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N°53 JANVIER 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS DOSSIER P. 04 POÉSIES BERTOLT BRECHT Francis Combes REVALORISATION DU TRAVAIL ET CITOYENNETÉ À L’ENTREPRISE Véronique Sandoval LE SOLEIL Colette Le Lay P. 52 SCIENCES P. 38 LE GRAND ENTRETIEN Parti communiste français éDUCATION éTAT D’URGENCE

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N°53 JANVIER 2016 - REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF - 6 EUROS

dossier

P. 04 POÉSIES

BERTOLT BRECHTFrancis Combes

REVALORISATION DUTRAVAIL ET CITOYENNETÉÀ L’ENTREPRISEVéronique Sandoval

LE SOLEIL Colette Le Lay

P. 52 SCIENCESP. 38 LE GRAND ENTRETIEN

Parti communiste français

éducationétat d’urgence

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La Revue du projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacDirecteur : Guillaume Roubaud-Quashie • Rédacteurs en chef : Clément Garcia, Léo Purguette, Jean Quétier, Gérard Streiff • Secrétariatde rédaction : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Caroline Bardot, Stève Bessac, Hélène Bidard, Victor Blanc, Vincent Bordas,Mickaël Bouali, Davy Castel, Étienne Chosson, Maxime Cochard, Séverine Charret, Quentin Corzani, Pierre Crépel, Camille Ducrot,Alexandre Fleuret, Florian Gulli, Nadhia Kacel, Corinne Luxembourg, Stéphanie Loncle, Igor Martinache, Michaël Orand, MarineRoussillon, Alain Vermeersch • Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey

Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19)Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal : janvier 2016 - N°53 - ISSN 2265-4585 - N° de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Gérard Streiff

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3 ÉDITOGérard StreiffBataille d’idées

4 POÉSIESFrancis CombesBertolt Brecht

5 REGARDJulie Cahm Assemble

6 u34 LE DOSSIERÉDUCATION, ÉTAT D’URGENCECamille Ducrot et Marine Roussillon L’ambition d’un avenir meilleurMarine RoussillonÉducation, formation, recherche : les savoirs aucœur de la lutte des classes• Le réseau école du PCF, c’est...Francis Vergne et Erwan Lehoux Le néolibéralisme à l’assaut del’éducationYves Peuziat-Beaumont Défis nouveaux du travail, de la démocratie etde la mutation écologique• Lycées : trois voies, une culture communeStéphane Bonnery Pour une école de la réussite pour tousChristine PasserieuxDifficultés scolaires, décrochageBrigitte Gonthier-Maurin L’allongement de la scolaritéShirley WirdenTemps scolaire, temps de la vie : un enjeu de la lutte de classes• Le piège des « rythmes » scolairesPatrick RayouOuvrir ou fermer l’école ?Ali Aït Salah La place et le rôle des parents : ni consommateur, nimédiateur, mais citoyenClaire PontaisCrise du recrutement, crise du métier d’enseignant...Catherine Sceaux L’école espace démocratique ou marché ?Michèle Leflon Formation professionnelle• Collège : construire du communChoukri Ben AyedCe que révèle le débat sur la mixité sociale à l’écoleLaurent Frajermann Le syndicalisme enseignant face à ses aporiesCyril Callens et Delphine F. Un ministère des Bonnets d’âne pourremplacer celui de l’Éducation nationale

35 LECTRICES/LECTEURSNans A. Noyer Envisager un changement radical du pouvoir politique

36 u37 LA FRANCE EN COMMUNUn débat mosellan

38 u41 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENVéronique SandovalRevalorisation du travail et citoyenneté àl’entreprise

PUBLICATIONSDES SECTEURSJean-François Téaldi Le FN depuis longtemps premier parti deFrance… dans les média !

42 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff Le marché de la sécurité, contre le crime et contre ladémocratie...

44 FÉMINISMEChahla Chafiq Laïcité et identité : l’inéluctable question des rapportsde sexe

46 MOUVEMENT RÉELAymeric Monville La pensée de Michel Clouscard

48 HISTOIREGuy Lemarchand Paysannerie et batailles historiographiques

50 PRODUCTION DE TERRITOIRESThierry Sanjuan La métropolisation chinoise, coûts et avantages de lamodernisation urbaine

52 SCIENCESColette Le Lay Le soleil

54 SONDAGESGérard StreiffRépublique, drapeau, valeurs

55 STATISTIQUESMickaël Orand Le salaire horaire des femmes reste inférieur de 16,3 % à celui des hommes

56 u59 CRITIQUES• LIRE : Marc DumontQuand musique rime avec République• Ciné-Archives et les Mutins de Pangée La Terre fleurira : le cinéma deL’Huma • Antoine Casanova Figures de Dieu, entre masculin etféminin : La longue marche• « La laïcité est elle encore révolutionnaire ? » Carnets rouges, n°4 • « Les empires africains des origines au XXe siècle »Cahiers d’Histoire – Revue d’histoire critique,N° 128

60 DANS LE TEXTEFlorian Gulli, Jean Quétier Lutte pour la vie ou lutte des classes

62 BULLETIN D’ABONNEMENT

63 ORGANIGRAMME

La Revue du projet et son équipe, vous souhaitent une année de réflexion et d’action, d’écoute et d’échange, de lecture et de lutte : une année résolument militante et intensément communiste.

2016 ne sera pas belle sans nous !

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ÉDITO

Bataille d’idéesela se disait depuis des mois,bien avant les attentats denovembre, bien avant le scru-tin cauchemardesque des

régionales : la droite avait gagné labataille d’idées. Ça passait en boucledans le moindre talk-show [débat télé-visé]. L’actualité conforte plutôt le pro-pos. Et appelle quelques remarques.Premier constat : il y a bel et bien batailled’idées. Tout un temps, on nous a bas-sinés en effet avec la mort des idéolo-gies. Les voici de retour. La droite est surce créneau depuis longtemps. La révo-lution conservatrice vient de loin.Rappelons-nous l’essai percutant deDaniel Lindeberg, Le rappel à l’ordre, surles nouveaux réactionnaires. C’était en2002. Et depuis la petite armée de gou-rous réacs n’a cessé de s’étoffer :Finkielkraut, Zemmour, Natacha Polony,Guilluy, Bellamy, Onfray souvent, leszélotes de la « Manif pour tous » aussi,les bavards du MEDEF, tous ont joué leurpetite partition de l’angoisse nationale,du déclassement programmé, de la nos-talgie d’un temps béni, de l’identité desgens de souche, de la réussite forcé-ment individuelle, de l’autorité perdue,de la « folie migratoire», de l’islam inquié-tant, du choc des civilisations. Les libé-raux « de gauche », leur ont donné unbon coup de main, genre Alain Touraineou Jacques Julliard. Le dossier de cemois sur «L’école», par exemple, mon-tre bien la férocité du débat d’idéesautour de l’éducation, de l’acceptationdes inégalités comme donnée naturelle,de la mise à l’écart des milieux popu-laires, etc.La furie sectaire ambiante et les convul-sions du monde sont venues, à point

nommé, pour donner une sorte de« cohérence » à ces discours.

On a l’impression aujourd’hui que danscette guerre d’idées, la droite et ses épi-gones avaient fixé l’ordre du jour, choisiles armes et le terrain. La questionsociale, les dérives inégalitaires, l’enjeud’une alternative progressiste, tout celaa été purement et simplement évacué.Au menu, désormais : insécurité, iné-galité, identité, immigration. Et confu-sion, en prime. Ces droitiers ont copiéles méthodes des « rouges-bruns », unpeu de verbe de gauche, beaucoup deverbes de droite, on mélange le tout eton vend le paquet. La recette a réussi àLe Pen.

LA DROITE A GAGNÉ LA BATAILLE MÉDIATIQUECes évolutions de l’opinion sont inter-venues sur un fond de grave crise de lapolitique. Et de la démocratie. Quandl’opinion est convaincue que le dernierbanquier du coin de la rue a plus de pou-voir que le meilleur élu, quand le poidsdes promesses trahies devient étouf-fant, quand le paysage est squatté pardes experts en tout genre (sait-on qu’àAthènes, l’expert ne pouvait être élu ? !),quand les Macron se pavanent, le citoyense dit : à quoi bon ? Et cet aquoibonismetue la vie politique.

S’il est une bataille que la droite a biengagnée, c’est la bataille médiatique. Cesdernières semaines, l’état d’urgenceflottait sur les rédactions. On réprimedes grandes gueules, on aligne, onconcentre. Le pluralisme est un motcreux. Une poignée de patrons de presse

milliardaires affichent sans vergogneleur prétention. La médiocrité des pro-grammations participe d’une crétinisa-tion générale. Et le service public, kid-nappé par le discours officiel, singe leprivé.

D’immenses chantiers de reconquêtes’annoncent donc pour les forces quin’ont pas renoncé à changer la vie et lemonde. On attend des partis qu’ils pro-duisent des idées ; on attend du PCFqu’il prenne sa part dans ce nécessairerenouvellement idéologique. Des forces,plus nombreuses qu’on ne le croit, exis-tent pour cela. Certes la tentation durepli est là ; le débat public tel qu’il estmené, ce cirque médiatique ne donnentpas forcément envie d’intervenir dansce monde-là. Se coltiner aux barbaresn’est pas toujours gratifiant ; on y prenddes coups et les dés sont pipés.Pourtant, il y a ceux qui font du bruit etceux qui cherchent à donner du sens àce monde dérouté. C’est un peu ce quenous tentons de faire ici, à La Revue duProjet. Formons le vœu, en ce débutd’année, que notre revue soit à l’avenirplus utilisée, plus sollicitée par les mili-tants. n

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GÉRARD STREIFF,Rédacteur en chef

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en France Bertolt Brecht est généralement considéré commeun homme de théâtre. ce qu’il fut évidemment. son œuvre,par sa puissance est en effet comparable à celle deshakespeare ou molière. on sait aussi qu’il fut un théoricien,théoricien du théâtre (L’Achat du cuivre ou Le Petit organon)mais aussi penseur de la politique. dans le même temps qu’ils’est engagé dans le combat antifasciste et qu’il a soutenu lapremière expérience socialiste sur le sol allemand, il a pro-duit une profonde critique du stalinisme. et sait-on bien qu’ilest l’un des principaux moralistes du xxe siècle ; l’un des raresdans la tradition marxiste ?mais ce que l’on mesure le moins c’est sans doute son impor-tance comme poète. son œuvre poétique a pourtant été tra-duite en français ; et souvent par de très bons traducteurs,depuis Pierre abraham, (l’ancien directeur de la revue Europequi l’avait introduit dans notre pays), jusqu’à l’équipe mobi-lisée par les éditions de l’arche, avec gilbert Badia, eugèneguillevic, maurice regnault, andré gisselbrecht, jean-PaulBarbe, etc. cette édition de ses poèmes chez l’arche com-porte neuf volumes. mais elle est ancienne et peu disponi-ble. et, pour des raisons qui illustrent ce fait que le droit deséditeurs s’oppose parfois à la diffusion des œuvres, il n’ajamais été possible de faire paraître en France une grandeanthologie des poèmes de Brecht. en allemagne, beaucoupde lecteurs ont pourtant découvert sa poésie grâce à l’an-thologie des Hundert Gedichte (cent poèmes), conçue parBrecht lui-même.cette situation est regrettable, non seulement pour les lec-teurs mais pour la poésie française elle-même. L’œuvre deBrecht est en effet de nature à modifier l’idée qu’on se faitde la poésie.

il a écrit des poèmes toute sa vie. depuis ses années de jeu-nesse à augsbourg, au temps de la république de Weimar,jusqu’aux dernières années en rda, quand il était à la tête duBerliner ensemble avec hélène Weigel, en passant par letemps de l’exil en scandinavie ou aux États-unis, Brecht atoujours eu recours au poème pour tenir le journal de bordde sa vie. ce qui est d’une conception très moderne (que l’onretrouve par exemple chez certains poètes de la BeatGeneration américaine, comme ginsberg).son écriture poétique est savante. elle est nourrie de toutela tradition, allemande bien sûr (la filiation avec goethe etheine est évidente), mais aussi latine et grecque (celle desépigrammes notamment) et aussi chinoise (Brecht a notam-ment adapté en allemand des poèmes de Bai jiu Yi).mais c’est en même temps une poésie d’esprit populaire. ellejoue des divers registres de la langue et prend très fréquem-ment la forme de la chanson et de la ballade. il lui arrivait d’ail-leurs de s’aider de son banjo pour composer ses vers… et onconnaît le résultat de sa collaboration avec les musiciens,Kurt Weill, hanns eisler, Paul dessau…Poésie foncièrement politique, à la fois didactique et ironique,l’inspiration de Brecht est aussi celle d’un vrai lyrique. maisdans ce domaine comme dans les autres, Brecht se com-porte comme un poète matérialiste, un détrousseur d’illu-sions, un grand satirique qui est à la fois amical et narquois.un pareil tour d’esprit est peu répandu ici et par les temps quicourent, il serait bien salutaire.

FRANCIS COMBES

Bertolt Brecht

PRINTEMPS 1938Aujourd’hui, à l’aube du dimanche de Pâques,Une soudaine bourrasque de neige s’est abattue sur l’île.Entre les haies qui reverdissaient, s’entassait la neige.Mon jeune filsM’a entraîné vers un petit abricotier, près du mur de la maison.Je quittai le poème, dans lequel je montrais du doigtCeux qui préparaient cette guerreQui pouvait anéantirLe continent, cette île, mon peuple, ma famille et moi.Et, sans rien dire,Nous avons protégé d’un sacL’arbre qui avait froid.

DANS LE BAINLe ministre est dans sa baignoire. Il tente avec la mainDe maintenir sous l’eau la brosse de bois.Ce jeu enfantinCache un problème sérieux.

COUCHÉ DANS LACHAMBRE BLANCHE, À L’HÔPITAL DE LA CHARITÉQuand je me réveillai dans la chambre blancheDe l’Hôpital de la CharitéEt entendis le merle, je susQue cela allait mieux. Déjà depuis longtempsJe ne craignais plus la mort. Car rienNe peut me manquer, si moi-mêmeJe viens à manquer. MaintenantJe réussis même à me réjouirDes chants du merle après moi.

Poèmes traduits par Francis combes

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s i l’actualité des arts visuels semble nous habituer à desventes à des prix astronomiques lors d’enchères, il arrive

parfois que certaines surprises arrivent. Le prix turner décernéchaque année par la tate Britain et qui constitue l’une desrécompenses majeures de l’art contemporain a été donnécette année au collectif Assemble. ignoré du marché de l’art,ce collectif d’architectes assume de bâtir une œuvre utile et

en prise avec le réel. en ces temps difficiles, nous ne pouvonsque nous réjouir de cette récompense qui annonce peut-êtreun changement d’époque au sein d’un art souvent critiqué pourson manque de relation à la réalité. n

JULIE CAHM

turner Prize 2015announcement :assemble (groupphoto ; 2014) © assemble

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Les Français attendent beaucoup de l’école. Face à ces ambi-tions, légitimes, les acteurs de l’éducation se sentent démunis.Le PcF travaille son projet pour une école de l’égalité et de laréussite pour toutes et tous.

éducation, état d’urgenceD

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L’ambition d’un avenir meilleur

non seulement sur la question de lalaïcité, mais sur l’ensemble des ques-tions, et notamment sur la questionessentielle : comment faire réussirtous les élèves, leur permettre deconstruire ensemble et à égalité uneculture commune émancipatrice ?

une écoLe de L’égaLité et de L’émanciPationCette question est essentielle pourl’avenir du pays. Elle est centrale pourle projet communiste : ne s’agit-il pasde faire, pour la première fois, l’expé-

rience du collectif et de ce qu’il peutapporter à chacun ? d’apprendre àconstruire ensemble un avenir com-mun ? Le savoir est un pouvoir : l’ap-propriation par tous les futurscitoyens et travailleurs de savoirscomplexes est nécessaire pour qu’ils

puissent agir ensemble sur le mondeet le transformer. C’est pourquoi LaRevue du projet, qui avait déjà consa-cré son n° 3 à l’école (2010, « Quelleécole pour demain ? »), y revientaujourd’hui. Depuis, un gouverne-ment socialiste a fait passer une loide « refondation de l’école ». Mais larupture avec les politiques libéralesn’est pas au rendez-vous. Réforme desrythmes scolaires, réforme du collège,régionalisation des formations pro-fessionnelles, austérité… La construc-tion d’une école à plusieurs vitesses,

qui divise la société et le salariat sepoursuit. La crise de l’école s’appro-fondit et met toute notre société endanger. Car quand on ne peut plusespérer un avenir meilleur pour sesenfants, quand les rêves et les ambi-tions de la jeunesse sont méprisés,

PAR CAMILLE DUCROTET MARINE ROUSSILLON*

l y a un an, au lendemain d’at-tentats d’une violence inouïe, laFrance s’est tournée vers sonécole. L’éducation s’est trouvéeau cœur d’une manipulationpolitique et médiatique visant à

occulter le débat sur la politiqueétrangère du pays et à diviser la popu-lation au nom « d’identités » reli-gieuses et culturelles réductrices. Cedébat, ravivé par les attentats denovembre et par la montée de l’ex-trême droite, révèle cependant aussicombien les Français attendent del’école : elle porte l’ambition d’un ave-nir meilleur, la nécessité de construiredu commun, de faire vivre l’égalité,la fraternité et la liberté. Et face à cesambitions légitimes, les acteurs del’éducation se sentent aujourd’huidémunis. La difficulté des enseignantsà répondre aux quelques élèves qui« n’étaient pas Charlie », qui « ne sontpas Paris », est révélatrice du manquede temps, de moyens, de formation,

PRÉSENTATION

« comme au lendemain de la seconde guerre mondiale, il faut

créer les conditions d’une nouvelle phasede démocratisation et d’une reprise enmain par le peuple du destin collectif. »

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quand l’avenir est bouché, l’indivi-dualisme, le repli sur soi et la peur del’autre triomphent.Il y a donc urgence à construire unprojet d’avenir : un projet pour l’école,c’est-à-dire aussi un projet pour lasociété. C’est ce à quoi travaille le PCF,dans un dialogue permanent avectoutes les forces qui veulent transfor-mer l’école, notamment au sein de lanouvelle revue du réseau école,Carnets rouges. Notre ambition, c’estcelle d’une école de l’égalité et del’émancipation : une école qui donneà chacun les moyens de maîtriser sonavenir et de participer aux choix col-lectifs qui engagent l’avenir dumonde. Pour la construire, nous vou-lons élaborer avec toutes les forcesdisponibles un plan Langevin-Wallondu XXIe siècle. Comme au lendemain

de la Seconde Guerre mondiale, il fautcréer les conditions d’une nouvellephase de démocratisation et d’unereprise en main par le peuple du des-tin collectif.

Ce dossier analyse la cohérence despolitiques scolaires libérales et mon-tre que les savoirs sont aujourd’huiun enjeu central de la lutte des classes.Il dessine les grands axes d’un pland’urgence pour l’école : une révolu-tion pédagogique, pour refonder lescontenus et les pratiques sur lemodèle de l’élève qui n’a que l’écolepour réussir à l’école ; une révolutiondémocratique, pour que l’école soitun lieu d’émancipation individuelleet collective ; un allongement dutemps scolaire pour transmettre dessavoirs plus complexes à plus d’en-

fants ; la reconstruction d’un servicepublic national, pour assurer l’égalitésur tout le territoire. Ce dossier estaussi un appel à l’action : face à lacrise que traversent l’école et toute lasociété, des solutions existent. Ellessont déjà largement partagées : syn-dicats, associations, forces politiquesportent beaucoup de propositionscommunes. Reste à construire lemouvement capable de s’en empareret de les imposer. C’est urgent et c’estnotre responsabilité. n

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*Camille Ducrot est responsable dela rubrique Lire. Marine Roussillon est collaboratricede La Revue du projet.

Elles ont coordonné ce dossier.

un monde meilleur que le nôtre, ellessont encore largement mobilisatrices.Ce sont des questions identitaires dela gauche, qui ont longtemps servi depoint de repère dans la structurationde la vie politique, et qui peuventencore rassembler autour de valeurslargement partagées. Surtout, elles sontaujourd’hui au cœur de l’affrontementde classe : en les prenant à bras-le-corps, nous pouvons construire desalliances entre les franges les pluspopulaires du salariat et les couchesmoyennes intellectuelles décisivespour d’autres combats.

Les savoirs et La créationau cœur descontradictions ducaPitaLisme contemPorainSavoirs et création jouent un rôle deplus en plus important dans notresociété en crise. Aujourd’hui, pour

faire du profit, le capital a besoind’une main-d’œuvre capable de maî-triser des savoirs complexes et de fairepreuve de créativité. Dans le mêmetemps, il lui est nécessaire d’en limi-ter le coût (formation, salaires, condi-tions de travail) et d’empêcher quecela débouche sur des pouvoirs nou-veaux pour les salariés.Qu’ils parlent d’économie de l’imma-tériel ou de révolution information-nelle, tous les économistes s’accor-dent pour souligner le rôle des savoirset de la création dans la productionde valeur ajoutée. Le débat sur le cli-mat, celui sur les causes du terrorismeou sur la politique internationale dela France montrent que notre démo-cratie est, elle aussi, structurée pardes savoirs complexes. Combien decitoyens renoncent à prendre parti ouà voter sous prétexte qu’ils « n’yconnaissent rien » ? Nos loisirs eux-

PAR MARINE ROUSSILLON*

a u lendemain du premier tourdes élections régionales, alorsque le Front National s’instal-

lait comme premier parti politiquedu pays et que se confirmait la gra-vité de la crise sociale et démocra-tique, Pierre Laurent déclarait : « legrand défi de la nouvelle période poli-tique qui s’ouvre sera celui de laconstruction d’un nouveau projet degauche ». Ce projet, s’il veut rassem-bler et s’imposer, devra aussi être unprojet de classe : un projet capable defaire converger les catégories les pluspopulaires du salariat et les couchesmoyennes intellectuelles.Dans ce projet, les questions éduca-tives jouent un rôle stratégique. Parcequ’elles mettent en jeu l’avenir de nosenfants, notre espoir qu’ils vivront dans

éducation, formation, recherche : Lessavoirs au cœur de La Lutte des cLassesil est de notre responsabilité de rompre le consensus libéral pour faireentendre un autre projet pour l’éducation : un projet qui parte du constatque tous les enfants sont capables d’apprendre et de progresser pourconstruire l’école de la réussite de tous ; un projet qui relève les défis nou-veaux posés par la place croissante des savoirs et de la création dans lasociété et construise une école de l’émancipation.

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R mêmes mobilisent des savoirs de plusen plus complexes : les dessins ani-més de Walt Disney ne mettent plusen scène les contes traditionnels maisdes réécritures où les ogres sont gen-tils et où il faut se méfier des princescharmants, en supposant que parentset enfants maîtrisent les codes cultu-rels qui permettent d’en saisir l’iro-nie et d’y prendre plaisir.

Cette place croissante des savoirs etde la création transforme en profon-deur notre expérience du travail. Lechauffeur de métro ne conduit plusune machine qu’il connaît, est capa-ble d’entretenir et de réparer. Avecl’automatisation, il conduit à distanceplusieurs véhicules, en utilisant desmécanismes bien plus complexes.Cette évolution s’accompagne de res-ponsabilités accrues qui, associées àla perte de maîtrise de l’outil de tra-vail et à l’isolement du salarié, sontdes facteurs de stress et de souffranceau travail. D’autant que l’augmenta-tion de la part intellectuelle du travailne fait l’objet d’aucune reconnais-sance : ne dit-on pas des métros auto-matiques que ce sont des métros« sans chauffeur » ? La déqualificationde la part intellectuelle du travail estévidente dans les métiers tradition-nellement considérés comme « intel-lectuels » : la réforme du statut desintermittents du spectacle chercheainsi à faire disparaître toute recon-naissance de leur temps de réflexionet de création comme temps de tra-

vail. De la même manière, les débatssur le temps de travail des enseignantsont tendance à réduire le travail à uneliste de tâches (correction de copies,présence devant les élèves, tâchesadministratives) et à rendre invisiblesa dimension intellectuelle (réflexion,formation, création) inscrite dans unetout autre temporalité.

Cette évolution n’a rien d’une fatalité :l’augmentation de la part intellectuelledu travail pourrait aussi être un facteurd’émancipation, si elle s’accompagnaitd’une maîtrise croissante du travail parles salariés, de la reconnaissance de lacomplexité nouvelle de leurs tâches etd’un développement de leurs capaci-

tés de création individuelles et collec-tives. Il ne s’agit donc pas de regretterun temps où « tout était plus simple »(et le fantasme qui va avec d’une écolecentrée sur les « fondamentaux », l’or-thographe, le calcul et la liste des pré-fectures), mais de lutter pour que lesévolutions de la société, aujourd’huicaptées au profit de la rentabilité etd’une exploitation accrue, soient misesau service de l’émancipation indivi-duelle et collective.

La réPonse LibéraLe :séLection,individuaLisation,fragmentation des savoirsComment assurer au patronat unniveau de formation et de créativitésuffisant sans garantir aux salariés lareconnaissance de cette formation(par des qualifications communesdébouchant sur des droits en termesde salaire, de conditions de travail…)ni leur donner le pouvoir qui va avecla maîtrise des savoirs ? Toutes lesréformes de l’éducation et de la for-mation, mais aussi de la recherche oudes politiques culturelles de ces der-nières décennies visent à résoudrecette contradiction.

La nouvelle « école capitaliste », de lamaternelle à l’université et à la forma-tion continue, y travaille en mettanten œuvre trois principes. D’abord, unesélection accrue : il s’agit de faire le trià la fin du collège entre les 50 % d’une

génération qui s’arrêteront là et les50 % qui iront jusqu’au niveau Bac+3.L’objectif européen de 50 % d’unegénération à Bac+3, s’il peut paraîtreambitieux, ne s’accompagne donc pasd’un réel effort de démocratisationscolaire, mais au contraire s’appuie surune école plus sélective. Les fréquentesdéclarations de la ministre sur le col-lège comme dernière étape de la sco-larité obligatoire (alors qu’à 16 ans, laplupart des élèves sont déjà au lycée),l’insistance sur la liaison école-collègeet sur la continuité Bac-3/Bac+3, la dif-férenciation des objectifs entre le« socle commun » et les programmess’inscrivent dans ce projet d’une écoleà plusieurs vitesses.

Ensuite, les politiques éducatives libé-rales font le pari de l’individualisationdes parcours pour isoler les travail-leurs, empêcher la reconnaissance desformations par des qualifications com-munes et casser ainsi les possibilitésde luttes collectives. L’évaluation parcompétences, du livret individuel decompétences en primaire jusqu’à lalicence, a ainsi pour conséquence deminer les diplômes nationaux et d’iso-ler les futurs salariés. On en voit déjàles conséquences sur les conventionscollectives : de plus en plus, le patro-nat cherche à y remplacer les diplômesnationaux par des compétences indi-viduelles dont on ne sait trop par quielles pourront être évaluées. La terri-torialisation de l’éducation, qui mineles diplômes nationaux, a les mêmesconséquences.

Enfin, pour éviter de donner aux sala-riés de demain le pouvoir qui va avecla maîtrise des savoirs, les politiqueséducatives libérales fragmentent lessavoirs et cassent les cadres de cohé-rence que sont les disciplines. Aprèsla réforme Chatel du lycée, la nou-velle réforme du collège multiplieainsi les parcours à la carte et lesenseignements interdisciplinaires deplus en plus tôt dans la scolarité.Ces politiques libérales s’accompa-gnent d’une offensive idéologiqueautour de l’idée que « tous les enfantsne sont pas faits pour l’école » : la vieilleidéologie des dons prend la forme dethéories du « handicap socioculturel »,du repérage « d’élèves à besoins spé-cifiques » pour naturaliser les inégali-tés créées par le système et les faireaccepter. Ces politiques libérales sontmises en œuvre dans toute l’Europe,aussi bien par des gouvernements dedroite que par les sociolibéraux. EnFrance, c’est un gouvernement socia-liste qui a été à l’origine de la politiqueeuropéenne de « l’économie de laconnaissance la plus compétitive dumonde ». Et malgré l’affichage de la« priorité à la jeunesse » et de la « refon-dation de l’école », malgré des contra-dictions et des avancées (notammentdans la réécriture des programmes),les réformes éducatives du gouverne-ment actuel s’inscrivent dans la conti-nuité de ces politiques libérales.

construire L’écoLe de L’égaLité et de L’émanciPationCes politiques, qui ne visent qu’uneamplification de l’exploitation, sontirresponsables : elles produisent unesociété clivée, nourrissent la peur del’autre et la concurrence généralisée.Elles ne profitent qu’à une petite mino-rité : toutes les familles aimeraient pou-

« L’évaluation par compétences, du livretindividuel de compétences en primaire

jusqu’à la licence, a ainsi pourconséquence de miner les diplômes

nationaux et d’isoler les futurs salariés. »

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voir faire confiance à l’école et ne pasavoir à refaire les cours le soir ou àpayer des cours particuliers, tous lestravailleurs ont intérêt à des forma-tions ambitieuses reconnues par desqualifications communes, tous lescitoyens ont intérêt à une école quiconstruise une culture commune per-mettant le débat démocratique.

Pour donner à tous les adultes dedemain les moyens de maîtriser leuravenir, celui de leur entreprise, celuidu pays et du monde, il faut rompreavec les logiques de sélection etconstruire une école ambitieuse pourtous : c’est le sens notamment denotre proposition d’allongement dela scolarité obligatoire de 3 à 18 ans,avec la garantie du droit à l’école dès2 ans pour les familles qui le souhai-

tent. Il faut rompre avec l’individua-lisation pour construire du commun :c’est pourquoi nous pensons qu’unservice public national est nécessaire.Il faut construire et transmettre uneculture cohérente, et non des savoirsfragmentés : cela passe par une réécri-ture des programmes mais aussi parune transformation des pratiquespédagogiques, et donc une relancede la formation initiale et continuedes enseignants.

Ce projet, le PCF y travaille depuis plu-sieurs années. Déjà en 2005, ses par-lementaires portaient une propositionde loi « pour une école de l’égalité, dela justice et de la réussite pour tous »(http://reseau-ecole.pcf.fr/59262).Depuis, la crise s’est amplifiée et l’écoleest aujourd’hui en état d’urgence. C’est

pourquoi le PCF a lancé le 23 mai der-nier un processus de travail avec l’en-semble des acteurs de l’éducation, avecl’ambition d’écrire ensemble un pland’urgence pour l’école. L’objectif de cedossier de La Revue du projet est depermettre que le travail se poursuivepartout dans le pays, pour construiredans un même mouvement les pro-positions capables de transformerl’école et le rassemblement capable deles imposer. Le réseau école est à ladisposition de tous ceux qui veulent ycontribuer, pour relayer leurs réac-tions, animer ou participer à desdébats, tout simplement échanger. n

*Marine Roussillon est membre del’exécutif national. Elle estanimatrice du secteur Éducation duConseil national du PCF.

... un coLLectif de travaiL rassemblant des commu-nistes, des militants syndicaux, associatifs ou issus du mouve-ment pédagogique, des chercheurs, des élus pour élaborer ensem-ble un projet de transformation de l’école pour la réussite de tous,l’égalité et l’émancipation. ses travaux ont l’ambition de nourrirle projet du Pcf.Les responsables à l’éducation des fédérations du Pcf et les ani-mateurs les plus actifs du réseau école se réunissent trois foispar an pour échanger sur les enjeux d’actualité et construire desinitiatives politiques.

... des initiatives nationaLes, qui visent à élaboreret à faire connaître nos propositions. La dernière en date est lajournée de travail «quelle politique de gauche pour l’éducation ?»qui a réuni plus de 200 personnes le 23 mai dernier.À la demande des sections et des fédérations du Pcf, des collec-tivités locales ou du cidefe, le réseau école anime ou intervientdans des initiatives locales, des formations, des débats sur lesquestions d’éducation. il anime chaque année plusieurs ateliersà l’université d’été du Pcf.

… un buLLetin, LUTTES DE CLASSE(S), présentant lesanalyses et les propositions du Pcf sur les sujets d’actualité : lesderniers numéros portaient sur les élections régionales, la réformedu collège… disponible sur internet, Luttes de classe(s) peut aussiêtre diffusé aux portes des établissements scolaires ou dans lessalles des profs. http://reseau-ecole.pcf.fr/58759

… une revue trimestrieLLe, CARNETS ROUGES,disponible sur internet et en format papier, qui a l’ambition d’êtreun lieu de rencontres et de débats pour tous ceux qui veulentchanger l’école. Les premiers numéros ont abordé les questionsde la culture commune, de l’égalité, de l’émancipation, de la laï-cité… http://reseau-ecole.pcf.fr/58845

… un site internet(http://reseau-ecole.pcf.fr), un comptetwitter (@pcf_ecole), une page facebook (https://www.facebook.com/reseauecole.pcf/) et une liste de diffusion, pour être infor-més des dernières initiatives du Pcf sur l’éducation, recevoir lestracts et les communiqués.

Le rÉseau ÉcoLe du PcF, c’est...

POUR S’INSCRIRE OU SIMPLEMENT NOUS CONTACTER : [email protected]

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PAR FRANÇIS VERGNEET ERWAN LEHOUX*

d epuis les années 1980, nossociétés sont entrées dans unenouvelle phase du capitalisme.

Dans un contexte géopolitique mar-qué par l’effondrement de l’URSS, lamondialisation néolibérale a profon-dément remis en cause toute formeplus ou moins domestiquée du capi-talisme (régulation keynésienne, com-promis fordiste, etc.) Ce grand tour-nant voit « le déploiement de la logiquedu marché comme logique normativedepuis l’État jusqu’au plus intime dela subjectivité » (La Nouvelle raison dumonde. Pierre Dardot et ChristianLaval. La Découverte. 2009). Un cer-tain nombre de principes et de règlescontraignantes s’imposent alorscomme des évidences qui oriententl’ensemble des discours et l’action poli-tique et « déterminent un nouveaumode de gouvernement des hommesselon le principe universel de laconcurrence » (Ibid.). On évoquera ence sens le modèle du marché parfaitet illimité comme moyen le plus effi-

cace d’allouer les ressources et l’entre-prise comme figure incontournablede la bonne gestion. Cela se traduit parune transformation progressive maisprofonde de la société tout entière ;l’économie n’est plus seulement dés-encastrée de la société, c’est la sociétéqui est encastrée dans l’économie. Deplus en plus de secteurs sont mis enmarché, l’État lui-même calque sonmode d’action sur celui des entrepriseset les individus sont amenés à se consi-dérer comme des entrepreneurs d’eux-mêmes.

Loin de faire exception, l’école est for-matée par cette nouvelle rationalité eten devient l’un des vecteurs. Ses objec-tifs et modes de fonctionnement sontordonnés aux exigences de la compé-tition économique : institutions sco-laires et universitaires se « plient del’intérieur à la norme sociale du capi-talisme » et deviennent des entreprisesde production du « capital humain ».Cinq ans après la publication de LaNouvelle école capitaliste (ChristinaLaval, Francis Vergne, Guy Dreux,Pierre Clément. La Découverte. 2011),il nous a semblé intéressant deconfronter les thèses développées avecl’évolution de nos systèmes éducatifset d’en éclairer certains aspects commele développement de marchés sco-laires qui prennent une importanceparticulière.

L’économie de Laconnaissance, source deProfit et de subordinationIl est frappant de constater combienl’idée fait consensus parmi les classesdirigeantes : les connaissances ne valentqu’au regard de leur utilité économique.

Fidèles aux conclusions de l’économieorthodoxe, elles y voient la principalesource des gains de productivité. Del’investissement dans une éducationsubordonnée à l’économie dominantedépendra la croissance future de la pro-duction… et des profits.L’éducation apparaît comme un sec-teur économique en tant que tel. Sousla forme de biens ou de services, elledevient une marchandise qui s’achète,se vend et génère des profits. Des for-mations payantes au soutien scolaireen passant par les cours en ligne et les

ouvrages spécialisés, les occasions devendre de l’éducation ne manquentpas, stimulées en outre par la compé-tition scolaire.Ce marché éducatif est construit avecla participation de l’État qui, non seu-lement, laisse faire le secteur privé sanslui opposer de résistance mais, de sur-croît, propose un cadre juridique(reconnaissance des formations pri-vées, habilitation des établissementsà délivrer des diplômes reconnus, etc.)et met en œuvre des politiquespubliques très favorables au dévelop-pement des offres privées (subventionsaux écoles privées, aides fiscales accor-dées aux familles recourant au soutienscolaire).Un aspect moins visible mais tout aussisignificatif de l’évolution de l’écoleréside dans une façon de faire des éco-nomieset d’accroître la rentabilité édu-cative au travers de la standardisationpédagogique. L’avenir serait aux indus-tries éducatives qui, s’appuyant sur ledéveloppement d’Internet, pourraientvendre à grande échelle des produitséducatifs aux coûts de productionréduits, tels que les MOOC (pour mas-sive open online courses ou, en fran-çais, cours en ligne ouverts à tous).Loin de s’atténuer, ce processus s’est,au cours des dernières années, accé-léré dans la sphère publique. Lesbaisses des dotations accordées parl’État conduisent à détériorer la qua-lité des enseignements proposés etlégitiment l’importation d’une nou-velle organisation du travail. Le NewManagement Public applique en cesens les principes de la gestion enentreprise aux services publics, cen-sés mieux répondre à la demande desusagers considérés comme des clientstout en disposant de moyens plus limi-tés. Cela se traduit par la multiplica-tion d’objectifs chiffrés et individuali-sés et de dispositifs d’évaluation quivisent à étendre et à généraliser l’es-prit de compétition et les comporte-ments qui vont avec.

La redéfinition du rôLe de L’écoLeC’est dire que la subordination éco-nomique de l’école est aussi unesubordination politique. Historique -

« La multiplication d’objectifs chiffrés etindividualisés et de dispositifs d’évaluation

qui visent à étendre et à généraliser l’esprit de compétition et

les comportements qui vont avec. »

Le néoLibéraLisme À L’assaut de L’éducationL’éducation apparaît comme un secteur économique en tant que tel. sous laforme de biens ou de services, elle devient une marchandise qui s’achète, sevend et génère des profits. actualité de la Nouvelle école capitaliste.

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ment les républicains – et plus encoreles courants socialistes des siècles der-niers – ont attribué à l’école un rôleémancipateur. L’objectif premier étaitde former des citoyens, en mettant enavant, tantôt l’importance du librearbitre, tantôt celle de la nation. Sil’école avait aussi comme objectif deformer la main-d’œuvre qualifiée dontavait besoin le pays, comme le mon-tre la création des grandes écoles dèsla Révolution, c’était en gardant unprincipe d’équilibre que l’on pourraitrésumer ainsi : former l’homme, lecitoyen, le travailleur.La rupture néolibérale va détournerl’objectif de formation professionnelledans un sens comportemental : la for-mation se réduit à la « fabrique de l’em-ployabilité » (voir en particulier Louis-Marie Barnier, Jean-Marie Canu etFrancis Vergne, La fabrique de l’em-ployabilité, quelle alternative à la for-mation professionnelle néolibérale ?,Éditons Syllepse, 2014). Cette redéfi-nition du rôle de l’école reflète l’évo-lution du rapport de force en faveurdu capital. En outre, la nécessaire maî-trise des dépenses de l’État qui amèneles responsables politiques à mettreen œuvre des politiques d’austéritésans précédent renforce cette concep-tion utilitariste de l’école, puisqu’ilsemble malvenu, dans ce contexte, dedépenser de l’argent public pour desservices qui ne seraient ni rentables nimême utiles à l’économie.

Un examen attentif des contenus d’en-seignement, des programmes et desbonnes pratiques pédagogiques pré-

conisées confirme une évolution géné-rale, qui relativise l’apprentissage maî-trisé et progressif des connaissanceset la formation de l’esprit critique auprofit de l’acquisition de compétencesadaptées au monde économique etindividualisées. L’interdisciplinaritéou encore l’individualisation des rap-ports éducatifs, renforcés par laréforme du collège, s’inscrivent plusou moins dans cette perspective, touten favorisant des pratiques qui se révè-lent sources d’inégalités supplémen-taires entre les élèves.

de La mise en marché deL’éducation À La fabriquede La subjectiviténéoLibéraLeL’un des postulats majeurs des auteursde La Nouvelle école capitaliste étaitque l’on ne pouvait séparer, surtout àl’heure du néolibéralisme, le devenirde l’école de celui de la société globale.De fait, la soumission de l’éducation àune logique de plus en plus utilitaristeest d’autant plus aisée que chômage etdéclassement menacent les individusqui peuvent alors être tentés de la récla-

mer eux-mêmes. Dans la concurrencepour l’emploi, chacun espère en effetêtre mieux armé que son voisin, endéveloppant son employabilité.Ainsi les connaissances sont-ellesdélaissées au profit des compétencesque les élèves sont censés acquérir.Selon la définition qu’en donne leMEDEF, qui a largement participé àrépandre l’usage de ce terme, il s’agitaussi bien de savoirs que de savoir-faire et de savoir-être. L’intérêt de cescompétences est d’être mobilisables

à la fois dans le processus de produc-tion et tout au long de la vie.Appliquant le modèle de l’entrepriseà l’individu lui-même, la raison néo-libérale amène ce dernier à se consi-dérer comme propriétaire et respon-sable de son « capital humain ».L’individu est conduit à accumuler cedernier dans l’espoir d’en tirer profitpar la suite en maximisant ses pers-pectives en matière de rémunération.Dans les faits, les individus ne sont pasles agents calculateurs que théorisentles économistes mais cette fiction n’en

exerce pas moins une influence per-verse.La performativité du modèle est d’au-tant plus forte que certains responsa-bles politiques s’activent à la construiredans la réalité. La privatisation desdépenses éducatives constitue nonseulement un vecteur d’inégalités maisaussi un puissant levier qui permetd’orienter les conduites. Dès lors quela scolarité est payante, les individussont amenés à réfléchir à l’utilité decelle-ci. Les moins bons élèves auronttendance à s’autocensurer dans la

mesure où ils devront supporter le coûtde leur possible échec. À l’inverse, lesmeilleurs élèves, plus sûrs de leur réus-site, n’hésiteront pas à s’inscrire dansles formations les plus chères maisaussi les plus rentables. Parce qu’ilsdevront rembourser les dettes qu’ilsauront accumulées durant leurs annéesd’études, les étudiants préféreront s’ins-crire dans les filières les plus promet-teuses en matière d’emploi et de rému-nérations, privilégiant les sciencesappliquées ou encore le commerce, audétriment des sciences humaines et dela recherche fondamentale.Les tendances lourdes mises en évi-dence par de nombreux travaux, dontLa Nouvelle école capitaliste constituel’une des expressions, semblent, hélas,pleinement confirmées. Ce constatlucide ne doit pas être source dedécouragement. C’est au contraire uneinvitation à poursuivre le débat et lecombat. Au-delà des grilles de lectureproposées ici à l’appréciation des lec-teurs, l’enjeu n’est pas la simple exper-tise savante mais l’engagement mili-tant et citoyen. n

« L’État met en œuvre des politiquespubliques très favorables au

développement des offres privées(subventions aux écoles privées, aides

fiscales accordées aux familles recourantau soutien scolaire). »

« une évolution générale, qui relativisel’apprentissage maîtrisé et progressif desconnaissances et la formation de l’esprit

critique au profit de l’acquisition decompétences adaptées au monde

économique et individualisées. »

*Francis Vergne est spécialiste despolitiques éducatives. Il est membrede l’Institut de recherches de la FSU.Erwan Lehoux est étudiant enmaster de sociologie à l’université deNanterre.

Ils participent au chantier Politiquesnéolibérales et alternativessyndicales de l’Institut de recherchede la FSU.

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Rbrassée tous ces « pourquoi ? » qui aufil de la vie s’enrichissent de rencon-tres et d’expériences. Comprendrepour un vivre ensemble exigeant,fondé sur l’égalité et la liberté d’unerépublique laïque. Dans cette perspec-tive, des savoirs tel que lire, écrire,compter… sont essentiels, incontour-nables, indispensables, mais gardons-nous de les qualifier de « fondamen-taux » au risque de renvoyer la

compréhension du monde à plus tard,voire à jamais, faute d’un apprentis-sage à la pensée critique et au ques-tionnement exigeant d’enjeux souventcontradictoires empreints de rapportsde domination.

Les contenus de savoir et Leur transmissionIdentifions toutefois ces savoirshumains indispensables à acquérir.Car, telle est la condition pour qu’ilssoient véritablement travaillés dansdes apprentissages scolaires inscritsdans un enseignement fondé sur cettecompréhension du monde. Les com-bats et les débats menés depuis 2005ont permis d’approcher, en 2015, unréférentiel du socle commun deconnaissances, de compétences et deculture en partie sorti de l’ornière dumodèle des compétences clefs euro-péennes pensé pour une économiede la connaissance la plus perfor-mante du monde. Mais nous nedevons pas en rester là ! Au regard desdéfis annoncés, aller plus loin versdes horizons émancipateurs institu-tionnellement affirmés s’impose enprécisant, en particulier, le concept

de compétence. Il nous faut affirmerque loin d’être des savoirs acquis etmobilisables comme ressources pouraccomplir une tâche ou faire face àune situation complexe ou inédite(annexe au décret du 31 mars 2015,relatif au socle commun de connais-sances, de compétences et de cul-ture), les compétences doivent êtredéfinies comme des savoirs de pou-voir : pouvoir acquis en tant que tel

dans les apprentissages afin de com-prendre le monde et d’agir dans et surce monde.

Pour ce qui est des fondamentaux,que nous entendons comme lesobjets et les enjeux du monde dont lacompréhension devient une exigence,identifions-les également. À l’évi-dence, ils doivent s’inscrire anthro-pologiquement dans la dimensionsocioculturelle du « pourquoi » danslaquelle les questions d’égalité fon-datrices de l’émancipation collectiveet d’une humanité capable de pren-dre en compte les équilibres durablesdes ressources planétaires se posent.À l’évidence, également, l’affirmationdes disciplines comme cadre struc-turant de l’acquisition des savoirs àdes fins de compréhension dumonde, s’impose. Car ce sont bienelles qui, par leurs démarches cultu-rellement légitimées, permettent d’ac-céder à cette compréhension (lire àce propos, Jean-Pierre Terrail, Lesenjeux cachés de « l’ interdisciplina-rité » au collège). À l’évidence, enfin,une telle définition des programmesdoit valoir pour le premier degré

PAR YVES PEUZIAT-BEAUMONT*

t ravail, démocratie, mutationécologique, s’inscrivent dansun monde caractérisé par la

multiplicité des connaissances. Cettemultiplicité à laquelle se combine leflux incessant des informations génèreune véritable complexité des savoirs.Le travail de plus en plus techniciséimpose, tout à la fois, soumission àl’outil et capacité à le faire fonction-ner. Il en est de même de la démocra-tie : la complexification des savoirséloigne le citoyen, mais également lesyndicaliste dans le cadre d’une démo-cratie sociale, de la capacité à com-prendre et agir. Le pouvoir est alorsconfisqué par quelques-uns. D’unpoint de vue écologique, les ressourcesde notre planète s’épuisent, les catas-trophes s’amplifient fragilisant les pluspauvres. Être en capacité, pour tous,d’envisager et d’agir pour d’autres pos-sibles, de maîtriser des savoirs scien-tifiques pour hisser la pensée humaineà hauteur d’un développement dura-ble, est une urgence. Ces défis, l’Écoledoit contribuer à les relever en forgeantles capacités d’engagement desjeunes : non pas, bien sûr, en dévelop-pant des partis pris mais bien en fon-dant une émancipation individuelleet collective.

comPrendre La réaLité du mondeLoin de tout enseignement se résu-mant à la visitedes œuvres (paradigmedéveloppé par Yves Chevallard ; lire àce propos, en résonance avec cettecontribution, « Un pas en avant dansle XXIe siècle », Le point de vue du mois,novembre 2015, Commission françaisepour l’enseignement des mathéma-tiques), la culture scolaire émancipa-trice répondant à ces enjeux doit sefonder sur une recherche de compré-hension du réel. Voilà ce qui est « fon-damental » : comprendre la réalité dumonde dans la diversité de ses dimen-sions. Comprendre, non pas dans un« à venir » mais comprendre « ici etmaintenant » en prenant à grande

défis nouveaux du travaiL, de La démocratie et de La mutationécoLogique questionner, expliquer, argumenter, confronter les savoirs pour accéder àune compréhension du monde émancipatrice. de quelle culture a-t-onbesoin pour l’émancipation ?

« ces défis, l’École doit contribuer à lesrelever en forgeant les capacités

d’engagement des jeunes : non pas, biensûr, en développant des partis pris mais

bien en fondant une émancipationindividuelle et collective. »

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comme le second degré, pour le lycéed’enseignement général et technolo-gique comme pour le lycée profes-sionnel.

Ayant défini les contenus de savoir,revenons sur les modalités didac-tiques et pédagogiques de leur trans-mission car, affirmons-le également,celles-ci ne se valent pas toutes auregard de l’objectif fixé. Retenuesd’abord pour leur atout émancipa-teur en ce qu’elles permettent d’ac-céder dès les apprentissages scolairesà une véritable compréhension dumonde, ces modalités contribuentégalement à fonder une pleine appro-priation scolaire des défis à relever.Problématiser les « pourquoi » rete-nus selon un questionnement, en rai-son, des réalités et des nécessités desavoir afin d’accéder à des possiblesexplicatifs continuellement confron-tés à la recherche argumentée depreuves fait partie intégrante de cesdémarches. La coopération mais éga-lement les confrontations au sein dela classe qu’imposent ces investiga-tions raisonnées en sont des élémentsessentiels fondant solidarité, partagemais également laïcité.

Reconnaissons-le, la marche esthaute, mais fonder une telle culturerelève d’une utopie réaliste si tant estqu’elle s’appuie – comme l’exprime

l’article 2 de la loi de refondation del’école promulguée le 8 juillet 2013 –sur la reconnaissance que « tous lesenfants partagent la capacité d’ap-prendre et de progresser », ainsi quesur le respect de la professionnalitédes enseignants continuellementenrichie d’une véritable formation

critique et réflexive nourrie desrecherches en sciences de l’éduca-tion. n

faut-il supprimer les voies différenciées au lycée (voies professionnelle, tech-nologique et générale) pour construire une culture commune ? Plusieurs forcesde gauche, du Ps à ensemble, y sont favorables et y voient une réponse au pro-blème de la dévalorisation de la voie professionnelle.Pour le Pcf, cette réponse est un leurre pour deux raisons. d’abord, les voies tech-nologiques et professionnelles sont un facteur de démocratisation de l’école : lessupprimer, ce serait exclure tout un pan de la jeunesse de la réussite scolaire.ensuite, une culture commune émancipatrice ne saurait se réduire à une « cul-ture générale » transmise à tous de manière identique. Pour maîtriser les savoirs,comprendre comment ils sont construits, devenir capable de les faire évoluer etde les utiliser pour agir, un certain degré de spécialisation est nécessaire.L’urgence est donc à une nouvelle réforme du lycée, revenant sur le désastre dela réforme chatel, renforçant le caractère national du baccalauréat et donnantune ambition égale à toutes les voies.nous proposons notamment de faire une place aux cultures professionnelles ettechniques dans la culture commune le plus tôt possible dans la scolarité ; derelancer le collège unique pour que l’orientation dans les filières professionnelleset techniques ne soit plus subie ; de repenser les contenus d’enseignement dansl’ensemble des filières pour favoriser la maîtrise des savoirs et l’appropriationpar tous d’une culture émancipatrice.

RÉSEAU ÉCOLE

LYcÉe : trois voies,une cuLture commune ?

*Yves Peuziat-Beaumont estinspecteur d’académie-inspecteurpédagogique régional.

nomène comparable existe dans lespays riches comme le nôtre, où l’al-longement des scolarités dont ontbénéficié les classes populaires s’estaccompagné de celui des autres caté-gories : il y a un siècle, la bourgeoisiese satisfaisait du bac, plus aujourd’hui.Viser aujourd’hui, pour les enfants dupeuple, un niveau CAP ou BEP quiétait une référence de qualité il y aquarante ans, revient à les condam-ner à décrocher d’une élévation ten-dancielle du niveau d’études danstoute leur génération. C’est aussi en

faire des inadaptés à la société de2030, du moins de futurs dominés cul-turellement et cognitivement, car dis-posant de moins de ressources pouraccéder aux emplois qui vont requé-rir de plus en plus un haut niveau deconnaissance, ou pour s’approprierla culture qui est de plus en plus « cul-tivée ». L’objectif du bac pour toussemble incontournable si l’on veutfranchir un nouveau cap de démo-cratisation : a contrario, les réformesrécentes du « socle commun », de lacoupure progressive entre collège et

PAR STÉPHANE BONNERY*

Le défi de La durée des étudesLes scolarités se sont développéesdans la quasi-totalité des pays dumonde : les enfants d’aujourd’hui étu-dieront, en moyenne, plus longtempsque leurs propres parents, même siles pays déjà développés accroissentencore la durée des études, ce quimaintient l’écart avec les pays pau-vres malgré leurs avancées. Un phé-

Pour une écoLe de La réussite Pour tousun projet politique, en matière scolaire comme dans d’autres domaines,ne se décrète pas dans l’absolu, mais à partir des évolutions du monde, del’analyse que l’on fait de celles-ci et des défis que l’on décide de relever.savoirs et pratiques scolaires constituent un enjeu de pouvoir et d’allianceentre classes sociales dans un contexte renouvelé.

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lycée et des soi-disant « projets » d’éta-blissements ont pour objectif cachéde ne plus avoir les mêmes objectifsd’un collège à l’autre, préparant oupas à poursuivre au lycée et au-delà.

Les adversaires de la démocratisationdisent souvent que tous les élèves nesont pas « capables » de poursuivre,comme si c’était une fatalité, en dis-simulant ce qui, dans l’école actuelle,empêche les élèves d’y développerleurs capacités.

Le défi de L’éLévation duniveau des savoirs et desraisonnements attendusPour expliquer la persistance des iné-galités dans l’école française malgrél’unification du primaire et l’ouver-ture de l’accès aux scolarités secon-daires et supérieures, on a souventévoqué le fait que les enfants desclasses populaires, qui étaient aupa-ravant confrontés à des contenus fac-tuels et simples dans l’ancienne écoleprimaire, avaient été à partir desannées 1960 confrontés à des savoirsqui étaient jusqu’alors réservés auxenfants de la bourgeoisie qui allaientau lycée dès l’entrée à l’école, dessavoirs plus complexes.Cette explication, juste, est à complé-ter. L’écart entre la culture des élèveset celle de l’école n’est pas dû seule-ment à l’arrivée d’enfants moins fami-liers de la culture savante, mais aussiaux savoirs enseignés, y compris auxfavorisés, qui se sont complexifiés.Ainsi, tous les élèves sont confrontésà des exigences de raisonnement bienplus élevées qu’autrefois, parce queles savoirs savants s’accumulent –leurs « applications » structurent deplus en plus la vie professionnelle,citoyenne et quotidienne, et parceque leur appropriation est nécessairepour se préparer à la poursuited’études longues. L’école a pris encompte ce besoin évolutif, mais lesprogrammes et directives l’ont fait, àtort, avec peu d’accompagnement desélèves.Sans entrer dans les détails, notonsd’abord que les contenus sont plusconceptuels, dès la maternelle.Comme la mémorisation et le classe-ment des informations sont en par-tie assurés par les instruments, les

œuvres culturelles comme les formesde travail sollicitent davantage desréflexions en surplomb de ces infor-mations, dans l’analyse et la compré-hension. De plus, il n’est pas seule-

ment demandé de répéter ce quel’école a délivré « prêt à retenir », maisd’encourager à ce que les futursadultes sachent utiliser les savoirspour analyser le monde, donc ils sontinterrogés sur des « transpositions »de ces savoirs sur des cas différentsde ceux évoqués dans la leçon. Et s’ilsdoivent préalablement saisir l’apportde chaque discipline savante (histoire,sciences…) pour comprendre tel phé-nomène, on attend des futurs citoyensqu’ils sachent articuler ces regards demanière « interdisciplinaire ».C’est aussi la structure même de l’écritqui a changé de fonction dans lasociété. L’écrit ne sert plus seulementà codifier le langage (invention del’Antiquité) et les savoirs (étape duXVIIe siècle), mais aussi désormais lesformes de pensée (David OlsonL’univers de l’écrit. Comment la cul-ture écrite donne forme à la pensée).Ce qui est imprimé ne dit plus tou-jours clairement ce qui doit être

retenu de la lecture, mais invite deplus en plus le lecteur à le trouver parguidage, par exemple dans les romanspoliciers deviner qui est l’assassin àpartir d’indices discrets, ou dans lesœuvres qui requièrent des connais-sances préalables (pour comprendrela parodie il est préférable de connaî-tre l’œuvre parodiée), etc. L’école aaussi intégré ces évolutions quand lesmanuels ou fiches photocopiées ne« disent » pas tout, mais attendent queles élèves, à partir de questions et

consignes, « construisent » les signi-fications en articulant la diversité detextes, images, schémas, tableaux,graphiques… qui cohabitent.

Que les évolutions des savoirs dansla société soient prises en comptedans les programmes scolaires, c’est,dans une certaine mesure, une bonnechose : seule l’école s’adresse à l’en-semble d’une génération, et peut rele-ver le défi de la préparer à faire faceà ces exigences ; et le fait de solliciterdavantage la réflexion des élèvespourrait être une bonne nouvelle.Tout cela, à condition que ces exi-gences soient accompagnées pourconduire avec progressivité tous lesélèves à y satisfaire. C’est l’un desaspects qu’un projet démocratiquedoit profondément transformer.

enseigner La même choseÀ tous ? oPPositions etconvergences entrecLasses sociaLesOn sait depuis cinquante ans que les inégalités scolaires peuvent s’expliquer par le fait que les formespédagogiques s’appuient sur desconnaissances ou des habitudes deraison nement prérequises chez lesélèves, tant les logiques propres à laculture savante relèvent de « l’évi-dence » pour les enseignants et l’en-semble des adultes « cultivés » (voirles travaux de Bourdieu et ceux quien découlent).L’introduction des nouvelles exi-gences s’est aussi faite sur le mode del’évidence, avec très peu d’accompa-gnement et de progressivité, commesi les modes de raisonnement sollici-tés pouvaient être « spontanés » chezles enfants, alors qu’ils ne sont lerésultat que de ce qu’ils ont précé-demment développé, dans la familleou dans leur scolarité antérieure.En moins de temps de classe (tempsdu samedi matin jamais récupéré parl’école puisque dénationalisé par laréforme des rythmes scolaires), lesélèves doivent apprendre de manièremoins guidée des choses plus diffi-ciles dans chacune des leçons dechaque discipline, et avec un nom-bre de disciplines qui a augmenté(langue, histoire de l’art…) : le modèled’enfant qui peut accéder « sponta-nément » à ces exigences est celui quiest préparé à la maison pour ce faire,ce qui est donc tout sauf « spontané »,et possible dans une minorité defamilles seulement.

Il ne faut donc pas seulement « exi-ger » une plus grande réflexion, maisconstruire progressivement ces capa-

« tous les élèves sont confrontés à des exigences de raisonnement

bien plus élevées qu’autrefois, parce queles savoirs savants s’accumulent. »

« encourager à ce que les futurs

adultes sachentutiliser les savoirs

pour analyser le monde. »

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cités. Il ne faut pas « permettre » auxenfants de voir en quoi les savoirspeuvent expliquer le monde demanière descriptive, mais lesconduire sans condition préalable àconsidérer le pouvoir de penser queprocurent les savoirs : l’apprentissagedu système numérique en CP n’estpas seulement utile pour « plus tard »ou pour mesurer les objets rencon-trés, mais aussi penser des quantitésplus grandes que ce que nos mainspeuvent contenir, ouvrir des horizonsnouveaux et pas seulement celuiqu’on nous a permis de voir jusqu’iciparce que c’est le seul que la familleconnaît.Il ne faut pas requérir un point de vue« interdisciplinaire » comme le fait laréforme en cours. Ce qui justifie queles enfants soient de longues heuresdans l’école, c’est qu’il est nécessaired’avoir un espace dédié à l’étude dumonde, au travers de différentes dis-ciplines : étudier la langue, les textesdes auteurs et penseurs qui nous ontprécédés, étudier les phénomènes dupassé ou l’organisation des humainsdans l’espace, étudier la vie animaleet végétale, les arts, etc. Il faut reven-diquer cette relative « coupure » entrel’école et « la vie », sinon on leurre lesenfants : si l’école vient à adapter sescontenus pour qu’ils ressemblentdavantage à ceux qui existent dansles familles populaires (qui, parce queles parents n’ont pas pu suivre

d’études, ignorent le plus souventl’apport des savoirs que les disciplinesont construits), alors on prive cesélèves du seul moyen dont la sociétédispose pour leur faire découvrir lessavoirs savants que la bourgeoisieveut s’approprier. Seuls les rejetonsdes classes dominantes et ceux dessalariés qui ont fait des études longuespeuvent être dans la continuité entrel’école et la culture qu’ils rencontrentdans « la vie ».

Depuis quelques décennies, on adonc tiré les exigences vers le haut

dans les programmes, tout en affai-blissant la formation d’enseignantset en encourageant les visions idéo-logiques du spontanéisme et dumépris des classes populaires (lafausse explication du « handicapsocioculturel » qui fait comme si lesenfants « normaux » étaient dans laconnivence avec les savoirs scolaires).Plutôt que de favoriser le partage deces nouveaux savoirs, la bourgeoisie

au pouvoir a accru la concurrencedans l’école. Les catégories intellec-tualisées du salariat se sont trouvéesenrôlées dans le mouvement, cher-chant avant tout à ce que leurs pro-pres enfants puissent suivre le mou-vement. Les forces de dominationcherchent à couper ces catégories desfractions les plus populaires pourmieux diviser et encourager le cha-cun pour soi.Pourtant, les familles d’ingénieurs, detravailleurs de la culture, de l’éduca-tion, etc., ont tout intérêt à une poli-tique d’égalité, c’est-à-dire à ce quela réponse à l’élévation des exigencesde savoir soit prise entièrement encharge par l’école. Si elles sont moinsdurement touchées que les famillespopulaires par la logique de concur-rence et d’affaiblissement du servicepublic, elles le sont aussi quand ellesdoivent faire l’école à la maison, oudavantage de route pour amener leurenfant dans une école visant les objec-tifs élevés, et quand elles ne « culti-vent » plus leur enfant simplementpar plaisir mais par obligation, payantdes cours particuliers, etc.

Comment s’étonner qu’une partie dela jeunesse française s’estime laisséepour compte quand certains établis-sements ont des objectifs moindresque les autres, au nom de l’hypocri-sie des « projets locaux » ? quand l’élé-vation des exigences peu accompa-gnées fabrique de l’échec et del’assignation d’images négatives des

élèves et de leurs familles ? quandl’école intègre (ce que l’on a moinstraité ici faute de place) des contenusempreints d’idéologie, qui valorisentles mœurs et les modes de vie desclasses dominantes en disqualifiantceux des classes populaires ?

Quand l’école est sous le poids despolitiques inégalitaires et concurren-tielles, elle fabrique non seulement

de l’injustice sociale, mais elle affai-blit aussi les repères communs quedéveloppe l’apprentissage de savoirset de modes de raisonnement parta-gés, ce qui met l’existence même dela société en danger.

Tous les enfants sont capables d’ap-prendre ces nouveaux contenus, sidès le début de la scolarité la pro-grammation de ces contenus et lamanière de les aborder se base sur lemodèle de l’enfant qui n’a que l’écolepour apprendre, n’a rien de « spon-tané » hormis ce qu’on lui a permisde développer. Il faut donc se garderd’une surenchère sur les exigences,en se limitant à ce qui semble néces-saire et enseignable à ce modèled’élève dans le temps de classeimparti. Tout cela implique de repen-ser la formation initiale et continuedes enseignants, pour ne pas les aban-donner face à ces défis, et en assu-mant les choix démocratiques desmissions qui leur sont confiés, doncen s’attaquant à la concurrence et auxdélits d’initiés. n

« Plutôt que defavoriser le partage

de ces nouveauxsavoirs,

la bourgeoisie aupouvoir a accru la concurrence dans l’école. »

« quand l’école est sous le poids despolitiques inégalitaires et concurrentielles,elle fabrique non seulement de l’injustice

sociale, mais elle affaiblit aussi les repèrescommuns que développe l’apprentissagede savoirs et de modes de raisonnementpartagés, ce qui met l’existence même de

la société en danger. »

*Stéphane Bonnery est professeuren sciences de l’éducation àl’université de Paris 8-Vincennes-Saint-Denis.

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Rque les profils des élèves à besoinsparticuliers sont définis à partir decritères médico-psychologiques, alorsl’élève devient un patient, parents etenseignants des sujets et des objetsde la médicalisation. Cela conduit àl’externalisation galopante de ce quis’affiche comme lutte contre les iné-galités d’accès aux savoirs, dansl’école et hors l’école : dispositifsinternes de remédiation (aide person-nalisée, stages de remise à niveau enprimaire, réseau d’aides spécialiséesaux élèves en difficulté assignés àcompenser de prétendus manques,filiarisation à peine masquée au col-lège, orientation des élèves sur dessections qui leur seraient « destinées »,difficultés d’accès à l’université, etc.).

Or nombre de travaux montrent quela difficulté scolaire, comme le décro-chage sont en fait un non-accrochageà la chose scolaire, issu des premièresannées de scolarisation. Plusieursregistres sont à l’œuvre dans le non-accrochage : le rapport au savoir etaux apprentissages ; le rapport au lan-gage ; la non-lisibilité des attendusscolaires ; un sentiment d’injusticedû à une non-reconnaissance ; uneimage péjorée de soi et de ses capa-cités. S’il y a bien des relations de cor-rélation entre origine socioculturelle

et résultats scolaires on ne peut enfaire des relations de causalité. Le sys-tème scolaire, parce qu’il ne transmetpas ce qu’il requiert, présuppose quetous les enfants sont immédiatementen connivence avec l’école, participeà creuser les écarts entre enfants, dansune des écoles les plus ségrégativesdes pays de l’OCDE.

rePenser Les finaLités de L’écoLeCondorcet défendait une école qui nesaurait être une « espèce de loterienationalepour les enfants du peuple »,et la garantie par l’État de l’égalité desdroits de tous les enfants (voir leRapport Delahaye). Ces propositionsdemeurent d’actualité dans un sys-tème méritocratique, ségrégatif quiassigne l’école à l’étroite préparationà un métier pour les « pauvres ». C’estdonc une radicale rupture qu’il s’agitd’opérer afin que l’école prépare lesenfants à faire société, en les dotanttous des savoirs et des compétencesrequis. Cela engage une conceptiondes savoirs et de leur transmission,dans une école conçue pour les enfantsqui n’ont que l’école pour entrer dansles apprentissages scolaires.

Plutôt que d’en faire des exécutantsd’injonctions dont ils ne comprennentpas le sens, de leur imposer de chan-ger de culture en reniant leur propreparcours, au nom de l’assimilation,l’école doit les ouvrir à une posture dequestionnement du monde, leur faireconnaître d’autres manières de le pen-ser que celles dont ils héritent. C’esten mettant en partage des objets desavoirs appréhendés dans uneapproche anthropologique qu’elle

peut inscrire les enfants dans une his-toire pour inventer la leur. À la condi-tion que les savoirs ne soient appré-hendés ni comme des objets morts nicomme des marchandises.Les modalités de leur transmission,sont essentielles à la constructiond’une pensée autonome. L’approchedogmatique des connaissances assé-

PAR CHRISTINE PASSERIEUX*

difficuLtés scoLaires :aPProche idéoLogiqueLa notion même de difficulté a évo-lué au cours du XXe siècle, en mêmetemps que le rôle de la scolarité dansl’insertion sociale. La démocratisa-tion de l’accès aux études dans lesannées 1980 ne s’est pas accompa-gnée d’une démocratisation de l’ac-cès aux savoirs, y compris en éduca-tion prioritaire. Face à l’échec scolaire,les choix politiques des années 1990ont conduit, au nom de prétendusfondamentaux, à individualiser lesapprentissages et mettre en place uneécole à deux vitesses où se multi-plient, dans et hors ses murs, des dis-positifs de remédiations qui n’affron-tent pas le cœur du problème. Unenouvelle catégorie d’élèves voit lejour : les élèves à besoins éducatifsparticuliers (dans laquelle on retrouveles élèves issus des milieux dits défa-vorisés, issus de minorités, les enfantsdits handicapés). Comme l’a écritJean-Yves Rochex : « le cadre de réfé-rence des politiques d’éducation prio-ritaire mais aussi des politiques sco-laires génériques, n’est plus le rapportdes différents milieux sociaux au sys-tème éducatif mais l’adaptation decelui-ci à la diversité des individus »Les inégalités sociales se transformenten inégalités scolaires, par une essen-tialisation des différences entre élèves.L’idéologie du handicap sociocultu-rel, puis de l’égalité des chances sonttrès largement partagées dans lapopulation y compris lorsqu’elle seréclame de la gauche : 69,5 % desenseignants imputent la difficulté sco-laire à l’environnement des élèves,contre 16,7 % qui l’imputent à l’écoleet 11,7 % aux élèves (Stanislas Morel,La médicalisation de l’échec scolaire,La Dispute, 2014).

Cela se traduit par une montée enpuissance de la médicalisation et dela psychologisation des difficultés sco-laires, « médicalisation décomplexée »comme l’écrit Stanislas Morel, quimontre que lorsque la difficulté sco-laire est traitée comme un handicap,

difficuLtés scoLaires, décrochagecomment sortir du fatalisme et des réponses individuelles. c’est parcequ’ils identifieront la signification pour eux de l’entrée dans les apprentis-sages que les élèves découvriront le plaisir d’apprendre, y compris dansl’effort que cela requiert, saisiront qu’ils participent au-delà de leur histoiresingulière à ce qui est commun aux hommes.

« nombre de travaux montrent que la difficulté scolaire,

comme le décrochage sont en fait un non-accrochage à la chose scolaire,

issu des premières années de scolarisation. »

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*Christine Passerieux est membredu Groupe français d’éducationnouvelle (GFEN).

nées comme des vérités définitivessont de vrais empêchements àconstruire de la culture et à s’émanci-per. Elle conduit les élèves les moinsconnivents avec les pratiques scolairesà penser qu’il suffit d’acquérir des

informations et des connaissances àmémoriser et restituer au contrôle,pour mieux les oublier ensuite. Celarelève plus du deal que de l’appro-priation nécessaire pour se construire.Des logiques de coopération, de soli-darité, doivent se substituer auxlogiques de concurrence qui pren-nent corps dans une inflation d’éva-luations des produits plutôt que desprocessus pour les construire, dansdes redoublements trop nombreux etmassivement peu efficaces.C’est parce qu’ils identifieront la signi-fication pour eux de l’entrée dans lesapprentissages que les élèves décou-vriront le plaisir d’apprendre, y com-pris dans l’effort que cela requiert,saisiront qu’ils participent au-delà deleur histoire singulière à ce qui estcommun aux hommes.

C’est d’autant plus nécessaire que lessavoirs se complexifient et que pourne pas y être soumis il faudra, de plusen plus, être en mesure de question-ner, comprendre, dans la rencontreavec des œuvres artistiques, scienti-

fiques, technologiques dont tropd’élèves ne soupçonnent pas l’exis-tence, afin de passer de logiquesd’opinion, porteuse de violents af -fron tements sans issus à une logiquede raison où ils seront capables deconstruire un point de vue, de ne plusêtre aliénés à une pensée libéraledominante qui écrase et mutile

… et donc La formationLes enseignants français sont ceuxqui, sur une trentaine de pays, se sen-tent le moins préparés sur le planpédagogique (rapport Delahaye).C’est dans les pays où ils se sententvalorisés que les résultats sont lesmeilleurs (OCDE). La formation aumétier est au cœur d’un projet detransformation de l’école mais uneformation transformée. Plus que de prescriptions de « bonnes pra-tiques », les enseignants doivent par-ticiper à la conception de leur métier

en étant dotés de connaissancesapprofondies (en particulier concer-nant la nature des difficultés desélèves). Cela implique des relationsétroites avec la recherche universi-taire, pédagogique, l’ouverture à desmouvements d’éducation nouvelleet populaire qui articulent valeurs,théories pédagogiques et pratiquesde réussite. L’exercice d’un métierqui se complexifie nécessite de pen-ser l’action des enseignants dans descollectifs où chacun pourrait, à saplace spécifique, répondre aux pro-blèmes rencontrés sans confusionde rôle et de mission.

La PLace des ParentsPensée Pour réduire Les inégaLitésComme le disent des parents d’ATDQuart-Monde, entrer à l’école c’estprendre le risque d’humiliations.Souvent convoqués parce que « ça neva pas avec votre enfant » disent-ils.Ils se sentent jugés et culpabilisés. Orles recherches montrent la grandeinquiétude des parents des classespopulaires, face à l’avenir de leurenfant, leur souhait d’une réussitescolaire qui ouvrirait à une meilleureréussite sociale (voir Pierre Perrier).Mais l’école exige de plus en plusd’eux qu’ils suppléent à ses propresincapacités, en faisant l’école à lamaison. Ces parents recourent aumarché florissant des cahiers devacances et des officines privées ouencore aux anciennes méthodesd’apprentissage, en particulier en lec-ture, et malgré eux ajoutent de la dif-ficulté à leurs enfants. Ceux-ci sontprisonniers de tensions inconcilia-bles entre des conceptions du travailscolaire, des méthodes d’apprentis-sage fort différentes. La logique de ladouble peine ! C’est à l’école d’ac-compagner les enfants, de les doterdes outils cognitifs nécessaires à leurprogressive autonomie intellectuelle.C’est à elle aussi de créer des espacesde rencontres entre enseignants etparents, qui favorisent un dialogueégalitaire, dans le respect des respon-sabilités de chacun.

Des réponses existent déjà pour lut-ter contre un échec socialementségrégatif. Il est urgent de peser pourque, loin des thèses hégémoniquessur la bienveillance nécessaire, soientenfin mis en actes les discours sur ledroit à la réussite pour tous. n

« L’approche dogmatique des connaissances

assénées comme des vérités définitives sont de vrais empêchements à construire

de la culture et à s’émanciper. »

cet ouvrage propose une analyse sociologique de la montée en puissance des inter-prétations médico-psychologiques des difficultés d’apprentissage qui essentiali-sent les différences entre élèves.dans un climat sécuritaire d’éradication de tout risque, où la norme scolaire est celledes élèves qui réussissent, le recours aux soins, adaptés à chaque cas, s’imposecomme une fausse évidence. ainsi parents et enseignants y recourent d’autant plusque leurs conditions de vie et de travail se dégradent et que monte l’angoisse del’échec des enfants. en même temps les différences d’approche entre parents etenseignants rendent les relations d’autant plus difficiles que les parents se sententdisqualifiés et culpabilisés et les enseignants discrédités dans leur professionnalité.Le travail de recherche de stanislas morel montre le changement dans la manière depenser les inégalités mais aussi les objectifs assignés à la démocratisation scolaireet à l’école. L’élève étant un patient, il n’est plus nécessaire de s’interroger sur la naturedes difficultés rencontrées par 20 % de la population scolaire. L’expertise pédago-gique devient obsolète au profit de discours cognitivistes qui transposent desrecherches fondamentales à l’école.

LA MÉDICALISATION DE L’ÉCHEC SCOLAIREstanislas morel, La dispute, 2014

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l’occasion d’une interpellation sur lesmécanismes d’entrée dans lesapprentissages et donc sur les méca-nismes de l’échec scolaire ; sur l’arti-culation des cycles entre eux ? Certesune matinée a été rétablie mais sansrevenir sur les 24 heures hebdoma-daires et sans réflexion approfondie,de concert avec les enseignants, surl’organisation du temps scolaire et lesméthodes pédagogiques.

Deuxième exemple : la réforme ducollège. Elle poursuit la logique enga-gée en 2005 avec la loi Fillon de dimi-nution du temps des enseignementscommuns.Le refus d’inscrire l’allongement dela scolarité obligatoire à 18 ans main-

tient le collège dans un bloc « pri-maire-collège » toujours soumis à lapression de l’orientation, sans regardsur les difficultés en termes d’affec-tation. Les élèves qui rencontrent desdifficultés à entrer dans les appren-tissages continueront donc d’êtresommés de choisir précocement leuravenir, alors qu’ils n’en n’ont ni lesclefs ni le temps.

une ProPosition qui ne fait Pas consensusPourquoi notre proposition d’allon-gement de la scolarité obligatoire de3 à 18 ans ne fait-elle pas consensus ?Englués dans la politique d’austéritéet le dogme de réductions des dépen -ses publiques, le sempiternel argu-ment du « coût » est invoqué pourrefuser d’examiner l’allongement dela scolarité obligatoire.Pourtant en France, près de 99 % desenfants de 3 ans sont scolarisés. Dece point de vue, rendre la scolaritéobligatoire dès 3 ans, contre 6 actuel-lement, serait assez « indolore » finan-cièrement. C’est la tranche des 16-18

ans qui impliquerait un engagementfinancier supplémentaire. Aumoment de la campagne présiden-tielle de 2012, cet engagement avaitété estimé autour de 240 millionsd’euros par an. Une somme qu’ilconvient de rapprocher du coût du« décrochage scolaire » des quelque140 000 jeunes qui sortent du sys-tème sans diplôme ni qualification.Il a été évalué par l’actuel gouverne-ment autour de « 230 000 euros » parélève, soit près de 30 milliards dedette contractée chaque année !Dans le cadre de la stratégie Europe2020, la France s’est ainsi engagée àabaisser le taux de jeunes en dehors« de tout système de formation etsans diplôme du second cycle du

secondaire » à 9,5 % d’ici 2020. Si nouspouvons partager cet objectif, nousdivergeons sur la réponse à apporterau décrochage scolaire. Là où nousrépondons responsabilité et renfor-cement du service public de l’éduca-tion nationale, notamment par cetallongement de la scolarité obliga-toire, le gouvernement répond, lui,« système de formation », qui inclutle développement de l’apprentissageau détriment du statut scolaire, desécoles de la deuxième chance…Nous croyons au contraire que la solu-tion se trouve à l’école, mais dans uneécole profondément transformée.Il faut donc imaginer sur un tempsplus long, avec plus de souplesse, uneorganisation scolaire qui permettede mettre en œuvre le principe du« tous capables ».Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’ap-prendre par cœur, de restituer unsavoir mais de « comprendre », de« substituer », de mettre en relationdes savoirs. Une exigence de« réflexion » qui se conjugue avec descontenus devenus plus notionnels.

PAR BRIGITTE GONTHIER-MAURIN*

f ace à des savoirs de plus en plussavants et une société qui secomplexifie, les conditions

d’exercice d’une pleine autonomiedes citoyens exigent pour l’école unprojet qui porte l’ambition du plushaut niveau de connaissances pourtous et toutes. À cela au moins deuxconditions : des adultes en nombresuffisant aux côtés des élèves et for-més pour atteindre cette exigence. Ladroite veut nous enfermer dans undébat idéologique, revendiquant depouvoir faire « une meilleure école »avec moins d’adultes présents, etnotamment moins d’enseignants. Sonprojet est constant, la dernière dis-cussion des crédits budgétaires de lamission « enseignement scolaire » auSénat l’a montré. Elle a ainsi déposéet fait voter un amendement suppri-mant des moyens dédiés au recrute-ment des stagiaires et des enseignantsdu second degré.

La caPacité d’aPPrendredes enfantsPour autant, les forces progressistes,et plus généralement l’opinionpublique ont besoin de trancher unpremier débat : est-ce que tous lesenfants sont capables d’apprendre ?Lors de la loi de refondation de l’école,les élus du PCF/Front de gauche ontdéfendu ce principe et l’ont fait ins-crire dans le code de l’éducation, maisdans la réalité nous en sommes en loin.Il ne s’agit pas pour le PCF/Front degauche d’un « slogan », caractérisantune école « plus bienveillante », maisbien d’en faire le fondement de toutesles réformes à mener pour construirele service public d’éducation natio-nale en capacité de concrétiser le« tous capables ».Pour cela, le service public a besoinde transformer la formation initialeet continue des enseignants, le rap-port aux savoirs, à leur évolution, l’ap-préhension de la difficulté scolaire…La question du temps que l’on donneà l’école et aux enseignants, son orga-nisation, est donc déterminante. Encela, la réforme des rythmes scolaires,et celle du collège, on peut le crain-dre, sont des rendez-vous manqués.Sur les rythmes, comment a-t-on puà ce point assécher cette question,alors que cette réforme aurait dû être

L’aLLongement de La scoLarité« mieux d’école », est-ce plus ou moins d’école ? Le PcF/Front de gauchepropose un allongement de la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans. Pourquoi ?

« englués dans la politique d’austérité et le dogme de réductions des dépenses

publiques, le sempiternel argument du “coût” est invoqué pour refuser

d’examiner l’allongement de la scolarité obligatoire. »

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*Brigitte Gonthier-Maurin estsénatrice (PCF) des Hauts-de-Seine.

Des travaux de recherche montrentd’ailleurs que ces exigences crois-santes se retrouvent dès l’écolematernelle. Les réformes de la droitese nourrissent aussi de la panne bienréelle du processus de démocratisa-tion scolaire qui portait l’exigencede poursuite d’études. Car, pourparaphraser Jean-Yves Rochex, « ladémocratisation quantitative ne s’estpas accompagnée d’une diminution

des inégalités sociales qui se sontjuste décalées dans le temps ».Ainsi, les outils employés à l’époquepour conduire cette massification –classes de 4e et 3e technologique,chute des redoublements – ontdébloqué des verrous mais montréleur limite en ne parvenant pas à lut-ter réellement contre l’échec scolaire.Ainsi, depuis le milieu des années1990, le taux de passage en seconde

n’évolue plus ou que très lentement.La démocratisation est donc bien enpanne.C’est pourquoi, nous défendonsl’idée qu’il faut non pas moinsd’école, mais plus et mieux d’école. n

sifié des connaissances sont fonda-mentaux pour la maîtrise des conte-nus et méthodes.

Sous prétexte de « donner plus detemps » aux élèves en difficulté, leredoublement ou les dispositifs desortie de la classe condamnent nom-bre d’élèves à une scolarité fragmen-

tée. Comment s’étonner alors quel’école ne fasse plus sens pour eux ?Les élèves devraient avoir la possibi-lité de passer plus de temps sur ce quileur est difficile sans être considéréscomme des « mauvais élèves ». Celanécessite d’avoir moins d’élèves enclasse, d’avoir la possibilité de fairedes allers-retours ponctuels dans sascolarité, d’avoir une autre considé-ration du temps d’évaluation et deprogression.

Libérer Le temPsCar le temps scolaire, c’est aussi letemps subjectif des élèves : noussavons tous qu’une heure passe bien

plus lentement quand on ne com-prend pas. Allonger le temps scolaireimplique de donner sens aux appren-tissages.Le règne de l’employabilité soumetl’école à un temps libéral. La logiquedes « compétences » et la proliférationdes « évaluations » (qui ne sont plusbien souvent que des contrôles) ins-crit l’école dans une temporalité del’efficacité et de la rentabilité, du courtterme, quand la construction de per-sonnes émancipées nécessite que cha-cun puisse s’inscrire dans le tempslong de la spéculation désintéresséeet de la réalisation de soi. L’obsessionde la société de contraindre les enfantsdès le plus jeune âge à adopter un pro-jet professionnel est un piège.Demander à des élèves, à l’adoles-cence, de se projeter dans un avenirprofessionnel est un non-sens quiconduit à des orientations précoces etaliénantes. L’école ne devrait pas êtreune usine. En redonnant du sens autemps scolaire, on s’assurerait de lamise en valeur de chaque élève pource qu’il est et non pour la place qu’onlui réserve professionnellement.

L’exigence de productivité en tempslimité, l’absence de liberté autour dutemps sont donc les mêmes pour lesélèves que pour les travailleurs. Lavision linéaire et fragmentée du tempsscolaire reproduit le modèle capita-liste en tant qu’elle crée des sas dereproduction, des prédestinationsprofessionnelles organisées selon lesdésirs du patronat, mais ne corres-pond pas aux besoins et aspirationsdes élèves et à une exigence d’éman-

PAR SHIRLEY WIRDEN*

L a question du temps scolairerevient régulièrement dans ledébat public : nouveaux « ryth -

mes », apprentissage précoce, duréede la scolarité obligatoire… Au nomdu bien être des enfants, les politiqueslibérales veulent réduire le tempsd’école, au moment même où ellesallongent le temps de travail avec letravail du dimanche ou le recul de l’âgede départ en retraite. La marchandi-sation de tous les temps de la vie estl’un des enjeux de la lutte des classesaujourd’hui.

Le temPs d’aPPrendre : un enjeu PédagogiqueDes savoirs de plus en plus complexesstructurent notre société. Commentpermettre à tous les élèves de se lesapproprier si on ne leur en donne pasle temps ? Pourtant, c’est toujours auxélèves qui rencontrent le plus de dif-ficultés d’apprentissage que l’on veutdonner moins d’école. Au contraire,il y a besoin de plus de temps pourapprendre autrement. L’allongementnécessaire du temps scolaire va depair avec une refondation des conte-nus et des pratiques.

Le bachotage successif des milliers deleçons que chaque élève doit appren-dre au cours de sa scolarité ne profitequ’à un certain type d’élève. Aux listesde compétences à « valider », substi-tuons la cohérence d’une culture danslaquelle chaque élève peut évoluer.L’approfondis sement et l’usage diver-

temPs scoLaire, temPs de La vie : un enjeu de La Lutte des cLassestemps d’apprentissage, temps de travail, des temps de vie de plus en plussoumis à des impératifs de rentabilité.

« L’allongementnécessaire du

temps scolaire vade pair avec unerefondation descontenus et des

pratiques. »

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cipation de la jeunesse. Dans cettelogique actuelle, l’école n’est que lereflet du monde du travail et de sonmode de production.

L’évolution du temps scolaire vers untemps réduit, fragmenté et orienté versl’efficacité immédiate a pour consé-quence une « scolarisation » des autrestemps de la vie : rentrés à la maison,les élèves doivent refaire l’école, pren-dre le temps qu’ils n’ont pas eu enclasse pour comprendre, approfon-dir… Les cours particuliers, en majo-rité réservés aux familles les plus aisées,représentent des sacrifices importantspour les familles modestes. Il en est demême du bagage familial social et cul-turel. Ce sont des temps supplémen-taires non reconnus par l’institutionmais déterminants.

C’est le temps de la famille et du loi-sir qui disparaît alors. Dès l’école, et

avant même que les jeunes ne fassentl’expérience des jobs et du travail dudimanche, l’ensemble des temps dela vie se trouve soumis à l’exigence derentabilité. Si nous voulons allongerle temps scolaire – mais un temps sco-laire repensé au service de l’émanci-pation – c’est donc aussi pour libérerle temps hors école.

Le temPs deL’enseignement : un Pointd’aPPui Pour transformerLe temPs scoLaire… et Le temPs de travaiLLes évolutions récentes du temps sco-laire ont eu des effets sensibles sur letemps des enseignants : la proliféra-tion des évaluations, les programmestrop lourds, les salaires trop bas et lamultiplication des heures supplémen-taires ont conduit à réduire le tempsconsacré à la préparation des cours età la formation, provoquant une véri-table crise du sens du métier d’ensei-gnant. Parallèlement, la question dutemps de travail des enseignants estrevenue à plusieurs reprises dans ledébat public : alignement sur les35 heures, annualisation… Les propo-sitions convergent pour nier le tempsde préparation, de réflexion, de for-mation nécessaire pour faire cours.

Il s’agit d’une évolution caractéris-tique du capitalisme contemporain :alors que la part intellectuelle du tra-vail joue un rôle de plus en plusimportant dans la production devaleur ajoutée – et ce dans tous lesdomaines – le capital cherche à la ren-dre invisible pour ne pas avoir à la

reconnaître – en matière de salairesou de maîtrise du métier. Au contraire,le temps de travail des enseignantstel qu’il est pensé dans les statuts dela fonction publique, un temps de tra-vail qui tient compte de la part de tra-vail intellectuel nécessaire à l’exer-cice du métier sans pour autantchercher à la contrôler ou à la rendrerentable, peut devenir un point d’ap-pui pour penser les transformationsdu travail aujourd’hui et revendiquerune baisse du temps de travail pourlaisser à tous les travailleurs le tempsde la formation, de la réflexion et dela création.

Sur ces questions de temps, passonsà l’offensive. D’abord en réaffirmantla nécessité d’un temps long d’entréedans le métier, notamment grâce àdes prérecrutements, ainsi que detemps de travail en équipe prévusdans le service et de temps de forma-tion tout au long de la carrière, avecune relance de la formation continue.Mais aussi en défendant la réductiondu temps de travail des enseignantspour permettre une véritable trans-formation des pratiques enseignantesau service de la réussite de tous lesélèves : limitation du recours auxheures supplémentaires, plus de maî-tres que de classes pour permettre laréduction du temps de travail dans leprimaire, alignement des enseignantsdu secondaire sur le statut d’agrégé. n

« Les élèvesdevraient avoir la possibilité depasser plus de

temps sur ce quileur est difficile

sans êtreconsidérés comme

des “mauvaisélèves”. »

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au nom des « rythmes » de l’enfant, le gouvernement a imposéune réforme du temps scolaire. mais de quels « rythmes »parle-t-on ? ce terme flou sert à naturaliser la difficulté sco-laire : certains enfants (toujours les mêmes, les enfants desclasses populaires) seraient plus « lents », plus fatigués parles apprentissages… bref, moins faits pour l’école. et poureux, il faudrait donc moins d’école et plus de jeux. et tant pissi cela reproduit et aggrave les inégalités. et si, au contraire,on transformait l’école pour qu’elle soit faite pour tous lesenfants ?avec la réforme des rythmes, le gouvernement a aussi enté-riné la suppression d’une demi-journée d’école mise en œuvrepar la droite. À la place, il a demandé aux communes de pren-dre en charge un temps d’activités périscolaires. mais le loisiréducatif ne peut pas se substituer à l’école. et les communesne peuvent pas assurer l’égalité à la place du service publicnational.

il faut rétablir la demi-journée d’école supprimée, pour quetoutes les tâches scolaires puissent être réalisées en classe,pour donner à tous les enfants le temps de la compréhen-sion. et l’énervement, l’ennui, qui ne sont pas la cause del’échec mais ses conséquences, laisseront la place au plai-sir de progresser !il faut donner aux enseignants le temps de se former, de réflé-chir à leurs pratiques, de travailler ensemble pour faire réus-sir tous les élèves. Pour allonger le temps scolaire sans alour-dir encore leur charge de travail, il faut plus d’un maître parclasse.des expériences culturelles riches sont essentielles à la for-mation de personnes émancipées. appuyons-nous sur lesréalisations des communes pour créer un service publicnational déconcentré du loisir éducatif, donnant aux anima-teurs un statut qui les protège et l’accès à une formation.

Les Pièges des « rYthmes » scoLaires

*Shirley Wirden est membre du Réseau école du PCF.

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gagement de chacun dans l’étude. Lestravaux sociologiques conduits depuisla deuxième moitié du XXe siècle, quimontrent de façon récurrente lespuissantes corrélations entre leschances de réussite scolaire et les ori-gines sociodémographiques desélèves ont – sauf à penser que lesenfants de milieu populaire sontnaturellement moins aptes à l’étudeque les autres – dissipé cette illusionet remis en question l’efficacité detelles frontières.

L’écoLe diLuée hors dufoyer des aPPrentissagesLongtemps chasse gardée des élitessociales, le second degré et l’ensei-gnement supérieur se sont récem-ment massifiés. Mais la facilitation del’accès n’est pas garantie de succès.Notre école secondaire notammentest, comme le confirment régulière-ment des enquêtes internationales,une de celles qui rajoutent le plusd’inégalités aux inégalités socialesdont sont porteurs les élèves. De lamême manière, l’ouverture des fron-tières à de plus grands échanges entrel’école et le monde qui lui est exté-

rieur ne se solde pas nécessairementpar une démocratisation supérieure.Si les cultures scolaires adolescentesou les albums de jeunesse sont deve-nus des objets d’étude à l’école, le rap-prochement apparent avec les pra-tiques extrascolaires ainsi autorisérisque de demeurer illusoire si lesenfants et les jeunes ne comprennentpas que la manière strictement sco-laire de les traiter est souvent éloignéede leur pratique « profane ». Il ne suf-fit pas d’être un geek chevronné pourmaîtriser l’informatique comme dis-cipline. La tendance à renvoyer à l’ex-térieur de la classe ou de l’école le tra-vail personnel des élèves participe elleaussi de ce mouvement de décloison-

nement. Elle aussi comporte nombred’effets pervers, comme celui de lais-ser les moments où l’élève s’exercevraiment sous l’influence d’acteurscompétents ou démunis, selon lesfamilles, ou de prestataires privésinaccessibles à beaucoup. De plus, lesparents de milieux populaires peu-vent perdre la face lorsqu’ils sont misen échec par des exercices ou plon-ger leurs enfants dans des conflits deloyauté entre ce qu’ils préconisent etce que l’école demande. La multipli-cation des soutiens qui s’ajoutent lesuns aux autres à la périphérie del’école ne permet par ailleurs pas depallier les difficultés rencontrées aprèsla classe par ceux qui n’ont pas assi-milé en classe les notions qu’il fauttravailler par la suite. L’école diluéehors du foyer des apprentissages, letravail éducatif sous-traité à desgroupes de plus en plus nombreux etdisparates d’intervenants ne semblentpas capables d’assurer les apprentis-sages fondamentaux pour tous.

des LogiquesindividuaLisantes Devant les difficultés à régler les ques-tions récurrentes posées à la démo-cratisation par les rapports entre l’in-térieur et l’extérieur de l’école, sontapparues de nombreuses initiativesqui, renonçant à régler la questiondes inégalités sociogéographiques,promeuvent des politiques de l’inclu-sion et de la diversité censées permet-tre à chacun de trouver sa place. Lesinternats de réinsertion scolairevisaient ainsi à déplacer sur le terri-toire, dans des lieux dédiés, des élèves« particulièrement perturbateurs »,tandis que les internats d’excellence,destinés à des élèves « à fort poten-tiel », souvent originaires des mêmesécoles de la périphérie, devaient per-mettre à ces derniers de bénéficier del’accès inespéré à des établissementsde bon, voire très bon niveau. Ces ten-dances à l’accueil et à la promotionde la diversité, visibles aussi dans l’en-semble des politiques dites de discri-mination positive, concernent indis-tinctement toutes les différences,qu’elles relèvent de handicaps phy-siques ou de processus socioscolaires.Elles signent d’une certaine manièrel’échec des politiques de démocrati-

PAR PATRICK RAYOU*

de L’existence de frontièresL’école de la république s’est histori-quement clôturée sur elle-même carelle souhaitait former de futurscitoyens à l’abri des influences localesqui mettaient régulièrement en périlles acquis démocratiques de laRévolution.L’enseignement systématique de lalangue nationale, l’accès de tous lesenfants, parfois arrachés au mondedu travail, à une scolarité pleinejusqu’à la fin du primaire ont pus’opérer derrière ses frontières pro-tectrices. Celles-ci sont cependantillusoires si on leur accorde aussi lepouvoir de réduire à néant lesinfluences sociales en son sein. Car,si l’école présente bien des manièrestrès spécifiques d’apprendre, avec sescodes particuliers, des comporte-ments requis différents de ceux qu’ona dans la famille ou avec ses pairs, ouencore un droit à l’erreur que la« vraie » vie ne pardonne pas, elle nepeut pas cependant rester étancheaux forces sociales qui, conscientes

de son importance pour l’accès auxemplois et aux responsabilités, ten-tent toujours de la maîtriser dans lesens de leurs intérêts. L’existence deces frontières bien visibles jusqu’il ya peu (dans l’implantation et l’archi-tecture des bâtiments scolaires, le portde la blouse, les éléments culturelsdiffusés à une génération ou encoreune temporalité de l’année distinctede celle de la société civile) a contri-bué au mythe méritocratique, celuiqui laisse penser qu’en son sein, dufait de modes d’organisation particu-liers, les différences de niveauxatteints par les élèves ne doivent plusrien aux héritages de titres ou de for-tune et récompensent seulement l’en-

ouvrir ou fermer L’écoLe ?Le problème n’est pas tant celui de l’ouverture ou de la fermeture que celuide la prise à bras-le-corps, nationale et locale, de la double dimension, cogni -tive et sociale, des savoirs scolaires.

« notre école secondaire notamment est une de celles qui rajoutent le plus

d’inégalités aux inégalités sociales dont sont porteurs les élèves. »

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*Patrick Rayou est sociologue. Il est professeur en sciences del’éducation l’université de Paris 8-Vincennes-Saint-Denis.

sation de l’offre et de la réussite dansl’ensemble des établissements et s’in-téressent avant tout à des individua-lités. Plusieurs des dispositifs étudiésdans nos enquêtes (Aux frontières del’école. Institutions, acteurs et objets,PUV, 2015) participent de ces logiquesindividualisantes et exercées à l’exté-rieur des circuits « normaux » de sco-larisation. C’est le cas des microly-cées, destinés à « réparer » desdécrocheurs qui, à cause de difficul-tés d’apprentissage auxquelles il n’apas été remédié à temps ou d’acci-dents de vie qui les ont sortis du cir-

cuit et du rythme scolaire, ont purenouer avec l’école dans des struc-tures dérogatoires. Ou celui du coa-ching scolaire qui vise à permettre àdes jeunes d’échapper aux pressionsd’une école trop standardisée, voireà des parents trop prescriptifs, pourmaximiser leurs capacités. Une tellesouplesse mise dans le système sco-laire demeure à sa marge et ne résoutpas les questions de fond en matière

d’apprentissages réussis et d’uneorientation qui ne soit pas, pour unegrande masse des élèves, ceux notam-ment à qui ne s’ouvre que la voie del’enseignement professionnel, lerésultat de choix par défaut.

favoriser La Prise de distance sans disquaLifierRefermer l’école sur elle-même pourespérer retrouver le potentiel intégra-teur qui a été historiquement celui deson premier degré est une tentation.Mais l’intégration n’est pas nécessai-

rement la démocratisation et, dansles meilleures années, c’est à peineun peu plus de la moitié d’une classed’âge qui obtenait le certificatd’études. La réintroduction de ritesou l’invisibilisation des différencessociales sous des blouses à nouveauportées ne donneraient que l’illusiond’une homogénéité si l’offre scolairecontinuait d’être aussi inégale. À l’in-verse, l’ouverture de l’école sur le

monde extérieur, si elle peut éviter lesentiment d’étrangeté que peuvent yéprouver les élèves non déjà acquis àses codes, peut aussi laisser planerl’illusion qu’il suffit d’y laisser entrerles objets du monde pour qu’ils soientscolairement maîtrisés. Le déplace-ment d’élèves aux destins scolairestrès contrastés est une solution quipromeut certains individus ou enempêche d’autres de perturber leurspairs et la paix de l’établissement maisqui ne règle en rien la question de laréussite de masse au moins jusqu’àla fin de la scolarité obligatoire. Leproblème n’est pas tant celui de l’ou-verture ou de la fermeture que celuide la prise à bras-le-corps, nationaleet locale, de la double dimension, cog-nitive et sociale, des savoirs scolaires.Apprendre à l’école se fait selon desmodalités particulières dont onespère qu’elles participent à l’éman-cipation des personnes et descitoyens. Mais les socialisations fami-liales y préparent inégalement et leconcept d’une école qui favorise laprise de distance sans disqualifier estencore largement à inventer et à met-tre en œuvre au sein même de laclasse. n

« elles signent d’une certaine manièrel’échec des politiques de démocratisation

de l’offre et de la réussite dans l’ensemble des établissements. »

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vers un statut de ParentdéLégué… et citoyen ?Suite au rapport (IGASS-IGAENR)remis en novembre, un projet dedécret annoncé par la ministre del’Éducation nationale vise à renfor-cer les mandats des 907 représentantsélus des instances de l’Éducationnationale, Conseil départemental del'éducation nationale (CDEN),Conseil académique de l'éducationnationale (CAEN) et Conseil supérieur

de l'éducation (CSE), en créant uneindemnité versée par l’État. Ce seraitsans doute une avancée car, trop sou-vent les représentants sont des fonc-tionnaires bénéficiant d’un congé dereprésentation. Cette mesure, atten-due par les fédérations de parentsd’élève, dont la FCPE, permettra,peut-être, de mieux faire respecter laplace et le rôle des parents dans lesconseils départementaux, acadé-miques ou nationaux.

PAR ALI AÏT SALAH*

a u moment où la création d’unstatut de parents délégués,promise en 2012, semble enfin

être engagée par le gouvernement, laquestion de la place et du rôle desparents d’élèves, en particulier pourles plus éloignés de l’école, reste poséedans une système toujours plus iné-galitaire.

La PLace et Le rôLe des Parents : ni consommateur, ni médiateur, mais citoyenPour une école plus juste, plus solidaire et plus démocratique, les parentsd’élèves ont un rôle et une place de citoyen à jouer au sein de l’école.

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En revanche, elle ne reconnaît paspleinement l’implication quotidiennede plus de 500 000 parents dont300 000 dans les instances électivesdes écoles primaires, collèges etlycées. La majorité de ces militantsdu terrain de l’école sont des femmes.

De plus, il conviendrait aussi de ren-forcer le pouvoir délibératif des ins-tances, en permettant de pointer loca-lement les enjeux nationaux del’éducation face à une école publiquede plus en plus territorialisée. Laréforme du collège qui doit s’appli-quer à la rentrée 2016, enfoncera ceclou, en consacrant 20 % d’autono-mie aux établissements. Il y a lieuenfin, que les élections des représen-tants de parents d’élèves qui concer-nent 17millions de citoyens françaiset étrangers, soient considérées parles pouvoirs publics, comme unmoment essentiel de la vie démocra-tique nationale.

Ce statut tel qu’il semble se dessinerne prend pas non plus la mesure descauses qui, dans la société et dansl’école, expliquent les difficultés et lesinégalités dans les relations desparents à l’école. Assouplissement dela carte scolaire, réformes des lycéeset des rythmes, depuis plus de dix ans,les réformes, bien qu’elles aient par-fois affiché le contraire, ont, au-delà,contribué à distendre et à individua-liser les liens des parents à l’école, encantonnant bien souvent ces derniersà un rôle de consommateurs.

Les réformes de L’éducationtransforment Les Parents en consommateursLes réformes Darcos, en 2007, sur l’as-souplissement de la carte scolaire descollèges, et Chatel, en 2010, sur leslycées, ont favorisé un éclatement del’éducation nationale, à travers desparcours individualisés, pour, à coupd’options, organiser un nouveau trisocial. La concurrence des établisse-ments, des enseignants, des élèves et

de fait des parents, s’aiguise toujoursau détriment des familles les pluspauvres des quartiers populaires, enles « assignant à résidence » dans desétablissements chichement dotés. Lesdispositifs méritocratiques, commeles internats d’excellence, même

rebaptisés de la « réussite » depuis2012, ne font que justifier les inéga-lités, voire les aggravent en dépouil-lant les quartiers populaires des élèvesqui s’en sortent le mieux.

Les réformes se sont également tra-duites par un désengagement de l’Étatdans l’école en réduisant les tempsd’enseignements. Les exemplesrécents des réformes successives desrythmes scolaires des écoles primaires(Darcos en 2009 et Peillon-Hamon en

2013-2014) l’illustrent. Elles ont par-tagé le même objectif de réductiondu temps hebdomadaire d’enseigne-ment de 26 à 24 h, soit 72 h en moinspar an pour les élèves. Pour mémoire,près de 1 000 h d’enseignement per-dues sur les cycles maternelle et élé-mentaire en 45 ans. Ces réformes ontconduit à la suppression de l’école lesamedi matin, avec pour consé-quence directe d‘éloigner les parentsde l’école, en particulier dans les quar-tiers populaires. L’école le samediétait, en effet, un espace de relationsprivilégié, et plus détendu, entre lesparents et les équipes éducatives etavec l’institution scolaire. Ce tempsprécieux d’échanges informels entreparents devant et dans les écoles etd’organisation avec les associationsde parents d’élèves, a, de fait, disparuau profit d’une relation individuelleet parfois faite d’injonctions contra-

dictoire de la part de l’institution. Laréforme du collège qui doit s’appli-quer à la rentrer prochaine, obéit à lamême logique.

rendre aux Parents Leur PLace de citoyenOn l’a encore vu, à l’occasion de la« grande mobilisation de l’école pourles valeurs de la République », au len-demain des attentats de janvier 2015,les discours incantatoires sur la laï-cité et les valeurs de la Républiquesont d’autant moins opérants, que surle terrain les inégalités se creusent etque le sentiment d’injustice et dedéfiance grandit.

Il y a urgence à mobiliser collective-ment les parents pour toujours plusparticiper au débat sur les enjeux del’école, c’est essentiel pour l’avenir.

Pour cela, il faut sortir les fédérationsde parents d’élèves du rôle unique demédiateur qu’elles sont incitées àjouer dans les contentieux et diffé-rents avec l’école sur l’orientation,l’affectation, la discipline… Quandelles ne sont pas mises au service del’accompagnement ou du copilotagedes politiques éducatives. Trop sou-vent, elles sont aussi sollicitées pourcompenser les manquements del’État dans ses missions pédagogiques

ou pour garantir la gratuité de l’école.C’est vrai pour la remédiation sco-laire (soutien scolaire, préparationaux examens…), mais aussi pour allé-ger le coût de plus en plus supportépar les familles pour payer les four-nitures, les sorties, voyages pédago-giques, ou même acheter les manuelsscolaires.

Pour une école plus juste, plus soli-daire et plus démocratique, lesparents d’élèves ont un rôle et uneplace de citoyen à jouer au sein del’école. Leur fédération, la FCPE, doit,pour cela, renouer avec son rôle demouvement d’éducation populaire etprogressiste. n

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« La concurrence des établissements, des enseignants, des élèves et de fait

des parents, s’aiguise toujours au détrimentdes familles les plus pauvres

des quartiers populaires, en les “assignant à résidence” dans des établissements

chichement dotés. »

« L’école le samedi était un espace derelations privilégié, et plus détendu, entre

les parents et les équipes éducatives et avec l’institution scolaire. »

*Ali Aït Salah est président de laFCPE du Val-de-Marne.

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Reims, Guyane…). Pour les collègeset lycées, les concours ne font pas leplein en Lettres, Anglais, Allemand,Maths, Musique, ni dans les disci-plines industrielles et professionnelles(voir les dossiers du SNES). Au fil desans, les déficits se cumulent. Parexemple au CAPES externe de Maths,394 postes n’ont pas été pourvus en2013 plus 1 203 en 2014 et 343 en 2015.Ce qui fait 1 940 certifiés de maths quimanquent, a minima, sans compter

tous ceux non recrutés sous Sarkozyqui ne remplaçait qu’un départ enretraite sur deux. La Loi de refonda-tion prévoyait 150 000 nouveaux pro-fesseurs en cinq ans, on en est loin.

conséquences de La PénurieManquer d’enseignants se traduit trèsconcrètement par des postes vacants,des classes sans professeur et desremplacements non assurés durantdes semaines. En Seine-Saint-Denis,le manque de remplaçants fait per-dre aux enfants jusqu’à l’équivalentd’une année scolaire qui s’ajoute à laperte d’un an d’école avec le passagede 26h à 24h par semaine sous Darcoset à la difficulté d’entrer à l’école à 2ans… Cela fait trois années d’écoleperdues ! Dès lors, comment préten-dre lutter contre l’échec scolaire ?Pour les professeurs, c’est un alour-dissement de la charge de travail(classes surchargées) et l’impossibi-lité de partir en formation continuefaute de remplaçants. S’ajoute à celaune rémunération très faible en début

de carrière (un fonctionnaire-stagiairegagne 1,1 SMIC), des conditions demutations difficiles, la pression mana-gériale de certains chefs d’établisse-ments, la pression de l’évaluation, desparents exigeants pour l’avenir deleurs enfants, des injonctions perma-nentes (souvent contradictoires) quigénèrent de la soumission et/ou uneprise de distance pour éviter les souf-frances au travail. Pas étonnant quecette profession attire moins !

Mais cette crise a aussi des consé-quences sur le métier lui-même. Avecune augmentation sans précédent dunombre de contractuels, le métierpourrait – à terme – être considérécomme un « petit boulot ». C’est lecas dans de nombreux pays où l’onest enseignant en attendant mieux.Certes en France, le statut du fonc-tionnaire nous protège encore decette dérive mais les attaques récur-rentes sur les concours et le statut dela Fonction publique pourraient accé-lérer le processus.

Depuis 30 ans les recherches en édu-cation plaident pour une profession-nalisation des enseignants. Alors quel’OCDE (rapport Obin, 2003) et l’ins-titution affirment que c’est un métierde conception, force est de constaterqu’il est soumis à une forme de « pro-létarisation » (P. Perrenoud, 1994 : « Cemétier hésite entre professionnalisa-tion et autonomie véritable d’unepart, prolétarisation et dépendanceaccrue d’autre part »). C’est tout l’in-verse qu’il faudrait faire.

PAR CLAIRE PONTAIS*

La stratégie du ministèrede L’éducation nationaLefondée sur un diagnosticerronéLorsque Hollande a été élu, Peillon –alors ministre de l’Éducation natio-nale – soutenait l’idée que la baissed’attractivité était due à la « mastéri-sation » (concours à bac+5) et au dis-cours anti-profs de la droite. Logiquement, il suffisait de changerde discours, d’annoncer des créationsde postes, de réavancer le concoursà bac+4, d’adoucir l’entrée dans lemétier en mettant les stagiaires à mi-temps pour formation en ESPE (Écolesupérieure du professorat et de l’édu-cation) et de créer en amont quelques« emplois d’avenir-professeurs » (EAP)pour que les difficultés se résorbent.Si ces mesures ont effectivement per-mis un petit rebond des candidatures,elles n’ont cependant pas enrayé unecrise de recrutement qui date de bienavant la « mastérisation », même si lapolitique de Sarkozy l’a aggravée(Rapport du sénat de Brigitte GonthierMaurin (2012)). Cette crise s’enracinedans une crise du métier d’ensei-gnant, qui touche d’ailleurs de nom-breux pays. Elle intervient dans unmoment critique où les départs enretraite de professeurs et une remon-tée des effectifs d’élèves rendentnécessaire de recruter 300 000 nou-veaux enseignants d’ici 2022 selonFrance Stratégie, organisme de pros-pective rattaché au premier Ministre.Or depuis le début des années 2000,l’État s’est progressivement désen-gagé du financement des études.

L’amPLeur de La crise de recrutementLa gravité, voire l’existence même decette crise est toujours niée. Il fautpourtant en prendre la mesure si onveut la combattre efficacement. Le concours de professeur des écolesmanque de candidats dans certainesrégions (Amiens, Créteil, Versailles,

crise du recrutement, crise du métierd’enseignant…comment assurer la réussite de tous quand 10,3 % de la population active est au chômage et qu’il y a crise du recrutement d’enseignants ? depuis2012, la pénurie de professeurs augmente – alors même que hollande adonné la priorité à l’éducation. quelles conséquences pour aujourd’hui etpour l’avenir ?

« Prérecruter permettrait “d’étudier àplein-temps” et d’avoir une formation quiarticule des enseignements scientifiquesdisciplinaires, didactiques, pédagogiques,

en lien avec stages encadrés. »

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*Claire Pontais est formatrice àl’ESPE de Basse Normandie. Elle estsecrétaire générale adjointe duSNEP-FSU.

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investir dans desPrérecrutements et dans La formationOutre une réelle revalorisation sala-riale et une amélioration des condi-tions de travail, il faut prérecruter etviser l’acquisition d’un haut niveaude qualification.Prérecruter, c’est permettre à desjeunes, en particulier ceux des milieuxpopulaires, de s’engager vers le métieren finançant leurs études au lieu deles obliger à travailler en amputant

leurs études. C’est aussi permettre definancer des reconversions de diplô-més. L’État finance à hauteur de1 200 € par mois, dès la deuxièmeannée de licence, les étudiants enmédecine qui s’engagent à exercerplusieurs années dans un désertmédical (Loi Bachelot). Pourquoi pasun système équivalent pour l’ensei-gnement ?Mais il faut également investir dansla formation initiale et continue,déterminante pour reprendre prisesur le métier, pouvoir discuter lesprescriptions d’égal à égal avec l’ins-titution, modifier les rapports à la hié-rarchie, pouvoir dialoguer sereine-

ment avec les parents, et être armépour faire réussir tous les élèves. Uneformation de haut niveau enclenche-rait un cercle vertueux qui participe-rait grandement à la revalorisation dumétier.Malheureusement, la réforme de laformation, avec la mise en place desESPE est loin d’être à la hauteur.D’abord, les moyens pris aux Institutsuniversitaires de formation des maî-tres (IUFM) n’ont pas été redonnésaux ESPE, alors que le nombre d’étu-

diants à former a augmenté. Le tempsde formation a diminué par rapportà ce qui existait avant la mastérisa-tion. Avancer le concours en fin demaster 1 a pour résultat d’amputer laformation de l’année de master 2, dèslors que les stagiaires sont utiliséscomme moyens d’enseignement (voirobservatoire-fde.fsu.fr). Face à lapénurie d’enseignants, le gouverne-ment ne propose que des solutionsqui amputent la formation et préca-rise l’entrée dans le métier : l’expéri-mentation des « masters en alter-nance » à Créteil et Guyane (sousstatut de contractuel) réduit de moi-tié la formation en M1, les « étudiants

– apprentis – professeurs » devront,dès la licence 2, être devant des élèvesdeux demi-journées par semaine.Prérecruter permettrait « d’étudier àplein-temps » et d’avoir une forma-tion qui articule des enseignementsscientifiques disciplinaires, didac-tiques, pédagogiques, en lien avecstages encadrés, l’ensemble étantadossé à la recherche. Ce n’est pas lecas aujourd’hui. Si l’on poursuit lacomparaison, les progrès dans lessoins ne sont pas seulement l’œuvredes médecins, mais directement liésau progrès de la recherche en méde-cine. Pour l’enseignement, c’est pareil.Qui peut imaginer un progrès de la formation des enseignants sans développement de la recherchesur/en/pour l’éducation ? Cetterecherche devrait piloter la formationde formateurs et irriguer l’ensembledes formations, initiale et continue. La priorité aujourd’hui, c’est uneremise à plat de la formation, quiassure de bonnes conditions de pré-paration et d’entrée dans le métier etdéveloppe la formation continue.C’est vital pour les élèves, en particu-lier ceux qui n’ont que l’école pourapprendre, et c’est vital pour une reva-lorisation en profondeur du métierd’enseignant. n

« une formation de haut niveauenclencherait un cercle vertueux qui

participerait grandement à la revalorisationdu métier. »

PAR CATHERINE SCEAUX*

Le marché juteux du soutien scoLaireDans son ouvrage School Business,Arnaud Parienty dénonce le poids del’argent qui devient le moyen de sélec-tion dans le parcours de réussite sco-laire.

Avec la montée du chômage, lesparents, de plus en plus inquiets, sesubstituent à l’école et ont recoursaux cours particuliers, aux séances decoachings et aux « prépas » privées aucoût astronomique pour permettre àleurs enfants d’accéder aux meilleursdiplômes, établissements et forma-tions. Ces structures, en concurrenceavec l’Éducation nationale, sont défis-

calisées (excluant d’emblée lesparents ne payant pas d’impôts).L’argent de l’État qui profite auxfamilles les plus aisées, n’est pas réin-jecté dans l’Éducation. En 2010, uncollégien sur cinq et un lycéen surtrois y ont eu recours. Le coaching sco-laire en forte augmentation, se fait àpartir d’un modèle de managementet de compétition et coûte entre 50 et

L’écoLe, esPace démocratique ou marché ?L’école abandonne, depuis un certain temps, une partie de ses préroga-tives en offrant de grands pans d’éducation au privé et en appliquant lanouvelle « gouvernance », mot piégé (voir La Revue du projet, numéro 24),pour centrer la gestion sur les moyens.

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R 150 € la séance. Le marché du sou-tien scolaire privé en France se monteà 1,5 milliard d’euros dont l’activitéau noir représente 80 %.

Une grande partie des étudiants quien ont les moyens se détournent dela faculté, à cause des conditionsd’étude qui se sont fortement dégra-dées. L’accès à certaines filières demétiers dépend de plus en plus despossibilités de financement desparents. Beaucoup d’étudiants sontobligés d’emprunter. Mais l’accès auxprêts est lui aussi inégalitaire. Certainsse voient proposer des prêts pourfinancer un master dans une univer-sité américaine prestigieuse tandisque d’autres s’en voient refuser pourentrer dans une école hôtelière. Deschefs d’entreprise créent leurs pro-pres écoles persuadés d’être meilleursque le service public.Comme le constate Erwan Lehoux,doctorant en sociologie, l’éducationen commun, en favorisant un proces-sus collectif d’apprentissage et decoconstruction des savoirs disparaîtau profit d’une compétition scolairerenforcée et d’une conception utili-tariste de l’éducation en vue d’obte-nir un emploi.

L’éducation nationaLeLaisse L’entrePrise entrer dans L’écoLe Pour son seuL ProfitDans les masters interviennent desprofessionnels, qui viennent desentreprises, payés par les facultés,pour la découverte des métiers.

Sous couvert de créer du lien, lesentreprises les utilisent pour servirleur stratégie commerciale propreau sein de cours d’auto-marketingqui forment à la recherche d’em-ploi à la place de former à un vraimétier. On assiste à une déqualifi-cation des diplômes qui n’ont plusle rôle d’installer l’étudiant dans unmétier. L’université doit avoir desliens avec le monde du travail, mais

pour une formation de qualité quiréponde à l’intérêt général et nonaux intérêts privés.

L’éducation nationaLeexternaLise une Partie de ses missionsDans les années 1970, l’Éducationnationale a externalisé une partie deses missions en créant des centres deformation d’apprentis (CFA) privés

souvent sous contrôle des officinespatronales. Les personnels ensei-gnants ne sont pas recrutés parconcours. Les CFA sont exclus desconventions collectives favorisant laprécarité avec l’usage des CDII(contrat à durée indéterminée etintermittent) et la pauvreté avec despersonnels payés en dessous desminima de l’Éducation nationale avecun temps travail de 11 mois sur 12.Des centres de formations privésd’entreprises (telles que Dassault ouSafran qui crée sa propre université)sont obligés de remédier aux man -ques de l’Éducation nationale.

La nouveLLe« gouvernance » Il s’agit de passer d’un pilotage parles normes à un pilotage par la res-

ponsabilité, associé au mérite et à lacontractualisation par objectifs. Souscouvert d’un discours valorisant l’au-tonomie et l’initiative et donnant uneapparence de responsabilisation,l’Éducation nationale développe desmodalités de « management » venantdu privé pour une politique centréesur la gestion des moyens.Le décret Chatel du 5 janvier 2012,régissant la nouvelle « gouvernance »

académique est conçu pour permet-tre un fonctionnement cohérent avecla loi organique relative aux lois definances (LOLF) et rendre les recteursresponsables de l’orientation des bud-gets opérationnels de programmes.Réduire le pouvoir des inspecteursd’académie-directeurs des servicesdépartementaux de l’éducation natio-nale (IA-DSDEN), recrutés parconcours pour leurs compétencespédagogiques, au profit des recteursnommés en conseil des ministres,c’est instaurer une organisation hié-rarchique directement politique. Lenouveau directeur académiquedevient le relais d’une administration,plus soucieuse de la mise en œuvred’une politique centrée sur la gestiondes moyens, que sur la prise encompte des priorités et des enjeux

« L’accès àcertaines filières

de métiers dépendplus en plus des

possibilités definancement des

parents. »

« sous couvert d’un discours valorisantl’autonomie et l’initiative et donnant

une apparence de responsabilisation,l’Éducation nationale développe des modalités de “management”

venant du privé pour une politique centrée sur la gestion des moyens. »

mettre en place des espaces et des temps consacrés aux parents dans l’école, etinscrire le statut de délégué de parents dans le code de la fonction publique etdans le code du travail.changer « la gouvernance » des académies : abroger le décret chatel de 2012 quimet en place le pilotage par les résultats et accroît le pouvoir des recteurs, etcréer un corps unique de l’inspection pédagogique.respecter et valoriser l’intervention des enseignants et des personnels.Promouvoir les droits lycéens, notamment le droit d’organiser des débats, de sesyndiquer ou de manifester. donner aux jeunes les moyens de réaliser des pro-jets, généraliser les budgets participatifs des lycées.construire des temps et des lieux d’échanges entre la communauté éducative etle monde du travail (qu’on ne peut pas réduire à une minorité patronale).

PLus de dÉmocratie à L’ÉcoLe, c’est…

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Les promoteurs des réformes autourde la nouvelle « gouvernance » pen-sent (sans le dire) que la déréglemen-tation favorisera l’amélioration dusystème éducatif. A été oubliée lanécessité absolue de construire leschangements avec les personnels afinde servir les objectifs de démocrati-sation de la réussite scolaire. n

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qui ont été éliminés dans la course àl’élitisme, si spécialisé qu’il mène sou-vent au chômage, et l’enseignementgénéral pour ceux qui sont, provisoi-rement, encore dans la course, pas deplace pour la découverte de savoirstechniques et professionnels revisi-tés, réinterprétés dans leur apport àla culture commune et pour donnerà réfléchir.

L’orientation scoLaireC’est dans ce cadre contraint que sesitue l’orientation scolaire, d’autantplus décriée qu’elle est trop souvent,pour les élèves et leurs familles,confondue avec l’affectation, pas for-cément choisie !Les personnels des services d’orien-tation de l’Éducation nationale, les« copsys », ont gagné une bataille avec

la loi du 5 mars 2014 sur la formationprofessionnelle et l’orientation qui« sacralise » la compétence de l’Étaten ce qui concerne l’orientation dansle second degré et à l’université,confiant aux conseils régionaux lacoordination des services d’orienta-tion s’adressant aux autres publics.Ils ont gagné une bataille, pas la

guerre, la menace la plus immédiateétant la mort lente par manque demoyens avec en particulier des fer-metures de centres d’orientation(CIO). Mais au moins le caractèrenational, condition de l’égalité detous, le caractère spécifique de l’orien-tation au cours de la formation ini-tiale, l’orientation de jeunes enconstruction, une orientation qui doitavant tout être un apprentissage àl’orientation, une éducation au choix,ont été reconnus. Le répit accordé doitpermettre d’enrichir le travail de luttecontre la reproduction sociale, les sté-réotypes sociaux ou de genre et pourouvrir à tous les jeunes le champ despossibles. Ce répit doit permettre untravail serein avec les autres servicesd’orientation, ceux des jeunes sortisdu système scolaire, ceux des adultes,en lien avec les territoires, plus àmême de faire connaître les métiers,non pas sur catalogue mais dans desrencontres humaines, plus portées àla réflexion sur l’anticipation desbesoins nouveaux liés aux dévelop-pements de la société. À conditionévidemment que la coopération avecles autres services d’orientation sefasse dans le respect strict des préro-gatives de chacun, que l’utilisationfaite des outils, des rencontres ainsipermises soit un moment éducatif,pas un trou dans l’emploi du tempsque l’on remplirait ainsi !

un vrai service PubLic de L’emPLoiL’exigence d’un vrai service public del’emploi, de l’orientation, pas d’unPôle Emploi rabougri, est plus que

PAR MICHÈLE LEFLON*

L a période, le chemin entrel’école, la formation initiale etl’emploi stable s’avère de plus

en plus complexe, longue, faite d’in-certitudes, de précarité, trop souventde misère, sauf pour les « héritiers ».La faute à l’école pour le patronat !Sans doute, mais les raisons invo-quées ne sont pas les bonnes : l’écoleest un lieu de contradiction entrel’adaptation des jeunes aux exigencesd’un patronat avide d’exécutants,capables de tâches de plus en pluscomplexes, mais restant des exécu-tants soumis et l’exigence d’une édu-cation préparant à une société démo-cratique du XXIe siècle faite d’hommeset de femmes qui réfléchissent sur

leur travail et le transforment pourmieux répondre aux besoins de lasociété. Et c’est bien par l’accès detous à une éducation de haut niveau,pas par l’adaptation aux postes de tra-vail, que sera facilitée la transitionétude/travail et construite la sociétéde demain.Entre le bac professionnel, pour ceux

formation ProfessionneLLe au service des marchés financiers ou de l’émancipation humaine ?

« c’est bien par l’accès de tous à uneéducation de haut niveau, pas par

l’adaptation aux postes de travail, que serafacilitée la transition étude/travail et

construite la société de demain. »

*Catherine Sceaux est membre duRéseau École du PCF.

pédagogiques dans les décisions orga-nisationnelles.La culture des cadres qui s’appro-prient de plus en plus les principesdu « nouveau management public »– rémunération au mérite reposantsur le management par les résultats– se modifie progressivement. Éta-blir la part de mérite d’un professeurdans le succès des élèves est unesource d’injustice que les agents cher-cheront à compenser par des straté-gies individuelles qui ne sont pasmotivées par les valeurs qu’ils por-tent. Il en résulte des comportements

concurrentiels peu favorables à laqualité de l’action.La contractualisation par objectifs estprésentée sous l’aspect de la respon-sabilisation des enseignants censésremplir des objectifs clairs définis surun accord des parties. Or, le fonction-naire selon l’article 4 de la loi Le Pors« est vis-à-vis de l’administration dansune situation statutaire et réglemen-taire ». Pas contractuelle ! La contrac-tualisation n’apporte rien de nouveauet apparaît plus comme une stratégiepour viser la dérégulation statutaire etréglementaire.

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jamais d’actualité, en lien avec un ser-vice public de la formation profes-sionnelle.C’est aussi dans le cadre de la luttedes classes que se pose la question dela qualification, de sa reconnaissancedans le salaire. C’est le lieu d’une cam-pagne idéologique qui surfe sur ledésarroi de jeunes sortis par l’échecde l’école, sur la misère de personnesen recherche d’emploi : leur recon-naître les compétences qu’ils ont, leurpermet de se reconstruire et c’estdonc nécessaire, mais non pour enfaire les surexploités. Cela doit leurpermettre d’acquérir la qualification,éventuellement à travers la validationdes acquis de l’expérience, le plussouvent après une formation com-plémentaire s’appuyant sur la recon-naissance de leurs compétences. Celapose l’exigence d’une allocation d’au-tonomie de la jeunesse, donnant letemps au temps, celui de se former

véritablement, la possibilité d’un véri-table droit différé à la formation pourles jeunes sortis sans qualification del’école, pas de simples effets d’an-nonce, pas d’un droit qui se limite-rait à l’accès à un premier niveau dequalification. C’est évidemment àl’opposé de ce que, d’après les pre-mières informations, se prépare à faire

Emmanuel Macron avec le projet deloi Noé (nouvelles opportunités éco-nomiques) remettant en cause l’obli-gation de qualification dans toute unesérie de métiers : un mensonge deplus, de la démagogie, pour faciliterla baisse des salaires !

L’aLternanceLa transition études/emploi, c’estaussi la question de « l’alternance »sous toutes ses formes, stages,apprentissage, contrats de profession-nalisation avec des rapports diversentre formation et adaptation à unposte de travail, entre mise en appli-cation des apports théoriques, per-mettant d’en enrichir l’appropriationet simple début d’un travail exploité,plus ou moins gratuit. La volontéd’augmenter les profits conduit deplus en plus les entreprises à faire sor-tir de leur champ de responsabilitétout ce qui n’est pas directement pro-

ductif et demande à l’embauche del’« expérience », avec là aussi des pro-positions gouvernementales qui sur-fent démagogiquement sur l’inquié-tude des jeunes et des familles parrapport à l’emploi, sur le besoin desjeunes des couches populaires degagner leur vie le plus rapidementpossible avec une campagne effrénée

pour le développement de l’appren-tissage et des mesures pour favoriserl’apprentissage des mineurs, à l’op-posé de l’exigence de la scolarisationobligatoire jusqu’à 18 ans. Le débatdu pour ou contre l’apprentissage,qui ne se conçoit qu’après 18 ans, doitreposer sur un véritable choix dujeune, pas un choix dicté par lescontraintes financières : là aussi, l’al-location d’autonomie de la jeunesseest une réponse mais aussi la justerémunération des stages, car le rôledu développement de l’apprentissagedans la lutte contre le chômage est unleurre, tout au plus il change la placedans la file d’attente du chômage pourquelques jeunes à la recherche de leurpremier emploi. n

« Le rôle du développement del’apprentissage dans la lutte contre lechômage est un leurre, tout au plus il

change la place dans la file d’attente duchômage pour quelques jeunes à larecherche de leur premier emploi. »

« enrichir le travailde lutte contre la

reproductionsociale, les

stéréotypessociaux ou de genre

et pour ouvrir àtous les jeunes le champ des

possibles. »

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*Michèle Leflon est médecin-anesthésiste-réanimatrice. Elle étaitvice-présidente du Conseil Régionalde Champagne-Ardenne, chargée dela formation professionnelle et del'orientation. Elle est membre duConseil national du PCF.

Le 9 novembre 2015, la ministre de l’éducation annonçait unplan pour la mixité sociale dont la proposition phare est lacréation de secteurs 9 novembre 2015. mesure des effets etaccompagnement scientifique sont des mesures utiles. maisla logique d’ensemble reste celle d’une régulation par lademande des familles, et les principales décisions sont ren-voyées à l’échelon local. La mixité sociale est alors réduite àla coexistence, dans un même établissement, d’élèves demilieux sociaux différents, qui y mèneraient en parallèle desdestins scolaires inégalitaires. c’est ce qui est pompeusementnommé « expérience de l’altérité ». L’urgence, c’est de créerdu commun, pas seulement du mélange. il ne s'agit pas simplement de brasser les populations par desmesures techniques, mais d'établir l'égalité scolaire sur toutle territoire, ce qui suppose :

- une unité de fonctionnement du système, avec des règlesnationales en matière d'affectation des élèves et une politiquede planification élaborée nationalement.- une rupture de la logique des choix et stratégies individuels,et la fin de la mise en concurrence des territoires, des établis-sements, des classes et des élèves.- des moyens redistribués pour corriger les inégalités consta-tées.- un assujettissement de l'enseignement privé aux règles desectorisation.L'école fabrique et amplifie les mécanismes de ségrégation.on peut tordre le cou à l'équation : milieu populaire = milieudéfavorisé scolairement. À condition de mettre fin aux logiquesd’autonomie, de concurrence et d’individualisation, de trans-former contenus et pratiques pédagogiques.

mixitÉ sociaLe : Brassage ou ÉgaLitÉ ?

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objectifs ?). Une politique de mixitésociale ne peut consister en de sim-ples professions de foi sans réflexionsportées sur toutes ces questions quirelèvent de l’opérationnalité et quiincombent de fait au champ politique.

de quoi La PoLitique de mixité sociaLe (s’iL y en a une) est-eLLe Le nom en france ? L’école dite républicaine se veut uni-formisante, à l’exception de la timidepolitique de discrimination positivesous forme d’éducation prioritaire. Iln’existe pas, pour des raisons histo-riques, de politique de ciblage diffé-rencié de tel ou tel type d’élèves, ceux-ci étant considérés comme relevantd’une égalité ontologique devantl’école pour reprendre l’expressionde François Dubet, d’égalité formellepour reprendre celle de PierreBourdieu. Si les discours dénonçantles ségrégations sont nombreux, lesfacteurs de ségrégation scolaire sonttoujours aussi puissants et régulière-

ment renforcés : fragmentation et hié-rarchisation des offres scolaires, mul-tiples possibilités de « placement »scolaire pour les familles initiées enraison de la profusion des options,existence d’un enseignement privémassif et non assujetti à la sectorisa-tion, politiques d’autonomie des éta-blissements publics, etc. La sectorisation scolaire correspon-dait à une « politique de peuplementglobale des établissements scolairesindifférenciée selon l’origine » qui aévité, durant plusieurs décennies, une

ségrégation massive dans la plupartdes établissements scolaires. C’estson contournement, l’émergence delogiques de marchés scolaires et dedérégulation de la carte scolaire quisont à l’origine des logiques ségréga-tives contemporaines davantage quela carte scolaire elle-même. Cette évi-dence aisée à démontrer n’est pasadmise par les acteurs politiques (dela droite à la gauche gouvernemen-tale en passant par certains cher-cheurs).Aussi surprenant que cela puisseparaître, c’est au moment où la cartescolaire a été la plus dérégulée que laterminologie de la mixité sociale agagné en usage et en audience dansle champ politique. Cette relationmérite d’être interrogée finementautour d’une hypothèse de travail. Onpeut penser que la dérégulation de lacarte scolaire n’est pas un incident,une anomalie de l’histoire mais aucontraire le fruit d’une politique vou-lue dont l’objectif serait un change-ment de référentiel radical dans l’ad-

ministration des politiques éducativesinspiré par un modèle libéral. Ilconvient de se remettre dans la pers-pective historique de la carte scolairedans les années 1960 qui correspon-dait à une action forte de l’État visantl’implantation sur tout le territoired’un service public universel d’édu-cation par le biais d’une politique ditede planification scolaire.Dans la configuration des politiquespubliques, la planification est sûre-ment l’un des modèles les plus étati-sés. En analyse des politiques

PAR CHOUKRI BEN AYED*

L a mixité sociale relève de deuxregistres. Le premier, de naturephilosophique, se réfère aux

normes et aux valeurs appareillées à lanotion. Le second, plus « technique »,s’intéresse à sa mesure. Concernant lepremier registre, la pluralité des signi-fications en usage dans les discours estimpressionnante. Quels points com-muns y a-t-il entre une conceptionhumaniste d’un idéal de coexistenceentre individus dans une société desemblables, une approche socialisanteet d’acculturation des classes popu-laires, une perspective de justice sco-laire inspirée de l’idéologie de l’équité,une nouvelle injonction administra-tive ou enfin un déterminant des par-cours scolaires ? La notion de mixitésociale peut tout autant être mobiliséedans une perspective critique que dansune logique conformiste, commebonne conscience de classe ou commedoxa politique. La simple terminolo-gie de mixité sociale ne résout doncaucun problème. La polysémie duterme contraint au contraire à explici-ter clairement les fonctions socialesqui lui sont assignées. Il n’existe pas à proprement parler d’in-dicateur scientifique de la mixitésociale à l’école : la question de lamesure est aussi floue et indétermi-née. Parmi les données en usage dansl’Éducation nationale deux indicateursrégulièrement mobilisés, le statut deboursier et l’origine sociale (avec plusou moins de précisions) sont insuffi-sants pour produire une mesure demixité sociale car ils recouvrent desréalités différentes. L’origine culturelledes parents (niveau de diplômes) estégalement importante ainsi que lastructure des revenus (plus rarementdisponible). Enfin la question sensi-ble de l’origine ethnique est absentedes statistiques de l’Éducation natio-nale car son recueil est proscrit par laloi. Les contraintes relatives à la mesuresont donc considérables. Ces observations méthodologiquesconstituent de véritables questionspolitiques (que choisit-on de privilé-gier comme indicateurs ? Pour quels

ce que révèLe Le débat sur La mixité sociaLe À L’écoLeactuellement il n’existe pas de réelle définition de la mixité sociale, ni dansle champ politique ni dans le champ scientifique. Pour analyser scientifi-quement ce concept il convient de définir la notion et de construire unegrille critique d’analyse.

« La sectorisation scolaire correspondait àune “politique de peuplement globale des

établissements scolaires indifférenciéeselon l’origine” qui a évité, durant plusieursdécennies, une ségrégation massive dansla plupart des établissements scolaires. »

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*Choukri Ben Ayed est sociologue. Il est professeur à l’université deLimoges.

Extraits d’un article paru dansCarnets rouges, n°2, janvier 2015« L’égalité, ça se construit ».

publiques on parlerait d’une « régula-tion par l’offre ». La suppressionorchestrée de la carte scolaire imposeune nouvelle norme d’action publiquemoins étatisée faisant la part belle àl’usager et à la demande (on parle alorsde « régulation par la demande »), sousla forme de l’imposition d’une logiquede marché scolaire. D’un point de vue

strictement libéral, il apparaît incohé-rent de « libéraliser » l’offre d’ensei-gnement, de plaider le statut renforcéde l’autonomie des établissementsscolaires qui ne peut qu’entraîner unedifférenciation des offres scolaires touten maintenant un principe d’affecta-tion collective des élèves très adminis-tré et contraint.C’est dans cette dualité que s’est ins-crite la « politique éducative » deNicolas Sarkozy de 2007 : différencierl’offre éducative et, sous couvert demixité sociale, organiser un véritablebig-bangde politique des affectationsscolaires. L’assouplissement de lacarte scolaire se justifiait dans l’inté-rêt des élèves boursiers, victimes desmodalités implicites de contourne-ment de la carte scolaire par lesclasses moyennes et supérieures etvisait en les ciblant comme popula-tions prioritaires à les remettre sur unpied « d’égalité ». Il est facile de com-prendre que la mixité revendiquéepar la politique de 2007 est une mixitéd’un genre particulier, reposant surla méritocratie scolaire.

La PoLitiqued’assouPLissement de 2007ou L’instrumentaLisationde La thématique de La mixité sociaLeLe vocable de mixité sociale a été gal-vaudé si ce n’est usurpé, car la poli-tique de 2007 ne cherchait en aucuncas à agir sur des considérations glo-bales de démographie scolaire. Lapolitique de 2007, qui n’est toujourspas abrogée, a contribué au dévelop-pement d’une procédure dite auto-matisée des affectations scolaires :AFFELNET. Avec AFFELNET aucune affectationscolaire n’est considérée comme

« automatique » (liée au domicile), leschoix devant être hiérarchisés. Si lesfamilles peuvent solliciter en « pre-mier choix » le secteur, la hiérarchi-sation des choix produit une offre quipermet implicitement des évitements.Le traitement sous une forme priori-taire des candidatures d’élèves bour-siers, n’est activé que dans les cas où

le nombre de dérogations est infé-rieur au nombre de places disponi-bles. Or la saturation des établisse-ments les plus demandés résulte desmultiples stratégies scolaires misesen œuvre par les familles issues declasses moyennes ou supérieures afinde s’affranchir de la carte scolaire. Enl’assouplissant encore plus fortement,la politique de 2007 a engendré unedérégulation sournoise peu commen-tée jusque-là.

L’application permet de plus demoduler les critères : proximité géo-graphique, choix d’options, bourses,etc. Tout se passe comme si l’appli-cation, par le biais des possibilités deparamétrage, permettrait de fairel’économie d’un débat politiqueconcernant les critères à privilégier.La responsabilité des paramétragesconfiée aux Inspections académiquesdonne lieu à de fortes variationslocales : la fragmentation des règleset des critères d’affectation scolaireselon les contextes locaux entraîneune dérégulation instituée. Ces trans-formations d’ampleur ont été réali-sées dans une indifférence quasi

générale, noyée dans des considéra-tions administratives et sous couvertde mixité sociale.La sectorisation n’a pas disparu etdemeure encore une référence pourl’organisation du système éducatif.L’État s’en est déchargé depuis 2004sur les Conseils généraux sans queceux-ci disposent de véritables outilspour la rendre opérante dans uneperspective de mixité sociale notam-ment (données statistiques, indica-teurs de mixité, etc.). Ce transfert decompétence est lourd de sens car enmaintenant la compétence d’affecta-tion des élèves et de la gestion desdérogations aux Inspections acadé-miques, l’État a dissocié les opéra-tions de sectorisation et d’affectation :comment penser que cette dissocia-tion puisse garantir une mixitésociale ? Il s’agit au contraire d’unesituation potentiellement conflic-tuelle localement qui installe un blo-cage administratif structurel.

Si la mixité sociale nous paraît unepolitique tout à fait louable appré-hendée sous un angle humaniste, letravail de recherche montre qu’ellepeut faire l’objet d’usages instrumen-taux au profit d’une dérégulation glo-bale du système éducatif. Ajoutonspour conclure que les ségrégationsscolaires n’ont fait que croître depuis

l’assouplissement de la carte scolairede 2007, preuve s’il en est que ce typede politique qui privilégie les candi-datures individuelles aux politiquesde peuplement des établissementsscolaires sont inefficaces pour favo-riser la mixité sociale à l’école. n

« si la mixité sociale nous paraît une politique tout à fait louable

appréhendée sous un angle humaniste, le travail de recherche montre

qu’elle peut faire l’objet d’usagesinstrumentaux au profit

d’une dérégulation globale du système éducatif. »

« La suppression orchestrée de la carte scolaire impose une nouvellenorme d’action publique moins étatisée

faisant la part belle à l’usager et à lademande, sous la forme de l’imposition

d’une logique de marché scolaire. »

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au risque deL’institutionnaLisationÀ l’origine on trouve des associationsprofessionnelles qui se transformenten syndicat dans les années 1920-1930, en conservant leur caractèreconsensuel, leur rôle dans la construc-tion des identités professionnelles etdonc leur taux élevé d’adhésion. Lespremières grèves datent du Frontpopulaire seulement. La Fédérationde l’éducation nationale (FEN) esthégémonique de 1946 à la scission de1992 qui donna naissance à laFédération syndicale unitaire (FSU)et à l’Union nationale des syndicatsautonomes (UNSA) éducation. Ellese situait au cœur d’un puissantréseau d’associations et d’œuvres,dénommé Économie sociale parte-naire de l’école de la République(ESPER) aujourd’hui, mais dont l’em-prise sur le milieu a diminué.Le syndicalisme enseignant doit saforce à son rôle d’interface entre laprofession et les administrations.L’administration s’assure d’une huma-nisation de son système bureaucra-tique, il se légitime en obtenant desrésultats concrets et en exerçant un

pouvoir sur les carrières. L’avènementde la Ve République renforce l’admi-nistration, mais ne met pas fin à cenéocorporatisme. Aujourd’hui encore,les enseignants attendent une exper-tise des syndicalistes, notammentpour comprendre les procéduresopaques de l’administration. Maiscette institutionnalisation crée aussiune distance, qui peut se transformeren résignation lorsque le climat estfataliste et que les militants ne vontpas assez au contact des enseignants.

L’ambivaLence vis-À-vis de L’état-Patron ?Sous la IIIe République, l’État dote lamission des instituteurs d’un contenupolitique – promotion de la laïcité etdes valeurs républicaines – tout enprétendant limiter leur engagementà son strict bénéfice. Peu à peu, lesenseignants s’émancipent enconstruisant leur syndicalisme etdeviennent un corps intermédiaire.Ils choisissent de valoriser l’échelonnational pour se prémunir du clien-télisme des élus locaux. Après unephase de répression, lors de laquelledes dizaines d’enseignants commu-

PAR LAURENT FRAJERMAN*

L e paysage syndical françaisest marqué par l’apport desorganisations enseignantes,

confortées par la surconflictualitéde leur milieu. Les enseignants dusecteur public ont joué un rôle nonnégligeable dans les mouvementssociaux de ces dernières décennies.En 2011, un enseignant a fait enmoyenne neuf fois plus grève qu’unsalarié du privé (Sources DGAFP etDARES, calculs LF.) ! Le taux de syn-dicalisation reste élevé (environ25 %, essentiellement à la Fédérationsyndicale unitaire). En raison du tur-nover, une grande majorité desenseignants a été syndiquée dans savie, ce qui montre à la fois les limitesde l’action syndicale et son inscrip-tion au cœur de la profession.Pourtant, les enseignants n’ontrejoint le combat syndical que long-temps après les ouvriers et se sontidentifiés à leur employeur. Surtout,cette puissance cache des failles quele Parti socialiste tente d’exploiterdepuis Claude Allègre.

Le syndicaLisme enseignant face À ses aPoriesun rapide retour sur l’histoire du syndicalisme enseignant, ses rapportsavec les partis politiques et les voies nouvelles à ouvrir.

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R nistes sont révoqués, ils obtiennentà la Libération des garanties (statutThorez) et la participation à la ges-tion du système éducatif. Les direc-tions syndicales associent défense duservice public et du statut. Ainsi, leSNES FSU a puissamment contribuéà l’émergence d’un discours critiquecontre la décentralisation projetéepar Jean-Pierre Raffarin, prenant alorsà contre-pied les partis de gauche. Lapériode actuelle de renforcement deshiérarchies locales (chef d’établisse-ment dans le second degré, inspec-teurs de l’éducation nationale dansle premier) percute la culture étatiste/légaliste des enseignants qui oscillententre souci de protection syndicaleet réflexes de bons élèves.

avec Les Partis de gauche,un Partenariat difficiLeLa FEN était le seul exemple françaisde syndicat social-démocrate. Elleentretenait des liens privilégiés avecles partis de centre-gauche (Partiradical, puis Parti socialiste). Certes,elle avait prouvé son indépendanced’action politique en s’opposant àGuy Mollet lors de l’avènement de laVe République. Mais les intercon-nexions étaient nombreuses et assu-mées. Son héritière, l’UNSA éduca-tion joue encore un rôle prééminentau ministère, d’autant qu’elle estmajoritaire dans le personnel admi-nistratif et d’encadrement. Mais lesanciennes alliances entre syndicatset partis ont été bouleversées par unchassé-croisé : alors que le PCF s’ef-fondre électoralement, la recompo-sition syndicale de 1992 se traduit aucontraire par la victoire de la FSU,dirigée par la tendance Unité &Action. Celle-ci a affirmé son indé-

pendance depuis la fin des années1970, beaucoup de ses cadres sereconnaissant dans les diverses dis-sidences du PCF.

Durant les années 2000, l’investisse-ment dans le combat altermondia-liste (ATTAC) et l’alliance avec les mili-tants de la tendance d’extrêmegauche École émancipée (EE) ontdonné aux dirigeants de la FSU le sen-timent qu’ils pouvaient se passer d’unrelais partidaire de leurs conceptionsantilibérales. Aujourd’hui, la FSU

peine à peser sur le pouvoir politique.Retour du refoulé, beaucoup de sesmilitants se sont investis dans le Frontde gauche (les militants EE ont rejointmassivement Ensemble). D’autressont plus modérés, mais ne réussis-sent pas à nouer des relationsconstructives avec le PS, qui préfères’appuyer sur les syndicats minori-taires pour mettre en œuvre son pro-jet de bouleversement du métierenseignant, l’UNSA et le SGEN-CFDT.Si Vincent Peillon a cherché àconstruire des relations apaisées avecla FSU, celle-ci est trop combative

pour parvenir à un compromis dura-ble avec les sociolibéraux.

queL avenir Pour unsyndicaLisme majoritairede transformationsociaLe ?La FSU a apporté du dynamisme aupaysage syndical, mais ses recettesinitiales ont perdu leur force propul-sive. Elle est confrontée à des enjeuxsimilaires aux fédérations CGT du sec-teur public : tension entre le besoinde renouvellement et la crainte d’uneperte d’identité, difficulté de porterun discours à la fois percutant et ras-sembleur et donc effritement de soninfluence majoritaire. Aux dernièresélections professionnelles, les syndi-cats défendant une vision conserva-trice de l’école, FO et Syndicat natio-nal des lycées et collèges (SNALC) ontprogressé, tandis que les organisa-tions combatives confédérées, CGTet SUD, restaient à un niveau grou-pusculaire. L’éparpillement actuels’annonce durable, la FSU a moinsqu’avant la latitude d’agir seule pourentraîner la profession.La FSU est aussi victime des tensionsentre syndicats nationaux. Les lois surla représentativité et l’impossibilitéde se hisser au niveau des confédé-rations privent la FSU de moyensd’actions, l’écartent de négociationsvitales. Certains de ses dirigeants,notamment au SNES, proposent doncd’enclencher un processus de fusionavec les cousins de la CGT, mais cetteidée est loin de faire l’unanimité. n

*Laurent Frajerman est historien. Il est professeur agrégé au lycéeApollinaire de Thiais.

La réforme du collège défendue par najat vallaud-belkacemprétend aller dans le sens de l’égalité et de la réussite de tous.en concentrant le débat sur l’enseignement des languesanciennes et de l’allemand, le gouvernement a réussi à fairepasser les opposants pour des « élitistes ». et pourtant... si elle est mise en œuvre, chaque collégien aura20% de ses heures de cours « à la carte », en fonction de choixlocaux. une éducation moins nationale, des parcours indivi-dualisés, une concurrence accrue... Le tout assorti d’une baisseou d’un redéploiement des moyens horaires, austérité oblige.on reconnaît les recettes libérales qui ont déjà présidé à laréforme chatel du lycée et à la réforme des rythmes scolaires,et qui débouchent sur toujours plus d’inégalités.face aux tentatives du gouvernement de passer en force, lamobilisation est importante, mais très disparate. Pour que larésistance soit efficace, il est nécessaire de fédérer les luttesautour d’un projet global de progrès :

relancer le collège unique, en faire une étape commune déli-vrée du poids du tri scolaire, dans le cadre d’une scolarité obli-gatoire prolongée jusqu’à 18 ans.mettre fin à la compétition entre établissements et élèves, etrespecter sur tout le territoire le principe d’égalité :- égalité sociale, par la gratuité complète de tout ce qu’exige la

scolarité au collège.- égalité territoriale : l’état doit garantir à tous les collégiens la

même formation de qualité, en unifiant programmes et horaires,en redistribuant les moyens supplémentaires pour atteindreles buts communs.

- égalité de cursus : « tous capables », les collégiens le sont.aucune disparité de contenus de formation n’est acceptable.

Permettre une vraie révolution pédagogique : avoir pour réfé-rence l’élève qui n’a que l’école pour réussir à l’école, en don-nant aux enseignants le temps et la maîtrise de leur forma-tion et de leur métier.

coLLège : construire du commun

« La Fsu a apportédu dynamisme aupaysage syndical,mais ses recettesinitiales ont perdu

leur forcepropulsive. »

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de s’amuser en utilisant autre choseque des moyens de lutte traditionnels.Nous nous sommes demandés si nousvoulions créer un mouvement demasse, rassembler tous les parents. Orce n’était pas pour nous un travail etil était difficile de nous sentir légitimesface à des parents parfois très diffé-rents de nous. Difficile aussi de bou-ger face à un défaitisme ancré profon-dément. Le collectif s’est retrouvé paraffinité. La deuxième question a étécelle du logo : nous ne voulions pasqu’il n’y ait que des blancs dans le col-lectif ni que le logo les représente. Ilfaut reconnaître qu’on n’est pas forcé-ment représentatifs des parents deSaint-Denis. Mais nous vivions tousles problèmes ensemble et notre légi-timité était là. Finalement, nous esti-mons que le but n’est pas d’intégrerdes gens dans le collectif.

cyril  : Chacun peut venir sur uneaction puis repartir. Nous voulons unlieu ouvert. Toute personne qui sesent impliquée dans ce problème estla bienvenue.

delphine : On allait individuellementdans des assemblées générales syn-dicales d’enseignants qui prévoyaientdes grèves mais ce n’était pas porteurchez les parents. En face, l’académieet les inspecteurs envoyaient un dis-cours de normalité. Du coup nousavons opté pour des actions nonfixées ni dans la durée ni dans leursformes. Notre seule exigence étaitd’être très médiatisés.

quelle action du coup vous a faitconnaître ?delphine : Nous avons installé un barchampignon et un ministère sur une

ENTRETIEN AVECCYRIL CALLENS ET DELPHINE F.*

comment en êtes vous venus à créerun ministère ?cyril : L’aventure a débuté à la fête deSaint-Denis, à un moment où, avecun groupe d’amis, parents d’élèves,nous étions assez désespérés. Nousnous sommes dits : pourquoi ne pascréer un centre de loisir en face del’école Vallès ?

delphine :Tous les ans, c’était la mêmegalère : absence de professeurs dansles classes, impossibilité à joindre l’aca-démie et à avoir des réponses, isole-ment des professeurs… Certains d’en-tre nous intervenaient aux conseilsd’école mais c’était dur de mobiliser àpartir de ça, de faire venir d’autresparents aux conseils. Alors l’idée a été

un ministère des bonnets d’âne PourremPLacer ceLui de L’éducation nationaLe

en novembre 2014, un regroupement de parents d’élèves des écoles desaint-denis s’installait sur une friche et créait le ministère des Bonnetsd’âne pour dénoncer le manque de professeurs. entretien un an aprèsavec deux des membres fondateurs.

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friche en face d’une école de la ville.Un gros travail a été mené en amontsur le dossier de presse avec une pré-sentation des chiffres sur les discri-minations.

cyril : Et puis nous avons installé cecampement le plus rapidement pos-sible, en une journée pour ne pas êtreexpulsé et ensuite nous l’avonsoccupé pendant trois semaines.Beaucoup de personnes ont participéà son élaboration : des parents, lesgens de la Briche, de l’Harmonie, du6b. Pas en tant que représentants deces associations mais en tant queconnaissances et personnes-res-sources. Il y a eu autour de nous ungrand mouvement de solidarité : les

voisins apportaient des plats, d’au-tres nous ont prêté du matérielcomme un barnum.

delphine :Chacun s’est organisé selonses compétences : contact presse, ate-liers pour les enfants, organisation deconférences. Le groupe fonctionnesans chef et nous avons confiancedans le travail des autres. C’était unlieu pour se faire connaître, pour ani-mer notre combat et surtout pourrecueillir des témoignages parce quenous ne savions pas tout. Il fallait sor-tir du discours technocratique ren-voyé par l’institution en plaçant enface le discours des gens qui vivaientces problèmes. En parallèle nousavons beaucoup décrypté, avec lessyndicats, les chiffres de l’institution,pour les transformer en mots concrets.Le titre de « ministère » est venu tout

simplement parce qu’on n’avait pasl’impression d’avoir d’institutionnationale à Saint-Denis, pas l’impres-sion d’être tout à fait en France. Il fal-lait un ministère pour parler d’égal àégal avec le ministère d’une éduca-tion dite « nationale ».

y a-t-il eu d’autres actions ?cyril : Nous avons proposé aux gensqui venaient nous voir de témoigneret de saisir le défenseur des droits.Lors de la journée des droits de l’en-fant, nous avons organisé une grossemanifestation associée aux syndicats.Lors de cette manifestation nousavons déposé notre dossier au défen-seur des droits. Celui-ci a reconnul’inégalité d’accès à l’école, connue

pour toute la Seine-Saint-Denis, maisparticulièrement forte à Saint-Denismême (où à la conjoncture structu-relle du bassin s’ajoute la présenced’un inspecteur incompétent). Sonintervention nous a permis de récu-pérer les chiffres et de nous rassureraussi puisque notre combat a étéreconnu par un tiers.

delphine :Ensuite ça a été plus de l’ac-tivisme : on est allé investir un lieu àBobigny où le préfet faisait une réu-nion de concertation sur la laïcitéaprès les événements de janvier. Nousavons aussi aidé les parents de l’écoleFloréal qui ont bloqué l’A1, occupéleur école, fait l’école vide à la ren-trée. Nous voulons créer du lien avecd’autres mouvements qui veulentplus d’égalité. Nous avons aussi orga-nisé une chasse aux œufs à Paris en

passant par toutes les grandes écoleset occupé l’école de la Légion d’hon-neur qui a un parc gigantesque nonpartagé.

et aujourd’hui ?cyril : À la rentrée 2015, nous avonsorganisé un contrôle citoyen, sur uneidée proposée par la mairie. Avec euxnous avons organisé une surveillancede chaque école pour savoir tout desuite ce qui s’y passait. Les syndicatsnous ont aussi aidés. Du coup leministère a eu la pression et s’estmobilisé. Najat Vallaud-Belkacem estvenue en catimini dans une école.Nous étions quand même présents,en petite délégation mais avec ledéguisement de Dame ânesse.

delphine :Nous voulons aussi faire tra-vailler la mairie sur ce qui relève deson domaine comme les bâtiments oul’encadrement. Finalement le minis-tère des Bonnets d’âne est un soutienpour les enseignants et un motivateurpour les institutions. Nous suivons lesgros points noirs et travaillons sur lesquestions de remplacement et sur lerecours à Pôle emploi pour y parvenir.Notre but ce sont des professeurs for-més devant les élèves. Il nous estcependant difficile de savoir tout cequi se passe dans les écoles.

en un mot, en quoi ces actions que vousavez montées vous semblent impor-tantes ?delphine : Elles créent du lien et rap-prochent les gens.

cyril :Pareil, nous avons vu beaucoupde solidarité et d’amitié. n

*Cyril Callens et Delphine F.représentent le ministère desBonnets d’âne.

Propos recueillis par Camille Ducrot.

« Finalement le ministère des Bonnetsd’âne est un soutien pour les enseignants

et un motivateur pour les institutions. »DO

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je lis La  Revue du projet avec un grand intérêt, toujourscroissant. celle sur le climat n’a pas dérogé à cette règle.ses contributions m’ont permis en tout cas de réfléchir

par moi-même. et là sans doute se situe le but premier de larevue. toutefois, je ne puis que constater avec une déceptioncertaine que ce dossier, si pertinent qu’il soit, n’évoque jamaisla question du changement complet du pouvoir, d’une manièreou d’une autre. on y discute de statistiques, d’informationsdiverses, de concepts et de nécessités d’actions concrètes,des grands déséquilibres sociaux assurément liés au chaos cli-matique que connaît notre monde à bout de souffle. de grandesidées comme accrochées dans le ciel, mais point de pouvoiret de sa conquête. Étrange de parler politique, surtout lorsquel’on est issu d’un grand parti comme le PcF sans jamais envi-sager la possibilité de se retrouver aux leviers de la France. Pasmême dans les mots, c’est dire letabou, ou l’incapacité à l’envisager.nulle insulte aux contributeurs dece dossier car ce n’est pas propre àcelui-ci. c’est un manque sans cesseconstaté, ou presque, à chaquenuméro. il est même au cœur de cequi me chagrine dans l’activité demon Parti, cette incapacité à assu-mer clairement l’ambition qui justi-fie son existence ; la prise du pou-voir et l’abolition par la résolution del’ensemble des contradictions quigangrènent le capitalisme. car com-ment dans les faits envisager un réelchangement de politique de « nos »gouvernants sans un changement radical du pouvoir poli-tique aujourd’hui dominant ?La raison de cette absence, dans La Revue du projet, est elle-même problématique tant que nous ne saurons l’expliquer,la nommer. d’où est donc issue cette incapacité à envisageravec sérieux la possibilité de diriger ce pays ? est-ce un constatpratique, nous poussant sans cesse à remettre toujours àplus tard une éventuelle direction communiste pour la France ?est-ce un blocage psychanalytique nous renvoyant à noséchecs passés, dont nous n’aurions pas encore dépassé leserrements ? en ne saisissant pas les causes de ce manque,nous ne pourrons dépasser ce blocage. comment considé-rer ce manque ou oubli volontaire ? doit-on estimer que lescontributeurs signifient que le rôle de La Revue du projet n’étaitau final qu’un simple lieu d’échanges de réflexions diverseset variées ? une revue bien au-dessus intellectuellement,certes, mais sans que cela entraîne quoi que soit, aucunedécision conséquente autre que d’attendre la lecture dunuméro suivant ? Perspective guère enthousiasmante.avec marx, je ne sépare pas l’idée de sa réalisation, j’estimeaussi que, lorsqu’une idée s’empare des masses, elle devientréalité, mais que pour se concrétiser elle se doit d’être miseen application concrètement, sous peine d’être inutile. Loinde me méprendre et de penser que La Revue du projet a pourrôle l’élaboration d’une stratégie de conquête du pouvoir, jesuis toutefois persuadé qu’elle doit, concrètement et avec

précision, définir la réalité de ce que signifie aujourd’hui « avoirle pouvoir ». s’agit-il uniquement de gagner les élections ? sic’est le cas, ne risquons-nous pas de sombrer dans un élec-toralisme qui nous enlèverait toute radicalité, toute intégritépolitique en nous poussant vers tous les compromis imagi-nables pour gagner deux élus par-ci, cinq élus par-là ? La Francede 2015 et les échecs répétés des derniers gouvernants nousdémontrent que la réalité du « pouvoir » est plus complexe.en ne comprenant pas sa nature, nous ne pourrons l’appré-hender de bonne manière. et en ne saisissant pas ses com-plexités, les « influences » au sein de l’appareil d’État, nousnous condamnons par avance à l’échec et aux bavardagesstériles. sans analyse complète et détaillée, nous nous condam-nons à adopter une ligne défensive, où le PcF se contente delimiter la casse, restant toujours à la remorque des forces

hégémoniques de la « gauche »,sans véritables mesures et projetsde société à défendre. dans cettesituation nous retrouvons-nouscomme autre chose qu’un « syndi-cat » d’élus défendant les proposi-tions d’un vaste think tank  ?dépourvu ainsi de toute radicalité,comment donner aux citoyens l’en-vie d’investir le PcF, transmettre etdévelopper notre projet de société ?L’exemple des ministres commu-nistes lors de la gauche plurielle estdans ce domaine éclairant. Loin demoi de manquer de respect auxcamarades qui remplirent cette

charge, mais le respect ne change pas la réalité. Le pouvoirresta bien loin d’eux, montrant les limites de « la démocra-tie » élective actuelle. sans vision complète, sans projets etambitions, les dirigeants de notre parti se condamneront àl’échec et dans des circonstances que les tenants du « pou-voir » décideront pour eux. à titre personnel, voir la partici-pation à un gouvernement comprenant le PcF finir commela fois précédente ne me fait pas envie. et cette absence d’en-thousiasme est partagée par les camarades.en étudiant les conditions et nécessités avec lesquelles nousdevrons faire, lorsque le PcF sera au « pouvoir », nous pro-gressons dans la construction du projet communiste. La Revuedu projet se doit également de poser la question des condi-tions qui nous permettront de réussir avec efficacité la réa-lisation de notre « visée », non pas en s’appuyant sur les seulesréflexions et actions des militants, mais bien avec l’aide concer-née, participative et approbatrice de l’ensemble du peuplede France. car au final, et cela est d’importance, le pouvoir àmon avis ne peut être résumé comme à d’autres époques auseul pouvoir d’État, l’impuissance du Ps actuel n’en est quela démonstration pratique.alors, on en discute des moyens de la mise en application denotre « projet » et de cette question du pouvoir ? n

Nans A. Noyer, section de Vaulx-en-Velin

envisager un changementradical du pouvoir politique

« La France de 2015 etles échecs répétés des

derniers gouvernantsnous démontrent que laréalité du “pouvoir” est

plus complexe. »

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La France en commun, texte-invitation à écrire un projet d’émancipationhumaine pour le xxie siècle sera débattu et enrichi jusqu’à la conventionnationale du projet début 2016. il est possible d’y contribuer sur un site dédiécontribuer.projet.pcf.fr/

La Revue du projet s’efforcera d’accompagner le processus en rendant comptedes initiatives prises autour de ce texte et des contributions qu’il suscite au seindes forces sociales. Pour nous permettre de remplir au mieux cet objectif,faites-nous connaître les débats et réflexions qui émanent du terrain à :[email protected]

débat mosellance mois-ci, isabelle de almeida, présidente du conseilnational du PcF et responsable nationale adjointe du projet,témoigne des échanges suscités par une rencontre organiséeautour du texte en moselle.

e 10 novembre, la fédérationde la moselle du PcF organisaitune rencontre à partir dutexte La France en communque le comité du projet avaitprésenté et rendu public le

20 mai.

une quarantaine de participants, quasi-ment tous adhérents du PcF étaient pré-sents, alors que nous étions mobiliséspar la bataille des élections régionales.

après une présentation de vingt minutesdu document et surtout de la démarche,des objectifs du texte, de l’invitation àl’enrichir, le critiquer, pendant deuxheures plusieurs participants ont soitdonné leur avis sur le texte, soit donnéun point de vue sur la situation et sur lesbatailles à mener.mais avant de faire circuler la parole,jacques maréchal, le secrétaire dépar-temental avait demandé à une cama-rade, jeune adhérente du PcF, sarah, delire et de faire la critique de La France encommun.un exercice intéressant pour nous, pourmoi, afin de mieux percevoir commentce texte est reçu et peut être utile auxmilitants, pour qu’ils puissent se l’appro-prier et qu’ils puissent aussi le faireconnaître, le soumettre autour d’eux, ycompris pendant la campagne des régio-nales.

sarah a donc livré son avis, elle avait d’ail-leurs écrit son intervention : en voici plu-sieurs extraits :

mettre L’être humain au centre« tout d’abord, je suis heureuse de voirqu’on parle dès les premiers mots desfemmes et des hommes. Ça donne toutde suite le ton : nous voulons mettre l’êtrehumain au centre, et pas la recherchedu profit et de la compétitivité.je suis heureuse aussi de voir qu’on nereste pas cantonnés à la France, maisqu’on parle de l’europe et du reste dumonde. nous ne pouvons plus nouscontenter de lutter ici. surtout avec lesFn et les extrémistes qui font malheu-reusement beaucoup parler d’eux en cemoment. notre action doit être interna-tionale, en solidarité avec nos cama-

rades, avec les peuples de tous les pays.à qui s’adresse-t-on ? qui veut-on tou-cher avec ce projet ? nous parlons defemmes et d’hommes, de forces à met-tre en commun… tout le monde peut sesentir visé. mais le risque aussi, c’est que

personne ne se sente visé en particulierjustement. il me semble que le projetcommuniste agit pour les personnes quifont partie d’un certain milieu, d’une cer-taine classe. celle qui subit plus qu’ellene choisit. Les discriminations, le chô-mage, la précarité etc.

déveLoPPer uneconscience de cLassemoi je trouve que, non seulement laclasse ouvrière existe toujours, mais quede plus en plus de personnes en fontpartie.je pense qu’on a besoin de se rendrecompte que d’autres vivent les mêmeschoses que nous. qu’on n’est pas seul àgalérer et qu’on appartient à un milieu.Parce que si on ne sait pas à quel milieuon appartient, on ne sait pas avec qui ondoit se battre et lutter !

je pense donc qu’il est essentiel quedans la première partie de notre projet,on fasse apparaître ces notions de milieuouvrier et de lutte des classes. des genspourront s’y reconnaître et se sentirconcernés. se rendre compte que ce

« si on ne sait pas à quel milieu onappartient, on ne sait pas avec qui

on doit se battre et lutter ! »

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Nnon pas de dénoncer une situation maisd’aller plus loin : de la prendre en compteet de proposer de faire bouger le rap-port des forces pour le transformer.

en conclusion, tous et toutes ont appré-cié ce temps d’échange et sont repar-tis avec le texte, et pour certains l’enviede le faire connaître, de le lire soi même.Pour ma part, la façon d’entrer enmatière avec une première critique/appréciation par un ou une camaradeest à retenir pour la suite, et surtout l’en-vie de poursuivre dans les sections, fédé-rations la présentation de La France enCommun. n La revue

du ProjetdÉcemBre 2015

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projet de société qu’on veut porter, c’estaussi pour eux !

dans cette première partie, on parled’émancipation des travailleuses et destravailleurs comme facteur de transfor-mation sociale. je crois en effet que c’estprimordial. mais je trouve qu’on n’évoquepas assez le travail en commun avec lessyndicats dans cette partie. on n’arri-vera pas à agir sur l’emploi seul, il faut lefaire main dans la main avec celles etceux qui sont sur le terrain, dans les entre-prises, les salariés eux-mêmes, et lessyndicats.

Les chantiers d’action,j’en ai retenu trois :

• je pense que l’emploi doit être unepriorité. Le chômage est un fléau. Passeulement au niveau économique, maisaussi au niveau personnel et social. jesuis donc contente que des propositionsapparaissent pour que chacun ait un tra-vail digne.

• concernant le défi écologique, jepense qu’il est important d’éduquer lesgens à cette question, mais sans fairepeur. ce qui est le cas aujourd’hui. onnous culpabilise, comme si on était, nous,les gens du peuple, seuls responsablesde cette situation. alors qu’on ne nousdonne pas les moyens d’agir ! Prenonsla question du bio par exemple qui n’estclairement pas accessible aux personnesen précarité et ça aussi c’est inégalitaire.il faut rendre le bio accessible à tous.

• Pour ce qui est de l’éducation et de lajeunesse, j’ai vu qu’il est proposé d’aug-menter le nombre de postes dans l’Édu-cation nationale. c’est essentiel. et c’estimportant aussi d’augmenter les postesde conseillers d’orientation psycho-logues. Parce que si l’emploi est un défi,l’orientation en est un également. il fautqu’on arrête de dévaloriser les filièresprofessionnelles, et d’orienter des jeunesvers des voies qui n’ont pas d’avenir.

redonner de L’esPoirje pense que nous devons proposer unprojet sans concession. aujourd’hui,quand j’écoute mes copains, mes col-lègues ou même les personnes que j’ac-compagne dans le cadre de mon travail ;je les trouve en manque d’espoir.résignés face à une situation et à deschoix de la part de notre gouvernementqu’ils ont l’impression de subir sans qu’onleur demande leur avis. je crois que nous,on peut leur redonner cet espoir ! maispour qu’on leur redonne, il ne faut sur-tout pas que nous-mêmes on parte bat-tus d’avance »

d’autres participants ont dit leur satis-faction d’un texte qui dise ce que le Particommuniste propose comme axes detransformations et aussi des mesuresconcrètes : certains entrant dans le textepar l’une ou l’autre des parties.

Projet de changement de société ou Projet de LégisLature ?Le débat s’est ouvert sur ce sujet.Plusieurs ont évoqué les questions euro-péennes, la nécessité de parler du rôledes banques, de la dette comme aussicelle d’être un parti qui anticipe sur leschangements de société qui fait de laprospective.sur la démarche politique, être capable

« on n’arrivera pas à agir sur l’emploi seul,il faut le faire main dans la main avec

celles et ceux qui sont sur le terrain, dansles entreprises, les salariés eux-mêmes,

et les syndicats. »

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR QUENTIN CORZANI

Le grand entretien

revalorisation du travail et citoyennetéà l’entreprisealors que la réforme du code du travail est sur la sellette, véroniquesandoval, membre de l’exécutif national, responsable du secteur travail,analyse les évolutions du monde du travail et insiste sur la nécessité defaire du travail au sein de l’entreprise un facteur d’émancipation du travail-leur, lui permettant d’accroître sa créativité et son pouvoir d’interventionsur son activité.

ourquoi le Pcf a-t-il mis enplace un nouveau secteurde travail  ? travail etemploi n’est-ce pas lamême chose ?depuis sa création le Parti

communiste français se bat contre l’ex-ploitation du travail par le capital dans lecadre des rapports sociaux capitalistes,en menant des luttes pour la revalorisa-tion des salaires et la réduction de ladurée du travail, mais aussi, face à la mon-tée du chômage de masse et de la pré-carisation des emplois, pour la mise enplace d’une sécurité d’emploi et de for-mation pour les salariés. ce faisant,depuis les années 1980, la priorité don-née à l’emploi et à la défense du droit autravail, nous a conduits à ne pas accor-der une attention suffisante au rapportdu travailleur à son travail, à négliger lesaspirations des travailleurs à pouvoirdévelopper leurs connaissances et com-pétences dans le cadre de leur travail,comme la nécessité pour le travailleurd’avoir un travail qui fasse sens, reconnucomme utile à la société, et celle de trou-ver sa place au sein d’un collectif de tra-vail, seul à même de lui permettre d’ac-croître son pouvoir de décision etd’action sur son avenir.au nom de la vente par le travailleur desa « force de travail » dans le cadre desrapports sociaux capitalistes, nous avons,depuis une trentaine d’années, laissé le

champ libre au patronat de mener sarévolution managériale. nous l’avonslaissé faire du travail une ressource à ladisposition de «  l’entreprise  ». nousn’avons pas mené une bataille suffisantepour faire, au contraire, du travail au seinde l’entreprise un facteur d’émancipa-tion du travailleur, lui permettant d’ac-croître sa créativité et son pouvoir d’in-

tervention sur son activité (ce qu’ilproduit, pour qui ? et comment ?). c’estce à quoi notre parti a voulu remédierpar la mise en place de ce nouveau sec-teur de travail, alerté par la crise du tra-vail révélée par la multiplication des sui-cides au travail, des burn-out, commepar l’ampleur croissante des dépensesde santé directement liées à l’activité detravail.

qu’entend-on par crise du travail,quelle en est la cause ?La crise du travail se manifeste par un

sentiment de mal-être au travail, d’im-puissance et de perte de sens. Pourquoitravaillons-nous ? Pourquoi est-ce queje n’arrive pas à atteindre les objectifsd’excellence que l’on me fixe ? Pourquoices injonctions contradictoires ?cette crise est le résultat d’une trans-formation du processus de productionà laquelle a été associée une révolution

managériale. L’introduction de la leanproduction (zéro stock, flux tendus, justeà temps), introduite dans les années 1970par toyota vise à limiter l’engagementen capital en inversant le sens du pro-cessus de production : on produit ce quel’on a vendu et non plus l’inverse. ce fai-sant, on a besoin à la fois d’une flexibili-sation des emplois et d’une plus grandeimplication des salariés dans la qualitédu produit (zéro défaut). cette transfor-mation du processus de production s’ac-compagne dès lors d’une transforma-tion radicale du travail dans le cadre d’une

P« nous avons, depuis une trentaine

d’années, laissé le champ libre au patronatde mener sa révolution managériale. nousl’avons laissé faire du travail une ressource

à la disposition de “l’entreprise”. »

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propose en effet, au nom d’un néces-saire « renouveau du dialogue social »,de remettre en cause la « hiérarchie desnormes », à savoir la primauté de la loisur la convention collective de branchesauf si cette dernière est plus favorableaux salariés, et de même la primauté dela convention collective de branche surl’accord d’entreprise.

ainsi un référendum à l’initiative de l’em-ployeur et recueillant un vote favorablemajoritaire chez les salariés et leursreprésentants au sein de l’entreprise,permettrait de revenir sur les acquis deplusieurs années de luttes socialesreconnus par la loi et inscrits dans le codedu travail.

une réforme du code du travail est certesnécessaire pour répondre au défi démo-cratique et à la mise en œuvre d’un nou-veau mode de développement humaindurable, centré sur le respect de la natureet l’émancipation humaine.mais cette réforme passe par la conquêtede nouveaux droits pour les travailleurs,afin que les conditions d’un véritable dia-

logue soient réunies au sein de l’entre-prise, et non par la suppression de larégulation par la loi, du contrat de travail.

La réduction du temps de travail est-ellela solution pour combattre le chômage ?engager la réduction du temps de tra-vail pour aller vers les 32 heures est un

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révolution managériale. alors qu’hierencore un pouvoir hiérarchique discipli-naire avait pour tâche au sein de l’entre-prise, de « rendre les corps utiles, docileset productifs » (michel Foucault), « c’estaujourd’hui l’énergie psychique des tra-vailleurs qu’il faut transformer en forcede travail » (vincent de gaulejac). Pourcela, plus besoin d’un ordre hiérarchique,mais d’une culture de la performancediffusée dans l’entreprise, associée àdes indicateurs de résultats et à une réus-site personnelle dépendante de celle del’entreprise. mais, en ne faisant plus appelà la seule force de travail et en recher-chant la mobilisation de l’être psychique,l’entreprise met en conflit la nécessaireintériorisation des normes de l’entre-prise activée par l’idéologie managérialeet les méthodes de management (per-formance, concurrence, rendement àcourt terme), avec la volonté du travail-leur de garder un sens à son travail, sesnormes éthiques personnelles, savolonté d’émancipation et de ne pas êtreinstrumentalisé.

Le code du travail. faut-il l’alléger pourrépondre aux besoins d’embauchedes Pme et tPe ? ne faut-il pas aussile réformer pour donner un nouveausouffle au dialogue social ?Le code du travail regroupe l’ensembledes lois régissant le droit du travail ouencore les conditions d’emploi de lamain-d’œuvre et le dialogue social ausein de l’entreprise. son existence estliée à la nature singulière du « contrat detravail », qui, contrairement à un contratentre deux partenaires libres et égaux,est caractérisé par le lien de subordina-tion qui relie le salarié à son employeur.c’est une construction historique, pre-nant en compte les luttes des salariéspour combattre l’exploitation de leur« force de travail » et conquérir de nou-veaux droits, mais aussi les dérogationsà la loi obtenues par les employeurs.s’il n’y avait, par exemple qu’un seul typede contrat d’embauche, à savoir le cdi,et non une multiplication de nouvellesformes d’emplois précaires, il serait déjàfortement allégé.toute modification du code du travailtraduit donc un rapport de forces plusou moins favorable aux employeurs ouaux salariés. toutefois, la « réforme ducode du travail » préparée par le rapportcombrexelle pour figurer dans unedeuxième loi macron, va beaucoup plusloin que toutes les modifications du codedu travail introduites ces dernièresannées pour réduire le « coût du travail »et faciliter les licenciements au nom dela lutte contre le chômage.il ne s’agit, ni plus ni moins, que de reve-nir sur la nécessité même d’un code dutravail, c’est-à-dire de réguler par la loi lecontrat de travail. Le rapport combrexelle

« alors qu’hier encore un pouvoirhiérarchique disciplinaire avait pour tâche

au sein de l’entreprise, de “rendre les corpsutiles, dociles et productifs” (michel

Foucault), “c’est aujourd’hui l’énergiepsychique des travailleurs qu’il faut

transformer en force de travail” (vincent de gaulejac). »

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des quinze chantiers prioritaires que sedonne le Parti communiste dans sonprojet pour la France.en effet, bénéficier des avancées tech-nologiques pour avoir du temps pourvivre, mieux concilier vie professionnelleet vie personnelle et familiale, se culti-ver, et participer à la vie démocratique,c’est ce pour quoi les salariés se battentdepuis des décennies. mais aujourd’huiplus qu’hier, l’émancipation humainepasse par la possibilité pour les travail-leurs de reprendre la main sur leur tra-vail et notamment sur son rythme. Laréduction du temps de travail, imposéepar la loi peut le permettre, notammentsi ses modalités d’applications sont négo-ciées par les salariés.une forte réduction du temps de travail,à condition qu’elle ne soit pas accom-pagnée d’une réduction du pouvoird’achat ou d’une intensification descadences, permet en outre un autre par-tage du travail. aujourd’hui des millionsde salariés sont surchargés de travail,tandis que d’autres, doivent se conten-ter d’un travail précaire ou à temps par-tiel et que des millions recherchent dés-espérément un emploi. La réduction dela durée du travail permet une autrerépartition du volume de travail entrechômeurs et salariés. elle permet auxpremiers de se voir effectivementreconnu leur droit au travail et auxseconds de travailler moins et mieux. enoutre, en rapprochant la durée légalehebdomadaire du nombre d’heures mini-

mal dans le cadre de la régulation du tra-vail à temps partiel, elle permet à un cer-tain nombre de salariés à temps partielde passer à temps complet.La mise en place des 35 heures en 1998-

1999 a permis la création de 400 000emplois malgré le développement del’informatisation et de la robotique.quelle autre mesure en faveur de l’em-ploi peut se targuer d’un tel résultat ? Lepassage aux 32 heures ne saurait cepen-dant, à lui seul, mettre fin au chômagede masse que nous connaissons actuel-lement. ceci d’autant plus que la révo-lution numérique peut, si elle n’est pasmaîtrisée par une intervention citoyenneau sein même de l’entreprise, se tra-duire, non par des avancées sociales,

mais par un accroissement sans précé-dent des suppressions d’emplois.combattre le chômage suppose doncde conquérir de nouveaux droits d’in-tervention dans la gestion des entre-prises pour les salariés.

L’emploi salarié a-t-il encore un ave-nir avec la révolution numérique etl’aspiration des jeunes à créer leurpropre emploi ?L’émergence de nouvelles machines atoujours suscité autant d’enthousiasmeque de craintes pour l’emploi. mais avecla révolution numérique (notamment ladiffusion dans tous les secteurs de l’éco-nomie des ordinateurs, des systèmesd’automatisation et des robots), ce nesont pas seulement des centaines demétiers qui sont appelés à disparaîtreau profit de l’apparition de nouveaux.nous assistons à une accélération sansprécédent du développement des tech-nologies. Le rythme du changement estbeaucoup plus rapide (on parle de 3 mil-lions d’emplois appelés à disparaître aucours des 10 prochaines années) et lacréation de nouveaux emplois dans l’en-vironnement, la relation client, le déve-loppement même des nouvelles tech-nologies de l’information et de lacommunication (ntic) risque de ne pascompenser les emplois qui sont appe-lés à « disparaître, tant dans la produc-tion de biens matériels que dans les acti-vités intellectuelles.dans le même temps, la révolution

s

c ertes, la cause principale de la montée du Fn, tanten résultats électoraux qu’en pénétration desesprits, ne relève pas de la seule faute des média.

La crise sociale et le refus du pouvoir d’y répondre, la dés-espérance face à l’avenir en sont les principales causes.mais quand même ! depuis de nombreuses années nousconstatons la place exorbitante accordée au Fn tant dansla presse écrite, notamment hebdomadaire, que dans l’au-diovisuel privé et public ; la dernière période électoraleaura atteint des sommets, tout cela pour vendre du papierou pour faire monter l’audimat. il est évident que l’impor-tance du vote Fn se traduit mécaniquement par une plusgrande place accordée à ce parti dans les média. mais aumoins serait-on en droit d’attendre des journalistes quireçoivent ses dirigeants qu’ils ne se contentent pas de pas-ser les plats, qu’ils soient en capacité de montrer la noci-vité de son programme, les contradictions entre ce qu’ilsaffirment et les votes de ses élus dans les assemblées, parexemple sur le logement social, et encore la réalité de la

PUBLICATION DES SECTEURS

« toutemodification ducode du travailtraduit donc un

rapport de forcesplus ou moinsfavorable aux

employeurs ou auxsalariés. »

Le fn dePuis LongtemPs Premier Parti d

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politique qu’ils appliquent dans les municipalités qu’ils ontconquises. malheureusement, tel n’est pas le cas. Prenonspour exemple un reportage de France 2 à Beaucaire dif-fusé le 9 décembre. selon la journaliste, dans cette villefrontiste : « Les choses ont changé positivement, c’estplus propre, il y a plus d’argent pour la sécurité, ils ont inter-dit des commerces nocturnes », images de kebabs, imagesdu « jeune maire Fn qui participe au repas de noël desanciens », interview d’un architecte qui « vote Fn parceque les impôts ont baissé »… deux jours avant, dansl’Humanité, on pouvait entendre un tout autre son decloche, « climat délétère, délitement du tissu social, peurde s’engager.... ». manifestement la journaliste du servicepublic n’avait pas dû se rendre dans la même ville ! quedire encore de ces unes de magazines avant l’élection, duPoint à l’Express en passant par Marianne, où l’on voit enpleine page une marine Le Pen conquérante, avec ces titresévocateurs : « je vote marine », « marine en tête », « elle

monte », « La marée Fn »… que dire des radios et télévi-sions qui durant la période électorale, d’octobre à décem-bre, alors que l’équité leur est imposée par la loi, ont accordédes temps de parole aux alentours de 20 % au Fn, autantsinon plus qu’au Ps et qu’aux républicains, alors que leFront de gauche plafonnait à 10 % et sans que cela entraînede réaction du csa !alors oui, il est grand temps de Libérer les médias, alors ouiil est grand temps de réformer le csa, alors oui il est grandtemps que les citoyens se mobilisent partout pour exigerle débat contradictoire, pour exiger le pluralisme des idées,pour exiger le maintien de la règle d’égalité des temps deparole que certains veulent mettre à bas.

numérique est source de gains de pro-ductivité énormes. il revient donc à lasociété, et non pas aux seuls managerset propriétaires de capitaux, de déci-der de leur utilisation : accompagnerles mutations et les transitions profes-sionnelles à venir, organiser un partagedu travail, améliorer les conditions detravail, profiter des richesses crééespour financer les investissementspublics nécessaires à l’amélioration desconditions de vie du plus grand nom-bre, comme au développement de ladémocratie… en créant les emploisnécessaires.en revanche avec la révolution numé-rique, on assiste à une « ubérisation »de l’économie dans le transport, la logis-tique, le tourisme, l’hôtellerie, la restau-ration, les services à la personne. desstart-up viennent bousculer les grandsgroupes en s’appuyant, non sur unréseau de salariés créatifs, mais sur des« travailleurs indépendants », des étu-diants, des chômeurs et des précairesse transformant en « autoentrepre-neurs », dont le tarif est fixé par le don-neur d’ordre, et ne bénéficiant d’aucuneprotection sociale.L’aspiration de tous les travailleurs àplus d’autonomie dans leur travail et àmaîtriser leur rythme de travail, commele partage entre travail et vie profes-sionnelle, est dévoyée par cette nou-velle économie, qui ne connaît pas lecdi et transforme le code du travail enun chiffon de papier.

L’emploi salarié est donc sans doutemoins menacé par la disparition de nom-breux métiers avec la révolution numé-rique, que par le développement de «l’ubérisation de l’économie » qu’elle favo-rise, avec des grands groupes se battantpour attirer les profils les plus rares, etsous-traitant un maximum de tâches àdes actifs travaillant en free lance alorsqu’ils préféreraient occuper un emploibien payé et mieux sécurisé.

quel lien le Pcf fait-il entre la néces-sité de revaloriser le travail et savolonté de disputer au patronat laconduite du débat politique au seinde l’entreprise ?Pour le patronat, comme pour tous ceuxqui soutiennent son discours libéral, ledébat politique n’aurait pas sa place àl’entreprise. La recherche du profitcomme moteur de la croissance quientraînerait la création d’emplois ne sau-rait être remise en cause. c’est le fameuxthéorème de helmut schmidt : « Lesprofits d’aujourd’hui, ce sont les inves-tissements de demain, donc les emploisd’après-demain », qui justifierait, à luiseul, la réduction du prétendu « coût dutravail » et la destruction programméedu code du travail pour faciliter les licen-ciements. alors que le défi écologiquecomme la crise du travail posent la ques-tion du mode de production desrichesses – quels critères de produc-tion ? quelles richesses produire ? quelprocessus de production et quelle orga-

nisation mettre en place pour y répon-dre ? – seul l’employeur serait autoriséà apporter les réponses.nous ne pouvons naturellement pas lais-ser cette situation se prolonger. mais dis-puter au patronat le monopole dans laconduite du débat politique au sein del’entreprise suppose de ne plus consi-dérer le travail comme une simple « res-source » au service de « l’entreprise »,ressource qui serait d’ailleurs amenée àdisparaître avec la diffusion de la révo-lution numérique – on assiste en effetaujourd’hui au retour de l’idéologie de la« fin du travail » au sein de « l’usine dufutur ». ne plus laisser la citoyenneté àla porte des entreprises passe par lareconnaissance du travail comme laseule source de production des richesseset par celle de l’entreprise comme une«  communauté humaine  » et noncomme la propriété des apporteurs decapitaux. Faire entrer la citoyenneté dansl’entreprise suppose une véritable reva-lorisation du travail. c’est parce que lessalariés sont les véritables producteursdes richesses et donc les seuls suscep-tibles de mettre en œuvre un nouveaumode de développement, centré surl’émancipation humaine, que leur inter-vention dans la gestion de l’entreprise,à partir de leur expérience du travail réel– qui a le plus souvent peu à voir avec letravail prescrit – est indispensable. n

Jean-François Téladi Secteur média.

i de france… dans Les média !

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n méchant hasard a vouluque les attentats de Paris,en novembre dernier, sedéroulent au momentmême où s’ouvrait, dans lacapitale, le salon mondial

dédié à la sécurité intérieure dit milipol.Placé sous l’égide du ministère del’intérieur, milipol a été créé en 1984. ontrouve de tout chez ses exposants, del’armement conventionnel aux techno-logies numériques. milipol se tient tousles deux ans à Paris, les années impaires,en alternance, depuis 1996, avec le qatar(!) qui accueille milipol-qatar les annéespaires… réservé aux professionnels dela sécurité, ce salon peut rassemblerjusqu’à 30 000 personnes (chiffres de2011), dont un tiers d’internationaux. ilattire toute la nomenclature de la police,de la gendarmerie, des douanes, des ser-vices de renseignement, de l’armement.c’est un préfet, rémi thuau, qui le pré-side. Le dernier salon, qui est le plus grandsalon au monde consacré à la sécurité,a réuni près de mille exposants, venusde France et d’une cinquantaine de pays.

Le marché de la sécuritécontre le crime… et contre la démocratieLe marché de la sécurité est en pleine expansion. on y brasse des sommesconsidérables et la privatisation du secteur, qui releva longtemps dudomaine régalien de l’État, semble en cours. L’antiterrorisme a bon dos :nombre de firmes, en fait, arment les dictatures contre leur opposition.

officiellement, les cibles affichées sontle « terrorisme » et la cybercriminalité.

une croissance forte etune Privatisation Plusieurs tendances peuvent y être obser-vées. Le salon confirme une croissanceforte, partout, des budgets de sécurité. Lepoids de ce marché est imposant. en 2014,le marché mondial de la sécurité au senslarge représentait 507 milliards d’euros.Le marché français s’élevait à 25 milliardsd’euros. ce qu’on appelle sécurité inté-rieure ou homeland security pèse 3,4 mil-liards, la cybersécurité coûte 2,4 milliardset la seule sûreté aéroportuaire (pourtantbien défaillante, on l’a vu) s’élève à un demi-

milliard. «  en occident, malgré lescontraintes de la dette, les budgets sécu-rité et défense redeviennent prioritaires »note véronique guillermard du Figaro éco-nomie (17/11/15).seconde tendance : « L’urgence tend àfaire tomber les frontières entre sécu-rité publique et privée ». Le patron d’unefirme de renseignement, Patrick haas,

PAR GÉRARD STREIFF

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précise : « il y a un changement dans lediscours et dans l’attitude qui est trèsnet depuis janvier 2015. Les autoritéspubliques, qui ne peuvent être partout,estiment que la sécurité privée peut avoirrang de partenaire ». on parle d’une expé-rience en cours, depuis l’été dernier, ducôté de la défense, à Paris/nanterre, inti-tulée vigie, où forces de l’ordre et agentsprivés seraient interchangeables.

queL contrôLe PubLic surces activités ? Les sociétés privées disposent d’outilstechnologiques très perfectionnés quileur donnent des moyens considérablesen matière de surveillance. dans quelle

mesure ces instruments répondent-ils complètement aux normes et auxlois ? certaines firmes, par exemple, peu-vent proposer de rendre un adn exploi-table en 90 minutes ; ou encore des logi-ciels de reconnaissance du visage, del’iris, des empreintes digitales ; ou ellesassurent des filatures nomades, via dessystèmes vidéo capables de reconnaî-

« Les sociétés de surveillance ne semblent pas très regardantes au plan

éthique, et c’est un euphémisme. »

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tre des silhouettes et des visages ; ellespeuvent aussi crypter toute espèce decommunications, connecter des mon-tres, vendre des engins robotisés capa-bles de neutraliser une valise, des micro-drones de surveillance, etc.… est-ce queles prérogatives de ces sociétés demeu-rent dans un cadre juridique précis ? c’està voir.

et quid de leur capacité de contrôled’internet et des réseaux sociaux ?quatrième caractéristique : dans dessalons comme milipol, tous les gouver-nements liberticides de la planète vien-nent s’approvisionner en technologiesde surveillance de leur opposition. entoute discrétion. il est significatif que lorsde milipol 2013, on a parlé de 61 déléga-tions officielles, de 18 ministres présentsmais les organisateurs n’ont donné lesnoms que de trois d’entre eux. il y avaitlà par exemple des hauts dirigeants duBahrein, pays classé 163e sur 181 sur laliste 2014 de la liberté de la presse. il fautdire que les sociétés de surveillance nesemblent pas très regardantes au planéthique, et c’est un euphémisme.certaines comme « gamma internatio-nal » (grande Bretagne) ou « hackingteam » (italie), qui étaient bien en vue àParis en novembre 2015, présentent unegamme de produits « d’intrusion infor-matique » destinés à « la surveillancedes ordinateurs, des téléphones porta-bles, des smartphones ». ces firmes sontdans le collimateur de l’organisme« reporters sans frontières » et classéescomme « ennemis d’internet 2014 ».il s’agit, dit l’association, de « dealers de lasurveillance » dont les technologies sontutilisées par les forces de police de cer-tains pays dans leur chasse aux dissidents.

ceux qui veulent acheter ces technolo-gies avec ceux qui les vendent. aprèstout, on peut bien vendre aux rebelleslibyens des voitures qui s’en servirontcomme armes. general motors et nissandoivent-ils se demander comment leursvéhicules seront utilisés ? »ce qui est dit ici des « rebelles libyens »peut très bien s’appliquer à l’organisa-tion daech.

en principe l’importation et l’exporta-tion des technologies de surveillancesont encadrées par un traité multilaté-ral de 1996 dit «  l’arrangement deWassenaar » mais l’accord n’est pas juri-diquement contraignant. n

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jerry Lucas, patron d’une de ces firmes,telestrategies, et organisateur d’un salonidentique à milipol (issWorld, IntelligenceSupport System for Lawful Interception,Criminal Investigation and IntelligenceGathering) avouait ne pas se sentirconcerné par l’usage final qui était faitdes technologies présentées :« Les systèmes de surveillance que nousexposons et présentons dans nos confé-rences sont disponibles dans le mondeentier. certains pays utilisent-ils ces tech-nologies pour censurer certaines décla-rations politiques ? oui, probablement.mais ce n’est pas notre job de faire le trientre les bons et les mauvais pays. [...]notre business est de mettre en relation

« Les technologiessont utilisées par

les forces de policede certains paysdans leur chasseaux dissidents. » Les ennemis d’internet

À l’occasion de la journée mondiale contre la cyber-censure, reporterssans frontières a publié l’édition 2014 de son rapport ennemis d’internet.ce document révèle les secrets des institutions qui, au sein des états, met-tent en œuvre la répression en ligne et les atteintes technologiques à laliberté de l’information.[…] trois des trente-deux institutions désignées « ennemis d’internet »par reporters sans frontières opèrent dans des démocraties qui pré-tendent pourtant défendre la liberté d’expression et la libre circulationde l’information. ainsi, les pratiques de la nsa aux états-unis, du gchqau royaume-uni et du centre de développement des télématiques eninde n’ont rien à envier à leurs homologues chinois, russes, iraniens oubahreïnis.Le contrôle de l’information en ligne ne serait pas possible sans le concoursde sociétés privées. dans l’édition précédente du rapport ennemis d’internet,reporters sans frontières pointait du doigt les mercenaires numériques,des entreprises qui mettent leur savoir-faire au service de régimes auto-ritaires contre des sommes d’argent bien souvent colossales. en 2014, l’or-ganisation dénonce cette fois les dealers de la surveillance, des salons quimettent en relations des entreprises spécialisées dans la surveillance etla censure avec des régimes autoritaires. Parmi les plus connus et les plusnéfastes : iss World, milipol et technology against crime.au-delà de la dénonciation, c’est l’action qui permettra de mettre fin à cespratiques indignes. reporters sans frontières livre donc une série de recom-mandations à destination des états et des institutions internationales afinde mettre un terme aux dérives sécuritaires et paranoïaques observéesdepuis plusieurs années.Les pratiques des institutions « ennemis d’internet », qui œuvrent le plussouvent dans l’ombre, doivent être dénoncées et connues du plus grandnombre. c’est à cette condition que les institutions internationales, lesnations unies, l’europe ou les traités régissant l’export des technologiesde surveillance pourront se saisir de ces problèmes et légiférer afin defaire cesser au plus vite ces pratiques. reporters sans frontières invite lesinternautes du monde entier à se joindre à cette initiative.

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u sein des débats sur la laï-cité en France, sans cesserenouvelés au gré de l’ac-tualité, le lien entre ce prin-cipe et l’égalité des sexesainsi que la liberté des

femmes est la source de maintes contro-verses, même parmi les défenseurs lesplus convaincus de la laïcité. Pourquoiet en quoi la laïcité doit-elle être mise enlien avec l’égalité des sexes et les droitsdes femmes, se demandent certains.cela ne servirait-il pas qu’à créer desconfusions et à déranger l’applicationde la laïcité ?Pour d’autres, introduire la question dela liberté des femmes dans l’approchede la laïcité entraverait une articulationharmonieuse entre laïcité et diversitéculturelle. une telle démarche n’impo-serait-elle pas une vision occidentale dela liberté sexuelle ?dans le débat féministe, les désaccordsà ce sujet vont plus loin. certains cou-rants reprochent aux féministes laïquesd’être animées consciemment ouinconsciemment d’affects et d’ambi-tions colonialistes et impérialistes enversles peuples venant d’ailleurs. ce posi-tionnement, clairement formulé dansles débats autour de la loi de 2004 (surl’interdiction des signes religieux osten-tatoires à l’école publique et laïque),renouvelle d’anciennes critiques enversle féminisme à visée universaliste, fémi-nisme prétendument blanc et occiden-tal, qui serait aveugle à la diversité decondition des femmes.ces interrogations, divergentes dansleurs buts et contenus, interpellentcependant, chacune à leur manière, lerapport entre le religieux, le politique etles rapports sociaux de sexe au regardde la citoyenneté. une telle réflexion

Laïcité et identité :l’inéluctable question des rapports de sexe

nous permet aussi d’approfondir lestermes du débat sur l’universalité ou nondes valeurs démocratiques dont fontpartie l’égalité des sexes et la liberté desfemmes.

universeL, ParticuLier et raPPorts de sexecommençons par le lien entre laïcité etdroits des femmes qui n’est ni simple niunilatéral. on observe aisément que l’ins-tauration de la laïcité en 1905 n’a pas ins-tantanément donné lieu à la reconnais-sance des droits des femmes. cesderniers ne progressèrent que bien plustard, entre les années 1940 et 1980, pardes conquêtes telles que le droit de vote,le divorce par consentement mutuel etles droits sexuels (contraception, avor-tement). cependant, la majeure partiede ces droits n’aurait pu être acquis sansune loi civile émancipée de l’emprisepatriarcale sacralisée au nom de dieu.en instaurant la séparation entre l’Égliseet l’État, la laïcité soutient cette éman-cipation, sans pourtant interdire les pra-tiques religieuses. aujourd’hui, c’est tou-jours au nom de la loi divine que les droits

sexuels des femmes et des homosexuelssont contestés et remis en cause ; il existecependant, au sein même des religions,des tensions à ces sujets, tout commeil existe parmi les adeptes de toutes lesreligions des défenseurs de la laïcité.

ces constats jettent la lumière sur le faitque la libération des femmes n’est pasun fait « occidental », mais la résultantede luttes sociales et politiques qui mobi-lisent toujours les repères identitaires.L’exclusion des femmes des « droits uni-versels de l’homme », affirmés par larévolution française, en donne un exem-ple flagrant. olympe de gouges, femmede lettres et de théâtre, y opposa la« déclaration des droits de la femme etde la citoyenne ». mais il fallut de longuesdécennies de lutte pour inclure lesfemmes dans la citoyenneté démocra-tique. en France (comme partout ail-leurs dans le monde), les oppositionstenaces à cette inclusion prétextaient(et prétextent encore) une prétenduenécessité de hiérarchisation sexuée,seule capable d’assurer le ciment iden-titaire collectif (famille, communauté,société). L’exacerbation des repèresidentitaires sexuels sert ce schéma depouvoir qui rime parfaitement avec l’au-toritarisme. en revanche, la perspectivede la citoyenneté démocratique, fon-dée sur l’autonomie (à la fois collectiveet individuelle), déconstruit les logiques

identitaires figées. elle investit le plura-lisme au cœur de l’universalité des droitshumains ; elle préserve la diversité dansl’égalité ; elle ne sacrifie aucunement, aunom de la fraternité et de la sororité, laliberté des individus.

PAR CHAHLA CHAFIQ*

La majeure partie des droits des femmes n’aurait pu être acquis sans uneloi civile émancipée de l’emprise patriarcale sacralisée au nom de dieu.

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« Les protestations contre l’apprentissagede l’égalité des sexes à l’école (programme

aBcd de l’égalité, etc.) ont mis en scèneune alliance objective entre les groupes

d’extrême-droite (également actifs dansles contestations contre le mariage pourtous) et les intégristes catholiques ainsi

que les islamistes. »

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un tel schéma sociopolitique n’est envi-sageable que lorsque la loi communeest affranchie de toute instance méta-sociale qui se légitimerait par un pouvoirtranscendant le peuple. quant au peu-ple, du point de vue du projet démocra-tique, il n’est pas une masse unifiée ethomogène. il constitue une assembléed’individus libres et égaux, destinataires

des droits, mais aussi auteurs des lois(par la représentation nationale).L’affirmation de la laïcité en France s’ins-crit dans cette optique. elle résulte d’unrapport de force sociopolitique autourdes orientations démocratiques. ce n’estdonc pas par hasard si les revendica-tions d’égalité des sexes et de liberté desfemmes, qui vont dans le sens du déve-loppement des valeurs démocratiques,croisent toujours les enjeux de la laïcité.cela se vérifie clairement dans les conflitssociopolitiques actuels.

PoLitique, reLigieux, sexe et identitédepuis les années 1980, au sein d’unemondialisation fondée sur la marchan-disation et dans un contexte de reculdes idéaux humanistes, les mouvementspolitiques basés sur l’idéologisation dela religion marquent une percée multi-forme sur la scène internationale, euro-péenne et française. L’islamisme, la plusvisible et la plus spectaculaire de cesidéologies, projette l’instauration de lacharia pour établir un ordre divin juste.ce projet, qu’il passe par le djihadismeou des courants islamistes qui privilé-gient la lutte non-armée, rejette l’égalitédes sexes et la liberté des femmes enles qualifiant de valeurs occidentalesallant à l’encontre de prétendus prin-cipes de la famille islamique. ces prin-cipes, affirmés par la charia, préconi-sent une stricte division sexuée des rôlesdans laquelle la supériorité écrasantedes hommes (père, époux, frères) se jus-tifie par leur statut de chefs qui auraientpour responsabilité d’assurer la protec-tion des épouses, mères et sœurs ausein des foyers. des codes de non-mixitéet l’interdiction de la liberté sexuelle (touten préservant la polygamie pour leshommes) sont censés préserver ce sys-tème inégalitaire. notons que les mou-vements islamistes (djihadistes ou non)peuvent concéder aux femmes une

place d’actrices, mais qu’ils rejettentl’égalité des sexes et la liberté de ces der-nières au prétexte d’une complémen-tarité des sexes qui garantirait le main-tien de la « famille islamique » et, par lemême biais, préserverait l’oumma (lacommunauté musulmane) du désordremoral. en miroir, les « droits des femmesà l’occidentale » sont désignés, par la

propagande islamiste, comme la sourcedu désordre social et la liberté sexuellecomme la source de la marchandisationdes femmes en tant qu’objets sexuels.ce faisant, l’islamisme se proposecomme opérateur d’un ordre moral por-teur de vertu, de protection et d’amour.à l’instar de l’islamisme, le rejet des droitssexuels des femmes et des homosexuelsest un marqueur des propagandes descatholiques intégristes et des fonda-mentalistes protestants évangélistes(très présents en amérique du nord etdu sud) et des fondamentalistes juifs(en israël notamment). dans les ins-tances internationales, ces mouvementspolitico-religieux de tous bords font frontcommun, au nom du respect des cul-tures et des religions, dans le but d’ex-clure des résolutions sur les droits desfemmes les notions d’égalité des sexeset de droits sexuels, et de les remplacerpar la notion d’équité qui conçoit lesdroits des femmes et des hommes selonleurs devoirs respectifs définis par desmodèles familiaux prenant en comptela diversité des « codes culturels et cul-tuels ». cet ordre moral fondé sur l’exa-cerbation de l’identité culturelle et reli-gieuse rencontre les perspectives desnéoconservateurs de la droite extrêmequi exaltent, pour leur part, les identitésnationales. Les protestations contre l’ap-prentissage de l’égalité des sexes à l’école(programme aBcd de l’égalité, etc.) ontmis en scène une alliance objective entreles groupes d’extrême-droite (égalementactifs dans les contestations contre lemariage pour tous) et les intégristescatholiques ainsi que les islamistes.Paradoxalement, les courants d’extrême-droite et les islamistes se rejoignent pourmanipuler, chacun à leur manière, lesdroits des femmes à des fins de propa-gandes identitaires. Le port du voile enprésente un exemple significatif. Le mou-vement islamiste en fait un symbole iden-titaire de « la femme musulmane ». ce

qui lui permet d’affirmer le cadre moralqu’il prétend promouvoir pour établir lacharia et de tracer, dans le même temps,les frontières d’une oumma fantasméedont il se proclame le gardien. Les cou-rants identitaires d’extrême-droite, quantà eux, accueillent cette conception sté-réotypée et la légitiment pour soulignerles différences insurmontables entre lacommunauté musulmane et l’occident.attisant ces contradictions, en France,le Front national maquille et travestit lalaïcité en héritage de la culture chré-tienne constitutive de l’identité fran-çaise. ce positionnement ne fait que ren-forcer les confusions qui traversent ledébat sur la laïcité et les droits desfemmes, particulièrement dans les rangsde la gauche antiraciste. certaines vontjusqu’à dénoncer la critique du voile entant que symbole sexiste comme l’ex-pression de l’ethnocentrisme d’un fémi-nisme blanc hémogénique. Les mêmesreprochent aux féministes laïques d’êtreles suppôts du racisme antimusulman.quelles que soient les motivations desprotagonistes, tout questionnement ettout débat qui restent ainsi encadrés pardes perspectives identitaires, ne peu-vent aboutir qu’à une impasse. Pour ensortir, il est urgent de réinterroger l’évo-lution historique, sociale et politique desdroits des femmes, dans les mondes ditsoccidentaux et islamiques, sous l’angledes rapports sociaux de sexe. nousconstaterons alors que le tableau estcontrasté : un occident traversé par desconflits de valeurs qui confrontent lesdéfenseurs de la démocratie aux parti-sans d’un retour à l’ordre moral ; et unmonde « musulman » ébranlé par desconflits internes autour des orientationsdémocratiques. L’islamisme y apparaî-tra en tant qu’acteur idéologico-politiquejouant sur la scène pleine de contrastesdes pays et des peuples concernés. uneanalyse sous l’angle des droits desfemmes constitue d’ailleurs la seule grilled’analyse capable de saisir le contenuidéologique du projet islamiste et sanature anti-démocratique. c’est ainsique la laïcité peut déployer sa réelle signi-fication et ses enjeux dans le contexteactuel, ici et ailleurs. n

« Paradoxalement, les courantsd’extrême-droite et les islamistes se

rejoignent pour manipuler, chacun à leurmanière, les droits des femmes à des fins

de propagandes identitaires. »

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*Chahla Chafiq est sociologue etécrivaine. Elle est docteure del’université Paris-IX Dauphine.

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ELLe communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.

nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl marx, Friedrich engels - L’Idéologie allemande.

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Peux-tu présenter en quelques motsmichel clouscard ?c’est un philosophe et sociologue fran-çais (1928-2009), d’origine prolétarienne,né dans le tarn (région de carmaux),proche du PcF de l’époque marchais, dontl’œuvre publiée prend forme à partir demai 68. Bien qu’auteur d’une œuvre phi-losophique importante, il est surtoutconnu pour sa critique implacable de lacontre-révolution, qui va amener la gauchefrançaise, à partir des années 70, à se four-voyer dans le « libéralisme libertaire »,concept qu’il a d’ailleurs lui-même forgédès 1972. tout le monde peut observeraujourd’hui l’aboutissement de ce pro-cessus : être de gauche aujourd’hui, pourle gouvernement actuel, n’a de significa-tion qu’au niveau « sociétal » (des mœurs)mais aucune au niveau économique,social. Longtemps l’évolution des mœurs,la fin des discriminations – totalementlégitimes par ailleurs – étaient portées parle mouvement ouvrier. aujourd’hui, lesévolutions de ce côté-là servent de cache-misère à une répression impitoyable auplan économique.

michel clouscard propose de réactua-liser le marxisme au regard du nouveaucapitalisme qu’il voit émerger et qu’ilnomme « le capitalisme de la séduc-tion ». de quoi s’agit ?il ne se propose nullement de modifierni même de compléter l’approchemarxiste mais simplement de l’appliquerà l’évolution des forces productives etdes rapports de production de sontemps – ce que, du reste, doit faire toutmarxiste. il observe qu’à la faveur de laguerre froide, avec le plan marshall d’un

La pensée de michel clouscard

côté et de la pression que les campssoviétique et non-aligné font alors pesersur le camp du capital, les forces de laréaction sont obligées de lâcher du lest.elles dirigent alors toute leur attentionvers ce qu’il appelle les «  nouvellescouches moyennes », lesquelles ne sontplus détentrices de leurs moyens de pro-duction comme la petite bourgeoisietraditionnelle (car intégrées au salariat),mais vont être particulièrement choyéesafin de les détacher des forces popu-laires. il se crée alors une société per-missive pour le consommateur, maistoujours aussi répressive contre le pro-ducteur. Les « trente glorieuses » n’ont

pu produire leur miracle économiqueque par une exploitation ouvrière (lesos) renforcée par un exode rural violentet massif, la ghettoïsation dans les ban-lieues, un renforcement complet de l’alié-nation par le capitalisme technocratique.Le classique enrégimentement descouches ou classes moyennes par le fas-cisme laisse la place à une séductionplus douce en apparence mais qui, à lafaveur de la crise, peut repasser au fas-cisme. c’est pourquoi clouscard publiedès 1972, un livre quasi prophétique,

Néofascisme et idéologie du désir, puis,en plein mitterrandisme, Le Capitalismede la séduction, son maître-ouvrage.clouscard avait bien vu que la trahisonde la gauche amènerait la remontéeactuelle de l’extrême droite.

en quoi cette analyse se distingue-t-elle des critiques habituelles de lasociété de consommation ?en ce qu’elle en est le contraire ! clouscardne trouve pas que « nous » consommonstrop. Pour les couches populaires, cetteprésentation est même indécente. àl’époque, clouscard montrait que les nou-velles couches moyennes avaient eu

accès à une consommation « libidinale,ludique, marginale » mais que les couchespopulaires en restaient aux biens de pre-mière nécessité et aux « biens d’équipe-ments des ménages » (frigo, voiture) detoute façon indispensables à la reproduc-tion capitaliste.Pour clouscard, la morale consiste à arti-culer la consommation sur la production :« tu ne consommeras pas plus que tu neproduis. » il ne s’agit pas non plus d’un« productivisme ». La production est rap-portée aux besoins humains déterminés

« Les “trente glorieuses” n’ont pu produireleur miracle économique que par une

exploitation ouvrière (les os) renforcée par un exode rural violent et massif, la ghettoïsation dans les banlieues,

un renforcement complet de l’aliénationpar le capitalisme technocratique. »

michel clouscard publie dès 1972, un livre quasi prophétique, Néofascismeet idéologie du désir, puis, en plein mitterrandisme, Le Capitalisme de laséduction, son maître-ouvrage. clouscard avait bien vu que la trahison de lagauche amènerait la remontée actuelle de l’extrême droite.

ENTRETIEN AVECAYMERIC MONVILLE*

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démocratiquement, en fonction des res-sources disponibles où à venir : c’est làd’ailleurs une des définitions possibles ducommunisme.

quelle analyse michel clouscard pro-pose-t-il de mai 68 ?après mai 68, ce sont les forces de larésistance qui décroissent (gaullistes etcommunistes) et « vichy » qui revient aupouvoir sous une forme ou sous une autre.on peut citer deux présidents s’étant lon-guement attardés à vichy bien entendu(voir le témoignage de Pierre mendès-France sur valéry giscard d’estaing dansLe Chagrin et la pitié et pour Françoismitterrand lire ses biographes), mais l’es-sentiel c’est surtout l’aboutissement actuel

du processus : l’intégration de la droitedans l’atlantisme, achevée depuis nicolassarkozy, et de la gauche dans la social-démocratie européiste depuis maastricht.Le recul des principes républicains uni-versalistes et égalitaristes au profit despseudo-« patries charnelles » et des soli-darités communautaires aux relents pétai-nistes est la marque actuelle de l’époque,j’en ai bien peur.de telle sorte que les marxistes doiventsavoir aussi qu’ils sont les héritiers desprincipes rationalistes et universalistesdes Lumières, même s’ils ont vocation àles accomplir en profondeur et non à les« privatiser » comme l’a fait la bourgeoi-sie depuis 1789.en 1968, clouscard était très sensible audanger « gauchiste » qu’il voyait commeparticulièrement dissolvant, trouble.Prenons un daniel cohn-Bendit, passéd’un vague anarchisme de façade au « libé-ralisme libertaire » (qu’il a approuvé strictosensu) ou encore un michel onfray, héri-tier auto-désigné de ce mai 68-là, qui sedit anarchiste autant que pro-capitaliste.ces deux-là, en 68 comme aujourd’hui,n’ont bien sûr rien à voir avec le courantanarchiste du mouvement ouvrier (pourlequel j’ai du respect) mais abusent duterme « libertaire » pour servir la domina-tion actuelle du capital.Force est de constater que beaucoup deceux qui critiquaient le Pc par la gauche(ou continuent à le faire rétrospective-

ment) se retrouvent actuellement tout àfait à sa droite…mais un danger bien plus grand allait frap-per le camp communiste, l’opportunisme.on ne peut faire aucune politiquemarxiste-léniniste correcte si l’on ne segarde pas de ces deux maux, gauchismeet opportunisme. il est vrai que l’urssétait rentrée dans une période qu’on peutqualifier de « thermidorienne ». La contre-révolution n’avait pas encore gagné mais le pays d’octobre était affaibli idéologiquement, jusqu’à produire ungorbatchev. et la situation mondiale étaitbloquée à l’époque (voir l’échec, relatifheureusement, de la révolution desŒillets au Portugal).je pense que le PcF avait raison de dire

qu’il n’y avait pas en 1968 de situation révo-lutionnaire. dire le contraire aurait fait lejeu de l’ennemi et préparé une défaite cui-sante, une nouvelle « semaine sanglante »,puis la fascisation. mais ce constat n’au-torisait pas de se penser en parti social-démocrate !ensuite, il faut bien distinguer l’analyseclouscardienne du « gauchisme » liée àl’évolution du capitalisme en son tempsde celle, dominante à l’époque dans lePc, tendant à stigmatiser en bloc, aumépris des nuances historiques, les « anar-chistes d’hier et d’aujourd’hui » (c’est letitre d’un livre de jacques duclos). cartous les anarchistes ne sont pas des pro-vocateurs et parfois beaucoup partagentau moins les présupposés marxistes del’anticapitalisme. je pense même qu’onexagère nos divergences avec les anar-chistes sincères et qu’on minimise cellesavec des keynésiens.

quelles perspectives politiques l’œu-vre de michel clouscard ouvrent-elles ?La stratégie libérale-libertaire est désor-mais bien identifiée, disqualifiée. clouscarda déjà gagné, de ce point de vue.mais l’on ne pourra avancer qu’en ren-forçant le mouvement des travailleurs.c’est être fidèle à l’aspect marxiste desa pensée.La pire des lectures prétendument« clouscardiennes » consiste à rabâchersur les mérites de la France d’avant-mai

68, ce que n’a jamais fait clouscard. Pource dernier il n’y avait pas je ne sais quelle« France éternelle ». ce qu’il défendait,quant au passé, c’était la France desacquis de 1789, de 1936, de la résistance,puis de grenelle en 1968.détacher clouscard de son terreaumarxiste, comme le font ses lecteurs dedroite (car il y en a), conduit à des contre-sens. je le vois à l’idéalisation acritiquedes « trente glorieuses », de la Franced’avant mai 68, fût-ce dans ses aspectssympathiques caractérisés par le termetrès impropre de « gaullo-communisme ».L’on oublie que la France n’avait rien decommuniste à cette époque, qu’elle étaitmarquée par un système de pseudo-redistribution fordiste (de la poudre auxyeux en vérité) qui est rentré en crise delui-même et qui ne reviendra pas. Le gaul-lisme est avant tout un « bonapartisme »,au sens marxiste et gramscien du terme,une politique personnelle pouvant à toutmoment basculer dans la plus impitoya-ble réaction et qui ne pouvait s’épanouirque dans le cadre d’un statu quo dansl’affrontement de classes, la guerre froideen l’occurrence.revenons donc à marx et rappelons-nous que le capitalisme, qu’il ait ou nonjeté son masque libéral-libertaire auxorties, est en train de s’effondrer. il estincapable de résoudre le chômage demasse induit par les gains de producti-vité, gains qui permettraient au contraireune meilleure répartition de la richesseà condition qu’on établisse, comme lepréconisait marx, des « incursions des-potiques dans le droit de propriété ». ilfaut une nouvelle répartition du travailrefondée sur une nouvelle répartition dela propriété. rappelons que Le Capitalse termine par un appel à une réductiondu temps de travail. n

« clouscard montrait que les nouvellescouches moyennes avaient eu accès à une

consommation “libidinale, ludique,marginale” mais que les couches

populaires en restaient aux biens depremière nécessité et aux “biensd’équipements des ménages”. »

*Aymeric Monville est directeur deséditions Delga.

Propos recueillis par Florian Gulli.

Le Pen aux antiPodes de ma PenséeL’extrême droite a tenté, unmoment, de récupérer lacritique (de gauche) du mit-terrandisme par clouscard.ce dernier, dans un com-muniqué de L’Humanité du30 mars 2007, s’ indigna decette association. « Le Penest aux antipodes de mapensée », insistait-il.

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » jean jaurès

histoire n’est pas un objet froidet particulièrement l’histoirede la France. discipline qui seveut scientifique depuis la findu xixe siècle, l’histoire tentede reconstituer tout le passé

au plus près de ce qu’ont vécu, souventmalgré eux, les contemporains. mais l’in-terprétation des faits, et même lesméthodes d’approche, ont toujours étédes lieux de conflits à caractère idéolo-gique entre les historiens. ainsi la paysan-nerie, qui, dans notre pays, représenteencore au moins 70 % de la populationvers 1800, tient peu ou pas de place dansles ouvrages d’histoire qui se multiplientdepuis le xvie siècle. dans l’ancien régime,proches de la bourgeoisie, du clergé, dela noblesse ou de la cour, les historiensne s’y intéressent pas. au xixe siècle, mal-gré le poids du suffrage censitaire puis dusuffrage universel, en dehors de l’Histoirede France de michelet (1833-1867), on enparle peu. même sous la iiie république,la grande Histoire de France dirigée par e.Lavisse (19 tomes 1900-1921), quoiqued’une rigueur fréquemment scientifique,ne lui accorde que quelques pages. à tra-vers les siècles est reprise une image quivient des intendants de province de Louisxiv qui fait des ruraux des gens frustres,brutaux, conservateurs, enfermés dansla routine et aux réactions irréfléchies et

Paysannerie et batailleshistoriographiquesalors que des historiens libéraux s’en tiennent à la vision d’un peuple descampagnes à la mentalité et aux pratiques d’ignorance et d’archaïsme, ledéveloppement de la recherche historique révèle la capacité des paysans àse révolter tout au long de l’histoire.

souvent violentes. même des spécialistesde la question faisant par ailleurs un tra-vail positif de dépouillement d’archives,donnent encore à la fin du xxe siècle, avecdes nuances, un tel portrait.

La Paysannerie, acteuressentieL de La dynamiquehistoriqueil a fallu l’ébranlement de la secondeguerre mondiale pour que, majoritaire-ment, le point de vue change, avec l’in-fluence nouvelle du courant historiquedes Annales né en 1929 et la diffusioncroissante du marxisme. alors la pay-sannerie est devenue un acteur essen-tiel de la dynamique historique. uneméthodologie élargie a mis sur pied unebatterie de statistiques de masse, éco-

nomiques et démographiques ; actesnotariés, cadastres, enquêtes anciennes,malgré leurs défauts, ont été systéma-tiquement analysés, de même qu’à tra-vers les écrits judiciaires en série, lesactes de piété quantifiés et les descrip-tions d’érudits d’époque, on a com-mencé à saisir une culture paysannedont on avait déjà un écho à traversrabelais et La Fontaine. Par là a étédépassé le récit descriptif et péjoratiffondé sur l’idée d’un immobilisme pas-

séiste des travailleurs des campagnes.Pour s’en tenir à la période des tempsmodernes, apparaît donc un monde par-ticulièrement sensible aux variationsalors extrêmes des récoltes et de la santédu bétail. La faiblesse des rendementscéréaliers et animaux et les prélèvementsopérés pour le seigneur, pour le proprié-taire quand on n’est que locataire du sol,pour le clergé et pour le roi, ne laissentque peu de marge dans un systèmefondé sur le primat de l’autoconsomma-tion. La terre est inégalement répartie,non seulement entre privilégiés et pay-sans, mais aussi entre les exploitants. Lamontée lente des échanges monétaires,la croissance démographique à longterme et les exigences accrues du fiscau xviie siècle obligent de plus en plus à

produire pour la vente ou à se salarier aumoins partiellement. malgré l’existencede coqs de villages, propriétaires aisés,marchands en gros de denrées, voirefermiers de droits seigneuriaux, tout celacontribue à rendre pour le plus grandnombre la vie précaire, proche de la pau-vreté et de la disette. d’autant qu’auxaccidents météorologiques s’ajoutentles épidémies mortelles de grande exten-sion faute de prophylaxie, peste ouvariole. ces conditions de vie, avec l’il-

« Le paysan est acteur de l’histoire parceque, tout à la fois, il nourrit les villes de plus

en plus peuplées depuis le xiiie siècle, ilentretient les classes dominantes. »

PAR GUY LEMARCHAND*

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*Guy Lemarchand est historien.Il est professeur émérite d’histoiremoderne à l’université de Rouen.

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lettrisme et l’analphabétisme, en dépitdes médiocres écoles de village sousl’égide des curés, favorisent le maintiend’un pessimisme résigné et d’une piétéritualiste fondée sur la peur du diable,de l’enfer et de la colère de dieu que nevient pas tempérer, lorsqu’elle a lieu, lalecture collective des livrets religieux etdes romans chevaleresques d’inspira-tion nobiliaire amenés par les colpor-teurs.

des révoLtessPectacuLairesPourtant le paysan est bien égalementacteur de l’histoire parce que, tout à lafois, il nourrit les villes de plus en pluspeuplées depuis le xiiie siècle, il entre-tient les classes dominantes, même lesbourgeois qui cherchent toujours àacquérir parcelles et fermes qui procu-reront un revenu assuré et un prestigesocial, et il garnit les caisses du roi quiévite de taxer son Église et ses gentils-hommes mais qui rehausse l’impôt surles ruraux à chacune de ses fréquentesguerres. acteur il l’est encore par lavigueur, malgré la différenciation sociale,de la solidarité et de l’autonomie admi-nistrative relative de la communauté vil-lageoise, consolidée par le culte de laparoisse, vigoureuse non pas partout,mais dans plus de la moitié du territoirejusqu’à 1789, de la Bretagne à la Provence.c’est précisément par là et grâce à uneculture faite de sexualité joyeuse, d’in-solence vis-à-vis des puissants et demerveilleux qui donne le rêve, qui n’estpas que simple reproduction desmodèles dictés par les prêches du clergéet la supériorité guerrière et judiciaire duseigneur, que paysan ne signifie pasconstamment passivité historique etexerce même une pression sur les nobleset le gouvernement royal qui ne l’avouentpas. en effet, sous des formes diverses,les paysans savent se rebeller contre l’in-justice et l’oppression, en dépit de leurposition de faiblesse et des risquesencourus devant des juges le plus sou-vent impitoyables. Le plus spectaculaire,ce sont les grandes révoltes des xvie etxviie siècles, telles par exemple celle desNu-Pieds en Basse-normandie en 1639qui tient plusieurs dizaines de paroissespendant six mois, constituant destroupes assemblées au son du tocsindes églises, allant jusqu’à 3-4  000hommes avec des armes improvisées,brûlant maisons de notable et tuant les

receveurs des impôts que richelieu aaugmenté pour se lancer dans la guerreeuropéenne de trente ans. autre typede résistance en groupe : l’agitation pourles subsistances lors des années decherté des blés. il ne s’agit pas de sim-ples réflexes brutaux provoqués par l’an-goisse et la faim. alors petits exploitants,artisans et journaliers doivent acheterdavantage au marché et cela gonfle leurendettement, souvent chronique, auprèsde ceux qui ont du numéraire, cesuriersde la campagne et de la ville. Par leursgestes et leurs cris les mutins montrent

qu’ils connaissent leurs cibles et qu’ilsrefusent pour, disent-ils, leur droit à lavie, d’obéir toujours à la loi des vendeursprotégée par l’autorité sociale qui la sou-tient : la maréchaussée, le juge du lieu,les grands fermiers vendeurs et distri-buteurs d’emplois et possesseurs descharrues et charrettes qu’ils louent auxautres… on achète à prix forcé ou ons’empare des sacs de grains sur le mar-ché ou dans les granges qu’on perquisi-tionne, aussi bien des riches paysansqu’on bouscule, que des seigneurs etdes monastères décimateurs. ondénonce en chemin les monopoliers quistockent la denrée afin d’en faire encoremonter le cours, car il est vrai qu’à larareté de la moisson s’ajoute la spécu-lation du marchand. une conscience declasse pointe là.

Longtemps la majorité des historiens acru que, avec la croissance économique,les tensions dans les campagnes s’apai-saient au xviiie siècle. effectivement, aprèsles Camisards des cévennes en 1704-1708, mouvement dont la motivationd’abord religieuse ne doit pas cacher labase sociale, le langage chrétien d’époquehabillait des préoccupations matérielles,comme l’avait compris autrefois Friedrichengels, les grandes révoltes disparaissent,une répression plus systématique menée

par l’appareil d’État y contribuant. Pourautant il y a une troisième forme de résis-tance paysanne, difficile à saisir parce queles acteurs n’écrivent pas eux-mêmes etles sources dans les archives sont minceset dispersées. une enquête menée pen-dant vingt ans dans tous les départements,publiée en 2002 pour la période 1660-1789 montre une véritable poussière d’in-cidents en milieu rural, avec une dizaineà une centaine d’intervenants et durantquelques heures à quelques jours, sur uneà plusieurs localités. ici il s’agit de bagarresparfois mortelles opposant dans la suite

du xviie siècle gabelloux et percepteursroyaux à des troupes de contrebandiersaidés par des villageois. Là ce sont desgardes-chasses rossés, des barrières d’en-clos seigneuriaux abattues ou des arbresdes parcs autour des châteaux sciés pen-dant la nuit. Fascinés par le renforcementde l’administration et de la justice pen-dant la monarchie absolutiste, facteur depacification des mœurs, et influencés parla thématique du consensus social selonlaquelle les dominés acceptent docile-ment leur sujétion parce qu’ils y trouventleur compte, encore aujourd’hui des his-toriens libéraux s’en tiennent à la visiond’un peuple des campagnes à la menta-lité et aux pratiques d’ignorance et d’ar-chaïsme. une telle représentation s’ac-compagne du rejet de l’idée d’une histoirecontradictoire et du concept de lutte desclasses qu’ils réduisent aux grèves décla-rées et aux manifestations publiques affi-chant un programme. elle peut alimen-ter aussi un conservatisme implicite. n

« sous des formes diverses, les paysanssavent se rebeller contre l’injustice et

l’oppression, en dépit de leur position defaiblesse et des risques encourus devantdes juges le plus souvent impitoyables. »

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Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rapportsde l’homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

a relance des réformes pardeng xiaoping en 1992 a placéen effet les villes en situationd’acteurs, de leaders et devitrines du développementpour le pays. une telle polari-

sation urbaine du territoire chinois a lar-gement profité aux très grandes villes,notamment littorales, dont shanghai futlongtemps l’exemple accompli, avec lacréation de la nouvelle zone de Pudong.cette métropolisation, dans un contextegénéralisé d’urbanisation, a été particu-lièrement rapide, brutale et définitive.vingt-cinq ans plus tard, le processussemble achevé, de nouveaux schémaséconomiques et territoriaux mis en place.un bilan au sortir des « trente glorieuses »chinoises ne peut qu’en montrer, à par-tir du spectre de la ville, les avantages en

Les chinois vivent aujourd’hui majoritairement en ville. Les modes de vieurbains et leurs valeurs se sont imposés, avec la société de consommation,depuis les années 1990.

termes de développement, ainsi que lescoûts et les nouveaux défis sociaux.

Les Logiques de LamétroPoLisation elles sont bien connues. elles ont été enchine d’autant plus violentes que le payss’est hissé en vingt ans au sommet deséconomies émergentes dans le monde,aidé d’un pouvoir autoritaire aux com-mandes d’une partie essentielle desstructures économiques et d’un enca-drement social resté potentiellementcontraignant. Les grandes métropolescomme shanghai, avec 24 millions d’ha-bitants pour l’ensemble de la municipa-lité en 2010, ont entamé dès le début desannées 1990 une politique de gentrifi-cation (rejet des populations les moinsaisées) et de redistribution des unitésde production de la ville-centre (indus-trie, port, aéroport, infrastructures spor-tives ou de loisirs) vers ses périphériesimmédiates.

Le renouvellement du bâti dans la ville his-torique a permis de hiérarchiser la tramedes réseaux de communication en fonc-tion de l’essor de l’automobile, de mettreen place des lignes de métro, de multi-

plier les opérations foncières en vue dela création de tours de bureaux, de cen-tres commerciaux modernes et d’ensem-bles de logements pour classes moyennessupérieures. des segmentations socio-spatiales se sont fait jour, à des échellesfines, entre blocs d’anciens résidents voirede locataires migrants et îlots aisés, entresecteurs patrimonialisés et zones réno-vées.

Les enjeux de la métropolisation se sontsurtout déplacés dans les espacespériurbains, où une vive concurrencepour le sol oppose les infrastructures detransport, les extensions en tache d’huilede la ville-centre, les zones industrielles,les villes nouvelles, les anciens bourgset villages, et les derniers lieux de cul-tures. ceux-ci sont désormais orientésvers l’alimentation urbaine ou la com-mercialisation nationale voire interna-tionale des produits agricoles grâce àune stratégie municipale dynamique demodernisation autour d’entreprises com-munautaires, d’exploitations privées oude grands groupes agro-alimentaires.

Le périurbain shanghaien abrite despopulations très variées, du migrant tra-

PAR THIERRY SANJUAN*

La métropolisationchinoise, coûts etavantages de lamodernisation urbaine

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vaillant à la terre ou à l’usine, aux loge-ments sociaux pour déplacés, aux opé-rations immobilières pour classe ditemoyenne et enfin aux « communautésfermées » pour l’élite de l’État-Parti, lesriches entrepreneurs et les expatriés. autotal, les enquêtes officielles ont toute-fois révélé que les 4/5e des populationshabitant hors de la ville-centre ont desrevenus inférieurs à la moyenne. Lesespaces périurbains seraient ainsi à lafois des lieux de mixité mais aussi de relé-

gation pour les anciens résidants – mêmesi certains y voient l’occasion d’avoir unlogement plus grand avec jardin – et d’in-tégration pour les migrants. ces espacessont devenus récemment, pour les auto-rités chinoises, un nouveau chantiersocial aux multiples défis.

un changement d’écheLLeLe phénomène urbain en chine changeen fait d’échelle. La ville de shanghai desannées 1980, issue pour l’essentiel des

anciennes concessions étrangères, et àpeine étendue par de nouveaux quar-tiers fondés sur la création d’entreprisesd’État, n’est plus aujourd’hui que le mai-gre noyau central d’une vaste agglomé-ration, elle-même relayée par des villesnouvelles et de petites villes dans untissu densément habité et bâti à l’échelled’une municipalité de 6 400 km2, soit lamoitié de la région Île-de-France.

Plus largement encore, la municipalitéde shanghai s’inscrit fonctionnellementdans un vaste ensemble régional, à latête duquel elle se trouve, structurée parde grandes villes comme suzhou, nankin,hangzhou, et s’étendant progressive-ment au nord du jiangsu et à l’ensem-ble de la province du Zhejiang. des villes-relais soulignent l’influence de lamétropole : Kunshan, dans la municipa-lité de suzhou, concentrant des usinesnotamment taiwanaises commandéesdepuis shanghai ; Yiwu et Wenzhou, dansla province du Zhejiang, respectivementcarrefour du commerce entre la chineet l’afrique, et capitale provinciale dépen-dant pour ses transports internationauxde marchandises du pôle shanghaien.

enfin, l’urbanisation chinoise connaît desdéfis d’une ampleur sans précédentcomme les questions de pollution del’air, de spéculation foncière gaspillantles terres et réduisant irrémédiablementles surfaces agricoles périphériques,d’emploi et de stabilisation administra-tive à terme de nombreuses populationsmigrantes. ces défis sont souvent évo-qués par les média, ils doivent surtoutêtre replacés dans un double contextespatial et temporel exceptionnel : il nes’agit plus ici de villes mais de nappesurbaines hiérarchisées et densémentpeuplées à l’ombre d’une métropolisa-tion célébrée jusque dans des événe-ments d’envergure internationale – jeuxolympiques à l’été 2008, puis à l’hiver2022 à Pékin, l’exposition universelle de2010 à shanghai – ; il ne s’agit pas nonplus d’un pas de temps similaire à celuides anciens pays industrialisés : l’urba-nisation chinoise a connu en vingt ans,et en même temps, tous les momentsde la modernisation urbaine de l’europesur cent cinquante ans – ville industrielle,hygiéniste, automobile, postmoderne. n

*Thierry Sanjuan est géographe. Ilest professeur à l’université Paris-1Panthéon-Sorbonne.

« L’urbanisation chinoise connaît des défisd’une ampleur sans précédent comme les

questions de pollution de l’air, despéculation foncière, d’emploi et de

stabilisation administrative à terme denombreuses populations migrantes. »

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La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. etnous pensons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sansscience n’est souvent qu’une impasse.

comment savoir ce qu’il y a dans lesoleil, alors que c’est si loin et si brû-lant ?jusqu’aux années 1860, il n’était pas pos-sible de connaître la nature de notreétoile. avec la naissance de la spectro-scopie dans la deuxième moitié duxixe siècle, on a pu découvrir la compo-sition chimique du soleil (on appellespectre la décomposition de la lumièreen toutes ses composantes : on y voitcertaines raies, chacune étant associéeà un élément chimique). de là à com-prendre comment fonctionne la machinesolaire, il y a un pas qui n’a pu être fran-chi qu’au xxe siècle (nous savonsaujourd’hui que le soleil tire son énergiede la fusion nucléaire). ce qui n’a pasempêché les théories ou modèlessolaires de fleurir à toutes les époques.ainsi de la théorie du soleil d’hervé Faye(1814-1902) : pour ce grand astronome,jouissant en son temps d’un prestige

international mais aujourd’hui bien oublié,notre étoile est une machine thermiqueen équilibre convectif. quant à savoir àquelle distance le soleil se trouve, ce fut

Le soleil

une autre quête passionnante. Les pas-sages de vénus devant le soleil de 1761et  1769 ont permis de l’évaluer. Lesmesures ont été renouvelées (ce phé-nomène revient deux fois environ tousles 120 ans) lors des passages de vénusde 1874 et 1882 en tirant profit des per-fectionnements techniques. L’unitéastronomique (u.a.) correspond à la dis-tance moyenne terre-soleil (environ150 millions de km) et permet d’évaluerles autres distances dans le systèmesolaire.

75 % d’hydrogène, 25 % d’hélium et untout petit peu d’autres choses… ?Lors de l’éclipse de soleil du 18 août 1868,le Français jules janssen et l’anglaisnorman Lockyer avaient observé uneraie inconnue dans le spectre solaire.quelques décennies plus tard, l’élémenthélium (de helios, soleil en grec) futrepéré sur notre planète et identifié àcelui que janssen et Lockyer avaient misen évidence. Par la suite, les quantitésrespectives des différents éléments ont

pu être précisées. notre soleil est uneétoile très banale composée essentiel-lement, comme ses consœurs, d’hydro-gène et d’hélium. Le « tout petit peu d’au-

tres choses » (carbone, oxygène, azote,fer) nous renseigne sur l’âge de notreétoile et son type stellaire.

c’est quoi, les taches, les éruptions etles protubérances ?Lorsque les taches sont suffisammentgrandes, elles sont visibles à l’œil nu etde telles observations sont attestéestrès tôt en chine. mais l’étude systéma-tique des taches a débuté vers 1610lorsque galilée introduisit la lunette àdes fins d’observations astronomiques.une controverse s’ensuivit, certainssavants de l’époque considérant lestaches comme des objets circulantautour du soleil. un consensus s’établitassez tôt sur l’origine solaire des taches,engendrant de nombreux scénarios surlesquels je reviendrai.Éruptions et protubérances sont desphénomènes d’éjection de matière quel’on n’a tout d’abord pu percevoir qu’aumoment des éclipses. grâce à l’inven-tion du coronographe (dispositif quimasque la partie centrale du soleil,comme pendant une éclipse) parBernard Lyot dans les années 1930, il estdevenu possible de les observer horséclipses.L’origine magnétique de toutes les mani-festations de l’activité solaire (taches,éruptions, protubérances) a été mise enévidence au xxe siècle.

qu’est-ce qu’il y a au centre et qu’est-ce qu’il y a au bord ?jusqu’au milieu de xixe siècle, la com-munauté savante pensait généralementque le soleil était un globe solide entouré

à l’occasion de la sortie du livre Dans le champ solaire, sous la direction destéphane Le gars et guy Boistel (hermann, 2015), nous avons demandé àl’un des auteurs de nous parler de cet astre si proche (ou si lointain) et simystérieux.

ENTRETIEN AVEC COLETTE LE LAY*

« L’origine magnétique de toutes lesmanifestations de l’activité solaire (taches,

éruptions, protubérances) a été mise enévidence au xxe siècle. »

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de nuages incandescents. Plusieurs expli-cations des taches furent proposées :les nuages s’écartaient parfois en lais-sant percevoir le globe solide apparais-sant alors plus sombre que l’environne-ment immédiat ; ou alors, des montagnesdu globe solide étaient suffisammentélevées pour percer la couverture nua-geuse. à partir de copernic et jusqu’en1850, l’idée d’un soleil habitable, voirehabité, était assez commune. Par la suite,

la nature gazeuse du soleil s’est impo-sée peu à peu et il a perdu ses habitants.

quelle(s) température(s) y fait-il ? Lefeu, la chaleur et la lumière, est-ce unpeu pareil ? c’est de la physique ou dela chimie ?notre modèle solaire actuel comportedifférentes couches dont les tempéra-tures sont très contrastées. Le noyaudans lequel se déroulent les réactionsthermonucléaires présente une tempé-rature de plusieurs millions de degréstandis que la photosphère – ce que nousvoyons – a une température d’environ6 000 degrés. Les taches sont des zonesde la photosphère dont la températureest inférieure (4000-5000 degrés). c’estla différence de température qui les faitparaître plus sombres. au-delà de la pho-tosphère s’étend la chromosphère danslaquelle la température remonte. Lechauffage de la couronne solaire (quiatteint à nouveau des millions de degrés)est un phénomène pas encore totale-ment compris, même si là aussi l’hypo-thèse magnétique est privilégiéeFeu, chaleur, lumière ont préoccupé

l’homme dès les origines. voltaire etmadame du châtelet concoururent, parexemple, pour un prix de l’académieroyale des sciences sur la nature du feuen 1738. à la même époque, les idées surla lumière de newton se diffusèrent lar-gement. de nombreuses théories furentégalement élaborées pour rendrecompte des phénomènes de la chaleur.mais, tandis que ces théories demeu-raient essentiellement qualitatives, le

xixe siècle y introduisit la quantification,avec la Théorie analytique de la chaleurde joseph Fourier puis la thermodyna-mique. côté lumière, deux conceptionss’affrontèrent : la lumière comme cor-puscule, de newton, et la lumière commeonde à la suite des travaux de Fresnel,avant la synthèse actuelle de la dualitéonde-corpuscule.d’un point de vue historique, pour lapériode qui nous intéresse, les sépara-tions disciplinaires (physique/chimie)n’ont pas beaucoup de sens. d’unedécennie à l’autre, ce que l’on entend par« physique » est très différent. et puis, lesoleil est un objet pluridisciplinaire parexcellence et c’est ce qui nous a intéres-sés dans notre ouvrage Dans le champsolaire : étudier un objet à la croisée deplusieurs domaines souvent séparésdans nos schémas de pensée.

À quoi cela nous sert-il de savoir ?Le soleil est notre étoile. sans lui, pointde vie. son activité a des répercussionsnon négligeables sur notre planète, nousapportant les aurores polaires maisbrouillant aussi parfois les communica-

*Colette Le Lay est docteure enhistoire des sciences et techniquesde l’université de Nantes.

Propos recueillis par Pierre Crépel etLoïc Rossi

tions électromagnétiques. Les tachessont cycliques et, depuis la découvertede la périodicité (environ 11 ans) dans lesannées 1840-1850, les tentatives de cor-rélation avec les phénomènes terres-tres se sont multipliées. aujourd’hui, uncourant du climatoscepticisme appuieson argumentaire sur le cycle solaire.au fil du temps, l’homme a tenté de tirerparti du rayonnement solaire, dans sonarchitecture par exemple. et, avec la pro-blématique du réchauffement clima-tique, l’énergie solaire est devenue unevoie d’avenir, après les tentatives pion-nières d’odeillo, décrites par Pierreteissier dans le dernier chapitre de notreouvrage collectif. on y voit, depuis 1945,les premières aventures, les espoirs mon-diaux de la « décennie solaire » (1948-1958), le temps de la « grandeur de laFrance » (1958-1969), puis l’échec indus-triel relatif. tout cela a conduit les cher-cheurs et ingénieurs de toutes disciplines(astronomie, optique, chimie, thermique,météorologie, électronique, ingénieriedes matériaux, architecture, agronomie)à s’unir, à gérer leurs liens avec les res-ponsables économiques, sociaux et poli-tiques. on y voit aussi les dimensionsmilitaires, coloniales, industrielles(conflictuelles) à l’œuvre notammentpendant la guerre froide et les dé- etnéo-colonisations.

en conclusion...La science du soleil nous offre un magni-fique « tableau historique des progrèsde l’esprit humain » pour reprendre lestermes de condorcet. et le savoir puiséaux meilleures sources nous permet denous positionner en tant que citoyensdans les débats actuels sur l’avenir del’homme. n

« Le noyau dans lequel se déroulent les réactions thermonucléaires présenteune température de plusieurs millions de

degrés tandis que la photosphère – ce que nous voyons – a une température

d’environ 6 000 degrés. »

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PAR GÉRARD STREIFFSO

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république, drapeau, valeursL’agence odoxa interrogeait, moins d’une semaine après lesmassacres de novembre dernier, un échantillon de Français,sur le drapeau tricolore et les valeurs qu’il représentait. Laquasi-totalité des sondés (93 %) s’est dite « attaché au dra-peau tricolore comme symbole de la France ».en ces jours de sidération collective, il y avait là une volontétrès forte de rassemblement. « dans les moments sombres, et on l’avait déjà constaté enjanvier après charlie, les Français se considèrent comme unpeuple. ils veulent se réunir et ont besoin de symboles poury parvenir ».assez loin des réflexes cocardiers ou chauvins, voire natio-nalistes, et des tentatives de récupération, les réponses mon-traient ensuite la force progressiste du symbole.à la question « Pour chacun des qualificatifs suivants, diriez-vous qu’il s’applique plutôt bien au drapeau français ? », lespremières réponses étaient : La république (92 %), la révolu-

tion française (88 %), la liberté (84 %), la résistance (80 %), lafierté (76 %). venaient ensuite : l’armée, le nationalisme, ladroite, le chauvinisme, la gauche, le colonialisme, le Fn.L’unanimisme se nuançait, et les choix partisans réapparais-saient sur une autre question : « Parmi les cinq symboles sui-vants, quel est celui qui représente le mieux la France pourvous ? », les réponses étaient, dans l’ordre : la devise Liberté,égalité, fraternité (41 %), plutôt prisée à gauche ; le drapeaubleu blanc rouge (31  %), plutôt soutenue à droite, et lamarseillaise (21 %).

quant à l’idée, saugrenue, de planter le drapeau dans son jar-din, à la mode américaine, deux tiers des sondés trouvent quec’est une bonne idée. « il reste à savoir s’ils seraient prêts eux-mêmes à en afficher un » nuance le sondeur. L’appel, bien peuentendu, de François hollande à déployer les drapeaux, finnovembre, lui donnerait raison. n

Parmi les symboles suivants, quel est celui qui représente le mieux la france pour vous ?

Le drapeaubleu-blanc-rouge

31 %

La devise Liberté-égalité-fraternité

41 %

La Marseillaise

21 %

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PAR MICHAËL ORAND

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en 2012, la rémunération annuelle nette d’une femme était infé-rieure de 25,7 % à celle d’un homme. cet écart important nereflète pas directement une inégalité de salaire sur des posteséquivalents. Pour déterminer le plus précisément possible celle-ci, il convient de tenir compte de facteurs liés plutôt à la naturedes postes occupés par les femmes ou les hommes (horaires,types de métier etc.). soulignons toutefois que si les écarts desalaire liés à ces facteurs peuvent apparaître plus « objectifs »(par exemple ceux dus à la différence du nombre d’heures tra-vaillées), ils n’en demeurent pas moins le fruit d’inégalités impor-tantes sur la place respective des femmes et des hommes ausein du marché du travail.

Le premier facteur à prendre en compte tient donc au nom-bre d’heures effectuées par an. Les femmes occupent eneffet plus fréquemment que les hommes des postes à tempsfractionné ou à temps partiel. ainsi, alors que 43,5 % des postessont occupés par des femmes, leur temps de travail ne repré-sente que 40,5 % du temps de travail total. Pour tenir comptede cet écart, il convient de regarder non pas la rémunérationannuelle, mais la rémunération horaire. L’écart se réduit légè-rement, puisque le salaire horaire net moyen des femmes estinférieur de 16,3 % à celui des hommes (au lieu de 25,7 % pourla rémunération annuelle).

deuxième facteur important : le type de métier occupé.hommes et femmes n’occupent pas les mêmes postes. Lesfemmes sont ainsi plus nombreuses dans des familles demétiers où la rémunération est plus faible. cette inégalité derépartition induit un écart de salaire de 3,5 % entre les femmeset les hommes.

au sein de chaque métier, il subsiste donc une différence sala-riale de 12,8 % entre femmes et hommes, du point de vue dusalaire horaire. Là encore, des effets de structure peuventjouer, liés par exemple à l’âge ou au secteur d’activité. ceseffets expliquent moins d’un cinquième de l’écart observé,soit 2,3 %. Finalement, en tenant compte de l’ensemble deces effets de structure, un écart salarial de 10,5 % subsisteentre les hommes et les femmes. cet écart est qualifié dansla littérature sociologique et économique de « part non expli-quée » (par des effets de structure), et c’est celui-ci qui peutêtre interprété comme l’effet de la discrimination salarialeentre les femmes et les hommes sur des postes équivalents.celui-ci est donc sensiblement inférieur à ce que pourrait lais-ser penser une approche globale, comparant directement lesalaire annuel des femmes et des hommes, mais il reste tou-tefois important. n

Le salaire horaire des femmesreste inférieur de 16,3 % à celui des hommes

Les différentes composantes des inégalités de salaire femmes-hommes

source : dares

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qu’est-ce qui fait qu’une société peut vivre en harmonie ? qu’est-ce qui per-met de souder les valeurs de la république ? quelle place tient et doit tenirla culture – et d’ailleurs, de quelle culture parle-t-on ? au moment crucial oùnous nous interrogeons tant sur le « vivre ensemble », voici que deux lec-tures – La République, la musique et le citoyen – 1871-1914 de jann Paslerchez gallimard à la Bibliothèque des histoires, 2015 et Nouvelles perspec-tives pour l’Histoire de la musique – 1770-1830, n° 379 des Annales Historiquesde la Révolution française chez armand colin, 2015 – nous incitent à inté-grer à nos réflexions un paramètre culturel trop oublié : la musique.

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PAR MARC DUMONT*

Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projetdes communistes.

quand musique rime avec république

En revisitant l’Histoire, depuis la Révolution jusqu’à 1914,nous voici placés devant une vérité particulièrementoccultée : la musique a été pensée comme composanteintégrée au ciment du modèle républicain. Rien de pluslogique que ce projet idéologique quiimprègne les musiques : dans un toutautre but, avec d’autres pratiques, laroyauté avait, depuis des siècles, ins-trumentalisé la musique, dans uneFrance « fille aînée de l’Église. »

Les Annales de la Révolution propo-sent huit contributions censées don-ner de nouvelles perspectives pourl’Histoire de la musique. Ce qui nousentraîne de la Suède à Berlin, de Romeà la France, dans le tournant du granddemi-siècle marqué par 1789. Malgrél’intérêt de ce numéro, il n’est pas cer-tain qu’il s’agisse ici de nouveautés,car, depuis 1989 et le bicentenaire, nousdisposons de toute une moisson de travaux sur lesmusiques de l’époque révolutionnaire. Il s’agit toutd’abord des ouvrages parus en 1989 sous la direction deJean-Rémy Julien : L’Orphée Phrygien – les musiques dela Révolution et Le tambour et la harpe – œuvres, pra-tiques et manifestations musicales (1788-1800). Mais ausside La vie musicale en France au temps de la Révolutiond’Adélaïde de Place. Signalons également La Révolution enchantant de Robert Brécy. Après tout ce travail de fond,l’article sur Mozart et l’aristocratie parisienne ne nousapprend pas grand-chose. Celui sur les trois batailles

d’Ivry, Jemappes et Fleurus, mises en musique en vued’exalter la ferveur républicaine, s’inscrit dans la suitedes recherches évoquées, remontant jusqu’aux travauxpassionnants de Constant Pierre, parus en… 1904 et lar-gement cités dans cet article signé Joann Elart. Aussi inté-ressantes que soient les autres contributions – particu-lièrement celle consacrée aux Fantômes de l’Opéra sous

le Directoire – elles ne s’adressent aufond qu’à des spécialistes déjà très aufait de ces sujets pointus.

La musique, éLémentfondateur d’un esPritPubLicSi l’on cherche de nouvelles perspec-tives autour de la Grande Révolution,c’est bien vers le livre de Jann Pasler qu’ilfaut se tourner, ce qui peut surprendreà première vue, en raison des limiteschronologiques annoncées (1871-1914) :l’auteur lui consacre pourtant cent pagessur les six cents que compte son livre,dans une parfaite synthèse de l’état denos connaissances sur la période et les

enjeux. Car d’emblée, les révolutionnaires de 1789 pen-sent à la musique comme élément fondateur d’un espritpublic, relais de valeurs nouvelles, possédant une véri-table utilité politique. Gossec, Méhul, Catel, Cherubiniet tant d’autres ont joué leur partition dans cette construc-tion ambitieuse. Qui passe autant par les œuvres et leursreprésentations – en plein air comme à l’opéra – que parl’instruction, s’adressant aussi bien aux enfants des écolesqu’aux adultes. La création du Conservatoire nationalen 1795 en est un symbole encore très actif.Si l’historienne américaine choisit ce long préambule,

« La musique a été pensée

commecomposante

intégrée auciment du

modèlerépublicain. »

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c’est bien parce que ce moment révolutionnaire, fonda-teur, est essentiel à appréhender pour comprendre lesenjeux de la Troisième République naissante. Car il s’agit,dès 1871, de réinscrire l’héritage révolutionnaire dansl’histoire politique vécue. Ce qui ne va pas sans déclen-cher des conflits : pour certains, il s’agit au contraire deraviver la mémoire de l’Ancien Régime, de restaurer lesvaleurs du catholicisme, de développer l’esprit revan-chard, tout ceci à travers la musique – ce qui n’est pastout à fait dans le sens de l’héritage de la Révolution,pourtant fêtée, sous haute surveillance, lors du cente-naire, à l’Exposition universelle de 1889.

La question musicale, pensée par l’État comme un creu-set républicain, un instrument de transformation sociale,irrigue donc toutes ces années qui mènent à la guerre de1914 – les nombreuses réflexions sur sa place dans l’ins-truction publique le montrent. L’investissement finan-cier de l’État aussi. Se déroule alors sous nos yeux unesuccession de moments qui nous disent l’âpreté desdébats musicaux, liés à la façon de conjurer la défaite de1870, à la construction d’un roman national, via CamilleSaint-Saens (Vercingétorix, Les Barbares, Frédégonde…),Charles Gounod (avec sa Jeanne d’Arc, où un chœur mar-tial chante : « Arme nos cœurs et les enflamme pour lahaine de l’étranger… »), ou d’autres(Vincent d’Indy et son opéra Fervaaloù le héros gaulois cévenol pourfendles sarrasins). Rien d’étonnant si les dis-cours des ministres, s’adressant auxélèves du Conservatoire, les qualifientde « pacifique armée d’artistes ». À cetteinsistance sur la fierté patriotique, àcette recherche de racines s’ajoutentl’exaltation musicale de la France rurale(d’Indy encore, et sa Symphonie céve-nole) et la participation active au colo-nialisme triomphant. Le long chapitreconsacré à ce thème est d’ailleurs par-ticulièrement éclairant. Massenet etson Roi de Lahore, Félicien David et sonDésert, Léo Delibes et sa Lakmé, autantde moments exaltant la mission colo-niale de la France, non sans sous-enten-dus multiples. Tout ceci n’excluant pas,au contraire, la mise en avant d’une idéologie du plaisir,par les divertissements populaires (harmonies, orphéonset autres chorales) comme chez les élites (avec notam-ment l’essor du modernisme ou les débats sur unemusique française dégagée de tout germanisme, commele prônait la Société Nationale de Musique dès le début1871). Les pratiques musicales, transcendant les classessociales, sont censées exprimer les différences et aiderà les dépasser. « Sans la musique chorale, le terme deFraternité de la formule républicaine ne sera jamais qu’unmot » écrivait un rapport très républicain en 1881. À larecherche d’un consensus sans fausse note.

Ce livre trace donc un panorama particulièrement com-plet des enjeux musicaux, enchâssés dans les batailles

politiques violentes, grâce à un regard affûté sur notrehistoire, où le contexte n’est pas un prétexte, mais un ter-reau. C’est le reflet d’un passionnant travail de fond menédepuis des décennies, d’une connaissance sans faille desfaits comme des courants esthétiques, s’inscrivant dansla mouvance de Mona Ozouf, Pierre Nora ou FrançoisFuret. Il reste que l’analyse, à ce point argumentée, esttouffue et que l’on peine parfois à bien dégager certainsconflits idéologiques. L’auteur acte que la nation fran-çaise se définit sur les deux critères que sont l’intérêtpublic et une culture partagée. La musique est alors dési-gnée comme facteur d’unité sociale, avec, par exemple,ce concert de 1874 mêlant les chorales d’enfants et d’ou-vriers à une chorale issue de milieux privilégiés – au pro-gramme, Josquin, Bach, Rameau, Gluck, Boieldieu, Bizetet Saint-Saens. Les orphéons eux-mêmes, développésdans les classes populaires, visaient à mêler les genresmusicaux afin de permettre à tous d’atteindre les chefs-d’œuvre reconnus par le bon goût républicain.

musique et commune de Paris ?Mais à aucun moment Pasler ne prend en compte lesconflits de classe qui fracturent la société. Ainsi, rien n’estdit des liens entre musique et Commune de Paris, mal-gré l’évocation de l’ombre portée de celle-ci. Car l’action

musicale de la Commune – bienqu’éphémère – s’inscrivait totalementdans le sillage de 1789. Les vastesconcerts populaires gratuits auxTuileries, au printemps 1871, repre-naient ainsi une tradition, celle des fêtesrévolutionnaires. Puis, quand il est notéque tel compositeur est proche desmilieux catholiques, monarchistes ounationalistes, c’est plus comme élémentannexe, voire anecdotique, que commedéterminant idéologique. Même si l’au-teur note que « dans l’ensemble, lemonde musical n’appuyait guère l’an-ticléricalisme républicain. » C’est peudire : du côté des musiciens, ce ne sontpas les républicains acharnés qui secomptèrent le plus – tant s’en faut,comme l’évocation du moment del’Affaire Dreyfus le pointe : la réaction-

naire, catholique et antisémite Schola Cantorum, avecVincent d’Indy – créée en 1896, son nom originel était :Société de propagande pour la divulgation des chefs-d’œuvre religieux – s’oppose à Alfred Bruneau, qui com-pose sur des textes de Zola et milite pour Dreyfus. Lamusique est bien, comme l’écrit Pasler cette « métaphorede l’ordre et de l’harmonie que les républicains envisa-geaient pour la société française, différente de ceux queprocurait la religion ». C’est tout le mérite du livre de lamettre en lumière, avec ses zones d’ombre. n

*Marc Dumont est agrégé d’histoire, ancien producteur àFrance Musique et France Culture.

« L’auteur acteque la nationfrançaise se

définit sur lesdeux critères que

sont l’intérêtpublic et une

culturepartagée. »

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Figures de Dieu, entre masculin etféminin : La longue marche.

Editions L’Harmattan

ANTOINE CASANOVA

PAR YVETTE LUCAS

Le titre intrigue. Une cita-tion de l’historienmarxiste britannique EricHobsbawm : « Les sta-tuts, les représentationset les normes, qui avaientpris l’apparence d’uneinvariante essence,aujourd’hui s’effondrentou entrent en crise »,nous en offre une pre-mière clé. Avec sa solideformation d’historien

marxiste et sa longue fréquentation des textes et actes del’Église catholique, Antoine Casanova expose, en deuxgrandes séquences, de longueur équivalente, la longuehistoire du patriarcat et les bouleversements de notretemps. La première partie, « La domination d’Adam : del’aube de l’histoire au capitalisme industriel », survole 5000ans de règne d’un patriarcat engendré par l’apparition desclasses hiérarchisées (notamment en Syrie etMésopotamie), dans une lente gestation où patriarches,princes, dieu(x) et père(s) affirment leur domination ausein de rapports sociaux de plus en plus fondés sur ladépendance. Malgré l’apparition de rapports de produc-tion nouveaux, de nouvelles structures sociales, la figurede Dieu-Père-Seigneur perdure, basée sur « les concep-tions idéologiques et les constructions symboliques quifont des êtres humains de sexe masculin les seuls à êtreporteurs et agents, par fonction ontologique, de l’Ordreet de la Loi – divins, cosmiques, naturels, sociaux, fami-liaux ». Un changement apparaît en France au Siècle desLumières, précédant le développement du capitalismeindustriel où les femmes accèdent au salariat. Il faut néan-moins attendre la fin du XXe siècle pour que la libérationdes femmes opère une véritable révolution culturelle ets’impose comme « urgence » pour l’Église. L’intitulé de laseconde partie : « La revanche d’Ève : crise des rapportssociaux et enjeux anthropologiques » éclaire le processusactuellement en cours. La situation nouvelle des femmesdans la société, fruit d’un mûrissement des rapports etdes rôles sociaux, se traduit dans les relations entrehommes et femmes jusqu’au sein des familles elles-mêmestransformées. De même, dans la sphère religieuse, lesreprésentations du Dieu patriarcal comme celles d’unordre « naturel » sont bouleversées par les exigences depleine égalité entre hommes et femmes, allant jusqu’à lademande expresse d’ordination des femmes. Cela ne vapas sans résistances et contre-offensives qui, à l’orée dutroisième millénaire, stimulent de nouvelles rechercheset la quête de repères signifiants en vue, non pas d’inver-ser l’ordre ancien, – matriarcat vs patriarcat – mais d’éta-blir enfin une égalité réelle et reconnue entre les sexes,recherche d’égalité dont l’Eglise elle-même se faitaujourd’hui l’écho.La densité du texte, son érudition, les nombreuses réfé-rences dont il se nourrit, offrent au lecteur une approchesavamment construite d’un des problèmes les plus sti-mulants et les plus épineux actuellement en débat. n

La Terre fleurira : le cinéma de L’Huma

Ciné-Archives et lesMutins de Pangée,2015

PAR ANTOINE GUERREIRO

C’est un bel ouvrage quenous proposent Ciné-Archives et les Mutins dePangée dans la collec-tion Mémoire populaire.Le « cinéma deL’Humanité » étant àl’honneur dans ce livre-DVD, c’est pour com-menter et accompagner

les dix films-archives proposés en annexe que les diverstémoins et spécialistes sollicités y interviennent. Le regardplus objectif des historiens s’ajoute aux anecdotes ettémoignages personnels de Jacques Choukroun, AlainRuscio et Henri Malberg, qui évoquent avec plus ou moinsd’emphase leur vision de la Fête au fil des ans. Pourretranscrire l’ambiance de la Fête et de tout ce qui l’en-toure sont abordés l’histoire du journal mais aussi le mili-tantisme au PCF, le sport et la culture populaire... Denombreuses photographies de la Fête et des films com-mandés par L’Huma agrémentent d’ailleurs le livre.Alexandre Courban ouvre les contributions avec un textesur « L’Humanité, une réalisation quotidienne tangible ».À partir de ces quelques mots attribués à Paul Vaillant-Couturier, l’historien dresse à grands traits les caracté-ristiques qui ont fait la force et la singularité du journal,de sa naissance jusqu’à aujourd’hui : son projet édito-rial amibtieux et son modèle économique basé sur lamobilisation militante.Pour Pauline Gallinari, historienne spécialiste du cinémacommuniste, La Terre fleurira, principal film proposédans le DVD représente une sorte de cas d’école. Réalisépar Henri Aisner en 1954, à la demande de L’Humanitéqui souhaitait célébrer son cinquantième anniversaire,il s’agit du deuxième grand film commandé par les com-munistes, après La Vie est à nousde Jean Renoir en 1936.Pauline Gallinari remarque, en étudiant l’ensemble desœuvres cinématographiques de L’Humanité, les moyensmis en œuvre pour leur réalisation et leur portée poli-tique « qu’une telle utilisation du cinéma reste à partdans le champ de la presse écrite ».Enfin, l’historien Fabien Archambault et le sociologueJulian Mischi mettent plutôt l’accent sur la dimensionpopulaire de la Fête et des autres initiatives organiséespar L’Humanité et le PCF : le premier étudie plus parti-culièrement « la promotion du sport populaire » tandisque le second signe un article consacré au « commu-nisme populaire » tel qu’il se déploie à la Fête et dans lapresse du Parti.Si l’ouvrage aurait sans doute pu faire plus de liens avecle journal et la Fête actuels, qui portent toujours en 2015l’horizon dont le monde a plus que jamais besoin, LaTerre fleurira a le grand mérite de resituer dans une pers-pective séculaire – avec un angle original qui plus est –les combats de cette véritable institution du mouvementsocial français qu’est L’Humanité. n

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« La laïcité est elle encorerévolutionnaire ? »

Carnets rouges, n°4,septembre 2015-12-17

PAR SHIRLEY WIRDEN

Cette parution posait unequestion plus que perti-nente au vue de l’actualitéde l’année : « La laïcité estelle encore révolutionnaire? » En d’autres termes, pou-vons nous encore nousappuyer sur la laïcité pourporter notre projet poli-

tique? Les divers articles nous proposent de réfléchir àcomment dépasser le manichéisme intellectuel dont lapensée générale est victime. Pierre Dharréville pose eneffet les enjeux du débat dans son article : « intégristesfanatiques d’un côté, xénophobes nationalistes de l’au-tre [...] pour sortir de l’affrontement identitaire qui attiseles racismes, bien souvent en instrumentalisant la reli-gion – et la laicité – il faut retrouver l’essence des combatscommuns, se remettre sur la piste d’un grand récit éman-cipateur. »Ce numéro nous permet à tous de prendre du recul faceau flux d’informations déformantes et de réfléchir à cequ’est la laïcité lorsqu’elle n’est pas utilisée à des fins idéo-logiques. Les articles revendiquent le droit des conceptsde réaffirmer leur autonomie face aux détournementspolitiques ne visant qu’à la division des citoyens sur desbases « spirituelles » et non matérielles.

En utilisant la religion comme moyen de division, lesdétracteurs et imposteurs de la laïcité jouent sur unecroyance intime, sur « l’expression de la misère réelle etla protestation contre cette misère » comme l’écrivait Marx.La richesse de la diversité des croyances de notre com-munauté politique exige que nous construisions notreprojet sur un autre fondement, sur le terrain politique.C’est en cela que la laïcité est un « principe actif de laRépublique ». Elle ne met pas en avant ce qui divise lescitoyens mais bien ce qui doit les rassembler. Ce ne sontpas des revendications identitaires qui aideront les futurscitoyens à forger leur avenir mais bien des revendicationscommunes et émancipatrices.

L’école en est ainsi le support principal en tant qu’elle estce premier lieu où les futurs citoyens développent leuresprit critique, leur autonomie c’est à dire la capacité dese donner sa propre loi, loin des influences, idéologies,déterminismes et superstitutions.

Nous pouvons donc conclure en affirmant que si la laïcitéest détournée de son fondement, c’est bien parce qu’elleest dangereuse pour l’ordre en place en tant qu’elle estrévolutionnaire. Chaque article s’emploie donc à le démon-trer. Rappelons que le dossier de décembre de La Revue duprojet était consacré à la laïcité. n

« Les empires africains des originesau XXe siècle »Cahiers d’Histoire – Revue d’histoire critiqueN°128 , Juillet-septembre 2015

PAR SÉVERINE CHARRET

Ce dossier est d’abordune réponse à l’insultantdiscours de Dakar danslequel Nicolas Sarkozyjugeait que « l’hommeafricain n’[était] pas assezentré dans l’histoire » enlui opposant plusieursétudes historiques surdifférents espaces, peuou mal connus, del’Afrique. Mais il est aussiune interrogation sur lanotion d’empire, à la fois

comme territoire géographique et politique, loin parfoisd’une vision héritée de la colonisation européenne. AinsiMichel Christol critique une approche globalisante del’empire romain et montre, dans une première partie, lagrande diversité de la présence romaine en Afrique, dufait notamment du rattachement progressif des provinces.Dans sa contribution, Samuel Sanchez décrit des empires,le sultanat de Zanzibar et le royaume de Madagascar, quine sont pas des territoires délimités, cartographiés maisdavantage un « espace social reposant sur des réseauxlignagers, religieux, commerciaux ». Nora Lafi étudie, elle,« l’impérialité ottomane » à partir d’une relation étroite,souvent contractuelle, épistolaire avant tout, entre l’ad-ministration centrale et les dynasties locales maghrébines.La relation entre État colonial et élites locales est égale-ment au cœur de l’article que Benoît Beucher consacreau Burkina Faso à travers la collaboration entre la noblessemoaga et les autorités françaises. Autre enjeu du dossier : l’étude de l’empreinte de la colo-nisation européenne dans l’écriture de l’histoire desempires africains, notamment pour l’empire romain, ouencore l’usage de cette histoire pour construire un récitnational, comme dans le Mali d’après l’indépendance ana-lysé par Francis Simonis.Enfin, deux articles entrent en résonnance avec l’actua-lité récente. Celui de Paul E. Lovejoy sur les empires dji-hadistes de l’Ouest africain aux XVIIIe et XIXe siècle per-met de replacer les mouvements djihadistes dans unehistoire longue du continent et de mettre en lumière leurdimension non seulement religieuse mais aussi ethniqueet économique en relation avec la traite des esclaves.Quant à l’enquête d’Alain Gabet et Sébastien Jahan publiédans la rubrique « Débats », elle revient sur la complai-sance des dirigeants français à l’égard du régime génoci-daire rwandais et invite à regarder en face la responsabi-lité de la France dans les « désordres » africains. n

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Le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairagescontemporains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

Lutte pour la vie ou lutte des classes ?

PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER

engeLs, darWin et LedarWinisme sociaLEngels écrit à Marx en décem-bre 1859, quelques semaines aprèsla publication de L’Origine desespèces : « Ce Darwin, que je suis entrain de lire, est tout à fait sensation-nel ». Dans le discours qu’il pronon-cera lors de l’enterrement de Marx,

L’espèce humaine a une origineanimale. Faut-il pour autant s’enremettre à la biologie pour pen-ser l’homme dans sa vérité ? Lesconcepts centraux de la théo-rie de l’évolution, par exemple,« la lutte pour la vie », « la sélec-tion naturelle », permettent-ilsd’éclairer le développementdes sociétés humaines ? et sitel est le cas, si l’élimination desplus faibles est une loi natu-relle, peut-on encore critiquerle capitalisme ? ne faudrait-ilpas plutôt se résigner à leconsidérer comme une mani-festation historique d’une ten-dance nécessaire de lanature ? Pour engels, l’origineanimale de l’homme, ne doitpas empêcher de penser laspécificité de l’homme dansla nature. Les concepts de labiologie, celui de « lutte pourla vie » notamment, perti-nents pour l’explication durègne animal, ne s’appliquentpas à l’histoire humaine.

Acceptons pour un moment la formule : lutte pour la vie,

pour le plaisir de la discussion. L’animal parvient tout au

plus jusqu’à la cueillette, l’homme produit ; il crée des

moyens d’existence, au sens large du mot, moyens que

sans lui la nature n’aurait pas produits. Cela rend déjà

impossible tout transfert pur et simple des lois vitales des

sociétés animales aux sociétés humaines. Grâce à la pro-

duction, la prétendue lutte pour la vie ne se limite bien-

tôt plus aux purs moyens d’existence, mais s’étend aux

moyens de jouissance et de développement. Dès lors, –

avec la production sociale des moyens de développement,

– les catégories tirées du règne animal deviennent tout à

fait inapplicables. Enfin, sous le règne du mode de pro-

duction capitaliste, la production atteint un niveau tel

que la société ne peut plus consommer les moyens d’exis-

tence, de jouissance et de développement produits, parce

que l’accès à ces moyens est interdit artificiellement et

par la violence à la grande masse des producteurs ; en

conséquence, tous les dix ans une crise rétablit l’équili-

bre en anéantissant non seulement les moyens d’exis-

tence, de jouissance et de développement produits, mais

aussi une grande partie des forces de production elles-

mêmes, – et la prétendue lutte pour la vie prend alors une

forme telle qu’apparaît la nécessité de protéger les pro-

duits et les forces productives créés par la société bour-

geoise capitaliste contre l’effet destructeur et dévastateur

de ce régime capitaliste lui-même, en retirant à la classe

capitaliste dominante la direction de la production et de

la répartition sociale dont elle est devenue incapable pour

la remettre à la masse des producteurs, – et c’est la révo-

lution socialiste.

À elle seule, la conception de l’histoire comme une suite

de luttes de classes est plus riche et plus profonde que sa

simple réduction à des phases à peine différenciées de la

lutte pour la vie.

Friedrich Engels, Dialectique de la nature,

Éditions sociales, Paris, 1968, p. 317

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La revuedu Projet

janvier 2016

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Engels comparera les deux grandspenseurs : « De même que Darwin adécouvert la loi de l’évolution de lanature organique, Marx a découvertla loi d’évolution de l’histoirehumaine ».Que retient Engels des travaux deDarwin ? D’abord l’idée « d’histoirenaturelle ». Les espèces vivantes setransforment, évoluent. La nature,loin d’être un ordre fixe et immuable,est soumise à la loi du mouvement,elle est historique. Ensuite, la critiqueradicale de la « téléologie », c’est-à-dire de l’idée selon laquelle le déve-loppement de la nature obéirait auxintentions d’un être divin. Ainsi lafameuse explication de la forme dumelon proposée par Bernardin deSaint Pierre : « Le melon a été diviséen tranches par la nature, afin d’êtremangé en famille ». Et qui a tracé lesparts sur le melon ? Dieu, bien sûr.Contre ce type d’interprétation,Darwin propose une lecture matéria-liste de la nature : le moteur de l’évo-lution est « la sélection naturelle », « lalutte pour la vie », qui voit les indivi-dus les moins aptes, dans tel ou telcontexte, disparaître, laissant la placeaux plus avantagés. Des individus sontéliminés, d’autres survivent, donnantnaissance à de nouvelles espèces, lasélection étant le fait du milieu, nond’un être transcendant.Engels va cependant reprocher àDarwin le « transfert pur et simple deslois vitales des sociétés animales auxsociétés humaines » ignorant, ce fai-sant, la différence entre l’homme etl’animal. Il va s’employer à montrerque le concept de « lutte pour la vie »,pertinent pour comprendre l’exis-tence animale, n’est pas opératoirelorsqu’il s’agit de l’homme. Engelss’attaque davantage aux partisans deDarwin qu’à Darwin lui-même, à ceuxqui appliquent mécaniquement àl’homme les résultats de L’Origine desespèces. Il faudra attendre la publica-tion de La Filiation de l’homme en1871 pour que Darwin aborde la ques-tion de l’espèce humaine. Et le livresera tout à fait clair : une grande dis-tance sépare l’homme de l’animal, lasélection naturelle ayant favorisé dansl’espèce humaine l’apparition decomportements moraux et le déve-loppement d’institutions et de tech-niques s’opposant à l’élimination desplus faibles : la médecine, l’hygiène,

qu’Engels va s’appuyer pour mettreen évidence les limites du concept delutte pour la vie quand il s’agit d’ex-pliquer le monde humain. Il va ainsidévelopper deux arguments prenantappui sur la réalité du mode de pro-duction capitaliste afin de montrerqu’il est nécessaire de recourir à unautre modèle explicatif. Le premierconsiste à rappeler que le développe-ment de la production étend consi-dérablement les enjeux de lutte. Cen’est plus simplement de survie qu’ilest question : le développement desforces productives crée également denouveaux besoins qui n’existaient paspar le passé et dont la satisfaction estelle aussi l’objet de conflits.Le second argument se fonde sur laconfiguration particulière que repré-sente le mode de production capita-liste et sur sa nature profondémentcontradictoire. Dans le texte d’Engels,on retrouve l’idée qu’il existe unconflit entre l’immense développe-ment des forces de production quemet en œuvre le capitalisme et lemode d’appropriation inégalitairequ’il présuppose. Le mode de produc-tion capitaliste interdit structurelle-ment au plus grand nombre toutepossibilité de jouissance de ces nou-velles forces productives. La lutteentre l’oligarchie des possédants et lamasse des exclus prend donc la formed’une lutte entre un principe destruc-teur, le capital, et une richesse qu’ils’agit de protéger, la force productivedu travail. C’est pour cette raison que,d’après Engels, le concept de lutte desclasses est beaucoup plus pertinentque celui de lutte pour la vie quand ils’agit de rendre compte de l’histoirehumaine. n

la prise en charge des handicapés, despersonnes âgées, etc.Le « darwinisme social », contreDarwin, nie la différence entrel’homme et l’animal. Il applique direc-tement l’idée de « lutte pour la vie »aux sociétés humaines. Il justifie parlà la concurrence échevelée dumonde capitaliste et la brutalité colo-niale, il magnifie la puissance de labourgeoisie tout en accablant les pau-vres, il condamne toute politique deredistribution, parce qu’elle main-tiendrait en vie les plus faibles, fragi-lisant tout le corps social. Le « darwi-nisme social » apporte donc unecaution à la violence des sociétés capi-talistes. Celle-ci n’est plus un scan-dale ou une injustice, mais l’expres-sion d’une nécessité naturelle contrelaquelle on ne saurait lutter.

contre La naturaLisationde L’histoireEngels va au contraire s’intéresser àce qui distingue l’humanité de l’ani-malité. Marx et lui avaient déjà misl’accent dans L’Idéologie allemandesur cet élément fondamental : « Onpeut distinguer les hommes des ani-maux par la conscience, par la reli-gion ou par tout ce qu’on veut d’au-tre ; eux-mêmes ne commencent à sedistinguer des animaux qu’à partir dumoment où ils commencent à pro-duire leurs moyens de vivre ». C’estdonc le fait de la production qui intro-duit une rupture entre l’animal etl’être humain. On sort donc d’un uni-vers entièrement gouverné par deslois naturelles : qui dit production dittoujours mode de production histo-riquement déterminé et donc sujetau changement.C’est notamment sur cette idée

engeLs et Les sciencesde La naturetout comme marx, engels s’est fortement intéressé aux différentesavancées de son temps dans le domaine des sciences de la nature. aucours des années 1870, il mène différents travaux qui concernent aussibien la physique que la chimie ou la biologie. La mort de marx en 1883le conduira à interrompre ses travaux, lesquels visaient notamment àmettre à profit la méthode dialectique dans le domaine des sciencesde la nature. il laissera inachevés les manuscrits que l’on connaîtaujourd’hui sous le titre de Dialectique de la nature.

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