au feu. Vous suivez bien ? Trs bien. Il ny a rien l de formidable, dit-il en prenant dans sa poche un long rouleau en forme de cigare. Cest une banale fuse fumigne ; chaque extrmit elle est garnie dune capsule automatiquement inflammable. Votre mission se rduit ce que je vous ai dit. Quand vous crierez au feu, des tas de gens crieront leur tour au feu. Vous pourrez alors vous promener jusquau bout de la rue o je vous rejoindrai dix minutes plus tard. Jespre que je me suis fait comprendre ? Jai ne pas intervenir, mapprocher de la fentre, guetter votre signal, lancer lintrieur cet objet, puis crier au feu, et vous attendre au coin de la rue. Exactement. Vous pouvez donc vous reposer sur moi. Parfait ! Il est presque temps que je me prpare pour le nouveau rle que je vais jouer. Il disparut dans sa chambre, et rapparut au bout de quelques minutes sous laspect dun clergyman non conformiste, aussi aimable que simplet. Son grand chapeau noir, son ample pantalon, sa cravate blanche, son sourire sympathique et tout son air de curiosit bienveillante taient dignes dun plus grand comdien. Holmes avait pas seulement chang de costume : son expression, son allure, son me mme semblaient se modifier chaque nouveau le. Le thtre a perdu un merveilleux acteur, de mme que la science a perdu un logicien de premier ordre, quand il sest spcialis dans les affaires criminelles. Nous quittmes Baker Street six heures et quart pour nous trouver sept heures moins dix dans Serpentine Avenue. La nuit tombait dj. Les lampes venaient dtre allumes quand nous passmes devant Briony Lodge. La maison ressemblait tout fait celle que mavait dcrite Holmes, mais les alentours ntaient pas aussi dserts que je me ltais imagin : ils taient pleins au contraire dune animation quon naurait pas espre dans la petite rue dun quartier tranquille. A un angle, il y avait un groupe de pauvres hres qui fumaient et riaient ; non loin, un rmouleur avec sa roue, puis deux gardes en flirt avec une nourrice ; enfin, plusieurs jeunes gens bien vtus, cigare aux lvres, flnaient sur la route. Voyez ! observa Holmes tandis que nous faisions les cent pas le long de la faade de la villa. Ce mariage simplifie plutt les choses : la photographie devient maintenant une arme double tranchant. Il y a de fortes chances pour quelle ne tienne pas plus ce que M. Godfrey Norton la voie, que notre client ne tient ce quelle tombe sous les yeux de sa princesse. Mais o la dcouvrirons-nous ? Oui. O ? Il est probable quelle ne la transporte pas avec elle, puisquil sagit dune photographie format album, trop grande par consquent pour quune dame la dissimule aisment dans ses vtements. Elle sait que le roi est capable de lui tendre une embuscade et de la faire fouiller, puisquil la dj os. Nous pouvons donc tenir pour certain quelle ne la porte pas sur elle. O, alors ? Elle a pu la mettre en scurit chez son banquier ou chez son homme de loi. Cette double possibilit existe, mais je ne crois ni lune ni lautre. Les femmes sont naturellement cachottires, et elles aiment pratiquer elles-mmes leur manie. Pourquoi laurait-elle remise quelquun ? Autant elle peut se fier bon droit sa propre vigilance, autant elle a de motifs de se mfier des influences, politiques ou autres, qui risqueraient de sexercer sur un homme daffaires. Par ailleurs, rappelez-vous quelle a dcid de sen servir sous peu : la photographie doit donc se trouver porte de sa main, chez elle. Mais elle a t cambriole deux fois ! Bah ! Les cambrioleurs sont passs ct Mais comment chercherez-vous ? Je ne chercherai pas. Alors ? Je me dbrouillerai pour quelle me la montre. Elle refusera ! Elle ne pourra pas faire autrement Mais jentends le roulement de la voiture ; cest son landau. A prsent, suivez mes instructions la lettre. Tandis quil parlait, les lanternes latrales de la voiture amorcrent le virage dans lavenue ; ctait un trs joli petit landau ! Il roula jusqu la porte de Briony Lodge ; au moment o il sarrtait, lun des flneurs du coin se prcipita pour ouvrir la portire dans lespoir de recevoir une pice de monnaie ; mais il fut cart dun coup de coude par un autre qui avait couru dans la mme intention Une violente dispute sengagea alors ; les deux gardes prirent parti pour lun des vagabonds, et le rmouleur soutint lautre de la voix et du geste. Des coups furent changs, et en un instant la dame qui avait saut bas de la voiture se trouva au centre dune mle confuse dhommes qui se battaient grands coups de poing et de gourdin. Holmes, pour protger la dame, se jeta parmi les combattants ; mais juste comme il parvenait sa hauteur, il poussa un cri et scroula sur le sol, le visage en sang. Lorsquil tomba, les gardes senfuirent dans une direction, et les vagabonds dans la direction oppose ; les gens mieux vtus, qui avaient assist la bagarre sans sy mler, se dcidrent alors porter secours la dame ainsi quau bless. Irne Adler, comme je lappelle encore, avait bondi sur les marches ; mais elle demeura sur le perron pour regarder ; son merveilleux visage profilait beaucoup de douceurs sous lclairage de lentre. Est-ce que ce pauvre homme est gravement bless ? senquit-elle. Il est mort ! crirent plusieurs voix. Non, non, il vit encore ! hurla quelquun. Mais il mourra srement avant darriver lhpital. Voil un type courageux ! dit une femme. Ils auraient pris la dame sa bourse et sa montre sil ntait pas intervenu. Ctait une bande, oui ! et une rude bande ! Ah ! il se ranime maintenant On ne peut pas le laisser dans la rue. Peut-on le transporter chez vous, madame ? Naturellement ! Portez-le dans le salon ; il y a un lit de repos confortable. Par ici, sil vous plat ! Lentement, avec une grande solennit, il fut transport lintrieur de Briony Lodge et dpos dans la pice principale : de mon poste prs de la fentre, jobservai les alles et venues. Les lampes avaient t allumes, mais les stores navaient pas t tirs, si bien que Je pouvais apercevoir Holmes tendu sur le lit. Jignore sil tait cet instant, lui, bourrel de remords, mais je sais bien que moi, pour ma part, je ne mtais jamais senti aussi honteux que quand je vis quelle splendide crature tait la femme contre laquelle nous conspirions, et quand jassistai aux soins pleins de grce et de bont quelle prodiguait au bless. Pourtant aurait t une trahison (et la plus noire) lgard de Holmes si je mtais dparti du rle quil mavait assign. Jendurcis donc mon coeur et empoignai ma fuse fumigne. Aprs tout, me dis-je, nous ne lui faisons aucun mal, et nous sommes en train de lempcher de nuire autrui. Holmes stait mis sur son sant, et je le vis sagiter comme un homme qui manque dair. Une bonne courut ouvrir la fentre. Au mme moment il leva la main : ctait le signal. Je jetai ma fuse dans la pice et criai : Au feu ! Le mot avait peine jailli de ma gorge que toute la foule des badauds qui stationnaient devant la maison, reprit mon cri en choeur : Au feu ! Des nuages dune fume paisse moutonnaient dans le salon avant de schapper par la fentre ouverte. Japerus des silhouettes qui couraient dans tous les sens ; puis jentendis la voix de Holmes affirmer que ctait une fausse alerte. Alors je me glissai parmi la foule et je marchai jusquau coin de la rue. Au bout dune dizaine de minutes, jeus la joie de sentir le bras de mon ami sous le mien et de quitter ce mauvais thtre. Il marchait rapidement et en silence ; ce fut seulement lorsque nous empruntmes lune des paisibles petites rues qui descendent vers Edgware Road quil se dcida parler. Vous avez trs bien travaill, docteur ! me dit-il. Rien naurait mieux march. Vous avez la photographie ? Je sais o elle est. Et comment lavez-vous appris ? Elle me la montre, comme je vous lavais annonc. Je ny comprends goutte, Holmes. Je nai pas lintention de jouer avec vous au mystrieux, rpondit-il en riant. Laffaire fut tout fait simple. Vous, bien sr, vous avez devin que tous les gens de la rue taient mes complices : je les avais lous pour la soire. Je lavais devin peu prs. Quand se dclencha la bagarre, javais de la peinture rouge humide dans la paume de ma main. Je me suis prcipit, je suis tomb, jai appliqu ma main contre mon visage, et je suis devenu le piteux spectacle que vous avez eu sous les yeux. Cest une vieille farce. a aussi, je lavais souponn ! Ils mont donc transport chez elle ; comment aurait-elle pu refuser de me laisser entrer ? Que pouvait-elle objecter ? Jai t conduit dans son salon, qui tait la pice, selon moi, suspecte. Ctait ou le salon ou sa chambre, et jtais rsolu men assurer. Alors jai t couch sur un lit, jai rclam un peu dair, on a d ouvrir la fentre, et vous avez eu votre chance. Comment cela vous a-t-il aid ? Ctait trs important ! Quand une femme croit que le feu est sa maison, son instinct lui commande de courir vers lobjet auquel elle attache la plus grande valeur pour le sauver des flammes. Il sagit l dune impulsion tout fait incontrlable, et je men suis servi plus dune fois : tenez, dans laffaire du Chteau d Arnsworth, et aussi dans le scandale de la substitution de Darlington. Une mre se prcipite vers son enfant ; une demoiselle vers son coffret bijoux. Quant notre dame daujourdhui, jtais bien certain quelle ne possdait chez elle rien de plus prcieux que ce dont nous tions en qute. Lalerte fut admirablement donne. La fume et les cris auraient bris des nerfs dacier ! Elle a magnifiquement ragi. La photographie se trouve dans un renfoncement du mur derrire un panneau glissires juste au-dessus de la sonnette. Elle y fut en un instant et je pus apercevoir lobjet au moment o elle lavait demi sorti. Quand je criai que ctait une fausse alerte, elle le replaa, ses yeux tombrent sur la fuse, elle courut au dehors, et je ne la revis plus. Je me mis debout, et aprs force excuses, sortis de la maison. Jai bien song memparer tout de suite de la photographie, mais le cocher est entr ; il me surveillait de prs : je crus plus sage de ne pas me risquer : un peu trop de prcipitation aurait tout compromis ! Et maintenant ? demandai-je. Pratiquement notre enqute est termine. Jirai demain lui rendre visite avec le roi et vous-mme, si vous daignez nous accompagner. On nous conduira dans le salon pour attendre la matresse de maison ; mais il est probable que quand elle viendra elle ne trouvera plus ni nous ni la photographie. Sa Majest sera sans doute satisfaite de la rcuprer de ses propres mains. Et quand lui rendrons-nous visite ? A huit heures du matin. Elle ne sera pas encore leve, ni apprte, si bien que nous aurons le champ libre. Par ailleurs il nous faut tre rapides, car ce mariage peut modifier radicalement ses habitudes et son genre de vie. Je vais tlgraphier au roi. Nous tions dans Baker Street, arrts devant la porte. Holmes cherchait sa cl dans ses poches lorsquun passant lui lana : Bonne nuit, monsieur Sherlock Holmes ! Il y avait plusieurs personnes sur le trottoir ; ce salut semble venir nanmoins dun jeune homme svelte qui avait pass trs vite. Je connais cette voix, dit Holmes en regardant la rue faiblement claire. Mais je me demande qui diable elle appartient ! III Je dormis Baker Street cette nuit-l ; nous tions en train de prendre notre caf et nos toasts quand le roi de Bohme pntra dans le bureau. Cest vrai ? Vous lavez eue ? cria-t-il en empoignant Holmes par les deux paules et en le dvisageant intensment. Pas encore. Mais vous avez bon espoir ? Jai espoir. Alors, allons-y. Je ne tiens plus en place. Il nous faut un fiacre. Non ; mon landau attend en bas. Cela simplifie les choses. Nous descendmes et, une fois de plus, nous reprmes la route de Briony Lodge. Irne Adler est marie, annona Holmes. Marie ? Depuis quand ? Depuis hier. Mais qui ? A un homme de loi qui sappelle Norton. Elle ne laime pas. Jen suis sr ! Jespre quelle laime. Pourquoi lesprez-vous ? Parce que cela viterait Votre Majest de redouter tout ennui pour lavenir. Si cette dame aime son mari, cest quelle naime pas Votre Majest. Si elle naime pas Votre Majest, il ny a aucune raison pour quelle se mette en travers des plans de Votre Majest. Vous avez raison. Et cependant Ah ! je regrette quelle nait pas t de mon rang ! Quelle reine elle aurait fait ! Il tomba dans une rverie maussade qui dura jusqu Serpentine Avenue. La porte de Briony Lodge tait ouverte, et une femme ge se tenait sur les marches. Elle nous regarda descendre du landau avec un oeil sardonique. Monsieur Sherlock Holmes, je pense ? interrogea-t-elle. Je suis effectivement M. Holmes, rpondit mon camarade en la considrant avec un tonnement qui ntait pas jou. Ma matresse ma dit que vous viendriez probablement ce matin. Elle est partie, avec son mari, au train de cinq heures quinze Charing Cross, pour le continent. Quoi ! scria Sherlock Holmes en reculant. Voulez-vous dire quelle a quitt lAngleterre ? Son visage tait dcompos, blanc de dception et de surprise. Elle ne reviendra jamais ! Et les papiers ? gronda le roi. Tout est perdu ! Nous allons voir Il bouscula la servante et se rua dans le salon ; le roi et moi nous nous prcipitmes sa suite. Les meubles taient disperss droite et gauche, les tagres vides, les tiroirs ouverts : il tait visible que la dame avait fait ses malles en toute hte avant de senfuir. Holmes courut vers la sonnette, fit glisser un petit panneau, plongea sa main dans le creux mis dcouvert, retira une photographie et une lettre. La photographie tait celle dIrne Adler elle-mme en robe du soir. La lettre portait la suscription suivante : A Sherlock Holmes, qui passera prendre. Mon ami dchira lenveloppe ; tous les trois nous nous penchmes sur la lettre ; elle tait date de la veille minuit, et elle tait rdige en ces termes : Mon cher Monsieur Sherlock Holmes Vous avez rellement bien jou ! Vous mavez compltement surprise. Je navais rien souponn, mme aprs lalerte au feu. Ce nest quensuite, lorsque jai rflchi que je mtais trahie moi-mme, que jai commenc minquiter. Jtais prvenue contre lui depuis plusieurs mois. On mavait informe que si le roi utilisait un policier, ce serait certainement vous quil ferait appel. Et on mavait donn votre adresse. Pourtant, avec votre astuce, vous mavez amene vous rvler ce que vous dsiriez savoir. Lorsque des soupons me sont venus, jai t prise de remords : penser du mal dun clergyman aussi g, aussi respectable, aussi galant ! Mais, vous le savez, jai t entrane, moi aussi, jouer la comdie ; et le costume masculin mest familier : jai mme souvent profit de la libert dallure quil autorise. Aussi ai-je demand John, le cocher, de vous surveiller ; et moi, je suis monte dans ma garde-robe, jai enfil mon vtement de sortie, comme je lappelle, et je suis descendue au moment prcis o vous vous glissiez dehors. H bien ! je vous ai suivi jusqu votre porte, et jai ainsi acquis la certitude que ma personne intressait vivement le clbre M. Sherlock Holmes. Alors, avec quelque imprudence, je vous ai souhait une bonne nuit, et jai couru confrer avec mon mari. Nous sommes tombs daccord sur ceci : la fuite tait notre seule ressource pour nous dfaire dun adversaire aussi formidable. Cest pourquoi vous trouverez le nid vide lorsque vous viendrez demain Quant la photographie, que votre client cesse de sen inquiter ! Jaime et je suis aime. Jai rencontr un homme meilleur que lui. Le roi pourra agir comme bon lui semblera sans avoir rien redouter dune femme quil a cruellement offense. Je ne la garde par-devers moi que pour ma sauvegarde personnelle, pour conserver une arme qui me protgera toujours contre les ennuis quil pourrait chercher me causer dans lavenir. Je laisse ici une photographie quil lui plaira peut-tre demporter. Et je demeure, cher Monsieur Sherlock Holmes, trs sincrement vtre ! Irne Norton, ne Adler. Quelle femme ! Oh ! quelle femme ! scria le roi de Bohme quand nous emes achev la lecture de cette ptre. Ne vous avais-je pas dit quelle tait aussi prompte que rsolue ? Naurait-elle pas t une reine admirable ? Quel malheur quelle ne soit pas de mon rang ! Daprs ce que jai vu de la dame, elle ne semble pas en vrit du mme niveau que Votre Majest ! rpondit froidement Holmes. Je regrette de navoir pas t capable de mener cette affaire une meilleure conclusion. Au contraire, cher monsieur ! cria le roi. Ce dnouement menchante : je sais quelle tient toujours ses promesses ! La photographie est prsent aussi en scurit que si elle avait t jete au feu. Je suis heureux dentendre Votre Majest parler ainsi. Jai contract une dette immense envers vous ! Je vous en prie ; dites-moi de quelle manire je puis vous rcompenser. Cette bague Il fit glisser de son doigt une meraude et la posa sur la paume ouverte de sa main. Votre Majest possde quelque chose que jvalue plus cher, dit Holmes. Dites-moi quoi : cest vous. Cette photographie ! Le roi le contempla avec ahurissement. La photographie dIrne ? Bien sr, si vous y tenez ! Je remercie Votre Majest. Maintenant, laffaire est termine Jai lhonneur de souhaiter Votre Majest une bonne matine. Il sinclina et se dtourna sans remarquer la main que lui tendait le roi. Bras dessus, bras dessous, nous regagnmes Baker Street. Et voici pourquoi un grand scandale menaait le royaume de Bohme, et comment les plans de M. Sherlock Holmes furent djous par une femme. Il avait lhabitude dironiser sur la rouerie fminine ; depuis ce jour il vite de le faire. Et quand il parle dIrne Adler, ou quand il fait allusion sa photographie, cest toujours sous le titre trs honorable de la femme. Toutes les aventures de Sherlock Holmes Liste des quatre romans et cinquante-six nouvelles qui constituent les aventures de Sherlock Holmes, publies par Sir Arthur Conan Doyle entre 1887 et 1927. Romans * Une tude en Rouge (novembre 1887) * Le Signe des Quatre (fvrier 1890) * Le Chien des Baskerville (aot 1901 mai 1902) * La Valle de la Peur (sept 1914 mai 1915)

Les Aventures de Sherlock Holmes * Un Scandale en Bohme (juillet 1891) * La Ligue des Rouquins (aot 1891) * Une Affaire dIdentit (septembre 1891) * Le Mystre de Val Boscombe (octobre 1891) * Les Cinq Ppins dOrange (novembre 1891) * LHomme la Lvre Tordue (dcembre 1891) * LEscarboucle Bleue (janvier 1892) * Le Ruban Mouchet (fvrier 1892) * Le Pouce de lIngnieur (mars 1892) * Un Aristocrate Clibataire (avril 1892) * Le Diadme de Beryls (mai 1892) * Les Htres Rouges (juin 1892)

Les Mmoires de Sherlock Holmes * Flamme dArgent (dcembre 1892) * La Boite en Carton (janvier 1893) * La Figure Jaune (fvrier 1893) * LEmploy de lAgent de Change (mars 1893) * Le Gloria-Scott (avril 1893) * Le Rituel des Musgrave (mai 1893) * Les Propritaires de Reigate (juin 1893) * Le Tordu (juillet 1893) * Le Pensionnaire en Traitement (aot 1893) * LInterprte Grec (septembre 1893) * Le Trait Naval (octobre / novembre 1893) * Le Dernier Problme (dcembre 1893)

Le Retour de Sherlock Holmes * La Maison Vide (26 septembre 1903) * LEntrepreneur de Norwood (31 octobre 1903) * Les Hommes Dansants (dcembre 1903) * La Cycliste Solitaire (26 dcembre 1903) * Lcole du prieur (30 janvier 1904) * Peter le Noir (27 fvrier 1904) * Charles Auguste Milverton (26 mars 1904) * Les Six Napolons (30 avril 1904) * Les Trois tudiants (juin 1904) * Le Pince-Nez en Or (juillet 1904) * Un Trois-Quarts a t perdu (aot 1904) * Le Manoir de LAbbaye (septembre 1904) * La Deuxime Tche (dcembre 1904)

Son Dernier Coup dArchet * Laventure de Wisteria Lodge (15 aot 1908) * Les Plans du Bruce-Partington (dcembre 1908) * Le Pied du Diable (dcembre 1910) * Le Cercle Rouge (mars/avril 1911) * La Disparition de Lady Frances Carfax (dcembre 1911) * Le dtective agonisant (22 novembre 1913) * Son Dernier Coup dArchet (septembre 1917)

Les Archives de Sherlock Holmes * La Pierre de Mazarin (octobre 1921) * Le Problme du Pont de Thor (fvrier et mars 1922) * LHomme qui Grimpait (mars 1923) * Le Vampire du Sussex (janvier 1924) * Les Trois Garrideb (25 octobre 1924) * LIllustre Client (8 novembre 1924) * Les Trois Pignons (18 septembre 1926) * Le Soldat Blanchi (16 octobre 1926) * La Crinire du Lion (27 novembre 1926) * Le Marchand de Couleurs Retir des Affaires (18 dcembre. 1926) * La Pensionnaire Voile (22 janvier 1927) * LAventure de Shoscombe Old Place (5 mars 1927)

Propos De Cette dition lectroniqueTexte libre de droits. Corrections, dition, conversion informatique et publication par : Coolmicro du groupe Ebooks libres et gratuits http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits Adresse du site web du groupe : http://www.coolmicro.org/livres.php 17 septembre 2003

- Source : http://www.sherlock-holmes.org/ http://www.bakerstreet221b.de/main.htm pour les images - Sites WEB consulter sur Sherlock Holmes : http://www.sshf.com/ Le site de rfrence de la Socit Sherlock Holmes de France http://www.sherlock-holmes.org/http://conan.doyle.free.fr/ - Dispositions : Les livres que nous mettons votre disposition, sont des textes libres de droits, que vous pouvez utiliser librement, une fin non commerciale et non professionnelle. Si vous dsirez les faire paratre sur votre site, ils ne doivent pas tre altrs en aucune sorte. Tout lien vers notre site est bienvenu - Qualit : Les textes sont livrs tels quels sans garantie de leur intgrit parfaite par rapport loriginal. Nous rappelons que cest un travail damateurs non rtribus et nous essayons de promouvoir la culture littraire avec de maigres moyens. Votre aide est la bienvenue ! VOUS POUVEZ NOUS AIDER CONTRIBUER FAIRE CONNATRE CES CLASSIQUES LITTRAIRES.