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LA NOTION DE "SARCOPHAGE" ET SON ROLE DANS L'ANTIQffiTE TARDIVE par Noe;l DUVAL (avec Ie concoursde Ch. Bonnet) Un des problemes majeurs qu'aimait traiter Paul- Albert Fevrier etait l'etrangete de la chronologie dessar- cophages figures chretiens : pourquoiles a-t-oo utilises dans la continuite des usagespa"iens aux me et lYe siecle? Pourquoi y a-t-onrenonce a partir d'une certaine date, qui varie suivantles regions. II s'agitde savoir si les "sarcophages d'Aquitaine" s'inscrivent dansla conti- unite ou viennent apres one rupture commeIe croyaitJ. Hubert,entre autres. F. Paschoud a tres bien montrela continuite de la cul- ture en Gauledans l'aristocratie, et puis la rupture qu'on disceme a partir du VIe siecleet que deux contemporains permettent d'illustrer : d'un coteVenance Fortunat, poete precieux, traditionnel jusqu'a l'exces (mais lui venait d'Italie) et Gregoirede Tours, historien "brut", qui ecrit ce qu'it sait ou ce qu'il voit commeonparletonslesjours en faisant fi de toute rhetorique et de toute rigueur grammaticale. * exemple Ie cimetiere de Civaux -qui ne represente pour- tant qu'une tres faible partie de ce qui a etetrouve dans Ie passe: a cet endroit, dans une agglomeration secon- daire,tout Ie monde se fait en tercer dansun sarcophage. On applique aussi Ie terme sarcophage a un substitut peu couteux de la piercedans les regionsparisienne et champenoise ou Ie gypse est repandu: on a beaucoup travaille sur la chronologie (gracea la fouille soigneuse de cimetieres ou les sarcophages etaient enplace et dans un contexte archeologique assez clair), sur la technique de fabrication,sur Ie decordes "sarcophages de platre" en Gaule,et P. Perin viendra nODS apporter les demiers resultats de res recherches, mais il ne faut pas oublier que d'autres regionsont connu,nonpas la cove moulee, mais des coffrages faits de briques de platre, par exempledans la region de la Haute Steppe en Tunisie centrale et meridionalel. Mais il estevident que la grande majorite desinhuma- tions sepratiquent nonpas en "terce libre" ou en "pleine terce" commeon Ie croyait souvent (on en faisaitoneca- racteristique des cimetieres "par rangees" germaniques), mais la plupart du tempsdans des cercueils -qu'on n'a pas reconnuspendant longtemps -ou it tout Ie moins dans des coffrages de bois ou de pierces. Pour en revenir au sarcophage de marbreproduit dans un marbre local dans les Pyrenees et utilise principale- ment dans Ie Sod de I'Aquitaine et dans 1'0uest de la Narbonnaise, il faut s'arreter un instantsur Ie terme de "marbre" : on applique parfois it tort ce termeit descal- cairesfins. II faut distinguer par ailleurs Ie marbre cou- teux d'importation (pour la perioderomaine, principale- meot ceux de Carfareet d' Asie Mineure,pour I'epoque de I'Antiquitt Tardive et la periode paleobyzantine, sur- tout celui de Proconnese utilise partouten Mediterranee pour Ie decoret Ie mobilier des eglises). On a beaucoup utilise Ie marbre grec pour certains sarcophages a Rome et en Italie, et Ie Carfareen Gaule du Sod-Est. Parmices marbresd'importation,il faut it nouveau distinguerles sarcophages importis finis ou ebauches et terminessur placeavecdestechniques et des schemas decoratifs im- portis, et ceux qui soot fabriques dansla regiond'usage Le premier point a aborder est l'usageet la valeur du sarcophage dans Ie contexte de l'inhumation.Le terme ne signifie pas grand'chose en soi : a l'origine il designe one sepulture amenagee dansonepierre qui avaitla par- ticularite, par reaction chimique,de haterla disparition des chairs et de sreriliserles cadavres. On 1'a applique par la suitea n'importequeUe cove de pierre et me-me a des con tenantsqui ne sont pas en pierre: on parle de "sarcophages de bois" a la place de cercueils; il existe des sarcophages de terre cuite, notamment en Asie Mi- neure et dansla tradition phenico-punique ; on emploie me-me Ie terme couramment pour de simplescoffrages, de toiles ou de briques par exemple. On constate one repartition tres inegalede l'usagedu sarcophage. Ch. Bonnetdira qu'enSuisse les sarcopha- ges de pierre (non decores) sontcares et semblent reser- ves a des couchesprivilegiees de la population. Dans d'autres regions, par exemple en Gaule du centre, on produira des coves de pierre en grande serie,dans des carrieresassez dispersees et qui "exportent" parfois fort loin, notammentIe long des rivieres qui facilitent Ie transport de ces produits lourds et encombrants (voir la communication deG.-R. Delahaye). On se rappeUera par 1 J'ai etudie ces coffrages de p1atre utilises assez 1argement a Sbeitla(Sbeitla. 1,1971 : voir l'index).

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LA NOTION DE "SARCOPHAGE" ET SON ROLE

DANS L'ANTIQffiTE TARDIVE

par

Noe;l DUVAL

(avec Ie concours de Ch. Bonnet)

Un des problemes majeurs qu'aimait traiter Paul-Albert Fevrier etait l'etrangete de la chronologie des sar-cophages figures chretiens : pourquoi les a-t-oo utilisesdans la continuite des usages pa"iens aux me et lYesiecle ? Pourquoi y a-t-on renonce a partir d'une certainedate, qui varie suivant les regions. II s'agit de savoir siles "sarcophages d'Aquitaine" s'inscrivent dans la conti-unite ou viennent apres one rupture comme Ie croyait J.Hubert, entre autres.

F. Paschoud a tres bien montre la continuite de la cul-ture en Gaule dans l'aristocratie, et puis la rupture qu'ondisceme a partir du VIe siecle et que deux contemporainspermettent d'illustrer : d'un cote Venance Fortunat, poeteprecieux, traditionnel jusqu'a l'exces (mais lui venaitd'Italie) et Gregoire de Tours, historien "brut", qui ecritce qu'it sait ou ce qu'il voit comme on parle tons les joursen faisant fi de toute rhetorique et de toute rigueurgrammaticale.

*

exemple Ie cimetiere de Civaux -qui ne represente pour-tant qu'une tres faible partie de ce qui a ete trouve dansIe passe: a cet endroit, dans une agglomeration secon-daire, tout Ie monde se fait en tercer dans un sarcophage.

On applique aussi Ie terme sarcophage a un substitutpeu couteux de la pierce dans les regions parisienne etchampenoise ou Ie gypse est repandu : on a beaucouptravaille sur la chronologie (grace a la fouille soigneusede cimetieres ou les sarcophages etaient en place et dansun contexte archeologique assez clair), sur la techniquede fabrication, sur Ie decor des "sarcophages de platre"en Gaule, et P. Perin viendra nODS apporter les demiersresultats de res recherches, mais il ne faut pas oublierque d'autres regions ont connu, non pas la cove moulee,mais des coffrages faits de briques de platre, parexemple dans la region de la Haute Steppe en Tunisiecentrale et meridionalel.

Mais il est evident que la grande majorite des inhuma-tions se pratiquent non pas en "terce libre" ou en "pleineterce" comme on Ie croyait souvent (on en faisait one ca-racteristique des cimetieres "par rangees" germaniques),mais la plupart du temps dans des cercueils -qu'on n'apas reconnus pendant longtemps -ou it tout Ie moinsdans des coffrages de bois ou de pierces.

Pour en revenir au sarcophage de marbre produit dansun marbre local dans les Pyrenees et utilise principale-ment dans Ie Sod de I' Aquitaine et dans 1'0uest de laNarbonnaise, il faut s'arreter un instant sur Ie terme de"marbre" : on applique parfois it tort ce terme it des cal-caires fins. II faut distinguer par ailleurs Ie marbre cou-teux d'importation (pour la periode romaine, principale-meot ceux de Carfare et d' Asie Mineure, pour I'epoquede I'Antiquitt Tardive et la periode paleobyzantine, sur-tout celui de Proconnese utilise partout en Mediterraneepour Ie decor et Ie mobilier des eglises). On a beaucouputilise Ie marbre grec pour certains sarcophages a Romeet en Italie, et Ie Carfare en Gaule du Sod-Est. Parmi cesmarbres d'importation, il faut it nouveau distinguer lessarcophages importis finis ou ebauches et termines surplace avec des techniques et des schemas decoratifs im-portis, et ceux qui soot fabriques dans la region d'usage

Le premier point a aborder est l'usage et la valeur dusarcophage dans Ie contexte de l'inhumation. Le termene signifie pas grand'chose en soi : a l'origine il designeone sepulture amenagee dans one pierre qui avait la par-ticularite, par reaction chimique, de hater la disparitiondes chairs et de sreriliser les cadavres. On 1'a appliquepar la suite a n'importe queUe cove de pierre et me-me ades con tenants qui ne sont pas en pierre: on parle de"sarcophages de bois" a la place de cercueils ; il existedes sarcophages de terre cuite, notamment en Asie Mi-neure et dans la tradition phenico-punique ; on emploieme-me Ie terme couramment pour de simples coffrages,de toiles ou de briques par exemple.

On constate one repartition tres inegale de l'usage dusarcophage. Ch. Bonnet dira qu'en Suisse les sarcopha-ges de pierre (non decores) sont cares et semblent reser-ves a des couches privilegiees de la population. Dansd'autres regions, par exemple en Gaule du centre, onproduira des coves de pierre en grande serie, dans descarrieres assez dispersees et qui "exportent" parfois fortloin, notamment Ie long des rivieres qui facilitent Ietransport de ces produits lourds et encombrants (voir lacommunication de G.-R. Delahaye). On se rappeUera par

1 J'ai etudie ces coffrages de p1atre utilises assez 1argement a

Sbeitla (Sbeitla. 1,1971 : voir l'index).

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avec des blocs importes ou remployes (c'est Ie problemepose par leg sarcophages d'Arles et de Marseille).

On ne pent pas dire que Ie marbre de Saint-Beat au desautres carrieres pyreneennes gait one matiere de luxe. Onl'exploite depuis tres longtemps et on a taille dans cemateriau des urnes cineraires et des autels votifs au fu-neraires. C'est la matiere certes, mais surtout l'omemen-tation qui fait la valeur. II existe aussi one ambigulte surIe terme "omementation" puisque G.-R. Delehaye pre-tendra tout a l'heure que leg sarcophages en pierre, qui sedistinguent seulement par des bandes -contrariees ounon -d'incisions ou par one croix ou one simple aretefaitiere, soot ames. Bien qu'Y. Christe rot affIrme al'instant que leg "sarcophages d' Aquitaine" illustrent ladecadence du gout et du Caire, ils se placent tout dememe dans one autre categorie. Je ne pense pas pour mapart -et ce n'est pas D. Cazes et Br. Christem qui me de-mentiront -que ces sarcophages sont aussi mediocresqu'on l'a dit. II s'agit de suivre simplement l'evolution dugout et des modes, et c'est pour cela que nons sommesreunis.

Cette omementation est-eUe rare ? D'oo viennent legthemes principaux ? A queUe strate sociale, a queUe cul-ture, a quel gout correspond-eUe ? Quels sont leg rap-ports possibles avec l'omementation en mosalque etsculptee des maisons et villas de l' Antiquite Tardive dansIe grand Sod-Ouest. Ce sont ces problemes que nonsaborderons successivement, grace a la presence des spe-cialistes. II est vrai, comme Ie faisait remarquer Br.Christem, que certains aspects du decor contemporainant ete laisses de core jusqu'a present: par exemple on atraire des chapiteaux mais pen des decors plaques (friseset pilastres comme il en existe par exemple a Seviac) quidoivent provenir des memes ateliers que leg sarcophageset qui presentent parfois des similitudes (voir ci-apres legremarques de C. BalmeUe).

en relief plat Ie plus souvent et ont un caracrere secon-daire: Ie decor ~ut n'avoir aucun rapport avec la fa~deprincipale. Le couvercle du sarcophage romain n'est pasdestine a etre vu par-dessus rnais de face, avec son ban-deau decore qui dissimule la faible pente du toil et dontles motifs ~uvent etre complementaires de la face prin-cipale. Sauf les sarcophages a double Crise, de dimen-sions plus considerables et qui soot souvent bisomes, lessarcophages romano-arlesiens soot destines a etre vus ahauteur d'homme. L'inscription est Ie plus souvent sur Iebandeau. Peu de sarcophages ont ete trouves en place,mais on possCde des arcosolia destines a des sarco-phages dans les catacombes ou dans les mausolees de lanecropole vaticane ou a l'Isola sacra et on voit biencomment pouvait se presenter la plupart des sarcophagesde ce type.

Autre type dans l'atelier de Ravenne : ce soot des sar-cophages plus grands que ceux de Rome, mais moinsmassifs que les sarcophages en calcaire des Balkans oud'Italie du Nord, qui, pourvus d'une plinthe importante,soot destines a etre places sur Ie sol dans un monument,comme on les a disposes actuellement dans Ie "mausoleede Galla Placidia", dans les eglises de San Francesco ouSan Apollinare in Classe. La face principale, les deuxcores courts, parfois Ie dos, Ie couvercle (soit a doublepente, soil bombe), ont generalement ete decores com-pletement. Donc une vision du dessus a ete prevue desl'origine.

Dans les Balkans (a Salone par exemple) et en Italiedu Nord, les sarcophages en calcaire au contraire sootmassifs, peu ou pas decores, pourvus d'un couvercle adouble pente avec acroreres. Les inscriptions soot assezindifferemment sur la cuve, sur les holds ou la pente ducouvercle et parfois sur les acroteres. Ces sarcophagessoot faits pour etre vus sur une seule face en general; itsetaient destines a etre peu ou pas sureleves, et places Ielong d'une parDi ou a la surface dans Ie cimetiere, parfoisau-dessus d'une tombe anrerieure. L'inscription, sans pre-tention, vaut ce que vaut la plaque de nos cercueils. Onn'hesite pas a placer ces sarcophages les uns contre lesautres ou les uns sur les autres (apres remblaiement engeneral), a enterrer Ie sarcophage completement, sansrespect excessif meme pour des tombes saintes.

Autre categorie tres differente en Gaule : les sarco-phages de platte, chefs a P. Perin, sont omes sur les pe-tits cores a l'exterieur, rarement sur les longs cotes et al'inrerieur. Malgre cette omementation, en general som-maire, ils sont tous enterres. Le probleme qui se posaitetait de savoir si ces cuves etaient fabriquees sur placeou preparees a l'avance, mais on n'a jamais pretenduqu'ils restaient visibles. On constate d'ailleurs bien d'a-pres les fouilles recentes ou sur les photographies an-ciennes de fouilles du carrefour des Gobelins ou deSaint-Gerrnain-de-Pres que la disposition long cotecontre long core et en eventails successifs (puisque la

Nous abordons ainsi la deuxieme partie de cet exposepreliminaire : queUe est la valeur et Ie sens de la decora-tion des "sarcophages d'Aquitaine" dans Ie contexte de lasculpture funeraire chretienne ? II faut insister sur lastructure du sarcophage : il est important de savoir dansquel esprit on Ie con~oit, pour queUe sorte de monument,ou on compte Ie placer, queUe est la signification de l'or-nementation pour les artisans, pour Ie defunt (qui peutavoir ere Ie commanditaire),pour la famiUe, pour les vi-siteurs d'un sanctuaire.

Chaque type de sarcophage a sa signification proprepour un contexte determine. Le sarcophage romain, arle-sien et marseiUais est con~u surtout comme une Crise ouune double Crise, parfois de structure composite, et sou-vent de lecture complexe. II est oriente veTS la fa~ade dusarcophage. Les petits cotes, quand ils sont decores, sont

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Fig. -Situation de Martres- Tolosane par rapport a la villa du bord de la Garonne (Chiragan)

Fig. 2. -Plan de I'eglise gothique de Marlres- Tolosane et des restes de I'egliseet des mausolees paleochretiens d'apres J. Boube

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rOnDe generale est trapezoidale) empe,che de toute fa~ontoute vision des cOtes decores. II Caul donc bien sesouvenir que decor ne signifie pas forcement omemen-tation destinee a 1'observateur.

En Afrique. les sarcophages soot races. On a quelquesdebris de sarcophages d'importation de Carrare. maissans indication sur Ie lieu de decouverte et leg sacco-phages locaux (en pierre "Kadel" a Carthage. qui sootexporte:s a Tarragone (d'apres I. Roda) soot des sarco-phages peu decores. avec cuves rectangulaires omees decolonnettes. de strigile et de quelques personnages etcouvercles a bandeaux. dont la presentation devait etreanalogue a ceux de Rome (avec lesquels its ont ete melesen Espagne). 1'ai aussi souvenir d'une fouille des anneesCinquante oil un sarcophage en place et non viole -oilon a trouve un peu de materiel attribue a la periode van-dale -.pourvu d'un couvercle a double pente legerementdecore. etait enterre neanmoins2.

En Espagne, on se reportera a la communication de G.Ripoll qui montre la variete des types et des usages.C'est surtout pour leg regions de 1'inrerieur (et tres rare-ment pour Tarragone) que 1'on possede Ie contexte ar-cheologique : en general. ces cuves etaient disposeesdans des mausolees.

Venons-en a 1'Aquitaine. Ces sarcophages ont en gene-ral trois faces decorees (tres exceptionnellement quatre :un seul cas au Musee du Louvre) mais Ie couvercle. quiest d'abord a bandeaux puis a rampants. 1'est aussi, de fa-~on parfois inegale (decor plus elabore vcrs la fa~ade).Donc leg "sarcophages d'Aquitaine" soot con~us gene-ralement pour etre places contre une paroi et pour etrevisibles sur trois cotes (les petits cotes ont un decor ho-mogene avec la fa~ade) et sur Ie dessus. lIs sootd'ailleurs bas et ne com portent pas en general d'inscrip-tions dont l'emplacement s'impose a la vision. II Caulbien se souvenir de ceUe structure pour comprendre quelest Ie role qu'on a voulu Caire jouer au decor.

Le ttoisieme point est Ie plus difficile a ttaiter : quelleetait l'emplacement d'origine de ces sarcophages d' Aqui-taine? Or, ils n'ont pratiquementjamais ete vus en place(sauf peut-ette une fois a Toulouse, mais Ie sarcophage aere aussiwt dettuit : voir infra la communication de D.Cazes). P. Perin a deja evoque Ie sarcophage d'Arpajon-sur-Cere avec Ie probleme de savoir s'il est a son empla-cement d'origine et si on peut se servir du contexte et desauttes sarcophages pour Ie dater (Ie contexte est relati-vement tardif). En dehors de cet exemple conttoverse, iln'existe pas de contenu datant puisque toutes les cuvesparvenues intactes ont ete remployees et, pour la plupan,eUes soot depourvues de contexte archeologique. Mais

on peut tirer un indice de la f~on dont ils ont ete rem-ployes, souvent dans Ie meme esprit ou ils avaient etecon~us a l'origine.

11 s'agit essentiellement des grands ensembles deMartres- Tolosane et Saint-Seurin de Bordeaux3. Mar-tres- Tolosane comportait plusieurs villas romaines,fouillees a maintes reprises. L'agglomeration elle-memeest mewevale et l'eglise, qui est ...de la villa de Chira-gaD mais n'est pas sur la villa elle-meme, a ete implanttesur des dependances (fig. 1-2) : on reconnait un portique-ou un peristyle -et un certain nombre de pieces carreesou rectangulaires qui ont ete transformees en mausolees.L 'abside nord appartiendrnit aussi a la villa; elle a erereume tardivement a l'ewfice de culte. L leglise elle-meme est mal datee. Le sanctuaire est dedit d'apres lesdocuments mewevaux a la Vierge, mais on fila pas detrace de cette dedicace avant Ie Xle siecle. La dedicaceactuelle au saint local, saint Vidian, connue seulementpar one Vie mooievale legendaire, appartenant au cycledes Chansons de geste, n'apporte que peu d'elementspour connaitre l'origine de ce colle. L'eglise est gothiqueet c'est essentiellement dans res murs et dans l'enceintequ'on a retrouve en remplois les sarcophages "deMartres- Tolosane". Les fouilles du XIxe siecle, reprisesdans les anDres Cinquante (par J. Boube), ont ete mentesde telle fa~on que la stratigraphie est tres mal connue.L'ensemble pose de grands problemes d'interpretation :date de l'eglise, plan de l'eglise (on a pense a on plancruciforme a deux absides laterales), modalire de rem-ploi d'ooifices anterieurs, date des coves trouvees enplace (generalement pas decorees), role des coves deco-fees trouvees en remploi : soot -elles contemporaines dela premiere eglise -dont Ie plan echappe -? Ont-elles ereplacees volontairement en remploi dans les murs del'eglise et a quel moment? Quel est Ie role des mauso-lees satellites, seuls bien reconnus ? Le contexte de l'im-portante collection des sarcophages de Martres-Tolosaneechappe donc presque totalement : la ou les villasetaient-elles encore en usage au moment de la fabrica-tion des sarcophages ? Ou etaient enterres les habitantsde ces villas? La concentration de sarcophages d' Aqui-taine doit slexpliquer it moo sens parce que Ie sanctuaire(malgre Ie silence des textes) avail one attirance suffi-sante pour que l'ensemble de la population "privilegiee"de la region se fasse enterrer dans ou it proximite dusanctuaire.

Deuxieme exemple : Saint-Seurin de Bordeaux (fig.3). Sans tenir compte de l'hypothese du baptistere primi-tiC de M. Duro, les sarcophages soot places dans lacrypte medievale, qui est one crypte de pelerinage avectrois fiefs (colonnes, bases, chapiteaux de remploi), etdouble acces avec trois sepultures "privilegiees" dans de

3 On renvoie pour ces monuments a la notice de l'lnventaire

des monuments paIeochretiens de La France, sous presse.2 Cahiers archiologiques. 1959. p. 92-93 et fig. 15.

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Fig. 3. -Saint-Seurin de Bordeaux: plan de la crypte (Anus-Dum)

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profondes exedres rectangulaires. Outre les sarcophagesplaces autrefois dans les cryptes ou dans 1'eglise et dis-poses actuellement contre les murs, on voit sous Ie soldes sarcophages non decores, de meme structure que lessarcophages decores, sur lesquels on a marche. Cecontexte medieval ne nous eclaire en rien sur 1'originedes sarcophages et leur emplacement primitif. 11 existait,probablement a quelque distance, deux eglises par.lllelesqui ant genere des necropoles medievales tres impor-tantes, en dehors des murs de la cite au Bas-Empire. Lebassin rectangulaire tres peu profond trouve dans1'«abside» centrale a ete considere a tort comme Ie bap-tistere du groupe cathedral, que 1'on place a cet endroitdans la legende locale.

prestige, decoratives -contrairement a ce que pensait Y.Christe, et on leg a reserves a des personnages de hautrang, parfois en leg transportant fort loin. A Saint-Semin,on leg a places pour leg comtes de Toulouse et d'autrespersonnages dans leg arcosolia exterieurs ou dans l'en-ceinte du cimetiere avec la face principale seule visible;on hesite plus a Poitiers, a Soissons, etc., sur l'em-placement medieval, mais, en tout cas, ces cuves ont ereen general toujours visibles et considerees comme despieces de qualite reservees a des saints, ou a des per-sonDages de haut rang : eveques, princes, etc. II faut bienconclure a des pieces de luxe, du moins pour leg genera-tions suivantes.

Naturellement, il s'agit plutOt ici d'une problematiqueet d'une enumeration des questions it resoudre que d'unexpose didactique.

Dans Ia tradition medievale, ces sarcophages d' Aqui-taine ont ete toujours consideres comme des pieces de

DISCUSSION

D. GAZES : II Caul distinguer maintenant au mains deux villas it Martres- Tolosane. J. Boube ne considere plus quel'eglise est batie sur la villa principale des bards de la Garonne ou meme sur une dependance. II s'agirait d'un autre ha-bitat secondaire contemporain.

Y. CHRlSTE : Je donne man accord aux conclusions de N. Duval. II n'en reste pas mains qu'esthetiquement la realisa-

tion reste tres mediocre pour des pieces de luxe.

N. DUVAL: C'est un faux probleme. La peinture ou les sculptures modernes, contestabl~s esthetiquement, peuvent at-teindre des prix de vente extraordinaires et doivent des locs etre considerees comme des produits de luxe. Le sarcophaged'Aquitaine etait esthetiquement apprecie par les contemporains et parfaitement a sa place dans Ie contexte de produc-tion de l'epoque (voir les communications de J. Cabanot et de C. Balmelle), recherche du point de vue de la symboliquechretienne et con~u pour etre visible meme si dans certains cas ils ont ete enterres (c'est aussi Ie cas de sarcophages detype romain, it Trinquetaille par exemple). C'est tout ce que l'on peut dire.

Y. CHRlSTE : Je me pose des questions concernant l'inreret qu'on avail au Moyen Age a choisir ces cuves pour y etreenterre. Les grands feodaux des Xe-XIe siecles s'inventent des genealogies. Le choix de ces sarcophages etait une ma-niece de se rattacher it l'aristocratie de l'Antiquire Tardive. Donc Ie choix pouvait etre plus politique qu'esthetique.

Br. CHRlSTERN : Peut-etre ces aristocrates du Haut Moyen Age n'ont-ils pas les moyens de rechercher -par exemple itRome -les sarcophages plus classiques.

Ch. BONNET: On se rend compte que ces sarcophages correspondent it des inhumations de type varie. La touche"privilegiee" dont il a ete question n'est pas homogene. Ce peut etre dans certains cas les fondateurs des eglises et ab-bares qui ne soot pas forcement issQS d'une Camille de l'aristocratie. Une tradition peut rester dans une Camille qui aperdu ce rang social.

Vous avez evoque l'origine antique du sarcophage, sureleve et situe dans un mausolee. A l'epoque chretienne, les sar-cophages "descendent" et arrivent au niveau du sol ou sur Ie sol : les gens s'agenouillent devant les sarcophages et ontbesoin d'un contact direct avec Ie sarcophage.

II Caul aussi penser aux amenagements autour du sarcophage qui soot tres varies. Bien sUr il y a l'arcosolium qui meten valeur Ie sarcophage, mais il existe aussi des barrieres pour Ie proteger, la creation possible d'une chapelle funeraire,puis l'accumulation de sepultures autour de la sepulture veneree qui vont cerner Ie sarcophage et provoquer l'exhaus-sement du sol. D'ou ces couches superposees (qui soot bien aUestees par exemple it Viviers), ou seulle couvercle avecl'inscription reste visible. II arrive assez souvent qu'on prolonge Ie couvercle par une dalle de beton.

N. DUVAL: II est rare que ce soil Ie couvercle lui-meme qui soil apparent, du mains en Afrique (car en Gaulel'inscription est parfois incrustee dans Ie couvercle effectivement, comme c'est Ie cas it Lyon ou it Treves). En general,

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Ie sarcophage est plus profond en Afrique, recouvert d'une couche de remblai et on designe Ie defunt au niveau du solpar une inscription encastree dans Ie sol ou une "mosalque funeraire".

Ch. BONNET: Je voulais seulement souligner la "descente" du sarcophage qui finit par etre enterre. On constate que Iecouvercle est souvent use parce que I'on vient Ie toucher ou s'agenouiller dessus, non pas par Ie passage des visiteurs.

Demier point: c'est vrai, comme Ie rut Y. Christe, que leg techniques de I' Antiquite disparaissent mais d'autres appa-raissent qui peuvent etre luxueuses. II Caul penser aussi qu'une partie importante du decor nous echappe : par exemple, IiGeneve ou on a recueilli dans Ie baptistere des milliers de fragments de fresques qu'on n'arrivera peut-etre jamais a re-constituer. Ces arcosolia qu'on evoque devaient etre luxueusement decores (it n'en existe qu'un seul conserve Ii Saint-Maurice d' Agaume). Pour sa part, Ch. Bonnet trouve res "sarcophages d' Aquitaine" de tres bonne qualite.

D. CAZES : A propos des marques exrerieures de veneration et de la place des sarcophages dans les edifices, J. Boube asignale Ii Martres- Tolosane des chrismes sur des dalles de marbre sunnontant des sarcophages non decores qui etaientevidemment destines a signaler ces sepultures, par ailleurs anonyrnes.

N. DUVAL: Effectivement, en Mrique, on place au-dessus de la tete du mort Ie chrisme de I'inscription funeraire ou unsymbole isole, car it y a des cas de sepultures anonymes.

Y. DUVAL: II n'y a pas de culte a man gens au tombeau non venere. En fait, on enterre leg sarcophages pour pouvoirmarcher dessus. L'inscription n'est pas destinee Ii servir de base Ii un culte, mais a rappeler la memoria du defunt. Defait, on est oblige de marcher sur la tombe dans la plupart des eglises. Posent un probleme leg cas ou il existe unesaillie.

N. DUVAL: La realite est plus complexe. Je me suis heurte a ce probleme pour les mensae inscrites de Salone avec re-bord assez prononce et dont plusieurs sont pourtant sans doute scellees dans Ie sol. En fait, dans les eglises meruevales,on continue a utiliser des dalles funeraires a relief (avec parfois un gisant ~u en tout cas des moulures) : cela ne genaitpas, semble-t-il.

Ch. BONNET: Je maintiens que dans certains cas ces tombes pourraient etre protegees par un morel (qui peut dispa-raitre). 11 devait y avoir important compartimentage dans ces eglises funeraires. De meme, a l'exterieur, on multiplie lesmausolees annexes: c'est Ie cas a Martres- Tolosane, ou meme a Saint-Laurent de Grenoble, oil pourtant Ie plan etaittres recherche: on n'a pas hesite a Ie dissimuler en partie par des chapelles ou par Ie compartimentage inrerieur.L'impression est qu'il Teste beaucoup a trouver dans Ie Sod-Ouest et qu'on commence toutjuste les recherches sysrema-tiques sur les monuments paleochretiens et sur les necropoles.