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Association Le Lazaret OllandiniColonna Édition
E x p o s i t i o n a u L a z a r e t - O l l a n d i n i , A j a c c i o – 6 d é c e m b r e 2 0 0 8 •> 3 1 j a n v i e r 2 0 0 9
Bassoul – Canavaggio – Frassati
Pierre Claude Giansily
La peintureà Ajaccio, 1890-1950
Cet ouvrage est disponible à la vente sur
www.lazaretollandini.com
a peinture
Bassoul – Canavaggio – Frassati
Pierre Claude Giansily
Association Le Lazaret OllandiniColonna Édition
E x p o s i t i o n a uLazaret Ollandini6 décembre 200831 janvier 2009
Là Ajaccio1890-1950
Première partie :
La création artistique à Ajaccio de 1890 à 1950 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Vie culturelle et artistique à Ajaccio à la fin du XIXe siècle : 1890-1900 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
La poursuite d’un certain engouement pour les arts : 1900-1914 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
La création de la galerie Bassoul en 1913 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
La grande vogue de la Corse et des artistes corses : années 1920-1930 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Les années 1940 dans le domaine des arts à Ajaccio :
léthargie contrainte et amorce d’un renouveau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
Deuxième partie :
Trois peintres de l’Ecole d’Ajaccio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Jean-Baptiste Bassoul (1875-1934), pionnier et promoteur
de la peinture à Ajaccio et en Corse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Jean Canavaggio (1884-1941), pédagogue et peintre sensible, au classicisme certain. . . . . . . . . . . 99
Dominique Frassati (1896-1947), réalisme, sentiment et grande force créatrice . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Troisième partie
Les peintres étrangers en Corse et à Ajaccio . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197
ommaire S
résentationP Par François Ollandini
Bassoul. Je connais ce nom depuis ma plus
tendre enfance.
Bassoul, galerie. Je savais depuis toujours qu’il
y avait, de l’autre côté de la place, face au Lycée
Fesch que je fréquentais alors pour peu de temps,
un lieu, inconnu de moi, mais dont j’entendais
parler autour de moi, en famille. J’en entendais
parler comme par effraction, par hasard, comme
s’il ne fallait pas parler de ces « choses-là » devant
les enfants, comme si c’était là un secret
d’adultes. Comme si l’enfant que j’étais n’en
pouvait rien comprendre et n’aimer rien. Zone
interdite. La religion, oui ; l’art, non.
Il est dommage que je ne sois pas né quinze ans
avant, alors que commençait l’aventure de « La
Corse Touristique » que mon grand-père
maternel, François Pietri, avait éditée de 1924 à
1934. Dommage que cette aventure se soit
terminée cinq ans avant ma naissance. Dommage
que mon grand-père soit décédé deux ans seule-
ment après ma naissance. Sinon, j’aurais connu
cette effervescence, ce milieu de vie qu’a été la
galerie Bassoul dans les années vingt et trente,
ce vivier de talents qu’il fréquentait assidûment
et que j’aurais peut-être fréquenté avec lui.
Je ne suis donc jamais entré dans la galerie, mais
je savais depuis toujours que, là-bas, il y avait un
endroit d’un autre monde, un antre d’exposition
où les murs exultaient. Je sais bien maintenant
qu’il n’y a qu’un seul monde. Mais s’il devait y en
avoir un autre, ne serait-ce pas celui de l’art ? Et
l’artiste, lorsqu’il est puissant, n’est-il pas
créateur de ce nouveau monde ? Ne nous fait-il
pas regarder notre monde autrement ? Regarder
le monde, justement, avec les yeux de l’enfance ?
Comme un monde enfin redevenu nouveau,
insolite, paradoxal. Ne nous fait-il pas naître de
nouveau ?
Bassoul, peintre. Le monde de Bassoul est bien
un monde en soi. J’ai accroché une des étoiles
de cet univers au-dessus de ma table de travail,
au Lazaret, et je suis parti loin, très loin, avec ces
« Voiliers charbonniers », dès qu’ils ont été en
ma possession. Depuis, j’en ai acquis bien
d’autres. Ils deviendront, eux aussi, la nue-
propriété du Musée Fesch dès sa réouverture,
– pour Marie-Jeanne et moi, ils y sont déjà –
s’ajoutant à tous ceux que nous lui avons déjà
offerts.
Et me voici, aujourd’hui, devant un de ceux qui
me sont présentés, « La Treille » par exemple.
Un mur, une treille. Seulement un mur et une
treille. Mais il ne peut pas y avoir plus « mur »
que ce mur-là. Mais il ne peut pas y avoir plus
« treille » que cette treille-là. Je ne saurais plus
voir un mur sans revoir le velouté de ce mur-là.
Je ne saurais plus voir une treille sans revoir la
vivacité de cette treille-là. Cela est. Cela a la
matérialité de la matière. Cela a la densité de ce
qui est toujours au présent. Oui, un monde. Plus
réel que le réel. Plus vivant que le vivant. Un réel
qui a déplacé l’autre. Qui a raturé l’autre. Un
vivant qui s’est ajouté, de grande manière, à
l’ensemble des vivants. Qui s’est substitué à
l’ensemble des autres vivants.
Je passe d’une toile à l’autre, d’une étoile à l’autre.
Et à chaque fois la matière m’accroche, m’arrache
à mon monde et me fait pénétrer dans le sien.
C’est fort, c’est violent. À peine levé le pied et je
décolle, propulsé vers une destination inconnue
et pourtant posée devant moi. Un trou noir. Plus
je m’approche, plus il m’accroche. Plus j’y
pénètre, plus il m’englue. Et cela sans fin si je le
veux. Ici, tout est essentiel. Rien en trop, rien de
trop. Seulement ce qui est nécessaire et suffisant.
Une œuvre.
Et, à chaque fois, pour revenir à mon monde,
celui que j’ai quitté, c’est un arrachement. Et c’est
un désenchantement. De nouveau, les choses
diverses et insignifiantes. De nouveau, le trop
plein. La vie ordinaire. L’ordinaire de la vie.
Canavaggio, peintre. Avant cette exposition, je
n’avais vu aucun tableau de Canavaggio, mais ce
peintre ne m’était pas inconnu. Comme bien
d’autres, comme Bassoul, Bouchet, Brod, Chieze,
Corbellini, Corizzi, Cossard, Peri, Peyrot, Strauss,
je le connaissais même depuis longtemps, depuis
que je feuilletais et refeuilletais les revues de « La
Corse Touristique ». Il était l’un de ses « colla-
borateurs artistiques ». Combien de fois
m’étais-je arrêté sur l’une de ces reproductions
en noir et blanc, je ne sais. Mais j’avais alors aimé
les traits affirmés et les constructions solides de
ce peintre dont j’ignorais tout des couleurs.
Me voici aujourd’hui devant plusieurs de ses
tableaux, et j’aime que, chez lui, la couleur le
dispute ainsi au dessin, s’impose à lui sans le faire
disparaître, cherche dans l’autre couleur sa
meilleure expression, et l’autre de même, pour
nous donner une palette ordonnée, à chaque fois
précise et riche, et toujours efficace. Dextérité,
sincérité, luminosité. Plus encore : il y a de la
tendresse en lui, et ses tableaux nous le disent.
Frassati, peintre. Voila le peintre de ma famille.
Ma grand-mère maternelle, Adeline Pietri, en
possédait une quinzaine. Alors qu’elle avait tenu,
avec rigueur et rondeur, une bijouterie-antiquité,
avenue du Premier Consul, véritable caverne
d’Ali Baba où je me perdais, enfant, avec délice,
voilà que, lors de sa succession, la chose la plus
désirée, la plus appréciée fut de distribuer, avec
le plus d’équité, toutes ces petites merveilles. Que
l’on soit des Glory, des Ollandini, des Pietri, des
Pozzo di Borgo, des Ropion, ce que nous retenons
de notre grand-mère, outre son cœur énorme et
son sourire de madone, c’est bien sa collection
de Frassati. Pour cette exposition, j’ai pu en
récupérer huit. J’aurais dû faire mieux.
Frassati, est-il mon préféré, je ne sais. Mais, avec
lui, il y a une atmosphère collective à la fois
sereine et jubilatoire. Ce qui m’attire le plus chez
lui ? Pas le portrait, pas le paysage, mais les gens.
Qui ? Eux, vous, nous, qu’importe ! En quel
temps ? Aujourd’hui, hier, avant-hier, qu’im-
porte ! En quel lieu, qu’importe ! C’est toujours
ici et maintenant. C’est tous les ici et tous les
maintenant du monde. C’est de tous lieux et de
tout temps. C’est toujours cette présence à l’être,
stupéfiante. C’est toujours cet oubli de soi pour
que l’autre existe. Avec Frassati, nous existons.
Nous lisons le journal, nous jouons aux cartes,
nous radoubons les filets, nous retournons au
village, ici la veillée, ici les musiciens, chants et
masques, violon et guitare, nous voici au marché,
chez le barbier, sur la plage, au port, la prome-
nade au parc, lecture à la campagne, perdus dans
les coquelicots, au jardin, il fait si bon sous la
treille, nous dansons, frac et crinolines, nous
suivons une procession, curés et pénitents, les
communiantes, la fête au cabaret, la fête à la
ferme, la fête au bord de l’eau, la fête partout. La
fête de la vie. La force de la vie. L’instinct de la
vie.
Et de sa peinture. Vive, foisonnante, multiple,
bariolée, carnavalesque, arlequine. Par sa
peinture, nous sommes tous des tissus d’arlequin.
Métissés, ensemble, heureux. Il y a, dans Frassati,
une euphorie, une plénitude : cela s’appelle la joie
de vivre.
À laquelle, chacun est invité à participer.
François Ollandini
ntroductionI Par Pierre Claude Giansily
Le Lazaret Ollandini accueille aujourd’hui la troi-
sième exposition patrimoniale consacrée à la
peinture et aux peintres corses de la première
moitié du XXe siècle. Ce sont trois peintres de
l’École d’Ajaccio qui sont ainsi présentés, après
Léon Charles Canniccioni et Lucien Peri qui ont
bénéficié d’expositions particulières, en ce même
lieu, en décembre 2006-janvier 2007 pour le pre-
mier et décembre 2007-février 2008 pour le
second.
Avec Bassoul, Canavaggio et Frassati, on décou-
vre trois artistes et fortes individualités qui ont
avancé sur le chemin qu’ils s’étaient fixés, mal-
gré les difficultés et, parfois, les embûches. En
même temps, ils appartiennent à un courant qui
a toute sa place dans la définition de l’identité
corse telle qu’elle est conçue, avec ses antago-
nismes et ses diversités au cours de cette période.
Cette École d’Ajaccio appartient bien évidem-
ment à l’École Corse de peinture des XIXe et
XXe siècles dont on cerne mieux aujourd’hui la
qualité et la vigueur.
Elle représente bien ce courant d’un réalisme
régional fondé sur les valeurs traditionnelles et
les artistes qui la composent ont une place par-
ticulière car ils ont su montrer une Corse authen-
tique et mystérieuse, belle et attachante avec des
accents parfois imités, jamais égalés.
Ils ont créé un courant qui apparaît comme une
prise de conscience artistique nouvelle, la soli-
darité se substituant à l’individualisme, pendant
que chacun garde son style et son répertoire.
Le présent ouvrage évoque la création artistique
à Ajaccio de 1890 à 1950 afin de présenter un
panorama et dresser un inventaire de l’activité
artistique ; cette approche est notamment docu-
mentée par référence aux envois aux Salons pari-
siens et manifestations officielles de toute nature.
Les années de la fin du XIXe siècle permettent de
faire un état des lieux à Ajaccio « station d’hi-
ver » fréquenté par de nombreux étrangers, des-
tination recherchée, y compris par les peintres.
On appréciera ensuite la poursuite d’un certain
engouement pour les arts au cours des années
1900-1913 avant la période 1914-1919 qui consti-
tue à l’évidence une charnière dans de nombreux
domaines d’activité. Au cours des années 1920-
1930, c’est la grande vogue de la Corse et des
artistes corses. Le tourisme de masse prend son
essor et dans le même temps, les artistes affluent,
peignant avec encore plus d’ardeur les paysages
et les habitants de l’Île de Beauté. À Ajaccio, ils
fréquentent la galerie Bassoul qui est sans
conteste le lieu incontournable de rencontre et
d’expression des peintres. Intervient ensuite, au
cours des années 1940 une certaine léthargie
dans le monde des arts, prélude de l’amorce d’un
renouveau de la création artistique qui prend son
essor au cours des années 1950.
La deuxième partie de l’ouvrage présente trois
des principaux artistes qui ont des destins indi-
viduels très marqués. En regardant la vie et l’œu-
vre de ces artistes, on voit à quel point leur place
est complexe ; en raison de leur personnalité, de
la diversité de leurs talents et de leurs carrières.
Ils sont présentés en suivant l’ordre chronolo-
gique de leur naissance : Jean-Baptiste Bassoul
(1875-1934), peintre décorateur de formation,
excellent peintre de chevalet, pionnier et pro-
moteur de la peinture à Ajaccio et en Corse est
une figure de premier plan, de grande réputa-
tion. Jean Canavaggio (1884-1941), peintre bas-
tiais et ajaccien se singularise par un classicisme
certain et une attitude très rigoureuse dans le
traitement de ses sujets. Dominique Frassati
(1896-1947), peintre très attachant dont le réa-
lisme et la grande force d’expression sont atta-
chés à l’œuvre de celui qui fut conservateur des
musées de la ville et qui marque de son empreinte
la peinture à Ajaccio dans les années 1930-1940.
Ces artistes, et quelques autres, ont tenu toute
la place qui était la leur, notamment aux
moments les plus délicats de l’histoire de la
Corse, quand les circonstances n’étaient pas pro-
pices pour les arts.
La peinture de l’École d’Ajaccio a été en vogue à
Paris et au-delà des frontières nationales grâce
à certaines de ses individualités. Elle a retrouvé
un regain d’intérêt il y a vingt ans ; elle méritait
l’hommage qui lui est rendu par cette exposition
et le visiteur et le lecteur de cet ouvrage aura le
plaisir de faire avec nous une découverte com-
plète du travail de ces artistes.
Plaisir également de découvrir de nombreuses
œuvres appartenant aux collections du musée
Fesch et dont une part importante provient de
la donation François et Marie-Jeanne Ollandini,
réalisée en fin d’année 2007, augmentée en 2008
par de très belles pièces des meilleurs peintres
corses. Enfin, cette exposition illustre le parte-
nariat entre l’institution ajaccienne et l’associa-
tion « Le lazaret Ollandini » qui voit son impor-
tance s’accroître avec le temps, manifestation de
la dynamique des efforts engagés pour la pro-
motion de l’histoire de la peinture corse.
Pierre Claude Giansily
Commissaire de l’exposition
Première partie
La création artistiqueà Ajaccio de 1890 à 1950
Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle,
la Corse enregistre une importante poussée
démographique. Ajaccio et Bastia connaissent
un essor particulièrement visible dans le
domaine de l’urbanisme et de l’architecture. De
nouveaux équipements publics sont construits
pour répondre aux besoins liés à l’évolution
du temps et les progrès techniques amènent des
transformations dans le mode de vie des habi-
tants. La vie sociale, artistique et intellectuelle
connaît aussi un grand essor. Localement, les
évolutions sont menées par quelques person-
nalités qui, parmi d’autres, se voient confier la
responsabilité de certaines institutions ou la
mise en service de nouvelles structures.
À la fin du XIXe siècle, Ajaccio « station d’hi-
ver » 1, connaît une importante fréquenta-
tion touristique, notamment étrangère 2.
Destination vantée par les guides français et
étrangers, les magazines nationaux, les
affiches de transports maritimes, la ville se
transforme et se modernise. C’est près d’un
millier d’hivernants, en fait souvent une clien-
tèle aisée et au goût artistique assuré, qui
séjourne dans la ville et le chiffre de mille est
atteint en 1901. En matière de patrimoine
artistique, le touriste peut visiter à Ajaccio des
lieux, pour certains chargés d’histoire, et de
belle qualité esthétique et au contenu artis-
tique de choix. La bibliothèque municipale est
un de ces lieux. Elle est située dans l’aile
gauche du palais Fesch construite en 1850 aux
frais de la ville pour l’installation de la biblio-
thèque. Jouxtant la bibliothèque, le Musée
Fesch et ses collections enrichies par plusieurs
dons importants est un lieu de qualité, selon
les normes de l’époque ; ouvert au public le
jeudi et le dimanche de midi à quatre heures,
près de six cents tableaux y sont exposés dans
huit salles, sans logique affichée, collés les uns
aux autres, couvrant toutes les parois. Près du
musée, la chapelle impériale qui forme l’aile
droite du Palais Fesch ; l’architecte ajaccien
Jérôme Maglioli a apporté son concours à
l’exécution de ce monument qui présente une
belle allure, avec l’ensemble ainsi formé avec
le musée et la bibliothèque. La maison natale
de Napoléon 1er est partiellement meublée, peu
décorée. À partir de 1900, une des attractions
de la visite est la couronne en or réalisée par
l’orfèvre parisien Alexis Falize (1811-1898),
financée par souscription publique en 1899,
et offerte à la ville à l’occasion du centenaire
du consulat. Le Musée de l’Hôtel de Ville, mal-
gré son exiguïté présente de beaux objets 3.
1. La saison débute le1ernovembre pour s’achever le30 avril.2. Parmi les principales natio-nalités : les Anglais et lesAllemands.3. Dans une nouvelle salleouverte au public en 1898outre de nombreux objets liésà l’histoire de l’empereur, le visi-teur peut admirer une pré-cieuse collection de médailles.En 1900, la parution duCatalogue des tableaux, sta-tues, bustes, médailles, meu-bles du Musée de l’Hôtel deVille d’Ajaccio, réalisé parFrançois Peraldi constitue unoutil de référence sur lesrichesses de ce musée.
Vie culturelle et artistique à Ajaccioà la fin du XIXe siècle : 1890-1900
3
V
Autre lieu, en relation avec l’histoire
Napoléonienne, le château de la Punta, situé
près d’Ajaccio. Le théâtre municipal Saint
Gabriel (actuelle Poste, cours Napoléon) est
ouvert durant la saison d’hiver et propose des
spectacles de qualité, comme en 1901, quand
la troupe Amendo donne une série de repré-
sentations de comédies italiennes qui attirent
la foule. Ajaccio bénéficie d’une certaine ani-
mation avec les réceptions à la préfecture, à
la mairie et chez les notables en vue. Pour
les arts, des soirées sont données régulière-
ment en ville, comme celle du 6 février 1889,
dans les grands Salons de la mairie, au béné-
fice de la société des Amis des Arts en voie
de formation 4. On y apprécie le talent dans
leur interprétation de la musique classique de
MM. Casile et de Mme de la Rocca, épouse du
peintre Alfred de la Rocca, lui-même chan-
teur de talent. Il manque cependant un casino
municipal (qui sera inauguré en décem-
bre 1928) ; parmi d’autres distractions, les
courses qui se déroulent à l’hippodrome de
Vignetta, à la sortie Sud d’Ajaccio. Les étran-
gers cherchent bien évidemment une vie cul-
turelle et artistique, même s’ils savent
qu’Ajaccio ne leur offrira pas les mêmes pos-
sibilités et qualité que certaines stations de
la Côte d’Azur ou de la Riviera italienne.
Les acteurs de la vie culturelle et intellec-
tuelle : écrivains, musiciens, artistes,
mécènes, organisateurs, amateurs d’art… sont
suffisamment nombreux pour que la ville
connaisse une certaine animation et que le
public perçoive des évolutions sensibles. À
la fin du siècle, à Ajaccio, on peut rencontrer
des peintres expérimentés qui ont reçu un
enseignement artistique dans les meilleures
écoles de Rome, de Florence ou de Paris, qui
maîtrisent parfaitement les techniques pic-
turales et connaissent tous les genres et styles.
Ces peintres rentrés en Corse après leur for-
mation, demeurent attachés aux valeurs clas-
siques qui leur ont été enseignées. On observe
la concurrence toujours plus forte de la pho-
tographie, et les gens qui ont un certain goût
et quelques moyens peuvent avoir pour bien
moins cher, une merveilleuse épreuve pho-
tographique. Les peintres ajacciens tiennent
une place particulière. Bien qu’ils soient rela-
tivement peu nombreux, ils jouissent d’une
considération toute particulière des ajacciens.
Ils ont chacun une spécialité : peintres déco-
rateurs, peintres paysagistes ou portraitistes,
peintres photographes. Parmi les peintres
décorateurs : Philippe Bassoul et Novellini.
Philippe Bassoul (1835-1895), fils d’un
gendarme originaire de Montauban, nommé
en Corse au début du siècle à Morosaglia où
il s’est marié et installé, part à Montauban
apprendre le métier de peintre décorateur
4
Les acteurs de la vie artistiqueet les artistes ajacciens
L a p e i n t u r e à A j a c c i o 1 8 9 0 - 1 9 5 0 : B a s s o u l , C a n a v a g g i o , F r a s s a t i
4. Cette société a bien du malà se mettre en place, malgréles efforts prodigués par Dela Rocca.
avant de revenir en
Corse et de s’installer
à Ajaccio vers 1860.
À cette période de
très nombreux pein-
tres décorateurs
sont en activité en
Corse :
Natale Benvenuti,
Gilbert Bouchez,
Domenico Desanti, les frères
Gillio, Novellini, Paul-Baptiste
Profizi. Cette abondance d’artistes crée une
émulation et garanti une grande qualité des
travaux exécutés, à une période où la
demande est forte. Philippe Bassoul réalisera
des travaux de décoration dans l’église de
Bisinchi, la chapelle du couvent de Vico, la
cathédrale d’Ajaccio, où la décoration a été
reprise par la suite. On lui doit également le
plafond de l’Hôtel de Ville d’Ajaccio, l’entrée
de l’hôtel Germania, actuellement au 20,
Cours Grandval, ouvert en 1869 ; la salle de
réception du Grand hôtel d’Ajaccio et
Continental, édifié par l’architecte
Barthélemy Maglioli (1894). À la demande
des propriétaires, il fait des travaux dans des
appartements à Ajaccio. Les sujets les plus
souvent demandés sont la décoration de pla-
fonds : ciels, angelots, et décorations
murales, avec des motifs de décoration clas-
siques. Philippe Bassoul est également excel-
lent peintre de chevalet comme en
témoignent les tableaux parvenus jusqu’à
nous dont le portrait de sa femme et son
autoportrait.
Paul-Mathieu Novellini (1831-1918), est
formé en Corse par Brunetti puis, à Paris, où il
est l’élève de Gleyre ; il revient en Corse sans
doute en 1866. Sa production est abondante :
lithographies 5, peintures religieuses, paysages,
travaux de décoration ; il a beaucoup œuvré
en faveur de l’art par ses écrits, nombreux et
variés. Il a favorisé l’éveil de jeunes talents, gar-
çons et filles, dans son cours libre de dessin et
de peinture ouvert, rue du docteur Versini, à
Ajaccio vers 1870. Novellini est un personnage
très populaire en Corse et à Ajaccio en parti-
culier. Il contribue largement à faire connaî-
tre des artistes et des œuvres de qualité ; Il
milita pour la création d’un musée à Bastia,
dont le fonds aurait été complété par les dons
d’œuvres d’artistes ayant bénéficié d’une aide
pour leur formation 6. Il est l’auteur du
Catalogue des œuvres remarquables de pein-
ture, sculpture etc. qui se trouvent dans les
églises et autres monuments publics ainsi que
dans les maisons particulières de la Corse suivi
par des notices sur la vie et les œuvres des
artistes corses ayant un titre officiel, publié à
Bastia en 1911.
V i e c u l t u r e l l e e t a r t i s t i q u e à A j a c c i o à l a f i n d u X I X e s i è c l e : 1 8 9 0 - 1 9 0 0
5. Novellini a fait plusieursenvois au Salon de Parisentre 1872 et 1879. Novellinis’occupe aussi de commer-cialiser ses lithographies quifigurent dans toutes les mai-ries et écoles de Corse.6. « Beaux-Arts, création d’unmusée à Bastia », Ajaccio,imprimerie nouvelle Robaglia& Zevaco, 1897 ; le même arti-cle dans le « Petit bastiais »du 23 avril 1897.
Novellini. CorsicaHuile sur toile, 18 x 16,8 cm. ©Claude Giansily
5
Autoportraitde Philippe Bassoul (vers 1880)Musée Fesch, AjaccioDonation famille BassoulHuile sur toile, 50 x 35 cm©Musée Fesch, Ajaccio. DR
Parmi les peintres connus pour l’exécution
de paysages, genre relativement peu à la
mode dans les années 1870-1880, François
Peraldi (1843-1916), qui effectue ses pre-
mières études artistiques à l’Académie de
Florence, puis à Paris, en 1867, où il suit
les cours de l’atelier Gleyre. En 1884, il
adresse au Salon des Indépendants Le
musée ; en 1889, il est sociétaire des Artistes
français. Peraldi est nommé, le 9 mai 1876,
conservateur du musée Fesch, poste qu’il
occupe jusque dans les années 1910. Il a réa-
lisé de nombreux travaux sur les œuvres
conservées dans les musées de la ville fai-
sant preuve d’une grande qualité d’analyse
pour l’attribution de certaines œuvres.
Excellent portraitiste : Portrait de la mère
de l’artiste, (musée Fesch, Ajaccio), pein-
tre des scènes de la vie : Les vendeuses de
lait, rue Chiappe à Ajaccio, 1876 ; Au cime-
tière d’Ajaccio, Peraldi est connu
aujourd’hui pour son remarquable tableau
intitulé Le port d’Ajaccio en 1882, (musée
Fesch, Ajaccio) qui constitue un témoignage
faisant date sur la vie du port avec ses per-
sonnages au premier plan, ses bateaux et la
physionomie de cette partie de la ville et
ses immeubles aux façades colorées.
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L a p e i n t u r e à A j a c c i o 1 8 9 0 - 1 9 5 0 : B a s s o u l , C a n a v a g g i o , F r a s s a t i
François Peraldi. Le port d’Ajaccio en 1882Musée Fesch, AjaccioHuile sur toile, 75 x 85 cm©Musée Fesch, Ajaccio. JF Paccosi
Alfred de la Rocca (1855-1915), qui se par-
tage entre Bordeaux et la Corse est aussi un
artiste de premier plan. Il est, à la fin du siè-
cle, le peintre qui représente le plus souvent
la Corse au Salon de Paris et dans les Salons
de province. Il peint la montagne corse : Les
châtaigniers d’Evisa (Corse) par une belle
journée de décembre (Salon des Artistes fran-
çais de 1890), Rivière de Bastelica en juin
(Salon de 1892) ; sa grande peinture Rivière
de Cristinacce en octobre (Salon de 1897,
musée Fesch, Ajaccio), confirme sa manière
de voir la Corse avec un certain aspect de
grandeur de rudesse et de mystère, et quand
il peint le Golfe d’Ajaccio (musée des Beaux-
Arts de Bordeaux), il présente la ville et la
vaste étendue qui l’environne à partir de ses
hauteurs, sous son plus bel aspect naturel et
serein. Ce type de vue panoramique sera
adopté par les peintres affichistes (comme
Dellepiane en 1904 et 1905) et par les photo-
graphes pendant des dizaines d’années.
Parmi d’autres peintres, A. Petrocchi,
artiste amateur bien connu à Ajaccio qui fait
des copies de peintures exposés au musée
Fesch dont la Forêt de Valdoniello par Jean-
Luc Multedo 7. Il a également exécuté une
grande Vue d’Ajaccio datée 1898, choisis-
sant un endroit parmi les plus typiques de la
ville sur une des promenades particulière-
ment prisée des touristes et hivernants. Paul
Casile présente régulièrement ses œuvres
dans les vitrines du magasin tenu par Pierre
Bodoy grand amateur d’art 8. Casile expose
également en 1898 et 1899 à la bibliothèque
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V i e c u l t u r e l l e e t a r t i s t i q u e à A j a c c i o à l a f i n d u X I X e s i è c l e : 1 8 9 0 - 1 9 0 0
7. Jean-Luc Multedo (1812-1894) présente sa Forêt deValdoniello, à Paris au Salonde 1866. Cette toile achetéepar l’État pour la somme de1 000 francs est envoyée auMusée d’Ajaccio cette mêmeannée 1866.8. Pierre Bodoy sera élu maired’Ajaccio en 1900.
Alfred de la RoccaRivière de Cristinacce en octobreSalon de 1897, Musée Fesch, AjaccioHuile sur toile, 153 x 200 cm©Musée Fesch, Ajaccio. Sylvain Alessandri
municipale d’Ajaccio en même temps que
Capponi et Corbellini ; en mars 1899, il pré-
sente des vues d’Ajaccio et de ses environs :
Vue d’Ajaccio, Chevaux à la baignade Scudo,
Rochers à Barbicaja, et des natures mortes 9:
Vieux livres, Le déjeuner, Lapin, Fraises et
cerise. Jean Spoturno, élève de Novellini
est ensuite fonctionnaire dans l’administra-
tion des domaines à Ajaccio et peint en ama-
teur. Il se lie d’amitié avec Bassoul au début
des années 1900, quand celui-ci revient de
Paris et il bénéficie de ses conseils et encou-
ragements. Novellini indique que « son
tableau peint à l’huile, représentant la ville
de Saugues a été admis au Salon du Puy avec
mention honorable ».
La plus réputée, parmi les peintres portrai-
tistes à Ajaccio, est incontestablement Aglaë
Meuron 10 (1836-1925), qui a eu le privilège,
en 1856, à vingt ans, de pouvoir accomplir des
études à l’École des Beaux-Arts de Paris où
elle travaille dans l’atelier de Baudry. Revenue
en Corse, c’est tout naturellement à Ajaccio
qu’elle s’installe pour exercer son art. Elle
vit avec ses deux sœurs, dont une épousera
Timothée Landry, magistrat à Ajaccio, éga-
lement d’origine suisse 11. Aglaë Meuron est
réputée pour ses portraits, genre sérieuse-
ment concurrencé par la photographie à la fin
du XIXe siècle et au début du XXe car à Ajaccio
et sa région existait une clientèle importante
et les familles aimaient faire peindre des por-
traits des leurs 12. Novellini nous la présente
comme un « peintre bien connu et apprécié
du public cultivé par ses nombreux portraits
largement peints, d’une
couleur chaude, bril-
lante et harmonieuse
en même temps. Son
chef-d’œuvre c’est le
Portrait en pied,
grandeur naturelle
de Mme Rose Sanvito
Alata, rentière à Vico ».
Aglaë Meuron est égale-
ment paysagiste. Elle a laissé
de très nombreuses vues de Corse, la
plupart à l’aquarelle, réalisées avec une
grande maîtrise : Bavella, Bastelica, Piana,
Vico, Cargèse, Calenzana.
Les peintres photographes ont été nombreux
en Corse à partir de 1870. Le plus connu à
Ajaccio, et sans doute le plus talentueux des
photographes est Laurent Cardinali (1853-
1935), formé à Paris puis à Nice, par Albert et
Ferret 13. Parmi les peintres photographes, on
a recensé Touranjon. Plusieurs membres de
la famille Touranjon installée à Ajaccio au début
du siècle exercent ce métier. Joseph Alexandre
Touranjon (1844-1918) a son atelier au 3, place
du Diamant ; il est en relation avec Dominique
Paccioni, peintre et photographe, installé près
de lui, rue de l’hôpital militaire. Il y a aussi la
concurrence de la reproduction en série comme
les portraits des célébrités corses 14 proposés en
1888 par Cortegiani, artiste peintre, à des prix
modiques : cinq francs le grand format et trois
francs le petit format et Le Moniteur de la Corse
du 28 janvier 1888 précise que « ces portraits,
dont les originaux sont peints à l’huile, doivent
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L a p e i n t u r e à A j a c c i o 1 8 9 0 - 1 9 5 0 : B a s s o u l , C a n a v a g g i o , F r a s s a t i
9. Genre assez peu traité parles artistes corses et qui seraaussi rarement abordé aucours de la période 1900-1950, selon notre connais-sance actuelle de la question.10. Elle est issue d’une familled’origine suisse installée enCorse depuis le XVIIe siècle :son grand-père était dansl’équipe d’architectes qui édi-fia les bâtiments de l’enceintede la Citadelle d’Ajaccio.11. Elle sera ainsi la tanted’Adolphe Landry, personnagecélèbre à Ajaccio pendant l’en-tre-deux-guerres.12. On connaît ainsi le portraiten pied de Mlle LaurenceBosc, celui du Comte Pozzo-di-Borgo, le portrait deMlle Ambrosini (de Bastelica),les portraits des sœursSampolo.13. Installé à Ajaccio dès 1876,il n’hésite pas à quitter son ate-lier pour photographier pay-sages, métiers, personnageset événements. Ses photogra-phies sont remarquées auxexpositions nationales et inter-nationales.14. Sambucuccio, Sampiero,Christophe Colomb, Paoli,Napoléon.
Aglaë MeuronPortrait de la veuve Marti
Musée Fesch, AjaccioHuile sur toile, 65 x 63 cm
©Musée Fesch, Ajaccio. Sylvain Alessandri
Cet ouvrage est disponible à la vente sur
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