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HIS43A – Contraintes et risques, Iwan Le Berre - UBO 1 3. Contraintes dynamiques – L’extension espace nourricier 3.1. Les potentialités de l’espace nourricier a) L’espace habité coïncide avec l’espace nourricier A la surface du globe, la coïncidence entre la répartition de la population et les domaines froids ou arides n'est pas fortuite : il y a des « espaces d'exclusion à caractère climatique », où « les sujétions sont trop lourdes, trop coûteuses à surmonter » (Lamarre et Pagney, 1999). Terres cultivées et « monde de l’absence » - Sylviane Tabarly, Géoconfluences 2011 b) La révolution néolithique Inscrite dans une phase d’optimum climatique, la révolution néolithique a bouleversé les données environnementales en évoluant d’une économie prédatrice épousant au plus près les capacités alimentaires du milieu, à une économie productrice. La domestication des animaux et des plantes, l’élevage et l’agriculture, ont fait de l’homme jusqu’alors chasseur et cueilleur, un être sédentaire. On distingue plusieurs régions (ou foyers) indépendantes d’apparition de l’agriculture, dont 4 (Proche- oriental, néo-guinéen, centre-américain et chinois) rayonnèrent largement. - Diamond et al. 2003 "Farmers and Their Languages: The First Expansions", Science

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3. Contraintes dynamiques – L’extension espace nourricier

3.1. Les potentialités de l’espace nourricier

a) L’espace habité coïncide avec l’espace nourricier A la surface du globe, la coïncidence entre la répartition de la population et les domaines froids ou arides n'est pas fortuite : il y a des « espaces d'exclusion à caractère climatique », où « les sujétions sont trop lourdes, trop coûteuses à surmonter » (Lamarre et Pagney, 1999).

Terres cultivées et « monde de l’absence » - Sylviane Tabarly, Géoconfluences 2011

b) La révolution néolithique Inscrite dans une phase d’optimum climatique, la révolution néolithique a bouleversé les données environnementales en évoluant d’une économie prédatrice épousant au plus près les capacités alimentaires du milieu, à une économie productrice. La domestication des animaux et des plantes, l’élevage et l’agriculture, ont fait de l’homme jusqu’alors chasseur et cueilleur, un être sédentaire.

On distingue plusieurs régions (ou foyers) indépendantes d’apparition de l’agriculture, dont 4 (Proche-

oriental, néo-guinéen, centre-américain et chinois) rayonnèrent largement. - Diamond et al. 2003 "Farmers and Their Languages: The First Expansions", Science

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Comment l’agriculture a-t-elle été inventée ? Pour les végétaux, il est facile d'imaginer que les populations humaines de l'époque ont sans doute fait des constats sur les lieux d'égrenage, de préparation culinaire, de pertes accidentelles ou encore de dépôt de déchets au voisinage dégagé des habitations : les semis involontaires donnaient naissance à des plantes en groupes serrés, aisées à récolter ; dans le cas des animaux, on pourrait évoquer des relations liées aux avantages d’un voisinage mobile, permanent, non agressif, voire des aspects affectifs comme dans le cas du chien.

La diffusion de ces innovations s’effectue par « osmose », c’est-à-dire de proche en proche, plus que par migration. Le changement de latitude, qui se traduit par une variation des conditions climato-environnementales, constitue donc une contrainte lorsque la diffusion des pratiques culturales et d’élevage nécessite des conditions proches pour pouvoir acclimater les espèces. Les montagnes (cordillère des Andes) et les littoraux (Méditerranée, polynésie-micronésie), constituent à cet égard des couloirs de diffusion. En revanche, le morcellement des “blocs tropicaux” constitue un obstacle à la diffusion de l’innovation agricole d’un continent à l’autre, tout comme il contribue à justifier l’existence d’un foyer sahélien-subsaharien aux conditions très différentes du foyer mésopotamien.

c) Les principales plantes cultivées et leurs limites. 10 000 plantes alimentaires ont été recensées dans le monde, 150 sont encore cultivées, mais seules 12 % procurent 80 % de l’alimentation mondiale.

On appelle facteur limitant l’élément du milieu qui détermine la densité maximum que la population d’une espèce peut atteindre durablement en un lieu donné. Dans certains milieux, température, humidité, nourriture… peuvent se trouver en deçà d’un seuil de tolérance minimum, ou au-delà d’un seuil de tolérance maximum, à partir duquel le développement d’une espèce devient impossible.

Limites géographiques des cultures du blé et du riz (Yannick Lageat, 2004)

Depuis la “révolution néolithique”, les limites de l’écoumène se sont certes identifiées aux limites de culture des principales plantes productrices de grains (les « civilisations » du blé, du riz ou du maïs…), mais, à l’intérieur de ces limites, leur présence ou non dépend de considérations culturelles, techniques ou socio-économiques. « Les relations entre la répartition des climats et celle des implantations et activités humaines s’interprètent assez bien en fonction d’une notion courante en logique, celle de condition nécessaire et non suffisante » (François Durand-Dastès). Dans chaque région sont cultivées les espèces et variétés dont le cycle végétatif (croissance, floraison, maturation) est le mieux adapté au rythme des saisons.

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Exemple du peuplement de l’Afrique du Sud Contrairement aux prétentions de l'histoire officielle du régime d’apartheid, les migrations noires n’ont pas été bloquées par les Blancs, mais bien antérieurement par des facteurs écologiques dont on perçoit l'importance en situant les habitats xhosa au XVIIIe siècle par rapport à l'isohyète de 600 mm qui détermine la possibilité des cultures sans irrigation et de l'élevage des bovins.

Colonisation et conditions naturelles de L'Afrique du sud (Yannick Lageat, 2004)

L'antériorité des Blancs n'est donc démontrée que dans la partie méridionale de l'actuelle province du Cap dont la population aborigène - Khoikhoi (alias Hottentots) et San (alias Bochimans) - n'avait pas été capables de s'opposer à l'emprise blanche des colons hollandais.

3.2. Paradoxes de « l’enfer vert » tropical La présence de déserts humains sous l’équateur est souvent expliquée par une “nature écrasante” (Amazonie, cuvette congolaise, Bornéo, Nouvelle-Guinée...) : la forêt ombrophile dense serait difficile à défricher et réinvestirait très vite les territoires délaissés, et les sociétés humaines seraient démunies, « du moins celles qui sont demeurées passives à l’égard d’un espace dont elles subissent toutes les contraintes sans lui imposer la moindre marque » (Daniel Noin).

L’exemple mythique d’Angkor au Cambodge, témoigne non pas de l’hostilité de la forêt, mais de la combinaison complexe de causes historiques et religieuses, pour expliquer l’abandon d’une capitale (IXe-XVe siècle) ensuite recolonisée par la forêt.

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a) La forêt cause ou conséquence du sous-peuplement ? « Rien dans ce climat ne peut justifier la très faible population », affirme Pierre Gourou à propos de l’Amazonie, présentée comme un « exemple extrême de contrée tropicale sous-utilisée ». En fait, elle aurait rassemblé entre 5 et 8 millions d’habitants au moment des premiers contacts avec les Européens, qui ont provoqué un effondrement de la population du Nouveau Monde (de 54 millions d’individus en 1492 à 5,6 millions en 1650, soit une diminution de 89 %).

Vestiges de l’Amérique précolombienne (voir William Denevan, Annals of the Association of American Geographers, 1992, 82-3, pp. 369-385)

Comme à Angkor, la forêt apparaît non pas comme une cause, mais comme une conséquence du sous-peuplement.

En matière de santé, l’insalubrité de l’Europe jusqu’au XIXe siècle n’a rien à envier à celle qui prévaut encore de nos jours dans certains pays africains. Cette insalubrité témoigne davantage des difficultés politiques et du sous-développement de ce continent, que de sa supposée insalubrité. Au contraire, pour Pierre Gourou, associée aux succès de la médecine tropicale, la chaleur est à considérer « comme un solide avantage des Tropiques, avantage que renforcera l’utilisation énergétique rationnelle des rayonnements solaires ».

Evolution de la mortalité infantile en France de 1740 à 2009 Gilles Pison, Population et société, INED, 410, mars 2005

Ce diagramme montre en effet que la faible mortalité infantile est, en France, un acquis récent…

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b) Vivre dans la forêt : l’agriculture itinérante sur brulis (abattis-brulis) Dans la zone tropicale humide, l’agriculture itinérante sur brûlis est encore pratiquée par 12 millions d’individus appartenant à 1500 ethnies.

Zones de pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis

Ce type d’exploitation repose sur le défrichement de parcelles forestières, qui sont ensuite cultivées pendant une durée limitée (1 ou 2 ans), avant d’être abandonnées pendant 20 à 30 ans.

Dans l’exemple ci-contre, la forêt est exploitée par une communauté villageoise sous forme de petites parcelles tour à tour cultivées, puis abandonnées. Les limites extrêmes du finage sont constituées par la forêt jamais cultivée, mais dont les ressources sont toutefois exploitées (chasse, cueillette, bois).

Assolement dispersé de l’agriculture sur brûlis Mazoyer et Roudart. Histoire des agricultures du monde

La pérennité du système repose sur le respect du temps de régénération de la forêt. Les terres cultivées ne peuvent donc occuper qu’une portion parfois très réduite de l’écosystème (de l’ordre de 1/25, soit une année sur 25). La densité maximale de population reste donc faible : de 5 à 20 hab/km2. L’augmentation de la densité de population et la réduction du temps de friche qui en résulte constitue une cause de dégradation des écosystèmes forestiers et de déforestation.

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c) Le poids des techniques L’exemple indonésien (fortes densité de population de Java par rapport aux autres îles de l’archipel), montre que la répartition de la population dépend de causes, certes naturelles, mais surtout historiques, religieuses, économiques, sociales, complexes.

Inégalités de peuplement en Indonésie - www.usgs.gov

Le peuplement n'est donc pas seulement la rencontre de l'espèce humaine et de la nature. Ce sont bien les techniques qui règlent les rapports entre les hommes et le milieu physique. On distingue :

• les techniques de production : différents procédés d'exploitation des « milieux naturels » plus ou moins intensifs ou extensifs, et donc plus ou moins consommateurs d'espace ;

• les techniques d'encadrement : qui permettent d'organiser les sociétés humaines et, à un niveau supérieur, les espaces qu'elles occupent.

Davantage que les conditions du milieu, c’est bien l’évolution de ces techniques qui explique l’amélioration des systèmes agraires et leur capacité à supporter des populations plus importantes.

« Le milieu naturel présente à toutes les époques des lignes de résistance. Mais ce qui varie, d’une époque à une autre, c’est le niveau des techniques utilisées, donc la part de succès et d’échecs de l’homme en lutte pour vaincre telle ou telle de ces lignes de résistance. » (Guy Fourquin, 1969 - Histoire économique de l’Occident médiéval).

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3.3. Victoires paysannes sur la nature L’accroissement des productions agricoles repose soit sur l’extension du domaine cultivable (défrichement, conquête sur l’eau, irrigation), soit sur des améliorations techniques (intensification, spécialisation, intégration économique, modifications génétiques).

a) Défrichements et conquêtes sur la forêt Depuis les rives orientales de la Méditerranée, les défrichements ont gagné l’Europe dès l’âge de Bronze, puis se sont étendus d’est en ouest à l’âge du Fer. Mais l’Europe occidentale du haut Moyen Âge reste « un monde de la forêt », où l’agriculture se cantonne aux clairières naturelles et artificielles.

Des innovations dans l’outillage (bêche, houe, araire, faucille) expliquent le succès des défrichements. Trois étapes sont distinguées : l’élargissement des terroirs anciens, aux dépens des bois ou des landes encerclant les clairières cultivées ; la création de nouveaux terroirs par des groupes pionniers ; la multiplication des habitats dispersés et intercalaires due à des initiatives individuelles.

Les conquêtes sur les forêts : cause ou conséquence de l’accroissement démographique ? La population anglaise passe de 1,1 millions en l’An Mil à 3,75 au XIVe siècle, tandis que celle de la France passe de 6,2 à 17,6 millions. Si l’on admet que le progrès de l’agriculture fut la condition de l’essor de la population, il ne fait pas de doute que ce dernier fut lui-même une condition de l’extension de l’espace cultivé, qui, de surcroît, a accompagné l’adoucissement des températures au cours de « l’Optimum climatique médiéval ».

Evolution des forêts entre 1000 et 1300 - lewebpedagogique.com/

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Le système de la jachère : une agriculture itinérante circonscrite ! La monoculture des grains d’automne impliquait l’assolement biennal, alternant avec une friche herbeuse de quinze mois. Les céréales d’hiver (blé essentiellement), dont les semis étaient effectués en automne, restaient en terre pendant environ neuf mois. Comme la moisson n’était jamais terminée avant juillet ou août, il n’était pas possible de recommencer à préparer un champ avant le printemps de l’année qui suivait la récolte. C’est pour cette seule raison, et non pas pour laisser « reposer » une terre fatiguée, que le blé n’était pas semé deux années de suite.

Calendrier de l’assolement biennal

Connu dès le VIIIe siècle, l’assolement triennal gagna lentement l’Europe occidentale où il était de règle au XIIIe siècle. Les terres labourables y étaient réparties en trois grandes soles, de surface à peu près équivalente, dans le nord-est de la France : la jachère travaillée et fertilisée ; les emblavures de la sole d’hiver (froment essentiellement) ; les “mars”, c’est-à-dire l’avoine, mais aussi les légumineuses et les cultures fourragères.

C’est l’introduction de ces “mars”, dans l’année suivant la céréale d’hiver qui a permis le passage à la rotation triennale.

Calendrier de l’assolement triennal

Le climat méditerranéen interdit les semailles de printemps, mais, à surface égale, le produit des grains de mars n’était guère que la moitié de celui des grains d’automne. Autrement dit, si l’assolement biennal ne donne qu’une récolte tous les deux ans, l’assolement triennal ne donne qu’une récolte et demie tous les trois ans, ce qui revient rigoureusement au même.

Quel est donc l’avantage de l’assolement triennal ? Les travaux nécessaires à la culture des grains de mars s’intercalaient parfaitement dans les périodes creuses du calendrier cultural des grains d’hiver.

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Organisation de l’écosystème cultivé en assolement biennal à culture attelée légère - Mazoyer & Roudart

Hortus (le jardin), Ager (les terres labourables), saltus (les pâtures, pas toujours très disctinctes de la forêt) et silva (la forêt), constituent la base d’organisation de l’écosystème cultivé en agriculture biennale.

Les performances de ce système restent très limitées du fait de la faiblesse des instruments de labour (l’araire scarifiant le sol sans le retourner, le labour doit être effectué à la bêche ou à la houe) et de transport (sur bât, ne permettant pas de transférer de grandes quantités de matière organique du saltus vers l'ager). Dans ces conditions, le soutien alimentaire de l’agriculture reste limité.

Pour 3 ha de céréales Ager biennal

(ha)

Saltus (fumure)

(ha)

Silva

(ha)

Total

(ha)

Densité de population

(hab/km2)

Méditerranée 6 9 1 16 30

Tempéré froid 6 24 3,5 33,5 15

Altitude ou Europe du nord

6 48 7 61 8

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Pratiques agricoles au XVe siècle d’après les Très Riches Heures du Duc de Berry

Cette enluminure présente les innovations techniques de l’agriculture médiévale : fenaison à la faux, moisson à la faucille, labour à la charrue à rouelle tirée par 2 bœufs sous le joug, chargement des gerbes sur de grands chariots à 4 roues, transport de la vendange sur des charrettes à deux roues, semis à la volée et hersage à l'aide d'un cheval muni d'un collier.

La fumure, une limite technique majeure de l’agriculture médiévale Le problème central de l’ancien régime agricole réside dans la reconstitution du sol. Faute d’une fumure animale abondante, force est de laisser reposer le sol un an sur deux ou un an sur trois, pour maintenir les rendements à leur niveau d’ailleurs médiocre. Étendre les emblavures jusqu’aux limites des finages plutôt qu’intensifier la production sera, pour longtemps encore, la réaction immédiate des paysans pauvres.

« L’agriculture médiévale avait atteint à la fin du XIIIe siècle un niveau technique équivalent à celui des époques qui précédèrent immédiatement la révolution agricole » Georges Duby.

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b) Les conquêtes sur l’eau, de la bonification à la poldérisation

La bonification des marais méditerranéens Intercalées entre les massifs montagneux méditerranéens, les zones basses, à l’hydrographie capricieuses, ont longtemps été le domaine de l’anophèle et de la malaria.

Elles n’ont pu être mises en valeur qu’au prix d’aménagements persévérants et organisés, quand ils ne heurtaient pas aux intérêts de nobles propriétaires et d’habitants routiniers qui y trouvaient terrains de chasse et parcours pastoraux.

Après de nombreuses tentatives égrenées au fil des siècles, c’est au régime fasciste de Mussolini que l’on doit la bonification des marais pontins. Entre 1928 et 1938, ce sont ainsi 114000 ha qui ont été bonifiés, assainis par 1000 km de collecteurs et de fossés, et aménagés par 500 km de routes et la création de 5 villes. La population y passe de 3000 habitants en 1924 à 60 000 en 1938.

Vue des marais pontins, avant et après leur bonification

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La mise en valeur agricole des plaines et des fonds de vallées, aux profonds sols alluviaux, bien alimentés en eau et bien drainés, constitue une constante des milieux méditerranéens. Depuis des siècles les mêmes techniques culturales, fondées sur une stricte maîtrise de l’eau, ont prévalu malgré les aléas de l'histoire (invasions, islamisation, Reconquista) et les mutations des régimes fonciers, de la petite propriété familiale et vivrière, jusqu’à la grande exploitation capitaliste.

La huerta (ici en Andalousie) : « un des archétypes du paysage méditerranéen » J.-R. Pitte, 2001.

Deux types de polders La poldérisation des marais maritimes correspond à la conquête sur la mer de polders, terme d’origine néerlandaise signifiant “terres endiguées”, qui a fait sa première apparition dans une charte zélandaise de 1219.

À l’origine destinées à la protection contre les submersions, les digues devinrent “offensives”.

Le polder traditionnel d’endiguement résulte de la mise en culture de marais maritimes, les schorres qui, par opposition aux slikkes, ne sont recouverts que par les hautes marées : l’évacuation de l’eau s’opère par gravité à travers des écluses

Les polders d’endiguement du marais poitevin - Fernand Verger, 2011

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Le polder d’assèchement représente un gain aux dépens de surfaces normalement occupées par la mer et asséchées par pompage, ce qui suppose une plus haute technicité. L’assèchement a été rendu possible grâce aux moulins, dont les premiers dateraient du XVe siècle, désormais remplacés par des stations de pompage.

Principe des polders d’assèchement aux Pays-Bas

c) Conquêtes sur les déserts et irrigation « créatrice » « Si l’aridité empêche l’homme de se fixer en nombre là où elle règne, elle n’est cependant pas rédhibitoire. Le cadre aride peut accepter des concentrations humaines considérables si l’eau arrive directement ou indirectement, sans compter avec les ponctions dans les nappes » D. Lamarre et P. Pagney, 1999 - Climats et sociétés.On distingue deux types d’irrigation :

• L’irrigation améliorante, permet l’extension spatiale de certaines plantes qui nécessitent de l’eau en abondance et accroît l’efficacité et la durée de la période végétative

• L’irrigation créatrice conditionne l’existence de l’agriculture dans des îlots de production des régions arides.

L’apport régulier d’eau en sus des précipitations est un correctif qui fait appel à un ensemble de techniques très diverses et de diffusion variable. On distingue :

• les aménagements de piémont, qui tirent parti des eaux de ruissellement, des eaux de source et des eaux “cachées” drainées jusqu’à l’air libre par des galeries souterraines (qanât, foggara, karez, galerias). Ce type d’aménagement existe depuis le VIe millénaire avant J.-C. en Mésopotamie et en Méditerranée orientale.

Principe des galeries souterraines (ou puit artésien)

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• La domestication des apports fluviaux

Exemple des systèmes traditionnels de l’Égypte nilotique encore en usage de nos jours.

Les terres al-riyy (6000 BP) sont naturellement inondées par le fleuve au moment des hautes eaux. Des bassins de décrue, sont simplement aménagés dans le lit majeur.

Crue et décrue du Nil dans son lit majeur

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Dans les terres al-sharaqi (2400 BP), différentes techniques d’élévation de l’eau permettent une culture pérenne indépendante de la crue du fleuve.

L’agriculture mise en œuvre sur ces terres était extrêmement productive, dans son contexte historique. Chaque actif pouvant produire 2 q /an de céréales, elle subvenait aux besoins d’une population de 300 hab/km2. Elle est à l’origine d’une organisation sociale complexe, capable notamment de bâtir des ouvrages grandioses, qu’ils soient hydrauliques, militaires ou somptuaires.

Matériel d’arrosage et machines d’exhaure de l’eau Mazoyer et Roudart, 2002

Mais ce n’est qu’à partir du XIXe siècle et surtout du XXe que les cultures de décrue seront progressivement remplacées par des cultures irriguées : les aménagements hydrauliques publics aménagent des périmètres irrigables en toute saison pour la canne à sucre et surtout le coton, deux cultures tropicales d'exportation.

• L’utilisation des nappes souterraines sera abordée dans la partie consacrée aux contraintes de rétroaction.