Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

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  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

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    Alain Rey

    Du discours au discours par l'usage : pour une problmatique de

    l'exempleIn: Langue franaise. N106, 1995. pp. 95-120.

    Abstract

    Alain Rey : Towards a problematics of the example.

    Starting from a selection of texts and/or spoken language, dictionaries cannot but extract (exemplum), show or illustrate

    (paradigma), and quote (citatio) phrases and sentences that are supposed to represent a language ; in fact they construct an

    ideal state of language properly called a norm.

    Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and

    semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology.

    French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in

    fact only a very small part of the total speech (Saussurean parole ) in a language. Thus, the choice of examples dictionaries

    make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm.

    Examples and illustrations in dictionaries constitute the core of their more or less creative aspect in politics. With definitions and

    semantic analysis which are often inspired by examples, illustration and quotation form their main witnesses of cultural ideology.

    French lexicography, in particular, is linked to social and cultural values as these are embodied in literature, which comprises in

    fact only a very small part of the total speech (Saussurean parole ) in a language. Thus, the choice of examples dictionaries

    make is one of the best possible ways to understand how a society chooses to construct its own linguistic model and norm.

    Citer ce document / Cite this document :

    Rey Alain. Du discours au discours par l'usage : pour une problmatique de l'exemple. In: Langue franaise. N106, 1995. pp.

    95-120.

    doi : 10.3406/lfr.1995.6446

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_281http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1995.6446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1995_num_106_1_6446http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1995.6446http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_281
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    Alain

    REY

    DU DISCOURS

    AU DISCOURS PAR

    L USAGE :

    POUR

    UNE

    PROBLMATIQUE

    DE

    L EXEMPLE

    Dans

    un essai de typologie

    des dictionnaires , j'adoptais comme point de

    dpart l'ide

    que

    le discours lexicographique, dont l'objectif

    est

    non pas de

    donner

    une

    image,

    mme

    partielle et

    dforme,

    d'une langue, mais une image

    de

    certains usages de cette langue, tait

    issu

    de procdures heuristiques

    et

    didacti

    ques

    ortant sur

    un

    discours

    premier,

    ralis

    ou virtuel. Ce discours-source,

    form de la totalit

    thorique

    de

    la parole

    saussurienne pour un systme linguis

    tique

    onn

    2, est

    en

    pratique rduit un

    corpus

    fini ou un

    ensemble

    ind

    termin

    d'noncs

    (observs,

    modifis

    ou

    produits

    ad

    hoc).

    Dans le

    premier cas, un

    corpus slectionn fournit

    par extraction,

    puis

    par

    mise

    en mmoire un stock d'noncs

    et

    de fragments d'noncs dtermins

    par

    un

    choix-dcoupage.

    Ces

    noncs sont restitus dans le contexte

    spcifique

    du

    dictionnaire. Dans le second, le

    discours

    source

    est virtuel ;

    c'est l'aptitude

    discursive

    (une

    comptence

    , si l'on veut) qui produit,

    selon

    des stratgies

    propres, une production

    exemplifiante .

    Le premier univers est celui de la

    philologie

    ; le

    second, celui d'une

    pratique

    didactique

    et rhtorique propre

    au dictionnaire.

    Dans

    les

    deux

    cas, on

    part du

    discours

    ou

    de

    la diseursivit

    dans

    une langue,

    en

    faisant agir de

    nombreux

    cribles,

    et

    on va vers cet

    autre

    discours, s-

    miotiquement complexe,

    htrogne, dmonstratif,

    idologique-culturel, didac

    tique

    t

    passablement

    pervers qu'est

    le

    discours

    lexicographique, responsable du

    texte

    des dictionnaires de langue.

    Ce

    n'est

    pas seulement l'histoire

    des

    thories

    linguistiques

    qui

    peut

    en

    rendre compte, mais

    celle des

    thories

    et des

    pratiques

    langagires, didactiques,

    encyclopdiques,

    rhtoriques et bien d'autres, jusqu'aux politiques de la

    langue.

    Extraire,

    montrer, invoquer

    En

    France,

    l'exemple

    de dictionnaire a t

    tudi

    notamment

    par Quemada,

    Dubois, Rey-Debove, R.

    Martin,

    sans

    parler des

    tudes spcifiques. Ces

    tudes

    1.

    Typologie gntique des dictionnaires

    in Le

    Lexique,

    images

    et

    modles,

    A.

    Colin, 1977.

    2. Concept tudi

    par

    Klaus Heger sous le nom de

    sigma parole

    cf. Heger ., 1968 :

    Smantique et dichotomie

    de

    langue et

    parole

    :

    Travaux de

    linguistique et

    de

    littrature, Stras

    bourg,

    n

    VII-

    1,

    p.

    47

    et

    sq.

    95

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    restent en gnral

    valables et leurs

    points de vue complmentaires (philologique,

    historique,

    socio-didactique,

    smiotique.

    )

    leur permettent d'aborder

    la

    plupart

    des problmes

    de

    exemplification dans les dictionnaires

    de

    langue (ceux

    que

    posent

    les ouvrages

    encyclopdiques sont profondment diffrents). Cependant,

    le concept

    d'exemple,

    pris gnralement,

    s'inscrit

    dans une longue

    tradition,

    essentiellement

    rhtorique

    et en

    partie

    juridique.

    Le

    rappeler

    permet de

    dgager

    un

    arrire-plan qui

    n'a jamais disparu des

    problmatiques

    modernes, mais

    qui a

    souvent

    t

    occult.

    I. Le mot et la notion

    1. Le mot

    Le

    latin

    exemplum

    apparat

    avec

    une valeur

    concrte.

    Tout

    d'abord

    il

    dsigne un chantillon,

    une copie

    exacte, et

    notamment un

    objet choisi dans

    une

    collection ou

    une

    catgorie, objet qui est

    isol

    et montr

    pour

    servir

    de

    modle.

    De

    l le

    sens second de

    modle

    imiter

    .

    Le mot

    vient de

    eximere, au supin

    exemptum, extraire, retirer (d'un ensemble)

    . C'est

    un prfix de emere

    prendre ,

    puis acheter

    .

    En

    emploi

    abstrait,

    exemplum est utilis en

    rhtorique et sert

    alors

    d'quivalent

    au grec

    paradigma,

    plus

    technique et

    toujours

    abstrait, et

    qui vient

    de

    para-deigma,

    du verbe deiknunai

    montrer .

    Ces

    indications

    ne

    suggrent

    pas

    une

    quelconque

    preuve par

    l'tymologie

    , mais rappellent deux concepts

    sources

    :

    paradigma ce

    qui est montr

    ,

    exemplum

    ce qui est extrait

    ,

    alors

    que

    citatio correspond

    ce qui est appel,

    invoqu .

    Ces trois

    concepts

    jouent

    encore dans le smantisme A"1 exemple (et dans celui

    de citation), quelles

    que

    soient

    ses

    applications

    particulires.

    En franais, esemple,

    attest

    au

    XIe

    s.,

    refait savamment en exemple,

    est

    d'abord

    attest

    pour

    nouvelle, bruit qui se

    rpand

    et rcit tirant un

    enseignement moral

    d'un

    fait

    .

    Ces valeurs archaques

    font

    la synthse

    entre

    deux types de fonctions

    exemplifiantes :

    une

    fonction narrative,

    rhtorique et

    informative,

    et une

    fonc

    tion

    pdagogique

    et

    morale. Elles

    voquent d'une part

    un univers de

    discours, de

    l'autre

    une

    valeur smantique informative

    et

    didactique.

    A

    partir du

    XIIe s. , on se

    rapproche

    du sens

    moderne

    qui est surtout

    moral et

    didactique.

    Des

    extensions

    surviennent ds

    l'ancien franais

    o exemple s'applique

    aussi

    une

    personne

    digne d'tre imite

    (fin

    XIIe

    s.) ainsi qu' un chtiment servant de

    96

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    leon

    (1381). L'accent

    est alors mis

    sur

    les

    effets, sur

    la

    finalit de l'exemple, sur

    un contenu

    pragmatique

    en rapport avec l'imitation et avec

    l'action

    corrective

    (punition et peine

    effet thique). Le

    contexte

    culturel est

    videmment chrtien ;

    alors Vexemplum

    est

    la fois un

    signe

    et

    un moyen

    d'action pour

    assurer le rgne

    du divin (cf. Imitation de Jsus-Christ).

    Dans

    l'tat

    actuel

    de

    nos

    connaissances,

    le

    mot ne

    s'applique

    un

    passage

    de

    texte

    cit pour servir

    d'attestation qu'au XVIe s. (1573, Dictionnaire

    franais-

    latin de R.

    Estienne

    : Woolridge

    3).

    La valeur d'exemple-modle

    semble

    ne se

    rpandre, surtout en grammaire, qu'au

    milieu

    du

    XVIIe

    s. Un

    peu

    plus tard, on

    dit

    une

    exemple

    pour

    dsigner un modle d'criture

    donn

    aux coliers (

    terme

    de

    Matre

    crire

    ,

    dit Richelet).

    Dans

    la

    langue classique,

    on

    trouve

    surtout,

    en matire de

    dictionnaire,

    les

    termes

    autorit,

    citation

    et phrase tire des Auteurs. Ainsi, Richelet ne men

    tionne pas le

    sens

    linguistique de

    exemple,

    sous cette

    entre.

    Notre

    emploi

    actuel d'exemple

    en

    matire

    de

    dictionnaires

    semble

    la

    fois une

    spcialisation du sens

    gnral

    (servir d'exemple ...,

    phrase

    dont on

    trouve

    un exemple

    dans...),

    et

    une

    extension

    de l'usage

    des grammairiens. En

    outre,

    l'opposition

    entre

    la notion de citation (le

    terme

    citation

    tant

    plus

    ancien qu'exemple, dans ce contexte) et celle d'

    exemple

    forg

    , a

    d inciter

    employer

    le

    mot

    exemple pour servir

    de

    gnrique.

    Par ailleurs,

    la linguistique du XVIIe

    sicle

    ne fait pas clairement l'opposition

    entre

    les lments complexes (au-del du

    mot)

    mais cods

    et

    ce qu'on peut

    aujourd'hui

    nommer

    les exemples

    libres .

    L'ensemble

    est

    souvent dsign

    par

    l'expression

    les phrases

    reues

    4 qui

    s'applique

    la

    fois

    des lments

    du

    systme

    de

    la

    langue (locutions, etc.)

    et

    aux

    modles

    littraires

    de bon usage,

    incarns

    dans

    des noncs (appels

    phrases ) qui sont pour nous

    des

    exemp

    les

    .

    Au moins jusqu'au

    milieu du

    XVIIIe s. ,

    exemple

    reste imprgn de

    la

    concept

    ualisation dominante

    d'exemplum,

    qui est

    celle des grands rhtoriciens

    latins :

    au premier chef Cicron et Quintilien.

    Aussi

    n'est-il pas

    inutile

    de

    rappeler

    l'conomie du

    concept

    antique de

    l'exemplum,

    qui

    s'inscrit en logique dans Vinductio et en rhtorique dans la

    probatio.

    2. Notion

    gnrale

    :

    logique et

    rhtorique

    Ds l'antiquit, l' exemple

    s'applique

    la

    rhtorique, la dialectique

    et

    la

    morale,

    frquemment

    appliques

    au domaine

    juridique.

    3. Comme

    le

    note T. R. Woolridge ici mme,

    la

    valeur

    du

    terme

    est

    alors plus large

    qu aujourd hui

    :

    c est que

    l exemple n y

    est

    pas forcment exemple-de-forme linguistique, mais exemple-de-proprit

    smantique.

    4. Le projet

    de

    Dictionnaire de l Acadmie rdig par

    Chapelain

    dit :

    le

    trsor

    et le

    magasin des

    termes simples

    et

    des phrases receiies ,

    entendant

    par l

    syntagmes,

    locutions

    et

    phrases extraites des

    Auteurs les plus

    sains

    ,

    garants du bon usage. Mlange donc, de

    lexical et

    de rhtorique

    saine

    .

    97

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    Paradigma chez Aristote (Rhtorique, Topiques), exemplum chez

    Cicron

    ou Quintilien concernent l'induction

    d'un fait

    particulier (ou

    de plusieurs) par

    une

    autre fait particulier, impliquant une rgle ou

    une

    tendance.

    Ainsi l' exemple

    a

    valeur

    de

    semi-preuve

    par probabilit.

    Etant une

    mise

    en rapport d'objets singuliers,

    il ne

    peut

    prouver

    une

    loi universellement

    ,

    mais

    il

    peut

    infirmer

    une proposition

    universelle

    (en

    tant

    que

    contre-exemple).

    En

    termes d'pistmologie moderne

    et

    franglaise c'est un instrument de

    fal

    sification

    .

    Illustrant la rgle ou la tendance implique, il

    a

    vertu

    pdagogique.

    L'exemple est

    et demeure

    concret

    et singulier

    ;

    d'o, en morale, son

    impor

    tance ct de la rgle (Kant ; Bergson qui

    considre

    que

    l'exemple

    est

    plus

    efficace,

    parce

    qu'il convainc affectivement).

    Si

    l'on

    rduit l'exemple

    en

    tant

    que

    modle moral

    sa fonction rhtorique

    et

    logique,

    on

    peut le dfinir trs gnralement comme

    :

    signe inductif

    d'une

    catgorie de faits singuliers, renvoyant implicitement

    une rgle

    ou

    une

    tendance, c'est--dire une

    norme

    .

    On

    voit

    que

    cette dfinition

    s'applique

    galement l'exemple de grammaire

    et

    l'exemple de dictionnaire, le premier

    insistant sur

    la

    rgle

    et le

    systme,

    le second sur

    la

    norme

    et

    l'usage,

    avec

    d'importantes interfrences.

    Dans les Oratori institutionis, livre V, Quintilien dploie tous

    les

    moyens

    utilisables dans le discours

    pour

    rendre

    une

    assertion certaine.

    C'est

    la probatio,

    lment essentiel de la

    dmarche

    juridique.

    En

    cartant les preuves dites

    natur

    elles,

    dont le caractre formel

    et a-logique

    est nos yeux

    clatant

    (elles incluent,

    comme

    on

    s'y attend, les

    tmoins, les pices

    [tabul]

    du

    procs,

    l'opinion

    commune, mais aussi

    les

    serments,

    les

    prjugs

    et mme

    la

    torture

    5),

    la

    rh

    torique de Quintilien divise

    la

    probatio

    en

    signes

    (signa),

    arguments

    et

    exemples.

    Les

    premiers

    sont

    rapidement

    expdis, car,

    pour Quintilien,

    ils rejoignent les

    preuves naturelles

    il

    s'agit d'une smiotique de la conviction par

    indices,

    symptmes, marques... Avec

    'argumentation et ses

    modalits, enthymme, ra

    isonnement syllogistique

    (epicherema)

    et demonstratio, on

    est au

    cur

    de

    la

    rhtorique

    en

    tant qu'utilisatrice des

    proprits analytiques

    du

    langage.

    Le

    classement

    de Quintilien est assez divergent par

    rapport

    la tradition

    cic-

    ronienne

    : ainsi

    le raisonnement par epichrme

    est

    plus

    prcis que

    la

    ratiocinatio de Cicron, car

    il

    est dfini par contraste avec la

    demonstratio.

    Celle-ci revt

    une

    importance particulire

    pour

    le

    lexicographe,

    car elle est

    frquemment dduite, toujours selon Quintilien, des lments de la definitio.

    Le dernier volet de

    la probatio,

    aprs les signa

    (naturels ou

    artificiels

    mais signum

    a ici

    une valeur spcifique et n'englobe

    pas

    le langage) et

    les

    arguments

    , est

    donc

    constitu d'exempla.

    5. La parent

    lointaine

    et indirecte

    de

    la

    torture

    et

    de

    l exemple au sein

    de

    la probatio peut tre

    exploite rhtoriquement. Le discours recueilli

    est

    parfois mis la

    question

    pour qu il avoue

    le

    bon

    usage,

    volens nolens.

    98

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

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    Ceux-ci

    (livre V, chap. XI) sont dfinis trs juridiquement

    comme des

    preuves qu'on

    tire du dehors

    pour

    les appliquer une cause . Cette dfinition

    est utilitaire

    et pragmatique.

    Plus

    essentielle, cette autre

    dfinition de Vexem-

    plum, comme

    une

    similitude (similitude, qui traduit le

    grec

    parabole,

    a

    la

    valeur de comparaison et

    inclut

    l'

    analogie ; Cicron employait colloca-

    tio)

    fonde sur

    l'autorit

    de

    la

    ralit

    (rerum gestarum

    auctoritas).

    Cette

    similitude exemplaire

    ,

    qu'elle

    soit

    totale

    ou

    partielle, directe

    ou

    inverse

    (exemples

    dissemblables

    ,

    contraires) est la

    plus

    efficace

    pour servir

    de

    preuve.

    Ainsi, quels que soient

    ces

    exemples rhtoriques

    chez Quintilien,

    rcits

    moralits

    (les fables

    d'Esope),

    adages,

    proverbes..., ils ont

    pour nature une

    similitude

    ou

    une dissimilitude

    et

    pour objet

    un

    raisonnement probatoire. Le

    concept ainsi construit est pntr de juridisme : ainsi les

    dcisions

    judiciaires

    sur un cas

    semblable

    celui

    qui est

    jug (la jurisprudence

    d'une cause)

    sont

    des

    exempta. Se

    dgage

    alors

    une

    notion

    moins

    extensive

    de

    l'

    exemple

    ,

    auquel

    peut s'ajouter

    l'auctoritas.

    Mais l'auctoritas rpond bien

    la premire

    dfinition

    de l'exemplum : il faut donc

    supposer

    aux exempta un caractre

    plus

    ou moins

    net

    ou

    fort

    d'autorit.

    Quintilien

    refuse

    ce caractre

    la

    jurisprudence, pour

    exemplum, et l'accorde aux opinions

    pr-juges.

    On peut interprter ceci en

    notant

    que l'expression

    langagire

    de ces

    opinions,

    qui

    relvent,

    on

    l a vu, des

    preuves naturelles, fait partie des preuves artificielles

    exemplaires

    ,

    l'artifice

    tant ici

    la

    mise

    en discours

    juridique de

    la sagesse des

    nations

    (coutumes,

    dictons...). Relvent aussi de l'auctoritas les

    proverbes,

    les sententi des

    crivains par exemple celles que citent les

    ouvrages

    philosophiques

    ou

    encore

    la

    parole

    divine

    (oracles,

    etc.).

    Il sera bon de garder en tte cette similitude probatoire

    plus

    ou moins

    charge

    d'autorit,

    en

    quittant le tribunal auquel pense Quintilien

    pour entrer

    dans le dictionnaire. En effet, cette invention mtalinguistique s'est

    rpandue

    socialement

    notamment lorsque les

    dictionnaires

    unilingues

    sont apparus,

    en

    singeant

    le

    prtoire, au nom

    d'un

    systme de valeurs labor en

    pleine

    idologie,

    c'est--dire

    en

    pleine contradiction avec

    les lments logiques

    du langage.

    Ce

    systme est la norme. La

    force

    du

    bon

    usage

    , habillage dmocratique

    d'une loi

    du plus

    fort

    (socialement,

    intellectuellement,

    politiquement)

    est

    particulirement

    bien

    incarne par

    la

    tradition

    lexicographique franaise. Mais

    cette

    prennit

    de

    la thorie rhtorique

    de

    exemplification est

    occulte :

    dans

    la

    doctrine

    classique

    de

    l'arrangement oratoire

    (Du

    Marsais,

    Batteux), place est faite aux

    arguments,

    aux signes comme chez Quintilien aux tropes,

    l'arrangement,

    l'harmonie, au style,

    et

    gure

    l'

    exemple .

    Par

    ailleurs, la pertinence d'une ide gnrale

    ventuellement d'un

    concept de

    l'

    exemple

    est garantie par la

    nature

    mme du

    discours que

    tiennent

    d'une

    part

    les

    grammaires, de l'autre les dictionnaires de langue.

    Ces

    derniers, depuis la Renaissance jusqu'

    la

    fin de l'ge classique

    et

    encore

    dans la premire

    moiti

    du XIXe

    s.,

    procdent d'un univers

    de

    discours rgl par

    99

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    7/27

    la rhtorique

    et

    par

    une

    logique,

    d'abord

    aristotlicienne,

    puis,

    en France,

    cartsienne (relaye par Port-Royal), logique dvoye au nom

    d'une

    norme

    sociale.

    Hobbes,

    Locke

    et

    Condillac conduiront

    ailleurs,

    dans

    le psychosocial. En

    outre, la pdagogie de la langue, axe sur le latin et sur cette norme sociale

    exigeante, trs

    litiste

    du langage, utilise elle aussi

    les

    ressources

    de

    la rhtorique

    classique.

    Le rle de exemplification dans la description grammaticale,

    puis

    dans la

    description des dictiones,

    ou manires de dire (mots

    et idiomes),

    ainsi que dans

    l'analyse

    smantique, elle

    aussi

    lie la

    rhtorique

    par les tropes,

    donne

    des

    notions

    comme celle d' exemple une importance et

    une

    polyvalence

    extrmes.

    Ce qui se

    passe

    au XVIIe s.

    quant

    l'

    exemple

    par

    rapport

    aux rf

    rences possibles l'antiquit c'est

    que

    cette notion

    cde

    la

    place

    celle

    d'

    autorit et

    de

    citation

    , tandis

    que

    la pratique exemplifiante va

    bien

    au-del de ce

    lieu commun

    qu'est

    le bon

    usage

    de la

    langue pour atteindre,

    souvent

    l'insu

    des

    lexicographes,

    la langue

    mme,

    son

    systme.

    Alors,

    l'exemple

    de

    dictionnaire et

    l'exemple grammatical se confondent

    structurellement,

    sinon

    fonctionnellement.

    3.

    Interfrences philosophiques

    Reste rappeler quelques

    points

    de la tradition logico- philosophique du

    paradigma-exemplum, qui interfrent

    d'ailleurs

    avec la conceptualisation

    rh

    torique

    et

    juridique

    et

    ne se sont pas entirement

    effacs

    dans la notion d' exemp

    le, mme

    en lexicographie.

    Depuis

    Aristote, le

    paradigme

    s'oppose

    l'enthymme qui est

    une

    dduction

    :

    c'est l'induction d'un

    fait

    particulier

    par un

    autre

    fait, qui permet

    d'voquer

    une loi

    de

    manire

    implicite.

    Comme

    on

    l'a vu

    en

    rhtorique,

    l'

    exemp

    le ne

    peut

    pas

    prouver une loi (produire

    une

    proposition

    universelle), mais il

    peut infirmer

    une

    telle

    loi.

    Il a valeur de

    probabilit,

    plusieurs exemples permet

    tant'induire

    une

    loi acceptable, sauf contre-exemple avr

    (Topiques

    VIII,

    157-160).

    Il

    a valeur pdagogique, permettant d'illustrer

    une rgle

    ou un

    concept.

    Aristote

    nous

    fournira prcisment un

    exemple exemplification (Rh

    torique

    I, 1357) dans

    le

    raisonnement

    inductif

    suivant

    :

    Tous les tyrans

    connus

    ont commenc

    par demander

    une garde personn

    elle

    Denys demande une

    telle

    garde

    Ce qui induit

    que Denys aspire

    la

    tyrannie.

    Comme

    on

    le voit, la tradition technique (logique et

    rhtorique)

    du para

    digma

    est

    abstraite c'est

    une

    dmarche

    qui

    passe

    de

    faits

    concrets

    invoqus

    une rgle probable.

    En

    fait,

    il

    s'agit plutt d'exemplification par similitude

    finalit probatoire que

    d'exemple. C'est le

    terme

    exemplum, plus concret (il peut

    100

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    8/27

    signifier chantillon

    ,

    copie

    fidle ) qui correspond le

    mieux

    aux

    emplois

    modernes

    de exemple

    ,

    notamment

    en linguistique.

    C'est plutt en

    pdagogie

    et

    en

    morale

    que

    la tradition du

    paradigma

    grec

    s'est maintenue, notamment

    chez

    Kant, qui

    insiste sur le caractre factuel (non thique) de

    l'exemple,

    ce

    dernier relevant

    de

    la raison pratique

    .

    L'exemple,

    Vexemplum,

    est la base

    concrte,

    factuelle,

    de

    la dmarche

    inductive

    du

    paradigma

    aristotlicien.

    Pour les

    philosophes comme

    pour les

    linguistes,

    l'exemple est finalement

    le

    signe

    inductif

    d'une catgorie de faits

    relativement

    homognes

    renvoyant

    ainsi

    une

    rgle

    probable (point

    de

    vue logique),

    une norme (points de vue

    social,

    rhtorique, juridique...). Dans

    un

    dictionnaire, les exemples, faits

    de

    discours

    individuels assums

    ou non, renvoient

    donc

    inductivement

    une catgorie de

    faits (syntactiques, smantiques, pragmatiques) pour dgager une

    norme, soit

    objective (statistique,

    philologique),

    soit projective (sociale, politique,

    idologique).

    II. Statut de l'exemple de dictionnaire

    1. Statut

    fonctionnel

    dans le texte

    lexicographique

    Le

    dictionnaire fournit une srie

    d'assertions

    portant

    sur

    des objets-signes

    slectionns en fonction d'une conception descriptive

    plus

    ou moins troitement

    soumise

    l'laboration

    et l'imposition d'une

    norme.

    Certaines

    parmi ces

    assertions sont synonymiques et explicatives (les d

    finitions, notamment) ; d'autres catgorisantes, d'autres encore exemplifiantes.

    Les

    dictionnaires du XVIIe s. explicitent parfois leur propos, quant aux d

    finitions, dans une

    smantique, soit

    de la signification ( ce mot

    signifie

    ,

    ce

    mot

    se

    prend dans tel

    sens ,

    etc.), soit

    de

    l'quivalence ontologique

    ( c'est... ).

    Pour l'exemple, la rgle

    est l effacement de toute

    prsentation,

    moins

    d'explicitation

    exceptionnelle, en cas d'hsitation

    quant la norme.

    L'intressant

    article

    PEUPLE

    du

    Dictionnaire

    de

    Richelet

    fournit

    un large

    ventail

    de possibilits, quant l'exemplification 6.

    Peuple s. m. Ce mot

    en

    gnral signifie...

    [explicitation

    smantique

    de

    la

    dfinition]

    (ainsi

    on

    dit [explicitation

    d'exemples

    anonymes] ;

    il

    y

    a

    bien du peuple

    Paris,

    il y

    a une infinit

    de peuple

    Paris).

    6.

    Les

    passages

    entre

    crochets correspondent

    mes

    commentaires.

    Les

    parenthses

    appartiennent

    au texte

    de

    Richelet,

    ainsi

    que les

    italiques.

    Le texte

    est

    interrompu :...,

    [...].

    101

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    9/27

    Peuple

    s. f. [sic] Ce mot se prend dans un sens moins vague...

    [explicitation

    pragmatique

    et smantique

    de

    la

    dfinition]

    (Et

    c'est dans ce sens

    que

    d'Ablancourt

    a

    crit

    que

    le peuple est

    amoureux

    de

    la nouveaut [explicitation d'une citation d'auteur servant d'autorit]...)

    Peuple.

    Ce

    mot se prend

    aussi dans

    un sens

    plus

    resserr

    pour

    dire [... suit

    une

    dfinition]

    (Saint-Eustache est la paroisse de Paris o il y

    a

    l

    plus

    de peuple

    [l'exemple

    est

    implicite]...)

    [...]

    *Peuple.

    Ce

    mot

    se

    dit

    au figur

    dans

    un sens assez

    nouveau...

    [explicitation

    smantique

    et

    pragmatique, alors que

    c'est

    la syntaxe qui est

    en

    cause,

    ce que marque

    l'exemple rfrenc]

    (II

    faut

    estre

    bien peuple

    pour

    [...] Nouvelles remarques sur la langue).

    Alors

    que

    l'explicitation

    de

    la

    fonction dfinitionnelle

    est

    relativement

    fr

    quente

    dans ce

    dictionnaire (et

    dans ceux

    de l'poque), celle de

    l'exemple

    est rare

    et concerne

    la problmatique de la

    norme,

    comme on

    le

    voit clairement par cet

    article

    :

    ANXIETE, Mot corch du latin anxietas [...]

    Anxit

    ne paroit pas encore

    fort tabli, et l'on

    ne

    le

    trouve dans

    aucun auteur

    bien

    fameux [

    . .

    ] Pour

    moi

    [...] je serois dans quelque scrupule de m'en

    servir.

    Des gens moins scrupu

    leuxisent, II

    est dans

    une

    grande

    anxit d'esprit.

    Dans

    ce

    type

    d'explicitation

    des

    jugements de

    valeur,

    qui concerne l'origine

    du mot, son emploi et son absence

    suppose

    des bons auteurs, la finalit relle et

    l'idologie du dictionnaire

    se dvoilent

    clairement. Dans

    un

    sens, le

    caractre

    implicite de

    ces

    jugements dans nos dictionnaires contemporains, hritiers de la

    pseudo-objectivit scientiste

    du XIXe sicle,

    rend

    leur

    analyse encore

    plus

    diffi

    cile.

    Le statut fonctionnel de

    l'exemple, apporter

    la

    preuve

    de l'usage, no

    tamment du bon usage, par

    une

    squence

    en discours,

    se

    reflte

    par le

    terme

    employ

    au XVIIe s. de

    phrase reue

    o. phrase est ambigu (syntagme,

    phrase

    lmentaire

    ou

    complexe)

    et

    o

    reu

    fait

    allusion

    la

    sanction

    sociale

    de

    l'usage.

    Ce terme

    entretient

    une

    ambigut encore active

    pour

    la notion d' exemp

    le :

    on considre aujourd'hui comme

    exemple toute squence suppose

    refl

    ter 'usage d'un

    lment

    de discours et

    contenant

    Ventre.

    Cette

    conception

    initiale

    de l'exemple nous apparat aujourd'hui comme trop large,

    et

    il

    convient

    de distinguer de l'exemple proprement dit toute squence contenant

    l'entre

    et

    qui

    est

    traite la

    manire d'une

    sous-entre

    ou d'une

    valeur

    smantique

    du

    mot-entre. Il s'agit par

    exemple

    de

    syntagmes

    figs (ou cods), de

    termes

    com

    plexes

    (syntagmes

    terminologiques),

    de locutions,

    expressions et

    mme de

    phrases

    codes (proverbes, allusions...).

    Ces

    lments

    sont

    souvent

    reprables par le

    102

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    10/27

    discours mme du dictionnaire,

    qui

    les fait suivre de dfinitions, de gloses

    et

    pour les

    dictionnaires bilingues,

    d'quivalences

    en traduction.

    Ces

    sous-entres sont donc,

    dans

    l'conomie de la description lexicographi-

    que,

    assimilables

    aux sens distingus d'une

    mme entre

    (smmes) et

    sont,

    comme

    ces significations, illustrables par de vrais

    exemples et des citations. C'est

    le

    cas

    de petit

    peuple

    et

    de

    peuple

    potique

    dans

    l'entre

    peuple

    de Richelet, alors

    mme que

    peuple

    potique ne semble gure

    avoir d'autre existence que comme

    production

    rhtorique.

    Pour nous, l'exemple

    stricto

    sensu

    est

    une

    squence

    discursive (un

    fragment

    d'nonc ou un nonc) qui ne fait

    pas

    partie du code

    lexical

    de la langue, et

    qui

    peut comprendre, non

    seulement

    des phrases

    ou

    des passages au-del de la

    phrase, mais

    des

    syntagmes libres

    et

    des

    modles

    de

    constructions.

    Bien

    entendu,

    le passage

    de

    l'lment cod

    l'lment exemplifiant

    libre

    est flou,

    comme

    l'attestent

    les innombrables

    tudes sur

    le dfigement des

    noncs idiomati

    ques.

    2. Statut smantique (et smiotique) de l'exemple

    D'aprs

    J. Rey-Debove

    dont

    je m'inspire ici le propre du discours

    lexicographique

    est de

    mettre en

    rapport,

    des

    fins

    mtalinguistiques, des

    lments autonymes, tels

    l'entre, et,

    des fins

    didactiques,

    des lments de

    langage non autonymes. L'exemple

    est

    lui-mme autonyme,

    en

    ce qu'il

    signifie

    (ou

    connote),

    outre son

    contenu propre, une caractristique du discours

    qu'il repr

    sente.

    Cependant, ces

    lments

    (mots,

    termes,

    locutions...)

    qui

    composent

    l'exemple sont

    eux-mmes en

    usage, ne sont

    pas autonymes. Sur ce

    point,

    les

    thses classiques

    des logiciens,

    Carnap,

    Tarski,

    Strawson,

    selon lesquels

    tout

    nonc

    autonyme est form d'lments autonymes, sont clairement

    contrebat-

    tues.

    Cependant,

    l'exemple

    en lui-mme

    peut

    videmment tre

    lu comme non

    autonyme, comme en usage et ajouterai-je, comme exemple

    prcisment

    d'un

    type de discours constitutif d'un usage. Ainsi, dans les termes de J. Rey-

    Debove,

    l'exemple est

    l'objet

    d'une double lecture toujours possible.

    Il

    s'agit

    d'ailleurs,

    non

    pas

    d'une opposition binaire

    tranche,

    mais

    d'une

    ambigut entre mention

    et usage,

    qui permet de voir

    plus

    ou

    moins, dans

    tout

    exemple, deux smantismes, l'un

    indirect,

    renvoyant

    un signe de langage,

    l'autre direct,

    renvoyant

    un contenu

    conceptuel ou

    un rfrent.

    Ainsi,

    dans

    les exemples non rfrencs de Littr, exemples supposs

    forgs

    , le romancier

    Richard Jorif 7 a

    voulu

    trouver

    un corpus

    renvoyant la

    vie et

    la

    vision

    du

    monde

    du lexicographe en

    tant qu'nonciateur

    individuel.

    7. Dans le

    Navire

    Argo,

    Paris, Franois Bourin, 1987.

    103

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    11/27

    Dans tous les cas o

    l'exemple est

    rfrenc,

    il

    renvoie selon moi trois

    niveaux de signifiance :

    l'usage

    langagier comme

    tout

    exemple par autony-

    mie

    ; l'univers

    de discours indiqu

    (l'uvre de X ; telle uvre ;

    tel type

    d'uvre ; le discours de tel genre littraire, de telle

    cole,

    etc.) ; enfin, un univers

    de rfrence extra-linguistique

    gnral qui

    correspond

    la lecture nave,

    extra-

    lexicographique,

    non

    critique, des

    textes.

    C'est

    ce dernier

    rfrentiel

    qui

    suscite

    notre tonnement quand la

    rfrence

    est

    omise

    ou

    efface ; par exemple

    lorsqu'on

    lit,

    dans l'article peuple de Richelet,

    cette

    assertion

    apparemment

    premptoire :

    le

    petit

    peuple de Londres est

    mchant

    .

    L'opposition entre citation et

    exemple

    non rfrenc, dj sensible, se rvle

    aussi

    du

    point de vue nonciatif

    Le

    second

    est

    cens tre nonc didactiquement

    et

    lexicographiquement par l'auteur ou l'un des auteurs du dictionnaire ; alors

    que le premier reoit

    un

    nonciateur explicite,

    l'auteur

    d'une

    oeuvre

    socialement

    perue source d'autorit.

    Or,

    cet auteur peut recourir et recourt fr

    quemment,

    par

    la smiotique

    propre

    au

    texte

    qu'il

    a

    produit,

    un

    nonciateur

    ou

    une

    pluralit d'nonciateurs,

    en

    gnral fictifs

    et

    littraires

    (tel

    le

    narrateur

    proustien) : citer une

    pice

    de thtre,

    c'est recourir

    une

    totalit

    d'nonciateurs-personnages sans

    toujours

    les expliciter ;

    citer

    un

    roman,

    ce

    peut

    tre

    recourir

    renonciation de

    personnages capables

    de contredire, au

    niveau de

    la

    forme

    comme des contenus, l'nonciateur

    affich

    qu'est

    l'auteur

    et le

    mta-

    nonciateur

    qu'est le lexicographe.

    3.

    Statut

    social

    et

    pragmatique de

    l'exemple

    L'exemple

    s'insre

    dans le texte du

    dictionnaire

    non seulement fonctionnel-

    lement, mais

    par

    le modle

    de communication que permet

    le

    discours

    lexicogra-

    phique

    en

    question.

    Chaque

    dictionnaire

    construit

    ainsi

    une

    pragmatique de l'exemple au

    moyen

    d'une chane de

    dcisions et

    de choix,

    qui

    vont de l'image des usages de la

    langue

    aux rhtoriques propres

    chaque ouvrage. Le mme type de choix et de proc

    dures

    est l'oeuvre

    avec

    d'autres objets (dfinitions, marques,

    etymologies...).

    C'est ainsi

    que

    l'appareil d'exemples d'un dictionnaire

    manifeste ou trahit

    des positions pdagogiques, ditoriales voire commerciales,

    et

    en gnral

    idologiques, autant et

    parfois

    plus que l'analyse des

    sens, les choix de nomenc

    latures, la politique dfinitionnelle.

    Ceci, tant

    pour

    l'exemple

    non rfrenc

    qu'il

    soit

    ou non forg

    que

    pour

    la citation

    philologique.

    Ce statut

    socio-pragmatique

    fait

    (ou

    doit

    faire), tout autant

    que

    le statut

    fonctionnel, l'objet des tudes

    de

    mtalexicographie

    historique.

    104

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    12/27

    III. Fonctionnements

    1.

    Gense,

    fonctions

    et

    pouvoirs de

    l'exemple

    dans

    les

    dictionnaires de

    langue

    1.1. Le discours-source que

    reprsente

    l'exemple propos

    d'un

    lment-signe

    (mot, smme,

    syntagme fig, locution...)

    est

    ou non reprable dans son origine

    selon le systme

    de rfrence.

    Celle-ci

    peut tre

    complte

    (selon

    les connaissances philologiques) ou part

    ielle

    (rfrences un texte, sans lieu ;

    rfrence

    un auteur).

    Lorsque

    toute

    rfrence

    est

    absente, trois cas se prsentent :

    i) L'exemple, nonc,

    phrase

    ou

    syntagme

    est

    prlev

    sur un texte ou, bien

    souvent, sur un autre

    recueil qui

    avait fait

    la

    mme

    opration d'effacement, et

    ceci

    sans

    autre opration

    que le dcoupage.

    ii)

    L'exemple

    est

    issu

    d'un

    texte,

    mais ce

    texte

    a

    t modifi

    par

    interruption,

    neutralisation des

    marques

    d'nonciation ou

    de

    discours

    (substantifs

    et adjectifs

    mis

    au singulier, au masculin pour les adjectifs ; verbes l infinitif ou l'indicat

    if

    tc.). Ainsi P. Corbin

    a

    pu tudier

    les

    manipulations productrices

    d'exemples

    non rfrencs

    dans le Micro-Robert et qui

    procdent

    d'exemples rfrencs du

    Petit Robert.

    Ces derniers sont

    souvent

    emprunts,

    parfois

    avec des modificat

    ions u corpus

    de citations

    du Grand

    Robert, ce que vient

    d'analyser Alise

    Lehmann

    8.

    Ces procdures sont observables

    dans toute ligne de

    dictionnaires

    (Richelet

    au XVIIIe s., ou encore

    la

    srie

    Furetire-Trvoux

    ; les dclinaisons du

    Grand

    Dictionnaire

    universel

    de Pierre

    Larousse).

    Il

    arrive mme

    que

    ces

    manipulations

    soient constitutives

    d'une

    mthode.

    Ainsi, les syntagmes trs

    abondants du TLF

    (au moins avant le 10e

    vol.) provien

    nentn principe tous du corpus appel Frantext, du fait du caractre strictement

    philologique

    de

    ce dictionnaire,

    procdure

    qui

    illustre

    la

    frnsie

    scientiste du

    corpus

    aliment par

    ordinateur que

    l'on

    retrouve

    notamment en Grande-

    Bretagne (le Co-Build, par ailleurs assez

    remarquable,

    publi chez Collins).

    iii) L'exemple, en gnral

    un

    syntagme ou

    une

    phrase

    lmentaire

    neutralise,

    prsent sans rfrence,

    n'a

    pas de source reprable. C'est en

    gnral le cas pour les dictionnaires lmentaires, certains dictionnaires

    encyclopdiques

    (les

    Larousse

    actuels),

    les

    dictionnaires

    pour

    enfants.

    D'autres

    dictionnaires marient deux ou

    trois

    des solutions

    dcrites

    ici. La source

    suppose

    des exemples sans rfrence est l'aptitude

    exemplifiante

    (discursive, rhtorique

    et pdagogique) du lexicographe,

    l'intrieur d'une conception explicite

    ou

    implicite,

    plus ou

    moins normative, de

    l'usage. Ces exemples,

    mieux

    que

    tout

    autres, sont des symptmes

    et

    des indices de

    l'activit

    lexicographique indivi

    duelle. L'exercice qui consiste

    gommer

    les finalits fonctionnelles de l'exemple

    8. A. Lehmann, Du

    Grand

    Robert

    au Petit

    Robert

    : les manipulations

    de la

    citation litt

    raire , in Lexique 12-13, Presses Universitaires

    de Lille, 105-124.

    105

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    13/27

    pour exercer une lecture non autonymique peut avoir des charmes. On

    consid

    rerapart, comme manifestation de l'ambigut de cette institution, la politique

    du dictionnaire

    de

    l'Acadmie

    franaise, qui

    prtend mettre

    contribution les

    auteurs immortels

    ,

    alors qu'elle recourt

    aujourd'hui

    au

    service

    de

    lexicogra

    phesnonymes, dvous et

    soumis au

    joug assum

    de

    la

    tradition.

    Chez Richelet, illustrant le

    syntagme

    prsent comme fig :

    le

    petit

    peuple,

    l'exemple le

    petit

    peuple

    de

    Londres est mchant (repris au XVIIIe

    s.) a t signal

    plus

    haut. Son incongruit

    trahit une

    source

    que j'ignore.

    Il pourrait s'agir d'un

    ouvrage d'histoire faisant allusion

    au

    rgicide de

    1649.

    Si

    l'idologie des citations se

    laisse analyser

    par

    recours

    une

    oeuvre, celle

    des

    exemples

    sans rfrence est directement

    sociale.

    Dans le

    Petit

    Larousse

    de

    1906-1907 dit par

    Claude Auge, sous

    gaiement,

    on

    lira

    avec

    amusement

    cet

    exemple relev par

    J.

    Dubois :

    marcher gaiement

    la

    mort

    Assignable l'idologie de

    l'poque,

    cet exemple est

    probablement d

    un

    lexicographe adepte de la fleur au

    fusil,

    mais peut

    aussi

    tre emprunt

    un

    quelconque

    Droulde. Cet exemple, par

    remanence,

    a t maintenu dans

    le

    Petit

    Larousse jusqu'en 1950, date o

    il cde la

    place

    travailler gaiement,

    lequel est

    aujourd'hui

    limin.

    Ainsi la

    gaiet suppose

    du

    sacrifice

    patriotique

    ultime,

    puis

    celle

    du

    travail, ne

    sont

    plus

    vocables dcemment dans la socit

    contemporaine,

    volution que reflte avec

    un certain

    retard le dictionnaire.

    1.2.

    La

    production

    de

    l'exemple

    peut

    donc

    venir

    d'une

    extraction

    par rapport

    un corpus qui suppose reprage

    pralable ou

    choix a posteriori, dans le

    cas

    rcent des

    textes

    intgraux

    emmagasins dans l'ordinateur ou d'une mise

    en discours des units dcrites.

    Les

    procdures

    de slection, dans

    le

    premier cas,

    sont trs complexes. Ainsi

    Paul

    Imbs, pour la constitution du texte-corpus destin au TLF, a-t-il procd

    ou

    fait procder par

    slection

    pralable

    d'oeuvres

    (

    l'aide d'une

    batterie de

    m a

    nuels,

    refltant

    une

    idologie

    pdagogique

    probablement

    modifie par

    des choix

    personnels

    en juger par l'abondance des extraits d'un Lon Cladel 9 dans

    l'ouvrage), la

    mise

    en

    mmoire

    du corpus

    en texte

    intgral

    reportant

    la

    slection

    au moment de la prparation

    rdactionnelle.

    Alors, l'abondance de ce corpus

    a

    conduit des pr-slections trs complexes, soumises des contraintes matr

    ielles soigneusement dissimules au consulteur du produit fini. 80 % du matriel

    taient puiss

    l'ensemble

    discursif

    caractris comme discours

    littraire

    en

    franais moderne et produit entre 1790 et 1950 ou 60,

    ensemble

    qui

    permet

    autant

    de choix,

    de

    dosages et d'exclusions qu'il

    y

    eut

    de

    dcideurs

    potentiels.

    9. Rien de

    scandaleux, d ailleurs,

    dans

    le choix

    de cet crivain

    original,

    nergique

    et injustement

    oubli.

    106

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    14/27

    La

    plupart des autres

    dictionnaires

    procdent

    de

    manire asystmatique et

    la slection

    y est toute

    diffrente.

    1.3. Slectionn et

    dcoup,

    fidlement reproduit ou trait

    ,

    l'exemple

    ob

    serv est alors restitu.

    Le

    contexte

    gnral

    de

    la

    restitution

    de

    fragments

    de

    discours socialement

    valoriss

    et

    cits est trs large

    et variable,

    de l'exergue au titre ( les

    merveilleux

    nuages

    ), de l'inclusion dans un texte didactique ou polmique, voire propagand

    iste l'utilisation

    dans

    le

    discours

    littraire (voir la Seconde main

    d'A. Compagnon,

    propos

    de

    Montaigne) ou dans le discours didactique.

    Cette restitution va du recueil pdagogique, anthologique, au recueil de

    citations, au

    dictionnaire

    de

    langue

    gnral

    ou

    des dictionnaires spciaux (de

    locutions, par exemple).

    Dans le cas trs

    spcifique du dictionnaire

    gnral

    de

    la langue

    ct

    de

    celui,

    non

    moins

    important,

    des

    grammaires

    de nombreuses procdures

    sont

    envisager :

    dcoupage des

    extraits

    traitements

    et

    modifications

    reprables

    rfrencements par

    l'auteur, le

    titre, le

    lieu...

    disposition et

    ordonnancement dans l'article de

    dictionnaire

    prsentation typographique.

    Les

    solutions sont trs

    variables. Ainsi, au

    XIXe

    s.,

    alors

    que

    Bescherelle

    ou

    Pierre

    Larousse

    disposent

    leurs extraits

    selon l'analyse smantique, puis

    termi

    nologique,

    enfin encyclopdique de leur matriel lexical,

    Dochez et

    Littr

    adopt

    ent

    un

    double

    ordonnancement,

    d'abord

    chronologique pour

    l'ancien

    et

    le

    moyen franais,

    puis

    smantique

    pour le

    franais

    classique et

    moderne.

    Le

    procd de

    Dochez, qui consiste

    numrer

    les

    significations de son entre,

    puis

    d'aligner (a) des

    citations

    archaques

    en

    italiques (b) des citations

    modernes

    ,

    renvoyant implicitement

    aux

    sens numrs

    plus haut, revient

    juxtaposer

    un

    dictionnaire gnral lmentaire et

    une

    anthologie langagire.

    Littr,

    plus

    raison

    nable,

    fait

    de l'exemple-citation une illustration

    appuyant son analyse

    s

    man tiqu e

    Les

    dictionnaires

    modernes de

    la langue franaise

    ont

    en gnral adopt

    les

    procdures

    mises

    au

    point

    par

    le

    Dictionnaire

    gnral,

    ne retenant

    de

    l'ancien

    et

    du

    moyen franais

    que des

    exemples de

    premire

    attestation

    et donnant

    aux

    exemples modernes

    le statut d'

    exemple-de-l'usage

    tel

    que

    cet

    usage

    est ana

    lys

    par le dictionnaire.

    Ces considrations

    s'insrent

    dans un domaine important de la critique

    lexicographique : la

    place

    de

    l'exemple

    par

    rapport

    aux

    autres

    lments du

    discours

    du dictionnaire.

    En gnral, ce discours met en uvre

    une

    squence : objet

    dfinir

    (mot,

    sens,

    valeur, locution)

    + dfinition ou

    glose

    + exemple(s)

    ,

    ce dernier

    (ou

    ces

    derniers) venant

    l'appui

    de

    l'analyse

    propose.

    107

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    15/27

    Mais

    une relation rciproque

    peut-tre

    dialectique

    entre

    la dfinition

    et l'exemple

    est

    partout

    observable.

    D'une

    part, la rpartition des traits descript

    ifs

    ntre dfinition

    et exemple

    n'est pas fixe : les premiers seuls sont

    supposs

    tre pertinents et cette

    pertinence

    n'est jamais tablie d'avance ; d'autre part, de

    nombreux exemples

    contiennent

    des

    traits

    dfinitionnels

    ,

    sans

    mme

    parler

    d'exemples-dfinitions, choisis

    pour

    suppler

    aux

    dfinitions du

    lexicographe

    ou

    pour les complter.

    Il

    arrive

    aussi

    que

    la

    squence

    dfinition-exemple soit

    inverse, pour des

    raisons pdagogiques ou mme thoriques (Marcel

    Cohen).

    La relation langue-

    discours

    est

    alors en cause. Une vritable bataille

    pdagogique

    et ditoriale s'est

    rcemment livre sur ce point,

    propos des dictionnaires

    pour

    enfants.

    1.4. La production d'exemples

    (non

    rfrencs) dont l'abb

    Fraud

    disait

    qu'ils

    taient faits

    plaisir ce

    plaisir n'est

    pas toujours

    vident, au moins du

    point de vue du lecteur pose des problmes particuliers : ces

    exemples

    sont

    en

    gnral moins spcifiques

    que

    les

    exemples

    signs

    et correspondent

    intention

    nellement

    l'illustration d'un

    fait de

    langue et d'usage plus

    qu' une mise

    en

    discours singulire.

    En

    cela, ils sont plus

    exemples

    que les

    citations. En

    revanche, ils le sont

    moins,

    si

    l'exemple

    doit tre

    une

    autorit

    (c'est le sujet de

    la controverse entre

    l'Acadmie et

    ses concurrents)

    ou

    encore

    une

    rfrence

    culturelle un

    savoir

    suscit par les mots.

    Une

    telle fonction anthologique

    et

    allusive est

    trs

    active dans les dictionnaires, mais mal

    perue

    par la

    plupart

    des

    linguistes,

    qui

    vivent souvent sur l'ide

    fausse

    qu'un

    dictionnaire

    dcrit

    une

    langue, un systme.

    1.5.

    L'opposition

    (au sein

    d'un continuum)

    entre exemple anonyme

    et citation

    rfrence est

    trs observable

    sur le

    plan

    gntique

    production

    vs philologie,

    cette seconde attitude tant impose

    la

    description

    des

    langues mortes

    ou

    inconnues du descripteur. Le cas est frquent dans les dictionnaires d'anthropo

    logues

    t

    d'ethnologues,

    faux

    unilingues

    o le mtalangage

    est

    celui de la

    commun

    aut

    cientifique

    dominante.

    Cette opposition reste importante du point de vue

    fonctionnel.

    Mais je

    ne

    la

    crois

    pas exploitable

    du point

    de

    vue

    linguistique ou

    smiotique.

    Ainsi, voir en l'exemple

    forg

    (prsum

    tel) une

    phrase

    et en

    la citation

    un

    nonc (Martin,

    op.

    cit.) me parat difficilement dfendable,

    sinon comme

    la

    manifestation

    d'une

    tendance

    assez vague

    privilgier

    soit

    l'aspect

    langagier

    (la langue et

    ses

    usages),

    soit

    l'aspect

    pragmatique-nonciatif.

    D'abord, les

    deux

    catgories contiennent toutes sortes

    d'units linguistiques

    :

    syntagmes,

    propositions,

    phrases,

    squences

    de

    phrases.

    De ce point de

    vue, la

    production

    et

    l'extraction-dcoupage

    produisent

    les mmes

    types d'unit. On

    peut

    prciser

    que

    des units de

    nature

    rhtorique (rythmiques,

    stylistiques,

    mtriques) ne sont mises

    en

    scne que

    dans

    la citation rfrence

    (mais

    dj le

    Dictionnaire

    de rhtorique de

    Morier,

    avec ses

    mta-posies

    exemplifiantes me

    dment.

    .).

    Quant

    la smiotique

    de

    renonciation, elle

    est certes

    concerne, mais

    seulement par les diffrences

    de

    mise en place des

    nonciateurs.

    Ce

    dernier peut

    108

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    16/27

    tre

    anonyme,

    lexicographiquement

    assum (espce

    bien reprsente

    du XVIIe s.

    avec

    Richelet,

    Furetire,

    au

    XIXe

    s. : Pierre

    Larousse, mais

    devenue rare) ;

    il

    peut

    tre

    effac, reconnu, et alors identifi

    un

    auteur,

    un texte, un

    personnage (thtre, discours), avec des zones d'incertitudes difficilement vita-

    bles

    (le

    cas du discours indirect libre dans certains romans). Les circonstances

    d'nonciation,

    d'une

    manire

    gnrale,

    sont

    trs

    peu caractrises dans

    les

    exemples

    de

    dictionnaires.

    A contrario, certains

    exemples non

    rfrencs sont

    bel et bien des

    noncs ; sinon,

    il

    serait difficile de

    caractriser,

    comme le fait R.

    Martin

    avec

    malice, les exemples du

    D. F. C.

    10 dans

    leur

    teneur

    culturelle et

    idologique.

    2. Finalits

    de l'exemple

    : problmes

    de reprsentativit

    2.1.

    On l'a vu, l'exemple,

    qui est un

    extrait,

    est par

    dfinition

    destin montrer

    (

    illustrer

    )

    et

    autoriser

    ,

    c'est--dire

    justifier

    la

    fois

    le

    travail

    lexicographique

    et la conception de l'usage que

    ce

    travail prsuppose et prsente.

    En

    outre, (a)

    il

    doit enseigner.

    Enseigner le

    bon usage, par les rgles de

    la

    langue,

    celles de l'usage slectionn et

    parfois

    celles du style (dictionnaires de langue

    purs

    ) ; enseigner

    des contenus

    culturels valoriss ;

    des

    connaissances sur les

    referents : dictionnaires dits encyclopdiques

    .

    (b) II doit convaincre, manif

    estant

    une

    ou des

    idologies

    (langagire, culturelle).

    Ce faisant

    (c) il met

    en

    uvre

    defacto de l'idologie,

    en

    gnral.

    L'exemple est par nature un signe, dont les

    signifis

    sont extrmement

    variables

    et souvent pluriels

    (pour le mme exemple). Ce signe est

    constitu

    sur le

    plan

    du discours :

    i)

    de

    collocations et

    constructions

    supposes usuelles

    ou ncessaires

    (dans

    les usages

    slectionns).

    Ce

    sont des syntagmes nominaux et verbaux, des

    phrases

    simples,

    souvent neutralises. La

    nature de

    ces

    syntagmes est

    soumise

    l'exem-

    plification

    propre

    chaque

    partie du

    discours.

    Mtalangage

    et

    autonymie sont ici

    dominants,

    mais le langage

    connotatif est

    lui

    aussi

    trs actif.

    ii) d'noncs-phrases, rfrencs

    ou

    non, qui

    reprsentent des

    caractres

    linguistiques et des contenus extra-linguistiques varis dans leur

    intention

    et

    dans

    leur

    nature.

    Alors,

    l'autonymie

    est

    combattue

    par

    des

    effets

    discursifs

    dplacs,

    mais

    qui

    restent

    actifs : l'exemple est aussi

    exemple

    d'un style,

    d'une

    rhtorique

    personnelle,

    de

    contenus

    de

    pense,

    de vrit

    ou

    de savoir, le

    tout mobilisant

    un

    ensemble de jugements de

    valeurs

    socioculturels.

    Le signifi ultime de l'exemple son

    objet,

    sur le

    plan

    fonctionnel) se laisse

    analyser en plusieurs

    lments

    amalgams, rpartis en trois

    niveaux.

    10.

    Feu

    le

    Dictionnaire du

    franais

    contemporain de J. Dubois

    et

    al., dont

    les

    avatars au sens

    hindouiste

    chez

    Larousse sont

    fort

    nombreux.

    109

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    17/27

    (i)

    Des lments formels-fonctionnels, visant

    une caractristique

    du systme

    de la langue, (a)

    soit

    morphosyntactique (exemples de

    nature

    morphologique et

    syntactique, dployant

    l'axe syntagmatique), (b) soit

    smantique et paradigma-

    tique,

    et

    alors

    plus

    troitement lexical. L'accumulation de

    donnes paradigmati-

    ques donne

    ce

    type

    d'exemple

    des

    traits

    communs avec la

    dfinition.

    On

    comprend

    aisment

    que

    les

    exemples

    de

    mots

    grammaticaux

    (syncatgor-

    mes),

    de

    verbes, d'adverbes, et

    un

    moindre

    titre

    les exemples

    d'adjectifs, sont

    plutt situs du ct de la morphosyntaxe, alors que les exemples de noms

    substantifs accumulent

    les

    donnes paradigmatiques, impliquant plus

    directement

    et plus lexicalement

    des traits smantiques (l'aspect s

    m ntique

    tant

    bien

    sr,

    toujours prsent).

    l'tat pur, ce

    niveau

    (i)

    est

    fictif

    ou

    plutt

    asymptotique,

    dans les dictionnaires rels

    u.

    (ii) Des lments la

    fois fonctionnels et

    sociaux, englobant

    ceux

    du niveau

    (i), mais

    passant

    d'un

    objet thorique, le systme de la langue,

    ses actualisations

    sociales

    (temporelles, spatiales, sociologiques), c'est--dire aux usages.

    On

    y

    retrouve,

    pour

    l'exemple, l'analyse esquisse en (i), avec des traits

    suppl

    mentaires,

    qui supposent

    l'intervention de jugements de valeur quant au

    systme

    de la langue (rarement), quant ses actualisations observables (usages) et surtout

    quant aux discours

    effectivement

    produits dans l'un

    des

    usages

    concerns.

    L'exemple devient alors probatoire, non d'un fonctionnement jug conforme

    un

    systme,

    des lois,

    au sens scientifique

    (grammaticalit et

    smanticit dans

    une

    langue),

    mais

    d'un fonctionnement gouvern par des

    rgles

    sociales,

    jug

    conforme

    une slection d'usages

    parmi d'autres qui sont,

    par le

    fait mme,

    carts :

    soit

    nis, limins, soit marqus

    .

    L'exemple, tmoin d'une loi au

    sens scientifique,

    cde

    la

    place

    l'exemple, preuve

    et

    modle

    d'un

    usage,

    d'une

    habitude sociale et, dans certains cas, d'une norme exclusive, d'une loi au sens

    juridique et plutt

    d'une

    loi coutumire

    que

    d'un code.

    C'est

    l'ide mme du

    permis

    face interdit, illustr

    par

    des auto

    rites.

    Qu'on

    habille idologiquement

    la norme prescriptive en bon

    usage

    n'y change

    rien.

    Cependant, l'appareil

    d'exemples,

    qu'ils soient forgs ou

    rfrencs,

    permet

    de donner

    chaque dictionnaire

    un

    caractre plus ou

    moins

    normatif,

    caractre

    que

    manifeste par

    ailleurs

    le systme des marques.

    (iii) Reprenant les

    aspects

    smantiques de

    (i)

    et de (ii), aspects dvelopps

    autrement

    par

    les dfinitions, les

    gloses

    et

    une

    partie

    des

    remarques, l'exempli-

    fication peut tre

    celle

    des

    caractristiques

    de certains discours socialement

    accepts quant

    leurs contenus

    exprims (au sens

    hjelmslvien

    de

    contenu

    : forme

    et

    substance).

    C'est sur ce plan que

    l'on

    peut distinguer pour

    l'exemple,

    comme le fait

    R. Martin, des fonctions rhtoriques et pragmatiques

    ,

    philologiques

    11.

    On peut admettre que

    les

    carcasses reprsentant des

    matrices

    syntacto-smantiques (qui

    maillent si disgracieusement

    le TLF

    :

    qqn

    fait

    qqch

    qqn

    pour

    qqch

    , etc.)

    sont

    des

    exemples

    de

    langue,

    quasiment

    avant

    tout

    usage

    110

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    18/27

    et

    pilinguistiques

    terminologie de

    Culioli

    puis

    au-del de la langue

    encyclopdiques

    ,

    idologiques et

    littraires .

    Tous

    ces adjectifs sont

    justifis,

    mais ils ne

    me semblent

    pas tre situs

    sur

    le

    mme

    plan, quant

    la

    fonction exemplifiante :

    ainsi

    rhtorique concerne des

    traits propres aux

    discours

    exemplifiants (non la

    langue

    ni l'usage),

    philologique

    concerne la

    relation

    entre

    l'exemple

    au sens

    d'

    extrait

    et

    son

    lieu

    d'extraction,

    qui

    est

    lui

    aussi un discours choisi, dj

    extrait

    de

    l'indtermine

    parole saussurienne.

    En

    revanche,

    pilinguistique et encyclopdique transcendent le discours

    et

    font appel des proprits smio tiques du langage

    (langue et

    usages), certes

    incarnes

    par du discours.

    Pour

    rsumer, l'exemple de dictionnaire, qui est toujours du discours

    (observ, produit, manipul...)

    peut

    tre exemple-de-langue mon sens,

    il

    ne

    l'est

    presque jamais purement exemple-d'usage, exemple-de-norme

    et

    enfin

    exemple-de-discours, quant une

    unit

    donne. Mais

    ce

    discours

    signifi,

    qui

    est

    slectionn

    de

    manire

    trs

    culturelle ,

    est

    alors lui-mme exemplifiant,

    et

    ce

    qu'il exemplifie va du contenu de pense original au

    strotype

    culturel rptitif,

    comme

    il

    va du

    didactisme

    (

    les

    discours de spcialit ) l'esthtisme ( les

    discours littraires

    ), et

    de

    la

    faute

    12

    dnonce ou limine au bon

    usage

    ,

    en

    passant par

    les usages marqus

    .

    Les

    caractristiques essentielles des exemples de dictionnaire me paraissent

    opposer une

    smantique langagire

    surtout

    lexicale et, l'englobant, diverses

    smantiques

    organises en

    une smiotique englobante. Sa dsignation

    la

    plus

    gnralement adquate pourrait tre

    l'adjectif culturel

    subsumant des s

    mantiques peut-tre

    bien

    extra-linguistiques, mais certainement pas extra

    discursives.

    Cette

    vaste organisation

    de

    contenus

    s'exprime dans une langue

    et

    par ses

    usages,

    l'intrieur

    desquels le

    dictionnaire slectionne une

    norme (plus

    ou

    moins tolrante) qu'il exemplifie

    par des bribes

    de

    discours.

    Cette organisat

    ion

    oujours

    de

    nature

    socio-culturelle, est

    module

    individuellement,

    mais ces

    modulations (discours innovants,

    de

    savoir,

    de

    pouvoir

    ou d'imagination) sont

    immdiatement reprises

    en

    terme de

    valeurs collectives.

    L'exemple sign

    Mal

    larm, qu'on

    cherchera

    vainement chez Littr, malgr la profonde connivence de

    leurs

    points

    de vue sur le langage (sur le

    franais),

    parce qu'il et t du pur

    discours non encore socialis, relve dans les dictionnaires franais

    d'aujourd'hui

    de

    la

    mme exemplification culturelle que

    celui

    de

    Hugo

    ou

    de

    Racine. Le caractre

    toujours

    discursif de l'exemple requiert,

    pour

    qu'exemple

    il

    y ait, que

    le fragment prlev, par quelque aspect

    que ce soit,

    reprsente

    un

    usage, un registre, un style,

    un type

    de contenu... dment reconnu

    et

    class,

    c'est--dire

    du socio-culturel

    repr

    ou reprable.

    Une autre

    dimension de

    l'exemple concerne la structuration des

    savoirs

    scientifiques

    ou

    non

    par les discours

    de

    spcialit,

    qui ne peuvent fonctionner

    12.

    J entends

    faute

    au sens de Henri Frei,

    comme

    rgle

    d usage

    non reconnue

    par

    le groupe

    dominant et

    sa pdagogie,

    plutt

    que

    comme

    cart idiolectal.

    111

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    19/27

    que grce

    des

    terminologies. Les termes

    ne

    sont

    pas des

    units lexicales : ils

    utilisent les mots, comme ils utilisent la syntagmatique, la siglaison, la formule

    chimique, etc.

    pour

    en faire les

    pions d'un

    chiquier onomasiologique. Or,

    l'exemple terminologique, li

    la dfinition terminologique

    13,

    fleurit dans de trs

    nombreux dictionnaires

    spciaux

    et envahit discrtement

    les grands

    dictionnai

    res

    nraux

    (en

    France,

    le

    TLF,

    le

    Grand

    Robert

    en

    fourmillent).

    Un exemple

    terminologique

    illustre

    l'usage

    d'un

    terme

    ; ce faisant,

    il opre

    une

    combinatoire

    discursive cense rvler des proprits

    rfrentielles,

    mais sans jamais

    oublier pour cause

    leur expression

    dans

    une langue en

    termes

    Sur le

    plan

    paradigmatique,

    il peut

    rvler un

    pan des

    structures de

    dsignation qu'on

    appelle des

    terminologies .

    Grande

    diffrence

    avec le discours et

    l'exemple

    encyclopdiques, lesquels

    sont par nature

    trangers

    une

    langue particulire et

    ses usages, qui sont

    traduisibles

    ad libitum, qui ne contiennent pas ncessaire

    ment

    'occurrence

    de

    l'entre (mot,

    syntagme ;

    terme) et n'illustrent qu acces

    soirement un

    fonctionnement

    langagier. Ces exemples illustrent des connaissanc

    es

    on

    leurs

    moyens

    d'expression.

    Sont-ils

    encore

    des

    exemples, du

    point

    du vue

    du dictionnaire de langue ? Dans les dictionnaires franais dits encyclopdiques,

    la diffrence

    entre

    le bloc

    linguistique

    (dfinitions,

    exemples, citations), le

    bloc terminologique (dfinitions + exemples ventuels)

    et

    le bloc encyclopdique

    (discours

    libre, dont

    le

    statut exemplifiant

    change

    de

    nature smiotique),

    est

    exploite de

    manire claire et

    systmatique

    par

    le Grand

    dictionnaire universel

    de Pierre Larousse et

    dans ses

    dclinaisons 14

    cette

    tradition remontant

    Bescherelle.

    S

    'agissant de

    valeur

    littraire

    15

    ou plus largement,

    esthtique

    ou

    bien

    de pouvoir

    allusif

    et

    culturel

    savoir

    partag requis

    exemplification

    par

    citations chappe

    aussi au

    rapport normal

    entre exemple

    et

    entre. Tout

    comme

    pour

    l'exemple (ou discours) encyclopdique, le statut d'occurrence dans l exem

    ple

    st

    incertain

    : l'exemple peut certes illustrer

    le bon usage d'une

    unit

    lexicale, mais il

    illustre surtout

    le discours mme, dans sa rhtorique,

    dans ses

    contenus de pense,

    dans son

    rythme,

    sa

    musicalit,

    chacune de ces caract

    ristiques tant

    typique d'un

    style . Il peut illustrer aussi la clbrit du

    fragment discursif, son

    aptitude

    tre

    rappel (mots historiques, etc.).

    Dans

    ce

    type d'exemples,

    la

    qualit

    lexicologique, c'est--dire le rapport

    entre

    l'entre

    exemplifie

    et

    l'exemple, s'efface au profit d'une reprsentativit stylistique ou

    culturelle

    l'occasion d'un fait

    de

    lexique.

    ct

    des

    exemples

    illustrant

    les

    mots-cls

    d'un

    crivain

    ou d'une cole (c/iet>eiure-Baudelaire

    ; absurde-Camus,

    etc.), la plupart des

    citations littraires jouent un rle

    extra-lexicologique

    :

    leur

    13.

    Voir

    De Bess ., 1990 : La

    dfinition terminologique

    , La

    dfinition,

    Paris, Larousse,

    252-261.

    14.

    Voir

    A. Rey,

    la

    Lexicographie franaise depuis

    Littr

    , in

    Encyclopdie internationale de la

    lexicographie,

    II,

    Berlin-New

    York, 1989.

    15. Sur

    la

    problmatique :

    discours

    littraire - exemple

    de dictionnaire, voir

    aussi A. Rey le

    Statut du discours littraire en lexicographie , in Lexique, 12-13, Presses universitaires

    de Lille, 1995,

    17-32.

    112

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    20/27

    rpartition est largement arbitraire,

    souvent mnmotechnique.

    L'entre de

    d ic

    tionn ire

    n'est

    alors qu'un prtexte, un moyen commode

    pour

    retrouver

    la

    citation exacte

    (phrase

    juge

    esthtique

    ou phrase clbre + rfrence prc

    ise). Que le

    Pour

    qui sont

    ces

    serpents qui sifflent sur

    vos

    ttes

    ? de Racine

    figure dans un

    dictionnaire

    sous serpent

    ou sous siffler dpend

    de l'efficacit

    mnmotechnique

    de

    ces deux

    entres

    (tte, trop

    marginal,

    est

    limin)

    :

    en

    effet

    exemplification

    du

    comportement

    des mots serpent et siffler

    est ici

    trs secon

    daire,

    car il

    s'agit d'un exemple-de-procd-stylistique (allitration) et d'un

    exemple-du-style-racinien, enfin et

    surtout

    d'un reprage

    de

    passage clbre,

    bien

    plus

    que

    d'un exemple lexical de

    langue ou d'usage

    16.

    L'opposition

    contenus

    de

    pense (incluant

    les

    contenus

    de savoir

    encyclopdiques) vs.

    discours

    valoris esthtiquement

    me

    semble

    parfaite

    mentpratoire

    l'intrieur de l'ensemble exemplifiant qui chappe

    l'illustra

    tione l'usage

    langagier

    collectif

    et normal 17.

    Reste

    voquer

    un

    aspect

    de

    l'exemple qui n'est

    pas

    toujours

    fonctionnel,

    l'aspect idologique.

    L'exemple est,

    dans les

    dictionnaires

    dvelopps,

    la principale tte de

    pont

    des idologies et

    en

    gnral des

    jugements

    de valeurs. Qu'il

    s'agisse

    de la product

    ion'exemples ou du choix des citations rfrences, du choix des

    auteurs

    et de

    celui des passages cits, qui

    n'est pas

    forcment redondant

    18,

    l'idologie

    est

    partout.

    Mais, sauf en

    cas

    de volont

    propagandiste affirme,

    ce

    caractre

    n'est

    justement pas exemplifiant : l'idologie

    des exemples ne

    fournit

    jamais

    l'exemple

    d'une idologie.

    En

    outre, on

    peut toujours

    lire

    en

    terme d'idologie

    le rsultat d'une

    production

    d'exemples

    ou

    d'un choix de citations, qui trahissent plus

    et

    autre

    chose

    que cela :

    l'intervention d'une personnalit individuelle

    ou

    collective

    (

    une

    quipe ), personnalit

    qui

    se marque dans

    tout

    ce qui n'est pas

    impos

    par la formule dictionnaire.

    Les

    dfinitions, le

    marquage

    des

    registres

    et des

    usages,

    les

    plans d'articles

    mme

    19

    trahissent de telles

    options. Celles-ci peuvent

    vhiculer des thmatiques,

    des

    attitudes, des obsessions, relevant ou non des

    idologies

    collectives

    ambiantes et affrontes.

    16. On

    verra

    un indice

    de

    cette situation

    dans

    le fait

    que

    le

    vers racinien

    en

    question est cit

    in-texte

    dans

    le

    Grand

    Robert

    siffler,

    avec un

    renvoi

    enfer,

    qui

    complte grammaticalement

    l nonc

    (vos,

    dans vos ttes,

    renvoie

    filles

    d enfer), conceptualise la

    rfrence et

    prcise le lieu

    cit, alors form

    de

    deux vers

    centrs

    sur le caractre

    infernal.

    17 . Dans un petit dictionnaire usuel,

    le

    choix

    des

    citations est explicitement

    orient vers cette

    fonction culturelle,

    les

    exemples non signs

    se rservant

    la reprsentation des

    faits

    de langue

    et

    d usage

    (le

    Robert

    pour

    tous, D. Morvan et

    al., Paris,

    Diet, le

    Robert, 1994).

    18 . Le lexicographe est l auteur cit ce que

    le

    metteur en scne

    est

    l acteur.

    Il

    peut

    utiliser les

    contre-emplois.

    J ai

    ainsi

    eu

    plaisir

    illustrer dans

    le Grand Robert

    une philosophie

    diste

    de la

    nature

    par

    des

    exemples

    de

    Sade mettre entre toutes

    les

    mains)

    alors

    que

    le

    mme

    auteur,

    pour la premire

    fois

    cit dans un dictionnaire franais, servait

    aussi exempufier

    une

    partie

    notable du vocabulaire

    erotique, emploi attendu de ses textes.

    19 .

    J ai signal ailleurs le caractre quasi militant

    du plan de l article Roi

    dans

    Furetire

    (1690),

    qui conduit

    de

    manire

    impressionnante

    du Roi

    des

    rois biblique Louis XIV (Furetire, imagier

    de

    la

    culture

    classique,

    in

    rd.

    du

    dictionnaire

    de

    Furetire,

    Le

    Robert,

    1978).

    113

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    21/27

    Enfin,

    s'agissant d'idologie, le dictionnaire de langue commence par vhi

    culer

    celle

    de la

    langue

    mme. Comme toute attitude idologique,

    qui consiste

    notamment

    considrer

    le culturel comme naturel, le jugement

    social

    sur la

    langue considre l'idiome comme unitaire (unit

    naturelle,

    n'en doutons pas :

    souvenez-vous

    du titre hnaurme d'un ouvrage de Marc Blancpain : Langue

    franaise,

    langue

    humaine). Les

    dictionnaires

    officiels

    du

    franais

    au

    premier

    chef ceux de l'Acadmie

    prtendent

    dcrire cet objet vident, alors qu'ils

    slectionnent ce qu'en ont fait les lites

    et

    les

    pouvoirs,

    cartant comme illgitime

    la multiplicit des

    usages,

    gommant nergiquement la

    variation

    sociale.

    Or,

    pour

    exemplifier la langue, il faudrait

    exemplifier

    la variation

    de

    ses usages.

    Ce que

    le

    dictionnaire, objet non seulement social,

    mais

    politique,

    ne

    fait point ou fait fort

    peu... Telle

    est l'idologie premire du

    dictionnaire.

    Si,

    du point

    de

    vue linguistique,

    tous les

    exemples

    sont reprsentatifs

    d'un

    usage,

    qu'ils exposent et qu'ils justifient

    ( illustration

    et

    dfense ), cela

    suppose

    un discours-objet qui

    soit

    observable

    et

    classable.

    En

    effet,

    les

    exemp

    les sont

    soit

    des

    extraits

    (ou

    citations ), soit

    des

    ralisations

    supposes

    canoniques d'une comptence

    d'usage. Seul l'exemple forg

    pur,

    cet exemple,

    fait

    plaisir

    ,

    chapperait

    la

    description

    d'un usage social tabli

    de

    la

    langue.

    Mais ce type d'exemples n'existe

    que

    dans les pseudo-dictionnaires

    ludiques ou

    polmiques

    et

    dans

    renonciation, elle aussi ludique et

    polmique,

    de certains

    vrais dictionnaires (Pierre Larousse

    et

    ses

    acolytes,

    dans

    le

    Grand

    Dictionnaire universel,

    en

    fournissent de savoureux

    exemples).

    Des

    points de

    vue conceptuel et

    culturel,

    il en va

    de mme, sauf

    si l'ouvrage

    dveloppe ouvertement la

    pense

    d'un

    auteur.

    Mais le Dictionnaire philosophi

    que

    e

    Voltaire

    est-il

    encore

    un

    dictionnaire

    ?

    2.2. La

    reprsentativit

    de

    l'exemple est

    valuable par un jugement

    critique.

    Ce

    dernier suppose la parfaite connaissance

    (a) de

    l'objet

    que signifie

    l'exemple

    (b) de la

    finalit

    du dictionnaire, qui oriente la reprsentativit de l'exemp

    le.

    Il

    est en effet

    impossible

    d'valuer

    la reprsentativit

    de ses exemples

    sans

    envisager

    les finalits exemplifiantes du

    dictionnaire

    lui-mme.

    Ces

    finalits, qui

    ne

    sont

    pas

    identiques

    aux fonctions

    dgages ci-dessus, dpendent des projets

    lexicographiques

    Ainsi, la grande controverse entre

    exemples

    anonymes et

    citations rf

    rences, surtout littraires, qui fit rage du

    XVIIe

    au XIXe

    s.,

    correspond

    deux

    conceptions lexicographiques

    bien

    distinctes, sinon

    toujours bien

    dfinies :

    description

    de

    l'usage

    de

    la langue ; en

    fait

    d'un bon usage

    ,

    d'une

    norme dguise

    en

    langue

    :

    le

    franais

    description des

    possibilits

    et des ralisations rhtoriques et conceptuell

    se

    cet

    usage.

    114

  • 7/25/2019 Alain Rey Du Discours Au Discours Par l'Usage

    22/27

    L'histoire

    de

    la

    lexicographie

    franaise entre

    1650 et 1900 est caractrise

    par

    ces deux controverses. Richelet et

    l'Acadmie

    1694 sont entirement anims

    par la description

    d'un

    bon

    usage et

    l'ombre de Vaugelas, la collaboration

    vraisemblable

    de

    Bouhours et de

    Patru pour Richelet, informent les

    ralisations

    par

    ailleurs

    contrastes du pdagogue un peu agit (Pierre

    Richelet) et

    du collectif

    assez mdiocre

    men

    par

    le

    sanguin

    Charpentier

    (l'Acadmie

    1694

    20),

    Furetire

    chappant en partie cette

    problmatique. La philologie du XIXe

    s. modifie les

    donnes

    ; elle a l'inconvnient de mler

    deux ides

    :

    discours

    (observ scient

    ifiquement, objectivement)

    et

    slection

    discursive

    servant de caution

    l'usage

    retenu .

    Or,

    le

    dictionnaire

    n'est

    nullement

    devenu au

    XIXe

    s. un

    objet scientifique

    issu d'un

    observable pur. Il est rest un objet

    rhtorique,

    idologique,

    institu

    tionnel,

    fond sur un

    observ-jug

    choisi

    et hirarchis. L'implicite

    scientiste

    de

    la linguistique contredit l'implicite idologique du

    dictionnaire et ceci ds

    l ori

    gine de la philologie, grand

    instrument d'exaltation

    des origines ethniques

    notamment en

    terre

    germanique.

    Or,

    la

    mme

    poque, le dictionnaire,

    en France, se met

    exprimer des

    intentions

    pdagogiques

    nouvelles ; l'aspect

    conceptuel-terminologique,

    intro

    duitpar

    Furetire

    dans les

    dictionnaires gnraux, triomphant

    l'poque des

    Lumires,

    va se diffuser socialement un

    sicle et

    demi

    plus

    tard, aprs

    une

    Rvolution et pendant

    des

    Restaurations.

    Avec

    Landais, Poitevin, les frres

    Bescherelle, Pierre

    Larousse,

    la

    terminologie, support formel

    et lexical

    (ou plutt

    syntagmatique 21) du savoir encyclopdique, devient un

    enjeu

    essentiel de la

    lexicographie. Celle-ci prtend

    ajouter

    la leon

    de

    choses une leon de

    mots

    et

    combiner

    les

    deux en

    un

    seul

    modle

    d'ouvrage,

    le

    dictionnaire

    appel

    encyclopdique

    L'exemplification

    langagire ne change pas de nature, mais les

    autres reprs

    entativits

    de

    l'exemple, et

    surtout de

    la

    citation,

    dsertent l'illustration

    rh

    torique

    et

    pdagogique pour

    une

    autre fonction dominante : la

    reprsentativit

    culturelle.

    Alors

    que

    le trsor littraire national demeure archaquement le

    tmoin

    majeur de

    la

    dmonstration

    lexicographique, l'apparition discrte

    de t

    moignages

    signs

    provenant des discours