Ducrot (Maximes, Discours) Les Lois Du Discours

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  • M Oswald Ducrot

    Les lois de discoursIn: Langue franaise. N42, 1979. pp. 21-33.

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    Ducrot Oswald. Les lois de discours. In: Langue franaise. N42, 1979. pp. 21-33.

    doi : 10.3406/lfr.1979.6152

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1979_num_42_1_6152

  • Oswald Ducrot, cole des Hautes tudes en Sciences Sociales, Paris

    LES LOIS DE DISCOURS

    Depuis une dizaine d'annes, la notion de loi de discours (ou, selon le terme de Grice 1975, de maxime conversationnelle ) joue, en smantique linguistique, un rle essentiel. Je voudrais d'abord expliciter d'un point de vue mthodologique une conception de la recherche smantique qui rend ncessaire le recours aux lois de discours . Puis je prsenterai deux manires diffrentes d'utiliser ces lois, chacun de ces types d'utilisation impliquant une orientation thorique particulire, plus prcisment, une valuation particulire de l'aspect pragmatique des faits linguistiques.

    Pour dcrire une conception du travail smantique qui impose le recours aux notions, troitement relies, de sous-entendu et de loi de discours (cf. Ducrot 1969), il faut rappeler d'abord la distinction entre la phrase, considre comme un tre linguistique abstrait, identique lui-mme travers ses diverses occurrences, et l'nonc, qui est l'occurrence particulire, la ralisation hic et nunc de la phrase (Anscombre-Ducrot 1978a propose une distinction supplmentaire entre la phrase et l'nonc-type, mais, dans le prsent article, je n'aurai pas m'en servir). En outre, il faut distinguer l'nonc, qui est l'objet produit par le locuteur ayant choisi d'employer une phrase, et renonciation, entendue comme l'action qui consiste produire un nonc, c'est--dire donner une phrase une ralisation concrte. Par un choix terminologique arbitraire, j'appelle signification une valeur smantique attache la phrase, et sens , celle de l'nonc, c'est--dire l'ensemble des actes de langage (en entendant par l les actes illocutoires ) que le locuteur prtend accomplir au moyen de son nonciation : le sens de l'nonc constitue ainsi une reprsentation partielle de renonciation par l'noncia- teur. Le sens d'un nonc, c'est que l'nonciateur affirme X, ordonne Y, prsuppose Z,..., etc. Cette conception n'exige d'ailleurs nullement que chaque nonc ait un seul sens. On peut admettre pour le mme nonc un grand nombre de lectures diffrentes, dont chacune est une image possible de renonciation : selon l'une le locuteur, en parlant, s'est prsent au destinataire comme lui donnant un ordre, selon l'autre, comme lui adressant une prire..., etc.

    Supposons maintenant que la description linguistique d'une langue doive permettre d'expliquer pourquoi tel nonc, dans telle situation de discours,

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  • est susceptible des diffrents sens qui effectivement peuvent lui tre donns. Il est clair que ces sens ne sont pas prvisibles partir de la seule signification de la phrase utilise. Cela tient divers facteurs. D'abord au fait que la valeur rfrentielle de l'nonc, et, par suite, les informations qu'il donne, dpendent de l'environnement dans lequel il est employ puisque c'est celui-ci qui permet de donner un rfrent aux expressions deictiques (Je, tu, il, ici, maintenant..., etc.). Il en est de mme pour ce que J.-C. Anscombre et moi nous appelons l'instanciation des variables argumentative s . Eh nonant la phrase II fait beau, mais j'ai mal aux pieds , le locuteur prsente le beau temps comme un argument possible pour une conclusion r oppose celle qu'il tire de son mal aux pieds. Mais seule la situation (aussi bien intellectuelle et affective que physique) permet de dterminer quel est ce r, de l'instancier. Plus gnralement, les langues comportent des oprateurs dont la fonction est d'agir sur un univers du discours pour en extraire tels ou tels lments. Ainsi pour le restrictif ne... que : Je n'ai que du vin signifie, selon l'univers de discours o opre la restriction, je n'ai pas d'autre alcool ou je n'ai pas de boissons non alcoolises , ou encore je n'ai rien manger . Or la phrase n'indique pas les possibilits envisages par le locuteur au moment o il produit l'nonc, donc ce qui est ni l'aide de ne... que.

    Allons plus loin. L'tude des dialogues effectifs montre que l'enchanement des rpliques se fonde gnralement moins sur ce qu'a dit le locuteur que sur les intentions qui, selon le destinataire, l'auraient amen dire ce qu'il a dit. On rpond II parat que ce film est intressant (p) par J'y suis dj all (q), parce qu'on suppose, par exemple, que p est dit afin de proposer d'aller voir le film, et que q donne un motif de n'y pas aller. Si on admet que ces intentions font partie du sens, on a une raison de plus tant donn que leur reprage dpend des circonstances de la parole d'admettre que le sens ne se dduit pas directement de la signification. A cela s'ajoute enfin le problme des actes de langage drivs (ou, selon l'expression de Searle, 1975, indirects ). J'ai dfini le sens de l'nonc comme un ensemble d'actes de langage. Mais on sait qu'une mme phrase peut servir accomplir des actes bien diffrents : une phrase grammaticalement assertive (par ex. II fait chaud ) peut servir affirmer, rappeler, adresser un reproche ou un compliment, faire une demande, une supplication..., etc. Il faut donc connatre non seulement la phrase, mais la situation o elle est employe, pour savoir ce que fait celui qui l'nonce.

    Pour que les constatations qui prcdent amnent l'ide de lois de discours , il faut accepter certaines dcisions supplmentaires. La premire est d'utiliser, pour expliquer le sens de l'nonc, une description smantique qui serait, pralablement, attribue la phrase, c'est--dire, dans ma terminologie, une signification . On imagine donc un processus d'interprtation de l'nonc qui comporterait deux tapes successives : la premire irait de la phrase la signification, et la seconde, de la signification au sens. Seule la seconde aurait prendre en considration les circonstances de la parole, la premire en tant, par dfinition, indpendante. C'est ce processus que j'ai souvent essay de schmatiser en parlant d'un composant rhtorique , qui, connaissant la situation de discours, la ferait agir sur les rsultats, obtenus pralablement, d'un composant linguistique , charg, quant lui, de dcrire les phrases. Si l'on pense ce qui n'est d'ailleurs pas ncessaire pour justifier la construction de cette machinerie qu'elle reprsente, dans ses grandes lignes au moins, l'activit interprtative relle, on est ainsi amen

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  • une double hypothse concernant cette activit. D'une part, que la situation n'opre pas directement sur la phrase, mais seulement sur la signification de la phrase. D'autre part, qu'elle n'opre pas sur la valeur que peuvent possder les morphmes pris isolment, mais sur celle que produit leur combinaison syntaxique l'intrieur de la phrase.

    Mais le recours aux lois de discours implique une deuxime dcision, relative cette fois la faon dont on conoit la signification, et, par suite, le travail du composant rhtorique . On aura en effet remarqu la trs grande htrognit des fonctions que j'ai attribues, il y a un moment, la situation. Quand il s'agit de la valeur rfrentielle ou argumentative, la situation a simplement une fonction de spcification. C'est la phrase elle- mme qui implique que ici doit dsigner le lieu de la parole, ou que les deux propositions p et q, dans une structure p mais q , doivent, l'une autoriser, l'autre infirmer la mme conclusion. Le rle du composant rhtorique consiste donc chercher dans la situation les lments susceptibles de remplir les cases vides inscrites dans la signification de la phrase, et le faire selon des instructions lisibles dans cette signification. En termes mathmatiques, la signification est, dans ce cas, une fonction, la situation de discours est son argument, et l'interprtation rhtorique consiste calculer la valeur de la fonction, connaissant celle de l'argument. Lorsqu'il s'agit, en revanche, des deux autres types d'influence situationnelle dont j'ai parl, il est beaucoup moins vident que la phrase elle-mme rclame son propre complment. Peut-on dire par exemple que la signification de II fait chaud contienne une instruction prcise qui impose d'interprter son nonc, dans telles circonstances comme un compliment, dans telles autres comme un avertissement..., etc.? Je ne prtends d'ailleurs pas qu'un tel mouvement soit impossible, et je crois mme de plus en plus qu'il serait intressant de le tenter systmatiquement. Mais, en tout cas, le recours aux lois de discours implique qu'on a pris une dcision inverse : on ne considre plus, en ce qui concerne les effets de sens dont j'ai parl, la signification comme une fonction c'est--dire, en termes fregiens, comme une entit non sature, qui demanderait tre sature par la prise en compte des circonstances de la parole.

    On admet au contraire que le composant rhtorique ne se borne pas excuter un calcul partir d'une fonction et d'un argument qui lui seraient fournis par ailleurs, mais qu'il constitue lui-mme, pour ainsi dire, une fonction, prenant pour arguments la fois la situation de discours et la signification. Plus prcisment, on le divise en deux sous-composants. Un premier ferait tout le travail d'instanciation rfrentielle et argumentative, et produirait une premire bauche du sens appelons-la, pour abrger, le sens littral . Quant au second, il oprerait sur deux arguments (au sens logico- mathmatique de ce terme). D'une part sur le sens littral , et, d'autre part, sur les circonstances d'nonciation qui interviendraient ainsi une seconde fois dans l'interprtation. Il contiendrait des lois du type de celle-ci : Supposons qu'un sujet interprtant I ait comprendre l'nonc E d'une phrase P dans une situation qu'il se reprsente comme S (S est l'image, pour I, de la situation d'nonciation). Supposons d'autre part que E, dans la situation I, ait pour "sens littral " d'tre l'affirmation d'un fait F. Supposons enfin que, selon la reprsentation S de la situation de discours, le locuteur se reprsente F comme videmment mauvais et videmment imputable au destinataire D de E. Alors I interprtera E comme un reproche fait D par E. La deuxime dcision dont j'ai parl est donc d'admettre un sens litt-

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  • rai qui, tout en tant constitu partir de la situation, et donc propre l'nonc, serait pour ainsi dire exig , tant donn cette situation, par la signification de la phrase. Il formerait une premire couche de sens, laquelle s'ajouteraient, ensuite, divers effets de sens dtermins par des raisons gnrales, qui n'ont plus de rapport direct avec les caractres spcifiques de la signification phrastique.

    Une troisime dcision, sinon ncessaire, du moins habituelle quand on se sert des lois de discours, est de faire du sens littral l'objet d'un engagement du locuteur, de le considrer donc comme une partie de ce qui est communiqu. Cette formulation devra d'ailleurs tre relativise si on admet, comme j'ai propos plus haut, qu'un mme nonc peut tre interprt de diffrentes faons, galement justifiables, et entre lesquelles le linguiste n'a pas choisir, mais qu'il doit expliquer en les rapportant aux diffrentes images que l'interprtant peut se faire de la situation de discours. Revue en fonction de cette restriction, la dcision dont je parle consiste seulement dire qu'en interprtant un nonc, on prte toujours l'nonciateur l'intention de se prsenter comme accomplissant les actes constitutifs du sens littral . Quant aux autres actes que l'on estime appartenir au sens, c'est--dire au portrait de renonciation constitu par l'nonciateur, il faut dire qu'ils se surajoutent aux premiers sans les annuler.

    Une fois prise cette troisime dcision, l'intervention des lois de discours se fait de la faon suivante. On admet quatrime dcision que la collectivit linguistique l'intrieur de laquelle se droule le processus de communication, impose l'acte d'nonciation certaines normes, que j'appelle lois de discours . Pour citer l'une des moins controverses, on admettra que, dans la socit moderne occidentale au moins, il faut, lorsqu'on prtend donner des informations au destinataire sur un certain sujet, lui donner, parmi les informations dont on dispose, celles que l'on croit les plus importantes pour lui; en tout cas, on ne peut pas lui taire une information plus importante que celles qu'on lui donne sauf si une autre loi interdit de donner cette information plus importante : c'est ce que j'appelle loi d'exhaustivit, et cela correspond peu prs la maxime de quantit de Grice 1975. Quand l'intendant de la marquise entreprend de l'informer des accidents survenus dans ses biens, il n'a pas le droit de se borner lui annoncer la mort sa jument grise si, en plus, toute une partie du chteau a brl moins, Lien sr, qu'une loi spciale rglant les communications entre la marquise et son intendant interdise celui-ci de parier du chteau ou du feu.

    Ajoutons maintenant une cinquime hypothse, selon laquelle un interprtant suppose, pour comprendre un nonc, que le locuteur s'est, dans la mesure du possible, conform, lorsqu'il a accompli son nonciation, aux lois rglementant la prise de parole dans la collectivit linguistique laquelle il appartient. Puisque (cf. dcision n 3) les actes indiqus dans le sens littral de l'nonc sont toujours donns comme accomplis au moment de son nonciation, l'interprtant supposera donc que le locuteur avait le droit d'accomplir ces actes. Or il se trouve que cette supposition gnrale de la lgitimit des actes littraux implique des suppositions particulires relatives la situation sociale, physique ou psychologique, de celui qui a parl, et qu'elle produit donc toute une srie d'informations qui ne sont pas contenues dans le sens littral lui-mme. Appliquons ce principe la marquise. Elle supposera (en tant qu'interprtant du discours qui lui est adress) que son intendant, en annonant la mort de la jument, a obi la rgle d'exhausti-

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  • vit, donc qu'il n'avait connaissance d'aucune catastrophe plus atroce; d'o l'on peut tirer, si on admet en plus que l'intendant est au courant de ce qui se passe dans le chteau, que celui-ci est encore debout. De sorte qu'en faisant une nonciation prsente, en vertu du sens littral de l'nonc, comme l'affirmation de la mort de la jument, l'intendant amne ceux qui auront interprter le message (entre autres, la marquise) conclure que, pour le reste, tout va trs bien. Ouf! Ce n'tait que a.

    Mais une nouvelle tape doit tre franchie. J'ai dcrit le sens ( littral ou non) comme l'indication d'un ensemble d'actes de langage. Or, je ne peux toujours pas dire que l'intendant a fait l'acte d'affirmer le bon tat du chteau : j'ai montr seulement, jusqu'ici, que son nonciation permet une telle conclusion. Pour reprendre une distinction formule dans Rcanati 1978, j'ai simplement montr qu'un nonc laisse entendre que sont satisfaites les conditions le rendant lgitimes, mais cela ne signifie pas encore que le locuteur le donne intentionnellement entendre , et encore moins qu'il en fait l'objet d'un acte de langage analogue l'affirmation, l'interrogation... etc., c'est--dire qu'il cherche faire reconnatre au destinataire son intention de donner entendre ce que l'nonc laisse entendre (ou, en utilisant une analyse clbre de Grice 1957, qu'il le signifie au destinataire).

    Je me contenterai de signaler ce dernier problme, extrmement complexe, et de mentionner deux directions selon lesquelles on pourrait traiter. Il est possible, d'une part, de poser un acte de langage spcifique, qui serait l'acte de sous-entendre. C'est cet acte qu'accomplirait l'intendant de la chanson, en l'appliquant un contenu du type II n'y a pas d'autre malheur . Pour dcrire cet acte, on en ferait un cas particulier de ce que j'ai appel (Ducrot 1972, chap. I) l'attestation d'une signification. En employant une interjection (de plainte, par exemple), on atteste ce que l'on ressent : on fait comme si l'mission de l'interjection tait issue directement de la souffrance, tait arrache par elle. Dans la communication de l'acte de manifester sa souffrance, le signifiant est ainsi lui-mme un acte, l'acte phonique de pousser une interjection, et le signifi attest est la souffrance. De mme, quand il s'agit de l'acte de sous-entendre, le signifiant serait lui-mme constitu par un acte, savoir l'acte d'nonciation tel qu'il est dcrit dans le sens littral . Quant au signifi, ce serait le caractre lgitime de cet acte, tenant l'accord avec les lois de discours, et la satisfaction des conditions imposes par celles-ci. En accomplissant une certaine nonciation, que je reprsente, par exemple, comme affirmation (selon le sens littral de mon nonc), j'atteste que je remplis les conditions requises pour faire cette affirmation. Si tel tait le mcanisme du sous- entendu, il serait alors rapporter une caractristique gnrale de l'action humaine, qui tend se prsenter comme justifie, ou, en tout cas, que l'on a tendance percevoir comme prtendant tre justifie (Pour une utilisation de cette ide dans une analyse linguistique de dtail, celle de la conjonction mais, cf. Bruxelles et al. 1976, p. 61, colonne 2).

    Un second type de solution consiste au contraire penser le sous- entendu, non comme un acte de langage, c'est--dire comme un lment du sens, mais comme un mode de production du sens, comme un mode de manifestation des actes de langage. L'intrt de cette solution (dont je me suis moi-mme servi dans Ducrot 1978) est qu'elle permet d'admettre la ralisation, sous forme de sous-entendu, de tout acte de langage, quel qu'il soit, non seulement de l'acte d'affirmation ou des actes semblables, mais tout aussi

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  • bien de la demande, de l'ordre, de la promesse, de la prsupposition..., etc. Il m'est tout fait impossible de discuter ici les problmes rencontrs quand on essaie d'expliquer effectivement comment un acte peut, tout en tant non-littral , avoir le caractre ouvert , dclar qui est le propre de l'illocutoire. Expliquer cela, ce serait rsoudre le problme des actes drivs ou indirects , problme qui est au centre de multiples discussions actuelles. En tout cas, la position, quelle qu'elle soit, que l'on choisit propos de cette question, constitue, dans mon relev des hypothses formant la problmatique des lois des discours, une sixime dcision, invitable lorsqu'on veut comprendre les interprtations possibles des noncs (leurs sens) partir des phrases qu'ils ralisent, mais sans s'en tenir aux marques prsentes dans ces phrases.

    J'aimerais que les six dcisions numres fassent apparatre la fonction mthodologique des lois de discours. Elle tient ce que l'on veut, pour expliquer le sens de l'nonc, mettre en uvre une signification pralable de la phrase. Le recours aux lois permet de maintenir la valeur explicative de la signification, sans pour autant la surcharger de toutes les nuances repres dans l'observation des noncs. La libert du linguiste, dans cette stratgie, n'est limite que par trois impratifs. D'une part, rendre compte du sens, considr comme une donne effective, saisie l'aide d'hypothses appeles externes (Ducrot 1973, p. 120, Anscombre-Ducrot 1978a), diffrentes des hypothses, internes , utilises pour le prvoir. En second lieu, faire en sorte que le calcul de la signification des phrases puisse s'oprer de faon aussi systmatique que possible, partir de leur structure syntaxique et lexicale (ce qui est d'autant plus facile que cette signification est plus pauvre). Enfin n'utiliser que des lois de discours raisonnables , qui ne soient pas inventes pour le simple soulagement du linguiste. Cela implique qu'elles oprent de faon assez gnrale, s'appliquant des types de sens trs divers, et en mme temps qu'elles se justifient indpendamment des simplifications qu'elles permettent, ce qui amne les rapporter, soit des exigences de la communication, soit des tendances de la collectivit linguistique qu'on tudie. On aura reconnu dans ce ncessaire dosage un problme analogue (dans sa structure, mais pas dans son contenu) celui qui se pose, en grammaire generative, lorsqu'on doit dcider si tel phnomne sera dcrit au moyen de rgles syntagmatiques ou de transformations. Si, par mtaphore, on rapproche la signification de la structure profonde , et le sens, de la structure superficielle , on dira que les lois de discours jouent le mme rle mthodologique que les transformations.

    Jusqu'ici, j'ai prsent le recours aux lois de discours comme une dcision mthodologique gnrale, et j'ai signal ensuite, l'intrieur de ce cadre, certaines dcisions particulires prendre lorsqu'on veut pratiquer la mthode d'une faon la fois systmatique et empiriquement acceptable. Je voudrais montrer maintenant un autre choix, qui, lui, est intrieur ce cadre, et qui ne relve plus, me semble-t-il, de critres d'adquation ou de systematick. Il s'agit de l'interprtation donner la dualit postule entre le sens littral et le sens driv au moyen des lois de discours.

    J'ai dfini ces lois comme des normes imposes renonciation, c'est- -dire l'emploi des phrases, la production des noncs. Il n'en rsulte pas, en bonne logique, que les ralits smantiques antrieures l'action des lois de discours (signification et sens littral ) ne contiennent pas dj des indications relatives ce que l'on peut faire lorsqu'on accomplit une non-

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  • ciation : il n'y a pas contradiction, en effet, admettre la fois que la ralisation d'une nonciation est cratrice de valeurs nouvelles, dues aux lois de discours, et en mme temps, que le matriel linguistique utilis doit se dfinir (peut-tre mme, se dfinit seulement) par rapport son nonciation virtuelle. Cependant, mme s'il n'y a aucune ncessit ce mouvement, il y a en fait une tendance, ou tentation, constante, rendre le plus possible les lois de discours responsables de ce qui, dans le sens, est pragmatique, autrement dit, de ce qui est une caractrisation de l'acte d'nonciation. Elles permettraient ainsi de poser un niveau smantique fondamental d'o seraient soit expulses, soit rduites au minimum absolument indispensable, les indications pragmatiques qui, pour l'essentiel au moins, seraient surajoutes un sens littral aussi contemplatif que possible.

    Un choix inverse peut cependant tre fait, qui consiste introduire la pragmatique ds le niveau fondamental, c'est--dire l'intgrer ds le dbut la smantique (selon l'expression que Anscombre-Ducrot 1976, p. 8, reprennent . Culioli). Et cela, de faon systmatique. Il ne s'agit pas de concder ici ou l, dans la signification des phrases, quelques marques pragmatiques, mais de l'organiser comme un ensemble d'instructions servant dterminer, une fois connue la situation de discours, la valeur d'action laquelle prtend renonciation. L'intervention des lois de discours n'aurait pas pour fonction de pragmatiser une smantique au dpart sans rapport avec l'action, mais elle pourrait servir actualiser, et ventuellement modifier, une pragmatique fondamentale des phrases, conues comme des instruments pour l'interaction des interlocuteurs. Tel est le rle que j'ai toujours donn aux lois de discours : mon but, en les utilisant est de cerner une pragmatique primitive, distincte des effets pragmatiques seconds. Dans Ducrot 1969, par exemple, elles me permettent de sparer deux types d'implicite, les prsupposs, que je tenais, cette poque, pour ncessairement inscrits dans la signification des phrases, et les sous-entendus, considrs comme un produit de ces lois. Si de plus la prsupposition est vue comme un instrument pragmatique, comme un moyen donn au locuteur pour obliger le destinataire continuer le dialogue dans une certaine direction plutt que dans une autre (au sens du verbe obliger o la question oblige le questionn un certain comportement qualifi de rponse), alors le recours aux lois de discours met en vidence, l'intrieur de la langue, conue comme systme de phrases, un dispositif rglant le dbat intersubjectif. Rien n'a chang, de ce point de vue, quand j'ai t amen admettre (Ducrot 1978) que la prsupposition, comme tout acte de langage, peut elle-mme tre drive au moyen de lois de discours, c'est--dire sous-entendue : le recours aux lois sert isoler des prsuppositions primitives, ce qui est encore affirmer une pragmatique fondamentale.

    C'est la mme stratgie que Anscombre et moi nous utilisons dans nos recherches sur l'argumentation. Notre thse est qu'une orientation argumentative est inhrente la plupart (au moins) des phrases : leur signification contient une instruction comme : en nonant cette phrase, on se prsente comme argumentant en faveur de tel type de conclusion . Or il arrive qu'un nonc soit en fait prsent pour une conclusion oppose celle que laisse prvoir, selon nous, la phrase employe. Ainsi nous avons des raisons pour dcrire les phrases X cote Y (o Y est un prix) comme orientes vers des conclusions du type X est cher. Pourtant on nonce souvent X cote 10 F pour montrer que X est bon march. Nous expliquons cela par une loi de

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  • faiblesse , disant que si un nonc, pris au sens littral , est argument, mais argument reconnu comme faible, pour une conclusion r, il peut tre donn comme argument pour non-r. Si donc on tient 10 F pour un prix faible, X cote 10 F, qui est, littralement , un argument de chert, peut devenir argument de bon march. Certains morphmes (comme quand mme) servent justement empcher la mise en uvre de cette loi : en disant X cote quand mme 10 F, on fait toujours comme si on argumentait en faveur de la chert bien qu'on reconnaisse 10 F comme un prix faible.

    Autre exemple. Pour nous, les phrases A est aussi grand 'que et A est plus grand que ont la mme orientation, oppose celle de A est moins grand que . On prvoit alors, tant donn que mme joint toujours des noncs coorients, qu'on rencontre seul le premier des enchanements :

    (1) A est aussi grand que et mme plus grand. (2) A est aussi grand que et mme moins grand.

    Le second apparat pourtant dans certains dialogues : X : II parat que A est trs grand. Y : Non, il est aussi grand que B, et mme moins grand.

    Pour expliquer ce fait, je distinguerai d'abord deux types de rfutation. On peut tenter de dmontrer que Vautre a tort, ou bien se borner rectifier ce qu'il a dit, en substituant un nonc au sien (c'est ce que fait le mais quivalent l'allemand sondern et l'espagnol sino). L'nonc rectificatif peut alors, soit tre d'orientation contraire celui qu'on rfute, soit de mme orientation, et, dans ce cas, soit plus fort, soit moins fort : L'eau n'est pas froide; elle est chaude/ glaciale/ frache. En ce qui concerne la rplique de Y, je dcrirai l'nonc suivant Non comme une rectification, et du troisime type, substituant un nonc argumentativement moins fort {A est aussi grand que est, dans le contexte de notre dialogue, moins fort que A est trs grand tout en tant un argument de grandeur pour A). C'est maintenant que je fais intervenir une loi de discours, variante de la loi de faiblesse : substituer un argument fort un argument de mme sens, mais plus faible, cela peut revenir donner un argument en sens inverse . C'est pourquoi, dans A ne skie pas trs bien : il skie bien, le second nonc sera vu comme un argument contre les qualits de skieur de A, et permettra d'enchaner // ne peut pas gagner ce qui est impossible si l'antcdent est le seul nonc A skie bien (La mise en jeu de cette loi peut tre rendue obligatoire par un morphme comme seulement : l'nonc A skie seulement bien, qui substitue bien un trs bien attendu, servira toujours argumenter contre les qualits de skieur de A.) En appliquant cette loi la rplique de Y, on comprend que l'nonc A est aussi grand... soit lu comme argument de petitesse, et que le qualificatif moins grand puisse tre ensuite introduit par mme. Ce qui n'empche pas qu'il soit d'abord un argument de grandeur, et serve, ce titre, rectifier l'affirmation de X.

    J'ai dvelopp cet exemple afin de montrer que les lois de discours, bien qu'elles prennent en considration, par dfinition, le fait de renonciation, peuvent s'appliquer des valeurs smantiques qui, dj, concernent ce fait. Certes, en introduisant des valeurs argumentatives dans la signification, on dcrit dj les phrases par rapport ce qu'on fait avec elles en les nonant. Mais l'acte de les noncer en fait, dans la mesure o des lois de discours le rgissent, va produire des valeurs secondes, valeurs qui, du point

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  • de vue argumentatif aussi, rendent le sens de l'nonc imprvisible partir de la seule phrase. Dans cette perspective, le recours aux lois de discours permet au linguiste d'introduire de la pragmatique ds le niveau de la signification et cela en dpit des trs grandes variations pragmatiques possibles au niveau du sens.

    Mais on utilise aussi les lois de discours avec une intention oppose afin de purifier la signification de toute pragmatique, ou, si on est plus modr, de localiser la pragmatique dans un secteur bien dfini de la signification, qui contiendrait ainsi une rgion purement smantique. Cette position modre consiste rduire, au niveau fondamental, les indications pragmatiques la simple spcification de telle ou telle force illocutoire attache aux phrases : le contenu auquel s'appliquent ces forces aurait, lui, un caractre strictement informatif, et constituerait ce que les logiciens appellent une proposition . On dcrirait ainsi les phrases Le ski est facile et Le ski est-il facile? comme appliquant la force illocutoire, soit de l'assertion, soit de la question, la proposition Le ski est facile (ou plutt facilit du ski , afin de ne pas introduire subrepticement l'assertion dans la proposition). Quant l'attitude radicale, elle n'admettrait, dans la signification, aucune force illocutoire (ou, ce qui revient au mme, elle n'en reconnatrait qu'une, l'assertion). La signification contiendrait seulement des instructions pour construire, une fois donne une situation de parole, un sens littral rduit la simple description d'un fait. Ce sont les lois de discours qui interprteraient ces descriptions comme des actes : se dcrire soi-mme comme tant dans un tat de besoin, quivaudrait ainsi gnralement, en vertu d'un principe de pertinence ( on ne parle pas pour rien ), faire un acte de demande; signaler sa propre curiosit quivaudrait poser une question..., etc.

    Je n'ai pas l'intention, ici, de discuter cette position quelque forme qu'elle prenne. Je voudrais seulement illustrer l'utilisation qui y est faite des lois de discours, instrument puissant (et auquel on peut mme reprocher, comme aux transformations de la grammaire generative, de l'tre trop). Un premier exemple, emprunt Cornulier 1978. Il m'est arriv (Ducrot 1972, chap. 6) de donner pour fonction fondamentale la conjonction si de permettre un acte de supposition . On demande au destinataire d'imaginer telle ou telle situation, et, une fois qu'on l'a plac dans cette situation fictive, on fait une assertion, une interrogation, un ordre... etc. Un avantage de cette proposition est qu'elle rend compte de ce qu'on a appel le si d'nonciation par opposition au si implicatif (On a un si implicatif dans (1) S'il fait chaud, j'irai la plage, et un si d'nonciation dans (2) S'il fait chaud, il y a de la bire dans le frigo. (2) ne subordonne pas l'existence de la bire l'hypothse de la chaleur, mais prsente l'assertion de cette existence comme justifie par cette hypothse : Je te parle pour le cas o... ). Une fois admis que si pose un cadre fictif pour la parole ultrieure, il n'est plus tonnant que ce cadre puisse tre mis en rapport soit avec le fait assert ensuite, soit avec la pertinence de l'acte d'assertion.

    Cornulier 1978 montre cependant qu'on peut viter cette intrusion de la pragmatique l'intrieur de la smantique, et dcrire le si, au niveau profond, d'une faon purement logique, comme un connecteur qui construit, avec deux propositions, l'antcdent et le consquent, une proposition nouvelle, vraie condition que le consquent soit vrai lorsque l'antcdent l'est. En effet, ce qui surprend, dans le si d'nonciation, c'est qu'en nonant la

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  • phrase totale (2), on donne la mme information qu'on donnerait avec son simple consquent II y a de la bire dans le frigo . Or ceci se dduit si on admet :

    a) que la signification fondamentale de si comporte la valeur logique que j'ai rappele,

    b) que le locuteur et le destinataire de (2) croient possible qu'il fasse chaud, et n'estiihent pas cette chaleur ventuelle susceptible de remplir actuellement le frigo de bire,

    c) qu'une loi de discours ordonne d'asserter seulement ce dont on est sr.

    Admettons en effet que (2) ait, d'aprs sa signification, les conditions de vrit fixes par a). En vertu de b), il faut alors, pour tre sr de la vrit de (2), savoir que la bire est dans le frigo. On ne peut donc, tant donn c), asserter (2) sans laisser entendre que l'on a cette conviction que communique aussi bien la simple assertion du consquent. De sorte que, pour comprendre le phnomne tudi, il n'est pas ncessaire de placer dans la signification de si une allusion un acte de langage comme la supposition : renonciation peut n'tre prise en compte qu'au moment seulement o les lois de discours drivent le sens effectif partir du sens littral .

    Un second exemple, pour illustrer la mme ligne de pense. Ans- combre 1975 dcrit le comparatif d'galit comme comprenant, dans sa signification mme, un lment argumentatif. Selon lui, dcrire la phrase (3) A est aussi grand que B, c'est indiquer que ses noncs, d'une part assertent l'galit de taille de A et de , et, d'autre part, servent d'arguments des conclusions analogues celles qu'on tire de A est grand (ou, mais je n'en parlerai pas, est petit). Cette description fait intervenir l'argumentation dans la signification, et est donc typique d'une pragmatique intgre . Mais Fauconnier 1976 montre qu'on peut rendre compte des faits traits par Anscombre tout en donnant au comparatif d'galit une signification purement smantique condition de solliciter les lois de discours avec plus d'nergie que ne veut le faire Anscombre. Il suffit de dire que (3) est destine l'assertion d'une proposition du type A a une taille gale ou suprieure celle de .

    Pour expliquer que d'habitude le sens de cet nonc est d'asserter l'galit des tailles, on se servira de la loi d'exhaustivit : si on veut informer de la taille de A, et si on sait A plus grand que B, on ne doit pas se contenter d'asserter la proposition, beaucoup plus large, donc moins informative, qui apparat, selon Fauconnier, dans le sens littral de (3). De sorte qu'un locuteur rput savoir quelles sont les tailles respectives de A et de , laisse entendre, en nonant (3), que A n'a pas une taille suprieure, mais seulement gale celle de B.

    Quant l'observation qui avait conduit Anscombre introduire l'argu- mentativit dans la signification mme de aussi... que, il n'est plus difficile d'en rendre compte une fois que (3) a t dcrit comme fondamentalement compatible avec une situation o serait plus grand que . Car il est clair, si on admet cette description, que (3) ne saurait raisonnablement tre utilis que pour montrer la grandeur de A (ou une conclusion dductible de cette grandeur), et non pas la petitesse de A (ni une conclusion dductible de cette petitesse). En effet, si petit que soit B, l'assertion de (3) ne poserait qu'une limite, infrieure, et aucune limite suprieure, la taille de . Elle pourrait

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  • donc permettre une conclusion de grandeur relative A (si on pense que est grand, ou au moins suffisamment grand pour une certaine tche), mais aucune conclusion de petitesse (mme si on estime petit).

    On voit la manuvre permise par les lois de discours. Elle consiste assigner une phrase une signification fondamentale de type informatif et non argumentatif (plus gnralement, non pragmatique), mais qui explique la fonction argumentative de ses noncs. Et lorsque cette signification informative est en contradiction avec le sens informatif habituellement vhicul par les noncs, on suppose que la divergence tient l'intervention d'une loi de discours au moment de renonciation (ici, l'exhaustivit). Cette manuvre n'est d'ailleurs qu'un cas particulier de la stratgie gnrale qui sous-tend, et justifie du point de vue de la mthode, le recours aux lois de discours. En drivant le sens dans une tape postrieure celles qui ont fourni la signification, puis le sens littral , on devient capable d'expliquer des faits apparemment contradictoires en les reliant tantt aux rsultats des premiers, tantt ceux du dernier calcul. Le problme qui reste est d'expliquer ce dcalage. Dans mon second exemple, il s'agit de savoir pourquoi l'activit d'argumentation prendrait en considration le sens littral , antrieurement sa modification par les lois de discours. Certes on comprend bien qu'un oprateur grammatical, par exemple une conjonction de subordination, utilise pour constituer des phrases complexes partir de phrases simples, opre sur les significations et non pas sur les sens (cf. Ducrot 1972, p. 196), mais on conoit moins bien qu'une activit de parole comme l'argumentation, qui met en uvre des noncs, oublie la valeur smantique que ceux-ci doivent aux lois de discours, et aille exhumer leur sens littral derrire leur sens.

    Mon objet n'est cependant pas, ici, de discuter les analyses que je prends en exemple (la description de Fauconnier est discute en dtail dans Ans- combre Ducrot 1978b), mais de signaler une problmatique. J'ai voulu montrer que, mme en travaillant dans le cadre mthodologique fourni par les lois de discours, on rencontre une alternative fondamentale (La pragmatique est-elle premire ou drive?), et que le choix, dans cette alternative, ne peut plus s'appuyer sur des critres mthodologiques d'adquation aux faits ou de systematick. Si on tient choisir (le plus intressant n'est d'ailleurs peut-tre pas de choisir, mais d'expliciter les thses en prsence et leurs implications empiriques), on se rfrera une conception gnrale de la langue. Ainsi, si on travaille dans la perspective d'une pragmatique intgre, c'est qu'on a dcid de prendre au srieux les aspects non logiques des langues, en entendant par l tout ce qui, en elles, se laisse mal dfinir en termes de conditions de vrit, par exemple l'expression se laisse mal dfinir de ma dernire phrase, et, en gnral, les prdicats utiliss dans la vie quotidienne, qui n'ont pas de conditions de vrit nettement assignables (Peut-on dire ce qui serait susceptible de vrifier ou de falsifier un nonc comme (4) Ce travail est facile pour Pierre?). Pour moi, cet a-logisme est fondamental, et tient ce que les langues ont une tout autre fonction que de vhiculer des informations (je ne suis mme pas sr que le verbe informer ait un sens si clair qu'on puisse l'utiliser dans une thorie linguistique, c'est- -dire pour parler du langage). Leur fonction premire (c'est--dire, pour tre honnte, celle qui m'intresse) est d'offrir aux interlocuteurs un ensemble de modes d'actions strotyps, leur permettant de jouer et de s'imposer mutuellement des rles : parmi ces modes d'action conventionnels, prexis-

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  • tant leur emploi par les sujets parlants, je place les virtualits argumen- tatives constitutives, pour moi, de la signification. (Ainsi la phrase (4), difficile dcrire du point de vue informatif, se laisse dcrire par l'influence argumentative qui lui est reconnue; on peut dfinir un ensemble de conclusions telles qu'il est admis de prsenter, en leur faveur, un nonc de (4), et d'autres pour lesquelles cela n'est pas admis, ou n'est admis qu' titre d'exception). Ce choix m'amne attacher une pragmatique la phrase, ou mme la dcrire d'une faon purement pragmatique : le rle des lois de discours est alors de montrer comment cette pragmatique virtuelle se ralise et se diversifie selon la situation d'nonciation.

    Mais il me semble tout aussi possible, et aussi justifi, de travailler dans l'hypothse inverse. On considrerait comme une imperfection accidentelle des langues le fait que leurs prdicats aient des conditions de vrit mal prcises. Attitude qui conduit qualifier ces prdicats de flous, laissant entendre qu'ils visent, sans y atteindre, la rigueur des prdicats logiques. Dans ces conditions, il n'est pas absurde de penser que les oprateurs gouvernant la structure smantique gnrale de la phrase font comme si les prdicats taient logiquement dfinis. Ce qui rend raisonnable de chercher un domaine de signification pure , d'o toute pragmatique est exclue la pragmatique n'apparaissant que dans un second moment, li l'intervention des lois de discours. Il reste d'ailleurs possible, tout en admettant la premire hypothse, de considrer que la seconde exprime une tendance effective qui commande l'volution des langues modernes ( logici- santes , dit Benveniste),ou, au moins, qui dtermine l'image que les socits modernes se donnent de leurs propres langues. Tout ce que j'ai voulu montrer ici, c'est que ces divers choix thoriques sont compatibles avec le cadre mthodologique fourni par les lois de discours, et peuvent s'exprimer en lui. Je ne suis d'ailleurs pas sr que l'on puisse demander plus, en smantique linguistique, aux cadres mthodologiques utiliss : permettre un mode d'expression scientifique, ou, si on veut, une rhtorique scientifique, qui sert l'explicitation des conceptions sous-jacentes.

    Remarque I. Sur le concept de sens littral. J'ai parl, dans cet article, de sens littral (entre guillemets), notion invitable ds qu'on fait engendrer le sens effectif par des lois de discours car il s'agit alors de poser la question Pourquoi le locuteur a-t-ii dit ce qu'il a dit? : ce qu4l a dit, c'est ce que j'appelle sens littral . Mais ce concept ne recouvre pas le concept habituel de sens littral, si on entend par l : ou bien cette utopie que serait un sens de l'nonc dtermin par la seule signification de la phrase, hors situation. ou bien un sens de l'nonc qui, tant donn la situation, serait ncessaire, incontestable, alors que le sens figur serait seulement possible. La diffrence entre les deux concepts se voit, entre autres, sur le problme des actes de langage. a) La signification de la phrase prcise rarement un acte de langage dtermin (ordre, demande..., etc.), mais seulement un type d'acte. Que l'on pense combien est vague la marque grammaticale impratif. Autrement dit, l'acte marqu dans la phrase est autre chose que l'acte dcod dans l'interprtation de l'nonc mme dans une interprtation directe, littrale (en mon sens), et qui ne recourt pas aux lois de discours. Un travail de spcification est dj ncessaire pour passer de l'acte marqu l'acte

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  • littral (comme lorsqu'il s'agit d'instancier les variables deictiques ou argumentative s) . b) La situation qui sert cette spcification n'est pas elle-mme quelque chose de fixe. Non seulement parce que diffrents interprtants la voient de faon diffrente. Mais parce qu'un mme interprtant ne peut pas faire intervenir la fois tous les composants de ce qu'il se reprsente comme la situation. Il en extrait certains lments l'aide desquels il construit, par spcification de la signification, un premier sens qui, par suite de ce choix, joue le rle de sens littral . Puis il fait agir sur celui-ci d'autres composants qui, joints aux lois de discours, engendrent un sens second. L'hypothse gnrale des lois de discours implique que l'interprtation suive toujours cet ordre, mais elle n'implique pas que la connaissance de la situation permette de dterminer, pour chaque cas particulier, ce qui sera littral et ce qui sera second car cela dpend de l'ordre selon lequel l'interprtant fait intervenir les composants situationnels.

    Remarque II. Sur le terme Composant linguistique . J'ai appel rhtorique le composant qui met en uvre les lois de discours, et linguistique , celui qui dcode la phrase. Cette dnomination ne doit pas laisser entendre que les lois de discours sont trangres au code linguistique. D'autant plus qu'on a mis en vidence (Anscombre 1977, p. 31 sq. Cf. aussi ce que j'ai dit ici de quand mme ou seulement, et, dans Ducrot 1972. p. 135, de au moins) des marques linguistiques favorisant ou bloquant, dans l'interprtation de l'nonc, la mise en uvre de telle ou telle loi. Si on intgre l'intonation la phrase, ces marques prendront une importance encore plus grande, attestant la multiplicit des allusions intralinguistiques aux lois de discours.

    RFRENCES

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