Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
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7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
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Alain Rey
Du discours au discours par l'usage : pour une problmatique de
l'exempleIn: Langue franaise. N106, 1995. pp. 95-120.
Abstract
Alain Rey : Towards a problematics of the example.
Starting from a selection of texts and/or spoken language, dictionaries cannot but extract (exemplum), show or illustrate
(paradigma), and quote (citatio) phrases and sentences that are supposed to represent a language ; in fact they construct an
ideal state of language properly called a norm.
Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and
semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology.
French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in
fact only a very small part of the total speech (Saussurean parole ) in a language. Thus, the choice of examples dictionaries
make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm.
Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and
semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology.
French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in
fact only a very small part of the total speech (Saussurean parole ) in a language. Thus, the choice of examples dictionaries
make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm.
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Rey Alain. Du discours au discours par l'usage : pour une problmatique de l'exemple. In: Langue franaise. N106, 1995. pp.
95-120.
doi : 10.3406/lfr.1995.6446
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_281http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1995.6446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1995.6446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_281 -
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Alain
REY
DU DISCOURS
AU DISCOURS PAR
L USAGE :
POUR
UNE
PROBLMATIQUE
DE
L EXEMPLE
Dans
un essai de typologie
des dictionnaires , j'adoptais comme point de
dpart l'ide
que
le discours lexicographique, dont l'objectif
est
non pas de
donner
une
image,
mme
partielle et
dforme,
d'une langue, mais une image
de
certains usages de cette langue, tait
issu
de procdures heuristiques
et
didacti
ques
ortant sur
un
discours
premier,
ralis
ou virtuel. Ce discours-source,
form de la totalit
thorique
de
la parole
saussurienne pour un systme linguis
tique
onn
2, est
en
pratique rduit un
corpus
fini ou un
ensemble
ind
termin
d'noncs
(observs,
modifis
ou
produits
ad
hoc).
Dans le
premier cas, un
corpus slectionn fournit
par extraction,
puis
par
mise
en mmoire un stock d'noncs
et
de fragments d'noncs dtermins
par
un
choix-dcoupage.
Ces
noncs sont restitus dans le contexte
spcifique
du
dictionnaire. Dans le second, le
discours
source
est virtuel ;
c'est l'aptitude
discursive
(une
comptence
, si l'on veut) qui produit,
selon
des stratgies
propres, une production
exemplifiante .
Le premier univers est celui de la
philologie
; le
second, celui d'une
pratique
didactique
et rhtorique propre
au dictionnaire.
Dans
les
deux
cas, on
part du
discours
ou
de
la diseursivit
dans
une langue,
en
faisant agir de
nombreux
cribles,
et
on va vers cet
autre
discours, s-
miotiquement complexe,
htrogne, dmonstratif,
idologique-culturel, didac
tique
t
passablement
pervers qu'est
le
discours
lexicographique, responsable du
texte
des dictionnaires de langue.
Ce
n'est
pas seulement l'histoire
des
thories
linguistiques
qui
peut
en
rendre compte, mais
celle des
thories
et des
pratiques
langagires, didactiques,
encyclopdiques,
rhtoriques et bien d'autres, jusqu'aux politiques de la
langue.
Extraire,
montrer, invoquer
En
France,
l'exemple
de dictionnaire a t
tudi
notamment
par Quemada,
Dubois, Rey-Debove, R.
Martin,
sans
parler des
tudes spcifiques. Ces
tudes
1.
Typologie gntique des dictionnaires
in Le
Lexique,
images
et
modles,
A.
Colin, 1977.
2. Concept tudi
par
Klaus Heger sous le nom de
sigma parole
cf. Heger ., 1968 :
Smantique et dichotomie
de
langue et
parole
:
Travaux de
linguistique et
de
littrature, Stras
bourg,
n
VII-
1,
p.
47
et
sq.
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restent en gnral
valables et leurs
points de vue complmentaires (philologique,
historique,
socio-didactique,
smiotique.
)
leur permettent d'aborder
la
plupart
des problmes
de
exemplification dans les dictionnaires
de
langue (ceux
que
posent
les ouvrages
encyclopdiques sont profondment diffrents). Cependant,
le concept
d'exemple,
pris gnralement,
s'inscrit
dans une longue
tradition,
essentiellement
rhtorique
et en
partie
juridique.
Le
rappeler
permet de
dgager
un
arrire-plan qui
n'a jamais disparu des
problmatiques
modernes, mais
qui a
souvent
t
occult.
I. Le mot et la notion
1. Le mot
Le
latin
exemplum
apparat
avec
une valeur
concrte.
Tout
d'abord
il
dsigne un chantillon,
une copie
exacte, et
notamment un
objet choisi dans
une
collection ou
une
catgorie, objet qui est
isol
et montr
pour
servir
de
modle.
De
l le
sens second de
modle
imiter
.
Le mot
vient de
eximere, au supin
exemptum, extraire, retirer (d'un ensemble)
. C'est
un prfix de emere
prendre ,
puis acheter
.
En
emploi
abstrait,
exemplum est utilis en
rhtorique et sert
alors
d'quivalent
au grec
paradigma,
plus
technique et
toujours
abstrait, et
qui vient
de
para-deigma,
du verbe deiknunai
montrer .
Ces
indications
ne
suggrent
pas
une
quelconque
preuve par
l'tymologie
, mais rappellent deux concepts
sources
:
paradigma ce
qui est montr
,
exemplum
ce qui est extrait
,
alors
que
citatio correspond
ce qui est appel,
invoqu .
Ces trois
concepts
jouent
encore dans le smantisme A"1 exemple (et dans celui
de citation), quelles
que
soient
ses
applications
particulires.
En franais, esemple,
attest
au
XIe
s.,
refait savamment en exemple,
est
d'abord
attest
pour
nouvelle, bruit qui se
rpand
et rcit tirant un
enseignement moral
d'un
fait
.
Ces valeurs archaques
font
la synthse
entre
deux types de fonctions
exemplifiantes :
une
fonction narrative,
rhtorique et
informative,
et une
fonc
tion
pdagogique
et
morale. Elles
voquent d'une part
un univers de
discours, de
l'autre
une
valeur smantique informative
et
didactique.
A
partir du
XIIe s. , on se
rapproche
du sens
moderne
qui est surtout
moral et
didactique.
Des
extensions
surviennent ds
l'ancien franais
o exemple s'applique
aussi
une
personne
digne d'tre imite
(fin
XIIe
s.) ainsi qu' un chtiment servant de
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leon
(1381). L'accent
est alors mis
sur
les
effets, sur
la
finalit de l'exemple, sur
un contenu
pragmatique
en rapport avec l'imitation et avec
l'action
corrective
(punition et peine
effet thique). Le
contexte
culturel est
videmment chrtien ;
alors Vexemplum
est
la fois un
signe
et
un moyen
d'action pour
assurer le rgne
du divin (cf. Imitation de Jsus-Christ).
Dans
l'tat
actuel
de
nos
connaissances,
le
mot ne
s'applique
un
passage
de
texte
cit pour servir
d'attestation qu'au XVIe s. (1573, Dictionnaire
franais-
latin de R.
Estienne
: Woolridge
3).
La valeur d'exemple-modle
semble
ne se
rpandre, surtout en grammaire, qu'au
milieu
du
XVIIe
s. Un
peu
plus tard, on
dit
une
exemple
pour
dsigner un modle d'criture
donn
aux coliers (
terme
de
Matre
crire
,
dit Richelet).
Dans
la
langue classique,
on
trouve
surtout,
en matire de
dictionnaire,
les
termes
autorit,
citation
et phrase tire des Auteurs. Ainsi, Richelet ne men
tionne pas le
sens
linguistique de
exemple,
sous cette
entre.
Notre
emploi
actuel d'exemple
en
matire
de
dictionnaires
semble
la
fois une
spcialisation du sens
gnral
(servir d'exemple ...,
phrase
dont on
trouve
un exemple
dans...),
et
une
extension
de l'usage
des grammairiens. En
outre,
l'opposition
entre
la notion de citation (le
terme
citation
tant
plus
ancien qu'exemple, dans ce contexte) et celle d'
exemple
forg
, a
d inciter
employer
le
mot
exemple pour servir
de
gnrique.
Par ailleurs,
la linguistique du XVIIe
sicle
ne fait pas clairement l'opposition
entre
les lments complexes (au-del du
mot)
mais cods
et
ce qu'on peut
aujourd'hui
nommer
les exemples
libres .
L'ensemble
est
souvent dsign
par
l'expression
les phrases
reues
4 qui
s'applique
la
fois
des lments
du
systme
de
la
langue (locutions, etc.)
et
aux
modles
littraires
de bon usage,
incarns
dans
des noncs (appels
phrases ) qui sont pour nous
des
exemp
les
.
Au moins jusqu'au
milieu du
XVIIIe s. ,
exemple
reste imprgn de
la
concept
ualisation dominante
d'exemplum,
qui est
celle des grands rhtoriciens
latins :
au premier chef Cicron et Quintilien.
Aussi
n'est-il pas
inutile
de
rappeler
l'conomie du
concept
antique de
l'exemplum,
qui
s'inscrit en logique dans Vinductio et en rhtorique dans la
probatio.
2. Notion
gnrale
:
logique et
rhtorique
Ds l'antiquit, l' exemple
s'applique
la
rhtorique, la dialectique
et
la
morale,
frquemment
appliques
au domaine
juridique.
3. Comme
le
note T. R. Woolridge ici mme,
la
valeur
du
terme
est
alors plus large
qu aujourd hui
:
c est que
l exemple n y
est
pas forcment exemple-de-forme linguistique, mais exemple-de-proprit
smantique.
4. Le projet
de
Dictionnaire de l Acadmie rdig par
Chapelain
dit :
le
trsor
et le
magasin des
termes simples
et
des phrases receiies ,
entendant
par l
syntagmes,
locutions
et
phrases extraites des
Auteurs les plus
sains
,
garants du bon usage. Mlange donc, de
lexical et
de rhtorique
saine
.
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Paradigma chez Aristote (Rhtorique, Topiques), exemplum chez
Cicron
ou Quintilien concernent l'induction
d'un fait
particulier (ou
de plusieurs) par
une
autre fait particulier, impliquant une rgle ou
une
tendance.
Ainsi l' exemple
a
valeur
de
semi-preuve
par probabilit.
Etant une
mise
en rapport d'objets singuliers,
il ne
peut
prouver
une
loi universellement
,
mais
il
peut
infirmer
une proposition
universelle
(en
tant
que
contre-exemple).
En
termes d'pistmologie moderne
et
franglaise c'est un instrument de
fal
sification
.
Illustrant la rgle ou la tendance implique, il
a
vertu
pdagogique.
L'exemple est
et demeure
concret
et singulier
;
d'o, en morale, son
impor
tance ct de la rgle (Kant ; Bergson qui
considre
que
l'exemple
est
plus
efficace,
parce
qu'il convainc affectivement).
Si
l'on
rduit l'exemple
en
tant
que
modle moral
sa fonction rhtorique
et
logique,
on
peut le dfinir trs gnralement comme
:
signe inductif
d'une
catgorie de faits singuliers, renvoyant implicitement
une rgle
ou
une
tendance, c'est--dire une
norme
.
On
voit
que
cette dfinition
s'applique
galement l'exemple de grammaire
et
l'exemple de dictionnaire, le premier
insistant sur
la
rgle
et le
systme,
le second sur
la
norme
et
l'usage,
avec
d'importantes interfrences.
Dans les Oratori institutionis, livre V, Quintilien dploie tous
les
moyens
utilisables dans le discours
pour
rendre
une
assertion certaine.
C'est
la probatio,
lment essentiel de la
dmarche
juridique.
En
cartant les preuves dites
natur
elles,
dont le caractre formel
et a-logique
est nos yeux
clatant
(elles incluent,
comme
on
s'y attend, les
tmoins, les pices
[tabul]
du
procs,
l'opinion
commune, mais aussi
les
serments,
les
prjugs
et mme
la
torture
5),
la
rh
torique de Quintilien divise
la
probatio
en
signes
(signa),
arguments
et
exemples.
Les
premiers
sont
rapidement
expdis, car,
pour Quintilien,
ils rejoignent les
preuves naturelles
il
s'agit d'une smiotique de la conviction par
indices,
symptmes, marques... Avec
'argumentation et ses
modalits, enthymme, ra
isonnement syllogistique
(epicherema)
et demonstratio, on
est au
cur
de
la
rhtorique
en
tant qu'utilisatrice des
proprits analytiques
du
langage.
Le
classement
de Quintilien est assez divergent par
rapport
la tradition
cic-
ronienne
: ainsi
le raisonnement par epichrme
est
plus
prcis que
la
ratiocinatio de Cicron, car
il
est dfini par contraste avec la
demonstratio.
Celle-ci revt
une
importance particulire
pour
le
lexicographe,
car elle est
frquemment dduite, toujours selon Quintilien, des lments de la definitio.
Le dernier volet de
la probatio,
aprs les signa
(naturels ou
artificiels
mais signum
a ici
une valeur spcifique et n'englobe
pas
le langage) et
les
arguments
, est
donc
constitu d'exempla.
5. La parent
lointaine
et indirecte
de
la
torture
et
de
l exemple au sein
de
la probatio peut tre
exploite rhtoriquement. Le discours recueilli
est
parfois mis la
question
pour qu il avoue
le
bon
usage,
volens nolens.
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Ceux-ci
(livre V, chap. XI) sont dfinis trs juridiquement
comme des
preuves qu'on
tire du dehors
pour
les appliquer une cause . Cette dfinition
est utilitaire
et pragmatique.
Plus
essentielle, cette autre
dfinition de Vexem-
plum, comme
une
similitude (similitude, qui traduit le
grec
parabole,
a
la
valeur de comparaison et
inclut
l'
analogie ; Cicron employait colloca-
tio)
fonde sur
l'autorit
de
la
ralit
(rerum gestarum
auctoritas).
Cette
similitude exemplaire
,
qu'elle
soit
totale
ou
partielle, directe
ou
inverse
(exemples
dissemblables
,
contraires) est la
plus
efficace
pour servir
de
preuve.
Ainsi, quels que soient
ces
exemples rhtoriques
chez Quintilien,
rcits
moralits
(les fables
d'Esope),
adages,
proverbes..., ils ont
pour nature une
similitude
ou
une dissimilitude
et
pour objet
un
raisonnement probatoire. Le
concept ainsi construit est pntr de juridisme : ainsi les
dcisions
judiciaires
sur un cas
semblable
celui
qui est
jug (la jurisprudence
d'une cause)
sont
des
exempta. Se
dgage
alors
une
notion
moins
extensive
de
l'
exemple
,
auquel
peut s'ajouter
l'auctoritas.
Mais l'auctoritas rpond bien
la premire
dfinition
de l'exemplum : il faut donc
supposer
aux exempta un caractre
plus
ou moins
net
ou
fort
d'autorit.
Quintilien
refuse
ce caractre
la
jurisprudence, pour
exemplum, et l'accorde aux opinions
pr-juges.
On peut interprter ceci en
notant
que l'expression
langagire
de ces
opinions,
qui
relvent,
on
l a vu, des
preuves naturelles, fait partie des preuves artificielles
exemplaires
,
l'artifice
tant ici
la
mise
en discours
juridique de
la sagesse des
nations
(coutumes,
dictons...). Relvent aussi de l'auctoritas les
proverbes,
les sententi des
crivains par exemple celles que citent les
ouvrages
philosophiques
ou
encore
la
parole
divine
(oracles,
etc.).
Il sera bon de garder en tte cette similitude probatoire
plus
ou moins
charge
d'autorit,
en
quittant le tribunal auquel pense Quintilien
pour entrer
dans le dictionnaire. En effet, cette invention mtalinguistique s'est
rpandue
socialement
notamment lorsque les
dictionnaires
unilingues
sont apparus,
en
singeant
le
prtoire, au nom
d'un
systme de valeurs labor en
pleine
idologie,
c'est--dire
en
pleine contradiction avec
les lments logiques
du langage.
Ce
systme est la norme. La
force
du
bon
usage
, habillage dmocratique
d'une loi
du plus
fort
(socialement,
intellectuellement,
politiquement)
est
particulirement
bien
incarne par
la
tradition
lexicographique franaise. Mais
cette
prennit
de
la thorie rhtorique
de
exemplification est
occulte :
dans
la
doctrine
classique
de
l'arrangement oratoire
(Du
Marsais,
Batteux), place est faite aux
arguments,
aux signes comme chez Quintilien aux tropes,
l'arrangement,
l'harmonie, au style,
et
gure
l'
exemple .
Par
ailleurs, la pertinence d'une ide gnrale
ventuellement d'un
concept de
l'
exemple
est garantie par la
nature
mme du
discours que
tiennent
d'une
part
les
grammaires, de l'autre les dictionnaires de langue.
Ces
derniers, depuis la Renaissance jusqu'
la
fin de l'ge classique
et
encore
dans la premire
moiti
du XIXe
s.,
procdent d'un univers
de
discours rgl par
99
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la rhtorique
et
par
une
logique,
d'abord
aristotlicienne,
puis,
en France,
cartsienne (relaye par Port-Royal), logique dvoye au nom
d'une
norme
sociale.
Hobbes,
Locke
et
Condillac conduiront
ailleurs,
dans
le psychosocial. En
outre, la pdagogie de la langue, axe sur le latin et sur cette norme sociale
exigeante, trs
litiste
du langage, utilise elle aussi
les
ressources
de
la rhtorique
classique.
Le rle de exemplification dans la description grammaticale,
puis
dans la
description des dictiones,
ou manires de dire (mots
et idiomes),
ainsi que dans
l'analyse
smantique, elle
aussi
lie la
rhtorique
par les tropes,
donne
des
notions
comme celle d' exemple une importance et
une
polyvalence
extrmes.
Ce qui se
passe
au XVIIe s.
quant
l'
exemple
par
rapport
aux rf
rences possibles l'antiquit c'est
que
cette notion
cde
la
place
celle
d'
autorit et
de
citation
, tandis
que
la pratique exemplifiante va
bien
au-del de ce
lieu commun
qu'est
le bon
usage
de la
langue pour atteindre,
souvent
l'insu
des
lexicographes,
la langue
mme,
son
systme.
Alors,
l'exemple
de
dictionnaire et
l'exemple grammatical se confondent
structurellement,
sinon
fonctionnellement.
3.
Interfrences philosophiques
Reste rappeler quelques
points
de la tradition logico- philosophique du
paradigma-exemplum, qui interfrent
d'ailleurs
avec la conceptualisation
rh
torique
et
juridique
et
ne se sont pas entirement
effacs
dans la notion d' exemp
le, mme
en lexicographie.
Depuis
Aristote, le
paradigme
s'oppose
l'enthymme qui est
une
dduction
:
c'est l'induction d'un
fait
particulier
par un
autre
fait, qui permet
d'voquer
une loi
de
manire
implicite.
Comme
on
l'a vu
en
rhtorique,
l'
exemp
le ne
peut
pas
prouver une loi (produire
une
proposition
universelle), mais il
peut infirmer
une
telle
loi.
Il a valeur de
probabilit,
plusieurs exemples permet
tant'induire
une
loi acceptable, sauf contre-exemple avr
(Topiques
VIII,
157-160).
Il
a valeur pdagogique, permettant d'illustrer
une rgle
ou un
concept.
Aristote
nous
fournira prcisment un
exemple exemplification (Rh
torique
I, 1357) dans
le
raisonnement
inductif
suivant
:
Tous les tyrans
connus
ont commenc
par demander
une garde personn
elle
Denys demande une
telle
garde
Ce qui induit
que Denys aspire
la
tyrannie.
Comme
on
le voit, la tradition technique (logique et
rhtorique)
du para
digma
est
abstraite c'est
une
dmarche
qui
passe
de
faits
concrets
invoqus
une rgle probable.
En
fait,
il
s'agit plutt d'exemplification par similitude
finalit probatoire que
d'exemple. C'est le
terme
exemplum, plus concret (il peut
100
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signifier chantillon
,
copie
fidle ) qui correspond le
mieux
aux
emplois
modernes
de exemple
,
notamment
en linguistique.
C'est plutt en
pdagogie
et
en
morale
que
la tradition du
paradigma
grec
s'est maintenue, notamment
chez
Kant, qui
insiste sur le caractre factuel (non thique) de
l'exemple,
ce
dernier relevant
de
la raison pratique
.
L'exemple,
Vexemplum,
est la base
concrte,
factuelle,
de
la dmarche
inductive
du
paradigma
aristotlicien.
Pour les
philosophes comme
pour les
linguistes,
l'exemple est finalement
le
signe
inductif
d'une catgorie de faits
relativement
homognes
renvoyant
ainsi
une
rgle
probable (point
de
vue logique),
une norme (points de vue
social,
rhtorique, juridique...). Dans
un
dictionnaire, les exemples, faits
de
discours
individuels assums
ou non, renvoient
donc
inductivement
une catgorie de
faits (syntactiques, smantiques, pragmatiques) pour dgager une
norme, soit
objective (statistique,
philologique),
soit projective (sociale, politique,
idologique).
II. Statut de l'exemple de dictionnaire
1. Statut
fonctionnel
dans le texte
lexicographique
Le
dictionnaire fournit une srie
d'assertions
portant
sur
des objets-signes
slectionns en fonction d'une conception descriptive
plus
ou moins troitement
soumise
l'laboration
et l'imposition d'une
norme.
Certaines
parmi ces
assertions sont synonymiques et explicatives (les d
finitions, notamment) ; d'autres catgorisantes, d'autres encore exemplifiantes.
Les
dictionnaires du XVIIe s. explicitent parfois leur propos, quant aux d
finitions, dans une
smantique, soit
de la signification ( ce mot
signifie
,
ce
mot
se
prend dans tel
sens ,
etc.), soit
de
l'quivalence ontologique
( c'est... ).
Pour l'exemple, la rgle
est l effacement de toute
prsentation,
moins
d'explicitation
exceptionnelle, en cas d'hsitation
quant la norme.
L'intressant
article
PEUPLE
du
Dictionnaire
de
Richelet
fournit
un large
ventail
de possibilits, quant l'exemplification 6.
Peuple s. m. Ce mot
en
gnral signifie...
[explicitation
smantique
de
la
dfinition]
(ainsi
on
dit [explicitation
d'exemples
anonymes] ;
il
y
a
bien du peuple
Paris,
il y
a une infinit
de peuple
Paris).
6.
Les
passages
entre
crochets correspondent
mes
commentaires.
Les
parenthses
appartiennent
au texte
de
Richelet,
ainsi
que les
italiques.
Le texte
est
interrompu :...,
[...].
101
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
9/27
Peuple
s. f. [sic] Ce mot se prend dans un sens moins vague...
[explicitation
pragmatique
et smantique
de
la
dfinition]
(Et
c'est dans ce sens
que
d'Ablancourt
a
crit
que
le peuple est
amoureux
de
la nouveaut [explicitation d'une citation d'auteur servant d'autorit]...)
Peuple.
Ce
mot se prend
aussi dans
un sens
plus
resserr
pour
dire [... suit
une
dfinition]
(Saint-Eustache est la paroisse de Paris o il y
a
l
plus
de peuple
[l'exemple
est
implicite]...)
[...]
*Peuple.
Ce
mot
se
dit
au figur
dans
un sens assez
nouveau...
[explicitation
smantique
et
pragmatique, alors que
c'est
la syntaxe qui est
en
cause,
ce que marque
l'exemple rfrenc]
(II
faut
estre
bien peuple
pour
[...] Nouvelles remarques sur la langue).
Alors
que
l'explicitation
de
la
fonction dfinitionnelle
est
relativement
fr
quente
dans ce
dictionnaire (et
dans ceux
de l'poque), celle de
l'exemple
est rare
et concerne
la problmatique de la
norme,
comme on
le
voit clairement par cet
article
:
ANXIETE, Mot corch du latin anxietas [...]
Anxit
ne paroit pas encore
fort tabli, et l'on
ne
le
trouve dans
aucun auteur
bien
fameux [
. .
] Pour
moi
[...] je serois dans quelque scrupule de m'en
servir.
Des gens moins scrupu
leuxisent, II
est dans
une
grande
anxit d'esprit.
Dans
ce
type
d'explicitation
des
jugements de
valeur,
qui concerne l'origine
du mot, son emploi et son absence
suppose
des bons auteurs, la finalit relle et
l'idologie du dictionnaire
se dvoilent
clairement. Dans
un
sens, le
caractre
implicite de
ces
jugements dans nos dictionnaires contemporains, hritiers de la
pseudo-objectivit scientiste
du XIXe sicle,
rend
leur
analyse encore
plus
diffi
cile.
Le statut fonctionnel de
l'exemple, apporter
la
preuve
de l'usage, no
tamment du bon usage, par
une
squence
en discours,
se
reflte
par le
terme
employ
au XVIIe s. de
phrase reue
o. phrase est ambigu (syntagme,
phrase
lmentaire
ou
complexe)
et
o
reu
fait
allusion
la
sanction
sociale
de
l'usage.
Ce terme
entretient
une
ambigut encore active
pour
la notion d' exemp
le :
on considre aujourd'hui comme
exemple toute squence suppose
refl
ter 'usage d'un
lment
de discours et
contenant
Ventre.
Cette
conception
initiale
de l'exemple nous apparat aujourd'hui comme trop large,
et
il
convient
de distinguer de l'exemple proprement dit toute squence contenant
l'entre
et
qui
est
traite la
manire d'une
sous-entre
ou d'une
valeur
smantique
du
mot-entre. Il s'agit par
exemple
de
syntagmes
figs (ou cods), de
termes
com
plexes
(syntagmes
terminologiques),
de locutions,
expressions et
mme de
phrases
codes (proverbes, allusions...).
Ces
lments
sont
souvent
reprables par le
102
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
10/27
discours mme du dictionnaire,
qui
les fait suivre de dfinitions, de gloses
et
pour les
dictionnaires bilingues,
d'quivalences
en traduction.
Ces
sous-entres sont donc,
dans
l'conomie de la description lexicographi-
que,
assimilables
aux sens distingus d'une
mme entre
(smmes) et
sont,
comme
ces significations, illustrables par de vrais
exemples et des citations. C'est
le
cas
de petit
peuple
et
de
peuple
potique
dans
l'entre
peuple
de Richelet, alors
mme que
peuple
potique ne semble gure
avoir d'autre existence que comme
production
rhtorique.
Pour nous, l'exemple
stricto
sensu
est
une
squence
discursive (un
fragment
d'nonc ou un nonc) qui ne fait
pas
partie du code
lexical
de la langue, et
qui
peut comprendre, non
seulement
des phrases
ou
des passages au-del de la
phrase, mais
des
syntagmes libres
et
des
modles
de
constructions.
Bien
entendu,
le passage
de
l'lment cod
l'lment exemplifiant
libre
est flou,
comme
l'attestent
les innombrables
tudes sur
le dfigement des
noncs idiomati
ques.
2. Statut smantique (et smiotique) de l'exemple
D'aprs
J. Rey-Debove
dont
je m'inspire ici le propre du discours
lexicographique
est de
mettre en
rapport,
des
fins
mtalinguistiques, des
lments autonymes, tels
l'entre, et,
des fins
didactiques,
des lments de
langage non autonymes. L'exemple
est
lui-mme autonyme,
en
ce qu'il
signifie
(ou
connote),
outre son
contenu propre, une caractristique du discours
qu'il repr
sente.
Cependant, ces
lments
(mots,
termes,
locutions...)
qui
composent
l'exemple sont
eux-mmes en
usage, ne sont
pas autonymes. Sur ce
point,
les
thses classiques
des logiciens,
Carnap,
Tarski,
Strawson,
selon lesquels
tout
nonc
autonyme est form d'lments autonymes, sont clairement
contrebat-
tues.
Cependant,
l'exemple
en lui-mme
peut
videmment tre
lu comme non
autonyme, comme en usage et ajouterai-je, comme exemple
prcisment
d'un
type de discours constitutif d'un usage. Ainsi, dans les termes de J. Rey-
Debove,
l'exemple est
l'objet
d'une double lecture toujours possible.
Il
s'agit
d'ailleurs,
non
pas
d'une opposition binaire
tranche,
mais
d'une
ambigut entre mention
et usage,
qui permet de voir
plus
ou
moins, dans
tout
exemple, deux smantismes, l'un
indirect,
renvoyant
un signe de langage,
l'autre direct,
renvoyant
un contenu
conceptuel ou
un rfrent.
Ainsi,
dans
les exemples non rfrencs de Littr, exemples supposs
forgs
, le romancier
Richard Jorif 7 a
voulu
trouver
un corpus
renvoyant la
vie et
la
vision
du
monde
du lexicographe en
tant qu'nonciateur
individuel.
7. Dans le
Navire
Argo,
Paris, Franois Bourin, 1987.
103
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
11/27
Dans tous les cas o
l'exemple est
rfrenc,
il
renvoie selon moi trois
niveaux de signifiance :
l'usage
langagier comme
tout
exemple par autony-
mie
; l'univers
de discours indiqu
(l'uvre de X ; telle uvre ;
tel type
d'uvre ; le discours de tel genre littraire, de telle
cole,
etc.) ; enfin, un univers
de rfrence extra-linguistique
gnral qui
correspond
la lecture nave,
extra-
lexicographique,
non
critique, des
textes.
C'est
ce dernier
rfrentiel
qui
suscite
notre tonnement quand la
rfrence
est
omise
ou
efface ; par exemple
lorsqu'on
lit,
dans l'article peuple de Richelet,
cette
assertion
apparemment
premptoire :
le
petit
peuple de Londres est
mchant
.
L'opposition entre citation et
exemple
non rfrenc, dj sensible, se rvle
aussi
du
point de vue nonciatif
Le
second
est
cens tre nonc didactiquement
et
lexicographiquement par l'auteur ou l'un des auteurs du dictionnaire ; alors
que le premier reoit
un
nonciateur explicite,
l'auteur
d'une
oeuvre
socialement
perue source d'autorit.
Or,
cet auteur peut recourir et recourt fr
quemment,
par
la smiotique
propre
au
texte
qu'il
a
produit,
un
nonciateur
ou
une
pluralit d'nonciateurs,
en
gnral fictifs
et
littraires
(tel
le
narrateur
proustien) : citer une
pice
de thtre,
c'est recourir
une
totalit
d'nonciateurs-personnages sans
toujours
les expliciter ;
citer
un
roman,
ce
peut
tre
recourir
renonciation de
personnages capables
de contredire, au
niveau de
la
forme
comme des contenus, l'nonciateur
affich
qu'est
l'auteur
et le
mta-
nonciateur
qu'est le lexicographe.
3.
Statut
social
et
pragmatique de
l'exemple
L'exemple
s'insre
dans le texte du
dictionnaire
non seulement fonctionnel-
lement, mais
par
le modle
de communication que permet
le
discours
lexicogra-
phique
en
question.
Chaque
dictionnaire
construit
ainsi
une
pragmatique de l'exemple au
moyen
d'une chane de
dcisions et
de choix,
qui
vont de l'image des usages de la
langue
aux rhtoriques propres
chaque ouvrage. Le mme type de choix et de proc
dures
est l'oeuvre
avec
d'autres objets (dfinitions, marques,
etymologies...).
C'est ainsi
que
l'appareil d'exemples d'un dictionnaire
manifeste ou trahit
des positions pdagogiques, ditoriales voire commerciales,
et
en gnral
idologiques, autant et
parfois
plus que l'analyse des
sens, les choix de nomenc
latures, la politique dfinitionnelle.
Ceci, tant
pour
l'exemple
non rfrenc
qu'il
soit
ou non forg
que
pour
la citation
philologique.
Ce statut
socio-pragmatique
fait
(ou
doit
faire), tout autant
que
le statut
fonctionnel, l'objet des tudes
de
mtalexicographie
historique.
104
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
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III. Fonctionnements
1.
Gense,
fonctions
et
pouvoirs de
l'exemple
dans
les
dictionnaires de
langue
1.1. Le discours-source que
reprsente
l'exemple propos
d'un
lment-signe
(mot, smme,
syntagme fig, locution...)
est
ou non reprable dans son origine
selon le systme
de rfrence.
Celle-ci
peut tre
complte
(selon
les connaissances philologiques) ou part
ielle
(rfrences un texte, sans lieu ;
rfrence
un auteur).
Lorsque
toute
rfrence
est
absente, trois cas se prsentent :
i) L'exemple, nonc,
phrase
ou
syntagme
est
prlev
sur un texte ou, bien
souvent, sur un autre
recueil qui
avait fait
la
mme
opration d'effacement, et
ceci
sans
autre opration
que le dcoupage.
ii)
L'exemple
est
issu
d'un
texte,
mais ce
texte
a
t modifi
par
interruption,
neutralisation des
marques
d'nonciation ou
de
discours
(substantifs
et adjectifs
mis
au singulier, au masculin pour les adjectifs ; verbes l infinitif ou l'indicat
if
tc.). Ainsi P. Corbin
a
pu tudier
les
manipulations productrices
d'exemples
non rfrencs
dans le Micro-Robert et qui
procdent
d'exemples rfrencs du
Petit Robert.
Ces derniers sont
souvent
emprunts,
parfois
avec des modificat
ions u corpus
de citations
du Grand
Robert, ce que vient
d'analyser Alise
Lehmann
8.
Ces procdures sont observables
dans toute ligne de
dictionnaires
(Richelet
au XVIIIe s., ou encore
la
srie
Furetire-Trvoux
; les dclinaisons du
Grand
Dictionnaire
universel
de Pierre
Larousse).
Il
arrive mme
que
ces
manipulations
soient constitutives
d'une
mthode.
Ainsi, les syntagmes trs
abondants du TLF
(au moins avant le 10e
vol.) provien
nentn principe tous du corpus appel Frantext, du fait du caractre strictement
philologique
de
ce dictionnaire,
procdure
qui
illustre
la
frnsie
scientiste du
corpus
aliment par
ordinateur que
l'on
retrouve
notamment en Grande-
Bretagne (le Co-Build, par ailleurs assez
remarquable,
publi chez Collins).
iii) L'exemple, en gnral
un
syntagme ou
une
phrase
lmentaire
neutralise,
prsent sans rfrence,
n'a
pas de source reprable. C'est en
gnral le cas pour les dictionnaires lmentaires, certains dictionnaires
encyclopdiques
(les
Larousse
actuels),
les
dictionnaires
pour
enfants.
D'autres
dictionnaires marient deux ou
trois
des solutions
dcrites
ici. La source
suppose
des exemples sans rfrence est l'aptitude
exemplifiante
(discursive, rhtorique
et pdagogique) du lexicographe,
l'intrieur d'une conception explicite
ou
implicite,
plus ou
moins normative, de
l'usage. Ces exemples,
mieux
que
tout
autres, sont des symptmes
et
des indices de
l'activit
lexicographique indivi
duelle. L'exercice qui consiste
gommer
les finalits fonctionnelles de l'exemple
8. A. Lehmann, Du
Grand
Robert
au Petit
Robert
: les manipulations
de la
citation litt
raire , in Lexique 12-13, Presses Universitaires
de Lille, 105-124.
105
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13/27
pour exercer une lecture non autonymique peut avoir des charmes. On
consid
rerapart, comme manifestation de l'ambigut de cette institution, la politique
du dictionnaire
de
l'Acadmie
franaise, qui
prtend mettre
contribution les
auteurs immortels
,
alors qu'elle recourt
aujourd'hui
au
service
de
lexicogra
phesnonymes, dvous et
soumis au
joug assum
de
la
tradition.
Chez Richelet, illustrant le
syntagme
prsent comme fig :
le
petit
peuple,
l'exemple le
petit
peuple
de
Londres est mchant (repris au XVIIIe
s.) a t signal
plus
haut. Son incongruit
trahit une
source
que j'ignore.
Il pourrait s'agir d'un
ouvrage d'histoire faisant allusion
au
rgicide de
1649.
Si
l'idologie des citations se
laisse analyser
par
recours
une
oeuvre, celle
des
exemples
sans rfrence est directement
sociale.
Dans le
Petit
Larousse
de
1906-1907 dit par
Claude Auge, sous
gaiement,
on
lira
avec
amusement
cet
exemple relev par
J.
Dubois :
marcher gaiement
la
mort
Assignable l'idologie de
l'poque,
cet exemple est
probablement d
un
lexicographe adepte de la fleur au
fusil,
mais peut
aussi
tre emprunt
un
quelconque
Droulde. Cet exemple, par
remanence,
a t maintenu dans
le
Petit
Larousse jusqu'en 1950, date o
il cde la
place
travailler gaiement,
lequel est
aujourd'hui
limin.
Ainsi la
gaiet suppose
du
sacrifice
patriotique
ultime,
puis
celle
du
travail, ne
sont
plus
vocables dcemment dans la socit
contemporaine,
volution que reflte avec
un certain
retard le dictionnaire.
1.2.
La
production
de
l'exemple
peut
donc
venir
d'une
extraction
par rapport
un corpus qui suppose reprage
pralable ou
choix a posteriori, dans le
cas
rcent des
textes
intgraux
emmagasins dans l'ordinateur ou d'une mise
en discours des units dcrites.
Les
procdures
de slection, dans
le
premier cas,
sont trs complexes. Ainsi
Paul
Imbs, pour la constitution du texte-corpus destin au TLF, a-t-il procd
ou
fait procder par
slection
pralable
d'oeuvres
(
l'aide d'une
batterie de
m a
nuels,
refltant
une
idologie
pdagogique
probablement
modifie par
des choix
personnels
en juger par l'abondance des extraits d'un Lon Cladel 9 dans
l'ouvrage), la
mise
en
mmoire
du corpus
en texte
intgral
reportant
la
slection
au moment de la prparation
rdactionnelle.
Alors, l'abondance de ce corpus
a
conduit des pr-slections trs complexes, soumises des contraintes matr
ielles soigneusement dissimules au consulteur du produit fini. 80 % du matriel
taient puiss
l'ensemble
discursif
caractris comme discours
littraire
en
franais moderne et produit entre 1790 et 1950 ou 60,
ensemble
qui
permet
autant
de choix,
de
dosages et d'exclusions qu'il
y
eut
de
dcideurs
potentiels.
9. Rien de
scandaleux, d ailleurs,
dans
le choix
de cet crivain
original,
nergique
et injustement
oubli.
106
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La
plupart des autres
dictionnaires
procdent
de
manire asystmatique et
la slection
y est toute
diffrente.
1.3. Slectionn et
dcoup,
fidlement reproduit ou trait
,
l'exemple
ob
serv est alors restitu.
Le
contexte
gnral
de
la
restitution
de
fragments
de
discours socialement
valoriss
et
cits est trs large
et variable,
de l'exergue au titre ( les
merveilleux
nuages
), de l'inclusion dans un texte didactique ou polmique, voire propagand
iste l'utilisation
dans
le
discours
littraire (voir la Seconde main
d'A. Compagnon,
propos
de
Montaigne) ou dans le discours didactique.
Cette restitution va du recueil pdagogique, anthologique, au recueil de
citations, au
dictionnaire
de
langue
gnral
ou
des dictionnaires spciaux (de
locutions, par exemple).
Dans le cas trs
spcifique du dictionnaire
gnral
de
la langue
ct
de
celui,
non
moins
important,
des
grammaires
de nombreuses procdures
sont
envisager :
dcoupage des
extraits
traitements
et
modifications
reprables
rfrencements par
l'auteur, le
titre, le
lieu...
disposition et
ordonnancement dans l'article de
dictionnaire
prsentation typographique.
Les
solutions sont trs
variables. Ainsi, au
XIXe
s.,
alors
que
Bescherelle
ou
Pierre
Larousse
disposent
leurs extraits
selon l'analyse smantique, puis
termi
nologique,
enfin encyclopdique de leur matriel lexical,
Dochez et
Littr
adopt
ent
un
double
ordonnancement,
d'abord
chronologique pour
l'ancien
et
le
moyen franais,
puis
smantique
pour le
franais
classique et
moderne.
Le
procd de
Dochez, qui consiste
numrer
les
significations de son entre,
puis
d'aligner (a) des
citations
archaques
en
italiques (b) des citations
modernes
,
renvoyant implicitement
aux
sens numrs
plus haut, revient
juxtaposer
un
dictionnaire gnral lmentaire et
une
anthologie langagire.
Littr,
plus
raison
nable,
fait
de l'exemple-citation une illustration
appuyant son analyse
s
man tiqu e
Les
dictionnaires
modernes de
la langue franaise
ont
en gnral adopt
les
procdures
mises
au
point
par
le
Dictionnaire
gnral,
ne retenant
de
l'ancien
et
du
moyen franais
que des
exemples de
premire
attestation
et donnant
aux
exemples modernes
le statut d'
exemple-de-l'usage
tel
que
cet
usage
est ana
lys
par le dictionnaire.
Ces considrations
s'insrent
dans un domaine important de la critique
lexicographique : la
place
de
l'exemple
par
rapport
aux
autres
lments du
discours
du dictionnaire.
En gnral, ce discours met en uvre
une
squence : objet
dfinir
(mot,
sens,
valeur, locution)
+ dfinition ou
glose
+ exemple(s)
,
ce dernier
(ou
ces
derniers) venant
l'appui
de
l'analyse
propose.
107
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
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Mais
une relation rciproque
peut-tre
dialectique
entre
la dfinition
et l'exemple
est
partout
observable.
D'une
part, la rpartition des traits descript
ifs
ntre dfinition
et exemple
n'est pas fixe : les premiers seuls sont
supposs
tre pertinents et cette
pertinence
n'est jamais tablie d'avance ; d'autre part, de
nombreux exemples
contiennent
des
traits
dfinitionnels
,
sans
mme
parler
d'exemples-dfinitions, choisis
pour
suppler
aux
dfinitions du
lexicographe
ou
pour les complter.
Il
arrive
aussi
que
la
squence
dfinition-exemple soit
inverse, pour des
raisons pdagogiques ou mme thoriques (Marcel
Cohen).
La relation langue-
discours
est
alors en cause. Une vritable bataille
pdagogique
et ditoriale s'est
rcemment livre sur ce point,
propos des dictionnaires
pour
enfants.
1.4. La production d'exemples
(non
rfrencs) dont l'abb
Fraud
disait
qu'ils
taient faits
plaisir ce
plaisir n'est
pas toujours
vident, au moins du
point de vue du lecteur pose des problmes particuliers : ces
exemples
sont
en
gnral moins spcifiques
que
les
exemples
signs
et correspondent
intention
nellement
l'illustration d'un
fait de
langue et d'usage plus
qu' une mise
en
discours singulire.
En
cela, ils sont plus
exemples
que les
citations. En
revanche, ils le sont
moins,
si
l'exemple
doit tre
une
autorit
(c'est le sujet de
la controverse entre
l'Acadmie et
ses concurrents)
ou
encore
une
rfrence
culturelle un
savoir
suscit par les mots.
Une
telle fonction anthologique
et
allusive est
trs
active dans les dictionnaires, mais mal
perue
par la
plupart
des
linguistes,
qui
vivent souvent sur l'ide
fausse
qu'un
dictionnaire
dcrit
une
langue, un systme.
1.5.
L'opposition
(au sein
d'un continuum)
entre exemple anonyme
et citation
rfrence est
trs observable
sur le
plan
gntique
production
vs philologie,
cette seconde attitude tant impose
la
description
des
langues mortes
ou
inconnues du descripteur. Le cas est frquent dans les dictionnaires d'anthropo
logues
t
d'ethnologues,
faux
unilingues
o le mtalangage
est
celui de la
commun
aut
cientifique
dominante.
Cette opposition reste importante du point de vue
fonctionnel.
Mais je
ne
la
crois
pas exploitable
du point
de
vue
linguistique ou
smiotique.
Ainsi, voir en l'exemple
forg
(prsum
tel) une
phrase
et en
la citation
un
nonc (Martin,
op.
cit.) me parat difficilement dfendable,
sinon comme
la
manifestation
d'une
tendance
assez vague
privilgier
soit
l'aspect
langagier
(la langue et
ses
usages),
soit
l'aspect
pragmatique-nonciatif.
D'abord, les
deux
catgories contiennent toutes sortes
d'units linguistiques
:
syntagmes,
propositions,
phrases,
squences
de
phrases.
De ce point de
vue, la
production
et
l'extraction-dcoupage
produisent
les mmes
types d'unit. On
peut
prciser
que
des units de
nature
rhtorique (rythmiques,
stylistiques,
mtriques) ne sont mises
en
scne que
dans
la citation rfrence
(mais
dj le
Dictionnaire
de rhtorique de
Morier,
avec ses
mta-posies
exemplifiantes me
dment.
.).
Quant
la smiotique
de
renonciation, elle
est certes
concerne, mais
seulement par les diffrences
de
mise en place des
nonciateurs.
Ce
dernier peut
108
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
16/27
tre
anonyme,
lexicographiquement
assum (espce
bien reprsente
du XVIIe s.
avec
Richelet,
Furetire,
au
XIXe
s. : Pierre
Larousse, mais
devenue rare) ;
il
peut
tre
effac, reconnu, et alors identifi
un
auteur,
un texte, un
personnage (thtre, discours), avec des zones d'incertitudes difficilement vita-
bles
(le
cas du discours indirect libre dans certains romans). Les circonstances
d'nonciation,
d'une
manire
gnrale,
sont
trs
peu caractrises dans
les
exemples
de
dictionnaires.
A contrario, certains
exemples non
rfrencs sont
bel et bien des
noncs ; sinon,
il
serait difficile de
caractriser,
comme le fait R.
Martin
avec
malice, les exemples du
D. F. C.
10 dans
leur
teneur
culturelle et
idologique.
2. Finalits
de l'exemple
: problmes
de reprsentativit
2.1.
On l'a vu, l'exemple,
qui est un
extrait,
est par
dfinition
destin montrer
(
illustrer
)
et
autoriser
,
c'est--dire
justifier
la
fois
le
travail
lexicographique
et la conception de l'usage que
ce
travail prsuppose et prsente.
En
outre, (a)
il
doit enseigner.
Enseigner le
bon usage, par les rgles de
la
langue,
celles de l'usage slectionn et
parfois
celles du style (dictionnaires de langue
purs
) ; enseigner
des contenus
culturels valoriss ;
des
connaissances sur les
referents : dictionnaires dits encyclopdiques
.
(b) II doit convaincre, manif
estant
une
ou des
idologies
(langagire, culturelle).
Ce faisant
(c) il met
en
uvre
defacto de l'idologie,
en
gnral.
L'exemple est par nature un signe, dont les
signifis
sont extrmement
variables
et souvent pluriels
(pour le mme exemple). Ce signe est
constitu
sur le
plan
du discours :
i)
de
collocations et
constructions
supposes usuelles
ou ncessaires
(dans
les usages
slectionns).
Ce
sont des syntagmes nominaux et verbaux, des
phrases
simples,
souvent neutralises. La
nature de
ces
syntagmes est
soumise
l'exem-
plification
propre
chaque
partie du
discours.
Mtalangage
et
autonymie sont ici
dominants,
mais le langage
connotatif est
lui
aussi
trs actif.
ii) d'noncs-phrases, rfrencs
ou
non, qui
reprsentent des
caractres
linguistiques et des contenus extra-linguistiques varis dans leur
intention
et
dans
leur
nature.
Alors,
l'autonymie
est
combattue
par
des
effets
discursifs
dplacs,
mais
qui
restent
actifs : l'exemple est aussi
exemple
d'un style,
d'une
rhtorique
personnelle,
de
contenus
de
pense,
de vrit
ou
de savoir, le
tout mobilisant
un
ensemble de jugements de
valeurs
socioculturels.
Le signifi ultime de l'exemple son
objet,
sur le
plan
fonctionnel) se laisse
analyser en plusieurs
lments
amalgams, rpartis en trois
niveaux.
10.
Feu
le
Dictionnaire du
franais
contemporain de J. Dubois
et
al., dont
les
avatars au sens
hindouiste
chez
Larousse sont
fort
nombreux.
109
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
17/27
(i)
Des lments formels-fonctionnels, visant
une caractristique
du systme
de la langue, (a)
soit
morphosyntactique (exemples de
nature
morphologique et
syntactique, dployant
l'axe syntagmatique), (b) soit
smantique et paradigma-
tique,
et
alors
plus
troitement lexical. L'accumulation de
donnes paradigmati-
ques donne
ce
type
d'exemple
des
traits
communs avec la
dfinition.
On
comprend
aisment
que
les
exemples
de
mots
grammaticaux
(syncatgor-
mes),
de
verbes, d'adverbes, et
un
moindre
titre
les exemples
d'adjectifs, sont
plutt situs du ct de la morphosyntaxe, alors que les exemples de noms
substantifs accumulent
les
donnes paradigmatiques, impliquant plus
directement
et plus lexicalement
des traits smantiques (l'aspect s
m ntique
tant
bien
sr,
toujours prsent).
l'tat pur, ce
niveau
(i)
est
fictif
ou
plutt
asymptotique,
dans les dictionnaires rels
u.
(ii) Des lments la
fois fonctionnels et
sociaux, englobant
ceux
du niveau
(i), mais
passant
d'un
objet thorique, le systme de la langue,
ses actualisations
sociales
(temporelles, spatiales, sociologiques), c'est--dire aux usages.
On
y
retrouve,
pour
l'exemple, l'analyse esquisse en (i), avec des traits
suppl
mentaires,
qui supposent
l'intervention de jugements de valeur quant au
systme
de la langue (rarement), quant ses actualisations observables (usages) et surtout
quant aux discours
effectivement
produits dans l'un
des
usages
concerns.
L'exemple devient alors probatoire, non d'un fonctionnement jug conforme
un
systme,
des lois,
au sens scientifique
(grammaticalit et
smanticit dans
une
langue),
mais
d'un fonctionnement gouvern par des
rgles
sociales,
jug
conforme
une slection d'usages
parmi d'autres qui sont,
par le
fait mme,
carts :
soit
nis, limins, soit marqus
.
L'exemple, tmoin d'une loi au
sens scientifique,
cde
la
place
l'exemple, preuve
et
modle
d'un
usage,
d'une
habitude sociale et, dans certains cas, d'une norme exclusive, d'une loi au sens
juridique et plutt
d'une
loi coutumire
que
d'un code.
C'est
l'ide mme du
permis
face interdit, illustr
par
des auto
rites.
Qu'on
habille idologiquement
la norme prescriptive en bon
usage
n'y change
rien.
Cependant, l'appareil
d'exemples,
qu'ils soient forgs ou
rfrencs,
permet
de donner
chaque dictionnaire
un
caractre plus ou
moins
normatif,
caractre
que
manifeste par
ailleurs
le systme des marques.
(iii) Reprenant les
aspects
smantiques de
(i)
et de (ii), aspects dvelopps
autrement
par
les dfinitions, les
gloses
et
une
partie
des
remarques, l'exempli-
fication peut tre
celle
des
caractristiques
de certains discours socialement
accepts quant
leurs contenus
exprims (au sens
hjelmslvien
de
contenu
: forme
et
substance).
C'est sur ce plan que
l'on
peut distinguer pour
l'exemple,
comme le fait
R. Martin, des fonctions rhtoriques et pragmatiques
,
philologiques
11.
On peut admettre que
les
carcasses reprsentant des
matrices
syntacto-smantiques (qui
maillent si disgracieusement
le TLF
:
qqn
fait
qqch
qqn
pour
qqch
, etc.)
sont
des
exemples
de
langue,
quasiment
avant
tout
usage
110
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
18/27
et
pilinguistiques
terminologie de
Culioli
puis
au-del de la langue
encyclopdiques
,
idologiques et
littraires .
Tous
ces adjectifs sont
justifis,
mais ils ne
me semblent
pas tre situs
sur
le
mme
plan, quant
la
fonction exemplifiante :
ainsi
rhtorique concerne des
traits propres aux
discours
exemplifiants (non la
langue
ni l'usage),
philologique
concerne la
relation
entre
l'exemple
au sens
d'
extrait
et
son
lieu
d'extraction,
qui
est
lui
aussi un discours choisi, dj
extrait
de
l'indtermine
parole saussurienne.
En
revanche,
pilinguistique et encyclopdique transcendent le discours
et
font appel des proprits smio tiques du langage
(langue et
usages), certes
incarnes
par du discours.
Pour
rsumer, l'exemple de dictionnaire, qui est toujours du discours
(observ, produit, manipul...)
peut
tre exemple-de-langue mon sens,
il
ne
l'est
presque jamais purement exemple-d'usage, exemple-de-norme
et
enfin
exemple-de-discours, quant une
unit
donne. Mais
ce
discours
signifi,
qui
est
slectionn
de
manire
trs
culturelle ,
est
alors lui-mme exemplifiant,
et
ce
qu'il exemplifie va du contenu de pense original au
strotype
culturel rptitif,
comme
il
va du
didactisme
(
les
discours de spcialit ) l'esthtisme ( les
discours littraires
), et
de
la
faute
12
dnonce ou limine au bon
usage
,
en
passant par
les usages marqus
.
Les
caractristiques essentielles des exemples de dictionnaire me paraissent
opposer une
smantique langagire
surtout
lexicale et, l'englobant, diverses
smantiques
organises en
une smiotique englobante. Sa dsignation
la
plus
gnralement adquate pourrait tre
l'adjectif culturel
subsumant des s
mantiques peut-tre
bien
extra-linguistiques, mais certainement pas extra
discursives.
Cette
vaste organisation
de
contenus
s'exprime dans une langue
et
par ses
usages,
l'intrieur
desquels le
dictionnaire slectionne une
norme (plus
ou
moins tolrante) qu'il exemplifie
par des bribes
de
discours.
Cette organisat
ion
oujours
de
nature
socio-culturelle, est
module
individuellement,
mais ces
modulations (discours innovants,
de
savoir,
de
pouvoir
ou d'imagination) sont
immdiatement reprises
en
terme de
valeurs collectives.
L'exemple sign
Mal
larm, qu'on
cherchera
vainement chez Littr, malgr la profonde connivence de
leurs
points
de vue sur le langage (sur le
franais),
parce qu'il et t du pur
discours non encore socialis, relve dans les dictionnaires franais
d'aujourd'hui
de
la
mme exemplification culturelle que
celui
de
Hugo
ou
de
Racine. Le caractre
toujours
discursif de l'exemple requiert,
pour
qu'exemple
il
y ait, que
le fragment prlev, par quelque aspect
que ce soit,
reprsente
un
usage, un registre, un style,
un type
de contenu... dment reconnu
et
class,
c'est--dire
du socio-culturel
repr
ou reprable.
Une autre
dimension de
l'exemple concerne la structuration des
savoirs
scientifiques
ou
non
par les discours
de
spcialit,
qui ne peuvent fonctionner
12.
J entends
faute
au sens de Henri Frei,
comme
rgle
d usage
non reconnue
par
le groupe
dominant et
sa pdagogie,
plutt
que
comme
cart idiolectal.
111
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
19/27
que grce
des
terminologies. Les termes
ne
sont
pas des
units lexicales : ils
utilisent les mots, comme ils utilisent la syntagmatique, la siglaison, la formule
chimique, etc.
pour
en faire les
pions d'un
chiquier onomasiologique. Or,
l'exemple terminologique, li
la dfinition terminologique
13,
fleurit dans de trs
nombreux dictionnaires
spciaux
et envahit discrtement
les grands
dictionnai
res
nraux
(en
France,
le
TLF,
le
Grand
Robert
en
fourmillent).
Un exemple
terminologique
illustre
l'usage
d'un
terme
; ce faisant,
il opre
une
combinatoire
discursive cense rvler des proprits
rfrentielles,
mais sans jamais
oublier pour cause
leur expression
dans
une langue en
termes
Sur le
plan
paradigmatique,
il peut
rvler un
pan des
structures de
dsignation qu'on
appelle des
terminologies .
Grande
diffrence
avec le discours et
l'exemple
encyclopdiques, lesquels
sont par nature
trangers
une
langue particulire et
ses usages, qui sont
traduisibles
ad libitum, qui ne contiennent pas ncessaire
ment
'occurrence
de
l'entre (mot,
syntagme ;
terme) et n'illustrent qu acces
soirement un
fonctionnement
langagier. Ces exemples illustrent des connaissanc
es
on
leurs
moyens
d'expression.
Sont-ils
encore
des
exemples, du
point
du vue
du dictionnaire de langue ? Dans les dictionnaires franais dits encyclopdiques,
la diffrence
entre
le bloc
linguistique
(dfinitions,
exemples, citations), le
bloc terminologique (dfinitions + exemples ventuels)
et
le bloc encyclopdique
(discours
libre, dont
le
statut exemplifiant
change
de
nature smiotique),
est
exploite de
manire claire et
systmatique
par
le Grand
dictionnaire universel
de Pierre Larousse et
dans ses
dclinaisons 14
cette
tradition remontant
Bescherelle.
S
'agissant de
valeur
littraire
15
ou plus largement,
esthtique
ou
bien
de pouvoir
allusif
et
culturel
savoir
partag requis
exemplification
par
citations chappe
aussi au
rapport normal
entre exemple
et
entre. Tout
comme
pour
l'exemple (ou discours) encyclopdique, le statut d'occurrence dans l exem
ple
st
incertain
: l'exemple peut certes illustrer
le bon usage d'une
unit
lexicale, mais il
illustre surtout
le discours mme, dans sa rhtorique,
dans ses
contenus de pense,
dans son
rythme,
sa
musicalit,
chacune de ces caract
ristiques tant
typique d'un
style . Il peut illustrer aussi la clbrit du
fragment discursif, son
aptitude
tre
rappel (mots historiques, etc.).
Dans
ce
type d'exemples,
la
qualit
lexicologique, c'est--dire le rapport
entre
l'entre
exemplifie
et
l'exemple, s'efface au profit d'une reprsentativit stylistique ou
culturelle
l'occasion d'un fait
de
lexique.
ct
des
exemples
illustrant
les
mots-cls
d'un
crivain
ou d'une cole (c/iet>eiure-Baudelaire
; absurde-Camus,
etc.), la plupart des
citations littraires jouent un rle
extra-lexicologique
:
leur
13.
Voir
De Bess ., 1990 : La
dfinition terminologique
, La
dfinition,
Paris, Larousse,
252-261.
14.
Voir
A. Rey,
la
Lexicographie franaise depuis
Littr
, in
Encyclopdie internationale de la
lexicographie,
II,
Berlin-New
York, 1989.
15. Sur
la
problmatique :
discours
littraire - exemple
de dictionnaire, voir
aussi A. Rey le
Statut du discours littraire en lexicographie , in Lexique, 12-13, Presses universitaires
de Lille, 1995,
17-32.
112
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7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
20/27
rpartition est largement arbitraire,
souvent mnmotechnique.
L'entre de
d ic
tionn ire
n'est
alors qu'un prtexte, un moyen commode
pour
retrouver
la
citation exacte
(phrase
juge
esthtique
ou phrase clbre + rfrence prc
ise). Que le
Pour
qui sont
ces
serpents qui sifflent sur
vos
ttes
? de Racine
figure dans un
dictionnaire
sous serpent
ou sous siffler dpend
de l'efficacit
mnmotechnique
de
ces deux
entres
(tte, trop
marginal,
est
limin)
:
en
effet
exemplification
du
comportement
des mots serpent et siffler
est ici
trs secon
daire,
car il
s'agit d'un exemple-de-procd-stylistique (allitration) et d'un
exemple-du-style-racinien, enfin et
surtout
d'un reprage
de
passage clbre,
bien
plus
que
d'un exemple lexical de
langue ou d'usage
16.
L'opposition
contenus
de
pense (incluant
les
contenus
de savoir
encyclopdiques) vs.
discours
valoris esthtiquement
me
semble
parfaite
mentpratoire
l'intrieur de l'ensemble exemplifiant qui chappe
l'illustra
tione l'usage
langagier
collectif
et normal 17.
Reste
voquer
un
aspect
de
l'exemple qui n'est
pas
toujours
fonctionnel,
l'aspect idologique.
L'exemple est,
dans les
dictionnaires
dvelopps,
la principale tte de
pont
des idologies et
en
gnral des
jugements
de valeurs. Qu'il
s'agisse
de la product
ion'exemples ou du choix des citations rfrences, du choix des
auteurs
et de
celui des passages cits, qui
n'est pas
forcment redondant
18,
l'idologie
est
partout.
Mais, sauf en
cas
de volont
propagandiste affirme,
ce
caractre
n'est
justement pas exemplifiant : l'idologie
des exemples ne
fournit
jamais
l'exemple
d'une idologie.
En
outre, on
peut toujours
lire
en
terme d'idologie
le rsultat d'une
production
d'exemples
ou
d'un choix de citations, qui trahissent plus
et
autre
chose
que cela :
l'intervention d'une personnalit individuelle
ou
collective
(
une
quipe ), personnalit
qui
se marque dans
tout
ce qui n'est pas
impos
par la formule dictionnaire.
Les
dfinitions, le
marquage
des
registres
et des
usages,
les
plans d'articles
mme
19
trahissent de telles
options. Celles-ci peuvent
vhiculer des thmatiques,
des
attitudes, des obsessions, relevant ou non des
idologies
collectives
ambiantes et affrontes.
16. On
verra
un indice
de
cette situation
dans
le fait
que
le
vers racinien
en
question est cit
in-texte
dans
le
Grand
Robert
siffler,
avec un
renvoi
enfer,
qui
complte grammaticalement
l nonc
(vos,
dans vos ttes,
renvoie
filles
d enfer), conceptualise la
rfrence et
prcise le lieu
cit, alors form
de
deux vers
centrs
sur le caractre
infernal.
17 . Dans un petit dictionnaire usuel,
le
choix
des
citations est explicitement
orient vers cette
fonction culturelle,
les
exemples non signs
se rservant
la reprsentation des
faits
de langue
et
d usage
(le
Robert
pour
tous, D. Morvan et
al., Paris,
Diet, le
Robert, 1994).
18 . Le lexicographe est l auteur cit ce que
le
metteur en scne
est
l acteur.
Il
peut
utiliser les
contre-emplois.
J ai
ainsi
eu
plaisir
illustrer dans
le Grand Robert
une philosophie
diste
de la
nature
par
des
exemples
de
Sade mettre entre toutes
les
mains)
alors
que
le
mme
auteur,
pour la premire
fois
cit dans un dictionnaire franais, servait
aussi exempufier
une
partie
notable du vocabulaire
erotique, emploi attendu de ses textes.
19 .
J ai signal ailleurs le caractre quasi militant
du plan de l article Roi
dans
Furetire
(1690),
qui conduit
de
manire
impressionnante
du Roi
des
rois biblique Louis XIV (Furetire, imagier
de
la
culture
classique,
in
rd.
du
dictionnaire
de
Furetire,
Le
Robert,
1978).
113
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
21/27
Enfin,
s'agissant d'idologie, le dictionnaire de langue commence par vhi
culer
celle
de la
langue
mme. Comme toute attitude idologique,
qui consiste
notamment
considrer
le culturel comme naturel, le jugement
social
sur la
langue considre l'idiome comme unitaire (unit
naturelle,
n'en doutons pas :
souvenez-vous
du titre hnaurme d'un ouvrage de Marc Blancpain : Langue
franaise,
langue
humaine). Les
dictionnaires
officiels
du
franais
au
premier
chef ceux de l'Acadmie
prtendent
dcrire cet objet vident, alors qu'ils
slectionnent ce qu'en ont fait les lites
et
les
pouvoirs,
cartant comme illgitime
la multiplicit des
usages,
gommant nergiquement la
variation
sociale.
Or,
pour
exemplifier la langue, il faudrait
exemplifier
la variation
de
ses usages.
Ce que
le
dictionnaire, objet non seulement social,
mais
politique,
ne
fait point ou fait fort
peu... Telle
est l'idologie premire du
dictionnaire.
Si,
du point
de
vue linguistique,
tous les
exemples
sont reprsentatifs
d'un
usage,
qu'ils exposent et qu'ils justifient
( illustration
et
dfense ), cela
suppose
un discours-objet qui
soit
observable
et
classable.
En
effet,
les
exemp
les sont
soit
des
extraits
(ou
citations ), soit
des
ralisations
supposes
canoniques d'une comptence
d'usage. Seul l'exemple forg
pur,
cet exemple,
fait
plaisir
,
chapperait
la
description
d'un usage social tabli
de
la
langue.
Mais ce type d'exemples n'existe
que
dans les pseudo-dictionnaires
ludiques ou
polmiques
et
dans
renonciation, elle aussi ludique et
polmique,
de certains
vrais dictionnaires (Pierre Larousse
et
ses
acolytes,
dans
le
Grand
Dictionnaire universel,
en
fournissent de savoureux
exemples).
Des
points de
vue conceptuel et
culturel,
il en va
de mme, sauf
si l'ouvrage
dveloppe ouvertement la
pense
d'un
auteur.
Mais le Dictionnaire philosophi
que
e
Voltaire
est-il
encore
un
dictionnaire
?
2.2. La
reprsentativit
de
l'exemple est
valuable par un jugement
critique.
Ce
dernier suppose la parfaite connaissance
(a) de
l'objet
que signifie
l'exemple
(b) de la
finalit
du dictionnaire, qui oriente la reprsentativit de l'exemp
le.
Il
est en effet
impossible
d'valuer
la reprsentativit
de ses exemples
sans
envisager
les finalits exemplifiantes du
dictionnaire
lui-mme.
Ces
finalits, qui
ne
sont
pas
identiques
aux fonctions
dgages ci-dessus, dpendent des projets
lexicographiques
Ainsi, la grande controverse entre
exemples
anonymes et
citations rf
rences, surtout littraires, qui fit rage du
XVIIe
au XIXe
s.,
correspond
deux
conceptions lexicographiques
bien
distinctes, sinon
toujours bien
dfinies :
description
de
l'usage
de
la langue ; en
fait
d'un bon usage
,
d'une
norme dguise
en
langue
:
le
franais
description des
possibilits
et des ralisations rhtoriques et conceptuell
se
cet
usage.
114
-
7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage
22/27
L'histoire
de
la
lexicographie
franaise entre
1650 et 1900 est caractrise
par
ces deux controverses. Richelet et
l'Acadmie
1694 sont entirement anims
par la description
d'un
bon
usage et
l'ombre de Vaugelas, la collaboration
vraisemblable
de
Bouhours et de
Patru pour Richelet, informent les
ralisations
par
ailleurs
contrastes du pdagogue un peu agit (Pierre
Richelet) et
du collectif
assez mdiocre
men
par
le
sanguin
Charpentier
(l'Acadmie
1694
20),
Furetire
chappant en partie cette
problmatique. La philologie du XIXe
s. modifie les
donnes
; elle a l'inconvnient de mler
deux ides
:
discours
(observ scient
ifiquement, objectivement)
et
slection
discursive
servant de caution
l'usage
retenu .
Or,
le
dictionnaire
n'est
nullement
devenu au
XIXe
s. un
objet scientifique
issu d'un
observable pur. Il est rest un objet
rhtorique,
idologique,
institu
tionnel,
fond sur un
observ-jug
choisi
et hirarchis. L'implicite
scientiste
de
la linguistique contredit l'implicite idologique du
dictionnaire et ceci ds
l ori
gine de la philologie, grand
instrument d'exaltation
des origines ethniques
notamment en
terre
germanique.
Or,
la
mme
poque, le dictionnaire,
en France, se met
exprimer des
intentions
pdagogiques
nouvelles ; l'aspect
conceptuel-terminologique,
intro
duitpar
Furetire
dans les
dictionnaires gnraux, triomphant
l'poque des
Lumires,
va se diffuser socialement un
sicle et
demi
plus
tard, aprs
une
Rvolution et pendant
des
Restaurations.
Avec
Landais, Poitevin, les frres
Bescherelle, Pierre
Larousse,
la
terminologie, support formel
et lexical
(ou plutt
syntagmatique 21) du savoir encyclopdique, devient un
enjeu
essentiel de la
lexicographie. Celle-ci prtend
ajouter
la leon
de
choses une leon de
mots
et
combiner
les
deux en
un
seul
modle
d'ouvrage,
le
dictionnaire
appel
encyclopdique
L'exemplification
langagire ne change pas de nature, mais les
autres reprs
entativits
de
l'exemple, et
surtout de
la
citation,
dsertent l'illustration
rh
torique
et
pdagogique pour
une
autre fonction dominante : la
reprsentativit
culturelle.
Alors
que
le trsor littraire national demeure archaquement le
tmoin
majeur de
la
dmonstration
lexicographique, l'apparition discrte
de t
moignages
signs
provenant des discours