Bruno Rizzi, El Colectivismo Burocrático

33
Bruno Rizzi: Le collectivisme bureaucratique Bruno Rizzi I. Le collectivisme bureaucratique Première partie de La Bureaucratisation du Monde, 1939. II. Préface Dans cette première partie, nous faisons l’analyse marxiste de la Société soviétique, avec quelques allusions aux régimes fasciste et nazi qui sont en voie de rapide bureaucratisation et qui ont déjà acquis un caractère anti-capitaliste, bien que le Capital n’y soit pas encore radicalement supprimé comme dans l’U.R.S.S. Les derniers événements politiques éveilleront les esprits même les plus obtus : les dictateurs noirs, bruns et rouges sont en train de reconnaître, peut-être même officiellement, que le caractère social de leur pays est identique. Le monde est à la veille d’un tournant historique formidable. Nous croyons que Staline se souviendra d’avoir été révolutionnaire avant d’être dictateur et comprendra les terribles responsabilités qui le lient au prolétariat international. Nous ne jugerons que par les faits et conseillons aux travailleurs de faire de même. L’Europe et le monde doivent être fascisés ou socialisés. Il n’y a plus possibilité de vie pour le capitalisme. L’U.R.S.S. est devenue le pivot de la politique mondiale et sera le bastion de la révolution prolétarienne ou le guet-apens du prolétariat mondial. Si elle veut la Révolution, elle transportera le centre révolutionnaire au milieu des masses travailleuses anglo-franco-américaines ; si elle ne le fait pas, elle aidera à la fascisation de l’Europe et du Monde. La bourgeoisie est une force sociale morte, et, politiquement, elle n’a plus de possibilité d’offensive : elle résiste, mais elle cède jour après jour ! Mandchourie, Chine, Abyssinie, Autriche, Sudètes, Bohême, Espagne, Albanie … et à suivre… représentent déjà une synthèse politique. En réalité les forces en jeu dans la Société actuelle, qui est une, ne s’appellent pas : France, Angleterre, Allemagne, Italie, U.R.S.S., Japon, etc., mais s’appellent : Capitalisme, Collectivisme bureaucratique et Socialisme. Ces mots ne sont pas des mots creux, ou des abstractions sociales, ou des fictions politico-administratives : ils ont leurs bases sociales. Le Capitalisme s’appuie sur la classe de ceux à qui appartiennent les moyens de production du monde entier. Ceux-ci sont liés ensemble par des relations d’affaires, d’intérêt et par une solidarité politique qui s’est manifestée aussitôt après la Grande Guerre par l’étranglement collectif de la Révolution et a été confirmée par les événements de Munich. Cette Internationale a toujours fonctionné ; elle est, maintenant, en train de créer un bloc capitaliste qui s’oppose à l’envahissement du Collectivisme bureaucratique. Dans ce bloc on cherche à asservir le plus possible les forces prolétariennes pour maintenir les vieux privilèges. Le Collectivisme bureaucratique, lui aussi, a sa base sociale dans les classes dominantes qui ont établi leur siège dans l’Etat, en Russie, en Italie, en Allemagne, au Japon et dans les Etats plus petits, faibles au point de vue capitaliste et placés sous le rayon d’action des grands Etats totalitaires. Cette nouvelle forme sociale est dégénérée, mais quand même active, et s’impose toujours plus à un Capitalisme mort en tant que système propulseur et en état de désagrégation physique. Ce bloc a formé, lui aussi, son Internationale, dans l’anti-Komintern, où bientôt l’U.R.S.S. y apparaîtra, pour engloutir par des menaces ou par des actes l’empire du vieux Monde capitaliste. Le Socialisme a sa base sociale dans les masses travailleuses du monde entier. Il est la vraie force vive de la nouvelle Société qui doit se substituer au Capitalisme, mais il est encore trompé par ses chefs ignorants ou traîtres qui ne lui donnent pas de politique à lui

description

Rizzi, La burocratización del mundo, primera parte

Transcript of Bruno Rizzi, El Colectivismo Burocrático

Bruno Rizzi

Bruno Rizzi: Le collectivisme bureaucratiqueBruno Rizzi: Le collectivisme bureaucratiqueBruno RizziI. Le collectivisme bureaucratiquePremire partie de La Bureaucratisation du Monde, 1939.II. PrfaceDans cette premire partie, nous faisons lanalyse marxiste de la Socit sovitique, avec quelques allusions aux rgimes fasciste et nazi qui sont en voie de rapide bureaucratisation et qui ont dj acquis un caractre anti-capitaliste, bien que le Capital ny soit pas encore radicalement supprim comme dans lU.R.S.S.Les derniers vnements politiques veilleront les esprits mme les plus obtus : les dictateurs noirs, bruns et rouges sont en train de reconnatre, peut-tre mme officiellement, que le caractre social de leur pays est identique.Le monde est la veille dun tournant historique formidable.Nous croyons que Staline se souviendra davoir t rvolutionnaire avant dtre dictateur et comprendra les terribles responsabilits qui le lient au proltariat international. Nous ne jugerons que par les faits et conseillons aux travailleurs de faire de mme.LEurope et le monde doivent tre fasciss ou socialiss. Il ny a plus possibilit de vie pour le capitalisme. LU.R.S.S. est devenue le pivot de la politique mondiale et sera le bastion de la rvolution proltarienne ou le guet-apens du proltariat mondial.Si elle veut la Rvolution, elle transportera le centre rvolutionnaire au milieu des masses travailleuses anglo-franco-amricaines ; si elle ne le fait pas, elle aidera la fascisation de lEurope et du Monde.La bourgeoisie est une force sociale morte, et, politiquement, elle na plus de possibilit doffensive : elle rsiste, mais elle cde jour aprs jour ! Mandchourie, Chine, Abyssinie, Autriche, Sudtes, Bohme, Espagne, Albanie et suivre reprsentent dj une synthse politique. En ralit les forces en jeu dans la Socit actuelle, qui est une, ne sappellent pas : France, Angleterre, Allemagne, Italie, U.R.S.S., Japon, etc., mais sappellent : Capitalisme, Collectivisme bureaucratique et Socialisme. Ces mots ne sont pas des mots creux, ou des abstractions sociales, ou des fictions politico-administratives : ils ont leurs bases sociales.Le Capitalisme sappuie sur la classe de ceux qui appartiennent les moyens de production du monde entier. Ceux-ci sont lis ensemble par des relations daffaires, dintrt et par une solidarit politique qui sest manifeste aussitt aprs la Grande Guerre par ltranglement collectif de la Rvolution et a t confirme par les vnements de Munich. Cette Internationale a toujours fonctionn ; elle est, maintenant, en train de crer un bloc capitaliste qui soppose lenvahissement du Collectivisme bureaucratique. Dans ce bloc on cherche asservir le plus possible les forces proltariennes pour maintenir les vieux privilges.Le Collectivisme bureaucratique, lui aussi, a sa base sociale dans les classes dominantes qui ont tabli leur sige dans lEtat, en Russie, en Italie, en Allemagne, au Japon et dans les Etats plus petits, faibles au point de vue capitaliste et placs sous le rayon daction des grands Etats totalitaires.Cette nouvelle forme sociale est dgnre, mais quand mme active, et simpose toujours plus un Capitalisme mort en tant que systme propulseur et en tat de dsagrgation physique. Ce bloc a form, lui aussi, son Internationale, dans lanti-Komintern, o bientt lU.R.S.S. y apparatra, pour engloutir par des menaces ou par des actes lempire du vieux Monde capitaliste.Le Socialisme a sa base sociale dans les masses travailleuses du monde entier. Il est la vraie force vive de la nouvelle Socit qui doit se substituer au Capitalisme, mais il est encore tromp par ses chefs ignorants ou tratres qui ne lui donnent pas de politique lui et lont plac derrire les dos patriotiques des bourgeois ou des fascistes.Le Socialisme chante LInternationale mais ne sapplique pas dans les faits comme ses deux concurrents ; en ralit, il reprsente la viande de boucherie dans la lutte entre ceux-ci. Il est lobjet de leur exploitation : le boeuf, bon et paisible, qui trane le char et va mme labattoir. La leon de 1914-1918 ne lui a pas suffi. A ce moment-l, les divers imprialismes croyaient rsoudre la crise capitaliste par une victoire qui donnait lhgmonie quelques-uns dentre eux, mais, vingt ans plus tard, Munich, ils ont sign leur dfaite en confirmant linanit du carnage pass, conduit sous ltendard de la Paix, de la vraie Civilisation, du Progrs, de la guerre pour tuer la guerre, de la lutte contre les barbares, etc., etc.Les forces sociales en jeu sont au nombre de trois, trois sont les mouvements politiques, trois les classes qui leurs reprsentent et justement cette classe, qui a les plus grands droits sociaux et historiques, est asservie en partie par un monde qui meurt, et en partie par un nouveau monde monstrueux qui nat, et nat tellement mal, quil fait ressusciter lesclavage aprs deux mille ans dhistoire.Ce nest pas dune Paix indivisible quil sagit, mais dune Lutte indivisible. Ce nest pas sur les bases des Nations que les proltaires doivent reconnatre leurs amis et leurs ennemis.Comme Marx la dit, cest dans les classes, cest dans la dialectique et la lutte de classe que le Socialisme doit puiser sa politique, mme dans cette priode du Capitalisme pourrissant. Travailleurs, pensez-y.Prochainement, nous publierons la deuxime partie de La Bureaucratisation du Monde qui traitera de lEtat totalitaire et du Fascisme en particulier (analyse du capitalisme pourrrissant0.Bruno Rizzi: Le collectivisme bureaucratique

Bruno Rizzi: Le collectivisme bureaucratiqueLes guerres sont toujours faites pour les classes dominantes. La seule guerre des travailleurs, cest la Rvolution.21Les travailleurs doivent lutter contre le Capitalisme et contre le Fascisme, se dgager de leur treinte ; doivent avoir une politique eux : indpendante. En nous flattant de lavoir trouve, nous ne demandons que dtre rfuts, corrigs ou bien aids par tous les camarades, par tous les travailleurs, par tous les hommes qui veulent vivre dans lhonneur, la libert et dsirent pargner au monde linsulte dun nouvel esclavage.Lauteur.Paris, le 15 juillet 1939.III. Nature de lEtat sovitiqueCtait en 1917, et vers la fin doctobre (calendrier russe) se passait un vnement politique dune grande porte, dont la date se gravait en caractre ineffaable sur le livre de lhistoire. Le proltariat de Saint-Ptersbourg et de Moscou, guid par le parti bolchevique, semparait du pouvoir. Deux chefs se sont levs comme gants dans ce grand vnement historique : Lnine, lincomparable matre du mouvement rvolutionnaire, et Trotski, lme et le gnie de linsurrection proltaire.Le monde en fureur arrta, pendant un instant, son oeuvre sauvage de destruction et il promena son regard incrdule et tonn sur les plaines infinies de Russie. Sur les neiges se dtachait un drapeau rouge, orn dune faucille et dun marteau. Mais, cet instant de perplexit fini, les hommes se plantrent nouveau les yeux en face, comme pour dire : On verra bien, aprs , et ils recommencrent leur lutte danantissement.En attendant, un souffle desprance passait sur les masses appauvries et dcimes. Au milieu de tout cet obscurantisme, de toute cette fureur, une lumire avait jaille, trs haut ; cela avait bien une signification pour tous ces pauvres hres : Cest dOrient quarrive la lumire ; voil le nouveau Verbe. Pour la seconde fois dans lhistoire, les masses des abrutis, des indiffrents, ont lev la tte de leur besogne et ont scrut lhorizon, en flairant le vent comme des animaux de proie sortant de leur tanire. Il leur sembla que ctait du bon vent et que le moment favorable tait arriv. Cent quarante ans auparavant, ces masses avaient t rveilles par la canonnade de Valmy et mme les montagnards, arms de piques et de haches, avaient descendu leurs valles recules. Mais arrivs au dbouch des valles, ils ont vu monter, au loin, dans la plaine, de petits nuages blancs ; puis une pluie de feu sabattit sur leurs rangs : ctait les canons du Tiers-Etats qui les accueillaient. Les bons montagnards staient tromps, ils firent demi-tour et regagnrent leur valle do ils taient partis avec un espoir sculaire soudainement verdi. Les montagnards ont agi en hommes sages, ils ont compris que leur temps ntait pas encore arriv et ils se sont tapis nouveau dans leurs montagnes, pour une nouvelle et longue attente.Cette fois les montagnards ne se sont plus arrts l o les valles dbouchent dans la plaine ; ils nont plus rencontr le feu de barrage de lartillerie bourgeoise, mais ils se sont rpandus en matres par les champs des seigneurs. LEtat des ouvriers et des paysans tait proclam ; des tours du Kremlin, le signal de la rvolution se rpandait par vagues et les gardes rouges bivouaquaient dans les cours du palais dIvan le Terrible.Le peuple, des couches les plus misrables, rveill de son assoupissement sculaire, quitta ses masures, tala ses haillons dans les rues principales des grandes villes et y apporta la psychose propre de la veille dune rvolution.Peu sen est fallu que cette mare montante, durant trois ou quatre ans, ne brist les digues puissantes du capitalisme ; puis les eaux reflurent en gargouillant. De temps autre, leau avait, pour ainsi dire, des sursauts ; ctaient des vagues, provenant de loin comme celles que produit le passage dun paquebot, des vagues ne provenant pas des remous profonds de la mer. Alors, ou bien la force potentielle de cette mare montante rvolutionnaire a t mal employe, ou bien cette force na pas t mise en oeuvre. En effet, les techniciens de la rvolution, l o ils ont su transformer cette force potentielle en nergie, lont ensuite retrouve, cette force, sec, isole, impuissante, car le niveau des eaux avait baiss tout autour. Lopportunisme des partis proltariens dOccident isola la rvolution russe, comme une oasis dans le dsert, de sorte quil ne fut plus question de socialisme, cest--dire dconomie proltarienne internationale. Cependant il ne faut mme pas parler de capitalisme pour ce qui est de la nature de lEtat dit sovitique. Et alors, de quoi sagit-il ? Voil la question.La Rvolution russe date de plus de vingt ans et il est bien trange que personne ne soit appliqu ltude des rsultats sociaux de ce grand vnement historique. LU.R.S.S. fournit des sujets discussions, des commentaires, des chroniques ; ses partisans et ses adversaires en parlent uniquement sous le point de vue politique, mais ils ont toujours nglig le point de vue social. Pourtant, aprs vingt ans, nous ne croyons pas quon puisse encore considrer la rvolution russe dans une priode de transition et de transformation. Elle doit bien avoir obtenu des rsultats positifs, acquis dsormais, fixs dans une cristallisation sociale.Daucuns ont vu, dans la rvolution russe, LEmpire du travail forc , ou bien : La Rvolution trahie ! , dautres lont qualifie de : Triomphe du Fascisme et dautres de : Pays du grand mensonge . Lun pousse des soupirs en pleurant le : Destin dune Rvolution ; il y en a aussi dautres qui ont fait : Le Bilan du Communisme . Des crivains de toute gradation politique, depuis les communistes aux fascistes, en passant par les partis du centre, ont crit des oeuvres dun vrai mrite, soit pour les argumentations, soit pour la documentation. Des hommes dtude se sont intresss au sujet et ils se sont rendus sur la place faire leurs observations directes. Des ouvriers franais, allemands, amricains ont accouru, enthousiastes, au pays o lon devait raliser leurs espoirs sociaux. Ils en sont revenus le coeur gonfl de tristesse, lme empoisonne et ils nous ont laiss des documentations objectives, pratiques, fort intressantes sur la vie, le travail et la libert au pays des Soviets.Toute cette norme masse de publications ne traite pas du tout de la cristallisation sociale de lU.R.S.S., moins encore elle nous offre une synthse. Sans doute et l pointent des allusions nayant pas un vritable intrt direct ; cest plutt un fruit naturel, dont la polmique en fut loccasion, que le rsultat systmatique dune recherche sociologique. Trotski, lui-mme, que nous considrons le plus profond connaisseur des conditions actuelles et de lvolution de lEtat sovitique, avoue davoir employ neuf paragraphes dans la tentative faite pour donner une dfinition de cet Etat. Ce qui nous manque jusqu prsent, cest une vue densemble panoramique, une synthse, une reprsentation cristallise de ce quest lU.R.S.S. du point de vue social.Nous-mmes, il y a deux ans, dans notre modeste ouvrage O va lU.R.S.S.? , navons russi donner aucune rponse. Le point dinterrogation tait l prcisment pour demander ce que nous-mmes demandions ; mais si nous navons pas russi donner une rponse, nous avons, du moins, pos la question. En 1938, notre esprit a cess de se tourmenter, car nous tions fixs. Ce qui arrivait dans le champ social des autres pays confirmait ce que nous avions fini par considrer comme acquis dans le domaine social de lEtat sovitique.Etant donn que le monde est dsormais rduit une seule forme de civilisation, la capitaliste, il sensuit que la transformation sociale dun Etat quelconque prsente un extrme intrt pour le reste de notre plante, puisque cest dans une transformation htive et localise que le monde peut voir limage rflchie de sa propre forme sociale future.On en a dit de toutes couleurs sur lU.R.S.S. La presse gages et les orateurs la pice ont artificieusement obscurci le problme au lieu de le rendre plus clair. On a dit les plus grandes balourdises et, aussi, on a fait preuve de la plus grande lchet.Le phnomne social, en ralit, tait mme difficile comprendre, surtout par tous ces journalistes visitant la Russie et qui savent bien peu ou rien du tout de Marx, de Lnine et de leurs thories. Le phnomne social en formation eut dabord, par surcrot, une direction communiste ; puis larrt de la rvolution proltarienne dans le monde produisit une dgnration, laquelle en ces dernires annes a fix ses formes dans lordre social. Aujourdhui, la construction sociale de lEtat sovitique a pris des lignes nettes, presque compltes. Du moins, nous les reconnaissons, ces lignes, comme telles, mme si les spcialistes du problme insistent sur une thse diffrente. Ces spcialistes, rduits un petit nombre, on les doit rechercher dans les groupes des rvolutionnaires qui ont abandonn la Troisime Internationale, la retenant dsormais passe dfinitivement, et depuis longtemps, dans un champ tout fait opportuniste. Ces spcialistes sont aussi arrivs la question de la nature de lEtat sovitique seulement en consquence de diatribes intrieures leurs fractions politiques, sur la tactique et la stratgie de la rvolution proltarienne. Ils ne se doutaient mme pas quil y aurait la possibilit dune cristallisation sociale, place entre le capitalisme et le socialisme ; mais dans le feu de leurs polmiques le problme de cette cristallisation sest pos catgoriquement et il maintient ces divergences doctrinales qui sont la base de limpuissance politique de ces spcialistes.Quest-ce que aujourdhui lU.R.S.S. ? Dabord nous serons tout exprs imprcis dans le diagnostic de cette socit, cest ensuite que nous passerons aux prcisions. Avant tout nous voulons fixer seulement ce qui a t unanimement admis. Certes, il ne sagit pas dun Etat dmocratique, mais bien dun Etat autoritaire. Son conomie nest pas capitaliste ; elle nest pas fonde sur la proprit prive, mais elle est fonde sur la proprit collective des moyens de production. De Citrine Trotski et de Roosevelt Mussolini, on a admis, dune manire gnrique, que lconomie sovitique nest pas socialiste. Le seul Staline est dun avis diffrent, et pour cause ; par consquent nous nen ferons pas grand cas. Les crivains, par dizaines, lui ont fait ravaler son socialisme et sa Constitution la plus dmocratique du monde . Lui, Staline, ne bronche pas et naturellement il interdit ces publications dans le pays de la vie heureuse et le plus dmocratique du monde . cest, sans doute, une autre caractristique documente par Trotski, Citrine, Victor Serge, Ciliga et par une foule dcrivains des plus diffrentes nationalits et thories politiques, que celle-ci : en aucun pays capitaliste ou fasciste, le proltariat ne se trouve dans de tristes conditions pareilles celles du proltariat de la Russie des Soviets. Il ny existe pas de libert de parole, de runion et de presse. La dlation est trs frquente et lEtat est surtout policier. Tous ces crivains sont daccord en ceci : lexploitation de lhomme existe encore dans le pays de la vie heureuse , cette exploitation devient concrte dans cette fameuse plus-value, que Messieurs les capitalistes soutiraient aux travailleurs. (Les divergences paraissent seulement quand il sagit dindividualiser les accapareurs.) Un autre ct caractristique, et qui ne doit pas tre nglig, cest que les manifestations de lEtat ne sont que de la rclame grandiose, thtrale, comme dans les Etats totalitaires occidentaux, de mme que la vnration, vraie ou feinte, pour le Chef lev presque la divinit, y est gale et, peut-tre, plus grande. La hirarchie y jouit dun grand crdit et le servilisme est pouss jusqu la dernire limite. La population vit dans une ambiance de peur comme si les murs pouvaient couter et parler ; elle a un visage pour le public autre que celui quelle a en son particulier.Ces donnes admises en gnral, et compltes de nos diffrenciations, la physionomie politique et sociale de lEtat sovitique en ressortit bien dfinie et cest cette physionomie que nous nous proposons dexpliquer au lecteur.Le but principal de la rvolution dOctobre, ctait de servir de levier la rvolution dOccident. Cependant, en mme temps, on a pris des dispositions pour une politique conomique socialiste. Fondamentalement on abolit la proprit prive du sol et des grandes entreprises industrielles. La direction conomique de cette proprit passa des mains de la classe bourgeoise battue, celle du proltariat triomphant.Une transformation sociale dans lU.R.S.S. devait partir des conditions conomiques qui ntaient certainement pas des plus gaies ; en effet, le pays tait foncirement constitu de laboureurs et dillettrs, son industrie tait de beaucoup infrieure aux ncessits dune conomie davant-garde.Si les Bolcheviks, ds quils se sont empars du pouvoir, se sont tout de suite servis de la radio pour solliciter les divers proltariats suivre leur exemple, cest quils comprenaient que la ncessit simposait de greffer sur la Rvolution russe les nations dOccident dveloppes du point de vue de la technique et ayant une classe proltarienne vaste et cultive. Dans le cas contraire, cette Rvolution tait fatalement destine la dbcle sur le terrain conomico-social mme si avec les armes elle russissait rsister, dune manire hroque, aux assauts du vieux monde.Le proltariat allemand se prsentait comme un alli naturel de la rvolution bolchevique. Sa bourgeoisie, sortant de la guerre dfaite et brise, lui offrait le pouvoir presque sans coup frir. Sauf les meutes spartakistes, le sacrifice de Charles Liebkneckt et de Rosa Luxemburg, le proltariat allemand passa, sans honneur, de dfaite en dfaite. En 1923, on lui a offert, une fois encore, le pouvoir, mais ce proltariat dserta le camp, et sans lutter il abandonna ce camp mme aux bandes hitlriennes. Est-ce la faute aux chefs ? A la Troisime Internationale ? Non, cest la faute tous en bloc, proltariat allemand y compris, trop froid, attach lordre et dun naturel bien peu rvolutionnaire. Cinquante ans auparavant, les ouvriers de Paris avaient proclam la Commune, aprs la dbcle de la bourgeoisie franaise de 1870, et cent mille dentre eux, qui staient battus seulement avec un mince espoir et dans une ambiance conomique prmature, se laissrent abattre stoquement sur les remparts de Paris. Messieurs les marxistes, qui soccupent seulement de lconomie et font uniquement de la politique par des statistiques, peuvent bien se mettre en colre, mais nous affirmons que lesprit peu rvolutionnaire du proltariat allemand y est pour beaucoup dans cette dfaite de la classe ouvrire europenne et mondiale. De mme lesprit nettement rvolutionnaire du proltariat russe y est pour beaucoup dans la victoire dOctobre. Le peuple allemand na jamais fait une rvolution ; dans son dveloppement politique il a toujours suivi les autres nations, mais en retard dun sicle au moins. La France, au contraire, a toujours donn tout son sang pour tout le monde.Ce sont bien les conditions de lconomie, les vritables sine qua non auxquelles la possibilit dune transformation sociale est attache. Mais une fois que ces conditions existent et quelles ont mri, le succs de la Rvolution nest quune question desprit rvolutionnaire, par rapport ceux qui doivent se battre, et de capacit rvolutionnaire par rapport aux chefs. Que Messieurs les marxistes expliquent, sils en sont capables, la dfaite du proltariat europen daprs le matrialisme historique, tel que celui-ci est entendu par les orthodoxes ! Est-ce que lconomie allemande ntait pas ultra-mre pour le passage ?Pour en finir et pour ne pas rpter ce qui a t dit de mille manires, nous affirmons qu la suite de la dfaite de la rvolution proltarienne allemande et europenne, la dictature du proltariat russe se trouvait isole dans un monde capitaliste et hostile. Le reflux de la vague rvolutionnaire tait gnral, de cette vague qui, immdiatement aprs la guerre, avait effray la bourgeoisie. Il sensuivit que pour tout observateur de bon sens les perspectives rvolutionnaires taient renvoyes aux calendes grecques. En attendant, le capitalisme reprenait haleine et augmentait la production jusqu 1929 et cela surtout tait d aux travaux de rparation dans les zones ravages par la guerre, et la reconstitution des stocks.La Rvolution russe tait lalternative : ou bien vivoter dans lattente de la rvolution proltarienne de lOccident dEurope, ou bien saccorder avec le monde extrieur et changer par consquent de politique intrieure. Cest la seconde solution quon a choisie ; Staline en fut dabord linspirateur et puis il en fut lexcuteur impitoyable. Ce changement radical de politique, il fallait naturellement le cacher, du moins dans un aspect extrieur, soit au proltariat russe, soit au proltariat de toutes les nations. Ce ne fut pas une affaire trs difficile, puisque depuis prs de cent ans les travailleurs sont systmatiquement dups par les rouges de tous les partis, et de toutes les nuances, qui ont paru sur la scne politique. Le proltariat russe et le proltariat dautres nations ont essuy aussi cette norme mystification et ils nont donn que trop peu de signes de colre contre leurs chefs, de vritables tratres. On dirait que ces proltariats en ont pris lhabitude et, de plus, quils se sont endurcis la mystification.Lnine mort, il fallait bien un successeur ; ctait Trotski, la figure la plus digne autant du point de vue moral quintellectuel. Sa droiture rvolutionnaire et son gnie auraient certainement dfendu trs bien le premier et le seul Etat proltarien du monde. Mais Trotski fut mis au rancart, il fut ostracis et boycott dune manire unanime par les pigones de la rvolution. Ceux qui connaissent un peu les partis socialistes et communistes ne stonnent pas du tout dun phnomne de ce genre-l.Trotski slevait comme un gant dans lentourage de Lnine, alors on savisa bien de le neutraliser, de sorte que lon mettait de ct un gros obstacle, qui aurait gn la campagne nationale et internationale de bourrage des crnes. La ralit est encore celle-ci : la vraie dictature, ce fut celle du parti bolchevique et non pas celle du proltariat, une dictature que lon concentra dans les cellules et non dans les soviets. Il arriva ainsi que le parti bolchevique, le seul qui navait pas trahi les travailleurs avant la rvolution, les trahit ds quil eut remport la victoire, cest--dire quand il croyait quil ny aurait plus de dangers.Les thoriciens de la dictature sur le proltariat, qui concevaient, pour ainsi dire, le parti bolchevique comme un guide dans un rgime dmocratique de soviets, en effet, ils lont conu comme le monopoliseur de la direction sociale proltarienne. Ces thoriciens ont prt le flanc une dgnration bureaucratique quun concours de circonstances avait beaucoup facilite.Les hommes jouissant de la confiance du proltariat lont dpossd, ainsi que lont dpossd ceux qui avaient conduit ce proltariat lassaut et la victoire et, surtout, lont dpossd ceux qui forment la grande masse de parvenus.Un parti politique ne peut pas prtendre sriger en dictateur, avec un programme social norme, demandant la participation et le contrle de tous les travailleurs. La seule garantie ctait la classe proltarienne, avec tout le pouvoir aux Soviets. Divers crivains ont racont, dune manire large, tout ce qui est arriv depuis la mort de Lnine, mais ce qui intresse dans notre ouvrage, cest de fixer les rsultats atteints. Les fonctionnaires de lEtat et du parti bolchevique, en socialisant la terre et en industrialisant le pays, ont de plus en plus sap le pouvoir des travailleurs et ils ont fini par avoir le monopole de lEtat. Dans cette oeuvre, ils ont d se lier avec les techniciens, dont ils ne pouvaient pas se passer ; ainsi on ralisait en Russie la premire grande soudure dans le procs de formation de la nouvelle classe dirigeante. La campagne stakhanoviste en est une expression et, en mme temps, elle est aussi une nouvelle mthode pour aiguillonner la masse des travailleurs afin den obtenir un plus grand rendement. Dautres soudures suivirent avec les flagorneurs du Rgime, avec lachat des hauts postes dans larme et dans la bureaucratie para-tatique.Nous en sommes ainsi un point o la direction conomique et politique est monopolise par la bureaucratie et la nouvelle Constitution a sanctionn cela. Dans cette bureaucratie il ny a quune rpartition de travail, lequel, dans son ensemble, a pour but le maintien de la prdominance politique et des privilges conomiques. Les bureaucrates, avec leurs familles, forment peu prs une masse de 15 millions dhabitants. Il y en a assez pour former une classe, et puisque Trotski nous assure que les 40 % de la production sont happs par la bureaucratie, nous pouvons dire que cette classe est aussi privilgie !Elle est toute-puissante, cette classe, car elle a en main les leviers conomiques, que sauvegarde un Etat policier dress tout exprs. Elle fixe, comme bon lui semble, les salaires et les prix de vente au public avec des majorations sur les prix de revient telles que les sangsues bourgeoises dautrefois nous apparaissent comme dhonntes commerants . Les quelques donnes que nous avons nous permettent daffirmer que les majorations sur les prix de revient des produits de premire ncessit sont deux ou trois fois suprieures aux majorations dont on use dans les honnis pays capitalistes.Citrine nous en donne une documentation incontestable. Il arrive parfois que les bureaucrates achtent du bl aux paysans, un vil prix, et puis ils le revendent aux ouvriers un prix major de dix fois. Le plan conomique est naturellement une affaire qui ressort de la bureaucratie et les placements suivent logiquement les voies les plus profitables aux intrts de la nouvelle classe. La propre presse sovitique documente les conditions misrables des maisons o habitent les ouvriers, qui on rserve, en moyenne, cinq mtres carrs dhabitation. Eh bien ! au lieu de btir de nouvelles maisons ouvrires, dont on a une grande ncessit, et seulement de celles-ci, on pense, par exemple, la construction de la Maison des Soviets , haute de 360 mtres, puisque en ralit ce nest pas l la Maison des Soviets, mais celle de la bureaucratie. Si lon demande de justifier cette mauvaise administration de largent public, le bureaucrate rpond toujours que les ouvriers nont avanc aucune objection, comme sil tait paisiblement permis aux travailleurs de lU.R.S.S. de donner leur avis et surtout de sopposer aux dsirs de leurs matres. Parmi les bureaucrates (fonctionnaires, techniciens, policiers, officiers, journalistes, crivains, gros bonnets des syndicats, enfin tout le parti communiste en bloc) une solidarit sest tablie, de sorte que les fautes sont mises au compte des travailleurs, lis comme des esclaves la machine conomique de lEtat, une machine que les bureaucrates, par comble de drision, qualifient dorgane de la classe proltarienne.Si les fonctionnaires administrent, les techniciens reprsentent aussi ce quon appelle les hommes de confiance. La police est charge de sauvegarder la nouvelle proprit et de maintenir la conduite des citoyens sur la ligne politique que les hauts hirarques ont fixe. Des journalistes et des crivains sont chargs de tromper scientifiquement le gros public. Les mandarins syndicaux sont devenus de vritables fonctionnaires, placs au beau milieu des travailleurs pour en sonder les humeurs et pour les duper, ainsi quon la fait, et quon le fait toujours, dans toutes les organisations ouvrires, jaunes ou rouges, de tous les pays capitalistes. Entre la bureaucratie syndicale sovitique et celle amricaine, anglaise ou franaise, il ny a pas beaucoup de diffrences, quant au but atteindre. Il y a, au contraire, une diffrence substantielle, car, tandis que la bureaucratie syndicale des pays capitalistes est au service de la bourgeoisie, dans lEtat sovitique cette bureaucratie est au service dun Etat bureaucratique et, partant, elle est au service delle-m6me.Le parti communiste russe est devenu la proie des bureaucrates et dans son sein les travailleurs ne sont presque plus prsents. Ce parti nest autre chose que le chien tenant en ordre les moutons ; Staline, qui vient aprs, en est le grand berger , son bton sur lpaule et sa besace en bandoulire. Si quelque mouton sort des rangs, le chien aboie et Staline lche un coup de bton. Le troupeau en prend acte, redoute toujours plus le chien et adresse au grand berger ses blements plaintifs.Le proltariat na que le droit de travailler dans ces entreprises, dont la proprit lui est encore accorde, dune manire drisoire ; mais il na pas la moindre fonction dirigeante. Il peut seulement suer sang et eau, car il est aiguillonn par des systmes, nayant rien de socialiste, mais qui sont par surcrot pires que les systmes en vogue dans les pays capitalistes, jamais assez honnis.Cette esquisse nest pas une invention nous, mais elle nest que la conclusion tire des relations de ces spcialistes de la question, avec qui nous discuterons plus loin. On voit bien, daprs cette esquisse, que le socialisme ny est pour rien dans cette socit. Tout le monde est daccord sur ce point hors, bien entendu, Staline et la bureaucratie sovitique.Voici le grand argument de Tritski et Cie et de toute la gradation des sectes rvolutionnaires anti-Troisime Internationale : la proprit des moyens de production en rsulte socialise, et lconomie en est planifie.Selon Trotski, malgr tout le reste, lEtat sovitique demeure ouvrier et la dictature du proltariat est encore en vigueur ! Nous traiterons plus loin cette question, maintenant nous voulons seulement dduire, laide du bon sens, la nature de lEtat sovitique, puis nous passerons lexamen des dispositions que lon qualifie de scientifiques .A notre sens une autre classe dirigeante, la bureaucratie, est sortie de la rvolution dOctobre et de son recul, tandis que la bourgeoisie est expdie et, par consquent, na aucune possibilit de retour.La possession de lEtat donne la bureaucratie la possession de tous les biens meubles et immeubles qui, tout en tant socialiss, nappartiennent pas moins in toto la nouvelle classe dirigeante. Cela va sans dire que la nouvelle classe se garde bien de dclarer officiellement quelle jouit de cette possession, mais, en effet, elle a, en ses mains, tous les leviers conomiques et elle fait garder sa proprit par la Gupou et par les baonnettes de larme purifie . Toute entreprise a son corps de Gupou qui monte la garde, mais, dans de grandes entreprises, il y a mme un soldat de larme rgulire qui monte la garde, baonnette au canon. Il contrle ceux qui entrent, examine les documents et il suit pas pas le visiteur, mme sil sagit dun personnage, tel le trade-unioniste Walter Citrine, et envers qui on devrait avoir des attentions.LEtat sovitique, plutt que de se socialiser, se bureaucratise ; voire, au lieu de disparatre lentement dans une socit sans classes, il se gonfle dmesurment. Quinze millions dindividus se sont dj colls au tronc de lEtat et ils en sucent la sve. On exploite, en bloc, la classe proltarienne conformment la transformation de la proprit. La classe bureaucratique exploite la proltarienne et lui fixe le standard, auquel cette classe doit conformer sa manire de vivre, par les salaires et par les prix de vente des marchandises des magasins de lEtat. La nouvelle classe dominante a achet, en bloc, le proltariat. Il ne reste mme plus aux travailleurs la libert doffrir leur force-travail aux divers entrepreneurs : cest la bureaucratie la monopolisatrice, cest elle qui a perfectionn le systme dexploitation. Les proltaires russes sont tombs de fivre en haut mal.Cette forme nouvelle de la socit rsout, dun point de vue social, linsoutenable antagonisme qui rendait la socit capitaliste incapable de tout progrs. Dans la socit capitaliste, la forme de production est collective depuis longtemps, car tout le monde prend part, dune manire directe ou indirecte, la production de nimporte quelle marchandise. Mais la proprit des marchandises est individuelle, cela en consquence prcisment du maintien de la proprit. En socialisant la proprit et en la mettant effectivement sous la direction dune classe, agissant comme un complexe harmonique, on fait disparatre lantagonisme existant dans le systme de production de la socit capitaliste, remplac par un nouveau systme. A ses dbuts ce systme exploite les travailleurs dune manire froce, tout comme le capitalisme avait fait auparavant. A mesure que le systme se renforce et quil se perfectionne, la production augmente et alors il se peut que la classe dirigeante ait la possibilit de distribuer une ration plus abondante ses exploits. Dans une ambiance internationale, et normale, le dveloppement de la production sur des bases collectivistes, mme en laissant la direction la bureaucratie, devrait tre certain, puisque on liminerait ou, du moins, on rduirait de beaucoup les normes dpenses pour les armements quaujourdhui on fait partout. Les armements vont toujours bon train et on ne fait que transformer les Etats en organismes foncirement militaires. Cet norme gaspillage de travail peut bien neutraliser, et la rendre ngative, limpulsion que la production reoit incontestablement la suite de la collectivisation de la proprit et de lorganisation conomique daprs un plan prtabli.Ce nouveau systme social se prsente dans le dveloppement de lhistoire de lhumanit, comme un phnomne parasitaire. Le pouvoir aurait d logiquement passer de la bourgeoisie au proltariat, mais cela nest pas arriv cause, videmment, de limmaturit politique du proltariat. En effet on passe une direction sociale qui nest ni bourgeoise ni proltarienne. Le personnage du bourgeois capitaliste est devenu superflu, dans le phnomne de la grande production, et il est automatiquement cart. Lancien fonctionnaire, le rond-de-cuir de la bourgeoisie, prend un aspect juridique en salliant la bureaucratie syndicale et celle de lEtat totalitaire : une nouvelle classe monte lhorizon. Le prochain avenir seulement pourra nous dire si cette nouvelle classe, pointant partout dans le monde, est mme daplanir dabord toutes les divergences qua laisses limprialisme et, ensuite, daugmenter le volume de la production en employant la nouvelle organisation conomique et politique. On verra aussi si cette classe est mme damliorer les conditions de vie des masses ; cest l quelle donnera la preuve de sa virtuosit .Les symptmes politiques concordent avec la naissante bureaucratisation du monde. Munich nest quune premire coagulation de la conscience bureaucratique. Les capitalistes et les reprsentants des nouveaux rgimes, aprs stre rciproquement pousss jusquau bord de labme, se sont soudainement mis daccord ; certes ils ont t peronns par le pressentiment du prochain devenir social. Les vieux imprialismes, le franais, langlais et lamricain, se rendent compte quil est inutile et impossible de maintenir leur hgmonie dans un monde qui, sil veut survivre, ne peut plus tre imprialiste et qui se transforme, dune manire bureaucratique, vue doeil.Les vieilles dmocraties jouent le rle dune politique antifasciste, pour ne pas rveiller le chat qui dort. Les proltaires, il faut les tenir tranquilles et, en attendant, la transformation sociale survient en cachette dans leurs pays. En mme temps, et tout moment, les vieilles dmocraties donnent de lantifascisme manger aux classes ouvrires. Cest bien leur affaire, ces dmocraties, que lEspagne soit devenue, en attendant, une vritable boucherie des proltaires de toutes nations ; cela afin dapaiser les ardeurs rvolutionnaires des travailleurs et de dbiter les produits de leur industrie lourde. En Chine, les proltaires sont pousss vers une politique antijaponaise et cela arrive prcisment sous la direction du fameux Tchang Ka-Chek, celui qui a encore les mains souilles du sang de la fine fleur des proltaires chinois. Cela va sans dire que les travailleurs gobent tout, cette fois aussi, et ils vont la queue leu leu, sans rien savoir, presque rsigns. Peu peu les travailleurs de France, dAngleterre et dAmrique perdront leur qualit de citoyens, ils ne seront devenus que les sujets dun rgime bureaucratique, qui nationalisera la proprit et prendra beaucoup dautres mesures lempreinte socialiste . Ce rgime ne se nommerait pas fascisme ni national-socialisme, il aurait certainement un autre nom, mais les bases en seraient toujours les mmes, cest--dire : la proprit collectivise aux mains de lEtat, ayant une bureaucratie comme classe dirigeante ; lorganisation collective et planifie de la production, enfin lexploitation du travailleur passerait du domaine de lindividu celui de la classe.A ce point le marxiste Trotski criera tue-tte que, non seulement les conditions de distribution, mais celles aussi de production ne sont pas socialistes, lencontre de ce quil nous rvle au sujet de la Russie ; ensuite il passera plus loin faire de la propagande rvolutionnaire contre la bureaucratie de tout le monde !Laffermissement de cette bureaucratie reprsente, selon ses conceptions, une possibilit historique et non un fait accompli . Donc nous devons attendre que le fait soit accompli pour donner Trotski la manire den dduire son analyse ! Ensuite il faudra sadresser au proltariat, se trouvant dj sous la tutelle des gouvernements bureaucratiques, alors imaginez-vous le rsultat !Ce sera bien scientifique et marxiste cent pour cent que lexamen de Trotski, mais cet examen viendra tard quand il ny aura plus aucune possibilit ! Il pourra mme convaincre les dirigeants bureaucratiques qui, pour toute rponse, lui montreront le mot fasciste : je men fLe fait accompli existe en Russie et il faut lapprofondir. Ce fait est en train de saccomplir, et il est aussi visible en Italie quen Allemagne. Les premiers indices de ce fait pointent partout, mme dans les pays des grandes dmocraties.Il restait encore une carte jouer Trotski, lui prcisment, mais nous sommes persuads quil na aucune envie de la jeter. Sa grande figure dcline lentement dans un ciel gris, et en mme temps le souvenir dune journe ensoleille plit, effac par le crpuscule qui monte. Joffre, avant de se suicider, lui avait crit une lettre et il lui avait recommand de ne pas craindre lisolement, condition de maintenir intacte la ligne lniniste. Il nous semble que Trotski a suivi ce conseil au pied de la lettre, il ne la certainement pas suivi la manire de Lnine. Au moment de la scission du parti social-dmocratique russe, quand on jeta Plekhanov par la fentre, Lnine pria plusieurs fois Trotski de rester avec lui. Il ny russit pas ; mais quand, en 1917, Lon Trotski retourna Saint-Ptersburg et quil reconnut stre tromp, alors Lnine laccueillit dans les rangs bolcheviques, car il avait compris quune faute politique nest pas une trahison. Trotski, au contraire, a coup toute communication avec ceux qui nont pas sa manire de penser lui. Il a dress son cole des jeunes gens qui suivent la ligne daprs ses propres systmes. Le Danton de la rvolution dOctobre ne se doute pas du tout quil pourrait se tromper. Il est trop sr de lui-mme. Voil qui est bien jusqu un certain point ; mais cest l un vritable malheur quand le raisonnement est fond sur des moyens polmiques douteux. Cela signifie quon na pas assez de confiance dans ses forces. Cela devrait aussi inciter prendre en considration les raisons dautrui et reconnatre ses fautes sans crainte, car toute autre solution amnera des rsultats bien pires.A notre sens, lU.R.S.S. reprsente un nouveau type de socit, dirige par une classe sociale nouvelle : voil notre conclusion. La proprit, collectivise, appartient effectivement cette classe qui a install un nouveau - et suprieur - systme de production. Lexploitation passe du domaine de lindividu celui de la classe.Autant de luttes politiques, se droulant en U.R.S.S. depuis 1923, autant de batailles que la nouvelle classe en formation a livres au proltariat ; quimporte si leur dbut ces luttes nont pas eu un but bien dtermin. Le massacre de la Vieille Garde lniniste, et de tous ceux qui pouvaient donner de lombrage la bureaucratie, qui fait les dlices de lUnion Sovitique depuis la mort de Kirov, nest que la guerre civile ncessaire la nouvelle classe pour affermir son pouvoir. Il ne sagit pas dun signe de faiblesse, mais bien dune dmonstration de force de cette classe.Depuis longtemps lU.R.S.S. a abandonn toute vellit rvolutionnaire et est tombe aux pieds de la bourgeoisie franco-anglaise. Les capitalistes sont bien persuads quen Russie il nexiste aujourdhui quune apparence de la rvolution et du socialisme lintention des nigauds, voil pourquoi ont-ils invit, et accept, lUnion Sovitique mme dans leur sanctuaire de Genve. Chez eux, ces capitalistes ne font que protester contre les menes rvolutionnaires du Komintern, mais ils le font seulement pour mieux duper les proltaires. Ce qui a de limportance, ce sont les faits nous disant que dsormais, et depuis pas mal dannes, lU.R.S.S. a t accroche au train bourgeois des capitalismes. En effet, Paris, Londres et New York ont manifestement reconnu un Etat exploiteur et oppresseur des travailleurs dans la soi-disant Rpublique Sovitique.Malgr cette relle situation politique et sociale du pays de Staline, Lon Trotski et ses disciples prtendent que lU.R.S.S. reprsente encore un Etat ouvrier avec un rgime de dictature proltarienne. Eux, et ceux qui suivent ses courants dides ne souscrivant pas la politique de la Troisime Internationale, sont les seuls sintressant, dans leurs discussions, la nature de lEtat sovitique, nimporte sils le font dune manire indirecte. Nous polmiquerons prcisment avec Trotski et ses disciples, car cest ce point que nous avons fix, dune manire dfinitive, notre jugement sur la nature sociale actuelle de la Rublique Sovitique.IV. Dans le camp dAgramantParmi les rescaps et les exils de la Troisime Internationale, il est une discorde aussi grande que celle qui tait au camp dAgramant. Trotski ne rpond mme plus ses contradicteurs dextrme-gauche, car, dit-il, ils remplacent lanalyse scientifique par des glapissements perants . Scissions, expulsions, fins de non recevoir , ordre de maintenir les discussions sur la ligne prtablie, tout cela ne sert pas, cependant, touffer la question. Celle-ci parat peine, mais elle parat tout le temps, mme si le cercle des membres se resserre et agit la manire dune hache qui sabat priodiquement sur le tronc de la Quatrime Internationale, avant quil se soit renforc.Trotski rpond aux camarades B. et C. - non mieux identifis - par un article au titre : Un Etat ni ouvrier, ni bourgeois ? Voil la rponse, oiseuse pour un marxiste suivant la lettre la pense du Matre : LEtat bourgeois doit tre balay par la rvolution proltarienne et remplac par lEtat ouvrier. Il ny a pas de milieu pour lhistoire. Il est vrai que Marx la toujours dit, de mme quil a dit dautres choses qui, depuis, ne se sont pas ralises. Nous ne voulons pas lui en faire grief, au contraire nous croyons que son plus grand mrite, cest davoir enseign tudier les faits sociaux et davoir fourni lhomme dtude, un moyen formidable pour linterprtation de lhistoire. Il nous semble que les marxistes devraient examiner les faits contingents sous le jour de la mthode marxiste, et quils ne devraient pas se rduire au contrle pour tablir si ces faits ont, chacun, leur correspondant dans une des cases du catalogue des prvisions du grand penseur ou de ses plus grands disciples. Le systme est invtr, et les marxistes, en faisant de la sorte, se transforment en jsuites qui, quand ils sont sec darguments, vous inondent de citations de lun ou lautre saint, afin de contrecarrer votre opinion. Si lon ose rpondre que mme ces bats pouvaient se tromper, le jsuite semporte et il vous dit tout court que vous doutez des divinations des saints, alors il est parfaitement inutile de prolonger la discussion. Vous ntes pas catholique, vous tes au nombre des damns, de mme que votre esprit est damn, tant priv de la grce !Marx a t sanctifi en quelque sorte, et sil vous arrive par votre raisonnement daboutir des conclusions diffrentes que les prvisions du juif de Trves, votre place est parmi les damns, mme si, dans vos tudes sur les faits sociaux daujourdhui, vous vous tes servi de la mthode marxiste de recherche.Les camarades B. et C. affirment que lU.R.S.S. a cess dtre un Etat ouvrier dans le sens traditionnel (?) donn ce terme par le marxisme . Ils nient quil reprsente soit un Etat bourgeois, soit un Etat proltarien, et nous nous demandons, en passant, de quelle sorte dEtat sagit-il, en effet. Puis ces camarades admettent que la domination proltarienne peut trouver son expression dans un certain nombre de formes gouvernementales distinctes pour proclamer ensuite que le concept de dictature du proltariat nest pas, en premier lieu, une catgorie conomique, mais surtout une catgorie politique. Toutes les formes, organes, institutions de la domination de classe du proltariat sont maintenant dtruites, ce qui veut dire que la domination de classe du proltariat est dtruite .Aussi y a-t-il beaucoup de confusion dans les ides de B. et C., une confusion propre cet tat desprit o les ides sont en train de se former.Trotski fait place nette en dclarant que si la dictature du proltariat est absolument une catgorie politique, la politique nest que de lconomie concentre et alors le rgime qui sauvegarde la proprit exproprie et nationalise contre limprialisme est, indpendamment de ses formes politiques, la dictature du proltariat . Cest cela, ajoutons-nous, sauf que la bureaucratie ne reprsente pas une trouvant convenable la proprit exproprie et nationalise.Est-ce la nature dun Etat peut tre toujours juge sans tenir compte de ses formes politiques ? Est-ce les formes de la proprit et les rapports de la production sont dj tout fait changs, lorsquun Etat saffermit en mettant en droute un autre ? Ce nest pas l, au contraire, la tche de la nouvelle classe dominante ? Est-ce que le gouvernement du Tiers-Etat en France ne sappuya pas pendant quelques annes sur une conomie fodale ? Pendant ces priodes, lconomie concentre ne peut pas videmment reprsenter la politique, mais celle-ci est potentiellement concentre dans la classe sociale, ayant en main les leviers de commande, et dans son programme qui est en train de se raliser.Trotski mme admet que pendant les premiers mois du rgime sovitique, le proltariat dominait sur une conomie bourgeoise . Cette admission nest certainement pas faite pour appuyer notre thse, mais dans le but dillustrer un cas dopposition de classe entre la forme politique et la ralit conomique, afin den tirer que la concentration du pouvoir dans les mains de la bureaucratie et mme larrt du dveloppement des forces productives en eux-mmes ne changent pas la nature de classe de la socit et de son Etat . Il sagit de voir dans quel but, en Russie sovitique, la proprit exproprie et nationalise est sauvegarde de limprialisme, suppos que cet imprialisme soit encore une force efficiente : voil, notre avis, le point principal. Qui nous assure quun envahisseur, quel quil soit, imprialiste ou non, transformerait la forme de la proprit en U.R.S.S.?Sil est vrai que, les premiers mois du rgime sovitique, le proltariat dominait sur une conomie bourgeoise et que maintenant il existe, inversement, un cas dopposition de classe entre lconomie et lEtat, eh bien ! est-ce la une bonne raison pour donner de la valeur la thse daprs laquelle la dictature du proltariat est encore une ralit dans le pays des Soviets ? Enfin, lopposition inverse ne devrait avoir aucune valeur. Dcidment, cest une manire trange de raisonner ! Mais pourquoi le contraire nest-il pas vrai ? Ou bien, sil a exist un Etat proltaire avec une conomie bourgeoise, pourquoi ne pourrait-il pas exister aussi un Etat non proltaire avec une conomie nationalise ? Peut-tre nadmet-on pas cela seulement parce quon na jamais vu un phnomne de ce genre, ou parce que Marx ne la pas prvu ? Il nous semble que notre thse est la plus logique, puisque tous les autres facteurs, servant caractriser lessence dun Etat, ont t renverss au pays de Staline. Pas le moins du monde, pense Trotski, mme la deuxime et inverse proposition doit aider prouver sa thse. (Remarquons que cette seconde proposition ne devrait pas stre vrifie dans un rgime visant au socialisme, tandis que la premire est comprhensible et claire pour tout le monde.)Les premiers mois aprs la rvolution dOctobre, la dictature proltarienne tait un fait vrai, rel ; si tout le monde est daccord sur ce point, mme sil ny avait pas de proprit nationalise, cela signifie que la dictature du proltariat est en premier lieu une question de formes politiques et non de formes conomiques, du moins pendant la phase de transition entre lconomie bourgeoise et lconomie socialiste.Daprs ce que nous connaissons, il en rsulte que la dictature proltarienne est la forme politique de la classe ouvrire pendant cette phase, celle de sa construction sociale. Mais lorsque cessent ses rsultats propres, il est logique de penser que cette phase elle-mme a cess de vivre. Jusquau jour o elle devra disparatre dans le socialisme ralis, les facteurs politiques auront placer leur mot dans la classification des qualits du pouvoir. Aussi comme il est vrai, et tout le monde ladmet, que mme par la nationalisation de la proprit, le socialisme, en U.R.S.S., nest pas un fait accompli, de mme il nous semble vident que la nationalisation de la proprit et lconomie planifie ne sont pas des raisons suffisantes pour prouver lexistence de la dictature proltarienne. Il faut aussi pour cela que le proltariat ait le pouvoir en main, voil une vrit de M. La Palice. Cette condition est si importante que si nous avons vu une vritable dictature proltarienne, bien que lconomie ft encore bourgeoise, ou un Tiers-Etat rgnant sur une conomie fodale, nous navons pas encore vu que le cas contraire ait paru dans lhistoire. LU.R.S.S. daujourdhui est bien loin de nous convaincre. Il doit sagir ncessairement dune forme de socit qui nest ni capitaliste, ni socialiste, et dun Etat qui nest ni ouvrier ni bourgeois. Nous pensons encore que la dictature du proltariat, aprs avoir ralis la nationalisation de la proprit, doit poursuivre son chemin, en suivant le programme socialiste ; au contraire, chacun, et Trotski au premier rang, nadmet pas que ce chemin ait t ultrieurement suivi au pays des Soviets. Donc, de quelle dictature du proltariat nous parle-t-on ? De celle qui a agrandi lEtat dans des proportions inoues ? ou bien de la dictature qui fait tabula rasa des rvolutionnaires et qui organise, avec le concours des assassins et des vendus, le sabotage de la rvolution proltarienne dans le monde ? Est-ce, peut-tre, celle qui fait toujours plus profond le sillon marquant la diffrence entre les classes ? LU.R.S.S. ne rpond pas aux normes de lEtat ouvrier que nous avons dgag dans notre programme. Lhistoire nous a prsent un procs de dgnrescence de lEtat ouvrier , nous dit Trotski. Mais quest-ce quil nous reste, donc, aprs cette dgnrescence de lEtat ouvrier et de la dictature du proltariat ? La nationalisation de la proprit et la planification de lconomie , rpond Trotski. Cest trs bien, mais dans quel but ? Est-ce quon tend la ralisation du socialisme ? Non, videmment, et Trotski mme le nie. Et alors ? Alors, si la proprit nationalise et lconomie planifie restent, cela arrive parce quelles sont, toutes les deux, convenables au rgime qui tient le pouvoir. Dans le fait, la bureaucratie sovitique na aucune raison pour liminer ces innovations de la rvolution dOctobre, mais, au contraire, elle en a de politiques et de sociales pour les maintenir. Du point de vue politique, la bureaucratie sovitique dupe le proltariat en lui racontant que la proprit nationalise est lui et, du point de vue social, elle ne peut aller contre le courant, cest--dire contre le dveloppement de la production. Mme les propres Etats bourgeois passent toujours plus la nationalisation de la proprit et la planification de lconomie. En mme temps, ils sapent le canon sacr de la proprit prive, et l o ce travail a t dj accompli on devrait le dtruire? Ne ft-ce pour cela, en Russie, une nouvelle transformation inverse de la proprit nest pas craindre.Tous les faits nous prouvent quau pays de feu les Soviets la domination de la bureaucratie est effective. Cela dure depuis si longtemps quune nette diffrenciation des classes est acquise. Tous les actes politiques et sociaux sont particuliers une classe dominante, qui se proccupe de maintenir et affermir son pouvoir. Eh bien ! suivant Trotski, ce nest pas scientifique de penser que la bureaucratie sovitique, monopolisatrice du gouvernement, peut reprsenter une nouvelle classe ! Il ne sagit pas dune nouvelle bourgeoisie , on nous dit ; ou bien elle ne lest pas encore et alors il ne sagit pas dune classe, mais dun commis ! Bien que la tradition, mme domestique, nous apprenne que beaucoup de commis finissent par devenir des matres, au camp dAgramant on ne russit pas concevoir une nouvelle classe hors du proltariat et de la bourgeoisie, nimporte si celle-ci est bien morte et si celui-l est dordinaire fustig par un nouveau matre. Il doit sagir, par force, dun simple commis, presque dun ordinaire bureaucrate qui, dans lU.R.S.S., deviendrait le valet de limprialisme mondial, y compris, on le dirait du moins, de litalo-nippo-allemand !Nous ne pensons pas que le marxisme puisse conduire de semblables non-sens. Cest toujours un vice des marxistes que le simplisme, mme si le fond de la doctrine de leur matre est universel. Marx ne pouvait pas prvoir lavnement de lEtat totalitaire, domin dabord par une clique et puis par une couche sociale, laquelle devait ensuite saffermir dfinitivement dans une classe. Mais les faits sont l examiner, et les ides ne tombent pas du ciel. Mme au camp dAgramant, ces ides tombent comme de rares et gros flocons, vritables prodromes dune neige imminente.Les marxistes, qui se posent en orthodoxes, ne se contentent pas dexaminer les faits marxistiquement, ils senquirent de ce qui est dessous ! Ils ont dcouvert que celui qui raisonne comme nous est une victime dun mirage, tandis quen ralit ce sont eux qui mettent le monde lenvers, comme les philosophes idalistes dautrefois. Ils nous servent leur savoir sur des plats, garnis de dialectique marxiste, une dialectique que nous retenons fonde sue la lutte des classes, mais eux, les marxistes, ne saperoivent pas que, dans tout le monde, une nouvelle classe est en train de se cristalliser. Voulant mconnatre et ignorer la classe bureaucratique au pouvoir, voici ce que nous dit Trotski, pour expliquer ce qui arrive maintenant aux pays des Soviets : On peut dire avec pleine raison que le proltariat dominant dans un seul pays, arrir et isol, reste malgr tout une classe opprime. Lorigine de loppression, cest limprialisme mondial : le mcanisme de transmission de loppression, cest la bureaucratie. Trotski, par son esprit et son art, sait donner de la ralit aux thses les plus extravagantes et un observateur superficiel est facilement fascin par la beaut de lexposition de ce solide raisonneur. Quoi quil en soit, nous ne nous mouvons pas : le fait est que si le proltariat international avait battu limprialisme, sorti charg de crimes, du bain de sang de 1914 1918, maintenant nous aurions une rpublique sovitique mondiale qui se dvelopperait dans une direction socialiste. Jusqu un certain point nous pouvons, partant, soutenir nous aussi que lorigine de loppression vient de limprialisme ; mais la question la plus importante cest dtablir si la bureaucratie sovitique ne reprsente pas autre chose que le mcanisme de transmission.LU. R. S. S, quassige le capitalisme, est passe une dgnrescence toujours plus profonde, tandis que le mcanisme de ce procs sest concrtis dans la bureaucratie sovitique. Or, quel est le produit social de ce recul ? Peut-tre nest-il pas reprsent par la toute-puissance du mcanisme de transmission ? Peut-tre ne sagit-il pas de la dfenestration du pouvoir proltarien pour laisser la place ce quon appelle lagent de limprialisme ? Peut-on concevoir que ce valet dun prtendu imprialisme dfende les conqu6tes de la rvolution dOctobre ? Au contraire nous pensons que ce valet obirait au nouveau matre et quil ferait un enterrement de troisime classe aux conqutes rvolutionnaires. En effet nous le voyons vider les Soviets de leur contenu de classe, enchaner le proltariat, dtruire physiquement les marxistes et, enfin, faire des distinctions dentre les imprialismes pour entrer dans la coterie des plus forts et plus vieux. Aussi le voyons-nous dans larne internationale, jouer des rles qui lui ont suggrs, non pas afin de rintroduire le capitalisme chez lui, mais en change de la protection quil reoit pour son rgime actuel desclavage. Sil devient un patriote et un belliciste, cest seulement pour des raisons de conservation.Trotski ne nie pas ces faits, mais il ajoute que le rgime sovitique maintient la proprit nationalise et quil la dfend : Tant que cette contradiction nest pas passe du domaine de la rpartition au domaine de la production, lEtat reste ouvrier. Il est inconcevable de penser, pour Trotski et tous les marxistes, une socit qui ne soit pas ou bourgeoise ou socialiste. Une nouvelle forme sociale, organisant la production sur une proprit nationalise et une conomie planifie, ne peut tre fondamentalement que proltarienne, mme si dans le domaine de la distribution les directives sont antisocialistes ! Pour notre compte, en Russie, le proltariat na fait que changer de matre, aprs une courte priode de pouvoir. LEtat bureaucratique daujourdhui maintient les formes dune proprit collective et dune conomie planifie seulement parce que ces formes saccordent sa nature, de mme que lEmpire romain a absorb la religion du Christ et du Dieu Unique, la place des innombrables dieux paens, parce que cela lui convenait. Ces nouvelles formes conomiques poussent partout sur la terre, premirement dans les pays capitalistes faibles, moins rsistants la disparition gnrale du capitalisme. Si celui-ci a accompli sa tche historique et que la rvolution proltarienne na pas remport la victoire, il faudra bien que le monde poursuive son dveloppement selon une nouvelle forme sociale, mme si Marx na pas prvu cette forme et si Messieurs les marxistes ne lont pas remarque !Le commis qui, suivant Trotski, nest que le mcanisme de transmission de limprialisme, domine en Russie depuis plus de vingt ans et il dirige un pays qui est un sixime des continents, avec une population de 180 millions dhabitants. Evidemment, le commis a des proportions alarmantes, de beaucoup plus grandes que celles de ses matres mmes. Une domination de ce genre a besoin dun staff qui, lchelle nationale, reprsente pour nous une classe. Pour la renforcer, cette classe pousse sa domination dans tous les domaines sociaux, et l o elle rencontre des rsistances, passe outre en surmontant des montagnes de cadavres. Le rgime bureaucratique en U.R.S.S. a, dabord, sacrifi le parti communiste et la Troisime Internationale, puis lArme rouge mme. Les besognes de cette grandeur ne peuvent pas tre faites par des cliques ou des staff ou des commis , mais seulement par des classes.V. La proprit de classeEtant donn que Trotski attribue une valeur incommensurable au fait que la contradiction na pas pass du domaine de la rpartition celui de la production, on pense quil conoit la production sovitique comme ayant la marque proltarienne. Il nous semble que, cette fois encore, il y a un mirage, dont ce nest pas nous les victimes.Du seul fait que la proprit est nationalise et lconomie planifie, on pense que la production est dune qualit suffisamment socialiste pour nous assurer la permanence de lEtat ouvrier. En ralit tout le systme de production demeure collectif, comme dans lorganisation de grandes entreprises capitalistes, tandis que la proprit passe de la forme prive la collective. Il sensuit, par consquent, que si les caractristiques conomiques sont les seules dterminantes de la nature dun Etat, nous sommes rduits, pour ce qui est de lU. R. S. S., aux nationalisations et aux plans tatiques.Il nous reste voir ce que reprsente en effet la nationalisation de la proprit en U.R.S.S. Cest ici que nous aussi, sans avoir la prtention dtre des marxistes orthodoxes, nous nous permettons dexaminer le dessous des faits. La nationalisation de la proprit a t certainement la premire mesure rvolutionnaire que la classe proltarienne au pouvoir a dcrte dans le but dune construction socialiste. Mais celle-ci sest arrte avec la dgnrescence stalinienne et il est logique de rechercher ce quest devenue cette nationalisation dans le domaine social, puisquelle devait tre suivie de la socialisation de la proprit. On nous dit, dune manire fort simpliste, que la proprit est nationalise. Cest bien peu pour des marxistes scientifiques. Qui est-ce qui la dirige cette proprit ? Ce nest certainement pas le proltariat, mais plutt la bureaucratie sovitique. Au camp dAgramant, tout le monde est daccord sur ce point. Trotski ajoute que la rpartition des produits est faite de manire que la bureaucratie soctroie la part du lion. Nous nous demandons quelle sorte de proprit nationalise est celle-ci, une proprit que dirige exclusivement une classe semparant ensuite des produits dune manire aussi effronte que celle employe par la vieille bourgeoisie. En effet, il existe en Russie une classe exploiteuse, ayant en main les moyens de production et elle se conduit en propritaire de ceux-ci. Les membres de cette classe ne partagent pas cette proprit, mais eux-mmes, en un bloc formant une classe, sont les possesseurs rels de toute la proprit nationalise.La proprit, aprs avoir t tout le monde, et par consquent elle nexistait pas pour les hommes des ges trs anciens, a pass collectivement aux communauts pour se transformer aprs en proprit prive. Maintenant il semble quelle reprenne une forme collective sous laspect de proprit de classe.En Russie la classe exploiteuse est devenue la propritaire, ainsi elle a concrtis son essence juridique-sociale. Pour viter lassaut des travailleurs, elle les charme par les nationalisations de la proprit, comme si, en effet, cela pouvait reprsenter une proprit tous. Malgr cela elle a peur et, ne pouvant pas dvelopper son travail dans un milieu dmocratique, elle est condamne, du moins ce moment, construire un Etat policier. Les formes de proprit doivent aller du mme pas que le systme de production. Si la classe exploiteuse nest pas la hauteur de la tche que lhistoire lui a assigne, elle tombe en dissolution, il en sort une nouvelle classe que nous pouvons qualifier historiquement de parasitaire. Voil qui, peut-tre, concrtise la condamnation de lhistoire. La contradiction, propre la socit capitaliste, entre la manire de production et la forme de proprit, se trouve rsolue en U.R.S.S. mme sans la ralisation du socialisme et llvation du proltariat en classe dominante. Lexploitation reste, mais au lieu dtre exerce sur lhomme par lhomme, elle est exerce sur une classe sociale par une autre classe. Lexploitation de lhomme, sous la pousse de linvitable dveloppement conomique, a pris une nouvelle forme. La proprit prive est devenue collective, mais elle est une classe. Nous ne saurions dfinir dune manire diffrente cette proprit nationale qui nest pas tout le monde, cette proprit qui nest ni bourgeoise, ni proltarienne ; elle nest ni prive, ni socialiste non plus.Trotski ne russit pas concevoir, en Russie, la nouvelle classe exploiteuse, il ne russit pas concevoir la progressive pulvrisation de la bourgeoisie dans le monde, il nentrevoit pas la dtermination toujours plus remarquable de la proprit de classe non seulement en Russie, mais dans les pays totalitaires aussi. Il conoit le monde comme une socit bourgeoise pourrissante . Cest bien peu pour un marxiste qui prtend lanalyse scientifique. De Mussolini Labriola, de Tardieu Wallace, toute la littrature de ce quart de sicle nest quune accusation et du sarcasme ladresse de la vieille socit bourgeoise. On a chant le De profondis au capitalisme dans toutes les langues. Il nous semble que la tche des marxistes scientifiques, les dpositaires de la dialectique de la lutte de classes, nest pas celle de se tirer daffaire par une dfinition banale. Leur tche, ces marxistes, cest prcisment de voir quel est le mouvement des classes, en cette poque o finit le capitalisme, et ensuite de fixer les nouvelles formes de proprit et les nouveaux rapports sociaux. Nous voyons ainsi que la clbre plus-value na mme pas disparu dans cet Etat devinette quest lUnion Sovitique. L-dessus tout le monde est daccord, tandis que les dissensions surviennent lorsquil sagit de dterminer o cette plus-value va finir. Est-ce quelle va la bourgeoisie inexistante ? Non. Peut-tre va-t-elle aux ouvriers ? Point du tout, car, dans le cas contraire, se raliserait le fait dun socialisme en construction dans un seul pays et prcisment dans celui du grand mensonge . Peut-tre devons-nous penser que la plus-value va lEtat ouvrier ? Pour les raisons susdites, ce serait le triomphe du stalinisme dont Trotski est lennemi No 1. Si quelquun prtendait que la plus-value a disparu au pays des Soviets, il faudrait en dduire que la force-travail aussi nest plus achete. Alors le socialisme serait une ralit, contre toute vidence.En ralit, il ny a quune rponse possible et admissible : la plus-value passe la nouvelle classe exploiteuse, la bureaucratie en bloc. Quand on admet que la socit bourgeoise est en train de se dcomposer, cela signifie que cette socit perd ses caractristiques conomiques, cela signifie aussi que les caractristiques particulires de la classe dominante disparaissent et que la socit se transforme. Le phnomne, complet dans le soi-disant Etat sovitique, est en train de se former partout dans le monde. La proprit de classe qui en Russie est un fait, nest certainement enregistre par aucun notaire ni par aucun cadastre. La nouvelle classe exploiteuse sovitique na pas besoin de ces balivernes. Elle a la force de lEtat en main, et cela vaut beaucoup plus que les vieux enregistrements de la bourgeoisie. Elle sauvegarde sa proprit avec les mitrailleurs, dont son appareil doppression tout-puissant est fourni, et non pas par des actes notaris.Si la thse de la proprit nationalise, conue rellement comme appartenant tout le monde, peut tre soutenue par le fascisme avec ses conceptions de collaboration des classes et de lEtat au-dessus des classes, nous ne comprenons pas comment des marxistes, mme scientifiques, peuvent se tirer daffaire sur ce point. Suivant Marx et Lnine, lEtat nest que lorgane doppression de la classe dominante. En effet, tant quil existe, lEtat, les classes restent et la proprit, sous lgide de lEtat, est gre par la classe dominante se servant de son appareil de domination.En parlant la manire des marxistes, le concept de la proprit nationalise naucun sens, il est antiscientifique et antimarxiste. Selon Marx, la proprit, de prive, devait devenir socialiste et socialiste il lentendait, du moins la forme potentielle, mme dans la priode de la dictature proltarienne. Suivant la thorie marxiste, derrire lEtat il y a toujours la classe, et si la possibilit dune forme intermdiaire de proprit (la proprit de classe) na pas t prvue, cela vient presque certainement dun faux calcul tenant pour sre la rapide disparition des classes aprs que le proltariat aura pris le pouvoir. En ralit pendant la dictature du proltariat, la proprit prend le caractre de classe, elle appartient aux travailleurs qui la grent, elle manifeste son caractre socialiste seulement dans une manire potentielle. Si la proprit est nationalise dans un rgime non proltaire, elle perd aussi son caractre potentiel de proprit socialiste, elle ne reste quune proprit de classe.Dans le cas de lU.R.S.S., un Etat o la bourgeoisie a un poids ngligeable, si lorganisation de lEtat reste, cela signifie que deux classes, au moins, sont encore en vie et quelles sont efficientes. Si le bon sens se refuse retenir les travailleurs sovitiques comme les propritaires des moyens de production, il est logique de penser que la proprit de ceux-ci appartient effectivement la bureaucratie. Un commis ! Loin de l, il sagit dun propritaire bien dfini ! Le fait qui, avec beaucoup de probabilit, est lorigine non seulement de la discorde au camp dAgramant, mais aussi de la confusion politique du monde, cest de ne pas avoir prvu une forme transitoire de proprit entre proprit prive et proprit socialiste. Dailleurs, partout on qualifie de socialisme ou de capitalisme loeuvre de Staline, de Mussolini ou de Hitler, tandis quen ralit il ne sagit que dun collectivisme bureaucratique.Au camp dAgramant on fait des efforts terribles de parer ces dductions logiques : on dirait que cest l un choeur de chats en rut, occups pendant les nuits de mars dchirer notre me par leurs lugubres hurlements.Le lieutenant Naville, qui on avait demand quelle diffrence y avait-il entre la proprit prive et la proprit collective, si seule une bureaucratie peut profiter de celle-ci , rpond quil ny aurait quune diffrence de degrs entre la proprit prive capitaliste et la gigantesque proprit prive de la bureaucratie . Une fameuse trouvaille ! La proprit de plusieurs millions de citoyens, considrs comme un ensemble social, demeurerait encore une proprit prive. Mais veut-il alors nous dire, ce marxiste scientifique, quest-ce quil entend par proprit collective ? Peut-tre une somme de beaucoup de petites proprits prives. Et pourquoi ne resterait-elle pas prive la proprit socialiste, sil est question seulement de degr ? Peut-tre ce Solon prend la Socit humaine pour une socit anonyme par actions ? On doit considrer les Socits humaines par la synthse et non par les sries. La proprit prive demeure telle tant que ltatisation continuelle ne change pas ses caractristiques. Mme le capital nest pas tel tant quil na pas atteint une certaine ampleur. La loi dialectique de Hegel, de la transformation de la quantit en qualit, vaut aussi pour la proprit, cela nous le disons, sauf, ou non, la permission de tout le camp dAgramant. La premire cristallisation de la proprit collective sidentifie la proprit de classe, mme sous lgide du proltariat. Les marxistes nont prvu et nont pas vu cela, mais cest l une autre affaire.Si, daprs Naville, la proprit des tatisations fascistes reste prive, - nimporte si ce procd va submerger tout le capitalisme - nous ne voyons pas la raison suivant laquelle nous ne devons pas considrer aussi comme prive la proprit des nationalisations sovitiques, tant donn quen Russie le procd est compltement acquis et la bureaucratie en est la grande bnficiaire ! Suivant le raisonnement de Naville cette dduction est logique, mme si elle est fausse. En Russie, en ralit, la nationalisation des moyens de production a cr une forme de proprit collective, mais de classe, qui rsout lantagonisme capitaliste entre la production collective et lappropriation prive. Nous nusons pas de deux poids deux mesures en examinant les faits sociaux. Nous affirmons aussi que le profond travail conomique des Etats totalitaires, avec les nationalisations et les plans conomiques, conduit la disparition du mme antagonisme. Cela a bien des consquences sociales, savoir : lapparition de la proprit de classe et de la domination de la bureaucratie, la pulvrisation de la bourgeoisie et la transformation des proltaires en sujets de lEtat.En se rapportant la bureaucratie en gnral, Naville continue : Quelle ait ou non des titres de proprit (et elle nen a pas), la bureaucratie ne peut disposer (rpartir) librement ni dun capital accumul, ni de la plus-value produite. Il ne sagit pas pour elle dune proprit capitaliste prive, mme lchelle des monopoles dEtat. Il nous semble que la vrit a un sens contraire. La bureaucratie sovitique, surtout, dispose des capitaux amasss et elle rpartit la plus-value. Trotski arrive dire : Ce qui ntait quune dformation bureaucratique sapprte maintenant dvorer lEtat ouvrier sans rien laisser, et former sur les ruines de la proprit nationalise une nouvelle classe possdante. Nous ajoutons : qui dirige lconomie ? Qui est-ce qui dresse les plans quinquennaux ? Qui tablit les prix de vente ? Et qui les salaires ? Qui dcrte les travaux publics, les installations industrielles, etc., si ce nest la bureaucratie sovitique ? Et si la proprit ntait pas la disposition de celle-ci, la disposition de qui donc est-elle ? Qui est-ce qui est chang de la rpartition de la plus-value ? Cest, peut-tre, ou bien la morte bourgeoisie tsariste, ou limprialisme mondial, ou le proltaire russe ? Naville ne nous donne pas dexplications et il continue : Sagit-il dune forme nouvelle de proprit, des rapports tablis historiquement sur la base de lappropriation collective, mais au bnfice dune classe particulire, la bureaucratie ? Dans ces cas, il faudrait admettre que la bureaucratie jouit du systme comme une classe capitaliste, parce quelle sapproprierait la plus-value comme une entreprise capitaliste. Mais oui, parbleu, cest prcisment cela ; pourtant il faut admettre que la bureaucratie jouit du systme divisant la socit par classes, non comme une classe capitaliste, mais comme une classe bureaucratique. Elle sempare de la plus-value, pas la manire dune entreprise capitaliste, mais comme une classe exploiteuse en bloc.Au contraire, Naville rpond de cette manire la question quil se pose timidement Lhistoire dmontre que le phnomne de la production et de lappropriation de la plus-value nest pas propre et limit au capitalisme libral ou au monopole priv. La rente foncire et la plus-value, ont pris tout leur sens avec lconomie marchande puis le dveloppement industriel. Elle continue exister en U.R.S.S., malgr les dngations de Staline, Boukharine et leur cole. Seulement elles sont nationalises, et l gt une diffrence essentielle. Si lon veut clairer la nature de la socit sovitique actuelle, cest aussi de ce ct quil faut viter les erreurs. Mis au pied du mur, se trouvant dans linluctable ncessit dadmettre que la plus-value prend tout son sens dans le collectivisme bureaucratique aussi, le disciple de Trotski tourne lobstacle dune faon peu scientifique. Il souligne la position ambigu, antimarxiste et ractionnaire daprs laquelle la rente foncire et la plus-value seraient nationalises dans la socit sovitique. Il y remarque aussi une diffrence essentielle !Nous allons lui rpondre par les paroles de son matre qui, dans La Rvolution trahie, sexprimait ainsi: Il nest pas contestable que les marxistes, commencer par Marx lui-mme, aient employ lgard de lEtat ouvrier les termes de proprit tatique, nationale ou socialiste comme des synonymes. A de grandes chelles historiques, cette faon de parler ne prsentait pas dinconvnients. Mais elle devient la source de fautes grossires et de duperies ds quil sagit des premires tapes non encore assures de lvolution de la socit nouvelle isole et en retard au point de vue conomique sur les pays capitalistes.La proprit prive, pour devenir sociale, doit inluctablement passer par ltatisation, de mme que la chenille, pour devenir papillon, doit passer par la chrysalide. Mais la chrysalide nest pas un papillon. Des myriades de chrysalides prissent avant de devenir papillons. La proprit de lEtat ne devient celle du peuple entier que dans la mesure o disparaissent les privilges et les distinctions sociales et o, par consquent, lEtat perd sa raison dtre. Autrement dit : la proprit de lEtat devient socialiste au fur et mesure quelle cesse dtre proprit dEtat. Mais au contraire : plus lEtat sovitique slve au-dessus du peuple dilapidateur comme le gardien de la proprit et plus clairement il tmoigne contre le caractre socialiste de la proprit tatique. Aussi ne semble-t-il qu la suite dune soi-disant nationalisation de la proprit, la rente foncire et la plus-value soient effectivement nationalises, cest--dire appartenant tout le peuple. Il nexiste aucune diffrence essentielle si ce nest celle-ci : ce nest plus la bourgeoisie la classe exploiteuse qui touche la plus-value, mais cest la bureaucratie qui sest dcerne cet honneur. Naville joue sur lidentit existant entre la proprit nationalise et la proprit socialiste, ce qui ne nous semble ni trop scientifique, ni trop marxiste.Au temps de Marx une telle faute tait excusable, mais cette mme faute est impardonnable aux disciples puisque maintenant les prvisions du Matre, mme si elles ne sont pas claires, prennent une substance sociale.Veut-on apurer la nature de la socit actuelle ? Il faut prcisment viter des erreurs de ce ct et approfondir ce que reprsente, en parlant socialement, la proprit nationalise ? Cest entendu que ce travail doit tre fait dune manire scientifique, marxiste, si cela leur plat mieux, aux chevaliers dAgramant. Nous ne prtendons pas que notre travail soit complet, nous lavons seulement bauch.En suivant cette voie, mme lavnement de lEtat totalitaire dans le monde deviendra plus clair ceux qui, jusquici, nous ont montr une incomprhension complte lgard du fascisme, quils fltrissent, le tenant pour le sauveur et la continuation du capitalisme.Dans ces rgimes une nouvelle classe dirigeante en formation dclare que le capital est au service de lEtat. Cette classe fait suivre les faits, fixe dj en grande partie les prix des marchandises et les salaires des travailleurs, elle organise sur un plan prtabli lconomie nationale.Evidemment la proprit des moyens de production ne sindividualise pas dune manire aussi simple que celle des moyens de consommation. Ceux-ci sont dun usage personnel, mais ceux-l sont plus immobiles que les montagnes. Il ny a aucun propritaire, ni aucune classe, ni aucun Etat qui puisse les mettre sur son dos, et les entraner o bon lui semble. Aussi ny a-t-il pas stonner sil arrive des moments o il est difficile de dterminer la proprit.A notre sens, en U.R.S.S., les propritaires, ce sont les bureaucrates, car ce sont eux qui tiennent la force entre leurs mains. Ce sont eux qui dirigent lconomie, ainsi que cela tait normal parmi les bourgeois. Ce sont eux qui sapproprient les profits, ainsi que cela est rgulier chez toutes les classes exploiteuses, et qui fixent les salaires et les prix de vente des marchandises : enfin ce sont, encore une fois, les bureaucrates.Les ouvriers ne comptent pour rien dans la direction sociale, plus encore, ils nont aucune part aux recettes de la plus-value et, ce qui est pis encore, ils ne sont pour rien dans la dfense de cette trange proprit nationalise. Les ouvriers russes sont encore des exploits, et ce sont les bureaucrates leurs exploiteurs.Maintenant la proprit nationalise de la rvolution dOctobre appartient comme un Tout la classe qui la dirige, lexploite et la sauvegarde : cest une proprit de classe.Le systme de production collective sest intgr pendant lvolution capitaliste ; par ce systme, la proprit prive ne pouvait pas chapper la collectivisation. La ralit cest que la proprit collective nest pas sous la protection de la classe proltarienne ; mais elle est sous la protection dune nouvelle classe reprsentant en U.R.S.S. un fait social accompli, tandis que dans les Etats totalitaires, cette classe est en train de se former.VI. Lexploitation bureaucratique Sil est vrai que lU.R.S.S. sest fixe dans une nouvelle forme sociale stable, autre que le capitalisme, et qu la place de la nouvelle bourgeoisie une autre classe dominante est survenue, vous nous expliquerez aussi quelle est la nouvelle forme dexploitation et par quelles voies la plus-value est extorque aux travailleurs. Cest ainsi, ou peu prs, que les marxistes scientifiques ont le droit de parler et nous ferons de notre mieux pour aller au-devant de leurs dsirs. Si Trotski est daccord avec Naville sur la question de la proprit nationalise, comme caractristique propre de lEtat ouvrier, il ne semble pas que le matre soit du mme avis que la discipline quant considrer nationalises, au pays de Staline, la rente foncire et la plus-value. Voici ce quil nous dit dans La Rvolution trahie : Si nous traduisons, pour mieux nous exprimer, les rapports socialistes en termes de bourse, les citoyens pourraient tre les actionnaires dune entreprise possdant les richesses du pays. Le caractre collectif de la proprit suppose une rpartition galitaire des actions et, partant, un droit des dividendes gaux pour tous les actionnaires. Les citoyens cependant participent lentreprise nationale et comme actionnaires et comme producteurs. Dans la phase infrieure du communisme que nous avons appele socialisme, la rmunration du travail se fait encore selon les normes bourgeoises, cest--dire selon la qualification du travail, son intensit, etc. Le revenu thorique dun citoyen se forme donc de deux parties, a + b, le dividende plus le salaire. Plus la technique est dveloppe, plus lorganisation conomique est perfectionne et plus grande sera limportance du facteur a par rapport au facteur b, et moindre sera linfluence exerce sur la condition matrielle par les diffrences individuelles du travail. Le fait que les diffrences de salaires sont en U.R.S.S. non moindres mais plus considrables que dans les pays capitalistes nous impose la conclusion que les actions sont ingalement rparties et que les revenus des citoyens comportent en mme temps quun salaire ingal des parts ingales de dividendes. Tandis que le manoeuvre ne reoit que b, salaire minimal que, toutes autres conditions tant gales, il recevrait aussi dans une entreprise capitaliste, le stakhanovien et le fonctionnaire reoivent 2 a + b ou 3 a + b et ainsi de suite, b pouvant dailleurs devenir aussi 2 b, 3 b, etc. La diffrence des revenus est, en dautres termes, dtermine non par la seule diffrence du rendement individuel, mais par lappropriation masque du travail dautrui. La minorit privilgie des actionnaires vit au compte de la majorit berne. Si lon admet que le manoeuvre sovitique reoit davantage quil ne recevrait, le niveau technique et culturel demeurant le mme, en rgime capitaliste, cest--dire quil est tout de mme un petit actionnaire, son salaire doit tre considr comme a + b. Les salaires des catgories mieux payes seront en ce cas exprims par la formule 3 a + 2 b, 10 a + 15 b, etc., ce qui signifiera que le manoeuvre ayant une action, le stakhanovien en a trois et le spcialiste dix ; et quen outre leurs salaires, au sens propre du mot, sont dans la proportion de 1 2 et 15. Les hymnes la proprit socialiste sacre paraissent dans ces conditions bien plus convaincants au directeur dusine ou au stakhanovien qu louvrier ordinaire ou au paysan de kolkhoze. Or, les travailleurs du rang forment limmense majorit dans la socit et le socialisme doit compter avec eux et non avec une nouvelle aristocratie. Nous approuvons du tout au tout, et si Trotski dit quune minorit privilgie vit aux dpens dune majorit berne, nous pensons que Naville aussi en sera convaincu !Nous nosons mme pas esprer quon nous lira, mais il nous semble, en passant, que si la nationalisation de la plus-value et de la rente foncire rapporte seulement aux bureaucrates, il est permis de penser que la proprit nationalise est aussi de leur ressort, ces bureaucrates, et quelle nappartient pas la socit tout entire, car, alors, elle serait vraiment socialiste. Le lieutenant franais, en bon disciple, a tir du concept du matre les consquences relatives la proprit sovitique. La drivation est exacte, mais cest la position qui nest pas exacte et le rsultat ne pouvait tre querron. Quil en veuille Trotski, si bon lui semble, ou bien quil apprenne quen ce monde mme les gnies sont des hommes et, partant, faillibles ; tandis que mme des mdiocres peuvent quelquefois remarquer les fautes des grands hommes. Naville nous soumet bien propos un morceau intressant du Capital : La forme conomique spcifique dans laquelle le surtravail non pay est extorqu aux producteurs immdiats dtermine le rapport de dpendance entre matres et non-matres, tel quil dcoule directement de la production mme, et son tour ragit sur elle. Cest dailleurs la base sur laquelle repose toute la structure de la communaut conomique et des conditions mmes de la production, et donc en mme temps la forme politique spcifique. Cest toujours dans le rapport direct entre les propritaires des conditions de production et les producteurs immdiats - rapport dont la forme correspond toujours et de faon naturelle un stade dtermin dans le dveloppement des modalits du travail et, donc, de sa productivit sociale - cest toujours dans ce rapport que nous trouvons le secret intime, le fondement cach de tout ldifice social et, par consquent, aussi la forme politique revtue par le rapport de souverainet et de dpendance, en un mot toute la forme spcifique de lEtat. Cela nempche pas que la mme base conomique - la mme, entendons-nous, quant aux conditions principales - peut, sous linfluence de diverses conditions empiriques, des donnes historiques agissant du dehors, conditions naturelles, diffrences de race, etc., prsenter, quant sa manifestation, des variations et des gradations infinies, dont la comprhension nest possible que par lanalyse de ces circonstances empiriques donnes. On dirait que Marx vient dcrire tout a. Nous aussi pensons parfaitement que le secret intime de ldifice social est rvl par la forme conomique spcifique dans laquelle la plus-value est extorque aux producteurs immdiats. Mais si cette plus-value va une classe privilgie et que la rente foncire des kolkhozes prend le mme chemin (ainsi que le dmontre Trotski) et elle ne va pas LEtat, comme Naville voudrait le prouver par un exemple naf sur le kolkhoze, cela prouve que la classe bureaucratique sovitique nest pas un fantme ; mais elle prend les qualifications de classe dirigeante et exploiteuse.Voici lexemple de Naville sur le kolkhoze par lequel il nous montre comment les 37 % seulement de la production vont aux travailleurs, et le reste lEtat, cest seulement en partie que ce reste va directement la bureaucratie : Un exemple. Voici comment la rente foncire retourne lEtat. La rpartition des produits et de largent dans un kolkhoze se fait suivant des rglements dicts par le gouvernement. Tout dabord, un prlvement est effectu au profit de lEtat, prlvement dont limportance varie suivant la fertilit de la rgion et qui atteint jusqu 41 % de la rcolte. Puis il est dduit 2 3 % pour les dpenses administratives, et 13 25 % pour lamortissement des tracteurs et machines agricoles, enfin 10,5 % pour le fonds de rserve. Le reste est rparti entre les travailleurs au prorata de la quantit et de la qualit du travail effectu par eux. Le point essentiel, cest de voir si, par les pourcentages verss directement pour les frais dadministration, les bureaucrates sont pays en raison du salaire moyen de louvrier ; mais il est encore plus intressant de voir ce quil en fait, lEtat sovitique, des 60 % de la production accapare. Est-ce quil remet totalement en circulation cette plus-value, dans lintrt de la masse trangre au gouvernement, ou bien il lui faut prendre - la plus-value - des directions particulirement chres ses qualits spcifiques dEtat de classe ? La rponse est presque oiseuse : Jsus-Christ aussi lava dabord ses pieds pour laisser ensuite leur tour aux Aptres. Toute la littrature des chevaliers dAgramant, toute, nous disons, est l pour accuser : La diffrenciation extrme des rtributions dentre les citoyens sovitiques, la diffrenciation croissante des classes, la nouvelle bureaucratie, laristocratie sovitique, la part du lion, les 40 % de la production avals par la bureaucratie, laccroissement des antagonismes sociaux, de lingalit et ainsi de suite. Il ne fallait que la navet candide du philistin Naville pour supposer que la plus-value, extorque aux travailleurs sovitiques, revienne eux en grande partie par le moyen dun soi-disant Etat Ouvrier .En ralit, lEtat bureaucratique verse, de diffrentes manires, la plus-value ses fonctionnaires formant une classe privilgie, installe directement dans lEtat. Nous non plus, nous navions jamais vu une classe dominante sans une bureaucratie place directement la direction de lEtat, ni une bureaucratie qui ft aussi classe dominante. Pourtant aujourdhui nous le voyons et nous sommes aussi persuads de ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Nous le regrettons pour les chevaliers dAgramant qui, aujourdhui, se battent contre des moulins vent, ou, mieux encore, nous le regrettons pour des Don Quichotte envahissant le camp damn de la discorde quun Archange vindicatif y avait jete ; mais nous croyons que la ralit sociale est prcisment celle-ci. Ce sont des plaisanteries de lhistoire, de petits contretemps rvolutionnaires aux grands marxistes sci