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« Regards sur la modernisation de l’abus de position dominante » Par David Bosco, Maître de conférences à l’Université Paul Cézanne (Aix‑Marseille III) Introduction Y a‑t‑il jamais de vrai changement, pour les notions juridiques ? / De la modernisation du droit de la concurrence en général / La modernisation par « contagion » / La modernisation par refondation / Enjeux d’une modernisation / Actualité de la modernisation / Plan I.‑ La modernisation dans la caractérisation de l’abus par l’autorité de contrôle A.‑ La rénovation des tests 1.‑ La modernisation des tests en matière tarifaire a) Modernisation et prix prédateurs Actualité de la question / Rappel du test traditionnel / Moderniser le test par une condition préalable de récupération des pertes ? / Hypothèses de dépassement du test traditionnel / Evolution du test en cas de prédation par les capacités / Approche par les effets si le test de coûts est inapplicable. b) Modernisation et ciseau tarifaire Modernisation du test de ciseau ? / Spécificité du test de ciseau / Rationalité du test : la question des solutions alternatives pour les rivaux / Adaptabilité du test : la question des coûts pris en compte. c) Modernisation et remises de fidélité La remise conditionnée à l’exclusivité / La remise conditionnée à un objectif. 2.‑ La modernisation des tests en matière non tarifaire a) Le refus de contracter La liberté contractuelle de l’entreprise dominante en question / Vitalité de la qualification de refus de contracter / L’affaire Microsoft / Le test / L’application du test. b) Vente liée L’affaire Microsoft / Le test traditionnel / Modernisation du test traditionnel. B.‑ La prise en compte des effets d’éviction de l’abus 1.‑ L’effet potentiel Nécessité d’une recherche des effets / La preuve d’un effet réel sur les rivaux n’est pas nécessaire / La preuve d’un effet sur les consommateurs n’est pas nécessaire / Du lien entre le test et l’effet potentiel. 2.‑ L’effet réel Recherche complémentaire d’un effet réel / Portée de la recherche des effets réels d’éviction. II.‑ La modernisation des moyens de défense de l’entreprise dominante A.‑ Contestation de l’existence d’une stratégie anticoncurrentielle 1.‑ Le comportement des rivaux Prix prédateurs et alignement / Ciseau tarifaire / Refus de contracter. 2.‑ L’action de l’autorité publique Une discussion de l’imputabilité des effets anticoncurrentiels litigieux / Ciseau tarifaire : l’autonomie commerciale de l’opérateur dominant. B.‑ Démonstration de l’existence d’effets proconcurrentiels Position du problème / Obstacles à l’admission d’un tel moyen de défense. 1.‑ Vers l’admission d’une efficiency defence ? L’affaire British Airways , simple changement sémantique ? / L’apport de l’arrêt Microsoft 2.‑ La question des règles de preuve Mise au point des règles de preuve / Mise en application des règles de preuve

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« Regards sur la modernisation de l’abus de position dominante » Par David Bosco, Maître de conférences à l’Université Paul Cézanne (Aix‑Marseille III)

Introduction Y a‑t‑il jamais de vrai changement, pour les notions juridiques ? / De la modernisation du droit de la concurrence en général / La modernisation par « contagion » / La modernisation par refondation / Enjeux d’une modernisation / Actualité de la modernisation / Plan

I.‑ La modernisation dans la caractérisation de l’abus par l’autorité de contrôle A.‑ La rénovation des tests

1.‑ La modernisation des tests en matière tarifaire a) Modernisation et prix prédateurs Actualité de la question / Rappel du test traditionnel / Moderniser le test par une condition préalable de récupération des pertes ? / Hypothèses de dépassement du test traditionnel / Evolution du test en cas de prédation par les capacités / Approche par les effets si le test de coûts est inapplicable. b) Modernisation et ciseau tarifaire Modernisation du test de ciseau ? / Spécificité du test de ciseau / Rationalité du test : la question des solutions alternatives pour les rivaux / Adaptabilité du test : la question des coûts pris en compte. c) Modernisation et remises de fidélité La remise conditionnée à l’exclusivité / La remise conditionnée à un objectif.

2.‑ La modernisation des tests en matière non tarifaire a) Le refus de contracter La liberté contractuelle de l’entreprise dominante en question / Vitalité de la qualification de refus de contracter / L’affaire Microsoft / Le test / L’application du test. b) Vente liée L’affaire Microsoft / Le test traditionnel / Modernisation du test traditionnel.

B.‑ La prise en compte des effets d’éviction de l’abus 1.‑ L’effet potentiel Nécessité d’une recherche des effets / La preuve d’un effet réel sur les rivaux n’est pas nécessaire / La preuve d’un effet sur les consommateurs n’est pas nécessaire / Du lien entre le test et l’effet potentiel. 2.‑ L’effet réel Recherche complémentaire d’un effet réel / Portée de la recherche des effets réels d’éviction.

II.‑ La modernisation des moyens de défense de l’entreprise dominante A.‑ Contestation de l’existence d’une stratégie anticoncurrentielle

1.‑ Le comportement des rivaux Prix prédateurs et alignement / Ciseau tarifaire / Refus de contracter. 2.‑ L’action de l’autorité publique Une discussion de l’imputabilité des effets anticoncurrentiels litigieux / Ciseau tarifaire : l’autonomie commerciale de l’opérateur dominant.

B.‑ Démonstration de l’existence d’effets proconcurrentiels Position du problème / Obstacles à l’admission d’un tel moyen de défense.

1.‑ Vers l’admission d’une efficiency defence ? L’affaire British Airways, simple changement sémantique ? / L’apport de l’arrêt Microsoft 2.‑ La question des règles de preuve Mise au point des règles de preuve / Mise en application des règles de preuve

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1. Y a‑t‑il jamais de vrai changement, pour les notions juridiques ? Peuvent‑elles être demain fondamentalement différentes de ce qu’elles étaient hier ? On aurait bien des raisons de croire qu’elles ne sont jamais ni vraiment nouvelles, ni vraiment renouvelées au point de changer absolument de visage 1 . C’est pourtant à un tel programme qu’invitent nombre d’acteurs et d’observateurs du contrôle contemporain des abus de position dominante. La réflexion s’est portée essentiellement sur les pratiques dites d’éviction, c’est‑à‑dire celles dont le propos est d’exclure du marché les concurrents présents ou de dissuader l’entrée de nouveaux rivaux dans le jeu de la compétition 2 . Cela se comprend : c’est au sujet des abus d’éviction que le besoin d’une modernisation des concepts et des méthodes semble le plus nécessaire ; c’est à leur sujet que les controverses sont les plus nombreuses et les plus âpres.

2. De la modernisation du droit de la concurrence en général. La réforme de l’abus de position dominante aurait pour dessein de moderniser le contrôle mis en œuvre par les autorités de concurrence. En cela, elle s’inscrirait dans un contexte plus général de rénovation du droit de la concurrence, dont on a déjà pu mesurer l’ampleur notamment en matière de procédure, de droit des ententes ou de droit des concentrations 3 . L’emploi du terme « modernisation » pourrait laisser croire que l’on cède ici, à nouveau, à cette mode un peu superficielle qui consiste à voir un texte « moderne » dans une loi simplement nouvelle 4 . Cette impression ne rendrait pas fidèlement compte de la réalité. Il y a plus qu’un effet de mode dans le mouvement de rénovation qui s’est engagé sous l’impulsion européenne. L’heure est aux « grands travaux » 5 . Le droit de la concurrence renouvelle ses méthodes en quête d’une meilleure efficacité ; il se fait plus pragmatique,

1 En ce sens, la théorie de M. Atias autour de l’idée de « sédimentation juridique » in Théorie contre arbitraire. Eléments pour une théorie des théories juridiques, PUF 1987, coll. ʺLes voies du droitʺ, p. 171 s. 2 On parle parfois, pour désigner les abus d’éviction, d’abus de « structure » ‑ ce qui n’est pas très éclairant, par opposition aux abus de « comportement ». Ces derniers sont plus souvent désignés aujourd’hui par l’expression un peu plus parlante d’abus d’exploitation. Ce sont ceux par lesquels un opérateur tire de sa domination un avantage inéquitable de ses partenaires. 3 Voy. d’un point de vue général La modernisation du droit de la concurrence, dir. G. Canivet, LGDJ 2006 ; La

modernisation des règles européennes de concurrence, dir. L. Idot, Rev. conc. consom., juillet‑août 2001, n° 122, p. 7 s. ; Quelle réforme pour l’article 82 CE ?, Concurrences n° 4‑2005 p. 10 et Le nouveau droit de la concurrence, dir. G. Canivet et F. Brunet, LGDJ 2008. Sur la modernisation des règles procédurales, voy. in La modernisation du droit de la concurrence, préc., les contributions de M.‑A. Frison‑Roche (p. 31), L. Idot (p. 85) et E. Claudel (p. 285) et sur le « paquet modernisation », L. Idot, Europe 2004, n° 6, comm. n° 219 et G. Decocq, RJC 2004 n° 4 p. 275. Sur le droit des concentrations, J. Jorda, « La modernisation du droit communautaire des concentrations », AJDA2005, n° 4, p. 179 et sur le droit des ententes, not. L. Idot, « Une nouvelle facette de la modernisation du droit communautaire de la concurrence : les nouveaux règlements d’exemption, Petites affiches, 1 er février 2005, p. 5 et C. Prieto in Le nouveau droit de la concurrence, préc. Adde la modernisation des aides d’Etat, L. Idot, Europe 2005, n° 7, p. 4 et n° 11, comm. 394. 4 Voy. sur les différents sens des « lois de modernisation », dont notre législateur est si friand, les « variations sur les lois de modernisation » de M.‑A. Frison‑Roche, in La modernisation du droit de la concurrence, préc., p. 31. 5 M.‑A. Frison‑Roche, in La modernisation du droit de la concurrence, préc., p. IX.

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plus « économique », dit‑on, sans doute plus précis, probablement plus complexe, certainement plus prégnant.

Mais de quoi pourrait accoucher ce désir de modernité en ce qui concerne l’abus de position dominante ?

3. La modernisation par « contagion ». Une première façon de répondre à cette question serait d’observer que le contrôle des pratiques unilatérales a été déjà considérablement modernisé, comme par contagion, par les réformes procédurales 6 . Les traces de ce changement de visage du contrôle ne manquent pas. Ainsi, la solution de l’amende se combine désormais avec la prise d’engagements par les entreprises qui proposent, pour l’avenir, de modifier leur comportement. Le sens du contrôle s’en trouve naturellement modifié, l’autorité de concurrence qui négocie l’engagement se muant subrepticement en régulateur. De nombreuses décisions rendues par le Conseil dans le contentieux des abus en attestent, spécialement dans des secteurs où la transition vers un régime de pleine concurrence ne va pas sans difficulté, comme l’énergie 7 ou les télécommunications 8 . En outre, l’expansion du contentieux des mesures conservatoires 9

montre une capacité d’adaptation du contrôle à de nouveaux enjeux : dans les secteurs soumis à une rapide évolution, l’instrument des mesures conservatoires est précieux. C’est aussi un signe de modernité du contrôle des abus.

4. La modernisation par refondation. Du point de vue substantiel qui sera celui de cette étude, la modernisation prend le visage d’une véritable refondation. Son principe fait aujourd’hui assez largement consensus 10 . Les reproches adressés au contrôle traditionnel sont aujourd’hui trop connus pour que nous y revenions longuement : l’approche des autorités de contrôle serait trop rigide, inopportunément articulée autour de la forme prise par le comportement de l’entreprise dominante. La méthode d’interdiction per se devrait désormais céder devant une approche plus pragmatique des effets des comportements des entreprises. Cela permettrait de ne point systématiquement condamner une pratique qui n’a pas d’effet nocif sur le marché ou qui

6 Voy. les références citées supra note 3 Sur la question, voy. encore B. Lasserre, Remedies and Sanctions for Unlawful Unilateral Conduct: The French Experience, Fordham Competition Law Institute’s, 34 th Annual Conference on International Antitrust Law and Policy, 27 & 28 septembre 2007, publié sur le site du Conseil de la concurrence et OCDE, Remedies and Sanctions in Abuseof Dominance Cases, DAF/COMP(2006)19. 7 Par ex. Cons. conc., 28 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑04 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Direct Energie, Contrats, conc., consomm., Octobre 2007, n° 10, comm. 242, note M. Bazex, Concurrences n° 3‑ 2007, p. 101, obs. L. Flochel, p. 144, obs. C. Lemaire et p. 154, obs. D. Lescop, RDC 2007‑4, p. 1171, obs. L. Idot. 8 Par ex. Cons. conc., 15 octobre 2007, décis. n° 07‑D‑33 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société France Télécom dans le secteur de lʹaccès à Internet à haut débit ; Concurrences n° 4‑2007, obs. C. Momège et n° 1‑ 2008, obs. C. Prieto ; Contrats, conc., consomm. Décembre 2007, n° 307, p. 27, obs. D. Bosco. 9 Voy. récemment Cons. conc., 25 avril 2007, décis. n° 07‑MC‑01 relative à une demande de mesures

conservatoires de la société KalibraXE, RDC 2007‑4, p. 1171, obs. L. Idot ; Concurrences n° 3‑2007, p. 99, obs. A. Wachsmann ; RLC n° 12, p. 31, obs. V. Sélinsky, et Cons. conc., 7 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑03 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Solutel, Concurrences n° 3‑2007, p. 103, obs. L. Flochel, p. 144, obs. C. Lemaire. En appel, voy. Paris, 1 ère ch. H, 13 juillet 2007, Juris‑data n° 2007‑344763. 10 Sur la réforme de l’article 82 CE, parmi une littérature abondante, La réforme de l’article 82 du traité CE – Ateliers

de la concurrence de la DGCCRF, Rev. conc. consom. 2006, n° 146, p. 3 et Special issue to article 82, European Competition Journal, aug. 2006, Vol. 2, Issue 2, p. 145.

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présentent des avantages pour les consommateurs. On réduirait ainsi le risque d’erreur des autorités de contrôle 11 .

Ce sont davantage les modalités de cette approche plus souple, plus pragmatique qui font débat. La richesse des discussions est déconcertante à bien des égards pour le juriste. Une première question consiste dans le point de savoir si un test unique doit être adopté par les autorités de contrôle pour tous les types d’abus 12 . L’intérêt serait évident : on apprécierait à la même aune des comportements différents – et donc justiciables de tests distincts que les firmes s’ingénient à contourner – dont le résultat est identique. Mais aucun test n’a, pour l’heure rallié tous les suffrages. Un auteur recensait récemment sept propositions sérieuses 13 ; l’inventaire n’était pas exhaustif... A la finesse du test de la règle de raison 14 , dont la mise en œuvre est plus ou moins empirique, s’opposent des tests plus structurés, mais moins exacts : le test du sacrifice 15 ou le test du no economic sense 16 , par exemple. Au pragmatisme du test du préjudice subi par les consommateurs 17 s’oppose l’abstraction du test du concurrent aussi efficient 18 . La doctrine discute de la pertinence de chacun de ces tests, mais elle discute aussi beaucoup de la pertinence de tel test, pour tel type d’abus... 19 Le seul point d’accord réside, finalement, dans l’idée que les effets des pratiques doivent être mieux pris en compte... Que semble loin cette idée simple qu’une pratique est condamnable si elle atteint la concurrence par les mérites ! Il faut rappeler

11 Sur la discussion, outre les références citées infra, voy. EAGCP, « An economic approach to Article 82 », juillet 2005,

http://europa.eu.int/comm/competition/publications/studies/eagcp_july_21_05.pdf. En langue française, pour une synthèse, V. Michel‑Amsellem, in L’application en France du droit des pratiques anticoncurrentielles, LGDJ 2008, n° 196‑ 1 et C. Prieto et J.‑C. Roda, « Abus de position dominante », in Pratiques restrictives de concurrence, J.‑Cl. Europe, fasc. 1423, sept. 2005, n° 7 ; A. Wachsmann, « Les limites de l’approche actuelle en matière d’abus de position dominante », in La réforme de l’article 82 du traité CE, préc., p. 4 et P. Rey, « Une approche économique de l’article 82 », ibid. p. 8. Sur l’approche par les effets, voy. encore P. Papandropoulos, « Implementing an effects‑based approach under Article 82 EC », Concurrences, n° 1‑2008 et J. T. Lang et R. O’Donoghue, The Concept of an Exclusionary Abuse under Article 82 CE, GCLC Research papers on Article 82 EC – July 2005. Sur l’ensemble du sujet, on tirera le plus grand profit de la lecture de R. O’Donoghue et A. J. Padilla, The law and economics of article 82 CE, Hart Publishing 2006. 12 Sur le sujet, not, M. S. Popofsky, “Defining Exclusionary Conduct: Section 2, the Rule of Reason, and the

Unifying Principle Underlying Antitrust Rules”, 73 Antitrust Law Journal, 2, 435 (2006). 13 B. E. Hawk, « A propos de la ’’concurrence par les mérites’’ : regards croisés sur l’article 82 CE et la section 2 du

Sherman Act », Concurrences n° 3‑2005, p. 33. Pour un panorama des principaux tests en lice, voy. encore F. Lévêque, « Quel test de preuve pour l’article 82 ? », Revue Lamy de la concurrence, Avril/Juin 2007, n° 11, p. 111. 14 Sur ce test, qui rallie de nombreux auteurs, principalement H. Hovenkamp, ’’Exclusion and the Sherman Act’’,

72 U. Chi. L. Rev. 147 (2005). 15 Voy. not. M. Patterson, The Sacrifice of Profits in Non‑Price Predation, Antitrust, Fall 2003, at. 37.

16 G. J. Werden, Identifying Exclusionary Conduct Under Section 2: The “No Economic Sense” Test, Symposium –

Identifying Exclusionary Conduct Under Section 2, 73 Antitrust Law Journal, 2, 413 (2006). 17 S. C. Salop, Exclusionary Conduct, Effect on Consumers, and the Flawed Profit‑Sacrifice Standard’’, 73 Antitrust

Law Journal, 2, 311 (2006). 18 Sur ce test, en premier lieu, R. Posner, Antitrust Law, Pour une critique, A. Gavil, Exclusionary Strategies by

Dominant Firms : Striking a Better Balance, 72 Antitrust Law Journal 3 (2004) 19 Voy. par ex., en matière de contrats d’exclusivité, la discussion entre A. D. Melamed, Exclusive dealing

agreements and other exclusionary conduct – Are there unifying principles ? Symposium – Identifying Exclusionary Conduct Under Section 2, 73 Antitrust Law Journal, 2, 373 (2006) J. M. Jacobson, S. A. Sher, ‘‘No economic sense’’ makes no sense for exclusive dealing, 73 Antitrust Law Journal, 3, 779 (2006).

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qu’au plan communautaire, la discussion a pris depuis 2005 un relief particulier depuis la publication d’un projet de réforme par la Commission européenne. Ce document, prudemment intitulé Discussion paper 20 , annonce sans équivoque l’ambition de l’autorité de contrôle de rénover la matière. Elle expose en détail le visage que pourrait prendre le nouveau contrôle des abus de position dominante, fondé sur une approche par les effets.

5. Enjeux d’une modernisation. Depuis la publication de ce discussion paper, pourtant, la réforme se fait attendre. Est‑ce parce que les orientations et les concepts fondamentaux du contrôle de l’abus sont plus enracinés qu’ailleurs dans la culture de concurrence ? L’idée de responsabilité particulière, celle de concurrence par les mérites, le concept d’objet anticoncurrentiel, l’objectif de protection de la structure de la concurrence, tous ces éléments structurants du contrôle traditionnel des autorités de concurrence pourraient‑ils faire place nette à une approche fondée sur les effets ?

Si les autorités de contrôle semblent avancer à pas comptés, c’est que les incidences que l’approche par les effets suppose sont vertigineuses. Il s’agit, d’abord, d’une nouvelle méthodologie contentieuse pour les autorités de contrôle et pour les entreprises dominantes. Réduite à cela, le transformation du contrôle est déjà considérable, en termes de coût du procès pour les entreprises, d’administration de la justice pour les autorités de contrôle... ces enjeux sont bien connus. Mais il y a plus. Menée jusqu’au bout de sa logique, la modernisation du contrôle est surtout un vrai changement de philosophie, bousculant le droit positif jusqu’à son tréfonds. N’en prenons qu’un seul exemple 21 : quel sera l’avenir de la notion de « responsabilité particulière » si la réforme s’opère ? Jusqu’à présent cette notion fonde nombre de nos solutions, peut‑être jusqu’au principe même du contrôle. Pourquoi sanctionner per se un contrat d’exclusivité ou des remises de fidélité obtenus par un opérateur dominant ? Il suffit aujourd’hui d’en appeler à cette idée généreuse de « responsabilité particulière ». « Si la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, il incombe à celle‑ci néanmoins, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun 22 ». Dès lors que l’on fonde la sanction du comportement de l’entreprise dominante sur l’effet concrètement engendré sur les rivaux – ou, plus loin, sur les consommateurs – il ne suffira plus d’invoquer ce fondement aux connotations vaguement morales. Si l’esprit nouveau dans lequel on pense actuellement l’abus d’éviction s’installe et se répand, nous ne serions pas surpris

20 DG Competition discussion paper on the application of Article 82 of the Treaty to exclusionary abuses, Decembre 2005.

Parmi de nombreux commentaires, voy. B. Allan, Article 82: A commentary on DG competition’s Discussion Paper, Competition Policy International, Spring 2006, Vol. 2, Issue 1, p. 43 ; V. Mertikopolou, DG competition’s discussion paper: the proposed economic reform from a legal point of view, European Competition Law Review, 4, 241, 243 (apr. 2007) ; A. Vandencasteele et D. Waelbroeck, « Une nouvelle approche à l’égard des abus de monopolisaion ? », RIDE 2006/1, p. 89. 21 Voy. encore, d’un autre point de vue, L. Lovdahl Gormsen, The Conflict between Economic Freedom and

Consumer Welfare in the Modernisation of Article 82 EC, 3 European Competition Journal 2 (dec. 2007). L’auteur confronte avec à propos le standard ordolibéral de la liberté économique avec l’approche par les effets. 22 C.J.C.E., 9 novembre 1983, Michelin/Commission, aff. 322/81, Rec. p. 3461, pt. 57, et T.P.I.C.E., 7 octobre 1999,

Irish Sugar/Commission, aff. T‑228/97, Rec. p. II‑2969, pt. 112.

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de ne plus trouver beaucoup cette vieille idée dans les décisions des autorités de contrôle 23 . Nous pourrions dire la même chose de l’idée de concurrence par les mérites, dont les économistes ne semblent trop savoir que faire... 24 Plus fondamentalement, l’approche par les effets s’inscrit dans une démarche économique bien identifiée : l’autorité de concurrence doit fixer son attention sur le résultat du processus concurrentiel davantage que les conditions dans lesquelles il se forme. Cette méthode, inspirée de la pensée chicagoane, est un vrai changement de perspective pour les juristes européens 25 , qui ne s’imposera pas sans difficulté 26 .

Les autorités de concurrence sont‑elles près de recevoir toutes ces évolutions ?

6. Actualité de la modernisation. Les positions adoptées par les autorités de contrôle laissent un sentiment partagé. Certaines positions, spécialement communautaires, évoquent immanquablement les raisonnements du passé. En matière tarifaire, par exemple, beaucoup de solutions semblent d’un grand classicisme. D’autres décisions laissent croire, au contraire, que l’approche actuelle n’est qu’en sursis, soit que l’on annonce clairement une règle nouvelle, soit que sous des notions anciennes, on place un contenu neuf. C’est le cas, par exemple, du concept de justifications objectives : dans le passé, il n’était bien souvent qu’un moyen offert à l’entreprise dominante de défendre la rationalité de son action. Il ouvre aujourd’hui plus directement et plus largement vers les intérêts des consommateurs. En somme, une tendance conservatrice se mêle à un mouvement réformateur dans une certaine indécision. A cela il faut ajouter les divergences de vues existant entre les autorités de concurrence. Les autorités françaises de la concurrence paraissent ainsi plus engagées que les autorités communautaires sur le chemin de la modernisation, par exemple en matière de prix prédateurs. Ce n’est pas là nécessairement le signe d’un particularisme national : au plan européen, la Commission semble plus audacieuse que les juridictions communautaires. La modernisation est en marche, mais chacun avance à son rythme.

7. Plan. Quelques repères, quelques lignes forces paraissent se dégager de la confusion qui entoure le contrôle contemporain des abus de position dominante. Le droit positif, sous l’effet du mouvement de modernisation, s’oriente vers une structure

23 On a d’ailleurs relevé que le Discussion paper de la Commission ne contient aucune référence au concept de

« responsabilité particulière »... Voy. W. Wurmnest, The Reform of Article 82 EC Treaty in the Light of the ʺEconomic Approachʺ, préc. 24 Voy. en part. les conclusions de OCDE, Competition on the merits, DAF/COMP(2005)27, 30 mars 2006. Adde P.

Rey, « Concurrence par les mérites », in La modernisation du droit de la concurrence, LGDJ 2006, p. 151. Comp. V. Mertikopolou, DG competition’s discussion paper: the proposed economic reform from a legal point of view, préc. 243. 25 Voy. à ce sujet W. Wurmnest, The Reform of Article 82 EC Treaty in the Light of the ʺEconomic Approachʺ, Max

Planck Forum on Competition Law2006, München, 13.10.2006. 26 Pour une défense de l’approche européenne (et un appel à la prudence quant à la progression de l’analyse

économique), voy. les propos du Président du Bundeskartellamt U. Böge, ʺThe Role of Economics in Antitrust Enforcement‑‑a German and European Approachʺ, discours à la conférence « Antitrust Reform in Europe: A Year in Practice », organisée par l’International Bar Association and European Commission, DG Competition, Mars 10, 2005, reproduit in OCDE, Competition on the merits, préc., p. 142. Adde, dans le même sens, V. Mertikopolou, DG competition’s discussion paper, préc. ou encore I. L. O. Schmidt, The Suitability of the More Economic Approach for Competition Policy : Dynamic vs. Static Efficiency, 28 European Competition Law Review, 7, 408 (2007).

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d’analyse à deux étages : d’abord, l’autorité de contrôle caractérise l’abus, ensuite l’entreprise dominante se voit offrir la possibilité de se défendre en se justifiant. Nous allons suivre ce parcours contentieux y pour constater et apprécier les effets de la modernisation (I et II).

I.­ La modernisation dans la caractérisation de l’abus par l’autorité de contrôle

8. Les deux visages de la modernisation. La modernisation de l’appréciation par les autorités de contrôle prend deux directions. D’une part, la modernisation du contrôle des abus consiste dans un effort de rénovation des tests au moyen desquels les autorités jugent chaque type d’abus. Ces tests sont assez différents d’un type de pratique à l’autre. Mais tous sont plus que jamais appréciés à l’aune de leur plus ou moins grande pertinence économique, de leur plus ou moins grande aptitude à saisir l’impact exact du comportement litigieux (A). D’autre part, la modernisation du contrôle se traduit par l’adoption d’une approche des effets des pratiques. Alors que les tests laissent une certaine place à l’abstraction (l’analyse pourra ainsi être guidée par la vérification de conditions propres à la nature des produits, au contenu de la relation contractuelle ou encore aux coûts de l’opérateur dominant), l’approche par les effets invite à vérifier in concreto l’impact des pratiques litigieuses sur le marché. Cet impact n’est pas tant déduit de la satisfaction d’un critère prédéterminé qu’apprécié sur le terrain, en quelque sorte (B).

Avant de présenter et d’apprécier plus précisément ces deux visages de la modernisation du contrôle des abus, il convient d’observer combien ils sont étroitement liés. La rénovation des tests puise à la même source que l’approche par les effets : apprécier de façon pragmatique les comportements des entreprises dominantes. De surcroît, ces deux aspects se combinent aujourd’hui plus qu’ils ne s’opposent : pour une même pratique, les autorités de contrôle tentent dans un même mouvement de moderniser le test traditionnellement mis en œuvre et de réaliser une approche par les effets. Notre présentation comporte donc une part d’artifice. S’il est proposé de distinguer ces deux aspects de la modernisation, c’est qu’ils aboutissent à deux méthodes assez différentes pour la qualification d’abus. A terme, ces méthodes pourraient être en concurrence ; il n’est même pas exclu que l’une supplante l’autre. Nous terminerons en présentant quelques observations à ce sujet.

A.­ La rénovation des tests

9. Est‑ce parce que les tests de coûts donnent aux analyses qu’ils fondent une logique qui semble implacable ? toujours est‑il que le vent de la réforme suit, globalement, une ligne de partage assez nette : les tests en matière de pratiques tarifaires

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paraissent connaître une évolution plus heurtée que ceux mis en œuvre par ailleurs. Ce n’est pas dire que la réforme n’a pas de prise sur eux, mais elle ne s’y exprime pas sans susciter de franches oppositions.

1.­ La modernisation des tests en matière tarifaire

10. Abus d’exploitation. Les pratiques tarifaires suscitent toujours un abondant contentieux. L’entreprise dominante peut d’abord chercher à tirer parti de sa puissance pour imposer des conditions contractuelles léonines 27 . Les décisions en la matière ne sont pas fréquentes mais l’actualité a montré la permanence de ces pratiques sans livrer d’innovation notable. On relèvera simplement la plasticité du contrôle des prix abusifs, appliqué tant à des redevances imposées de façon injustifiée, comme dans l’affaire DSD 28 , qu’à des subventions abusivement exigées par l’entreprise, comme dans l’affaire CORSICA FERRIES 29 . On note aussi la permanence du critère de la disproportion manifeste, appliqué par la jurisprudence communautaire, comme par le Conseil 30 , dans le sillage de la jurisprudence General Motors 31 . 11. Abus d’éviction. Le contentieux de l’abus de position dominante est, en réalité,

davantage nourri de stratégies plus subtiles par lesquels les entreprises dominantes cherchent à tirer parti de leur pouvoir de marché pour exclure leurs rivaux. L’hypothèse classique d’abus d’éviction qui est visée par les textes est la discrimination tarifaire dont l’actualité est toujours riche. On songe, par exemple, devant le Conseil à l’affaire TRANSMONTAGNE 32 , à l’affaire des NOUVELLES MESSAGERIES DE LA PRESSE PARISIENNE 33 ou encore à l’affaire du PORT DU HAVRE 34 .

Mais ce n’est pas de ce côté que la réforme était espérée. Depuis de nombreuses années, la doctrine plaide en particulier pour une rénovation des positions admises en

27 Sur cette distinction classique entre abus d’exploitation et abus d’éviction, voy. supra n° 1.

28 T.P.I.C.E., 24 mai 2007, aff. T‑151/01, Der Grüne Punkt – Duales System Deutshland GmbH c. Commission,

Concurrences n° 3‑2007, p. 94, obs. C. Prieto ; RDC 2007‑4, p. 1181, obs. C. Prieto. 29 Cons. conc., 6 avril 2007, décis. n° 07‑D‑13 relative à des nouvelles demandes de mesures conservatoires dans le

secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, Concurrences n° 3‑2007, p. 97, obs. A. Wachsmann. 30 T.P.I.C.E., 24 mai 2007, préc. pt. 170 et Cons. conc., 6 avril 2007, préc. n° 47.

31 C.J.C.E., 13 novembre 1975, aff. 26/75, Rec. p. 1367. Rapp. C.J.C.E., 11 novembre 1986, British Leyland, aff. 226/84,

Rec. p. 3263. 32 Cons. conc., 2 mai 2007, décis. n° 07‑D‑14 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Transmontagne,

concessionnaire des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra‑Loup, Concurrences n° 3‑2007, p. 95, obs. A. Wachsmann. 33 Cons. conc., 12 juillet 2007, décis. n° 07‑D‑23 relative à la saisine de la SA Edition presse magazines 2000 relative

à des pratiques mises en œuvre par la société Nouvelles messageries de la presse parisienne NMPP, Concurrences n° 4‑2007, p. 73, obs. A. Wachsmann. 34 Cons. conc., 13 septembre 2007, décis. n° 07‑D‑28 relative à des pratiques mises en œuvre par le port autonome

du Havre, la Compagnie industrielle des pondéreux du Havre, la Société havraise de gestion et de transport et la société Havre Manutention, Concurrences n° 4‑2007, p. 150, obs. J.‑Ph. Kovar et p. 74, obs. A. Wachsmann.

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matière de remises de fidélité. C’est pourtant ailleurs que les évolutions les plus notables sont intervenues : au sujet des prix prédateurs et des ciseaux tarifaires.

a) Moder nisation et pr ix prédateurs 35

12. Actualité de la question. Alors que l’on disposait d’assez peu d’applications de ce type d’abus, l’année 2007 a fourni au moins trois décisions importantes en la matière : au plan communautaire, l’affaire WANADOO 36 et, en France, les affaires GLAXOSMITHKLINE 37 et EUROSTAR 38 .

L’impression générale qui se dégage de la lecture de ces décisions est que, pour l’essentiel, les principes applicables ne sont pas bouleversés. Ce n’est pas dire que la modernisation n’a pas eu de prise sur eux. Si le test traditionnel demeure applicable, les autorités de contrôle – spécialement le Conseil de la concurrence – ont montré qu’elles étaient disposées à le faire évoluer dans une certaine mesure. En outre, les autorités de contrôle ont porté un regard assez moderne sur deux situations dans lesquels l’application du test traditionnel paraît inappropriée.

13. Rappel du test traditionnel. Le Tribunal de Première Instance et le Conseil de la concurrence appliquent encore, dans ses grandes lignes, le test bien connu qui a été élaboré par la Cour de justice dans l’arrêt AKZO 39 , à cette différence près que lorsque le prix est inférieur aux coûts variables moyens, le Conseil de la concurrence présume

35 Le Conseil de la concurrence a mis un soin tout à fait remarquable dans la définition de la pratique des prix

prédateurs : il s’agit de la « pratique par laquelle une entreprise en position dominante fixe ses prix à un tel niveau qu’elle subit des pertes ou renonce à des profits à court terme dans le but d’évincer ou de discipliner un ou plusieurs concurrents, ou encore de rendre plus difficile l’entrée de futurs compétiteurs sur le marché afin ultérieurement de remonter ses prix pour récupérer ses pertes », 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09 relative à des pratiques mises en œuvre par le laboratoire GlaxoSmithKline France, pt. 164, Concurrences n° 2‑2007, p. 110, obs. A. Wachsmann et L. Flochel et A.‑L. Sibony, « Retour sur la méthode de qualification des prix prédateurs », RLC 2007, n° 12, p. 17. 36 T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, aff. T‑340/03, France Telecom SA c. Commission, Contrats, conc., consom. n° 3, Mars

2007, comm. 74, note G. Decocq ; Concurrences n° 2‑2007, p. 115, obs. L. Flochel ; Europe n° 3, Mars 2007, comm. 99, note L. Idot ; RDC 2007‑3, p. 776, obs. C. Prieto et A.‑ L. Sibony, « Les prix prédateurs entre la lettre de la jurisprudence et l’esprit du raisonnement économique : à propos de l’arrêt Wanadoo », Petites Affiches, 6 juin 2007, p. 14. 37 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, préc.

38 Cons. conc., 23 novembre 2007, décis. n° 07‑D‑39 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du

transport ferroviaire de personnes sur la route Paris‑Londres, pt. 99, RLC 2008, n° 14, p. 30, obs. V. Sélinsky ; Concurrences n° 1‑2008, p. 119, obs. A. Wachsmann ; Contrats, conc., consomm. Janvier 2008, n° 21, p. 31, obs. D. Bosco. Voy. encore, mais la décision présente un intérêt moindre sur le terrain de la prédation, Cons. conc., 11 décembre 2007, décis. n° 07‑D‑44 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Ciné Alpes, Contrats, conc., consomm. Février 2008, n° 49, obs. D. Bosco. 39 CJCE, 3 juillet 1991, AKZO c/ Commission, aff. C‑62/86, Rec. p. I‑3359. Dans la première hypothèse du test, celle

où le prix se situe entre les coûts variables moyens (CMV : ceux qui varient selon la quantité de biens produits) et les coûts moyens totaux, l’autorité de contrôle doit positivement démontrer que la politique de prix de l’entreprise dominante s’inscrit dans une stratégie d’éviction, car, d’un point de vue économique, il n’est pas tout à fait irrationnel de vendre dans ses conditions (l’entreprise couvre une partie de ses coûts fixes). Dans la seconde hypothèse visée par la jurisprudence AKZO, le prix fixé par l’entreprise dominante est en dessous des CMV. Dans ce cas, on ne voit pas pourquoi l’entreprise dominante vend : elle perd de l’argent sur chaque unité vendue. Le Tribunal juge que ces prix sont abusifs per se, « le caractère éliminatoire » de la pratique de prix est présumé.

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l’ « intention prédatrice » 40 alors que le Tribunal présume le « caractère éliminatoire » de la pratique, alors interdite per se 41 . 14. Moderniser le test par une condition préalable de récupération des pertes ? Une

façon de moderniser le test de prédation aurait été d’imposer à l’autorité de contrôle la vérification d’une condition supplémentaire : la possibilité de récupérer les pertes engagées par l’opérateur dominant. En effet, si la stratégie de l’entreprise dominante consistait seulement dans un politique de bas prix, son comportement ne serait pas vraiment néfaste aux intérêts du consommateur. En réalité, les prix prédateurs méritent d’être condamnés parce que l’on redoute qu’après l’éviction de ses concurrents l’entreprise dominante ne récupère ses pertes en augmentant ses prix. D’où l’idée qu’il faudrait, à l’instar du droit américain 42 , exiger de l’autorité de contrôle qu’elle vérifie, préalablement au test de coûts, si une récupération des pertes est envisageable 43 . Si aucune récupération n’est possible, par exemple parce que le marché sanctionnerait une remontée des prix par l’apparition de nouveaux concurrents, l’intérêt des consommateurs n’est pas affecté.

La position communautaire n’est pas tout à fait claire. La Cour de justice a paru hésiter à adopter une position de principe 44 . Dans l’affaire WANADOO, le Tribunal se contente de poser que « c’est à bon droit que la Commission a considéré que la démonstration d’une récupération des pertes n’était pas un préalable à la constatation d’une pratique de prix prédateurs » 45 . Le Tribunal souligne que, selon la jurisprudence communautaire, « une pratique de prix prédatoires doit pouvoir être sanctionnée dès qu’il y a risque d’élimination des concurrents » 46 . En somme, pour le Tribunal, le seul test pertinent est le test de coûts.

Dans l’affaire GLAXO, le Conseil a adopté une position plus moderne. Lorsque l’intention prédatrice doit être démontrée par l’autorité de contrôle (c’est‑à‑dire que le prix est situé entre les coûts variables moyens et les coûts complets), celle‑ci peut utiliser le critère de la possibilité d’une récupération des pertes comme indice d’un plan

40 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, préc. : « Le test apporte donc, dans la ligne de l’arrêt Akzo, la

présomption que l’entreprise dominante a fait ce sacrifice en vue d’évincer le ou les concurrents qu’elle cherchait à éliminer » (p. 176). 41 T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, aff. T‑340/03, préc., pt. 195. Présumer l’intention prédatrice et le caractère éliminatoire

ne revient pas au même, ne serait‑ce que parce que dans le premier cas, la preuve contraire peut être administrée. Voy. sur ce sujet les précieux éclairages de A.‑L. Sibony, « Retour sur la méthode de qualification des prix prédateurs », RLC 2007, n° 12, p. 17 qui déplore que le Tribunal voie deux éléments distincts dans le test de coûts, d’une part, et l’intention prédatrice, d’autre part. 42 Brooke Group Ltd. v. Brown & Williamson Tobacco Corp., 509 U. S. 209 (1993).

43 Sur le sujet, en particulier, OCDE, Predatory foreclosure, DAF/COMP (2005) 14, 15.3.2005, p. 70.

44 C.J.C.E., 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, Rec. p. I‑5951, point 44. L’arrêt indiquait que

« dans les circonstances de la présente espèce, il ne serait pas opportun d’exiger en outre, à titre de preuve supplémentaire, qu’il soit démontré que Tetra Pak avait une chance réelle de récupérer ses pertes (Nous soulignons). » Le Tribunal avait, dans cet affaire, assez précisément montré le caractère prédateur au terme du test de coûts et l’effet produit par sa stratégie en termes d’augmentation de ses parts de marché (voy. T.P.I.C.E., 6 octobre 1994, aff. T‑83/91, en part. pts 151, 191). Dans ces circonstances, une preuve supplémentaire pouvait paraître surabondante. 45 T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, aff. T‑340/03, préc., pt. 195.

46 C.J.C.E., 14 novembre 1996, préc. pt. 44.

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d’éviction 47 . Lorsque l’intention prédatrice est présumée (le prix est en dessous des coûts variables moyens), l’entreprise peut tenter de renverser cette présomption en rapportant la preuve qu’ « il lui est en tout état de cause, impossible de récupérer les pertes engendrées par la pratique de prix, pour des raisons qu’elle doit expliquer » (pt. 178). Glaxo tenta en vain de convaincre le Conseil d’une telle impossibilité en invoquant, en particulier, l’absence de barrières à l’entrée 48 et le fait qu’elle avait augmenté ses prix de crainte d’une sanction du Conseil...

Les solutions françaises et communautaires sont‑elles inconciliables ? Le Tribunal a seulement dit que la condition de récupération n’est pas un préalable pour l’autorité de contrôle 49 . Il n’interdit pas au défendeur de rapporter cette preuve. Mais quel sera alors le poids d’un tel argument ? Il n’est pas sûr que la présomption posée par le juge au moyen d’une infraction per se puisse être renversée. En outre, permettre au défendeur de prouver l’impossibilité d’une récupération, c’est lui permettre de démontrer que sa stratégie n’a pas eu d’effet nocif pour les consommateurs. Or, le juge communautaire rappelle que « l’article 82 CE ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent un préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective » 50 . En résumé, les deux autorités de concurrence ne nous semblent pas aller dans le même sens.

15. Hypothèses de dépassement du test traditionnel. Dans certaines situations, le test de coûts Akzo n’est pas approprié. Les autorités de contrôle ont ici adopté une position assez innovante et ont dépassé le test. Nous songeons à l’hypothèse de la prédation par les capacités et à celle où le test de coûts est inapplicable.

16. Evolution du test en cas de prédation par les capacités. Le Conseil de la concurrence s’est prononcé sur le thème, très discuté actuellement 51 , de la prédation par les capacités dans l’affaire EUROSTAR 52 . En l’espèce, British Airways (BA) reprochait à Eurostar des pratiques abusives dans le marché du transport des voyageurs sur la route Paris‑Londres. BA soutenait en particulier qu’Eurostar y proposait à ses clients un nombre de train excessif comparé à la demande, alors qu’une logique de profit aurait commandé de réduire ses capacités. Contrairement à l’argumentation de BA 53 , le Conseil

47 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, préc. pt. 182. On aura noté que le Conseil vise bien la « possibilité

d’une récupération des pertes » et non pas la récupération effective. Pour une illustration : Cons. conc., 23 novembre 2007, décis. n° 07‑D‑39, préc. pt. 141. 48 On trouve des développements tout à fait intéressants à ce titre aux points 302 et s. de la décision.

49 Il faut y insister : le Conseil de la concurrence ne fait pas non plus du test de récupération un préalable au test

de coûts. L’opposition n’est donc pas aussi frontale que l’on a pu dire entre les deux autorités. Selon le Conseil, l’impossibilité de récupérer les pertes est un moyen de défense de l’entreprise lorsque l’intention prédatrice est présumée, et la possibilité de récupérer les pertes est un indice d’une stratégie de prédation lorsque l’autorité de contrôle doit démontrer celle‑ci. 50 T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, aff. T‑340/03, préc., pt. 266.

51 OCDE, Predatory foreclosure, 15.3.2005, DAF/COMP (2005) 14.

52 Cons. conc., 23 novembre 2007, décis. n° 07‑D‑39 préc.

53 Plutôt que d’appliquer le test Akzo, BA proposait d’apprécier si la suppression d’un départ impliquait une

baisse de coûts supérieure à la perte de revenus. Le Conseil répond que la thèse soutenue aboutit, en réalité, à vérifier non pas que la stratégie du dominant a conduit à des pertes, mais à se demander si une stratégie

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applique purement et simplement le test Akzo. Mais il suggère néanmoins qu’un autre test de coûts aurait été préféré si Eurostar avait augmenté ses capacités afin de réagir à l’entrée de nouveaux concurrents agressifs (par exemple des compagnies low costs) ou discipliner les concurrents existants. Le Conseil suit en cela les recommandations de la doctrine 54 et plusieurs décisions nord‑américaines 55 . En cas d’augmentation des capacités, le Conseil indique que « les coûts pertinents auxquels il convient de comparer les recettes (...) sont effectivement les coûts évitables moyens qui incluent non seulement les coûts variables mais également les coûts fixes éventuellement engagés pour augmenter les capacités » (pt. 121). Ce test est une variante du test traditionnel et permet, du moins en théorie, de mieux saisir les coûts que le prétendu prédateur supporte réellement pour absorber la demande supplémentaire. Il devrait permettre de concentrer l’analyse sur les coûts propres à l’augmentation de capacité (et ainsi ne pas « noyer » ces coûts spécifiques dans une analyse globale) et de rendre le test plus pertinent, en intégrant dans le calcul une partie des coûts fixes spécifiques à la stratégie mise en œuvre.

17. Approche par les effets si le test de coûts est inapplicable. L’autre hypothèse dans laquelle le test Akzo est dépassé est celle où, tout simplement, il est impossible à mettre en œuvre. C’est le cas lorsqu’il est impossible, rétrospectivement, de reconstituer ce qu’ont pu être les coûts de l’entreprise dominante. L’affaire CHRONOPOST jugée par le Tribunal de Première Instance en témoigne 56 . En l’espèce, il était allégué que Chronopost avait pratiqué des prix prédateurs afin d’assurer sa progression sur le marché pour, finalement, y bâtir et consolider sa position dominante. La difficulté rencontrée par la Commission pour appliquer le test Akzo consistait dans le fait que la Poste ne disposait pas de comptabilité analytique sur la période observée. La Commission, approuvée par le Tribunal, a donc tenté d’examiner les effets de la pratique reprochée. Hypothèse exceptionnelle donc, où une pratique de prix prédateurs est appréciée sur la foi de ses effets sur le marché ! Or, si la Commission a constaté que la part de marché de Chronopost avait effectivement beaucoup augmenté sur la période observée, elle ne se convainc que cela résultait d’une stratégie de prix prédateurs. On peut retenir de cette affaire que lorsque le test traditionnel ne peut être mis en œuvre, l’autorité de contrôle prend le parti, somme toute assez moderne, d’une approche par les effets.

b) Moder nisation et ciseau tar ifaire

18. Modernisation du test de ciseau ? Plusieurs aspects du régime des ciseaux tarifaires (ou margin squeeze) 57 sont encore entourés d’incertitudes et de controverses

alternative était plus rentable. Or, il est impossible de déterminer un niveau optimal de capacités offertes. 54 W. Baumol, Predation and the Logic of the Average Varaible Cost Test, 39 Journal of Law & Economics 49 (1996).

55 OCDE, Predatory foreclosure, p. 94 et s.

56 T.P.I.C.E., 12 septembre 2007, aff. T‑60/05, UFEX, DHL Express SAS, CRIE SA c. Commission, Concurrences n° 4‑

2007, p. 76, obs. L. Flochel. 57 Rappelons l’hypothèse de départ : une entreprise dominante sur un marché amont y fixe le prix d’un input qui

prive ses concurrents de leur marge sur un marché aval. En général, une firme intégrée verticalement pratique

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doctrinales 58 . Les réponses qui ont pu être apportées dans plusieurs affaires récentes participent globalement du mouvement observé en matière de prix prédateurs : les principes ne sont pas bouleversés, mais les autorités tentent d’apporter de nouveaux éclairages propres à mieux saisir la réalité de l’impact du ciseau. Certes, le mouvement n’est pas uniforme. Il nous semble, par exemple, que la réponse apportée à la question de savoir si l’existence d’un ciseau suppose une dominance sur le marché aval n’a pas fait l’objet d’une analyse suffisamment approfondie 59 . Mais, pour autant, les exemples ne manquent pas de situations les autorités de contrôle ont mis en œuvre une lecture moderne du test : on songe, par exemple, à l’appréciation des coûts pris en compte pour réaliser le test de marge 60 .

Pour décrire la modernisation du test de ciseau, nous ne nous arrêterons que sur trois de ses caractères : sa spécificité, sa rationalité, son adaptabilité.

19. Spécificité du test de ciseau. La Commission a exactement rappelé dans l’affaire TELEFONICA 61 qu’il s’agit bien d’un test de marge spécifique. L’arrêt Industrie des poudres avait pu laisser croire que le ciseau n’était sanctionné que s’il aboutissait soit à des prix excessifs sur le marché en amont, soit à des prix prédateurs sur le marché en aval 62 . Mais cette interprétation n’est plus de mise : la Commission observe que « le ciseau tarifaire est une disproportion entre un prix amont et un prix aval » (pt. 283) et que contrairement aux arguments de Telefonica », il n’est pas nécessaire de démontrer « ni

des prix en amont rendant la concurrence en aval impraticable pour les rivaux qui ne sont pas intégrés. Le Conseil a défini la pratique comme celle « consistant pour un opérateur, généralement verticalement intégré, fixant à la fois les tarifs de détail sur un marché et le tarif d’une prestation intermédiaire nécessaire pour l’accès au marché de détail, à ne pas laisser entre les deux un espace suffisant pour la couverture des autres coûts encourus pour la fourniture de la prestation de détail » (décis. n° 04‑D‑48 du 14 octobre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par France Telecom, SFR Cegetel et Bouygues Telecom, BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2005, pt. 187). 58 Voy. par ex. D. Spector, Some economics of margin squeeze, Concurrences, n° 1‑2008 ; adde Margin Squeeze

under EC Competition Law with a special focus on the Telecommunications Sector, Conférence organisée par le Global Competition Law Centre (GCLC) à Londres le 10.12.2004 (disponible en ligne sur le site du Collège d’Europe, http://www.coleurope.eu/), en part. les contributions de D. Gerardin et R. O’Donoghue, J. Padilla et J. Kallaugher. 59 On s’accorde, en général, pour dire qu’il n’y a de ciseau que tout autant que l’opérateur qui le met en œuvre est

dominant sur le marché amont. Une question plus discutée concerne le point de savoir si l’opérateur doit aussi être dominant sur le marché aval. Certains observent qu’il ne peut y avoir de ciseau que si l’opérateur peut être sûr de bénéficier de l’exclusion de ses rivaux sur le marché aval – ce qui ne sera pas le cas s’il n’y est pas dominant. On explique encore que l’opérateur doit contrôler les prix sur le marché de détail, sans quoi ses rivaux pourront se contenter de faire supporter le ciseau aux consommateurs en augmentant les prix (voy. R. O’Donoghue & A.J. Padilla, The law and economics of article 82 CE, préc., p. 375). Dans l’affaire Telefonica (Comm. CE, 4 juillet 2007, aff. COMP/38.784, Communication, commerce électronique n° 11, Nov. 2007, comm. 133, obs. M. Chagny ; Concurrences n° 4‑2007, p. 76, obs. L. Flochel), la Commission a pourtant dit, en se fondant sur l’arrêt Industrie des Poudres (T.P.I.C.E., 30 novembre 2000, aff. T‑5/97, Rec. p. II‑3755), qu’il n’est pas nécessaire de prouver que l’opérateur est aussi dominant sur le marché de détail. D’abord, parce que le jeu de l’article 82 n’est pas exclu lorsqu’il produit ses effets sur un autre marché que le marché dominé (C.J.C.E., 14 novembre 1996, aff. C‑333/94, Tetra Pak II, Rec. p. I‑5951), ensuite parce que le ciseau impose des pertes aux rivaux, même aussi efficients, que le dominant n’a pas à supporter (pt. 284). C’est un peu court. 60 Voy. sur ce point L. Flochel, obs. sous Comm. CE, 4 juillet 2007, Wanadoo Espana/Telefonica, préc.

61 Comm. CE, 4 juillet 2007, aff. COMP/38.784, préc.

62 T.P.I.C.E., 30 novembre 2000, aff. T‑5/97, préc., pt. 179.

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que le prix de gros est excessif ou que le prix de détail est prédateur en lui‑même » (ibid.) 63 . Cette position est conforme aux enseignements les plus récents de la doctrine économique qui s’attache à démontrer le particularisme du ciseau tarifaire 64 .

20. Rationalité du test : la question des solutions alternatives pour les rivaux. Une question voisine de la première consiste dans le point de savoir s’il est nécessaire de prouver que le produit de l’entreprise dominante en amont est indispensable pour ses rivaux. Là encore, des raisons économiques l’expliquent : si des solutions alternatives existent pour les rivaux, ils n’auront pas à subir le ciseau 65 .

En France, on se souvient que la question avait été au cœur d’une affaire Etna France c. France Telecom et SFR jugée par la Cour de cassation 66 . Celle‑ci avait cassé un arrêt de la Cour de Paris en laissant croire qu’il n’était pas nécessaire de s’interroger sur l’existence de solutions alternatives, même si le sens de l’arrêt était assez obscur 67 . Il aurait été surprenant que la Cour de cassation dispense l’autorité de contrôle de la preuve de l’absence de solutions alternatives pour la raison évoquée plus haut : si des solutions de remplacement existent, le ciseau n’aura pas d’effet. En réalité, la Cour a plutôt précisé qu’il n’est pas question de démontrer qu’aucune solution alternative n’est à la disposition des concurrents de l’entreprise dominante. Il suffit de démontrer que les solutions alternatives existantes ne permettent pas une concurrence effective. Telle est du moins la lecture de l’arrêt, tout à fait en phase avec l’analyse économique, que le Conseil a proposé dans l’affaire DIRECT ENERGIE 68 . En somme, la condition des solutions alternatives demeure, mais elle est affinée : l’autorité de contrôle doit simplement vérifier l’effectivité des solutions de remplacement disponibles pour les rivaux.

21. Adaptabilité du test : la question des coûts pris en compte. Il est, en général, admis que le ciseau tarifaire est sanctionné lorsqu’il empêche un opérateur aussi efficace

63 Voy. encore, en ce sens, Comm. eur., 21 mai 2003, Deutsche Telekom AG, JO 14.10.2003, L. 263/9, décis. frappée

d’un appel (aff. T‑271/03). 64 D. Spector, Some economics of margin squeeze, préc.

65 En ce sens, ex multis, O’Donoghue et A. J. Padilla, The law and economics of article 82 CE, préc., 311 ; D. Geradin,

R. OʹDonoghue, The Concurrent Application of Competition Law an Regulation: The Case of Margin Squeeze Abuses In The Telecommunications Sector, Journal of Competition Law & Economics, 355, 358 (June 2005). 66 C. cass. com., 10 mai 2006, Contrats, conc., consomm. n° 7, juillet 2006, comm. 140, note G. Decocq ;

Communication, commerce électronique n° 9, septembre 2006, comm. 129, note M. Chagny. 67 Selon la Cour de cassation, les juges d’appel devaient rechercher « non si le Conseil avait établi que les nouveaux

opérateurs de téléphonie fixe ne disposaient plus d aucun moyen permettant dʹéviter lʹ effet de ciseau subi en cas d interconnexion directe, mais si les pratiques de ’’ciseau tarifaire’’ respectivement mises en oeuvre par France Télécom et par SFR avaient pour objet ou pouvaient avoir pour effet, notamment après la signature par France Télécom d accords de surcharge tarifaire vers mobiles avec les principaux pays au travers desquels le trafic était ’’rerouté’’, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la téléphonie fixe vers mobile des entreprises ». 68 Cons. conc., 28 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑04 relative à une demande de mesures conservatoires de la société

Direct Energie, préc. EDF soutenait que d’autres sources d’approvisionnement en gros étaient disponibles pour ses rivaux. Le Conseil rétorque que « lʹ application d un test de ciseau tarifaire restait pertinent lorsque les solutions alternatives à la prestation intermédiaire en cause nʹ étaient pas effectives (pt. 97) », en s’autorisant de l’arrêt rendu par la Cour de cassation. Le Conseil examine alors « le caractère suffisamment significatif des sources alternatives d’approvisionnement invoquées par EDF (pt. 98) ». Il s’attache, ensuite, précisément, à vérifier si les concurrents pouvaient effectivement contourner le ciseau mis en place, ce qui n’était pas le cas.

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de pénétrer ou de se maintenir sur le marché. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, c’est sur la base des coûts de l’opérateur dominant que le test est réalisé, et non pas en considération des coûts d’un opérateur concurrent, réel ou hypothétique. L’autorité de contrôle vérifie donc que la division aval de la firme intégrée verticalement disposerait d’un « espace économique suffisant » sur la base des prix de gros proposés aux tiers par la division amont 69 . Cette méthode, reconnue par le Conseil 70

et par les autorités communautaires 71 a été rappelée dans l’affaire TELEFONICA 72 . Il n’est cependant pas sûr qu’elle permette de saisir en toute hypothèse la réalité de la situation de marché que les rivaux rencontrent 73 . Le contentieux français montre que ce test peut être adapté, comme dans l’affaire TOWERCAST 74 . Le test utilisé – au stade des mesures conservatoires – dans cette affaire est un peu particulier. Il n’était pas approprié d’adopter le test traditionnel consistant à comparer la marge réalisée entre les deux marchés amont et aval aux coûts incrémentaux en aval. Le marché amont était constitué par un appel d’offres pour l’occupation du site de la Tour Eiffel, et le marché aval était celui de la diffusion des programmes audiovisuels et radiophoniques. La méthode adoptée a donc consisté à vérifier que l’offre faite par l’entreprise dominante à sa rivale permettait à celle‑ci de couvrir ses coûts et de réaliser un certain profit, ce qui n’était pas le cas. Il est clair que le test adopté convient pour apprécier si les pratiques de l’opérateur dominant rendaient la concurrence impraticable pour son rival. A nouveau, le test est donc adapté par l’autorité de contrôle afin de saisir l’effet exact de la pratique litigieuse.

c) Moder nisation et r emises de fidélité

22. Si les solutions adoptées au sujet des prix prédateurs et des ciseaux tarifaires témoignent d’une certaine volonté de moderniser les tests applicables, les positions des autorités de contrôle sont, à l’inverse, d’un grand classicisme en matière de remises de fidélité. On peut le vérifier à l’examen des décisions rendues à propos des deux formes de remises qui prêtent le plus à discussion : celles conditionnées à une exclusivité, celles

69 R. O’Donoghue et A. J. Padilla, The law and economics of article 82 CE, préc., p. 312 s.

70 Décis. n° 04‑D‑48 du 14 octobre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par France Telecom, SFR Cegetel

et Bouygues Telecom, BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2005. 71 Comm. eur., 21 mai 2003, Deutsche Telekom AG, préc.

72 Comm. CE, 4 juillet 2007, aff. COMP/38.784, préc.

73 Voy. en ce sens D. Geradin, R. OʹDonoghue, The Concurrent Application of Competition Law an Regulation, :

The Case of Margin Squeeze Abuses In The Telecommunications Sector, Journal of Competition Law & Economics, 355, 394 (June 2005): “the mechanical application of a margin squeeze test based only on the dominant firmʹs costs may result in wrongly imputing a margin squeeze in several cases. This applies in particular where rivals face less elastic demand, have different cost structures, or have additional revenue streams than the vertically integrated firm dominant firm does not. In such cases, a margin squeeze could be wrongly found in circumstances where the dominant firmʹs conduct had no exclusionary motive or effect. An important cross‑check therefore in many cases would be to assess whether the notional losses that the dominant firm would incur under an imputation test based on its costs would also lead rivals to make a loss based on their actual costs.” 74 Cons. conc., 11 juillet 2007, décis. n° 07‑MC‑05 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par

la société towerCast, Contrats, conc., consomm. n° 10, Octobre 2007, obs. G. Decocq. En appel, voy. Paris, 1 ère ch. H, 24 août 2007, n° 2007/13005.

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conditionnées par un objectif individuel.

23. La remise conditionnée à l’exclusivité. Le Conseil a pu se prononcer sur la forme la plus sommaire de rabais dans l’affaire du CIMENT CORSE 75 . En l’espèce, deux opérateurs – Lafarge et Vicat – étaient en position dominante collective sur le marché de l’approvisionnement en gros du ciment alimentant la Corse. Ils consentaient des remises fidélisantes attribuées rétroactivement au mois le mois sous la condition que leurs bénéficiaires ne contractent pas avec les concurrents sur le mois considéré. Le Conseil applique alors le test suivant : il recherche, d’abord, l’existence d’une justification économique objective à la remise et vérifie, ensuite, si les remises accordées peuvent produire un effet d’éviction. Il ressort de son analyse que les remises étaient conçues, purement et simplement, comme une récompense pour avoir mis fin ou fortement réduit les relations nouées avec les concurrents. La considération de l’effet concret de la remise sur le marché n’est pas intégrée dans le test, le Conseil s’en tenant à l’analyse en diptyque tirée de l’approche traditionnelle en la matière. Ce test évoque la jurisprudence communautaire rendue dans l’affaire British Airways. 24. La remise conditionnée à un objectif. L’arrêt de la Cour de justice dans

l’affaire BRITISH AIRWAYS 76 , rendu sur pourvoi contre un arrêt remarqué du Tribunal 77 , était attendu. Il n’est pas sûr qu’il aura comblé toutes les attentes que l’on avait pu placer en lui. On ne s’arrêtera pour l’instant que sur le test mis en œuvre par la Cour pour juger de la licéité des accords conclus entre la compagnie British Airways et les agents de voyage distribuant ses billets. Ils prévoyaient une commission de base et trois mécanismes d’incitation financière, articulés autour d’objectifs définis individuellement, situation comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt Michelin 78 . Pour juger de leur licéité, la Cour reprend d’ailleurs les termes de cette décision : d’après la Cour, « il faut apprécier l’ensemble des circonstances, notamment les critères et les modalités de l’octroi du rabais, et examiner si ce rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée » (pt. 67). Un test en deux étapes est donc, à nouveau, proposé par la Cour : il faut, d’une part, vérifier si le système a un effet d’éviction et d’autre part, rechercher l’existence d’une justification économique objective – la démonstration étant cette fois à la charge du défendeur. Les éléments qui ont convaincu la Cour de l’effet fidélisant du système de primes mis en place par BA sont bien connus depuis l’arrêt Michelin. La Cour observe d’abord que les systèmes de primes étaient conçus en fonction d’objectifs de vente individuels : leur taux dépendant de l’évolution du chiffre d’affaires provenant de la vente de billets BA par

75 Cons. conc., 12 mars 2007, décis. n° 07‑D‑08 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de

l’approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse, Concurrences n° 2‑2007, p. 116, obs. C. Prieto. 76 C.J.C.E., 15 mars 2007, C‑95/04 P, British Airways plc, Europe n° 5, mai 2007, comm. 142, note L. Idot ;

Concurrences n° 2‑2007, p. 115 et Clunet avril‑juin 2007, p. 659, obs. C. Prieto ; RLC 2007 n° 12, p. 28, obs. C. Robin. 77 T.P.I.C.E., 17 décembre 2003, aff. T‑219/99, Rec., II, p. 5917 ; Europe 2004, comm. 45, obs. L. Idot.

78 C.J.C.E., 9 novembre 1983, aff. 322/81, Rec. 1983, p. 3461.

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chaque agent sur une période déterminée. Ensuite, il est constaté que l’incitation financière est d’autant plus forte que la prime s’étendait à l’ensemble du chiffre d’affaires relatif aux achats. La prime concernait ici tous les billets vendus et non pas seulement ceux vendus après la réalisation de l’objectif. Une faible variation des ventes avait un effet démultiplié au niveau de la prime. Enfin, en présence de primes concernant le volume global des ventes, l’opérateur qui a des parts de marché très supérieures (et qui vend donc beaucoup plus de billets pris en compte pour les primes) ne peut être contraint, même par des offres plus généreuses. Toutes ces constatations étaient déjà au centre de l’affaire Michelin.

25. En résumé, les autorités de concurrence ont tenté de rénover les tests en matière tarifaire, mais de façon inégale. Le mouvement semble ainsi plus net en matière de prix prédateurs ou de ciseaux tarifaires qu’en matière de remises. C’est tout autant du côté des pratiques non tarifaires que souffle un vent nouveau.

2.­ La modernisation des tests en matière non tarifaire

26. Variété des abus non tarifaires. Les pratiques non tarifaires justiciables de la qualification abus sont d’une grande diversité. Dénigrement dans l’affaire FRANCE TELECOM 79 , menaces de pressions dans l’affaire SOLUTEL 80 , boycott dans l’affaire GIE CINE ALPES 81 ... Les décisions récentes ont laissé entrevoir quelques évolutions notables, comme par exemple la mise en place dans l’affaire KALIBRAXE 82 , en matière de contrats d’exclusivité, d’un test assez finement élaboré afin de mieux saisir les effets potentiels de l’accord 83 . C’est d’autant plus remarquable que l’obligation d’approvisionnement exclusif, dont il était question en l’espèce, est interdite per se par la jurisprudence communautaire 84 .

Deux types d’abus méritent une attention particulière, il s’agit du refus de contracter

79 Cons. conc., 15 octobre 2007, décis. n° 07‑D‑33, préc.

80 Cons. conc., 7 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑03, préc.

81 Cons. conc., 11 décembre 2007, décis. n° 07‑D‑44 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Ciné Alpes,

Concurrences n° 1‑2008, obs. C. Prieto ; Contrats, conc., consomm. Février 2008, p. 30, obs. D. Bosco. 82 Cons. conc., 25 avril 2007, décis. n° 07‑MC‑01, préc. En appel, Paris, 1 ère ch. H, 26 juin 2007, disponible sur le site

du Conseil de la concurrence ; RDC 2007‑4, p. 1171, obs. L. Idot. 83 Le Conseil indique la marche à suivre : « il convient tout d’abord de s’assurer que les clauses d’exclusivité n’instaurent

pas, en droit ou en pratique, une barrière artificielle à l’entrée sur le marché en appréciant l’ensemble de leurs éléments constitutifs : le champ d’application, la durée, l’existence d’une justification technique à l’exclusivité, et la contrepartie économique obtenue par le client » (pt. 34). En ayant précisé, au préalable, que dans l’appréciation de l’effet de la clause sur la concurrence, les conditions de sortie des contrats sont importantes : « lorsque la sortie anticipée du contrat est difficile et coûteuse, l’effet de l’exclusivité est renforcé. Inversement, lorsqu’une telle sortie est rapide et peu coûteuse, l’effet de l’exclusivité est amoindri » (pt. 33). 84 Voy. depuis C.J.C.E., 13 février 1979, aff. 85/76, Hoffmann‑Laroche, Rec., p. 461. Sur ce sujet, voy. D. Bosco,

L’obligation d’exclusivité, Bruylant 2008, n° 272 s., à paraître.

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et de la vente liée.

a) Le refus de contracter

27. La liberté contractuelle de l’entreprise dominante en question. Les entreprises dominantes jouissent‑elles d’une pleine liberté contractuelle ? Une réponse positive peut être tentée en première intention. D’ailleurs le Conseil de la concurrence l’a dit en 2007 : l’entreprise dominante jouit d’une « liberté commerciale ». Et « l’application des principes de liberté contractuelle et d’entreprendre conduit à considérer qu’il n’est pas abusif pour un exploitant de salles (de cinéma), qui souhaite garder la maîtrise de sa politique commerciale, de refuser dans ses salles, un moyen de paiement édité et commercialisé par une société tierce » 85 . 28. Vitalité de la qualification de refus de contracter. On sait pourtant que dans

certaines circonstances, l’entreprise dominante peut se voir imposer un contractant par application des règles de concurrence. Le contentieux récent a livré son lot d’illustrations de sanctions pour refus de contracter. Elles ont concerné, d’abord, des cas où l’entreprise dominante refuse l’accès à l’une de ses infrastructures « physiques » comme dans une – énième – affaire France TELECOM jugée par la Cour de cassation 86 . Elles ont aussi concerné des refus de licence : c’était le cas de l’affaire SOLUTEL, devant le Conseil de la concurrence 87 , et de l’affaire NMPP devant la Cour de cassation 88 . Ces décisions ne témoignent pas d’évolutions notables ou de contribution nette à la modernisation de l’abus, si ce n’est par l’objet auquel elles s’appliquent (la boucle locale dans l’affaire France Télécom, un logiciel dans l’affaire NMPP). D’aucuns diraient même qu’elles sont en retrait du mouvement de modernisation par l’usage qu’elles continuent de faire de la notion d’« infrastructure essentielle », désormais proscrite du langage communautaire 89 .

La plus originale et la plus controversée des sanctions du refus de contracter concerne un refus de licence de droit intellectuel ; c’est la fameuse affaire Microsoft.

85 Cons. conc., 28 mars 2007, décis. n° 07‑D‑12 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du chèque cinéma,

pt. 83. 86 C. cass., com., 23 octobre 2007, n° 0617.852, France Telecom, Europe n° 12, Décembre 2007, comm. 355, obs. L.

Idot, Concurrences n° 1‑2008, p. 122, obs. C. Prieto. En l’espèce, la société 9 Telecom avait remis en question les conditions de l’offre d’interconnexion en mode ATM pour développer les lignes ADSL. Le Conseil de la concurrence s’était prononcé sur le fond (décis. n° 05‑D‑59) et la Cour de Paris était allée dans son sens (CA Paris, 1 ère ch. H., 4 juillet 2006, n° 2005/23751). La Cour de cassation rejette ici le pourvoi intenté contre cet arrêt, qui avait dit, notamment, que « la boucle locale et son prolongement constituaient une infrastructure essentielle détenue par la société France Telecom». La Cour approuve les juges d’appel d’avoir relevé en particulier que FT détenait un quasi‑ monopole sur la boucle locale de cuivre, que ses rivaux devaient avoir accès à cette infrastructure et que la duplication de la boucle locale « n’était pas économiquement envisageable et que l’accès à cette boucle (...) était techniquement possible ». En relatant les constatations pertinentes des juges du fond, la Cour rappelle des conditions désormais bien connues. 87 Cons. conc., 7 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑03, préc. Le Conseil de la concurrence a, au stade des mesures

conservatoires, stigmatisé le comportement de certaines agences de France Télécom refusant de fournir des informations essentielles à l’activité d’un concurrent sur le marché de l’ingénierie, du conseil et du contrôle technique d’installations téléphoniques réalisées sur le domaine privé. 88 C. cass., com., 20 février 2007, n° 0612424, Bull. civ. ; D. 2007, p. 724, obs. E. Chevrier.

89 Pour un regard critique sur la notion, C. Prieto, obs. C. cass., com., 23 octobre 2007, préc.

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29. L’affaire Microsoft. L’arrêt rendu par le Tribunal de première instance dans l’affaire MICROSOFT 90 emporte quelques évolutions notables. En l’espèce, un concurrent de Microsoft avait conçu un logiciel utile au fonctionnement d’ordinateurs en réseau – précisément un « système d’exploitation pour serveurs de groupe de travail ». Il avait alors demandé à Microsoft de lui fournir les informations – ou « protocoles » – nécessaires à la compatibilité de son produit avec le système Windows, par hypothèse installé sur les ordinateurs en réseau. La Commission européenne reprochait à Microsoft la rétention de ces informations et d’avoir ainsi tenu en échec l’ « interopérabilité » entre ses propres logiciels et ceux de ses concurrents. La question de savoir si ces protocoles étaient couverts par un droit de propriété intellectuelle a été discutée, mais la Commission et le Tribunal ont choisi la solution la plus favorable à Microsoft en supposant que tel était bien le cas. En effet, le test est plus exigeant lorsque l’infrastructure litigieuse est l’objet d’une propriété immatérielle 91 .

30. Le test. Le Tribunal commence par rappelle que l’imposition d’une licence obligatoire est subordonnée à l’existence « circonstances exceptionnelles » 92 . L’un des intérêts de cet arrêt Microsoft est de rappeler la nature de ces circonstances, tout en faisant évoluer la jurisprudence passée 93 . D’après le Tribunal, doivent être considérées comme « exceptionnelles » les circonstances suivantes : « en premier lieu, le refus porte sur un produit ou un service indispensable pour l’exercice d’une activité donnée sur un marché voisin ; en deuxième lieu, le refus est de nature à exclure toute concurrence effective sur ce marché voisin ; en troisième lieu, le refus fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs (§ 332) ». Si ces conditions sont réunies, la charge de la preuve se déplace vers l’entreprise dominante : elle pourra « faire valoir une éventuelle justification objective et d’avancer, à cet égard, des arguments et des éléments de preuve » (§ 688 s.). 31. L’application du test. L’application des ces conditions traditionnelles apporte

quelques utiles précisions.

D’abord, le critère du caractère « indispensable » de l’objet du refus, clairement érigé ici en condition, appelle quelques observations car il faut bien comprendre à quoi il se

90 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, Microsoft c. Commission, JCP 2007, éd. E, 2304, note M. Debroux ;

Europe n° 11, Novembre 2007, comm. 314, note L. Idot ; Journal de droit européen Janvier 2008, p. 8, note N. Petit ; Concurrences n° 4‑2007, p. 78, obs. C. Prieto ; Contrats, conc., consomm. n° 11, Novembre 2007, p. 28, note D. Bosco. Voy. encore L. Idot, « L’arrêt Microsoft : simple adaptation ou nouvelle interprétation de l’article 82 CE ? », Europe n° 12, Décembre 2007, Etude 22 ; F. Lévêque, « La décision du TPICE contre Microsoft : où est passée l’économie ? », RLC Janvier/Mars 2008, p. 22 ; C. Prieto, « La condamnation de Microsoft ou l’alternative européenne à l’antitrust américain », D. 2007, p. 2884. Les autorités communautaires auront vraisemblablement de nouvelles occasions de se prononcer sur les pratiques de Microsoft. La Commission a, en effet, initié de nouvelles investigations pour des pratiques comparables. Voy. le communiqué de presse MEMO/08/19 en date du 14 janvier 2008, disponible sur le site de la Commission http://ec.europa.eu/comm/competition/index_fr.html. 91 Pour une critique, F. Lévêque, « La décision du TPICE contre Microsoft : où est passée l’économie ? », préc.

92 En effet, « la faculté, pour le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle, d’exploiter celui‑ci à son seul bénéfice constitue

la substance même de son droit exclusif. Dès lors, le simple refus, même émanant d’une entreprise en position dominante, d’octroyer une licence à un tiers ne saurait constituer en lui‑même un abus de position dominante » (§ 691). 93 C.J.C.E., 6 avril 1995, aff. jtes C‑241 et 242/91, RTE et ITP c/ Commission, Rec. 1995, I, p. 743 et C.J.C.E., 29 avr.

2004, aff. C‑418/01, IMS Health, Rec. 2004, p. I‑5039.

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rapporte. Microsoft avançait alors que les protocoles n’étaient pas, à proprement parler, indispensables pour concurrencer ses produits (d’ailleurs, des concurrents existaient). L’analyse du Tribunal est à double détente : on apprend, d’une part, que le caractère indispensable se rapporte, non pas à l’exercice pur et simple de la concurrence, mais à un exercice utile de la concurrence. Il ne suffit pas que des concurrents puissent exister sur le marché, il faut encore que leur activité soit viable. Cela s’explique par l’idée bien connue que l’entreprise dominante ne peut nuire à une concurrence effective du fait de sa « responsabilité particulière » (§ 229 et 377). D’ailleurs, le refus sera abusif s’il « est de nature à exclure toute concurrence effective » (§ 332, adde § 563), alors qu’il était question, dans le passé, de l’exclusion de « toute concurrence » 94 . Dans un deuxième temps, on devait se demander quel degré d’interopérabilité était nécessaire pour qu’une concurrence viable soit possible. Il fallait apprécier si les protocoles étaient indispensables à l’obtention d’un degré d’interopérabilité qui permette une compétition effective. Or, il résulte d’une appréciation complexe qu’une concurrence viable sur le marché aval n’était envisageable que si les produits concurrents pouvaient interopérer avec le système windows sur un pied d’égalité, c’est‑à‑dire de façon complète 95 .

L’évolution de la condition relative à l’apparition d’un produit nouveau mérite que l’on s’y arrête davantage. Jusqu’à présent, l’abus ne se concevait que si le refus litigieux tenait en échec « l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs » (§ 332). Cette condition, critiquée par de nombreux auteurs 96 , était vue exactement comme un « élément fondamental » 97 . Elle ménageait les intérêts du titulaire du droit exclusif et permettait de mesurer l’incitation des concurrents à innover. Dans l’affaire Microsoft Le Tribunal refuse pourtant d’enserrer son analyse dans ces strictes limites : « la circonstance relative à l’apparition d’un produit nouveau (...) ne saurait constituer l’unique paramètre permettant de déterminer si un refus de donner en licence un droit de propriété intellectuelle est susceptible de porter préjudice aux consommateurs » (§ 647). Un tel préjudice peut aussi résulter, selon les termes mêmes de l’article 82 CE d’une limitation du « développement technique » (ibid.). Or, le refus de Microsoft de communiquer les protocoles litigieux empêchait les concurrents d’améliorer leurs produits. Le Tribunal s’appuie sur la lettre de l’article 82 CE pour substantiellement réformer sa jurisprudence

94 Si ce raisonnement est familier en droit communautaire, il ne l’était pas vraiment en matière de refus de licence

où la jurisprudence s’était plutôt prononcée sur des cas où le comportement du dominant empêchait toute concurrence en aval (C.J.C.E., 6 avril 1995, préc. § 56, et C.J.C.E., 29 avr. 2004, préc. § 52). 95 Le débat aurait pu rebondir sur un autre terrain : celui de savoir si l’interopérabilité complète souhaitée par la

Commission (et admise par le Tribunal) n’aboutissait pas à cloner le produit windows, et ainsi à porter atteinte à ses droits de propriété intellectuelle sur le fameux code‑source. Au terme d’un débat assez technique, il est ressorti que le refus abusif ne concernait finalement que des spécifications et non pas l’exécution du code‑source. On peut douter que la solution aurait été toute différente si l’interopérabilité avait exigé que Microsoft dévoile une partie de son code‑source : voy. en ce sens nos obs. in Contrats, conc., consomm. n° 11, Novembre 2007, p. 28. 96 Voy. par ex. D. Gerardin, Limiting the Scope of Article 82 EC: What Can The EU Learn From the US Supreme

Court’s Jugement in Trinko, in the Wake of Microsoft, IMS, and Deutsche Telekom ? 41 Common Market Law Review 1549, 1531 (2004) ; D. Ridyard, Compulsory Access Under EC Competition Law – A New Doctrine of “Convenient Facilities” and the Case for Price Regulation, 25 European Competition Law Review 670 (2004). Comp. plutôt favorable, A. Stratakis, Comparative analysis of the US and EU approach and enforcement of the essential facilities doctrine, 27 European Competition Law Review8, 434 (2006). 97 L. Idot, obs. ss. C.J.C.E., 29 avril 2004, IMS Health, Europe, Juin 2004, comm. 214

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passée. On a justement observé que « la condition du ‘’produit nouveau’’ se trouve donc reléguée du rang de principe à celui de simple illustration » 98 . Au fond, l’abus ne consiste plus seulement dans l’obstacle mis à l’apparition de produits nouveaux. En l’espèce, les produits concurrents n’étaient pas à proprement parler « nouveaux » puisque Microsoft en proposait de semblables et que les concurrents eux‑mêmes commercialisaient leurs propres systèmes. On lui reproche plutôt l’obstacle posé devant l’apparition de produits meilleurs. Microsoft se voit finalement reprocher d’avoir limité les choix du consommateur (§ 650 s.) en empêchant les concurrents d’améliorer le fonctionnement de leurs logiciels. C’est tout autre chose.

Plusieurs observations peuvent être formulées à ce stade : d’abord, sur le principe même de cette évolution. Elle va dans le sens des intérêts du consommateur : il s’agit de favoriser le progrès technique et la diversité de ses choix. En cela, l’élargissement de la condition du « produit nouveau » pourrait être accueillie favorablement 99 . Mais d’un autre côté, cette notion avait aussi pour fonction de préserver les intérêts des titulaires de droits intellectuels. Un devoir de contracter ne leur était imposé que parce qu’ils ne proposaient pas eux‑mêmes le produit nouveau et que donc, dans un certain sens, la récompense de leur effort créatif n’était pas recherchée sur un marché potentiel pour lequel une demande existait. La position du Tribunal s’inscrit en faux de cette idée 100 . Dans le raisonnement du Tribunal, seul semble compter l’intérêt des consommateurs. On observera que les incitations à innover du dominant ne sont pas ignorées parce que, nous y reviendrons, l’entreprise dominante peut démontrer que son refus se justifie par une altération de ses incitations à innover. Mais c’est là une nouvelle charge assez lourde qui leur incombe.

Ensuite, comment mettre en œuvre la règle nouvelle ? Qui sera le juge de l’opportunité du développement technique espéré ? Des sondages de consommateurs ? Le plaignant devra‑t‑il prouver qu’il peut apporter une amélioration technique du produit existant ? Qui en vérifiera la réalité, une fois que l’entreprise dominante aura divulgué le fruit de ses recherches 101 ?

Enfin, sur un plan plus général, c’est l’évolution même du test qui est entourée d’incertitudes. On pourrait concevoir que l’assouplissement de cette dernière notion ait été motivé par les circonstances spécifiques de l’affaire, et plus largement, par le particularisme de la matière technologique. Mais en termes de sécurité juridique, il est

98 N. Petit, note préc. p. 9.

99 En ce sens L. Idot, « L’arrêt Microsoft : simple adaptation ou nouvelle interprétation de l’article 82 CE ? », préc.

100 Dans l’affaire IMS Health (C.J.C.E., 29 avril 2004, préc.), la Cour avait déjà fait un pas dans cette direction. Sa

position laissait entendre, notamment, que la question du produit nouveau pouvait être posée alors que le produit du concurrent se situait sur le même marché que celui de l’entreprise dominante (pt. 52). Il y a une certaine contradiction dans le fait de parler de produit nouveau répondant à une demande potentielle non satisfaite et d’apprécier cette nouveauté dans le marché dominé par l’opérateur dominant, voy. en ce sens R. O’Donoghue et A. J. Padilla, The law and economics of article 82 CE, préc., p. 449. 101 Rapp. D. Howarth, K. McMahon, ”Windows Has Performed an Illegal Operation’’: The Court of First

Instance’s Judgment in Microsoft v. Commission”, 29 European Competition Law Review 2, 117, 123 (2008) qui observent que si le produit concurrent ne clone pas purement et simplement celui de l’entreprise dominante, il est déjà à l’origine d’un « développement technique »...

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temps que la jurisprudence se fixe, même si nous savons qu’il n’est pas de règle du précédent obligatoire en notre matière 102 . Or, l’arrêt fait précéder l’énoncé des conditions du test de l’adverbe « notamment » (§ 332, rapp. § 303), lorsque les formules antérieures annonçaient plutôt des conditions limitatives 103 .

En somme, nous nous demandons si, au lendemain de cet arrêt Microsoft, les circonstances qui conditionnent l’atteinte aux droits intellectuels des entreprises dominantes sont toujours aussi « exceptionnelles » qu’auparavant. Ces évolutions sont‑ elles inspirées par un esprit de modernisation du contrôle ? On peut observer à cet égard que l’évolution de l’appréciation des autorités européennes va dans le sens d’une prise en compte plus fine de l’effet de la pratique sur les rivaux (on recherche des atteintes à la concurrence effective 104 ) et sur les consommateurs (on promeut le développement technique et la diversité des choix). Mais on voit bien que cette évolution se fait au préjudice de la prévisibilité des solutions.

b) Vente liée

32. L’affaire Microsoft. Outre les questions liées à l’interopérabilité des produits des concurrents avec le système Windows, l’affaire MICROSOFT 105 apporte une contribution importante au régime juridique de la vente liée. Il était reproché à Microsoft d’avoir lié l’utilisation du système d’exploitation Windows et celle de son logiciel multimédia Windows Media Player. Depuis 1999, les pratiques de Microsoft aboutissaient à ce que ce lecteur multimédia fût préinstallé sur les ordinateurs fournis avec Windows (c’est‑à‑dire l’immense majorité des ordinateurs vendus dans le Monde), sans que l’on pût le désinstaller pour lui préférer un autre logiciel. Le débat était ainsi très proche de celui développé devant les juridictions américaines au sujet du logiciel Internet Explorer 106 . La Commission espérait que Microsoft proposât, en quelques sortes, un « Windows à la carte », c’est‑à‑dire, en plus de sa version intégrée, une version alternative de Windows sans logiciel multimédia. La solution finalement adoptée par le Tribunal conforte la décision de la Commission.

33. Le test traditionnel. Il apparut que les conditions traditionnellement posées pour apprécier la légalité de ventes liées (deux produits ‑ liant et lié ‑ distincts, une position dominante sur le marché du produit liant, une absence de liberté des

102 Sur l’existence d’une « lex specialis Microsoft », D. Waelbroeck, « L’arrêt Microsoft, Splendeurs et misères de

l’article 82 », Les mardis du droit de la concurrence, 2 octobre 2007, cité par N. Petit, note préc. p. 12 et les observations de cet auteur. 103 Voy. par ex. le § 38 de l’arrêt IMS Health, préc. : « il suffit que trois conditions soient remplies... »

104 On peut encore ajouter que le Tribunal a vérifié de façon précise l’effet d’éviction sur les rivaux du refus de

vente. Rappelons que le test vise un « risque d’élimination de la concurrence » (pts 479 à 532 s.). 105 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, préc.

106 Voy. not. US Court of Appeal, District of Columbia Circuit, June 28, 2001, USA v. Microsoft, 253 F. 3d 34, D.C.

Cir. 2001, l’affaire s’était soldée par un consent decree, C. Prieto, « Comparaisons transatlantiques dans les affaires Microsoft », Concurrences, déc. 2004, n° 1, p. 57 ; C. de Watrigant, « 497 millions d’euros d’amende, qui dit mieux ? », Communication, comm. électro., n° 1, Janvier 2005, Etude 1

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consommateurs d’acquérir l’un sans l’autre 107 ) étaient réunies. Les éléments ayant assis la conviction du Tribunal n’appellent pas de longs commentaires. D’abord, on aurait pu se demander si la spécificité des produits en cause modifierait l’appréciation portée sur la notion de produits « distincts » car, après tout, le système d’exploitation et le lecteur multimédia ne font bien souvent qu’un dans l’esprit du consommateur. Cette vision, peut‑être un peu simpliste, n’est pas retenue par le Tribunal qui constate qu’une demande indépendante existe bien pour le produit lié (§ 917). Il n’a pas davantage été convaincu par cet argument que l’intégration du lecteur dans Windows prenait rang dans une « amélioration constante de sa fonctionnalité multimédia » (§ 935). La Commission a, aussi, aisément convaincu le Tribunal que les consommateurs étaient contraints d’acquérir les deux produits ensemble, sans qu’importe, comme l’avançait Microsoft, le prétendu caractère gratuit du logiciel lié et la possibilité des consommateurs de ne pas l’utiliser. Les juges se contentent de relever que les deux produits ne pouvaient être acquis l’un sans l’autre, qu’il était impossible de désinstaller le Media Player, ce qui faisait peser une contrainte tant sur les utilisateurs que sur les équipementiers (§ 960 s.).

34. Modernisation du test traditionnel. L’intérêt de l’arrêt sur cette question de la vente liée est ailleurs. La Commission et le Tribunal auraient pu se contenter de cela pour reconnaître un caractère abusif au comportement de Microsoft. Ils auraient interdit celui‑ci per se. Mais ils ont choisi d’aller plus loin : la Commission est confirmée d’avoir recherché « l’effet concret » de la pratique reprochée et de ne pas s’être contentée de voir dans celle‑ci « un comportement susceptible, par nature, de restreindre la concurrence » (§ 1036, adde § 866 s.). Microsoft voyait là – curieusement puisque la démarche lui était favorable – une « théorie nouvelle et hautement spéculative » (§ 868), mais le Tribunal rétorque que « par principe, un comportement ne sera considéré comme abusif que s’il est susceptible de restreindre la concurrence » (§ 868). Dès lors, la vente liée litigieuse n’est pas présumée porteuse d’effets nocifs pour la seule raison que le test traditionnel s’avère positif ; encore faut‑il démontrer ses effets d’exclusion. Nous peinons à croire que le Tribunal n’ait point entendu engager l’avenir dans une approche plus « pragmatique » de l’abus, ne serait que parce qu’il pose un autre critère à la qualification d’abus, l’absence de justification objective, qui enracine assez clairement ce contentieux dans la méthode de la règle de raison 108 .

En somme, la modernisation de l’abus a pris une première voie : rénover les tests traditionnellement appliqués pour apprécier chaque type d’abus. L’évolution a pu être notée en matière de tests tarifaires où, bien que de manière inégale, les autorités de contrôle tentent d’affiner la pertinence économique de leurs appréciations. L’évolution était plus sensible en matière non tarifaire où, en particulier dans l’arrêt Microsoft, sur la question de la vente liée, une approche pragmatique est clairement mise en œuvre. Une

107 Voy. en part. l’affaire Hilti, T.P.I.C.E., 12 décembre 1991, aff. T‑30/89, Rec. p. II‑1439 ; C.J.C.E., 2 mars 1994, aff.

C‑53/92 P, Rec., p. I‑667 ; et l’affaire Tetra Pak : T.P.I.C.E., 6 octobre 1994, aff. T‑83/91, Rec. p. II‑755 ; C.J.C.E., 14 novembre 1996, aff. C333/94 P, Rec. p. I‑5951 ; C. Prieto et J.‑C. Roda, J.‑Cl. Europe, 2005, fasc. 1423, n° 94 s. 108 Sur la question, voy. L. Idot, « Les ventes liées après les affaires Microsoft et GE/Honeywell », Concurrences n°

2‑2005, p. 31, n° 44 et infra n° 58.

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autre façon de moderniser le test consiste à rechercher les effets d’éviction de l’abus.

B.­ La prise en compte des effets d’éviction de l’abus

35. On ne saurait sérieusement soutenir que le contrôle des abus de position dominante peut être détaché de toute considération des effets des pratiques poursuivies 109 . La recherche d’un effet d’éviction devrait donc fédérer tous les tests mis en œuvre pour détecter l’abus. Cependant, le lien qui unit tous ces tests dans la quête de l’effet d’éviction n’est pas aussi tangible que l’on pourrait espérer. Il existe, certes, quelques éléments fédérateurs dans l’appréciation que livrent nos autorités des effets des pratiques qu’elles poursuivent. Par exemple, l’idée que l’éviction condamnable n’est pas seulement celle qui entraîne l’exclusion de toute concurrence, mais aussi celle qui amoindrit le degré de concurrence effective ‑ cette règle a été rappelée récemment en matière de ciseau tarifaire 110 , mais aussi en matière de refus de licence, dans l’affaire Microsoft 111 . Mais pour le reste, l’approche par les effets est entourée de confusion. Il est, en effet, plusieurs façons de concevoir cette prise en compte des effets du comportement de l’entreprise dominante. On peut se contenter de la démonstration d’un effet potentiel et ainsi demeurer dans l’ordre de la conjecture, plus ou moins bien fondée. On peut, de façon plus exigeante, souhaiter la démonstration d’un effet réel d’éviction. Nos autorités de contrôle montrent ici une certaine indécision. Cela n’a rien d’étonnant, les conséquences de ce choix sont fondamentales.

1.­ L’effet potentiel

36. Nécessité d’une recherche des effets. Les tests mis en œuvre par nos autorités de concurrence ne sont pas tournés vers la vérification des effets réels des pratiques litigieuses qu’ils jugent. Ce n’est pas leur fonction, qui est plutôt de permettre de supposer un effet dès lors que les conditions du tests sont remplies. Par exemple, on pourra supposer qu’une pratique de prix prédateurs a eu un effet d’éviction des rivaux si le test de coûts démontre que l’opérateur dominant a vendu en dessous des coûts qu’il supporte.

Au fond, il suffit que, sur la foi du test positif, un effet potentiel ait pu être engendré par la pratique, certaines décisions, comme l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire BRITISH AIRWAYS, se contentant même d’un effet plus hypothétique encore en visant

109 L’arrêt Microsoft explique de manière assez convaincante que « s’il est vrai que (l’article 82 CE) ne contient pas de

référence à l’effet anticoncurrentiel de la pratique visée, il n’en demeure pas moins que, par principe, un comportement ne sera considéré comme abusif que s’il est susceptible de restreindre la concurrence », pt. 878. 110 Voy. supra n° 19.

111 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, préc.

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une pratique ayant « tendance » à restreindre la concurrence 112 . On le vérifie dans les formules de principe adoptées par les autorités de contrôle qui jugent équivalentes la démonstration d’un effet réel et celle d’un effet potentiel. Dans l’affaire TRANSMONTAGNE, le Conseil de la concurrence observait ainsi qu’« il appartient à lʹ autorité de concurrence de rechercher, comme chaque fois quʹelle apprécie un comportement unilatéral d une entreprise en position dominante, si la pratique en cause peut avoir pour effet ‑ constaté ou potentiel ‑ d évincer les concurrents du marché concerné, de les discipliner ou de retarder leur entrée 113 ». 37. La preuve d’un effet réel sur les rivaux n’est pas nécessaire. Il en résulte que, si

le test est positif, les autorités de contrôle jugeront inutile la preuve d’un effet réel d’exclusion. Dans l’affaire WANADOO 114 , le Tribunal de Première Instance laissait assez clairement entendre que la preuve de l’effet d’une pratique de prix prédateurs n’est pas nécessaire. Lorsque le prix fixé par l’entreprise dominante est inférieur à la moyenne des coûts variables, il est interdit per se » (pt. 195). Le Tribunal ajoute que l’objet et l’effet de la pratique « se confondent ». Il rappelle qu’ « aucune démonstration des effets concrets des pratiques en cause » n’est nécessaire, ajoutant que « la circonstance que le résultat escompté n’est pas atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d’abus de position dominante au sens de l’article 82 CE » (pt. 195) 115 . Dans l’affaire BRITISH AIRWAYS 116 , la Cour a, quant à elle, observé que « BA ne saurait reprocher à la Commission de ne pas avoir démontré que ses pratiques produisaient un effet d’exclusion. En effet, d’une part, aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 82 CE, il n’est pas nécessaire de démontrer que l’abus considéré a eu un effet concret sur les marchés concernés. Il suffit à cet égard de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est de nature ou susceptible d’avoir un tel effet » (pt. 293). Cette justification est rappelée par la Commission dans l’affaire TELEFONICA 117 . Dans la même veine, le Conseil de la concurrence a reconnu dans l’affaire GLAXO 118 que « lʹ analyse des effets de la stratégie mise en oeuvre par le laboratoire Glaxo, tels quʹ ils se sont manifestés sur les différents marchés, nʹ est pas nécessaire à la qualification de la pratique : il suffit que la prédation ait pour effet potentiel, au moment où elle est pratiquée, d évincer le ou les concurrents, pour quʹelle soit regardée comme abusive (pt. 351) ». 38. La preuve d’un effet sur les consommateurs n’est pas nécessaire. Il faut aussi

observer que la preuve d’une atteinte aux intérêts des consommateurs n’est pas jugée

112 C.J.C.E., 15 mars 2007, C‑95/04 P, préc. Pour une comparaison de la notion d’effet potentiel et de l’effet visé

dans cette affaire, voy. K. Pfeiffer, Reflections on British Airways v. Commission, 28 European Competition Law Review 11, 597 (2007). D’après l’auteur, le test posé dans British Airways implique un renversement de la charge de la preuve au détriment de l’entreprise dominante (599). 113 Cons. conc., 2 mai 2007, décis. n° 07‑D‑14 préc. Nous soulignons.

114 T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, aff. T‑340/03, préc.

115 Pt. 196. Les effets d’exclusion de la pratique reprochée ont pourtant été discutés, mais au stade de l’évaluation

du montant de la sanction, pts 253 s. 116 C.J.C.E., 15 mars 2007, C‑95/04 P, préc.

117 Comm. CE, 4 juillet 2007, aff. COMP/38.784, préc. pt. 543.

118 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, préc.

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nécessaire par les autorités de contrôle 119 . La Cour de justice l’a rappelé dans l’affaire BRITISH AIRWAYS 120 . En l’espèce, l’opérateur dominant reprochait au Tribunal de n’avoir pas recherché si son comportement avait eu un effet sur les consommateurs. Mais selon la Cour, qui s’autorise ici de l’arrêt Europemballage et Continental Can/Commission 121 , « l’article 82 CE ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective, telle que mentionnée à l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE » 122 . 39. Du lien entre le test et l’effet potentiel. L’absence de considération pour les effets

réels des comportements qualifiés d’abusifs ne soulèverait pas d’objection si le test mis en œuvre permettait vraiment de croire que la pratique a un effet potentiel. Est‑ce toujours le cas ? On a beaucoup discuté du test mis en œuvre en matière de remises de fidélité, rappelé par l’arrêt BRITISH AIRWAYS 123 . Il invite à concentrer l’analyse sur le contenu de l’arrangement contractuel conclu, sur le caractère plus ou moins incitatif du système de remises organisé par le dominant. Le lien avec la situation de marché est assez ténu, d’autant que la jurisprudence communautaire refoule invariablement les arguments tenant à discuter l’effet véritable du système de remises mis en œuvre par le dominant : l’érosion de ses parts de marché, la progression corrélative de celles des rivaux 124 . Il faudrait se souvenir des propos de l’arrêt Sylvania : “an antitrust policy divorced from market considerations would lack any objective benchmarks” 125 . Sur ce sujet, l’esprit de modernisation ne semble pas avoir de prise.

Un autre travers serait que la recherche d’un effet simplement potentiel soit simplement invoquée pour déguiser la méthode traditionnelle de qualification per se. Sous couvert de modernisation, il n’y aurait qu’un changement sémantique. L’affaire GIE CINE ALPES a laissé entrevoir cet écueil 126 . En l’espèce, il était reproché à un opérateur actif dans le secteur de l’exploitation des salles de cinéma, le GIE Ciné Alpes,

119 Sur le sujet, voy. Ph. Marsden, P. Whelan, ‘‘Consumer Detriment’’ and its application in EC and UK

Competition Law, 27 European Competition Law Review 10, 569 (2006). 120 C.J.C.E., 15 mars 2007, C‑95/04 P, préc.

121 C.J.C.E., 21 février 1973, aff. 6/72, Rec. p. 215.

122 Voy. encore les conclusions de l’Avocat général Kokott : « Le point de départ des réflexions sur ce point devrait

résider dans l’objectif de protection de l’article 82 CE. Cette disposition s’intègre dans un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur [article 3, paragraphe 1, sous g), CE]. En conséquence, l’article 82 CE, à l’instar des autres règles de concurrence du traité, n’est pas destiné uniquement et en premier lieu à protéger les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle (en tant qu’institution), laquelle est de toute façon déjà affaiblie par la présence de l’entreprise dominante sur le marché. De cette manière, le consommateur est également indirectement protégé. En effet, lorsque la concurrence en tant que telle est altérée, il y a également lieude craindre des inconvénients pour les consommateurs (pt. 68). » 123 C.J.C.E., 15 mars 2007, C‑95/04 P, préc. Voy. not. D. Waelbroeck, Michelin II: A Per Se Rule Against Rebates by

Dominant Companies ? Journal of Competition Law & Economics, March 2005, 149. En France, not. A. Winckler et S. Genevaz, « Remises de fidélité et preuve de l’effet de forclusion », RLC 2006/8, n° 546, p. 20. 124 Not. T.P.I.C.E., 30 septembre 2003, Michelin c/ Commission, préc. §241, 258. Pour une critique, voy. D.

Waelbroeck, Michelin II: A Per Se Rule Against Rebates by Dominant Companies ?, préc. 161. 125 Continental T.V., Inc. v. GTE Sylvania, Inc., 433 U.S. 36 (1977).

126 Cons. conc., 11 décembre 2007, décis. n° 07‑D‑44, préc.

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de faire pression sur les distributeurs de films afin d’obtenir l’exclusivité ou la priorité de diffusion des films les plus attractifs. Ces pressions étaient prises d’autant plus au sérieux que les salles du GIE se trouvaient en monopole dans certaines zones géographiques. Le GIE subordonnait alors le passage des films dans les zones monopolistiques à l’octroi d’avantages concurrentiels dans les zones en concurrence. Selon les mots du Conseil, il transférait « son pouvoir de négociation d’un marché sur un autre afin d’y obtenir un avantage sans rapport direct avec ses mérites, grâce à un effet de levier » (pt. 115). Après avoir indiqué qu’un tel comportement était contraire à la « compétition par les mérites » (pts 115 et 119), le Conseil s’intéresse aux effets anticoncurrentiels de la pratique litigieuse. A cet égard, le GIE observait que la part de marché de ses concurrents avait progressé constamment sur la période considérée. Le Conseil rétorque que « les pratiques du GIE Ciné Alpes ont eu sinon des effets réels, au moins des effets potentiels sur la structure ou le fonctionnement de la concurrence sur les marchés concernés » (pt. 126). Des circonstances propres à l’espèce expliquent qu’il ait été si difficile de démontrer l’existence d’un effet réel. En particulier, un médiateur du cinéma avait réglé, en amont, nombre de difficultés. Mais la formule utilisée par le Conseil devrait faire réfléchir : derrière l’invocation d’effets potentiels, n’y a‑t‑il point la traditionnelle méthode d’interdiction per se ? Le Conseil paraît reconnaître lui‑même que les effets réels étaient introuvables...

40. En résumé, l’effort de modernisation du contrôle par la recherche des effets du comportement de l’entreprise dominante prend, sur le plan des principes, l’aspect d’un affinement de l’analyse des effets potentiels du comportement. Pour que cet effort ne reste pas dans l’ordre du discours, il devrait se caractériser par un approfondissement des tests – c’est tout la problématique, par exemple, de la question de la récupération des pertes en matière tarifaire 127 – ou par une réévaluation de ces tests lorsqu’ils semblent détachés de toute considération de marché – c’est l’une des questions que pose le test en matière de remise de fidélité 128 .

2.­ L’effet réel

41. Recherche complémentaire d’un effet réel. Autre signe d’une modernisation du contrôle des abus, nos autorités de concurrence ont semblé, à plusieurs reprises, considérer qu’une recherche, plus ou moins affinée, d’un effet potentiel du comportement litigieux ne suffit plus. Elles vérifient alors l’existence d’effets concrets. Nous ne visons plus le cas où les effets concrets d’éviction sont recherchés car le test est inapplicable. La recherche des effets y est alors une nécessité et vient palier l’incapacité du test à remplir sa fonction. Telle était la situation dans l’affaire CHRONOPOST 129 . Nous visons ici des situations où la recherche d’un effet d’éviction est mise en œuvre en

127 Voy. supra n° 14.

128 Voy. supra n°24.

129 T.P.I.C.E., 12 septembre 2007, aff. T‑60/05 ; voy. supra n° 17.

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complément du test, à titre, en quelque sorte, surabondant. Ce dernier terme n’est pas trop fort : c’est ainsi que les autorités de contrôle introduisent bien souvent leurs investigations.

On peut en prendre plusieurs exemples. Nous avons déjà évoqué le plus éloquent : dans l’affaire MICROSOFT 130 , le Tribunal approuve la Commission d’avoir recherché les effets concrets de la vente liée litigieuse, et de ne pas s’être contentée de sanctionner per se la pratique discutée 131 . Les développements consacrés à la vérification de cet effet d’exclusion sont d’ailleurs particulièrement riches. Il est difficile d’en rendre compte en peu de mots. Le Tribunal rappelle ainsi l’omniprésence de ses systèmes d’exploitation sur le marché (plus de 90 %, voy. § 1038), et par conséquent l’avantage concurrentiel du lecteur multimédia qui y est préinstallé. Sur cette toile de fond, trois séries d’arguments sont posées par le Tribunal, à la suite de la Commission. D’abord, il est montré que les autres canaux de distribution que la préinstallation, comme l’assemblage par les équipementiers ou encore le téléchargement, sont incapables rétablir un équilibre dans la concurrence (ou du moins une concurrence suffisante) entre les lecteurs multimédia en compétition. Dans l’analyse du Tribunal, on retrouve souvent ici l’idée que l’avantage concurrentiel de Microsoft ne doit rien à ses mérites (§ 1038, 1040, 1046, adde 1070), preuve que les anciens standards n’ont pas fait place nette à l’appréciation des effets concrets d’exclusion. Ensuite, le Tribunal porte son analyse sur l’incidence, en termes d’effets de réseaux, des pratiques reprochées sur le comportement des fournisseurs de contenu et des concepteurs de logiciels (§ 1060 s.). Enfin, le Tribunal montre, statistiques à l’appui, l’invariable tendance en faveur du produit Microsoft (§1080).

D’autres illustrations viennent à l’esprit. Dans l’affaire TELEFONICA 132 , la Commission consacre de longues lignes à expliquer qu’une recherche des effets concrets n’est pas nécessaire 133 . Elle poursuit en indiquant que, « dans le cas présent, cependant, la Commission a examiné l’impact des pratiques de Telefonica et a établi que le comportement de Telefonica n’était pas seulement capable de restreindre, ou en d’autres termes, susceptible de restreindre la concurrence sur le marché de détail, mais qu’il avait aussi un impact actuel sur la structure de la concurrence dans le marché pertinent, au détriment des consommateurs » (pt. 544). Dans l’affaire GLAXO 134 , le Conseil de la concurrence procède la même façon. Il indique que la recherche de ces effets n’est pas nécessaire mais ajoute qu’il « peut cependant être observé, en l’espèce, que cette stratégie a produit des effets sur chacun des marchés concernés » (pt. 351). 42. Portée de la recherche des effets réels d’éviction. Quels sont les ressorts d’une

telle recherche des effets réels du comportement litigieux ? Ils nous paraissent résider, pour l’essentiel, dans une démarche de validation scientifique des conclusions tirées du test. Les autorités de concurrence assoient les résultats du test par la vérification concrète

130 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, préc.

131 Voy. supra n° 34.

132 Comm. CE, 4 juillet 2007, préc.

133 Voy. supra n° 37.

134 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, préc.

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de l’exclusion reprochée à l’entreprise dominante. Une autre question est de savoir si ce souci de crédibilité de l’analyse s’exprimera, à l’avenir, en toute hypothèse. Il y a sans doute un mouvement de fond qui relie toutes ces décisions vérifiant les effets réels de l’abus. Mais dire que l’approche générale de l’abus s’en est trouvée fondamentalement modifiée serait exagéré. D’abord, le mouvement n’est pas uniforme. On n’en trouve nulle trace, par exemple, en matière de remises de fidélité 135 , d’accords d’exclusivité 136 ou de discrimination tarifaire 137 . Ensuite, il s’exprime avec beaucoup de prudence. L’arrêt MICROSOFT 138 est topique à cet égard puisque le Tribunal entoure de beaucoup de précautions l’approche des effets réels de la vente liée qui était reprochée à l’opérateur dominant. D’après l’arrêt, la Commission a exactement relevé que « compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, elle ne pouvait se contenter de considérer – comme elle le fait normalement dans les affaires en matière de ventes liées abusives – que la vente liée d’un produit donné et d’un produit dominant a un effet d’exclusion sur le marché per se (§ 868) ». On aura noté que le Tribunal fait référence aux « circonstances spécifiques de l’espèce ». Il est donc trop tôt pour dire que les autorités de contrôle se sont résolument

converties à une approche pragmatique des effets de l’abus. Nous ne saurions leur faire grief de n’avancer dans cette voie qu’avec prudence. Certes, l’approche empirique que d’aucuns suggèrent avec force 139 ne manque pas d’attraits, ne serait‑ce que parce qu’elle réduit les erreurs d’appréciation. Mais ses conséquences en termes d’administrabilité de la justice méritent qu’un temps d’adaptation, voire d’évaluation, la précède.

43. En conclusion, une autre réflexion vient à l’esprit : les deux directions prises par la modernisation dans la caractérisation de l’abus par l’autorité de contrôle – rénovation des tests et vérification des effets – se présentent, pour l’instant, de manière assez complémentaire. En effet, lorsque l’effet concret de la pratique est recherché, ce n’est que pour conforter les conclusions tirées du test. Mais cette complémentarité peut‑elle être durable ? Ne sera‑t‑on pas enclin à préférer, à l’avenir, l’exactitude des conclusions d’une analyse des effets réels aux approximations des conclusions tirées des tests ?

La concurrence entre deux méthodes de concevoir le contrôle est d’ailleurs, peut‑être, déjà à l’œuvre. N’en prenons qu’un seul exemple : dans l’affaire MICROSOFT 140 , la condition du « produit nouveau » n’a‑t‑elle pas cédé devant le constat que la pratique litigieuse produisait un effet néfaste que le test traditionnel ne permettait point de saisir ? Si, de l’effort de modernisation, devait résulter une concurrence plus frontale entre les tests et la vérification de l’effet ou, qu’au terme de cette confrontation, une approche exclusivement empirique devait être préférée, il faudrait alors se souvenir de ces simples

135 Voy. supra n° 22.

136 Voy. supra n° 26.

137 Voy. supra n° 11.

138 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, préc.

139 Voy. par ex. EAGCP, « An economic approach to Article 82 », juillet 2005, site internet de la Commission

http://europa.eu.int/comm/competition/publications/studies/eagcp_july_21_05.pdf. 140 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, préc., supra n°31.

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mots de Portalis : « c’est mal juger les bons effets d’une loi que ne s’occuper que du mal qu’elle réprime sans s’occuper de celui qu’elle prévient. »

II.­ La modernisation des moyens de défense de l’entreprise dominante

44. Position du problème. Une fois que l’autorité a démontré que le comportement répond aux conditions de l’abus, c’est‑à‑dire que le test est positif, quels sont les moyens de défense à la disposition de l’entreprise dominante ? Cette question nouvelle a été portée, incontestablement, par un vent de modernisation. Il est aujourd’hui rare qu’une décision refuse à l’entreprise dominante la possibilité de rapporter la preuve de justifications objectives. Encore convient‑il de tenter de mettre un peu d’ordre dans la réflexion sur ce sujet.

45. Usage classique de la notion de « justifications objectives ». Dans un certain nombre de cas, les autorités de concurrence parlent de « justifications objectives » dans le cadre même du test. Elles en font une condition même de la qualification d’abus. On peut en prendre plusieurs exemples. En matière de discrimination tarifaire, le Conseil de la concurrence a dit dans l’affaire des NOUVELLES MESSAGERIES DE PRESSE PARISIENNE qu’il n’y a pas discrimination parce que son barême de prix est objectivement justifié par des différences de coûts 141 . Plus généralement, lorsque le test a pour objet de démontrer que le comportement adopté n’est pas économiquement rationnel (d’où l’on déduit qu’il porte atteinte à la concurrence), il est naturel que l’entreprise puisse tenter de rapporter la preuve contraire en justifiant son comportement. On ne voit ici aucun vice logique.

Cet usage de la notion est assez classique, il n’est pas utile d’y revenir longuement, si ce n’est pour observer que, d’une certaine façon, il gagne du terrain. En matière de prix prédateurs, par exemple, le Conseil de la concurrence permet, dans l’affaire GLAXO 142 , à l’entreprise de démontrer que son prix – dont le niveau est, par hypothèse, situé en dessous des coûts variables moyens – était justifié par une autre logique qu’une stratégie d’éviction. En matière de contrats d’exclusivité, le Conseil a, dans la même veine, indiqué dans l’affaire KALIBRAXE 143 qu’une obligation d’exclusivité d’approvisionnement pouvait échapper à l’interdiction si elle était justifiée par une contrepartie économique ou une justification technique.

46. Usage renouvelé de la notion de « justifications objectives ». Un usage plus neuf de la notion de « justifications objectives » se rencontre dans les situations où l’on permet à l’entreprise dominante de proposer un autre scénario, un autre diagnostic que celui établi par l’autorité de contrôle sur la foi du test positif. La charge de cette preuve pèse

141 Cons. conc., 12 juillet 2007, décis. n° 07‑D‑23, préc.

142 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, voy. supra n° 13.

143 Cons. conc., 25 avril 2007, décis. n° 07‑MC‑01, préc., voy. supra n° 26.

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sur l’entreprise dominante 144 . C’est là que la modernisation était d’ailleurs attendue et que nous tenterons de la déceler dans les positions adoptées par les autorités de contrôle.

Dans une première série de cas, on permet à l’entreprise dominante de contester l’existence même d’une stratégie anticoncurrentielle. Dans une deuxième série de cas, on lui permet de démontrer l’existence d’effets proconcurrentiels.

A.­ Contestation de l’existence d’une stratégie anticoncurrentielle

47. Démonstration d’éléments extérieurs à l’entreprise dominante. Le scénario que l’entreprise dominante va défendre est le suivant : elle ne conteste pas les conclusions du test, mais tente de mettre en doute que l’atteinte à la concurrence qui lui est reprochée lui soit vraiment imputable. Le moyen de défense consiste à prétendre que cette atteinte est due à des facteurs extérieurs au défendeur, sur lesquels il n’avait point de prise. C’est précisément cela que la Commission visait sous le terme de « justifications objectives » dans son Discussion paper. La Commission vise, par exemple, la situation où le comportement de l’entreprise lui a été dicté par des raisons de sécurité ou de santé liées à la nature dangereuse du produit en question 145 .

On peut encore ranger là deux situations, particulièrement discutées devant les autorités de contrôle. D’une part, celles où l’entreprise explique que son comportement lui a été dicté par celui de ses rivaux ; d’autre part, celles où elle allègue que la restriction de concurrence est due, en réalité, à l’autorité publique.

1.­ Le comportement des rivaux

48. L’entreprise dominante peut, d’abord, songer à justifier son comportement en prétendant qu’il lui a été dicté par les pratiques de ses concurrents. Cet argument n’est traditionnellement reçu qu’en matière tarifaire 146 et fait écho à l’idée d’un droit de riposte de l’entreprise dominante lorsque ses intérêts sont menacés 147 .

49. Prix prédateurs et alignement. En matière de prix prédateurs, la question de savoir si l’entreprise dominante peut invoquer un alignement sur les prix pratiqués par ses rivaux pour échapper à la sanction prête à controverses. Aux Etats‑Unis, par

144 Voy. en ce sens Comm. CE, 4 juillet 2007, Wanadoo Espana/Telefonica, aff. COMP/38.784, préc., pt. 619. Voy.

dans le même sens son Discussion Paper, préc. pt. 77. Sur le sujet, infra, IIB. 145 Discussion paper, préc. pt. 80.

146 En ce sens, le Discussion paper préc. pt. 81. Sur le sujet, not. M. A. Gravengaard, The meeting competition

defence principle – A defence for price discrimination and predatory pricing, 27 European Competition Law Review, 12, 658 (dec. 2006). 147 Voy. en premier lieu C.J.C.E., 14 février 1978, aff. 27/76, United Brands/Commission, Rec. p. 207.

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exemple, la jurisprudence n’est pas uniforme sur ce point 148 . Il faut dire que la question est plus complexe qu’il ne le semble à première vue. On pourrait penser qu’il est loisible à une firme dominante de fixer un prix inférieur à ses coûts afin de s’aligner sur ceux d’un nouveau concurrent pratiquant une politique de prix bas : au fond, les consommateurs bénéficient d’un tel alignement. En outre, la liberté de l’entreprise dominante de concurrencer ses rivales ne doit pas être altérée simplement parce qu’elle est dominante 149 . Les choses ne sont cependant pas si simples : l’alignement du dominant peut empêcher un concurrent plus efficace d’atteindre un niveau suffisant de ventes nécessaire à son maintien sur le marché. En outre, l’exception d’alignement ne permet de considérer que le prix du produit et non pas sa qualité, de sorte qu’en s’alignant, l’entreprise dominante dont les produits sont de meilleure qualité va au‑delà d’un simple alignement tarifaire.

Le Conseil de la concurrence et la jurisprudence communautaire ont eu à se pencher sur cette question, mais ne l’ont pas tranchée de façon tout à fait nette.

La position du Tribunal de Première Instance est prudente et assez peu claire 150 . Wanadoo et la Commission s’opposaient sur le point de savoir si une entreprise dominante peut aligner ses prix sur ceux de ses rivaux, quand bien même cela impliquerait que son prix fût inférieur à ses coûts. Le Tribunal rappelle, d’abord, la faculté des entreprises dominantes de protéger leurs intérêts commerciaux. Mais il évoque, ensuite, les « obligations spécifiques » qui incombent à ces dernières. Il conclut en indiquant que Wanadoo « ne saurait invoquer un droit absolu à s’aligner sur les prix de ses concurrents pour justifier son comportement », laissant supposer que l’alignement devient abusif s’il se traduit par un prix en dessous des coûts 151 . L’alignement n’est donc pas abusif en soi, mais il peut le devenir. Cette façon de répondre par une généralité à une question précise n’est pas pleinement satisfaisante.

Le Conseil a aussi fait preuve de prudence. Il a indiqué que « dans certains cas, lʹ entreprise peut se prévaloir d’une ʺobligation dʹalignementʺ sur les prix du ou des concurrents, en expliquant que la baisse des prix pratiquée est la seule réponse possible pour minimiser des pertes qui pourraient être plus importantes en l’absence d’un tel alignement. Il faut néanmoins noter qu’un tel comportement doit être proportionné à l’objectif poursuivi pour être crédible et que la jurisprudence considère que l’argument de l’alignement n’est, en principe, pas

148 On oppose traditionnellement Richter Concrete Vs. Hilltop Concrete, 691 F.2d 818 (6e circ. 1982) (“it is not

anticompetitive for a company to reduce prices to meet lower prices already being charged by competitorsʺ) et USA Vs. AMR Corp., 335 F.3d 1109 (10e circ. 2003). Les solutions sont contrastées ailleurs aussi, le Royaume‑Uni rejette plutôt l’argument, à l’inverse du Canada : OCDE, Predatory foreclosure, préc. p. 81. 149 En ce sens, M. S. Gal, Below‑Cost Price Alignment: Meeting or Beating Competition ? The France Telecom

Case, 28 European Competition Law Review, 6, 382, 386 (2007). 150 T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, aff. T‑340/03, préc., pts. 176 s.

151 Voy., plus nuancé, M. S. Gal, Below‑Cost Price Alignment: Meeting or Beating Competition ? The France

Telecom Case, préc. Sur le sujet, voy. encore M. A. Gravengaard, The meeting competition defence principle – A defence for price discrimination and predatory pricing, préc., 668 s. en ce sens que les positions communautaires passées (en particulier l’arrêt Akzo, préc.) autorisaient un alignement même si le prix fixé se situait en dessous des coûts variables moyens.

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recevable pour une entreprise en position dominante » 152 . En somme, le Conseil ne semble pas tout à fait hostile à ce moyen de défense, mais le place toutefois dans un domaine d’exception en l’entourant, en outre, de conditions précises : il faut que la riposte soit indispensable et proportionnée 153 .

50. Ciseau tarifaire. On lit une prudence plus grande encore, sur cette question de l’exception d’alignement, dans les décisions rendues en matière de ciseau tarifaire. Dans l’affaire TELEFONICA 154 , la Commission a indiqué que l’exception d’alignement peut, en principe, être invoquée par le défendeur, mais a aussitôt exprimé sa réserve à la recevoir. Elle indique que l’alignement de l’opérateur dominant sur les prix proposés par ses rivaux n’est possible que s’il est démontré qu’il s’agit d’une réponse « appropriée, indispensable et proportionnée » (pt. 639). Cela impose qu’il n’y ait pas d’autre alternative économiquement praticable et moins néfaste, « ce qui est improbable dans un cas de ciseau tarifaire » (ibid.). Au cas d’espèce, le comportement de Telefonica n’était pas indispensable car elle aurait pu baisser son prix de gros sans augmenter son prix de détail tout en faisant des profits.

51. Refus de contracter. Les autorités françaises ont manifesté une faveur plus grande à l’égard de ce type d’argument dans l’affaire PHARMA‑LAB 155 . En l’espèce, des laboratoires avaient opposé, en France, des refus de vente à des exportateurs de médicaments vers d’autres pays de l’Union. Ces derniers jouaient du différentiel de prix entre la France, où le prix était fixé par l’autorité publique, et en particulier, le Royaume‑ Uni, où le prix était sensiblement plus élevé. Le Conseil, puis la Cour de Paris ont considéré que ces refus de vente étaient « justifiés ». Selon la Cour, « c’est par des motifs pertinents et dénués d insuffisance – que la cour adopte – que, pour refuser de qualifier d abus de position dominante les refus de vente dénoncés, (le Conseil) a estimé en définitive, au vu de la situation particulière qui prévaut en France, quʹ il nʹ est pas abusif pour un laboratoire de défendre ses intérêts commerciaux en refusant de livrer ses produits à un prix administré à un opérateur qui ne vend aucun produit sur le marché national pour lequel la réglementation du prix a été élaborée et qui ne recherche ce produit quʹà la condition que le prix fixé par les pouvoirs publics en vue d un usage sur le territoire national lui permette de le revendre sur un marché étranger avec profit ». La solution est fondée sur l’idée qu’une entreprise dominante « a le droit de prendre les mesures raisonnables qu’elle estime appropriées pour protéger ses intérêts commerciaux, à condition que son comportement soit proportionné à la menace et ne vise pas à renforcer une position dominante ou à en abuser ». L’arrêt s’autorise d’un précédent communautaire : l’arrêt United Brands 156 . Pourtant, l’arrêt ne se situe pas dans le droit fil

152 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, préc. pt. 179.

153 La suite de la décision renseigne assez peu sur la façon dont la discussion sera menée car il n’y avait pas, en

l’espèce, d’alignement : les prix de la firme dominante étaient plus bas que ceux de ses concurrents. En outre, il ne pouvait pas, à proprement parler s’ « aligner » sur les prix de ses rivaux parce que le système d’appel d’offres au terme duquel les produits étaient vendus rendait les prix des rivaux inconnaissables ex ante. 154 Comm. CE, 4 juillet 2007, aff. COMP/38.784, préc.

155 Paris, 1 ère ch. H, 23 janvier 2007, SARL Pharma‑Lab, confirmant Cons. conc., 20 décembre 2005, décis. n° 05‑D‑

72 relative à des pratiques mises en œuvre par divers laboratoires dans le secteur des exportations parallèles de médicaments, Concurrences 2006‑1, p. 139, obs. A. Wachsmann, RDC 2006, p. 346, obs. C. Prieto. 156 C.J.C.E., 14 février 1978, préc.

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de la jurisprudence communautaire : celle‑ci réserve le droit de riposte aux pratiques tarifaires des rivaux, ce qui n’était pas ici tout à fait le cas. La solution est donc plus audacieuse que ce qu’il ne paraît et signe, à nouveau, que les autorités françaises sont mieux engagées que les autorités communautaires dans la voie d’une approche modernisée de l’abus. Mais il faut aussi observer que le contexte de l’affaire était un peu particulier puisque la justification objective du refus de vente était, en quelque sorte, tirée des disparités nationales en matière de prix des médicaments. L’imperfection de l’harmonisation européenne sur ce terrain est ce qui vient justifier le comportement défensif de l’opérateur dominant. Cette justification de l’abus par des éléments extérieurs tirés de considérations de politiques publiques se retrouve dans d’autres situations.

2.­ L’action de l’autorité publique

52. Une discussion de l’imputabilité des effets anticoncurrentiels litigieux. Il n’est pas rare que les entreprises dominantes tentent d’échapper à la qualification d’abus en alléguant de l’incidence des décisions de l’autorité publique. Dans ces cas, l’entreprise remet en question le principe même du test : l’atteinte à la concurrence qui lui est reprochée est en réalité imputable à l’action de l’autorité publique sur le marché. Dans l’affaire GLAXO 157 , cet argument avait pris un tour presque amusant : l’opérateur dominant expliquait qu’il avait augmenté ses prix, non pas en vue de récupérer les pertes engagées pour évincer ses rivaux, mais de crainte de se voir reprocher... un abus tarifaire par l’autorité de contrôle ! L’augmentation de ses prix était donc, d’après le défendeur, due à la politique de concurrence menée par le Conseil, et non un indice d’une quelconque prédation. Il lui est simplement répondu que cette thèse était contradictoire avec celle de l’impossibilité de récupérer ses pertes... 158

De façon plus sérieuse, l’action de l’autorité publique est souvent invoquée en matière de ciseau tarifaire, dans les secteurs nouvellement convertis à un régime concurrentiel.

53. Ciseau tarifaire : l’autonomie commerciale de l’opérateur dominant. Le moyen de défense qui se rencontre ici consiste à invoquer l’intervention d’un tiers, en particulier d’un régulateur sectoriel, dans la fixation du prix sur le marché amont. La régulation des prix peut prendre diverses formes, selon que c’est le marché de gros ou le marché de détail qui fait l’objet d’une régulation, et selon l’intensité du contrôle instauré sur le prix 159 . L’argument consiste à prétendre que si le prix est fixé par le régulateur, le dominant ne peut être tenu pour responsable d’un éventuel ciseau.

Dans le contentieux français, la question était indirectement évoquée dans l’affaire

157 Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09, préc.

158 Voy. pt. 319.

159 Simple plafond, comme dans l’affaire Telefonica (préc.) ou prix fixé de façon contraignante comme dans

l’affaire DT (préc.). Sur la diversité des hypothèses envisageables, D. Geradin, R. OʹDonoghue, The Concurrent Application of Competition Law an Regulation, : The Case of Margin Squeeze Abuses In The Telecommunications Sector, Journal of Competition Law & Economics, 355, 372 (June 2005).

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DIRECT ENERGIE 160 . En l’espèce, EDF soutenait notamment que le prétendu ciseau était en réalité dû au tarif réglementé, fixé par les autorités publiques sans logique de rentabilité. Tous les concurrents présents sur le marché libre devaient concurrencer le tarif réglementé pour favoriser le choix de l’éligibilité par les consommateurs. EDF soutenait que si elle avait augmenté le niveau prétendument trop bas de son offre de détail, elle aurait dissuadé les consommateurs de choisir (de façon irréversible) le marché libre, réduisant alors pour tous le nombre de clients à prospecter. Le Conseil répond que la qualification d’abus trouve à s’appliquer « dès lors que les entreprises présentes sur le marché conservent la possibilité d adopter un comportement autonome susceptible d empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence. Or la seule coexistence de tarifs réglementés avec des prix de détail libres ne retire pas à EDF son autonomie commerciale sur le marché libéralisé de la vente d électricité aux petits professionnels. »

La question a été posée plus directement dans quelques affaires récentes en matière de télécommunications 161 . On se souvient qu’elle avait été posée au Conseil de la concurrence dans l’affaire FRANCE TELECOM 162 . Dans l’affaire DEUTSCHE TELEKOM 163 , l’opérateur dominant observait que le prix de gros était fixé de manière contraignante par le régulateur sectoriel. Il n’était donc pas à l’origine de la pression sur les marges subie par ses rivaux. La thèse soutenue par DT était alors la suivante : n’étant responsable que du prix de détail, elle ne pouvait être poursuivie par la Commission que si ce prix avait été prédateur. La Commission a répondu, de façon particulièrement sévère à notre sens, que le test du ciseau tarifaire demeurait pertinent dès lors que l’entreprise dominante disposait des moyens de mettre fin au ciseau, en particulier en augmentant ses prix. Or, il apparaissait en l’espèce que DT disposait d’une telle marge de manœuvre 164 . Un raisonnement semblable est tenu dans l’affaire TELEFONICA 165 . Le prix était aussi fixé par le régulateur. La Commission observe que « la question centrale est de savoir si l’entreprise soumise au prix régulé a la possibilité commerciale d’éviter ou de terminer le ciseau tarifaire de sa propre initiative » (§ 667). Or, en l’espèce, Telefonica n’avait aucunement tenté de mettre fin au ciseau en augmentant ses prix de détail ou en baissant son prix de gros, ce que la réglementation espagnole n’interdisait pas.

En résumé, l’impression qui se dégage de la lecture de ces décisions est celle d’une

160 Cons. conc., 28 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑04, préc.

161 Sur le sujet, D. Geradin, R. OʹDonoghue, The Concurrent Application of Competition Law an Regulation: The

Case of Margin Squeeze Abuses In The Telecommunications Sector, préc. 162 Décis. n° 04‑D‑48 du 14 octobre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par France Telecom, SFR Cegetel

et Bouygues Telecom, BOCCRF n° 1 du 21 janvier 2005. 163 Comm. eur., 21 mai 2003, préc.

164 Voy. pts 163 s. Cette position indique donc que l’abus est évité si le dominant augmente ses prix de détail aux

consommateurs pour éviter le ciseau tarifaire. Elle montre bien toute la distance qui sépare aujourd’hui l’analyse communautaire (qui pourtant fait désormais de la protection des intérêts du consommateur son unique objectif, voy. le Discussion paper préc.) d’une approche par les effets dont le repère essentiel serait le préjudice causé aux consommateurs... 165 Comm. CE, 4 juillet 2007, aff. COMP/38.784, préc.

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certaine réserve des autorités de contrôle à admettre ces scénarios alternatifs élaborés par les entreprises dominantes. Une fois que le test est positif, il semble difficile de le contredire sans un dossier très argumenté. La marge ne semble pas, pour l’heure, véritablement moins étroite lorsque l’entreprise dominante préfère tenter de rapporter la preuve d’effets proconcurrentiels.

B.­ Démonstration de l’existence d’effets proconcurrentiels

54. Position du problème. La possibilité, pour l’entreprise dominante, d’invoquer des justifications objectives propres à démontrer les gains d’efficience engendrés par son comportement est une problématique originale. Il ne s’agit, pour le défendeur, ni de contester la qualification d’abus, ou du moins les effets anticoncurrentiels de son comportement, ni d’imputer ces effets à un autre que lui. La preuve attendue de lui tendra ici à convaincre l’autorité de contrôle que son comportement a des effets positifs qui font pendant et dépassent les effets négatifs qui ont été identifiés – et que par hypothèse l’entreprise ne conteste pas. Nous sommes ici dans la lignée du raisonnement en diptyque (caractérisation de la restriction/exemption) que mettent en œuvre les textes relatifs aux ententes : l’entreprise tente de racheter son comportement.

55. Obstacles à l’admission d’un tel moyen de défense. C’est d’ailleurs en référence au droit des ententes que la Commission a proposé dans son Discussion paper d’articuler ce moyen de défense qu’elle nomme efficiency defence 166 . Les conditions posées à l’admission d’un tel moyen de défense sont strictement les mêmes que celles prévues par l’article 81§3 CE. Le droit français admet, au moins dans les textes, un tel argument : l’article L. 420‑4 du Code de commerce permet, dans un même mouvement, l’exemption des ententes et celle des abus de position dominante 167 . En revanche, le traité ne dit mot d’une quelconque exemption des pratiques unilatérales 168 .

166 Discussion paper, p. 26.

167 Le Conseil se montre favorable à ce moyen de défense. Voy. à ce sujet B. Lasserre, Remedies and Sanctions for

Unlawful Unilateral Conduct: The French Experience, Fordham Competition Law Institute’s, 34 th Annual Conference on International Antitrust Law and Policy, 27 & 28 septembre 2007, publié sur le site du Conseil de la concurrence, p. 2. Pour une application récente de l’article L. 420‑4 co., ce qui n’est pas si fréquent, Cons. conc., 13 septembre 2007, décis. n° 07‑D‑28 relative à des pratiques mises en œuvre par le port autonome du Havre, la Compagnie industrielle des pondéreux du Havre, la Société havraise de gestion et de transport et la société Havre Manutention, Concurrences n° 4‑2007, p. 74, obs. A. Wachsmann. 168 Les conclusions de l’Avocat Général Jacobs rendues dans l’affaire Syfait (conclusions présentées le 28 octobre

2004 dans l’affaire C‑53/03, arrêt de la CJCE du 31 mai 2005) témoignent des difficultés rencontrées par les autorités de contrôle pour fonder une admission des justifications objectives : « l’analyse en deux étapes que suggère la distinction entre l’abus et sa justification objective est à mon sens quelque peu artificielle. L’article 82 CE, contrairement à l’article 81 CE, ne contient aucune disposition prévoyant expressément l’exemption d’un comportement qui tomberait autrement sous le coup de l’interdiction qu’il énonce. En effet, le fait même qu’il emploie l’expression ’’de façon abusive’’ sous‑entend que le comportement est déjà considéré comme répréhensible, alors que l’article 81 CE utilise les termes plus neutres ‘‘d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence’’. Il est donc selon moi plus exact d’affirmer que certains types de comportements d’une entreprise dominante ne relèvent absolument pas de la catégorie des abus de position dominante. Toutefois, compte tenu du fait que la Commission a, à la lumière de certains arrêts, examiné la justification

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Au‑delà de cette difficulté d’ordre juridique, l’admission d’une efficiency defence doit être bien réfléchie en terme d’administrabilité de la justice. S’agira‑t‑il simplement, pour l’entreprise dominante, de démontrer l’existence d’effets proconcurrentiels ou faudra‑t‑ il, en outre, prouver que ces effets vertueux sont plus importants que les effets pervers du comportement litigieux ? En d’autres termes, va‑t‑on mettre ici en œuvre un « bilan net » comparable à celui du droit des ententes ? 169 Mesure‑t‑on bien, si la réponse est positive, la difficulté d’administrer une telle preuve ? Dire que, de toute façon, le procès n’ira que très rarement jusqu’au point de s’interroger sur un tel bilan, faute pour l’entreprise d’avoir réussi à convaincre de l’existence même de justifications 170 ne rassure qu’à moitié... En tout état de cause, les réponses des autorités de contrôle étaient particulièrement attendues sur ces deux questions : celle d’une éventuelle admission de l’efficiency defence, celle des règles de preuve.

1.­ Vers l’admission d’une efficiency defence ?

56. On l’a dit, les enjeux de la question résident essentiellement au plan communautaire puisque le Code de commerce français prévoit expressément, à l’article L. 420‑4, un tel moyen de défense. Observons toutefois qu’alors qu’il n’était guère sollicité jusqu’à présent, le Conseil de la concurrence l’a remis au goût du jour dans l’affaire du PORT DU HAVRE 171 .

En droit communautaire, deux arrêts méritent d’être signalés pour les évolutions qu’ils suggèrent dans la voie d’une reconnaissance de la possibilité par l’entreprise de « racheter » son comportement.

57. L’affaire British Airways, simple changement sémantique ? Traditionnellement, les autorités de contrôle ont une approche très étroite des justifications des remises : elles n’entendent que l’argument suivant : que la remise s’explique par le partage du gain obtenu par le dominant du fait de l’augmentation des achats de son client. Dans sa décision Roqueforts, le Conseil de la concurrence indiquait ainsi que « jamais (le défendeur) n’a proposé aux distributeurs des remises quantitatives à partir d’un barème objectif lié aux volumes des ventes, seuls rabais considéré comme non fidélisant par la jurisprudence » 172 . Le Conseil se faisait ici l’écho, notamment, de la position adoptée par le Tribunal de première instance dans l’affaire BRITISH AIRWAYS 173 . D’après l’arrêt, les remises n’étaient pas justifiées car le système mis en place était dépourvu « de toute relation

objectivedu comportement dans ses observations, il peut être utile d’aborder cette question (pt. 72) ». 169 Voy. les Lignes directrices concernant l’application de l’article 81§3 du traité, JOCE n° C 101/97, du 27 avr. 2004, pt. 11.

170 Sur ce point, J. M. Jacobson, S. A. Sher, ‘‘No economic sense’’ makes no sense for exclusive dealing, préc.

171 Cons. conc., 13 septembre 2007, décis. n° 07‑D‑28, préc.

172 Cons. conc., 8 avril 2004, décis. n° 04‑D‑13, Concurrences déc. 2004, n° 1, p. 57, obs. WACHSMANN (A), pt. 60. Adde

dans le même sens Cons. conc., 22 juin 2005, décis. n° 05‑D‑32, Royal Canin, p. 186, Concurrences 3‑2005, p. 75, obs. WACHSMANN (A). 173 T.P.I.C.E., 17 décembre 2003, aff. T‑219/99, Rec., II, p. 5917 ; Europe 2004, comm. 45, obs. L. Idot.

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objective avec la contrepartie découlant pour BA de la vente de billets d’avion supplémentaires. Dans cette mesure, les systèmes de primes de résultat de BA ne peuvent être regardés comme constituant la contrepartie de gains d’efficience ou d’économies de coûts induits par la vente des billets BA écoulés après la réalisation desdits objectifs » (pt. 284).

On sait pourtant que les remises de fidélité peuvent présenter d’autres avantages que ceux limitativement énoncés par la jurisprudence communautaire 174 : développer les incitations des revendeurs, assurer une meilleure couverture des coûts fixes 175 , lutter contre le parasitisme, etc. Dès lors, les critiques à l’encontre de la position communautaire étaient nombreuses.

Dans l’affaire BRITISH AIRWAYS, l’arrêt du Tribunal qui, nous l’avons dit, était resté sur la ligne traditionnelle, et donc étroite, de sa jurisprudence Michelin 176 avait été frappé d’un pourvoi. Dans l’arrêt de la Cour de justice rendu sur ce pouvoi 177 , la Cour ne pouvait trancher qu’une question de droit, son appréciation était donc limitée. On note cependant un changement sémantique dans l’arrêt. Voici la formule : « il importe de déterminer si l’effet d’éviction qui résulte d’un tel système, désavantageux pour la concurrence, peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d’efficacité qui profitent également au consommateur ». Il n’est donc plus question de « contrepartie », de « prestation économique », ce qui renvoyait à une simple analyse de l’équilibre de l’accord dans la démonstration de la justification. La Cour évoque plutôt des « avantages en termes d’efficacité », expression assez nouvelle dans le langage communautaire 178 , qui embrasse peut‑être plus large. On pourrait ainsi imaginer la situation suivante : la remise n’a pas de contrepartie objectivement justifiée en termes d’économie d’échelle (le test est donc positif), mais elle présente des avantages en termes d’efficacité (elle protège contre le parasitisme). Dans ce cas, la formule de la Cour indique qu’il est possible que le système de remise soit sauvé. On voit dès lors tout l’apport de cette efficiency defence.

La Cour n’a certes pas dit autant que ce que nous faisons dire, de façon peut‑être optimiste, à cette formule de principe. Mais, on peut observer que le Conseil de la concurrence a récemment donné un certain crédit à cette interprétation. Dans l’affaire

174 Pour une synthèse, R. O’Donoghue et A. J. Padilla, The law and economics of article 82 CE, préc., p. 375 s. Adde, D.

Ridyard, Exclusionary Pricing and Price Discrimination Abuses Under Article 82 – An Economic Analysis » (2003), 23 (6) European Competition Law Review 286‑303 ; D. Spector, >From Harm to Competitors to Harm to Competition : One More Effort Please ! 2 European Competition Journal, Special Issue Art. 82 préc. ; adde A. Winckler, « Entre chien et loup, ou la loyauté mal récompensée », RLC 2005/5, n° 405, p. 113. 175 C’est en ce sens que BA soutenait en l’espèce qu’il est justifié de « récompenser les agents de voyages qui lui

permettaient d’augmenter ses ventes et d’ainsi couvrir ses coûts fixes grâce à l’apport de passagers supplémentaires ». 176 T.P.I.C.E., 30 septembre 2003, Michelin c/ Commission, aff. T‑203/01, Rec. p. II‑4071.

177 C.J.C.E., 15 mars 2007, C‑95/04 P, préc.

178 On ne trouve guère que dans l’arrêt Irish Sugar l’expression « efficacité économique » : T.P.I.C.E., 7 octobre

1999, Irish Sugar/Commission, aff. T‑228/97, Rec. p. II‑2969, pt. 189. : « si, certes, lʹ existence dʹune position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux‑ci sont menacés, la protection de la position concurrentielle d une entreprise en position dominante réunissant les caractéristiques de celle de la requérante à lʹ époque des faits litigieux, doit, à tout le moins, pour être légitime, être fondée sur des critères d efficacité économique et présenter un intérêt pour les consommateurs. » Nous soulignons.

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TRANSMONTAGNE 179 , le Conseil indique que « dans la recherche de cet effet d éviction ‑ toujours central lorsquʹ il sʹ agit de qualifier un abus de position dominante ‑, lʹ absence de contrepartie réelle d une remise tarifaire, qui indique a priori le manque de rationalité économique du comportement de lʹ entreprise, peut être un indice utile. Mais, à lʹ inverse, lʹ entreprise doit avoir la possibilité de démontrer, même dans ce cas, que sa stratégie tarifaire génère des gains d efficacité dont une partie est restituée aux consommateurs. A cet égard, lʹ existence d une forte élasticité de la demande en fonction du prix selon les différents segments de clientèle ‑ qui peut justifier une stratégie rationnelle de différenciation tarifaire ‑ doit être prise en compte (pt. 119). » Cette décision ouvre bien la possibilité de rapporter la preuve de gains d’efficacité autres que la présence de contrepartie réelle au système de remises (« même dans ce cas »). 58. L’apport de l’arrêt Microsoft. Dans son arrêt MICROSOFT 180 a montré plusieurs

signes indiquant une certaine faveur à l’égard de la règle de raison dans le contrôle de l’article 82 CE. L’un des plus notables concerne celui manifesté en matière de ventes liées car il est d’usage de considérer que ces pratiques sont interdites per se. Le Tribunal pose ici expressément un nouveau critère d’appréciation : l’absence de justification objective au comportement reproché (§ 869 et § 1091 s.). Certes, il était déjà question de « justifications objectives » dans les arrêts de principe sur la vente liée. Cependant, la notion n’y était pas présentée comme une condition proprement autonome des autres ; il s’agissait plutôt de permettre à l’entreprise dominante de démontrer que la vente liée était justifiée par la nature du produit ou les usages commerciaux du secteur au sens que l’article 82 CE sous d) donne à ces notions 181 . Dorénavant, l’entreprise dominante se verra offrir la possibilité de justifier son comportement par ses effets proconcurrentiels. L’arrêt conduit ainsi à penser que la question des justifications objectives n’est plus vraiment envisagée comme elle l’était de façon traditionnelle 182 , c’est‑à‑dire dans le cadre de la discussion des critères de qualification d’abus, mais plutôt dans une perspective nouvelle de rachat du comportement litigieux. En tout état de cause, il éloigne encore un peu davantage du contentieux des ventes liées le modèle de l’interdiction per se 183 . On retrouve, en outre, dans le passage de l’arrêt relatif aux justifications objectives des

développements qui ne jurerait pas dans une discussion autour des conditions d’exemption d’une entente. Par exemple, Microsoft avançait qu’une normalisation de fait de son logiciel de lecteur multimédia présentait des avantages pour les consommateurs ou encore que ceux‑ci préféraient disposer d’un PC « prêt à l’emploi » (pts 1091 s.). Le Tribunal rétorque cependant que ces avantages pourraient être obtenus par d’autres moyens moins nocifs pour la concurrence. Cela rappelle la condition du caractère indispensable de la restriction de l’article 81§3 a) CE...

179 Cons. conc., 2 mai 2007, décis. n° 07‑D‑14, préc.

180 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, préc.

181 T.P.I.C.E., 12 décembre 1991, aff. T‑30/89, Hilti, Rec. p. II‑1439, pts 96 s. ; TPICE, 6 octobre 1994, aff. T‑83/91,

Tetra Pak, Rec. p. II‑755, n° 136 s. 182 Sur cette approche classique des justifications objectives, voy. supra n° 45.

183 Sur ce débat, L. Idot, « Les ventes liées après les affaires Microsoft et GE/Honeywell », Concurrences n° 2‑2005,

p. 31, n° 44.

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2.­ La question des règles de preuve

59. Mise au point des règles de preuve. Un apport important de l’arrêt MICROSOFT 184 tient dans sa contribution au régime de la preuve d’éventuelles justifications objectives. Cette contribution est d’autant plus notable que le Tribunal semble avoir entendu donner une portée doctrinale à ses propos : on retrouve la même formule autant s’agissant de la vente liée que s’agissant du refus de contracter.

On sait que la question de la charge de la preuve des justifications objectives est actuellement discutée 185 . La Commission plaide pour que la preuve doive être administrée par l’entreprise dominante 186 , ne serait‑ce que parce qu’elle seule est en mesure de connaître les raisons de son comportement 187 . D’un autre côté, des auteurs proposaient de ne faire supporter à l’entreprise dominante que la charge d’avancer des arguments précis en faveur de l’existence de justifications objectives, mais pas de « preuve » au sens strict du terme 188 . Jusqu’à présent, la jurisprudence ne semblait pas avoir adopté de solution de principe claire sur ce point, même si elle penchait plutôt vers le parti soutenu par la Commission 189 .

Dans son arrêt Microsoft, le Tribunal indique que « si la charge de la preuve quant à l’existence des circonstances constitutives d’une violation de l’article 82 CE repose sur la Commission, c’est toutefois à l’entreprise dominante concernée, et non à la Commission, qu’il incombe, le cas échéant, et avant la fin de la procédure administrative, de faire valoir une éventuelle justification objective et d’avancer, à cet égard, des arguments et des éléments de preuve. Il appartient ensuite à la Commission, si elle entend conclure à l’existence d’un abus de position dominante, de démontrer que les arguments et les éléments de preuve invoqués par ladite entreprise ne sauraient prévaloir et, partant, que la justification présentée ne saurait être

184 T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, préc.

185 Pour une synthèse et d’intéressantes propositions, A.‑L. Sibony et E. Barbier de la Serre, « Charge de la preuve

et théorie du contrôle en droit communautaire de la concurrence : pour un changement de perspective », RTDeur. 2007, p. 205, spéc. p. 220 s. 186 Discussion paper préc. p. 24.

187 Voy. en ce sens E. Paulis, The Burden of Proof in Article 82 cases, Fordham Conference, New York, 14‑16

September 2006, 6.7.2006 http://ec.europa.eu/comm/competition/speeches/text/sp2006_014_en.pdf. En bonne logique, cet argument ne vaut que lorsque la justification objective consiste dans la preuve de la rationalité économique du comportement adopté. Il est moins pertinent s’il est question, par exemple, de rapporter la preuve d’un gain d’efficience procuré aux consommateurs. Mais l’auteur invoque aussi l’adage ei incumbit probatio qui dicit, non qui negat. 188 En part. R. Nazzini, The wood began to move : an essay on consumer welfare, evidence and burden of proof in

article 82 cases, 4 European Law Review, 2006, p. 518. Selon l’auteur, la Commission aurait donc la charge de la preuve (négative) de l’absence de justifications objectives si l’entreprise dominante parvient à rapporter des arguments précis. Dans le même sens, A.‑L. Sibony et E. Barbier de la Serre, « Charge de la preuve et théorie du contrôle en droit communautaire de la concurrence... », préc. : « la charge de la preuve, entendue au sens de legal burden of proof, c’est‑à‑dire le fardeau de la persuasion, devrait peser sur la Commission, même pour les justifications objectives » (§ 25). 189 T.P.I.C.E., 30 septembre 2003, Michelin c/ Commission, aff. T‑203/01, Rec. p. II‑4071 : pt. 107 s. qui reproche au

défendeur une argumentation trop générale impropre à démontrer l’existence de justifications objectives.

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accueillie (pts 688 et 1144) ». La formule nous paraît assez claire : c’est à l’entreprise dominante de rapporter, en faveur de l’existence de justifications non seulement des « arguments » mais aussi des « éléments de preuve ». Une fois cette preuve administrée, c’est à l’autorité poursuivante de démontrer que cette justification ne saurait « prévaloir ». On en conclut que c’est à la Commission qu’il appartient de mettre en balance les avantages et inconvénients de la pratique litigieuse, ce qui dispense donc le défendeur de cette tâche assez ardue, même s’il est évident qu’il ne pourra occulter d’apporter des éléments sur ce point 190 . En résumé, même si le « fardeau de la persuasion » 191 incombe en dernier lieu à la Commission, il est clair que les deux parties devront convaincre que la balance des effets de la pratique litigieuse penche dans leur sens.

Cette formule livre encore un autre enseignement, d’ordre plus théorique. Le Tribunal indique que la Commission peut combattre les arguments établissant une justification objective « si elle entend conclure à l’existence d’un abus de position dominante ». La discussion des justifications objectives est donc placée dans le cadre de la qualification d’abus. C’est une façon de fonder l’admission d’une efficiency defence : il n’est pas besoin d’un texte comparable à l’article 81§3 CE, l’article 82 suffit si l’on considère que c’est la qualification d’abus elle‑même qui dépend de l’admission des justifications objectives. Au fond, du point de vue du Tribunal, si le défendeur convainc des justifications objectives, l’abus n’est pas à proprement parler « racheté », c’est plutôt qu’il n’y a pas abus du tout.

60. Mise en application des règles de preuve. Quoi qu’il en soit, l’affaire MICROSOFT a aussi laissé croire qu’il ne sera pas aisé de convaincre l’autorité de contrôle de l’existence même d’effets proconcurrentiels. On peut évoquer à cet égard la façon dont le Tribunal a apprécié les arguments de Microsoft sur la question de l’incidence d’une licence obligatoire sur ses incitations à innover. Microsoft avançait que si on l’obligeait à accorder une licence sur ses informations d’interopérabilité protégées, cela affaiblirait ses incitations futures à investir dans la création de propriétés intellectuelles. Cette question est, en effet, tout à fait essentielle.

Une première difficulté tenait dans la nature même du test applicable sur ce point. La Commission avait semblé mettre en œuvre un test peu favorable à Microsoft : elle paraissait avoir mis en balance d’un côté l’effet négatif de la licence obligatoire sur les incitations à innover du créateur et, de l’autre, l’effet positif sur le niveau général de l’innovation dans le secteur. Etait‑ce un nouveau test ? Le Tribunal réfute cette idée : la seule balance à réaliser concerne, d’une part, les circonstances exceptionnelles justifiant la licence obligatoire et, d’autre part, la sauvegarde des incitations à innover de l’entreprise dominante. En somme, la position du Tribunal est plutôt favorable à Microsoft sur ce point tant il est vrai que la démonstration attendue par la Commission a

190 Voy. en ce sens, E. Paulis : “The dominant firm has not only to prove the existence of efficiencies but also that they are

sufficient to outweigh the likely negative effects. The balancing is an inseparable element of the efficiency defence. If the alleged efficiencies are not sufficient to outweigh the negative effects, the defence is not effective. The defendant company can only win if it demonstrates sufficient countervailing positive effects which at least neutralise the alleged negative effects.” In The Burden of Proof in Article 82 cases, préc. 191 Cette heureuse expression est due à A.‑L. Sibony et E. Barbier de la Serre, « Charge de la preuve et théorie du

contrôle en droit communautaire de la concurrence... », préc., pt. 25.

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tout d’une preuve diabolique 192 .

De toute façon, une telle mise en balance n’a pas été nécessaire en l’espèce car Microsoft n’est pas parvenu, préalablement, à administrer la preuve que ses incitations à innover pâtiraient d’une licence obligatoire. Selon le Tribunal, de nombreux éléments attestaient que les incitations à innover de Microsoft étaient intactes. Surtout, Microsoft n’avait pas suffisamment argumenté sa thèse sur ce point. En somme, ici, la preuve exigée n’est pas diabolique, mais il faut tout de même rapporter de forts éléments de conviction et ne pas se contenter de généralités... Ce n’est pas le moindre des enseignements de cet arrêt Microsoft : la modernisation du contrôle des abus de position dominante est, pour une large part, entre les mains des entreprises dominantes elles‑ mêmes.

61. Conclusion. La réforme est en ordre de marche. Nous l’avons constaté à plusieurs signes. D’une part, la caractérisation de l’abus par l’autorité de contrôle recèle de nouveaux ressorts : les tests traditionnels font l’objet d’une rénovation, parfois discrète, comme en matière tarifaire, parfois plus visible, comme en matière de vente liée. L’esprit de modernisation n’est jamais bien loin. Une autre preuve peut en être trouvée dans la vérification de plus en plus fréquente des effets réels d’exclusion de la pratique litigieuse. Encore à l’état embryonnaire, cette recherche est naturellement motivée par le souci d’une approche plus pragmatique de la qualification d’abus. C’est aussi, et peut‑ être surtout, du côté des moyens de défense que, d’autre part, la modernisation de l’abus de position dominante est sensible. La prise en compte des justifications objectives, même si elle paraît encore prudente – songeons aux positions prises par nos autorités de contrôle sur la question de la meeting competition defence – en est un premier signe. Mais l’on ne pourra dire que l’aggiornamento du contrôle des abus est réalisé que lorsqu’un autre moyen de défense, l’efficiency defence, donnera lieu à ses premières illustrations jurisprudentielles significatives, au‑delà, donc, de simples effets d’annonces.

En résumé, il nous semble clair que l’abus d’aujourd’hui n’est plus tout à fait celui d’hier. Pour autant, il n’est sans doute pas encore l’abus de demain. Que manque‑t‑il à nos règles pour que la modernisation soit pleinement achevée ?

D’abord, il manque sans doute un ou plusieurs textes fondateurs – des lignes directrices ou, pourquoi pas ?, un texte plus contraignant. Il n’est pas bon de construire sans cela, en termes de prévisibilité et, reconnaissons‑le, de légitimité du contrôle. En outre, on connaît le poids que l’élaboration d’un droit exclusivement jurisprudentiel fait peser sur nos entreprises. Ensuite, la modernisation de l’abus ne pourra faire l’économie d’une vraie réflexion fondamentale sur les objectifs du droit de la concurrence en général et du contrôle de l’abus en particulier. Des réponses à quelques questions simples doivent être apportées : le nouveau credo du droit de la concurrence est‑il bien, comme

192 Sur la complexité d’une mise en balance des incitations particulières et générales à innover, voy. F. Lévêque,

« La décision du TPICE contre Microsoft : où est passée l’économie ? », préc. Sur le sujet, voy. encore S. Vezzoso, The incentives balance test in the EU Microsoft case : a pro‑innovation ‘‘economic‑based’’ approach, 27 European Competition Law Review7, 385 (2006).

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l’indique la Commission 193 , le bien‑être du consommateur et l’allocation efficace des ressources ? Le standard ordolibéral de la liberté d’action, le concept de « responsabilité particulière, voire l’objectif d’intégration européenne, doivent‑ils alors faire place nette 194 ? Est‑il question d’adopter une approche « plus » économique de l’abus ou plutôt de se livrer pleinement à une approche par les effets ? Dans ce dernier cas, le maintien de tests fera‑t‑il long feu ? C’est un important défi pour l’avenir que d’y répondre. Car à défaut, et donc pour l’heure, il nous apparaît que l’abus, en droit de la concurrence, est encore une vieille notion neuve 195 .

UN AN DE PRATIQUES UNILATERALES (2007)

par David Bosco Maître de conférences à

l’Université Aix Marseille III david.bosco@univ‑cezanne.fr

SOMMAIRE

I.­ Caractérisation de l’abus par l’autorité de contrôle

A.­ Les tests en matière tarifaire ­ La prédation (T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, France Telecom SA c. Commission, Cons. conc., 14 mars 2007, GlaxoSmithKline) ­ Le ciseau tarifaire (Margin Squeeze) (Comm. CE, 4 juillet 2007, Wanadoo Espana/Telefonica ; Cons. conc., 11 juillet 2007, TDF ; Cons. conc., 28 juin 2007, Direct Energie) ­ Les remises de fidélité (Cons. conc., 12 mars 2007, Ciment Corse, C.J.C.E., 15

193 Discussion paper, préc. pt. 4.

194 Voy. supra n° 5.

195 L’expression est évidemment empruntée à G. Couturier, « L’ordre public de protection, heurs et malheurs

d’une vieille notion neuve », Études J. Flour, Defrénois, 1979, p. 95.

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mars 2007, British Airways plc)

B.­ Les tests en matière non tarifaire ­ La vente liée (T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, Microsoft c. Commission) ­ Le refus de contracter (T.P.I.C.E., 15 octobre 2007)

C.­ La prise en compte des effets de l’abus

II.­ Moyens de défense de l’entreprise dominante

A.­ Contestation de l’existence d’une stratégie anticoncurrentielle ­ L’absence d’autonomie commerciale (Comm. CE, 4 juillet 2007, Wanadoo Espana/Telefonica ; Cons. conc., 28 juin 2007, Direct Energie) ­ L’exception d’alignement (T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, Wanadoo ; Cons. conc., 14 mars 2007, GlaxoSmithKline ; Comm. CE, 4 juillet 2007, Wanadoo Espana/Telefonica)

B.­ Démonstration de l’existence d’effets proconcurrentiels ­ Un enjeu de la modernisation du contrôle de l’abus (Cons. conc., 13 septembre 2007, Port du Havre) ­ La conception étroite rappelée par l’arrêt British Airways ? (C.J.C.E., 15 mars 2007) ­ Les avancées de l’affaire Microsoft (T.P.I.C.E., 15 octobre 2007)

RÉFÉRENCES DES DÉCISIONS

(Abus de position dominante 2007)

­ Sources Communautaires

C.J.C.E., 15 mars 2007, C‑95/04 P, British Airways plc, Europe n° 5, mai 2007, comm. 142, note L. Idot ; Concurrences n° 2‑2007, p. 115, obs. C. Prieto et Clunet avril‑juin 2007, p. 659, note C. Prieto ; RLC 2007 n° 12, p. 28, obs. C. Robin

T.P.I.C.E., 15 octobre 2007, aff. T‑201/04, Microsoft c. Commission, Petites affiches, 21 novembre 2007, n° 233, p. 3, note P. Arhel ; Contrats, conc., consomm., n° 10, Octobre 2007, Alerte 47, M. Debroux ; JCP 2007, éd. E, 2304, note M. Debroux ; Europe n° 11, Novembre 2007, comm. 314, note L. Idot, Concurrences n° 4‑2007, p. 78, obs. C. Prieto ; RLC 2008 n° 14, p. 29, obs. C. Robin ; Gaz. Pal., 20 octobre 2007, n° 293, p. 11, obs. J.‑C. Zarka ; Contrats, conc., consomm. n° 11, Novembre 2007, p. 28, note D. Bosco. Voy. encore L. Idot, « L’arrêt Microsoft : simple adaptation ou nouvelle interprétation de l’article 82 CE ? », Europe n° 12, Décembre 2007, Etude 22 ; F. Levêque, « La décision du TPICE contre Microsoft : où est passée l’économie ? », RLC Janvier/Mars 2008, p. 22 ; C. Prieto, « La condamnation de Microsoft ou l’alternative européenne à l’antitrust américain », D. 2007, p. 2884

T.P.I.C.E., 12 septembre 2007, aff. T‑60/05, UFEX, DHL Express SAS, CRIE SA c. Commission, Concurrences n° 4‑2007, p. 76, obs. L. Flochel

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T.P.I.C.E., 24 mai 2007, aff. T‑151/01, Der Grüne Punkt – Duales System Deutshland GmbH c. Commission, Concurrences n° 3‑2007, p. 94, obs. C. Prieto ; RDC 2007‑4, p. 1181, obs. C. Prieto ; RLC 2007, n° 12, p. 29, obs. V. S. et S. C.

T.P.I.C.E., 30 janvier 2007, aff. T‑340/03, France Telecom SA c. Commission, Contrats, conc., consom. n° 3, Mars 2007, comm. 74, note G. Decocq ; Concurrences n° 2‑2007, p. 115, obs. L. Flochel ; Europe n° 3, Mars 2007, comm. 99, note L. Idot ; RDC 2007‑3, p. 776, obs. C. Prieto et A.‑ L. Sibony, « Les prix prédateurs entre la lettre de la jurisprudence et l’esprit du raisonnement économique : à propos de l’arrêt Wanadoo », Les Petites Affiches, 6 juin 2007, p. 14

Comm. CE, 4 juillet 2007, Wanadoo Espana/Telefonica, aff. COMP/38.784, Communication, commerce électronique n° 11, Nov. 2007, comm. 133, obs. M. Chagny ; Concurrences n° 4‑2007, p. 76, obs. L. Flochel ; Gaz. Pal., 25 août 2007, n° 237, p. 4

­ Sources nationales

C. cass., com., 20 novembre 2007, n° 06‑20262, non pub. C. cass., com., 23 octobre 2007, n° 0617.852, France Telecom, Contrats, conc., consom., n°

12, Décembre 2007, comm. 308, note G. Decocq ; Europe n° 12, Décembre 2007, comm. 355, obs. L. Idot ; Concurrences n° 2008‑1, obs. C. Prieto

C. cass., com., 20 février 2007, n° 0612424, Bull. civ. ; D. 2007, p. 724, obs. E. Chevrier

Paris, 1 ère ch. H, 24 août 2007, n° 2007/13005, contre Cons. conc., 11 juillet 2007, décis. n° 07‑MC‑05, Towercast, Contrats, conc., consomm. n° 10, Octobre 2007, obs. G. Decocq

Paris, 1 ère ch. H, 13 juillet 2007, SA France Telecom c. Soc. Solutel, Juris‑data n° 2007‑ 344763

Paris, 1 ère ch. H, 26 juin 2007, Sté KalibraXE, disponible sur le site du Conseil de la concurrence ; RDC 2007‑4, p. 1171, obs. L. Idot

Paris, 1 ère ch. H, 13 mars 2007, contre Cons. conc., 6 juin 2006, décis. n° 06‑D‑12, Distribution de commodités chimiques, Concurrences n° 2‑2007, p. 118, obs. C. Prieto

Paris, 1 ère ch. H, 23 janvier 2007, SARL Pharma‑Lab, Juris‑data n° 2007‑324831 confirmant Cons. conc., 20 décembre 2005, décis. n° 05‑D‑72 relative à des pratiques mises en œuvre par divers laboratoires dans le secteur des exportations parallèles de médicaments, Concurrences 2006‑1, p. 139, obs. A. Wachsmann, RDC 2006, p. 346, obs. C. Prieto

Cons. conc., 11 décembre 2007, décis. n° 07‑D‑44 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Ciné Alpes, Concurrences n° 1‑2008, obs. C. Prieto ; Contrats, conc., consomm. Février 2008, p. 30, obs. D. Bosco

Cons. conc., 10 décembre 2007, décis. n° 07‑D‑43 relative à des pratiques mises en œuvre par Electricité de France, Contrats, conc., consomm., février 2008, comm. n° , obs. M. Bazex ; JCP 2008, éd. E., obs. D. Bosco, à paraître

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Cons., conc., 30 novembre 2007, décis. n° 07‑D‑42 relative à certaines pratiques mises en oeuvre par les sociétés Blédina, Nestlé, Sodilac, Nutricia‑Milupa et leur syndicat professionnel sur le marché des laits infantiles

Cons. conc., 23 novembre 2007, décis. n° 07‑D‑39 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport ferroviaire de personnes sur la route Paris‑Londres, RLC 2008, n° 14, p. 30, obs. V. Sélinsky ; Concurrences n° 1‑2008, obs. A. Wachsmann ; Contrats, conc., consomm. Janvier 2008, n° 21, p. 31, obs. D. Bosco

Cons. conc., 15 octobre 2007, décis. n° 07‑D‑33 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société France Télécom dans le secteur de lʹaccès à Internet à haut débit, RLC Janvier/Mars 2008, p. 18, note P. Arhel ; Concurrences n° 4‑2007, obs. C. Momège et n° 1‑2008, obs. C. Prieto ; Contrats, conc., consomm. Décembre 2007, n° 307, p. 27, obs. D. Bosco

Cons. conc., 5 octobre 2007, décis. n° 07‑D‑30 du 5 octobre 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société TDF dans le secteur de la diffusion hertzienne terrestre des services audiovisuels en mode analogique

Cons. conc., 13 septembre 2007, décis. n° 07‑D‑28 relative à des pratiques mises en œuvre par le port autonome du Havre, la Compagnie industrielle des pondéreux du Havre, la Société havraise de gestion et de transport et la société Havre Manutention, Concurrences n° 4‑2007, p. 150, obs. J.‑Ph. Kovar et p. 74, obs. A. Wachsmann

Cons. conc., 12 juillet 2007, décis. n° 07‑D‑23 relative à la saisine de la SA Edition presse magazines 2000 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Nouvelles messageries de la presse parisienne NMPP, Concurrences n° 4‑2007, p. 73, obs. A. Wachsmann

Cons. conc., 11 juillet 2007, décis. n° 07‑MC‑05 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société TowerCast, Contrats, conc., consomm. n° 10, Octobre 2007, obs. G. Decocq

Cons. conc., 28 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑04 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Direct Energie, Contrats, conc., consomm. n° 8, Août 2007, comm. 215, obs. G. Decocq, Octobre 2007, n° 10, comm. 242, note M. Bazex, Novembre 2007, Chron. 4, comm. n° 7, obs. A. Sée, Concurrences n° 3‑2007, p. 101, obs. L. Flochel, p. 144, obs. C. Lemaire et p. 154, obs. D. Lescop, RDC 2007‑4, p. 1171, obs. L. Idot ; Gazette du Palais, 25 août 2007 n° 237, p. 21

Cons. conc., 7 juin 2007, décis. n° 07‑MC‑03 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Solutel, Concurrences n° 3‑2007, p. 103, obs. L. Flochel, p. 144, obs. C. Lemaire

Cons. conc., 16 mai 2007, décis. n° 07‑D‑18 relative à des pratiques mises en œuvre sur le secteur du cidre et des pommes à cidre, Concurrences n° 3‑2007, p. 102, obs. L. Flochel

Cons. conc., 2 mai 2007, décis. n° 07‑D‑14 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra‑Loup, Concurrences n° 3‑2007, p. 95, obs. A. Wachsmann

Cons. conc., 25 avril 2007, décis. n° 07‑MC‑01 relative à une demande de mesures conservatoires de la société KalibraXE, RDC 2007‑4, p. 1171, obs. L. Idot ; Concurrences n° 3‑ 2007, p. 99, obs. A. Wachsmann ; RLC n° 12, p. 31, obs. V. Sélinsky

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Cons. conc., 6 avril 2007, décis. n° 07‑D‑13 relative à des nouvelles demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, Concurrences n° 3‑2007, p. 97, obs. A. Wachsmann

Cons. conc., 28 mars 2007, décis. n° 07‑D‑12 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du chèque cinéma

Cons. conc., 14 mars 2007, décis. n° 07‑D‑09 relative à des pratiques mises en œuvre par le laboratoire GlaxoSmithKline France, BOCCRF Concurrences n° 2‑2007, p. 110, obs. A. Wachsmann et L. Flochel et A.‑L. Sibony, « Retour sur la méthode de qualification des prix prédateurs », RLC 2007, n° 12, p. 17

Cons. conc., 12 mars 2007, décis. n° 07‑D‑08 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse, Concurrences n° 2‑ 2007, p. 116, obs. C. Prieto ; RLC 2007, n° 12, p. 27, obs. V. S. et S. C.

Cons. conc., 28 février 2007, décis. n° 07‑D‑06 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des consoles de jeux et de jeux vidéo, Concurrences n° 2‑2007, p. 118, obs. C. Prieto