Communautés de pratique et performance dans les … · L’apport des CP à la Performance dans...

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HAL Id: tel-00695984 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00695984 Submitted on 10 May 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Communautés de pratique et performance dans les relations de service, cas des ”Front-Office”. Quels enseignements pour la GRH ? Lamine Mebarki To cite this version: Lamine Mebarki. Communautés de pratique et performance dans les relations de service, cas des ”Front-Office”. Quels enseignements pour la GRH?. Gestion et management. Université de la Méditer- ranée - Aix-Marseille II, 2011. Français. <tel-00695984>

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Submitted on 10 May 2012

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Communautés de pratique et performance dans lesrelations de service, cas des ”Front-Office”. Quels

enseignements pour la GRH ?Lamine Mebarki

To cite this version:Lamine Mebarki. Communautés de pratique et performance dans les relations de service, cas des”Front-Office”. Quels enseignements pour la GRH ?. Gestion et management. Université de la Méditer-ranée - Aix-Marseille II, 2011. Français. <tel-00695984>

UNIVERSITE DE LA MEDITERRANEE, AIX-MARSEILLE II UFR DES SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION

Ecole Doctorale de Sciences Economiques et de Gestion d’Aix-Marseille

LEST

Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail - UMR 6123

THESE

THESE

Pour obtenir

LE GRADE DE DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION

de l’université de Méditerranée, Aix-Marseille II

Présentée et soutenue publiquement le 30 novembre 2011

par

Lamine MEBARKI

JURY

Directeur de thèse M. Ewan OIRY, Maître de conférences, HDR, Aix-Marseille II, LEST

Co-directeur Mme Ariel MENDEZ, Professeur, Université Aix-Marseille II, Directrice du LEST.

Rapporteurs :

M. Benoît JOURNÉ, Professeur, Université de Nantes, IEMN-IAE

M. Patrick GILBERT, Professeur, IAE de Paris, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Suffragants :

M. Amaury GRIMAND, Professeur, IAE Université de Poitiers, CEREGE

M. Francis GUÉRIN, Maitre de Conférences, INSA Rouen, GRIS

COMMUNAUTÉS DE PRATIQUE ET PERFORMANCE

DANS LES RELATIONS DE SERVICE,

CAS DES « FRONT-OFFICE ».

QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LA GRH ?

1

L’université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions doivent

être considérées comme propres à leurs auteurs

2

Remerciements

J’adresse tout d’abord mes remerciements les plus sincères au professeur Ewan OIRY qui a

dirigé cette thèse. Le travail accompli lui doit beaucoup, pour son implication, ses précieux

conseils et son regard toujours attentif et bienveillant sur mon travail. Il a su me stimuler et

me pousser à dépasser des enchaînements réducteurs. Merci Ewan.

Mes sincères remerciements s’adressent aussi à mon co-directeur de thèse le professeur Ariel

MENDEZ, pour son attention particulière à l’égard de mes travaux, tant sur le plan théorique

qu’empirique, ses orientations et conseils qui m’ont été d’une grande aide pour

l’aboutissement de ce travail.

Je remercie particulièrement les professeurs Benoît JOURNÉ et Patrick GILBERT d’avoir

accepté d’être rapporteurs de ce travail ainsi que le professeur Amaury GRIMAND et le

maître de conférences Francis GUÉRIN, d’avoir accepté de compléter ce jury.

Je remercie très chaleureusement les dirigeants et les salariés des trois organisations qui m’ont

accueilli en tant qu’observateur, et plus largement celles et ceux qui ont accepté de

m’accorder du temps pour m’expliquer leur travail et les problématiques auxquelles ils

avaient à faire face.

Merci au Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail (LEST) de m’avoir accueilli

durant ces quatre années et de m’avoir ainsi fait bénéficier d’un environnent intellectuel,

matériel et humain facilitant grandement ces années de réflexion. Merci à tous les membres

du LEST, enseignants, chercheurs, techniciens et administratifs de m’avoir aidé et répondu

présents à toutes mes sollicitations. Je remercie particulièrement Robert Tchobanian, pour ses

conseils et encouragements. Merci aussi à tous mes collègues de fortune, les doctorants et

doctorantes du LEST qui m’ont soutenu en me témoignant leur affection et leur implication

dans mon travail.

3

Merci à tous mes amis pour leur soutien sans faille et pour m’avoir supporté dans mes

moments d’excès. Je remercie spécialement mes cousins de Marseille, qui se sont montrés

particulièrement attentifs à mon projet et m’ont encouragé tout au long de ce travail.

Que dire à ma chère et tendre fiancée Fahima, qui prend soin de moi et me donne la force de

me dépasser et d’aller au bout sans jamais renoncer. Elle a su supporter mes humeurs

extrêmement sensibles de ces derniers mois, ce travail est un peu le sien aussi. Merci Mima.

Enfin, je pense bien évidemment à ma famille, sans qui je ne serai jamais allé au bout de cet

exercice. Mes pensées vont avec tendresse à mon père, que je remercie pour son esprit de

combat qui me pousse vers le haut ; à ma mère toujours douce et compréhensible, qui a su

supporter mes moments d’impatience. Un IMMENSE MERCI à mes frères et sœurs qui

m’ont encouragé et soutenu, toujours et sans failles. Ma famille, que dieu vous protège, je

vous aime et cette thèse vous est dédiée.

4

Plan

Remerciements ................................................................................................................... 2 Plan..................................................................................................................................... 4 Introduction générale.......................................................................................................... 7

Chapitre 1. La Communauté de pratique: Un phénomène émergent en réponse aux caractéristiques des contextes organisationnels ....................................................................... 20

Introduction ...................................................................................................................... 20 Section 1. La théorie des Communautés de Pratique (CP) : un nouveau cadre pour (re) penser l’apprentissage .......................................................................................................... 21

1. La théorie des CP à l’intersection des courants des sciences humaines et sociales .... 21 2. Les théories de l’apprentissage et la perspective de l’« apprentissage situé »............. 31

Section 2. CP; définition du concept et restitution dans son environnement organisationnel.............................................................................................................................................. 61

1. Le Concept de Communauté de Pratique : Définitions et caractéristiques. ................. 61 2. Les Communautés de Pratique comme espaces d’apprentissage pour les salariés dans l’organisation.................................................................................................................... 80 3. La CP et son environnement organisationnel : pratiques, acteurs et régulation. ......... 91 Conclusion du chapitre 1................................................................................................ 106

Chapitre 2. Les relations de service : ..................................................................................... 108 contexte, organisation et performance ................................................................................... 108

Introduction .................................................................................................................... 108 Section 1. Le Contexte des relations de service : « coproduction » et modèle organisationnel ................................................................................................................... 110

1. Qu’est-ce que les relations de service ? ..................................................................... 110 2. Le modèle d’organisation des entreprises de service ................................................. 115

Section 2. Focus sur l’univers du « front-office ».............................................................. 120 1. Présentation générale de l’univers du « front office » ............................................... 121 2. Le « travail réel » des agents du front office imposé par les caractéristiques du contexte des relations de service : Une activité multitâches, des cas multiples et imprévisibles................................................................................................................... 125 3. Les compétences et le nouveau modèle productif dans les relations de service. ....... 133

Section 3. La « performance » des salariés dans les relations de service et ses mesures... 156 1. La performance : un concept Kaléidoscopique ......................................................... 157 2. La performance dans les relations de service et ses critères de mesure.................... 160 Conclusion du chapitre 2................................................................................................ 177

Chapitre 3. Apport des CP à la Performance dans les services. Quels enseignements pour la GRH ?..................................................................................................................................... 179

Introduction .................................................................................................................... 179 Section 1. Les perspectives expliquant le lien entre la CP et la performance................... 180

1. Communautés de Pratique et impact sur la performance via l’apprentissage, le partage des connaissance ............................................................................................................ 181 2. Quelques études de cas ayant tenté de montrer le lien entre CP et Performance....... 186 3. La CP améliore la performance par le développement du Capital Social : La perspective de Lesser et Stork (2001). ........................................................................... 193

Section 2. L’apport des CP à la Performance dans les relations de service. ...................... 203 1. Les CP émergent pour permettre à leurs membres de faire face aux difficultés du contexte des relations de service .................................................................................... 204

5

2. Quelques études de cas montrant la contribution des CP à la performance de leurs membres dans les front-office ........................................................................................ 212 3. Analyse et discussion des apports qui ressortent de ces études. ................................ 219

Section 3. Quels enseignements pour la Gestion des Ressources Humaines dans les organisations ?.................................................................................................................... 224

1. Les communautés de pratique au service de la GRH ? .............................................. 224 2. La CP : Une structure socialisatrice, source d'information et d’apprentissage pour les novices dans les organisations........................................................................................ 226 3. La CP : Un moyen pour remédier à la défaillance de la formation institutionnelle ? 230 4. Enrichir l’appréciation des salariés en considérant leur participation dans les CP ? . 237 Conclusion du chapitre 3................................................................................................ 243

Chapitre 4. Méthodologie de la recherche ............................................................................. 245 Introduction .................................................................................................................... 245

Section 1. Le positionnement épistémologique et le choix de l’étude de cas, multiples et imbriqués (encastrés).......................................................................................................... 246

1. Le Positionnement épistémologique : une approche interprétativiste reposant sur un mode de raisonnement abductif...................................................................................... 247 2. Le choix de l’étude de cas, multiples et imbriqués (encastrés), pour mener notre recherche exploratoire .................................................................................................... 254 3. Recherche sur le contenu des CP plutôt que sur leurs processus ............................... 260

Section 2. Présentation des entreprises étudiées et des outils méthodologiques mobilisés............................................................................................................................................ 266

1. Présentation des entreprises étudiées ......................................................................... 266 2. Outils de recueil de données, collecte, transcription et analyse. ................................ 278 Conclusion du chapitre 4................................................................................................ 301

Chapitre 5. Résultats empiriques :.......................................................................................... 302 Emergence des CP dans les relations de service et leur impact sur la performance de leurs membres. Quelques enseignements pour la GRH.................................................................. 302

Introduction .................................................................................................................... 302 Section 1. Contexte des relations de service : situations, compétences, prescription et performance........................................................................................................................ 304

1. Le travail des agents d’accueil et son organisation .................................................... 304 2. Les relations de service vus sous l’angle de leurs degrés de complexité................... 311 3. Quand la typologie des situations dicte le type de la logique productive à suivre..... 321 4. La performance dans les relations de service : Indicateurs de mesure, et contradiction........................................................................................................................................ 330 5. La compétence individuelle et la prescription ne suffisent pas à elles seules pour atteindre les objectifs de performance............................................................................ 339

Section 2. Emergence des CP dans les relations de service et impact sur la performance 342 1. Emergence et identification des CP dans les organisations étudiées ......................... 342 2. Impact des CP sur la performance de ses membres : Une analyse comparative des niveaux de performance des agents................................................................................ 378

Section 3. Quand les CP enrichissent les pratiques de Gestion des Ressources Humaines dans les front-offices .......................................................................................................... 400

1.Les pratiques d’intégration des nouvelles recrues et le rôle informel des CP............. 401 2. La CP permet de remédier aux carences de la formation institutionnelle.................. 406 3. La pratique d’appréciation des salariés dans les front-office. Qu’en est-il des apports de la CP dans l’évaluation de leurs membres ?.............................................................. 410 4. Malgré ses apports, la CP peine être reconnue dans le champ de la GRH dans les organisations étudiés ...................................................................................................... 415

6

Conclusion du chapitre 5................................................................................................ 416 Conclusion générale : discussion des résultats, apports de la thèse, limites et ouvertures pour le prolongement de la recherche ............................................................................ 419 Bibliographie.................................................................................................................. 438 Table des matières.......................................................................................................... 460 Index des tableaux & figures.......................................................................................... 467

7

Communauté de pratique et performance dans les relations de

service. cas des « front-office ». Quels enseignements

pour la GRH ?

Introduction générale

Les travaux fondateurs de l’Ecole des Relations Humaines, développés avec les

expériences d’Elton Mayo et son équipe (Hawthorne 1927 et 1932), ont permis de

conceptualiser pour la première fois en 1939 la notion de groupe informel dans les

organisations. Depuis, ce phénomène n’a pas cessé d’attirer la curiosité des chercheurs dans

les sciences sociales et les praticiens dans les entreprises. Pourtant, les études réalisées sur les

réflexions tayloriennes ont montré qu’historiquement, les précurseurs (Taylor puis Fayol)

considéraient ces groupes informels comme des groupes clandestins représentant un

dysfonctionnement dans l’organisation et visaient à les éliminer considérant qu’ils

constituaient un danger pour l’entreprise.

Les premiers résultats issus des travaux de l’école des relations humaines et les travaux

prolongeant leur réflexion ont contredit les idées tayloriennes à ce sujet. Ils ont montré que

ces groupes ont des apports bénéfiques pour l’organisation et sont souvent sensibles aux

objectifs poursuivis par cette dernière (Reynaud, 1988). De ce fait, plusieurs théoriciens se

sont intéressés à la dynamique de ces groupes et à leurs apports potentiels pour les

organisations dans lesquelles ils évoluent.

Par ailleurs, les organisations ont connu ces dernières années un contexte fortement

marqué par des changements accélérés (Koenig, 2006). Ceci a incité les chercheurs et les

praticiens à s’intéresser davantage aux problématiques de l’apprentissage organisationnel et

du transfert des connaissances dans les organisations (Wenger et Snyder, 2000 ; Vaast, 2002 ;

Cohendet et al., 2003). Ce regain d’intérêt s’est soldé par la multiplication des travaux dans

ces domaines (Scribner, 1984 ; Suchman, 1987 ; Brown et Duguid, 1989 ; Lave, 1988 et

1989 ; Lave et Wenger, 1991 ; Nonaka, 1994, etc.).

C’est dans cette tradition, encouragée par les préceptes issus des travaux de l’école des

relations humaines sur le phénomène de groupe, qu’est née la théorie des Communautés de

Pratique (CP) (Lave et Wenger, 1991) qui sera développée davantage par Wenger (1998). Ces

8

auteurs présentent leur théorie comme une théorie sociale de l’apprentissage. Ils présentent

cet apprentissage comme situé et se déroulant dans une communauté dont l’essence et

l’identité sont ancrées dans la pratique.

Parmi les définitions proposées par Wenger (1998) pour les CP, la plus reprise dans la

littérature est : « les Communautés de pratique (CP) sont des groupes informels d’individus

qui ont une histoire commune, interagissent fréquemment, partagent des connaissances, et

rencontrent des problèmes proches au sein d’une même organisation ». D’après les initiateurs,

le cœur battant de la CP réside dans les interactions informelles qui se déroulent entre ses

membres. Ceci permet un apprentissage informel particulièrement efficace pour les salariés,

dans le sens où il aboutit à l’élaboration d’un savoir, partiellement tacite, et des pratiques

indispensables pour mener à bien leur travail quotidien (Brown et Duguid, 1991).

Ainsi, et depuis leur identification comme structures favorisant l’apprentissage et le

transfert de connaissances entre les membres de l’organisation, les CP ont attiré l’attention de

plusieurs praticiens en management, mais aussi de chercheurs. Certains de ces derniers ont

mis en avant les rôles opérationnels des CP dans les organisations (Lave et Wenger 1991 ;

Brown et Duguid, 1991 ; Wenger 1998 ; Smith et Farquhar 2000 ; Lesser et Stork 2001 ; Mc

Dermott 2002 ; Guérin 2005 ; Schenkel et Teigland, 2008 ; Hemmasi et Csanda, 2009), tandis

que d’autres se sont efforcés d’identifier leurs caractéristiques épistémiques et structurelles

(Wenger 1998 ; Chanal 2000 ; Cohendet et al., 2003 ; Blunt, 2003 ; Josserand et St Leger,

2004 ; Guérin 2005 ; Thompson 2005.).

Cependant, il existe peu d’études systématiques sur la contribution des CP à la

performance de leurs membres. Ce lien reste encore à caractériser. Ceci a amorcé donc notre

volonté pour nous pencher sur ce sujet.

En fait, le rôle opérationnel des CP tel qu’il est présenté par les auteurs ci-dessus,

consiste généralement dans l’idée que leurs membres élaborent et partagent des connaissances

et pratiques. Dès lors, il est cohérent de penser que la CP contribuerait à améliorer la

compétence des participants dans ce groupe. Néanmoins, la notion de compétence reste très

abstraite dans le sens où sa visibilité n’est permise qu’à travers l’observation de la

performance (Igalens et Scouarnec, 2001 ; Ghirardello, 2005). Ainsi, nous avons laissé la

notion de compétence de côté pour nous focaliser davantage sur la performance.

La CP est toujours présentée comme émergente et ancrée dans l’organisation dans

laquelle elle évolue. Son émergence est principalement expliquée par l’écart qui existe dans

les organisations entre le travail prescrit et le travail réel auquel les salariés font face (Lave et

9

Wenger, 1991 ; Brown et Duguid 1991 ; Wenger, 1998 ; Schenkel et Teigland, 2008). Notre

petite expérience en tant que salarié dans le front-office d’une organisation de service nous a

permis de constater ledit écart et nous avons commencé alors à nourrir notre réflexion à

propos de ce contexte. Les théoriciens s’intéressant aux entreprises de service ont présenté le

contexte de ces dernières comme marqué par des situations multiples et variées, imprévisibles

et délicates à gérer. C’est ce qui provoque un écart entre ce qui est prescrit par les règles

organisationnelles et le travail réel tel que réalisé par les agents. En d’autres termes, les modes

opératoires prescrits ne couvrent pas toutes les situations possibles et se montrent parfois

incapables de résoudre certains problèmes.

L’instabilité des situations qui provoque cet écart dans le contexte des relations de

service, est due et imputée essentiellement à la participation du client au processus

d’élaboration de service : la « coproduction » du service (Eiglier et Langeard, 1987 ;

Hatchuel, 1996 ; Gadrey 1996 et 2002 ; Hanique et Jobet, 2001 ; Pichault et Zune, 2000 ;

David, 2001 ; Bouzit, 2001 ; Hubault et Bourgeois, 2001 ; Zarifian, 2002 ; Jeantet, 2003, etc.).

Ce contexte des relations de service nous a semblé particulièrement pertinent pour

mener notre analyse relative aux CP. Toutefois, la multiplication des divisions dans les

entreprises de service (front-office et back-office) rendait difficile d’aborder les relations de

service dans leur globalité. Ceci nous a conduit à délimiter notre terrain et à centrer notre

étude davantage sur une des sphères la composant. Nous avons alors choisi de nous intéresser

à l’univers des front-office.

Enfin, et étant donné que notre thèse s’inscrit dans les sciences de gestion, et plus

précisément dans le volet relatif à la Gestion des Ressources Humaines (GRH), nous avons

alors pensé à tirer quelques enseignements pour les pratiques de GRH dans les organisations.

En fait, il s’agit d’une tentative de rapprochement du concept de CP et la GRH qui donne une

certaine originalité à notre travail. Ceci nous permet de sortir un peu du courant commun et

dominant dans le champ d’étude des CP, où les contributions sont souvent inscrites

essentiellement dans l’approche du management des connaissances dans les organisations.

Pour réaliser ce rapprochement, nous avons emprunté quelques notions issues de la théorie

des CP pour tenter de les intégrer dans certaines problématiques du champ de la GRH. Notre

but est d’essayer de proposer quelques perspectives (innovantes) pour enrichir la

connaissance dans ce champ, et pour améliorer les pratiques dans cette fonction qui gère

l’emploi et plus rarement les pratiques professionnelles quotidiennes des employés.

10

Les différents éléments présentés ci-dessus nous ont encouragé à mener notre étude à

propos du lien entre les CP et la performance de leur membres, dans le contexte des relations

de service et plus précisément dans les front-office de ces entreprises, avec l’espoir d’en tirer

quelques enseignements pour la GRH dans les organisations.

• Objet et objectifs de la recherche

L’objet de notre recherche s’articule autour du lien qu’entretient la CP avec la

performance de ses membres. Notre objectif visé ici est triple :

- Décrire et analyser l’émergence des CP dans le contexte organisationnel des relations

de service ;

- Comprendre et expliciter si ces CP dans les entreprises de service contribuent à la

performance de leurs membres ;

- Enfin, tenter de tirer certains enseignements pour la GRH, tant sur le plan conceptuel

qu’opérationnel.

Trois perspectives théoriques sont mobilisées dans notre travail afin de mener la

réflexion autour de ces questions. La première théorie est bien évidemment celle des

Communautés de Pratique (CP). La seconde perspective théorique est relative à l’approche

interactionniste des relations de service, ainsi que les approches qui décrivent le modèle

organisationnel et celui de la performance dans ces entreprises. Enfin, dans le registre de la

GRH, notre cadre conceptuel est relativement restreint par rapport deux champs précédents

(nous en expliquerons les raisons plus loin) et s’articule autour des pratiques de socialisation

des novices, de la formation et de l’appréciation des salariés.

• La théorie des Communautés de pratique (CP)

Dans cette théorie nous trouvons les deux volets dominants et les plus essentiels pour notre

travail. D’une part, le cadre conceptuel dans lequel s’ancre cette théorie nous permet de

comprendre les différents mécanismes se produisant dans ces groupes et les retombées sur

leurs environnements organisationnels (Lave et Wenger 1991 ; Wenger, 1998). D’autre part,

le concept de CP à travers ses caractéristiques épistémiques et structurelles présentées par

Wenger (1998).

11

� Le cadre théorique de la CP explique les activités qui s’y déroulent

Comme nous l’avons déjà évoqué, la théorie des CP se veut avant tout une théorie sociale de

l’apprentissage (Wenger, 1998). Cette théorie est présentée par l’auteur comme située au

carrefour de quatre grands blocs théoriques : les théories de l’identité, les théories de la

pratique, les théories de l’expérience située et les théories de la structure sociale. Cependant,

plusieurs auteurs s’accordent pour dire que la théorie des CP est davantage ancrée dans les

théories de l’expérience située qui comprennent, entre autres, la perspective de l’apprentissage

situé. Nous sommes donc allé chercher les origines de cette théorie pour comprendre les bases

de réflexion de Wenger. Ces dernières se montrent plus claires dans l’ouvrage qu’il a rédigé

avec Lave en 1991, intitulé : « Situated Learning : Legitimate Peripheral Participation »

(Apprentissage situé : Participation Périphérique Légitime). En plus de cette référence,

certains fondements de cette théorie sont aussi développés dans les travaux de Brown et

Duguid (1991).

La perspective de l’apprentissage situé est attribuée à Lave (1988), Lave et Wenger

(1991) et Brown et Duguid (1991). Selon cette perspective, un apprentissage est efficace

lorsqu’il est situé dans un environnement où se déroule l’activité authentique, dans lequel

évolue la CP. C’est auprès des membres de cette dernière que l’apprenti acquiert les

connaissances indispensables pour mener à bien son activité. Les fondateurs de cette

perspective critiquent ainsi, en partie, l’apprentissage acontexuel dispensé dans les écoles,

considérant que ce denier n’est pas optimal pour la transmission des savoirs.

Par ailleurs, dans leurs travaux respectifs, ces pionniers de l’apprentissage situé expriment

une dette profonde envers les travaux de Suchman (1997) qui ont développé le concept

d’« action située ». En outre, la confrontation de cette perspective de l’apprentissage situé aux

paradigmes dominants dans le domaine de l’apprentissage fait ressortir que les bases de

réflexion de Situated Learning sont également présentes dans le courant

« socioconstructiviste » de Vygotsky (1978).

Au vue de ces différents affiliations et rattachements, nous avons consacré une partie de

notre premier chapitre à la présentation et l’analyse de ces différents courants et perspectives,

pour tenter de relever les similitudes et les différences qui les structurent.

� Le concept de CP (Wenger, 1998)

Pour présenter ce concept, il nous semble judicieux de rappeler que, d’une manière

générale, de très nombreuses études s’intéressent aux collectifs au travail et à leurs apports à

l’organisation. Toutefois, elles portent pour la plupart sur des groupes ayant des entités

12

formelles. Ces groupes en question sont mis en place dans l’organisation par la hiérarchie qui

définit la composition de ses membres, leur dynamique, les objectifs à atteindre et les modes

opératoires à mobiliser. A l’inverse, la CP est une forme de groupe qui émerge et ne dispose

d’aucun schéma contractuel qui définit son fonctionnement. On parle d’émergence parce que

ses bases n’ont pas été définies a priori par la hiérarchie ou ceux qui souhaitent les créer.

L’absence de ce statut juridique et le flou qui caractérise ses contours et l’appartenance de ses

membres, font qu’elle est souvent confondue dans la littérature avec d’autres formes de

groupes, telles que, le service, l’équipe projet et surtout la communauté épistémique. Cette

critique est une des plus courantes adressée à la théorie des CP. Wenger y a répondu en 1998

en proposant des indicateurs permettant d’identifier ces groupes, mais surtout, il s’est prêté à

l’exercice de leur distinction des autres groupes en procédant en creux, en présentant plusieurs

arguments pour préciser ce que n’est pas une communauté de pratique.

Avant de présenter cette distinction, nous resituons d’abord les indicateurs formulés

par Wenger (1998), qui renseignent sur l’émergence et la formation de ces groupes dans les

organisations (notons que de nombreux auteurs se contentent d’une partie de ces indicateurs

pour identifier une CP):

- Des relations soutenues, harmonieuses ou conflictuelles ;

- Des manières communes de s’engager à faire les choses ensemble ;

- La circulation rapide de l’information et de la diffusion de l’innovation ;

- L’absence de préambules ;

- L’habilité à évaluer la pertinence de l’action et des résultats ;

- Des méthodes, un jargon, des représentations et des styles communs, des discours

partagés ;

- Des coutumes locales, des histoires partagées, des blagues d’initiés, etc.

Se baser uniquement sur ces éléments n’est toutefois pas suffisant pour comprendre une CP et

la distinguer des autres groupes. Ces derniers partagent pour la plupart plusieurs de ces

caractéristiques formulées ci-dessus. Il est alors important de préciser en quoi la CP est

différentes des autres groupes. En ce sens, en se basant certains auteurs y compris Wenger

(1998), nous pouvons préciser que la CP :

- n’est pas un groupe fonctionnel ou un groupe projet, car ces derniers appartiennent à la

catégorie des « communautés hiérarchiques » dont la caractéristique principale réside dans le

fait qu’elles nécessitent une organisation formelle, contrôlée par les instances hiérarchiques.

(Weger, 1998 ; Chanal, 2000).

13

- N’est pas une « communauté d’intérêts » car, cette dernière n’est pas liée au travail, et peut

réunir les individus autour des loisirs et d’autres intérêts, or la CP émerge avec le « travail

réel » des personnes dans leur fonction (Blunt, 2003).

- Et ne doit pas être confondue avec une « communauté épistémique » (groupe de travail) qui,

a priori, est structurée et orientée délibérément vers la production des connaissances, en vue

de dégager une procédure de résolution des problèmes. Mais surtout, la communauté

épistémique est définie par l’existence d’une autorité procédurale, jugée essentielle pour fixer

les objectifs ainsi que les règles et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. De ce fait,

la finalité de cette communauté se trouve placée au dessus des membres de la communauté

(Cohendet et al., 2003). En cela, elle est très nettement différente de la CP.

Comme nous pouvons l’apercevoir, bien que de véritables différences apparaissent dans

ce premier temps d’analyse, les frontières fonctionnelles et opérationnelles qui séparent la CP

des autres groupes restent fines. Nous développerons cet aspect davantage dans le premier

chapitre de notre thèse.

• Les perspectives mobilisées pour appréhender les relations de service et la

question de la performance des salariés dans la sphère du front-office

Les auteurs qui s’intéressent aux front-office considèrent qu’il est particulièrement

marqué par l’écart entre le travail réel et le travail prescrit. Ce phénomène est imputé

notamment à la participation du client dans la « coproduction » du service. L’activité réelle

des salariés du front office est considérée comme particulièrement caractérisée par ce

phénomène. Pour appréhender ce volet du travail réel dans ces entreprises, nous avons

mobilisé l’approche interactionniste initiée par Goffman (1968). Elle permet de rendre

compte des interactions entre les salariés et les clients dans les processus de coproduction. La

« coproduction » d’un service consiste en la participation du client à la réalisation du service,

c’est à dire, en la co-construction avec le client-usager de l’offre de solution qui va

correspondre à ses attentes (Zarifian, 2002).

Pour compléter notre compréhension du contexte des relations de service, nous avons eu

besoin de faire appel aux travaux s’intéressant à l’organisation du travail dans ces entreprises

afin de dégager le modèle productif mobilisé, censé permettre aux agents de réaliser leurs

coproductions avec les clients. Entre autres, les travaux de Gadrey (1996 et 2002), Pichault et

Zune (2000), Hubault et Bourgeois, (2001), Combes (2002) et Zarifian (2002) nous ont

permis de rendre compte de l’organisation du travail et du modèle productif dans ces

14

organisations. Ces travaux montrent que ces organisations ont beaucoup évolué ces dernières

années et qu’elles sont marquées par l’introduction d’une logique industrialiste à côté de celle

de service. Cette introduction est favorisée notamment par la mobilisation des Technologies

de l’Information et de la Communication (TIC) qui se sont très fortement développées ces

dernières années. Dès lors, on parle de nouveau modèle de service (Hubault et Bourgeois,

2001 ; Gadrey et Zarifian, 2002).

Enfin, nous nous sommes bien évidemment intéressés aux travaux sur la performance

dans les relations de service. Selon Eiglier et Langeard (1987), du fait de la coproduction, la

question de la performance est particulièrement délicate à traiter dans les activités de service.

Ce constat semble faire l’unanimité chez les auteurs mobilisés dans ce champ.

En effet, la question de la performance est présentée comme un sujet à controverse. La

performance est mesurée dans les entreprises de service à partir de deux catégories

d’indicateurs (qualitatifs et quantitatifs), or ces indicateurs sont considérés par les auteurs

comme contradictoires. Le critère qualitatif suit la logique de service et renvoie la qualité de

la relation de service. Le critère quantitatif est considéré par les auteurs comme inspiré

directement du secteur industriel (logique industrialiste), et fait référence à la productivité. La

contradiction des deux critères émerge du fait que leurs rapports respectifs à la variable

temporelle se veut inverse. La réalisation d’une relation de qualité nécessite du temps, or, la

productivité du travail progresse quand on traite plus de relations par heure de travail, elle

régresse sinon (Gadrey, 2002).

Au-delà de ces cadres théoriques, d’autres éléments seront abordés et détaillés dans

notre travail pour mieux comprendre le contexte des relations de service et la question de la

performance dans ces organisations.

• Le rapprochement des Communautés de Pratique et de la Gestion des Ressources

Humaines

Notre but à travers ce rapprochement est d’intégrer le concept des CP dans le champ de

la GRH, afin de nourrir la réflexion dans ce domaine et tenter de dégager certains

enseignements pour améliorer certaines pratiques de la GRH. Notre idée à cet égard peut être

qualifiée d’originale car, à notre connaissance, il existe très peu de travaux qui inscrivent

explicitement le concept de CP dans le domaine de la GRH.

Pour entamer ce rapprochement, nous avons centré notre attention sur les pratiques de

GRH qui se présentent, à nos yeux, comme particulièrement ouvertes, tant au plan conceptuel

15

qu’opérationnel, à l’intégration des CP. Il s’agit en l’occurrence de la socialisation des

novices, de la formation institutionnelle, et de l’appréciation des salariés dans l’organisation.

L’absence de travaux liant les deux perspectives fait que le cadre conceptuel mobilisé ici est

relativement restreint, comparé aux deux champs théoriques précédents. Cependant, nous

avons trouvé plusieurs travaux stimulants pour traiter notre sujet.

Dans le domaine de la socialisation organisationnelle, certains travaux montrent que les

salariés constituent une source d’information qui aide à l’intégration pour les nouveaux

salariés (Kram et Isabella, 1985 ; Louis, 1990 ; Perrot, 2001 ; Lacaze et Fabre, 2005). Nous

avons estimé alors que la CP a son rôle à jouer dans cette perspective. En ce qui concerne la

formation institutionnelle, l’accent est mis essentiellement sur les déficiences que les

dispositifs organisationnels présentent dans la formation des salariés (Remoussenard-

Champy, 1997 ; Moreau, 2004 ; Bourhis et Tremblay, 2004 ; Chanier et Cartier, 2006). A

nouveau, la CP peut ici jouer un rôle puisque l’apprentissage situé qui se déroule dans la CP

semble en mesure de remédier à certaines déficiences citées ci-dessus. Une réflexion sur ce

sujet a été donc menée. Enfin, étant donnés que de nombreux travaux ont montré que la CP

pouvait apporter beaucoup à l’organisation, nous avons estimé qu’il est nécessaire que la

hiérarchie prenne en compte ces apports lors de l’appréciation des salariés. Quelques

exemples rapportés par certains auteurs (Wenger et Snyder, 2000 ; McDermott et O’Dell,

2001 ; Bourhis et Tremblay, 2004) montrent que des entreprises innovatrices en la matière se

sont engagées dans cette voie de l’évaluation des engagements et de la contribution des

membres des CP. Le but est ici d’inciter les salariés à être actifs dans leurs CP.

• Notre problématique

A la lecture des travaux des fondateurs de la théorie des CP (Lave et Wenger, 1991 ;

Brown et Duguid 1991 ; Wenger 1998), nous pouvons constater que l’idée qui sous-tend leur

approche de l’apprentissage situé est que ce dernier a un impact positif sur les salariés (et

l’organisation d’une manière générale). Toutefois, ces pionniers n’ont pas exprimé clairement

qu’il y a un lien en terme de performance.

Les travaux prolongeant la réflexion autour des CP ont montré aussi que la CP joue un

rôle opérationnel en termes d’apprentissage et d’élaboration de connaissances et de pratiques,

potentiellement bénéfiques pour l’organisation. En revanche, très peu de travaux établissent

de lien entre la CP et la performance. Dans la plupart des cas, ces études portent sur

les « communautés épistémiques » qui sont, un peu rapidement, assimilées par les auteurs à

des CP. Hormis Schenkel et Teigland (2008) qui ont étudié des CP et montré le lien qu’elles

16

entretiennent avec la performance, la plupart des auteurs ayant abordé ce lien (Millen, et al.,

2001 ; Lesser et Stork, 2001 ; Mc Dermott, 2002 ; Fontaine et al., 2003 ; Hemmasi et Csanda,

2009), ont conduit leurs travaux auprès de communautés de pratique intentionnellement crées.

Grâce à la technologie, des CP virtuelles ont été créées. Elles fonctionnent sur le principe des

« communautés épistémiques » (groupes de travail), dont le fondement consiste à ce que les

salariés consacrent un peu de leur temps pour s’engager dans des discussions bien définies,

animées par un responsable qui oriente ces dernières vers les objectifs fixés a priori par

l’organisation formelle qui a mis en place ces « communautés épistémiques ». A notre sens,

au vu des définitions et caractéristiques de la CP telles qu’elles sont présentées par les auteurs

pionniers, il nous semble que ces travaux se sont éloignés de l’un des principes qui fonde

cette théorie, à savoir le caractère émergent de ce groupe, animé par des interactions

informelles (et formelles) entre ses membres.

Parmi les travaux sur les CP, de nombreux auteurs expliquent l’émergence des CP dans

les organisations par le fait que la CP est une réponse aux conditions (de travail) historiques,

sociales, culturelles et institutionnelles de l’organisation au sein de laquelle elle se développe

(Brown et Duguid, 1991; Wenger, 1998 ; Wenger et Snyder, 2000). Les CP sont

particulièrement actives lorsque l’organisation est marquée par un fort écart entre le travail

prescrit et le travail réel. Du fait notamment de la coproduction du service avec le client les

relations de service sont caractérisées par un fort écart entre travail prescrit et travail réel.

En outre, la performance dans les relations de service est une question particulièrement

délicate pour les salariés car elle est caractérisée par une contradiction qui entre deux de ses

critères de mesure (qualitatifs et quantitatifs).

Quelques auteurs ont utilisé explicitement la notion de CP dans le registre des services. Il

s’agit notamment de Wenger (1998), Codello-Guijarro (2004), Guérin (2005), et Grosjean

(2008). Toutefois, pour expliquer la contribution des CP dans ce contexte, ils ont mis en avant

la manière dont les agents construisent des méthodes de travail et des stratégies collectives

pour faire face au travail réel qu’ils vivent quotidiennement. Dans ces travaux, le lien avec la

performance reste relativement implicite. Par exemple, la contradiction entre les critères de

performance n’a jamais réellement été analysée en lien avec la CP.

Ainsi, notre problématique s’articule autour de l’appréhension et l’analyse des liens

qu’entretient la CP avec la performance de ses membres. La CP contribue-t-elle à la

performance de ses membres dans les relations de service ? Pour développer ce

questionnement, nous avons décidé le décomposer comme suit :

17

� Existe-il un lien entre l’appartenance d’un salarié à une CP et son niveau de

performance dans le contexte des relations de service ?

� Si ce lien existe, comment est-il construit ? Quels sont les différents mécanismes qui

permettent sa construction dans les relations de service ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous sommes amenés d’abord à analyser l’émergence

et le fonctionnement de ces groupes dans les front-office. Ceci nous amène à analyser le

contexte des relations de service et le modèle productif mis en place, afin de vérifier si ce

dernier rencontre des difficultés à contrôler les situations réelles et donc à réaliser les

performances souhaitées. C’est ce constat qui nous permettrait ensuite d’expliquer et de

montrer le lien éventuel entre la CP et la performance.

L’appréhension de ce lien et son explication nous permettra de tirer quelques

implications pour la GRH. Dès lors, notre troisième question qui compose notre

problématique peut être formulée comme suit :

� Si ce lien existe, quels sont les enseignements que l’ont peut tirer pour certaines

pratiques de GRH dans les organisations ?

• Notre méthodologie

Visant à étudier et à explorer un phénomène particulier dans un contexte déterminé, nous

avons recouru dans notre démarche à l’approche qualitative (Yin, 1994 ; Baumard et Ibert,

1998 ; Hoepfl, 2007). En effet, notre objet d’investigation s’articule autour du phénomène des

CP et du travail des agents (la coproduction) dans les relations de service, dans le but

d’appréhender si et comment l’émergence de ces CP peuvent contribuer à la performance de

leurs membres dans leur activité quotidienne. Ceci plaide pour le recours à l’approche

qualitative, dans le sens où cette approche est particulièrement intéressante pour rechercher

les significations et comprendre des activités dans des situations uniques et/ou fortement

contextualisées (Giordano, 2003).

En suivant les conseils de plusieurs auteurs, nous avons recouru dans notre partie

empirique au dispositif de l’étude de cas, c’est-à-dire à un travail empirique investiguant un

phénomène contemporain dans son contexte de vie réelle (Yin, 1994).

L’étude de cas peut être unique ou multiples (Eisenhardt, 1989 ; Yin 1994, 2009 ;

Wacheux, 2005). En ce qui nous concerne, nous avons choisi de procéder à une étude de cas

multiples afin de pouvoir comparer les cas (Yin 1994) et ainsi favoriser la génération de

18

théories ou la confirmation de théories susceptibles d’être généralisées (Roussel et Wacheux,

2005).

Notre étude est menée dans les front-office de deux organisations ayant un statut

d’établissements parapublics et dans une banque (secteur privé). Huit unités composant ces

dispositifs d’accueil ont été étudié : quatre centres d’appels et quatre guichets.

• Plan de notre thèse

Notre travail s’articule autour de cinq chapitres. Les trois premiers sont consacrés au cadre

conceptuel relatifs à la CP, aux relations de service et à la performance dans ce type

d’activité. Les quatrième et cinquième chapitres abordent respectivement notre méthodologie

et les résultats dégagés de notre recherche empirique. Ces résultats sont confrontés aux cadres

théoriques dans notre conclusion générale.

Le premier chapitre est consacré entièrement à la théorie des CP. Il s’attache à analyser

l’ancrage théorique de ce concept tel qu’il est présenté par Wenger (1998). Celui-ci est enrichi

par une confrontation avec d’autres cadres théoriques. Dans un second temps, le concept de la

CP est mis en avant, et nous présentons ses caractéristiques structurelles et épistémiques, ainsi

que les liens que ces groupes entretiennent avec leurs environnements organisationnels.

Le second chapitre est consacré à la compréhension du contexte des relations de service. Le

premier axe développé concerne l’approche interactionniste des relations de service et

présente un modèle général de l’organisation des entreprises de service. Le second axe met

l’accent sur l’univers du front-office, pour comprendre les caractéristiques du travail dans cet

univers et identifier le modèle productif qui est mobilisé pour la réalisation des coproductions.

Le troisième axe de ce chapitre s’intéresse à la question de performance et sa mesure dans les

relations de service.

Le troisième chapitre s’attache à articuler les deux chapitres précédents afin de mettre en

lien les CP et la performance dans les relations de service. Dans un premier temps, il explique

ce lien à travers le mécanisme d’apprentissage et le partage des connaissances, en rapportant

notamment quelques exemples d’études conduites sur cette question. Dans un second temps,

nous présentons quelques exemples d’études menés dans le contexte spécifique des relations

19

de service, qui permettent de donner une idée sur la façon dont les CP peuvent contribuer à la

performance de leurs agents. Enfin, le troisième point est consacré au rapprochement entre la

CP et la GRH. Les trois pratiques de GRH concernées sont présentées successivement, en

montrant à chaque fois comment la CP peut être intégrée dans ces pratiques pour compléter et

améliorer ces dernières.

Le quatrième chapitre est dédié à notre démarche méthodologique. Il débute par la

présentation de notre positionnement épistémologique et le choix de notre méthodologie

(étude de cas multiples et imbriqués). Le second point est consacré à la présentation des

entreprises étudiées ainsi que des outils méthodologiques mobilisés sur notre terrain.

Le cinquième chapitre présente les différents résultats issus de notre recherche empirique.

Nous présentons dans un premier temps les caractéristiques du contexte des relations de

service, qui est relativement commun aux trois organisations étudiées. Dans un second temps,

nous détaillons les résultats sur l’émergence des CP dans ces entreprises et leurs impacts sur

la performance de leurs membres. Enfin, nous présenterons les résultats qui permettent

d’interpeller les pratiques de GRH que nous avons articulées avec le concept de CP.

Le début de la conclusion est consacré à la discussion des résultats empiriques par leur

confrontation aux éléments théoriques abordés dans les trois premiers chapitres. Puis nous

présenterons les apports de la thèse sur les plans conceptuels et méthodologiques, ainsi que

les perspectives managériales qui concernent essentiellement la GRH. Les limites du travail

seront également évoquées avant de présenter quelques propositions d’ouverture pour les

recherches à venir dans les champs étudiés.

20

Chapitre 1. La Communauté de pratique: Un

phénomène émergent en réponse aux

caractéristiques des contextes organisationnels

Introduction

La théorie des Communautés de Pratique (CP) est présentée par Wenger (1998) comme une

théorie sociale de l’apprentissage. Les prémices de cette théorie remontent aux travaux de

Lave et Wenger (1991) (publiés dans leur ouvrage « Situated Learning : Legitimate

Peripheral Participation »), et de Brown et Duguid (1991) (présentés dans leur article

« Organizational Learning and Communities of Practice : Toward a Unified view of Working,

Learning, and Innovation »).

Selon Wenger (1998), la théorie des CP se situe au carrefour de quatre grands blocs

théoriques : les théories de l’identité, les théories de la pratique, les théories de l’expérience

située et les théories de la structure sociale. Toutefois, de nombreux auteurs s’accordent pour

dire que la théorie des CP est davantage ancrée dans les théories de l’expérience située qui

comprennent, entre autres, la perspective de l’apprentissage situé.

La perspective de l’apprentissage situé est attribuée essentiellement à Lave (1988), Lave et

Wenger (1991) et Brown et Duguid (1991). Cependant, une confrontation de cette perspective

aux paradigmes dominants dans le domaine de l’apprentissage, fait ressortir que les bases de

réflexion de Situated Learning sont présentes également dans le courant

« socioconstructiviste » de Vygotsky (1978).

Quant au concept de Communauté de Pratique (CP), parmi les définitions proposées par

Wenger (1998), la plus reprise dans la littérature annonce que : « les Communautés de

pratique (CP) sont des groupes informels d’individus qui ont une histoire commune,

interagissent fréquemment, partagent des connaissances, et rencontrent des problèmes proches

au sein d’une même organisation ». D’après les initiateurs, le cœur battant de ces CP réside

dans les interactions informelles se déroulant entre les membres de la CP. Ceci permet un

apprentissage informel particulièrement efficace pour les salariés, qui favorise l’élaboration

21

d’un savoir, partiellement tacite, et des pratiques indispensables pour mener à bien leur travail

quotidien (Brown et Duguid, 1991).

Bien sûr, cette définition fait ressortir des éléments qui peuvent être observés chez d’autres

formes de collectif de travail. Cependant, la CP se distingue de ces groupes notamment par sa

forme qui émerge des interactions entre ses participants, et par le fait qu’elle ne dispose

d’aucun schéma contractuel ou procédural qui définit son fonctionnement.

Pour tenter d’expliquer les différents éléments que nous venons d’évoquer, nous avons

structuré ce chapitre en deux grandes sections : la première est consacrée entièrement à la

présentation de la théorie des CP telle que exposée par Wenger (1998), qui sera enrichie par la

suite d’une analyse autour de la perspective de l’apprentissage situé. Dans la seconde section,

le concept de la CP sera mis en avant et nous présentons ses caractéristiques structurelles et

épistémiques, ainsi que les liens que ces groupes entretiennent avec leurs environnements

organisationnels.

Section 1. La théorie des Communautés de Pratique (CP) : un

nouveau cadre pour (re) penser l’apprentissage

L’objet de cette section est de présenter la théorie des Communautés de Pratique (CP)

(Wenger, 1998) en mettant l’accent essentiellement sur la perspective de l’« apprentissage

situé » tel que dévoilée à travers cette théorie. Nous commençons notre présentation par

exposer d’abord la théorie des CP comme située à l’intersection de certains courants des

sciences humaines et sociales (1). Puis nous développons la perspective de l’apprentissage

situé en tentant de la rapprocher de certains courants et paradigmes qui ont influencé les

réflexion dans ce domaine (2).

1. La théorie des CP à l’intersection des courants des sciences humaines et

sociales

Dans ce titre, nous allons tenter de faire un panorama des différentes théories ayant inspiré

Wenger (1998) dans l’élaboration de sa théorie des Communautés de Pratique (CP). Parler en

22

terme de panorama ne signifie pas seulement restituer la multitude des courants qui jalonnent

la réflexion de Wenger. Cela renseigne également sur la difficulté de situer l’auteur (Chanal,

2000 ; Vaast, 2002 ; Michaux, 2005). Nous prenons pour point de départ le prélude qu’à

présenté l’auteur dans son ouvrage « Communauté de pratique : apprentissage, sens et

identité » (1998) qui semble être une référence incontournable dans les études sur le

phénomène. On tentera également d’apporter d’autres éléments issus de nos propres

recherches afin de mieux appréhender l’essor de cette théorie et les liens qu’elle entretient

avec d’autres courants.

Dans son ouvrage de 1998, Wenger s’est livré à cet exercice de manière relativement

sommaire mais plus ou moins complète, en renvoyant dans un premier temps aux quatre

théories ayant pesé le plus dans ses réflexions, en l’occurrence : les théories de la pratique, de

l’identité, de la structure sociale et de l’expérience située. Dans un second temps, il a évoqué

d’autres théories qui permettent, selon lui « de souligner avec plus de détails et de façon plus

rigoureuse ce que nous considérons comme étant les composantes d’une théorie sociale de

l’apprentissage » (ibid., p. 11). Les théories en l’occurrence sont les théories du pouvoir, de la

subjectivité, du sens et de la collectivité.

Nos allons donc nous limiter aux quatre premières théories qui nous semblent primordiales et

incontournables pour saisir certains traits de la réflexion de Wenger, en essayant d’expliquer à

chaque fois le rapprochement que l’on pourrait faire avec ces théories. Pour ce qui est des

autres théories, nous les aborderons plus tard de manière plus succincte au moment où nous

aborderont les concepts concernés.

1.1 La théorie des CP au croisement de deux axes théoriques

Présentée comme une théorie sociale de l’apprentissage, Wenger (1998) estime que la théorie

des CP représente un champ d’investigation plus ou moins bien défini, au carrefour de la

philosophie et des sciences humaines et sociales. Avant d’aller plus loin, il nous semble

judicieux de rappeler que l’intitulé exact de cette théorie dans son livre de (1998) est :

« Communities of practice: learning, meaning and identity » (CP : Apprentissage, sens et

identité). L’auteur a donc voulu présenter la configuration et le fonctionnement de la CP à

travers l’analyse des notions d’apprentissage, de sens et d’identité. Depuis des décennies, ces

23

notions se présentent comme, -et continuent d’être-, le centre de gravité et de croisement des

sciences humaines et sociales.

Le carrefour de ces concepts représente selon l’auteur le noyau central de la théorie des CP.

Cela permet alors d’avoir une première vue sur la multitude et la complexité des niveaux

d’analyse, qui ne pourraient s’expliquer qu’à travers le croisement des théories s’intéressant à

ces sujets. Il schématise alors son positionnement en croisant deux axes portant chacun à ses

extrémités deux théories (cf. figue1), qui constituent des thèses que l’on pourrait qualifier

d’opposées. L’axe vertical traduit la transition entre les théories qui donnent la primauté aux

structures sociales et celles qui s’intéressent plutôt à l’agir humain. L’axe horizontal permet

d’étudier l’apprentissage en analysant la pratique, mais aussi la construction identitaire de

l’apprenant.

Figure 1 : Les deux principaux axes de théorisation des CP (Wenger, 1998, p. 9)

Les CP. théorie sociale

de l’apprentissage

Les théories de l’identité

Les théories de

l’expérience située

Les théories de la structure

sociale

Les théories de la pratique

24

1.1.1 Axe Pratique –Identité

1.1.1.1 Les théories de la pratique :

Le concept de la « pratique1 » chez Wenger se concentre autour de l’activité quotidienne et les

situations concrètes, avec une insistance sur les systèmes sociaux au sein desquels des

groupes s’organisent et coordonnent leurs activités, leurs relations et leurs interprétations du

monde. Sa vision de la pratique est largement marquée par le caractère formant et organisant

de cette dernière, qui se traduit par la production et la reproduction de modes spécifiques

d’engagement dans le monde. Bien évidemment cette vision est loin d’être originale et

Wenger est le premier à le reconnaître. Il déclare que sa compréhension de la notion de la

pratique est influencée par certaines conceptions présentes chez des auteurs qui, curieusement

ne se définissant pas comme théoriciens de la pratique, mais dont les travaux abordent ce

concept de manière connexe. Il renvoie ainsi à quelques travaux relavant de disciplines très

hétérogènes (l’informatique, la géographie, la sociologie, l’anthropologie et la psychologie).

Cependant, et comme l’indique Vaast (2002), il accumule ces références sans préciser la

manière dont elles ont guidé et influencé sa réflexion. Hormis ces travaux, il notifie

clairement que « les préoccupations liées au concept de pratique remontent à l’utilisation du

concept de la « praxis » par Karl Marx2 (1984), comme contexte sociohistorique d’un point

de vue matérialiste sur la conscience et la constitution d’une histoire » (Wenger, 1998, p. 18).

Ce renvoi à Marx va dans le sens où la « praxis » est vue par ce dernier comme correspondant

à un ensemble des pratiques par lesquelles l'homme transforme la nature et le monde, ce qui

l'engage dans la structure sociale que détermine les rapports de production à un stade donné

de l'histoire (Legrand, 19723). Cependant, son inspiration ne s’arrête pas à la philosophie

marxiste, car il fait l’éloge d’un certain nombre d’anthropologues et de sociologues n’ayant

pas hésité à critiquer les explications structuralistes et fonctionnaliste de la culture, voire

celles des effets déterministes de ces dernières sur la société. Parmi ces théoriciens, on trouve

Pierre Bourdieu qu’il présente comme le plus éminent des théoriciens de la pratique, en

renvoyant à ses travaux sur les pratiques culturelles qui présentent le caractère productif de la

1 Etant un élément central de cette théorie, ce concept de la « pratique » sera développé davantage dans la section suivante. 2 Notons que la théorie Lave et Wenger (1991), est présentée par Hung (2001) comme une théorie néo-marxiste de la pratique. 3 http://www.cnrtl.fr/definition/praxis.

25

structure. Ce rapprochement avec les idées de Bourdieu peut s’expliquer à travers le caractère

organisant et structurant de la pratique que Wenger soutient comme étant une de ses

propriétés fondamentales. Ceci nous rappelle singulièrement le concept de l’habitus, présenté

par Bourdieu comme principe structurant et organisateur de l’action et des représentations.

(Bourdieu, 1983).

Enfin, on peut dire que le rapport entre la théorie de Wenger et celles des autres auteurs

(qu’ils soient théoriciens distingués de la pratique ou ayant abordé le concept de manière

incidente) s’entretient à travers la mise en exergue de l’aspect productif de la pratique et de

son rôle générateur de structures sociales. D’où sa détermination à qualifier et à considérer la

« pratique » comme un concept clé pour saisir la complexité de la pensée humaine qui se

produit dans la vraie vie, critiquant ainsi les théories structuralistes et fonctionnalistes qui

négligent le rôle que joue la pratique en amont de l’édification des systèmes sociaux.

Toutefois, même s’il le présente comme élément clé, il pense que ce concept ou ces théories

ne suffisent pas pour expliquer un phénomène aussi complexe que l’apprentissage.

1.1.1.2. Les théories de l’identité4

L’ancrage de la théorie des CP dans la théorie de l’identité s’explique par l’intérêt que

Wenger porte au phénomène de la construction sociale de la personne, plus précisément, celle

du novice pendant la phase d’intégration de la CP. L’auteur s’intéresse de ce fait à tout ce qui

se rapporte à l’interprétation culturelle et sociale et à la création et l’utilisation de marqueurs

d’adhésion à titre de membre, tels que les rites de passage dans le groupe (Wenger, 1998).

Le lien entre l’individu et le groupe, ou de manière plus restreinte, entre l’individu et l’autrui,

en terme de transformation identitaire est l’un des constats les plus classiques relevé et

argumenté par les praticiens et les théoriciens de l’identité. En effet, les auteurs traitant de

l’individu, à l’instar du sociologue Erving Goffman (1959) ou le psychologue Carl Rogers

(1966), ont accordé une place très importante à « autrui », en le présentant comme étant au

centre de la construction de l’identité de la personne avec qui il est en contact.

4 Par extension, la théorie de Wenger ne se limite pas à l’étude des rôles que joue la CP dans les organisations et ses caractéristiques structurelles en tant que groupe, mais il développe, de manière détaillée, la question de l’identité et de la construction identitaire de l’individu en tant que membre de la CP. Bien que la seconde partie de son livre (1998) soit entièrement consacrée à cette problématique, dans notre travail de thèse, nous ne l’analyserons pas en détail.

26

C’est une caractéristique fondamentale dont témoignent encore les travaux d’aujourd’hui, à

l’image de Kaufmann (2004) qui insiste sur l’idée que, c’est son rapport aux autres, qui

permet à la personne d’exister en tant qu'individu à part entière, que ce soit pour s’en

différencier ou s’y conformer. D’après cet auteur, la sociologie n'a pas réussi à définir de

distinction précise entre l'identité individuelle et l'identité collective, les deux sont parfois

confondues. De son côté, Wenger n’a pas manqué de rappeler que les travaux considérant le

lien entre l’individu et le groupe (Strauss, 1959 ; Ekert, 1989 ; Giddens, 1991) conçoivent la

personne comme étant formée par des relations complexes de contribution mutuelle entre

l’individu et le groupe. Ainsi, on comprend bien l’intérêt que trouve Wenger à puiser ses

idées de ce volet de la théorie de l’identité pour expliquer certains aspects de sa vision, qui

considère la personne comme étant formée par les interactions sociales qu’il entretient avec

les autres membres du groupe auquel il appartient.

En effet, selon la théorie des CP, le processus de transformation identitaire chez le novice

(nouveau membre de la communauté) est considérablement influencé par sa participation

progressive aux pratiques de la communauté, c’est-à-dire quand il participe à la pratique

effective des experts/anciens (des professionnels compétents). Cette idée trouve ses origines

dans son travail avec l’anthropologue Jean Lave dans leur ouvrage intitulé « Situated

Learning: Legitimate Peripheral Participation » (LPP) (1991), où l’accent est mis, non

seulement sur la problématique de l'apprentissage, mais également sur le changement

progressif de l'identité de l'apprenant lors de son intégration dans le groupe. Dès lors, il

parlent de l’enculturation du novice. Pour ces auteurs, les membres de la CP échangeant des

pratiques, des manières d’interactions, des perceptions du monde et des ressources et bâtissent

de ce fait des valeurs communes, une culture locale (entretenue dans la durée) et développent

le sentiment d'appartenance et la reconnaissance de chacun dans l'« identité du groupe »5.

Ainsi, et suivant cet axe, l’apprentissage se trouve, d’un côté véhiculé par la pratique à travers

ses propriétés structurantes, et de l’autre, marqué par l’évolution de la transformation

identitaire de l’apprenant. Cela dit, la perception de Wenger s’écarte de toute hypothèse

radicale conférant un pouvoir plus déterministe à l’une ou à l’autre des deux théories.

5 Etant donné l’importance accordée au phénomène d’intégration du novice dans la CP rapportée dans cet ouvrage sur la LPP (1991), nous développerons davantage cet élément dans la partie consacrée à la perspective de l’ « apprentissage situé ».

27

1.1.2. Axe Structure- Expérience située

1.1.2.1. Les théories de la structure sociale

La CP est présentée par Wenger comme une structure qui contribue à déterminer les actions

de ses membres. Cette influence s’observe notamment sur le comportement des nouveaux

arrivants qui s’imprègnent des valeurs de ce groupe. C’est ce qui explique qu’il s’est

rapproché des théories de la structure sociale, dont le cadre d’analyse a pour mérite, selon

Wenger, le fait qu’« elles proposent de dévoiler les structures explicatives qui rendent compte

des modèles sociaux et présentent l’agir humain comme une concrétisation de ces structures,

dans des circonstances précises » (Wenger 1998, p. 12). Mais, et à l’instar de son

positionnement par rapport aux théories précédentes, c’est à dire, la non-affiliation totale, il

présente clairement une prise de recul vis-à-vis des plus radicales d’entre elles qui nient à

l’acteur la conscience et le contrôle de ses actes. En fait, Wenger fait allusion aux courants

fonctionnalistes et structuralistes qui n’incluent pas dans leur pensée traditionnelle, ce que

Wenger entend à propos de l’action et de la pratique, à savoir, leur rôle comme leviers

structurants. Dans cet esprit, il critique l’approche méthodologique du structuralisme de Levi-

Strauss (1958) qui donne une suprématie aux structures et néglige les actions et les acteurs

(Wenger, 1998). Mais d’un autre côté, il pense qu’une analyse extrêmement basée sur l’action

et les acteurs est une erreur et ne semble pas suffisante pour rendre compte de la complexité

des structures sociales. Dès lors, on comprend qu’il s’écarte des courants radicaux sans pour

autant les négliger. En d’autres termes, la théorie de la CP privilégie une approche de la

structure avec le principe d’une boucle de rétroaction. C’est à dire, la structure a un effet

régulateur sur les actions qui, à leur tour, contribuent à construire cette structure.

Dans cette perspective, on estime légitime que Wenger fasse référence, dans sa conception de

la communauté de pratique, à l’une des théories qui a réussi à considérer la structure et

l’action dans la construction des systèmes sociaux: il s’agit de la « théorie de la structuration »

de Giddens (1987). Parmi les hypothèses principales de cette théorie, on trouve que :

- « les règles et les ressources utilisées par des acteurs dans la production et la

reproduction de leurs actions sont en même temps les moyens de la reproduction du

système social concerné » (Giddens, 1987) (traduction française, p.68).

- « La constitution des agents et celle des structures ne sont pas deux phénomènes

indépendants ou un dualisme : il s’agit plutôt d’une dualité ». (ibid., p.75).

28

Ces postulats présentent la structure comme à la fois le moyen et le résultat des actions qu'elle

organise récursivement. En effet, comme le confirme Rojot (2010) dans sa lecture de

Giddens, chez ce dernier, les propriétés structurelles des systèmes sociaux n'existent pas hors

de l'action, mais sont impliquées chroniquement dans sa production et sa reproduction.

Concernant la dichotomie entre structure et action, Wenger donne plus de crédit à la théorie

de structuration de Giddens, qui propose un cadre préconisant le passage du dualisme à la

dualité de ces deux dimensions. La dualité de la structure implique que les règles et les

ressources (qui la constituent) sont utilisées par les acteurs dans la production des interactions,

mais sont aussi reconstituées par cette action. A ce propos, Wenger cite le théoricien de la

structuration, en appuyant son idée que « la structure est à la fois un intrant et un extrant des

actions humaines, que les actions ont des conséquences prévues ou inattendues et que les

acteurs savent beaucoup mais ne savent pas tout sur les ramifications structurelles de leurs

actions » (Giddens, 1984) [in Wenger, 1998]. Ainsi, Wenger part de ces postulats pour

qualifier la communauté de pratique, à la fois, de structure structurée à partir des interactions

et les échanges de ses membres, et de structure structurante dans le sens où elle fournit des

repères pour les actions de ces derniers.

Il est clair que Giddens inspire largement la conception de Wenger, que ce soit en termes de

perspective théorique ou méthodologique dans l’analyse de la structure et les résultats issus de

l’action des acteurs. Toutefois, la théorie de Wenger ne se focalise pas sur l’aspect

« structure » de la communauté, car l’objet de son étude est avant tout l’apprentissage, qui se

déroule dans cette structure, marqué notamment par l’action et le contexte. Nous allons donc

voir dans ce qui suit le lien entretenu avec les autres théories ayant accordé une attention

particulière à ces sujets, que Wenger regroupe sous l’appellation : les théories de l’expérience

située.

1.1.2.2 Les théories de l’expérience située

La critique de Wenger, vis à vis des théoriciens négligeant ou minimisant le rôle l’action et

les pratiques des acteurs, est assez révélatrice de l’importance qu’il accorde au rôle des

actions et pratiques des acteurs dans le champ d’analyse des structures sociales. De plus,

comme nous l’avons déjà évoqué, on sait que la théorie des CP puise ses origines dans les

travaux de Lave et Wenger (Situated Learning : LPP, 1991), où le concept de « situation »

accompagne de facto les termes de l’action (de l’activité) et de l’apprentissage. Dès lors, il est

29

assez logique qu’on trouve la théorie des CP enracinée dans ces courants qui appréhendent

l’action des acteurs en tenant compte de la situation ou du contexte de son élaboration.

Pour l’auteur, les théories de l’ « expérience située » offrent un cadre d’analyse

particulièrement intéressant pour appréhender les CP, du fait qu’elles « privilégient la

dynamique quotidienne, l’improvisation, la coordination et la chorégraphie des interactions.

Elles mettent l’accent sur les motifs et les intentions de l’acteur. Elles se concentrent sur les

interactions entre les personnes et leur environnement. Elles étudient l’expérience et la

construction de l’individu ou les ‘‘événements interpersonnels’’, telles les activités courantes

et les conversations » (Wenger, 1998, p. 10). Cependant, en restant fidèle là encore à son

envie de marquer une légère distance avec ces courants, Wenger rappelle que les théories les

plus radicales de ce champ ignorent l’existence d’une structure globale.

En s’intéressant de près aux arguments développés par l’auteur pour justifier son rattachement

aux théories de l’expérience située, notamment à travers les diverses notes auxquelles il fait

référence dans son ouvrage, on constate que l’accent ici est mis, non pas sur la dimension

structurante des actions et pratiques des acteurs (le postulat partagé avec Giddens (1980),

mais plutôt, sur le cadre d’analyse qu’offrent ces théories qui insistent sur la prise en compte

du « contexte / situation » où les actions et les pratiques sont élaborées et mises en œuvre.

C’est à dire, la prise en compte des déterminants contextuels et environnementaux comme une

variable fondamentale susceptible d’influencer les pratiques et les actions individuelles et

collectives. Ainsi, cet intérêt d’étudier l’action et la pratique sous une perspective située

amorce le cadre d’analyse privilégié par Wenger, et qui a influencé largement les fondements

de la théorie des CP.

Parmi les théories citées par Wenger comme appartenant au courant de l’« expérience

située », on trouve entre autres6, la philosophie phénoménologique de Heidegger (1927), la

psychologie cognitive pour laquelle il cite les travaux de Maturana et Varela (1980) sur

l’impact du lien étroit entre organisme et environnement, ainsi que d’autres travaux soutenant

la perspective selon laquelle, l’environnement offre des possibilités d’actions. Dans le

domaine des sciences sociales, il fait référence à l’interactionnisme, à l’ethnométhodologie et

à l’action située de Suchman (1987). A propos de ce dernier auteur, Wenger souligne que ces

travaux de 1987 ont fournit les soubassements intellectuelles ayant largement influencé sa

conceptualisation sur l’activité en tant que action « située » dans un contexte, souvent marqué

6 A ce sujet, en parlant de Wenger, Chanal (2000) note que « ces travaux sont cités, semble-t-il, davantage pour situer l’auteur dans un courant de pensée que pour en discuter avec précision les apports théoriques » (p. 10).

30

par des influences historiques, culturelles et sociales. En effet, d’après certains auteurs

(Chanal, 2000 ; Relieu et al., 2004, Grison, 2004 ; Rogalski, 2004), le « courant situé» de

l’action (et de la cognition) est régulièrement associé aux travaux de l’anthropologue Lucy

Suchman et plus précisément à son ouvrage (1987) devenu depuis une référence (« Plans and

situated actions : the problem of human-machine communication »). Dans sa réflexion, elle

insiste surtout sur le caractère complexe et changeant des situations, sur l'émergence d’une

auto-organisation de l'activité, ainsi que sur la réactivité opportuniste des acteurs face aux

évènements rencontrés dans les situations. (Grison, 2004).

Parmi les éléments qui montrent la proximité de Wenger par rapport à ces théories on peut,

par exemple, commencer par citer un des principes d’analyse de la théorie des CP, à savoir

l’idée de « ne pas dissocier ‘faire’ et ‘contexte’» (Lave et Wenger, 1991 ; Wenger, 1998 ;

Wenger et Snyder, 2001). En effet, l’auteur souligne toujours dans ses travaux qu’il considère

l’apprentissage comme résultat de la pratique en interagissant avec les autres, dans un

contexte historique et social. A cet effet, et contrairement à ce que l’on peut dire à propos du

positionnement de Wenger vis-à-vis des courants théoriques qu’on a cité jusque là, c’est à

dire une position où le flou et l’incertitude paraissaient dominant, les avis de plusieurs auteurs

(Chanal, 2000 ; Brown et Duguid, 2001 ; Vaast, 2002 ; Michaux, 2005 ; Collard et Raulet-

Croset, 2006 ; Mebarki , 2009), convergent vers l’idée que la théorie des CP offre un cadre

d’analyse extrêmement proche et conforme à celui des théories de l’« action située » (que l’on

trouve aussi sous le nom de « cognition située »).

Plus précisément, ces auteurs identifient les réflexions de Wenger dans une perspective qui se

présente, selon Grison (2004) et Rogalski (2004), comme une branche du courant de l’action

située. Il s’agit de la perspective de l’« apprentissage situé».

Etant donné que Wenger présente sa théorie comme une théorie de sociale de l’apprentissage,

et vu l’importance de son ancrage dans la perspective de l’apprentissage situé, nous allons

présenter la théorie de l’«action située » et développer davantage la perspective de

l’« apprentissage situé » dans la section suivante.

Avant de passer à cette partie suivante, il nous semble intéressant de s’arrêter un peu sur ce

positionnement théorique de Wenger, que nous trouvons à la fois riche et vague. Il est riche

car ces théories renseignent sur des cadres conceptuels permettant une analyse plus fine des

différents concepts mobilisés dans la théorie des CP, et offrent un modèle d’analyse et des

idées sur le positionnement méthodologique de l’auteur dans sa démarche. En revanche, il est

vague, dans le sens où l’auteur lui même se reconnaît dans plusieurs champs théoriques tout

31

en entretenant un flou permanent autour de son affiliation. N’hésitant pas à user d’un style de

démarquage à chaque fois qu’il nous renvoie vers une de ses sources d’inspiration,

notamment des plus radicales d’entres elles, il donne l’impression que la théorie des CP

nécessite et offre une réflexion plus large que ce que proposent les théories auxquelles il a fait

référence. Dès lors, on est tenté de dire que l’approche théorique que propose Wenger pourrait

se révéler comme une approche pertinente pour analyser les sujets qui constituent le cœur de

ces théories. En d’autres termes, il serait intéressant d’interroger la possibilité d’étudier

l’identité, la structure, la pratique et l’action située à travers le concept de CP.

Bien qu’il se situe au croisement de ces théories, ce qui signifie qu’il reste prudent en

s’éloignant des extrémités et en accordant une importance relativement équivalente aux

différents courants, et à l’instar de ce que pensent les chercheurs cités ci-dessus, nous

pensons, -et comme nous allons le voir plus loin dans la partie suivante-, que sa source

d’inspiration la plus importante réside dans sa collaboration avec Lave (1991) sur le sujet de

l’apprentissage situé à travers la théorie de LPP .

2. Les théories de l’apprentissage et la perspective de l’« apprentissage

situé »

Les auteurs s’intéressant à cette perspective de l’apprentissage situé ont exprimé dans leurs

écrits qu’ils devaient beaucoup aux travaux de Lave (cognition in practice, 1988), mais les

travaux ayant posé les premiers principes de cette perspective sont ceux de Brown, Colins et

Duguid (Cognition and the Culture of Learning, 1989) et Lave et Wenger (Situated Learning

LPP, 1991). Dans ces travaux, les auteurs refusent catégoriquement l’idée de séparer la

connaissance du contexte dans lequel elle a été élaborée, allant même jusqu’à suggérer de

repenser l'organisation de la scolarité, car, selon eux, la forme d’éducation est fondée sur des

allégations donnant la connaissance comme pouvant être décontextualisée (Brown et al.,

1989 ; Lave et Wenger, 1991). A partir de ce statut conféré à la connaissance, ces auteurs

présentent l’apprentissage comme un processus survenant au cours de l’action et en situation

d’interaction, et qui s’inscrit dans la culture et l’histoire. C’est cette conception de

l’apprentissage qui est reprise par Wenger (1998), en insistant sur l’idée que :

« l’apprentissage est avant tout un acte social, car le concept de pratique est associé à faire,

pas strictement en tant que tel, mais faire dans un contexte historique et social qui donne une

32

structure et une signification à ce qu’on accomplit » (ibid., p.53). Ainsi, dans cette

perspective, on est amené à considérer l’apprentissage comme un processus dépendant des

conditions dans lesquelles il est constitué, ce qui revient à admettre que le raisonnement

humain ne peut être appréhendé hors contexte.

Avant de développer davantage cette perspective donnant l’apprentissage comme un acte

situé, et étant donné que la théorie des CP est avant tout une théorie de l’apprentissage, nous

avons jugé qu’un rappel des principales théories de l’apprentissage s’impose. Nous allons

exposer alors les différentes visions déjà existantes à propos de cet acte, et à l’occasion, nous

tenterons de déceler les différences ainsi que les similitudes partagées entre chacun de ces

paradigmes et la perspective située de l’apprentissage.

2.1 Les paradigmes dominants des théories de l’apprentissage

Le phénomène de l’apprentissage est, sans doute, un des sujets ayant fait l’objet de plusieurs

recherches relevant de disciplines très diverses. Ce grand nombre de travaux a permis

l’élaboration de différentes théories, dans le sens où chacune d’entre-elles met l’accent sur un

élément particulier lui conférant ainsi une dimension, de facto, incomplète. C’est ce qu’a

conduit les auteurs (McMahon 1997; Dubois et Dagau, 1999; Hung, 2001 ; Labédie et

Amossé, 2001 ; Barnier, 2002; Rogalski, 2004) à les considérer comme complémentaires pour

penser une problématique aussi compliquée que l’apprentissage. En retour, les résultats

produits ont eu des répercussions tangibles et très significatives sur les pratiques

d’enseignement, et de manière plus générale, dans les domaines de la transmission des

connaissances.

Le paragraphe qui suit fait donc état d’un bref rappel des paradigmes les plus dominants des

théories de l’apprentissage, tels qu’ils sont abordés usuellement par les travaux de recherche

que nous avons parcourus. Il s’agit du behaviorisme, le cognitivisme, le constructivisme et le

socioconstructivisme7.

7 Nous parlerons un peu plus des deux derniers paradigmes (comparés aux deux premiers) car nous les estimons plus appropriés pour développer les idées que nous aurons à évoquer dans cette thèse.

33

2.1.1. Le paradigme béhavioriste8

Comme le souligne Hung (2001), fondamentalement, le modèle behavioriste

(comportementaliste) est dérivé de la théorie de Skinner, selon qui, l’apprenant est

conditionné à répondre sur la base d’un stimulus extérieur. Ce paradigme envisage d’étudier

tous les comportements et toutes les émotions uniquement sous l'angle de réponses

comportementales à des stimulus extérieurs, sans considérer les processus mentaux (internes).

Cela dit, les behavioristes considèrent les structures mentales comme une boîte noire (black

box) à laquelle on n'a pas accès, et qu'il est donc plus réaliste et efficace de s'intéresser au

comportement observable9 (McMahon, 1997; Dubois et Dagau, 1999). Pour justifier sa thèse,

Skinner s’appuie, entre autres, sur des arguments relatifs à la faisabilité de son approche :

« Puisqu’il n'est pas possible de prouver, avec les procédures scientifiques, les processus

internes disponibles, les chercheurs devraient plutôt se concentrer sur ‘‘les relations de

cause à effet’’ qui pourraient être établies par l'observation (Hung 2001, p.282), (traduction

personnelle).

Ce modèle présente l’apprentissage comme une modification du comportement observable,

s’effectuant par échelons successifs. Le passage d’un niveau de connaissance à un autre

s’opère par le renforcement (reinforcement) positif des connections stimulus-réponse. Ainsi,

en élaborant des paliers aussi petits que possible, on accroît la fréquence des renforcements

tout en réduisant au minimum l’éventuel caractère aversif des erreurs (Dubois et Dagau,

1999). De ce fait, Skinner pense qu’en organisant de manière appropriée les possibilités de

renforcement, des comportements bien définis peuvent être établis et contrôlés par des

systèmes de stimuli10 (Hung, 2001 ; Barnier, 2002).

Pour finir, on note que les behavioristes accordent à la connaissance le statut d’une réalité

externe objective (Basque et al., 1998), ce qui revient à dire qu’elle est indépendante du

contexte (McMahon, 1997).

8 D’après Barnier (2002), avec le behaviorisme - terme créé en 1913 par l'américain Watson à partir du mot behavior signifiant comportement - la psychologie est devenue la science du comportement. 9 Pour Wenger (1998), cette théorie est particulièrement utile dans le cas où il est impossible ou non pertinent d’aborder les questions de significations sociales telles que les dysfonctionnements graves. 10 Selon Hung (2001), les limites de ce modèle ont apparues lorsque Tolman (s’intéressant au behaviorisme dans un cadre plus large) met au jour ses résultats expérimentaux sur les rats, affirmant que ces derniers établissent des modèles ou des « représentations » de leur environnement. Ce constat a constitué le point de départ de la théorie cognitiviste.

34

2.1.2. Le paradigme cognitiviste

Le mot cognition, d’après l’utilisation qui en est faite par de nombreux auteurs, renvoie à une

fonction multiple incluant à la fois l'ensemble des connaissances et les processus qui

permettent leur apprentissage et leur manipulation.

Les théoriciens de l’apprentissage présentent le paradigme cognitiviste comme un courant

opposé au behaviorisme puisqu’il cherche à mettre en lumière les processus internes de

l’apprentissage. En effet, ce paradigme porte sur les structures cognitives intrinsèques et

appréhende l’esprit humain comme un processus de traitement des informations, similaire au

modèle du fonctionnement de l’ordinateur. L’esprit humain est alors considéré comme un

processus qui acquiert des informations provenant de l’extérieur, les reconnaît, les stocke dans

la mémoire du cerveau, puis les récupère à partir de cette mémoire pour les utiliser

ultérieurement afin de résoudre les problèmes rencontrés dans son environnement (Anderson

et al. 1996; Rogalski, 2004; Wenger, 1998; Hung, 2001). Les travaux les plus avancés dans

ce champ (Winograd et Flores, 1986) conçoivent l’esprit humain davantage comme un

processus de manipulation des représentations (Hung, 2001).

En matière d’apprentissage, ce courant stipule que l'appareil cognitif est supposé absorber les

connaissances grâce à la transmission. La transmission, comme moyen d’apprentissage,

pourrait être légitime au vu du statut prêté à la connaissance dans ce paradigme, qui la définit

comme une réalité externe objective que l’apprenant doit intégrer à ses schémas mentaux

(Basque et al., 1998).

Parmi les principes cognitivistes les plus évoqués par les auteurs, on peut citer les idées que :

- les processus cognitifs s’appuient sur les récepteurs sensoriels et font appel aux différentes

formes de la mémoire (mémoire à court et long terme),

- les représentations sont préexistantes et le fonctionnement du système cognitif repose sur

des itérations réglées sur ces représentations symboliques préétablies.

- pour mobiliser ses connaissances, l’apprenant se rappelle des stratégies, des règles et

modèles qu’il avaient déjà appris auparavant.

Notons que pour Wenger (1998), l’intérêt pédagogique de cette théorie s’articule autour du

traitement et de la transmission d’information par la communication, l’explicitation, la

recombinaison, l’opposition, l’inférence et la résolution des problèmes.

Le développement des recherches dans le domaine de la cognition a remis en question

certains préceptes de ce paradigme, notamment au niveau du statut de la connaissance et le

35

processus de son élaboration et transmission. En effet, la connaissance est présentée par les

cognitivistes comme une réalité objective indépendante du sujet et du contexte dans lequel a

été élaborée. Cela dit, ce paradigme n’a pas considéré l’hypothèse selon laquelle, l’apprenant

interprète et attribue un sens à ses expériences, lui permettant de ce fait de construire ses

propres connaissances. C’est ce que défend les thèses constructivistes initiées par les travaux

de Piaget (1960).

2.1.3. Le paradigme constructiviste

Les thèses constructivistes initiées par les travaux de Piaget (1960) mettent l’accent sur les

processus par lesquels les apprenants construisent leurs propres structures mentales en

interaction avec l’environnement. Afin de le situer vis-à-vis du paradigme cognitiviste,

McMahon (1997) déclare que « le constructivisme va au delà de l’étude sur la façon dont le

cerveau enregistre et récupère l’information, il examine les manières dont les apprenants

mettent une signification à leur expérience. Il présente l’apprentissage comme un processus

interne d’interprétation plutôt qu’un processus de transmission de la connaissance» (ibid. p.

3) (traduction personnelle). De leur côté, et toujours dans cette optique de comparaison entre

les deux paradigmes, Basque et al. (1998) montrent que l'approche constructiviste reconnaît,

comme l’approche cognitiviste, que l'apprentissage est une activité mentale, mais la

distinction s’opère au niveau des prémisses philosophiques : Pour les constructivistes, il

n'existe pas de réalité externe objective, comme le soutiennent les thèses cognitivistes.

En effet, les tenants du courant constructiviste insistent sur l’idée que les connaissances sont

crées par les apprenants à travers leurs interprétations du monde suite à leurs expériences

passées et en interaction avec l’environnement. De ce fait, on attribue à l’apprenant des

capacités réflexives qui lui permettent d’interpréter l’environnement, faisant de lui ainsi un

être actif dans la construction de ses connaissances.

Pour poser sa théorie, Piaget s’appuie sur les concepts d'accommodation et d’assimilation,

présentés comme deux processus complémentaires, quoique, leurs confrontation aboutit

également à un « conflit cognitif ». C’est ce conflit qui incite l’apprenant à trouver l’équilibre

ou l’équilibration (par des réajustements, des structurations et restructuration des

connaissances, etc.) afin de résoudre les problèmes rencontrés dans les situations (Dubois et

Dagau, 1991; Mc Mahon, 1997; Labédie et Amossé, 2001; Barnier, 2002). Ainsi, les auteurs

s’accordent pour considérer cette dialectique (conflit cognitif) comme la base de la pédagogie

constructiviste, en favorisant l’apprentissage à travers la confrontation de l’apprenant à son

environnement (situation ou problème), ce qui déclencherait chez lui un déséquilibre entre ce

36

qu’il sait déjà et ce qu’il vient de recevoir comme connaissances, l’incitant ainsi à la

recherche et le développement de nouveaux savoirs et les restructurations des connaissances

déjà existantes. De ce fait, l'apprentissage se présente comme un processus actif de la

construction plutôt que d'acquisition des connaissances (Hung, 2001).

Suivant cette logique, et pour revenir sur le statut de la connaissance auquel nous avons fait

allusion dans le premier paragraphe (pour les constructivistes il n'existe pas de réalité externe

objective contrairement à la vision des cognitivistes), il est donc passé à celui prétendant que

les significations émises par une personne sont considérées comme étant indissociables de sa

propre interprétation. En d’autres termes, la connaissance est construite dans la tête de chaque

individu (Basque et al., 1998; Barnier, 2002).

De sont côté, Wenger (1998) estime que l’intérêt pédagogique de cette théorie est qu’elle

donne une place très importante aux tâches et elle fait jouer un rôle majeur aux activités

concrètes, gérées de façon autonomes et orientées vers la conception et la découverte.

Comme nous pouvons le comprendre dans cette présentation, les préceptes de ce paradigme

ont mis en avant le rôle que joue l’acteur dans la construction de la connaissance, donnant

ainsi un caractère actif au processus de l’apprentissage chez ce dernier. Cependant,

l’environnement dans lequel l’individu évolue et construit ses connaissances n’est pas abordé

ici dans toute sa complexité, en négligeant notamment le contexte socioculturel qui caractérise

cet environnement. Ce contexte peut influencer considérablement les perceptions des

individus et donc les processus d’apprentissage et de construction des connaissances chez ces

derniers. C’est ce que défend les tenants du paradigme socioconstructiviste, initié par les

travaux de Vygotsky (1978), estimant que la connaissance ne peut être réduite à une

construction individuelle, car l’individu est influencé par son contexte socioculturel, donnant

ainsi à la connaissance un statut de construction sociale.

2.1.4. Le paradigme socioconstructiviste

Dans la plupart des travaux portant sur le ce paradigme initié par Vygotsky (1978) (Dubois et

Dagau, 1991; McMahon, 1997; Hung, 2001; Kim, 2001), le constructivisme constitue la base

du socioconstructivisme. Cela semble assez logique puisque le socioconstructivisme vient

enrichir les apports du constructivisme en introduisant une dimension, jusque là négligée par

ce dernier : l’influence du contexte social et culturel dans la construction des connaissances.

Dès lors, on parle de construction sociale de la connaissance. Pour illustrer le passage entre

les deux paradigmes, Hung (2001) résume : «là où le constructivisme met en avant la

37

cognition comme une activité individuelle et ‘dans la tête’, le social constructivisme

(socioconstructivisme) se concentre davantage sur la connaissance socialement construite

‘dans le monde’ » (p. 283) (traduction personnelle). Cela dit, cet auteur attire notre attention

sur le fait que le constructivisme chez Vygostky est marqué par l’appellation « social-

constructivisme » car il souligne l’importance de l’interaction avec les autres dans le

processus de développement de la connaissance.

En effet, certaines interprétations du courant constructiviste estiment que l’accent n’est pas

mis sur les interactions de l'individu avec l'environnement, (ni avec les autres), mais plus sur

la façon dont l'esprit l’appréhende et l’interprète pour y faire face. On comprend alors que les

orientations sociales du constructivisme cherchent à expliquer le rôle que les interactions

sociales jouent dans le développement cognitif, dépassant de ce fait le niveau intra-personnel

défendu par les constructivistes, pour examiner le niveau interpersonnel. Autrement dit, la

construction de la connaissance, bien qu’elle soit personnelle, s’élabore dans un cadre

culturel et social, ce qui revient à dire que l’empreinte des autres est omniprésente.

Ainsi, pour les tenants de cette théorie, l’'apprentissage n'est pas un processus purement

interne, ni une mise en forme passive du comportement, mais une construction sociale,

transmise, selon Vigotsky, par la langue via le discours social (McMahon, 1997; Labédie et

Amossé, 2001; Kim, 2001). De ce point de vue, l’apprentissage est largement influencé par le

contexte dans lequel il se déroule, car il (l’apprentissage) n’a pas lieu seulement dans la tête

de l’apprenant, mais il est également façonné par des forces extérieures (McMahon, 1997;

Kim, 2001). Suivant cette logique, l’apprentissage devient significatif lorsque les individus

sont engagés dans des activités sociales, en interagissant avec les autres, afin que chacun

échange ce qu’il pense avec ce que les autres apportent en termes de connaissances.

Cette perspective de l’apprentissage chez Vygotsky met en lumière un nouveau statut de la

connaissance, la donnant à la fois, comme dépendante de l’interprétation subjective

(construction) de l’apprenant et le produit de l’interaction avec les autres. Ceci dit, la

connaissance serait construite via un double processus, ou plutôt, une confrontation des deux.

En effet, et pour mieux expliciter ce phénomène, Labédie et Amossé (2001) rapportent que les

travaux de Doise et Mugny (1981) (prolongeant la réflexion de Vigotsky) ont mis en avant le

concept de « conflit sociocognitif », estimant que l'interaction sociale est constructive dans la

mesure où elle introduit une confrontation entre les conceptions divergentes. C’est ce qui

déclencherait un premier déséquilibre interindividuel au sein des participants du fait que

chaque individu prend conscience de sa propre pensée par rapport à celle des autres. Et le

deuxième déséquilibre de nature intra-individuelle vient du fait que l’individu reconsidérera

38

ses propres représentations (une action qui relève de la métacognition11), et celles des autres

afin de reconstruire un nouveau savoir (Labédie et Amossé, 2001; Barnier, 2002). En d’autres

termes, et selon certains auteurs (Brousseau, Gily et Rivière, in Dubois et Dagau, 1991) il y a

confrontation entre deux types de connaissances : intra-personnelles (subjectives) et

interpersonnelles (objectives). Ces deux formes de connaissances sont envisagées dans un

cycle où chacune contribue au renouveau de l'autre : en allant d'une connaissance

« subjective » (après interaction) vers une connaissance « objective » (acceptée socialement),

qui sera à son tour, intériorisée par l’apprenant afin de construire une nouvelle connaissance

subjective.

Ce débat concernant la question de la direction (entre les niveaux individuels et collectifs)

permettant la construction de la connaissance, prolonge la réflexion de Vygotsky (1978) qu’il

l’a initié au travers de son fameux concept de « zone of proximal development (ZPD) » (Zone

Proximale de Développement12).

Cette ZPD est définie par Vygotsky (1978) comme « la distance entre le niveau de

développement actuel chez l’enfant, tel que l’on peut le déterminer à travers sa capacité à

résoudre les problèmes seul et le niveau de développement potentiel, tel que l’on peut le

déterminer à travers la façon dont l’enfant résout les problèmes avec l’assistance d’un adulte

ou des pairs plus avancés » [in Mc Mahon, 1997] (traduction personnelle)13. L’idée

développée par Vygotsky (1978) à travers ce concept stipule que cette zone se forme entre la

situation où le sujet apprend tout seul à réaliser une fonction et celle où il le fait avec l’aide

d’une autre personne. Ceci favorise l'apprentissage en provoquant l'émergence de processus

évolutifs d’acquisition de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences chez l’apprenant.

Ainsi, et comme le souligne Barnier (2002), à la distinction entre le niveau de ce que le sujet

est capable de réaliser seul et celui qu'il est capable d'atteindre avec l'aide d'un adulte ou d'un

11 La métacognition est un domaine qui regroupe les connaissances introspectives et conscientes qu´un individu particulier a de ses propres états et processus cognitifs; les capacités de cet individu à contrôler délibérément et planifier ses propres processus cognitifs en vue de la réalisation d´un but ou d´un objectif déterminé. Gombert (1990). 12 Ceci étant la traduction que l’on rencontre généralement dans la plupart des travaux francophones. Cependant, on trouve chez Barnier (2002) l’expression de « zone de prochain développement » qui nous semble plus cohérente pour appréhender l’idée véhiculée à travers ce concept. D’après nos différentes lectures autour de ce concept, nous avons compris que l’adjectif « prochain » concerne plutôt le « développement » (dans le sens de « développement de nouveaux savoirs » , donc, des « prochains savoirs »), et non la zone dans laquelle il se déroule ce développement. 13 Vygotsky defined the ZPD as “the distance between the child’s ‘actual development level as determined by independent problem solving’ and the higher level of ‘potential development as determined through problem solving’ under adult guidance or in collaboration with more capable peers” (Vygotsky, 1978, p. 86) (McMahon, , 1997).

39

pair, Vygotsky (1978) ajoute l'idée que l’apprenant saura bientôt faire tout seul ce qu'il

parvient actuellement à réaliser avec l'aide des autres.

C’est ainsi, et pour revenir au débat amorcé plus haut, que Vygotsky (1978) a permis de

définir une nouvelle articulation entre le développement et l’apprentissage, à travers la

direction que prend la connaissance entre les niveaux individuels et collectifs, soutenant l’idée

que la vraie direction du développement ne va pas de l'individuel au social, mais du social à

l'individuel (Hung 2001; Dubois et Dagau, 1991 ; Labédie et Amossé, 2001 ; Barnier, 2002).

A la lumière de ce que nous venons de voir, et sans vouloir approfondir le débat entre le

constructivisme et le socioconstructivisme, on peut conclure qu’en conférant une dimension

sociale aux processus cognitifs, le socioconstructiviste considère que le « conflit cognitif »

(intra-individuel) défendu par Piaget devrait être appréhendé en prenant en compte le cadre

social dans lequel il se situe et qu’il exerce (suite aux interactions avec les autres)

inéluctablement une influence sur son mécanisme, ce qui fait que la construction de la

connaissance passe par un conflit (plus large) « sociocognitif » faisant de la connaissance une

construction sociale et non purement individuelle.

Pour conclure la présentation que nous venons de faire des quatre paradigmes dominants dans

l’histoire des théories de l’apprentissage, que l’on peut d’ailleurs présenter sur un continuum

vu l’ordre chronologique de leur introduction par leurs initiateurs, on peut constater que les

trois derniers paradigmes (cognitivisme, constructivisme et socioconstructivisme) partagent

des points en commun, à commencer par le fait qu’ils se différencient sensiblement du

béhaviorisme qui s’est limité, dans son approche, aux résultats de l’apprentissage uniquement

observables à travers le comportement (sans s’intéresser aux structures mentales qu’il

considère comme une boite noire). En d’autres termes, ce point en commun illustre la volonté

des tenants de ces trois paradigmes d’expliquer le fonctionnement des structures mentales, en

présentant des didactiques variées qui se suivent, sans que les dernières négligent, ou encore

moins, nient les apports de celles qui les précèdent.

Ce articulation n’empêchera pas les divergences, tant au niveau du statut et de la conception

de la connaissance, que celui des processus d’apprentissage provoqués, qui par conséquent, se

traduisent par la prise en compte de certaines variables pédagogiques.

40

Pour se rappeler des différentes logiques présentées dans ces théories, le tableau de Hung

(2001) (Summary of theories of learning with examples)14 ci-dessous résume de manière très

brève les différents principes de ces paradigmes.

Tableau 1. Résumé des théories de l’apprentissage (Hung 2001, p. 283)

Theories Principles Examples

Behaviourism Stimulus and response - Students remember and respond (change in overt behaviour due to conditioning) - Teachers present and provide for practice and feedback

e.g. 8*5 = 40

Cognitivism Information transmission and processing - Students remember strategies, rules and patterns - Teachers plan for cognitive learning strategies

e.g. 8*5 equals 5*8 = 40; or n*1=n

Constructivism Personal discovery of knowledge – Discover relationships between concepts, e.g. addition and subtraction – Teachers provide instructional context for

active and self-regulated students

e.g. 8*5=8+8+8+8+8

Social

constructivism

Learning is a social construction, mediated by different perspectives - Through authentic projects, students discuss and discover meanings, e.g. concept of multiplication - Teachers provide for facilitation and scaffolds among the students

e.g. two job offers; same salary: Option 1: 8 hrs/day for six days/week Option 2: 9 hrs/day for five

days/week

2.2. La perspective de l’« apprentissage situé »

Comme nous l’avons avancé, l’approche de l’« apprentissage situé » reprend les principes de

la théorie de l’« action située » défendue notamment par Suchman (1987). Il est à noter que

cette théorie est également citée sous la dénomination « cognition située » (ce qui

concorderait avec la terminologie utilisée en matière d’apprentissage, comme nous pouvons le

remarquer dans la présentation précédente). En fait, les deux appellations sont utilisées par les

adeptes de cette théorie comme des expressions identiques. Bien que cet usage ne soit pas

systématiquement justifié par les auteurs (ça ne semble pas être une préoccupation, en tous

cas dans leurs travaux, y compris dans ceux se réclamant de cette théorie), et sans rentrer dans 14 Nous avons préféré le restituer sous sa forme originale (en anglais).

41

ce débat qui s’éloigne de la problématique qui nous intéresse ici, nous pensons que c’est dû au

fait que les adeptes de cette théorie, notamment les radicaux (Suchman) défendent l’idée que

la cognition se construirait entièrement dans l’action située, donc la cognition renvoie de

facto à l’action située. De son côté, Grison (2004) (dans un renvoi en note de bas de page),

nous apporte une information concernant cet usage des deux locutions, ou plutôt, l’évolution

de cet usage, en précisant : « à la suite de la publication du numéro de 1993 de Cognitive

Science, l'habitude d'utiliser « action située » et « cognition située » comme des expressions

synonymes s'est répandue, ce qui n'était pas le cas auparavant ». (ibid. p. 28).

2.2.1 Les préceptes de la théorie de l’« action située »

Dans le domaine des sciences cognitives, la théorie de l’« action située » représente une

approche plus récente et distincte de l’approche traditionnelle qui est le « traitement

symbolique » (cognitivisme) de Vera and Simon (Norman, 1993). Selon cet auteur, la théorie

de l’action située, connue également sous le nom de la « cognition située », souligne le rôle de

l'environnement, le contexte, le contexte social et culturel, et les situations dans lesquelles les

acteurs se retrouvent15. Dès lors, on peut comprendre qu’elle se présente comme une théorie

plus soucieuse et intégratrice de la situation dans l’appréhension des activités des personnes.

Cette approche a connu depuis la fin des années 1980 une ampleur bien visible chez beaucoup

de théoriciens (Suchman 1987 ; Lave 1988 ; Brown et al, 1989 ; Girin 1990; Vermersch,

1994; Wenger 1998, Theureau, 2001; Journé, 2005; etc.) qui accordent un intérêt grandissant

aux concepts de « situation » et de « contexte » dans leurs études sur l’action, sur

l’apprentissage et sur les activités humaines de manière générale. Cet engouement pour

l’approche située s’est traduit par la consécration et l’édition de numéros spéciaux, aux USA

dans « Cognitive Sciences » titré : Cognition in the Head and in the World, introduit par

Norman, 1993) ; et en France, un numéro thématique de la revue « @ctivité », intitulé : «

Activité et Action / Cognition Située », sous la direction de P. Salembier, J. Theureau et M.

Relieu, 2004)16.

15 Dans le débat opposant les partisans de l’approche traditionnelle du traitement symbolique de l’information et celle de l’action située, Norman (1993) résume : « Les partisans de l'action située, au moins dans la caricature, ont tendance à mettre l'accent sur l'importance des influences historiques, les interactions sociales, la culture et l'environnement, et à minimiser l'importance de la cognition interne. Les partisans de l'approche symbolique traditionnelle, du moins dans la caricature, ont tendance à minimiser l'importance de ces facteurs externes, sociaux et historiques, et de souligner l'importance de la cognition interne » (Norman, 1993, p. 4) (traduction personnelle ). 16 Ce numéro a pour origine l’organisation d’un atelier de recherche dans le cadre du XXXVIIème congrès de la SELF (Société d’Ergonomie de Langue Française) et qui était consacré à l’influence du courant de

42

Pour Theureau (2001, 2004), cette théorie s’est imposée pour l’analyse de l’activité, plus

profondément, elle propose comme alternative au cognitivisme (le paradigme de “l’homme

comme système de traitement de l’information’’), une approche qui fait appel aux autres

ressources que sont les caractéristiques matérielles, sociales et culturelles de son

environnement.

Un tel attrait pour situer l’action est largement influencé par les travaux de Suchman17 (1987),

qui a mis en avant, entre autres, l’argument qui fait état de l’incomplétude des représentations

internes dans la détermination des actions, en estimant que « les actions humaines sont loin

d’être contrôlées et générées de bout en bout par des plans, c’est-à-dire des représentations

internes qui spécifieraient intégralement les différentes étapes de leur réalisation ; l’ordre

concret de l’action ne peut jamais être déterminé à l’avance » (Suchman (1987)18, [in

Salembier et al., 2001]. Dès lors, on peut comprendre que l’individu pose sa réflexion en

cours d’action sur la situation ou le contexte dans lequel il immerge et non sur des plans

d’action préétablis.

D’après Salembier et al. (2001), « les caractéristiques environnementales de la situation où se

déroule l’action peuvent changer à tout moment, pour s’y adapter, les individus ajustent alors

de manière ad hoc et improvisée leurs actions aux nouvelles circonstances

environnementales » (ibid., p. 2). Dans une optique similaire, Journé (2005) attribue à la

situation ou au contexte le statut de «ressource cognitive » pour rendre compte de l’ampleur

du rôle que joue la situation en conduisant (obligeant) l’acteur à mobiliser les caractéristiques

de cette dernière pour réaliser ses actions.

Ainsi, on est amené à retenir dans le cadre de l’étude de l’action, que la conception de la

situation ne peut être réduite à celle d’un facteur passif, mais bien au contraire, une resource,

un ensemble de caractéristiques influençant l’individu dans ses réflexions, en modifiant ses l’action/cognition située sur la tradition de l’analyse de l’activité en ergonomie. Il rassemble, sous une forme révisée et étendue, une partie des présentations données à cette occasion, complétées par d’autres contributions. 17 D’après Relieu et al. (2004), la notion d'action située avait une histoire dans la sociologie interactionniste (Mills, 1940 ; Goffman, 1959). Un des grands mérites de Suchman est d’avoir su produire une somme théorique cohérente. On peut dire que c’est cette somme théorique qui a le mieux synthétisé l’hypothèse de l’ «action située». 18 Dans son travail “Plans and situated actions : the problem of human-machine communication” publié en 1987, le cas étudié est celui de l’interaction avec une photocopieuse Xerox : La machine dit ce qu’il faut faire, et les gens sont censés le faire. Le constat émis par l’auteur stipule que l’utilisateur, loin de suivre une procédure ou un plan, il est toujours en train de réinterpréter la situation sur la base de la situation dynamique, et base ses comportements en fonction de ces interprétations et de leurs évolutions. Il se trouve toujours dans une boucle réciproque d’interprétation, utilisant les instructions pour donner un sens à l’environnement, et l’environnement pour donner un sens aux instructions. La procédure (ou le plan) est seulement un modèle heuristique, un aide-mémoire (Relieu et al., 2004).

43

plans afin de s’y adapter à tout moment. Ceci dit, la prise en compte du contexte dans la

compréhension d'une action semble être un élément incontournable pour cette théorie, car

toute action est définie comme située matériellement, culturellement et socialement, et sa

réalisation dépend étroitement des circonstances dans lesquelles elle se déroule. D’où l’intérêt

d’examiner, au delà de ce qui est suggéré par la pensée cognitiviste (consistant à l’étude de

l’utilisation des plans, de l'application d'une batterie de méthodes rationnelles, standardisées et

prédéfinies pour réaliser une tâche), comment l’individu exploite son environnement pour la

réalisation de l’activité et comment les plans initiaux sont, reproduits, modifiés ou inventés

en cours d’action.

Répondre à ces questionnements nécessite incontestablement une méthode particulière

permettant de tenir en compte du caractère situé de l’action. De manière assez logique

l’influence de ces courants va aller au delà des raisonnements théoriques pour atteindre les

approches méthodologiques, où l’inspection et la description du contexte est d’autant

important que la description de l’action qui s’y déroule. Ce qui a conduit les auteurs qu’on

vient de citer jusqu’ici à se positionner épistémologiquement dans ce courant situationniste

qui permet une investigation plus complète de l’activité humaine, et développer divers outils

(observation in situ, analyse des conversations, auto-confrontation simple et croisée,

entretiens d’explicitation19, etc.) pour appréhender l’action en situation.

Cependant, il est à préciser que dans la plupart des travaux relevant de l’approche située,

l’identification de la « situation » (ou du « contexte »20) n’a pas constitué une unité d’analyse

excluant l’action, et comme le souligne Grison (2004) pour les approches postérieures aux

courants « classiques » de la cognition située, la question de la définition du contexte ne se

pose plus, puisque ces modèles postulent une co-détermination de l'action et de la situation.

En effet, dans plusieurs travaux se réclamant de près ou de loin de l’approche situationniste (à

l’instar de Lave (1988) étudiant des tailleurs libériens ; Lave et Wenger (1991) s’intéressant

aux sages-femmes, etc.; Orr (1996) décrivant les conversations entre deux utilisateurs d’un

photocopieur. Ou encore, Vaast, (2002) racontant le déroulement d’une journée dans son

laboratoire de recherche, etc.), le contexte où se déroule l’activité faisant l’objet de l’étude,

bien qu’il a requis une sérieuse attention en mettant en exergue (généralement en ébauche de

l’étude) une description circonstanciée et bien fouillée de la situation en restituant ses

19 Nous revenons sur certains de ces outils dans le chapitre portant sur la méthodologie. 20 Notons que les termes « contexte » et « situation » sont évoqué dans les travaux parcourus comme des concepts synonymes. Nous les utiliserons donc tout au long de notre thèse comme des notions interchangeables.

44

moindres détails et spécificités, les empreintes socioculturelles de la situation n’ont pas été

écartées ou effacées de cette description, car comme nous l’avons déjà souligné, le contexte

n’est pas seulement une affaire d’objets matériels, il est bien marqué par des caractéristiques

sociales et culturelles de l’activité humaine qui s’y déroule et qui le façonne en même temps.

De ce fait, pour rendre compte d’une situation, on peut par exemple se référer au concept

d’«agencement organisationnel» de Girin (1995), désignant un composite de ressources

hétérogènes, faites d’objets techniques, d’hommes et de règles de l’action située (Journé,

2005).

En résumé, pour les adeptes de cette théorie, l’action et le contexte apparaissent comme deux

variables indissociables car l’appréhension de l’action nécessite l’inventaire des éléments

caractérisant la situation qui héberge, quant à l’explication de ladite situation, cela requiert un

rappel des actions passées et présentes qui ont amené son paysage à se présenter tel qu’il est

au moment ou a posteriori du déroulement de l’action.

Ainsi, on vient de présenter les préceptes et les grandes lignes de l’approche de l’action située

qui présente, comme nous l’avons déjà annoncé, le socle de la perspective située de

l’apprentissage (Brown et al., 1989 ; Chanal, 2000 ; Hung, 2001 ; Grion, 2004 ; Rogalski,

2004 ; etc.). En effet, dans sa présentation remarquable et bien fouillée de l’approche de

l’ « action située », Grison (2004) rapporte que le courant de l’« apprentissage situé »

constitue un des courants dissociables de l’action située, aux côtés du courant de l'« action

située » originelle et celui de la « cognition distribuée »21, estimant que ces trois courants

historiques fondamentaux constituant l’origine de la majorité des formes actuelles de l’action

située.

2.2.2 Les préceptes de la théorie de l’« apprentissage situé »

Pour rendre compte de la thèse défendue par les adeptes de ce courant et les apports qui en

découlent, nous allons structurer cette sous-section en commençant par une rétrospective des

travaux précurseurs et les résultats qui y ont été dégagés. Puis, nous développerons les

principes de ce courant qui présentent, à notre sens, les caractéristiques essentielles de cette

perspective, en abordant le concept de Legitimate Peripheral Participation (LPP) de Lave et

Wenger (1991) étant donné qu’il est initialement le vecteur de la théorie des la CP. Enfin,

21 Pour plus de détails concernant ces deux courants, cf. B. Grison, 2004 ; « Des Sciences Sociales à l’Anthropologie Cognitive. Les généalogies de la Cognition Située ».

45

nous évoquerons quelques éléments concernant les liens qui pourraient exister entre cette

perspective et les paradigmes les plus dominant des théories de l’apprentissage.

2.2.2.1 Rétrospective des travaux précurseurs de la perspective de l’ « apprentissage

situé » : de Cole (1971) à Lave et Wenger (1991).

Dans les travaux que nous avons parcourus à propos de cette perspective, Jean Lave

(Cognition in Practice: Mind, mathematics, and culture in everyday life, 1988) apparaît

comme l’auteur pionnier de cette perspective située, voire même la plus radicale si on se

réfère à Grison (2004) qui la présente comme auteur « localiste » (situationniste) jusqu'au

bout. Par ailleurs, d’autres travaux sont régulièrement cités dès qu’il est question d’appuyer

des idées situationnistes de l’apprentissage : Il s’agit notamment de Brown, Collins et Duguid

(Situated Cognition and the Culture of Learning, 1989)22 et Lave et Wenger (Situated

Learning : Legitimate Peripheral Participation, 1991).

D’après certains auteurs (Brown et al., 1989 ; Béguin et Clot, 2004 ; Theureau, 2004 ; Grison,

2004 ; Rogalski, 2004), l’anthropologue J. Lave a déjà amorcé cette vision de l’apprentissage

à travers ses travaux interculturels (1984) menés sous l’impulsion des recherches du

psychologue Michael Cole dans les années 1960, sur l' « ethnomathématique » et l'effet de

l’école23 sur les formes de raisonnement. Dans ce champ d’étude, certains travaux sont

présentés comme des références incontournables de l’approche située de l’apprentissage. Ci-

dessous une petite synthèse des travaux les plus évoqués dans ce domaine :

- Cole et al. (1971) ont mené leurs recherches auprès des enfants Kpelle du Libéria, (les

Kpelle sont les « maîtres de la mesure du riz » disent ces chercheurs). Ils nous informent

que ces enfants présentent une capacité de performances arithmétiques surprenantes

dans le cadre de la vie quotidienne, en utilisant dans leur méthodes de calcul des

cailloux comme seul matériau. C’est une méthode étroitement liée à la pratique

professionnelle car ces enfants peuvent avoir des difficultés à solutionner un problème

scolaire de même niveau.

- Dans une optique similaire Scribner (1984) a observé les méthodes d'inventaire utilisées

par les distributeurs de lait d’une compagnie américaine. Elle note que ces laitiers

utilisent la représentation conceptuelle des positions des casiers qu'ils doivent remplir ou

22 Dans cet article, et comme le souligne Herrington and Oliver (1995), les auteurs ont exprimé une dette profonde à Jean Lave, dont le travail a contribué à fournir la base de recherche pour la théorie. 23 C’est cet intérêt porté à la scolarité qui fait que cette perspective est parfois citée chez certains comme un travail relevant des recherches sur la didactique.

46

vider presque comme un boulier élaboré. Ainsi, ces professionnels se servent

directement des outils issus de leur environnement pour effectuer des calculs très

complexes et résoudre des problèmes pratiques.

- En 1985, Carraher et Schliemann se sont intéressés aux enfants vendeurs de rues de

Recife (Brésil), où ils constatent de grandes différences dans leurs stratégies de calcul

professionnelles et celles utilisées sur les bancs de l'école : les méthodes arithmétiques

utilisés pendant leur activité commerciale, sont certes, très spécifiques (moins générales

que celles utilisées dans le cadre scolaire), mais elles représentent des heuristiques

personnelles parfaitement adéquates à leur activités.

- Miller et Gildea (1987) se sont penchés sur l'enseignement du vocabulaire chez les

enfants. Ils observent et décrivent comment les enfants apprennent dans le cadre de la

scolarité des mots à partir de définitions du dictionnaire et de phrases modèles. Puis, ils

ont comparé cette méthode avec la façon dont le vocabulaire est normalement acquis

hors de l'école, dans la vie quotidienne. Le résultat montre que la différence constatée

était très significative, à l’avantage de l’appréhension des mots dans le contexte d'une

communication ordinaire. Ils désignent ce processus comme extraordinairement rapide

et couronné de succès, par contraste à l’appréhension des mots à partir de définitions

abstraites et de phrases sorties de leurs contextes habituels (c’est à dire dans le cadre de

l’école), qu’ils qualifient d’ailleurs, de lent et généralement infructueux.

- De son côté, Lave a réalisé deux grandes études : la première (1988a) a comme sujet

des tailleurs Libériens de l'ethnie Vai, répartis en quatre groupes : scolarisés vs non

scolarisés ; experts vs novices. Ils sont confrontés à deux types de problèmes (traitant de

calcul des proportions), l’un des deux relève directement de leur pratique

professionnelle. Le résultat indiquait que la différence de performance (positive) de la

part des individus scolarisés s’enregistrait seulement au niveau des problèmes n’étant

pas lié à leur pratique professionnelle. Autrement dit, au niveau de l’exercice renvoyant

à leur pratique professionnelle, aucune différence n’a été enregistrée24. La seconde étude

(1988b) s’articule autour d'un groupe de Weight Watchers dont les participants préparent

soigneusement leurs aliments en se basant sur les estimations empiriques de quantités de

nourriture à l’aide de récipients alimentaires. A l’instar des résultat précédents, la

différence de performance résultant des effets de la scolarité n’a pas été significative.

24 Grison 2004 souligne, toutefois, qu’au niveau des résultats, les données statistiques, incomplètes, ne permettent pas une interprétation univoque.

47

- Lave et Wenger (1991) sont sortis un peu du cadre de l’arithmétique pour se pencher sur

les pratiques des groupes d’alcooliques anonymes, des sages-femmes yucatèques

(Mexique), des quartiers-maîtres de la marine US (Navy quartermasters) et des bouchers

dans les grandes surfaces. En combinant ces études avec celles effectuées en 1988, les

auteurs ont mis au jour le concept de « Legitimate Peripheral Participation (LPP) » (que

nous développeront avantage dans les paragraphes qui suivent) pour décrire

l’ « apprentissage situé » sous un aspect communautaire, en annonçant que

l’apprentissage se déroule dans une « communauté de pratique 25».

A partir de cette petite synthèse (plus précisément des travaux antérieurs aux années 1990), on

note deux points qui attirent notre attention et qui méritent, à notre sens, d’être dégagés :

Premier point : concernant les travaux réalisées, on constate que la démarche méthodologique

(globalement commune) mobilisée par les auteurs, consiste à réaliser des études comparatives

des pratiques quotidiennes de deux catégories de sujets, répartis en deux échantillons

représentatifs: les scolarisés et les non-scolarisés. Ces sujets sont mis (ou observés) face à des

problèmes de nature arithmétique (excepté l’étude de Miller et Gildea (1987)). Ainsi, on voit

bien que le raisonnement arithmétique se présente comme un objet particulièrement présent

dans ces études. C’est ce qui explique que Rogalski (2004) déclare à propos de l’émergence

de ce courant : « L’apprentissage situé est d’abord né — schématiquement dit — de la

rencontre entre le cadre proposé par la cognition située et des données de recherche sur des

pratiques quotidiennes, tout particulièrement dans des domaines usant de connaissances

mathématiques élémentaires (essentiellement sur le nombre et l’espace) » (ibid., p. 110).

Toutefois, il faut noter que d’autres travaux, à l’instar du cas Miller et Gildea (1987), Lave et

Wenger (1991), Orr (1996) et Wenger (1998) ont contribué à cette réflexion en sortant un peu

du cadre des raisonnements mathématiques pour l’appréhender sur des pratiques mobilisées

par les sujets dans leurs activités quotidiennes.

Second point : Il s’agit bien évidemment des résultats obtenus tels qu’ils sont annoncés par

les auteurs, renvoyant à apprécier l’impact, ou plutôt la quasi-inexistence, des acquis de la

scolarité sur le raisonnement et le processus d’apprentissage chez les sujets étudiés. En effet,

dans le cadre des problèmes faisant référence à la pratique quotidienne, la scolarité ne semble

produire aucunement (ou à des degrés faiblement significatifs) des différences positives en

25 C’est là où le terme de CP a été proposé pour la première fois dans la littérature. Toutefois, si on se réfère à Vaast (2002), il a déjà été évoqué par Constant (1987) mais ses préoccupations de recherche sont davantage tournées vers la diffusion à différents niveaux d’innovations technologiques que vers les communautés elles-mêmes.

48

terme de performance entre les scolarisés et ceux qui ne le sont pas. Sur ce point, Grison

(2004) pense que les recherches des tenants de ce courant ont amené à relativiser le caractère

«extraterritorial» des situations formées par l'école, jusqu’à penser que cette dernière (l’école)

constitue une situation culturelle parmi d'autres26.

On comprend bien qu’au travers de ces résultats, les auteurs veulent montrer les limites de la

pratique scolaire en matière de transférabilité des connaissances du cadre de l’école vers celui

de la vie quotidienne. Dès lors, il semble légitime de se poser la question autant sur le rôle que

joue les connaissances acquises à l’école dans la vie quotidienne que sur l’efficacité de cette

manière d’apprendre. Le chemin suivi par ces interrogations va inéluctablement à contre-sens

de la pensée cognitiviste qui stipule, rappelons-le, que la connaissance conceptuelle peut être

isolée des situations dans lesquelles l’action se déroule et peut être transférée à d’autres

cadres. En outre, on note que les sujets étudiés ici réussissent à résoudre les problèmes liés à

leur pratiques quotidiennes, non pas à partir de méthodes générales, mais en mobilisant des

artefacts (les cailloux pour le compteurs de riz Libériens, les bols alimentaires chez les

Weight Watchers et les casiers chez les laitiers) spécifiques présents dans le contexte où la

pratique se déroule.

Ainsi, de ces résultats découle la thèse défendue par les adeptes de cette perspective de

l’apprentissage situé : les résultats produits lors d’un apprentissage sont difficilement

transférables à la résolution de problèmes dans d'autres situations. Autrement dit, il n'existe

pas (ou très faiblement) de transfert des connaissance d'une situation à une autre ou d'une

discipline scolaire à la vie quotidienne.

Par ailleurs, les travaux prolongeant cette réflexion ont exploré davantage le mécanisme de

l’apprentissage situé et les changements (que l’on peut observer chez l’apprenant) qui en

résultent, en estimant que le processus d’apprentissage est de facto accompagné par un

processus d’enculturation.

2.2.2.2 L’apprentissage situé : un double processus d’Apprentissage et d’Enculturation

Comme nous pouvons le constater, plusieurs enseignements à propos de l’apprentissage

peuvent être dégagés des diverses études réalisées.

26 Au sujet de l’école et de la méthodologie scolaire, Lave et Wenger (1991) estiment que l’école est avant tout un contexte parmi d’autres, et que ce contexte qu’on prétend propice pour transférer les connaissances est différent de celui où ces connaissances seront utilisées.

49

Concernant le statut de la connaissance, cette dernière est présentée comme naturellement

contextualisée. Ce caractère implique que les activités de la personne et l'environnement

participent mutuellement à la construction de la connaissance. Autrement dit, les

significations sont considérées comme inséparables de l'interprétation de l’environnement

socioculturel dans lequel elles se produisent. Ainsi, la connaissance ne peut être seulement un

état mental. Elle est plutôt une relation d'expérience avec l’environnement, donc elle n’a pas

de sens en dehors de cette relation (Hung et al., 2001).

Pour Brown et al. (1989), il faut renoncer à l’idée que les connaissances sont des entités

abstraites et indépendantes, car les constituants de la connaissance indexicalisent le monde et

sont indissolublement un produit de l'activité et des contextes dans lesquels ils sont produits.

De ce fait, isoler une connaissance de son contexte pour la transférer à une autre situation

s’avère difficile. A cet égard, ces auteurs suggèrent « qu’en ignorant la nature contextualisée

de la cognition, l'école échoue dans sa tentative d'assurer un savoir utilisable et solide. Et

inversement, nous soutenons que des approches qui ancrent l'apprentissage dans une activité

et utilisent consciemment le contexte social et physique, sont plus conformes à ce qui ressort

de la recherche à propos de l'acte d'apprendre et de la cognition » (Brown et al., 1989, p. 2)

(traduction personnelle).

Par ailleurs, étant donné l’interdépendance entre la connaissance et la situation ou le contexte,

le savoir et la connaissance ne peuvent être envisagés comme des concepts statiques. En effet,

ils sont fortement influencés par la situation qui change suite à l’évolution des activités, des

négociations, des interprétations, etc. C’est ce qui fait que la connaissance se transforme

souvent en quelque chose de nouveau, de plus dense. De ce fait, un concept, tout comme la

signification d'un mot, est toujours en construction (Brown et al., 1989 ; Wenger, 1998).

L’autre point important soulevé par cette école concerne le concept d’«outil ». Bien

évidemment, ce dernier ne doit pas être compris seulement comme quelque chose de

technique et tangible, mais il renvoie également aux connaissances et savoirs, étant donné

qu’on a accepté de les considérer comme à la fois contextualisés et progressivement construits

à travers l’évolution du contexte.

Le regard des auteurs sur l’outil traite davantage de la question de son utilisation par les

apprenants. Dans cette optique, et comme nous l’avons vu plus haut, cet outil peut être un

artefact issu du contexte de l’activité, que l’apprenant s’approprie pour résoudre les problèmes

pratiques. C’est ainsi que cette perspective de l’apprentissage porte un intérêt singulier aux

artefacts résultant de l’appropriation de la situation par l’apprenant.

50

Cela explique pourquoi les auteurs (Brown et al., 1989) préfèrent à la simple acquisition de

concepts inertes, la construction de savoirs utiles et solides à travers la compréhension et

l’utilisation de cet outil. Ils pensent ainsi que les apprenants ne se contentent pas d’acquérir

les outils. En participant davantage à son utilisation de manière active, ils construisent une

compréhension implicite de plus en plus riche du contexte dans lequel ils les utilisent et des

outils eux-mêmes.

Par ailleurs, les auteurs attirent notre attention sur le fait qu’il faut toujours penser la situation

(ou contexte) comme étant fortement marquée par les caractéristiques de la communauté dans

laquelle l’apprenant évolue. Cela dit, il faut garder à l’esprit que l’appropriation de l’outil par

l’apprenant serait fortement influencée par les usages qui relèvent, non pas des méthodes

générales, mais de la manière dont les autres praticiens du même groupe27 l’utilise (Brown et

al., 1991 ; Lave et Wenger, 1991 ; Wenger, 1998). Cette idée nous amène à dire que les

auteurs commencent à définir et caractériser davantage ledit contexte, en considérant, en plus

des éléments physiques, l’environnement socioculturel dans lequel l’apprenant s’immerge. En

effet, les auteurs soutiennent que l’apprenant se trouve introduit dans un contexte caractérisé

par des pratiques propres aux praticiens, qui ont déjà été confrontés aux situations

professionnelles concernées bien avant son arrivée. Ces anciens (qualifié parfois d’experts)

ont développé au fil du temps des connaissances, artefacts, savoir-faire, des manières

d’échanger et d’interagir, des valeurs, etc., que l’apprenant découvrira au fur et à mesure de

son apprentissage. Ainsi, l’attention de ce dernier quant à l’utilisation des outils sera

largement tournée vers le savoir-faire déjà construit dans cette communauté, et qui demeurera

en construction à travers l’évolution du contexte, notamment avec la participation de

l’apprenant aux pratiques de cette communauté.

A l’aune de ce qui est présenté dans les paragraphes précédents, on comprend bien que pour

cette école, l’apprentissage significatif n’aura lieu que s’il est incorporé dans le contexte

social et physique dans lequel il sera utilisé. Cela explicite clairement que l’accent est mis

davantage, non pas sur le processus mental de l’apprenant, mais plutôt sur les caractéristiques

du monde qui l’entoure et dans lequel il apprend. Telle est donc la position revendiquée par

les initiateurs de ce courant, à l’instar de Lave et Wenger (1991) qui veulent se démarquer des

cognitivistes : « contrairement aux explications conventionnelles présentant l’apprentissage

27 Notons que dans leur article de 1989, Brown, Collins et Duguid ont utilisé le terme de communauté à plusieurs reprise pour désigner ce groupe.

51

comme un processus d’internalisation de la connaissance, dans cette perspective,

l’apprentissage n’est plus vu comme un processus interne, mais plutôt comme un processus

externe et social » (ibid., p. 47) (traduction personnelle).

Cependant, l’immersion dans un contexte fortement marqué par son aspect social (le groupe

de praticiens) a des conséquences sur l’apprenant qui dépassent la sphère cognitive de

l’apprentissage, car selon ces auteurs (Brown et al., 1989 ; Lave et Wenger, 1991), au fil du

temps, l’apprenant sera imprégné de la culture des gens avec qui il interagit. Ce phénomène

est favorisé notamment par le dialogue et l’observation de leurs pratiques (Brown et al.,

1989 ; Lave et Wenger, 1991 ; Wenger, 1991 ; Fox, 1997 ; Hung et al., 2001). C’est ce qui

amène les tenants de cette théorie à estimer qu’il s’agit en réalité d’un double processus

d’apprentissage et d’enculturation28.

L’enculturation s’explique, selon Brown et al. (1989), par le fait que tout au long de leur vie,

les gens, consciemment ou inconsciemment, adoptent les comportements et les systèmes de

croyance de nouveaux groupes sociaux. « Étant donné l’occasion qu’ils ont d’observer le

comportement des membres d’une culture et d’exercer in situ, les gens en s’emparent du

jargon utilisé, imitent le comportement et commencent progressivement à agir en accord avec

leurs normes. Ces pratiques culturelles sont souvent absconses et extrêmement complexes.

Cependant, vu qu’ils ont l’occasion de les observer et de les mettre en pratique, les gens les

adoptent avec un grand succès » (Ibid., p.5) (traduction personnelle). Du côté de Lave et

Wenger (1991), concernant la problématique de la conscience chez l’apprenant adoptant la

norme des gens qui l’entourent, ils estiment que l’apprentissage se déroule plutôt

inconsciemment qu’intentionnellement.

Comme on peut le remarquer, cette école accorde une grande importance à l’influence

qu’exerce les caractéristiques socioculturelles du contexte de l’apprentissage sur l’apprenant.

C’est ce qui explique la volonté de Lave et Wenger (1991) d’identifier davantage ces

conditions d’apprentissage, en estimant qu’elles sont réunies dans ce qu’ils appellent une

Communauté de Pratique. En s’immergeant dans cette communauté, l’apprenant participe de

manière légitime et périphérique aux pratiques des anciens. Ainsi, ils intitulent leur ouvrage

(1991) : Situated Learning : Legitimate Peripheral Participation (LPP) ( apprentissage situé :

participation périphérique légitime). Voyons donc quels sont les apports de cette vision à la

perspective de l’apprentissage situé.

28 Cela nous éclaire un peu plus à propos du lien qu’entretient la théorie de Wenger avec celle de l’identité (comme nous l’avons vu dans la première section), car il estime que l’identité de l’apprenant évolue suite à l’enculturation qui est une conséquence de l’apprentissage tel qu’il est conceptualisé par cette école.

52

2.2.2.3 Le Situated Learning à la lumière du concept de Legitimate Peripheral

Participation (LPP) de Lave et Wenger (1991)

Ici, l’objet n’est pas de faire un résumé du livre des auteurs (1991) étant donné que l’ouvrage

développe l’approche située de l’apprentissage dans un premier temps (ce qui correspond à

une version plus développée de ce que nous avons présenté plus haut) et offre une ébauche de

la théorie des communautés de pratique (CP) qu’on trouve développée davantage par Wenger

dans son ouvrage de 1998, et qu’on utilise comme référence dans notre thèse. On se

contentera donc d’évoquer quelques éléments qui expliquent le lien étroit entre le Situated

Learning et la CP.

Dans cet ouvrage, après avoir exposé le concept de LPP et parlé de la perspective située, les

auteurs exposent les cinq études de cas sur les apprentis (les sages-femmes yucatèques, les

tailleurs libériens, les US Navy quartermasters, les bouchers et les groupes d’alcooliques

anonymes). Puis il présentent dans la pratique comment l’apprentissage peut être vu comme

une « participation périphérique légitime ».

L’idée véhiculée à travers ce concept peut être considérée comme une traduction concrète ou

une explicitation du processus d’apprentissage tel qu’il est exposé et défendu par l’école

situationniste de l’apprentissage, tout en l’enrichissant d’une dimension communautaire pour

mieux préciser les contours dudit contexte. Ce concept réitère donc l’idée que la connaissance

existe -et s’acquière- dans un contexte authentique, et que l’apprentissage, qu'il soit

intentionnel ou non, se déroule chez l’apprenti suite à ses interactions sociales et ses

collaborations avec les autres professionnels qu’héberge la communauté (op. cit., p. 39).

Pour les auteurs, ce cercle de professionnels pratiquant dans le même contexte et partageant

des outils et des connaissances, peut être qualifié de communauté de pratique, dans laquelle le

novice s’intègre graduellement en participant aux activités de cette communauté. En somme,

ils estiment que l’apprenti intègre une communauté de professionnels en participant de

manière légitime et périphérique aux pratiques authentiques des experts (ou anciens) de la

communauté.

Notons que la plupart des auteurs évoquant ce concept de LPP reprennent l’expression en

intégralité sans chercher à décortiquer ses constituantes. Dans une note en bas de page, Lopez

(2001) à annoncé qu’il faut appréhender l’expression comme une seule unité, sans rechercher

une définition de chaque terme qui le constitue. Même Lave et Wenger (1991) n’ont pas

décortiqué nettement cette expression. Elle est même utilisée de plusieurs manières dans leur

ouvrage (1991). Par exemple, dans un chapitre où il parlent du cas des apprentis sages-

53

femmes, ils utilisent l’expression29 : « These apprentices are peripheral participants,

legitimate participants, and legitimately peripheral to the practice of midwifery » (Lave et

Wenger, 1991, p. 68). Toutefois, il faut reconnaître que ces derniers ont généralement bien

argumenté et expliqué ce processus pour comprendre à quoi renvoient chacun des termes.

Ainsi, et en s’appuyant sur des explications proposées par Atherton (2000) et Thompson

(2005), nous pouvons expliquer ces éléments comme suit :

La Participation renvoie au fait que les apprentis s’immergent dans le contexte et la pratique,

en maniant les outils et en collaborant avec les autres professionnels pour réaliser l’activité.

Ainsi, les nouveaux arrivants participent et s’identifient de plus en plus à la CP. C’est ce

contact avec le contexte socioculturel qui permet d’apprendre et d’acquérir des connaissances

nécessaires pour réaliser leur activité.

Périphérique : l’existence d’une périphérie au niveau de la CP implique naturellement

l’existence d’un centre. Ce terme permet de localiser le positionnement d’un nouveau membre

(apprenti) vis-à-vis des autres membres de la communauté : il se trouve à a la périphérie de la

CP car son centre est réservé aux anciens (experts). L’idée est que les apprenants s’occupent

des tâches, bien qu’elles soient indispensables à l’activité (ce qui explique pourquoi ils parlent

de contexte et pratiques authentiques), demeurent périphériques par rapport aux tâches

substantielles réservées aux membres se trouvant au centre de la CP.

Ainsi, les novices intègrent la CP sur des emplois périphériques, mais peu à peu, ils se voient

confier davantage de tâches importantes. Ce faisant, au cours du temps ils se déplacent de la

périphérie vers le centre de la CP.

Légitime : cette notion implique la reconnaissance d'un ordre social dont les illégitimes sont

exclus. C’est à dire, toutes les parties acceptent la position de « non qualifié » des apprentis

comme membres potentiels de la communauté de pratique. C’est cette reconnaissance sociale

du statut de l’apprenant qui lui confère la légitimité de participer de manière périphérique aux

activité de la CP.

Ainsi, et en combinant les trois termes, on peut dire que l’apprenant est un, participant

légitime, légitimement périphérique, donc un participant périphérique. Ce qui nous permet de

29 Nous avons préféré de présenter l’expression originale en anglais. En français, nous pouvons proposer la traduction suivante : « Ces apprentis sont des participants périphériques, des participants légitimes, et légitimement périphérique à la pratique obstétrique ».

54

comprendre pourquoi Lave et Wenger (1991) utilisent ces différentes expressions pour rendre

compte du phénomène d’appartenance d’un apprenant à une CP.

Dans la suite de cet ouvrage, ce processus est illustré à travers les cas étudiés par les auteurs,

en décrivant comment les novices (apprentis) acquièrent graduellement les connaissances et

les compétences suite à ce contact légitime et progressif avec la pratique, permettant le

dialogue et l’observation des experts (anciens) dans le contexte des activités quotidiennes

(Lave et Wenger, 1991 ; Brown et Duguid, 1991 ; Fox, 1997 ; Hung et al., 2000). On peut

citer à titre d’exemple, les apprentis tailleurs libériens qui se voient confier des tâches telles

que le repassage ou la réalisation des ourlets (Lave et Wenger 1991, p. 70). Ici, les novices

(apprentis) participent bien à l’activité des tailleurs professionnels en s’occupant des tâches

authentiques (elles ne peuvent être délaissées). Cependant, ces tâches ne sont pas les plus

importantes de l’activité et restent périphériques par rapport aux tâches qui présentent le cœur

du métier. D’un autre côté, les tailleurs confirmés et les apprentis eux-mêmes sont conscients

de leur statuts d’« apprenants ». Etant donné que l’apprentissage se fait en pratiquant avec les

autres, donc il est légitime qu’ils participent aux tâches périphériques de l’activité. Mais, bien

qu’ayant un degré limité de participation et un niveau de responsabilité restreint en raison de

son statut de nouveau membre, l’apprenant peut tenir plusieurs rôles simultanément, avec

différents degrés d’engagement possibles (Lopez, 2001). C’est ainsi et à travers cette

participation périphérique légitime que le « Situated Learning » se déroule d’après Lave et

Wenger (1991).

Toutefois, les auteurs soulignent que la participation de l’apprenti évolue graduellement de la

participation périphérique à la pleine participation (ou la participation centrale), d’où le

processus d’enculturation et d’acquisition graduelle des compétences. Pour désigner ce

déplacement de la périphérie au centre, les auteurs utilisent le terme « centripète »

(Centripetal) qui signifie la tendance à un rapprochement du centre. Notons que ce voyage de

la périphérie au centre est bien évidemment marqué par des phases problématiques relatives à

la fois aux difficultés de l'accès à certaines connaissances et au bizutage qui présentent des

rites fréquents dans toute communauté (Lave et Wenger, 1991 ; Wenger, 1998). Ainsi,

graduellement l’apprenant acquière des connaissances, situées, solides et nécessaires pour

réaliser son activité tout en s’empreignant de la culture du groupe, et deviendra ainsi, membre

de la communauté à part entière. Il sera donc actif au centre de la communauté, et prêt, à son

tour, à accueillir les nouveaux arrivants.

55

2.2.2.4 Résumé des principes fondamentaux de la perspective de l’apprentissage situé

A partir de ce que nous avons rapporté sur cette conception de l’apprentissage situé, véhiculée

notamment par Brown et Duguid (1991) et Lave et Wenger (1991), nous pouvons résumer les

principes fondamentaux de cette perspective dans les points suivants :

- La connaissance dépend du contexte socioculturel dans lequel elle prend son sens. Dès lors,

les concepts sont considérés comme des outils en perpétuelle construction, ils changent et

évoluent suite à l’évolution des activités, des négociations, des interprétations, c’est à dire

suite à l’évolution du contexte.

- L’apprentissage est situé, il est permis par la pratique qui est ancrée dans le contexte

socioculturel de l’activité authentique dans lequel l’apprenant évolue. Ceci dit, nous devons

porter un intérêt particulier aux artefacts émergeants de l’appropriation de la situation par

l’apprenant, permise notamment par les interactions sociales et la collaboration. L’utilisation

des connaissances et des outils par l’apprenant se dessinera suivant leur utilisation par la

communauté de pratique à laquelle il participe.

- L’apprentissage du novice dans sa communauté de pratique se fait de manière graduelle. Il

commence par une participation périphérique légitime aux pratiques de la communauté, puis

il se déplacera au fil du temps de la périphérie vers le centre de la CP. Lors de ce voyage de la

périphérie au centre, le novice acquiert progressivement des connaissances et des

compétences, et ce qui permet son enculturation. Dès lors, le Situated Learning est considéré

comme un processus double : Apprentissage et Enculturation.

Nous venons ainsi, de proposer un résumé autour des grands axes qui nous permettent de

comprendre cette perspective telle qu’elle est présentée par ses précurseurs (Brown et al.,

(1989) et Lave et Wenger (1991)) .

A la lumière de ce que nous avons présenté, on ne peut pas dire aujourd’hui que le Situated

Learning se présente comme une théorie au stade embryonnaire car plusieurs auteurs se sont

intéressés à cette perspective en essayant d’apporter des éclaircissements, et parfois, ils

déclarent même qu’ils s’inscrivent dans ce courant. Concernant l’évolution des recherches

dans ce champ, Herrington et Oliver (1995) disent que « lorsque l'apprentissage situé a été

décrit comme un nouveau modèle d’instruction en 1989, ses principaux partisans pensaient

que ce n'était que le début, et que le modèle continuera à évoluer et se développer avec de

nouvelles recherches » (ibid., p. 1) (traduction personnelle). Bien que les recherches se soient

réalisées, cette perspective manque manifestement d’amplifications qui permettrait de l’élever

56

au rang de paradigme ou d’une théorie dominante. Cela pourrait s’expliquer, à notre sens, soit

par le fait qu’elle est souvent présentée comme une branche de la théorie de l’« action

située », et de ce fait cette dernière reste la plus dominante, ou bien, et comme nous allons le

voir dans ce qui suit, les idées véhiculées par cette école semblent curieusement très proches

de la pensée Vygotskienne : le socioconstructivisme.

Suivant donc cette idée, et avant de conclure cette section dédiée aux théories de

l’apprentissage et à la perspective de l’apprentissage situé, nous avons pensé pertinent de

présenter quelques éléments permettant de positionner cette perspective située par rapport aux

paradigmes dominants des théories de l’apprentissage. Bien évidemment il ne s’agit pas de

produire une discussion approfondie ou de comparer point par point les postulats de chacune

des approches, mais juste de souligner que la perspective située ne s’alimente pas

uniquement, comme le prétendent certains auteurs, de l’approche de l’action située, et qu’elle

a des antécédents, ou du moins, des points en commun avec certains paradigmes de

l’apprentissage, notamment le socioconstructivisme.

2.3 La perspective de l’«apprentissage situé » et le paradigme

socioconstructiviste

Jusqu’ici, en parlant de l’essence de cette perspective nous avons soutenu que cette dernière

découle directement de l’approche de l’action située. Cependant, et sans renier cette filiation,

dans certains travaux (Mc Mahon, 1997 ; Fox, 1997 ; Hung et al.,2001 ; Labédie et al., 2001;

Alexander et al., 2010, etc.) les auteurs relèvent des antécédents dans d’autres paradigmes

dominants des théories de l’apprentissage. En effet, à la lumière des préceptes de

l’apprentissage situé, la pensée véhiculée par ce courant ne semble pas radicalement nouvelle,

car la pensée Vygotskienne à travers le « socioconstructivisme » a déjà mis en avant des idées

proches de celles des situationnistes.

Avant de développer ce point de proximité avec les socioconstructivistes, nous commençons

par les rapports entretenus avec les autres paradigmes.

En premier lieu, nous soulignons la distance qui sépare le Situated Learning du cognitivisme.

En effet, tout comme l’approche de l’« action située » de laquelle notre courant reprend

beaucoup de principes, le Situated Learning se présente à l’extrême opposé de la pensée

cognitiviste voire même une critique à leur égard, que ce soit au niveau du statut de la

connaissance et du modèle de son transfert qu’à celui concernant l’angle sous lequel

l’apprentissage est analysé. De leur côté, les cognitivistes ne sont pas restés insensibles à cette

57

critique de leur modèle, et leur réponse est apportée notamment par Anderson, Simon et

Reder (1996)30 qui qualifient cette perspective située d’interprétation « excessive » du

constructivisme, en apportant des contre-exemples issus même du domaine de l’enseignement

des mathématiques, où le transfert des connaissances a fait ses preuves dans la vie

quotidienne. Ce contre exemple a trouvé échos chez certains auteurs, à l’instar de Grisons

(2004) qui rapporte que des « études récentes montrent bien qu'un transfert au moins partiel

de procédures de raisonnement entre deux domaines de connaissances limitrophes, sans «

régression » au niveau du novice , peut exister ».

Par rapport au behaviorisme, bien que ce modèle soit généralement délaissé, et que les

adeptes du Situated Learning n’y font pas référence, il se trouve que l’observation de l’aspect

externe de l’apprentissage est un point partagé par les deux courants, notamment, et d’après

Wenger (1998), dans les cas où il est impossible d’aborder les questions de signification

sociales tels les automatismes et les dysfonctionnements graves. Quant aux différences, elles

sont bel et bien nombreuses. A notre sens, la plus radicale concerne le statut de la

connaissance chez les behavioristes qui se battent pour son indépendance du contexte

(McMahon, 1997; Basque et al.,1998), alors que ce contexte semble être le cœurs de la pensée

situationniste.

Avec le constructivisme de Piaget, le Situated Learning partage un point commun très

important. Il s’agit de la place accordée à la situation comme source d’apprentissage. C’est à

dire, l’accent autour de son interprétation et son appropriation par l’apprenant pour résoudre

les problèmes auxquels il est confronté. Toutefois, la dimension socioculturelle de la situation

est négligée par les cognitivistes. Or, cet aspect est largement dominant chez les

situationnistes dans leur conception dans la définition du contexte lui-même et de

l’apprentissage (et l’enculturation) qui s’y déroule.

Enfin, le socioconstructivisme qui vient enrichir, comme nous l’avons déjà souligné dans le

paragraphe traitant de ce paradigme, les apports du constructivisme en introduisant l’influence

30 Cette opposition à donné naissance à une polémique et des échanges entre ces deux écoles, notamment via Greeno (1998) qui répond à Anderson et al. (1996). Pour plus de détails concernant ce débat, cf. J. Rogalski (2004) : La didactique professionnelle: une alternative aux approches de « cognition située » et « cognitiviste » en psychologie des acquisitions. @ctivités, 1 (2), 103-120. Voir aussi l’article de S. Fox (1997): Situated Learning Theory Versus Traditional Cognitive Learning Theory : Why Management Education Should Not Ignore Management Learning. Systems Practice, Vol. 10, No. 6.

58

du contexte social et culturel dans la construction des connaissances, semble très proche de la

perspective de l’apprentissage situé.

En effet, la marque Vygotskienne du constructivisme se dénote par l’importance de la

dimension sociale dans la construction des connaissances, d’où l’appellation « social-

constructivisme ». C’est un point qui concorde parfaitement avec la vision de Situated

Learning étant donné que les adeptes de cette perspective voient dans l’apprentissage à la fois

une construction sociale de la connaissance et un processus d’enculturation, résultant de

l’influence des praticiens experts accueillant l’apprenant dans leur communauté.

Ces similitudes s’étendent à d’autres dimensions de l’apprentissage tel qu’il est vu par ces

deux courants. On peut relever chez les situationnistes, au moins, deux aspects de ce

processus permettant d’élucider ces similitudes. Il s’agit du caractère progressif de

l’apprentissage (LPP) et le passage des connaissances du collectif vers l’individuel. Ces deux

éléments nous rappellent le concept de la Zone Proximale de Développement (ZDP) de

Vygotsky.

En effet, la LPP appréhende l’acquisition graduelle de la connaissance suite au déplacement

de l’apprenant de la périphérie vers le centre de la CP lui permettant d’être un expert à son

tour. Ce qui peut être l’équivalent de la zone de prochain développement où l’apprenant

réussira à réaliser tout seul, ce qui auparavant nécessitait l’appui d’autrui.

Quant à la nature des connaissances et des outils que l’apprenant acquiert graduellement, les

tenants du Situated Learning insistent sur le fait qu’elle dépend de l’usage qui en est fait par

les experts de la communauté qui accueille l’apprenant. Cela revient à dire que la transmission

du savoir prend la direction partant du collectif vers l’individuel, et c’est exactement ce qu’a

soutenu Vygotsky dans son approche.

Toujours au sujet de cette comparaison, Hung et al. (2001), ont rapporté dans une article

intitulé « Cognition Située, la pensée Vygotskienne et l’apprentissage selon la perspective des

CP »31, des éléments partagés par les deux courants, en présentant entre autres, le terme de CP

comme l’équivalent de la ZPD de Vygotsky (1978). Dans cet article, les auteurs ont relevé

plusieurs idées partagées par les deux écoles, notamment celles relatives à la conception du

contexte et la construction conjointe des pratiques culturelles. Ils ont rappelé également que

l’identification de la communauté (telle qu’elle est présentée notamment par Wenger (1998))

se fait à partir de ses activités, ses pratiques et outils, ses valeurs culturelles et sociales, etc.,

ce qui présentent, selon les auteurs, les éléments qui caractérisent également la ZPD.

31 Situated Cognition, Vygotskian Thought and Learning from the Communities of Practice Perspective.

59

Par ailleurs, du côté des autres auteurs (McMahon, 1997 ; Fox ,1997 ; Labédie et Amossé,

2001; Kim, 2001 ; Alexander et al., 2010; Basque et al., 1998, etc.), le rapprochement entre le

Situated Learning et le socioconstructivisme est manifestement bien visible dans leurs

travaux. En effet, en abordant cette vision de l’apprentissage, ils utilisent à plusieurs reprises

ces deux concepts en couple, à croire qu’il s’agissait d’une seule et même école. Dans une

optique similaire, Lopez (2001) à soulevé dans un article ce positionnement problématique de

certains chercheurs (dans le domaine de l’enseignement) qui déclarent s’inscrire tantôt de

l’approche socioconstructiviste, tantôt de l’apprentissage situé, sans qu’une nuance soit portée

dans l’utilisation de ces deux approches respectives.

Du côté des pionniers de Situated Learning, Brown et al. (1989) ont annoncé clairement que

leur travail est basé sur les travaux de certains grands penseurs, incluant ceux de Vygotsky.

Toutefois, aucune discussion n’a été développée sur la proximité de leurs idées respectives.

Dans les travaux de Lave et Wenger (1991) et Wenger (1998), la référence à Vygotsky nous

semble timide dans le sens où ils se contentent de rappeler quelques-uns de ses principes

concernant l’engagement dans l’activité sociale comme fondement des fonctions cognitives.

Toutefois, il est a souligner que dans les travaux de Brown et al (1989), McMahon (1997),

Hung (1999), Grison (2004), Lopez (2001), Rogalski (2004), les auteurs voient dans le

Situated Learning un prolongement de la pensée Vygotskienne. A titre d’exemple, on peut

citer Lopez (2001) qui estime que le Situated Learning vient enrichir le modèle

socioconstructiviste en introduisant le plan communautaire, outre les plans individuels et

interpersonnels déjà présents chez Vygotsky. Concernant cette remarque, nous pensons que

l’enrichissement à travers l’introduction de la CP serait plus substantiel si on considère la CP

comme un concept apportant des précisions illustrant le contexte, dans le sens où Brown et al.

(1989) et Lave et Wenger (1991), utilisent le terme de la CP pour qualifier et délimiter les

contours du contexte où l’apprentissage a lieu.

Quant aux différences qui pourraient exister entre les deux courants, et étant donné le nombre

important de similitudes, il est très rare de trouver, dans les travaux parcourus jusqu’ici, des

éléments significatifs sur ce sujet. Néanmoins, on peut citer l’idée de Rogalski (2004) qui,

souhaitant pointer la distinction entre les deux courants, estime que la différence entre

Wenger et Vygotsky se trouve au niveau de l’unité d’analyse, observée chez le premier auteur

dans le sous-système: « communauté » / « acteur individuel », déniant la pertinence de

60

considérer une cognition individuelle, ce qui va à l’encontre de la pensée Piagétienne et

Vygotskienne où l’unité concernée est l’individu psychologique (ibid., p. 104).

Cette idée nous interpelle particulièrement car, en partie, nous sommes d’accord avec l’auteur

pour considérer que les situationnistes mettent l’accent sur l’« individu social », que l’on peut

donc distinguer de l’« individu psychologique », cependant, il faut garder en tête que ce

dernier n’a pas été examiné par Vygotsky isolément de la société dans laquelle il évolue.

D’ailleurs, il est à rappeler que c’est cet aspect qui sépare les réflexions de Vygotsky de celles

de Piaget.

Mais notre réflexion se centre davantage sur le processus psychologique de l’apprentissage en

terme de « conscience ». L’idée, est que chez les adeptes du socioconstructivisme et

contrairement aux situationnistes, la dimension constructiviste est très présente dans le

processus cognitif de l’apprenant, et ce, notamment dans la phase relevant de la

métacognition, qui consiste, dans le déclenchement d’un déséquilibre de nature intra-

individuelle, stipulant que l’individu, de manière consciente, reconsidère ses propres

représentations et celles des autres afin de reconstruire un nouveau savoir. Or dans la vision

de Lave, la rétrospection chez l’apprenant n’est pas vraiment mise en avant car elle estime

que l’apprentissage se déroule généralement de manière inconsciente. C’est cette

« conscience » ou son absence qui, à notre avis, marque une différence fondamentale entre le

Situated Learning tel qu’il est présenté par ses précurseurs et le socioconstructivisme initié

par Vygotsky.

Ainsi, nous venons de présenter quelques éléments permettant de clarifier le positionnement

de Situated Learning par rapport aux paradigmes dominants dans les théories de

l’apprentissage, où nous avons pu considéré l’écart qu’il entretient, sensiblement, avec les

trois premiers (le behaviorisme, le cognitivisme et le constructivisme). Quant à sa position

vis-à-vis du socioconstructivisme, il semble qu’à défaut de trouver des différences solides (ce

qui constitue, à notre sens, un objet de recherche stimulant et qui mérite d’être approfondi),

les avis des auteurs convergent vers l’idée que le Situated Learning s’inscrit bien dans le

prolongement de la pensée Vygotskienne, en l’enrichissant avec des apports relatifs au

contexte, notamment via le terme de CP.

Enfin, nous souhaitons souligner qu’après diverses lectures à propos de ces deux courants,

nous avons remarqué également que sans que ça soit vraiment explicite, les auteurs présentent

61

le socioconstructivisme comme une « pensée » tandis que le Situated Learning (et la LPP) est

décrit comme le processus qui concrétise cette pensée dans la pratique, en rapportant des

détails permettant d’expliciter davantage le mécanisme de cette construction sociale dans une

communauté de pratique.

Section 2. CP; définition du concept et restitution dans son

environnement organisationnel

Dans cette section, nous procédons dans un premier temps à la présentation et l’analyse du

concept de Communauté de Pratique. Nous commençons par exposer ce concept composite

comme une seule unité avant d’analyser de manière séparée et détaillée les deux notions qui le

composent : Communauté et Pratique (1). Dans un second temps, nous nous intéressons à la

communauté de pratique en tant qu’espace d’apprentissage pour les salariés dans les

organisations, où nous évoquons les différents phénomènes intervenants dans le mécanisme

de l’apprentissage se déroulant à l’intérieur de la CP et inter-CP (2). Enfin, nous analysons les

liens qu’entretient la CP avec son environnement organisationnel (3).

1. Le concept de Communauté de Pratique : Définitions et caractéristiques.

Pour une meilleure compréhension du concept de « Communauté de Pratique » (CP), nous

procédons dans un premier temps à une présentation de ce concept composite comme une

seule unité, puis, dans un second temps, nous aborderons de manière séparée, et plus détaillée,

les deux notions qui le composent : Communauté et Pratique. L’ordre de la présentation de

ces deux notions est établi de manière à rester fidèle à sa conceptualisation, c’est à dire,

commencer par présenter la notion de la « Pratique » (avant celle de la « Communauté »)

étant donné que c’est la pratique qui est à l’origine de l’émergence de la communauté.

Toutefois, il faut garder en tête que cette dernière permettra en retour de développer et faire

perdurer la pratique et assurer l’apprentissage de ses membres32.

32 Les travaux que nous avons lus à propos du concept de CP permettent de dire que c’est la pratique qui donne naissance et sens à sa communauté, tout en soulignant que c’est cet aspect communautaire qui garantit sa pérennité. Sans vouloir rentrer dans ce débat, il est à noter que la question est beaucoup plus profonde et complexe, comme en témoigne le questionnement de Vaast (2002) : Est-ce la pratique qui fait la communauté, ou la communauté qui crée sa pratique ? La réponse apportée par cet auteur témoigne de l’imprécision qui

62

1.1 Définition du concept de « Communauté de Pratique » :

Bien que le terme soit évoqué pour la première fois dans le travail de Lave et Wenger (1991),

la CP n’a pas fait l’objet d’une vraie définition dans cet ouvrage consacré à l’apprentissage

situé. Les auteurs reconnaissaient eux-mêmes que « la notion de ‘communauté de pratique’

reste encore largement une notion intuitive et qui exige un traitement plus rigoureux » (ibid.,

p. 42). Ainsi, dans cet ouvrage, les auteurs se sont contentés d’annoncer des éléments

permettant de comprendre qu’il s’agit d’un groupe de professionnels réalisant une activité

commune et apprennent à faire les choses ensemble, en situation et grâce à leurs interactions.

Néanmoins, on y trouve une citation que l’on peut considérer comme une définition. La CP

est y est définie comme « un système de relations entre les personnes, les activités, et le

monde; elle se développe au fil du temps, et à travers les relations entretenues avec d’autres

communautés de pratique limitrophes » (ibid., p. 98) (traduction personnelle).

L’absence d’une définition structurée dans cet ouvrage explique pourquoi les nombreux

travaux sur la CP ont pris régulièrement comme point de départ la définition initiée et

rappelée par Wenger (1998) : Les CP sont des groupes informels d’individus qui ont une

histoire commune, interagissent fréquemment, partagent des connaissances, et rencontrent des

problèmes proches au sein d’une même organisation (Wenger, 1998 ; Chanal, 2000 ; Vaast,

2002, etc.). C’est d’ailleurs dans cet ouvrage que Wenger a développé davantage ce concept,

en apportant plus d’informations sur les indicateurs permettant son identification et des

renseignements à propos de ses propriétés structurelles. Il a également procédé à la

décomposition de la CP en consacrant plusieurs chapitres à ses deux composantes

conceptuelles, la pratique et la communauté.

Par ailleurs, on trouve une autre définition usuelle33, à laquelle renvoient notamment les

auteurs anglo-saxons (Brown et al, 2001 ; Blunt, 2003 ; Thompson, 2005 ; et d’autres) : « Les

communautés de pratique sont des groupes de personnes qui partagent un intérêt ou une

passion pour quelque chose qu’ils font et apprennent à mieux le faire car ils interagissent

régulièrement » (Wenger et al., 2002, p. 4) (traduction personnelle34).

entoure ce concept, en annonçant que les tenants de la conception des CP paraissent balancer et se partager sur ce point, ce qui rend son opérationnalisation malaisée. 33 C’est cette définition qu’on trouve sur la page d’accueil du site de Wenger (www.ewenger.com). 34 « groups of people who share a concern, a set of problems, or a passion about a topic, and who deepen their knowledge and expertise in this area by interacting on an ongoing basis. »

63

A partir de ces définitions, on peut constater qu’il y a une évolution de la présentation de la

CP. Alors que la première définition de 1991 la présentait, notamment, comme un système de

relations, les deux dernières définitions semblent mettre en exergue la composante

« individus » ou « groupe » qui forment ce système. Néanmoins, s’agissant d’un concept qui a

pris une telle ampleur chez les praticiens et dans les travaux de recherche (Blunt, 2003 ;

Thompson, 2005), il semble que sa définition nécessite davantage de clarifications et de

précisions, notamment pour pouvoir la distinguer plus ou moins facilement des autres formes

de groupes dans l’organisation. En effet, Josserand et St Leger (2004), dans un article

énumérant - et intitulé - les difficultés pratiques des communautés de pratique, présente la CP

comme une forme aux contours flous, qui fait que parfois il est difficile de qualifier un groupe

particulier de communauté de pratique. Faute de pouvoir apporter une définition précise,

Wenger (1998) procède d’une autre manière et présente une définition en creux, en avançant

plusieurs arguments afin de préciser ce que n’est pas une communauté de pratique (cf.

Introduction générale).

Il est à noter que ce que nous venons de rapporter à propos du caractère large de la définition

de la CP n’est pas sans conséquences, car cela donnerait du crédit en quelque sorte aux

remarques que nous avons citées plus haut, à propos de la stabilité du concept, voire même de

sa solidité et de l’usage qui en est fait dans les organisations ainsi que dans les travaux de

recherche. D’ailleurs, c’est dans cette optique que nous soulevons un problème qui nous

interpelle, à propos de l’utilisation du concept de CP dans certains travaux, qui s’inspirent à

leur tour de son opérationnalisation dans les organisations, conduisant parfois à la

dénaturation pure et simple de la CP. Avant d’élucider cet aspect, il est nécessaire de rappeler

que ce flou autour du concept est presque palpable dans les études empiriques présentés par

Wenger (1998) lui-même. En effet, il a décrit l’activité quotidienne des agents opérant au

niveau d’un service (de traitement des dossiers de réclamations) en restituant les interactions

observées entre ces agents sans opérer une distinction entre les agents du service et les

individus qu’ils considèrent comme formant une forme de CP. Ceci laisse entendre que tous

les membres du service forment une CP. Le même cas de figure peut être observé dans ses

études empiriques antérieures réalisés avec Lave (1991). Vaast (2002) formule le même

constat et estime que Wenger (1998) lui-même peine à distinguer clairement ces

communautés de pratique de groupes de travaux transversaux.

Dès lors, il n’est pas surprenant de voir la CP confondue avec d’autres types de groupe,

notamment dans certains travaux utilisant la définition des CP alors que dans les faits, le sujet

64

traité correspond davantage à une « communauté épistémique » (cf. introduction générale).

Ceci est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit des CP « virtuelles35 » (CPv) intentionnellement

créées à l’aide des NTIC36 en mettant en place des ‘espaces socio-technologiques’ dont le

fonctionnement semble assez similaire à celui des communautés épistémiques (Mebarki,

2009).

Il nous paraît important de souligner ce glissement, que ce soit dans la pratique ou dans la

littérature, des CP (originelles) vers les CP virtuelles, qui pourrait s’expliquer par le fait que

ces dernières se présentent aujourd’hui comme à la fois une configuration évoluée de la CP et

un mode mis en pratique. Cette transformation peut être vue comme le résultat subséquent des

conseils même de Wenger qu’il n’a pas hésité à formuler dans ses écrits ou dans le cadre de

ses interventions comme expert/consultant. C’est une démarche également fréquente chez

d’autres chercheurs, à l’instar de Wenger, et al., (2002) : « Cultivating communities of

practice » ; Probst et Borzillo (2007) : « piloter les CP avec succès » ; Loyarte et Rivera

(2007) : « Communities of practice: a model for their cultivation » (ainsi que des cabinets de

conseil), qui proposent des modèles et des méthodes pour opérationnaliser les CP dans les

entreprises, avec comme intention première la production délibérée des connaissance. Cette

réalité s’éloigne du caractère émergent et autorégulant qui, à notre sens, constituent l’âme des

communautés de pratique, ou du moins, telles qu’elles sont théorisées initialement pour

rendre compte de l’apprentissage situé.

Par ailleurs, et dans le registre linguistique, ce flou sémantique qui compromet la

compréhension du concept n’est pas sans conséquences et conduit parfois à la déformation de

l’appellation. A titre d’exemple, on cite une annotation dans le rapport CEFRIO (2004)

(Canada), de Bourhis et Tremblay indiquant que l’ « Office de la langue française »

recommande plutôt l’expression de ‘communauté de praticiens’, considérant que des

individus et non des pratiques peuvent constituer des communautés. Mais les auteurs ont

retenu l’expression communauté de pratique au début du projet, puisqu’elle est plus courante.

Avant d’aller plus loin dans cette présentation de la CP. nous souhaitons nous arrêter un

instant sur les origines de cette forme de groupe. Autrement dit, depuis quand existent-elles ?

Il semble que bien que le concept de la CP soit une nouveauté, sa réalité est très ancienne. En

35 Parmi les définitions avancées à propos des CP virtuelles, on peut rapporter celle de Restler et Woolis (dont les travaux se concentrent sur cette forme de CP), dans sa version initiale : “ Virtual communities of practice involve a dispersed group of people who work together in a virtual environment (primarily but not exclusively) to achieve a specific objective within a defined time frame” (2007, p , 89). 36 Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

65

effet, Wenger et Snyder (2000), après avoir annoncé qu’au sein de toute organisation, des

acteurs échangent leurs savoirs au sein des CP -sans même que l’entreprise en soit consciente-

déclarent que l’origine de cette forme de groupe est très antérieure, et qu’en Grèce classique,

les artisans (forgerons, potiers, etc.) constituaient des corporations, dont les membres avaient

à la fois une fonction économique (apprentissage, diffusion des connaissances) et une

fonction sociale (même religion, mêmes traditions, etc.). Ces « corporations » jouaient un rôle

similaire à celui des communautés de pratique. Dans ce cas, il est intéressant de savoir

pourquoi le concept de CP n’a pris place dans la littérature qu’au début des années 1990 ?

Autrement dit : Quelles sont les raisons qui ont différé son apparition dans les

travaux théoriques sur les organisations. A ce propos, Vaast (2002) pense que la conception

de la CP est le fruit de la multiplication des travaux dans les années 1990 portant sur les

connaissances et la mémoire d’entreprise. On trouve la même explication chez Cohendet et al

(2003) qui parlent du nombre croissant de travaux de recherche dans ce domaine, en citant

Nonaka (1994), Borton (1995), Von Krogh et al. (2000). A cette liste, nous pouvons ajouter

les travaux sur l’apprentissage organisationnel37 qui, comme le souligne Koenig (2006), fait

l’objet d’un regain d’intérêt dans ces dernières années fortement marquées par des

changements accélérés.

Hormis ces raisons inhérentes aux travaux de recherche, Wenger et Snyder (2000) en relèvent

d’autres propres au monde de l’entreprise et aux CP elles mêmes. Ils argumentent qu’elles ne

sont pas très répandues car l’expression n’est apparue que récemment dans le vocabulaire de

l’entreprise et qu’une minorité d’entreprises progressistes (quelques dizaines seulement) les

ont entretenues. L’autre raison est intrinsèque aux CP et se trouve dans leur caractère

organique, spontané et informel, rendant leur création et intégration difficiles.

Dans cette optique, et afin de mettre un parallèle avec notre remarque émise à propos de la

dimension virtuelle des CP, on cite l’observation de Laferrière et al. (2003) qui estiment que

les CP ne sont pas une nouveauté car les groupes humains qui se rassemblent pour partager et

développer leurs connaissances existent certainement depuis l’âge des cavernes, « leur

nouveauté tient aujourd’hui au fait que les TIC décuplent les possibilités d’échanges entre les

membres. Ce faisant, les communautés de pratique ont acquis une nouvelle vie et offrent un

37 L’apprentissage organisationnel est définit par Koenig (en 1994), comme « un phénomène collectif d’acquisition et l’élaboration de compétences qui, plus au moins profondément, plus au moins durablement, modifie la gestion des situations, et les situations elles-mêmes ». (2006, p. 297).

66

potentiel hier insoupçonné38 » (ibid., p. 49). Toutefois, et comme le soulignent plusieurs

auteurs partageant la vision de Wenger (cf. note de bas de page n°38, ci-dessous), à l’instar de

Cross et Baird (2000), il faut garder en tête que la technologie est loin d’être suffisante pour la

dynamique des CP bien qu’elle contribue à les soutenir, les liens sociaux entre les membres

du groupe sont plus importants (ibid., p. 75) (traduction personnelle).

Ainsi, nous venons donc de présenter dans cette première partie le concept de CP (en une

seule unité) afin de donner une première idée sur cette forme de groupe. Mais, comme nous

pouvons le constater, plusieurs auteurs soulignent le caractère polysémique du concept, ce qui

conduit certains chercheurs et praticiens à le faire dévier de son sens d’origine, du moins, de

tel qu’il est posé et utilisé initialement par Wenger. Quant à l’identification et le repérage de

la CP dans une organisation, il n’est pas surprenant de voir que cela reste un exercice difficile

(Thompson, 2005 ; Mebarki, 2009).

Pour tenter d’enrichir davantage notre compréhension du concept de CP il est nécessaire de le

décomposer en étudiant les deux termes qui le composent, communauté et pratique. De plus,

comme le rappelle (Vaast, 2002), ces deux notions sont centrales pour les chercheurs en

sciences de l’organisation, ce qui laisse supposer que Wenger avait prêté une attention

particulière aux réflexions déjà posées à propos de ces deux notions. Il est donc judicieux

d’analyser en profondeur les deux termes qui la constituent, tels qu’ils sont présentés par

Wenger (1998) dans sa conceptualisation de la CP.

1.2 La notion de « Pratique »

Comme nous l’avons déjà évoqué dans la section précédente, le concept de « pratique »

occupe une place centrale dans la théorie des CP. En effet, lors de la lecture des travaux de

Wenger à propos de sa théorie sociale de l’apprentissage, on ne peut s’empêcher de penser

que tous les éléments constitutifs de son approche se concentrent sur – et sont générés par - la

pratique. Le message véhiculé repose sur l’idée que l’apprentissage des acteurs se construit au

quotidien dans la pratique, et que cette dernière contribue de ce fait à transformer la structure

38 Cette citation est extraite de la présentation réalisée par Laferrière T, Cantin L et Wenger E, dans le Cahier synthèse des actes du colloque La gestion du savoir, CEFRIO (2003). On note cependant qu’à l’occasion de ce même atelier, Wenger intervient et tempère à propos de la place accordée aux TIC, en annonçant qu’il ne s’agit pas de définir les CP par les TIC, car « on n’a jamais eu de communauté de téléphone, de télécopieur,..alors pourquoi aurai-t-on une communauté internet ? jusqu’à récemment, les CP n’ont pas eu besoin du Web pour fonctionner, ni du courriel, ni de la vidéoconférence. Simplement, les nouvelles technologies offrent un potentiel de communication extraordinaire qu’on ne peut ignorer » (ibid., p. 50)

67

sociale où elle se déroule. Ainsi, il place donc la pratique comme l’objet qui donne son

identité à la communauté et qui définit son domaine. Ceci, justifie et illustre parfaitement son

positionnement théorique où il défend avec insistance l’idée que la pratique relève du faire

dans ses dimensions à la fois historiques et sociales, et dans sa capacité à produire de la

structure et une signification aux actions (Wenger, 1998 ; Chanal, 2000). En d’autres termes,

Wenger met en avant le caractère formant et structurant de la pratique, qui se traduit par la

production, la reproduction et la transformation progressive des significations au sein de la

communauté. Dès lors, on comprend pourquoi l’auteur relève, en matière d’études sur la

pratique, que la concentration sur la pratique ne suppose pas nécessairement l’adoption d’un

point de vue fonctionnaliste ou mécaniste sur l’activité humaine (qu’elle soit individuelle ou

collective), en annonçant que « la pratique peut être autre que l’étude des mécanismes

permettant d’accomplir les choses, seul ou en groupe. En somme, la pratique ne concerne pas

uniquement des corps et des cerveaux, mais d’abord et avant tout , la signification donnée

aux mouvements du corps et au fonctionnement du cerveau » (Wenger, 1998, p. 57). Ainsi, et

étant fortement convaincu de ce dernier aspect qu’il met en avant à propos de l’examen des

significations, Wenger présente la pratique comme une « négociation de sens » des

expériences vécues. C’est à dire, c’est la « pratique » qui permet la production et la

reproduction des significations au sein de la communauté.

Avant de présenter cette notion de négociation de sens39 (negociation of meaning), et afin de

mieux comprendre pourquoi Wenger fait appelle à cette notion pour véhiculer le concept de

pratique, deux points doivent être précisés :

La pratique regroupe l’action et la réflexion sur cette action. Wenger (1998) n’oppose pas

le pratique au théorique et ne juge pas pertinent de relever une dichotomie entre le discours et

l’action ou entre penser et agir, car selon lui, tous ces couples entrent dans la composition et

dans sa conception de la pratique40. Pour argumenter cette position, Wenger pense que nous

avons tous des théories et des cadres de compréhension du monde qui orientent notre

pratique. Cette vision est profondément partagée par les autres pionniers de la théorie des CP,

en l’occurrence Brown et Duguid qui considèrent que « la division standard entre théorie /

39 Chanal (2000) annonce que cette notion de « négociation de sens » fait penser presque systématiquement à celle de la «sensemaking » de Weick (1995). (généralement traduite par : fabriquer ou donner du sens). Selon l’auteur, les deux concepts partagent un caractère à la fois dynamique et en construction : il s’agit de créer, d’inventer, de mettre en scène, des interprétations sur une situation vécue. En revanche, la notion de négociation de sens défendue par Wenger relève beaucoup plus à notre sens d’une perspective sociale et étroitement incorporée à la pratique (ibid., p. 5). 40 Bien qu’il prenne position dans le sens où il ne veut pas séparer ces couples dans sa conception de la pratique, Wenger (1998) reconnaît qu’il y a toujours un écart entre les ambitions et les décisions.

68

pratique, et entre travail mental / travail manuel, est un mensonge, et que la connaissance et

la pratique forment un couple » (2001, p. 203) (traduction personnelle). De ce fait, il est clair

que pour Wenger, la pratique constitue à la fois un support à la création des connaissances et

un cadre d’interprétation nécessaire à l’exécution de ces dernières.

La pratique comprend à la fois l’explicite et le tacite. Dans une perspective similaire à

celle qu’on vient de présenter, là aussi, Wenger n’incite pas à la dichotomie entre ce qui

relève du champ de l’explicite (le langage, les outils, les documents, les symboles, les

procédures, etc.) et du registre du tacite (relations implicites, hypothèses, conventions

tacitement admises, etc.), car pour l’auteur les dimensions tacites et explicites de la pratique

sont toujours présentes dans toute forme de connaissance (Wenger, 1998 ; Chanal, 2000).

Mais, cela ne signifie pas pour autant qu’il a négligé ces deux dimensions dans ses

argumentations, étant donné qu’il n’hésite pas à préciser, et ce à plusieurs reprises, ce qui

relève du tacite ou de l’explicite dans les phénomènes évoqués et les processus étudiés. Nous

reviendrons sur ces éléments dans le point suivant.

Par ailleurs, comme alternative à ces deux modèles classiques de l’analyse de la pratique

(l’opposition entre pratique / théorique et le dualisme explicite / tacite), Wenger (1998) a mis

au jour une autre combinaison permettant d’appréhender la pratique comme une quête de

sens. Il s’agit de la dualité participation / réification41 qui concrétise le processus de

négociation de sens. Nous allons donc essayer de présenter également ces mécanismes que

nous considérons comme l’empreinte de Wenger en tant que théoricien de la pratique.

1.2.1 La pratique comme une « négociation de sens ».

L’approche des CP présente donc la pratique -et l’appréhende avant tout- comme une quête de

sens, ou encore une production sociale de sens, car l’être humain est en permanence en train

de négocier le sens des situations vécues et des phénomènes observés. C’est ce qu’on peut

considérer comme le leitmotiv de Wenger, exprimé sous la formulation : « que nous parlions,

agissions, pensions, résolvions des problèmes, il y a toujours la construction d’une

signification » (Wenger, 1998, p.59).

41 Dans les travaux que nous avions parcourus dans le domaine de l’apprentissage et des sciences cognitives, cette combinaison semble être initiée pour la première fois par Wenger (1998). De plus, nous souhaitons préciser que ces notions n’ont pas fait l’objet d’un développement particulier dans les travaux s’intéressant aux CP, dès lors, nous les présenterons en se rapportant essentiellement sur ce qu’à avancé Wenger (1998).

69

La « négociation de sens » est présentée comme un engagement dans un processus fécond et

continu à travers une interaction soutenue, un accomplissement graduel et un échange mutuel

(Wenger, 1998). L’auteur argumente que malgré le caractère routinier de certaines situations,

interprétées selon ce qui est dit et fait dans le passé, nous inventons de nouvelles

interprétations, qui permettent de modifier ou confirmer les anciennes, ainsi, nous créons de

nouvelles significations. Ces nouvelles impressions et expériences sont donc le produit d’une

négociation de sens. Autrement dit, le sens n’est ni préexistant, ni le résultat d’une simple

construction, la négociation de sens est un processus à la fois historique, dynamique,

contextuel et unique (ibid., p. 60). En effet, étant donné que les pratiques et les actions sont

présentées comme naturellement situées, nous pensons que « la quête de sens pourrait se

justifier, d’un côté par l’hétérogénéité et la divergence/convergence des points de vue des

participants dans une communauté42, d’un autre, par l’aspect que l’on peut considérer

comme partiel et imparfait des interprétations antérieures (voire actuelles et ultérieures). Ces

interprétations peuvent s’avérer étroitement liées au contexte dans lequel elles se sont

produites » (Mebarki, 2009, p.7). Ceci nous rapproche sensiblement du -et se traduit

parfaitement par le- langage de Situated Learning, arguant (cf. section précédente) la

signification d'un mot comme étant toujours en construction, car ses constituants

indexicalisent le monde et sont ainsi indissolublement un produit de l'activité et des contextes

dans lesquels ils sont produits. (Brown et al., 1989).

En fait, pour expliquer la finalité et le but visés à travers cette notion de négociation de sens,

Wenger (1998) utilise l’expression de négociation de sens à travers les deux dimensions:

sociale, comme « négocier un prix » qui notifie la conclusion d’un accord entre des individus,

et la dimension pratique relevant du savoir faire, comme « négocier un virage » qui exige une

adaptation aux situations. Ainsi, à partir de ces deux aspects (social et pratique), Wenger

montre que le terme de négociation, reflète la capacité mutuelle d’influencer et d’être

influencé dans une structure sociale.

Par ailleurs, et comme nous l’avons évoqué auparavant, le mécanisme par lequel l’expérience

et sa signification se négocient repose sur la complémentarité de deux processus :

Participation et Réification. Avant de parler de leur dualité, nous exposons d’abord chacune

des deux notions telles qu’elles sont présentées par l’auteur.

42 Ce qui illustre bien l’aspect sociocognitif que nous avons dégagé auparavant comme étant très présent dans la perspective de l’apprentissage situé.

70

1.2.1.1 La participation

Comme nous pouvons le deviner, le recours à ce terme fait suite à son utilisation initiale par

Lave et Wenger dans la LPP (1991), où elle a été qualifiée de légitime et périphérique pour

décrire l’intégration du novice au sein d’une communauté, mais l’utilisation qui en était faite

est ancrée dans une optique restreinte et son sens n’a pas dépassé celui de son usage courant.

Wenger (1998) s’est donc livré à une description plus détaillée de ce que recouvre ce mot,

notamment dans sa perspective sociale. La participation est un processus qui consiste à faire

partie de quelque chose avec d’autres au moyen, à la fois, d’une action et une connexion

(ibid., p. 61). Ces dernières peuvent être appréciées dans plusieurs actes, tels que observer,

parler, penser, faire, ressentir et appartenir, etc.

Pour Wenger (1998), la participation sociale se réfère à un engagement dynamique de

l’individu au sein de la communauté à laquelle il appartient. Il estime que le sentiment

d’appartenance à cette communauté favorise l’engagement de l’individu au sein des projets

collectifs de cette communauté. C’est ce qui donne à ce processus un caractère à la fois

personnel et social43. Dès lors, on peut imaginer la participation sous la forme d’un schéma

itératif combinant le sentiment d’appartenance et l’acte d’engagement, et formant de ce fait

une boucle de rétroaction positive.

En outre, Wenger souligne l’importance du rôle des autres participants, car c’est la

reconnaissance mutuelle et la réciprocité manifestée par les autres membres de la

communauté sociale qui donne de la valeur à cette participation. D’ailleurs, il annonce que

c’est ce caractère de réciprocité qui fait de la participation une source d’identité (ou

d’enculturation chez Brown et al.(1989) et Lave et Wenger (1991)). Il précise au passage que

cette réciprocité ne nécessite pas forcément une atmosphère harmonieuse, car les situations

conflictuelles et la collaboration sont deux contextes favorables dans le cadre de la

participation. Notons ici que la notion de participation chez Wenger, a un sens différent de

celui de la collaboration (nous développerons cet élément dans le troisième chapitre). Ceci

revient à dire que l’individu s’engageant dans une situation conflictuelle participe en fait à

l’expérience de signification. En fait, cette idée en substance n’est pas novatrice, car on la

trouve dans une perspective assez semblable chez d'autres auteurs, tel que Le Boterf (1994)

43 Il est à noter que l’utilisation du terme « social » par Wenger recouvre toute situation relevant de l’explicite (liens directs avec les autres) et toute activité pouvant engager tacitement d’autres personnes (par exemple, lire ou écrire un livre).

71

[in Retour et Krohmer, 2005] qui présente les pratiques de coopération comme n’excluant ni

les tensions ni les conflits.

1.2.1.2 La réification

Selon l’auteur, réifier signifie traiter une abstraction comme si elle existait ou comme un objet

matériel tangible. Il s’agit de donner une forme à une expérience en produisant un artefact44.

Autrement dit, l’acte de réifier peut être interprété par chosifier, car c’est un processus qui

intervient pour nommer, représenter, percevoir, concevoir, codifier, décrire une expérience,

etc., permettant ainsi de simplifier et synthétiser un événement (Mebarki, 2009). La réification

s’appuie sur l’utilisation des concepts, histoires, symboles, et tout autre outil créé et utilisé par

les membres de la CP afin de donner une forme aux situations vécues. Pour cela, Wenger met

le processus de réification au cœur de chaque pratique, car les concepts et les outils

représentent des réflexions sur ces pratiques et sur leurs significations.

Deux caractéristiques de la réification sont soulignées par l’auteur :

- elle est à la fois un processus et son produit, imbriqués l’un dans l’autre. De ce fait, la

transformation d’une signification en objet n’est pas une fin en soi.

- elle est à la fois source de mémorisation et d’oubli, car les traces laissées par les activités

perdurent dans le temps, et sont utilisées pour orienter le futur, mais c’est un processus qui

reste ouvert au sens où les formes se transforment et sont en permanence exposées à de

multiples interprétations et réinterprétations.

Pour résumer, la réification présente un processus consistant à créer des points de focalisation

plus ou moins stabilisés et incarnés dans des objets, documents, règles, etc., autour desquels la

négociation de sens peut s’organiser (Wenger, 1998 ; Chanal, 2000 ; Vaast, 2002).

Après avoir présenté la participation et la réification, nous aborderons dans ce qui suit la

dialectique de leur complémentarité et dualité. En fait, la négociation de sens repose sur cette

44 D’après l’Encyclopédie Scientifique (en ligne) Techno-science (www.techno-science.net), « un artefact, ou artéfact, désigne à l'origine un phénomène créé de toute pièce par les conditions expérimentales, un effet indésirable, un parasite. Mais sous l'influence du faux-ami anglophone Artifiact, le mot est parfois employé pour désigner de manière générale un produit ayant subi une transformation, même minime, par l’homme et qui se distingue ainsi d’un autre provoqué par un phénomène naturel » Son utilisation par Wenger et les autres auteurs correspondent plutôt à cette seconde description (c’est à dire Artifact).

72

dualité qui présente un aspect fondamental de la constitution des CP. Wenger estime même

qu’elle est le pivot de sa théorie de construction de sens.

1.2.2 La dualité participation / réification

Pourquoi parle-t-on en terme de dualité ? Wenger (1998) pense que le couple ne doit pas être

séparé et la négociation de sens repose sur la dualité de ces deux processus, car l’un comme

l’autre, présentent des limites pouvant être un obstacle pour la production sociale des

significations.

Penser en terme de dualité signifie que les deux processus sont à la fois dynamiques et

articulés, et parler de complémentarité revient à dire qu’il y a compensation des lacunes

inhérentes à chacun des processus. En effet, selon Wenger (1998), du fait de son « caractère

informel », la participation est fluide et prête à confusion. Sa propriété implicite et trop vague

d’un côté, et son application, strictement locale ou trop étroite ne semble pas suffisante pour

pérenniser les significations. C’est pour cette raison que la réification est nécessaire pour

compenser le caractère évanescent et contextuel de la participation (Chanal, 2000, p. 6).

De son côté, la réification manifeste des limites vu son aspect général et rigide, qui lui donne

une forme imprécise, n’aidant pas forcément à obtenir une signification structurée. A ce

propos, Wenger annonce : « la réification suggère que les formes peuvent avoir une existence

propre, au-delà de leur contexte d’origine […], la réification en tant que élément constitutif

de la signification, est toujours incomplète, continue et une source potentielle de richesse et

d’erreurs (Ibid. 1998, p. 67). L’auteur assimile cette déficience et cette limite inhérentes à la

réification à celles des lois écrites incapables de solutionner tous les problèmes, ce qui donne

de ce fait la légitimité aux juges pour les interpréter. Ce rapprochement avec les

problématiques des lois présente, à notre sens, une similitude très nette avec la conception de

la codification chez Bourdieu (1983) qui soulève, plus précisément, les problèmes existant

autour de la pratique d’homologation, en annonçant qu’« une part des luttes sociales tient au

fait que, précisément, tout n’est pas homologué et que, si homologation il y a, elle ne met pas

fin à la discussion, à la négociation, voire à la contestation » (ibid., p. 43). Cela dit, dans son

article, Bourdieu (1983) estime que la discussion, la négociation et la contestation (des actions

que l’on peut rassembler et traduire dans le vocabulaire de Wenger par le processus de

participation) sont des actes non seulement inévitables mais indispensables pour trouver un

accord autour d’une codification. Ce qui correspond parfaitement aux idées de Wenger

73

insistant sur la nécessité de faire appel à la participation pour remédier aux problèmes générés

par la réification.

A la lecture de ce que nous avons présenté à propos de ces deux processus, on peut être tenté

de relever une distinction entre eux en essayant de leur calquer la dialectique tacite / explicite,

dans le sens où la participation semble davantage tacite et la réification incarne des objets

explicites. Ce point est soulevé par l’auteur lui-même, mais il pense que la participation n’est

pas seulement et simplement tacite, et la réification n’est jamais complètement explicite.

La participation et la réification ne peuvent être ni séparées, ni substituées l’une à l’autre, car

la complémentarité du couple (leur interdépendance) est une condition indispensable pour la

construction du sens. La possibilité de donner une forme à l’interprétation et utiliser ensuite

cette forme pour négocier le sens, dépend fortement du maintien de l’équilibre de cette dualité

qui parait primordial pour la continuité et la richesse des significations produites (Chanal,

2000).

Figure 2. La dualité participation / réification dans les CP (Wenger, 1998 p. 69)

Nous venons donc de restituer le concept de la pratique tel qu’il est conçu par Wenger, et qui

semble, à notre sens, davantage illustré à travers sa dimension sociale, relevant de la

production de sens via les interactions dans une CP (c’est à dire son potentiel à produire de la

structure et des significations aux actions), plutôt que de la dimension fonctionnaliste

s’intéressant à l’acte d’accomplir une activité. Mais, cela ne signifie pas pour autant qu’il a

négligé cette dimension. La pratique pour Wenger regroupe les deux dimensions.

74

Après avoir présenté ces paramètres épistémiques expliquant le fondement du concept et de la

théorie des CP, nous allons maintenant nous intéresser aux caractéristiques structurelles de ce

groupe à travers l’autre notion composant cette théorie, celle de « communauté ».

1.3 La notion de « Communauté »

Le développement de cette notion dans notre registre des CP part de l’idée selon laquelle la

pratique définit la communauté et son domaine. De ce fait, il faut garder à l’esprit que les

paramètres épistémiques et structurels de la communauté sont fondamentalement et

initialement des caractéristiques étroitement liées à- et générées par- la pratique. Cependant, il

nous semble intéressant de commencer par évoquer cette notion dans un champ d’étude plus

général pour avoir un aperçu sur ce que recouvre ce concept et les difficultés inhérentes à son

appréhension.

Traditionnellement, la notion de communauté a été finement analysée dans des disciplines

comme la sociologie ou l’ethnologie. Selon Guérin (2004) l’historien de la sociologie R.A.

Nisbet n’hésite pas à en faire l’un des cinq « concepts élémentaires » de la discipline. Mais

malgré cet engouement, on sait combien le terme de « communauté » est intrinsèquement

problématique, voire même un sujet à controverse pour les sociologues. A cet sujet, Guérin

(2004) annonce ce concept de « communauté » comme étant un terme hautement

polysémique (en sociologie et en sciences de gestion), et se demande même si la

« communauté » est vraiment un concept45. Pour illustrer ces propos, il cite, entre autres,

Scherer (1972) qui a affirmé ce constat en annonçant (qu’en Grande Bretagne) « en dépit

d'un usage constant, le terme de ‘ communauté’ reste ‘‘désordonné, porteur de confusion et

difficile’’ » (ibid., p. 3). Cette difficulté s’amplifie lorsque on remonte aux sources de ce

concept. M. Weber (1922) a estimé que le terme de communauté ou communalisation n’a pas

d’existence pure. C’est un sentiment subjectif que des participants ont d’appartenir à une

même communauté [in Gilbert et al., 2005].

Dans le champ des CP nous pensons que ces problèmes autour de ce concept sont à l’origine

d’une bonne partie des critiques formulées au sujet des CP, car, en plus du flou de ses

contours, les termes usuellement mobilisés pour caractériser la communauté, tels que

l’engagement, l’appartenance, le pouvoir, la culture, les valeurs, l’histoire et l’identité, etc.,

45 Pour plus de détails concernant cette problématique, cf. Guérin (2004) « Le concept de communauté : une illustration exemplaire de la production des concepts en sciences sociales ? » (13ème Conférence de l’AIMS).

75

sont pour la plupart des concepts « amorphes », n’aidant pas de ce fait à saisir ses frontières.46

De son côté, Wenger n’est pas allé loin dans cet exercice autour de la définition de la notion

de communauté, en considérant cette dernière uniquement comme étant le produit des

pratiques élaborées et partagées par ses membres. Cependant, il insiste sur le fait que en

retour, cet aspect communautaire garantit la pérennité de ces pratiques et permet à ses

participants de s’y identifier en tant que membres et de se distinguer des autres groupes (ou

des autres notions comme la culture par exemple). Selon l’auteur (1998), cet aspect

communautaire est le résultat de trois dimensions qui présentent les sources de cohérence de

la CP : engagement mutuel, entreprise commune et répertoire partagé.

1.3.1 L’engagement mutuel (Mutual Commitment)

Cette fonction correspond à l’engagement des individus dans des actions dont ils négocient le

sens, ayant pour résultat l’appartenance à une communauté de pratique, (ou plus globalement

à une entité sociale (Wenger et Lave, 2004). L’engagement mutuel dépend de la capacité des

participants à connecter leurs connaissances pour négocier le sens de leurs expériences.

Suivant cette réflexion, il est clair que des compétences telles que savoir aider et savoir se

faire aider sont primordiales pour le fonctionnement de la communauté. En effet, pour

appartenir à une CP, les membres doivent s’engager mutuellement en créant des relations

d’entraide qui leur permettent d’être efficaces dans leur rôle, car le fait de détenir des

caractéristiques communes n’est pas suffisant pour attribuer la notion de CP à un groupe.

Cette citation de Wenger (1998, p. 83) accentue sur ce point : «Il faut être partie prenante de

ce qui importe pour pouvoir s’engager dans une pratique de communauté, tout comme un

engagement est ce qui définit l’appartenance ».

Ainsi, on comprend que l’engagement, est une condition indispensable pour appartenir à un

groupe et assurer par conséquent son épanouissement. Cette idée phare dans la réflexion

Wengerienne se trouve également dans les travaux s’intéressant aux domaines du travail

collectif et des collectifs au travail, à l’instar de celui de Retour et Krohmer (2005), qui

parlent de l’ engagement subjectif des individus faisant partie d’un collectif, comme démarche

coopérative et comme un des piliers de la compétence collective. De la même manière, on

retrouve cette idée chez Chanal (2000), qui applique cette notion d’engagement mutuel (de

Wenger) au cas des « équipes projets » et la considère comme équivalente à la démarche de

contribution complémentaire les participants.

46 D’ailleurs même Wenger (1998) rapporte que certaines communautés auxquelles nous appartenons n’ont pas de dénomination. Ce qui explique toute la difficulté qui entoure ce concept.

76

Il est à noter que pour l’auteur, comme c’était le cas du processus de « participation »,

l’«engagement » ne doit pas être compris comme seulement des relations mutuelles bâties

autour des interactions affectives, car elles comprennent également les désaccords, les défis et

la compétition.

1.3.2 L’entreprise commune (Joint Enterprise)

Cette dimension présente la deuxième caractéristique de la pratique en tant que source de

cohérence de la communauté. D’après l’auteur (1998), par entreprise commune, on entend

une entreprise conjointe comprise et continuellement (re)négociée par ses membres. Cette

négociation continue se base sur -et s’articule autour- des règles informelles, qui ont peu de

choses à voir avec les contraintes des normes rigides d’une organisation, telle la conformité à

un projet. En d’autres termes, cette entreprise négociée est une source de coordination des

relations de responsabilité mutuelle entre les participants, leur permettant d’inventer en

permanence son auto-organisation. Dans cette optique, on est amené à penser qu’à travers

cette notion d’« entreprise commune », on peut apprécier davantage la portée des caractères

structurant et organisant de la pratique, défendus par Wenger, car ici, il explicite davantage

l’auto-organisation du groupe et sa coordination par des règles et des conventions tacitement

admises entre les membres, grâce à la pratique qu’ils ont co-élaborées et qu’ils continuent de

négocier.

Il est à noter que l’auto-organisation de la CP représente une idée très chère à Wenger dont il

fait usage dans quasiment tous ses travaux, notamment pour caractériser une CP et la

différencier des autres formes de groupe dans l’organisation.

Avant de poursuivre et terminer la présentation de cet élément, nous souhaitons rappeler, -et

bien que Wenger n’y fait pas référence dans ses écrits-, que l’idée de l’auto-organisation du

groupe trouve ses origines dans les travaux fondateurs de l’Ecole des Relations Humaines,

dans le domaine de la psychologie sociale avec les expériences d’Elton Mayo (Hawthorne :

1927 et 1932), qui ont permis de conceptualiser pour la première fois (1939) le phénomène de

l’ organisation informelle (officieuse, non reconnue, en partie clandestine : les règles

n’apparaissent qu’à l’observation soigneuse des pratiques des intéressés47), en la distinguant

ainsi à l’intérieur d’une organisation sociale formelle (officielle, écrite, explicite : l’ensemble

47 Il est à rappeler qu’historiquement, les tayloriens (Taylor et Fayol) considèrent les groupes informels comme des groupes clandestins représentant un dysfonctionnement dans l’organisation, que l’on doit donc éliminer car ils constituent un danger pour l’entreprise (Guérin, 2005, p. 312)

77

des règles affichées). Par la suite, Lewin posa (1943) le concept de dynamique de groupe

(group dynamics), en annonçant que les groupes se caractérisent par un système

d’interdépendance, un système de forces qui le font agir ou, réciproquement, qui l’empêche

d’agir.

Le prolongement de ces travaux, notamment autour du phénomène de l’auto-organisation, a

permis de mettre au jour la notion de « régulation autonome » introduite par le sociologue

français J.D Reynaud (1988), la présentant comme une régulation élaborée grâce à des valeurs

affectives existant entre les membres d’un groupe, enseignée aux nouveaux venus, et en

partie, imposée à ceux qui voudraient s’en écarter. Ses ressources tiennent aux pratiques

inventées par les membres du groupe, plaçant de ce fait ces dernières comme à l’origine de

cette régulation autonome.

Un parallèle avec ce que l’on vient d’annoncer peut être souligné à travers le regard de

Cohendet et al. (2003) qui considèrent, d’un point de vue organisationnel, que la CP fait

partie d’une catégorie qualifiée de « communautés autonomes », étant donné qu’il n’existe

pas d’autorité procédurale et qu’elle peut être fondée par elle-même.

Revenons maintenant à la présentation avancée par Wenger (1998). Il ajoute que l’entreprise

commune est définie par ses participants au cours d’un processus collectif de négociation, et

représente dans les faits leur réaction à leur situation. Cela dit, cette entreprise est une

création d’un espace personnel (elle leur appartient) qui contribue à leur évolution. Mais, là

encore, il faut noter que l’entente n’est pas la seule composante de la culture de cette

entreprise commune car elle est traversée également par les désaccords48.

Enfin, l’entreprise commune est assimilée par Wenger à une entreprise locale dans un

contexte plus général (l’organisation au sein de laquelle elle se développe). Là aussi on dénote

la proximité avec la conception de Reynaud (régulation autonome / régulation de contrôle).

Cette idée sera développée plus loin au moment d’aborder la CP comme entité émergente

dans l’organisation.

1.3.3 Le répertoire partagé (Shared Repertoire)

Le répertoire partagé correspond à l’ensemble des ressources communes que les membres de

la communauté ont créées et adoptées au cours de son existence et intégrées dans leur

pratique. Les ressources en question concernent généralement des outils, du jargon, des

48 De ce point de vue, on comprend que Wenger insiste sur le fait que, malgré le terme de communauté qui revêt en général un sens positif, elle ne doit pas être considérée sous une vision séraphique.

78

gestes, des concepts, des mots, des procédures, des routines, du vocabulaire, des styles, des

artefacts, des prototypes, des maquettes, etc. A titre d’exemple, l’utilisation spontanée d’une

métaphore pour décrire un événement est un élément classique d’un répertoire partagé. Ce

répertoire comprend donc les ressources qui servent à la négociation de sens. Il est le fruit

d’une poursuite commune d’une entreprise, reflétant une histoire d’engagement mutuel

passée, et peut être réinvesti dans de nouvelles situations. C’est ainsi que Wenger (1998)

présente la troisième source de cohérence d’une communauté, annonçant que le « répertoire

partagé » combine les éléments de participation et de réification, et comprend les

interprétations des membres de même que les styles qui permettent d’afficher leur

appartenance et leur identité (ibid., p. 91). Dès lors, on saisit que ce répertoire comprend les

résultats issus de l’acte de réification qui permet de donner une forme tangible, ou du moins,

indexicalisant les objets de la participation dans le processus de négociation de sens.

Par ailleurs, cette notion de « répertoire partagé » nous rappelle d’autres notions similaires,

auxquelles les chercheurs font appel usuellement pour décrire les outils adoptés par des

collectifs au travail, à l’instar de celle du référentiel commun de Montmollin, (1984) évoqué

dans les travaux de Veltz et Zarifian (1994) et Retour et Krohmer (2005), s’intéressant à la

dimension collective du travail. D’après ces auteurs, le référentiel commun présente un

patrimoine partagé résultant d’un véritable travail d’élaboration collective et dépassant

l’addition simple des représentations individuelles des participants. Dans ce référentiel

commun, on trouve le notion de langage partagé, considéré par Retour et Krohmer (2005)

comme un des attributs de la compétence collective. Il décrit un vocabulaire particulier et

propre à une équipe, lui permettant de forger sa propre identité et de se distinguer des autres

collectifs. A propos de ce langage, on note que Wenger (1998) use régulièrement de la notion

de discours partagé, qui lui est très voisine.

De son côté, Chanal (2000) évoque des similitudes entre la notion de « répertoire partagé » et

la conception du « structurel » chez Giddens (1984), représentant un ensemble de règles

engagées dans la production et la reproduction des systèmes sociaux, dont il assure la solidité

dans le temps et l’espace (ibid., p. 8). Dans une optique similaire, Thompson (2005) considère

le répertoire partagé comme une composante structurelle de la CP, en rapportant dans le cadre

de son étude empirique, le quotidien des salariés d’une entreprise (“e-future”) qui partagent

des habitudes correspondant à des activités ludiques pendant qu’ils effectuent leur travail et

des représentations (une manière de s’habiller, par exemple) qui d’après l’auteur structurent le

groupe étudié.

79

Pour conclure cette partie portant sur les trois caractéristiques de la communauté nous

rapportons que, pour Thompson (2005), l’engagement mutuel et l’entreprise commune sont

considérées comme des composantes épistémiques de la CP, quant au répertoire partagé, il est

vu comme sa composante structurelle. Ceci nous paraît comme un premier apport non

négligeable dans ce champ d’étude et qui ouvrirait probablement la voie à d’autres recherches

sur ces sujets. Sans vouloir rentrer profondément dans ce débat, de notre point de vue, compte

tenu de la présentation qui en est développée par Wenger en donnant beaucoup de crédit à la

capacité de l’acte d’engagement à définir l’appartenance au groupe et de s’y identifier de ce

fait ; et celle de la dimension de l’entreprise commune comme une entreprise négociée par le

groupe permettant en retour de réguler ses relations internes, nous estimons qu’en plus du

répertoire partagé, l’engagement mutuel et l’entreprise commune peuvent également se

présenter comme des composantes structurelles. Nous pensons que ces dimensions sont en soi

structurantes de la communauté de pratique. Ceci peut être renforcé si on part du principe que

ces trois dimensions sont générées par la pratique, alors que pour les tenants de la théorie des

CP, la pratique est en elle-même une composante structurante.

Ainsi, nous venons de voir des éléments définissant le concept de la « communauté de

pratique », dont l’appréhension s’améliore notamment par l’étude de ses composantes

« pratique » et « communauté», permettant ainsi d’illustrer davantage la pratique et la

structuration de cette forme de groupe. Mais, en même temps nous avons également donné un

aperçu sur le fonctionnement de la CP et le mécanisme d’apprentissage qui s’y déroule, étant

donné que les caractéristiques abordées sont pour la plupart décrites comme à la fois des

processus et leurs produits. En effet, il faut rappeler que les pionniers de cette théorie

décrivent l’apprentissage comme se faisant dans la pratique à travers la négociation de

significations, dès lors, on peut comprendre que les détails rapportés à propos de la pratique et

de la communauté permettent d’esquisser le dessin du mécanisme d’apprentissage qui se

déroule dans la CP. Ce raisonnement fait référence bien évidemment à l’un des arguments

principaux et répété à plusieurs reprises par Wenger (1998) stipulant que la combinaison des

trois sources de cohésion offre un contexte privilégié à la négociation de sens, et que la

continuité des significations fait leurs évolutions au cours du temps, permettant ainsi à la

pratique d’être une source d’apprentissage dans une structure sociale. Donc, nous allons

essayer de développer, dans ce qui suit, ces arguments qui se présentent, de facto, comme un

aspect primordial pour comprendre le mécanisme de l’apprentissage dans les CP dont les

principes reposent sur la perspective de Situated Learning. Toutefois, nous allons nous centrer

80

sur les éléments non encore élaborés au moment de poser les prémisses de la théorie de

Situated Learning, et qui présentent de ce fait une continuité et un enrichissement de cette

théorie. Par la suite, et vu que l’apprentissage des participants est considéré par Wenger

comme étant à l’origine de l’émergence de cette communauté, nous nous intéresserons à la

CP en tant que entité émergente dans l’organisation, en abordant entre autres, les conditions et

les facteurs relatifs au contexte, qui pourraient expliquer son émergence et sa dynamique dans

l’organisation.

2. Les Communautés de Pratique comme espaces d’apprentissage pour les

salariés dans l’organisation

Dans ses écrits et à plusieurs reprises, Wenger établit une association entre la communauté, la

pratique et l’apprentissage, tout en rappelant qu’il s’agit d’une structure émergente. Cette

citation en témoigne clairement : « affirmer que l’apprentissage est ce qui donne naissance à

une communauté de pratique revient à dire qu’il est à l’origine d’une structure sociale. Mais

la structure de référence n’a pas une existence dissociée du processus de l’apprentissage. Il

s’agit plutôt d’une structure émergente » (ibid., 1998, p. 107). Voici donc ce qui introduit

d’autres concepts phares de la théorie des CP. qui semblent alors judicieux d’analyser pour

mieux comprendre le fonctionnement de ces groupes.

2.1 Le mécanisme de l’apprentissage à l’intérieur de la CP

Sur les bases socioconstructivistes du Situated Learning, Wenger (1998) construit ses

fondements de la théorie des CP et, présente une architecture posant la négociation de sens et

la pratique comme des piliers de l’apprentissage, situé et fondamentalement imprégné dans

son contexte socioculturel, donnant ainsi naissance à une communauté de pratique. Brown et

Duguid (1991) ont formulé auparavant leur propre approche du mécanisme de l’apprentissage

se déroulant dans une CP, en partant certes, de la perspective située, mais en mobilisant une

terminologie et un regard légèrement distincts de ceux de Wenger. Toutefois, les deux

approches sont très proches, voire même complémentaires. Par ailleurs, ces auteurs (Brown et

Duguid (1991) et Wenger (1998)) ont poussé leur regard sur l’apprentissage au-delà de

l’espace interne de la CP pour atteindre celui de l’organisation, prétendant que cette dernière

est -ou devrait être- considérée comme une regroupement des CP se formant en son sein, d’où

l’idée de regarder l’apprentissage organisationnel comme un apprentissage

81

transcommunautaire. Voyons donc d’un point de vue opérationnel, comment le mécanisme

de l’apprentissage intra et inter CP se distingue selon ces deux approches 49.

2.1.1 L’approche Wengerienne (1998) : la pratique et la négociation de sens ;piliers

de l’apprentissage situé

Faisant suite aux idées du Situated Learning, Wenger (1998) en parlant du processus

d’apprentissage dans la CP, met en avant un aspect jusque là cité mais jamais réellement

développé. Il s’agit de l’aspect « histoire » (ou « évolution ») qui caractérise et accompagne à

la fois le processus de l’apprentissage et celui de la construction de la CP. En ce sens, et pour

rendre compte de l’importance de cet aspect chez cet auteur, ce dernier annonce que « les

communautés de pratique peuvent être considérées comme des histoires partagées de

l’apprentissage » (op. cit., p. 97). Il ouvre ainsi le registre de la notion d’« histoire » en

mettant en exergue deux dualismes (les deux facettes de l’histoire d’après l’auteur) : la

mémorisation et l’oubli (1), les continuités et les discontinuités (2), que nous résumerons ci-

dessous à partir de la présentation qui en est faite par l’auteur (1998, p. 99-100).

2.1.1.1 La mémorisation et l’oubli

Ces deux phénomènes sont le fruit des deux processus précédemment cités dans la

négociation de sens: la participation et la réification.

La participation est à la fois, source de mémorisation et d’oubli. De mémorisation car

nos pensées transforment nos expériences de participation en souvenirs intarissables. Et

d’oubli car non seulement on est susceptible d’oublier nos souvenirs, mais parce que

nos points de vue changent, ainsi, nos formes de participation changent au fil du temps.

La réification de son côté, permet de mémoriser les événements et de laisser des

empreintes durables, mais comme nous l’avons déjà vu, ce processus est ouvert, dans le

sens où les formes créées restent sujettes à réinterprétation. Ainsi, le passé oriente le

futur qui à son tour réoriente nos attentions.

2.1.1.2 Les continuités et les discontinuités

L’engagement dans la pratique à travers la participation et la réification peut être à la

fois source de continuité et de discontinuité. La continuité se traduit dans les artefacts

49 Bien que dans ce champ l’approche de Brown et Duguid (1991) est plus antérieure, nous commençons par l’approche de Wenger (1998) afin de la mettre en lien avec le concept de négociation que nous venons de présenter.

82

qui tentent de perpétuer les répertoires des pratiques (même au-delà de leur contexte

d’origine). C’est ce qui permet à la CP de perdurer dans le temps, de continuer à

fonctionner et surtout, d’enculturer les nouveaux participants. Mais l’auteur signale que

la participation et la réification ont une portée limitée, et qu’elles engendrent des

discontinuités dans l’évolution des pratiques, car les membres participent et adoptent de

nouvelles positions, renoncent à de vielles astuces et en découvrent de nouvelles. De

son côté, la réification peut comprendre des générations qui causent des discontinuités,

telle que l’installation d’un nouveau système informatique dans une entreprise,

conduisant les membres de la CP à abandonner les supports papiers (ce qui pour

certains salariés peut représenter une transformation radicale). Mais le facteur le plus

influent dans la discontinuité des CP reste le turnover de ses membres car le départ des

anciens s’accompagne surement d’une perte dans certaines pratiques50 (et de la culture

de la communauté). En revanche, les nouveaux adhérents ramènent du sang neuf à cette

communauté. Ce phénomène est qualifié par Wenger de discontinuités

générationnelles. L’idée, est que les générations qui se succèdent interagissent, et une

partie de l’histoire de la pratique continue de s’exprimer à travers cette communauté,

faisant de cette dernière un espace où le passé, le présent et le futur cohabitent. Wenger

pense que les discontinuités générationnelles, est en soi un processus social

d’apprentissage partagé51. D’ailleurs, c’est sur cette problématique qu’est basée une

partie du concept de LPP.

Ceci étant donc les deux facettes de l’histoire telle que Wenger (1998) les a caractérisé, à

travers la mémorisation et l’oubli, d’un côté, et la continuité de discontinuité des pratiques52,

de l’autre. Par ailleurs, l’auteur renforce cette idée en traduisant cette conception de

50 C’est une problématique très connue dans un contexte plus large, qui est celui de l’organisation en générale, car le départ du personnel d’une entreprise représente un challenge à relever par les organisations dans le champ du Knowledge Management (capitalisation des connaissances et leur transfert aux nouvelles recrues) (Simoni 2005; Brassac, 2008, etc.). 51 Les membres de la CP changent graduellement de façon à maintenir des liens intergénérationnels. Ces rencontres entre générations constituent l’aspect de la pratique le plus souvent associé à l’apprentissage (Wenger 1998, p.109). 52 L’aspect relatif à évolution des pratiques dans la CP est vu par Chanal (2000) comme l’un des éléments qui marquent la différence entre les CP les équipes projets, en présentant la pratique de ces dernières comme étant « finalisée » et « limitée» dans le temps. L’auteur utilise alors une métaphore pour comparer les deux conceptions de la pratique : dans les CP, la pratique nous apparaît comme un fleuve qui s’écoule, avec régularité, mais aussi des accidents de parcours, alors que le projet correspondrait à la construction d’un barrage (ibid., p. 20).

83

l’apprentissage (basée sur l’histoire et l’évolution de la construction et des significations dans

le temps) à travers les trois dimensions (de la pratique) de la CP :

- Des formes d’engagement mutuel qui évoluent : l’engagement évolue à travers les

relations mutuelles qui permettent aux participants de découvrir comment et avec qui

s’engager, de définir les identités selon, qui est facile ou pas à approcher, qui excelle dans

telle ou telle activité, qui sait faire quoi, celui qui aide et celui qui fait obstacle.

- Comprendre et orchestrer leur entreprise : elle est comprise et continuellement

renégociée par ses membres, et résultant d’une évolution et l’harmonisation des engagements

envers celle-ci, en demeurer responsable, et réconcilier les divergences des interprétations sur

sa nature.

- Développer des répertoires : Ce développement repose sur la continuité des négociations

de sens des diverses situations : raconter des histoires et en tirer des leçons pour exploiter leur

sens dans des situations similaires, créer de nouveaux artefacts, des outils, un jargon

réutilisable, définir de nouveaux termes et en abandonner d’autres, et les adopter au fur et à

mesure de l’évolution des situations.

A la lumière de ce que nous venons d’annoncer, il est clair que la notion d’«histoire » occupe

une place déterminante pour penser l’apprentissage chez Wenger, car l’évolution des

significations dans le temps fait de ce dernier un processus permanent et ouvert, comprenant

la possibilité de poursuivre et d’inclure de nouveaux éléments. Quant au registre structurel de

la communauté, cela revient à dire que la CP est une construction à la fois constante et

malléable.

Nous allons maintenant présenter la seconde approche expliquant le mécanisme de

l’apprentissage dans les CP, celle de Brown et Duguid (1991) qui évoquent à leur tour, entre

autres, l’aspect « histoire » dans les pratiques de la communauté, mais sous un registre

différent, celui de la narration autour des pratiques antérieures.

2.1.2. L’approche de Brown et Duguid (1991) : l’apprentissage, l’histoire d’une

pratique partagée

Brown et Duguid (1991) présentent leur conception de l’apprentissage dans un article intitulé

« Organizational Learning and Communities-of-Practice: Toward a Unified View of

Working, Learning, and Innovation ». Après avoir rappelé les prémisses de Situated Learning,

les auteurs développent une vision sur la pratique permettant l’apprentissage, en se basant

84

notamment sur l’étude empirique de la thèse de J. Orr (1990) (Talking about Machines: An

Ethnography of a Modern Job) qui rapporte minutieusement les pratiques des techniciens

réparateurs de télécopieurs, et montrent que la procédure qui permet la résolution des

problèmes rencontrés par ces réparateurs se construit dans l’échange des histoires (« story-

telling process ») relatives aux réparations antérieures qu’ils ont effectuées. C’est ce

processus qui permet le partage des expériences entre ces réparateurs. Brown et Duguid

(1991) montrent que l’échange des expériences entre les interlocuteurs ressemblent à des

« histoires de guerre », très instructives pour les initiés. Ainsi, et en mobilisant cette idée dans

le champ des CP, ces auteurs estiment que le partage des histoires et expériences vécues par

les participants font que les pratiques dans les CP peuvent être assimilées à des « histoires de

guerre » que les membres se racontent. Pour ces auteurs (ibid., p. 45), deux aspects importants

sont à souligner à propos de la pratique (de ces réparateurs) consistant à créer et échanger des

histoires. Tout d’abord, raconter des histoires permet de diagnostiquer l’état de la machine en

panne en partant des histoires à propos des réparations antérieures, ayant permis à un

réparateur et à un spécialiste technique de résoudre le problème rencontré.

Le second aspect du « story-telling » renvoie au fait que ces histoires peuvent agir en tant que

répertoire de sagesse accumulée, qui sera réutilisé pour les problèmes futurs. Ainsi, cet

échange et ce « croisement d’histoires » est une occasion d’apprentissage mutuel et fournit

une opportunité d’appréhender de nouveaux problèmes (Simoni, 2005, p.118).

Pour mieux comprendre le fonctionnement de ce mécanisme et l’importance des histoires

partagées, Brown et Duguid (1991), soulignent d’abord que cette pratique s’inscrit dans le

registre informel de la pratique au travail (sur lesquels nous reviendrons plus loin) et

annoncent que cette dernière comprend trois éléments centraux :

1. La narration : à partir des deux aspects importants du story-telling évoqués ci-dessus, les

auteurs démontrent que :

- les histoires ont une généralité flexible qui les rend à la fois adaptables et particulières, et

permet de compenser les lacunes de la prescription (incomplétude des documents) qui

informent les réparateurs sur « quoi faire » mais pas sur « pourquoi faire ».

- les histoires permettent de répertorier les connaissances acquises et les diffuser au sein de la

CP de manière à assurer la transmission d’un patrimoine, qui est négligé et non protégé lors

des réorganisations qui touchent les entreprises53.

53 Simoni (2005) signale que des travaux sont consacrés à l’étude de la narration en tant que vecteur de diffusion des connaissances dans l’organisation.

85

2. La collaboration : le travail des réparateurs est le fruit d’un processus collectif et pas

individuel. Pour les auteurs, bien que cela puisse paraître trivial, il est important de souligner

le travail de collaboration au sein de la communauté des réparateurs car aux yeux de

l’entreprise, ou du moins, comme le laisse penser leur documentation et les méthodes de

formation, ce travail est considéré comme s’effectuant individuellement. Dans cette optique,

l’apprentissage n’est pas seulement inséparable de la pratique, mais aussi, l’apprentissage

individuel est inséparable de l’apprentissage collectif. La collaboration permet de résoudre les

problèmes de manière collective, grâce aux ajustements mutuels.

3. La construction sociale : les connaissances élaborées sont une construction sociale et non

privée. Reprenant l’argumentation basée sur les idées socioconstructivistes et situationnistes,

les auteurs insistent sur le fait que cette construction sociale permet la formation et le

développement de l’identité d’une personne en tant que membre de la communauté. En outre,

ils soutiennent l’idée que l’innovation peut être vue comme, à la base, une fonction de

changement des valeurs et des perceptions de la communauté (ibid., p. 47).

Ainsi donc les auteurs développent leur approche de l’apprentissage dans les CP à travers la

pratique sous l’angle de construction à travers les échanges d’histoires au travail54. Comme

nous l’avons annoncé, cette approche est très proche de celle de Wenger (1998), car malgré la

mobilisation de concepts distincts, les apports se complètent et convergent vers l’idée que

l’apprentissage est une construction sociale se faisant dans et par la pratique dans ses

dimensions sociales et historiques.

Nous allons maintenant nous intéresser à l’apprentissage dans les CP dans une optique plus

large, celle de l’organisation où se forment les CP.

2.2 L’apprentissage inter CP pour penser l’apprentissage organisationnel

Cette idée est développée chez Wenger (1998) lorsqu’il aborde certains détails relatifs à la

confrontation inter CP dans l’organisation. Nous présenterons ces éléments juste après avoir

parlé de son utilisation initiale par Brown et Duguid (1991).

54 En fait, dans leur article, les auteurs soutiennent une hypothèse générale, qui considère que travailler, apprendre (et innover) sont interdépendants et compatibles, voire potentiellement complémentaires.

86

2.2.1 L’organisation comme une communauté des communautés

«Organizations as communities of practice », est le titre choisi par Brown et Duguid pour la

conclusion de leur article de 1991. Ils présentent cette hypothèse comme une recommandation

en direction des (grandes) organisations qui peinent à combler l’écart entre le travail réel et le

travail prescrit. Leur idée est que les nombreux processus et technologies modernes menacent

le fonctionnement vigoureux de l’apprentissage et les communautés innovantes, et donc la

pratique dans le milieu de travail. De plus, les changements opérés ou les réorganisations

résultant de ces processus peuvent perturber ce qu'ils n’ont pas inscrit (ce qui n’a pas été

enregistré, codifié et capitalisé). Pour préserver la pratique et l’apprentissage, ainsi que

l’innovation, l’entreprise se doit de combler cette lacune. Pour ce faire, elle a besoin de se

ressaisir elle-même comme une communauté des communautés, en reconnaissant dans son

organisation les nombreuses communautés informelles existant en son sein (ibid., p. 53). Ce

qui nécessite de comprendre d’abord les différentes CP qui se forment en son sein, et une

réorganisation conceptuelle accueillant l’apprentissage en travaillant (dans la pratique).

De sont côté, Wenger (1998) a repris cette vision pour annoncer que sa conception de

l’apprentissage concerne et implique deux niveaux. Le premier correspond à ce que nous

avons déjà présenté, c’est à dire l’apprentissage au sein d’une CP. Le deuxième niveau,

concerne l’apprentissage intercommunautaire dans l’organisation, permis grâce aux

interactions entre les différentes CP existant en son sein. En d’autres termes, là où Brown et

Duguid (1991) pensent que l’organisation peut être vue comme une communauté des

communautés, Wenger (1998) dit qu’une organisation peut être considérée comme une

constellation de communautés de pratique dans une organisation apprenante. Voyons donc les

détails que Wenger avancent à propos du mécanisme de l’apprentissage se déroulant dans

l’organisation, le tout dans le langage des CP.

2.2.2 La constellation des CP dans l’organisation apprenante

Pour l’auteur, une entreprise est non seulement composée de plusieurs communautés, mais

ces dernières sont interconnectés les unes aux autres grâce à l’interaction et l’interdépendance

des pratiques. De ce fait, l’organisation dans sa globalité est vue par l’auteur comme une

87

Constellation des Communautés de Pratique (CCP)55. Son argumentation repose sur l’idée

que le partage des pratiques ne se limite pas à l’intra-CP car il peut s’étendre aux membres

d’autres CP existantes dans l’organisation par l’interaction entre les pratiques. Dès lors,

l’apprentissage prend une dimension plus large, une dimension organisationnelle, permettant

de qualifier ces entreprises d’organisations apprenantes. En 1991, Senge définit « les

organisations apprenantes comme des organisations où les gens développent de façon

continue leurs capacités à créer les résultats qu’ils souhaitent, où de nouveaux modèles de

pensée émergent, où les aspirations collectives sont libérées et où les gens apprennent en

permanence à apprendre ensemble » [in Mathieu, 2003]. De leur côté, Lorenz et Valeyre,

(2004) nous apprennent que ce type d’organisation apprenante56 est fondé sur le principe

d’équipes autonomes de travail qui s’auto-organisent pour réaliser les objectifs établis avec la

hiérarchie et dont les membres sont polyvalents sur l’ensemble des tâches des équipes (ibid.,

p.11). Dans cette optique, on peut dire que l’approche des CCP pourrait apporter un plus à

l’appréhension de - et un nouveau regard sur- ce concept d’organisation apprenante, étant

donné que les combinaison des trois caractéristiques de la CP (engagement mutuel, entreprise

commune et répertoire partagé) illustre parfaitement les principes de l’organisation

apprenante telle qu’elle est rapportée ici.

L’idée d’appréhender une entreprise dans sa globalité comme une CCP est justifiée selon

l’auteur par le fait que la CP ne doit être considérée en marge du monde extérieur et que leurs

pratiques ne peuvent être isolées clairement de celles des autres CP se formant au sein de la

même organisation. La raison en est que les nombreux projets des communautés de pratique

s’entrecroisent et que les membres et leurs artefacts ne leur appartiennent pas en propre

(Wenger, 1998, p. 115). Cela dit, et comme le souligne Chanal (2000), cette notion de CCP

suppose également une réflexion sur la continuité des pratiques dans le temps et dans l’espace

afin d’assurer une cohérence à l’organisation au-delà des différentes pratiques qui la

composent (ibid., p. 13).

Par ailleurs, il est important de souligner que l’observation d’une organisation comme une

constellation de CP repose sur l’appréhension de certains caractéristiques communes,

énumérées par Wenger (1998) comme suit : 55 Notons que l’idée de la coexistence de plusieurs CP et leur interactions (les relations entretenues avec d’autres communautés de pratique limitrophes) dans l’organisation est déjà évoquée par Lave et Wenger (1991) lors de la première définition du concept de CP (que nous avons rapporté au début de la section). 56 Dans cet article, les auteurs ont élaboré une typologie des formes d’organisations de travail existant en Europe, en plaçant aux côtés de la forme apprenante, trois autres types d’organisations : organisations en lean production, organisations tayloriennes et organisations de structure simple.

88

- Avoir des racines historiques semblables,

- servir une cause ou appartenir à un organisme,

- être dans la même situation,

- avoir les mêmes membres,

- partager des artefacts,

- être proche géographiquement et interagir,

- avoir des styles et des discours qui se chevauchent,

- être en compétition pour les mêmes ressources,

Inévitablement, ces caractéristiques partagés nous amènent à réfléchir sur la question des

frontières d’une CP et les chevauchements entre les CP. Ce qui nous rappelle dans cette

optique les réflexions précédentes autours des contours de la CP problématisées notamment

dans les travaux de Josserand et St Leger (2004) et Guérin (2004). Toutefois, il est à noter que

Wenger, n’utilise pas cette notion de « frontières » comme un caractère nuisible ou comme

devant être évitées, car pour lui, les frontières sont à la fois inévitables, nécessaires et utiles,

même s’il admet que dans certains cas particuliers, il est préférable ou nécessaire de les

réorganiser. Pour expliquer cette notion de frontière, l’auteur se base essentiellement sur deux

facteurs intervenant dans les pratiques et l’apprentissage intercommunautaires. Il s’agit avant

tout de la variable « individus » dans le sens où certains membres appartiennent à plusieurs

CP à la fois, qualifiés par l’auteur de courtiers. Bien évidemment, la fonction de courtage

renvoie à deviner que ces courtiers transportent d’une CP à l’autre une catégorie d’artefacts,

désignées sous l’appellation d’objets frontières, qui voyagent à travers les pratiques.

2.2.2.1 Les courtiers et le courtage

Pour Wenger, il existe des personnes qui créent des connexions et s’engagent dans de

nouvelles relations, et demeurent aux frontières de plusieurs pratiques plutôt que de se

retrouver en plein cœur de l’une d’elles. En d’autres termes, ces personnes participent et

agissent au niveau des périphéries des CP et jouent le rôle d’agents d’interface. Le terme de

courtiers s’explique par leurs activités qui sont assimilées par Wenger à celles de « l’import-

export ». Ils sont capables d’établir de nouveaux liens entre les communautés de pratiques et

permettent la coordination entre elles. C’est une dimension qui favorise largement

l’apprentissage permis notamment par l’expérience de la multi-appartenance des courtiers.

Enfin, il est à noter que d’après l’auteur, cette activité est compliquée du fait qu’elle

représente quelques risques, notamment le déracinement et les tendances à devenir membre

89

entier dans une autre CP, ou à être rejeté tel un intrus. Cela dit, les courtiers disposent de

plusieurs qualités résidant dans la capacité à participer dans une CP tout en étant porteurs

d’un point de vue différent, qu’ils ont déjà négocié dans une autre CP.

En fait, ce raisonnement nous rappelle celui que l’auteur avait mobilisé pour parler de l’effet

généré par la continuité et discontinuité générationnelles dans la construction des CP, et nous

pensons que l’optique est similaire dans le cas où nous acceptons d’appréhender le niveau

d’analyse du mouvement de turnover des membres d’une CP, non pas uniquement au niveau

interne, mais également sous l’angle d’une mobilité horizontale, inter CP.

2.2.2.2. Les objets frontière

Ce sont les produits de la réification, qui peuvent coordonner les interactions (artefacts,

documents, concepts, discours, outils, mots, ...). Les objets frontière sont utilisés par

plusieurs CP et chacune ne conserve qu’un contrôle partiel sur l’interprétation de l’objet.

Ainsi, la continuité des pratiques est assurée par les relations entre les CP qui s’appuient sur

ces objets frontières. (Notons que les discours sont les objets des répertoires les plus

exportables (Wenger, 1998 ; Chanal 2000)). Enfin, à la différence des autres artefacts, les

objets frontière ont pour caractéristiques la modularité, l’abstraction, la polyvalence et la

standardisation.

Ainsi, Wenger (1998) estime que la pratique est un lien qui permet les connexions de façon

pertinente, car il existe des pratiques frontières entre deux communautés ou encore, un

chevauchement des pratiques des CP observable notamment dans le cas où une situation

nécessite la collaboration entre deux personnes appartenant à deux services différents (s’ils

appartiennent à deux CP différentes), ce qui fait que le jumelage des techniques différentes

peut être source d’apprentissage. L’autre caractéristique de la pratique permettant le lien entre

les CP consiste dans la périphérie de la pratique. Cette périphérie est un espace qui n’est ni

complètement à l’intérieur, ni complètement à l’extérieur de la pratique, donc un espace

ouvert entourant la pratique. L’idée est que grâce à cette dimension de la pratique, la CP offre

aux personnes qui n’appartiennent pas à la CP des formes variées d’accès, informelles et

légitimes, à une pratique sans qu’ils n’aient à se soumettre aux exigences d’une appartenance

à part entière (ibid., p.129). Ceci nous rappelle la théorie de la LPP (Lave et Wenger, 1991)

pour qui cette caractéristique permet aux novices notamment, de mettre en œuvre quelques

90

pratiques au moment où ils intègrent leur communauté sans être complètement immergés dans

son centre.

Dans cette démonstration autour de l’organisation apprenante vue comme une CCP, il nous

semble que l’auteur reprend deux notions phares de sa théorie : la participation que l’on

trouve dans le courtage, et la réification dans les objets frontières, ainsi que leur

complémentarité qui offre plus de chance de lier les pratiques. Ceci, nous amène donc à dire

que la constellation des CP est le résultat d’une coordination à travers une négociation de sens

inter-CP, et l’organisation apprenante dans ce cas de figure disposerait à son tour d’un

répertoire partagé, quoiqu’on puisse imaginer qu’il est constitué uniquement des artefacts les

plus transportés.

Nous venons ainsi de voir le mécanisme de l’apprentissage intra et inter CP (organisationnel)

qui permet aux salariés d’apprendre en construisant des significations à leurs expériences. Par

ailleurs, il est légitime de se demander pourquoi ces salariés sont amenés à négocier

régulièrement le sens de ce qu’ils vivent dans leur organisation, alors que cette dernière est

supposée être organisées par des procédures permettant aux salariés de réaliser leur travail.

N’est-il pas suffisant de suivre, plus ou moins mécaniquement, les pratiques, les règles et

procédures mises en place par l’organisation formelle? Autrement dit, qu’est-ce qui pousse ou

contraint les salariés à négocier le sens de leur travail, donc à un apprentissage continu,

donnant ainsi naissance à une CP ? En outre, cette naissance est annoncée comme synonyme

d’émergence étant donné que la pratique d’échanges informels entre les salariés n’est pas

imposée par les règles normatives de l’organisation (Brown et Duguid, 1991 ; Wenger, 1998).

Donc, il serait intéressant de réfléchir si, dans les faits, l’existence des CP dans les

organisations ne relève pas, et avant tout, d’une émergence circonstanciée, intimement liées

aux caractéristiques du contexte organisationnel. En outre, on devine bien que l’émergence

d’une CP ne peut être en aucun cas « ex-nihilo », du moment qu’elle existe dans une structure

déjà existante, c’est à dire une infrastructure institutionnelle et matérielle pouvant influencer

son fonctionnement. Donc, on peut juger qu’il est très important d’étudier les liens entretenus

entre la CP et l’organisation dans laquelle elle se forme, afin de mieux comprendre son

émergence ainsi que son fonctionnement. C’est ce que nous essayerons de développer dans ce

qui suit, à travers cette partie portant sur la CP et son environnement organisationnel57.

57 Afin d’éviter de nous éloigner de nos axes de recherche, nous avons préféré de ne pas aborder l’aspect de la « culture d’entreprise» dans les relations entre CP et son environnement.

91

3. La CP et son environnement organisationnel : pratiques, acteurs et

régulation.

Nous commençons dans ce qui suit par aborder la CP comme uns structure locale dans

l’organisation institutionnelle, puis, nous développerons l’idée selon laquelle les membres de

la CP développent les pratiques qui leur permettent de mener à bien leur travail quotidien.

Nous enchaînerons ainsi sur la question de la régulation des CP, prétendues autonome et

basée sur des conventions tacitement admises. Enfin, pour compléter cette partie sur les liens

entre la CP et son environnement, nous évoquerons l’impact de la dimension spatio-

temporelle dans l’organisation sur l’émergence et la configuration de la CP.

3.1 La CP n’émerge pas ex-nihilo : La relation avec le design institutionnel

Aborder la CP comme une entité émergente dans une organisation institutionnelle revient à

regarder les organisations en tant que doubles structures, regroupant l’émergent et le conçu.

En s’inspirant des idées de la théorie de la structuration de Giddens (1984), l’idée de Wenger

(1998) ici, s’articule autour de la dialectique présentant « le design institutionnel et la

pratique comme étant deux sources structurantes58. Elles interagissent et s’influencent l’une

l’autre en conservant leur propre intégrité ». L’auteur poursuit son idée en annonçant que

« l’informel revêt une forme, mais il s’agit d’une forme émergente qui représente la logique

d’improvisation consécutive à la négociation de sens » (ibid., p. 266). On retrouve ainsi dans

ces propos deux aspects primordiaux dans l’histoire de la formation d’une CP : son

« émergence » et son caractère « informel ». En effet, dans ses nombreux travaux, Wenger ne

cesse de parler de ce type de groupe comme une structure informelle et émergente, dont

l’existence ne peut être dissociée de la pratique et du processus d’apprentissage qui s’y

déroulent. Toutefois, il rappelle souvent qu’en parallèle, la CP se forme dans un

environnement organisationnel et doit être pensée comme une forme locale dans une structure

plus globale.

Ce raisonnement restituant la CP dans son contexte plus global nous incite, au delà de la

perspective de la constellation des CP appartenant à la même organisation (selon laquelle

58 Ceci, illustre bien le positionnement théorique de l’auteur (cf. section précédente) sur l’axe « expériences situés – structure », qui, rappelons le, reflète la tension entre les courants fonctionnalistes et structuralistes qui donnent la primauté aux structures, d’un côté, et celles extrêmement basées sur l’action située des individus comme étant à l’origine de l’édification de cette structure. De ce fait, l’auteur a préféré s’aligner davantage sur les idées de la théorie de structuration de Giddens (1984) qui propose un cadre préconisant le passage du dualisme à la dualité de ces deux dimensions.

92

leurs projets s’entrecroisent et les membres et leurs artefacts ne sont pas des propriétés

exclusives d’une seule CP) à nous intéresser aux relations qu’elle entretient avec son

environnement externe plus large. Cette pondération des relations à l’échelle organisationnelle

dans sa globalité peut s’avérer particulièrement intéressante pour la compréhension de la

formation de la CP et sa dynamique, car même si Wenger attribue à la pratique des pouvoirs

structurants, il indique clairement (1998) que ceci ne diminue en aucun cas l’influence de

l’organisation institutionnelle sur les CP. Il ajoute également que bon nombre de ces

communautés prennent forme lors du processus de création d’un design institutionnel (ibid.,

p. 266). Ce qui revient à dire et en toute logique qu’une CP existe subséquemment à

l’existence de l’organisation institutionnelle dans laquelle elle se forme. L’auteur continue sa

présentation en allant jusqu’à penser qu’il est même possible que leur existence soit le fruit du

contexte institutionnel dans lequel elles se sont développées.

Dans cette optique, et suivant ces arguments exposant le rôle que joue l’organisation

institutionnelle dans l’émergence et le développement des CP, on comprend alors pourquoi

les chercheurs, même s’ils s’accordent sur le fait que les CP s’auto-organisent (Wenger,1998 ;

Smith et Farquhar, 2000 ; Brown et Duguid, 2001 ; Thompson, 2005 ; Guérin, 2005), ils

soulignent toutefois qu’elles prospèrent quand leur apprentissage coïncide avec leur

environnement organisationnel (Wenger, 1998 ; Guérin, 2005 ; Mebarki, 2008). En effet, les

activités et le fonctionnement de la CP ne sont pas des pratiques clandestines, car le groupe

s’appuie sur les dispositifs institutionnels pour échanger, négocier et développer des

pratiques. Comme en témoigne Mc Dermott (2003), les membres d’une CP approfondissent

leurs connaissances d’un sujet en échangeant les uns avec les autres sur une base continue,

que se soit lors de réunions formelles, d’activité sociale ou par l’entreprise d’internent [in

rapport CEFRIO, 2003].

Toutefois, il faut analyser l’expression rapportée ci-dessus, formulant l’existence de la CP

comme probablement « le fruit du contexte institutionnel dans lequel elle émerge ». Nous

pensons que cette formule ne doit pas être comprise comme synonyme de l’expression « le

résultat « visé »/« recherché » par l’organisation », car on associe à la CP le terme

d’« émergence » surtout parce que ses bases n’ont pas été volontairement définies a priori par

les instances hiérarchiques de l’organisation institutionnelle. Ceci nous incite donc à chercher

le motif expliquant la négociation de sens et la diffusion des connaissances entre les membres

d’une CP.

Un début de réponse à la question soulevée ici peut être décelé dans les propos de Brown et

Duguid (1991) (cf. supra) qui encouragent l’organisation à se considérer comme une

93

communauté des communautés. Le but visé derrière cette conception est l’émergence d’un

processus d’apprentissage organisationnel permettant de pallier les failles des règles

canoniques, jugées impuissantes à apporter des solutions à toutes les situations. Ce point de

vue est totalement partagé par Wenger (1998) qui estime que la pratique des salariés relève

d’une réaction aux conditions de travail auxquelles ils sont confrontés au quotidien. Cela dit,

les membres de la CP cherchent à développer des pratiques permettant de remédier aux

problèmes non réglés par les procédures mises en place par l’organisation institutionnelle.

3.2 L’émergence de la CP : une réaction aux exigences situées du travail

réel dans l’organisation59

L’émergence des CP n’est pas un phénomène qui relève du hasard. Son existence est

occasionnée, dans les faits, par les contraintes et les conditions organisationnelles qui obligent

les acteurs à chercher des solutions à travers la négociation du sens de leurs expériences, afin

de s’adapter aux exigences situées. Pour dire les choses autrement, la raison d’exister de la

communauté de pratique, que ce soit dans sa conception étymologique ou fonctionnelle, est la

pratique, et la pratique pour les pionniers de la théorie des CP constitue une réponse aux

conditions (de travail) historiques, sociales, culturelles et institutionnelles de l’organisation au

sein de laquelle elle se développe (Brown et Duguid,1991; Wenger, 1998 ; Wenger et Snyder,

2000). Les arguments de Wenger (1998, p. 267) s’articulent autour de l’idée que les

institutions offrent un répertoire de procédures, de contrats, de règlements, de processus et de

politiques, et que les membres d’une CP les adoptent dans leurs propres pratiques et les

utilisent en fonction du sens qu’ils leur attribuent, selon les situations particulières et le

moment qu’ils estiment propice pour les utiliser ou les ignorer.

En fait, cette réflexion nous renvoie vers le constat,- très fréquent et largement connu des

praticiens et théoriciens de l’organisation-, de d’incapacité des procédures et des modes

opératoires prescrits par l’organisation officielle de répondre à toutes les situations

rencontrées par les acteurs (Reynaud, 1988 ; Veltz et Zarifian, 1994 ; Crozier et Friedberg,

1977 ; etc.), ce qui signifie que les procédures ne sauraient être appliquées de manière

standardisée comme le prétend (ou le laisse entendre) l’organisation institutionnelle. En effet,

plusieurs travaux rapportent que l’organisation institutionnelle (dans laquelle nous supposons

59 L’objectif ici n’est pas de détailler toutes les caractéristiques organisationnelles, car ça serait un exercice très difficile et qui relève d’un champ d’étude très vaste. De plus, c’est un aspect sur lequel nous reviendrons dans le second chapitre en essayant de rapporter quelques éléments relatifs à un contexte plus restreint, celui des relations de service.

94

donc que les CP émergent) est généralement caractérisée par la prescription des modes

opératoires et la fixation des objectifs et des ressources. Mais ces régulations structurelles du

travail s’avérèrent souvent contradictoires avec le besoin en flexibilité, généré notamment par

les exigences des situations multiples et variées, auxquelles la standardisation de procédures

ne permet pas de répondre. Dès lors, les salariés doivent co-élaborer des pratiques pour pallier

les failles des procédures institutionnelles. Comme en témoignent Hanique et Jobert (2002),

l’échange des pratiques entre les salariés leur permet de trouver l’équilibre dynamique avec

les régulations auxquelles ils sont confrontés en permanence. De son côté, Michaux (2005)

estime que les facteurs collectifs tacites permettent l’adaptabilité et la réactivité du système

organisationnel. Ces facteurs sont des savoirs tacites construits dans le passé entre des acteurs

aujourd’hui dispersés dans l’entreprise. Dans le langage des CP, ceci se traduit donc par

l’engagement des membres et la mobilisation des artefacts et outils du répertoire partagé pour

intervenir et trouver une solution adaptée à chaque situation.

A partir de ces constats, on peut comprendre que les acteurs dans l’organisation ont besoin

d’interagir et d’échanger des pratiques pour faire face à des situations non prévues par

l’organisation institutionnelle, ce qui signifie que, de facto, elle n’a pas planifié (anticipé) les

modes opératoires et les consignes qui permettraient d’exécuter ces situations. Cette idée se

trouve également dans le registre très proche, des réseaux, où Baret (2006) indique les

membres d’un réseaux social s’activent davantage lorsque les postes sont faiblement prescrits.

Ceci revient à dire, que le degré de prescription de ces postes, qu’il soit intentionnel ou pas,

ne permet pas de résoudre les problèmes que les acteurs rencontrent dans leur activité, d’où le

recours à une interaction active dans le but de combler cet écart généré par la faiblesse de la

prescription.

Par ailleurs, la portée des échanges de pratiques, permettant l’adaptation et la réponse ad hoc

aux situations rencontrées par les salariés, peut aller au delà de l’intragroupe ou de l’intra-

service pour atteindre celui l’intergroupe, comme nous l’avions évoqué dans le cas des

constellations des CP (CCP). A l’inverse, Chanal (2000) estime que la conception de CCP

peut aider à expliquer certains dysfonctionnements liés à un manque d’interactions entre les

pratiques, comme un pilotage non centré sur le processus et un cloisonnement des activités,

un problème d’intégration suite à une fusion d’entreprises qui ne partagent pas la même

culture ou la même histoire.

Au fait, c’est particulièrement cette réflexion autour de la nature prescrite des méthodes de

travail qui inspire Brown et Duguid dans leur vision de l’activité d’une CP (voire même dans

leur approche des CP). En effet, selon eux, pour comprendre les raisons de l’émergence des

95

CP, il est nécessaire de considérer les façons dont les processus de réalisation de la tâche sont

vraiment structurés par les conditions changeantes des tâches et de leur contexte (Brown et

Duguid,1991 ; Vaast, 2002). Ils partent ainsi du constat de l’écart existant entre les pratiques

réelles et les procédures prescrivant le travail pour introduire le défi que l’entreprise doit

relever pour combler l’écart entre les pratiques canoniques (procédures officielles) et le travail

réel (en situation), tel qu’il se présente quotidiennement au salariés. Pour les auteurs, nous

devons comprendre à travers l’étude empirique de Orr (1990), que les instructions qui se

trouvent dans les documents ou disposées pendant leur formation sont loin d’être suffisantes

pour que les réparateurs puissent régler tous les problèmes rencontrés. C’est ce phénomène

qui incite ces réparateurs à l’« échange des histoires » afin de négocier et d’élaborer de

nouveaux éléments, indisponibles dans les procédures et documents officiels60.

A partir de ces éléments, nous pouvons donc dire que le motif de l’émergence d’une CP étant

la recherche et le développement de pratiques, non instituées par les procédures officielles,

permettant à ses membres de mener à bien leur travail quotidien. Cependant, dans cette

réflexion exposant l’apport de la pratique des CP à l’organisation institutionnelle, il faut

garder en tête que les pratiques mobilisées par les membres de la communauté sont rattachées

et ont comme point de départ les pratiques officielles. Les artefacts mobilisés par les membres

de la CP pour répondre aux exigences situées ne sont pas conçues ex-nihilo, car ils s’appuient

sur les bases institutionnelles déjà existant dans l’organisation. Autrement dit, les artefacts

utilisés dans une CP sont créées à partir de l’usage des ressources de l’entreprise telles que les

documents de référence, les supports technologiques ou le système langagier. La CP les

emprunte donc à l’organisation formelle pour leur introduire certaines modifications afin de

les adapter et approprier aux exigences de la situation.

Pour résumer, nous pouvons dire que les contraintes et pressions auxquelles les salariés sont

exposés quotidiennement dans leur travail réel, sont loin d’être gérées complètement et

efficacement par les procédures et pratiques dictées par l’organisation institutionnelle. C’est

ce qui fait naître chez les salariés, en permanence, un besoin d’apprentissage et d’acquisition

de compétences nécessaires pour réaliser les tâches. D’où le recours donc à l’interaction, pour

négocier le sens des outils institutionnels standards afin de les adopter et intégrer dans leurs

60 Cette démonstration corrobore parfaitement - et légitime de ce fait l’alignement de la théorie des CP sur- la thèse de l’action située défendue par Suchaman (1987) qui indique que l’individu, loin de suivre une procédure ou un plan, il est toujours en train de réinterpréter le contexte sur la base de la situation dynamique.

96

propres pratiques. Par conséquent, les participants créent et développent de nouveaux artefacts

et pratiques modulables et ajustables aux exigences situées, permettant de ce fait à la pratique

de remédier aux failles des procédures institutionnelles. Ainsi, et au fil du temps, les

participants font émerger leur communauté de pratique.

Par ailleurs, prétendre que les pratiques élaborées par les salariés comme étant en léger

décalage avec les procédures officielles,-et bien que la finalité profite à l’entreprise

également-, n’entraine pas une certaine tension entre la CP et l’organisation institutionnelle

où elle se forme ? Le questionnement soulevé ici nous amènent à considérer d’un point de vue

régulatoire, le fonctionnement interne de la CP en relation avec son environnement

organisationnel.

3.3 Acteurs et Régulation : La démographie de la CP et sa régulation dans

l’organisation.

Pour comprendre le mécanisme de la régulation entretenue dans une CP il faut s’intéresser

d’abord aux composantes démographiques des acteurs appartenant à ce groupe, qui

permettrait de renseigner sur son fonctionnement. Mais, en tant que structure émergente dans

une organisation officielle, il également important de considérer l’influence de la régulation

institutionnelle sur ce groupe.

3.3.1 Les caractéristiques des participants dans la CP et le mécanisme de sa

régulation interne

Si nous nous intéressons de près aux travaux des auteurs sur la CP nous constatons dans leurs

rapports (Lave et Wenger, 1991; Wenger, 1998 ; Chanal, 2000 ; Vaast, 2002 ; Thompson,

2005 ; Roberts, 2006 ; etc.) que la CP peut regrouper des salariés avec des caractéristiques

hétérogènes en termes de statuts hiérarchiques, de qualifications, de compétences et

d’expériences. Ceci semble particulièrement important pour comprendre le fonctionnement de

la CP, car le facteur humain est dans cette dernière, sans conteste le plus central, non

seulement dans sa définition mais aussi dans sa configuration, car les caractéristiques de ses

membres peuvent s’avérer déterminantes dans la structuration des schémas de leurs

interactions. Cette idée n'est, bien sûr, pas originale. De la manière dont elle est annoncée ici,

nous sommes particulièrement redevables à Lave et Wenger (1991) qui ont fait de cette idée

l’origine même de la notion de la LPP dans le Situated Learning. Ils indiquaient alors que

97

l’apprentissage significatif a lieu dans une CP car on y trouve des experts et anciens qui aident

les novices à développer de nouvelles pratiques. Dès lors, les relations de régulation et

d’engagement dans la CP s’alignent logiquement sur l’expertise et l’ancienneté, permettant de

ce fait aux experts d’occuper le centre de la communauté tandis que les novices sont légitimes

de participer de manière périphérique aux pratiques de la communauté. Tout cela est bien

évidemment consenti entre les participants suivant une reconnaissance sociale du statut de

chacun dans le groupe.

Selon Roberts (2006), on trouve dans une CP des personnes présentant des caractéristiques

différentes en termes d’expérience, d’expertise, de qualification, d’âge et de personnalité, etc.,

qui influencent considérablement le degré d’engagement et les relations de pouvoir à

l’intérieur d’une CP. Il ajoute que parmi les déterminants des relations de pouvoir, on trouve

l’expérience et la compétence qui donnent de la crédibilité aux salariés qui en disposent, leur

permettant ainsi de dominer les engagements mutuels et influencer les décisions et le sens des

interactions entre les membres de la CP. Sans vouloir creuser davantage cette notion de

« pouvoir » tant développée dans la sociologie des organisations, il est à noter que les

postulats annoncés ici, concernant les qualités conférant le pouvoir à une personne dans un

groupe, présentent de nettes similitudes avec les apports de l’analyse stratégique de Crozier et

Friedberg (1977). En effet, ces auteurs expliquent le pouvoir par l’existence de « zones

d’incertitude », fondées sur la maîtrise d’une compétence particulière, la maîtrise de

l’information et de la communication, la maîtrise du lien entre l’organisation et une partie

pertinente de son environnement et la maîtrise des règles organisationnelles. La maîtrise de

l’une de ces zones peuvent d’après les auteurs, reconfigurer les relations de pouvoir dans

l’organisation.61

Ainsi, nous rejoignons l’une des conclusions de Restler et Woolis (2007) concernant le rôle

des acteurs dans le fonctionnement d’une CP, qui indiquent que les rapports d’autorité

s’exprimant dans une CP s’alignent sur l’autorité de la connaissance (Authority of

Knowledge), contrairement aux organisations classiques où le système repose sur l’autorité

hiérarchique (Authority of Position). Quant à Smith et Farquhar (2000), ils confirment l’idée

selon laquelle, on trouve dans une CP des salariés très compétents, et malgré le fait qu’ils ne

soient pas désignés ou reconnus formellement par les supérieurs hiérarchiques, ce sont eux

qui aident et orientent les moins habiles pour résoudre les problèmes que rencontrent ces

61 D’où le recours à la méthode de « sociogramme » jugée par ces auteurs (Crozier et Friedberg) comme plus pertinente pour penser les relations professionnelles dans l’organisation, que celle de l’« organigramme » qui retrace seulement les positions hiérarchiques légitimes instituées par l’organisation formelle.

98

derniers62. Ainsi, nous estimons que la CP présente un lieu où on trouve des personnes

(compétentes) permettant de délivrer la bonne connaissance (dont on a besoin) au bon

moment (en situation).

Comme nous pouvons le constater, la nature de l’engagement dans la CP, c’est à dire les

relations et les interactions entre ses membres, semble obéir à un modèle reposant plutôt sur la

compétence et l’expérience que sur les règles institutionnelles décrites par l’organisation. Ce

qui laisse entendre que la CP fonctionne sur un modèle d’autorégulation. Cependant, nous

pensons qu’il faut être prudent et éviter tout interprétation excessive à propos de cette

autorégulation, car la réalité nous rappelle que les membres de la CP sont aussi des

contractuels de l’organisation institutionnelle, où le rôle et les responsabilités des salariés ont

été définis et confiés par les instances hiérarchiques. Leur activité est censée respecter un

mécanisme de règles institutionnelles bien déterminé. Les participants dans la CP sont des

contractuels recrutés (fort probablement sur des critères de compétence et d’expérience), et

formés initialement par cette organisation institutionnelle, qui leur a attribué par la suite une

activité / tâche, un rôle, un rang et des responsabilités à assumer dans l’organisation. Ce qui

revient à dire qu’ils sont affectés par l’organisation institutionnelle, normalement selon leurs

champs de compétence à une pratique déterminée (par exemple ; réparation de machines;

traitements de dossiers, etc.), tout en les dotant de procédures qu’ils sont censés respecter.

Ainsi, nous nous demandons : le modèle de régulation dans la CP relève-t-il vraiment d’une

régulation autonome ? Dans ses travaux, Wenger évoque à plusieurs reprises la pratique

comme une source de cohésion et de coordination du groupe, sans que la problématique de la

confrontation entre l’auto-organisation d’une CP et les règles institutionnelles de

l’organisation ne soit vraiment développée. Pour engager cette discussion, nous faisons appel

à l’une des grandes théories ayant développé la problématique de la confrontation entre ces

deux types de régulations : la théorie de la régulation sociale de Reynaud (1988).

3.3.2 La CP dans l’organisation, quel modèle de régulation?

Le seule moment où Wenger (1998) a abordé le débat de l’auto-organisation de la CP et de la

régulation institutionnelle de l’organisation où elle se forme, il écrit (ibid., p. 267) que les

institutions créent des relations de responsabilités par l’entremise de conventions et

d’objectifs, mais que chaque CP définit son propre régime de responsabilité. Il estime que le

62 D’ailleurs à ce sujet, il est à rappeler que Mintzberg (1982) annonçait qu’il existe dans chaque organisation des relations de pouvoirs et de communication qui sont importantes et qui, pourtant ne font pas l’objet d’un document écrit [in Gibert et al., 2005].

99

système institutionnel de responsabilité serait plus performant s’il intègre dans sa conception

le modèle de la CP (reposant sur les compétences) : « les institutions définissent les rôles, les

qualifications et la répartition du pouvoir, mais elles ont peu de chance de s’arrimer au

roulement quotidien, sauf si les rôles institutionnels trouvent leurs accomplissement dans la

pratique » (ibid., p287).

Ces affirmations laissent entendre que dans tous les cas, deux systèmes régulation coexistent

au sein de l’organisation, et qu’un certain équilibre peut s’installer pour harmoniser ces deux

systèmes. Cette hypothèse se vérifie et s’avère particulièrement vraie si on se fie à la « théorie

de la régulation sociale63 » initiée et développée par Reynaud (1988, 1993).

Pour Reynaud (1988), le fonctionnement d’un groupe repose sur un modèle qualifié de

« régulation autonome », c’est à dire, une régulation sur la base de pratiques et de règles

informelles, inventées et entretenues par les salariés, leur permettant de s’auto-organiser. Il

complète sa définition en usant d’une présentation en creux, consistant à la distinguer et

l’opposer à l’autre type de régulation présente dans l’organisation, en l’occurrence la

« régulation de contrôle », incarnée par la réglementation officielle provenant de la direction

de l’entreprise et suivant une démarche descendante. Mais, l’auteur explique bien que la

« régulation autonome » n’est jamais totalement libre car les situations professionnelles sont

toujours encadrées par des règles sociales que les acteurs doivent respecter. En d’autres

termes, bien que les acteurs construisent de manière autonome leurs règles à travers la

négociation entre les salariés, la base de ces négociations est les règles formelles extérieures à

leurs pratiques, émanant et relevant des contraintes de l’environnement organisationnel. De

plus, bien que Reynaud (1988) annonce que les régulations autonomes peuvent parfois

s’opposer aux régulations de contrôle et les contrecarrer, l’auteur tempère cette opposition en

précisant qu’elles ont généralement pour objet une activité et un résultat. Cela dit, elles ne

sont pas nécessairement un repli du groupe sur lui-même, et sont souvent sensibles à des

impératifs de résultats.

Cette dernière idée concernant la sensibilité des membres du groupes aux résultats de

l’entreprise nous amène logiquement à faire un rapprochement avec ce que nous avons exposé

à propos du rôle et de la finalité opérationnelle des pratiques de la communauté. En effet, ces

pratiques négociées et développées par les membres de la CP sont exprimées comme un

moyen de pallier les failles de la prescription dans les organisations, permettant ainsi aux

salariés de mener à bien leur travail quotidien.

63 Théorie à laquelle nous avions déjà fait référence au moment de la présentation du concept d’« entreprise commune », dont la conception et le fonctionnement ont été comparés à ceux de la « régulation autonome ».

100

Enfin, Reynaud insiste également sur le fait que les règles formelles ne peuvent pas tout

prescrire, et qu’elles sont souvent sujet à évolution sous l’effet de conflits. Elles sont

complétées par des règles informelles, quelquefois fondées sur la tradition ou des habitudes.

De ce fait, l’organisation dans sa globalité est régie par l’articulation entre ces deux types de

règles, formelles et informelles, faisant du système de régulation dans les organisations une

« régulation conjointe ».

[C’est ainsi que la théorie de Reynaud (1998) réfute la perception psychologique

défendue par l’école des relation humaines (inspirée des travaux de Roethlisberger

et Dickson dans les années 1960, qui prolongent les études de Mayo), ayant pour

postulat le découpage suivant : D’un côté, nous avons la catégorie des salariés

exécutants, donnés comme obéissant à « la logique des sentiments », prétendant que

ces salariés fonctionnent uniquement sur la base d’un système de croyances et de

valeurs se trouvant au cœur des relations informelles et interpersonnelles dans le

groupe (sans se soucier donc des objectifs de l’entreprise). D’un autre côté, la

catégorie de dirigeants et cadres, obéissant à « la logique d’efficacité et de coûts »,

adoptée selon un raisonnement en terme d’efficacité, et véhiculée par des règles

formelles d’encadrement. Ceci ne correspond pas du tout à la vision de Reynaud

(1988), pour qui, les salariés s’autorégulent tout en étant soucieux de objectifs de

l’entreprise, et que les cadres ne sont pas insensibles ou dépourvus de sentiments

autre que celui de l’efficacité].

Plusieurs éléments montrent que la théorie de la CP s’accorde bien avec le cadre théorique de

Reynaud (1988). Dans ces deux théories, les salariés sont sensibles aux résultats de

l’organisation (via le développement des pratiques) :

- La conception de la constellation des CP permet de considérer les frontières de ces

dernières comme ouvertes et laissant les artefacts et les courtiers libres de voyager et

témoigne de ce fait que la CP peut être tout à fait accueillante vis à vis des règles

venant de son environnement organisationnel et institutionnel.

- La pratique et les artefacts de la CP ont comme origine les pratiques institutionnelles

de l’organisation. Ces pratiques, comme le défend Wenger, aboutissent dans un sens à

une source de cohésion de la communauté (l’entreprise commune64). Dès lors, il est

64 Nous focalisons ici sur cette dimension car elle est présentée par Wenger comme un l’élément coordonnant les relations de responsabilité mutuelle entre les participants, leur permettant d’inventer leur auto-organisation.

101

naturel de déduire que leur auto-organisation est un résultat (que l’on peut

probablement qualifier d’indirect ou secondaire) des pratiques institutionnelles sur

lesquelles repose l’innovation des membres de la CP.

A la lumière de ce qui est avancé ici, nous pensons que le modèle de la régulation dans une

CP n’est pas autonome au sens vigoureux du terme, car il s’appuie sur les bases

institutionnelles de l’organisation dans laquelle ce groupe se forme. D’ailleurs, comme nous

l’avons déjà souligné, il ne faut pas assimiler les activités et le fonctionnement de la CP à des

pratiques clandestines, car les auteurs de cette théorie (Brown et Duguid, 2001 ; Wenger et

Snyder, 2002 ; Mc Dermott, 2003 ; etc.), ont montré clairement que la négociation de sens se

déroule normalement dans les cadres institutionnels formels, tels que le poste de travail, les

réunions officielles et les projets. Ainsi, bien que la CP soit souvent qualifiée d’autonome

dans la littérature, il faut garder en tête que son système d’auto-organisation est fondé sur un

modèle hybride entre les règles institutionnelles et les pratiques des membres appartenant à

cette CP.

La CP est donc une entité émergente mais pas entièrement indépendante car elle existe et

repose, en toute logique et avant tout, sur un support organisationnel et institutionnel déjà

existant. Ceci conduit les auteurs à s’accorder sur l’idée qu’elle s’appuie sur les ressources

institutionnelles pour exister et continuer à se développer. Ceci nous amène donc à poser

l’hypothèse selon laquelle, bien que ses bases et sa dynamique ne soient pas préalablement et

volontairement instituées (par la hiérarchie), suivant par exemple un schéma contractuel, il

existe des facteurs organisationnels pouvant « favoriser » ou au contraire « entraver » son

développement et épanouissement dans l’organisation. En effet, plusieurs facteurs peuvent

jouer un rôle dans la multiplication des occasions de négociation de sens entre les salariés,

c’est à dire de la possibilité d’émergence et de la configuration de la CP. Mais la littérature

parcourue dans le champ de la CP (dans sa conception originelle65) n’offre pas clairement des

informations concernant ces facteurs et peu d’auteurs ont évoqué ce phénomène dans la

construction des CP. Cependant, quelques liaisons nous ont révélé que les facteurs « espace »

et « temps » peuvent s’avérer particulièrement important dans l’émergence et la configuration

de ces groupes. Bien que cette idée sur la dimension spatio-temporelle, pourrait se présenter

aux yeux de certains comme un élément trivial, nous pensons qu’elle mérite d’être évoquée en

65 Telle qu’elle est définie et posée initialement par ses précurseurs.

102

détail afin de compléter ainsi cette partie sur les relations qu’entretient la CP avec son

environnement organisationnel.

3.4 Le rôle de la dimension « spatio-temporelle » dans l’émergence et la

configuration des CP

Les travaux réalisés sur les CP dans sa conception originelle n’abordent pas vraiment la

question des facteurs organisationnels (sinon, de manière très sommaire) que nous supposons

intervenir dans sa configuration. A notre sens, ceci témoigne de la difficulté de dégager ces

facteurs à partir de l’observation et de l’analyse d’une structure molle et informelle dont

l’existence et le fonctionnement ne font l’objet d’aucun document officiel dans l’organisation.

Notre explication est renforcée si on considère le constat issu de nos différentes lectures, où

quasiment les seuls travaux ayant tenté de décrire quelques facteurs organisationnels

intervenant dans le fonctionnement des communautés, sont ceux qui s’intéressent aux CP

intentionnellement créées par les organisations. Ces organisations ont mis en place

volontairement une stratégie et une infrastructure permettant de façonner la configuration de

ces groupes. Dans cette optique, la démarche permettant de recenser ces facteurs ne sera pas

centrée sur les pratiques de la communauté mais plutôt sur les efforts de l’organisation en

matière de stratégie et d’infrastructure logistique visant à créer les CP en son sein66.

Ces travaux nous permettent de recenser quelques facteurs organisationnels, en indiquant que

les organisations mettent en place une infrastructure matérielle tels que des forums avec des

supports intranet et internet, présentant des espaces socio-technologiques, facilitant les

échanges entre les personnes distancées géographiquement (Bareil, 2004). Elles mettent aussi

en œuvre des budgets dédiés, des systèmes d'information ainsi qu’une stratégie d’adaptation

des systèmes de promotion et d'évaluation (Wenger et Snyder, 2000). De plus, il semble que

l’intervention de l’organisation institutionnelle dépasse le stade de l’infrastructure matérielle

pour atteindre le cœur battant de la CP qui est son infrastructure humaine. En effet, ces

éléments matériels s’accompagnent généralement d’une politique et d’une stratégie orientées

vers la création des connaissances spécifiques sur un sujet particulier, en dotant la CP de

quelques ressources humaines, sélectionnées et nommées volontairement par la hiérarchie.

Elle leur attribue un rôle à jouer dans la CP tel qu’un animateur qui définit les objets de

discussions, organise et oriente ces dernières (Bourhis et al., 2006). Ainsi, les organisations

investissent dans des infrastructures fonctionnant sur des procédures de management

66 Toutefois, nous rappelons que les CP intentionnellement créées ne constituent pas l’objet d’étude dans notre thèse.

103

(animation, supervision, codification, validation, contrôle, recrutement, évaluation,

orientation, structuration, etc.) permettant d’atteindre les objectifs visés initialement à travers

la création des CP.

Bien évidemment, ces quelques éléments qu’on vient de présenter (reflétant logiquement la

prise de conscience des organisations de l’importance et des apports des CP) ne peuvent être

appliqués sur le type de CP qui nous intéresse ici, c’est à dire, les CP qui émergent sans

schéma contractuel volontairement mis en place par l’organisation afin que les salariés

interagissent et agissent en communauté. Toutefois, ces éléments évoqués sont intéressants

dans le sens où ils donnent un aperçu, et renseignent sur certains facteurs fondamentaux

intervenant et pouvant configurer une CP. Nous pensons particulièrement à la dimension

spatio-temporelle dans l’organisation.

En effet, pour Wenger (1998) la CP ne requière pas de lourdes infrastructures

organisationnelles, ni un fort management, mais leurs membres ont besoin de temps et

d’espace pour collaborer. Il reconnaît ainsi que la proximité géographique67, bien qu’elle ne

soit pas un élément suffisant pour créer un engagement mutuel, a un impact déterminant pour

l’interaction des salariés. En fait, comme nous l’avons abordé dans l’approche de Brown et

Duguid (1991), les réparateurs ont réussi à échanger leurs histoires car ils se sont rencontrés

physiquement devant la machine en panne (le lieu) dans un instant (le temps) où ils devait

apporter une solution ad hoc au problème rencontré. En outre, on trouve également cet

espace-temps, qui détermine le moment et le lieu où les échanges sont possibles, prolongé à

l’heure (temps) du déjeuner dans le réfectoire de l’entreprise (lieu), où ils ont continué à

discuter et échanger leurs histoires à propos des expériences vécues. C’est d’ailleurs le même

constat que l’on peut faire à la lecture de l’étude empirique de Wenger (1998) où il rapporte le

quotidien des employés de la compagnie « Alinsu » partageant des discussions dans les

bureau et les couloirs de cette compagnie. Ainsi, la dimension spatio-temporelle nous semble

très importante et déterminante dans la multiplication des échanges, comme en témoigne une

des conclusions de Josserand et St Leger (2004) dans son travail s’intéressant aux difficulté

rencontrées par les CP, l’un des centres qu’ils ont étudié ne permet pas l’épanouissement

d’une CP faute, entre autres, d’espace pour échanger les idées car les locaux ne sont pas

adaptés aux réunions entre les salariés.

67 A la suite de ce que nous avions évoqué à propos des CP virtuelles, il est évident que la réflexion autour de la distance géographique doit être relativisée en fonction des situations qui requièrent ou non une certaine proximité physique.

104

D’ailleurs, il est logique que ces deux éléments (le temps et l’espace) soient déterminants

dans la formation des CP, car ils caractérisent nettement -et par définition – une partie du

contexte dans lequel se déroule la pratique et l’apprentissage, et renseignent donc sur « où » et

« quand » les salariés négocient le sens des situations vécues. Ainsi, nous considérons la

négociation de sens et les pratiques développées dans une CP comme préconfigurées

essentiellement par la combinaison de ces deux facteurs: l’ « Espace » et le « Temps ».

Cela dit, la thèse que nous défendons ici selon laquelle la proximité physique et les

dispositions temporelles permettant les interactions, constituent des facteurs d’émergence et

intervenant dans la configuration d’une CP, est basée et renforcée par le fait que la quasi-

totalité des études parcourues rendant compte des CP où les membres appartiennent à la

même unité de travail68, partagent des dispositifs matériels et des planning horaires qui leur

permettent de s’engager mutuellement dans leur pratique. Toutefois, nous précisons bien sûr,

qu’il s’agit de facteurs « essentiels », par opposition à « exclusifs », car ici nous nous sommes

limités aux facteurs qui nous semblent incontournables pour comprendre l’émergence et la

dynamique des CP. Ce qui laisse entendre qu’il existent forcément d’autres facteurs pouvant

jouer un rôle dans la configuration de ces groupes.

Ainsi, pour récapituler nos idées autour de ces deux facteurs :

• L’espace (organisationnel): nous entendons par « Espace », le lieu physique décrivant le

contexte et l’objet de la négociation de sens, par exemple, le hall où se trouve le

télécopieur des réparateurs et la cafétéria où les discussions se sont poursuivies (Brown et

Duguid 1991), les bureaux et les couloirs de la compagnie « Alinsu » (Wenger 1998),

c’est à dire, l’espace qui permet le face à face entre les salariés, la participation,

l’observation, l’écoute, les discussions, etc.

• Le temps : ce paramètre consiste à s’intéresser à l’intervalle de temps, aux instants où les

activités se déroulent, où les situations sont négociées et les pratiques sont développées et

actionnées. Ceci renvoie donc à considérer les moments où les salariés négocient leur

pratique en même temps qu’ils effectuent leurs tâches (en situation de travail) et les

moments correspondant à des échanges hors situations de travail, pendant les pauses par

exemple69.

68 D’ailleurs ce constat est à l’origine de l’une des principales critiques adressés aux théoriciens des CP, qui consiste dans l’interrogation soulevée quant au choix d’utiliser le terme CP au lieu de celui de « service » ou « unité de production ». 69 Au fait, il est à noter que la notion de «temps » dans le cadre théorique de la CP peut aussi renvoyer à une autre problématique, celle de leur « durée de vie », en faisant allusion au temps nécessaire à la construction de cette identité communautaire. Cette conception est utilisée par Wenger (1998) notamment pour distinguer la CP

105

Enfin, il est à indiquer que nous avons présenté ces éléments séparément pour bien

comprendre l’impact de chacun sur la CP, mais en réalité, il est difficile d’évoquer un de ces

facteurs sans renvoyer à l’autre. Ainsi, il serait plus judicieux de penser les deux à la fois (en

une seule unité) car ils sont fortement interdépendants et expliquerait mieux de ce fait le

« temps situé » où l’apprentissage a lieu. Assurément, pour une meilleure compréhension de

l’émergence et la configuration de la CP dans l’organisation, il est primordial de combiner

l’espace-temps avec la dimension des caractéristiques démographiques des participants, afin

d’avoir une idée plus précise sur qui s’engage avec qui, où et à quel moment, dans une CP.

Pour conclure, nous souhaitons rappeler certaines idées principales évoquées dans cette

section. D’abord, le concept de CP se présente comme particulièrement intéressant pour

l’analyse de l’apprentissage et du transfert des connaissances dans les organisations.

Toutefois, le flou et l’ambigüité qui caractérisent ce concept rendent difficile son

identification et sa distinction des autres formes de groupes dans l’organisation.

La formation et la dynamique de la CP sont présentées par les auteurs comme entretenant des

relations étroites avec l’environnement organisationnel dans lequel elle prend forme. Ainsi, la

CP émerge pour répondre aux exigences situées qui caractérisent l’environnement dans lequel

elle évolue. Les contraintes et pressions auxquelles les salariés sont exposés quotidiennement

dans leur travail réel, font naître chez les salariés un besoin permanent en terme

d’apprentissage et d’acquisition de compétences, nécessaires pour réaliser les tâches. D’où le

recours à l’interaction, pour négocier le sens des outils institutionnels standards et les intégrer

dans leurs propres pratiques. Ainsi, les participants créent et développent de nouveaux

artefacts et pratiques modulables et ajustables aux exigences situées, permettant de ce fait à la

pratique de remédier aux déficiences des dispositifs organisationnels. Ainsi, et au fil du

temps, les participants font émerger leur communauté de pratique.

des autres formes de groupe, en expliquant que contrairement aux structures organisationnelles plus formelles, nous ne pouvons pas préciser la durée de vie des CP (leurs dates de formation ou de dissolution). C’est ce qui la différencie par exemple de l’équipe de travail, qui débute et se termine avec sa mission (Wenger, 1998, p. 107).

106

Conclusion du chapitre 1

L’objet de ce chapitre était de présenter et d’analyser la théorie et le concept de CP, afin de

comprendre ce phénomène et sa popularité auprès des praticiens et des théoriciens de

l’organisation.

Nous avons alors exposé le cadre théorique dans lequel le concept de CP est ancré tel que

Wenger l’avait présenté en 1998. Bien que la présentation de l’auteur informe que sa théorie

est située au carrefour de quatre blocs théoriques, les préceptes de l’approche des CP est

ancrée davantage dans le champ théorique relatif à l’expérience située.

Par ailleurs, la théorie des CP est présentée par les auteurs (Lave et Wenger, 1991 ; Wenger

1998) comme une théorie sociale de l’apprentissage, qui stipule que ce dernier est, situé et se

déroule dans une CP. Au delà des informations rapportées par les auteurs à propos des

approches qui les ont inspirées dans leur réflexion sur ce modèle d’apprentissage, nous avons

établi une comparaison entre ce dernier et les paradigmes dominants des théories de

l’apprentissage. Il est ressorti que les bases de réflexion de l’apprentissage situé sont bien

présentes dans le courant de la pensée socioconstructiviste de Vygotsky (1978).

Cette comparaison nous a permis de conclure que la théorie des CP de Lave et Wenger est

venue enrichir le modèle socioconstructiviste en introduisant le plan communautaire qui

définit les contours du contexte où l’apprentissage a lieu. Quant à la différence principale

entre ces deux courants, elle se trouve dans la manière dont l’individu apprend. Chez les

socioconstructivistes, l’individu, de manière consciente, reconsidère ses propres

représentations et celles des autres afin de reconstruire un nouveau savoir, alors que la vision

situationniste, l’apprentissage peut se dérouler de manière inconsciente.

En ce qui concerne le concept de CP, ses caractéristiques épistémiques, structurelles et

opérationnelles sont considérées par de nombreux auteurs comme très intéressantes pour

l’analyse de l’apprentissage et du transfert des connaissances dans les organisations.

Cependant, le concept présente certaines limites et pas des moindres. Une des limites

concerne le flou et l’ambigüité qui caractérisent les frontières de ce concept. Une autre limite

relève le fait que plusieurs de ses caractéristiques sont présentes dans d’autres formes de

groupes. Ces deux principales limites qui caractérisent le concept de CP expliquent bien

pourquoi cette structure sociale est souvent confondue dans la littérature avec d’autres types

de groupes évoluant dans les organisations. Toutefois, ces limites ne remettent pas en cause le

107

rôle que jouent les CP en termes d’apprentissage et de transfert des connaissances dans les

entreprises.

En ce qui concerne l’essence, la culture et la dynamique de la CP, elles sont présentées par les

auteurs comme entretenant des relations étroites avec l’environnement organisationnel dans

lequel la CP prend forme et évolue. Son émergence est considérée comme une réponse aux

exigences situées de son environnement.

A ce sujet, les différentes idées évoquées et réflexions mobilisées nous ont permis de résumer

cette question comme suit : les contraintes et pressions auxquelles les salariés sont exposés

quotidiennement dans leur travail réel, sont loin d’être gérées complètement et efficacement

par les procédures et pratiques dictées par l’organisation institutionnelle. C’est ce qui fait

naître chez les salariés en permanence, un besoin d’apprentissage et d’acquisition de

compétences nécessaires pour réaliser les tâches. D’où le recours donc à l’interaction, pour

négocier le sens des outils institutionnels standards afin de les adopter et intégrer dans leurs

propres pratiques. Par conséquent, les participants créent et développent de nouveaux artefacts

et pratiques modulables et ajustables aux exigences situées, permettant de ce fait à la pratique

de remédier aux failles des procédures institutionnelles. Ainsi, et au fil du temps, les

participants font émerger leur communauté de pratique.

Les éléments rapportés ci-dessus montrent que l’étude de la CP exige de porter une attention

particulière au contexte organisationnel dans lequel elle émerge et se développe. Nous avons

opté pour celui des relations de service, dans le sens où, les constats tirés de notre petite

expérience en tant que salarié dans le front-office d’une entreprise de service, conjugués avec

ceux présentés par les théoriciens s’intéressant à ce domaine organisationnel ; indiquent que

c’est un contexte particulièrement intéressant pour l’étude de ces groupes. Nous allons alors

tenter de présenter le contexte des relations de service et ses caractéristiques dans le chapitre

qui suit.

.

108

Chapitre 2. Les relations de service :

contexte, organisation et performance

Introduction

Dans son ouvrage, « Asiles », Goffman (1968) a réalisé la première conceptualisation de la

notion de « relations de service ». Il y réserve ce terme aux interactions directes en coprésence

(du client) et exclut de cette catégorie les services qui ne font pas l’objet d’une demande

directe de la part du client. C’est pour cette raison qu’on qualifie généralement la perspective

de Goffman d’« approche interactionniste », mettant en exergue la relation et le dialogue entre

le client et le praticien de l’entreprise de service (Borzeix ,2000; Hubault et Bourgeois, 2001 ;

Bouzit et Monique, 2001; Gadrey 2002; Zarifian, 2002 ; etc.).

Le contexte des relations de service est analysé alors par de nombreux auteurs en mettant

l’accent sur la participation du client au processus de production de service. Ce processus est

appelé « coproduction » de service. Cette coproduction a lieu essentiellement dans l’univers

du front-office des entreprises de service, présenté par les auteurs comme la « pointe

avancée » de processus de production de service (Zarifian, 2002 ; Gadrey, 2002).

La coproduction est présentée par les auteurs comme l’une des caractéristiques types de

l’activité dans les entreprises de service, car elle nécessite une organisation de travail

particulière, relativement différente de celle observée dans le secteur industriel. Par ailleurs,

du fait de la coproduction, la « performance » dans les relations de service s’avère difficile à

évaluer (Eiglier, 2004). La performance est mesurée à partir de deux critères, quantitatif et

qualitatif, qualifiés par les chercheurs comme par les praticiens, de contradictoires. En réalité,

cette contradiction ne fait que refléter une tension qui caractérise les relations de service, à

savoir le conflit de logiques entre la « logique de service » et la « logique industrialiste ».

Pour rendre compte de toutes ses caractéristiques que nous venons d’évoquer à propos des

relations de service, nous allons développer dans la première section de ce chapitre les

caractéristiques du contexte des relations de service, en commençant par la présentation de

certaines tentatives de définitions telles que proposées par certains auteurs, puis, nous

restituons le modèle d’organisation des entreprises de service qui repose essentiellement sur la

coordination des différents univers ( « front office » et « back office »). Dans la seconde

109

section, nous ferons un focus sur l’univers du front office. Après avoir présenté d’une manière

générale les dispositifs d’accueil (les centres d’appels et les guichets), nous développerons les

caractéristiques de l’activité et celles du « travail réel » des agents dans cet univers, à travers

notamment le modèle productif mis en œuvre pour la réalisation des coproductions. Ce

dernier est caractérisé par la cohabitation du modèle de compétence et le nouveau modèle

productif (impulsé par l’introduction des NTIC), qui se solde par un conflit de

logiques (logique industrialiste et logique de service). Enfin, la troisième section sera

consacrée à la question de la performance et les indicateurs de sa mesure. Après avoir évoqué

le concept de performance à travers son aspect polysémique (Louart, 1996 ; Gauzente, 2000),

nous développerons les deux critères de sa mesure ainsi que la contradiction qui émerge de

leur cohabitation dans cet univers des relations de service.

110

Section 1. Le Contexte des relations de service : « coproduction »

et modèle organisationnel

L’objet de cette section est de présenter de manière relativement large le contexte des

relations de service. Nous commençons par évoquer et analyser certaines définitions

proposées par les auteurs, qui se positionnent d’une manière générale sur une approche

interactionniste de la relation de service. Cette approche permet de mettre en avant la

« coproduction » de service comme une caractéristique essentielle dans la définition des

relations de service (1). Nous présenterons ensuite le modèle organisationnel des entreprises

de service, dont la production repose sur la coordination des différents univers composant ces

entreprises (front-office et back-office) (2).

1. Qu’est-ce que les relations de service ?

1.1 Des tentatives de définition de la relation de service

Le terme de « relation de service » (service Relationships) a été utilisé pour la première fois

dans les années 1950 par les auteurs Hughes et Whyte (Borzeix, 2000). Dans son ouvrage,

« Asiles », Goffman (1968) en a réalisé la première conceptualisation. Il y réserve ce terme

aux interactions directes en coprésence (du client) et exclut de cette catégorie les services qui

ne font pas l’objet d’une demande directe de la part du client. C’est pour cette raison qu’on

qualifie généralement la perspective de Goffman d’« approche interactionniste », mettant en

exergue la relation et le dialogue entre le client et le praticien de l’entreprise de service

(Borzeix ,2000; Hubault et Bourgeois, 2001 ; Bouzit et Monique, 2001; Gadrey et Zarifian,

2002; etc.). Cette approche renvoie donc à des métiers et à des emplois du tertiaire, domaine

par excellence du « relationnel » (Pigenet, 2006), tels que les caissières, les guichetiers ou les

aides à domicile, incluant au passage le métiers des téléopérateurs (dont une fraction du

patronat adhère à l’Association Française de la Relation Client (AFRC)) et ce malgré la

distance.

Cela dit, cette perspective restrictive du concept nous amène à dire que la relation de service

ne concerne pas directement certains services où le contact avec le client (ou usager70) n’est

70 Malgré les différences qui peuvent exister entre le « client » et l’ « usager », nous utiliserons tout au long de notre travail les deux termes comme synonymes.

111

pas immédiat, comme c’est le cas des éboueurs, les agents du tris postal, etc., et d’une

manière plus large, les salariés agissant dans le back-office, où client n’est impliqué

qu’indirectement. Toutefois, l’absence du contact avec le client dans les activités citées ci-

dessus n’implique pas leur oubli (Pigenet, 2006). A la lecture de ces travaux, ainsi que les

apports des autres chercheurs, notamment Gadrey (1996 ; 2002), on comprend que le terme de

« relation de service » recouvre davantage les emplois et activités ayant une relation

immédiate et à forte intensité avec le client, tandis que celui de « service(s) » concerne les

emplois et les activités où le client est impliqué indirectement. Du Tertre (2001) n’a pas

manqué de préciser la nécessité d’opérer la distinction entre les termes de « service » et

« relation de service » qui sont, selon l’auteur, parfois confondus à tort. « En réalité, il peut

exister, d’un côté, des activités de service sans « relation de service », de l’autre, des services

qui ne prennent leur sens qu’à travers « la relation de service ». (ibid., p. 227).

Toutefois, les travaux de recherche ne se sont pas focalisés sur cette distinction entre

« service » et « relations de service » et les définitions les plus reprises semblent

s’accommoder des deux.

Dans le champ des définitions, il faut souligner que la jeunesse relative de ce champ de

recherche, la place accordée au client dans l’activité, ainsi que l’évolution de cette dernière,

font que les définitions avancées par certains auteurs sont loin de faire l’unanimité au sein de

la communauté académique. Gadrey (2002) estime que la définition des services (en général)

relève d’un exercice délicat. Aussi, il présente ce qu’il appelle une tentative de définition,

basée notamment sur celle de Hill71 est articulée à la perspective de Goffman : « une activité

de service est une opération visant une transformation d’état d’une réalité C, possédée ou

utilisée par un consommateur B, réalisée par un prestataire A, à la demande de B et en

relation avec lui, mais n’aboutissant pas à la production d’un bien susceptible de circuler

économiquement indépendamment du support C » (ibid., p. 60). Cette définition, présentée

par un économiste, nous semble mettre l’accent sur l’activité de transformation (inspirée de

l’activité industrielle) et de production économique de service. C’est une des limites de cette

définition, dont l’auteur lui même signale qu’elle est incomplète. Faisant suite à cette

remarque, Zarifian (dont les points de vue sont confrontés avec ceux de Gadrey dans un livre

en commun en 2002), a présenté une autre tentative de définition en s’appuyant sur une

double approche ( ibid., p. 99)

71 Selon Gadrey, Hill (1977), présentait une définition des « services » comme une « opération de changement de condition d’une personne ou d’un bien ».

112

- L’approche de la valeur de service à partir des effets : le service est une

transformation dans les conditions d’activité du destinataire, voir dans ses

dispositions d’action, dont les effets sont jugés valables et positifs par ce dernier et/

ou par la collectivité.

- L’approche de la valeur de service à partir des ressources : le services est une

organisation et une mobilisation les plus efficientes possibles des ressources (et

d’abord des compétences vivantes) pour interpréter, comprendre et engendrer cette

transformation, efficience jugée par la direction de cette organisation, comme par ses

salariés, voir par le destinataire lorsqu’il agit lui-même comme ressource72.

Dans la première approche, on voit bien que l’accent est mis davantage sur la validité sociale

de la production de service à travers la valeur de service considérée par le client – référent.

Quand à la seconde, il présente le service à partir d’un modèle organisationnel basé sur les

ressources, intervenant dans le processus de production de service, sous le regard de

l’organisation et du client. Cela dit, dans l’une comme dans l’autre, Zarifian développe une

perception de ce qu’est une activité de service, différente de celle de Gadrey. Ceci témoigne

donc non seulement de la multitude des points de vue que peut révéler et susciter cette

activité, mais aussi, de la difficulté à cerner sa complexité dans une seule définition.

Enfin, et à l’aune de ce que nous avons évoqué depuis le début de cette présentation, bien que

les regards sur les relations de service soient différents selon que l’on s’attarde sur tel ou tel

aspect, il semble que la perspective interactionniste goffmanienne s’impose et se traduit

comme un point en commun entre ces différentes visions, en s’intéressant de près à la

participation du client au processus de servuction, un processus communément appelé la « co-

production ».

1.2 La relation de service : une co-production du service

Avant de présenter le concept du processus de « co-production », il est intéressant de

rapporter certains éléments de la théorie goffmanienne qui a inspiré plusieurs auteurs dans

leur approche sur l’analyse de la relation de service.

72 Gadrey (2002) trouve dans cette définition, et suivant l’utilisation de l’expression « mobilisation les plus efficientes …» que Zarifian s’est positionné davantage comme consultant que comme chercheur.

113

1.2.1 L’approche interactionniste des relations de service

L’approche interactionniste de la relation de service émerge des réflexions de Goffman après

la publication de son livre « Asile » en 196873. Il considère l’interaction entre le praticien et le

client comme un vecteur de la spécification, et donc de la compréhension de la relation de

service. Cette approche dialogique entre le client et le praticien est modélisée par l’auteur

sous forme de communications techniques, contractuelles et relationnelles (ibid., p. 383).

- Les communications techniques : concernent les renseignements reçus / donnés sur le

service ou la prestation envisagée ; etc.

- Les communications contractuelles : ici, on s’intéresse plutôt aux indications relatives au

coût du travail, aux délais à respecter, etc.

- Les communications relationnelles : cet aspect aborde tout ce qui relève du champ des

civilités, des échanges de politesses, etc.

Bouzit et Monique (2001) rapportent que Goffman souligne qu’il est important de constater

que, tout ce qui se passe entre le praticien et son client relève de l’une ou de l’autre de ces

composantes et que toutes les divergences peuvent être interprétées en fonction de ces normes

prévues. Ainsi, si l’échange entre le praticien et le client se déroule conformément à cette

structure, cela représenterait aux yeux des protagonistes un test de « bonne relation de

service ».

L’analyse de la relation de service sous l’approche Goffmanienne invite les chercheurs à

porter l’attention sur les interactions entre le praticien et le client en situations de travail74

pour comprendre la nature et les spécificités de cette activité. A ce sujet, Cartier (2005) note

que si l’attention portée aux interactions fut quelquefois accusée de « s’épuiser dans la

description des [...] face à face » et d’oublier d’« autres rapports sociaux », l’approche a

favorisé la prise en compte des pratiques quotidiennes et concouru à renouveler l’observation

et l’interprétation théorique de l’organisation du travail. [in Pigenet, 2006, p. 3].

1.2.2 La « coproduction » du service.

Le concept de la « coproduction » représente donc la caractéristique phare de l’approche

interactionniste de la relation de service. Elle permet de distinguer cette activité de celle

relevant du travail dans l’usine. C’est ce qui fait de la notion de la « coproduction » un

73 Ici on fait référence à la traduction française (1968). La version originale est publiée en 1961 (Essays on the Condition of the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates). Son travail portait empiriquement sur les observations des relations entre le « patient » et le « praticien » dans un hôpital psychiatrique. 74 D’où l’intérêt particulier que suscite ce modèle d’analyse pour les théoriciens se réclamant du courant de la cognition située, les ergonomes notamment dont les travaux portent sur le terrain des relations de service.

114

concept au carrefour de tous les travaux portant sur ce secteur (Hanique et Jobert, 2001 ;

Bruch et Delmas, 2005).

Pour Zarifian (2002) , la « coproduction » d’un service consiste en la participation du client à

la réalisation du service, c’est à dire, en la co-construction avec le client-usager de l’offre de

solution qui va correspondre à ses attentes. La « co-production » d’un service s’accomplit,

comme nous l’avons vu dans l’approche Goffmanienne (1968), à partir d’interactions entre le

salarié et le client, et passent, selon certains auteurs (Gadrey 1996, 2002 ; Bouzit et Monique,

2001 ; Hanique et Jobert, 2001), par des échanges d’informations, voire des actions

opérationnelles sur le service envisagé. De ce fait, le client est bien plus qu’un simple

consommateur car, comme le soutient David (2001) : de l’instant où il formule sa demande

jusqu’au moment où il obtient une réponse, il oriente et évalue en permanence la prestation,

modifie au fur et à mesure les termes de sa demande et corrige l’action du prestataire. Ces

éléments font ressortir que le concept de « coproduction » recouvre l’intervention du client

dans- et à travers- plusieurs étapes relatives à la délivrance du service.

Un point de vue que l’on trouve également chez Valléry (2004 ) qui estime que « l’interaction

«agent-client» est inhérente à la construction du service ; elle sert les scènes de co-

production et de co-action, voire de co-ajustement, entre les partenaires dans ses formes

sociales multiples de confrontation, de régulation, d’ajustement ou de réparation (au sens

goffmanien) » (ibid., p. 128).

Deux remarques peuvent être dégagées suite aux éléments qu’on vient d’annoncer autour de

ce concept de « co-production ». En premier lieu, ce concept incite à considérer l’importance

du rôle « actif » que joue le client dans la conception, mais aussi dans la production même du

service, lors de ses interactions avec l’agent de l’entreprise prestataire.

En second lieu, nous pensons que la co-production ressemble davantage à un « processus »

qu’à une action unique, étant donné que le client peut intervenir dans plusieurs étapes

successives dans la production du service, allant de sa conception (début) jusqu’à sa

validation (au sens de Zarifian 2002) et délivrance (fin), en passant par des actions permettant

sa modification et son ajustement. En fait, considérer la « coproduction » comme un

processus semble un élément très important car cela fait apparaitre de grands enjeux. En effet,

là où certains mettent l’accent sur les consignes du clients qui viennent s’intercaler dans les

modes opératoires de l’entreprise de service (Eiglier, 2004 ; Hubault et Bourgeois, 2001 ;

David, 2001 ; Feriel, 2007), d’autres relèvent un transfert de la charge de travail de

l’organisation sur le client (Beyer, 2001 ; Bouzit, 2001 ; Omrane et Bouillon, 2004).

115

En effet, dans certains cas, c’est le client qui fait ou prépare l’essentiel du travail « rituel » et

met en place des « interactions focalisées » (Bouzit 2001). Ou encore, suivant la remarque de

Beyer (2001), on peut considérer que les clients aussi « font leur service », une idée formulée

à partir de celle stipulant que les clients participent activement au service (Eiglier et Langeard,

1987), ce qui signifie qu’ils en sont, à leur façon, les agents officieux75.

En résumé, la coproduction génère une nouvelle conception du travail dans les services, d’où

l’importance de reconsidérer ses conditions de réalisation. Ceci explique alors pourquoi en

1987, Eiglier et Langeard, parlent de la coproduction, du fait de son caractère systémique

(faisant intervenir plusieurs éléments), comme entrainant un changement dans l’organisation

interne de l’entreprise de service.

Ainsi, comme nous pouvons le comprendre, la coproduction est une caractéristique qui

distingue par excellence la relation de service76 des autres entités économiques. En outre, elle

annonce également des spécificités que l’ont pourrait rencontrer dans le modèle

organisationnel de l’entreprise. C’est ce que nous comptons développer dans ce qui suit.

2. Le modèle d’organisation des entreprises de service

Ici, nous allons essayer de voir quelques éléments tenus pour typiques dans l’organisation

fonctionnelle des entreprises de service. Nous ne prétendons pas faire une synthèse de toutes

les fonctions caractérisant ces entreprises, car notre but est de présenter de manière générale

les sphères principales que les responsables tentent de coordonner afin d’engendrer la relation

de service. En particulier, le « front office » et le « back office »77. (En ce qui concerne le

front-office, nous nous contentons ici d’en faire une présentation sommaire, car nous allons

revenir plus loin et de manière beaucoup plus détaillée sur cet univers).

75 L’auteur rapporte l’exemple des voyageurs à la RATP : ils valident leurs tickets dans les appareils de contrôle, attendent patiemment sur les quais et se débrouillent pour monter dans le métro et y trouver une place. 76 D’après Du Tertre (2001) il existe toujours une « coproduction » du service même dans les « services » sans « relation de service ». Au minimum, cette coproduction concerne le traitement d’informations formalisées nécessaire à la prestation (exemple : retrait de billets de banque dans un distributeur de billets). 77 On trouve également d’autres termes associés à ces expressions, tels que : accueil ou espace d’accueil, guichet, on stage, front line, … pour le « front-office », et service de traitement, back stage, arrière boutique, etc. pour le « back-office »).

116

2.1 « Front office » et « Back office », séparation et rencontre

Comme il est fréquent dans les études portant sur les entreprises de service, on ne peut pas

parler de son modèle organisationnel sans évoquer cette séparation, devenue classique, entre

le « front-office » et le « back-office ». Elle est particulièrement révélatrice de la notion de

contact des salariés avec le client. Dans l’usage, et comme ces expressions en anglais

l’indiquent, cette séparation peut être comprise comme étant établie selon le critère d’être à

l’avant ou à l’arrière de la boutique (l’entreprise). Les salariés du front-office (donc leurs

actions, fonctions ou tâches, etc.) opérant sur une surface (postes de travail/ bureaux) sont en

contact direct avec les clients, quant au back-office, au contraire ils sont en recul (derrière) /

dissimulés vis-à-vis des clients. Autrement dit, et selon Zomerdijk et De Vries (2007), « le

front-office est la partie où les activités nécessite un contact direct avec le client qui participe

de ce fait à l’expérience, tandis que le back-office contient les activités qui sont réalisées à

distance des clients et par conséquent, elles ne peuvent pas être vues ou vécues par ces

derniers » (ibid., p. 4) (traduction personnelle).

Certains auteurs se sont livrés à d’autres typologisations des fonctions/unités composant

l’entreprise de service, mais elles restent très proches de celle opposant le front au back

office78. Parmi eux, on trouve Veltz (2000) qui distingue dans l’entreprise de service trois

sphères : la première sphère est celle des activités qui impliquent un contact direct avec les

clients ou les usagers (guichet, tâches commerciales, etc.). La deuxième sphère est celle des

« travailleurs de l'arrière », ceux qui sont chargés d'exploiter, de maintenir, d'améliorer le

fonctionnement des systèmes techniques supports des prestations de service ou commerciales.

Enfin, la troisième sphère regroupe les activités de conception des produits et des procédés.

Cette typologie de Veltz (2000) a été reprise par Zarifian (2002) qui a gardé le même esprit

qui véhicule cette catégorisation. Mais, il remplace le concept de « sphère » par celui

d’« univers ». Il annonce alors que les entreprises qu’il a étudié (2002) sont composées de

trois grand « univers » et c’est ce qui caractérise selon lui le modèle de l’organisation des

grandes entreprises de service (ibid., p. 13) :

- univers de la conception de nouveaux produits et services, à partir des attentes des clients,

représenté par la branche R & D de l’entreprise.

78 Sachant que dans certains cas on parle aussi de « middle-office », positionné entre les deux premiers. Entre autres, cette fonction a pour rôle de vérifier la régularité des opérations et le contrôle de certaines procédures. Pour les besoins de synthèse, nous considérons cette fonction comme composante du « back office ».

117

- univers du système technique et/ou administratif, qui soutient la production matérielle,

représenté par l’infrastructure technico-administrative. Cet univers est présenté par Veltz et

Zarifian comme étant le back-office de la relation de service.

- univers de contact avec les clients, c’est à dire le front-office, qui permet la relation directe

avec les clients, représenté par les réseaux de contact client (réseaux commerciaux, plates-

formes téléphonique, point d’accueil).

Pour harmoniser et simplifier notre présentation, nous considérons que le front-office désigne

les salariés en contact direct avec le client, contrairement aux salariés du back-office (y

compris ceux de l’univers de conception) dont le contact avec le client reste indirect, et passe

par l’intermédiaire du front-office.

Ces deux univers front et back office renvoient à des métiers différents, mais sont en

permanence en relation et en interaction. Ils sont interdépendants.

Ils ont chacun leurs propres objectifs, des modes d’organisation, des compétences et des

logiques d’action hétérogènes. Cependant, les auteurs estiment que l’efficacité générale de

l’organisation dépend largement de leur complémentarité et leur mise en cohérence (Zarifian,

2002 ; Combes, 2002 ; Valléry, 2004 ; Omrane et Bouillon, 2004). En effet, Zomerdijk et De

Vries (2007) expliquent que la conception de service se fait en contact avec le client mais la

décision est conçue via l’interaction entre le front et le back office, faisant d’elle un résultat

d’un compromis entre les salariés opérant séparément dans ces deux univers. Pour ces

auteurs, la séparation entre le front et le back office est pertinente dans le sens où l’entreprise

recherche à optimiser ses procédés à partir d’une meilleure division de travail, affectant les

employés respectivement selon leurs domaines de compétences. Mais, il faut garder en tête

que le processus de service réunit ces deux univers, dont la complémentarité permet souvent

plus de flexibilité et de réactivité du système.

Mettre en avant la conception du service comme le résultat d’un compromis entre ces univers

revient à considérer le concept de service comme étant un concept transversal, qui concerne et

réunit dans son processus le front et le back office. Autrement dit, si la coordination entre ces

différents univers n’est pas assurée, le service risque fort de ne pas être livré.

Voilà ce qui nous amène donc à la question de considérer la relation de service comme la

convergence de toute l’organisation vers la relation client. Comme le soutient la plupart des

chercheurs, la relation de service n’est pas seulement celle de la relation « agent-client », mais

plutôt celle de l’«organisation-client ».

118

2.2 Un modèle productif reposant sur la coordination des différents univers

de l’entreprise

L’approche de la valeur de service à partir des ressources est présentée par Zarifian (ci-

dessus) comme nécessitant une organisation et une mobilisation les plus efficientes possibles

des ressources dont dispose l’organisation. C’est dans ce registre que les chercheurs

interrogent la capacité de l’organisation à assurer les deux niveaux de la production

permettant d’engendrer le service, à savoir, la relation avec le client (le premier niveau), et la

relation entre les univers qui composent l’entreprise (second niveau).

C’est ce même ordre d’idée qu’on trouve chez Gadrey (2002). Il illustre parfaitement cette

relation entre les univers impliqués dans le service à partir de son étude sur le commerce de

détail américain. Selon lui, l’efficience du système productif dépend à la fois du domaine de

la logistique des biens, de celui de la logistique informationnelle, et enfin du service direct à

la clientèle qui représente la face visible du système. La livraison de service ne peut être

concrétisée que si l’entreprise arrive à coordonner l’interaction entre ces différentes fonctions.

Cela nécessite bien évidemment de véritables explorations menées en commun par ces

différents univers.

D’après la littérature parcourue, cette question de coordination pourrait trouver quelques

éléments de réponse dans le registre des « compétences organisationnelles » de l’entreprise.

En effet, dans le domaine des services, certains auteurs pensent que la capacité de

l’organisation à assurer un tel niveau de coordination réside dans son modèle de compétence

spécifique, nécessaire pour gérer et assurer cette double dimension interactionnelle entre

l’organisation et le client d’un côté (la coproduction) et entre les différentes compétences de

l’organisation interne, de l’autre. Dans cette perspective, la compétence de l’organisation dans

sa démarche coordinatrice est plus souvent conceptualisée dans les travaux sur les relations de

service sous la notion de « compétence collective »79 (Veltz et Zarifian, 1994 ; Combes,

2002 ; Zarifian, 2002 ; Michaux, 2003, 2005 ; etc.). Cette notion est très utilisée dans les

travaux pour rendre compte des démarches coordinatrices et collaboratrices, voire

79 De manière générale, la notion de « compétence collective » est un sujet qui, après avoir été analysé de façon traditionnelle dans le cadre des équipes de travail, a fait l’objet d’un regain d’intérêt dans les années 1990 comme en témoignent, par exemple, les diverses tentatives de définitions recensées (une dizaine) dans Retour et Krohmer (2005). Ceci reflète donc toute la richesse que recouvre cette notion dans le cadre théorique, mais surtout, son omniprésence dans les entreprises, son utilité, voire son caractère indispensable pour assurer la coordination entre les différents acteurs.

119

intégratrices, des différents univers composants l’entreprise de service. Elle apparaît comme

une dimension sine qua non de la concrétisation de la relation de service.

Parmi les travaux s’étant intéressés à ce sujet des compétences spécifiques mobilisées dans les

entreprises de service, on trouve la contribution de M.C. Combes (2002)80 intitulé les

compétences relationnelles : une question d’organisation, qui a synthétisé les compétences

spécifiques aux relations de service. L’auteur pense que l’analyse de la relation de service doit

dépasser celle de la relation « agent-client », pour atteindre la relation « organisation-client »,

ou plus globalement la relation « organisation-marché ». Cela dit, si la relation « agent-

client » amène l’observateur à s’intéresser, entre autres, à la compétence relationnelle

individuelle de l’agent (sur laquelle nous reviendrons plus loin dans le contexte restreint du

front office), la vision « organisation-marché » impose de considérer les compétences

relationnelles de l’organisation entière. L’argument utilisé stipule qu’il y a une convergence

de toute l’organisation vers l’interaction avec le marché pour instaurer la confiance avec ce

dernier. L’auteur parle de la convergence de toute l’organisation, car le client s’adressant à un

vendeur, à un conseiller financier d’une agence bancaire, ou à un téléconseiller d’un call

center pense s’adresser à une personne, mais en réalité, il s’adresse à une organisation

agissant par l’intermédiaire de cette personne. Ceci nécessite donc une organisation collective

concourant à la prestation de service. Pour cette auteur, les compétences nécessaires à la

relation de service « sont composées « des compétences techniques », qui s’attachent à l’objet

de la prestation de service (un compte bancaire dans le secteur des banques par exemple),

« des compétences organisationnelles » afin d’assurer la mobilisation des compétences

techniques au bon niveau et au bon moment, d’assurer la circulation de l’information et des

flux matériels, de transmettre les principes d’action aux salariés, et donc d’assurer leur

coordination, de gérer l’espace, le temps, et les réseaux. Et enfin, des « compétences

marché », résumées dans la connaissance des clients, de leurs besoins et de leurs réactions,

la compréhension de leurs demandes et le modelage de leurs attentes, etc. » (ibid., p13).

Ainsi, l’auteur attire notre attention sur l’importance de considérer les compétences dans

l’entreprise de service sous l’angle organisationnel et collectif. Selon l’auteur, ce sont des

compétences spécifiques aux activités de service.

80 Ici, nous avons choisi de faire un focus sur la contribution de Combes (2002), non seulement du fait de l’intérêt que manifeste l’auteur à propos de cette problématique, mais aussi, vu la solidité du matériau utilisé, constitué sur la base de 25 études prospectives tertiaires. C’est ce qui lui a permis de faire une synthèse expliquant bien l’intérêt et la nécessité de mobiliser cette compétence organisationnelle, permettant d’assurer cette double dimension interactionnelle, « intra-organisation/ organisation-client ».

120

Enfin, il est nécessaire d’indiquer que bien que les auteurs, ont la plupart du temps centré

leurs réflexions sur un seul univers, aucun d’eux n’a nié ni oublié d’évoquer cette condition

sine qua non relative à la coordination entre les différentes fonctions de l’entreprise de

service. D’ailleurs, la nécessité de la mise en cohérence entre ces différents univers pour

concourir à la prestation de service, est vue par certains comme la caractéristique d’un modèle

s’écartant de l’organisation traditionnelle hiérarchique, que l’on trouve notamment dans le

modèle industriel, où les univers demeuraient parallèles (Gadrey, 1996, 2002 ; Veltz, 2000 ;

Zarifian, 2002 ; Omrane et Bouillon, 2004 ; Zomerdijk et De Vries, 2007 ; etc.).

Les travaux que nous venons de présenter dans cette première section mettent en évidence que

la réussite d’une relation de service dépend largement de la qualité de la coordination entre les

différentes fonctions et univers constituant les entreprises de service. Cependant, l’objet de

notre thèse étant les communautés de pratique dans le contexte des relations de service, et vu

l’ampleur et la richesse des deux thématiques respectives (CP et relations de service), nous

proposons de nous centrer sur le service front office, afin de tenter de mieux comprendre

l’évolution des CP dans cet univers et leur impact sur la performance de leurs membres. Nous

allons donc nous intéresser dans ce qui suit à l’univers du front-office.

Section 2. Focus sur l’univers du « front-office ».

Cette section est consacrée exclusivement à l’univers du front-office qui correspond au

contexte d’étude privilégié dans ce travail de thèse. Après avoir fait une présentation générale

de cet univers en évoquant ses deux dispositifs d’accueil (les centres d’appels et les guichets)

(1), nous analysons le travail réel qui s’y déroule, et qui se présente comme caractérisé

notamment par la multitude et l’imprévisibilité des situations de coproduction (2). La fin de

cette section consiste à présenter le modèle productif dans cet univers. Ce modèle repose à la

fois sur les compétences spécifiques des agents et sur un modèle industrialiste. Ce dernier est

présenté par les auteurs comme déterminé par des pratiques de standardisation, de

prescription et de contrôle (3).

121

1. Présentation générale de l’univers du « front office »

Le très grand nombre de travaux qui portent sur les « front-office » témoigne de l’intérêt

grandissant que les auteurs et praticiens ont pour cet univers. En effet, bien que la fonction

d’accueil n’est pas récente dans les entreprises de service, elle connaît depuis quelques années

de nombreuses mutations, notamment du fait du déploiement des « centres d’appels » (call

centers).

1.1 Le « front-office » : La pointe avancée de la relation de service.

Comme nous l’avons vu, le « front-office » (ou le service d’accueil), regroupe les espaces où

les activités relèvent d’un contact direct avec le client, qui participe de ce fait à la production

de service (la coproduction). Cette fonction englobe deux dispositifs permettant le contact

direct avec le client : le contact physique (d’où la notion d’accueil physique, connu

généralement sous le terme de «guichet »), et le contact à distance, permis notamment par la

technologie et connu sous le terme des « centre d’appels ».

Cette fonction est généralement présentée comme la « vitrine » de l’entreprise de service

(Bouzit et Monique,2001 ; Valléry, 2004), ou encore, la « pointe avancée » du processus de

production de service (Zarifian, 2002)81. Selon Valléry (2004), cette fonction est devenue un

enjeu stratégique essentiel pour les organisations, puisqu’il s’y joue, à travers les contacts

établis, l’expression directe de la qualité des moyens techniques et organisationnels mis en

œuvre par les entreprises. Mais, et malgré cette position, les auteurs cités ci-dessus pensent

que la fonction est souvent sous-estimée dans la production de service.

Le « front-office » (ou l’accueil) représente donc la fonction où se déroule le premier niveau

d’interaction dans la relation de service. En ce sens, et vu l’omniprésence du client dans cette

activité, on lui associe, voir on le confond presque systématiquement avec l’expression de la

« relation-client » (Feriel, 2007 ; Béraud et al., 2008, etc.).

Interaction ou relation-client sont des termes qui sous-entendent avant tout l’existence d’un

« contact avec le client ». Ce contact a été évoqué dans la définition de la coproduction sur les

bases de l’approche interactionniste goffmanienne. La plupart des travaux que nous avons

parcouru n’ont pas estimé important d’avancer une définition spécifique à propos de ce

contact entre l’agent du front-office et le client. Bien que cela pourrait paraître trivial, nous

pensons qu’il est utile de comprendre ce que signifie ce « contact avec le client ». Zomerdijk 81 En écho à Zarifian (2002), Valéry (2004) rappelle que le front-office est aussi « la pointe avancée de tout un système productif… ».

122

et De Vries (2007, p. 7) définissent le « contact avec le client » comme « une rencontre

directe entre un client et un prestataire de services qui a lieu dans le même temps, mais pas

nécessairement au même endroit » (traduction personnelle). Comme nous pouvons le

constater, ici les auteurs mettent en avant l’idée selon laquelle le contact physique (le face à

face) avec le client n’est pas une condition préalable et indispensable pour parler de contact-

client. De ce fait, le contact à distance est inclus naturellement dans cette conception de la

relation avec le client. Cette approche confirme donc que les « centres d’appels » sont bel et

bien des univers de contact avec le client. Cependant, ce qui nous interpelle dans cette

définition s’articule autour de la question de la temporalité du contact avec le client.

L’expression « dans le même temps » indique bien que le contact entre l’agent et le client est

synchrone. Cela signifie-t-il que les échanges par mails interposés ou par courriers, qui selon

plusieurs auteurs (Buscatto, 2002 ; Guery et Mottay, 2003 ; Omrane et Bouillon, 2004 ;

Michaux, 2005 ; Falcoz et Bécuwe, 2007) font parfois partie des activités des front office

(notamment de celles des centres d’appels), ne constituent pas des contacts avec le client ?

Nous pensons que nous touchons ici une limite de cette définition et nous estimons que

l’« aspect synchrone » dans la relation n’est pas non plus une condition préalable à ce contact,

car l’agent du front-office peut avoir un échange avec le client de manière asynchrone comme

c’est le cas des échanges par mails ou par courriers.

1.2 Les dispositifs de l’accueil: les centres d’appels et les guichets

Les trois sous-titres qui suivent ont pour vocation d’évoquer brièvement, et en guise

d’introduction, certains éléments relatifs au front-office, afin de donner un aperçu général sur

le métier des agents et l’organisation du travail dans cet univers.

Pour commencer, et afin d’éviter certaines confusions dans ce qui suit, nous souhaitons

apporter quelques précisions sur les appellations que nous mobilisons ici et tout au long de

notre thèse. Nous utiliserons les termes :

- «Accueil physique » établi dans le « guichet » pour désigner la fonction permettant le

contact physique avec le client. C’est à dire le « face-à-face » entre l’agent et le client.

- « Accueil téléphonique » réalisé par les employés des « centres d’appels » pour

désigner les salariés qui établissent des contacts avec les clients sous forme de

conversation téléphonique.

- Le « front office » ou l’accueil englobe ces deux premiers thèmes. En gardant à

l’esprit que dans les deux cas, les salariés sont parfois amené à correspondre avec le

clients via des mails et l’envoi de courriers.

123

Dans ce qui suit, nous parlerons de la relation de service en nous intéressant à la fonction

d’« accueil » de manière globale, mais nous ferons attention et préciser à chaque fois que cela

est nécessaire, si une particularité est plutôt spécifique au guichet ou au centre d’appels.

1.2.1 Les centres d’appels (accueil téléphonique):

Les call centers sont des plateformes téléphoniques auxquelles les entreprises et les

administrations recourent afin de pouvoir multiplier les contacts avec la clientèle (Caldéron,

2003). Les appels traités par les téléopérateurs peuvent être de deux ordres : des appels dits

« entrants » (inbound calls) qui correspondent aux appels formulés par les clients de leur

propre initiative pour entrer en contact avec l’entreprise, et des appels dits « sortants »

(outbound calls) réalisés par les téléopérateurs afin de rentrer en contact avec les clients

(Pichault et Zune, 2000 ; Lanciano et al., 2008).

Les centres d’appels sont caractérisés par de nouveaux moyens techniques, qui permettent le

couplage entre les outils de la téléphonie et ceux de l’informatique, en particulier les systèmes

d’information. Plusieurs auteurs (Pichault et Zune, 2000 ; Feriel, 2007 ; Lanciano et al., 2008)

rapportent que le métier de téléopérateur est semblable dans tous les centres d’appels. Il est

soumis à un système informatique de routage automatique des appels. Ces derniers arrivent au

fil de l’eau et sont distribués (via un système informatique) en fonction du premier opérateur

libre. Selon les entreprises, les travaux rapportent qu’un temps de 10 à 20 secondes après

chaque appel est accordé à l’opérateur avant qu’il se positionne comme disponible, prêt à

recevoir un autre appel.

Les écrans d’ordinateurs font apparaître également, et entre autres, des bandeaux où on peut

lire des informations relatives aux durées des appels (temps de la communication en cours),

au nombre d’opérateurs disponibles, au nombre d’appels en attente et la situation du flux,

etc. Toutes ces informations ont comme but une meilleure gestion des flux tendus.

1.2.2 Les guichets d’accueil (accueil physique)

Selon Weller et Dubois (2001), à son origine le mot guichet désigne une petite ouverture

pratiquée dans une porte ou une muraille. Bien évidemment, cette disposition a beaucoup

évolué. Après avoir agencé des bureaux dédiés à la réception des clients à tour de rôle, la

forme la plus fréquente aujourd’hui est celle qu’on qualifie d’« open-office » ou encore «open

space ». C’est un modèle de configuration qui a été initié et développé aux USA dans les

années 1970 (Oldhann et Brass, 1979). On est alors passé du guichet dans son design

124

traditionnel (bureau conventionnel, espace multicellulaires) au design de l’« open-plan

office » (bureau à surface ouverte) appelé généralement aujourd’hui « open office » (sans

murs séparateurs entre les bureaux). Aujourd’hui, la quasi-totalité des entreprises de service

configurent leurs accueils sous forme d’ « open office ». Dans cet univers, les clients sont

reçus sans rendez-vous82 et se présentent au guichet successivement, en général après avoir

passé un temps dans la file (d’attente) suivant le principe du premier arrivé - premier servi

(Jeantet, 2003).

Rappelons que la caractéristique principale qui différencie ce dispositif de celui ces centres

d’appels est la présence physique du client dans l’espace d’accueil. C’est un lieu de la

visibilité et de l’écoute, où les situations sociales prennent un visage, un corps et une voix.

1.2.3 Organisation du travail et statuts

L’organisation du travail est pratiquement similaire dans les deux dispositifs. A partir de

plusieurs monographies sur le front-office des entreprises de la relation de service, nous

pouvons résumer le modèle d’organisation des salariés et des statuts comme suit :

- Les guichetiers/téléopérateurs, ont le statut d’employé, se positionnent à la base de

l’échelle hiérarchique (on considère l’indice n). Leur travail (que nous détaillerons

davantage plus loin) consiste à recevoir les clients et leurs demandes, et parfois

(notamment dans les centres d’appels) au traitement de courriels.

- Des managers intermédiaires, appelés également, managers de proximité (guichet), ou

superviseur / agents de maîtrise (centres d’appels) sont les responsables directs des

opérateurs, avec un indice hiérarchique associé correspondant à n+1. Suivant leur statut de

cadre de proximité, ils sont tenus, entre autres, de planifier et organiser le travail et les

tâches des opérateurs, apporter de l’aide aux opérateurs et les faire monter en compétence.

Les pratiques de supervision et de contrôle des agents font également partie de leur

fonction. Ils assurent aussi la mise en œuvre effective des outils de management visant à

orienter et à réorienter leur travail : le suivi quotidien des objectifs de productivité, la

réalisation des entretiens d’évaluation, les formations ponctuelles, etc.

- Enfin, l’accueil est dirigé par un responsable d’unité (n+2), qualifié généralement de

responsable du service d’accueil ou responsable de la plateforme téléphonique.

82 Ce sont les back-office qui opèrent généralement avec une logique de rendez-vous.

125

2. Le « travail réel » des agents du front office imposé par les

caractéristiques du contexte des relations de service : Une activité

multitâches, des cas multiples et imprévisibles.

Pour décrire le travail réel des agents qu’impose le contexte de la relation de service dans le

front-office, nous allons essayer dans un premier temps d’approfondir notre compréhension

de l’activité et des tâches qui incombent aux agents. Puis, nous présenterons les différentes

caractéristiques de la relation avec les clients, à travers une catégorisation des profils de ces

derniers et la diversité des demandes exprimées.

2.1 En quoi consiste le « travail réel » de l’agent d’accueil ?

Les agents des front office assument le premier niveau de l’interaction dans le processus de

coproduction du service avec le client. Au-delà des percepts de l’approche dialogique

goffmanienne qui modèlent l’interaction sous forme de communications techniques,

contractuelles et relationnelles, d’autres contributions permettent d’enrichir et d’expliciter

davantage le contenu de ces interactions, pour enfin synthétiser le cours de la relation entre

l’opérateur et son client. A cet égard, la présentation de David (2001) nous semble

intéressante pour rendre compte du travail réel qui est conduit au cours de cette relation.

L’auteur indique que la « coproduction » fait apparaître l’activité réalisée comme une activité

de gestion d’information, qui consiste généralement à : Analyser la demande, faire des

arbitrage et « Manager » la contribution du client.

- Analyser la demande : L’analyse de la demande du client a pour objectif d’identifier les

besoins réels de ce dernier et de repérer l’écart éventuel entre l’offre et la demande. C’est

l’existence potentielle de cet écart entre l’offre et la demande qui a conduit Bouzit (2001) à

parler de l’agent comme traducteur culturel, du fait de l’incongruence qui existe parfois entre

la logique organisationnelle ou technique et la logique ordinaire du client. Ainsi, l’opérateur

s’efforce de réduire l’écart entre les dénominations technico-organisationnelles de l’entreprise

et le langage du client, d’anticiper les ambiguïtés et de prévenir les malentendus. Ainsi, la

relation de service suppose donc une négociation avec le client sur la nature du service, une

collaboration pour sa production et un échange sur son utilisation (Combes, 2002).

- Faire des arbitrages : Le but est d’arriver à établir un ajustement entre l’offre et la

demande. C’est une opération relativement délicate pour l’agent car arbitrer consiste à faire

des choix, donc nécessite une prise de position (Bouzit, 2001). En effet, l’agent se retrouve

126

parfois contraint de mobiliser ses propres idées et jugements, c’est à dire sa subjectivité pour

réaliser la prestation, en fonction de ce qu’il considère être la meilleure réconciliation entre ce

qui est utile pour le client, pour l’organisation et pour lui même (Hubault et Bourgeois, 2001 ;

Zarifian, 2002 ; Jeantet, 2003 ; Caldéron, 2006). Dans cette perspective, Zarifian (2002)

utilise l’expression de « la prise d’initiative et de responsabilité » qui se condensent dans la

qualité du jugement d’action par le salarié. Il assume de manière de plus en plus solitaire le

travail qui se présente comme une totalité non divisée.

Autrement dit, les arbitrages reposent sur la possibilité de pouvoir concilier en situation

(souvent en temps réel face au client) trois dimensions (David, 2001):

Effet utile au client

Effet utile pour l’entreprise Effet utile pour le salarié

La notion d’effet utile « renvoie pour l’entreprise à la maîtrise des coûts et des délais, pour le

client à la qualité, la fiabilité et la sécurité de la prestation dont il bénéficie, pour le salarié

aux possibilités d’apprendre, de comprendre, de décider, de se réaliser…dans l’activité

réalisée » (ibid., p. 149).

Enfin, la troisième activité consiste à :

- Manager la contribution du client83. Selon l’auteur (David, 2001), cela revient à

détecter et gérer la représentation que le client a de l’offre, repérer et gérer les stratégies mises

en œuvre par le client dans l’interaction, faire partager au client l’analyse de ses besoins réels

et la réponse envisageable, gérer la « compétence » du client, la développer si cela est

possible ou nécessaire.

Pour rendre compte du travail réel au cours de la relation, nous avons choisi de reprendre cette

présentation de David (2001) car ces tâches, ou de manière plus générale, les idées et les

arguments qui les charpentent, reviennent très souvent dans la littérature, même si les termes

sont parfois un peu différents. Par exemple, Zarifian (2002) présente ce processus en

83 Notons que dans « manager la contribution du client », l’auteur ne font pas allusion au comportement de ce dernier, mais plutôt à ses connaissances

127

annonçant que son point de départ est la connaissance de l’activité et des besoins réels du

client, puisqu’il nécessite d’interpréter et de comprendre la demande exprimée par ce dernier.

A partir de là, l’agent doit produire une solution et enfin engendrer la transformation.

Dans tous les cas, la thèse sous-jacente à ces travaux met en avant le constat selon lequel le

« travail réel » effectué par l’agent du front-office revêt plusieurs facettes, et, subséquemment,

les différents rôles assumés par l’agent comme, par exemple, analyste, interprète, décideur,

gestionnaire et producteur de la relation, etc.

Dans ce qui suit nous allons décrire le contexte de cette activité. Certains éléments sont

mobilisés par les auteurs de manière relativement fréquente, et sont considérés comme

particulièrement typiques de la relation de service. En plus du caractère intense (flux tendu)

de l’activité, la multiplicité des cas rencontrés ainsi que leur imprévisibilité dans certaines

situations sont aussi relevées par les observateurs.

2.2. Intensité, multiplicité et imprévisibilité des cas : catégorisation des

relations à partir des profils des clients et de la nature de leurs demandes

Bien qu’elle est parfois présentée comme une activité routinière, l’activité de la relation de

service au front office est en réalité relativement diversifiée, que ce soit dans les centres

d’appels (Béraud et al., 2008) ou dans les guichets (Jeantet, 2003).

2.2.1 Une activité réputée très intense.

Dans les guichets (Weller 2002; Jeantet 2003; Hanique et Jobert, 2002 ; etc.) et les centres

d’appels (Buscatto, 2002 ; Fériel, 2007 ; etc.), l’activité des salariés est rapportée par ces

auteurs comme étant très intense, à la fois à cause du flux tendu de clientèle et à cause du

grand nombre d’opérations à effectuer. Aux guichets, cette intensité est visible par

l’importance des flux de clientèle qui constituent de longues files d’attentes, régies par le

principe premier arrivé-premier servi (Jeantet, 2003). En effet, bien que le nombre de clients

se présentant au guichet ne soit pas précisé dans les travaux, les auteurs, notamment ceux

travaillant sur des institutions (réputées) telles que La Poste (Hanique et Jobert, 2001 ; Caroly

et Weill-Fassina, 2007), ou les organismes de la sécurité sociale (Valléry, 2004) précisent que

les usagers constituent de longues files d’attente. Ceci laisse entendre que leur nombre est

extrêmement important. A notre sens, si les observateurs ne mentionnent pas régulièrement

cet élément dans leurs travaux, cela est dû, tout simplement, au fait que c’est une donnée

128

intégrée dans les normes sociales, une donnée presque triviale. Elle constitue peut être même

une constante implicitement pensée dans la conception des guichets, que ce soit pour les

usagers comme pour les salariés.

Dans les centres d’appels, le flux de clientèle prend la forme de flux des appels parvenant aux

plateformes téléphoniques84. Ce flux est organisé également en files d’attentes avec le

principe, premier appel arrivé-premier appels traité, grâce au dispositif de routage des appels

(Pichault et Zune, 2000). Les clients sont généralement tenus informés (via un répondeur) du

nombre de clients en attente et/ou du temps d’attente. Quant aux téléopérateurs, bien que les

files d’attentes soient intégrées dans un espace technologique (ne sont pas visibles à l’œil nu),

des tableaux électroniques visibles par tous permettent de repérer le nombre d’appels en

attente, les temps d’attente moyens de la journée, les appels déjà traités dans la journée, etc.

(Buscatto, 2002). Pour compléter ces informations sur l’intensité de l’activité dans les centres

d’appels, on peut relever des données de l’étude de Lanciano et al.(2008) qui indiquent qu’en

France, le nombre moyen d’appels par employé se situe entre 85 et 100, selon les types de

centres (interne (insourcer) /externe (prestataire/outsourcer)).

Par ailleurs, en plus du fait que les files d’attentes représentent une source de pression que

subissent les agents, derrière le nombre important de clients qui constitue les files deux autres

réalités se cachent. Il s’agit de la diversité de clients et l’hétérogénéité de leurs demandes.

Cela fait que les relations de service sont imprégnées d’événements et de singularités des cas

imprévus par l’organisation institutionnelle (Zarifian, 2002).

2.2.2 Multiplicité et imprévisibilité des cas

Le travail dans les relation de service certes connaît bien des aspects tels que la répétition (la

routine) mais, à l’inverse, il a aussi fortement à voir avec l’imprévisibilité et la singularité

(l’inédit, la surprise du nouveau client, etc.) (Jeantet, 2003). Pour rendre compte de la

multiplicité et l’imprévisibilité des cas des relation de service, nous aborderons les deux

variables les plus souvent citées dans la littérature. La première concerne la catégorie des

clients, que nous qualifierons de « client multiple », et la seconde s’attache au contenu de sa

demande, c’est à dire l’objet de la demande exprimée. D’un client à l’autre, les attentes et les

demandes réelles diffèrent fortement (Hanique et Jobert, 2001).

84 Notre travail s’intéresse essentiellement aux centres d’appels entrants, mais nous soulignons que le nombre d’appels sortants est rapporté également (Pichault et Zune 2000;Lanciano et al., 2008) comme très important.

129

2.2.2.1 Le « client multiple »

L’utilisation du terme unique de « client » ne doit pas faire oublier la très grande variété des

profils qui se présentent au guichet (de La Poste) (Hanique et Jobert, 2001). Hormis le

comportement qui constitue une variable déterminante pour catégoriser le profil d’un client,

on trouve d’autres variables telles que l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle, le

groupe socioculturel, le niveau de l’éducation, etc.85 Cela dit, en plus de l’idée sous-jacente

que l’agent doit s’adapter en fonction des caractéristiques du client, certains auteurs relèvent

que ces dernières peuvent être à l’origine de certains conflits dans la relation de service.

Le comportement des clients diffère d’un client à un autre. Selon Beyer (2001), le « facteur

humain » joue un rôle décisif dans les relations et introduit de ce fait la dimension

d’incertitude dans les services qui est absente des produits industriels. Cette incertitude dans

le comportement se trouve chez les clients comme chez le « personnel au contact ».

Jeantet (2003) rend compte du fait que la difficulté du travail des agents est aggravée par les

comportements des clients qui, mécontents de l’attente, ils manifestent des signes

d’impatience (soupirs, regards réprobateurs et excédés, gestes de nervosité, etc.), qui sont

autant de signes perturbateurs pour l’agent.

Dans les centres d’appels, les mêmes constats sont rapportés par les auteurs (Amiech, 2003 ;

Caveng et al., 2005 ; Feriel, 2007 ; Mebarki et Oiry, 2009 ; etc.). La seule différence consiste

dans le fait que ces comportements ne sont pas visibles, toutefois, ils s’entendent et se

ressentent au téléphone86.

Ce que nous venons d’avancer explique bien que l’agent fait face à plusieurs catégories de

clients, allant du positif au négatif (pour l’agent et pour l’entreprise en générale), du « gentil »

au « voyou provocateur », du « zen » au « stressé », de l’« humble » à l’« hautain », etc. Ces

comportements peuvent influencer le cadre de la relation et la relation elle-même, dont le

déroulement pourrait devenir (dans les cas négatifs extrêmes) critiques et rendre la relation

difficile à gérer (hostilité, comportements difficiles à maîtriser, agressivité, mécontentement,

85 Notons que ces variables peuvent avoir un lien avec le comportement du client. cf. Jeantet (2003) pour plus de détails concernant le comportement du client (au guichet) qui varie selon les catégories socioprofessionnelles, ethniques, etc. 86 D’ailleurs cela explique pourquoi les auteurs (cités ci-dessus) dans les centres d’appels, rapportent tous que les managers exhortent les téléopérateurs à mettre « du sourire dans la voix », car cela s’entend.

130

colère, etc.). Ainsi, le comportement du client peut constituer un critère de catégorisation des

situations rencontrées dans les relations de service.

Etant donné l’importance de ces éléments relatifs au comportement du client, pouvant

influencer le déroulement de la relation de service, nous estimons que la gestion des conflits

dans les relations de service occupe une part non négligeable dans le travail des agents.

Ainsi, nous pensons que cet aspect consistant à « manager le comportement du client » est

particulièrement critique, et mérite amplement de figurer comme une tâche à part entière

parmi celles recensées par David (2001) (ou Zarifian, 2002).

Des typologies de client peuvent être établies en se basant sur chacun des autres critères cités

ci-dessus. Jeantet (2003), décrit par exemple les relations de service sur la base du « rapport

de classe ». L’auteur montre qu’il existe un lien entre l’appartenance sociale des clients et leur

capacité à faire valoir leurs droits et à tourner les choses à leur avantage. Pour l’auteur, les

capitaux sociaux, culturels et économiques jouent un rôle non négligeable dans cette capacité.

Les clients appartenant aux classes supérieures sont les plus exigeants et les plus difficiles

pour les guichetiers. Ceux des classes moyennes ou populaires, en tout cas une partie d’entre

eux, disposent également de ressources très efficaces telle que la violence ou l’appel à la

compassion. Cet exercice du pouvoir ne vient pas renforcer une domination sociale existant

par ailleurs. Ils utilisent alors leur statut de client pour soumettre le guichetier et manifester

une domination qu’ils ne peuvent revendiquer dans leur vie quotidienne (ibid., p. 202)87.

Dans une perspective similaire, Valléry (2004) produit une catégorisation selon les origines

ethniques. Il rapporte, à partir de l’observation des relations d’accueil « agent-client » au sein

d’un aéroport international, que les formes d’interactions diffèrent selon l’origine des clients-

usagers et précise que lorsque ce dernier est occidental, la relation est plus souvent source de

conflit, d’incompréhension et/ou de reproches que lorsque le client-usager est d’origine

africaine.

Catégoriser les clients en fonction de leurs caractéristiques semble un aspect intéressant et

incontournable pour rendre compte donc de la multiplicité des cas dans la relation de service.

87 Cette idée que le client détient un pouvoir trouve tout son sens si on se réfère à l’approche de la valeur de service à partir des effets (Zarifian, 2002) présentée ci-dessus. Le client est juge de ces effets et ce jugement concerne autant le rythme de travail de l’agent que la qualité de la prestation.

131

En outre, les clients sont porteurs de demandes, qui elles même peuvent s’avérer très variées.

Cela présente aussi un critère pertinent pour analyser les contextes dans les front-office.

2.2.2.2 Des demandes variées

Dans les centres d’appels entrants, Pichault et Zune (2000) mettent l’accent sur l’idée que les

appels sont caractérisés par l’imprévisibilité des intentions des consommateurs et de leurs

demandes. Bien que le travail des téléopérateurs soit défini par l’organisation, les appels

parvenant aux plateformes téléphoniques sont porteurs d’une incertitude quant à la nature de

la demande qui motive l’appel du client dont les besoins peuvent être très variés.

Le même constat peut être observé au guichets d’accueil où les clients se présentent sans

RDV et l’agent n’a aucune information préalable sur l’objet de la demande du client.

La variété des demandes peut avoir plusieurs explications. La singularité d’une demande peut

être rattachée au profil du client. Une demande « classique » peut être rendue particulière par

les caractéristiques du client (cf. ci-dessus). Elle peut être aussi singulière du fait de la

particularité de son objet, de la complexité de son contenu, ou encore, de sa difficulté de

réalisation. Les demandes formulées par les clients sont variées et concernent divers aspects

de la relation de service. Elles vont du simple au compliqué, du rapide au lent, du concis au

long, du général au spécifique (personnalisé), etc.

Différents travaux de recherche illustrent des demandes singulières. Considérons par exemple

le degré de complexité de la demande, c’est à dire, le fait de distinguer entre une demande

simple et une demande compliquée. Dans le premier cas, on peut parler de demande ayant

pour objet des questions simples comme les horaires d’ouvertures d’une agence ou une

question plus précise comme « où se trouve le distributeur de billets ?» (Valléry 2004). Dans

le second cas, la complexité de la demande peut avoir comme origine un objet difficilement

exprimé par le client ou difficilement cerné par l’agent. Ça peut être également un objet qui

sollicite une négociation sur sa mise en œuvre, voire impliquant des actions hautement

complexes. Plusieurs exemples peuvent rentrer dans cette catégorie, telles que les demandes

de précisions sur le l’aspect législatif encadrant une assurance, une prestation bancaire ou

sociale. Dans ces cas, l’interaction nécessite un temps plus long et un effort considérable de la

part de l’agent (et du client).

Ces cas renseignent bien sur les différentes demandes qui caractérisent les situations de

relation de service, et mettent en évidence que les aspects cognitifs représentent une part non

négligeable du travail de l’agent. Ce dernier co-construit les diagnostics et résout les cas par

132

une recherche d’informations et par la confrontation des dires du client aux dossiers

informatisés ou papiers (Bouzit et Monique, 2001).

Bien évidemment, la multiplicité et l’imprévisibilité des demandes des clients telle qu’elles

sont soulignées ici nous rappellent largement et corroborent parfaitement la thèse des

différentes tâches qui incombent à l’agent, présentées précédemment suivant le recensement

de David (2001). : analyser la demande, procéder à des arbitrages et manager la contribution

du client.

Ainsi, et l’aune de ce que nous venons de présenter, « la relation de service, dans l’univers du

contact, est par définition même, empreinte d’évènements et de singularités […]. Les agents

en contact peuvent éprouver le fait que tout client est porteur d’une attente ou d’un problème

singulier, qui se manifestera au sein d’une relation de service interhumaine, donc chargé de

tout l’imprévu, de toute l’ambigüité, de toute l’incompréhension possible qui peut passer dans

ce type de relation » (Zarifian, 2002, p. 53). C’est pour ces raisons que la plupart des auteurs

estiment que l’activité dans la relation de service se distingue nettement de celle des autres

secteurs (Eiglier et Langeard, 1987 ; Veltz, 2000 ; Hubault et Bourgois, 2001 ; Beyer, 2001 ;

Zarifian, 2002 ; etc.).

Cette présentation du contexte des relations de service, met en évidence l’activité intense et

multitâches des agents du front-office qui se voient confrontés aux « clients multiples»

porteurs de demandes très diverses. Elle conduit donc à s’intéresser au modèle productif, c’est

à dire, aux compétences et aux moyens mobilisés par l’agent et par l’entreprise en général,

pour faire face aux diverses exigences de la coproduction.

C’est ce que nous comptons développer dans le titre qui suit, en nous intéressant d’un côté

aux compétences individuelles des agents, et de l’autre, aux nouvelles méthodes

d’organisation du travail appuyées par l’introduction des NTIC, présentées généralement

comme une évolution remarquable des relations de service ces dernières années.

133

3. Les compétences et le nouveau modèle productif dans les relations de

service.

3.1 Les compétences individuelles exigées par le travail réel au front-office.

Avant de présenter les compétences spécifiques à la réalisation de la relation de service,

arrêtons nous un instant sur le concept de « compétence ». Dans l’article de Le Boulaire et

Retour (2008), les auteurs ont présenté et commenté la définition de la compétence avancée

de manière générique par Defelix (2003) (et que l’on trouve d’ailleurs dans plusieurs travaux

en gestion) : la compétence est « une combinaison de ressources, dans une situation donnée,

rendant capable de… ». Selon ces auteurs, la notion de combinaison de ressources laisse

entendre que ces ressources peuvent être très variées. Ils indiquent qu’il peut s’agir de

données ou d’informations mises à la disposition des salariés ou détenues par ceux-ci ;

d’outils, d’instruments, de systèmes d’aide à la décision, de routines organisationnelles ; de

connaissances ou de savoir-faire acquis par la formation, par l’expérience ; d’attitudes, de

traits de personnalités, de motivations, de savoir-être, d’éléments culturels (valeurs, identités).

L’autre unité composant la définition et qui a attiré l’attention des auteurs est l’idée que : « la

compétence est toujours située ». Donc, elle dépend d’une situation donnée, d’un contexte

plus ou loin favorable, avec des marges de manœuvre temporelles, elles sont aussi plus ou

moins flexibles. Enfin, l’expression « rendant capable de… » indique selon les auteurs qu’il

s’agit de quelque chose de tangible, d’opérationnel, de mesurable et pas seulement d’une

hypothèse ou d’un potentiel. (ibid., p. 3).

Cette notion de « compétence » s’est imposée dans le champ d’études sur la relation de

service comme une unité d’analyse pertinente, voire incontournable, au point où la plupart des

auteurs cités jusqu’ici ont pris soin de l’évoquer dans leur réflexion sur le modèle

organisationnel dans les relations de service, et souvent l’utilisent pour rendre compte de

l’activité réelle des agents.

En effet, la notion de « compétence » est une unité d’analyse qui a connu ces dernières années

un intérêt grandissant dans les recherches sur l’entreprise de service (pour ne nommer que

quelques uns, en plus des chercheurs mentionnés ci-dessus, on trouve Combes (2002, 2003),

Codello-Guijarro (2004), Clergeau (2004), Valléry (2004), Feriel (2007), etc. En plus de sa

propriété pluridimensionnelle avec des composantes individuelles, collectives,

organisationnelles, stratégique, etc., sa pertinence trouve ses arguments dans le fait qu’elle

134

permet de décrire l’activité des acteurs, fortement caractérisée, rappelons le, par l’aspect co-

productif de ladite relation, c’est à dire une activité qu’une analyse basée uniquement sur le

poste de travail peine, ou ne suffit pas, à appréhender. De ce fait, le modèle organisationnel de

l’entreprise de service est décrit davantage comme lié au « modèle de la compétence »

(Zarifian, 2000) complétant ainsi- à défaut de le remplacer- le modèle de la « qualification »

ou du « poste de travail » taylorien (Zarifian 2000, 2001).

Nous avons déjà fait appel à la notion de « compétence » dans sa dimension collective et

organisationnelle comme facteur indispensable pour coordonner entre les différents univers de

service et penser la relation comme se déroulant entre « organisation et client » (ou encore

entre « organisation et marché »). Mais qu’en est-il des compétences individuelles requises

pour l’agent afin de mener à bien la relation de service (coproduire) avec le client ? À partir

des éléments avancés dans la partie précédente sur la conception de l’activité de l’agent, qui

se déroule en situation, face au client, et souvent en temps réel, il est clair qu’une analyse

basée sur la qualification, ou sur le poste de travail, ne permet pas de restituer tous les efforts

mobilisés par l’opérateur, qui se voit contraint de conjuguer technique et relationnel, afin de

pouvoir assurer ses tâches face au client.

Avant de creuser cette question de compétence, il est d’abord nécessaire de voir quelques

éléments rapportés par les travaux de recherche à propos des types et niveaux de

qualification88 (diplômes) des agents opérant au front-office.

3.1.1 Les types et niveaux de qualification des agents des front-office

La plupart des informations présentées ci-dessous émanent d’études réalisées sur les centres

d’appels, mais quelques travaux sur les guichets évoquant la question de la qualification des

agents, sans trop la développer, laissent entendre que le niveau de la qualification individuelle

dans l’accueil physique n’est pas significativement différent de celui rencontré dans les

centres d’appels.

Lanciano et al. (2008) ont rapporté dans une étude comparative89 sur les centres d’appels, que

l’embauche et le niveau de formation requis pour les agents est très différent selon les pays.

Le cas français est caractérisé par une part très élevée de niveaux supérieurs au baccalauréat

(le niveau bac plus 2 est le plus souvent indiqué). Pour les auteurs, globalement, le niveau

88 Nous limitons notre objectif ici à rapporter quelques informations seulement autour des types et des niveaux de « qualification » individuelle mesurée à partir du niveau de diplôme, sans examiner toutes les facettes de cette dimension. 89 L’échantillonnage a été fait sur la base d’une liste de 890 des centres d’appel répartis sur cinq pays (Danemark, France, Allemagne, Royaume unis et Etats unis).

135

d’embauche en France est donc relativement élevé pour une activité souvent présentée comme

peu qualifiée. Les types des diplômes recensés relèvent d’un niveau de premier cycle

universitaire. Les filières générales sont bien présentes. Les BTS et les DUT commerciaux

sont particulièrement recherchés. Ceci confirme donc le constat de Caïazzo (2001) [in Feriel

2007] qui avait souligné que les diplômes généralistes ont longtemps été recherchés, mais que

la tendance est aujourd’hui de privilégier les filières commerciales ou de vente. On retrouve

ainsi le point de vue Béraud et al. (2008) qui constatent que le travail est plutôt qualifié,

même si son contenu est normalisé et que les individus sont plutôt d’un bon niveau de

formation.

Au vu des éléments rapportés ici, il est clair que l’obtention d’un diplôme (baccalauréat et

plus) reste un critère indispensable, présenté comme un minimum requis et fait partie des

critères de recrutement des agents opérant dans les front office.

Cependant, une autre information mérite d’être présentée ici. Il s’agit de la nature du diplôme

recherché par les organisations. Dans un premier temps, les entreprises ont recherché des

diplômes de filières générales. Ce qui laisse entendre que ce qui semble être recherché à ce

niveau là, ce n’est pas tant le métier (gestionnaire, technique, ou financier) correspondant à

l’activité de l’entreprise que les capacités d’analyse et de synthèse (Lanciano et al, 2008). Il

existe donc bien un décalage entre la nature de la qualification individuelle obtenue par le

diplôme et celle requise par l’activité du front office. Ce décalage ne semble pas poser de

problème particulier étant donné que les organisations continuent à embaucher des candidats

issus de formations généralistes. Dans un second temps, les entreprises se sont toutefois

orientées vers des BTS et des DUT commerciaux (Lanciano et al, 2008 ; Caïazzo, 2001 [in

Feriel, 2007]). C’est à dire, des filières réputées pour leur contenu commercial et relationnel.

Ceci nous amène donc à penser que l’activité requiert en plus des capacités techniques, des

capacités commerciales et relationnelles. Autrement dit, la relation de service exige des

qualités qui correspondent peut être davantage à la situation de l’interaction elle-même qu’à

son contenu. Ceci signifierait que les agents sont sensés avoir la capacité de mobiliser un

certain savoir-faire pour gérer l’interaction avec le client. Etant donné que ce savoir-faire

n’est pas habituellement dispensé aux étudiants dans leurs formations universitaires, l’agent

doit mobiliser ses propres compétences afin de réaliser la coproduction. Ainsi, au vue des

exigences de la relation de service (comme nous l’avons caractérisée auparavant) d’un côté, et

l’hétérogénéité des qualifications individuelles (diplômes), de l’autre, il est logique de penser

que l’analyse des compétences qui, par définition sont situées, permettrait d’expliquer plus en

détail comment les salariés réalisent la relation de service.

136

3.1.2 Les compétences mobilisées par les agents du front office

Les employés de l’univers du front-office sont exhortés par les directions à mobiliser des

compétences cognitivo-techniques, pratiques (savoir-faire) et relationnelles pour pouvoir

réaliser les tâches réelles qui composent le processus de coproduction du service. La

dimension cognitivo-technique relative aux produits et à l’activité de l’entreprise est

omniprésente puisque sans elle la relation de service se réduirait à une interaction tout court.

Toutefois, les auteurs se sont peu attardés sur cette dimension, probablement parce qu’ils la

jugent trop évidente et se sont plutôt intéressés à la dimension relationnelle du service. En

effet, dans les travaux sur les relations de service, la compétence de l’agent du front office est

le plus souvent présentée par les auteurs comme intimement rattachée à la dimension

interactionnelle de la relation, c’est à dire, à sa composante relationnelle. Sans en faire un

jugement, plusieurs auteurs, à l’instar de Combes (2002), indiquent que la plupart des

réflexions sur la « relation de service » mettent l’accent sur la dimension relationnelle de la

compétence requise pour assurer la relation de service et la considèrent comme radicalement

différente de la dimension technique.

La dimension relationnelle dans les entreprises de service attire donc le regard des

observateurs. Cet attrait peut s’expliquer par le fait qu’elle représente la plus grande

différence entre les compétences des agents dans les relation de service et celles observées

chez les employés des autres secteurs d’activité. Elle ne doit, pour autant, pas être surestimée.

Voyons d’abord en quoi consiste la dimension « cognitivo-technique » de la compétence

avant d’aborder, la dimension relationnelle, à travers son côté « cognitivo-pratique » et celui

qu’on qualifie généralement de « savoir-être ».

3.1.2.1 Les compétences cognitivo-techniques

Ces compétences sont généralement acquises lors de la formation à l’embauche. Elles sont

renforcées par l’expérience et les formations occasionnelles dispensées aux salariés,

notamment dans le cas d’un changement intervenant dans le service (le produit), dans sa

production ou dans l’organisation du système productif en général.

Si on se réfère à la modélisation de Goffman (1968) ces compétences servent au volet des

interactions techniques que comprend la relation de service. Cette compétence technique est

liée à la technologie, la matière ou le produit, ou encore à l’organisation du travail elle même

(Combes, 2002). Elles sont bien identifiées par l’ensemble des acteurs concernés :

employeurs, salariés ou formateurs. Pour Béraud et al. (2008) en termes techniques, la

137

compétence correspond à la maîtrise de produits/services parfois complexes et/ou à la maîtrise

d’applications informatiques.

Ces compétences techniques sont des informations/connaissances relatives aux objets de la

relation de service et dépendent du type de la prestation à délivrer. A titre d’exemple, nous

pouvons citer les techniques et produits bancaires dans le secteur des banques, les règles

législatives et administratives d’attribution des prestations dans les organismes de la sécurité

sociale, les différents produits et prestations de la poste, etc. (Bouzit, 2001 ; Combes, 2002 ;

Weller, 2002 ; Mebarki, 2009).

Ces compétences sont incontournables pour l’agent dans le sens où elles constituent la

matière première de la relation, qu’il va devoir présenter et utiliser au moment de

l’interaction. C’est un savoir-faire technique qui permet à l’agent de présenter et de mettre à

disposition le service ou son produit auprès du- et face au- client. Les compétences techniques

sont donc mises au service de situation d’interaction. En effet, la relation de se service ne

consiste pas en une simple application des règles et procédures organisationnelles, car les

dénominations et caractéristiques techniques relatives au service sont généralement

complexes et pas immédiatement compréhensibles par le client. De ce fait, il ne suffit pas que

l’agent les présente de la même manière que l’organisation les a conçu. Ceci nous rappelle

donc - et explique- pourquoi Bouzit (2001) qualifie l’agent de service de traducteur culturel

(dans l’analyse de la demande), car l’agent est chargé de faire correspondre les dénominations

et les caractéristiques technico-organisationnelles du service avec le langage et la perception

du client, afin de réduire l’écart entre les deux, et pouvoir réaliser la relation de service. Les

compétences techniques sont donc particulièrement présentes dans la phase de l’analyse de la

demande, telles que rapportée par David (2001).

3.1.2.2 Les compétences relationnelles : le cognitivo-pratique et le « savoir-être »

Les compétences relationnelles sont les plus analysées par les travaux sur la relation de

service. La plupart hésitent peu à en faire la dimension principale -et la plus caractéristique-

des compétences mobilisées par les agents. Ces compétences actionnées en situation peuvent

être regroupées en deux catégories. La première que nous dénommons « savoir-faire

cognitivo-pratique », regroupe des compétences qui articulent entre un savoir faire technique

lié à l’objet du service et un savoir faire relationnel qui permet de manager la relation, dans le

sens de manager la contribution du client en situation d’interaction (David, 2001). La

deuxième catégorie relève de ce qui est généralement qualifié de « savoir-être », voire

138

d’aptitudes relationnelles, qui permettent à l’agent d’instaurer un cadre d’échange agréable et

de s’adapter au comportement du client.

A. Le savoir faire cognitivo-pratique (ou le savoir faire)

Ce savoir faire technique et relationnel peut concerner plusieurs aspects tels que la capacité de

détection et d’analyse globale de la situation, de prévention et réparation des malentendus, et

la capacité à produire des solutions.

Dans un article consacré aux tensions relationnelles des métiers de contact, Weller (2002)

indique que les agents de la relation de service ont besoin de régler la distance avec l’usager.

Ceci nécessite une compétence cognitivo-pratique, renvoyant à l’élaboration de procédés, de

tours de main, de routines ajustées aux situations d’interaction. Pour l’auteur, régler la

distance avec l’interactant, c’est d’abord savoir poser les bonnes questions, savoir s’assurer

qu’on a été compris, évaluer la situation sans risquer d’offenser l’interlocuteur, etc.

De nombreux travaux rapportent que, du fait de la coproduction, l’agent est amené à

développer un ensemble de savoir-faire qui articule technique et relationnel afin de mener la

relation. Ces savoir-faire actionnés en situation d’interaction peuvent être décrits à travers les

termes : savoir écouter (écoute attentive) le récit du client, savoir poser les questions

adéquates, savoir interpréter, comprendre et analyser des échanges afin de savoir cerner la

demande et les spécificités des besoins du client, enfin, savoir négocier pour élaborer une

solution en sachant ajuster le service aux attentes du client. Technique et relationnel se

soutiennent donc pour encadrer la relation et la coproduction de service.

Par ailleurs, il faut garder en tête l’idée que tout cela est réalisé dans un cadre organisationnel

bien défini qui exhorte l’agent à trouver un équilibre entre la réalisation des objectifs qui lui

sont assignés et le respect des contraintes organisationnelles. Cela le conduit à faire des

arbitrages, ce qui nous amène à intégrer et à ajouter aux compétences déjà évoquées, celles

relatives à la capacité d’autonomie et d’organisation du travail selon les objectifs et échéances

déterminés.

B. Les compétences relationnelles relatives au « savoir être »

A côté des communications techniques et contractuelles, Goffman (1968) présente les

communications relationnelles comme le troisième type de communication qui caractérise

l’interaction dans les relations de service. Il est donc logique, selon cette approche, que

l’agent mobilise des compétences « relationnelles » pour concrétiser la relation avec le client.

D’ailleurs c’est ce volet relationnel de l’interaction qui donne tout son sens à la relation de

service (pour la distinguer du « service »). (cf. 1ère section).

139

Il s’agit de qualités personnelles, d’aptitudes communicationnelles et relationnelles que

l’agent mobilise de manière générale pendant la situation d’interaction avec son client, sans se

référer particulièrement à l’objet de la relation. Ces compétences sont relatives au

comportement adopté face au client afin d’établir un cadre harmonieux et agréable à

l’interaction. Ces compétences semblent, par définition, être indissociables des personnes et

de leurs qualités90. Elle sont très appréciées et encouragées par les managers, comme en

témoigne l’article de Caveng et al. (2005) qui montrent que certaines organisations intègrent

ces compétences comme étant l’un des critères les plus déterminants dans les processus de

recrutement et d’évaluation du salarié.

La compétence relationnelle est généralement décrite en termes de qualités comportementales,

de savoir-être, d’aptitude à la communication (Combes, 2002 ; Clergeau, 2004 ; Omrane et

Bouillon, 2004 ; Caldéron, 2006 ; etc.). Bien que ces aptitudes soient nommées et identifiées,

l’organisation ont des difficultés à les objectiver, car (Combes, 2002) si la compétence

technique peut être définie par rapport à des repères objectivés (la technologie, la matière ou

le produit), la compétence relationnelle l’est plus difficilement. Cette catégorie de

compétences ressemble souvent à un fourre-tout où des multitudes de composantes

caractérisant l’interaction humaine sont intégrées. Il n’est ainsi pas rare de trouver dans cette

catégorie des éléments renvoyant à ce que nous avons classé dans la catégorie des « savoir-

faire ». Parmi les raisons qu’on peut évoquer pour expliquer ce mélange, on note que dans

certains usages gestionnaires ou sociaux de l’interaction, le comportement humain peut être

appréhendé sous ce que nous pouvons qualifié de « savoir se comporter »91. Il relèverait alors

de la catégorie des savoir faire et non de celle de qualités personnelles incorporées. Dans tous

les cas, les compétences relationnelles peuvent être référées au savoir-être du salarié, incarné

dans ses aptitudes communicationnelles et relationnelles avec les clients, son sens du service,

son respect du client, etc. En ce sens, Bouzit (2011) considère l’agent de la relation de service

comme expert de la vie quotidienne, en faisant allusion aux civilités exprimées par l’agent

face au client et qui relèvent selon lui d’une « compétence sociale ». Il s’agit surtout de savoir

90 Notons que les compétences relationnelles dont il s’agit ici concernent exclusivement le comportement de l’agent vis-à-vis du client en situation d’interaction. Elles n’incluent pas la facette du comportement que l’agent manifeste à l’égard de son organisation. Durand (2004) [in Omrane et Bouillon, 2004], inclut dans cette compétence relationnelle la mise à disposition des savoir-faire dans le travail, le degré d’engagement, l’aptitude à coopérer, à partager des savoirs, l’initiative, la disponibilité, la sociabilité, le respect de la hiérarchie, etc. 91 Par exemple, Goffman dans son ouvrage « la mise en scène de la vie quotidienne » (1968) montre que certains de nos comportements ne sont pas naturels et relèvent d’un acte délibéré, actionnés en fonction de ce qui attendu de nous par notre interactant.

140

prêter attention au récit de la vie du client tout en se dégageant du traitement du dossier.

Notons que pour cet auteur, les civilités et la compétence sont les deux notions qui dominent

dans le contexte des relations de service.

Par ailleurs, d’autres éléments peuvent venir enrichir cette catégorie de savoir être (ou les

aptitudes relationnelles). Par exemple, dans la contribution de Caveng et al. (2005), les

auteurs nous apprennent que « l’entrain et le sourire » sont considérés également comme des

compétences dans les relations de service. En fait, le « sourire » est un élément qui revient

fréquemment dans ce champ d’études, mais les auteurs cités précédemment ne le présentent

pas comme une compétence relationnelle, ils le considèrent plutôt comme une injonction

émanant de la direction (via les managers de proximité), à laquelle les agents doivent se

soumettre dans leur activité, que ce soit au guichet ou au téléphone92.

La mise en avant de la dynamique relationnelle en situation d’interaction pour faire face à la

coproduction avec les clients renvoie pour l’agent à ajuster son comportement en fonction de

ceux des clients, car plusieurs situations sont possibles et elles peuvent toutes devenir

critiques. Au delà de ce risque, le but est d’instaurer un cadre agréable et harmonieux pour

l’échange, le renforcement des liens avec le client, la fidélisation et la création de confiance

pour une relation positive et durable avec ce dernier et ainsi que de véhiculer une bonne

image de l’entreprise.

Pour compléter cette partie sur les compétences individuelle, nous aborderons dans le point

suivant le fait que ces compétences font fortement appel à la subjectivité du salarié.

3.1.3 Des compétences qui font appel à la subjectivité du salarié

Nous avons présenté les compétences individuelles de l’agent du front-office qui sont

composées de dimensions cognitives, pratiques et relationnelles. Les auteurs se montrent

unanimes quant à l’idée que ces compétences impliquent de facto la subjectivité du salarié.

Celle-ci peut être comprise comme une intelligence situationnelle que l’agent doit mobiliser

pendant l’interaction afin de pouvoir mener les relations à leurs termes, et sous de bons

termes. En fait, la subjectivité représente un aspect qui soulève un intérêt vif chez les auteurs,

et là où certains, comme Hubault et Bourgeois (2001) y voient une composante de la 92 Cette injonction n’existe pas seulement dans les guichets où on comprend facilement que le sourire permet un meilleur contact et une meilleure interaction avec le client. Les auteurs sont unanimes (Amiech, 2003 ; Pigenet, 2006 ; Caldéron 2006; Feriel 2007, etc.), sur le fait que cette injonction de sourire est également de mise dans les centres d’appels, appuyée par l’idée que nous évoqué auparavant, selon laquelle le « sourire s’entend au téléphone ».

141

compétence, d’autres comme Zarifian (2002), Combes (2002), Amiech (2003), Calderon

(2006), lui associent systématiquement la question de la responsabilité.

Hubault et Bourgeois (2001) ont consacré une large partie de leur travail à la notion de

subjectivité qu’ils présentent, à la fois, comme une composante de la compétence de l’agent,

et comme une caractéristique même de la relation de service. D’ailleurs, à ce sujet, ils

estiment que « la relation de service signe l’irruption et la reconnaissance de la subjectivité

dans le champ économique93 » (Ibid., p. 7). Pour eux, la relation de service s’incarne dans un

rapport intersubjectif et la coproduction ne doit pas être vue uniquement comme une co-

conception mais aussi comme un rapport intersubjectif entre les protagonistes.

En mettant la subjectivité du salarié au cœur de la relation, les auteurs attribuent un rôle

important à l’agent dans la réalisation du service. Toutefois, l’idée véhiculée par Hubault et

Bourgeois (2001) à travers cette question de la subjectivité, impose immédiatement le

problème de la maîtrise ou du contrôle de la relation.

Caldéron (2006) a également relevé le rôle de la subjectivité du salarié dans les centres

d’appels, en annonçant qu’elle est devenue un enjeu pour les entreprises dans l’installation de

la relation avec le client, car face à l’impératif de l’adaptabilité, l’entreprise fait appel à

l’implication, à l’autonomie et à la responsabilité des salariés. C’est dans ce même registre

qu’Amiech (2003) inscrit également cette facette de la compétence. En intégrant des éléments

de sa subjectivité, le salarié réussit à ramener le client au sein de la trame prévue et/ou aux

objectifs fixés par l’entreprise. Enfin, Zarifian (2002) évoque la côté subjectif de l’agent à

travers la prise d’initiative et de responsabilité en situation d’interaction. Pour l’auteur, ces

prises de position exhortent l’agent de faire appel à sa qualité de jugement d’action. Pour ce

faire, le salarié doit activer ce que l’auteur qualifie d’« intelligence pratique » : il décide et

agit, il le fait en décalage d’avec l’organisation, il le fait de lui-même.

Pour conclure cette partie sur les compétences individuelles des agents dans les front-office,

nous souligner les différentes limites inhérentes à ces compétences.

3.1.4 Les limites des compétences individuelles et de la subjectivité

La réalisation du processus de coproduction dans les relations de service amène l’agent à

mobiliser ses compétences composites, combinant technique, pratique et relationnel.

Cependant, les auteurs ne disent pas pour autant que l’agent parvient toujours à mener à bien

93 L’argument des auteurs va dans le sens où, auparavant, la subjectivité dans le champ économique n’existe que chez le consommateur.

142

ses coproductions de service. En effet, certaines limites inhérentes à la compétence de l’agent

peuvent entraver le bon déroulement du processus de coproduction. D’abord, ces limites

peuvent être observées au niveau des compétences techniques et cognitives. Le phénomène de

déficit de connaissances chez le salarié n’est pas une problématique nouvelle dans le champ

d’études sur l’organisation. Ce déficit peut concerner tous les salariés quelles que soient leurs

niveaux et les statuts qu’ils occupent dans les entreprises. C’est ce que nous enseignent les

principes de la « théorie de la rationalité limitée94 » de Simon (1983), stipulant que l’individu

ne peut être pleinement rationnel que dans les limites d’une « aire de rationalité ». Cette aire

correspond à une zone restreinte à l'intérieur de laquelle, l’individu dispose d’une capacité à

collecter et à traiter la quantité d’informations nécessaires à ses décisions, de connaissances

suffisamment précises et pertinentes, de valeurs ou d’objectifs suffisamment clairs pour lui

permettre de définir précisément ses critères de décision. Selon l’auteur, cette dernière est

souvent orientée par un processus d’attention et de perception subjective. Ces éléments sont

clairement présents dans l’activité des relations de service, où la réalisation des coproductions

oblige le salarié à collecter et à analyser les informations émanent du client pour pouvoir

prendre une décision (cf. supra). Conférant aux propos de Simon, il est donc logique de

penser que ce processus de coproduction ne peut pas être souvent réalisé de manière efficiente

et performante par l’agent. C’est ce qu’invoque Amiech (2003) dans son analyse des

compétences de l’agent, en annonçant que ce dernier dispose d’une connaissance souvent

limitée du produit, de son domaine d’intervention, de son processus et de sa finalité. Ceci

présente, d’après l’auteur un handicap empêchant la réalisation d’un service personnalisé et de

qualité.

En outre, ces limites doivent être pensées et restituées dans le contexte des relations de service

qui est particulièrement empreint d’imprévus et de singularités. Ce sont des contraintes qui

renforcent les limites que nous venons d’évoquer. C’est dans cette perspective que nous

considérons les compétences individuelles et l’implication de la subjectivité du salarié comme

naturellement limitées. Nous rejoignons ainsi l’idée de Hanique et Jobert, (2002) selon

laquelle : « Il n’entre pas dans les capacités humaines durables de devoir réinventer sans

cesse, cas par cas, des comportements efficaces face à des situations changeantes et peu

prévisibles » (ibid., p. 256). Ainsi, la dynamique du contexte des relations de service remet

sans cesse en cause les compétences individuelles des salariés.

94 À opposer à la théorie de la rationalité parfaite.

143

Par ailleurs, il est à rappeler que certains auteurs (Eiglier et Langeard, 1987 ; Beyer (2001),

Bouzit (2001), Omrane et Bouillon, 2004), estiment que la coproduction signifie qu’une petite

part du travail est réalisée par le client, non complètement maîtrisable par l’agent. En ce sens,

nous nous pouvons pas affirmer que la réussite de la coproduction dépend seulement de la

compétence de l’agent, car cela revient à négliger la portée de la compétence du client dans la

réalisation du service, qui peut jouer un rôle important dans la réussite de ce dernier.

Dans le registre des compétences relationnelles, ce volet serait vraisemblablement le plus

exposé aux différentes limites évoquées. En effet, la coproduction est fortement incarnée par

un rapport intersubjectif entre les protagonistes, dessiné notamment par une variable liée au

« facteur humain ». Selon Beyer (2001), ce facteur joue un rôle décisif dans les relations et

introduit dans cette dernière la dimension d’incertitude. En effet, bien que précédemment

nous nous sommes intéressés uniquement au comportement du client, il est à noter que celui

de l’agent qui l’accueille peut être décisif dans la conduite du processus et le management des

clients (Beyer 2001; Jeantet, 2003, et d’autres). Du fait de la rencontre des deux

comportements, il ya de l’imprévisible et du non-maîtrisable dans la relation de service.

(Beyer, 2001).

Enfin, une limite, et non pas des moindres, est relative à l’implication de la subjectivité de

l’agent, plus précisément, à sa perception subjective de ce qu’une relation / action

performante. Nous reviendrons sur cette question dans la section suivante, au moment où

nous parlerons de la problématique de la performance dans les relations de service.

Après avoir exposé les compétences individuelles des agents (considérées par les auteurs

comme jouant un rôle très important dans la conduite et la réussite de la relation), ainsi que

les limites inhérentes à ces compétences, nous allons maintenant voir les (nouveaux) moyens

et méthodes mobilisés par les entreprises, afin de compléter les compétences individuelles des

salariés et d’outiller ces derniers pour réussir les relations de service, mais aussi (et surtout),

pour en tirer une meilleur productivité.

3.2 Les nouvelles caractéristiques du modèle productif, favorisé par

l’introduction des NTIC: Standardisation, Prescription et Contrôle

Lorsque nous avions abordé, à la fin de la première section, l’idée selon laquelle la

coordination entre le front office et le back office est nécessaire pour concourir à la prestation

144

de service, nous avons rapporté le fait que les auteurs considèrent cet élément comme la

caractéristique d’un modèle qui s’écarte de l’organisation traditionnelle hiérarchique, que l’on

trouve notamment dans le modèle industriel, où les univers demeuraient parallèles (Omrane et

Bouillon, 2004). Bien que cette remarque paraît acceptée par plusieurs auteurs, ils laissent

entendre toutefois que cette spécificité n’est pas synonyme d’une organisation radicalement

différente, car l’entreprise de service a hérité de la plupart des pratiques du secteur industriel

(comme par exemple la séparation des tâches) et surtout, continue d’intégrer de plus en plus

des pratiques industrielles dans ses modes opératoires. Ce constat est particulièrement vrai de

nos jours, et la problématique est devenue incontournable dans l’étude des entreprises de

service. Plusieurs auteurs considèrent que les entreprises services sont caractérisées

aujourd’hui par l’introduction d’une logique industrielle aux côtés de la logique de service,

dans le but de compléter cette dernière et en d’en tirer une meilleure productivité. Ce nouveau

modèle est notamment soutenu par l’utilisation des NTIC.

C’est ce modèle que nous allons donc essayer de développer dans ce qui suit. Cependant, il

est à noter que l’idée de l’évolution des modèles productifs décrite ici ne remet pas en

question les spécificités de la coproduction et de la coordination entre le front et le back

office, car ces principes perdurent. Mais les changements interviennent dans les esprits, les

démarches, les rythmes de travail et dans la dynamique des processus productifs.

3.2.1 Une utilisation accrue des NTIC

Les modèles productifs, taylorien et/ou post-taylorien95 qui se manifestent dans les modèles

de service (dans un contexte de forte concurrence) agissent avant tout dans une logique de

rationalisation de l’organisation productive. Cet alignement est favorisé notamment par le

développement des NTIC qui y jouent un rôle central (Gadrey, 2002). L’usage de la

technologie dans la relation de service permet une prescription des modes opératoires de plus

en plus élevée, une standardisation croissante de la relation de service, mais aussi, un strict

contrôle hiérarchique des contenus et des rythmes de production. Cependant, nous ne devons

pas avoir une lecture réductrice du rôle des NTIC en les évoquant essentiellement sous l’idée

de la stratégie d’industrialisation, car la technologie permet aussi d’améliorer la relation de

service et sa qualité (Combes, 2002; Calderon, 2006 ; Feriel, 2007 ; Colin et al., 2009 ; etc.).

95 Rappelons que le modèle productif taylorien consiste à définir le produit à réaliser et le processus devant aboutir de façon optimale à cette production. Le modèle productif post-taylorien consiste à définir de manière de plus en plus contraignante les caractéristiques du produit, et de moins en moins les caractéristiques du mode opératoire (Di Ruzza, 2003, p. 13).

145

Cette approche présentant la technologie comme bénéfique pour la relation de service

s’appuie, par exemple, sur l’idée que les NTIC peuvent être un moyen de capitalisation de

l’expérience et de construction d’informations pertinentes. Cet aspect positif est bien rapporté

par Colin et al. (2009) dans leurs rapport sur la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (de

Nancy) où ils estiment que le recours aux NTIC a permis la réalisation de gains de

productivité considérables, la coproduction de services et le développement d’une offre de

services dématérialisés, mais aussi, l’amélioration de la qualité de service, en servant

notamment à la mise en place d’organisations réactives et souples, capables de répondre aux

exigences des clients. C’est dans cet esprit que Combes (2002) rappelle que « l’objectif de la

rationalisation de l’interaction n’est pas de réduire cette dernière, mais de l’outiller au

maximum ». De son côté, Gadrey (2002), bien qu’il parle d’un contraste entre la stratégie

d’industrialisation appuyée par les NTIC, et celle du service, reconnaît que l’introduction de

ces technologies permet de moderniser les niveaux « relationnel et professionnel » des

services, en soulignant que l’introduction des NTIC s’y fait en terme de complémentarité du

capital au travail plus qu’en terme de substitution. Cependant, l’usage intensif des

technologies s’est vite heurté à des résistances liées à l’esprit véhiculé par la logique de la

relation de service. Nous développerons ce point plus loin.

3.2.2 La standardisation de la relation de service et la prescription des modes

opératoires

La standardisation de la relation de service consiste à proposer une offre de service standard à

tous les clients sans prendre en compte les spécificités de leurs besoins et leurs

caractéristiques individuelles. Cette démarche se situe à l’opposé de la personnalisation de

l’offre de service. Les services standardisés utilisent des informations codifiées et

impersonnelles comme celles fournies par les guichets automatiques des banques (Omrane et

Bouillon, 2004). Cette standardisation ne se limite pas aux produits de service. Elle concerne

également les méthodes de travail, voire l’interaction elle-même (les argumentaires, etc.)

(David, 2001 ; Combes, 2002 ; Di Ruzza, 2003 ; Calderon, 2006 ; Caroly et Weill-Fassina,

2007). L’agent est sensé jouer un rôle standardisé devant les clients en tenant un

comportement et en donnant des réponses normalisés. Dans les centres d’appels, ce rôle est

favorisé et facilité par l’anonymat qui, selon Amiech (2003), est également de mise dans

l’interaction avec le client dans ces centres.

146

Cette standardisation s’appuie sur des pratiques de prescription accrue des modes opératoires.

D’ailleurs, prescription et standardisation vont de paire car la prescription renvoie à la

prédétermination de standards à utiliser régulièrement auprès de tous les clients quelles que

soient leurs spécificités. La rationalisation des modes opératoires vise à préétablir des

procédures ne laissant pas trop de place à l’improvisation des agents, pour minimiser les

incertitudes et éviter le risque qu’une interaction se déroule mal, déborde du cadre prévu, ce

qui pourrait nuire à la relation en rendant sa conclusion incertaine.

En ce qui concerne les centres d’appels, plusieurs exemples rapportés par les auteurs,

permettent de donner un aperçu sur cette pratique de la prescription de l’interaction « agent-

client ». Amiech (2003) indique que l’organisation voulant standardiser l’interaction agent-

client s’appuie le plus souvent sur des « règles de communication », émanant de savoirs

théoriques à prétention scientifique issus d’autres champs que le travail (des disciplines

universitaires telles que le programme neurolinguistique, l’analyse systémique, ou l’analyse

transactionnelle). Il ajoute que la hiérarchie prétend que ses dispositifs permettent de

maîtriser complètement l’interaction avec le client. Buscatto (2002) rapporte que le système

informatique, qui gère la base de données clients, a été conçu et développé autour de la

standardisation du produit offert (deux formules possibles) et d’un déroulement précis de la

conversation téléphonique. D’autres travaux racontent également comment l’organisation

s’efforce de prescrire les interactions entre l’agent et le client, en exhortant l’opérateur à

utiliser des formules de politesse, en préparant des canevas d’entretien strictement balisés des

consignes aux allures de mots d’ordre (Pigenet, 2006). Dès lors, nous comprenons que

l’organisation souhaite prescrire le travail en formatant l’interaction agent-client (qui était à la

base une interaction avec une dimension relationnelle au sens goffmanien) à travers sa « mise

en forme » tel un produit susceptible d’être modelé.

Bien que cela puisse paraître absurde, il semble que cette volonté est parfois, partiellement

réalisée dans certaines situations dans les « centres d’appels ». Le degré de standardisation et

de prescription de la relation client semble davantage élevé dans les centres d’appels sortants.

En effet, d’après Pichault et Zune (2000) ou Lanciano et al. (2008), en ce qui concerne les

appels sortants, l’interaction entre le salarié et le client est pré-formatable et standardisable,

grâce notamment à l’usage (lecture textuelle) des scripts qui apparaissent sur l’écran de

l’ordinateur. Les scripts contiennent des instructions précisant ce qui doit être dit au client,

soit sous forme impérative (les différentes phrases à employer dans telle ou telle situation),

soit sous la forme d’argumentaires d’aide aux salariés.

147

Du côté des guichets d’accueil, bien qu’elle soit moins médiatisée, et contrairement à

certaines idées reçues, certains travaux apportent que la prescription de travail existe dans la

fonction d’accueil physique (Hanique et Jobet, 2001 ; David, 2001 ; Weller et Dubois, 2001).

Si on prend l’exemple de La Poste, Caroly et Weill-Fassina (2007) indiquent que les tâches

relationnelles réalisées par les guichetiers sont basées sur des scripts de comportement pour

bien accueillir et informer les usagers.

Toutefois, les auteurs ci-dessus ne se sont pas attardés sur cet aspect et le rapportent comme

relativement secondaire dans le travail des guichetiers. Ainsi, bien que les scripts jouent un

rôle relativement faible dans le travail des guichetiers, cela ne signifie pas que leur travail

n’est pas régis en partie par des scripts au niveau informationnel comme relationnel.

Par ailleurs, la prescription des modes opératoires a toujours comme contrepartie une

réduction de la marge de manœuvre de l’opérateur qui voit également son autonomie,

contrôlée.

3.2.3. Le contrôle de la conformité du contenu de la relation et des rythmes de travail

Pour Lanciano et al. (2008), technique et organisation se renforcent pour encadrer les

capacités d’initiative et d’autonomie des agents dans le travail. Les agents des front-office

font l’objet d’un contrôle permanent et actif par les supérieurs hiérarchiques. Selon Guery et

Mottay (2003), le management dans les centres d’appels repose considérablement sur un

contrôle des performances des agents par des outils de contrôle informatisés. On trouve la

même idée chez Ben Fekih-Aissi (2010) qui rappelle d’abord que le contrôle n’est pas récent,

mais qu’il s’est développé et est devenu constant, pénétrant et pervers grâce au

développement des technologies. Cela concerne aussi bien la conformité du travail réalisé (le

respect de l’utilisation des scripts) que les rythmes de travail (le rendement des opérateurs).

Ainsi, la volonté de rationalisation et de prescription du travail s’accompagne de deux types

de contrôle qui veillent à ce que le déroulement et le rythme de l’interaction soient conformes

aux normes voulues par l’organisation. Notons que dans son article, Ben Fekih-Aissi, (2010) a

pointé également la présence d’un contrôle comportemental des agents, en indiquant que les

managers sont attentifs aux gestes et aux attitudes des agents pendant leurs interactions avec

les clients.

Le contrôle du contenu est permis grâce à l’informatique et aux dispositifs téléphoniques

permettant l’écoute synchronique des conversations (entre les opérateurs et les clients), un

148

système que Pichault et Zune (2000) associent au principe du mouchard (appelé parfois le soft

quality control). De son poste de contrôle, le superviseur peut écouter les communications en

cours sans avertir les salariés de son équipe (ibid., p. 6). Quant au rendement, les opérateurs

sont tenus de respecter un durée moyenne des appels. Des dispositifs techniques de pilotage

permettent de faire ressortir sur l’ordinateur du superviseur des informations chiffrées

indiquant principalement les temps de conversations effectives, le nombre d’appels réalisés,

les temps de pause volontaires, etc. Cette pratique de contrôle hiérarchique n’est pas

seulement négative. Elle est ainsi analysée par les auteurs comme une politique

organisationnelle planifiée pour mieux gérer les situations et comme un outil d’aide et de

perfectionnement des agents (Pichault et Zune, 2000 ; Clergeau, 2004 ; Béraud et al., 2008).

C’est également ce que soutient l’article de Ben Fekih-Aissi (2010) qui a présenté ce

dispositif de contrôle comme un monitoring électronique des performances. Selon l’auteur, le

contrôle permet de collecter des informations qui peuvent par la suite servir pour développer

les compétences des employés. En intégrant une phase de feedback, le monitoring permettrait

à fixer des normes / procédures d’évaluation, d’observer et de collecter, grâce aux

technologies, des données portant sur la performance des salariés, les analyser (évaluer la

performance de l’employé) et mettre en place des actions d’ajustement. Il s’agirait donc d’un

contrôle qui s’exerce avant l’action, pendant l’action et/ou après l’action (ibid., p. 2). On

comprend donc plus clairement pourquoi certains auteurs parlent de cette pratique comme

permettant de répondre aux besoins de l’évaluation des agents dans le cadre de la Gestion des

Ressources Humaines dans les centres d’appels (Pichault et Zune, 2000 ; Clergeau, 2004 ;

etc.).

Du côté des guichets, cette pratique de contrôle est aussi répandue (Hanique et Jobet, 2001 ;

David, 2001 ; Weller et Dubois, 2001 ; Hubault et Bourgeois, 2001 ; Caroly et Weill-Fassina,

2007). Le guichetier est soumis à un contrôle hiérarchique basé, d’une part, sur la conformité

du travail suivant les méthodes et argumentaires prescrits (Weller et Dubois (2001), Caroly et

Weill-Fassina (2007), et d’autre part, sur le rendement par interaction, dont la durée exigée

(selon les auteurs) ne doit pas dépasser les trois minutes en moyenne.

En effet, les guichets sont également dotés d’outils informatiques. En plus de la prescription,

ces outils permettent de suivre le rythme de travail des guichetiers (nombre de client traités, le

temps d’une relation, les pauses prises, etc.). Quant au contenu de l’interaction, et suivant nos

différentes lectures, il semble que cet aspect subit un contrôle plus léger. Cela s’explique par

une moindre présence des scripts (cf. ci-dessus). Toutefois, la présence physique des

149

supérieurs hiérarchiques (managers, agents de maîtrises) sur l’« open space » permet à ces

derniers d’observer, d’écouter et de suivre certaines interactions. Cela dit, le contrôle dans les

centres d’appels se fait par l’écoute discrète via les dispositifs technologiques, sans que

l’agent (parfois) et le client ne s’en aperçoivent, alors qu’un contrôle de l’interaction au

guichet est beaucoup plus délicat.

Enfin, plusieurs travaux font état de l’existence d’un autre contrôleur au niveau des guichets :

le client (Hanique et Jobert, 2002 ; Jeantet, 2003 ; Guérin, 2005 ; etc.). Pour expliquer cette

dimension, Jeantet (2003) fait appel à la dimension du pouvoir des clients qui permet de

rendre compte de l’ambivalence du rapport au travail des guichetiers, entre « rendre service »

et « être au service de ». Pour l’auteur, cela révèle la dépendance des guichetiers à l’égard des

clients, ce qui signifie que le travail des guichetiers-son rythme et son contenu-est étroitement

déterminé et contrôlé par les clients. Individuellement et collectivement, les clients exercent

une forte pression (signes d’impatience, soupirs, regards réprobateurs et excédés, gestes de

nervosité). Ainsi, la présence du client devient une contrainte supplémentaire dans le travail

du guichetier qui s’ajoute au contrôle hiérarchique

L’introduction de la logique industrialiste, soutenue par les NTIC, dans les entreprises de

service a eu des effets palpables sur le déroulement de la relation de service. Bien qu’elle ait

des dimensions positives, plusieurs travaux soulignent une certaine incompatibilité entre la

logique industrialiste et celle de service (Hatchuel, 1996 ; Gadrey, 1996, 2002 ;Weller et

Dubois, 2001 ; Hubault et Bourgeois, 2001 ; Zarifian, 2002 ; Amiech, 2003 ; Caveng et al.,

2005 ; etc.). D’après ces auteurs, la cohabitation de ces deux logiques dans l’entreprise se

transforme en conflit. Voyons donc en quoi consiste cette problématique relative au conflit de

logiques dans les relations de service.

3.3 La cohabitation du modèle de compétence et le nouveau modèle productif

se solde par un conflit de logiques : «logique industrialiste » vs « logique

de service » A l’aune de ce que nous venons de présenter, on comprend bien que les entreprises de

services ont connu une évolution remarquable dans la manière de produire leurs prestation de

service. Cette évolution est traduite par l’expression de « nouveau modèle de service »

150

(Hubault et Bourgeois, 2001 ; Gadrey et Zarifian, 2002). Les résultats des travaux convergent

vers l’idée selon laquelle ce nouveau modèle de service est caractérisé par l’introduction

d’une logique industrialiste (incarnée par le modèle de prescription et de contrôle, soutenu par

les NTIC) aux côtés de la logique de service (représentée davantage par le modèle de

compétences spécifiques dans les relations de service).

Cependant, cette cohabitation entre ces deux logiques est souvent décrite, par les mêmes

auteurs, selon une dialectique que l’on peut qualifier de préoccupante: Le couplage entre les

deux logiques a des retombées positives sur les services, mais la compatibilité entre ces deux

optiques n’est pas évidente, voire problématique. En effet, la mise en place de ce nouveau

modèle conjuguant service et méthodes industrialistes n’a pas tarder à révéler des problèmes

inhérents à l’opposition de deux mouvements évoluant en sens inverse (Gadrey 2002). Dès

lors, on parle des conflits de logiques dans les relations de service.

Comme nous l’avons déjà évoqué, la « logique industrialiste » aspire à tirer une meilleure

rentabilité des rapports productifs dans la relation de service. Pour y parvenir (réduire le

temps des interactions, etc.), cette logique s’appuie sur un nouveau modèle productif qui a

pour objet la standardisation et la rationalisation des méthodes de travail (Gadrey, 2002 ;

Caldéron, 2006). Inversement, la « logique de service » cherche à établir une relation durable

et positive avec le client à travers la qualité de service fournie (Zarifian 2002). Elle s’appuie

donc sur des instruments différents de ceux de la logique industrialiste. Elle privilégie les

compétences spécifiques des agents à qui elle laisse une marge d’autonomie significative,

pour leur permettre la personnalisation des méthodes de travail et des produits de service et

une meilleure gestion de la relation avec le client.

D’après les auteurs, la rationalisation à travers la prescription, la standardisation et le contrôle

des modes opératoires, nuisent généralement à l’esprit de service et à la « qualité de la

prestation », qui incarne la notion même de service rendu au client-usager. Autrement dit, la

logique industrialiste peut s’avérer inefficace et incapable de répondre au souci de la qualité et

de personnalisation du service, qui rappelons le, est avant tout « co-produit » avec le client, et

implique que les agents mobilisent des compétences spécifiques. De ce fait, la cohabitation

des deux logiques dans les relations de service est difficile étant donné que les deux

mouvements s’opposent et évoluent en sens inverse (Gadrey, 2002). Ce dernier auteur avait

déjà (en 1996) rendu compte de ce conflit de logiques en mettant en évidence le contraste

entre la stratégie de rationalisation industrielle et la stratégie de rationalisation

151

professionnelle. La stratégie de la rationalisation industrielle (plus récente dans les

services) vise à aligner, autant que possible, la production de service sur des modes de

production industrielle. Quant à la « rationalisation professionnelle », elle incarne davantage

la logique de service, et contrairement à l’industrialisation associée à un service standardisé,

peu adaptable aux caractéristiques individuelles du client, la professionnalisation repose sur

une « typification des cas » et fait appel la particularisation des méthodes. Cette stratégie

s’appuie notamment sur la capacité d’initiative et d’autonomie des salariés, issue de leur

expérience et la capitalisation des connaissances. Celle stratégie « peut difficilement être

produite par d’autres spécialistes que les professionnels eux-mêmes » (Gadrey, 1996 ;

Combes, 2002).

Par ailleurs, nous pensons que ce conflit de logiques dans les relations de service peut être

analysé en relevant les différentes sous-conflits qui le composent. Ce sont des sous-dualités

issues de la confrontation entre les éléments caractéristiques des deux logiques respectives.

En effet, ce qui était au départ considéré -ou du moins, visé par les organisations- comme une

« complémentarité » construit par le couplage entre deux logiques pour améliorer la relation

de service n’a pas tardé à se transformer en « dualité ». Cette dualité, qui fait référence donc

au conflit entre les deux logiques, regroupe et se concrétise dans un certains nombres de sous-

dualités telles que « standardisation vs personnalisation » des produits et des modes

opératoires, « prescription vs compétence (capacité d’initiative et de jugement des salariés) »,

« contrôle vs autonomie/flexibilité» en ce qui concerne les tâches réalisées par les salariés,

que ce soit dans leurs contenus ou dans les rythmes de travail. Ces dualités, bien qu’elles

soient identifiables séparément, ne sont pas dissociables l’une de l’autre car elles sont

interdépendantes (comme d’ailleurs nous l’avons bien compris dans le cas de chacun des deux

blocs : d’un côté la prescription, la standardisation et le contrôle vont de pair, et de l’autre,

celle de la personnalisation, la compétence et l’autonomie sont systématiquement reliées). En

plus de tout ça, et dans une optique un peu caricaturée, toutes ces dualités concourent vers une

même dualité finale. Leurs résultats convergent et s’apprécient dans la dualité « quantité vs

qualité » en terme de la performance recherchée par les organisations. Nous avons consacré

la troisième section à cette dernière dualité concernant la performance. Voyons d’abord

comment peut on exprimer les premières dualités.

152

3.3.1 Une volonté de standardisation peu compatible avec les exigences de la

coproduction

Comme nous l’avons vu précédemment, la standardisation concerne autant les produits de

service que leur processus de production, c’est à dire l’interaction « agent-client ». Cela induit

que l’agent adopte un comportement normalisé devant toute la clientèle et leur fournisse des

réponses standardisées. Non seulement cette pratique est incompatible avec le volet

interactionnel de la relation, mais surtout, la standardisation peut s’avérer très néfaste pour

l’organisation. En effet, étant donné la montée des exigences des clients sur les différents

paramètres du service ( prix, qualité, rapidité, conseil, convivialité, efficacité), et la variabilité

des profils des clients, l’organisation a intérêt à recourir à la personnalisation du service, car

celle-ci se présente depuis quelques années comme une source d’avantage concurrentiel

(Ferrary 2002). Autrement dit, d’une part, l’idée selon laquelle les agents font face à plusieurs

types de clients (cf. ci-dessus) fait que la standardisation de l’interaction est de plus en plus

délicate car l’agent est amené naturellement à s’ajuster (en termes d’agissements et/ou de

réactions) en fonction des comportements des clients. D’autre part, standardiser le service

signifie que l’organisation renoncerait à acquérir un avantage concurrentiel.

3.3.2 Face à la multiplicité et l’imprévisibilité des cas et des comportements des

clients, la prescription reste nécessairement incomplète. « Ecart entre travail

réel et travail prescrit »

Si la prescription constitue un savoir pour l’action, on ne peut pas dire que la figure cognitive

de la relation de service est indépassable, dans le sens où la dynamique de la relation remet

sans cesse le savoir déjà constitué. La prescription de travail dans les relations de service est

vue par plusieurs auteurs comme une pratique controversée et inadéquate pour conduire la

relation avec le client car elle est en décalage avec le travail réel mené par les agents. Les

caractéristiques de l’activité, à travers le volet relationnel de la « coproduction », le « client

multiple », la multiplicité des demandes et l’imprévisibilité des cas, donc, la variété des

situations, font que la prescription ne peut pas être une réponse complètement efficace pour

conduire et réussir les relations de service. Elle reste nécessairement incomplète. Les agents

doivent prendre des initiatives et mobiliser leurs compétences techniques, pratiques et

relationnelles pour que la relation fonctionne.

Bien qu’elle existe dans l’industrie, l’incomplétude de la prescription est particulièrement

nette dans les relations de service car « dans les relations de service, le contenu de l’échange

ne préexiste pas à l’échange, et la production (du bien ou du service) ne préexiste pas à sa

153

consommation-ou usage) » (Hubault et Bourgeois, 2001, p. 5). Hatchuel (1996) indique que le

service représente un cas extrême de la crise de prescription floue et faible. Autrement dit, les

relations de service représentent le lieu - par excellence- où l’écart entre le travail réel et

travail prescrit trouve tout son sens.

En ce qui concerne la prescription de l’activité dans les centres d’appels, il ressort que le

degré de sa faisabilité varie en fonction des catégories des appels traités. La prescription de

l’activité est parfois possible pour les « appels sortants » (cf. supra), en revanche, les « appels

entrants » ont des contenus beaucoup plus variables. Ils ne se prêtent pas facilement à cette

homogénéisation du discours (Lanciano et al., 2008). En effet, plusieurs auteurs s’accordent

pour dire que les appels entrants sont plutôt caractérisés par l’imprévisibilité des attentes et

des intentions des consommateurs. Leurs demandes sont relatives à l’information,

l’explication, l’aide, le support, la prise en charge ou encore le conseil. Cette variété fait que

la prescription de la relation dans les centres d’appels (entrants) est nécessairement

incomplète (Caldéron, 2006) et le travail réel des agents nécessite la mobilisation de

compétences individuelles. Le tableau suivant proposé par Pichault et Zune (2000) résume

bien les différences observées selon les types d’appels traités en termes d’implications

organisationnelles et des comportements des agents.

Tableau 2. Implications organisationnelles et comportementales des types d’appels

téléphoniques (Pichault et Zune, 2000, p. 3)

Les informations rapportées dans ce tableau, mettent clairement en évidence que la

prescription permet moins de gérer l’interaction entre l’agent et le client dans les centres

d’appels entrants. Toutefois, nous souhaitons soulever deux points :

- Concernant les appels « entrants », certaines questions simples et routinières peuvent

toutefois être gérées en suivant des scripts préétablis.

Appels entrants (inbound) Appels sortants (outbound)

Implications

organisationnelles

Imprévisibilité du volume

des appels entrants et de

leurs durées

Prévisibilité des plages de

travail et du nombre

d’appels

Comportements attendus

du personnel

Aide, support, prise en

charge, professionnalisme,

tact, improvisation

Dynamisme, rapidité,

conviction, vente

154

- Concernant les appels « sortants », les agents sont supposés ne pas déroger aux scripts.

Toutefois, le comportement du client peut ne pas correspondre aux attentes de l’agent (ne

pas se conformer aux normes sociales usuelles) et peut de ce fait déclencher chez ce

dernier une réaction qui ne correspond pas aux scripts. Pour dire les choses autrement,

nous pensons qu’il faut être prudent et relativiser la capacité de la prescription à gérer

parfaitement la relation même dans le cas des appels « sortants », car si l’objet et le

contenu peuvent être prescrits, l’aspect relationnel de l’interaction ne se prête pas

facilement à la prescription. Le comportement humain est de nature volatile (Beyer, 2001)

et peut donc faire déborder la relation de son cadre prescrit, d’où la nécessité de mobiliser

les compétences spécifiques. C’est d’ailleurs ce qu’a motivé Amiech (2003) à associer à la

capacité de l’organisation à prescrire la relation le terme de « prétention » (cf. supra), car

il décrit une activité avec ses spécificités diverses et plurielles incompatibles avec les

pratiques de prescription.

Du côté des guichets d’accueil, les raisons évoquées ci-dessus (la « coproduction », le « client

multiple » et la variété des demandes) constituent également des obstacles à la prescription du

travail. Comme en témoigne Weller et Dubois (2001) qui racontent la vie au guichet de

l’administration publique, cet espace est « un univers dont l’équilibre est précaire, et dont les

protagonistes ne sont jamais réductibles aux rôles standardisés qu’ils sont censés jouer »

(ibid., p. 191). Cette situation se retrouve dans tous les guichets des relations de service, quel

que soit le secteur ou la nature de l’activité. De plus, au guichet, la présence physique du

client fait que la situation n’est jamais jouée d’avance. Dans ce registre, plusieurs exemples

rapportent la difficulté pour les guichetiers à conduire une coproduction selon des normes

prescrites par l’organisation. Jeantet (2003) travaillant sur La Poste, estime par exemple que

les clients, placés dans une position plus favorable du fait des transformations récentes des

entreprises de service, tendent de plus en plus à imposer leur souhaits, à prescrire et à

sanctionner le travail des guichetiers. C’est l’une des idées que l’on trouve également dans le

travail de Valléry (2004), qui rapporte que les guichetiers se plaignent de plus en plus des

attitudes supérieures de certains clients qui se permettent de leur donner des ordres.

La présence physique du client renforce les difficultés déjà recensées dans les centres d’appels

et réduit considérablement les possibilités de prescription. La prescription de standards

compatibles avec toutes les situations est tout simplement, une illusion. On se joint ainsi aux

propos de Hatchuel (1996) annonçant qu’« aucun expert, n’est en mesure de prescrire

totalement le travail », et nous ajoutons, en particulier dans les relations de service.

155

D’une manière plus générale, dans les relations de service, Feriel (2007), le caractère imprévu

de la relation humaine implique l’impossibilité de « normaliser » le comportement du client et

la variabilité des cas. Bien que les prescriptions peuvent être utiles pour jalonner les actions

des agents, elles ne peuvent pas remplacer le modèle de compétences spécifiques (cf. supra)

que les agents mettent en œuvre pour analyser la demande, faire des choix et manager la

contribution et le comportement du client.

Pour conclure, nous allons souligner dans le paragraphe suivant que les arguments développés

ci-dessus concernant la résistance de la relation de service à la standardisation et à la

prescription, remettent en cause sérieusement la pertinence du contrôle exercé par la

hiérarchie sur les contenus, et même sur les rythmes de production.

3.3.3 Les limites des pratiques de contrôle

La soumission aux scripts élaborés par les responsables et les dispositifs techniques de

pilotage réduisent considérablement l’autonomie des opérateurs dans leur travail quotidien

(Lanciano et al., 2008). En effet, vue l’écart existant entre le travail réel et le travail prescrit,

d’un côté, et les injonctions relatives à la prescription suivies d’un contrôle permanent de la

part des managers, de l’autre, les opérateurs peinent à exercer leur travail de manière

autonome et à mobiliser les compétences qu’exige la coproduction. Ceci dit, la pratique de

contrôle a ses limites.

En effet, récompenser ou sanctionner un agent selon sa conformité ou non à des scripts

inapplicables à toutes les situations peut nuire au travail des agents et s’avérer

contreproductif à la relation de service elle-même. Quant au contrôle qu’exerce la hiérarchie

sur les rythmes de production des salariés, la limite de cette pratique peut être soulignée si on

considère le postulat selon lequel, les agents font face à certains clients ayant des

caractéristiques intellectuelles et/ou comportementales qui ne facilitent pas le déroulement de

l’interaction. Ce constat se traduit par le rallongement des temps des interactions en question,

et par conséquent, la réduction du nombre de relations traitées par l’agent dans la journée,

c’est à dire son rendement.

Bien que nous ne remettons pas en question toute idée de contrôle, nous nous interrogeons si

les contexte des relations de service permet vraiment de pratiquer, un contrôle fin et

systématique sans prendre en considération les spécificités de chaque interaction.

156

En fait, cela relève d’une problématique plus délicate, et qui concerne directement la question

de la dualité entre la performance qualitative et la performance quantitative dans les relations

de service. C’est ce que nous développerons dans la section suivante.

Au terme de cette présentation, on constate qu’entre la « logique de service » qui repose sur

les compétences spécifiques des agents dans l’espoir d’une meilleure adaptation aux

situations multiples, et la « logique industrialiste » qui s’appuie sur les pratiques de

prescription dans le but de standardiser et formater les relations, la tension est forte. La

cohabitation des deux logiques fait apparaître des conflits entre des optiques différentes, à

savoir la « rationalisation industrielle » et la « rationalisation professionnelle » (Gadrey,

1996), ou encore « la standardisation et la personnalisation », « la prescription et le modèle de

compétence », « le contrôle et l’autonomie ». Les dualités se répercutent sur une

problématique bien plus délicate, celle opposant la performance qualitative à la performance

quantitative.

Tableau 3. Le conflit de logiques : logique de service et logique industrialiste.

Section 3. La « performance » des salariés dans les relations de

service et ses mesures

La performance dans les entreprises de service est une question particulièrement délicate. Elle

est déclinée auprès des salariés du front-office sous forme d’axes et d’objectifs opérationnels

à atteindre, constituant de ce fait un critère incontournable de leur évaluation annuelle par la

Logique de service Logique industrialiste

Rationalisation Rationalisation professionnelle Rationalisation industrielle

Traitement de la

Relation

Personnalisation en fonction des

caractéristiques des clients

Standardisation du produit et de la

relation

Modèle productif Compétences spécifiques, capacité

d’initiative et de jugement des salariés

Prescription des modes opératoires

et des contenus des relations

Autonomie et contrôle Autonomie et flexibilité dans le travail Contrôle des rythmes et des contenus

Performance visée Qualité Quantité

157

hiérarchie. L’objectif de performance de la relation de service est généralement : vendre le

plus grand nombre possible de produits en un temps limité tout en maintenant une relation

durable avec les clients. Cet objectif est donc double. Pour Zarifian (2002), ce sont deux

critères d’évaluation de la performance de la relation de service qui sont justifiés, car le front-

office n’est pas seulement le point d’aboutissement de la production. Il est aussi le point de

départ. Le point d’aboutissement correspond à la vente. Le point de départ consiste en

l’établissement d’une relation durable avec le client.

Dans cette section, nous commençons par présenter le concept de performance en montrant

notamment son caractère polysémique (1). Puis, nous verrons comment la performance dans

les relations de service est mesurée à travers ses deux critères (quantitatif et qualitatif), ainsi

que la problématique relative à la contradiction de leur cohabitation (2).

1. La performance : un concept Kaléidoscopique

Quel que soit le secteur d’activité, le concept de la performance se présente comme une

notion très problématique. Bien que le terme soit largement utilisé et mobilisé, sa définition

ne parvient pas à faire l’unanimité parmi les praticiens comme parmi les chercheurs.

L’explication se trouve notamment dans son caractère polysémique (Louart, 1996 ; Gauzente,

2000). Le vocabulaire des chercheurs autour du terme « performance » n’est pas stabilisé et

fait de celui ci un concept mal défini. C’est un « mot-valise » qui représente un construit basé

sur des divergences selon les auteurs et qui a reçu plusieurs acceptations (Saulquin, 2000).

Gauzente (2000) nous renvoie aux origines étymologiques du concept en soulignant que le

terme français et le terme anglais sont proches et signifient l’accomplissement pour évoquer

par la suite l’exploit et le succès. De leur côté, Le Boulaire et Retour (2008, p. 4) rapportent

les propos de Bourguignon (1996) qui, à partir de l’analyse étymologique et sémantique du

concept, il relève trois sens s’articulant autour du mot performance :

« a) La performance est un succès. La performance n’existe pas en soi; elle est fonction des

représentations de la réussite, variable selon les entreprises et les acteurs.

b) La performance est résultat de l’action, évaluation ex post des résultats obtenus.

c) la performance est action, se lisant comme le processus qui mène au succès ».

Ces trois éléments annoncent que la performance est une question de représentations qui

peuvent différer d’une entreprise à une autre, et/ou d’un acteur à un autre. De plus,

l’appréhension de la performance passe par la détermination de l’instant où elle sera évaluée.

158

Deux options se présentent : soit une appréciation au cours de l’action (du processus), ou

bien, appréciation de l’action a postériori.

Les procédures d’évaluation de la performance témoignent du -et reflètent le- caractère

polysémique de ce concept. Morin et al. (1994) [in Gauzente, 2000] recensent quatre grandes

approches de l’évaluation de la performance:

- Economique : Elle repose sur la notion centrale d’objectifs à atteindre. Ces derniers

traduisent les attentes des propriétaires dirigeants. Ils sont donc souvent énoncés en termes

économiques et financiers.

- Sociale : Elle est basée sur les préceptes de l’école des relations humaines. Elle met l’accent

sur les dimensions humaines et la cohésion au sein de l’organisation. Elle invoque l’idée

selon laquelle les objectifs sociaux permettent d’atteindre les objectifs économiques et

financiers.

- Systémique : Elle est développée par opposition aux approches précédentes qu’elle

considère comme trop partielles. Elle met en avant l’efficacité organisationnelle selon le

degré auquel elle remplit ses objectifs sans obérer ses moyens et ressources et sans mettre

une pression indue sur ses membres.

- Politique : Elle repose sur une critique des précédentes approches. Cette approche se veut

plus relative en soulignant l’idée que chaque individu peut avoir ses propres critères pour

juger la performance d’une organisation.

Gauzente (2000) souligne qu’en réalité, deux voies majeures sont distinguées pour concevoir

la performance : l’approche par les buts (par les objectifs) et l’approche par les ressources (les

moyens). Cependant, il ajoute qu’un troisième modèle, dit de la satisfaction des parties

prenantes, est évoqué mais considéré comme marginal.

Avant de continuer cette présentation, il est intéressant de souligner la proximité entre ce que

Gauzente (2000) annonce sur la réalité des approches autour de la performance (par les

objectifs et par les ressources (les moyens)) et les définitions des relations de service avancées

par Zarifian (2002) (cf. début de la section 1): approche des services par les effets et par les

ressources. Autrement dit, les conceptions de Zarifian de la relation de service sont

étroitement articulées avec les définitions de la performance que les entreprises choisissent.

Pour revenir aux quatre approches ci-dessus, il est à noter que les auteurs rapportent qu’elles

ne sont pas toutes représentées ou mobilisées systématiquement dans le vocabulaire des

159

organisations autour de la notion de performance. Cela dit, et comme le souligne Louart

(1996)96, les approches constituant des repères pour définir la performance et se présentent

comme des niveaux d’analyse. Cela dit, l’appréhension et l’évaluation de la performance est

une question de choix du niveau d’analyse, car on peut restreindre la performance à des

enjeux économiques et sociaux et les adapter à la stratégie de l’organisation.

A travers ce que nous venons de présenter, nous comprenons bien pourquoi ces auteurs

parlent de la performance comme d’un terme polysémique ou comme d’un « mot-valise ».

Elle dépend des perceptions des acteurs et des stratégies poursuivies par les organisations.

C’est sur cet aspect pluriel que revient Saulquin (2000) pour dépeindre la notion de la

performance. Partant de l’idée que celle-ci est souvent définie et mesurée (évaluée) par des

critères conformes aux représentations que se font les théoriciens et praticiens, il souligne que

la performance implique un jugement de valeurs sur les activités, les résultats, les produits et

les effets sur l’environnement. Ceci a conduit l’auteur à conclure que :

- la performance est une affaire de perception ;

- la performance est un concept évolutif, car ses composantes évoluent à travers le

temps, et les critères se modifient ;

- la performance a un statut multidimensionnel, c’est à dire, une représentation multi-

critères.

- la performance se pilote : certains auteurs proposent aux dirigeants une grille de

lecture qui se complète et s’éclairent mutuellement et qui sont reliés à des objectifs

multiples ;

Ce qu’on vient de rapporter permet de cerner le concept de la performance dans toutes ses

dimensions, mais aucune définition n’a été présentée par ces auteurs. Les quelques auteurs qui

se sont prêtés à cet exercice, soulignent systématiquement les biais susceptibles de

caractériser leurs définitions. Autrement dit, les rares définitions que nous avons rencontrées

sont strictement liées à un cas de figure particulier. Les différents éléments présentés ci-

dessus expliquent parfaitement pourquoi on ne peut pas avancer une définition claire et

objective du concept de la performance.

En outre, les auteurs soulignent que cela est encore plus compliqué dans le champ des

relations de service. Dans le secteur industriel, les produits peuvent être définis sans trop de

96 Ici Louart (1996) parle essentiellement du cas de la performance des ressources humaines, mais sa remarque nous semble valable pour les autres unités et domaines organisationnels.

160

conflits d’interprétations (Gadrey, 2002). En revanche, la question est beaucoup plus délicate

en ce qui concerne la définition du produit et de la relation de service. Du fait de la

coproduction, de son caractère pluriel et intangible, la performance de la relation de service

est difficile à définir. De plus, sa valeur implique l’existence d’un système de représentation

commun à des acteurs distincts, souvent constitué au terme de négociations et de conflits

entre les protagonistes.

2. La performance dans les relations de service et ses critères de mesure

La performance est très problématique dans le monde des relations de service. Cela n’est pas

surprenant puisque nous avons vu que les définitions mêmes de la relation de service sont

délicates. Parmi les définitions et les conceptions proposées (David, 2001 ; Zarifian, 2002), on

trouve aux côtés des organisations, le client, positionné comme juge de la validité et de

l’utilité de la prestation. Incontestablement, la performance de la relation ne peut pas être

validée uniquement selon la perception de l’organisation. Elle doit prendre en compte la

perception du client (Zeithaml et al., 1990). Ainsi, on est en présence, d’un côté, des objectifs

de performance fixées par l’organisation, et de l’autre, de la perception qu’a le client de la

performance du service. De plus, bien qu’il soit censé s’aligner sur les objectifs de la

performance définis par l’organisation, le salarié a sa propre échelle de perception de la

performance de la relation de service (Blancero et Johnson, 2001). La perception de la

performance peut être donc, parfois, « triple ». D’ailleurs, cela peut être supposé et compris à

travers la présentation de David (2001) (cf. section 2 (En quoi consiste l’activité de

l’agents ?)) où il présente l’« effet utile » de la relation comme un concept « tripartite »,

concernant à la fois le client, l’organisation et le salarié. A partir de là, on peut dire que la

performance dans la relation de service est, définitivement et par excellence, une question de

perception.

En fait, la plupart des travaux que nous avons mobilisés depuis le début de ce chapitre ont

évoqué, avec des degrés de réflexion et d’approfondissement divers, la question de la

performance dans les services. Malgré la diversité des sensibilités et des courants, tous ces

travaux ont pointé que la question de la performance du service est délicate à traiter. Elle est

même présentée comme question préoccupante, tant au niveau de sa conception qu’au niveau

des critères de son évaluation. Voyons donc en quoi consiste cette difficulté, et quels sont les

critères les plus utilisés dans ces entreprises.

161

2.1 Du fait de la coproduction, la performance dans les relations de service est

délicate

Pour Eiglier (2004), du fait de la coproduction, la question de la performance dans les

relations de service est particulièrement délicate à traiter. Pour comprendre davantage les

difficultés et les enjeux liés à la définition et l’appréciation de la performance, il est important

de rappeler les aspects de l’activité inhérents à ce processus de « coproduction ». Il implique

essentiellement :

a- qu’il existe à la fois des interactions techniques, contractuelles et relationnelles ;

b- que l’effet et l’utilité de la prestation sont jugés et par le client référent et par

l’organisation ;

c- que c’est un processus et une production à la fois (simultanéité de la production et de son

processus de réalisation).

Ces caractéristiques sont interdépendantes, pour analyser leur impact sur la performance, il est

nécessaire de les séparer.

Concernant « la présence à la fois d’interactions techniques, contractuelles et relationnelles »,

cela revient à dire que la performance sera évaluée sur ces différents aspects. Ceci nous

rapproche donc de l’idée de Saulquin (2000) selon laquelle la performance est

multidimensionnelle. Cependant, on a bien soutenu auparavant que la réussite de la prestation

techniques ne dépend pas seulement de la compétence de l’agent, mais également des

connaissances et du comportement du client. Celui-ci intercale ses injonctions dans les modes

opératoires de la relation de service (Hubault et Bourgeois, 2001 ; David, 2001 ; Jeantet,

2003). Il peut de ce fait être considéré comme un agent officieux qui travaille pour produire la

relation de service (Eiglier et Langeard, 1987 ; Beyer, 2001 ; Bouzit, 2001 ; Omrane et

Bouillon, 2004). Le travail évalué n’est pas exclusivement celui de l’agent, car une partie

(même minimale) est réalisée par le client. La performance de la coproduction relève certes,

en grande partie, de la performance de l’agent, mais une partie du travail est à la charge du

client, donc une partie la performance de la relation dépend également de la performance de

ce dernier.

La dimension relationnelle, rend la performance difficile à appréhender car elle est abstraite,

pour ne pas dire insaisissable. L’interaction se déroule entre deux inconnus et les

comportements peuvent déborder à n’importe quel moment du processus. Autrement dit, le

162

relationnel de l’agent peut être affecté par celui du client, donc les réactions échangées

peuvent être significativement corrélées.

En ce qui concerne la performance considérée sous l’angle de « la perception de l’utilité de la

prestation par le client et par l’organisation », il n’est pas sûr que les perceptions des

protagonistes convergents souvent. D’ailleurs, en parlant de perception, et comme nous

l’avons souligné auparavant, celle de l’agent doit également être considérée à part. Ainsi, dans

l’équation finale on a en réalité trois perceptions qui se confrontent. Rien ne garantit, a priori,

la convergence des perceptions des acteurs. Pour illustrer cette problématique, Blancero et

Johnson (2001) présentent une conception de la divergence qui peut résulter des initiatives

prises par les agents dans la relation de service. Ils renvoient alors au comportement de

l’agent de service et utilisent le concept de « Discretionary Service Behavior » (DSB) pour

souligner les initiatives que prend un agent avec l’intention (sa propre intention) d’assurer

une meilleure prestation de service. Par exemple, un serveur dans un restaurant peut prendre

l’initiative d’offrir un café gratuitement à un client. C’est une pratique tolérée par

l’organisation et laissée au jugement de l’agent qui décide en fonction de son appréciation

personnelle97, reposant sur une évaluation cognitive de sa part ou tout simplement une

réaction affective vis-à-vis du client. Selon les auteurs, quatre cas de figure peuvent résulter

de ces initiatives. Les résultats peuvent être :

� positifs pour l’organisation et pour le client;

� positifs pour l’organisation mais pas pour le client. Par exemple, décider de fermer le

magasin à temps en refusant d’attendre le client.

� négatifs pour l’organisation mais positif pour le client. Par exemple, l’agent peut

fournir un service accru qui coûte à l’organisation.

� négatifs pour l’organisation et le client. Par exemple, le salarié utilise pour son propre

intérêt les ressources de l’organisation et celles du client.

La perception de l’agent, fondée sur ses évaluations cognitives qui se manifestent à travers

son comportement vis-à-vis des clients, n’est pas forcément concordante avec celle de

l’organisation et/ou celle du client. Dès lors, la vision de la performance n’est manifestement

pas commune à toutes les parties.

97 Les auteurs insistent sur l’idée de ne pas confondre entre DSB et Associated Managerial Implications (le management participatif).

163

Plusieurs auteurs ont identifié cette difficulté. Par exemple, Zeithaml et al. (1990) qui ont

élaboré un outil d’évaluation de la qualité du service (SERVQUAL) (sur lequel nous

reviendront plus loin) suggèrent que la qualité de la prestation (la performance) doit être

définie uniquement en se basant sur les perceptions du client. Mais, et malgré l’attention

grandissante que les organisations accordent à cet aspect, la pratique reste encore au stade

d’un idéal (Black et al., 2001). De leur côté, Pichault et Zune (2000) et Charles-Pauvers et al.

(2007), rapportent que dans les centres d’appels, les salariés eux-mêmes ne sont pas satisfaits

des critères d’évaluation de leur performance tels qu’ils sont établis par l’organisation et

réclament de nouveau indicateurs qu’ils jugent plus adéquats à leur activité. La différence des

perceptions des acteurs autour de la performance du service a également retenue l’attention de

Gadrey (2002) qui a consacré plusieurs pages à cette problématique. Selon lui, elle fait

intervenir différents « mondes » de représentation du produit et des performances. Il s’inspire

ici clairement de l’analyse dite des « économies de la grandeur » de Boltanski et Thévenot.

Pour Gadrey (2002), l’exercice consistant à trouver des conventions entre les perceptions des

acteurs impliqués dans le service reste difficile, car il existe une multitude de représentations

possibles et une diversité des systèmes de valeur. Dans la production d’un service, chacun

participe avec ses propres systèmes de valorisation. L’auteur illustre cette problématique,

entre autres, par la description du système de performance dans le secteur hospitalier. Dans le

cas d’un hôpital, la direction s’estime souvent performante lorsque l’établissement soigne un

grand nombre de patients, alors que pour le client et/ou le personnel, la performance serait

plutôt du côté du contenu du service et la qualité des diagnostics, etc. Cela va donc dans le

sens de Saulquin (2000) et Le Boulaire et Retour (2008) selon qui, la performance est

fonction des représentations et varie selon les acteurs.

Cette dialectique nous interpelle et nous souhaitons nous arrêter un instant avant d’aborder les

autres éléments. Il s’agit de revenir et réfléchir à nouveau sur les propos de Zarifian (2002)

qui définit les relations de service à partir de ses deux approches.

Dans la première (approche de la valeur de service à partir des effets), il parle des effets jugés

valables et positifs par le client et/ ou par la collectivité. Dans la seconde (approche de la

valeur de service à partir des ressources ), il souligne l’efficience des ressources mobilisées,

jugée par la direction de cette organisation, comme par ses salariés, voir par le destinataire

lorsqu’il agit lui-même comme ressource. Comme nous pouvons le constater, dans l’une

comme dans l’autre, l’auteur présente les perceptions de l’organisation, du salarié et du client

comme reposant sur une échelle de valeurs communes, or, comme nous venons de le voir, il

164

est fort possible que les perceptions divergent et que la validité du service ne s’inscrive pas

dans une et seule logique. Cette remarque s’applique également, mais dans un degré moindre,

à la conception de David (2001) qui introduit la notion d’« effet utile » lors de l’arbitrage

qu’effectue l’agent pendant l’interaction. Bien qu’elle a pris le soin de signaler que cet effet se

traduit différemment suivant que l’on se place du côté du client, de l’organisation ou de

l’agent, l’auteur les a présenté comme étant convergentes. Ainsi, nous pensons que les

conceptions présentées par ces auteurs gagneraient à prendre en compte l’idée selon laquelle

l’utilité et la performance d’une relation est une question relative aux perceptions des acteurs,

dont les systèmes de valeurs peuvent différer sensiblement.

Le troisième et dernier problème engendré par la coproduction dans la mesure de la

performance, se manifeste dans le fait qu’elle est à la fois un processus et son résultat

(simultanéité de la production et de son processus de réalisation). Le problème dans ce cas se

révèle dans la définition de l’élément qui fera l’objet d’une évaluation : doit-on juger le

résultat final (la conclusion d’une vente par exemple) ou bien le processus d’interaction qui a

conduit à (ou entravé) sa réalisation ? Si on fait un parallèle avec les idées de Bourguignon

(1996) (cf. ci-dessus), l’évaluation du résultat de la relation revient à voir la performance

comme le résultat de l’action (évaluation ex post des résultats). Si on évalue le processus de

production de la relation (l’interaction), on se limite à appréhender la performance de l’action

qui mène au succès. Cette problématique peut en revanche être appréhendée selon la

dialectique évoquée ci-dessus par Gauzente (2000) et liée dans la littérature gestionnaire au

début sur la performance selon l’approche de la gestion par les objectifs (les résultats) ou

l’approche par les moyens (les ressources). Un agent peut conduire une bonne interaction

(processus) sans conclure une vente ou délivrer la prestation (sans résultat concret).

Inversement, vendre et/ou produire une prestation, dont le processus est conduit avec des

méthodes douteuses…

Enfin, l’autre réalité qu’amorce la lecture des paragraphes que nous venons de présenter dans

cette partie, c’est l’existence de deux types de critères selon lesquels la performance est

évaluée. Un critère de type quantitatif et un critère de type qualitatif. De manière un peu

caricaturale, le premier peut être associé au résultat économique chiffré, et le second concerne

la qualité de l’interaction (le processus) permettant d’atteindre le premier. Voyons donc en

quoi consiste l’évaluation de la performance à travers ces critères.

165

2.2 Les critères d’évaluation de la performance et la difficulté de mesure de la

qualité

La littérature fait état de l’existence de deux types de critères pour évaluer la performance

dans les services, des critères quantitatifs et des critères qualitatifs. Par exemple, Buscatto

(2002) parlant d’une compagnie d’assurance, explique qu’à partir d’une stratégie visant à

faire souscrire des contrats d’assurance à de nouveaux clients et les fidéliser dans le temps,

les objectifs opérationnels mis au service de la réalisation de cette mission se déclinent sur

deux versants. Un versant quantitatif : répondre à un maximum d’appels reçus dans un temps

restreint afin tout à la fois d’éviter la perte de clients impatients (temps d’attente trop long) et

d’atteindre une rentabilité optimale de l’activité. Un versant qualitatif : assurer la qualité du

service au client sous divers paramètres – rapidité, convivialité, efficacité, conseil – afin

d’attirer des nouveaux clients et de les fidéliser (ibid., p. 102). La même idée est développée

dans l’article de Guery et Mottay (2003), où ils mentionnent deux types de critères de

performance dans un centre d’appel d’une entreprise de téléphonie. Les auteurs soulignent

tout de même que le critère quantitatif est le plus important dans l’appréciation de la

performance globale.

De son côté, Zarifian (2002), reprend les deux critères de performance en les associant à des

logiques d’échéances temporelles. Selon lui, le critère quantitatif, visant à vendre le maximum

de produits/traiter le maximum de relations, s’apprécie à court terme, mais pour maintenir cet

objectif quantitatif dans le temps, une relation positive et durable avec les clients s’impose,

d’où la nécessité du critère qualitatif (de la relation) dont les résultats se concrétisent à long

terme.

Notre revue de littérature montre l’existence de ces deux catégories de critères dans toutes les

entreprises de service, avec de faibles différences concernant la batterie des critères définis et

utilisés à l’intérieur de chacune des deux catégories. Les critères quantitatif ou qualitatif de la

relation peuvent toutefois être mesurés ou hiérarchisés selon les entreprises et leurs stratégies,

par rapport à la nature de leur activité (secteur marchand ou non- marchand) ou encore entre

leur appartenance au secteur privé ou public (Black et al., 2001).

Par ailleurs, dans le secteur marchand, certains auteurs, comme Chen et Yang (2000)

distinguent deux sous-catégories d’indicateurs dans le critère quantitatif : indicateurs

purement « productivistes » (durée moyenne de communication et de traitement d’une

relation, etc.), et des indicateurs liés aux activités de vente (taux de placement brut, de

166

pérennité). Etant donné qu’on parle ici de la relation de service de manière générale, nous

conservons uniquement deux types de critères, quantitatif (en incluant les indicateurs liés

l’activité de la vente) et qualitatif.

L’existence des deux critères peut sembler légitime, car d’une manière générale, il est logique

que le critère quantitatif soit mobilisé pour évaluer les rythmes de production, et la

contribution du travail du front office à la rentabilité générale de l’entreprise. Le second

critère est lui aussi logique car il vise aussi à la fidélisation du client afin d’installer une

relation durable avec ce dernier, et d’attirer de nouveaux clients (Parasuraman et al., 1988 ;

Cronin et Taylor, 1994 ; Black et al., 2001 ; Zarifian, 2002 ; Gadrey, 2002 ; etc.).

En outre, si on considère l’idée selon laquelle la performance se pilote (Saulquin, 2000), cela

signifie qu’il faut manager la performance en définissant et construisant les indicateurs de sa

mesure. Sans oublier bien évidemment de mobiliser et mettre en place les ressources

nécessaires à sa réalisation. Selon Lorino (2001) [in Rascol-Boutard et Amans, 2007] un

indicateur de performance a pour objectif « d’aider un acteur, individuel ou plus

généralement collectif, à conduire le cours d’une action vers l’atteinte d’un objectif ou devant

lui permettre d’en évaluer le résultat ». Ainsi, pour décliner les axes stratégiques en actions

opérationnelles, l’organisation doit établir dans un premier temps une batterie d’indicateurs

permettant d’évaluer la performance. Puis, elle communiquera ces indicateurs aux salariés

sous forme d’objectifs à atteindre, sur lesquels leur niveau de performance sera évalué.

2.2.1 La performance quantitative et sa mesure.

Elle est mesurée donc par des indicateurs quantitatifs. Les indicateurs de la performance

quantitative les plus couramment cités sont : le nombre de relations traitées, la durée de

l’interaction, le nombre de ventes réalisé, le montant des ventes (ces deux derniers concernent

uniquement le secteur marchand).98

Ces indicateurs peuvent être vus comme une évaluation ex post des résultats des actions

menées comparés aux objectifs précédemment fixés par l’organisation (Mebarki et Oiry,

2009). Le critère quantitatif correspond à une évaluation chiffrée de la performance, très

similaire à l’optique du rendement dans le secteur industriel. En termes de pilotage de la

98 Pichault et Zune (2000) rapportent également d’autres indicateurs tels que l’atteinte d’un quota d’échantillon, enregistrement d’intentions de visites ou d’achat.

167

performance (Saulquin, 2000), la réussite (ou non) des salariés à atteindre les objectifs fixés,

c’est à dire, la performance quantitative, est suivie par la hiérarchie au moyen d’outils

informatiques, via des applications permettant de décompter les temps moyens des

interactions, le nombre de relation traitées/ ventes réalisées, etc.

Au fait, pour Hubault et Bourgeois (2001), le critère quantitatif dans les relations de service

n’est que le résultat d’un contournement de la performance. Les auteurs parlent de

contournement car ils estiment que la notion de la productivité du travail (quantité/temps) ne

peut pas être vraiment appliquée dans la relation de service étant donné que cette dernière

n’est pas tangible. C’est ce qui gêne son « objectivation ». Face à l’indéfinition économique et

la difficulté à savoir/mesurer ce qu’une relation de service, « l’entreprise évacue la dimension

subjective, nie la spécificité de la relation, et ne retient comme effet du service que les

propriétés tangibles : nombre de dossiers traités, nombres d’appels traités, nombre de clients

encaissés, etc. » (ibid. p. 15). Ainsi on évalue seulement ce qui est quantifiable sans

s’intéresser au contenu de la relation. De son côté, Zarifian (2002) indique que l’indicateur

quantitatif relève d’une logique commerciale visant à vendre le maximum de produits par

rapport aux concurrents, dont les effets sont appréciés à court terme. L’atteinte de cet objectif

se traduit par une pression sur le comportement de l’agent qui fait le maximum pour vendre et

réaliser une grande quantité de produits, au détriment du temps consacré aux clients et de la

relation elle-même.

Ainsi, bien que les points de départ de l’analyse des auteurs ci-dessus soient relativement

différents, les conclusions convergent vers l’idée selon laquelle, ce critère n’est pas

complètement pertinent pour évaluer un travail dont la matière première est l’interaction avec

le client.

2.2.2 La performance qualitative et la « difficulté » de sa mesure

Contrairement à la performance quantitative, la performance qualitative n’est pas présentée

comme une retombée ou un apport direct pour l’entreprise (elle n’a pas de valeur monétaire

dans le secteur marchand). Elle est surtout considérée par l’entreprise comme un élément qui

entretient sa notoriété et qui permet de fidéliser/attirer les clients. Toutefois, la performance

du service est directement corrélée avec la satisfaction du client qui représente un facteur de

réussite pour l’organisation (Chen et Yang, 2000). C’est ce qui amène les auteurs à présenter

la qualité de la relation de service comme un facteur d’avantage concurrentiel plutôt qu’un

résultat de ce dernier (Parasuraman et al., 1988 ; Chen et Yang, 2000). Selon ces auteurs, le

168

marché actuel est férocement concurrentiel, caractérisé notamment par des offres de produits

très similaires avec des prix quasiment identiques. De ce fait, les entreprises gagnantes sont

celles qui fournissent une excellente qualité de service.

On peut faire un parallèle entre cette vision de la performance qualitative comme procurant un

avantage concurrentiel et les conceptions nuancées par Bourguignon (1996). La qualité de

service revient à estimer la performance en tant qu’action, c’est à dire, la qualité du processus

qui mène au succès, ou encore comme un élément déterminant dans la réalisation de la

performance (Rascol-Boutard et Amans, 2007). Toutefois, nous attirons votre attention sur le

fait que la vision mobilisée ici, selon laquelle la performance est le résultat tiré d’un avantage

concurrentiel (une finalité) renvoie à une dimension purement financière de la performance

(la perspective ici est purement marchande). Autrement dit, cette argumentation qui présente

la qualité comme un moyen pour atteindre la performance, laisse entendre que l’évaluation de

cette dernière est dominée -pour ne pas dire exclusivement mesurée- par des indicateurs de

résultats financiers. D’ailleurs, on retrouve ces idées dans certains travaux, comme l’article,

Rascol-Boutard et Amans (2007), qui ont titré un de leurs paragraphes : « Le lien qualité-

performance » et qui expliquent que la qualité de la relation peut être considérée comme un

facteur de performance (financière). De la même manière, Zorgati et Lakhal (2009) cherchent,

dans les secteurs industriel et commercial, à vérifier la relation entre la « qualité99 du produit

et la performance financière ».

Dans ces deux cas (Rascol-Boutard & Amans (2007) et Zorgati & Lakhal (2009)) ; les auteurs

plaident pour une relation positive entre la qualité et la performance, dans le sens : la qualité

engendre la performance financière100.

Par ailleurs, et contrairement à la quantité de service qui ne suscite pas de problème

particulier dans la construction des indicateurs d’évaluation, la mesure de la performance

qualitative se heurte à plusieurs limites.

L’évaluation de la qualité de la relation de service s’articule essentiellement autour de la

satisfaction du client. Cette logique est souvent considérée par la communauté scientifique et

les acteurs comme une approche très pertinente, reflétant par excellence la notion de service. 99 La qualité des produits est appréhendée et évaluée ici à partir de l’obtention des « certifications qualité ». 100 Cette étude nous a interpellé dans le sens où elle nous apprend (d’après la revue de littérature mobilisée) que les études réalisées sur la relation qualité-performance ne sont pas unanimes : Certaines, plaident en faveur d'une relation positive entre qualité et performance, d’autres insistent sur le fait que la qualité est faiblement liée ou sans effet sur la performance. Enfin, un dernier ensemble d’études montre que la qualité est négativement liée à la performance. Notons que les résultats de l’étude empirique menée par les auteurs montrent que les dimensions de la qualité du produit disposent d’un effet positif sur les indicateurs de la performance financière.

169

Cette perspective conduit l’agent à assurer un service adaptable aux caractéristiques

individuelles du client et à installer avec ce dernier une relation positive et durable (Zarifian

2002). Cependant, des problèmes majeurs surgissent et remettent en question la définition et

la mesure de la qualité de la relation de service.

Le problème de définition de la qualité reflète bien- et est bien expliquée par- l’approche

considérant la performance comme relative aux perceptions (cf. supra), c’est à dire,

changeante suivant les systèmes de valeur et les représentations possibles. La qualité de la

relation n’est pas perçue de la même manière par tous les acteurs impliqués, et la

reconnaissance des besoins des différentes parties prenantes de la relation rencontre des

limites (Black et al., 2001). Au delà de cette difficulté des perceptions, certains auteurs

(Hubault et Bourgois, 2001 ; Gadrey, 2002) évoquent la difficulté engendrée par le caractère

insaisissable de ladite relation. L’appréciation de la qualité d’un objet intangible n’est pas

aisée. De leur côté, Black et al., (2001), estiment que le problème est conceptuel, et que les

concepts de la «qualité de service» sont mal développés et restent souvent axés sur le modèle

de la production. Selon eux, la meilleure illustration de cela, tout aussi évidente dans les

secteurs public et privé, est l'enthousiasme qu’expriment les entreprises de service depuis les

années 1980 pour obtenir les « certifications qualité ». La poursuite de la qualité est devenue

la poursuite de la preuve, soumise à la validation externe des opérations et des procédures de

l'organisation selon des normes et standards.

La problématique de la mesure de la qualité est également analysée dans la littérature à partir

de l’idée stipulant que la qualité de la relation de service ne peut pas être évaluée de façon

précise (Gadrey, 2002). Cette difficulté à mesurer la qualité peut être liée directement aux

problèmes ci-dessus, relatifs à sa définition et à sa conception. Les auteurs s’interrogent ainsi

sur la fiabilité des indicateurs construits et utilisés pour mesurer cette qualité.

D’une manière plus générale, les indicateurs de la qualité de service les plus rapportés par les

auteurs à partir de leurs études empiriques, sont : la qualité du produit, de l’interaction dans

toutes ses dimensions, notamment la dimension relationnelle, la satisfaction et la fidélisation

de la clientèle, le nombre de plaintes reçues, le service après-vente, les informations, le

support, le sens du service, etc.

Comme nous l’avons déjà évoqué, apprécier la qualité de la relation de service revient à

donner une importance considérable à la satisfaction du client. Cela impose de facto l’idée

170

d’aller chercher les avis des clients sur la qualité de la prestation fournie par l’entreprise. Pour

cela, les entreprises recourent généralement aux enquêtes de satisfaction. Parmi les archétypes

les plus utilisés, on trouve celui élaboré par l’équipe de Zeithaml, Parasuraman et Berry

(1988) (dont les travaux sur la qualité de service sont largement repris dans la littérature

anglo-saxonne). Pour ces auteurs, la qualité d’un service est un élément essentiel pour le

succès de l’organisation, et doit être évaluée uniquement par la client. Leur démarche consiste

à mesurer la qualité des service à partir d’une comparaison entre les attentes (ou désirs) des

clients (attentes auprès du prestataire de service) et leurs perceptions des services réels fournis

(ibid., p. 5). Pour ce, ils ont élaboré un questionnaire nommé « SERVQUAL101 » qui mesure

la qualité de service à partir de dix dimensions : la valeur matérielle, la fiabilité, la réponse

(ou la réactivité), la communication, la crédibilité, la sécurité, la compétence, la courtoisie, la

compréhension du client, et l'accès102 (traduction personnelle). Le SERVQUAL a été revu en

regroupant les items dans cinq dimensions seulement : (traduction personnelle).

Matériels/Tangibles: Installations physiques, équipements et apparence du personnel.

Fiabilité : Aptitude à effectuer le service promis avec rigueur et précision.

Réactivité : Volonté d'aider les clients et de fournir un service rapide.

Assurance: Le savoir et la courtoisie des employés et leur capacité à inspirer la confiance et

entretenir la confidence.

Empathie: Le soin et l’attention individuels qu’apporte l’entreprise au client.

Sous sa forme actuelle, cet outil est très utilisé par les entreprises dans leurs enquêtes de

satisfaction103, ainsi que par les chercheurs dans leurs études empiriques (dans le domaine du

marketing notamment). Toutefois, il ne constitue pas pour autant un outil parfait. Ses

concepteurs sont les premiers à le reconnaître. Ils certifient que, contrairement à la qualité des

biens qui peut être évaluée objectivement à partir des indicateurs tels que la durabilité et le

nombre de défaut, la qualité de service est un construit insaisissable et difficile à mesurer. A

ce caractère insaisissable, nous pouvons adjoindre toutes les critiques dont fait l’objet les

techniques du questionnaire, à propos de la validité des échelles, des indicateurs et de la

mesure, qui peuvent être appliquées ici sur le cas de SERVQUAL. Dans tous les cas, et

comme l’indique Lorino (2001) [in Rascol-Boutard et Amans, 2007], les indicateurs ne

101 Servqual est une dénomination tirée de Service (serv) et Quality (qual). 102 tangibles, reliability, responsiveness, communication, credibility, security, competence, courtesy, understanding/knowing the customer, and access 103 Certains comme Black et al., (2001) qualifient le SERVQUAL de « technique influente ».

171

constituent pas une mesure objective, il s’agit d’un construit, en relation avec les actions et les

objectifs fixés par l’organisation.

Comme nous pouvons le remarquer, ces indicateurs de la performance qualitative présentés

par l’équipe de Zeithaml et al., (1988) concernent aussi bien l’objet ou le produit de la relation

que le processus de son élaboration. C’est à dire, l’interaction avec toutes ses composantes au

sens goffmanien, techniques, contractuelles et relationnelles.

Pour piloter cette performance, l’entreprise mobilise deux moyens : le premier est donc

l’administration des enquêtes de satisfaction auprès des clients afin d’évaluer la performance

qualitative générale de l’entreprise. Le second, comme dans le cas de la performance

quantitative, l’entreprise fixe auprès de ses agents des objectifs qualitatifs à réaliser, dont le

suivi individuel est permis par les pratiques de contrôle citées auparavant, consistant à

surveiller (observer et écouter) l’agent pendant l’interaction, en examinant le contenu

technique et relationnel. D’autres pratiques viennent compléter l’évaluation de la performance

tels que le suivi des plaintes reçues. En effet, comme nous l’avons évoqué dans le titre parlant

du contrôle des salariés (Hanique et Jobert, 2002 ; Jeantet, 2003 ; Guérin, 2005, etc.), le client

joue également le rôle de contrôleur, et l’organisation s’appuie sur son feed-back pour

apprécier la performance de ses agents.

A l’aune de ce que nous avons présenté, globalement les objectifs de performance de

l’entreprise de service sont de nature double : traiter le plus grand nombre possible de

relations tout en maintenant une relation durable avec les clients. Cependant, et bien que

l’existence, à la fois, des critères quantitatifs et qualitatifs pour évaluer la performance est bel

et bien légitime, leur cohabitation et rapportée par la quasi-totalité des auteurs comme

difficile, voire contradictoire. Cette idée a interpellé de nombreux observateurs, qui voient

dans cette équation une position intenable pour le salarié. Voyons donc en quoi consiste cette

contradiction entre les deux critères.

2.3. La performance qualitative et la performance quantitative : une

cohabitation qualifiée de paradoxale

Comme nous pouvons le remarquer, chacun des deux critères permettant l’évaluation de la

performance de la relation de service présente des faiblesses et des limites. C’est ce qui

172

légitime la coexistence des deux modalités dans les entreprises de service. Cependant, cela ne

permet pas pour autant de dire que la présence de l’un permet de combler les failles de l’autre.

Au contraire, les avis des auteurs convergent vers l’idée selon laquelle, la complémentarité

visée au départ par l’organisation en instaurant les deux critères ne se vérifie pas et se traduit

généralement par une tension et une contradiction entre ces deux critères. Cette opposition

entre les deux critères est présente essentiellement dans l’univers de contact client, et consiste

en une confusion entre la logique commerciale au sens industrialiste, visant à vendre le

maximum de produits (relations) par rapport aux concurrents, dont les effets sont appréciés à

court terme, et la logique qualitative qui veut que pour maintenir cet objectif quantitatif à long

terme, une relation durable avec les clients s’impose, d’où l’impératif, de la qualité de la

relation qui donne son sens à la notion de prestation de service (Zarifian, 2002).

Pour expliquer le problème de la contradiction entre les deux critères, Hubault et Bourgois

(2001), affirment que l’utilisation du critère quantitatif (le rendement) pour évaluer la

performance nuit à la qualité des prestations. Pour eux, l’astuce du contournement de la

performance de la relation de service en l’évaluant sur un critère quantitatif ne règle pas tous

les problèmes de la performance du service. Ils rappellent alors que l’intensité du travail qui

accompagne ce processus détériore la qualité de la relation, dégrade les conditions et le

développement personnel et professionnel des agents. D’où le recours des organisations à

la complexification dans l’évaluation de la performance qui se traduit par l’intégration d’une

analyse multicritères qui distingue tangibles et non tangibles, en mobilisant à la fois, des

critères quantitatifs et des critères qualitatifs. En fait, ce sont ces même raisons qui ont

conduit les directions des hôpitaux, d’après Gadrey (2002), à revoir leurs grilles d’évaluation

pour y introduire des indicateurs qualitatifs. Cependant, pour Hubault et Bourgois (2001), « si

cela permet bien d’évaluer des critères spécifiques, cela ne permet pas de les relier entre eux,

de sorte que, paradoxalement, la compréhension du caractère systémique de la performance

ne progresse pas, et cela contribue finalement à opposer plus nettement productivité et

qualité. Les agents se retrouvent donc pris entre des exigences et des logiques

contradictoires : vitesse et confort, accueil individualisé et gestion de la file d’attente, vente et

fidélisation,… » (ibid., p.15).

En effet, malgré la diversité des sensibilités et des courants, la majorité des travaux parcourus

ont fait allusion à un moment donné à cette problématique autour de la tension

quantité/qualité, en la présentant comme préoccupante. Les idées de Gadrey (2002) et Zarifian

173

(2002) résument la plupart des préoccupations soulevées par les théoriciens de la relation de

service, en estimant que la question de la performance des service, les méthodes et les critères

de sa mesure, en toute évidence, doivent être soumises aux critiques. Pour ces auteurs

(Gadrey, 2002 ; Zarifian, 2002), plusieurs questionnements peuvent être soulevés : Quelle est

la définition de la performance dans les relations de service : Doit on récompenser le salarié

lorsqu’il vend un grand nombre de produits (nombre de relations traitées) ? Ou, lorsque la

qualité de la prestation fournie permet d’installer une relation positive et durable avec un

client, [que nous avons considéré comme client-référent, à la base de l’appréciation de la

valeur performance] dans le but de le fidéliser à l’entreprise?

Bien évidemment, ces questionnements soulèvent systématiquement d’autres problèmes

opérationnels, relatifs aux actions de pilotage de la performance en la déclinant sous forme

d’objectifs à réaliser par les salariés. Dans ce registre, la situation se présente comme

compliquée plus que jamais. Les auteurs (Buscatto, 2002 ; Jeantet, 2003 ; Guery et Mottay,

2003, Caveng et al., 2005 ; Caldéron, 2006 ; Feriel, 2007), rapportent que le pilotage prend la

forme d’injonctions contradictoires très contraignantes pour les salariés en contact avec la

clientèle. A titre d’exemple, les observations conduites par Caveng et al (2005), permettent de

rapporter cette contradiction dans les centres d’appels de manière bien détaillée : Il s’agit pour

ces salariés, de respecter des normes temporelles comme la durée des appels et de s’efforcer

en même temps de « faire du relationnel », pour « faire du chiffre ». Ils doivent à la fois ne

pas perdre leur temps afin d’améliorer leur rendement (nombre de relations / jours) (et ne pas

s’attirer de ce fait les reproches de leurs supérieurs), de ne pas manquer d’autres ventes

potentielles, mais aussi, prendre le temps minimum nécessaire pour établir un contact

agréable, mettre le client en confiance, faire naître sa sympathie ou sa compassion, le

persuader, voire le séduire. Comme nous pouvons le remarquer, le problème qui au cœur de

cette dialectique renvoie au fait que, logiquement, les deux objectifs ne peuvent pas être

réalisés en se positionnant de manière identique sur l’axe des temps.

Des constats similaires sont rapportés dans la littérature sur les guichets (Weller et Dubois,

2001 ; Jeantet, 2003 ; Valléry, 2004). Les auteurs font état de ce dilemme omniprésent,

consistant à gérer la file d’attente tout en essayant d’accorder une attention particulière à

chaque client. La première option incite les agent à privilégier un accueil et un traitement

rapide des demandes des clients. Quant au second objectif, il exige le contraire : écouter le

client, reformuler sa demande, analyser ses besoins, etc., donc, faire de la qualité pour le

174

fidéliser. Enfin, de son côté, Gadrey (2002) exprime également cette problématique liée à la

rencontre des deux critères. Si on reprend son exemple sur le secteur hospitalier, l’auteur

estime que le conflit autour des critères d’évaluation de la performance concerne d’un côté, la

productivité consistant à évaluer la performance selon le nombre de patients traités, et de

l’autre, évaluer la qualité selon la nature et la gravité des cas traités. Selon l’auteur, ces deux

critères ne sont pas compatibles dans le sens où le premier relève d’une logique de

productivité consistant à un traitement expéditif des flux des patients, et le second nécessite

de consacrer, au contraire, un temps plus considérable à chacun pour un diagnostic plus

approfondi.

Ces cas recensés montrent bien la tension qui naît de ce double objectif, traiter un grand

nombre de relations/ventes tout en restant soucieux de la qualité du service fourni. Il en

ressort que l’atteinte (ou non) de ces deux objectifs dépend étroitement de la manière dont la

« variable temporelle » est utilisée par le salarié. D’une part, la performance qui

correspondant à la productivité (critère quantitatif) exhorte le salariés à traiter le plus grand

nombre possible de relations. Ceci n’est possible que s’il écourte le temps de l’interaction

pour chacune des relations qu’il a à traiter. D’autre part, la performance ayant pour souci la

satisfaction du client afin d’installer une relation positive avec ce dernier et le fidéliser (critère

qualitatif), exige à allouer une attention particulière à son cas pendant la situation

d’interaction, en accordant un soin particulier à toutes les dimensions composant cette

dernière. Cela n’est possible que si la variable temps ne vient pas contraindre le travail de

l’agent. La durée de la relation (le temps qui lui est consacré) est déterminante dans le niveau

de qualité de la prestation fournie, pour ne pas dire que les deux notions (temps / qualité) vont

de pair.

Ainsi, la contradiction des deux critères, arbitré par la variable temporelle, trouve tout son

sens dans l’équation de Gadrey (2002, p. 69) annonçant que la productivité du travail (ainsi

mesurée) progresse quand on traite plus de relations par heure de travail, elle régresse sinon.

Pour terminer cette présentation sur la contradiction entre les deux critères de performance,

nous souhaitons apporter une précision concernant un point qui nous semble très important et

que l’ont peut restituer comme suit . Nous avons déjà évoqué, en parlant des travaux de

Rascol-Boutard et Amans (2007) et Zorgati et Lakhal (2009) qu’il existerait bien une relation

positive entre la qualité et la logique quantitative. Celle-ci tient au fait que la qualité d’une

prestation est supposée poursuivie par l’organisation pour servir la logique commerciale, c’est

175

à dire, fidéliser et attirer un grand nombre de clients et ainsi augmenter la quantité des

relations à traiter. Pour dire les choses autrement, l’idée est que la qualité engendre la

quantité. Dans la perspective que nous avons développé ci-dessus, l’unité d’analyse observée

est légèrement différente et cela change complètement la donne. On s’est placé plutôt au

niveau d’une même relation (et non entre plusieurs relations). La contradiction entre les deux

critères de performance y surgit car ils sont appliqués simultanément à l’évaluation d’une

seule et même relation, selon l’expression « il faut faire vite et bien ». On sait que la

coproduction de service est, à la fois, un processus et son produit (cf. supra). Toutefois, la

performance qualitative concerne le processus (situation d’interaction) et le produit final. La

performance quantitative concerne le rendement de l’agent, à travers le temps

consacré/consommé par le processus (interaction), et la finalité de la coproduction

(conclusion ou non d’un accord de vente / traitement classé ou non de la relation, etc.). Donc,

la contradiction intervient au moment où la qualité et la quantité sont recherchées

simultanément dans une même relation.

Le paradoxe émergent de la rencontre entre ces deux critères reflète en réalité une

contradiction déjà existant et caractérisant la relation de service. Il s’agit du conflit de

logiques entre la logique industrialiste et la logique de service, qui rappelons le, consiste dans

la confrontation de logiques évoluant en sens opposés en termes de conceptualisation de la

relation de service et des modes opératoires associés à chacune des deux logiques.

2.4 Un paradoxe qui reflète l’opposition « logique industrialiste vs logique de

service ».

Les auteurs semblent n’avoir aucun doute sur le fait que la contradiction entre les deux

critères de performance soit liée directement à celle observée entre la logique industrialiste et

la logique de service, à l’instar de Guery et Mottay (2003) qui imputent directement la forte

tension entre productivité et qualité de service à la rationalisation industrielle du travail que

connaît les relations de service.

Les concepts et les idées industrialistes ambitionnent la rationalisation des modes opératoires

à travers la prescription, la standardisation, le contrôle, etc., permis notamment par les NTIC.

Ils sont présentés par les auteurs comme introduits dans le processus de coproduction

essentiellement pour en tirer une meilleure productivité. D’ailleurs, c’est ce que l’on peut

176

comprendre lorsque nous avons soutenu que la rationalisation des modes opératoires a pour

objet le préétablissement des procédures afin de minimiser les incertitudes et éviter les risques

pouvant mettre à mal le cours de l’interaction (rallongement du temps) ainsi que la conclusion

de la relation. Ceci permet à l’organisation une meilleure exploitation des ressources en

réduisant les coûts (temporels notamment) de production, c’est à dire l’augmentation de la

productivité (critère quantitatif) des salariés. C’est ce que défend Gadrey (2002), après avoir

annoncé que le but de l’organisation à travers la prévision de procédures qui rationnalisent la

relation de service est l’augmentation de la productivité des salariés, il indique clairement que

cet objectif de productivité (critère de rendement /quantitatif) est issu directement du système

industriel. Dans la même perspective, Durand (2004) [in Omrane et Bouillon 2004], constate

dans la tendance générale à la mise en flux des services, une logique de réduction de coûts

tout à fait similaire à celle qui touche la production industrielle, consistant à augmenter le

nombre de relations de services traitées par unité de temps de travail des salariés. De son côté,

Zarifian (2002) adjoint à l’optique industrialiste l’esprit commercial sous-jacent et rappelle au

passage les conséquences sur la qualité de la prestation. Selon l’auteur, la performance

quantitative est tirée d’une logique commerciale au sens industrialiste, visant à vendre le

maximum de produits/ relations traitées. Ceci se traduit par une pression sur le comportement

de l’agent, qui fait le maximum pour vendre une grande quantité de produit (ou traiter un

grand nombre de relations), au détriment du temps consacré aux clients, ce qui peut nuire à

cette relation, et ne pas garder le client pour une longue durée. Ainsi, la logique de rentabilité

à brève échéance (court terme) peut l’emporter sur l’établissement d’une relation de service à

long terme.

Dans le sens inverse, ces auteurs (cité ci-dessus), sont également unanimes pour considérer le

critère qualitatif comme imposé et lié à la logique de service. En effet, comme nous l’avons

soutenu tout au long de ce chapitre, la logique de service met en avant le critère de la

satisfaction du client (qui, rappelons le, traduit le critère de qualité), comme étant l’objectif

premier afin de garantir une relation positive et durable avec ce dernier. Cela est possible en

privilégiant le modèle de compétence qui laisse une marge d’autonomie significative aux

agents (pour mobiliser leurs compétences spécifiques), concourant à la personnalisation des

méthodes de travail et des produits afin d’assurer une qualité de service adaptable aux

caractéristiques individuelles de chaque client.

177

Pour conclure cette partie sur la contradiction des critères de performance, nous souhaitons

attirer votre attention à propos de certaines remarques soulignées précédemment (émises par

Combes, 2002 ; Colin et al., 2009 et Gadrey, 2002) (cf. point 3.2.1). A notre sens, ces

remarques imposent la prudence et nous obligent à pointer une certaine nuance à propos de ce

lien restrictif et systématique entre la logique industrialiste et le critère quantitatif. Ces auteurs

indiquent qu’en plus des NTIC, les méthodes industrialistes peuvent avoir un impact positif -

même minime- sur la qualité de la relation (un bon outillage de la relation permettant la

modernisation, le développement d’une offre de services dématérialisés, etc.). Dans cette

perspective, d’autres auteurs ont rapporté que la pratique de contrôle a, aussi, pour objectif de

faire monter en compétence les agents au niveau du contenu de l’interaction (Pichault et Zune,

2000) et des comportements (Ben fekih-Aissi, 2010). Ces remarques nous conduisent à ne pas

dire que la logique industrialiste exclue catégoriquement tout souci autour de la qualité du

service rendu, en se préoccupant uniquement de la quantité. Ainsi, il serait plus prudent de

dire que la logique industrialiste privilégie la quantité sans prétendre qu’elle exclue

définitivement la qualité.

Conclusion du chapitre 2

Les différentes idées évoquées et analysées dans ce chapitre ont fait ressortir que l’univers du

contact est caractérisé par un contexte particulièrement délicat, empreint d’évènements, de

singularités et d’imprévu. Ces raisons conduisent les auteurs à dire que le travail dans les

relations de service se distingue nettement de celui observé dans les autres secteurs.

La logique de service et la logique industrialiste qui interviennent dans le traitement des

coproductions rentrent souvent en conflit. Ce dernier s’observe notamment dans la

contradiction des critères de mesure de la performance, où la variable temporelle ne joue pas

dans le même sens qu’il s’agit de la performance quantitative ou qualitative.

178

Ainsi, la diversité et la complexité des situations de coproduction, conjuguées à la quête d’un

équilibre entre la performance quantitative et qualitative, donnent lieu à une équation

particulièrement difficile à résoudre. Ceci amène les organisations à mobiliser à la fois, les

compétences individuelles des salariés et la rationalisation des procédées via la prescription

des modes opératoires. Cependant, la dynamique du contexte des relations de service remet

sans cesse en cause les compétences individuelles des salariés. Quant à la rationalisation des

modes opératoires, face à la multiplicité et l’imprévisibilité des cas et des comportements des

clients, la prescription reste incomplète et fait creuser de ce fait un écart entre travail réel et

travail prescrit.

Ces limites inhérentes aux deux modèles font que la combinaison de ces derniers ne permet

pas souvent de répondre aux objectifs de performance dans les relations de service. C’est ainsi

qu’une troisième ressource productive intervient pour remédier aux déficiences que présentent

les deux modèles précédents. Il s’agit des CP qui émergent suite aux interactions des salariés

en quête de nouvelles connaissances et pratiques, afin de pouvoir faire face aux difficultés

rencontrées dans leur travail quotidien et se rapprocher des objectifs de performance exigés.

C’est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.

179

Chapitre 3. Apport des CP à la Performance dans les

services. Quels enseignements pour la GRH ? Introduction

C’est dans ce troisième chapitre que nous interrogeons le lien qu’entretient la CP et la

performance de ses membres dans les relations de service, et nous essayerons de tirer

quelques enseignements pour la GRH dans les organisations.

Comme nous l’avons remarqué dans les différentes idées mobilisées dans le premier chapitre,

les travaux portant sur les CP cultivent généralement une idée positive à propos de ces

groupes. Les auteurs indiquent que les apports potentiels des CP sont positifs pour leurs

membres ainsi que pour l’organisation. Cependant, rares sont les auteurs ayant tenté de

montrer explicitement la contribution des CP en termes de performance (Lesser et Storck,

2001 ; Mc Dermott, 2002 ; Schenkel et Teigland, 2008, Hemmasi et Csanda, 2009).

Tous ces auteurs ont utilisé les concepts de l’apprentissage et de l’échange des connaissances

comme des variables intermédiaires permettant de rendre compte et de cristalliser ce lien entre

la CP et la performance. Toutefois, il faut préciser que la majorité de ces auteurs ont travaillé

sur des CP intentionnellement créées.

Dans le contexte spécifique des front-office des relations de service, peu d’auteurs ont posé

ces questions en utilisant explicitement le concept des CP (Wenger, 1998 ; Codello-Guijarro,

2004 ; Guérin, 2005 ; Grosjean, 2008). Cependant, plusieurs auteurs ont fait le constat de

l’existence d’une dynamique collective entre les agents d’accueil, qui interagissent de manière

informelle pour échanger des connaissances relatives à des situations vécues, afin de répondre

aux exigences situées de la relation de service.

Par ailleurs, la plupart des contributions sur les CP ont été inscrites dans le domaine de la

gestion des connaissances dans les organisations. En ce qui concerne la GRH, le terme de CP,

en tant que tel, n’a pas été rapproché de ce domaine par les auteurs, mais plusieurs indicateurs

permettent de faire un parallèle entre la dynamique qui caractérise la CP et certaines pratiques

180

de la GRH. Il s’est avéré alors que la CP peut jouer un rôle potentiellement important dans

certaines de ces pratiques.

Nous développerons les différentes idées que nous venons d’annoncer dans trois sections.

Dans la première section, avant de présenter et analyser certaines études ayant traité du lien

entre la CP et la performance, nous exposerons certaines réflexions autour du débat sur le lien

entre le processus d’apprentissage/partage des connaissances et la performance.

La deuxième section portera sur l’apport des CP à la performance de leurs membres dans les

relations de service. Nous commençons par montrer que les CP émergent pour permettre à

leurs membres de faire face aux difficultés qui caractérisent le contexte des relations de

service. Nous essayerons au passage d’expliquer que les finalités des interactions entre les

membres de la CP dépassent les simples phénomènes qui sont observés généralement chez

collectifs de travail, tels que la coopération et l’entraide. Nous continuons notre présentation

par l’analyse de quelques contributions afin de rendre compte de l’apport des CP en termes de

performance dans les front-office des entreprises de service.

Dans la troisième et dernière section, nous tenterons de dégager certains enseignements pour

la gestion des ressources humaines, en rapprochant le concept de CP des pratiques relatives à

l’intégration des nouvelles recrues, à la formation institutionnelle et l’appréciation des salariés

dans les organisations.

Section 1. Les perspectives expliquant le lien entre la CP et la

performance

Depuis son initiation par Lave et Wenger (1991), la théorie des CP est présentée comme une

théorie de l’apprentissage et de partage des connaissances104, avec l’idée sous-jacente que les

CP ont un impact positif sur la performance des participants et de l’organisation en général.

D’ailleurs, pour rappel, les études menées par les fondateurs de la pensée situationniste de

l’apprentissage (Cole et al., 1971 ; Scribner, 1984 ; Carraher et Schliemann, 1985 ; Miller et

Gildea, 1987 ; Lave (1988)) (cf. 1er chapitre) ont tous utilisé la notion de performance pour

rendre compte de l’efficacité de cette manière d’apprendre.

104 Le terme de « connaissance » tel qu’il est mobilisé ici englobe tous les types de savoirs, les savoir-faire, les pratiques, etc.

181

En effet, et bien que les précurseurs de la théorie des CP n’ont pas systématiquement explicité

dans leurs titres que la CP est un facteur de performance, ils évoquent cette idée comme étant

évidente et naturelle mais sans chercher à la démontrer. De plus, l’image très positive qui

accompagne la présentation du processus d’apprentissage et de partage des connaissances

dans ces groupes ne laisse aucun doute sur leur croyance et conviction à propos de la

dialectique donnant la CP comme génératrice de performance. Par la suite, la multiplication

des travaux prolongeant les premières réflexions, ont donné lieu à des publications incitant

explicitement les entreprises à cultiver les CP pour améliorer leur performance, en leur

proposant des méthodes pour les opérationnaliser (cf. 1er chapitre).

L’argument majeur utilisé pour justifier ce lien entre CP et performance est fondé sur la thèse,

qui fait presque l’unanimité chez les chercheurs et les praticiens, donnant l’apprentissage et le

partage des connaissances comme améliorant la performance des salariés et de l’organisation.

Nous interrogerons ce lien dans la première partie de cette section (1). Les idées qui ressortent

de ces travaux ont incité certains auteurs à utiliser les concepts de l’apprentissage et de

l’échange des connaissances comme des variables intermédiaires permettant de rendre compte

de ce lien entre la CP et la performance (Lesser et Storck, 2001 ; Mc Dermott, 2002 ;

Schenkel et Teigland, 2008, Hemmasi et Csanda, 2009) (2). Ceci est logique car, d’un côté, la

CP est soutenue comme une structure favorisant l’apprentissage et le transfert des savoirs, et

de l’autre, ces derniers sont amplement présentés par de grands chercheurs (Simon, Hatchuel,

Nonaka, Argyris, Shön, et d’autres) comme générateurs de performance pour l’organisation.

Enfin, il est à noter que Lesser et Stork (2001) ont développé une perspective relativement

différente. Même si l’apprentissage et le transfert des connaissances étaient aussi présents

dans leur argumentation, ils préfèrent mobiliser le concept de « Capital Social » comme étant

un des produits de la CP, avec l’idée selon laquelle, ce capital social est le vecteur de la

performance dans l’organisation (3).

1. Communautés de Pratique et impact sur la performance via

l’apprentissage, le partage des connaissance

1.1 Apprentissage, partage des connaissances et performance

La thèse donnant l’apprentissage et le partage des connaissances comme sources de

performance est considérée par les auteurs comme dominante. Mais, et bien que ce lien positif

soit toujours considéré comme vrai, la démonstration de cette causalité reste difficile à établir.

182

Le congrès de l’AIMS (2005) a organisé une table ronde pour interroger cette question. Les

interventions de F. Leroy et B. Berthon ne contestaient pas l’idée que l’apprentissage est

générateur de performance, car chacun a recensé les effets positifs et multiples de

l’apprentissage pour l’organisation, en termes de correction des erreurs, de génération, de

transfert des connaissances et d’expériences, d’adaptation à l’environnement et

d’augmentation de la productivité, etc., Toutefois, ils attirent l’attention sur le fait que ce lien

entre les deux est présenté souvent comme systématique, or la difficulté de la démonstration

appelle à relativiser ces conclusions. Le lien de causalité reste difficile à démontrer, en raison,

entre autres, de la difficulté et la complexité que recouvrent les deux notions. Il existe aussi

plusieurs formes de l’apprentissage, et de la performance est difficile à définir.

Parmi les auteurs les plus cités sur ce lien de causalité entre l’apprentissage et la performance,

on trouve la contribution de Popper et Lipshitz (2000)105, qui soutiennent clairement la thèse

du lien positif entre l’apprentissage (organisationnel) et la performance. Ils modèrent toutefois

leur propos en annonçant qu’« il est probablement plus cohérent de dire que la majorité des

études affirment que l’apprentissage est positif, mais une minorité significative, l’infirment »

(ibid., p, 186) (traduction personnelle). A propos de cette minorité, les auteurs rapportent,

entre autres, l’idée selon laquelle l’apprentissage produit dans certains cas des inférences

erronées. De son côté, Wonacott (2000) souligne la problématique des échéances. Après avoir

soutenu l’existence d’un lien positif entre l’apprentissage et la performance, l’auteur indique

(suivant les travaux de Bierema ; Fenwick ; Steiner) que ce lien bute sur la problématique des

échéances à laquelle la performance sera appréciée. Selon cet auteur, l’apprentissage nécessite

un temps relativement long. Il est donné souvent en conflit avec la logique du court terme qui

est souvent assimilée à la productivité et aux résultats. Il nous semble que cette idée trouve

tout son sens dans la fameuse « courbe d’apprentissage », qui est la représentation la plus

connue et utilisée pour schématiser ce processus et rendre compte des effet de

l’apprentissage106. Pour les auteurs la performance engendrée par l’apprentissage prend forme

essentiellement à long terme. Ceci correspondrait bien avec les tendances des pratiques

105 Les auteurs parlent en général de l’apprentissage organisationnel. Ils ont commencé leur contribution par exposer les similitudes et les différences entre l’apprentissage individuel et l’apprentissage organisationnel. Afin de résumer la relation entre les deux, ils ont emprunté entre autres, la citation de Simon 1991 “All Learning takes place in individual human heads, an organization learns in only two ways: (a) by learning of its members, or (b) by ingesting new members who have knowledge the organization previously did not have”. 106 Rappelons que la courbe d’apprentissage est utilisée pour montrer les effets de l’apprentissage, souvent en terme de productivité, en évaluant l’augmentation de la production par unité de temps. Cela dit, l’apprentissage permet d’atteindre les objectifs de performance recherchée, mais il nécessite un certain temps pour être réalisé.

183

organisationnelles actuelles, si on considère les observations de Bourhis et Tremblay (2004) :

« alors qu’on s’intéressait auparavant davantage à des gains de productivité directs, on

semble de plus en plus s’intéresser à l’apprentissage que l’on considère comme source

indirecte de gains de productivité ». (ibid. p, 11).

Popper et Lipshitz (2000) pensent que l’apprentissage engendre la performance. Toutefois, la

vraie question est quand l’apprentissage est susceptible d'être productif, à savoir, aboutir à la

détection et la correction d'erreurs. Pour eux, les mécanismes de l’apprentissage

organisationnel sont productifs lorsqu’ils sont intégrés dans la culture de l’entreprise, tel

qu’un système normatif de partage de valeurs et de croyances, qui façonnent la manière dont

les membres de l’organisation se sentent, pensent et se comportent.

Du côté des courants les plus récents, relevant du domaine de Knowledge Management, où la

perspective dominante est celle de la Ressources-Based View (RBV), le partage, la capture et

la codification des connaissances organisationnelles et son capital intellectuel sont considérés

comme particulièrement créateur de performance pour l’organisation (Hemmasi et Csanda,

2009) ; Cohendet et al., 2003 ; Byosière et Ingham, 2001 ; Lesser et Stork, 2001 ; Simoni,

2005 ; Mittendorff et al., 2006 ; etc.), ou encore, comme des sources produisant une haute

qualité décision qui à son tour permet la haute performance (Foote et al., 2002). C’est cette

idée dominante qui a incité les organisations à développer le management des connaissances,

en mettant en œuvre notamment des systèmes et des supports facilitant la création et le

partage des informations et connaissances.

Bien que là aussi le problème d’une identification précise du lien de causalité avec la

performance demeure, les opinions majoritaires défendent l’idée selon laquelle, le partage des

connaissances stimule la création de nouveaux produits et permet de s’écarter des standards

que proposent les marchés (Sampaio et Perrin, 2004). En effet, parmi les idées phares de ce

courant, on trouve la thèse selon laquelle l’ « innovation » et la « créativité » émergent à

travers les échanges de connaissances et d’expériences (Wonacott, 2000). Pour Nahapiet et

Goshal (1998), les échanges des informations dans un groupe / réseau constituent un capital

social partagé par ses membres, qui permet de développer un nouveau capital intellectuel

procurant à l’organisation des avantages concurrentiels.

Comme nous venons de le voir, que ce soit en terme d’apprentissage ou de transfert de

connaissances, bien que le lien de causalité reste difficile à démontrer, les idées dominantes

184

s’accordent pour dire que ces deux processus sont porteur de performance pour l’organisation.

Nous allons maintenant essayer de montrer que ces idées s’appliquent également sur les

processus qui se développent dans le modèle particulier des CP. Ceci nous permettra

d’amorcer ici l’idée selon laquelle, la CP contribue à la performance via l’apprentissage de ses

membres et les échanges des connaissances qui s’y déroulent.

1.2 Qu’en est-il du lien entre les mécanismes d’apprentissage se déroulant

dans les CP et la performance ?

Les apports de l’apprentissage et du transfert des connaissances en terme de performance tels

qu’ils sont rapportés ci-dessus par les auteurs concernent tous les niveaux et formes

d’apprentissage. Donc, ils s’appliquent aussi aux cas des CP où le processus d’apprentissage

et le partage de connaissances se déroulent suivant un modèle particulier, collectif, implicite

et situé (Smith et Tosey, 1999 ; Boud et Middleton, 2003 ; et d’autres).

Si on prend comme référence, par exemple, les critères généraux annoncés par Bjornavalod

(2001, p 34) comme déterminant la validité et la réussite d’un apprentissage, en l’occurrence,

- l’aptitude à remettre en question les faits établis,

- l’aptitude à définir et à clarifier des problèmes,

- l’aptitude à coopérer et à trouver des solutions possibles,

- l’aptitude à formuler et à appliquer des solutions,

il est clair que ces conditions relatives aux aptitudes sont pleinement remplies dans le modèle

des CP, tel que décrit et présenté par les auteurs (Wenger, 1998 ; Smith et Farquhar, 2000 ;

Mc dermott, 2001 ; Restler et Woolis, 2007 ; etc.). D’ailleurs, ce sont ces aptitudes mêmes qui

pour les auteurs font la pertinence du modèle de l’apprentissage dans les communautés de

pratique. Ce modèle est considéré par ces derniers comme offrant plus de possibilités et des

conditions meilleures aux apprenants, comparé aux modèles traditionnels qui, selon ces

auteurs, ne permettent pas vraiment cette flexibilité, du fait de la rigidité des systèmes

hiérarchiques sur lesquels ils reposent. (Nous reviendrons sur cette idée dans la dernière

section de ce chapitre).

En ce qui concerne le domaine de la gestion des connaissances, Hemmasi et Csanda (2009)

rapportent à propos de plusieurs auteurs, que les CP sont des structures pouvant prévenir

efficacement la perte des connaissances tacites associées au turnover des employés, en

fournissant les connexions nécessaires pour le transfert et la rétention des connaissances. Ils

185

rapportent également des études plus récentes effectuées par des sociétés de conseil qui ont

bien démontré que l’efficacité des CP réside dans leur capacité à produire de l’innovation.

Ainsi, et comme le soulignent Bourhis et Tremblay (2004), dans la lignée des idées

considérant l’apprentissage et l’élaboration des connaissances comme source indirecte de

performance, la CP se révèle comme un bon moyen pour le développement des savoirs

nécessaires au fonctionnement de l’organisation et permettant des gains de productivité. Du

côté de la nature des connaissances échangées dans les CP et leurs modes de transfert, comme

nous l’avons déjà vu dans le 1er chapitre, ils sont respectivement tacites et implicites,

fonctionnant selon un modèle dominé par une dialectique informelle (Lave et Wenger, 1991 ;

Brown et Duguid, 1991 ; Wenger, 1998 ; etc.).

Cependant, et étant donné que le lien de causalité entre l’apprentissage et le partage des

connaissances, d’un côté, et la performance, de l’autre, est difficile à démontrer, il est logique,

que le même cas de figure soit présent lorsqu’il s’agit de lier la CP et la performance via ces

processus. D’ailleurs, ils sont nombreux, à commencer par les précepteurs de la théorie des

CP, à annoncer que les apports intangibles des CP sont probablement les plus importants

mais aussi les plus difficiles à apprécier. Gongla et Rizzuto (2001) résument certains de ces

apports en citant entre autres, l’identification des experts et la facilité d’accéder à leurs

savoirs, la communication des connaissances tacites, le développement professionnel des

participants, le maintien de la mémoire organisationnelle, la qualité des conseils, etc.

Par ailleurs, cette difficulté de démontrer le lien de causalité n’a pas empêché quelques

auteurs (peu nombreux) de tenter de démontrer l’impact des CP sur la performance, en se

basant pour la plupart sur l’étude de CP intentionnellement crées, mais fonctionnant sur le

principe de l’informel et de l’autogestion par ses membres. Voyons donc certaines de ces

études empiriques ayant imputé une partie de la performance des individus, du groupe ou de

l’organisation, à la communauté de pratique. Nous terminerons notre présentation par l’étude

Lesser et Stork (2001) qui se présente comme une perspective à part entière, en utilisant la

notion de « capital social », vu comme produit par la CP et qui permet d’améliorer la

performance. Il nous semble que cette perspective pourrait enrichir les apports théoriques

mobilisés dans le premier chapitre sur le concept de CP. Pour ces raisons nous avons décidé

de lui consacrer une présentation plus détaillée dans un titre à part.

186

Il est à noter que, dans ce qui suit, les auteurs n’ont pas opéré une distinction entre la

performance qualitative et la performance quantitative. La plupart des entreprises étudiées

appartiennent au secteur industriel, où la problématique de la performance ne semble pas

poser des problèmes aux auteurs. Ils mobilisent donc une logique laissant entendre que la

qualité véhicule et engendre la quantité.

2. Quelques études de cas ayant tenté de montrer le lien entre CP et

Performance

La difficulté de mesure de la performance, de l’apprentissage, et du lien de causalité entre les

deux, fait que les rares études ayant avancé des arguments, parfois plus ou moins chiffrés,

sont toutes des études portant sur des CP virtuelles, intentionnellement crées. L’une des

méthodes suggérées par certains auteurs afin de montrer le lien entre CP et performance

consiste à utiliser la méthode dite « Retour Sur Investissement », proposée dans ce cadre là

initialement par Mc Dermott (2000), suivi par d’autres auteurs à l’instar de Gongla et Rizzuto

(2001), Millen, Fontaine et Muller (2001), Loyarte et Rivera (2007), et d’autres.

Le principe de la méthode est simple. Il est résumé par Gongla et Rizzuto (2001) comme

suit (traduction personnelle):

- Coûts : Quels sont les coûts de lancement et d’entretien d’une CP ?

- Valeur : Quelle est la valeur engendrée par la communauté pour ses membres et quels sont

les bénéfices pour l’organisation?

L’idée donc revient à estimer le coût des ressources injectées par l’organisation pour

permettre à la CP virtuelle de fonctionner pendant une période donnée (selon la littérature,

cela peut prendre quelques années107). Puis, on évalue si les bénéfices financiers de

l’entreprise ont augmenté ou pas, avec la méthode classique permettant de calculer la « valeur

actuelle nette », en déduisant les sommes investies pour le lancement et l’entretien de ces

communautés.

L’intérêt de calculer les coûts d’installation d’une CP et d’évaluer le retour sur cet

investissement est particulièrement intéressant pour les entreprises estimant que

107 Dans le cas des CP intentionnellement créées, cela s’explique par le fait que leur processus de construction traverse plusieurs étapes successives. D’après Mc Dermott (2000), Gongla et Rizutto (2001), il existe cinq étapes : Potential Stage, Building Stage, Engaged Stage, Active Stage, Adaptive Stage. (cf. Gogla et Rizutto (2001)) pour plus de détails à propos des caractéristiques de chacune des étapes).

187

l’implantation de la CP relève d’une nécessité. C’est à dire, les entreprises pour innover ont

besoin de faciliter l’apprentissage de leurs membres, et de résoudre des problèmes en créant

et transférant des connaissances. (Loyarte et Rivera, 2007). L’implantation de la CP est un

processus important et générateur de changements organisationnels, dont le coût doit être

mesuré afin que l’organisation puisse évaluer si une CP est la solution pour atteindre ses

objectifs et si la culture de cette CP n'apportera pas plus de coûts que de bénéfices.

2.1 La CP comme permettant des économies de temps et des coûts

d’exploitation

La plupart des études menées par les auteurs (Mc Dermott ,2000, 2001 ; Gongla et Rizzuto,

2001 ; Millen et al., 2001 ; Fontaine, 2003), sur les apports de l’apprentissage communautaire

en terme de performance, font apparaître comme premier résultat la « réduction des coûts

d’exploitation » pour l’organisation. Bien évidemment, les estimations varient selon les cas,

car la difficulté de mesure, elle est commune. Dans ce registre, Mc Dermott (2001) indique

que la valeur de la CP est difficile à mesurer directement car elle change d’une personne à une

autre, et d’une unité à une autre. La meilleure solution semble toutefois être de questionner les

participants et tenter de convertir les informations collectées en terme monétaire. Par

exemple, il rapporte que les salariés de British Petroleum qui ont bénéficié d’un dispositif de

CP qui leur a permis de multiplier les échanges, annoncent que grâce à ce dispositif ils

réussissent à obtenir des informations dans un temps réduit, comparé aux processus anciens et

aux canaux traditionnels qu’ils mobilisaient pour la recherche d’information. Donc, il y a bien

une économie du temps. L’auteur suggère alors de multiplier ce temps économisé par le coût

du travail, ainsi, on obtient le montant approximatif des économies réalisées. Il propose même

une formule pour le calcul : « Estimated savings x percent attributable to the community x the

degree of certainty = Reported savings ». (ibid., p. 5). L’auteur ne prétend pas que cette

méthode puisse permettre d’évaluer précisément les économies réalisées, mais elle permet

d’avoir une évaluation approximative de ce que l’apprentissage et l’échange dans les CP

peuvent rapporter. Les estimations réalisées par l’auteur dans ses études empiriques l’ont

amener à conclure d’une manière générale, que la CP permet la réduction des coûts

d'exploitation, le raccourcissement du temps de développement de produits et l’accroissement

de la possibilité de pénétrer de nouveaux marchés.

De leur côté, Millen et al., (2001), mobilisent également l’approche de « retour sur

investissement ». Ils rappellent que contrairement à l’évaluation des coûts d’installation d’une

188

CP qui est relativement simple à calculer, l’estimation des performances engendrées est

beaucoup plus compliquée. Ainsi, l’appui sur les déclarations des membres de la communauté

est nécessaire pour comprendre si et comment la CP engendre la performance. Ils rapportent

dans leur article quelques verbatim des salariés, censés représenter les avis convergeant des

acteurs : « C'est le fait que nous ne devons pas réinventer la roue à chaque fois. Si nous

partageons nos informations, je peux utiliser ce que quelqu’un d’autre a appris dans le même

domaine, ce qui me permettrait d’économiser 80 heures de travail en le faisant moi-même. En

plus de l’économie du temps, cela améliore également l'efficacité de la livraison du

matériel »108. (ibid., p. 4) (traduction personnelle). Comme dans le cas précédent, l’idée que

les auteurs souhaitent expliquer à travers ces verbatims est qu’une économie est réalisée à

travers le temps épargné grâce aux échanges des feedbacks dans la communauté (à propos des

procédures de travail déjà testées, etc.). L’expression : « éviter de réinventer la roue » (avoid

reinvening the wheel), est utilisée par plusieurs auteurs pour expliquer les apports de la CP, à

l’instar de Lesser et Stork (2001), Wenger, Mc Dermott et Snyder (2002), et d’autres.

Dans les cas que nous venons de rapporter, il est clair que les auteurs diversifient et se

rabattent notamment sur les outils de la méthodologie qualitative pour compléter et expliquer

d’avantage les manières dont les CP génèrent des bénéfices pour l’entreprise. D’autres auteurs

ont procédés par questionnaires pour faire ressortir les avantages que procurent une CP.

Voyons maintenant l’essentiel de ces contributions.

2.2 L’appréciation des apports des CP (intentionnellement crées) par la

méthode des questionnaires

L’enquête menée par Fontaine et son équipe (2003) donne des résultats comparables à ceux

que nous avons vu précédemment. Leur démarche méthodologique correspond à

l’administration d’un questionnaire de satisfaction aux « employés » de chez IBM, qui a

connu l’implantation d’une CP. Deux grands volets du questionnaire sont utilisés pour tester

le lien entre CP et performance. Le premier consiste à questionner les sondés sur les bénéfices

« directs » de la CP pour l’organisation. Le second concerne les apports de la CP pour les

membres eux-mêmes, et qui sont considérés comme des bénéfices « indirects » pour

108 Un autre salarié a déclaré qu’« il est probable dans 50% des cas que vous trouverez quelqu'un d'autre qui rencontré et résolu un problème similaire. Fondamentalement, cela peut économiser beaucoup de travail » (ibid., p ; 4) (traduction personnelle).

189

l’entreprise. D’après les auteurs, les résultats permettent de découvrir plus d’une trentaine de

bénéfices attribuables dans une certaine proportion à la CP, en précisant au passage que 67%

des répondants ont indiqué que les CP ont un effet positif sur l’efficacité opérationnelle. Les

bénéfices sont répartis donc en deux catégories, les plus significatifs pour l’« entreprise » sont

la contribution à l’amélioration de la satisfaction client, la croissance des ventes et à la

réduction des coûts d’exploitation. Concernant l’estimation financière, l’auteur se rapporte

aux verbatim issus des interviews réalisées avec les acteurs concernés, où ces derniers

déclarent que, depuis la mise en place des CP109, les retombées avoisinent les deux milliards

de dollars110. Les économies réalisées s’élèvent elle à deux millions de dollars. Concernant les

apports indirects, ils concernent l’impact sur le travail des salariés et les processus de

production, avec essentiellement une augmentation du taux de satisfaction au travail, des

économies de temps, une amélioration de savoir faire, une stimulation et multiplication du

partage des connaissances, la résolution des problèmes et l’atteinte de consensus dans la

qualité de jugement. On note ici que les performances pour le groupe sont davantage

qualitatives (à l’exception des économies de temps), comparés aux apports directs pour

l’organisation où les auteurs mettent en exergue surtout des avantages quantitatifs.

Avant de continuer, nous souhaitons attirer votre attention sur un point qui nous semble

intéressant de souligner. Les auteurs des études de cas qu’on vient de rapporter ci-dessus, sont

des consultants ou des salariés qui travaillent pour un centre de recherche d’IBM111 (qui

propose des logiciels informatiques permettant de mettre en place des CP virtuelles). Cela dit,

il faut garder en tête que leur positionnement n’est pas tout à fait neutre comparé au

positionnement des universitaires n’ayant pas un intérêt particulier à vendre les bénéfices

d’une CP. Donc, il faut être prudent en essayant de modérer les propos des auteurs qui

peuvent paraître parfois excessifs, tels que les gains annoncés se chiffrant en milliards de

dollars. Mais cela ne remet pas totalement en question les apports de leurs résultats ni la

richesse des apports théoriques et empiriques issus de leurs études.

109 Notons que le rapport ne précise pas depuis quand ni la durée sur laquelle l’enquête est menée. 110 Il est à préciser que ces chiffres doivent être relativisés car ils prennent en compte dans leur calcul certains éléments tels que « le montant des contrats (se chiffrant en millions) » que les acteurs estiment avoir décroché grâce aux échanges dans la CP. 111 Mc Dermott (Mc Dermott consulting), Loyarte (Financial and Quality Manager of VICOMTech); Gongla et Rizzuto , Millen et Muller travaillant dans le centre de recherche d’IBM, et Fontaine est le directeur de l’institut de Knowledge-Based Organizations d’IBM.

190

Sans parler en terme de retour sur investissement, mais dans une perspective similaire à celle

qu’on vient de voir (interroger les salariés via un questionnaire), Hemmasi et Csanda (2009)

ont cherché à montrer l’efficacité des CP, intentionnellement mises en place par une grande

compagnie. Les auteurs insistent sur le fait que ce sont des CP autodirigées et menées par

leurs membres, sans manager ou un représentant officiel de l’entreprise.

579 employés participent à quatre-vingt CP actives mises en place dans cette organisation.

Les résultats montrent que l'adhésion et l'engagement actif dans les activités communautaires

ont tendance à améliorer l'impact direct de la CP sur la performance au travail des

participants. Les données quantitatives sont les suivantes :

Response rate : 37%.

Job impact: R² = 0, 615 (avec 79,9% de réponses favorables)

Community effectiveness: R² = 0, 600 (avec 92,2% de réponses favorables)

Community satisfaction112: R² = 0, 776. (avec 79,4% de réponses favorables)

Le seuil de confiance, alpha </ou = à 0,01.

Sans rentrer dans les détails concernant l’interprétation des résultats présentés par ces auteurs,

nous pouvons dire que les indicateurs sont significatifs, et que les coefficients de

détermination R² témoignent d’une forte relation entre la CP et la performance. Cependant, si

le seuil de confiance se présentent comme très acceptable, on ne peut pas dire de même à

propos du taux de réponse qui ne dépasse pas les 50% ce qui limite la possibilité de

généraliser les résultats obtenus, mais ne remet pas en cause leur pertinence.

Jusqu’à présent nous avons présenté des études réalisées sur des CP intentionnellement crées.

Dans ce qui suit, nous présentons une étude sur des CP émergentes, et dont les résultats

convergent avec les précédents, avec un accent mis sur les interactions en face à face et inter

CP.

112 En plus de ces résultats, les auteurs annoncent également que la CP augmente la motivation (au travail) des participants. En fait, plusieurs auteurs (Thompson, 2005 ; Loyarte et Rivera, 2007 ; Mittendorff et al., 2006 ; Hemmasi et Csanda, 2009 ; et d’autres ) ont estimé que la CP est un levier permettant la motivation des salariés. Cependant, nous avons décidé dans notre travail de l’évoquer seulement sans l’approfondir, vue l’ampleur du champs théorique autour de ce concept que ce soit en psychologie ou en sciences de gestion.

191

2.3 La performance dépend aussi des interactions inter-CP

Dans le registre des CP émergentes, la contribution de Schenkel et Teigland (2008)

(« Improved organizational performance through communities of practice »), fait

probablement partie des meilleures démonstrations du lien positif entre CP et performance. A

travers leur étude empirique, les auteurs montrent à la fois l’intérêt des communications

informelles en « « face-à-face » et le besoin des salariés d’interagir, non seulement au niveau

intra-communautaire, mais aussi avec les membres des autres CP pour trouver des solutions

aux problèmes rencontrés. Ceci nous rappelle le concept de l’organisation apprenante selon la

conception de Brown et Duguid (1989), ou celui de la constellation des CP de Wenger (1998).

Nous estimons qu’un petit résumé mérite bien d’être exposé ici. Les auteurs ont étudié quatre

CP évoluant dans une grande entreprise d’architecture spécialisée dans la construction des

ponts (Sundlink Contractors).

Pour l’identification des communautés cohabitant dans l’organisation, Schenkel et Teigland

ont pris comme base les définitions originales avancées par Lave et Wenger (1991),

présentées comme des structures fluides et informelles dont l’apprentissage se fait

continuellement par la négociation de sens et l’échange des connaissances, (Wenger, 1998),

essentiellement tacites (Brown et Duguid, 1991). Ils ont choisi d’observer des sections dans

les départements des opérations, et ont identifié les CP opérant sous un flux continu de

problèmes émergents ou de situations équivoques113, qui selon la théorie des CP est la

principale raison de leur existence. Les auteurs ne renvoient pas à une référence précise à

propos de cette dernière phrase, mais cela correspond parfaitement à ce que nous avions

présenté dans le premier chapitre, où nous avons soutenu l’idée selon laquelle, l’organisation

institutionnelle est incapable de prescrire des procédures et des modes opératoires permettant

de répondre à toute sorte de situations rencontrées par les acteurs, et c’est ce qui incitent les

CP à émerger et développer des pratiques plus adaptées aux situations imprévues (Brown et

Duguid, 1989 ; Wenger, 1998 ; et d’autres). (cf. 1er chapitre. 3.2).

Durant cette étude, les auteurs se sont focalisés sur l’intérêt de ces connaissances tacites et les

moyens de les transférer sur le terrain, en soulignant qu’une part encore plus grande des

connaissances précieuses au sein de l’organisation est tacite ou implicite, et que les moyens

les plus efficaces pour les transférer consistent avant tout à ne pas les codifier, et à les

transférer plutôt à travers un mode implicite. D’après les auteurs, bien qu’il existe dans

l’organisation étudiée des réunions formelles occasionnelles, la plupart des échanges entre les

113 Appelées « déviations » dans le jargon de l’organisation étudiée.

192

salariés à propos des problèmes rencontrés dans la construction des ponts se font de manière

informelle et en « face-à-face ». Ceci constitue d’après les acteurs concernés un mode

essentiel et incontournable dans leur activité, leur permettant d’exposer les problèmes, de

discuter des feedbacks et trouver des solutions par la suite.

La performance de l’organisation est mesurée à travers la productivité, mais cette dernière

dépend de la qualité. Un pont mal réalisé (mauvaise qualité) oblige l’entreprise à le

retravailler et c’est ce qui fait baisser sa productivité. Pour mesurer cette performance, l’outil

utilisé par l’organisation et repris par les chercheurs est la « courbe d’apprentissage ». Ils ont

donc observé l’évolution des courbes d’apprentissage (relatives à quatre CP cohabitant dans

l’entreprise) sur un période de deux ans. L’interprétation des courbes d’apprentissage

observées indique que trois CP, fonctionnant dans des conditions stables, ont amélioré leurs

performances. Seule la CP qui a connu des changements au niveau de ses canaux de

communication en raison d'un déplacement physique (éloignement des autres membres de

l’organisation), n'a jamais été capable de retrouver sa capacité antérieure à améliorer

continuellement sa productivité. D’après les interviews menées avec les acteurs concernés et

les autres responsables de l’organisation, la distance physique fait que les rencontres en face-

à-face étaient devenues très rares et n’étaient possibles que dans le cadre des réunions

formelles, qui n’avaient lieu que très occasionnellement. Ceci indique, selon les auteurs, la

forte relation entre les communications informelles se déroulant en face-à-face et la

performance des salariés. Nous pensons que l’autre enseignement important ressortant de

cette étude est le rôle des courtiers (Wenger, 1998) dans la performance. Leur absence ici, ou

plutôt, leur capacité réduite à se déplacer d’une CP à une autre pour pouvoir transférer les

objets frontières, fait que la CP isolée ici, n’a pas réussi à intégrer de nouveaux artefacts dans

son répertoire partagé.

Les quelques études de cas rapportées ici, nous ont montré qu’à partir des méthodes

différentes, les résultats obtenus sont très proches et annoncent tous que la CP permet

d’améliorer la performance de ses membres, et de fait, celle de l’organisation. Les arguments

mis en avant par les auteurs sont divers. Ils concernent des mécanismes présentés tantôt

comme des intermédiaires permettant d’améliorer la performance, tantôt comme une

performance en soi. Nous reviendrons sur ces éléments pour en faire une synthèse après la

présentation de la perspective du capital social et l’étude de cas réalisé par les auteurs Lesser

et Stork (2001).

193

3. La CP améliore la performance par le développement du Capital Social :

La perspective de Lesser et Stork (2001).

La perspective liant la CP à la performance par l’intermédiaire du « capital social » est initiée

par Lesser et Stork (2001). Pour montrer la façon dont les CP créent de la valeur pour

l’organisation, les auteurs proposent une réflexion sur la communauté comme moteur pour le

développement du capital social. Ils pensent que ce dernier qui réside dans les communautés

de pratique conduit aux changements de comportement, qui à leur tours influencent

positivement la performance des entreprises (ibid., p, 833). Cette idée est largement reprise et

citée dans la littérature sur les CP114, mais, et hormis son utilisation par les autres auteurs

comme une idée intéressante et convenue, nous n’avons pas observé des prolongements

significatifs autour de cette réflexion. Cependant, la perspective de Lesser et Stork n’est pas

étrangère à celle de l’apprentissage et le partage des connaissances, car ils rappellent que cette

fonction se déroule dans les CP et qu’elle est génératrice de performance. Toutefois ils

utilisent ces processus comme le phénomène permettant la création du capital social, qui à son

tour contribue à la performance de l’entreprise.

3.1 Le « capital social » comme source de performance dans l’organisation

Le concept de « capital social » a fait l’objet de plusieurs travaux, notamment en sociologie

dont il est issu, et il a été influencé par la dialectique groupe – individu qui traverse cette

discipline (Baret, 2006). Dès lors, il n’est pas surprenant de voir ce concept réapproprié dans

le registre des CP, d’autant plus que, si on se réfère à l’article de Nahapiet et Ghoshal (1998)

qui fait référence dans ce champ, le concept de capital social est apparu initialement dans les

études sur les communautés, en soulignant l’importance centrale - pour la survie et le

fonctionnement des quartiers de la ville- des réseaux de relations transversales personnelles

développées au fil du temps. Ces relations fournissent la base de la confiance, de la

coopération et de l’action collective dans ces communautés. Ces auteurs définissent le capital

social comme « la somme des ressources actuelles ou potentielles encastrées dans,

disponibles au travers et dérivées du réseau de relations possédé par un individu ou une unité

sociale » (Nahapiet et Ghoshal, 1998, p, 243) (traduction personnelle). Il est à noter que ces

auteurs reprennent à leur compte les idées de Bourdieu à propos de ce concept, puisqu’il a

114 D’après Google Scholar l’article est cité 547 fois, ce qui permet aux auteurs d’être les plus cités dans le domaine des CP après Lave et Wenger, Wenger, Brown et Duguid.

194

proposé en 1980 [in Baret, 2006] la définition suivante : « Le capital social est l’ensemble des

ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de

relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ». A

partir de cette définition, Baret (2006) estime que le capital social est constitué par l’ensemble

des avantages qu’un individu peut retirer de son appartenance à un groupe social.

Ces éléments expliquent bien pourquoi Lesser et Stork (2001) ont emprunté ce concept pour

parler des CP, car selon eux, on trouve tous ces éléments dans l’existence et le

fonctionnement des CP. En outre, le concept de capital social est utilisé par Nahapiet et

Ghoshal dans leur article de (1998) comme élément créateur d’avantage concurrentiel et

source de performance pour l’organisation. Ainsi, Lesser et Stork (2001) se sont inspirés de

leurs idées pour tenter d’expliquer le lien entre la CP et la performance de l’organisation par

le biais de la production de capital social dans ces groupes.

L’idée qui défend l’impact positif du capital social sur la performance de l’organisation est

argumentée suivant la logique présentant le capital social comme contribuant à la création du

capital intellectuel de l’organisation, qui à sont tour, est créateur de valeur pour l’entreprise

(Nahapieth et Goshal, 1998). D’après ces auteurs, le capital social facilite la création d’un

nouveau capital intellectuel qui favorise l’innovation, considérée de plus en plus comme une

composante clé de l’avantage concurrentiel de l’organisation. La revue de littérature proposée

par Lavado, et al. (2010), indique que le capital social représente une des trois dimensions du

« capital intellectuel » de l’entreprise aux côtés du « capital humain » et du « capital

organisationnel ». Dans leur travail, ces auteurs ont montré la relation d’influence réciproque

entre le capital social et le capital organisationnel, et leur impact sur l’innovation et donc la

performance de l’entreprise. Burt (2001) à son tour (in Paturel et al., 2005) perçoit le capital

social comme « un complément contextuel du capital humain » ayant une influence positive

sur les individus et/ou le groupe. Enfin, Baret (2006) souligne que ces avantages peuvent être

directs lorsqu’il s’agit d’accéder à des ressources indispensables à l’action (une information

ou un conseil) ou indirects lorsque l’individu bénéficie du comportement des autres

(solidarité, éthique). Quant au niveau organisationnel, toujours selon cet auteur, la présence

du capital social organisationnel a deux principaux effets : d’une part elle favorise la

coopération et l’atteinte des objectifs collectifs, et d’autre part, elle permet l’échange de

connaissances propices à la construction du capital intellectuel de l’entreprise. Il est à noter

que les connaissances échangées sont d’ordre théorique et pratique (savoirs faire), et leur

195

nature peut être explicites et/ou tacites (Nahapieth et Goshal, 1998). Lavado, et al. (2010),

rapportent que le capital social est la dimension la plus tacite comparée aux deux autres

dimensions (capital humain et organisationnel) et, par conséquent, la plus difficile à gérer et à

mesurer. Ils annoncent au passage que Spender (1996) estime que cela explique pourquoi

c’est le type de connaissance le plus stratégique pour l’organisation.

3.2 L’étude de cas de Lesser et Stork (2001) : CP, Capital Social et

Performance

Lesser et stork (2001) ont également utilisé le capital intellectuel comme variable médiatrice

entre le capital social et la performance115, mais ils se sont focalisés davantage sur la manière

dont les CP produisent le capital social et sur les retombées directes en terme de performance

pour les individus et l’organisation. Avant de procéder à l’étude empirique, dans le cadre

théorique, les auteurs reprennent les trois dimensions de base du capital social telles que

décrites par Nahapieth et Goshal (1998) : la dimension structurelle, la dimension relationnelle

et la dimension cognitive, et considèrent qu’elles existent dans les CP (sans pour autant

développer longuement leurs arguments). Puis, ils ont précédé à la vérification de ces

dimensions empiriquement en observant le fonctionnement interne des communautés de

pratiques étudiées.

Les auteurs ont identifié et étudié sept CP évoluant dans sept organisations différentes (tous

secteurs confondus). Ces communautés sont intentionnellement crées, parrainées et

supportées par les organisations institutionnelles, mais leur fonctionnement reste informel.

Les CP sont autogérées par les membres participants. Comme les organisations se

développent en terme de taille, de portée géographique et de complexité, les auteurs

estiment que le parrainage et le support de tels groupes représentent une stratégie visant à

améliorer la performance organisationnelle.

Voyons maintenant comment les auteurs établissent un lien entre les dimensions du capital

social et le fonctionnement des CP (ibid.., p. 834 à 836) :

La dimension structurelle : Cette dimension renvoie à la capacité des individus à créer des

interactions dans l’organisation. L’importance de cette dimension, est annoncée par Nahapieth

115 D’ailleurs, la même année (2011), Lesser a co-publié avec d’autres auteurs un article (dans la revue professionnelle : Ivey Business Journal), intitulé « Using communities of practice to manage intellectual capital », où les auteurs reprennent en partie-et mettent en avant- les idées autour de la production du capital social par les CP et incitent les organisations à les manager pour un meilleur développement de leur capital intellectuel.

196

et Goshal (1998) : « Ces connexions constituent les canaux pour la circulation de

l’information. Cela réduira le nombre d’heures et l'investissement requis pour recueillir des

informations ». Au niveau des CP observées sur le terrain, cette dimension est traduite par

l’utilisation des participants de certaines techniques permettant de construire des liens leur

permettant d’échanger et de révéler leurs expertises. Dans l’un des cas rapportés, les auteurs

soulignent, qu’avec le parrainage de l’organisation officielle, un certain nombre de «brown

bag lunch » (séminaires sandwichs / déjeuner-causeries) ont été mis en place pour attirer les

personnes ne manifestant pas un intérêt vif à propos d’un sujet. Quant les réunions, ou plus

globalement, les situations de communication en face-face ne sont pas possibles, les salariés

n’hésitent pas à utiliser les NTIC, telles que les forums de discussion.

La dimension relationnelle : Tisser des liens par le réseautage est un élément important dans

le renforcement du capital social. Cette dimension comprend quatre composantes (Nahapiet et

Ghoshal, 1998) : engagements, normes, confiance, et identification. Selon Lesser et Stork, à

travers les interactions, les membres du groupe développent des rapports interpersonnels

basés sur la confiance (impliquant la prévisibilité des actions d’un membre, etc.), produisant

des normes communes en terme de comportement que les individus sont disposés à respecter,

et qui leur permet de renforcer les liens établis. Enfin, l’identification se réfère au processus

par lequel les membres se considèrent comme groupe unis. Du côté des CP étudiées, les

auteurs mettent en exergue le rôle des faces-à-faces qui, non seulement permettent aux

individus d’identifier les autres membres ayant des intérêts semblables, mais permettent aussi

de développer chez les salariés un sens d’empathie autour de soucis communs et les

mésaventures vécues par certains. Par ailleurs, les faces-à-faces favorisent l’accès aux

praticiens compétents et expérimentés (qui sont de moins en moins accessibles, pour les

novices notamment) susceptibles de fournir les informations et connaissances recherchées.

On note bien, que ce soit ici ou dans la capacité (dimension) structurelle, l’importance que les

auteurs attribuent au « face-à-face » comme un moyen presque vital dans le fonctionnement

des CP. Cela renforce donc les conclusions de Schenkel et Teigland (2008) (cf. supra), ayant

démontré que l’éloignement physique affaibli considérablement le processus d’interactions

dans les CP et induit de ce fait une baisse de performance de leurs membres.

La dimension cognitive : Les membres du réseau doivent avoir un intérêt commun ou

partager une compréhension commune des problèmes qui émergent dans leur activité. Ils

doivent partager le même contexte. Selon Nahapiet et Ghoshal, (1998, p, 254), « dans la

mesure où les gens partagent un langage commun, ceci facilite leur capacité d'accéder aux

197

gens et à leurs informations. Dans la mesure où leur langue et les codes sont différents, ceci

maintient des personnes distantes et limite leur accès ». Lesser et Stork (2001) considèrent le

langage commun comme comprenant également les sigles (acronymes), des subtilités et des

hypothèses sous-jacentes qui sont les marques des interactions quotidiennes. C’est dans cette

perspective autour du contexte que Baret (2006) considère le concept de capital social comme

particulièrement intéressant, car selon lui, ce concept s’intéresse au contexte relationnel de

l’action et permet de comprendre en quoi le mode de relation entre les individus peut avoir

une influence sur la performance de l’individu ou du groupe. L’intérêt soulevé autour du

contexte ici nous rappelle les fondement de la théorie de l’action située (Suchman, 1987) et la

perspective de l’apprentissage et cognition situés (Brown et Duguid, 1989 ; Lave, 1989 ;

Lave et Wenger, 1991) selon lesquelles, la cognition et la pratique doivent être souvent

pensées dans le contexte dans lequel elles se sont déroulées. (cf. 1er chapitre, 2.2).

Dans les CP étudiées par Lesser et Stork, ces derniers annoncent que le contexte commun

(partagé) peut englober également l'utilisation des récits ou des histoires partagées qui

permettraient aux individus de donner un sens raisonnable à leur environnement de travail

quotidien et à leur rôles respectifs. De plus, le langage, les récits et les histoires se présentent

aussi comme un moyen efficace pour le transfert des connaissances tacites. Le développement

de référentiels / répertoires communs gérés par les membres de la CP, où ils soumettent des

artefacts cognitifs tels que les documents de recherche, les modèles, et d’autres formes de

capital intellectuel qui pourraient être réutilisés par les autres membre, constitue un autre

moyen de partager le contexte.

Avant de présenter les résultats de cette étude, nous souhaitons nous arrêter un instant pour

souligner une certaine analogie, non évoquée explicitement par les auteurs, qui nous interpelle

ici. Il s’agit des similitudes que l’on peut constater entre ces trois composantes du capital

social (structurelle, relationnelle et cognitive) et les trois dimensions qui caractérisent une CP

(engagement mutuel, entreprise commune et répertoire partagé), qui sont avant tout, les

dimensions de la pratique, selon Wenger (1998). En effet, et bien que l’analogie ne soit pas

parfaite, on peut constater que la « dimension structurelle » est très proche de celle de

l’« engagement mutuel » (engagement des participants suivant leur capacité à connecter leurs

connaissances pour négocier le sens de leurs expériences). La « dimension relationnelle » qui

met l’accent sur l’engagement, les normes, la confiance et l’identification peut s’apparenter à

l’« entreprise commune » décrite par Wenger (1998), comme un engagement continu véhiculé

198

par des relations de responsabilité mutuelle entre les participants, leur permettant d’inventer

en permanence leur auto-organisation, s’articulant autour des règles informelles et des normes

tacitement admises et propres au groupe. Enfin, une similitude quasi-parfaite peut être

observée entre la « dimension cognitive », incarnée par l’utilisation d’outils (jargon, récits,

histoires partagées), spécifiques au contexte partagé par les membres du réseau, et le

« répertoire partagé », vu par les tenants de la théorie des CP comme l’ensemble des

ressources communes (outils, jargon, gestes, concepts, mots, procédure, routines, vocabulaire,

styles, artefacts, prototypes, maquettes, etc.) que les membres de la communauté, en vue de

mettre l’accent sur un aspect récurent dans leur contexte, ont créé et adopté au cours de son

existence et intégrées dans leur pratique.

Ainsi, et au delà de la perspective contextuelle qui semble être partagée par l’école

situationniste et le courant du capital social, cette comparaison révélant, à notre sens, des

similitudes remarquables entre les dimensions du capital social et celles de la CP, permet,

non seulement de dire qu’effectivement des liens forts peuvent exister entre – et rapprocher -

les deux notions, mais aussi, de soulever la question (étant donné que les dimensions de la CP

sont présentées par Wenger comme à l’origine des dimensions de la « pratique ») : Si la

« pratique » n’est pas en soi un « capital social » appartenant aux membres de la

communauté, et dans quelle mesure cette dernière peut être considérée comme un support

pour l’entretenir ? Nous n’avons ni l’intention ni la prétention d’essayer d’approfondir cette

interrogation car ce n’est pas notre objet ici. Nous pensons tout de même que la question

pourrait être intéressante et stimulante, d’autant plus que la littérature sur le capital social

n’apparaît pas dans les références des travaux de Wenger116.

A partir des observations et interviews réalisées, les auteurs présentent des résultats en terme

de performance générées par ces CP via la production du capital social, très proches de ceux

rapportés dans les études précédentes (Mc Dermott, 2001 ; Millen et al., 2001 ; Fontaine,

2003 ; Schenkel et Teigland, 2008 ; Hemmasi et Csanda, 2009) ayant utilisé l’apprentissage et

le partage des connaissances comme les mécanismes permettant la performance. Mais les

auteurs ici les inscrivent dans la perspective de Nahapieth et Goshal (1998), c’est à dire le

capital social promeut le capital intellectuel et permet de ce fait à l’organisation d’avoir un

116 Notons que dans l’article de Nahapiet et Ghoshal, (1998), les auteurs ont fait référence à la contribution de Brown et Duguid (1991) mais sans user véritablement du concept de CP.

199

avantage concurrentiel. En somme, quatre domaines de performance sont attribués aux

activités se déroulant dans les CP. Ces dernières permettent de :

- Raccourcir les courbes d’apprentissage des nouveaux employés ;

- De répondre plus rapidement aux besoins et interrogations des clients ;

- Eviter la répétition (prevent rework) et la réinvention de la roue.

- Faire émerger de nouvelles idées à propos des produits et services.

- (Et améliorer la satisfaction au travail des participants)

3.2.1 Raccourcir les courbes d’apprentissage des nouveaux employés

Les CP permettent aux nouveaux salariés d’accéder à la mémoire organisationnelle et

d’apprendre plus facilement les outils, les aspects techniques et culturels de leur nouveaux

rôles et responsabilités dans l’organisation. Les nouveaux arrivants sont unanimes pour dire

que l’aide apportée par les CP consiste essentiellement dans la possibilité de trouver les

experts susceptibles de répondre à leurs questions et de les orienter vers les ressources dans

l’organisation. De plus, le fait d’échanger les histoires et anecdotes avec les anciens permet le

transfert du savoir tacite, impossible à réifier dans les documents écrits.

Bien que les auteurs ne l’aient pas explicité ici, nous pensons que la compréhension de ce

phénomène de raccourcissement de la courbe d’apprentissage (via les interactions

collectives), passe par sa comparaison avec l’apprentissage individuel ayant pour mécanisme

l’expérimentation « essai-erreur ». L’apprentissage dans la CP fait gagner du temps à

l’individu en lui évitant de tester des choses, dont les résultats négatifs sont déjà connus des

anciens. On trouve ce postulat déjà évoqué par certains auteurs, à l’instar de Bandura (1977)

[in Lacaze, 2004], qui utilise cette perspective pour rendre compte des avantages que procure

le processus de l’apprentissage social par rapport à l’expérimentation essai-erreur. De plus,

comme le rapporte Lacaze (2004) à propos de certains auteurs, l’auto-management provoque

le stress, et le stress est inhibiteur de l’apprentissage. Ainsi, nous sommes tentés de considérer

l’apprentissage dans la CP comme permettant d’éviter des coûts (cachés), en court-circuitant

le temps qui serait utilisé par l’apprenant dans la phase de l’expérimentation individuelle.

Par rapport aux études présentées précédemment qui ont démontré l’impact positif des CP sur

la courbe d’apprentissage, l’accent ici est mis davantage sur les novices venant d’intégrer

l’organisation, qui s’imprègnent de la culture de cette dernière grâce à leur participation dans

la CP. Dès lors, on peut penser que la CP peut être un moyen pour transmettre la culture de

200

l’organisation où ils évoluent. Parler de la participation des novices aux pratiques de la

communauté nous rappelle bien évidemment la perspective de Situated Learning (Brown et

al., 1991 ; Lave et Wenger, 1991) qui présente ce dernier comme un double processus

d’Apprentissage et d’Enculturation (Cf. 1er chapitre). Les auteurs n’ont toutefois pas mobilisé

cette théorie pour appuyer leur propos. Ils se contentent d’évoquer au début de l’article

l’approche de la Legitimate Peripheral Participation (LPP) pour rappeler le processus de

participation des nouveaux arrivants dans les CP.

3.2.2 De répondre plus rapidement aux besoins et interrogations des clients

Les CP permettent à un salarié d’identifier rapidement un autre salarié dont l’expertise lui

permettra de lui fournir la meilleure réponse au problème soulevé par un client. Par exemple,

dans l’une des entreprises étudiées (produits chimiques), grâce à la CP, le personnel de

support technique a la faculté d’identifier les salariés ayant déjà rencontré des problèmes

similaires dans d’autres endroits.

Le principe correspond à donner la faculté de trouver rapidement un référent ayant déjà

rencontré un problème spécifique et qui est susceptible de fournir la bonne réponse117. Cela

peut être d’ailleurs compris comme un des éléments mis en avant par Bourdieu (1988) dans la

définition du capital social (cf. supra) où il parle de relations d’interconnaissance et d’inter-

reconnaissance qui lient les participants dans leur réseau. Lesser et Stork (2001) considèrent

ici la rapidité, tout comme la pertinence de la réponse fournie par la bonne personne, comme

un facteur de différenciation, procurant un avantage concurrentiel pour l’organisation. Ceci

rejoint donc les propos de Ferrary (2002) (cf. 2nd chapitre) qui inclut la rapidité de la réponse

au client dans les services comme une des sources d’avantage concurrentiel pour l’entreprise.

Cependant, bien que les auteurs ne l’aient pas nuancé, la rapidité d’accès à l’information peut

être également vue comme une performance, incarnée dans la notion d’« économie de temps /

réduction des coûts » soulignée par les auteurs précédents (Mc Dermott, 2001 ; Millen et al.,

2001 ; Fontaine et al., 2003).

3.2.3 Eviter la répétition (prevent rework) et la réinvention de la roue.

Précédemment, nous avons vu que Millen et al., (2001) avaient utilisé ces mêmes expressions

pour rendre compte surtout de l’économie de temps, que la CP procure en évitant à leurs

117 Ceci correspond à l’idée que nous avons annoncée dans le 1er chapitre, - inspirée des travaux de Restler et Woolis (2007) et de Smith et Farquhar (2000) - stipulant que la CP présente un lieu où on trouve de bonnes personnes permettant de délivrer la bonne connaissance au bon moment.

201

membres de (re)faire des choses déjà faites. Lesser et Stork (2001), mettent l’accent ici

notamment sur l’économie des coûts relatifs à la perte et au déficit des connaissances, car les

CP permettent à leurs membres de trouver des artefacts déjà développés par certains salariés,

et de comprendre la nature situationnelle des connaissances utilisées. D’après ces auteurs,

probablement, la contribution la plus précieuse que la CP peut rapporter à son organisation est

la capacité à réutiliser les connaissances existantes, ce qui constitue une source d’avantage

concurrentiel118.

3.2.4 Faire émerger de nouvelles idées à propos des produits et services

D’après les auteurs, les membres des CP étudiées considèrent ces dernières comme des

espaces stimulant l’innovation. Pour ces salariés, le mérite de la CP consiste dans sa capacité

à rassembler les gens et l’opportunité qui leur est offerte d’utiliser les autres membres de la

communauté comme une caisse de résonance, et d’exploiter leur expertise afin d’affiner leur

projets. Ceci est permis notamment grâce au développement des relations interpersonnelles au

sein de la CP, qui ont été particulièrement utiles pour instaurer un climat de confiance entre

les membres et permettent d’échanger en toute sérénité et de tester des idées n’ayant pas

atteint le stade de la maturation. Dans cette perspective, un autre élément lié à la théorie du

capital social peut expliquer davantage cette collaboration. Il s’agit de ce que Putnam (1995)

(in Baret, 2006) qualifie de « capital social obligeant », caractérisé par une dimension

affective, engendrant la réciprocité et la solidarité. Cela est particulièrement vrai

lorsqu’il existe (ibid.) :

-des objectifs et des valeurs partagés par les membres de l’organisation,

-une implication des membres dans l’atteinte des objectifs collectifs,

-une relation de confiance entre eux.

Les observations de Lesser et Stork (2001) autour de l’émergence de nouvelles idées

rejoignent clairement les idées fondatrices de l’approche de Nahapiet et Goshal (1998, p,

251), selon lesquelles les relations interpersonnelles du capital social permettent la

combinaison et l’échange du capital intellectuel, ce qui permet à son tour la création d’un

118 Pour argumenter l’importance de cet apport, les auteurs soulèvent la problématique du vieillissement de la population active aux USA, confrontée à celle de la nécessité pour l’entreprise de sauvegarder sa « mémoire organisationnelle ». Ils s’appuient alors sur un sondage réalisé par l’ « International Data Corporation » qui annonce que le coût annuel de ce «déficit de connaissances », qui inclut les coûts et les inefficacités qui résultent de « intellectual rework » et l'incapacité de trouver des ressources cognitives, s’élève à plus de 5500 dollars par travailleur et par an.

202

nouveau capital intellectuel, base de d’innovation, et donc, d’un avantage concurrentiel pour

l’organisation.

C’est à travers ces résultats que Lesser et Strok (2001) ont essayé de montrer l’impact des CP

sur la performance, en passant par le concept de capital social, qui semble bien concorder

avec les caractéristiques des CP. Ceci a permis également à ces auteurs de se démarquer de

ceux qui ont tenté de traiter de la problématique du lien entre CP et performance. En effet, là

où Mc Dermott (2001), Millen et al., (2001), Fontaine et al. (2003), Schenkel et Teigland

(2008) et Hemmasi et Csanda (2009) avaient utilisé l’apprentissage et le partage des

connaissances comme les variables liant la CP et la performance, Lesser et Strok (2001) ont

emprunté à Nahapiet et Goshal (1998) la notion de capital social et ses caractéristiques en

mettant l’accent davantage sur le développement des relations interpersonnelles dans les CP,

la rapidité de l’accès aux experts et à leurs connaissances. Toutefois, il faut rappeler que ces

mécanismes caractérisent aussi le processus d’apprentissage et de partage de connaissance tels

qu’ils sont décrits dans les CP. Ceci peut alors expliquer pourquoi les résultats formulés par

ces auteurs - bien que interprétés et vus comme un capital social et intellectuel offrant à

l’organisation des avantages concurrentiels - sont très proches de ceux qui ressortent des

études présentées auparavant, qui ont utilisé l’apprentissage et le transfert des connaissances

comme le vecteur permettant la performance.

Dans tous les cas, quelles que soient les méthodologies utilisées et les terrains examinés, les

résultats présentés montrent que la CP a un impact considérable sur la performance de ses

membres et par conséquent sur celle de l’organisation. Et ce, même si la partie de la

performance qui lui est attribuée reste difficile à mesurer avec précision. C’est aussi en

identifiant et expliquant les canaux par lesquels la CP engendre la performance que les

auteurs nous informent sur ce lien de causalité. Ci-dessus un bref récapitulatif des apports de

la CP en terme de performance, mais il faut garder en tête que cette liste peut être facilement

rallongée au vu de la multitude des bénéfices que les auteurs citent sans les démontrer.

Pour résumer les différentes apports issus des études présentées dans cette partie, nous

pouvons dire que :

- La CP améliore la performance organisationnelle, communautaire et individuelle (de ses

membres). Elle est aussi source de développement professionnel et de satisfaction pour les

participants ;

203

- La CP permet aux salariés (et donc à l’organisation) l’économie de temps et la réduction

des coûts d’exploitation ;

- La CP améliore la performance en facilitant l’apprentissage de ses membres. Elle permet

également de réduire le temps de son déroulement (la courbe d’apprentissage) pour les

nouveaux entrants ;

- La CP permet l’échange des connaissances et des feedbacks dont l’exploitation permet de

corriger les erreurs dans les produits et services. Elle contribue donc à améliorer leur qualité ;

- La CP sert aussi de générateur de capital social et intellectuel, moteur de l’innovation, qui

procure à son tour un avantage concurrentiel pour l’organisation, donc de la performance.

Après avoir montré d’une manière générale si et comment la CP permet la performance, ainsi

que les canaux par lesquels cela est rendu possible, nous allons voir maintenant les quelques

travaux ayant posé ces questions dans le contexte spécifique des front-office des relations de

service. En plus des exemples études que nous allons voir ici, nous avons également mobilisé

certains travaux qui, bien qu’ils n’aient pas utilisé pour la plupart le terme de CP, ils ont tous

relevé le constat de l’existence d’une dynamique collective entre les agents d’accueil. Ils

indiquent que ces derniers interagissent de manière informelle pour échanger des

connaissances relatives à des situations vécues, afin de répondre aux exigences situées de la

relation de service. Les mécanismes de ces dynamiques collectives tels qu’ils sont présentés,

semblent correspondent parfaitement à ce qu’on nous avions expliqué à propos de CP. Ainsi,

nous allons montrer que ces phénomènes correspondent à l’existence de CP et se présentent

comme une troisième voie dans le modèle productif de la relation de service, permettant aux

agents de pallier aux limites de la prescription d’un côté, et à celles de leurs compétences

individuelles, de l’autre.

Section 2. L’apport des CP à la Performance dans les relations de

service.

Cette section est consacrée aux apports de la CP à la performance de ses membres (et à

l’organisation en général) dans les relations de service. Nous commençons par rappeler

comment les CP émergent dans l’univers du front-office pour faire face aux difficultés qui

204

caractérisent ce dernier. Ces difficultés sont liées à la multiplication et à l’imprévisibilité des

situations auxquelles les agents font face, ainsi qu’aux limites inhérentes aux modèles

productifs mobilisés (1). Nous présentons ensuite certaines études ayant montré le rôle

opérationnel de ces groupes dans cet univers (2). Nous terminons la section par la discussion

des différents résultats et apports issus de ces études. (3)

1. Les CP émergent pour permettre à leurs membres de faire face aux

difficultés du contexte des relations de service

Pour bien comprendre l’impact du contexte sur l’émergence des CP, nous allons faire ici un

bref retour sur le contexte des front office, caractérisé à la fois par la coproduction du service

avec le client, la multiplicité et l’imprévisibilité des cas, le conflit de logiques, où productivité

et service, ainsi que les processus mis en œuvre, semblent se livrer une bataille qui se

répercute sur la nature des performances privilégiées. Nous allons également revenir sur les

limites des deux ressources productives abordées dans le chapitre précédent, à savoir les

compétences individuelles et les procédures de prescription. Nous rappelons au passage que

ces problèmes et contradictions sont souvent laissées à la charge des agents. Les CP émergent

donc comme une troisième source, mobilisée par les agents dans le but de faire face aux

situations et de se rapprocher le plus possible des objectifs de performance exigées dans les

relations de service.

1.1 Retour sur la problématique des situations multiples et imprévisibles

Dans le chapitre précédent, la présentation des travaux de Pichault et Zune (2000), Hanique et

Jobert (2001), Zarifian, (2002), Jeantet (2003), Valléry (2004) et d’autres a montré que

l’activité dans les relations de service est intense et fait émerger des cas multiples et parfois

imprévisibles. Ces situations sont imputées essentiellement aux profils et aux comportements

des clients (le « client multiple ») et aux demandes diverses et spécifiques émanant de ces

derniers. La complexité des situations est encore accentuée par le caractère co-productif de la

relation, qui implique que l’organisation développe à travers ses salariés de front office une

forte capacité d’adaptation. Toutefois, il faut garder en tête que dire les situations sont

multiples et parfois imprévisibles ne signifient pas qu’elles sont radicalement différentes l’une

de l’autre. En effet, certaines similitudes, à des degrés différents, existent toujours du moment

où on reste dans la même organisation, le même métier, avec les mêmes salariés et parfois

encore avec des clients habitués.

205

En plus de la complexité de certaines situations, les missions sont difficiles pour les agents car

le succès d’une prestation dépend d’un objectif de performance double : réduire au maximum

le temps de l’interaction avec le client (critère quantitatif) tout en s’efforçant à établir avec ce

dernier une relation de qualité, positive et durable (critère qualitatif) (Zarifian, 2002 ; Gadrey,

2002). La variable temporelle, qui ne joue pas dans le même sens lorsqu’il s’agit de la

performance quantitative ou qualitative, a conduit ces auteurs et de nombreux autres, à

considérer que ces deux critères sont contradictoires.

Ainsi, la complexité des situations et des tâches, conjuguée à la quête d’un équilibre entre la

performance quantitative et qualitative, donnent lieu à une équation particulièrement difficile

à résoudre. Ceci justifie, comme nous l’avons déjà vu, le recours des organisations à la

mobilisation d’un modèle productif hybride, combinant les compétences individuelles des

salariés et une rationalisation des procédés via la prescription des modes opératoires.

1.2 Retour sur les limites des modèles des compétences individuelles et de la

prescription

Dans les front-offices, les compétences productives sont essentiellement les compétences

individuelles des agents et les ressources organisationnelles, en particulier, la prescription des

modes opératoires. Le modèle de compétence de l’agent permet de rendre compte du réel de

l’activité du service, car il est présenté comme étroitement corrélé aux exigences situées de la

coproduction. En effet, pour analyser la demande, faire des arbitrages, prendre des décisions,

et manager la contribution et le comportement du client (David, 2001), l’agent doit mobiliser

toute une batterie de savoirs et savoir-faire techniques, pratiques et relationnels, qui lui

permettent de gérer la situation et produire une solution de service. Bien que ce modèle soit

jugé adéquat pour le service (parce qu’il permet de viser la qualité via l’adaptation et la

personnalisation, etc.) et continue à faire ses preuves, il n’en demeure pas moins qu’il atteint

rapidement ses limites du fait des déficits de connaissances techniques chez le salarié, de sa

difficulté à faire face à tous les types de situations. Il atteint aussi rapidement ses limites liées

à la nécessaire implication de la subjectivité du salarié dans le processus et dans le jugement

(perception) de la performance. (cf. 2nd chapitre : 3.1.4 Les limites des compétences

individuelles et de la subjectivité). Ces problèmes présentent donc un handicap pour l’agent

dans sa gestion des situations multiples et imprévisibles, et par conséquent, constituent un

obstacle pour atteindre les objectifs de performance fixés par l’organisation. Ces limites

peuvent avoir un impact sur la qualité des services rendus mais, plus globalement, ce modèle

206

de compétence individuelle est problématique parce qu’il est souvent jugé par l’organisation

comme « pas assez productif ». C’est ce qui explique ou justifie l’introduction de la logique

industrialiste dans les relations de service. Elle est considérée comme favorisant la

productivité et la rentabilité du service. Le recours à la rationalisation via la prescription des

modes opératoires (permis notamment par l’utilisation des NTIC) constitue ainsi une réponse

à ces limites perçues dans le modèle de la compétence. Comme nous l’avons vu, ces

organisations, s’inspirant de réflexes tayloriens, ne font pas confiance aux compétences

professionnelles et aux capacités de jugement des agents (Combes, 2002). Elles promeuvent

la standardisation du service et le formatage de son processus de coproduction (« the one best

way ») en mettant en place des scripts, issus d’une conceptualisation qui se veut la plus

scientifique et objective possible (Amiech, 2003). Ceci réduit donc la marge de manœuvre de

l’agent en terme de réflexion/conception, pour consacrer son énergie à exécuter uniquement.

Cette logique est vue par les auteurs comme visant l’accélération des rythmes de production

pour en tirer une plus grande rentabilité. Comme nous l’avons vu, certains auteurs (Gadrey

(2002), Combes 2002, Colin et al., (2009), et d’autres), reconnaissent à ce modèle

industrialiste des apports non négligeables en terme de performance quantitative (gains de

productivité), ainsi qu’une part dans l’amélioration de la qualité de service. Mais, il atteint lui

aussi très rapidement ses limites. En effet, le modèle industrialiste ne permet pas de répondre

aux exigences situées de la relation et ne permet pas de développer un avantage concurrentiel

sur le marché, dont les facteurs clé de succès résident dans la personnalisation, l’adaptation, la

flexibilité, et donc dans la qualité de la relation de service (Ferrary, 2002). En effet, la

standardisation et la prescription des modes opératoires ne permettent pas de prendre en

compte les situations imprévisibles résistant à la normalisation et à la prescription, par le fait

de la coproduction, qui par définition, fait que la relation n’est jamais jouée d’avance

(Hubault et Bourgois, 2001).

1.3 Un contexte qui incite les agents à l’apprentissage, au transfert de

connaissances et à l’élaboration de pratiques.

Comme nous venons de le voir, les salariés dans les services sont confrontés à des situations,

faiblement prévisibles, inattendues et en décalage avec l’organisation du travail formalisée

dans l’entreprise. Cette dernière demeure incapable d’indiquer clairement au salarié quoi et

comment le faire, et l’initiative individuelle de ce dernier n’est souvent pas suffisante pour

répondre de manière efficace aux problématiques émergentes de ces situations. De plus, le

207

salarié est tenu par l’atteinte des objectifs contradictoires de performance. Il est très important

de souligner et rappeler que les contradictions entre la qualité et la quantité sont gérées,

absorbées et assumées auprès des clients par les salariés (Raz, 2007). Dans une optique plus

globale, Amiech (2003) annonce que les tensions et ces contradictions dans les relations de

service « sont la plupart du temps « déchargées » sur les agents. Au sens où il est souvent

considéré comme faisant partie de leur contrat de « gérer » à l’improviste les contradictions

et les incohérences dont ils ne sont nullement responsables, mais dans lesquelles ils sont

constamment pris. Leur travail consiste bien souvent à sauver la face, dans des situations où

on ne leur donne pas les éléments à argumenter ou répondre de manière convaincante ».

(ibid., p.101)

Au vue des constats et arguments présentés ici, il serait logique de penser que la gestion des

relations de service est parfois intenable pour le salarié, et la question qui en découle serait de

s’interroger sur ce qui permet au salarié d’élaborer des solutions, non prévues par la

prescription et qui dépasse le seuil de ses compétences individuelles ? Bien que les termes

utilisés, ainsi que les degrés d’importance qui leur sont associés, diffèrent d’un auteur à un

autre et selon les objets investigués dans leurs contributions, la quasi-totalité des chercheurs

sur les relations de service mobilisés dans notre travail, - pour ne pas dire tous -, ont évoqué la

mobilisation du collectif des pairs comme une source où le salarié puise des solutions pour

mener à bien son travail quotidien, lui permettant ainsi de gérer les situations et se rapprocher

le plus possible des objectifs de performance exigées par son organisation. C’est l’un des

constats mis en avant par Valléry (2004) dans ses recherches sur les relations de service, où il

indique qu’il existe dans l’exercice de ce métier, un continuum entre les savoirs individuels et

partagés avec d’autres dans la réalisation de certaines tâches, nécessitant des coordinations

complexes et des modalités de coopération liées à la dynamique des interactions. De son côté,

Veltz (2000) met en exergue l’impact des interactions et coopérations entre les agents sur la

performance dans les relations de service, en annonçant que leur rôle est particulièrement

décisif sur la performance et la création de valeur pour l’organisation. Plusieurs exemples

permettent de mettre en évidence ces phénomènes collectifs dans les services. Nous

reviendrons plus loin plus en détail sur quelques-uns de ces constats.

Dans ces références, ces auteurs mobilisent des notions différentes pour mettre l’accent sur le

phénomène des interactions entre les salariés, mais elles s’accordent sur l’idée commune que

ces phénomènes permettent la production de solutions à mobiliser face aux situations

208

auxquelles les salariés sont confrontés. Ainsi, et comme nous allons tenter de l’expliquer plus

loin, nous pensons que ces différents formes d’interaction entre les salariés peuvent être

regroupés et représentés par le concept de Communauté de Pratique, que nous considérons

comme émergente pour constituer une troisième voie parmi les ressources mobilisées par les

agents dans la gestion des relations de service. Grâce aux interactions des membres des CP,

des idées s’échangent, des problèmes se discutent et des pratiques et des solutions s’élaborent

pour faire face aux situations rencontrées. Ceci permet alors de remédier aux failles de la

prescription et aux limites des compétences individuelles des agents, et, in fine à améliorer les

performances.

1.4 Emergence des CP comme une troisième ressource productive dans les

relations de service

Rares sont les auteurs (Wenger, 1998 ; Codello-Guijarro, 2004 ; Guérin, 2005 ; Grosjean,

2008) ayant utilisé explicitement la notion de CP dans le registre des services, pour qualifier

les interactions entre les agents partageant le même métier et des problèmes communs, afin

d’élaborer des solutions à mettre en œuvre face aux différentes situations et gérer de ce fait les

relations de manière performante. Cependant, et d’après Valléry (2004) par exemple, de

nombreuses études119 ont mis en lumière sur des formes de cognition sociale distribuée entre

les agents dans les relations de service. Bien que le terme de communautés de pratique n’est

pas systématiquement mobilisé120, les éléments rapportés dans la littérature à propos des

circonstances de l’existence de ces formes d’interactions, des mouvements dans ces collectifs,

de leur fonctionnement ainsi que des produits élaborées, nous semblent bien compatibles avec

la notion de CP

Dans la plupart des études dans le registre des relations de service, ou plus globalement dans

le champ théorique s’intéressant au « travail réel » des salariés (appréhendé selon la

perspective de l’« action située »), les termes les plus utilisés par les auteurs pour rendre

compte des phénomènes d’interactions entre les agents (quelle que soit la forme de groupe

mobilisée), sont plutôt, la coopération et la collaboration, ainsi que d’autres notions relatives

à l’interdépendance et la complémentarité des compétences entre les agents. En ce qui nous

119 En ergonomie notamment, d’après l’auteur. 120 On trouve par exemple des notions plus larges comme celle de la « compétence collective » chez les gestionnaires, la « régulation collective » chez les sociologues, ou encore le « travail collectif » chez les ergonomes, etc. Nous pensons que la sous-utilisation du terme de CP s’explique fort probablement par les raisons évoquées dans notre introduction générale et dans le premier chapitre, relatives à la nouveauté du concept et les difficultés qui entourent sa conceptualisation, ainsi que son identification dans l’organisation.

209

concerne, nous adhérons à l’idée qu’une dimension collective existe entre les agents dans les

relations de service. Mais, nous estimons qu’elle constitue seulement une partie de ce que ce

collectif des agents mobilisent pour mener à bien leur travail, et que le concept de CP permet

une analyse plus poussée de l’ampleur des interactions dans le collectifs et les produits qui en

découlent. Pour mieux expliquer nos propos, nous commençons par tenter de lever une

éventuelle confusion dans la mobilisation et l’usage de certaines de ces notions cités ci-

dessus. Bien sûr, nous ne prétendons pas rentrer ici dans un débat approfondi de type

étymologique. Nous nous contentons de soulever deux éléments qui nous semblent pertinents

pour essayer d’expliquer en quoi ces concepts doivent être mobilisés avec prudence dans le

contexte du front-office, et pourquoi nous estimons que celui des CP permet une meilleure

analyse, ou du moins, plus globale, des phénomènes d’interactions entre les agents.

Voyons d’abord un exemple qui nous parait représentatif de l’usage de ces notions chez

plusieurs auteurs. Les ergonomes Caroly et Weill-Fassina (2007) interrogent - et résument

bien - les différentes mécanismes et formes de travail collectif chez le personnel infirmier. Il

identifient la coopération, la collaboration, la co-action et l’entraide. D’après ces auteurs

(ibid., p, 89).

- La coopération caractérise une activité collective dans laquelle les opérateurs

travaillent ensemble sur le même objet visant au même but proximal121. Par exemple,

l’infirmière et l’aide-soignante refont ensemble le lit d’une personne dépendante. La

collaboration correspond à une situation où les buts à court terme sont identiques

avec des actions différentes pour chaque opérateur. Pour installer le patient dans son

lit pour manger, un soignant rehausse le lit et l’autre rapproche la table. La co-action

concerne des situations où les buts sont différents pour les opérateurs, mais intégrés

dans une activité commune à long terme. Par exemple, lorsque l’aide-soignant

s’occupe du pansement et l’autre de la toilette pour préparer le patient à sortir. L’aide

ou l’entraide correspond à une situation où un professionnel vient aider un autre, sans

que ce dernier le lui ait demandé. Une aide-soignante voit les difficultés d’une

collègue pour déplacer un chariot dans un couloir encombré et vient l’aider, souvent à

charge de revanche.

121 C’est cette conception de la coopération que l’on trouve utilisée par une grande majorité des auteurs, et qui renvoie, d’après Dameron-Fonquernie (2000), pour une personne, au fait de s'adonner consciemment à une activité complémentaire de celles d'autres personnes dans le cadre d'une finalité commune, dans un groupe donné. Elle implique une interdépendance, et donc une certaine complémentarité, entre plusieurs individus qui ne pourraient travailler les uns sans les autres

210

La présentation qu’on vient de rapporter nous semble, comme l’indiquent les auteurs, bien

résumer les différentes formes d’activités collectives marquant la diversité des relations entre

l’agent et ses collègues.

D’abord, nous souhaitons rappeler la différence existant entre la notion de « collectif de

travail » et celle du « travail collectif ». En se référant par exemple aux explications de

Krohmer (2003) ou Gheorghiu et Moatty (2005), le collectif de travail désigne avant tout un

groupe de salariés. Bien qu’ils partagent le même métier, chacun d’entre eux opère

individuellement, et de manière indépendante vis-à-vis des autres. Quant au travail collectif, il

fait référence à l’acte de travailler en groupe, de manière collective, combinant les différentes

compétences de chacun des acteurs concernés. Sans leur complémentarité, la tâche en

question ne saurait être réalisée (comme par exemple le cas d’une équipe projet où différentes

compétences sont mobilisées car le projet tient à leur complémentarité).

La description de l’activité des agents dans les front-office (par les auteurs mobilisés tout au

long de notre travail), laisse entendre qu’il existe bel et bien un collectif de travail, mais le

travail des agents reste officiellement individuel, car l’agent d’accueil est présenté comme

étant seul devant son client. Les coopérations/co-actions potentielles ne sont pas présentées /

considérées comme aussi indispensables à l’activité que celles développées dans les situations

des infirmiers rapportées ci-dessus par Caroly et Weill-Fassina (2007). Cependant, dans notre

champ, l’exemple rapporté par ces auteurs peut facilement correspondre aux situations

d’interactions entre les agents du back-office et ceux du front-office. Comme nous l’avons vu

au début de notre second chapitre, les formes de coopération et de coordination entre les deux

univers sont voulues et planifiées par l’organisation (Zarifian, 2002 ; Combes, 2002 ; Valléry,

2004 ; Omrane et Bouillon, 2004 ; Zomerdijk et De Vries, 2007). Ces processus faisant

intervenir les agents du front-office et ceux du back-office permet d’engendrer le service final,

dont l’efficacité générale est vue comme dépendante de la complémentarité et la mise en

cohérence des univers. C’est à ce niveau des interactions (entre front-office et back-office)

que l’on retrouve le travail collectif, qui correspond davantage aux situations

d’interdépendance entre agents et/ou services, et à la nécessité de la mise en cohérence entre

eux. Ainsi, il nous semble que les notions de coopération, collaboration, etc. vont plutôt de

pair avec le processus de travail collectif et non systématiquement avec celle du collectif de

travail. Bien sûr nous n’excluons nullement la présence de ces dimensions dans le front office

ou le back office, mais il convient d’être prudent quant à la manière de conceptualiser le

211

travail des agents du front office. Ils peuvent être considérés comme un collectif au travail

mais leur travail ne correspond pas nécessairement à un travail collectif dépendant de la

coopération et de la co-action.

En plus du fait que ces mécanismes de collaboration/coopération sont délicats à appliquer

dans le champ des front-office, l’analyse conduite sur la base de ces notions ne nous semble

pas suffisante pour apprécier toute la richesse des mécanismes d’interactions entre les

collègues, les produits qui en découlent, et permettre une compréhension large du réel du

travail. En particulier, ces notions passent sous silence les phénomènes d’’apprentissage et de

partage de connaissances. En effet, l’utilisation de ces notions semble restrictif pour analyser

l’ampleur des schémas des interactions intra-collectif et les finalités qu’elles engendrent, dans

le sens où elle n’intègre pas dans l’analyse la perspective constructiviste de la cognition

socialement partagée (socioconstructivisme) entre ces agents, c’est à dire, les connaissances,

l’apprentissage et les pratiques qui en découlent. Or, la mobilisation de cette perspective pour

analyser les interactions permet de montrer qu’au-delà des dimensions de coopération, de

collaboration et d’entre-aide, un apprentissage informel entre pairs se déroule, des

informations et idées s’échangent, des connaissances et des pratiques émergent suite aux

engagements et participations des agents dans ces interactions.

Ceci est particulièrement important et présent dans les relations de service, caractérisées par

un contexte marqué par des situations instables et incertaines, devant lesquelles le savoir

individuel et les procédures prescrites restent insuffisants pour atteindre la performance

recherchée. Dès lors, les salariés interagissent dans le but de développer l’adaptabilité et la

réactivité des systèmes productifs, et c’est ce qui donne son sens à la notion de CP (Wenger,

1998 ; Schenkel et Teigland, 2008 ; et d’autres).

En outre, la thèse que nous exposons ici, qui considère que le contexte particulier des

relations de service incite les agents à un apprentissage intense, peut être étayée par des

arguments issus des réflexions sur les déterminants de l’existence, de la faisabilité et du

succès de l’apprentissage. Si on se réfère par exemple à Popper et Lipshitz (2000), Smith et

Tosey (1999) et Read (2001), l’environnement incertain que présentent certains contextes,

font de l’apprentissage une condition sine qua none pour la survie de l’organisation et

favorisent particulièrement son déroulement. L’incertitude requière de l’adaptation, et une

adaptation réussie est contingente d'un apprentissage efficace (Popper et Lipshitz, 2000). Le

212

contexte des relations de service, comme nous l’avons vu tout au long de notre travail, est par

définition un environnement incertain, imprégné d’événements et de singularités des cas

(Zarifian, 2002). Etant donné les limites des deux principales ressources productives (cf.

supra), les agents sont amenés à interagir fréquemment et échanger des connaissances,

constituant ainsi de vraies communautés de pratique, leur permettant d’apprendre en

permanence de leurs expériences et développer des outils pour gérer les situations rencontrées

de la manière la plus performante possible.

Voyons maintenant quelques exemples d’études permettant de comprendre et de déduire le

rôle opérationnel des CP, et comment ceci se traduit en termes de performance. Nous vous

proposons deux études où les auteurs utilisent explicitement le terme de CP émergentes dans

les relations de service et leur rôles opérationnel dans la gestion de la relation avec le client.

La troisième étude ne traite pas le phénomène en terme de CP, et l’auteur n’a pas attribué un

qualificatif au collectif de guichetiers qu’il a étudié, mais le fonctionnement de ce groupe tel

qu’il est décrit nous fait penser que le terme de CP s’appliquerait bien à ce collectif.

2. Quelques études de cas montrant la contribution des CP à la

performance de leurs membres dans les front-office

2.1 La CP apporte des solutions aux guichetiers vivant des situations

d’« enfers » (Guérin, 2005)

Guérin (2005) a observé la vie quotidienne des guichetiers d’une agence de La Poste, située

dans les quartiers sensibles de la ville de Rouen. Ce contexte est considéré comme très

difficile au point où l’auteur qualifie le travail journalier des guichetiers, d’« enfer »122.

Bien que le travail des agents d’accueil soit supposé être très largement individuel (ce qui est

d’ailleurs le cas face aux clients), il s’est avéré que ces agents échangent sans cesse sur les

meilleures manières de gérer les situations difficiles, affrontées sans formation préalable, loin

de la routine des aspects techniques de leur emploi. Ainsi, les interactions entre les salariés

ont permis l’élaboration de pratiques informelles, leur permettant de gérer au mieux les

situations d’enfer auxquelles ils sont confrontés dans leur quotidien. Au fil du temps, les

122 Les situations difficiles sont induites notamment, par les profils des clients (taux de chômage 40 %, de nombreux cas d’analphabètes, des sans domiciles fixes (venant chercher leur RMI), et les comportements de certains (incivilités, agressions verbales, détresse des clients, etc.).

213

salariés mettent peu à peu au point un savoir faire constitué de « trucs » accumulés dans la

durée, qui se codifie au sein du collectif de travail, et qui est transmis aux novices en leur

recommandant d’observer le plus possible les anciens quand ils font leur travail. Notons que

Guérin n’est pas le seul à rapporter ce constat relatif à l’apprentissage des novices à La Poste,

car de son côté, Hanique (2000) a montré également (dans une agence de la même institution),

que des règles implicites d’activités partagées par les agents, assurent des entraides latérales

entre eux, et permettent au passage d’éduquer, de juger et de rectifier la conduite d’un novice.

Ceci nous rappelle donc l’idée du « raccourcissement de la courbe d’apprentissage » chez les

novices grâce à la CP (Lesser et Stork, 2001), en lui évitant de procéder à chaque fois par

l’expérimentation essai-erreur.

D’après Guérin, les procédures de travail négociées et réifiées par le collectif des agents

finissent par conférer une identité propre aux participants. C’est ainsi qu’ils constituent une

véritable « communauté de pratique ». Les pratiques élaborées par ces salariés consistent

généralement dans des stratégies d’intervention collective face à un client difficile, où chacun

a son rôle défini à l’avance : appeler les forces de l’ordre ou l’hôpital, fermer les portes de

l’agence, jouer le rôle du « gentil » devant le client mécontent, demander à son collègue un

service fictif pour faire diversion, etc.123 (ibid., p, 303). D’autres pratiques sont testées et

adoptées si un des agents vient, suite à son utilisation, de réussir à gérer une situation délicate.

D’après l’auteur, le directeur de cette agence a réagit de manière très positive à l’égard des

solutions apportées par le collectif grâce à leurs interactions, et se félicitait de ce mode de

fonctionnement qui s’est instauré, permettant ainsi de « tourner » de manière plus

performante que les autres bureaux placés dans des conditions comparables. Pour terminer ce

résumé de l’étude de Guérin (2005), nous souhaitons évoquer la suite des événements

rapportés par l’auteur à propos de cette CP. Cela fait ressortir un enseignement important pour

la compréhension du fonctionnement des CP (sur lequel nous reviendrons plus loin dans notre

thèse).

[Satisfait des résultats produits par la CP, le directeur de l’agence a suggéré à ses

employés (volontaires), de se réunir deux fois par mois, après la fermeture du bureau,

constituant ainsi un véritable groupe de réflexion et d’apprentissage, animé par un

délégué désigné…Cependant, aucune contre partie financière n’a été proposée. Les

guichetiers ne seront rémunérés ni sur la base du temps passé pendant les réunions, ni

123 Nous pouvons considérer ici ces pratiques comme relevant de la coopération, de la co-action , etc., qui font aussi partie des activité des CP.

214

par rapport aux connaissances produites. Par ailleurs, et au bout de quelques mois, le

directeur commençait à demander de manière insistante « où ils en étaient ». Pire, ce

directeur (malhonnête) exploitait les idées de la CP en les présentant à ses supérieurs

hiérarchiques de la direction de La Poste, comme des connaissances issues de ses

propres réflexions. Pour reprendre l’expression de Guérin, l’intention du directeur était

de « se faire mousser » auprès de sa propre hiérarchie. Ceci a déclenché la colère des

participants et des problèmes ont surgi entre ces derniers et leur directeur, mais aussi,

entre eux, puisqu’ils reprochaient notamment au délégué désigné pour l’animation

d’avoir adopté une attitude de chef, même pendant le travail. Ceci a amené les

participants à se retirer du projet par la suite].

Pour revenir à ce qui nous importe dans ce chapitre, on note donc l’apport de cette CP à ses

membres (et à l’organisation en général) en terme de performance, par les biais de : l’échange

des savoir-faire, des méthodes testées pour éviter le « rework » (Lesser et Stork, 2001),

l’élaboration de pratiques permettant de pallier aux défaillances des procédures prescrites

(Brown et Duguid, 1991 ; Wenger, 1998) ou plutôt de leur absence pour ce genre de situation.

Bien évidemment, le déclenchement du processus d’apprentissage collectif informel,

bénéfique aux salariés et aux novices notamment, (Lave et Wenger,1991), dans ce contexte

fortement marqué par l’instabilité des situations, rendant l’apprentissage tout simplement une

condition sine qua none pour la survie de l’organisation (Popper et Lipshitz (2000).

2.2 La CP comme levier d’efficacité dans la gestion des événements

inattendus. Le cas d’un centre de répartition des urgences 911 au Québec

(Grosjean, 2008)

L’étude réalisée par Grosjean (2008) concerne la communauté des téléopérateurs du « centre

des urgences. 911 » (de la région de l’Outaouais québécois). Plus précisément, elle s’est

intéressée aux « savoir-faire communicationnels » de répartiteurs (téléopérateurs) d’urgence,

présenté comme peu formalisé et particulièrement dépendant du contexte. Pour l’auteur, ces

savoir-faire sont en réalité des pratiques qui s’actualisent au sein d’une communauté de

pratique.

Selon l’auteur, les savoir-faire communicationnels font référence à des savoir-faire

(compétences professionnelles particulières) propres aux dynamiques interactionnelles et

215

conversationnelles. Ce sont des connaissances tacites qui relèvent d’un savoir-faire partagé au

sein de la communauté. Ce type de savoir-faire ne se développe que dans le cadre d’un long

processus de socialisation (au sens de Nonaka et Takeuchi, 1995), et qui permet

progressivement aux nouveaux répartiteurs de prendre leur place au sein de cette

communauté, ajoute l’auteur. On enregistre ici le même constat que celui rapporté par Guérin

(ci-dessus), relatif à l’apprentissage et l’intégration des novices dans la CP.

L’organisation de ce collectif opérant dans le centre d’urgence, est alors vue comme une

réalité socialement constituée à travers la communication. Autrement dit, il s’agit d’une

organisation constituée (Giroux, 1997) [in Grosjean 2008, p. 102] « d’individus en interaction

qui tentent ensemble, au moyen d’un processus organisant, de réduire l’équivoque présente

dans leur relation à l’environnement […]. Le processus organisant est un processus de

création de signification, d’élaboration de la connaissance se réalisant par et dans la

communication124 ».

Les répartiteurs d’urgence sont des professionnels qui exercent un métier dans des conditions

exigeant des compétences relationnelles et communicationnelles spécifiques. Ils doivent à la

fois gérer à distance des personnes sous stress et coordonner les interventions des

ambulanciers de la manière la plus efficace possible. Pour l’auteur (en citant Pavard et

Dugdale, 2000), la performance d’une équipe d’intervention d’urgence repose sur sa capacité

à réagir aux événements inattendus125. A partir de là, on comprend que l’activité de ces

agents s’articule autour de deux tâches essentielles, et leur performance s’attache à un objectif

double : bien gérer la relation avec les appelants et une meilleure mobilisation des autres

acteurs intervenant dans le processus de service (les ambulanciers).

Les observations empiriques indiquent que la capacité des agents à gérer les situations de

manière performante tient aux pratiques développées par la communauté. Des techniques et

124 On note ici la mobilisation par l’auteur de la perspective de la pratique développée par Bourdieu (1983), et reprise par Wenger (1998), (cf. 1er chapitre 1.1.1. Les théories de la pratique), qui met en avant le caractère organisant et structurant de la pratique dans la vie d’une communauté. 125 Ayant choisis d’analyser ce levier, supposé, de performance de l’équipe opérant dans ce centre, l’auteur annonce vouloir sortir d’une vision basée sur ce qu’elle nomme le « paradigme de l’informativité », qui se présente comme un paradigme dominant dans la majorité des recherches sur la gestion des situations d’urgence (à quelques exceptions près) s’inscrivent dans une perspective prescriptive ou normalisatrice du processus de gestion des urgences. Pour l’auteur, ce paradigme ne peut pas vraiment rendre compte de la façon dont les agents atteignent la performance dans les situations d’urgence.

216

des moyens que les membres de la CP ont mis au jour, particulièrement pertinente pour être

efficace face aux situations. Par exemple, la création d’un document papier (nommé « la

feuille» et qui fait double usage avec le système informatique) sur lequel ils ont structuré et

organisé leurs informations. D’après l’auteur, cela leur permet à la fois de réagir plus

rapidement lorsqu’il faut prendre une décision126 d’intervention et identifier les équipes qui

terminent leur quart de travail ou sont en débordement. Ce sont ces éléments qui permettent

des ajustements aux circonstances et une gestion de qualité des différentes situations. Quand

aux savoir faire communicationnels, il s’agit d’interactions communicatives à la fois

langagières, corporelles et artefactuelles (processus d’engagement dans la CP et l’élaboration

d’un répertoire commun). Pour l’auteur, « l’émergence de pratiques de communication

relevant d’une forme d’économie communicationnelle du fait que la maîtrise du temps

implique une rapidité d’exécution des actions liées à la tâche. Ainsi, les échanges peuvent

prendre des formes spécifiques (discontinuité thématique, codes, etc.) ». (ibid., p. 115). En

fait, certains auteurs ont déjà souligné que les pratiques de communication via la mobilisation

de formes spécifiques permettent de réaliser des économies sur le temps nécessaire dans le

processus de production ou de service. Par exemple, Retour et Krohmer (2005) à travers leur

notion de « référentiel commun et langage partagé» (cf. 1er chapitre : 1.3.3 Le répertoire

partagé), indique que langage opératif commun, facilite les conversations à mi-mots, en

permettant d’éviter commentaires et explications, et de fouiller dans les manuels pour trouver

la réponse recherchée.

Comme nous pouvons le remarquer, en terme de performance des agents, l’étude de Grosjean

fait ressortir quelques éléments importants, attribués aux pratiques de la communauté. Sur le

plan qualitatif, l’auteur indique que les pratiques élaborées et le savoir faire

communicationnel sont les sources de l’efficacité dans la gestion des situations et la

coordination des actions Quant au plan quantitatif, on peut relever la réalisation d’une

économie communicationnelle (maîtrise du temps) et la rapidité d’exécution des actions127.

Ceci peut être assimilé donc au résultats annoncé dans les rapports de Mc Demott, Millen et

al., (2001), Lesser et Stork (2001), Fontaine et al. (2003)), à savoir, la CP permet

l’« économie de temps » et donc la « réduction des coûts d’exploitation». Notons qu’ici les

126 Ceci correspond au postulat de Foote et al., (2002) considérant le partage des connaissances comme produisant un haut niveau de décision, qui à son tour permet la haute performance. (Cf. supra) 127 Notons que dans ce contexte des « urgence », la rapidité de l’action est aussi un critère qualitatif de la relation de service.

217

résultats sont similaires malgré le fait que Grosjean parle davantage en terme de pratiques

élaborées par la communauté et pas (ou peu) en terme d’apprentissage, comme c’était le cas

des auteurs ci-dessus. Cela dit, l’apprentissage dans la CP n’est pas le seul processus par

lequel nous pouvons apprécier l’économie de temps / coût pour les participants et pour

l’organisation, mais les pratiques élaborées par les participant peuvent aussi être source

d’économie.

2.3 La catégorisation des clients par les guichetiers, pratiques et stratégies

collectives.

Quelques auteurs, sans mobiliser le terme de CP, ont rapporté que les agents dans les relations

de service élaborent et développent des pratiques leur permettant de mieux gérer les

situations, et donc d’améliorer leur performance. Parmi les pratiques les plus rapportées, on

trouve la « catégorisation des clients » par les agents. Dans le chapitre précédent, nous avons

procédé, à partir de la revue de littérature sur les relations de service, à une catégorisation des

clients en utilisant le concept de « client multiple », basé sur des critères de profil et de

comportement. En fait, cette pratique ne relève pas seulement de - et est loin d’être exclusive

à - l’analyse conduite par les chercheurs. En effet, elle est bien connue et fréquente chez les

salariés du front-office. Elle est même présentée comme particulièrement importante pour une

meilleure gestion de la relation. Il est à noter que les auteurs soulignent que cette pratique est

informelle, qu’elle est réalisée seulement par les agents et non par l’organisation

institutionnelle. Pour Hanique (2000), et Zarifian (2002), ce genre de pratiques élaborées par

les agents leur permet de trouver l’équilibre dynamique avec la réglementation à laquelle sont

confrontés en permanence.

Parmi les contributions ayant mis en avant cette pratique, on trouve celle de Jeantet (2003).

Elle indique que les guichetiers de La Poste ont pour objectif de faire face à la pression (au

pouvoir) des clients et d’éviter la servitude (cf. 2nd chapitre : 3.2.3 Le contrôle de la

conformité du contenu de la relation et des rythmes de travail). Pour cela, ils produisent sans

cesse des savoir-faire subtils, des règles et des stratégies leur permettant d’affronter les

difficultés relatives aux comportements difficiles des clients au guichet, dont le risque

d’asservissement constitue une part significative. Parmi les outils élaborés par le collectif des

agents, on trouve la pratique de la catégorisation des clients à partir de facteurs

comportementaux, physiques et sociaux, qui permet aux agents de réduire l’imprévisible, et

218

de permettre l’anticipation et l’adaptabilité de la tâche par rapport au client. On rejoint ici la

remarque de Hanique et Jobert (2001) annonçant que le but poursuivi par les guichetiers (de

La Poste), à travers la typologisation des clientèles est de réduire l’incertitude qui caractérise

l’interaction productive, qui se déroule entre des inconnus. Enfin, Valléry (2004) estime que

la catégorisation des clients par les agents d’accueil (opérant dans un aéroport international)

leur permet de rationaliser et segmenter un ensemble complexe d’interlocuteurs. Il s’agit d’

« un moyen d’aide à la gestion de l’interaction participant à la réalisation du service. (ibid.,

p. 31).

D’après Jeantet, cette pratique permet également de déterminer le niveau d’implication de

l’agent dans la relation. De même elle sert pour replacer le client incorrect dans une posture

civile. D’après un des verbatim présentés par l’auteur dans cette étude, les agents estiment que

la discrimination entre bons et mauvais clients est essentielle car elle représente la base à

partir de laquelle les salariés peuvent inventer des règles informelles pour parer aux actions

des clients qui tentent de placer la relation dans le registre de la servitude.

Ces constats empiriques nous rappellent bien évidemment ceux rapportés par Guérin (2005)

(cf. ci-dessus), qui montrent que le contexte de l’accueil à La Poste, incite les agents à

échanger et développer des pratiques et des stratégies collectives, car celles-ci nécessaires

pour faire face aux situations quotidiennes auxquelles il sont confrontés.

Dans le vocabulaire des CP, et même si certains arguments ne sont pas suffisamment

développés ici dans l’étude de Jeantet pour pouvoir faire un rapprochement complet, nous

pensons qu’il est possible d’assimiler ces pratiques informelles aux produits d’une CP. En

particulier, la présence de la dimension d’ « entreprise commune », incarnée ici dans les

stratégies élaborées collectivement par les agents pour défendre leur collectif et parer au

risque de l’asservissement, nous rapproche très fortement du concept de CP.

Dans le registre de la performance, la catégorisation des clients est présentée et considérée

comme permettant aux agents d’évaluer, de connaître rapidement et d’anticiper les demandes

et comportements des personnes à qui ils ont à faire. Ceci peut être vu comme bénéfiques en

termes de performance quantitative et qualitative, pour les agents ainsi que pour

l’organisation. L’incertitude réduite engendre une rapidité d’action et une économie de temps.

Mais, elle induit aussi, une gestion de l’interaction avec une qualité meilleure, permise par la

219

possibilité pour les agents de se préparer pour s’adapter au client préalablement catégorisé,

chose que les agents ne peuvent pas vraiment réussir si un classement préalable des clients n’a

pas été établi.

3. Analyse et discussion des apports qui ressortent de ces études

A l’aune des recherches que nous venons de présenter, nous pouvons faire une synthèse des

différents éléments ressortant de ces quelques études de cas sur l’émergence et le rôle

opérationnel des CP dans les front-office des relations de service.

Pour l’émergence :

- Les CP émergent sous l’effet du contexte des relations de service, qui de part son

instabilité, la multitude et l’imprévisibilité des cas, incitent les agents à élaborer des

pratiques propres au groupe pour faire face aux différentes situations.

- Mais aussi, face aux failles de certaines procédures institutionnelles, et les limites des

compétences individuelles, les membres de la CP procèdent à un apprentissage

permanent, en échangeant des connaissances expérientielles et les transmettant aux

novices notamment.

En terme de performance, nous pouvons déduire que la CP peut contribuer à la performance

quantitative et qualitative de ses membres, et de l’organisation en général, dans le sens où :

- L’apprentissage communautaire, et l’échange des connaissances permettent aux agents

d’éviter les erreurs (améliorer la qualité) et de ne pas re-tester certaines procédures

(rework) (gain/économie de temps)

- Certaines pratiques élaborées peuvent améliorer la coordination du collectif, et d’autres,

comme la « catégorisation des clients » permettent de, réduire l’imprévisible, ainsi que

l’anticipation et l’adaptabilité de la tâche par rapport au client. Ceci engendre une

rapidité d’action et une économie de temps. Ainsi qu’une gestion de qualité (adaptée) de

l’interaction avec le client.

- Les savoir-faire communicationnels que mobilisent les membres de la communauté

semble un facteur permettant l’économie de temps et donc les coûts d’exploitation.

Ainsi, cette présentation permet de montrer que dans les services, face à des problèmes peu ou

pas structurés par l’organisation institutionnelle, la CP apporte des solutions par des pratiques

220

et règles peu ou pas formalisées. Elle permet aux agents de gérer les situations et d’améliorer

leur performance ainsi que celle de l’organisation. En outre, et bien que les auteurs ne l’aient

pas explicité ici, intuitivement, nous pouvons penser que la problématique de la perception

subjective de la performance (indiquée précédemment comme une limite potentielle du

modèle de compétence individuelle), est fort probablement, - ou du moins partiellement -,

dépassée, voire résolue. Cette idée peut être renforcée si on se réfère par exemple à Caldéron

(2006), qui rapporte dans le cas des centres d’appels que la réponse formulée par un

téléopérateur à son client porte la marque du collectif qui la produit. Ou encore, à

l’observation de Codello-Guijarro (2004) qui explique que l’intelligence pratique des agents

dans les services est transmise par la CP, se manifestant ainsi comme une forme d’expertise

générale partagée. Cela leur permettant ainsi de dépasser leurs subjectivités.

En effet, d’après les cas rapportés et les observations émises, on comprend que l’élaboration

des pratiques communes par les salariés se fait via une négociation de sens qui serait basée

logiquement sur des critères définissant, entre autres, ce que peut être une action performante

(la performance en tant que action, pour reprendre les propos de Le Boulaire et Retour

(2008)). Ainsi, les interactions entre les agents permettent à chacun de dépasser sa

subjectivité, pour réifier et adopter la pratique collective qui se veut plus objective.

Cependant, il semble plus sage de nous limiter ici à dire que le problème de la performance

subjective est partiellement dépassé, car nous n’avons pas ici assez d’éléments empiriques

indiquant que la perception du groupe de ce qu’une action performante soit en total accord

avec celle de l’organisation institutionnelle, et ce, même si théoriquement, d’après Reynaud

(1988) par exemple, les groupes autorégulés sont souvent sensibles aux impératifs de résultats

imposés par l’organisation institutionnelle (cf. 1er chapitre).

Par ailleurs, nous souhaitons souligner d’autres éléments qui nous semblent intéressant à

relever ici. Tout d’abord, les résultats de performance tels que rapportés dans ces études sur

les CP dans les services semblent moins précis, comparées à ceux rendus par les études

exposées dans la section précédente, celles portant notamment sur des CP intentionnellement

crées128. En effet, les résultats en terme de performance attribuée à ces dernières, paraissent

plus précis en utilisant des outils et indicateurs tels que des courbes d’apprentissage, des

estimations des économies réalisés (coûts d’exploitation), ou encore des apports en terme

financier. Nous comprenons bien que la différence s’explique, entre autres, par le fait que

128 A l’exception des CP étudiées par Schenkel et Teigland (2008) qui sont présentées par les auteurs comme émergentes.

221

techniquement, l’évaluation des apports d’un groupe informel et émergeant, ne peut pas être

réalisée de la même manière que celle des produits des groupes institués (quoique, là encore,

les mesures sont loin d’être objectivement validées). Mais des similitudes existent dans le

sens où comme dans les études précédentes, celles qui sont réalisées sur les CP émergeantes

dans les services mobilisent également des éléments posés comme des intermédiaires (une

meilleure gestion de la relation, économie de temps, etc.) porteurs de la performance dans les

services. D’ailleurs c’est ce qui nous a conduit parfois à user de l’expression du « rôle

opérationnel » des CP. Cette idées nous amène également à aborder un autre élément oublié

dans cette partie sur les CP dans les service, mais annoncé dans les études précédemment

exposées. Il s’agit de l’«innovation » que les auteurs précédents (cf. 1ère section) avaient

attribuée à aux activités de la CP. En effet, l’innovation n’a pas été (ou du moins, pas

explicitement) relevée par les auteurs des cas sur les CP dans les services. L’explication que

nous pouvons avancer à ce propos s’articule autour du fait que les premières études présentées

sont conduites dans leur majorité au sein des groupes de salariés participants à la conception

des produits ; or, dans les relations de service, cette fonction de conception relève de la

compétence du back-office (Veltz, 2000 ; Zarifan, 2002 ; Combes, 2002 ; Zomerdijk et De

Vries, 2007) pour laisser les salariés du front office s’occuper essentiellement de l’exécution.

Cependant, et à notre sens, trouver des solutions et concevoir des pratiques permettant une

meilleure gestion de l’interaction, peut aussi être considéré comme une innovation produite

par les agents, et apportée au niveau du processus de coproduction129. Néanmoins, le caractère

informel des solutions et la non réification de ces dernières par l’organisation institutionnelle,

amènent vraisemblablement les auteurs et les responsables praticiens à restreindre ces

« innovations » à des savoirs aidant à mieux gérer la relation, sans considérer toute la portée

de leur valeur à l’organisation.

Enfin, un dernier élément et pas des moindres, a attiré notre attention ici. Les auteurs ayant

rapporté des éléments relatifs à l’impact des CP sur la performance dans les services, a aucun

moment ils n’ont fait allusion à la dichotomie entre la performance quantitative et la

performance qualitative du service, ni à la contradiction qui émerge lors de la rencontre de ces

deux critères. Par contre, il est à noter que dans leurs constats globaux, les arguments

convergent vers l’idée selon laquelle la CP permet aux agents, d’une part, d’économiser le

temps dans le traitement de la relation, et de l’autre, de contribuer à produire un travail de

129 De plus, si on se réfère à l’idée selon laquelle la relation de service est à la fois un processus et sa production (cf. 2nd chapitre), alors l’innovation dont il est question ici concerne la relation de service dans sa globalité.

222

qualité en terme de gestion de l’interaction avec le client. Nous pouvons en sus utiliser une

formule qui permet d’écarter la contradiction entre les critères, en disant que la CP permet de

réduire le temps de l’interaction sans que cela soit nuisible à la qualité de cette dernière. Dans

le sens contraire, les constats sont également vérifiés. Comme par exemple dans le cas des

urgences (Grosjean, 2008), où les pratiques de la CP permettent une meilleure gestion de la

relation, sans que cela ne rallonge le temps de l’interaction, au contraire, ça permet de le

réduire. Nous retrouvons ainsi la perspective de la performance dans le cas étudié de Schenkel

et Teigland (2008), où la courbe d’apprentissage s’améliore en fonction de la qualité de la

production, d’où l’effet indirect des CP sur le rendement.

Ces dialectiques, curieuses, nous interpellent et soulèvent bien évidemment quelques

interrogations. Nous pensons que la remise en question de la thèse défendue par plusieurs

auteurs donnant les critères comme contradictoires, serait une erreur. Par contre, il semble

plus cohérent, et peut être plus audacieux, de penser que c’est la CP qui joue le rôle d’une

ressource pour gérer les contradictions entre ces deux visions de la performance. En effet, et à

défaut d’avoir plus d’éléments explicatifs au sujet de la disparition ou la non référence des

auteurs à la contradiction des critères, c’est ce nous pouvons déduire des différentes constats

évoqués dans ces études sur l’émergence des CP dans les relations de service, qui les donnent

comme améliorant la performance des agents dans leur travail quotidien, à la fois sur le plan

quantitatif via la réduction des temps (coût d’exploitation) et qualitatif par l’adaptation aux

cas (la personnalisation de l’interaction, etc.). ,

En guise de conclusion, nous pensons qu’une certaine prise de recul s’impose ici afin de

modérer nos propos dans l’interprétation de ces résultats autour des apports de la CP à la

performance de ses participants et de l’organisation. Une partie des théoriciens mobilisés ici

indiquent que certaines connaissances/pratiques, adoptées et utilisées par la communauté, sont

élaborées parfois par un salarié expérimenté, ou bien par, ce que nous qualifions

communément, un « agent compétent ». D’ailleurs, même les initiateurs de la théorie des CP

(Lave et Wenger, 1991 ; Brown et Duguid, 1991), n’ont nié à aucun moment ces états de fait.

Toutefois, selon la perspective de Situated Learning et /ou du socioconstructivisme, les

postulats admis annoncent que le contexte (en incluant notamment sa dimension

démographique) fait partie intégrante de la construction des connaissances. Autrement dit,

bien qu’à la base une connaissance / pratique puisse être issue d’une réflexion individuelle

(constructivisme), elle sera certainement négociée et réinterprétée de manière continue (vu

223

l’instabilité et l’évolution du contexte) par les participants la CP pour la réifier et l’adopter.

Ainsi, il faut garder en tête que certaines pratiques informelles observées chez les agents,

peuvent être tout simplement des savoir expérientiels appartenant à une personne, que l’ont

peut considérer comme se positionnant,- pour reprendre les idées de la théorie de Legitimate

Peripheral Participation, (Lave et Wenger, 1991) -, au centre de la communauté de pratique

(cf. chapitre1).

De cette première remarque découle expressément une seconde, qui consiste à identifier les

différences des niveaux de compétence et de performance qui peuvent exister entre les agents

membres de la CP. Les pratiques élaborées de cette dernière à travers les négociations de sens

des événements, seront utilisées et réutilisées (ou du moins comme une source d’inspiration)

par des personnes ayant des niveaux d’expérience et d’expertise différents, et naturellement,

certains seront plus habiles à manier ces savoirs informels que d’autres. Ceci est d’autant plus

vrai que les situations qui se présentent aux front-office sont changeantes et imprévisibles,

même si cela ne signifie pas qu’elles sont radicalement différentes (car certaines situations

présentent des caractéristiques proches). Notre idée ici est d’insister sur le fait qu’il serait plus

judicieux de ne pas penser la CP comme un levier déterminant de la performance de ses

membres, mais comme une ressource contribuant à améliorer la performance de ces derniers.

Avant de passer à la section suivante, nous souhaitons souligner que globalement, et une fois

que la prise de conscience se réalise à propos des apports des CP en terme de performance, les

enseignements que l’on peut tirer concernent, comme c’est le cas dans la plupart des

contributions sur la théorie des CP, les problématiques relevant de la fonction de Knowledge

Management dans les organisations. De notre côté, et bien que nous comptions apporter à la

fin de notre travail certaines perspectives managériales, nous souhaitons inscrire davantage

notre thèse dans le champ de la GRH, dont le rôle rappelons le, consiste entre autres, à fournir

à l’entreprise les ressources humaines dont elle a besoin pour atteindre en temps voulu les

objectifs qu’elle s’est fixés dans un contexte d’incertitude accrue (Dietrich et Pigeyre, 2005).

Cette tentative de rapprochement permettrait de sortir un peu du courant commun et

dominant, qui utilise la CP dans l’approche du management des connaissances, et donner

ainsi plus d’originalité à notre travail. Aussi, nous allons donc tenter d’enrichir les

connaissances dans le domaine de la GRH en empruntant des notions issues de la théorie des

CP pour tenter d’expliquer certaines problématiques dans ce champ, et essayer de proposer

quelques perspectives (innovantes) visant à améliorer les pratiques dans cette fonction qui,

224

selon Loisil (2009), est connue généralement pour gérer plutôt l’emploi et assez rarement les

pratiques professionnelles quotidiennes des employés.

Section 3. Quels enseignements pour la Gestion des Ressources

Humaines dans les organisations ?

Malgré ses profonds changements et son développement qui se poursuit, la GRH est toujours

en quête de méthodes et d’outils pour améliorer ses pratiques, vues comme de réels enjeux de

gestion, et qui restent d’après certains auteurs (Perrot, 2001 ; Pontier, 2003 ; Dufour et Peretti,

2008 ; Bargues, 2008) de grands chantiers pour la GRH d’aujourd’hui.

Trois pratiques dans ce domaine nous intéressent plus particulièrement, et nous semblent bien

ouvertes à la théorie de la CP. Il s’agit de l’intégration des nouvelles recrues, de la formation

des salariés, et leur appréciation. Nous commençons d’abord par interroger la possibilité que

la CP soit un outil au service de la GRH (1). Puis, nous détaillerons nos propos en essayant de

voir comment cet outil pourrait, d’un côté, expliquer le processus d’intégration des novices, et

de l’autre, être considéré et mobilisé comme une source pour leur socialisation dans

l’entreprise (2). Etant donné les failles identifiées par de nombreux auteurs (Remoussenard-

Champy, 1997 ; Moreau, 2004 ; Bourhis et Tremblay, 2004 ; Chanier et Cartier, 2006 ;

Zeitler, 2007 ; etc.) dans les dispositifs de la formation institutionnelle dans les organisations,

nous verrons comment la CP peut remédier à certains de ces dysfonctionnements (3). Enfin,

nous changeons de perspective en passant du rôle potentiel que les CP pourrait jouer dans les

deux premières pratiques, à celle de la nécessité de prendre en compte l’engagement de leurs

membres et les connaissances / pratiques élaborées pour les intégrer dans - et enrichir de ce

fait- leurs appréciation dans l’organisation. Ceci ayant pour objectif d’inciter les participants

d’une CP à continuer de s’investir et être plus actifs dans leur activité communautaire (4).

1. Les communautés de pratique au service de la GRH ?

Les apports de la théorie des CP et leurs rôles dans les organisations nous semblent

intéressant à analyser et intégrer au registre de la GRH. En effet, si on se réfère aux idées et

perspectives développées dans notre revue de littérature, plusieurs enseignements théoriques

225

et pratiques peuvent être mobilisés, et apporter un éclairage sur quelques pratiques relevant

du champ de la GRH. Toutefois, dans le cas où l’intégration des phénomènes informels tels

que la CP n’a pas encore atteint le stade de maturité, ou du moins, celui de la prise de

conscience chez les dirigeants dans les organisations, quelques perspectives relatives au

concept et à la dynamique de la CP pourraient se révéler intéressantes pour enrichir et

améliorer les pratiques de GRH dans les organisations .

Dans leur ouvrage intitulé « Les pratiques de gestion des ressources humaines » (2000),

Pichault et Nizet avaient évoqué l’opposition entre pratiques informelles et formelles de la GRH.

Les premières, caractérisées par une grande adaptabilité et une faible complexité, permettent une

régulation continue des activités de travail ; en revanche, elles favorisent la subjectivité et augmentent

les risques de discrimination et de favoritisme. Les secondes se veulent plus rigoureuses, en

fonction de critères clairement définis, autorisant la planification et le contrôle des activités. Ce qui

explique la tendance à la formalisation progressive des pratiques informelles. Mais certaines

d’entre elles résistent à cette formalisation du fait de la rigidité et complexité de cette dernière.

C’est ce qui peut être constaté dans le domaine des CP, dont les propriétés font qu'elles et leurs

produits sont difficilement contrôlables. Cependant les CP jouent un rôle important dans la vie des

salariés dans l’organisation, mais généralement elle n’est pas jugée à sa juste valeur par les

managers dans les entreprises.

C’est dans cet ordre idée que nous voyons le concept de CP comme pouvant enrichir les pratiques

de GRH. Les spécificités des CP conduisent à redéfinir la GRH dans un sens plus émergent,

voire innovant. Elles apparaissent donc comme un outil particulièrement intéressant pour lui

permettre de relever de grands défis dans le contexte concurrentiel actuel, caractérisée par une

économie basée plus que jamais sur la connaissance.

Il existent certains travaux qui, malgré le fait qu’ils n’ont pas inscrit explicitement leurs

contributions dans le registre de la GRH, ont pour la plupart (Wenger, 1998 ; Mc Dermott et

O’Dell, 2001; Gogla et Rizzuto, 2001130 ; Bourhis et Tremblay, 2004 ; et d’autres) évoqué la

nécessité d’intégrer davantage la notion de CP dans les activités courantes des entreprises, en

valorisant d’un côté la portée de leur contributions, et en encourageant de l’autre la

participation des salariés aux échanges dans les collectifs de travail. Dans la lignée de ces

130 Ces auteurs estiment que l’introduction de la théorie des CP dans les questions relatives à la socialisation organisationnelle des novices constitue une question de recherche pertinente pour le développement de la théorie des CP.

226

idées, et même si, la revue de littérature sur les liens – encore ténus – qui existent entre CP et

GRH, n’est pas foisonnante131, nous allons tenter d’analyser si la CP peut être un outil au

service de la GRH, en nous focalisons particulièrement sur trois pratiques parmi les classiques

dans ce domaine, en l’occurrence, l’intégration des nouveaux employés, la formation des

salariés et les méthodes d’appréciation de ces derniers.

2. La CP : Une structure socialisatrice, source d'information et

d’apprentissage pour les novices dans les organisations

Avant de montrer comment la CP peut expliquer et se présenter comme un outil aidant à

l’intégration des novices dans l’organisation, voyons ce que signifie l’intégration telle que

rapportée par les théoriciens dans ce domaine.

2.1 L’intégration des nouvelles recrues : la première phase de la socialisation

organisationnelle.

L’intégration des nouvelles recrues est un processus important à la fois pour l’entreprise et le

nouveau salarié, mais les méthodes utilisées semblent insuffisantes pour s’assurer de

l’aboutissement de cette étape. Ce constat est relevé par plusieurs auteurs, à l’instar de Perrot

(2001) qui estime que « l’intégration des nouveaux salariés par une entreprise est un réel

enjeu de gestion, face auquel on constate un déficit d’outils d’intervention pour les DRH »

(ibid., p. 24). Les recherches académiques s’intéressant à l’intégration des nouvelles recrues

dans les entreprises, ont inclus ce phénomène dans un processus plus global, appelé la

« socialisation organisationnelle ». Elle est présentée comme le processus par lequel un

individu acquiert les valeurs, les comportements et les connaissances nécessaires afin

d’assumer pleinement les rôles qui lui sont confiés au sein de l’organisation, et ainsi en

devenir un membre à part entière (Louis, 1990). Selon Lacaze et Fabre (2005), l’intégration

est la première phase de la carrière organisationnelle et, ce qui se joue pendant cette période

est déterminant dans la carrière de l’individu. La phase d’intégration intervient au moment où

les nouvelles recrues entrent dans l’organisation (l’entrée organisationnelle), et d’après ces

auteurs elle représente le stade le plus intense de la socialisation organisationnelle.

131 Là encore, nous pensons que cela est la conséquence des raisons évoquées précédemment sur la conceptualisation récente du concept de CP et les difficultés qui l’entourent. Nous nous sommes donc appuyés dans certains cas sur les travaux n’ayant pas utilisé le terme de CP, mais qui ont mobilisé des notions que l’on peut considérer comme synonymes du concept, ou du moins, relatives à quelques caractéristiques types de ces groupes.

227

Dans les travaux de Perrot (2001), il ressort que l’une des principales approches pour

appréhender l’entrée organisationnelle consiste dans l’ « approche interactionniste », qui

explique la socialisation par l’acquisition d’informations qui se fait essentiellement à travers

les interactions entre le nouveau et les anciens salariés. C’est au cours des premiers temps

dans l’organisation que la recherche d’informations par les nouvelles recrues est la plus

intense (Lacaze et Fabre, 2005). D’après les auteurs, les informations les plus recherchées

concernent généralement les aspects techniques (apprentissage du travail) et l’évaluation en

termes de performance et de comportement. Pour Reichers (1987) [in Perrot, 2001], ce qui

motive les nouveaux entrants dans leur recherche d’information, est en réalité la quête d’un

soutien social (social support) qu’ils trouvent, d’après Kram et Isabella (1985), auprès des

collègues. Ces derniers désignent toute personne ayant un rôle similaire dans l’entreprise,

donc appartenant généralement au même niveau hiérarchique. Ainsi, et d’après ces auteurs,

cette source interpersonnelle en contact avec la nouvelle recrue, devient de ce fait un des

agents socialisateurs effectifs ou potentiels dans l’organisation. Les interactions sont donc

particulièrement importantes dans le processus de socialisation organisationnelle, et selon

Louis (1990), elles sont favorisées notamment par certains contextes tels que les moments

informels dans la vie de l’organisation (déjeuners, pauses café, etc.).

On voit à travers cette présentation, tout la portée des interactions, formelles et informelles, en

terme d’intégration des nouvelles recrues dans l’organisation. Elles se présentent comme une

ressource particulièrement convoitée par les novices, qui y trouvent un moyen d’acquérir

toute sorte d’informations, et apprendre davantage pour être entièrement opérationnel dans

l’organisation. Ici, les auteurs parlent du rôle des « collègues » comme source de

socialisation, sans pour autant expliquer le fonctionnement des interactions et les frontières

délimitant les collègues participant à ces interactions. S’agit-il de tous les collègues ayant rôle

similaire dans l’entreprise comme indiqué par Kram et Isabella (1985), ou bien seulement

ceux avec qui le processus d’interaction et d’apprentissage prend réellement forme ? En

faisant un parallèle entre l’idée du novice recherchant des informations techniques, cognitives

et comportementales, ainsi qu’un soutien social dans l’organisation, avec les préceptes de la

théorie de Situated Learning : Legitimate Peripheral Participation (Lave et Wenger, 1998), qui

expliquent le mécanisme par lequel un novice apprend, s’identifie et s’enculture dans le

groupe, nous pensons que la notion de CP est particulièrement intéressante dans ce champ

pour identifier et qualifier le collectif des collègues qui participent à l’intégration du novice.

Ceci permet de rendre compte de certains mécanismes permettant cette socialisation, et dans

228

une perspective plus pratique, nous estimons que ce groupe serait bien adapté pour jouer le

rôle qu’un novice attendrait de ses collègues lors de son entrée organisationnelle.

2.2 La CP : une source d’informations, d’apprentissage et de soutien social

pour les novices

Comme nous l’avons soutenu à propos de Lave et Wenger (1991), Brown et Duguid (1991),

Wenger (1998), et d’autres, la CP joue un rôle primordial dans le processus d’apprentissage et

d’enculturation des novices.

En ce qui concerne la recherche d’informations (techniques, comportementales, etc.) par la

nouvelle recrue, nous avons vu, que ce soit d’après les théories ou les constats issus d’études

empiriques, que la CP offre les ressources, les astuces et le savoir requis (tacite notamment)

pour bien s’intégrer dans le groupe et, de ce fait, ne pas s’éloigner de sa norme (des

perceptions du monde, des valeurs communes, culture, etc.). Cette norme du groupe est

appelée « genre » par Hanique et Jobert (2001) (un terme créé par Clot et al. (2000) et

présenté comme une sorte de mémoire mobilisée par l'action132). Hanique et Jobert (2001)

pensent donc que les agents dans leur travail se réfèrent lorsqu’ils posent tel ou tel acte au

« genre » du groupe, incarné dans des règles informelles tacites, élaborées par les agents,

permettant de dicter un comportement et une certaine conduite dans le collectif, pour les

novices notamment. Ce sont donc, entre autres, les éléments que le novice trouve dans les

divers objets du répertoire partagé de la CP. Pour rappel, ce dernier contient aussi d’autres

informations telles que « qui sait quoi, qui fait quoi, qui avec qui, qui connaît qui, etc. »

(Smith et Farquhar, 2000 ; Lesser et Stork, 2001). Le genre contient donc les caractéristiques

types des CP. Celles-ci constituent autant d’éléments particulièrement favorables et

recherchés par les nouveaux entrants, qui selon Louis (1990) et Perrot (2001), ont besoin de

références communes pour comprendre, interpréter et réagir aux évènements de leur

environnement de travail.

Du côté de l’apprentissage du novice, il ressort que la CP est particulièrement active dans ce

domaine en combinant le théorique et le pratique (situé). Si on se réfère à la théorie de LPP

132 « Mémoire impersonnelle et collective qui donne sa contenance à l'activité en situation : manières de se tenir, manières de s'adresser, manières de commencer une activité et de la finir, manières de la conduire efficacement à son objet. Ces manières de prendre les choses et les gens dans un milieu de travail donné forment un répertoire d'actes convenus ou déplacés que l'histoire de ce milieu a retenu » (Clot et al. (2000), p. 2)

229

(Lave et Wenger, 1991), cet apprentissage se fera progressivement, en commençant par une

participation périphérique aux pratiques de la communauté. Comme nous l’avons vu, la

« Participation » renvoie au fait que les apprentis s’immergent dans le contexte et la pratique,

en maniant les outils et en collaborant avec les autres professionnels pour réaliser l’activité.

La notion de « Périphérique » s’entend par référence à la position du nouveau vis à vis des

autres. L’existence d’une périphérie au niveau de la CP implique naturellement l’existence

d’un centre. Ce terme permet de localiser le positionnement d’un nouveau membre (apprenti)

vis-à-vis des autres membres de la communauté. Il se consacre à des activités périphériques

tandis que les anciens s’occupent des taches les plus importantes. Hormis cette participation

aux activités authentiques de la communauté, le novice est souvent invité à observer comment

les anciens travaillent en situation (Guérin, 2005 ; Grosjean, 2008), et à écouter (négocier le

sens) des histoires racontées (processus de narration) par les experts et anciens. La narration

des histoires est considérée comme particulièrement bénéfique pour les novices (Brown et

Duguid, 1989 ; Mc Dermott, 2000 et 2001 ; Lesser et Stork, 2001 ; Millen et al., 2001 ; etc.)

dans le sens où cela accélère leur processus de formation en leur évitant les erreurs déjà

connues des autres participants (éviter le « rework »), raccourcissant ainsi leurs temps

(courbe) d’apprentissage. Ceci est d’autant plus vrai que ce procédé d’apprentissage social est

réputé plus productif que l’auto-management de l’expérimentation individuelle « essai-

erreur ». Ainsi, l’apprentissage collectif et le partage des connaissances dans la CP

permettront aux novices d’atteindre, et plus rapidement, un niveau de performance qui,

probablement, ne serait pas atteint si le novice se contente d’un apprentissage individuel et

l’acquisition de connaissances uniquement via les dispositifs de formations institutionnelles.

Nous reviendrons sur cette dialectique dans le titre suivant.

Enfin, toujours selon la théorie de LPP, la participation périphérique de ce novice est

considérée comme « Légitime », ce qui sous entend la reconnaissance sociale par les membres

de la CP du statut de l’apprenant, lui conférant ainsi la légitimité de participer de manière

périphérique aux activités. Par la suite et au fil du temps, le nouveau développera un

sentiment d’appartenance à une entreprise commune, au sein de laquelle les membres

s’expriment librement, partagent des histoires, se consolent, se félicitent, s’écoutent et

s’entraident, etc., autant d’éléments qui offrent, d’après Guérin (2005), une contribution

majeure à l’instauration d’une atmosphère non menaçante. C’est ainsi, et à notre sens, que la

CP offre une forme de « soutien social » qu’une nouvelle recrue recherche auprès des

collègues. Aux avantages qu’on vient de citer, il faut en rajouter d’autres, relatifs à idée selon

230

laquelle (Fontaine et al., 2003 ; Hemmasi et Csanda, 2009), la CP permet aussi une

augmentation de la satisfaction au travail chez les participants, ou encore de leur motivation

(Thompson, 2005 ; Loyarte et Rivera, 2007 ; Mittendorff et al., 2006 ; Hemmasi et Csanda,

2009 ; etc.). Tous ces apports sont particulièrement important pour les entreprises soucieuses

de garder leurs nouvelles recrues (limiter le turn-over) et réduire leur absentéisme (Deci et al.,

1989).

Ainsi, ces éléments nous permettent de comprendre que l’intégration d’une nouvelle recrue

dans l’entreprise peut être facilitée et s’entreprendre dans un premier temps par une première

intégration dans la CP, d’autant plus que cette dernière, est considérée dans la théorie de la

régulation sociale (Reynaud, 1988) comme étant sensible aux objectifs de l’organisation.

Cependant, il ne faut pas exclure l’hypothèse selon laquelle, il existerait un risque de voir

certaines idées et pratiques transmises aux novices par le biais de la CP, qui ne concordent pas

parfaitement avec la lignée officielle de la GRH dans l’organisation. C’est ce que la

contribution de Raz (2007) avait rapporté suite aux observations réalisées dans trois centres

d’appels. L’auteur souligne que les CP dans ces centres produisent des savoirs et des

procédures dans le respect (équilibre) avec les procédures organisationnelles officielles,

toutefois, un certain ressentiment est exprimé dans ces CP envers les politiques de GRH en

œuvre dans ces organisations, tels que les bas salaires, le pratiques de contrôle rigoureux et le

manque de perspectives de carrières.

Nous venons donc de développer l’idée que la CP saurait expliquer le mécanisme

d’intégration des novices, et pourrait être considéré de ce fait comme un espace contribuant à

accélérer et bien intégrer les novices lors de l’entrée organisationnelle. Nous allons

maintenant nous intéresser au potentiel formateur de ces groupes comme permettant de

remédier à certains problèmes non maîtrisés par les dispositifs de formation institutionnelle

dans les entreprises.

3. La CP : Un moyen pour remédier à la défaillance de la formation

institutionnelle ?

En plus de cette capacité socialisatrice des novices, les CP offrent aux salariés la possibilité de

se former en leur procurant - et les invitant à co-produire - des savoirs situés, généralement

tacites. Un savoir répété comme étant l’ingénierie des connaissances (Knowledge

Management) dans l’organisation peine à capturer et à codifier. D’où son incapacité à le

231

transmettre via les dispositifs de formation institutionnels, qualifiés par certains auteurs

comme lourds et souvent assez peu efficaces quand il s’agit de gérer les situations réelles de

travail (Remoussenard-Champy, 1997 ; Moreau, 2004; Zeitler, 2007 ; Loisil, 2009). C’est ce

que nous allons essayer d’expliquer dans ce qui suit, en interrogeant si la CP permet de

remédier aux défaillances de la formation institutionnelle. Nous commençons par rappeler

certaines critiques adressées par des chercheurs à l’égard de la forme et du contenu des

formations institutionnelles dans les entreprises. Puis, nous allons tenter de voir en quoi la CP

pourrait apporter quelques réponses aux problèmes soulevées par ces chercheurs.

3.1. La formation institutionnelle, rigidité et insuffisances.

Plusieurs recherches portant sur la formation institutionnelle (initiale et continue) dans les

entreprises, ont fait acte de la carence des connaissances dispensées aux salariés aux regards

des pratiques observées sur le terrain (Remoussenard-Champy, 1997 ; Moreau, 2004 ; Bourhis

et Tremblay, 2004 ; Chanier et Cartier, 2006). En terme d’évaluation des formations

dispensées aux salariés, les théoriciens rapportent à propos des pratiques dans les entreprises

que, dans l’usage, l’évaluation est basée généralement sur deux niveaux (critères)

fondamentaux, - et classiques : la satisfaction des apprenants et la qualité/quantité des

apprentissages133.

Les résultats des évaluations et les observations réalisées sur les pratiques de formation dans

les entreprises, convergent pour la plupart vers l’idée selon laquelle il ya un décalage entre

pratiques de terrain et formations institutionnelles (Remoussenard-Champy, 1997). Cet écart

est fréquemment critiqué par les agents au cours des enquêtes menées par cet auteur. Il ajoute

que « les limites de la formalisation sont liées à l’occultation finalisée ou involontaire de

certaines dimensions du travail réel, et à la non prise en compte du rôle de ces dimensions

cachées dans les situations de travail ».(ibid., p. 16).

En effet, certains savoirs et savoirs faire, du fait de leur caractère tacite et contextualisé,

résistent à la formalisation et restent inaccessibles par la voie de la formation formelle. Ces

raisons ont amené St Onge [in Bourhis et Tremblay, 2004] à considérer que la formation, telle

qu’on la pratique encore aujourd’hui n’est plus la voie royale vers le savoir, car elle ne permet

133 Probablement, l’une des grilles d’évaluation les plus utilisées est celle proposée dans les travaux de Kirkpatrick, contenant les critères relatifs : à la réaction (satisfaction), aux apprentissages et transfert des connaissances, aux résultats / retours sur investissement (Zettler, 2007).

232

pas de répertorier les connaissances de manière dynamique, et de les rendre accessibles à

l’ensemble de leur personnel. De son côté, Grosjean (2008) a rappelé la difficulté autour de

l’enseignement de ce type de connaissances, en estimant que la formation aux savoirs

théoriques est une chose relativement aisée, mais que la formation à ce type de savoir-faire

(qui est un savoir pratique, un savoir d’action) est beaucoup plus difficile car elle repose sur

l’activité elle-même et est donc, pour les organisations, accapareuse de temps.

Hormis le contenu rigide, abstrait et a-contextuel des connaissances transmises lors de la

formation institutionnelle, à un degré moindre, on peut imputer une partie du

dysfonctionnement de cette dernière aux caractéristiques de son organisation (déroulement).

En effet, la forme et les conditions d’exercice de la formation peuvent construire parfois des

handicaps pour la transmission des connaissances aux apprenants. Ce point est souligné

notamment par Zeitler (2007), qui pense que parfois la présence du formateur incarnant une

autorité de conformation et d’évaluation peut être un obstacle à la réussite de la formation.

Bien sûr, d’autres formes de formation dans l’organisation viennent généralement compléter

la formation traditionnelle, telles que le mentoring, la formation en situation de travail et

formation sur le tas134. Cependant, et sans nier la portée de ces trois méthodes, certains

auteurs s’intéressant aux différentes pratiques de formation dans l’entreprise (et non

spécialement aux CP ou au Situated Learning135), pensent qu’une bonne partie de la formation

des salariés ne peut être résumée à ces dispositifs, et soutiennent la thèse selon laquelle la

formation par l’interaction avec les pairs occupe une place primordiale dans la carrière d’un

salarié. À titre d’exemple, Daele et Charlier (2006) [in Chanier et Cartier, 2006], dans leur

étude sur la formation des enseignants, annoncent qu’en plus de la formation initiale et

continue, le développement professionnel des enseignants est un processus alimenté par les

pairs. Un point de vue qu’on trouve également chez Moreau (2004) qui estime que, malgré le

sentiment éprouvé par un enseignant débutant d’être esseulé dans son activité, la réalité du

134 Pour rappel, le mentoring se caractérise par l’instauration d’une relation de travail intense entre un protégé et un membre plus expérimenté de l’organisation chargé de le former à sa fonction et de promouvoir son développement de carrière (Delobbe et Vandenberghe, 2001). La formation en situation de travail concerne l’ensemble des pratiques qui visent explicitement et systématiquement à maximiser le potentiel formateur des situations de travail dans les organisations. (Guyot et al., 2003). Enfin, la formation sur le tas, c’est une formation reliée au travail et se déroulant en totalité sur le poste de travail ou sur le lieu de production (Bernie, 1999). 135 Car à ce sujet, les auteurs s’inscrivant dans cette perspective (voir 1er chapitre) évoquent tous les limites de la formation traditionnelle, en classe (pour les élèves) ou dans les organisations (pour les salariés).

233

terrain témoigne du contraire, car on n’apprend pas son métier seul, mais en interaction avec

les autres dans sa communauté de pratique.

3.2 La CP : Un dispositif permettant de remédier aux défaillances de la

formation traditionnelle?

Bien évidemment, nous ne comptons pas redévelopper ici tout ce que l’on a dit à propos de

l’apprentissage dans la CP et ses produits pour les participants, mais nous tenterons de

montrer en quoi la formation dans la CP se différencie des autres modes de formations

mobilisées dans l’entreprise, et complète de ce fait les dispositifs déjà existants.

Pour Lesser et Stork (2001), la CP permet la capitalisation des connaissances tacites et

explicites qui alimentent le capital social et intellectuel existant dans l’organisation, et

contribuent à en produire un nouveau. Hormis cet apport, ces auteurs annoncent aussi que l’un

des attributs de la CP étant sa capacité à traiter des problèmes non structurés, ce qui ne peut

être réalisé qu’à travers un partage des connaissances, dont le mécanisme dépasse les

frontières structurelles traditionnelles. D’ailleurs, c’est ce qui ressort de la plupart des études

cités dans ce chapitre (Hanique, 2000 ; Jeantet, 2003 ; Guérin, 2005 ; Schenkel et Teigland,

2008 ; Grosjean, 2008 ; etc.), que nous avions exprimé précédemment à travers l’expression :

face à des problèmes peu ou pas structurés par l’organisation institutionnelle, les CP

apportent des solutions par des règles peu ou pas formalisées. Cette dialectique sous entend

bien sûr que l’organisation n’est pas capable d’identifier ces problèmes situationnels ou

contextuels (qui permettrait la détection des besoins en formation par exemple), et qu’elle

n’est pas capable non plus d’élaborer des solutions pour les transmettre aux salariés dans le

cadre d’une formation. Cela dit, les membres de la CP ont plus de chance de détecter ces

problèmes, discuter des solutions et les faire circuler / transmettre aux salariés136, en situation.

Pour continuer dans cette optique de comparaison, nous pouvons rappeler que les membres de

la CP participent à la co-production de ce savoir à caractère expérientiel via le processus de

négociation de sens des situations. Ceci ne peut pas être observé par exemple au niveau des

dispositifs classiques apprentis/maîtres d’apprentissage, où les apprentis sont invités par les

maîtres d’apprentissage, parfois vertement, à mettre leurs pas dans les leurs (Olry et Cuvillier,

2007), ce qui présente selon Piaget (1974) [in Olry et Cuvillier, 2007] une caractéristique

136 Ici nous parlons en termes de salariés en général sans rappeler que cela étant très bénéfique pour les novices, car à cet égard, nous avons vu dans le titre précédent que la CP peut être une structure d’intégration des novices via leur formation/apprentissage.

234

essentielle de l’apprentissage qui s’inscrit dans une dialectique où le « réussir » précède

parfois le « comprendre ». Les membres de la CP, d’après les tenants de cette théorie,

comprennent (même si nous soupçonnons que ce n’est pas le cas de tous les participants137) le

sens des pratiques élaborées leur permettant de bien les utiliser dans les situations rencontrées.

Du point de vue de l’organisation de la formation ou de son « autorégulation » dans la CP

(émergente), il est à noter que la finalité des activités dans cette dernière n’est aucunement

définie par une autorité supérieure, c’est aussi par son effet non-intentionnel que la formation

à travers les CP se démarque des autres formes traditionnelles138. Si la présence du formateur

dans ces dernières, incarnant une autorité de conformation et d’évaluation pourrait nuire au

succès de la formation (cf. supra), la logique des CP, non seulement exclut le processus

d’évaluation139, mais veut que l’autorité s’aligne davantage (Restler et Woolis, 2007) sur celle

de la connaissance « Authority of Knowledge » que celle du statut « Authority of Position ».

Dans une perspective similaire, Read (2001), en parlant de l’apprentissage dans les

organisations, annonce que la suspension, pour une certaine durée, des systèmes hiérarchiques

(rigides et longs), permet aux salariés de s’exprimer plus honnêtement auprès des supérieurs

sur les problèmes rencontrés et donne la possibilité aux expérimentées de proposer les

solutions à mobiliser.

Ainsi, nous pouvons considérer la CP comme un dispositif de formation évoluant sans la

présence d’autorité de conformation et d’évaluation, propice à une formation permanente

informelle, encadrée en partie par les plus expérimentés et/ou compétents, sur un modèle

fonctionnant avec des conventions tacitement admises entre les membres de la communauté.

Ces éléments à propos des difficultés rencontrées par le dispositif de la formation

institutionnelle et les avantages attribués à la formation via les CP (qui renseignent à leur tour

sur les limites de la formation institutionnelle) expliquent pourquoi la gestion des

137 Cf. la remarque que nous noté dans la conclusion de la section précédente à propos des différences des caractéristiques personnelles qui peuvent influencer le degré de compréhension de certains savoirs élaboré dans la CP. 138 Dont la programmation est formellement définie après recensement des besoins, et faisant l’objet d’une ingénierie, mobilisant des dispositifs délibérément et systématiquement orientés vers le développement des compétences au travail. 139 Cette idée perdrait de sa pertinence dans le cas où l’entreprise (où se forme la CP) instituait un système d’évaluation par les pairs

235

connaissances à travers les CP devient une nouvelle modalité de formation qui s’est imposée

dans plusieurs organisations (Bourhis et Tremblay, 2004). Cependant, elle se présente comme

une forme particulière de développement des connaissances, en principe plus axé sur les

individus et leurs échanges que sur la « gestion » par l’entreprise, ajoutent les auteurs.

Bien évidemment, nos propos ne prétendent nullement que la formation via les CP pourrait

remplacer les dispositifs traditionnels dans les organisations, mais nous pensons que la prise

de conscience - et la reconnaissance - des apports de la CP, permet d’intégrer davantage cet

outil pour compléter les dispositifs déjà existant et d’apporter aux salariés et à l’organisation

ce que cette dernière ne peut faire.

Bien sûr, et dans une perspective plus générale, notre idée ici n’est pas originale. Plusieurs

auteurs ont déjà souligné l’intérêt qu’ont les organisations à diversifier les approches

d’apprentissage et de formation, à l’instar de Wonacott (2000), qui pense que l’organisation

doit pratiquer des formations formelles tout en donnant des possibilités aux apprentissages

continus et informels, qu’ils soit individuels ou collectifs. La mobilisation du concept des CP

permet d’enrichir les connaissances dans ce domaine, en mettant en avant les caractéristiques

de leur fonctionnement (caractère situé des connaissances, expertise des participants, autorité

de la connaissance, absence d’autorité d’évaluation, flexibilité, autorégulation, etc.) comme

particulièrement propice pour la formation informelle et continue des salariés dans les

entreprises. Nous ne comptons pas développer ici des perspectives managériales qui auraient

pour but de mieux gérer ce dispositif de formation informelle via la CP (nous évoquerons

quelques éléments vers la fin de notre thèse) cependant, nous estimons que les DRH gagnerait

à considérer les CP comme formatrices (en leur laissant un peu de liberté dans ce champ, en

les encourageant, etc.), et à collaborer avec elles autour des problématiques de formation.

Ceci peut être particulièrement intéressant par exemple dans le cas des relations de service, où

comme nous l’avons vu, les auteurs (Pichault et Zune, 2000 ; Lanciano et al., 2008 ; etc.)

soulignent la faiblesse relative des niveaux de qualification des salariés à leur embauche, ainsi

que la durée relativement courte des sessions de formations proposées par les directions. Ce

qui ne peut être satisfaisant étant donné que ces salariés sont appelés à évoluer dans un

contexte particulièrement difficile, d’autant plus que les outils et les méthodes

organisationnelles sont donnés comme incapables de traiter tout type de relation se présentant

devant les salariés.

236

Enfin, cette approche n’est pas sans limites. On note par exemple le risque de voir émerger

certains conflits sur le terrain entre la formation institutionnelle et la formation par les CP, qui

seraient incarnés dans des dialectiques du type, qui enseigne quoi ?, quand ?, avec quel

encadrement ?, et en cas d’un dédoublement d’enseignement (divergence des points de vue),

quelle serait la source la plus crédible ?, etc. Cela dit, pour limiter ces risques, une réflexion

plus poussée est indispensable et devrait être menée par les acteurs, c’est à dire les

responsables hiérarchiques et les CP (via leurs représentants par exemple) avant de

promouvoir ce système de formation hybride.

Ces deux premières interrogations exposées ici abordent donc le rôle à la fois intégrateur et

formateur que peut jouer la CP auprès des salariés dans l’organisation, permettant, d’un côté,

l’accompagnement du salarié dans sa trajectoire depuis son entrée jusqu’à son opérationnalité,

et de l’autre, d’épauler les pratiques de GRH usuelles dans ces deux champs en comblant les

éventuelles défaillances ou incomplétudes que les auteurs leur reconnaissent. Cependant, si

les activités de la CP permettent à ses membres de mener à bien leur travail et d’améliorer

leur performance, qu’ont-ils à y gagner auprès de leur organisation (dans une optique plus

extrinsèque) en offrant des informations et un soutien social aux novices, et en produisant /

partageant des connaissances sources d’avantages pour l’organisation ? Pour dire les choses

autrement, les efforts consentis par les participants dans la CP sont-ils parfois pris en compte

ou récompensés par leur direction ? C’est ce que nous allons tenter d’exposer dans ce qui suit,

en rapportant quelques réflexions et observations de certains auteurs dans quelques

organisations.

Avant de commencer notre présentation, il faut préciser que, et contrairement aux parties

précédentes où nous avons parlé que du rôle potentiel et généralement implicite que pourrait

jouer les CP en matière d’intégration et de formation des salariés, ici, nous passons à une

autre logique, celle qui plaide pour la nécessité (d’après certains auteurs) de prendre en

compte les effets (connaissances produites) de la CP et les éléments permettant son

fonctionnement (interactions et échanges), dans l’appréciation des salariés qui sont à l’œuvre

de ces pratiques. Ici, l’objectif pour la GRH serait bien évidemment d’encourager les

membres à continuer leurs activités communautaires.

237

4. Enrichir l’appréciation des salariés en considérant leur participation

dans les CP ?

Après avoir abordé certaines idées relatives aux problèmes qui caractérisent les systèmes

d’appréciation des salariés, ainsi que la difficulté particulière d’incorporer la production des

connaissances et des pratiques dans l’évaluation des salariés, nous montrons comment les

auteurs plaident pour l’intégration des activités des CP dans le système d’appréciation des

salariés, ainsi que quelques exemples des entreprises qui se sont déjà lancées dans cette

aventure.

4.1 La GRH en quête de nouvelles méthodes pour l’appréciation des salariés

Parmi les définitions de l’appréciation (des salariés) les plus reprises dans la littérature, on

retrouve celle de Thévenet (1992), la présentant comme un processus de jugement du

personnel, systématisé dans une procédure qui en fixe les règles et les conditions. Bien que ce

ne soit pas l’objet ici, il est à noter que cette définition met l’accent sur la justice procédurale

qu’elle considère comme garantissant l’objectivité des choix. Ceci est insuffisant car un

jugement s'appuie nécessairement sur des standards de performance qui permettent d'évaluer

les niveaux de performance des salariés par rapport à ces standards et déterminent, si besoin

est, des actions correctrices. D’ailleurs, d’après nos diverses lectures, il ressort qu’en matière

d’appréciation dans les entreprises, la réalité d’aujourd’hui confirme l’existence des systèmes

d’appréciation déterminant des objectifs de performance sur lesquels le niveau des salariés

sera apprécié (comme nous l’avons vu dans le registre des relations de service, où les agents

sont évalués en fonction de l’atteinte ou non des objectifs de performance (quantitatif et

qualitatifs) préalablement définis par les directions) (Pichault et Zune, 2000 ; Weller et

Dubois, 2001 ; Clergeau, 2004 ; Caroly et Weill-Fassina, 2007 ; Béraud et al., 2008 ; Ben

Fekih-Aissi, 2010 ; etc.).

Cependant, la détermination de ces objectifs de performance par la direction ne fait pas

souvent l’unanimité auprès des acteurs concernés (la performance comme affaire de

perception). Ceci explique, entre autres, pourquoi les DRH sont en quête continue de

nouveaux outils et méthodes pour l’appréciation des salariés (Cadin et al., 2002). En effet,

depuis quelques années, on assiste à l’utilisation d’une pléthore d’outils en matière

d’appréciation dans les entreprises, mais d’après Pontier (2003), malgré la diversité de ces

méthodes et la recherche d’objectivité et d’équité dans la pratique, plusieurs études montrent

238

une insatisfaction importante vis-à-vis de l’appréciation, quel que soit l’outil sur lequel elle

s’appuie. Ceci dit, l’appréciation, en tant qu’instrument de gestion, dépend du contexte et des

acteurs qui participent activement à sa mise en œuvre et à son succès dans l’organisation

(Gilbert, 1998).

Par ailleurs, les travaux de Cadin et al. (2002) montrent qu’il existe différentes composantes

dans l’appréciation. Quel est l’objet de l’appréciation ? S’agit-il d’apprécier les résultats ? Les

compétences des collaborateurs ? Les comportements ? Ou encore le potentiel ? Ceci nous

semble particulièrement important à soulever dans le sens où le contexte actuel est caractérisé

par une économie concurrentielle, dont les connaissances et les compétences se veulent des

leviers déterminants de la performance organisationnelle. Il est donc logique de penser à la

nécessité d’inclure dans le système d’appréciation des salariés, les savoirs et les

connaissances qu’ils produisent et partagent dans l’entreprise. C’est dans cet esprit que

plusieurs voix (Wenger et Snyder, 2000 ; McDermott et O’Dell, 2001 ; Bourhis et Tremblay,

2004, et d’autres) se sont élevées pour soutenir l’idée de considérer les savoirs et les pratiques

élaborées par les CP. Cependant, cette perspective se heurte au problème de l’objet de

l’évaluation que nous venons de rapporter avec Cadin et al. (2002). Nous pouvons exprimer

ce problème en suivant la dialectique opposant la logique de la matérialité des résultats qu’un

salarié aurait réalisés, à celle de la potentialité des résultats que ses idées et pratiques sont

censés ramener140. Autrement dit, peut on évaluer les idées prometteuses d’un salarié dont les

résultats potentiels ne seraient observables et vérifiable qu’à long terme ? Ce problème est vu

par Wenger et Snyder (2000), comme le grand obstacle dans ce domaine, car selon eux, la

plupart des dirigeants ont du mal à percevoir les apports des CP dont les effets sont souvent

décalés dans le temps. De plus, ces apports se manifestent au niveau du travail des équipes et

des unités, et non uniquement à celui des communautés elles-mêmes (ibid., p. 12).

A notre sens, l’autre problème peut être incarné dans le fait que certains processus, tels que

l’implication, la motivation et la participation des salariés dans la production des

connaissances sont difficiles à évaluer (Gonzalez-Lloret, 2005). En effet, ces processus sont

souvent occultés par une logique chiffrée, or cette dernière aura des difficultés à quantifier les

140 Cette dialectique peut être également formulé dans le champ de la « gestion des carrière », où la promotion d’un salarié est établie suivant les résultats produits sur un poste donné, or rien ne garanti que ce salarié puisse atteindre les niveaux de performance exigés dans son nouveau poste. Cette problématique est parfois exprimée selon l’expression du « Principe de Peter » en vertu duquel, « chacun tend à s'élever à son niveau d’incompétence ».

239

processus en question. Un problème que nous pouvons assimiler à celui concernant le volet

qualitatif de la performance (comme action) dans les organisations de service qui semble

difficile à définir et à évaluer de manière précise (cf. 2nd chapitre). Ceci empêche donc de

mettre en place pour ces actions et processus des standards de performance pour les besoins

d’évaluation.

Ceci dit, plusieurs problèmes expliquent la difficulté d’intégrer et de considérer les

engagements et les produits des CP dans le système d’évaluation. Pourtant, cela n’a pas

découragé les tenants de la théorie des CP qui ont tenu à rappeler aux entreprises la nécessité

de le faire en les incitant à s’investir davantage dans ce champ et revoir leurs méthodes

d’évaluation.

4.2 La nécessité d’apprécier les salariés à travers leurs apports et engagements

dans les CP

Plaider pour l’intégration des activités des CP dans le système d’appréciation a pour but

d’inciter et d’encourager ses participants à continuer de produire et de partager des

connaissances. Malgré les difficultés soulignées ci-dessus, Wenger et Snyder (2000),

McDermott et O’Dell (2001) et Bourhis et Tremblay (2004) insistent sur l’importance de

reconnaître les efforts des CP. L’idée est qu’il est important de reconnaître et de récompenser

le partage d’information pour encourager la participation des membres dans les communautés

de pratique, car dans le cas contraire, les employés pourraient ne pas s’engager et prendre leur

temps pour participer aux activités de la communauté [Soliman et Spooner (2000) in Bourhis

et Tremblay, 2004]. C’est dans cet esprit que les tenants de ce courant, afin d’éviter le risque

de voir les membres d’une CP démotivés, plaident pour la nécessité de prendre en

considération leurs produits et efforts, et invitent les organisations à réadapter le système

d’appréciation, afin de motiver les plus réticents à partager leurs informations, et exploiter les

idées de ceux qui hésitent encore à participer aux activités de la CP. Pour Wenger et Snyder

(2000), les dirigeants doivent investir en temps et en argent dans le fonctionnement de ces

communautés, en intervenant lorsqu’une communauté se heurte à une barrière comme, entre

autres, des systèmes de promotion qui nient les contributions du groupe, ou des modes de

récompenses qui découragent toute collaboration. Ils soutiennent alors que face aux

difficultés des systèmes d’appréciation à prendre en compte les efforts des membres des CP,

240

les entreprises doivent réinventer le système d’évaluation, en trouvant des moyens non

conventionnels pour évaluer ces apports et les récompenser.

Certaines entreprises se sont déjà lancées dans cette pratique. Cependant, il est à noter que

dans la plupart des cas rapportés par les auteurs, les CP concernées sont plutôt des CP

intentionnellement créées par les organisations. Dans ces cas de figure, il est probablement

cohérent, voire évident que ces organisations prennent en compte les produits de la CP dans

l’évaluation de leur membres. La raison en est que le fonctionnement de ces communautés est

très proche de celui des communautés épistémiques, où des objectifs de production cognitive

sont établis par les instances hiérarchiques (cf. 1er Chapitre). Des standards de performance

sont établis pour pouvoir s’y référencier dans le cadre de l’évaluation.

Pour citer quelques uns des exemples rapportés, Mc Dermott [in cahier de synthèse des actes

de colloques de gestion du savoir (2003), Canada], témoigne de certaines pratiques

rencontrées dans les entreprises étudiées, en soulignant, entre autres, qu’une entreprise au

nom de « Chrysler » permet à ses spécialistes techniques de consacrer aux communautés une

partie de leurs heures normales de travail, et évalue par conséquent la qualité de leur

interactions dans la CP. Cependant, l’auteur ne précise pas comment cette entreprise évalue la

qualité des interactions.

De leur côté, Wenger et Snyder (2000) annoncent que chez « Shell », les coordinateurs

(animateurs) des CP enquêtent pour recueillir les anecdotes, puis les rendent publiques dans

les rapports des journaux internes. Ceci peut être glorifiant pour le salarié narrateur de l’une

de ces anecdotes affichées. Chez « AMS »141 (American Management Systems), la société

organise des concours annuels pour élire la meilleure histoire de l’année. Elle explore

également différents moyens pour récompenser explicitement les membres des CP. Elle a mis

en place un système de promotion qui reconnaît officiellement leur travail, ainsi que des

avantages non financiers, tels que l’accès privilégié aux technologies innovantes et des cartes

de visites qui attestent en toutes lettres l’expertise de leurs propriétaires. Enfin, Bourhis et

Tremblay (2004), indiquent à propos de l’étude menée par APQC142 (2001), que la

reconnaissance intrinsèque ou symbolique se traduit par exemple par des félicitations écrites

de la direction, la reconnaissance informelle par les pairs ou une mention sur un tableau

141 Notons que concernant la CP chez AMS bien que les candidats sont sélectionnés par la direction, sa gestion est le fait des participants. 142 American Productivity and Quality Center.

241

d’honneur. D’autres exemples rapportent des faits similaires à propos de ces pratiques qui

consistent à prendre en compte les apports des membres des CP afin d’encourager leurs

dynamiques. En contrepartie, elles félicitent et récompensent avec des moyens plus ou moins

explicites ou matériels, les participants les plus actifs et / ou ceux dont les productions sont

considérées comme de qualité. Sans que ce soit bien explicité par les auteurs, les critères, qui

reviennent le plus souvent dans ces exemples, sur lesquels les membres de la CP sont évalués

dans ce registre sont :

• La création, la co-construction et la diffusion des connaissances dans l’organisation ;

• La qualité des interventions du salarié dans la CP ;

• La participation, l’engagement et la coopération dans les activités de la communauté.

Cependant, comme nous l’avons déjà évoqué, les auteurs ne rapportent pas en détail le

processus de ces évaluations, par exemple sur ce qu’une entreprise défini et considère comme

étant une construction /diffusion des connaissances, l’engagement d’un salarié, ou encore la

qualité de l’intervention dans le groupe. Même si nous ne disposons pas de réponse sur ces

interrogations, nous imaginons mal de voir ces critères comme pouvant garantir l’équité et

l’objectivité de l’appréciation, et peut être, cela a un rapport avec le fait que les récompenses

attribuées en contre partie, restent, à notre avis, un peu floues et généralement intrinsèques à

l’activité. Toutefois, le mérite ici étant d’informer sur le bourgeonnement de ces pratiques

dans certaines organisations, et donner au passage des idées générales sur comment

l’appréciation des salariés dans les entreprises peuvent intégrer et prendre en compte leurs

apports dans les CP.

Cela dit, on voit bien que malgré la complexité de ce système, il reste tout de même

prometteur, dans le sens où cela pourrait être bénéfique pour les deux parties concernées. Pour

les salariés, cela permettrait d’atténuer le sentiment que leur implications et engagement dans

les CP ne sont pas reconnus par les instances supérieures. Mais aussi, cela donnerait aux

salariés la possibilité d’obtenir des récompenses matérielles ou immatérielles, qui même

minimes, pourraient contribuer à leur épanouissement et développement professionnels. En ce

qui concerne l’entreprise, la nécessité de prendre en compte les apports des CP en les

intégrant dans l’appréciation des salariés permettrait d’augmenter leur motivation à participer

davantage dans les CP afin de générer des apports que l’on a présentés dans notre revue de

littérature comme généralement bénéfiques pour l’organisation, en terme d’intégration des

novices, apprentissage et formation, innovation, capital social, etc. De plus, enrichir le

242

système d’appréciation des salariés par la prise en compte de leurs production dans les CP,

peut se révéler comme un moyen pertinent pour détecter certaines compétences chez les

salariés, leurs potentiels ainsi que leurs domaines de prédilection, etc., c’est à dire, des

éléments bien connus entre les participants dans la CP mais généralement méconnus dans les

sphères hiérarchiques (Lave et Wenger, 1991 ; Smith et Farquhar, 2000). D’autres éléments

peuvent être ajoutés à cette liste, comme des feedbacks collectifs sur l’activité et les besoins

en formation, etc., pour renforcer ceux déjà relevés, (Cadin et al., 2002), par les outils

traditionnels, tels que les entretiens d’appréciation annuels.

Enfin, il est à noter que, même si cette perspective semble intéressante pour enrichir les

méthodes d’appréciations déjà existantes, aucun indicateur n’annonce en revanche qu’elle

permettrait de remédier aux problèmes qui les caractérisent. Les limites des systèmes

d’appréciation traditionnels, relatives au manque d’objectivité et d’équité (dans la définition

des standards et les méthodes), ainsi que l’insatisfaction des acteurs nous semblent aussi

concerner le système d’appréciation des contributions des membres de la CP.

En guise de conclusion à cette section, nous souhaitons rappeler que notre réflexion autour de

l’intégration de la notion des CP dans le vocabulaire et les pratiques de la GRH est récente.

Toutefois, ceci n’empêche pas de donner une idée sur le potentiel que peut présenter la notion

de CP, que ce soit d’un point de vue théorique ou pratique, dans ce domaine relatif à des

pratiques du développement humain et social des salariés dans l’entreprise. Dans le champ de

la socialisation organisationnelle, nous avons vu que la notion de CP pourrait expliquer

certains éléments du processus d’intégration des novices dans une entreprise. De ce fait, elle

peut être utilisée /appuyée par les praticiens en la considérant comme une source socialisatrice

des nouvelles recrues. Dans les pratiques relatives à la formation, nous avons vu que le

dispositif des CP pourrait remédier aux défaillances de la formation institutionnelle, marquée

entre autres, par leur rigidité et la nature a-contextuelle des connaissances dispensées par les

formateurs. La théorie des CP montrent que ces dernières permettent aux salariés d’apprendre

en continu et en situation de travail les connaissances indispensables au travail réel,

permettant ainsi de compléter les apports de la formation institutionnelle. Enfin, si le

dispositif de la CP est présenté comme particulièrement pertinent pour venir en aide aux deux

champs précédent (en plus des apports en terme de performance), il serait alors intéressant de

les encourager en intégrant leurs apports dans les procédures d’appréciation des salariés,

permettant d’enrichir ainsi les systèmes d’évaluation déjà en place. Cependant, et malgré ces

243

apports, la CP comme dispositif de la GRH reste un champ nouveau, et certaines limites sont

aussi à prendre en considération par les théoriciens et les praticiens.

Conclusion du chapitre 3

Notre premier objectif dans ce chapitre était de montrer et d’expliquer le lien qu’entretiennent

les CP avec la performance de leurs membres dans les relations de service. Le second objectif

était de dégager quelques implications pour les pratiques de GRH dans les organisations.

L’analyse des différentes contributions présentées au début de ce chapitre a permis de

constater, que malgré les différences dans les approches, les méthodologies utilisées et les

terrains examinés, les résultats convergent vers l’idée que la CP a un impact considérable sur

la performance de ses membres, et par conséquent sur celle de l’organisation. Ce lien entre la

CP et la performance est montré par les auteurs notamment en identifiant et expliquant les

canaux par lesquels la CP engendre la performance.

Pour résumer les différents résultats, nous pouvons dire que la CP permet à ses membres :

- l’économie de temps et la réduction des coûts d’exploitation,

- l’accélération du processus d’apprentissage,

- la correction des erreurs et l’amélioration de la qualité des produits et services,

- la création de capital social et intellectuel, moteur de l’innovation dans les organisations.

Dans le contexte des relations de service, bien que les études menées et présentées ici n’aient

pas traité de la relation entre la CP et la performance de manière aussi précise que les

précédentes, les résultats obtenus semblent toutefois correspondre aux précédents.

Face à des problèmes peu ou pas structurés par l’organisation institutionnelle, les CP

apportent des solutions par des savoirs et des pratiques peu ou pas formalisées. C’est grâce

aux interactions des participants de la communauté qu’un apprentissage se développe chez ces

derniers, permettant de ce fait l’élaboration et le partage des savoirs et des savoir-faire

indispensables pour mener à bien leur travail au quotidien. C’est ainsi que les CP permettent

aux agents de gérer les situations dans les relations de service et d’améliorer leur performance

ainsi que celle de l’organisation.

244

Toutefois, il faut garder en tête que certaines pratiques élaborées et observées chez les agents,

peuvent être issus des savoirs expérientiels appartenant à une personne, que l’ont peut

considérer comme se positionnant,- selon le langage de la LPP (Lave et Wenger, 1991) -, au

centre de la communauté de pratique.

Enfin, le rapprochement entre le concept de CP et la GRH nous semble particulièrement

intéressant et prometteur, tant sur le plan conceptuel qu’opérationnel. Les caractéristiques des

CP et leurs activités dévoilent des potentiels intéressant à conjuguer avec certaines pratiques

de développement humain et social des salariés dans l’entreprise. Dans le domaine de l’entrée

organisationnelle, la CP se révèle comme une source socialisatrice importante pour intégrer

les nouvelles recrues dans l’entreprise. Par rapport à la formation dans l’entreprise, la CP se

présente comme un moyen permettant de remédier à certaines carences qui caractérisent la

formation institutionnelle, telles que la rigidité des dispositifs et le caractère a-contextuel des

connaissances dispensées. Par ailleurs, pour motiver les salariés à interagir et à être actifs dans

la CP, l’organisation doit intégrer leurs engagements et leurs apports dans les procédures

d’appréciation des salariés, permettant d’enrichir ainsi les systèmes d’évaluation déjà en

place.

245

Chapitre 4. Méthodologie de la recherche

Introduction

Ce chapitre a pour objet de présenter trois composantes intrinsèquement imbriquées : le choix

de la méthodologie, des entreprises étudiées et des outils méthodologiques mobilisés.

Parmi les idées générales qui ressortent des trois chapitres précédents, trois constats attirent

notre attention dans le sens où ils permettent de définir notre démarche méthodologique :

- La CP est un phénomène social complexe et fortement ancré dans l’environnement

organisationnel où il a lieu ;

- Le contexte des relations de service et le travail des agents dans les front-office est

caractérisé notamment par le processus de coproduction. Le déroulement de ce dernier dépend

de son objet, qui dépend à son tour du type des prestations délivrées par l’organisation. Il

dépend également des caractéristiques des clients et des modèles productifs mobilisés par

l’organisation ;

- La performance et les critères de sa mesure dans les relations de service varient selon les

entreprises et leurs stratégies, la nature de leur activité (secteur marchand ou non- marchand)

et le secteur (privé ou public) dans lequel les entreprises évoluent (Chen et Yang, 2000 ;

Black et al, 2001)

Au vu de ces différentes caractéristiques, il est clair que le lien entre la CP et la performance

dans les relations de service se présente comme un phénomène particulier évoluant dans un

contexte bien déterminé. Ceci plaide pour le recours à l’approche qualitative, dans le sens où

cette approche est particulièrement intéressante pour rechercher les significations et

comprendre des activités dans des situations fortement contextualisées (Yin, 1994 ; Baumard

et Ibert, 1998 ; Giordano, 2003).

Nous commençons notre première section par la présentation de notre positionnement

épistémologique et le mode de raisonnement privilégié. En effet, la méthodologie ne se

résume pas uniquement à l’utilisation des outils. Elle suit et dépend d’une certaine

philosophie, ayant pour fondement premier la perception qu’a le chercheur de la nature de la

connaissance qu’il cherche à capter sur le terrain (Charreire et Durieux, 2003 ; Perret et

246

Séville, 2003). Puis, nous expliquerons le choix de l’étude de cas multiples et imbriqués

(encastrés), pour mener notre recherche exploratoire (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1994).

Le début de la seconde section est consacré à la présentation des trois entreprises étudiées.

Deux entreprises ‘A’ et ‘B’ sont des organisations ayant un statut d’établissements

parapublics. La troisième entreprise ‘C’, est une banque relevant du secteur privé. Nous

terminons cette seconde section par la présentation des outils de recueil de données et la

manière dont ses dernières sont collectées et analysées.

Section 1. Le positionnement épistémologique et le choix de

l’étude de cas, multiples et imbriqués (encastrés)

Visant à étudier et à explorer un phénomène particulier dans un contexte déterminé, nous

avons recouru dans notre démarche à l’approche qualitative (Yin, 1994 ; Baumard et Ibert,

1998). Notre objet d’investigation s’articule autour du phénomène des CP et du travail des

agents (la coproduction) dans les relations de service, dans le but d’appréhender si et

comment l’émergence de ces CP peuvent contribuer à la performance de leurs membres dans

leur activité quotidienne. Ceci plaide pour le recours à l’approche qualitative, dans le sens où

cette approche est particulièrement intéressante pour rechercher les significations et

comprendre des activités dans des situations uniques et/ou fortement contextualisées

(Giordano, 2003). En outre, comme le montre notre revue de littérature, les phénomènes

sociaux que nous cherchons à appréhender (qu’il s’agisse des CP ou du contexte des front-

office) sont complexes, dynamiques et s’inscrivent dans un contexte organisationnel et

environnemental particulier. A nouveau, l’approche qualitative se présente comme

incontournable dans ce registre d’étude car, contrairement à l’approche quantitative, elle

permet de saisir la qualité complexe et dynamique du monde social (Hoepfl, 2007).

La méthodologie ne se résume pas uniquement à l’utilisation des outils. Elle suit et dépend

d’une certaine philosophie, ayant pour fondement premier la perception qu’a le chercheur de

la nature de la connaissance qu’il cherche à capter sur le terrain (Charreire et Durieux, 2003 ;

Perret et Séville, 2003). En d’autres termes, choisir sa méthodologie revient à choisir son

positionnement et son raisonnement épistémologique.

247

Nous commençons cette section par présenter notre positionnement épistémologique (1).

Nous expliquons ensuite notre choix de réaliser une étude de cas multiples et imbriqués pour

mener notre recherche exploratoire (2). Nous terminons cette section par évoquer les raisons

qui nous ont encouragé à procéder à la recherche sur le contenu plutôt que sur le processus

(3).

1. Le Positionnement épistémologique : une approche interprétativiste

reposant sur un mode de raisonnement abductif

Tout d’abord, nous allons resitué brièvement les différents paradigmes épistémologiques

généralement utilisés dans les sciences de gestion, à savoir, le positivisme, l’interprétativisme

et le constructivisme. Ensuite, nous expliquerons les raisons pour lesquelles notre

positionnement est fortement marqué par l’approche interprétativiste. Puis, nous

développerons le type de raisonnement sur lequel nous nous sommes appuyés dans la majeure

partie de nos recherches, en l’occurrence, l’abduction qui représente, selon les termes de

Charreire et Durieux (2003), un modèle d’exploration hybride, entre le raisonnement inductif

et l’hypothético-déductif.

1.1 Recours à l’approche interprétativiste

Le positionnement épistémologique donne une idée sur la perception qu’a le chercheur de la

nature de la réalité et du statut des connaissances engendrées (Perret et Séville, 2003). Dans

les recherches en sciences de gestion, deux épistémologies sont généralement distinguées et

présentées comme opposées (Wacheux, 1996 ; Groulx, 1997 ; Perret et Séville, 2003) : le

positivisme et la phénoménologie. Selon ces auteurs, le paradigme « positiviste » correspond

à une posture où on recherche les lois et les régularités qui gouvernent les faits sociaux.

L’objectif est alors la vérification d’une réalité préétablie en recherchant des liens de

causalités entre des faits. Selon ce paradigme, peut être considérée comme vraie toute

proposition qui décrit effectivement la réalité. Le but de la science est de découvrir cette

réalité (David, 1999).

Dans le paradigme de la « phénoménologie », la réalité n’est pas préétablie mais plutôt

construite. Le but est alors de construire une réalité ou une connaissance qui se comprend

comme étant la représentation de l’expérience des individus (Wacheux, 1996). Dans les faits,

ce paradigme se subdivise en deux catégories, résultat de quelques divergences existantes,

248

entre autres, au niveau de la dialectique sur la façon dont la connaissance est engendrée.

D’un côté, l’interprétativisme suit le chemin de l’interprétation des faits comme manière

conduisant à les comprendre (Perret et Séville, 2003). De l’autre, le constructivisme admet

comme postulat de base que la réalité est le produit d'une relation entre l'objet et le sujet

(Lièvre, 2005). Autrement dit, la réalité est le résultat de la construction entre le chercheur et

les acteurs.

Quand au point commun entre ces deux paradigmes, il est principalement ancré dans le statut

attribué à la connaissance. Elle est considéré dans les deux cas comme subjective et

contextuelle (Baumard et Ibert, 1998). Pour bien expliquer pourquoi nous avons recouru à une

approche interprétativiste dans notre recherche empirique, nous présentons d’abord les deux

premiers paradigmes (positivisme et constructivisme) en tentant de relever à chaque fois les

raisons qui nous ont conduit à ne pas suivre leurs logiques respectives. Le tableau ci-dessous

résume les différentes caractéristiques des différents paradigmes existants.

249

Tableau 4. Les positions épistémologiques en recherches en gestion (Perret et Séville, 2003, p.14)

Traditions philosophiques

Le positivisme La phénoménologie

Les positions Les questions Epistémologiques

Le positivisme L’interprétativisme Le constructivisme

Quel est le statut de la Connaissance ?

Hypothèse réaliste Il existe une essence propre à l'objet de connaissance

Hypothèse relativiste L'essence de l'objet ne peut être atteinte

(constructivisme modéré ou interprétativisme) ou n'existe pas (constructivisme radical)

La nature de la "réalité"

Indépendance du sujet et de l'objet Hypothèse déterministe Le monde est fait de nécessités

Dépendance du sujet et de l'objet

Hypothèse intentionnaliste

Le monde est fait de possibilités

Comment la connaissance est-elle engendrée ?

Le chemin de la connaissance scientifique

La découverte Recherches formulées en termes de « pour quelles causes, … » Statut privilégié de l'explication

L'interprétation Recherches formulées en termes de « pour quelles motivations des acteurs…. » Statut privilégié de la compréhension

La construction Recherche formulée en termes de « pour quelles finalités… » Statut privilégié de la construction

Quelle est la valeur de la connaissance ?

Les critères de validités

Vérificabilité Confirmabilité Réfutabilité

Idiographie Empathie (révélatrice de l'expérience vécue par les acteurs)

Adéquation Enseignabilité

1.1.1 Le paradigme positiviste

Comme nous pouvons le constater d’après ce tableau, ce paradigme considère que la réalité

existe et le chercheur procèdera à sa découverte en formulant des hypothèses déterministes

qu’il tâchera de vérifier par la suite. L’objectif est alors l’explication d’un phénomène à partir

d’un corpus théorique bien établi (Charreire et Durieux, 2003). Dans notre cas, et plus

précisément, au moment où nous nous apprêtions à aller sur le terrain, notre revue de

250

littérature nous a permis d’identifier certains axes de recherche mais nous n’étions pas en

mesure d’établir des hypothèses claires et déterminées, que ce soit sur le fonctionnement des

CP ou de la relation qu’elle entretiennent avec la performance de ses membres dans les

relations de service. Or, cette approche exige, Roussel et Wacheux (2005), que le point de

départ soit bien établi pour pouvoir formuler des hypothèses claires qu’il conviendra ensuite

de tester. Certes, comme nous l’avons déjà noté dans le chapitre précédent, certains travaux

avançaient l’idée que la communauté est un espace propice pour l’apprentissage des salariés,

qui à son tour, permet de contribuer à la performance des participants. Mais, au-delà du fait

que ces travaux n’étaient pas suffisamment nombreux pour donner une certaine robustesse à

ces idées, ils relèvent tous de cas très ancrés dans des contextes particuliers et précis. Ceci ne

permet pas de décontextualiser les connaissances rapportées et d’établir des lois qu’il

conviendra de vérifier par la suite. Autrement dit, à l’instar de plusieurs théoriciens sur les

CP, nous n’avons pas pu extraire des connaissances objectives et a-contextuelles, or, ce sont

les conditions sur lesquelles repose le positivisme.

1.1.2 Le paradigme constructiviste143

Stipulant que la connaissance de l’objet n’est pas indépendante des sujets qui la construisent,

cette connaissance est alors vue comme une construction sociale engendrée suite aux

interactions entre le chercheur et les acteurs sur le terrain (Lièvre, 2005 ; Perret et Séville,

2007). Cela dit, dans les sciences de gestion, cette approche est privilégiée plutôt dans le cas

où le chercheur, dès le départ, co-établit l’objet et le projet de recherche avec ses

interlocuteurs sur le terrain (Charreire et Huault, 2001). En ce qui nous concerne, notre

démarche auprès des entreprises étudiées n’a pas été conduite avec nos interlocuteurs dans

une optique de projet à proprement dit. D’autant que dans les différentes entreprises où nous

avons mené nos recherches, aucun projet de conception ou de réflexion, n’a été envisagé en

interne sur le phénomène des CP. D’ailleurs, c’est un concept qui était manifestement inconnu

des praticiens, quels que soient leurs statuts et rôles dans ces entreprises. Néanmoins, certains

éléments relatifs à la dynamique des agents dans leurs collectifs de travail, ainsi que quelques

caractéristiques que nous avons pu dégager à propos du contexte des relations de service, ont

été le fruit de quelques échanges (parfois même informels) avec les acteurs concernés, d’où le

statut de la connaissance co-construite. Cela dit, nous pensons qu’il est probablement plus

143 En plus des éléments que nous développons ici, nous pouvons comprendre davantage les préceptes de cette approche en se rapportant aux idées évoqués dans notre premier chapitre à propos du paradigme constructiviste en matière d’apprentissage (le paradigme Piagetien).

251

cohérent de ne pas exclure catégoriquement l’idée, selon laquelle certains préceptes de ce

paradigme ont été déterminants dans la compréhension et la conceptualisation de quelques

unes des expériences observées sur notre terrain.

1.1.3 Le paradigme interprétativiste

Le monde est fait de possibilités, où le chemin de la connaissance scientifique offre un statut

privilégié à la compréhension et à l’interprétation de la réalité (Perret et Séville, 2007). De ce

point de vue, les auteurs montrent que l’interprétation des faits est le moyen le plus approprié

pour appréhender la réalité sociale telle que conçue par cette épistémologie. Comme nous

pouvons le constater dans le tableau ci-dessus (présenté par ces mêmes auteurs, 2003), le but

privilégié par ce paradigme est la compréhension des phénomènes via l’interprétation des

expériences vécues par les acteurs. Toutefois, et d’une manière générale, les recherches

qualitatives munies de ce cadre interprétatif visent à découvrir le sens que les individus

attribuent à leurs expériences, mais reposent aussi sur l’interprétation de ces significations par

le chercheur (Hoepfl, 2007).

Ce paradigme convient bien à notre objectif de recherche qui est d’investiguer la dynamique

des CP dans le contexte des services étudiés, afin de comprendre leur fonctionnement et leurs

produits (apprentissage, partage des connaissances, etc.), et c’est ce qui nous permettrait de

savoir si ces derniers contribuent à améliorer la performance des membres de ces groupes. En

effet, étant donné que selon ce paradigme, la réalité se comprend à partir des interprétations

qu’en font les acteurs (Wacheux, 1996), nous avons porté une attention particulière à ce que

pensent les acteurs des expériences vécues. Mais, et même si les interprétations rapportées par

les acteurs ont été riches et particulièrement importantes pour notre compréhension du

contexte des relations de service, nous ne pouvons dire de même concernant leurs

engagements dans les CP. Il est apparu que le caractère informel des interactions et la nature

tacite des connaissances produites font que les acteurs avaient du mal à évoquer ou expliquer

l’origine de leurs pratiques et les processus qui ont permis leur élaboration. Ainsi, pour une

meilleure compréhension de ces éléments, et comme le préconise ce paradigme, nous avons

été amenés à interpréter nous mêmes, d’un côté, le sens que les acteurs donnent à leurs

expériences, et de l’autre, les données collectées à partir de nos observations (nous

développerons ce point plus loin). Cette manière de procéder a permis alors de mieux

comprendre, entres autres, les phénomènes qui se développent dans les CP et de pouvoir

252

donner un sens aux mécanismes par lesquels l’apprentissage et le partage des connaissances

se produisent dans ces groupes.

Après avoir présenté les différentes approches épistémologiques usuelles dans les sciences de

gestion et expliqué notre choix du paradigme interprétativiste, nous allons maintenant nous

intéresser au raisonnement qui explique notre façon de chercher et construire des

connaissances. Comme nous allons le voir dans ce qui suit, le raisonnement dit abductif

(David, 2004), qui consiste à faire des allers-retours, entre les connaissances empiriques et les

connaissances théoriques tout au long de la recherche nous a été particulièrement bénéfique,

dans le sens où il nous a permis de confronter à plusieurs reprises ces deux types de

connaissances et, d’aboutir à une meilleure compréhension des phénomènes empiriques d’un

côté, et à enrichir notre corpus théorique de l’autre.

1.2. Un mode de raisonnement abductif

Pour mener une recherche rigoureuse, une certaine cohérence doit être assurée dans le

raisonnement mené par l’auteur qui se doit en adéquation avec son positionnement

épistémologique (Charreire et Huault, 2001). En terme de raisonnement, Charreire et Durieux

(2003) rappellent qu’il existe deux démarches de construction des connaissances :

l’exploration et /ou le test. Dans le registre de l’exploration, le chercheur a pour objectif

d’expliquer les phénomènes empiriques observés pour pouvoir produire des résultats

théoriques novateurs permettant d’enrichir les théories existantes. Pour ce, le chercheur

procède alors par induction. C’est à dire, il utilise les données empiriques pour contribuer à

l’élaboration de nouveaux concepts144 (passer des faits aux lois). Quant au test, il se présente

comme une démarche inverse, où l’objectif du chercheur consiste à soumettre des concepts ou

des théories à l’épreuve de la réalité du terrain pour pouvoir en évaluer la vérité. Une

troisième voie se veut intermédiaire entre les deux processus précédents et permet de les

combiner. Il s’agit de l’abduction, considérée comme un modèle d’exploration hybride entre

l’exploration et le test (Charreire et Durieux, 2003). Ce raisonnement suit une démarche

consistant à faire des allers-retours entre le matériau empirique recueilli et la théorie existante

(David, 1999, 2004).

Selon David (1999), la plupart des raisonnements, et en particulier les raisonnements

scientifiques, combinent les trois formes de raisonnement, procèdent d’une boucle récursive : 144 Notons que plusieurs chercheurs, à l’instar de Charreire et Durieux (1999) pensent que même en choisissant la voie de l’exploration empirique, le chercheur n’est pas aussi indépendant que cela de ses connaissances antérieures

253

La déduction permet donc de générer des conséquences, l’induction d’établir des règles

générales, et l’abduction de construire des hypothèses.

abduction déduction induction

Figure 3. Schéma de la boucle récursive combinant les trois formes de raisonnement. (David, 1999, p. 5)

Selon cet auteur, dans une perspective abductive, l’idée est qu’il faut avoir en tête une théorie,

aussi approximative et indéfinie soit-elle, qui fasse miroir avec les observations empiriques et

les données collectées : c’est toujours une théorie qui définit ce qui est observable, même au

début du processus d’observation. L’auteur appuie cette idée en faisant référence aux propos

de Carantini (1990) « toute connaissance commence par des hypothèses et aboutit à des

observations encadrées par des hypothèses, ces observations stimulent des réajustements des

hypothèses, donc de nouvelles observations, et ainsi à l’infini » [in David, 1999, p.5].

Ce mode de raisonnement nous semblait dès le départ comme étant le plus convenable pour

notre étude. En effet, à son début, cette dernière présentait un caractère relativement

exploratoire, d’où une mobilisation initiale d’un raisonnement inductif afin de révéler de

nouvelles explications du phénomène que l’on cherche à étudier, mais, nous ne pouvons pas

accorder à ce raisonnement l’exclusivité dans notre recherche, car cette dernière était amorcée

par certaines connaissances théoriques, des concepts qui nous ont servi de repères,

particulièrement utiles pour pouvoir donner du sens aux observations empiriques, et esquisser

ainsi certains axes de recherche qui ont guidé notre immersion dans les entreprises.

Pour dire les choses de manière plus concrète, la CP, et le lien qu’elle entretient avec la

performance de ses membres dans le contexte des front offices, se présentaient initialement

comme des phénomènes mal connus. Concernant le registre théorique des CP, ce concept et la

théorie qui le véhicule sont considérés comme relativement récents dans le champ des

sciences de l’organisation. Ainsi, peu de travaux analysaient les liens que ces groupes

entretiennent avec la performance, et la manière dont elle est engendrée145.

Par ailleurs, la nouveauté du concept des CP et le nombre réduit des travaux explicitant ses

liens avec la performance ne signifient pas que le point de départ théorique était nul, puisque

145 Nous faisons ici référence à la période où nous avons commencé nos recherches empiriques, c’est à dire en 2007.

254

la théorie des CP existe et quelques travaux ont été menés sur leurs caractéristiques et

produits. De plus, d’autres travaux de recherche antérieurs, sans utiliser la notion de CP, ont

déjà souligné l’existence de relations informelles et autorégulées entre les employés, qui

permettent l’apprentissage et rendent possible le développement des techniques efficaces et

nécessaires dans leur activité. L’ensemble de ces connaissances nous ont été très utiles dans le

sens où elles nous ont permis d’avoir quelques idées sur quoi et comment chercher lors de nos

investigations sur le terrain. Autrement dit, à partir des éléments théoriques existants, nous

avons pu établir quelques axes qui ont structuré notre réflexion et nos comportements lors de

notre immersion sur le terrain. Ceci nous a permis d’un côté de bien nous rapprocher et de

bien appréhender l’objet de notre recherche, mais aussi, de vérifier et confronter certains

éléments issus de la théorie avec la réalité telle que nous l’avons constatée sur le terrain.

Après avoir explicité notre positionnement et raisonnement épistémologique qui ont guidé

notre recherche empirique, nous présenterons dans ce qui suit notre méthode de recherche

empirique, qui se veut aussi cohérente avec notre positionnement épistémologique.

2. Le choix de l’étude de cas, multiples et imbriqués (encastrés), pour mener

notre recherche exploratoire

Nous allons essayer ici d’expliquer dans un premier temps notre choix de l’étude de cas

comme méthode d’investigation empirique, puis, nous apporterons des précisions sur les

raisons qui nous ont motivé à ne pas nous contenter d’un seul cas et à aller faire des

recherches dans d’autres entreprises, afin de réaliser une étude de cas multiples. Une autre

précision vient expliquer dans ce même point pourquoi nous avons choisis d’étudier plusieurs

CP encastrées dans chacune des organisations que nous avons intégrées.

2.1 L’étude de cas comme méthode de recherche empirique

En suivant les conseils de plusieurs auteurs, nous avons recouru dans notre partie empirique

au dispositif de l’étude de cas. C’est à dire, un travail empirique investiguant un phénomène

contemporain à l’intérieur de son contexte de vie réelle (Yin, 1994).

255

Pour pouvoir appréhender le lien de causalité entre la CP et la performance de ses membres

dans les relations de service, il est nécessaire de procéder d’abord à l’étude, des deux éléments

concernés par ce lien (CP et relation de service).

La théorie des CP repose sur l’étude de l’apprentissage via la pratique, appréhendés selon une

perspective située. Dans cette optique, « partir de la pratique pour appréhender les

phénomènes d’apprentissage dans les organisations, ce n’est pas étudier les savoirs in

abstracto, mais c’est se focaliser sur ce que les gens font réellement en situation, comment ils

le font et comment ils apprennent dans et par l’action » (Collard et Raulet-Croset, 2006, p.

24). Il s’agit donc d’étudier les CP en situation, en prenant en compte les différentes

caractéristiques de cette dernière. Du côté des relations de service et de la performance des

agents, bien que certaines caractéristiques, tenues pour typiques, ont été dégagées à partir de

nos différentes lectures, on dénote parmi ces mêmes caractéristiques celles indiquant qu’on y

trouve des situations changeantes et multiples, faisant du contexte une composante complexe

et qui évolue en permanence. Un contexte où, « se développe une vie propre, qui devient

signifiante, sensée et normale dès qu’on la connaît de l’intérieur ; c’est même un excellent

moyen de pénétrer ces univers que de se soumettre au cycle des contingences qui marquent

l’existence quotidienne de ceux qui y vivent » (Goffman, 1968, p.37). Bien évidemment

Goffman parle ici de l’univers de l’hôpital psychiatrique (de Sainte-Elisabeth) où il a mené

ses recherches, mais, et comme nous l’avons vu dans le second chapitre, les caractéristiques

générales de cette activité relationnelle peuvent s’appliquer à d’autres contextes où se

produisent des situations de coproduction. Via cette citation, l’auteur met en exergue la

profondeur et la complexité du travail dans les relations de service, avec ses dimensions

formelles et informelles, qui font que le travail n’est pas forcément ce qu’il semble être avant

que l’observateur s’y immerge.

Ainsi, ces deux concepts, qui incarnent les deux grands champs théoriques mobilisés dans

notre thèse, nous ont imposé- et dès les débuts de notre réflexion - le recours à l’étude de cas.

En effet, et comme nous l’avons avancé ci-dessus, la majorité des principales notions

mobilisées dans notre revue de littérature (les CP, l’apprentissage, la négociation de sens, la

coproduction, la performance, etc.) ont des frontières théoriques et opérationnelles qui ne sont

pas immédiatement perceptibles. Elles sont largement dépendantes du contexte dans lequel le

phénomène étudié a lieu. Cette caractéristique rend impérative le recours à l’approche

qualitative à travers l’étude de cas (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1994). De plus, avec les CP et la

256

coproduction, de très nombreux aspects que nous allons évoquer sont informels, inhabituels,

secrets voire même illicites. Hartley (1994) souligne clairement que seule l’étude de cas

permet de traiter ce type d’objets de recherche. Selon les termes de Eisenhardt (1989, p.534),

il s’agit d’une « stratégie de recherche qui se focalise sur la compréhension d’une dynamique

présente dans des conditions particulières » [traduction personnelle].

En outre, et d’après ce dernier auteur, l’étude de cas peut être utilisée soit pour tester ou bien

générer une théorie, soit pour fournir une description. Suivant notre objet et objectif de

recherche, notre but est de décrire et de comprendre le fonctionnement des CP dans leur

contextes organisationnels, afin d’appréhender la manière dont ces groupes peuvent

contribuer à la performance de leurs membres. L’étude de cas se révèle alors comme une

démarche naturelle pour l’exploration du terrain et l’appréhension de nos objets d’étude.

Enfin, qu’il s’agit des CP, des relations de service et du lien de causalité recherché entre les

deux, chacun de ces phénomènes se présentent comme un système social complexe,

nécessitant d’après Marshall et Rossman (1989) [in Baumard et Ibert, 1998], le recours à

l’étude de cas car elle accroît l’aptitude du chercheur à le décrire.

2.2 Une étude de cas multiples et encastrés

L’étude de cas peut être unique ou multiples (Eisenhardt, 1989 ; Yin 1994, 2009 ; Roussel et

Wacheux, 2005). En ce qui nous concerne, nous avons choisis de procéder par étude de cas

multiples pour leur potentiel de comparaison et de réplication (Yin, 1994), favorisant la

génération de théories ou la confirmation de théories susceptibles d’être généralisées (Roussel

et Wacheux, 2005). D’après ces auteurs, ceci permettrait de remédier à la limite sérieuse dont

fait l’objet l’étude de cas unique qui souffre de la difficulté de généraliser les résultats

obtenus. L’étude de cas multiples exige un temps et des ressources plus importantes que ce

dont on a besoin pour l’étude de cas unique, toutefois elle permet de gagner davantage en

termes d’objectivité et de généralisation des résultats (Yin, 2009). C’est ce qui nous a motivé

à analyser trois entreprises de service (au lieu d’une seule).

En effet, dans le registre de la CP, cette dernière est par définition un phénomène

profondément contextualisé dans l’organisation où elle prend forme et se développe. Comme

nous l’avons vu dans le chapitre précédent, chacun des exemples rapportés a expliqué le

fonctionnement de ces groupes en s’appuyant sur une terminologie et des éléments techniques

relatifs au métier de l’entreprise où l’étude a lieu. Du côté des relations de service et,

257

notamment, de la question de la performance des agents dans les front office, les auteurs nous

informent (cf. 2nd chapitre) que les caractéristiques organisationnelles, les perceptions et les

indicateurs de mesure varient selon les entreprises et leurs stratégies, la nature de l’activité

(secteur marchand ou non-marchand) et selon qu’elles appartiennent au secteur privé ou

public (Pichault et Zune 2000 ; Zomerdijk et De Vries, 2007 ; feriel 2007 ; Lanciano et al.,

2008 ; Black et al., 2001).

Au vu de ces arguments autour des CP et de la performance dans les services, prétendre

pouvoir expliquer et dégager, à partir d’un cas unique, des résultats relativement

généralisables sur le fonctionnement des CP et leur impact sur la performance, semble

incohérent, voire irréalisable. En ce sens, nous pensons qu’une immersion dans plusieurs

entreprises permet des résultats plus riches et gagne davantage en généralité146.

Par ailleurs, qu’elle soit unique ou multiples, l’étude de cas peut concerner deux niveaux en

termes d’unité d’analyse (Eisenhardt 1989 ; Yin, 2009). Soit l’étude se focalise sur une seule

unité147 dans chaque cas étudié, et donc une seule unité dans chacun des cas s’il s’agit d’une

étude de cas multiples ; ou bien, cela peut concerner plusieurs unités encastrées dans le même

cas, c’est à dire, plusieurs unités d’analyse dans un cas (unique) ou dans chacun des cas

multiples étudiés (voir figure 4 ci-dessous). Cette dernière est qualifiée d’étude de cas

imbriqués (ou encastrés) (Embedded cases). Du point de vue de Eisenhardt (1989), chacune

de ces unités représente un « mini-cas » imbriqué dans l’étude d’ensemble.

Comme c’est le cas dans ce qui précède, là aussi, si la première méthodologie permet une

analyse approfondie de l’unité concernée, elle néglige les interactions qui peuvent lier cette

dernière aux autres unités présentes dans l’organisation (et qui font partie du contexte). Dans

les cas encastrés / imbriqués, certes, l’étude de chacune des unités ciblées est moins

approfondie comparée au modèle précédent, mais leur appréhension est enrichie par des

éléments relatifs aux interrelations qui les relient (Eisenhardt, 1989).

146 Bien sûr, quelle que soit la portée des résultats que nous ambitionnons d’atteindre, nous pensons que la plupart de ces derniers ne dépasseront pas le contexte des relations de service. En ce sens, nous souhaitons rester proches des propos de Yin (1999) [in Roussel et Wacheux, 2005] qui annonce que les études de cas unique et multiples sont généralisables à des propositions théoriques et non à des populations et à des univers autre que ceux du cas. 147 Le point de vue consistant à analyser une seule unité est qualifié d’approche holiste (Yin, 2003 ;Husser, 2006).

258

Dans le cadre de notre travail, notre unité d’analyse principale étant la CP148 et l’étude de cas

encastrés se présente à nos yeux comme un moyen particulièrement intéressant pour étudier

ces groupes. Deux raisons principales nous ont motivé à procéder à l’étude de CP encastrées

dans chacune des organisations de service que nous avons intégrées. La première est relative

au champ d’étude des CP où les tenants de cette théorie mettent en avant l’idée selon laquelle,

une CP ne doit pas être pensée en marge de son environnement organisationnel et que leurs

pratiques ne peuvent être isolées clairement de celles des autres CP se formant au sein de la

même organisation (cf. l’organisation comme une constellation de communautés (CCP)).

Pour rappel, cette conception est argumentée à travers l’existence d’agents appelés courtiers,

susceptibles d’appartenir à plusieurs CP. Il est vrai que l’appréhension des CCP n’est pas

notre objectif ici, mais nous pensons qu’une petite attention aux mouvements des courtiers

dans notre recherche peut être bénéfique pour une meilleure compréhension de la dynamique

de ces groupes. Ceci dit, nous avons consacré la grande partie de nos observations aux

interactions intra-communautaires, mais sans négliger totalement le niveau

intercommunautaire.

La seconde raison est relative au « contexte organisationnel » particulier des relations de

service, où sont censées évoluer ces CP. Notre terrain concerne essentiellement les front-

office des organisations étudiées, présenté selon les auteurs (Cf. 2nd chapitre) comme un

univers en relation direct avec celui du back-office149. Ceci dit, et suivant la conception de la

constellation des CP, nous pensons qu’il est pertinent de ne pas exclure catégoriquement

l’idée de chercher certaines informations sur d’éventuels courtiers et/ou objets frontières

permettant l’interaction informelle entre les deux univers.

148 L’unité d’analyse secondaire à laquelle nous avons porté une attention particulière est la « situations de coproduction », dans ses dimensions contextuelles et les mesures de performance appliquées. 149 Avec l’idée selon laquelle d’une manière générale, l’efficacité du service engendrée dépend de la mise en cohérence entre ces deux univers.

259

Figure 4. Les principaux designs des modèles d’études de cas (Yin 2009, p.46)

Contexte

Contexte

Contexte Contexte

Contexte Contexte

Contexte

Conte Contexte Contexte

Case

Case

Unité encastrée 1

Unité encastrée 2

Case Unité encastrée 1

Unité encastrée 2

Contexte

Case Unité encastrée 1

Unité encastrée 2

Case Unité encastrée 1

Unité encastrée 2

Contexte

Case

Case

Case

Case

Case

Unité encastrée 2

Unité encastrée 1 Encastrée (unités d’analyse multiples)

Holistique (une seule unité d’analyse)

Etude de cas unique Etude de cas multiples

260

En résumé, notre attention était orientée essentiellement sur le niveau interne de chacune des

CP étudiées dans les fronts offices, mais nous avons aussi essayé de garder un œil sur le

niveau intercommunautaire, qui peut s’étendre même aux interactions avec le back-office.

Ainsi, notre recherche s’inscrit bien dans le modèle de l’étude de cas imbriqués, au sens de

Eisenhardt (1989) et Yin (2009). Et par rapport au schéma ci-dessus, notre recherche

empirique peut être considérée comme inscrite dans le carré qui se trouve en bas et a droite du

schéma.

Après avoir expliqué les raisons qui nous ont motivé à procéder par une étude de cas

multiples avec une analyse des unités encastrés dans chacun des cas, nous allons maintenant,

présenter brièvement pourquoi notre étude s’est focalisée davantage sur contenus des CP que

sur leurs processus.

3. Recherche sur le contenu des CP plutôt que sur leurs processus

Dans leur article référence en la matière, « Recherches sur le contenu et recherches sur le

processus »,Grenier et Josserand, (1999) indiquent que les objets d’étude en sciences de

gestion peuvent être appréhendés dans leur dimension de contenu ou de processus. Selon ces

auteurs :

- les recherches sur le contenu proposent une analyse en terme de « stock ». Elles cherchent à

appréhender la nature de l’objet étudié, à savoir de quoi il est composé.

- les recherches sur le processus analysent, le phénomène en terme de « flux ». Elles

cherchent à mettre en évidence le comportement de l’objet étudié dans le temps, à saisir son

évolution.

Les recherches sur le contenu cherchent à mettre en évidence la composition de l’objet étudié,

tandis que la recherche sur le processus vise à mettre en évidence le comportement de l’objet

à travers le temps. Bien sûr, ces deux approches sont complémentaires et s’enrichissent

mutuellement. La recherche sur le contenu gagnerait à ne pas exclure catégoriquement la

réflexion sur l’évolution temporelle de l’objet sujet étudié et, inversement, le processus doit

inclure des éléments relatifs au contenu des unités étudiées. Dès lors on parle d’une approche

mixte (ibid.)

Dans le cadre de notre recherche, nous avons privilégié la recherche sur le contenu plutôt que

sur le processus. Bien évidemment notre choix entre ces deux dispositifs a été déterminé par

261

l’objet de notre recherche, la formulation de la problématique et de la méthodologie

mobilisée. Le questionnement de ces éléments intègre naturellement la place de la « variable

temporelle » qui intervient aussi comme un facteur déterminant dans le choix effectué.

Autrement dit, pour pouvoir appréhender l’objet de notre recherche, devons-nous suivre notre

unité d’analyse à travers le temps ou non ? Avant d’expliquer les éléments qui ont influencé

notre choix de l’étude du contenu, voyons d’abord pourquoi nous nous sommes détourné de

l’étude sur le processus.

3.1 La recherche sur le processus comme incohérente avec notre objet de

recherche

Pour rappel, le processus correspond, (Van de Ven et Ring, 1992), à une séquence

d’évènements ou d’activités qui décrit la façon dont les choses changent au fil du temps. Pour

l’analyse du processus, Miles & Huberman (1991) estiment que le chercheur doit constituer

une base de données chronologique de chacune des étapes le composant.

Le processus exige donc de suivre les étapes de son déroulement à travers le temps. Cela dit,

étudier les CP sous forme de processus revient à déterminer avant tout leurs bornes

temporelles, or il est très difficile de définir ces dernières étant donnés que les CP étudiés

existaient bien avant notre immersion sur le terrain et leur dynamique continue après notre

départ de ces organisations. D’ailleurs, et d’une manière générale, à l’exception des CP

intentionnellement crées, Wenger (1998) annonce que les CP n’ont pas de date de début ni de

fin150. Leur activité est continue et en perpétuel mouvement, avec des participants qui

viennent et s’en vont, et des objets frontières qui se transportent avec. Ce problème constitue

le premier élément qui permet d’expliquer pourquoi étudier les CP sous l’angle de processus

ne semble pas pertinent. Le deuxième problème qui se pose concerne directement la

formulation de notre problématique. Notre travail interroge le lien de causalité entre les CP et

la performance de leur membres, et ambitionne d’appréhender les phénomènes, sans chercher

150 Bien sûr, une certaine réserve doit être observée dans les propos de Wenger, car on peut toujours imaginer que la date de début des activités dans l’organisation où la CP évolue est aussi indicatrice de celle où les premières interactions entre les agents ont pris forme. Concernant la date de fin des activités de la CP, la fin de vie de l’organisation engendrera immédiatement celle de la CP (du moins en ce qui concerne son évolution dans cette organisation).

262

pour autant à en recenser toutes les étapes -éventuelles -, successives et construites dans le

temps, avec un début et une fin151, qui ont permis à ce lien de se construire.

Enfin, en terme de faisabilité de notre projet, la méthodologie consistant dans l’étude de cas

multiples et encastrés ne permet pas vraiment de faire une recherche sur le processus. Suivre

l’évolution de plusieurs CP exige d’accorder un temps considérable à chacune des CP

étudiées, ce qui se traduirait donc par des présences relativement longues dans chacune des

entreprises de service étudiés. Or, les différents protocoles de recherches établis avec ces

dernières n’ont pas permis ces longues immersions et présences dans les différents terrains

respectifs.

Ces éléments qu’on vient d’aborder expliquent pourquoi nous n’avons pas privilégié cette

approche sur les processus dans nos recherches. Au fait, et pour la petite histoire, nous

souhaitons attirer votre attention sur le fait que l’un des deux auteurs de référence dans ce

champ méthodologique cités ci-dessus, en l’occurrence Josserand, a co-rédigé en 2005 (avec

Dameron) un article sur les CP, où ils ont procédé au niveau empirique à une recherche sur le

processus. Cependant, cette recherche concerne une CP intentionnellement créée. Il s’agit

d’un réseau de chirurgiens dentistes qui aspire (le réseau) à construire une communauté de

pratique entre ses différents membres. La méthode est fondée sur une étude de cas

longitudinale et les données sont collectées grâce à deux séries d’entretiens. L’observation de

la communauté durant plus de deux ans, et nécessite des études sociométriques tout au long

du processus. Les problématiques de ces travaux s’articulent autour de l’évolution de la CP à

travers le temps, et ils ont pris comme modèle de référence le recensement des cinq étapes

marquant l’évolution d’une CP, proposé par Mc Dermott (2000). (cf. chapitre 3, renvoi n°

107). Nous nous n’inscrivons pas dans cette perspective car notre objet d’étude n’est pas les

CP intentionnellement créées, mais plutôt les CP émergentes (problème de bornes

temporelle), de plus notre problématique concerne le lien entre la CP et la performance de ses

membres et non pas les étapes marquant l’évolution du groupe.

151 Nous pensons que dans le champ des CP, la recherche sur le processus serait plus cohérente si la problématique s’intéressait aux différentes étapes marquant l’intégration d’un novice dans la CP, c’est à dire depuis son entrée organisationnelle jusqu’à ce qu’il devienne opérationnel. Dit autrement, et selon la terminologie de Situated Learning, il s’agirait de décrire les étapes relatives aux mouvements d’un novice, depuis son positionnement périphérique marqué par une participation légitime jusqu’à ce qu’il atteigne le centre de la CP et devienne de ce fait un membre actif dans cette dernière.

263

Après avoir exposé les raisons qui nous ont éloigné de la recherche sur le processus, il est

temps maintenant d’évoquer celles qui nous ont motivé à procéder par une recherche sur le

contenu.

3.2 La pertinence de la recherche sur le contenu pour appréhender les CP

D’après Grenier et Josserand (1999), la recherche sur le contenu est particulièrement

intéressante en vue d’une description (dans le but d’améliorer la compréhension de l’objet

étudié), et/ ou d’une explication (analyse). En ce qui concerne la variable temporelle, ils

disent que le temps n’est pris en compte qu’implicitement et l’étude ne s’intéresse pas à

l’évolution de l’objet dans le temps.

Notre unité d’analyse principale est la CP et notre objectif est de les décrire et expliquer leur

fonctionnement, dans l’espoir de pouvoir montrer comment et par quels moyens ces groupes

peuvent contribuer à la performance de leurs membres.

Selon les tenants de cette théorie, le cœur battant d’une CP est constitué par les interactions

qui se déroulent entre ses membres. Donc, l’appréhension des CP passe par l’analyse des

contenus et des formes de ces interactions (Grosjean, 2008). Par ailleurs, et comme nous

l’avons vu tout au long de notre travail, il s’agit de groupes informels qui fonctionnent sans

schéma contractuel. La première étape de notre travail consiste donc à les identifier dans les

organisations, les repérer et les distinguer des autres formes de groupes. Ceci plaide pour le

recours à une approche sur le contenu car cette dernière cherche à mettre en évidence

l’existence ou la coexistence d’un certain nombre d’éléments et non la manière dont l’objet

varie dans le temps. Pour ce, nous serons alors amenés à chercher, entre autres, les différentes

dimensions épistémiques et structurelles qui caractérisent ces groupes, c’est à dire,

l’engagement des participants, leur répertoire partagé et les règles informelles qui permettent

leurs coordination, etc. Dès lors, une attention particulière doit être portée sur le contenu des

échanges et des relations, ainsi que celui du répertoire que partagent les participants152. En

outre, les auteurs disent que la CP réunit des membres différents en termes d’ancienneté,

d’âge, de compétence, etc. Dans ce cas de figure, il est nécessaire d’étudier le contenu

démographique de ces groupes, pour espérer relever des informations sur l’éventuelle autorité

152 Certes, l’apprentissage (et enculturation des novices), qui est l’un des produits principaux des interactions dans les CP, est un processus. Mais il s’inscrit dans une durée relativement longue. Ceci dit, il nous est impossible de suivre son évolution car cela nécessiterait de suivre une seule CP sur une longue durée. Or, comme nous l’avons déjà souligné, notre démarche d’étude de cas multiple et encastrés ne permet pas ce suivi.

264

de l’expérience et de la connaissance sur lesquels repose leur fonctionnement, et au passage,

cerner le rôle périphérique et légitime des novices dans ces communautés. Ceci devrait nous

permettre de détecter des éléments tels que : qui participe, qui avec qui, qui sait quoi, qui

renseigne sur quoi, etc. (Smith et Farquhar, 2000 ; Lesser et Stork, 2001). A nouveau, ceci

exige une analyse sur le contenu de la CP, en termes d’acteurs et des relations entretenues.

Concernant notre problématique, d’après Grenier et Josserand (1999), la recherche sur le

contenu est privilégiée lorsque le chercheur est confronté à des problématiques nouvelles pour

lesquelles il existe peu de matériaux empiriques ou de recherches théoriques. Dans ce cas, il

paraît pertinent de s’intéresser à la description de l’objet étudié. Comme annoncé

précédemment, il existe peu de travaux sur les liens entretenus entre la CP et la performance

de ses membres. Pour pouvoir appréhender si et comment ce lien est construit dans le

contexte des relations de service, après l’identification et la description des CP, l’explication

de ses mécanismes de fonctionnement aurait pour objectif de comprendre les finalités

émergeantes de leur dynamique. Cependant, cela n’est pas suffisant car notre problématique

s’articule autour au moins de deux variables (CP et Performance dans les services). Il est alors

nécessaire de procéder aussi à l’analyse du contenu de notre seconde unité d’étude, qui est le

contexte des relations de service, dans ses dimensions relatives au contenu de la situation de

coproduction, à la mesure de performance qui lui est appliquée, ainsi qu’aux ressources

institutionnelles et les compétences individuelles mobilisées par l’agent dans son travail. Bien

évidemment, la situation de coproduction a été analysée selon la perspective interactionniste

goffmanienne, qui s’intéresse au contenu et à la forme des interactions qui s’y déroulent. Par

ailleurs, pour l’analyse de la situation dans son ensemble (incluant les ressources et les

compétences), nous nous sommes appuyés sur certains éléments issus des travaux d’un

théoricien de référence en la matière, en l’occurrence Girin (1995), dont la réflexion a été

prolongée, notamment, par Journé (2005) et Journé et Raulet-Croset (2008). Comme nous

l’avons vu dans le premier chapitre, Girin (1990) a conceptualisé la notion de situation sous

l’angle d’un « agencement organisationnel », présentée comme étant définie par trois

éléments : « des participants, une extension spatiale (le lieu ou les lieux où elle se déroule, les

objets physiques qui s’y trouvent), une extension temporelle (un début, une fin, un

déroulement, éventuellement une périodicité) (Girin, 1990, p.59) Nous avons pris en

considération ces différents éléments pour présenter les situations dans les relations de service

que nous avons observé empiriquement. Cela dit, la recherche sur le contenu de la situation

permet de décrire chacun des éléments la composant. Cela étant aussi notre but à travers cette

265

démarche. En effet, cette étape consistant donc à la description de la situation a pour but

d’apprécier dans un premier temps, et suivant les indications théoriques issues de notre

littérature, si et pourquoi les ressources disponibles ne permettraient pas vraiment à l’agent de

faire face à certaines situations. Ceci devrait expliquer dans un second temps le recours de

l’agent à l’interaction avec ses pairs et l’usage des produits de la CP pour accomplir son

travail de manière plus performante.

Enfin, par rapport à notre méthode d’étude de cas multiples et encastrés, cette méthode a pour

but d’expliquer et de comparer les différentes unités d’analyse intra-site et inter-sites (Yin,

2009). Analyser les contenus respectifs des phonèmes étudiés dans chacune des entreprises de

service visitées, permettra, considérant les arguments développés ci-dessus, de relever le plus

d’informations possibles, qui permettrait à leur tour de fournir une explication et une analyse

plus pertinentes des phénomènes étudiés (Grenier et Josserand, 1999).

Pour terminer cette présentation, nous souhaitons attirer votre attention sur le fait que

certaines notions, telles que la négociation de sens et la coproduction, bien qu’elles sont

présentées dans notre revue de littérature comme des « processus », nous avons décidé de

procéder à l’analyse de leurs contenus dans le souci d’une meilleure explication de ces

phénomènes. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que nous avons négligé l’aspect

processuel de leurs natures. En effet, nous avons pu assister et rapporter certaines de ces

notions comme des processus, composés de micro-étapes incarnant les différentes phases

observées dans les situations d’interactions, entre les agents (CP) et entre l’agent et son client

(coproduction). Mais, en raison de leurs durées respectives relativement courtes, combinées à

notre volonté de scruter leur contenus, nous avons préféré parlé au niveau méthodologique en

terme de contenu que de processus car nous avons focalisé notre attention plus sur le contenu

des interactions que sur leurs évolutions temporelles, au sens de Van de Ven et Ring (1992).

Après avoir restitué la façon dont notre recherche vise à analyser notre objet d’étude au

niveau empirique, il est temps maintenant de procéder à la présentation de nos trois

entreprises de service que nous avons intégrées, en mettant l’accent sur leurs front-office.

Puis, nous expliquerons nos choix concernant les outils méthodologiques mobilisés dans la

collecte des données empiriques.

266

Section 2. Présentation des entreprises étudiées et des outils

méthodologiques mobilisés

L’objet de cette section est de présenter dans un premier temps les front-office des trois

organisations qui composent notre terrain (1). Pour chacune des organisations, nous

rapportons des éléments à propos de son (ses) centre(s) d’appels et de ses guichets. Nous

terminons ce premier point par expliquer nos postures de chercheurs qui se présentent comme

différentes qu’il s’agit de notre recherche dans l’organisation (A) ou dans les deux autres

organisations (B et C). La second point est consacré à la présentation des différents outils de

recueil de données sur le terrain, ainsi qu’à la manière dont les données ont été collectées et

analysées (2)

1. Présentation des entreprises étudiées

Avant de présenter les front office de nos trois entreprises, nous précisons que leur anonymat

sera préservé, répondant de ce fait à la volonté des dirigeants, inscrite dans les protocoles de

recherche que nous avons signés. Ainsi, tout au long de notre travail, pour désigner ces

entreprises nous leur attribuons respectivement les lettres ‘A’, ‘B’ et ‘C’153. Les entreprises

‘A’ et ‘B’ sont des organisations ayant un statut d’établissements parapublics154. Quant à la

‘C’, il s’agit d’une banque relevant du secteur privé.

Il est aussi à préciser que notre statut de chercheur a changé entre la première et les deux

dernières entreprises. Dns l’entreprise parapublique ‘A’, nous étions salarié téléopérateur dans

son centre d’appels (à mi-temps), d’où notre statut de chercheur participant (Giordano, 2003 ;

Groleau, 2003 ; Arborio et fournier, 2005). Ce n’était pas le cas dans les entreprises ‘B’ et

‘C’, où notre posture étant seulement celle d’un chercheur. La marge de manœuvre dont nous

disposions (en tant que chercheur) dans l’entreprise ‘A’ était très réduite comparée à celles

que nous avions dans les entreprises ‘B’ et ‘C’. Bien évidemment ces différents statuts ont eu

une influence sur notre façon de nous comporter et de collecter les données sur nos terrains

153 Notons que des périodes de 4 à 5 mois ont séparé nos différentes immersions dans ces organisations. Cela nous a permis de garder un œil sur les travaux théoriques qui se développent, donnant ainsi tout son sens au caractère abductif de notre raisonnement, mais aussi, de nous dégager du temps pour d’autres activités, notamment celle de l’enseignement que nous avons assuré tout au long de la période de notre travail de thèse. 154 Chacune d’elles a pour mission d’instruire et attribuer des prestations (de nature différentes) aux résidents du département des Bouches Du Rhône (BDR).

267

(certaines précisions concernant cet élément seront rapportés au moment où nous parlerons

des outils méthodologiques mobilisés).

En outre, notre statut de salarié dans l’organisation ‘A’ avait certains avantages que nous

avons su exploiter mais aussi des inconvénients. Le plus pesant dans ces dernier est relatif au

fait que nous n’étions pas autorisé à investiguer dans les espaces d’accueil physique

(guichets).

Concernant les avantages tirés de notre première expérience dans cette entreprise, ils se

traduisent notamment dans la facilité d’intégration dans les entreprises ‘B’ et ‘C’, et la

manière dont les recherches se sont déroulées dans ces dernières. En effet, notre expérience en

tant que salarié a largement contribué dans la réussite de notre intégration dans les deux

dernières dans le sens où notre connaissance (vécu) du métier de téléopérateur nous a aidé à

développer une certaine empathie à l’égard des métiers de l’accueil en général. De ce fait,

nous avons trouvé une certaine facilité pendant nos différentes immersions et interactions

avec les acteurs dans les deux autres entreprises, notamment lorsqu’il s’agissait d’aborder

certains problèmes partagés (que nous avions vécus nous mêmes). Ceci est notamment vrai

dans le cas précis de l’entreprise parapublique ‘B’, qui relève de la même branche d’activité

avec l’entreprise ‘A’ (mais les prestations de services attribuées sont différentes entre les deux

organisations). Cela dit, en plus donc de la proximité des métiers qui nous a servi dans notre

appréhension de l’activité des agents, cet élément s’est avéré très bénéfique pour nous lors de

nos tractations avec les dirigeants pour l’intégration du terrain et la réalisation de nos

recherches.

1.1 Deux organisations parapubliques (A et B) et une organisation privée (C)

Si notre posture de salarié dans le centre d’appels de l’organisation ‘A’ a joué son rôle dans

notre choix d’y réaliser nos recherches155, dans le sens où elle se présentait à nos yeux comme

une opportunité à saisir au vu de notre thème de recherche, notre décision a été déterminée

surtout par rapport au fait que le contexte était caractérisé par des situations très

équivoques156. Dans ce « centre d’appels », de fortes incertitudes pèsent sur le contenu exact

des appels entrants et les téléopérateurs se retrouvent donc régulièrement face à des situations

qui ne relèvent pas de la routine. Il était donc particulièrement pertinent pour mener notre

analyse, dans le sens où les CP émergent et s’activent davantage dans ce genre de contexte

155 Bien évidemment la recherche était conduite suivant un accord établi avec la direction. Cela dit, nous n’avons pas adopté une posture de chercheur incognito. 156 La description des différents contextes sera développé dans la partie relative aux résultats.

268

(Brown et Duguid, 1989 ; Wenger, 1998 ; Schenkel et Teigland, 2008). En ce qui concerne le

choix des entreprises ‘B’ et ‘C’ pour poursuivre nos investigations empiriques, il a été

déterminé suivant l’objet et l’objectif de notre recherche, et appuyée notamment par les

premiers résultats obtenus dans l’entreprise ‘A’.

En effet, le choix de l’organisation ‘B’ est principalement dû à des raisons liées directement à

notre première recherche dans le centre d’appels ‘A’. Les premiers résultats dégagés de cette

première recherche nous semblaient très prometteurs. Malheureusement, et comme déjà

annoncé, nous n’avons pas pu élargir notre recherche au champ de l’accueil physique. Nous

étions alors frustrés à l’idée de ne pas avoir pu intégrer les guichets, qui présentaient selon nos

propres connaissances à leur propos, un contexte aussi intéressant que celui du centre d’appels

pour l’étude des CP. De plus, il faut ajouter à cela le fait que notre littérature et notre objectif

en général se sont articulés autour des deux dispositifs d’accueil des entreprises de service.

Cela fait que notre première recherche peut être qualifiée, d’incomplète. Par ailleurs, notre

position de chercheur participant (Giordano 2003 ; Groleau, 2003 ; Arborio et Fournier,

2005), pourrait engendrer certains biais nuisibles à la qualité de nos résultats (voir plus loin).

De ce fait, notre impression était donc celle que notre investigation était tout simplement,

imparfaite. Il nous a semblé donc judicieux de poursuivre nos recherches en intégrant une

organisation relevant de la même branche d’activité que l’entreprise ‘A’, dans l’espoir d’y

trouver des similitudes en terme d’organisation et des populations concernées, ce qui offrirait

un contexte propice à l’émergence des CP. Nous avons alors contacté les responsables de

l’organisation ‘B’ et une convention de recherche a été établie pour qu’on puisse investiguer

le centre d’appels et quelques guichets.

Enfin, notre recours à l’étude d’une entreprise relevant du secteur privé a été motivé par des

éléments ressortant de nos différentes lectures sur les relations de service, où certains auteurs,

à l’instar de Béraud et al. (2008), indiquent qu’on trouve dans les entreprises privées, telles

que les banques et les assurances, des conditions de travail et des diapositifs organisationnels

différents par rapport à ce que l’on peut observer dans le secteur public. Ou encore,

considérant les avis de Black et al., (2001) (public vs privé) et Chen et Yang (2000)

(marchand vs non marchand) à propos de la question de la performance et ses critères de

mesure, qu’ils présentent comme différents selon qu’il s’agit d’une entreprise privée ou

publique (cf. chapitre 2). Ainsi, et suivant notre ambition à travers la méthode de l’étude de

cas multiples, qui offrirait d’après les auteurs (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1994, 2009 ; Roussel et

269

Wacheux, 2005) plus de possibilités en terme d’objectivité et de généralisation des résultats,

nous avons donc contacté et intégré une banque dans le département des Bouches Du Rhône

pour réaliser notre recherche.

Dans ce qui suit, nous présentons brièvement ces trois organisations avec un focus sur leurs

front-office respectifs que nous avons étudiés. Ceci permettra d’éclaircir d’avantage certains

éléments relatifs aux cas étudiés et les unités d’analyse encastrées, pour mieux expliquer nos

investigations dans chacune de ces entreprises. Un tableau récapitulatif de la présentation sera

dressé juste après pour mieux retenir les dimensions indispensables au déroulement de

l’analyse.

1.1.1 Le centre d'appel de l’organisation ‘A’

Cette organisation dispose d’un statut parapublic, dont la mission principale est de gérer un

budget public qu’elle distribue aux résidents des BDR sous forme de prestations157. Elle

fonctionne, tout comme ses analogues situées dans les autres départements, suivant une

convention nationale appelée Convention d’Objectifs et de Gestion, définissant entre autres,

la gestion des moyens et des résultats (critères de performance)158. Notre recherche dans cette

organisation a débuté après avoir passé environs neuf mois en tant que salarié (à mi-temps).

Ainsi, et bien que la durée effective de notre recherche était de quatre mois, à raison de deux

jours par semaine, il serait probablement plus cohérent de dire que certaines de nos idées et

perceptions, à propos de cette activité, ont été dégagées bien avant le début de notre

recherche.

Comme déjà annoncé, dans cette organisation, le front office étudié est son centre d’appels.

Pour simplifier et éviter toute confusion, nous désignons ce dernier par le terme « centre

d’appels ‘A’ » étant donné son organisme d’appartenance, l’organisation ‘A’. Il s’agit d’une

plateforme téléphonique situé dans le siège de l’organisation à Marseille, où plusieurs

services, ainsi qu’un espace d’accueil physique, cohabitent.

Les agents de la plateforme traitent des appels entrants exclusivement. Le centre reçoit des

appels émanant de résidents qui souhaitent se renseigner sur les différentes prestations (sur

157 Pour qualifier ces résidents bénéficiaires des prestations, l’appellation le plus convenable est celle d’usager (Zarifian, 2002). Cependant, dans le but de simplifier nos propos et éviter une certaine lourdeur dans nos écrits, nous avons décidé pour la suite, d’harmoniser et utiliser le terme « client » pour désigner toute personne ayant à faire à chacune des trois organisations étudiées. 158 Cela sous-entend que le processus décisionnel concernant les objectifs et les résultats est centralisé au niveau de la direction à Paris.

270

leurs droits), ainsi que les démarches relatives à la constitution d’un dossier ou le suivi de ce

dernier, et d’autres informations en terme d’orientation, etc.159.

Vingt-sept Conseillers Accueil Téléphoniques opèrent sur cette plate-forme. Ils se situent au

premier niveau de la hiérarchie. Ils représentent une population relativement jeune, avec un

niveau d’expérience relativement faible (variant entre deux et trois ans pour les plus anciens)

et des niveaux de qualification variables, allant du niveau Bac jusqu’au bac + 4. Quant aux

diplômes, toutes les disciplines sont représentées. Cela dit, contrairement à ce qui a été

annoncé par certains auteurs, ici les filières commerciales n’étaient pas les plus représentées.

Ces CAT sont encadrés par deux agents de maîtrise (« n+1 »), ayant pris les fonctions après

avoir passé plusieurs années (6 ans et 8 ans respectivement) réparties entre les guichets

d’accueil et le back-office. Enfin, l’ensemble des salariés sont sous la direction d’un

responsable.

1.1.2 L’organisation ‘B’ : étude de son centre d’appels et de deux guichets d’accueil

physique

Relevant de la même branche d’activité que ‘A’, l’organisation ‘B’ a aussi pour mission

d’attribuer des prestations (d’une nature différente de celles de l’organisation ‘A’), accordées

par les autorités publiques aux résidants du département des BDR. Comme dans le cas de

l’organisation ‘A’, une convention nationale d’objectifs et de gestion relative à son champ

d’intervention, configure le modèle de l’organisation du travail et les indicateurs de

performance utilisés. Dans cette seconde organisation, nous avons eu l’occasion d’étudier son

« centre d’appels entrants » (que nous dénommerons centre d’appels B) (situé dans le siège

(5ème étage) de l’organisation à Marseille ) et deux guichets (B1 et B2). B1 représente

l’accueil physique du siège, et l’autre guichet est situé dans un quartier différent de la ville de

Marseille. Les durées de nos immersions ont été de trois semaines dans le centre d’appels et

deux semaines dans chacun des guichets.

D’un côté, le fait qu’elle appartienne à la même administration signifie que les deux agences

accomplissent la même fonction et ont la même mission. Ce qui nous permettrait donc de tirer

certaines généralités sur certaines caractéristiques de l’accueil physique, a priori, similaires

159 Il arrive que certaines institutions appellent directement cette plate-forme (les associations, les référents sociaux, etc.)

271

dans les deux agences. D’un autre côté, l’étude comparative de deux agences permettrait,

Miles et Huberman (1991), d’apprécier la différence qui peut exister d’une agence à l’autre, à

partir des facteurs organisationnels propres à chaque agence, avec le types de population qui y

leurs sont rattachés160. Notre intérêt pour les facteurs organisationnels est véhiculé notamment

par l’idée selon laquelle les participants (entre autres, les clients) et les dispositions

organisationnelles jouent un rôle très important dans la configuration des situations dans les

organisations161 (Girin, 1990 ; Journé, 2005 ; Journé et Raulet-Croset, 2008). Nous avons

alors pris en compte cet aspect lors de la formulation de notre demande auprès de la direction

de l’organisation ‘B’ pour la désignation des agences à investiguer. Cette dernière a pu

identifier deux agences (que nous avons alors intégrées) considérées comme caractérisées par

des dispositions organisationnelles différentes.

Qu’il s’agisse de l’accueil téléphonique ou physique, les types de demandes des clients sont

très similaires à celles que nous avons rapportées à propos de l’organisation ‘A’, c’est à dire,

des renseignements sur les prestations et les dossiers, orientation, etc. Notons qu’au niveau

des guichets, les agents réceptionnent aussi les dossiers des clients. Dans les centres d’appels,

les agents sont aussi invités à traiter les mails des clients.

Concernant les effectifs :

- Dans le centre d’appels, les salariés (au nombre de quarante-sept) ont des caractéristiques

similaires à celles qu’on a vu dans l’organisation ‘A’, en termes de place dans la hiérarchie,

de niveaux de qualification et d’expérience. Dans ce centre d’appels, un groupe composé de

quatre agents est dédié aux relations avec les professionnels. Mais en cas où les appels

provenant de ces derniers ne sont pas nombreux, les agents se voient recevoir des appels

émanant des clients. Cela dit, ce groupe dispose d’une compétence et de formations

supplémentaires par rapport aux autres agents afin de leur permettre d’être plus polyvalents.

En ce qui concerne les agents de maîtrise (« n+1 ») qui encadrent les téléopérateurs, la seule

différence que l’on peut noter par rapport à ‘A’, c’est leur nombre qui est de quatre.

160 L’idée, c’est qu’en fonction de la situation géographique dans la ville, les caractéristiques des clients sont parfois très différentes. 161 Cet élément est aussi en accord avec le dispositif de recherche sur le contenu. Selon Grenier et Josserand (1999), ce dispositif permet de mettre l’accent sur l’interdépendance des éléments qui constituent l’objet étudié et de montrer que les propriétés d’ensemble d’une forme particulière peuvent avoir plus d’importance que les propriétés de chaque élément la composant.

272

L’ensemble des salariés évoluent sous la direction du responsable de la plateforme

téléphonique.

- Aux guichets, le nombre de salariés dans chacune des deux agences étaient de :

Douze dans le guichet B1, encadrés par trois managers de proximité162 (agents de maîtrise).

L’ensemble est dirigé par un responsable de l’accueil, qui est aussi responsable de tous les

accueil physiques situés dans la ville de Marseille.

Dans l’agence B2 on trouve cinq agents sous la direction d’un seul manager.

Concernant leurs caractéristiques, par rapports aux centres d’appels étudiés, deux différences

significatives, à notre sens, peuvent être relevées : la première est la moyenne d’âge qui est

plus importante dans les guichets. Et la seconde, qui peut découler de la première, concerne le

niveau d’ancienneté et d’expérience qui est aussi plus important que celui annoncé dans les

centres d’appels (on trouve des personnes ayant jusqu’à 10 ans d’ancienneté). Un autre

élément d’explication de cette différence d’ancienneté réside bien sûr dans le fait que la

fonction de l’accueil physique, donc les guichets, a existé longtemps avant la mise en place du

centre d’appels.

1.1.3 La Banque 'C’ : études réalisées dans deux centres d’appels et deux guichets

Ce que nous nommons ici Banque ‘C’ est une succursale d’une grande banque française.

Celle-ci est une Société Anonyme et elle a à la fois des activités de banque et d’assurances.

Parmi ses produits, on trouve entre autres, des produits d’épargne, d’assurances (habitation et

auto) et différents types de crédits. Le siège de la succursale dans le département des BDR

dirige plusieurs agences et deux « centres d’appels entrants ». Nous avons intégré ces deux

centres (C1 et C2) qui se situent pour le premier dans la ville de Marseille (C1) et pour le

second dans la ville d’Arles (C2). Le choix des deux guichets (C3 et C4) reposait sur le même

principe que dans le cas précédent. Notre interlocuteur nous a conseillé une agence sur

Marseille (C3) et une autre située dans la périphérie de la ville, dans le quartier de Plan de

Cuques (C4). Nos immersions ont duré deux semaines dans le centre d’appels C1, une

semaine dans le centre C2 (qui est plus petit en terme d’effectif) et deux semaines dans

chacune des deux agences, C3 et C4.

162 Ce qualificatif était très utilisé dans ces centres. Sinon, les caractéristiques de ces managers de proximité en terme de statut, de compétence et expérience, etc. sont globalement les mêmes que celles des agents de maîtrise dans les centres d’appels.

273

Dans cette banque, l’activité des agents est plus riche (diversifiée) que celle des salariés des

deux cas précédents car l’aspect marchand (vente de produits bancaires) s’ajoute à l’activité

de renseignement et d’orientation des clients. Cette activité marchande concerne aussi bien les

guichets que les deux centres d’appels, car contrairement à ceux des organisations ‘A’ et ‘B’,

les centres d’appels de la banque ‘C’ se présentent à la fois comme des supports aux agences

et comme des entités indépendantes (centres de profit) qui réalisent leur propre chiffre

d’affaire.

Concernant les salariés opérants dans ces front-offices, nous pouvons rapporter que :

- dans les centres d’appels, les téléopérateurs (premier niveau de la hiérarchie) sont au nombre

de quarante-huit dans ‘C1’. Ils sont encadrés par quatre agents de maîtrise. Dans ‘C2’, treize

agents sont encadrés par deux agents de maîtrise. Un seul responsable dirige les deux centres.

En ce qui concerne leurs caractéristiques :

Dans le centre d’appels C1, on peut distinguer deux catégories de salariés:

� La première catégorie représente une population relativement jeune, avec peu ou pas

d’expérience. Son niveau d’étude est relativement élevé (Bac + 3 et Bac + 4). Ces salariés

sont diplômés pour la plupart des filières économiques et commerciales. Cela marque donc

une des différences que l’on trouve entre les organisations parapubliques et cette banque.

� La seconde catégorie représente une population beaucoup plus âgée163, avec des niveaux

de qualification relativement faibles (certains n’ont pas le bac). En revanche, ils disposent

d’une très grande ancienneté dans l’institution et/ou une expérience considérable dans

l’institution et dans les métiers de la banque en général. Il s’agit d’anciens guichetiers et/ou de

salariés ayant travaillé dans le back-office pendant plusieurs années. Certains viennent même

des autres services de l’institution différents de ceux dédiés au traitement des prestations,

comme la comptabilité ou la cellule juridique.

Dans le centre d’appels C2, il n’existe qu’une seule catégorie de salariés : la seconde que nous

venons de décrire. Les téléopérateurs sont des anciens salariés du back-office, ayant une

moyenne d’âge, d’expérience et d’ancienneté relativement élevée, avec des niveaux d’études

relativement faibles.

163 Pour certains, il s’agit des dernières années avant le départ à la retraite.

274

En ce qui concerne les guichets :

- Dans chacun des deux guichets, on trouve un responsable de l’accueil, qui fait également

office de manager de proximité. Dans le guichet C3, on trouve cinq guichetiers au premier

niveau de la hiérarchie et quatre dans ‘C4’.

Ces guichetiers ne présentent pas de caractéristiques particulières. On y trouve différents

niveaux de qualification, type de diplômes, âge, expérience et ancienneté.

Comme nous l’avions annoncé, pour faciliter la lecture des informations rapportées à propos

de ces trois organisations, nous proposons ce tableau récapitulatif des principaux éléments

énoncés.

275

Tableau 5. Récapitulatif des front-office étudiés (durées de la recherche, caractéristiques des salariés et tâches principales des agents)

Organisation ‘A’

(27 agents)

Organisation ‘B’

(64 agents)

La Banque ‘C’

(70 agents)

Front office

étudié

1 centre d’appels ‘A’ 1 centre d’appels ‘B’

2 guichets d’accueil

(B1, B2)

2 centres d’appels

(C1, C2)

2 guichets d’accueil

(C3, C4)

Durée de la

recherche

4 mois

(2 jours/semaine)

3 semaines 2 semaines par guichet C1 : 2 semaines

C2 : 1 semaine

2 semaines par agence

Salariés

opérateurs

et leurs

caractéristiques

27 téléopérateurs,

Caractéristiques :

-Bac à Bac+4

-Diplômes variés

- expérience moyenne :

environ 2 à 3 ans.

2 Managers,

1 responsable

47 téléopérateurs,

dont 4 dédiés

prioritairement

pour les appels

des professionnels.

Caractéristiques :

-Bac à Bac+4

-Diplômes variés

Expérience moyenne :

environ 3 à 4 ans

4 managers,

1 responsable

B1 : 12 agents ; 3 Managers, 1

responsable (responsable des

autres guichets également)

B2 : 5 agents, 1 manager.

Caractéristiques :

Pour les deux guichets :

Moyennes d’âge, d’expérience et

d’ancienneté moyennement

élevées (comparé au centre

d’appels).

-Bac à Bac+4

-Diplômes variés

C1 : 48 agents

4 managers ;

C2 : 13 agents, 2 managers ;

Un responsable commun pour C1 et C2.

Caractéristiques :

C1 : 2 catégories :

-1ère catégorie : jeune, faible expérience.

Bac + 3 et Bac + 4, filières économiques

et commerciales dominantes.

- 2nd catégorie: moyennes d’âge,

d’expérience et d’ancienneté élevée,

niveaux d’étude relativement faibles.

C2 : les salariés ont des caractéristiques

correspondant à celle de la 2nd catégorie.

C3 : 5 agents, 1 responsable manager

C4 : 4 agents, 1 responsable manager

Caractéristiques :

Grande variété en termes

de niveaux de qualification,

diplômes, âge, d’expérience

et d’ancienneté.

276

Nous venons donc de faire une présentation des trois front offices appartenant aux

organisations que nous avons étudiées. Nous n’avons pas évoqué certains détails relatifs aux

dispositifs organisationnels existant dans ces trois entreprises, comme par exemple les

ressources matérielles mobilisées. Dans la partie consacrée aux résultats, et pour les besoins

de l’analyse, nous reviendrons sur certains éléments que nous venons de citer ici et nous en

évoquerons d’autres, notamment ceux qui permettent d’appréhender davantage les différents

contextes, pour une meilleure compréhension des CP qui y émergent.

Après avoir présenté les différents cas où nous avons effectué nos recherches empiriques,

nous terminons ce point en revenant sur nos deux postures de chercheur et leurs implications

en terme de collecte et d’analyse des données.

1.2 La posture du chercheur dans les organisations étudiées

Il est important de souligner le rôle social que le chercheur occupe sur le terrain car c’est un

des critères qui permettent à la recherche d’être pertinente ou au contraire biaisée (Arborio et

Fournier, 2005). La manière et les outils méthodologiques ne se présentent pas de la même

manière suivant que l’on soit chercheur participant pleinement ou non aux phénomènes

étudiés. L’idée générale s’articule autour de la relation de confiance réciproque qui doit être

instaurée entre l’observateur et l’observé (chercheur-sujet). Cela permet une meilleure

ouverture de la part des observés qui, si cette confiance n’existait pas, seraient tentés de

modifier leurs comportements et pratiques du fait de la présence du chercheur sur les lieux de

l’activité, voire en dehors.

Dans l’organisation ‘A’ où nous étions salariés, cet élément était crucial et a faillit biaiser

certaines de nos perceptions et analyses surtout dans les premiers temps, au moment où nous

avons informés nos collègues du commencement de notre double statut de salarié et de

chercheur. Cependant, nous avons pu rétablir cette confiance en expliquant, avec certains

longuement, les finalités et les buts poursuivis par nos recherches, ainsi que la garantie de la

confidentialité et la préservation de l’anonymat164.

Cette première expérience au niveau relationnel entre nous et les sujets observés dans

l’organisation ‘A’, combinée à notre connaissance du métier de l’agent d’accueil, nous a été

164 Bien que nous entretenions des relations harmonieuses avec nos collègues, notre posture n’a pas été acceptée si facilement que ça. Certains pensaient même que nous étions espions au service de la direction. Nous nous demandons si les pratiques de contrôle permanent que les agents subissent (cf. 2nd chapitre) pendant leur travail, les conduisent à développer un comportement de méfiance à l’égard de toute personne s’intéressant à leur faits et gestes dans l’organisation.

277

d’un grand bénéfice lors de nos premiers contacts avec les salariés dans les organisations ‘B’

et ‘C’. Bien évidemment, le fait que nous n’étions que chercheur dans ces deux organisations,

a contribué au succès relatif de nos recherches dans ces dernières.

Cette première expérience nous a aussi permis de réfléchir à la présentation de notre

recherche auprès des acteurs concernés. Afin d’atténuer les éventuels biais qui résulterait

d’une modification de comportement des salariés, dans l’organisation ‘A’, nous avons décidé

de ne pas informer les agents de notre problématique et axes de recherche exacts. Nous nous

sommes contentés de les informer qu’il s’agissait de comprendre leur activité. Les seuls

acteurs qui étaient au courant de notre thème de recherche étaient le DRH de l’organisation

(notre interlocuteur avec qui nous avions établi le protocole de recherche), le responsable du

centre d’appels et les deux agents de maîtrise. Toutefois, il faut souligner que l’idée

d’informer ces derniers de notre problématique s’est avérée une « erreur » qu’il conviendrait

d’éviter dans de futures recherches. En effet, et après avoir expliqué brièvement en quoi

consiste une CP, un des deux managers n’a pas apprécié notre sujet et a affirmé, que « la CP

ne produit rien » et que c’est lui « qui fait tourner la boutique ». Bien évidemment cette

remarque est prise en compte de manière rigoureuse dans nos analyses. Nous reviendrons plus

loin sur cette idée importante. Mais le problème c’est que ce manager, depuis la révélation de

notre thème, s’est abstenu à répondre à certains de nos questionnements occasionnels, même

si quelques unes des questions visaient seulement à comprendre d’avantage le contexte

organisationnel, le comportement des clients, ou encore, les pratiques de GRH sur la

plateforme dans lesquelles les managers sont impliqués.

Cette seconde expérience nous a rendu très vigilant quant à la divulgation de notre sujet dans

les terrains suivant. De ce fait, les seules personnes qui ont été mises au courant du thème de

notre recherche sont le responsable de la relation client (organisation ‘B’) et le directeur des

opérations (banque ‘C’), c’est à dire, nos deux interlocuteurs respectifs dans ces

organisations.

Nous développerons plus loin (dans le point portant sur les outils méthodologiques), les autres

conséquences relatives aux méthodes de collecte des données selon nos deux positions

respectives dans ces organisations.

Il reste alors à questionner les outils méthodologiques mobilisés dans notre approche ainsi que

le recueil de données sur ces terrains. Nous allons donc essayer dans ce qui suit d’expliquer

278

en quoi les outils que nous avons mobilisés se présentent à notre sens comme étant pertinent

pour le recueil de données, et nous expliquerons au passage, à chaque fois comment les

données ont été collectées. Nous terminons par la façon dont ces dernières ont été analysées.

2. Outils de recueil de données, collecte, transcription et analyse

Tout au long de nos immersions sur les terrains, la tenue d’un journal de recherche

(Eisenhardt, 1989) nous a été d’un grand service, car nos différentes annotations nous ont

permis de corriger, modifier et adapter nos techniques et comportements au fur et à mesure de

l’avancement de nos recherches séquentielles dans ces organisations.

2.1 Les outils de recueil de données sur le terrain

Dans le champ d’étude de l’activité humaine, et plus précisément dans celui de la perspective

de l’« action située », plusieurs modes et outil d’investigation ont été élaborés et mis en avant

par certains chercheurs. Pour rappel, « la théorie de « l’action située » estime que l’individu

appuie sa réflexion en cours d’action sur le contexte dans lequel il baigne et non sur des

plans d’action » (Journé, 2005, p.70). Certains outils, sophistiqués, apparaissent comme

pertinents dans ce champ d’étude, à l’instar de ceux utilisés dans une optique d’analyse

psychologique du travail. On peut ainsi évoquer l’ « auto-confrontation » (Theureau, 1992)

qui consiste à filmer un acteur et à lui demander par la suite de regarder le film en

commentant ses faits et gestes. Vermersch (1994) a mis en place la technique dite de

l’ « entretien d’explicitation ». C’est une technique qui aide à la verbalisation de l’action, avec

comme objectif d’arriver à la description du déroulement de l’action telle qu’elle a été

effectivement mise en œuvre dans une tâche réelle. Elle permet notamment de mettre des

mots sur des savoirs pratiques utilisés de manière tacite. Enfin, le dispositif de Clot (1999)

appelé la technique de l’ « entretien en autoconfrontation croisée ». Ici, en plus de

l’autoconfrontation d’un acteur à ses attitudes filmées auparavant, un second acteur est lui

aussi autoconfronté à ses comportements, puis, en binôme, chacun des deux participants est

invité à commenter les images de son/sa collègue en action. Ces méthodes sont présentées par

leurs concepteurs comme particulièrement intéressantes pour étudier l’action, mais, et à

l’instar des nombreux outils méthodologiques, elles ont leurs limites165.

165 Pour plus de détails sur ces dispositifs et leurs limites, vous pouvez par exemple consulter la synthèse réalisée par Theureau (2001) : « Fondement épistémologique de l’action (cognition) située. L’arrière-fond ethnométhodologique » .

279

De notre côté, hormis quelques rares tentatives avec la méthode d’entretiens d’explicitation de

Vermersch (1994), nous n’avons pas recouru à ces techniques, car - et pour reprendre

l’expression de Hanique (2000) (à propos de l’autoconfrontation croisée) -, ce sont des

dispositifs lourds à appliquer. Ils nécessitent de grands moyens, que ce soit au niveau

logistique ou en matière de protocole et de convention de recherche (il n’est pas évident qu’un

acteur accepte de se faire filmer…). En plus de ce problème, et dans le souci d’un meilleur

recueil des données empiriques sur les CP, nous n’avons pas l’impression que ces méthodes

soient forcément les plus adaptées/efficaces à l’analyse de ces groupes, de leur

fonctionnement, ou encore, de leurs produits. Les trois techniques s’articulent autour de

l’ entretien, or, ce dernier, que nous avions mobilisé sous son format classique, ne nous a pas

permis d’appréhender beaucoup d’éléments sur le fonctionnement des CP (nous reviendrons

sur ce point plus loin). La technique de l’observation s’est avérée beaucoup plus pertinente

dans ce champ. Et bien évidemment, nous avons commencé par quelques analyses

documentaires (Miles et Huberman, 1991 ; Salembier et al., 2001 ; Arborio et Fournier,

2005).

Dans ce qui suit nous allons donc présenter ces trois techniques mobilisées sur le terrain.

Nous commençons par l’analyse documentaire, puis les entretiens semi-directifs. Nous

montrerons leurs limites pour expliquer en quoi l’observation s’est révélée comme étant le

meilleur moyen de collecter les données en ce qui concerne notre sujet. Toutefois, il faut

garder en tête que, dans les faits, la technique d’observation a été mobilisée dès l’entame de

nos recherches dans les trois terrains. L’observation des contextes et des événements n’a pas

attendu que les autres techniques révèlent leurs limites. D’ailleurs, et du point de vue de

l’organisation de nos recherches, c’est grâce à l’observation que nous avions pu, entre autres,

inscrire dans un de nos journaux de recherche (nous reviendrons sur cet élément plus loin)

quelques éléments qui nous ont guidé dans les modifications apportés aux niveaux des

contenus des guides d’entretiens utilisés, d’une entreprise à une autre, et d’un accueil à

l’autre.

2.1.1 L’analyse documentaire

Lors de nos différents séjours dans les trois organisations respectives, nous avons pu consulter

de nombreux documents officiels de ces dernières. Ceci nous a permis de rassembler de

280

nombreuses informations formelles sur les différentes procédures et les dispositifs

organisationnels en place. Principalement, nous avons consulté :

- les fiches de postes des agents : afin de comprendre les différentes tâches qui incombent à

l’agent dans son activité, ainsi que les différentes consignes que ce dernier doit suivre

pour réaliser le processus de coproduction. Ces consignes disent aussi quand (dans quels

cas) l’agent doit consulter son manager ou contacter un technicien du back-office ;

- des documents faisant office de manuels de praticiens, expliquant les modes opératoires

que les agents doivent suivre. Ces documents sont aussi destinés à être consultés si les

agents oublient comment réaliser certains modes opératoires comme les manipulations

informatiques pour constituer ou modifier un dossier client, les différents partenaires à

contacter (services sociaux, partenaires publiques, etc.) et quand le faire ;

- les différents règlements internes qui expliquent entre autres, la conduite à suivre par

l’agent dans l’organisation ;

- des relevés sur l'organisation technique des différents front-office (nombre d'agents

affectés au pré-accueil et à l'accueil personnalisé, etc.), ainsi que des relevés statistiques

sur le nombre d’appels entrants dans les centres d’appels et celui des clients se présentant

aux différents accueils physiques ;

- d’autres documents tels que les chartes qualité, les journaux et revues internes, etc.

Nous avons pu également lire certains scripts sur les écrans des agents. Ceux-ci apparaissaient

dans des menus déroulants et présentaient des réponses pré-formatées en fonction de certaines

questions posées par les appelants. Notons que ces scripts sont plus nombreux et leur usage

est relativement plus apparent dans la Banque ‘C’ que dans les organisations ‘A’ et ‘B’.

En ce qui concerne la performance et les critères de mesure de cette dernière, nous avons

réussi à obtenir les fiches type d’évaluation des agents où les critères quantitatifs et qualitatifs

sont précisés. Cependant, dans les trois organisations, bien que la mesure de performance

n’est ni un secret ni un tabou, nous n’avons pas pu avoir le document officiel166 précisant les

objectifs de performance et les indicateurs mis en place, à priori par les directions nationales

de ces entreprises. Mais cela ne nuit aucunement à notre travail du moment où nous avons en

notre possession tous les critères et objectifs fixés aux agents.

166 Nos interlocuteurs respectifs ont refusé de nous présenter ces documents où les consignes concernant les objectifs de performance fixés sont rapportées.

281

Toujours autour de cette question de la performance, nous avons pu récupérer quelques lettres

émanant des clients. Il s’agit généralement de lettres de contestations (mécontentement vis à

vis du système en général, ou des remarques visant un agent particulier en particulier suite à

une situation de coproduction, etc.). Dans les organisations ‘B’ et ‘C’, des enquêtes de

satisfaction ont été conduites auprès des clients. Nous n’avons pas eu l’occasion de voir

toutes les statistiques émanant de ces enquêtes, mais les discussions avec les responsables

nous ont apporté quelques données relatifs aux feedbacks des clients.

Enfin, et étant donné que notre travail s’intéresse aussi aux pratiques de GRH dans les

organisations, nous avons récupéré des documents qui nous ont permis de rassembler certains

informations sur les procédures d’intégration des nouvelles recrues, sur les actions de

formation dédiées aux agents du front-office, et bien sûr, les grilles d’évaluation des agents.

Par ailleurs, et cela semble logique, aucune trace écrite n’est disponible à propos de

l’existence d’une CP au sein de ces organisations. Le caractère informel des CP, l’inexistence

d’un schéma contractuel en leur sein et donc l’absence d’une légitimité juridique dans

l’organisation les rendaient insaisissables dans ces documents officiels. Cependant, il est à

noter que dans les centres d’appels ‘B’ (mais pas aux guichets) certains documents

renseignent sur l’existence d’entités fonctionnelles au sein de la plateforme. C’est ce que nous

avons rapportés dans les tableaux 5 (cf. supra) où nous avions indiqué qu’il existe des agents

dédiés au traitement des relations avec les professionnels.

En ce qui concerne notre objet d’étude, l’impossibilité d’identifier les CP à partir de ces

documents représente la première et principale limite de l’analyse documentaire. D’autres

limites sont aussi à souligner concernant l’étude des documents comme moyen d’appréhender

les objets, car, comme de nombreux chercheurs ayant utilisé cette technique, nous avons

rencontré des difficultés à identifier parmi la multitude des documents, les plus pertinents

d’entre eux et à comprendre les références implicites ou présupposés qu’ils contiennent. En

outre, et comme le soulignent les tenants du courant de l’action et de l’apprentissage situé, les

documents ne disent pas tout. Ils peuvent fournir des informations sur les tâches prescrites,

mais pas sur le réel de l’activité. Cela sous entend aussi que la perception de la performance

par les agents pourrait s’avérer différente de celle indiquée dans les documents institutionnels.

282

Ces limites expliquent donc que la collecte d’informations ne puisse se faire uniquement sur

la base de l’analyse documentaire. Dès lors, nous avons recouru à la technique des entretiens

avec les acteurs dans les organisations étudiées. Enfin, cette technique nous est

incontournable étant notre approche épistémologique, interprétativiste, qui repose sur l’idée

selon laquelle, le chercheur a intérêt (cf. supra) à aller découvrir le sens qu’attribuent les

individus à leurs expériences. C’est dans cette perspective que Usunier (1993), estime que la

tâche du chercheur en sciences sociales « ne devrait pas être d’accumuler les données

factuelles, ni de mesurer à quelles fréquences certains phénomènes apparaissent, mais plutôt

de mettre en parallèle les différents constructions et significations que les gens attribuent à

leur expérience » [in Igalens et Scouarnec, 2001, p.6].

2.1.2 Les entretiens semi-directifs

La conduite des entretiens avec les acteurs dans l’organisation représente un des modes

privilégié pour la collecte des données dans le domaine des sciences sociales. Le but visé à

travers les entretiens est le recueil de données discursives aidant à comprendre davantage

certains aspects organisationnels, les perceptions et les représentations que les acteurs ont de

leurs vécus, ainsi que des éléments concernant les comportements de ces derniers dans

l’organisation (Baumard et Ibert, 1998). Dans l’usage, les chercheurs en méthodologie (Miles

et Huberman, 1994 ; Baumard et Ibert 1998 ; Hoepfl, 2007, et d’autres) distinguent trois types

d’entretiens : ouverts, directifs et semi directifs.

Les entretiens ouverts consistent à obtenir un récit de la part de l’interviewé en lui posant une

question générale et lui laissant à l’occasion la liberté de structurer et de choisir le contenu de

son récit. Notre approche vise à obtenir plusieurs réponses argumentées à des questions

précises, que nous avions préparées afin d’élargir notre compréhension des phénomènes

étudiées sur le terrain. Donc nous n’avons pas opté pour cette technique. Les entretiens

directifs consistent à poser des questions à l’interviewé en demandant des réponses concises

et fermées. Cette technique ne nous semblait pas cohérente pour notre recherche car nous

souhaitons obtenir des réponses bien développées pour mieux appréhender notre objet de

recherche. Enfin, les semi-directifs, laissent l’acteur s’exprimer librement mais sur des

questions précises établies et contrôlées par le chercheur. Pour une meilleure compréhension

des propos prononcés par l’interviewé, la conduite de ce type d’entretien s’appuie sur la

méthode consistant pour le chercheur à reformuler systématiquement les réponses annoncées

par l’interviewé (Kaufman, 1996). Ceci permet de s’assurer de la compréhension des éléments

283

obtenus et de lever le doute sur certains éléments qui pourraient paraître flous pour le

chercheur. Aux vues de ces éléments, cette approche nous semblait bien adaptée à notre

recherche empirique.

Dans les trois organisations, nous avons interrogés plusieurs acteurs, sélectionnés en fonction

de leurs statuts et rôles dans les organisations. Nos guides d’entretiens comprenaient des

questions et/ou des thèmes généraux qu’on souhaite explorer lors des interviews (Hoepfl,

1997). Ces guides ne sont pas identiques dans les trois organisations. Les contenus et les

formes des questions ont évolué d’un terrain à un autre. Deux raisons principales peuvent

expliquer ce dynamisme dans le contenu des guides d’entretiens : la première est due au

caractère abductif de notre raisonnement. Les différents retours sur les travaux théoriques les

plus récents dans les domaines des CP et celui des relations de service, nous ont amené à

enrichir les contenus de nos guides et rajouter certains éléments nouveaux issus de la théorie.

La seconde raison s’explique par l’existence de certaines différences entre les trois

organisations. Elles ont été relevées suite nos premières observations lors de l’entrée sur le

terrain, mais aussi, à partir de nos différentes lectures des documents recueillies dans ces

organisations. Ces différences sont parfois substantielles, comme celles concernant la nature

des services livrés, ainsi que la question de la performance et de sa mesure, qu’il s’agisse des

organisations publiques ‘A’ et ‘B’ ou de la banque ‘C’. D’autres différences ont été prises en

compte aussi, comme par exemple les différentes organisations spatio-temporelles. Nous

avons alors pris en compte ces différences en modifiant et rajoutant certains questionnements

dans nos questionnaires.

Enfin, les guides d’entretiens que nous avions élaborés ont été bien évidemment adaptés en

fonction des différentes catégories des acteurs concernés. Ci après, le tableau 6 résume les

différentes catégories des acteurs interviewés et précise pour chacune d’entre elles les

thématiques / objectifs poursuivis par nos questionnements.

Notons que toutes les interviews (à l’exception de celles conduites dans l’organisation ‘A’)

ont été enregistrées à l’aide d’un dictaphone. Le nombre total des entretiens s’élève à trente-

six (36). Les durées des interviews variaient en fonction des catégories d’acteurs interrogés.

En ce qui concerne les responsables, les durées étaient d’environ 20 à 30 minutes. Avec les

managers, bien que nous avions prévu au départ, dans l’organisation ‘A’, des entretiens d’une

durée de 40 minutes, les premiers constats dégagés nous ont amené - pour la suite de nos

284

interviews dans les organisations ‘B’ et ‘C’ -à raccourcir le temps et le nombre de questions

prévues. Nos premières analyses suite à l’écoute des deux interviews enregistrées avec les

managers du centre d’appels ‘A’ ont montré que, hormis certaines réponses sur les

questionnements relatifs au contexte des relations de service, les managers focalisaient leurs

discours essentiellement sur leur rôle sur la plateforme. Malgré nos tentatives de recadrage,

nous avions l’impression que les managers trouvent à chaque fois un moyen pour contourner

la question et mettre en avant leur rôle et leurs mérites. Cela s’est encore accentué lorsqu’il

était question des interactions entre les agents et les apports potentiellement positifs

qu’engendrent ces dernières à la performance. Ils n’ont pas (notamment un d’entre eux) trop

apprécié nos axes de recherche concernant le lien entre CP et performance.

Avec les agents, toutes nos rubriques principales ont été discutées (voir tableau 6). Cela dit,

nous avons bien privilégié les points de vue des agents pour appréhender la réalité du travail

et son organisation telles qu’elle sont vécues par ces derniers. Au delà de la technique de

questionnement classique, nous avons tenté, comme déjà annoncé, la technique d’entretien

d’explicitation, qui consistait à faire un retour sur l’action dans le but d’obtenir une

verbalisation de cette dernière (Vermersch, 1994). Nous demandions alors à certains agents

d’expliciter quelques-unes de leur pratiques - que nous avions observées et notées au

préalable dans notre journal de recherche. Un autre type d’entretien a été également testé avec

les agents. Il s’agit de l’entretien collectif. Après deux tentatives, nous avons pris conscience

que cette méthode n’est pas adéquate pour notre objet. Lorsque nous posions une question à

un groupe que nous avions intégré pendant une pause, les agents se contentaient de se

regarder et n’osaient pas prendre la parole.

A plusieurs reprises, nous avons eu également des occasions de procéder à des entretiens

informels avec les agents (pendant les pauses cafés, déjeuners, etc.). Certes, nous mobilisions

des questions dont la forme et l’ordre ne sont pas aussi structurés que ceux des entretiens

formels, mais les informations collectés s’avéraient parfois plus intéressantes que celles

livrées devant le dictaphone. Notamment lorsqu’il s’agissait de parler de certains pratiques

non canoniques, ou encore de critiquer les managers. Les informations recueillies nous ont

permis d’appréhender davantage le réel de l’activité et compléter de ce fait nos différentes

analyses. Bien sûr, nous savons bien que cette pratique suscite un problème d’éthique dans la

conduite de la recherche, mais nous pensons que cette démarche, comme le défend Oiry

(2001, p. 155), n’est « en rien condamnable du moment où le chercheur respecte la plus

285

stricte des confidentialités, c’est-à-dire du moment où les preuves des propos ne seront pas

utilisés contre les sujets-sources ou contre quiconque ». Nous avons pris en compte cette

observation et respecté la confidentialité des propos tenus par les agents. Cette exigence a été

étendue même aux informations recueillies dans les entretiens formels, car comme nous

allons le voir plus loin, certains verbatims exprimés par les agents ne seraient pas vraiment

appréciés par leurs managers. Notons que les propos de ces derniers ont fait aussi l’objet

d’une stricte confidentialité.

Les entretiens menés avec les agents, qu’ils soient conduits d’une manière formelle ou non,

ont eux aussi leurs limites. Les premières analyses des interviews réalisées nous ont amené à

raccourcir le nombre de questions et la durée prévue. Si dans l’organisation ‘A’, chacune des

interviews avec les agents avait duré environ 30 minutes, dans les organisations ‘B’ et ‘C’

nous avons élaboré des questionnaires correspondant à une durée approximative de 15 à 20

minutes pour chaque interview. La raison en est qu’après 5 entretiens, bien que certains

fournissent quelques renseignements sur les questions abordées, il est apparu qu’au niveau

des aspects relevant des CP, qui, rappelons-le, est notre principal objet d’analyse, le

caractère informel des interactions et la nature tacite des connaissances produites rende

difficile l’explicitation de certaines des pratiques et comportements. Les conseillers et

téléconseillers ne parvenaient pas à expliciter les sources et les pratiques professionnelles

mobilisées dans leurs quotidiens. D’ailleurs, en y réfléchissant a posteriori, nous avons

constaté que nous-mêmes, à l’époque où nous étions salariés et n’avions pas encore constitué

un certain socle théorique à propos du phénomène des groupes informels, aurions eu des

difficultés à prendre assez de recul pour pouvoir mettre un sens sur nos interactions avec les

collègues et expliquer les origines de nos pratiques et styles de comportements dans notre

activité quotidienne. A dire vrai, nous n’étions pas surpris d’apprendre que les entretiens ne

sont pas le mode de recueil de données le plus adéquat dans l’étude des CP, car l’analyse de

cette dernière est donnée comme située, ancrée dans un contexte particulier, or les entretiens

et l’analyse des données verbales sont partiellement décontextualisées. .

Bien que ces entretiens nous ont permis d’approfondir notre compréhension des contenus des

documents parcourus et ont révélé également d’autres informations utiles à notre recherche,

les remarques citées ci-dessus expliquent la pertinence limitée pour notre objet de recherche

de cette méthode de recueil des données. Par conséquent, en terme de traitement des données

collectées à travers les interviews, nous n’avons pas utilisé une technique d’analyse spécifique

286

comme celle des codages des unités et l’utilisation de logiciels permettant leur traitement.

Nous nous sommes contentés de les retranscrire en soulignant des verbatim caractérisant des

réponses à certains de nos questionnements.

Bien évidemment, nous n’étions pas satisfaits vu la pauvreté des données collectés par la

technique des entretiens. Nous avons alors recouru à la méthode privilégiés des ethnologues

cherchant à appréhender l’action située. En l’occurrence, la technique de l’observation. Nous

avons observé les salariés en situation et hors situation de travail. Comme le recommandent

les chercheurs, à l’instar de Eisenhardt (1989), Journé (2005), Arborio et Fournier (2005) et

d’autres, nous avons tenu un « journal de recherche » pour rendre compte de ces observations

tout au long de nos recherches. A l’issue de notre première étude dans l’entreprise ‘A’, nous

avons décidé de nous doter d’un dictaphone pour nos recherches dans les organisations ‘B’ et

‘C’, afin de renforcer les techniques d’observation en enregistrant les conversations entre les

agents. Ceci permet de ne pas perdre quelques mots /concepts des contenus de ces dernières et

nous laisser la possibilité de concentrer notre attention et observation sur les autres aspects du

fonctionnement des CP.

287

Responsables Managers Agents

‘A’

Centre d’appels - 1 responsable - 2 managers - 5 agents Centre d’appels - 1 responsable - 3 managers - 4 agents

‘B’

2 Guichets - 1 responsable - 3 manager - 3 agents 2 Centres d’appels - 1 responsable - 4 managers - 4 agents 2 Guichets - 1 manager - 3 agents

‘C’

Total : 36 interviews.

Statuts et rôle - Rôles, expérience et directives, etc. Relations de service -Organisation générale des « front office », coordination avec le back-office ; - conception des relations de service - objectifs de performance, Pratiques de GRH dans les front-office : - les pratiques d’intégration des nouvelles recrues, - le niveau de qualification des agents et leur formation dans l’organisation, - les pratiques d’évaluation des salariés.

Statuts et rôle Rôles, expériences et directives (aides aux agents, pratiques de contrôle, etc.). Relations de service et activité, - Organisation du travail : des espaces d’accueil, des activités et des agents - l’état de la relation client, - les tâches réalisées par les agents et les modes opératoires décrétés, - les objectifs de performance poursuivis ; -coordination avec le back-office. Communautés de pratique : - Existence ou non (leur perception) de phénomènes de groupe informels chez les salariés ; - l’esprit d’entraide et de collaboration entre les agents, l’existence d’influences réciproques et d’une conscience de l’interdépendance entre les agents ; etc., Pratiques de GRH : -La socialisation des novices, - l’exhaustivité/carences de la formation ; la tenue ou non des réunions d’informations, etc. -les critères d’appréciation des salariés.

Statuts et rôle Rôle, qualification (diplôme), expériences et tâches réalisées ; Relations client et coproduction - les caractéristiques de l’activité, des clients, - les différentes types situations rencontrées, - l’écart entre travail réel et travail prescrit, - les difficultés et les contraintes auxquelles ils sont confrontés, etc. - leurs perceptions de la performance - leurs perceptions sur le rôle des managers (aides, formations et contrôles, etc.) - les perceptions sur les dispositifs institutionnels (prescription, modes opératoires, etc.) - leurs relations avec les agents du back-office Communautés de pratique - Les interactions avec les pairs (échanges, apprentissage, entraide, etc.) - le sentiment de communalisation ; - les pratiques et artefacts élaborés et mobilisés par le collectifs (s’il existe), etc. Aspects relatif à la GRH - Leurs sollicitation avec les collègues - leurs perceptions sur les formations reçues dans l’organisation, - leurs perception sur les pratiques de leurs évaluation

Tableau 6. Les différentes catégories d’acteurs interviewés et les questionnements associés

288

2.1.3 L’observation participante « in situ » et « ex situ »

Nous commençons ce point par donner quelques éléments à propos de notre statut

d’observateur dans les organisations investiguées.

2.1.3.1 « Participant qui observe » dans l’organisation ‘A’, « Observateur qui

participe » dans les organisations ‘B’ et ‘C’

D’une manière générale, la plupart des auteurs parlant de leurs immersions sur le terrain, se

présentent soit comme observateur soit comme observateur participant. Les travaux de Junker

(1960) [in Groleau, 2003, p. 216] à propos de cette posture soulèvent plus de nuances dans les

différents statuts et montrent que quatre cas de figures peuvent exister en fonction du degré de

participation et du dévoilement ou non de l’identité du chercheur sur le terrain étudié.

Tableau 7. Synthèse des différents statuts et rôles de l’observateur proposé par Junker (1960) [in

Groleau, 2003, p. 216].

Statuts de l’observateur Degré de participation / dévoilement de l’identité du chercheur

Participant complet Participe pleinement aux activités du groupe étudié sans

dévoiler son identité de chercheur

Participant qui observe Participe aux activités du groupe étudié au même titre que

les autres membres, en ayant dévoilé son identité de

chercheur

Observateur qui participe Rend public son rôle de chercheur et erre librement dans la

communauté sans prendre formellement part aux activités

du groupe

Observateur complet Observe sans avoir de contact direct avec les sujets de la

recherche.

Conférant aux éléments rapportés dans cette grille, nos différents positionnements dans les

organisations doivent être identifiés en fonction du degré de notre participation à l’activité des

sujets étudiés167. Dans l’organisation ‘A’, notre statut peut être qualifié alors de « participant

167 Notons que d’autres typologies, presque similaires à celle de Junker (1960) sont élaborées par d’autres auteurs, à l’instar de celle de Lapassade (2002), qui distingue trois degrés d’appartenance (rapport au terrain)

289

qui observe », car nous étions salarié et donc participions pleinement aux activités du groupe

étudié au même titre que les autres membres. Nous rappelons aussi que nous avions révélé

notre identité de chercheur à l’ensemble des acteurs présents dans notre service.

Tout en étant participant, nous avons procédé aux observations. D’après Giordano (2003),

l’inconvénient de cette position vient du fait qu’il est possible que le chercheur prenne pour

acquis l’expérience qu’il partage avec les personnes observées sans tenter d’identifier le lien

avec la problématique choisie. En ce qui nous concerne, nous n’avions pas perdu de l’œil

notre problématique au moment de nos observations, mais il est vrai que lors des premières

observations notées, nos acquis en terme d’expérience ont influencé nos perceptions et

analyses. Autrement dit, nous n’avions pas le recul suffisant et nécessaire pour penser au delà

de nos propres perceptions. Mais notre encadrement (directeur de thèse) nous a vite mis en

garde quant à ce problème et nous a conseillé de faire en sorte d’oublier parfois qu’on est

salarié et nous positionner uniquement comme chercheur. D’autres conseils portaient

également sur l’idée de noter tous les éléments observés, même ceux qui ne nous paraissaient

pas très significatifs au départ.

Dans les organisations ‘B’ et ‘C’, nous n’avons pas participé aux activités du groupe et nous

tenions uniquement la position de chercheur. Dans ce cas là, nous n’étions pas employés par

l’entreprise et nos activités se distinguent de celles des autres membres de l’organisation.

Mais, ce que nous pouvons comprendre de la grille de Junker, du fait que nous étions en

contact direct avec les sujets ne fait pas de nous un observateur complet. Autrement dit, nos

interactions avec les salariés nous donnent aussi le statut du participant. Dès lors, nous

sommes considéré comme « observateur qui participe ». Le revers de ce statut est la difficulté

de saisir pleinement l’expérience de la communauté observée (Giordano, 2003). Nous

pensons que notre expérience dans le métier de l’accueil dans les relations de service a permis

de remédier dans une certaine proportion à ce problème. Elle nous a été d’une grande aide

dans le sens où elle nous a permis de comprendre une bonne partie des aspects observés sur

ces deux derniers terrains, notamment dans l’organisation ‘B’ qui, rappelons le, relève de la

même branche d’activité. Pour le reste, comme le souligne Journé (2005), le recours à

l’observation implique un travail préalable d’opérationnalisation des concepts. De ce fait, dès

les premiers temps de nos différents séjours dans les deux dernières organisations, nous avons

donnant à l’observation trois statuts : l’observation périphérique, l’observation participante active et l’observation participante complète.

290

tenté de capter certains concepts et idées, dont les sens nous ont été livrés par les acteurs lors

dans nos différentes discussions occasionnelles. Ceci nous a permis de bien préparer notre

dispositif d’observation.

Cependant, nous estimons que l’un des problèmes qui se pose dans la technique de

l’observation participante vient directement de la présence physique du chercheur sur le

terrain aux côtés des sujets observés. Non seulement les sujets peuvent modifier leurs

comportements en fonction de la présence du chercheur, ce qui biaiserait les données

collectées, mais le statut du chercheur en tant que observateur peut être confondu par les

observés avec celui du contrôleur (Arborio et Fournier, 2005). Nous avons pris en compte

sérieusement ces éléments, car dans notre cas, les agents dans le front office savent qu’ils sont

surveillés tout le temps par leurs superviseurs (Pichaultet Zune, 2000 ; Amiech, 2003). Dès

lors, pour atténuer ces biais, et ne pas aggraver leur situation, un travail de socialisation avec

les acteurs sujets a été mené pour installer une relation de confiance avant de procéder à la

collecte des données. Ce travail a toutefois été réalisé au détriment du temps consacré à

l’observation.

Enfin, il faut souligner que dans les deux cas de figure, notre observation est, de fait,

participante. Bogdan et Taylor (1975) [in Lapassade, 2002] définissent l'observation

participante comme une recherche caractérisée par une période d'interactions sociales intenses

entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers. Au cours de cette période des

données sont systématiquement collectées. Avant de présenter comment nous avons collecté

et analysé les données, nous nous devons d’abord de répondre à certaines questions

concernant cette pratique, à savoir : Quoi et pourquoi observer ? Quand et où observer ?

2.3.1.2 Quoi et pourquoi observer ?

La question « quoi observer ? » renvoie au fait de préciser l’objet et /ou le sujet observé

(Arborio et Fournier, 2005). L’objet principal de nos observations est la CP. Il s’agit donc de

concentrer l’observation sur les sujets (agents) membres constitutifs de la communauté, mais

aussi, l’objet qui les relie, à savoir, l’aspect communautaire. Ces groupes sont aussi connus

pour leurs produits qui font partie intégrale de leur identité. De plus, ce sont les éléments qui

pourraient expliquer l’objectif poursuivi dans notre travail, à savoir le lien que ces groupes

entretiennent avec la performance de leurs membres. Par ailleurs, la CP est une entité située,

car les pratiques, l’apprentissage, les interactions et les produits qui ont découlent, le sont.

291

Dès lors, l’analyse de la situation / contexte s’impose à nous comme second objet d’étude,

alors nous devons aussi l’observer. Ce contexte est caractérisé par la situation de coproduction

et un modèle productif complexe combinant compétences, procédures prescrites et divers

outils techniques. Tout cela se déroule sous des contraintes temporelles et de qualité qui se

présentent comme des critères de performance à respecter pour atteindre les objectifs fixés par

l’organisation. Ainsi, et pour que l’observation soit pertinente, aucune composante du

contexte ne devrait être laissée de côté (Girin, 1990 ; Arborio et Fournier, 2005 ; Journé

2005 ; Journé et Raulet-Croset, 2008). Cela dit, il est indispensable d’observer les éléments

composites du contexte où évoluent les agents, pour pouvoir expliquer les phénomènes à

partir d’un cadre de référence où les sujets prenant part à la réalité étudiée.

A la question « pourquoi observer ? », nous répondons, au delà de leur identification, pour

tenter d’interpréter la manière dont les membres de la communauté créent du sens à partir de

leur expérience partagée, et comment cela pourrait influencer leurs pratiques au travail et

éventuellement leurs niveaux de performance. On devient alors des témoins de paroles, de

comportements, de gestes, d’interactions des acteurs en situation de travail.

2.3.1.3 Quand et où observer ?

L’observation consiste à confronter des schémas théoriques à des observations « en situation

naturelle » (Girin, 1990). Cependant, l’auteur a souhaité modéré sa conception de la notion de

« situation naturelle » en annonçant qu’elle a ses limites, dans la mesure où le processus de

recherche influence ce que l’on étudie168.

L’observation en situation (« in situ ») consiste à observer les phénomènes en temps réel pour

éviter les biais de reconstitution a posteriori et de décontextualisation des données (Journé,

2005). Pour cet auteur, cette méthode a trait à la définition des modalités concrètes de

déploiement d’un dispositif d’observation in situ, en particulier pour appréhender des

situations non prévues. Cette conception de l’observation correspond parfaitement à notre

objet de recherche, non seulement du fait que les CP ne disposent pas d’un schéma

contractuel prédictif des engagements de ses membres, mais surtout parce que le contexte

des relations de service où ces groupes évoluent est réputé incertain et instable. Ceci nous a

168 D’où le caractère « participant » associé systématiquement à celui de l’observation. D’après certains auteurs, l’observation non participante trouve son sens uniquement dans le cas où l’observateur et l’observé sont séparés par une vitre sans tain.

292

donc motiver à nous inspirer des idées de Journé (2005) pour conduire nos différentes

observations.

L’auteur estime que l’essentiel des écrits méthodologiques portant sur l’observation in situ

dans le champ du management n’entre que très peu dans les détails techniques de cette

méthode et ne se prononce pas sur sa capacité à saisir des phénomènes imprévus. Ainsi,

Journé (2005), à son tour s’inspirant des idées de Girin, (1990) (l’« opportunisme

méthodique »), propose une « méthode combinant rigueur et opportunisme, basée sur

l’observation in situ pour rendre compte des processus cognitifs individuels, collectifs et

organisationnels qui fondent la fiabilité d’une organisation lorsqu’elle fait face à des

situations imprévues169 (Journé, 2005, p. 64). La rigueur repose sur le caractère systématique

des observations réalisées, quant à l’opportunisme de la méthode, il renvoie à la pertinence

des observations portant sur la manière dont les acteurs répondent en temps réel à des

situations imprévues. Enfin, il est à noter que cette méthode, qualifiée de souple et

dynamique, articule entre quatre stratégies, à savoir (ibid.):

- La stratégie n° 1, visant à l’exhaustivité et à la familiarisation de l’observateur avec son

terrain et son objet de recherche ;

- La stratégie n° 2 vise la précision des données. Pour cela, elle réduit la durée des

observations à trente minutes dans le cadre d’un périmètre fixe. « La durée a été déterminée

par la capacité de l’observateur a soutenir son attention de manière très intense (elle est

donc susceptible de variation en fonction des terrains et des observateurs) ». (ibid, 2005, p.

73).

- La stratégie n° 3 est focalisée sur les différents acteurs qui sont engagés dans le processus

étudié et la prise en compte de la diversité des activités des différents acteurs interactants en

situation.

- La stratégie n° 4 vise la pertinence. Elle est centrée sur les situations problématiques non

prévues à l’avance. Notons que la pertinence des informations recueillies peut être obtenue

en combinant observations et entretiens en situation.

En ce qui concerne notre recherche, les CP ont fait l’objet d’observations dans deux situations

naturelles : La première que l’on qualifie d’observation « in situ », consiste à observer les CP

en situation de travail, c’est à dire lors des situations de coproduction avec les clients ; ou

169 Notons que l’auteur met l’accent sur les situations imprévues car ces dernières ont un poids considérable dans son terrain d’étude qui est les centrales nucléaires.

293

encore, et d’une manière générale, une fois que les agents sont installés sur leurs postes de

travail. La seconde situation, que l’on qualifie de « ex situ », correspond à appréhender les

échanges dans les CP hors situations de coproduction avec le client, ou en dehors des postes

de travail. En d’autres termes, par « ex situ » nous entendons essentiellement les moments et

lieux relatifs aux pauses déjeuner, café, etc. Celles-ci représentent un aspect essentiel dans la

compréhension des CP, car encore une fois, aucune injonction procédurale n’imposent aux

membres de groupes les moments et lieux d’interactions. Il est alors indispensable pour nous

de voir ce qui se passe dans ces groupes une fois qu’ils sont hors des champs visuels de leurs

managers.

Du point de vue stratégique, nous avons essayé de suivre ces différentes stratégies pour un

meilleur recueil des données. Cependant, concernant les durées des observations (stratégie n°

2), certaines ont été conduites dans un temps largement inférieur à celui préconisé par l’auteur

(trente minutes). Certains échanges dans les CP n’ont pas duré longtemps, idem pour la

plupart des situations de coproductions, où parfois, certaines ne dépassent pas les quatre

minutes. Mais cela ne signifie pas que nos observations se sont arrêtées dès qu’une interaction

ou une coproduction prend fin, car il nous est arrivé à plusieurs reprises de rester bien plus

longtemps que les durées de ces processus. En effet, nos observations cherchent aussi à

appréhender les mouvements des interactions entre les agents afin de déceler les éventuelles

caractéristiques communes qui renseignent sur leurs appartenance ou non à une CP (s’ils

forment ou non une CP). L’idée, c’est de relever les différents niveaux d’engagements des

agents, en s’intéressant à leurs interactions verbales et non verbales, en portant une attention à

leurs fréquences, aux objets de discussion, aux comportements mobilisés, etc. C’est à dire, à

tout élément permettant de renseigner sur les dimensions qui définissent les CP, à savoir

l’engagement mutuel, le répertoire partagé et l’entreprise commune.

Cependant, la stratégie n°3 préconisée par Journé (Cf. supra) intervient ici et nous exhorte à

laisser de côté les situations où il ne se passe rien et concentrer nos observations sur des

situations où les acteurs sont engagés dans les phénomènes étudiés. Cela dit, il nous est arrivé

à plusieurs reprises de nous détourner au bout d’une dizaine de minutes d’une situation oisive,

pour concentrer notre regard sur des situations mouvementées.

Ainsi, et pour compléter les apports de Journé (2005), nous estimons que la durée de

l’observation doit être aussi fonction de celle de la situation observée.

294

Notre grille d’observation170, in situ et ex situ, suit un certain raisonnement consistant à

identifier d’abord les groupes, puis à appréhender les mécanismes d’échanges qui s’y déroule

et leurs contenus, tout en gardant un œil vif sur l’éventualité d’une utilisation ad hoc (au

moment de la coproduction) ou ultérieure (une autre coproduction) des résultats réifiés suite à

ces échanges. Bien évidemment, l’appréciation de l’impact sur la performance ne peut se

dégager si on perd de vue les mesures de cette dernières dans ces espaces d’accueil. Dès lors,

notre travail consiste à prendre des notes relatives à tous les éléments qu’on vient de citer.

Les caractéristiques de la méthode dans sa globalité, et le nombre d’éléments qui font l’objet

d’une observation attentive nous obligent à retranscrire les données pour les fins d’analyse.

Nous terminons donc cette section par présenter comment nous avons retranscrit nos

observations et la manière avec laquelle nous les avons analysé.

2.2 La transcription des notes d’observation dans le journal de recherche

Comme déjà annoncé, tout au long de nos investigations nous avons tenu un journal de

recherche où nous avons noté la plus grande partie de nos observations en temps réel. Notre

journal, et suivant les conseils de Burgess (1984) [in Arborio et Fournier 2005], est composé

de trois colonnes (trois classes). Les notes méthodologiques, les notes de terrain et les notes

d’analyse. Il est à indiquer que les trois types de notes doivent être enregistrées simultanément

sur le terrain, tout en restant attentif à ne pas confondre les données relevant des perceptions

du chercheur et celles relevant des perceptions des membres de l’organisation. Pour ce, il

serait intéressant de noter les différents types d’observation avec trois caractères / styles

différents (par exemple, italique, majuscule, minuscule).

� Les notes méthodologiques : d’après Burgess (1984), elles doivent correspondre aux

réflexions du chercheur sur la manière dont la recherche se déroule. Les notes concernent les

remarques sur la présence du chercheur sur le terrain ainsi que ses interactions avec les sujets

observés. Ces notes ont joué un rôle très important dans la conduite de nos recherches. C’est

grâce à elles que nous avons pu modifier, corriger et améliorer nos méthodes (entretiens,

observations) et comportements ; qui ont évolué d’un terrain à un autre, mais aussi, dans un

170 Comme c’était le cas pour le guide d’entretien, notre grille d’observation a aussi évolué au fur et à mesure de l’avance de nos recherches. Les grilles utilisées dans la seconde et la troisième organisation étaient enrichies de certains éléments issus du(des) terrain(s) précédent(s), et modifié en fonction des caractéristiques de chacune des organisations étudiées.

295

même terrain, comme par exemple le fait de ne pas poser une question à un manager, qui s’est

avérée (la question) comme incommode dans un entretien conduit au préalable avec un autre

manager.

� Les notes de terrain : elles correspondent aux données collectées. Selon l’auteur, ces

notes rendent compte de la vie telle qu’elle se passe dans l’organisation. Elles concernent les

données sur les activités, les événements, les faits, les lieux, les temps, etc. Elles doivent

s’intéresser aux comportements, réflexions, les gestes, les conversations et les histoires

produites par les acteurs (Burgess, 1984) [in Arborio et Fournier 2005]. En d’autres termes, ce

sont les notes qui constituent la matière première de notre travail et nous lui avons consacré la

majeure partie de notre journal. Ainsi, et comme indiqué précédemment, nous avons noté tout

ce qui a trait à notre objet de recherche.

Pour identifier les CP, nous avons tout d’abord noté les comportements et gestes des salariés,

individuellement et collectivement, en suivant leurs mouvements et interactions, verbales et

non verbales. Il s’agit de repérer et d’inscrire qui interagit avec qui ? (qui parle avec qui, qui

observe qui, qui écoute qui, etc.), quand ? pourquoi ? qui était présent dans les interactions et

qui ne l’était pas, etc. Nous n’avions pas manqué de noter à chaque fois certains éléments

relatifs à la façon dont les interactants prennent la parole dans le groupe, le relationnel, les

gestes, les complicités, les rapports de pouvoir et de confiance, etc.

L’aspect communautaire est observé et noté en fonction des pratiques mobilisés, permettant

d’apprécier si certains indicateur présentés par Wenger (1998) (cf. introduction générale) sont

bien présents pour pouvoir qualifier ces groupes de CP ; à savoir

- La circulation rapide de l’information et de la diffusion de l’innovation ;

- Des relations soutenues, harmonieuses ou conflictuelles

- L’absence de préambules ;

- L’habilité d’évaluer la pertinence de l’action et des résultats ;

- Des coutumes locales, des histoires partagées, des blagues d’initiés, etc.

Nous avons aussi inscrit certains éléments de leur jargon, leurs artefacts, les pratiques

mobilisés, etc., dans le but d’en garder une trace et vérifier si une utilisation ultérieure de ces

éléments aura lieu. Et, quand c’est le cas, une note est enregistrée dans notre journal, en

précisant qui a fait quoi, quant et comment.

296

Nous avons aussi consacré un grand espace pour retranscrire les multiples conversations entre

agents, in situ et pendant les pauses. Ceci a pour objectif d’appréhender la manière dont les

membres négocient le sens de leurs expériences, ainsi que le déroulement de l’apprentissage

dans ces groupes. Le problème qui se pose ici est relatif au fait que la vitesse de l’écriture est

naturellement inférieure à celle de la parole. Cela dit, notre connaissance du contexte, du

métier, des agents, de leur (notre) jargon et styles d’interactions nous a permis dans

l’organisation ‘A’ de retranscrire, presque texto, quelques-unes des conversations.. Toutefois,

il nous est arrivé de ne pas pouvoir retranscrire d’autres conversations dans leur intégralité, ce

qui fait que les données ne sont pas complètes pour pouvoir analyser la conversation. Il est

difficile de ne pas perdre, au moment de la retranscription en temps réel, quelques mots de ces

discussions, ainsi que des éléments relatifs aux comportements et styles d’interactions. Le

recours, dans de rares occasions, à la technique de retranscription a posteriori de l’événement,

n’a pas été d’un grand mérite, et a introduit le biais de décontextualisation des données (Girin

1990 ; Journé, 2005). Pour ces raisons, que nous avions également notées dans la colonne

consacrée aux notes méthodologique, nous nous sommes dotés d’un dictaphone dans les

recherches qui ont suivies dans les organisations ‘B’ et ‘C’. Nous avions alors la possibilité de

suivre les conversations, toujours d’une manière aussi rigoureuses que dans l’organisation

‘A’, avec l’avantage d’être sûr qu’aucun mot ne peut être oublié. Cela nous a permis aussi de

noter plusieurs éléments périphériques aux conversations en questions, relatives aux

comportement, styles, grimaces, étonnements, etc. La retranscription des conversations est

réalisée systématiquement une fois terminées, au moment où nos idées sont encore fraîches et

bien contextualisées. Ceci nous a permis de faire le parallèle avec les notes transcrites

concernant les conditions de leurs déroulements.

Dans le registre du contexte des relations de service, nous avons noté tout élément qui a priori

nous paraissait significatif pour appréhender ce contexte. Bien sûr, tout n’a pas servi à mettre

un sens à ce qui a été observé, mais dans la plupart des cas, et d’une manière directe ou

indirecte, ces éléments ont contribué à approfondir notre compréhension des relations de

service dans les trois organisations étudiées. Après avoir noté certains éléments factuels

relatifs à l’activité, une attention particulière à été accordée au processus de coproduction sous

ses différents angles, et qui se présente (Goffman, 1968, Valléry, 2004) comme un cadre

d’analyse pertinent pour analyser les relations de service. Dans les espaces d’accueil, nous

avons observé, à partir d’une certaine distance le permettant, et transcrit le déroulement des

processus de coproduction, constituées d’interactions verbales et non verbales entre l’agent et

297

le client. Dans certains cas, nous avons même assisté à ces interactions en étant assis aux

côtés de l’agent171. Ceci permet d’avoir des traces sur le contenu de l’interaction (type de la

demande), et des éléments concernant le comportement des clients. Nous avons également

noté comment l’agent utilise ses diverses ressources, c’est à dire, des éléments relatifs aux

compétences mobilisées, à l’utilisation des outils, des scripts, des manuels, etc.

Dans les centres d’appels, excepté celui de l’organisation ‘A’, certains agents nous ont permis

d’assister aux conversations téléphoniques (via le haut parleur du téléphone). Là aussi, nous

avons noté tout élément relatifs à la description de ce processus.

La performance et ses mesures ont aussi fait l’objet d’une transcription sous forme de notes.

Pendant les situations de coproduction, nous avons noté systématiquement les durées de ces

dernières (affichées sur les écrans des ordinateurs). Quand à l’aspect qualitatif, nous avons

pris soin de noter les phrases et propos prononcés par les clients à la fin de chacune des

conversations auxquelles nous avons assistées ou observées. Elles nous ont permis à plusieurs

reprises de déceler la perception qu’a le client de la qualité de la prestation.

Cependant, il est à souligner que l’approche consistant à assister dans les guichets aux

situations de coproduction a ses limites. Ces limites peuvent être traduites comme suit :

certains clients, manifestement insatisfaits de leur relation avec l’organisation étudiée, ont

profité de notre présence pour dévoiler toute la rancune qu’ils ont à l’égard de cette entreprise.

D’autres, au contraire, ils se sont montrés très courtois pendant et à la fin de la coproduction.

Nous avons pris conscience de ces limites au moment où nous avions soulevé cette idée

auprès des agents concernés. Certains nous ont confirmé dans les deux cas de figure,

qu’effectivement, le comportement du client reçu n’est pas tout à fait celui qu’ils ont

l’habitude de rencontrer.

Nous avons pris en compte ces éléments et les avons inscrits aussi dans notre journal de

recherche. Cela permet de faire une analyse bien prudente des données recueillies de ces

situations.

� Les notes d’analyse : correspondent à des commentaires permettant d’enregistrer les

impressions et les intuitions sur les données empiriques en lien avec la problématique

abordée. Nous pensons que ces notes sont importantes dans le sens où elles permettent une

171 Certains clients nous ont accordé leur confiance et nous ont autorisé aussi à enregistré à l’aide du dictaphone les conversations se déroulant pendant le processus de coproduction. Toutefois, nous avons aussi été invités à éteindre le dictaphone dans certaines situations, où l’interaction entre l’agent et le client a tourné en conflit

298

pré-analyse des événements observés et notés. Ce qui contribue donc à atténuer le biais de

reconstruction a posteriori de certaines de nos idées et ainsi, éviter la décontextualisation des

données. A titre d’exemple, et entre autres, ce sont ce genre de notes qui nous ont permis de

déceler les limites qu’engendre notre présence lors des processus de coproduction, qui aurait

influencé le comportement de certains clients. En effet, nous avons enregistré nos intuitions

concernant cette hypothèse au moment où il nous a semblé que certaines des situations de

coproduction auxquelles nous avions assistés, étaient très différentes de celles observées à

partir d’une certaine distance. Ainsi, ces notes nous ont guider dans nos recherches, mais aussi

pour l’analyse des données car elles nous ont permis de distinguer les données pertinentes de

celles qui doivent faire l’objet d’une analyse plus nuancées.

Enfin, il est à noter que nous n’avons pas exclu catégoriquement de notre méthode la

transcription a postériori de certaines observations. La retranscription ultérieure des notes

prises sur le terrain sous forme compréhensible, permet au chercheur de mieux comprendre

son expérience sur le terrain (Giordano, 2003). Selon cet auteur, « c’est aussi l’occasion de

compléter les observations notées sur le terrain par des commentaires qui permettent

d’expliciter certains évènements observés. Il est conseillé de faire la retranscription jour

après jour, immédiatement après l’observation afin que le souvenir des évènements reste bien

clairs (ibid., p. 232). Dans le registre des CP, nous avons noté ultérieurement certaines

informations et idées issues de nos observations sur le terrain, comme par exemple, compléter

les premières observations sur les interactions entre les agents en inscrivant pour chacun

d’entre eux certaines informations relatives à ses caractéristiques, rôle, ancienneté,

expérience, qualification, etc. En ce qui concerne le contexte des relations de services, il nous

est arrivé de rajouter des éléments observés mais non noté dans la première transcription en

temps réel, comme par exemple l’état de la file d’attente au moment des faits. Certains

éléments notés en temps réel ont fait l’objet d’une correction ultérieure de leurs formes pour

les présenter sous un aspect plus compréhensible.

Nous venons donc d’exposer comment nos observations en été traduites sous forme écrites

dans notre journal de recherche. Il reste alors à questionner la manière dont nous avons

analysé ces données.

299

2.3 L’analyse des données collectées

D’après Giordano (2003, p. 233), l’analyse des données consiste à créer du sens à partir des

données d’observation afin d’alimenter la réflexion sur le phénomène étudié. L’analyse n’est

pas forcément a posteriori, car elle commence sur le terrain, mais elle prend de l’ampleur une

fois les données sont retranscrites, c’est à dire, explicitées et devenue faciles à comprendre.

Suivant ces conseils, en plus des prés-analyses permises par la transcription des notes

analyses (ci-dessus), nous avons également procédé à l’analyse de certains éléments au

moment où nous étions encore aux côtés des sujets observés. Mais notre démarche d’analyse

s’est déroulée essentiellement à la fin de chaque jour d’observation. Avec des idées encore

fraiches, nous avons réussi à analyser certains faits qui se sont déroulés et retranscrits dans la

journée. Cette pratique est très pertinente, mais cela demande un effort considérable pour

pouvoir enchainer quotidiennement des analyses, juste après avoir passé l’essentiel de la

journée à observer, interagir, questionner et noter, etc. Cela dit, plusieurs analyses ont été

réalisées ultérieurement, quelques jours après la date du déroulement des faits observés. Ceci

montre alors tout l’intérêt des notes méthodologiques et celles d’analyse, prises en temps réel

et simultanément avec les notes de terrain. Sans elles, une bonne partie de nos données

seraient presque inexploitables.

Pour l’appréhension des CP, notre méthode principale d’analyse s’inspire de celle utilisée par

Grosjean (2005, 2008), qui est l’enchaînement conversationnel (Brassac, 2001 ; Grosjean

2005, 2008). Cette méthode permet de rendre compte de la dynamique de négociation de sens

au cours des échanges dans les CP. Une attention particulière a été accordée aux objets

cognitifs utilisés et réifiés pendant ces conversations, à la nature (tacites/explicites) des

savoirs échangés, etc. Donc les contenus des échanges ont été bien scrutés. Mais nous étions

aussi attentif autant aux fonds qu’aux formes de ces conversations. En effet, une analyse des

formes non-langagières (gestuelles et artefactuelles) a été également conduite, car il s’agit

aussi de relever les intonations des voix, les moments de silence, les gestes, grimaces, les

styles d’intervention, les intentions des interactants, etc. (Grosjeans, 2005, 2008). Lors de nos

analyses de ces conversations, nous avons combiné les éléments cités ci-dessus à d’autres

indicateurs, du genre, « qui a dit quoi, qui s’est contenté d’observer et écouter seulement, qui

a monopolisé la discussion, etc.». Ceci a permis de comprendre davantage le processus

d’apprentissage et de construction de sens en fonction des caractéristiques des participants.

Au delà des analyses conversationnelles, plusieurs notes analysées ont permis d’identifier des

300

pratiques, créées et mobilisés par les agents. Ou encore, l’identification des comportements et

d’objets renseignant sur l’existence de courtiers dans ces organisations, etc.

Ces premières analyses ont permis non seulement d’expliquer les mécanismes de

fonctionnement des CP, mais aussi, de montrer comment leurs produits permettent

d’influencer le travail des participants et donc leur performance. En effet, nous avons analysé

le déroulement des activités des agents (coproductions notamment), en leur associant à chaque

fois les mesures de performances que nous avions relevées. Pour chaque situation, nous avons

analysé leurs pratiques qui renseignent de l’utilisation ou non des produits issus des

négociations dans les CP. En outre, et afin de bien appréhender cette relations entre CP et

performance, nous avons recouru, à une analyse comparative (Miles et Huberman, 1994),

consistant à comparer les caractéristiques des agents appartenant aux CP et ceux qui ne le sont

pas172, en leur associant à chaque fois leur niveaux de performance respectifs. Ceci permet de

savoir si l’appartenance ou pas à une CP est corrélée ou non au niveaux de performance des

agents concernés.

En ce qui concerne les notes autour des relations de service, plusieurs d’entres elles ont été

analysées dans l’ordre de comprendre le contexte des relations de service, à travers la

coproduction (les objets des demandes et les caractéristiques des clients), la performance et

ses mesures, les outils et modes opératoires institués, etc. Ces analyses ont dégagé alors des

résultats permettant de décrire les relations de service dans les organisations étudiées. Par

ailleurs, plusieurs de ces éléments ont servi de données contextuelles pour l’analyse des CP.

En effet, nous avons intégré lors de nos analyses des CP les éléments situationnels qui

permettent de comprendre, entre autres, ce qui incite les agents à interagir, les moments des

interactions, les buts poursuivis, les facteurs favorisant ou entravant les interactions, etc.

D’autres analyses ont été conduites dans l’ordre de dégager des éléments explicatifs des

caractéristiques organisationnelles des entreprises étudiées, telles que les mesures de la

performance et les pratiques de GRH adoptées dans les trois organisations respectives.

172 Cela dit, les agents que nous avons repérés et qualifiés comme non appartenant à une CP ont aussi été intégrés dans nos analyses en terme de caractéristiques, des modes opératoires mobilisés dans leur travail et leur niveaux de performance.

301

Conclusion du chapitre 4

Le recours à l’approche qualitative dans notre démarche méthodologique se présente, comme

cohérente au vu de la complexité des différents éléments que l’on cherche à appréhender dans

les trois organisations composant notre terrain d’étude. Notre ambition à travers la méthode

de l’étude de cas multiples et imbriqués, qui offrirait d’après les auteurs plus de possibilités en

termes d’objectivité et de généralisation des résultats, nous a conduit à diversifier les secteurs

et à multiplier les centres à étudier. Ceci avait pour but de bien comprendre les phénomènes

que l’on cherche à analyser dans des contextes relativement différents, et de rendre compte

du(es) modèle(s) expliquant si et comment les CP contribuent à la performance de leur

membres dans les front-office des trois organisations étudiées.

Divers outils méthodologiques sont mobilisés afin de multiplier et diversifier les données et

leurs sources. Ceci a permis d’atténuer les éventuels biais qui pouvaient compromettre la

pertinence des données recueillies.

Quant aux analyses effectuées, dans un premier temps, le focus sur les intensités et les

contenus des interactions, tout en s’intéressant aux formes non-langagières de ces dernières

qui se déroulent dans les CP, visait à identifier et à comprendre la dynamique de ces groupes

dans les organisations respectives où ils évoluent. Dans un second temps, l’analyse des

observations des situations de coproduction et les verbatims des acteurs avaient pour objectif

de comprendre et d’expliquer le travail réel des agents dans les front-office des relations de

service. L’analyse des différents documents et les perceptions des acteurs, ambitionnait

d’appréhender la performance, les critères de sa mesure ainsi que les différentes perceptions

qu’ont les acteurs à propos de ces questions.

L’analyse comparative des niveaux de performance des agents, conjuguée à celle des

mouvements d’interactions qui se déroulent dans les CP, avait pour objectif de chercher

l’existence d’un lien entre la CP et la performance ainsi que d’identifier et expliquer les

canaux par lesquels cela est permis.

Enfin, l’analyse des données collectées à propos de certaines pratiques de la GRH avait pour

but d’apprécier le rôle potentiel des CP dans ces domaines, afin d’en tirer des enseignements,

sur le plan conceptuel et opérationnel, pour les DRH dans les organisations.

302

Chapitre 5. Résultats empiriques :

Emergence des CP dans les relations de service et leur

impact sur la performance de leurs membres.

Quelques enseignements pour la GRH.

Introduction

D’une manière générale, et malgré certaines difficultés rencontrées dans les organisations

étudiées, notre démarche méthodologique s’est avérée fructueuse dans le sens où nous avons

réussi à dégager de nombreux résultats particulièrement intéressants, qui permettent de

répondre à nos différentes interrogations soulevées dans notre revue de littérature. La stratégie

de réplication (Yin, 1994) consistant à multiplier les unités d’étude a permis de dégager de

nombreux résultats communs aux trois organisations, toutefois, il est à souligner que certaines

différences ont été observées, relatives à des éléments qui se présentent comme fortement

contextualisés.

Pour la présentation des résultats empiriques de manière à répondre aux questions qui

composent notre problématique, nous avons suivi un plan de présentation relativement

similaire à celui établi dans le chapitre 3. La présentation se fera à travers trois sections :

Dans la première section, nous présentons d’abord les caractéristiques du contexte des

relations de service, qui se présentent comme relativement communes aux trois organisations

étudiées. Nous présentons ici notamment une proposition d’une nouvelle typologie des

situations de coproduction dans les relations de service, sur laquelle s’aligne la nature de

logique productive mobilisée par l’organisation. Nous terminons cette section par la

présentation de la performance et ses critères de mesure dans les organisations étudiées, en

précisant bien évidemment les différences qui existent entre les organisations parapubliques

(‘A’ et ‘B’) et la banque (‘C’).

Au début de la seconde section, l’accent est mis sur l’identification des CP qui émergent dans

les trois organisations respectives. Après avoir montré que l’émergence des CP est une

303

réponse aux limites des dispositifs organisationnels dans les entreprises étudiées, nous

exposons nos résultats indiquant que l’émergence des CP est fortement préconfigurée par les

distributions spatio-temporelles et les caractéristiques de leurs participants respectifs. Nous

verrons ainsi que certains salariés n’appartiennent à aucune CP.

Puis, nous présenterons les résultats issus de notre analyse comparative des niveaux de

performance des agents selon qu’ils soient membre ou pas d’une CP. D’autres résultats seront

exposés pour renforcer les précédent à propos du lien et expliquer les canaux par lesquels ce

lien est permis.

La troisième section est réservée aux résultats relatifs à l’analyse des apports potentiels des

CP à certaines pratiques de la GRH, à savoir l’intégration des novices, la formation et

l’appréciation des salariés. Pour illustrer ces apports aux niveaux de la socialisation et de la

formation des salariés, nous procédons à chaque fois par la description de la pratique

concernée pour montrer ensuite, en quoi la CP peut compléter et/ou remédier à certaines

déficiences relevées aux niveaux de ces pratiques. Puis, nous verrons si ces entreprises

introduisent ou non les engagements et les apports des CP dans les procédures d’appréciation

de leurs salariés.

304

Section 1. Contexte des relations de service : situations,

compétences, prescription et performance

Pour expliquer le contexte des relations de service tels que nous l’avons observé dans les

organisations étudiées, nous exposons nos résultats dans cette section à travers quatre points.

Le premier traite du travail des agents et de son organisation (1). Nous proposons dans le

second point une typologie des situations auxquelles les agents font face dans leur travail

quotidien (2). Comme nous allons le voir, en plus du fait que cette typologie illustre les

différents degrés de complexité des situations de coproduction, elle dicte aussi les différentes

logiques productives à mettre en œuvre (3). Nous terminons cette section par présenter la

performance et ses critères de mesure dans les organisations étudiées (4).

Avant de commencer, nous rappelons que pour simplifier nos propos tout au longe de notre

présentation, le terme de « client » est utilisé pour qualifier également les usagers dans les

organisations publiques étudiées.

1. Le travail des agents d’accueil et son organisation

Nous commençons ce point en présentant certains éléments autour de la nature du travail

réalisé par les agents. Dans un second temps, nous évoquerons l’intensité de l’activité des

agents, organisée par un modèle d’organisation que nous qualifions de « rigoureux ». Puis,

nous montrerons que, contrairement à certaines visions très déterministes, les situations

auxquelles les agents font face sont très variées en termes de degré de complexité. Ceci nous

permettra de différencier trois types de situations. Nous montrerons également que le modèle

productif mobilisé est aussi lié à cette typologie des situations. Enfin, nous mettrons en

évidence que le modèle de performance, qui est très similaire dans les trois organisations

étudiées, peut lui aussi être relié à cette typologie des situations.

1.1 La nature de l’activité des agents dans les trois organisations.

Bien que l’organisation ‘C’ se démarque des deux organisations publiques ‘A’ et ‘B’ du fait

de l’aspect marchand du secteur bancaire, d’une manière générale, la nature de l’activité des

agents dans les trois organisations est similaire en ce qui concerne la forme de production des

services.

305

1.1.1 Les organisations ‘A’ et ‘B’

Comme nous l’avons annoncé dans le chapitre précédent, les organisations publiques ‘A’ et

‘B’ ont pour mission d’accorder deux types de prestations de service différentes aux résidents

du département des Bouches Du Rhône (BDR). L’organisation ‘A’ délivre vingt-sept

prestations, dont certaines sont interdépendantes. ‘B’ propose vingt-six (26) prestations

différentes. Dans les deux cas, les conditions d’attribution173 aux résidents sont régies par des

règles législatives, compliquées et évolutives, car les articles législatifs évoluent et induisent

des changements dans les conditions d’attribution et dans les processus qui permettent

l’institution des dossiers.

Leurs centres d’appels respectifs reçoivent des appels de clients souhaitant se renseigner sur

leurs droits aux prestations et les suivis de leurs dossiers. Les agents sont alors invités à

répondre aux appels entrants, qui ont généralement pour objet des demandes d’information,

d’explication et d’orientation, etc. En plus des clients, il arrive que des tiers (des institutions

comme les associations, référents sociaux, etc.) représentant certains clients, appellent

également ces plateformes téléphoniques pour demander certains renseignements. En plus des

réponses téléphoniques, les agents se voient aussi confier une seconde tâche consistant à

traiter et à répondre aux mails des clients (pour ‘A’, la durée moyenne de cette tâche est

d’environ 30 minutes / jours. Dans ‘B’ elle dépasse parfois l’heure174).

Du côté de l’accueil physique (guichets) dans l’organisation ‘B’, l’organisation et le processus

de production est quasiment le même (informations aux clients et traitement des mails). L’une

des différences que l’on peut noter, hormis l’évidence qu’au guichet il s’agit d’un contact

physique et non téléphonique, c’est que les guichetiers réceptionnent aussi les dossiers et

vérifient (en présence des clients concernés) s’ils sont complets et bien remplis, sans pour

autant de procéder à leur traitement (ce dernier relève des tâches du back-office).

1.1.2 La banque ‘C’

Les appels parvenant aux plateformes téléphoniques de la banque ‘C’ peuvent concerner tous

les types de prestation attribuées par la banque (environs une vingtaine de produits et

173 Parmi les très nombreuses conditions qui interviennent ici, nous pouvons donner pour exemple le niveau des revenus perçu par le résident. 174 Dans les deux institutions, l’organisation de cette tâche relative aux correspondances par mails est la même : chaque jour, les superviseurs désignent quelques agents à qui ils confieront une quantité de mails à traiter.

306

services). Les clients appellent pour avoir des informations sur, entre autres, les devis, les taux

d’intérêts, les délais, les soldes de leurs comptes, etc. Comme dans les cas précédents, en plus

de la réponse aux appels téléphonique, les agents sont également invités à traiter les mails (la

durée de cette tâche est variable, et peut durer entre 30 minutes et une heure par jour).

Cependant, le travail des agents ne se limite pas uniquement aux renseignements, car l’activité

marchande se réalise aussi par téléphone. Certaines prestations (environ cinq produits)

peuvent être conclues/vendues par un premier accord verbal suivi, pour des fins de

concrétisation, par l’envoi de documents au client pour signature (bien évidemment les ventes

sont réalisées suivant les prescriptions législatives (cf. CNIL175, etc.). L’autre différence à

signaler ici, par rapport aux organisations A et B, c’est que les agents sont encouragés à faire

des appels sur rebond afin de déclencher de nouvelles ventes : après avoir répondu à la

question du client, l’agent fait des propositions de vente de nouveaux services au client 176.

A l’accueil physique, les guichetiers remplissent les mêmes taches que celles de leurs

collègues téléopérateurs (informations des clients et vente de certaines prestations177). Et

comme dans le cas des guichets ‘B’, le contact physique permet aussi la réception et la

vérification des dossiers (dont le traitement relève du back-office)

Nous nous contentons ici de donner un bref aperçu sur le travail des agents dans ces front-

office, et nous développerons certains détails plus loin, notamment, en ce qui concerne les

situations de coproduction auxquelles les agents sont confrontés. Nous exposerons dans ce qui

suit les conditions dans lesquelles cette activité est réalisée du fait de l’intensité des flux

tendus de clientèles et les normes temporelles fixées par les directions respectives.

1.2 Une activité intense se déroulant sous une organisation rigoureuse

Dans les trois organisations, le travail est différent suivant que l’on se trouve sur une plate-

forme ou à un guichet. Notre présentation sera donc structurée de manière à commencer

d’abord par les centres d’appels des trois organisations puis aborder leurs guichets respectifs.

175 Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés. 176 Cette pratique peut être observée dans les organisations A et B, mais elle consiste seulement à demander au client s’il n’y a pas de changement (familial ou professionnel) à signaler pour actualiser les données enregistrées sur son dossier. 177 Les autres prestations ne pouvant pas être réalisés par téléphone ou dans le guichet d’accueil, font l’objet d’un accueil personnalisé avec un conseiller spécialisé (comme par exemple les prêts bancaires).

307

Dans les centres d’appels de nos trois organisations respectives, l’activité est très intense et

correspond bien à ce qui a été annoncé dans la revue de littérature. Ci-dessus quelques

éléments qui permettent d’illustrer ce constat.

� Le centre d’appels ‘A’, reçoit, en moyenne, entre 2000 et 2500 appels quotidiens. Chaque

téléopérateur est censé répondre, en moyenne, a environ 90 appels par jour. Nos observations

journalières dans ce centre font ressortir, qu’à partir de la première demi-heure et tout au long

des heures qui suivent, une file d’attente d’appels se construit et s’allonge, donnant

l’impression qu’elle est interminable. Les agents sont au courant des flux des appels

parvenant à la plateforme téléphonique via un dispositif afficheur permanent sur leurs écrans.

De même, le temps qui s’écoule pendant un appel est affiché sur l’écran de l’ordinateur de

l’agent qui répond à un appel.

Selon les superviseurs, ces dispositifs sont mis en place pour inciter les agents à gérer les

temps des relations traitées, en adaptant un rythme qui varient en fonction de l’état de la file

d’attente. Ce discours nous semble correct et correspond bien à nos observations dans les cas

où il y a une file d’attente importante. Par contre, dans les rares périodes (généralement, les

vendredi en fin d’après-midi) où les files d’attente sont minimes, voire inexistantes, les agents

sont incités non pas à adapter les temps des coproductions en fonction de la file, mais en se

rapportant aux objectifs indiqués par la convention nationale, qui fixent le temps moyen d’une

relation à 3 minutes (nous reviendrons sur ce point plus loin). Enfin, il est à noter que dans ce

centre, en cas de file d’attente, le temps séparant deux appels est de 10 secondes. Quand aux

durées des pauses, elles sont de 40 minutes, réparties en 4 pauses dans la journée178 par les

managers. Ces derniers affichent des plannings hebdomadaires en mentionnant à chaque fois

les noms des agents et les horaires auxquels ils devraient prendre leurs pauses. La gestion des

pauses fait l’objet d’un contrôle strict de la part des superviseurs.

Dans le centre d’appels ‘B’, le même scenario peut être relevé à propos de l’intensité de

l’activité et les interminables files d’attentes. Le discours des superviseurs et leurs directives

vont également dans le même sens que ceux de l’organisation A. Le nombre d’appels

journalier dans ce centre est, en moyenne, d’environ 5000 appels. Ceci explique logiquement

178 Notons que cette durée n’inclue pas le temps des pauses déjeuners. Les durées de ces dernières sont de 1h30mn pour les organisations A et B, et 1h10 mn dans l’organisation C.

308

pourquoi le nombre de salariés est plus élevé ici que dans ‘A’. Le rendement exigé est de 80 à

90 appels /agent/jour, avec une durée moyenne de chaque appel qui est fixée à 3minutes et 20

secondes179. Quant au temps séparant deux appels en cas de file d’attente, il n’est que de 6

secondes. Les durées des pauses sont de 45 minutes, réparties également dans la journée, par

les superviseurs qui mettent en place également des plannings précis. Cependant, et

contrairement au centre d’appels ‘A’, les agents ont une petite marge de manœuvre sur

l’organisation des pauses, dans le sens où ils peuvent s’accorder entre eux pour échanger les

créneaux. Il y a donc une petite possibilité d’autorégulation au niveau des prises des pauses.

Concernant les afficheurs, nous retrouvons les mêmes dispositifs que dans le centre ’A’, mais

ici, l’état de la file d’attente est affiché également sur quatre grands panneaux d’affichage

installés sur les quatre murs de la plateforme. Pour les superviseurs, ces panneaux permettent

de sensibiliser les agents à l’état de la file d’attente et les faire accélérer leur travail. Les

panneaux serait aussi là, d’après la superviseuse Joëlle : « pour que les personnes qui sont en

pause ne dépassent pas le temps qui leur est réglementé… Comme ça les autres collègues en

situation de travail ne seront pas dépassés. C’est un moyen de développer chez les agents un

sentiment de solidarité entre eux ».

Cependant, lorsque nous avons voulu vérifier cet aspect chez les agents, tous ceux que nous

avions interrogés à ce sujet disent que cet aspect mis en avant par les superviseurs existe, mais

que pour eux les panneaux sont plus une source de stress qu’autre chose.

Dans les deux centres d’appels ‘C1’ et ‘C2’, le principe marchand de l’organisme fait que la

durée moyenne d’un appel n’est pas forcément le point le plus important dans les directives de

l’organisation. Bien que les agents soient invités à respecter un temps moyen de 4 minutes

pour chaque appel traité, le dépassement de la durée est toléré, voire encouragé, dans le cas où

l’appelant manifeste un intérêt pour conclure un contrat ou acheter un produit. Cela dit, si

l’appelant souhaite seulement des renseignements, la règle des 4 minutes est appliquée.

Comme dans les cas précédents, le temps d’un appel et l’état de la file d’attente sont affichés

sur les écrans des ordinateurs des agents. Le nombre moyen journalier des appels parvenant

aux deux plateformes ne nous a pas été communiqué par les responsables. Cependant, nos

179 D’après un superviseur, la durée moyenne d’un appel était fixée à 3 minutes. C’est à dire, comme c’est le cas dans l’organisation ‘A’. C’est grâce à une forte mobilisation des syndicats internes que la direction a négocié et accepté de rallonger de 20 secondes le temps moyen. Notons que le taux de syndicalisation chez les agents est largement plus élevés dans l’organisation ‘B’ que dans l’organisation ‘A’.

309

observations permettent de dégager une moyenne journalière variant entre 4000 et 4500

appels180. Ce qui fait qu’en moyenne un agent traite entre 90 et 100 appels par jour. Quant à

l’organisation des pauses et leur durées, elle suit quasiment les deux modèles précédents avec

une durée de 40 minutes par jours.

� Dans les guichets de l’organisation ‘B’ et la banque ‘C’, le nombre de clients se

présentant aux espaces d’accueil est significativement inférieur à celui des centres d’appels.

La principale raison est que contrairement aux plateformes téléphoniques, qui sont l’unique

centre téléphonique représentant l’organisation dans tout le département (notons qu’il ya deux

centres dans la banque ‘C’), les guichets sont nombreux et distribués pratiquement dans

chaque quartier ou arrondissement des villes. Mais cela ne signifie pas que l’activité ne soit

pas intense, car le nombre d’agent est également significativement inférieur à ce qui est

recensé dans les plateformes téléphoniques (nous supposons que ce constat est également vrai

dans l’organisation ‘A’). Les dispositifs informatiques sont également présents et indiquent

sur les écrans le temps qui s’écoulent dès la réception du client, ainsi que l’état de la file

d’attente. Bien entendu, les agents n’ont pas besoin de vérifier ce dernier élément sur leurs

écrans car il suffit de regarder directement dans la salle d’attente pour constater l’état du flux.

Notons qu’ici nous n’avons pas de chiffres à présenter, car contrairement aux centres d’appels

le nombre de clients varient sensiblement, d’un jour à un autre. Toutefois, il faut garder en

tête que, dans les guichets ‘B’, nos observations indiquent que la file d’attente existe tous les

jours et tout au long de la journée. Dans la banque ‘C’, l’activité d’accueil est

significativement moins intense, dans le sens où parfois, les agents restent sans client pendant

de longues minutes181.

Quant à l’organisation du travail, elle est pratiquement la même. Dans les deux organisations,

le temps d’accueil d’un client est fixé à 4 minutes dans l’organisation ‘B’ et 5 minutes pour

les guichets de la banque ‘C’. Et comme c’est le cas dans le centre d’appels de cette banque,

les agents peuvent dépasser cette norme lorsque la relation a pour objet la conclusion d’une

vente. Les pauses sont aussi réglementées et planifiées par les superviseurs. Cependant, le

contrôle de ces éléments se veut moins strict par rapport à ce qui a été observé dans les

180 Notons que les deux plateformes sont séparés seulement physiquement, car les appels parvenant sont distribués en fonction de la disponibilité des agents quelle que soit la plateforme où ils trouvent. 181 Cela peut résulter de la différence entre le secteur privé et public, où le contexte concurrentiel du premier secteur fait que le marché est partagé par les autres banques. De plus, une organisation publique attribue des prestations relative à des droits (« les prestations non payantes »), d’où les flux tendu des clients.

310

centres d’appels. Nous avons également relevé que dans les guichets de ces organisations, les

agents s’autorégulent pour ce qui concerne les planning relatifs à la prise des pauses.

Cette description du travail des agents et de son organisation dans les front-office des

organisations étudiés, a pour but de donner une première impression sur le contexte dans

lequel les agents évoluent. Avant d’aller plus loin dans une description plus détaillée de ce

contexte, à travers notamment les situations de coproduction et les mesures de performance,

nous pensons qu’il est intéressant de souligner une remarque à propos de ce que nous venons

de présenter. Il s’agit des grandes similitudes (ou du moins des différences que l’on ne trouve

pas extrêmement significatives), entre, d’un côté, le dispositif des centres d’appels et ceux des

guichets, et de l’autre, entre l’organisation publique et la banque marchande. En effet, et si on

se limite à ce que nous avons présenté jusqu’à présent, les accueils téléphoniques et

physiques, mis à part l’évidence relevant de la façon dont le contact avec le client est établi, la

nature du travail et son organisation présentent de grandes ressemblances. Cela explique alors

que, dans un sens, le dispositif de l’accueil téléphonique a été inspiré directement de celui de

l’accueil physique, et dans le sens inverse, on a doté ce dernier des mêmes techniques

informatiques permettant de renforcer certaines pratiques de contrôle de l’activité.

Quant à la différence entre les secteurs, bien évidemment l’acte de vendre caractérise bien le

travail des banquiers par rapport à celui des organisations publiques. Par contre, au niveau de

l’organisation du travail et les moyens utilisés, les différences sont très peu significatives.

L’une des explications peut être tirée de l’entretien que nous a accordé le responsable de la

plateforme téléphonique ‘A’, où il a annoncé brièvement que le mode de management

instauré sur la plateforme est inspiré directement de celui pratiqué dans les organisations

privées.

Nous retrouvons alors par ce constat (dans le cas des centres d’appels), l’un des résultats de

Pichault et Zune (2000), indiquant qu’au-delà de la caractéristique juridique (privé ou public),

c’est en fait la nature de l’activité du centre d’appels qui explique la qualité des conditions de

travail constatées. Le fait que toutes ces organisations traitent des appels ou des clients

« entrants » expliquerait donc ces similitudes. Il convient toutefois de prendre en compte

d’autres éléments pour mieux nourrir cette réflexion et comprendre davantage le contexte des

relations de service.

311

2. Les relations de service vus sous l’angle de leurs degrés de complexité

Nous commençons ce point par rapporter un élément qui nous semble très caractéristique du

quotidien des agents dans les front-office des organisations étudiées. Il s’agit des situations de

coproduction qui se présentent parfois comme dépassant largement leurs objets initiaux, pour

atteindre des problématiques beaucoup plus ambigües. Partant de cet élément, appuyé par

d’autres constats issus de nos observations et des perceptions des agents, nous proposons une

typologie des situations de coproduction, construite sur la base de ce critère des degrés de

complexité.

2.1 La facette cachée de la coproduction de service

Nos résultats exposent ici des cas où le processus de coproduction dépasse son objet initial.

Les agents se retrouvent ainsi entrain de traiter, en plus de l’aspect renseignement, orientation

et instruction des dossiers (vérification, mises à jours des données, etc.) des facettes qui,

parfois, ne relèvent pas directement du cœur de leurs métiers, mais ce sont des problématiques

liées et inséparables de la relation de service concerné. Ces verbatims182 ci-dessous

témoignent de cet aspect dans la coproduction de service :

Sandra (‘B1’), voit une dimension omniprésente dans son travail, mais qui n’est pas

considérée par la direction comme faisant partie de ce dernier : « J’aimerais bien dire que

mon travail consiste à renseigner les gens sur leurs droits, en fournissant une réponse claire

et juste. Malheureusement, il n’y a pas que ça à faire, certains clients ne comprennent pas

vraiment ce qu’on leur dit …. Des fois, on a affaire à des gens qui ont un certain âge, qui ne

maîtrisent pas la langue française ou…qui ne peuvent pas assimiler la complexité des

procédures,…en vérité, je qualifierais mon travail, limite de, ‘ social’183 ».

David (‘C1’), comme dans le cas précédent, pense que les grandes difficultés dans son métier

de banquier ne relèvent pas des aspects techniques, mais consiste dans la gestion des

comportements et des questions qui accompagnent la demande initiale : « dans environ un

182 Notons que nous utilisons les trois points de suspension « … » pour exprimer un bref instant de silence dans le discours de l’acteur. 183 Toutefois, il convient de souligner que ce centre est un peu spécifique. Il se trouve dans une zone peuplée et cosmopolite. Le nombre, et les caractéristiques, des clients font que le travail des agents de ce centre dépasse largement la simple activité de renseignements.

312

appel sur trois, l’objet de l’appel concerne une question simple, mais le client ne s’arrête pas

là,…par exemple, au début le client appelle pour qu’on lui explique pourquoi on lui a prélevé

des agios. Puis, son discours bascule sur ses problèmes familiaux. Et si le client commence à

pleurer, il est difficile d’écourter la conversation dans ces cas là. Que faire ? on n’est ni

formé ni censé gérer ces situations. Tu perds de longues minutes et tu n’as rien vendu. En

plus t’a les supérieurs qui gueulent derrière ».

Nous avons choisis de rapporter ces verbatims car ils reflètent un point marquant de la

perception que les agents ont de leur travail d’accueil. Mais aussi, parce que nos observations

vont également en ce sens. Nous avons constaté à plusieurs reprises des coproduction dont les

discussions vont au-delà des frontières de l’objet de la prestation. Peut être que cet aspect de

la relation de service n’est pas très surprenant à observer dans les cas des organisations

publiques A et B. Comme le souligne le responsable du centre d’appels ‘A’, « pour les clients,

l’éthique professionnelle du service public sous-entend que l’organisme a pour mission de les

aider, donc une oreille pour les écouter ».

Par contre, dans la banque ‘C’, les agents et certains cadres (n’ayant pas travaillé auparavant

au guichet) avouent qu’à leur entrée dans l’organisme, ils ne s’attendaient pas à voir cette

dimension comme faisant partie du travail d’un banquier.

Dans tous les cas, ce qui nous semble important à souligner, et à garder en tête, c’est que cet

aspect annexe à l’objet de l’interaction dans une situation de coproduction, occupe une place

très importante dans l’activité des agents d’accueil. Cela devient beaucoup plus problématique

si on considère les contraintes organisationnelles (temporelles, notamment) auxquelles les

agents sont confrontés.

Par ailleurs, la plupart des managers (excepté deux managers (guichet B1) et un superviseur

(centre C2)) minimisent l’importance de cette facette dans les situations de coproduction, en

annonçant que ce sont des problématiques insignifiantes. Certains prétendent même qu’elles

n’existent pas. Or, pendant nos séjours respectifs dans les organisations, nous avons remarqué

que les supérieurs sont tenus un peu au courant (par les agents) de ces problématiques, mais

ils ne cherchent pas à en connaître les détails. Par ailleurs, il est à noter qu’un des deux

managers (guichet B1) qui connaît et reconnaît le poids relatif de cette facette dans la

coproduction, estime que ça représente probablement le facteur le plus déterminant dans le

turnover (la démission) de certains agents dans les guichets et le centre d’appels de

l’organisation B. Si on considère les propos de ce manager, cela explique bien pourquoi

lorsque nous demandons aux agents interrogés (en plus de ceux dont les verbatims sont

313

rapportés plus haut) de nous parler de la relation de service et de la coproduction, quasiment

tous ils mettent en avant cette facette cachée, que les supérieurs ne veulent pas reconnaître,

comme un élément très pesant dans leur activité.

Souligner cette facette cachée dans les situations de coproduction de la relation de service

permet de donner une idée plus claire de ce que vivent les agents dans le front-office, mais ne

dit pas tout sur les situations rencontrées par ces derniers. En effet, comme nous l’avions

annoncé dans notre revue de littérature, les situations sont variées et imprévisibles, dues

notamment au « client multiple » et à la diversité des demandes. Ces deux problématiques

(client multiple et demandes variées) sont bel et bien présentes dans nos terrains respectifs.

Elles sont facilement observables, et les discours des agents font ressortir ces aspects comme

caractéristiques de leur travail quotidien. Cependant, et dans la lignée de ce qui a été annoncé

à propos de la facette cachée de la coproduction, la plupart des données collectées montrent

que le degré de complexité des situations de coproduction, se présente comme un critère

permettant de dresser une typologie significative des situations rencontrées par les agents, et

qui prend en compte les diverses caractéristiques citées ci-dessus. Voyons alors quelles sont

les différentes situations (en terme de complexité) que l’ont peut nommer pour mieux illustrer

le contexte des relations de service, afin de comprendre davantage le travail réel réalisé par les

agents dans leur activité quotidienne.

2.2 Proposition d’une nouvelle typologie des situations de coproduction

Dans nos trois terrains respectifs, ce qui a été annoncé dans la revue de littérature à propos de

l’hétérogénéité des situations rencontrées dans le cadre de la relation avec le client est bien

vérifié. D’ailleurs, ce que nous venons de présenter à propos des faces cachées de la

coproduction témoignent parfaitement de cette hétérogénéité.

Cette diversité peut résulter des caractéristiques des clients et/ou de celles concernant les

objets des coproductions. Concernant le client, les caractéristiques de son profil

socioprofessionnel ou socioculturel peuvent être parfois déterminantes dans la nature du

travail réalisé par les agents, comme c’est le cas par exemple dans les propos de Sandra (B1)

(ci-dessus), qui impute, ce qu’elle considère comme étant la dénaturation de son travail

(« limite social »), aux caractéristiques socioculturelles des clients. Cependant, la plupart des

agents estiment que ces caractéristiques sont moins pénibles dans leur travail quotidien

314

comparée à celles relatives au comportement du client. Ils disent que le comportement du

client détermine le cours de l’interaction et peut modifier la situation. C’est que déclare

Jérôme (C1) « pour moi, ce qui est déterminant dans le cours de la relation avec le client,

c’est sa façon de me considérer. Vous savez, certains nous prennent de haut et,…dans ce cas,

la seule chose à laquelle j’aspire pendant la discussion c’est qu’elle se termine le plus vite

possible, tans pis si je ne vends rien ». Cette perception est typique de celles annoncées par la

quasi-totalité des salariés dans les trois organisations. Notons que les discours dans les deux

organisations publiques à propos de cet élément sont particulièrement forts.

Ceci dit, les données collectées concernant la problématique du comportement des clients

vont dans le sens des résultats mis en avant dans l’étude de Jeantet (2003) et Guérin (2005)

(cf. Chapitre 3) à propos des difficultés rencontrées par les guichetiers dans les relations de

service. Celles-ci sont très largement attribuées aux comportements des clients. Cependant,

nous ne pouvons pas construire une typologie des situations, basée uniquement sur la

problématique du comportement du client, car le cours de certaines situations de coproduction

est aussi fonction de la nature de la demande (objet/contenu) formulée par ce dernier. C’est

l’idée soutenue, entre autres, par Pichault et Zune (2000) concernant la variété des demandes

qui parviennent aux centres d’appels, ou encore par les nombreux auteurs qui rapportent les

différents types de demandes que formulent les clients aux guichets.

En effet, en plus de ce que nous avons rapportés sous le titre des « facettes cachées de la

coproduction », les constats issus de nos observations et ceux déclarés par les agents

témoignent de la multitude des genres de demandes formulées par les clients. Certaines

demandes sont très simples, d’autres plus compliquées, certaines sont mal formulées, d’autres

dépassent le cadre de l’organisation et, parfois on assiste même à ce que Hanique et Jobert

(2001) qualifient de « demandes implicites184 ».

Pour évaluer la nature des situations auxquelles les agents sont confrontés dans la relations de

service, il faut ajouter au comportement du client les divers types des demandes qui les

accompagnent. Ceci fait que plusieurs scénarios qui sont possibles doivent être distingués.

Les éléments issus de nos observations, confrontés aux perceptions des agents ainsi que celles

184 Par exemple, nous avons assisté à plusieurs reprises dans les guichets à des situations ou un client demande à l’agent (en plus de l’objet de son déplacement au guichet), de lui remplir un formulaire, prétextant qu’il n’arrive pas à le faire lui même.

315

de certains managers, permettent de catégoriser les situations de coproduction en fonction de

leur degré de complexité, qui à leur tour correspondent à des regroupements et/ou

croisements des critères de comportement et de l’objet de la demande. Trois types de

situations peuvent alors être distingués : des situations simples que l’on qualifie de

« routine », les situations « complexes » et des situations « équivoques », intermédiaires

entre les deux précédentes. Avant de présenter ces différentes situations, nous souhaitons

rappeler que certains auteurs, évoqués dans notre partie théorique, avaient déjà évoqué les

différentes types de situations dans les service en fonction du degré de leur complexité, mais

ils distinguaient uniquement des situations routinières et complexes. Au fait, cette distinction

est établie par ces auteurs, uniquement sur la base de la variété des demandes, sans prendre en

compte la variété des profils et des comportements des clients. De plus, nos investigations

montrent que, dire que dans les services les situations peuvent être uniquement simples ou

complexes ne reflète pas toute la réalité vécue par les salariés. Les situations équivoques et

intermédiaires entre les deux précédentes, occupent une place très importante dans les

relations de service que les salariés ont à gérer..

2.2.1 Les situations de « routine »

Lorsque la demande du client est simple et habituelle (ainsi que son comportement), la

relation de service peut être considérée comme une situation de « routine ». Ce sont des

situations relativement familières dans les front-office des relations de service et elles peuvent

concerner des questions simples et d’ordre général. Dans les organisations ‘A et ‘B’, les

questions de routine peuvent par exemple concerner les horaires d’ouverture d’une agence, ou

des demandes spécifiques et précises, comme des renseignements sur les pièces constitutives

d’un dossier, etc. Dans la banque ‘C’, les demandes simples s’apparentent également aux

horaires, des demandes de chéquiers, le solde d’un compte, la programmation d’un rendez-

vous avec un conseiller, etc.

Bien sûr, le degré de simplicité n’est pas homogène car certaines situations de routine

nécessitent forcément plus d’efforts que d’autres. Toutefois, et comme rapportées

généralement dans la littérature, elles sont monotones et répétitives, et les agents sont censés

les résoudre sans aucune difficulté apparente. Notons que malgré la facilité de leur traitement

par les agents, ces derniers ne les apprécient pas tellement, en les présentant comme donnant à

leur travail un aspect ennuyeux.

316

2.2.2 Les situations « complexes »

Lorsque la demande du client est compliquée et très singulière, la situation peut être

considérée comme « complexe ». Cette catégorie regroupe des situations compliquées, soit

du fait de la nature de la demande (situation d’urgence, ou nécessitant de concevoir une

prestation particulière) ou du fait du comportement du client (des situations se déroulant dans

un cadre difficile avec une interaction mouvementée entre l’agent et le client). Parmi nos

observations, nous pouvons rapporter une situation qui s’est déroulée dans le guichet (B2), où

[un client, victime d’une erreur sur son dossier, qui lui a valu la suspension d’une prestation

pécuniaire. Le client furieux manifeste sa volonté de ne pas quitter les lieux en demandant

une réparation ad-hoc des préjudices subis].

Un autre exemple que l’on peut intégrer dans cette catégorie est observé dans le centre ‘A’ :

[un client a signalé quelques jours auparavant un changement très important au niveau de sa

situation familiale, mais le back-office n’a pas enregistré la déclaration. Ceci fait que le

versement des prestations qui lui sont dues vont tarder à être injectées dans les circuits de

paiement, étant donné que l’enregistrement nécessite un délai d’au moins une semaine. Le

problème c’est que le client se retrouve dans une situation urgente et sa vie risque de

basculer à cause de ce retard. Dès lors il s’agit d’une situation critique, donc compliquée à

résoudre].

Enfin, dans la banque ‘C’, [un client appelle à propos de l’assurance qui l’a contracté auprès

de cette banque, pour protester contre un refus de remboursement suite à un incident. Le

client se rapporte aux clauses du contrat et estime qu’il ouvre droit à un remboursement,

mais selon l’agent, un détail concernant les faits ou la procédure, fait que la simple lecture du

contrat ne permet pas de se prononcer sur le droit ou non au remboursement. Mais l’agent ne

semblait pas être sûr de ce qu’il a avancé. De son côté, le client menace de porter l’affaire en

justice].

Ces exemples donnent une idée de ce que peut être une situation complexe. D’un point de vue

institutionnel, dans l’organisation ‘A’, ce type de situations est nommé explicitement et

reconnu formellement par l’organisation institutionnelle du centre d’appels. Ces situations

sont qualifiées de « cas ». Le même cas de figure peut être observée dans l’organisation ‘B’,

avec une appellation différente : « alerte » (renvoyant généralement aux cas d’agressivité et

de précarité). Dans les deux organisations, le traitement de ce genre de situation devrait obéir

à une consigne claire, invitant l’agent à faire un essai pour résoudre le problème, et s’il

317

échoue, un manager185 devrait prendre le relai et traiter lui même la relation (notons que dans

l’organisation ‘A’, hormis les managers, dans le cas où la demande est complexe d’un point

de vue technique, le téléopérateur peut aussi transférer l’appel à un technicien/expert évoluant

dans le back-office). Quant à la banque ‘C’, ces situations complexes ne sont ni nommées ni

reconnues formellement par la direction. Cependant, dans le cas où un agent signale ce genre

de situation, le système de traitement déclenché est similaire à celui des organisations

précédentes. Un manager devrait prendre le relais et traiter la relation.

Si dans ces situations la consigne se veut claire, son application invitant le superviseur à

prendre la place de l’opérateur, se heurte à un obstacle important. Il s’agit du flou qui couvre

la frontière à partir de la quelle la situation est considérée comme complexe. D’après les

discours des managers, leur identification est simple et relève de la perception de l’agent.

Lorsque ce dernier estime qu’il n’est pas en mesure de réparer la situation ou conduire

l’interaction jusqu’au bout, le manager reprend la situation pour la gérer lui même. Mais dans

la pratique, et ceci constitue un point commun aux trois organisations (guichets et centres

d’appels), il existe un écart entre le discours officiels des managers, et les constats issus de

nos observations couplées avec les perceptions des agents. Nous avons assisté à plusieurs

reprises à des scènes où le manager refuse de prendre le client et fait signe à l’agent qu’il doit

se débrouiller davantage186. Il est aussi fréquent de voir dans ces situations le manager se

contenter d’indiquer à l’agent ce qu’il doit répondre et la manière de le faire. Parfois,

l’intervention du manager n’a lieu que lorsque l’agent « craque ». Les agents considèrent

même souvent que les managers trouvent des excuses pour échapper à ce genre de situations

car ils n’ont pas toujours une solution à proposer. Du côté des managers, bien qu’ils ne soient

pas d’accord avec les avis des agents, ils avouent qu’ils ne peuvent pas prendre le relai à

chaque fois car eux aussi ont beaucoup de tâches à réaliser. Ceci dit, il faut garder en tête que

contrairement à ce que stipulent les procédures organisationnelles, dans plusieurs cas, ce sont

les salariés qui traitent les situations complexes.

185 Le manager est généralement doté de fortes connaissances techniques et un savoir faire relationnel acquis notamment grâce à son expérience. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la plupart des managers ont travaillé comme guichetiers pendant de longues années. 186 Notons que les managers de l’organisation B, que ce soit à la plateforme téléphonique ou aux guichets, nous ont paru plus investis dans ces cas et viennent en aide aux agents plus fréquemment que ceux de l’organisation A et C. Les agents confirment que les managers n’hésitent pas trop longtemps pour intervenir.

318

2.2.3 Les situations « équivoques » (« intermédiaires »)

Cette catégorie se situe donc entre les deux catégories précédentes. Ce sont des situations dont

la nature ne relèvent pas clairement ni d’une routine ni d’un cas complexe. Ce sont des

situations imprévisibles et ambiguës187, dues essentiellement à l’objet de la demande formulée

par le client ou à son comportement. Les exemples que nous avons rapportés dans le point

traitant de la facette cachée de la coproduction de service relèvent des ces situations

intermédiaires. On peut y ajouter les propos d’Hélène (centre d’appel ‘A’), qui s’interroge sur

sa mission dans l’organisation : « hormis les difficultés techniques du contenu de mon travail

et supporter les incivilités de certains clients,…, parfois, quand je décroche j’ai envie de,…

au lieu d’annoncer ‘Hélène je vous écoute’, j’ai envie de dire ‘‘bureau des réclamations, à

votre écoute’’. …Oui, j’ai l’impression que je gère des problèmes et non des services…Par

exemple, parfois on est amené à justifier les décisions prises par les pouvoirs publics sur les

critères ouvrant droit à une prestation. Cela ne relève pas de notre travail, mais on est

positionné comme des représentant des pouvoirs publics…C’est comme ça, tu ne peux pas

raccrocher tout le temps au nez des gens ».

Les agents nous ont raconté de nombreuses histoires concernant ce genre de situation. Il est

fréquent que ces situations soient au départ, des situations simples mais le comportement du

client (agressivité, insultes, etc.) peut déstabiliser la routine et faire basculer cette situation en

une situation plus délicate à gérer. On peut penser aussi aux personnes qui dictent aux

guichetiers leur travail et/ou qui les exhortent à augmenter le rythme de travail. Les

caractéristiques socioculturelles des clients jouent également un rôle dans la complexification

de ces situations, comme le montre le cas de l’étranger au guichet qui ne maîtrise pas la

langue française et attend qu’une personne dans la file d’attente fasse l’interprète. Dans le cas

des centres d’appels, les étrangers ne maîtrisant pas la langue sont souvent assistés par un

référent social, mais d’après les agents, ce dernier a souvent du mal à faire passer le message

au client. En effet, les difficultés ne sont pas seulement liées à la langue, elles sont aussi dues

aux usages et à la culture.

Hormis les ambigüités et l’imprévisibilité de ces situations du fait des caractéristiques des

clients, d’autres situations sont présentées par les agents comme faisant partie de cette

187 Notons que dans une optique similaire, Journé et Corset (2008) ont identifié dans l’un des cas qu’ils ont étudié (une centrale nucléaire), des situations ambigües qu’ils qualifient de « normalement perturbées », intermédiaires entre des « situations normales » et les « situations incidentelles ou accidentelles ».

319

catégorie. Il y a par exemple celles qui sont liées aux dossiers dont un des imprimés est mal

rempli ou qui contienne une photocopie inexploitable ou lorsqu’un service égare le dossier

d’un client ou une de ses pièces constitutives, etc.

Enfin, cette catégorie regroupe toutes les situations relatives à des demandes peu fréquentes,

inédites, comme celles où la situation familiale ou professionnelle du client se présente

comme un cas très particulier que les agents n’ont pas l’habitude de traiter. Plus largement,

tous les cas de figures se présentant comme des situations particulières et non prises en

compte par les règles organisationnelles prescrites, entrent dans cette catégorie. Comme nous

allons le voir dans un exemple plus loin, les règles générales régissant l’attribution des

prestations sont parfois incomplètes du fait qu’elle ne s’appliquent pas de la même manière à

toutes les situations existantes. En ce sens, certaines de ces situations se présentent comme

des exceptions pour lesquelles les procédures prescrites ne dictent pas clairement la règle à

suivre.

D’une manière générale, nous considérons les situations intermédiaires comme relativement

compliquées, sans pour autant que leur degré de complexité n’atteigne le niveau extrême qui

les reclassera dans la catégorie des situations « complexes ». Pour les agents, ces situations ne

sont pas simples à gérer car elles sont ambiguës et imprévisibles dans le sens où elles sortent

de la routine, et les procédures organisationnelles ne se présentent pas comme assez précises

pour leur traitement.

Par ailleurs, il est intéressant de souligner que les frontières entre les situations intérimaires et

complexes ne sont pas très claires. Pour l’agent, juger qu’une relation relève de la hiérarchie

n’est jamais simple, et le basculement vers le manager est souvent empreint d’hésitation et de

doute. Le flou autour des frontières de ces situations équivoques se traduit par un autre flou

autour des procédures et techniques qui permettent de traiter ces situations. Si pour les

situations de « routine » et les situations « complexes », les procédures à suivre sont bien

définies, c’est loin d’être le cas pour ces situations « intermédiaires ». Une certitude émerge

toutefois : les agents sont fortement incités à traiter ces relations comme des relations simples

et ne pas les basculer aux managers.

Nous venons de présenter les différentes types de situations selon le critère de leur degré de

complexité, qui permet, à notre sens, de mieux comprendre le contexte des relations de

service et le vécu quotidien des agents. La pertinence de cette typologie tient aussi au fait

320

qu’elle prend en compte et combine les critères relatifs au « client multiple » et à la variété

des objets de leurs demandes.

Cette description des différents types de situations rencontrées dans les relations de service

permet aussi de s’éloigner un peu d’une lecture déterministe qu’ont certains auteurs à propos

du contexte des relations de service, qui les conduit à considérer que les situations rencontrées

dans les front-office sont simples et répétitives. Notre typologie souligne que les situations ne

sont pas faciles à identifier et à catégoriser. Un degré de simplicité ou de complexité peut

aussi être observée à l’intérieur de chacune des catégories identifiées. Par exemple, dans les

cas des situations équivoques, certaines se rapprochent davantage des situations complexes

tandis que d’autres peuvent être assimilées à des situations relativement simples.

Par ailleurs, établir une typologie des situations en fonction de leur complexité permet

également de comprendre le système de production en termes de procédures

organisationnelles et des compétences requises pour traiter chaque type de ces situations.

Enfin, il faut noter que les objectifs de performance assignés aux agents par les organisations,

du moins officiellement (d’après les discours de la hiérarchie et les documents internes des

font-office étudiés), sont aussi fonction du type de situation se présentant devant l’agent. Mais

là, et à la différence de ce que nous avons recensé, il n’est mentionné que deux types de

situations : « simples » et « compliquées ».

Rattacher les modèles de production et de la performance à la typologie des situations se

présentant au front office, permet aussi d’illustrer la problématique de la cohabitation de la

logique industrialiste aux côtés de la logique de service (cf. second chapitre). Ceci dit, la

typologisation des situations selon leur degré de complexité pourrait expliquer l’origine et la

nature de cette cohabitation dans les services.

Nous allons donc tenter dans ce qui suit de décrypter dans les trois organisations respectives,

le modèle de production et celui de la performance, afin de mieux cerner les différents états

qui caractérisent la cohabitation des deux logiques dans ces entreprises de service.

321

3. Quand la typologie des situations dicte le type de la logique productive à

suivre

Pour rappel, nous avons rapporté dans le second chapitre de notre thèse que le modèle

productif dans les relations de service fait cohabiter deux logiques, présentées par les auteurs

comme contradictoires : la logique de service et la logique industrialiste. La première logique

est caractérisée par la personnalisation de la relation de service et nécessite de ce fait des

compétences spécifiques chez les agents et une capacité d’initiative, qui seraient favorisées

par l’autonomie et la flexibilité du travail. Ceci concourt pour une performance qualitative du

service. La logique industrialiste est présentée comme opposée à l’esprit de service. Elle

privilégie la standardisation et la prescription des modes opératoires, que les agents sont

censés suivre sous la contrainte d’un contrôle permanent. Le but est alors de rationnaliser la

relation afin de favoriser les rendements productifs, c’est à dire la performance quantitative.

Nos résultats empiriques font ressortir que dans les trois organisations de service, accueils

téléphoniques et physiques confondus, il y a effectivement une cohabitation d’une logique

industrialiste aux côtés de celle du service. Le caractère harmonieux ou conflictuel de la

cohabitation des deux logiques s’explique bien si on considère la typologie que nous venons

de présenter. En effet, le processus productif dans les coproductions dépend largement du type

de la situation à traiter. D’une manière générale, et d’après nos analyses des discours officiels

de la hiérarchie, lorsqu’il s’agit d’une situation de routine, la logique industrialiste est

privilégiée, tout en gardant un minimum de l’esprit de service. Dans le cas opposé, le

traitement des situations complexes est largement basé sur la logique de service. Toujours

d’après les responsables des front-office étudiés, aucune dimension industrialiste ne doit

intervenir afin de ne pas ériger des contraintes qui compromettrait de ce fait une situation qui,

au départ, se présentait déjà comme compliquée à gérer

En ce qui concerne les situations intermédiaires, la logique selon laquelle la coproduction

devrait être menée diffère selon les acteurs. Etant donné que la direction ne reconnait pas

officiellement la complexité de ces situations, la hiérarchie privilégie la logique industrialiste

comme un moyen cohérent pour leur traitement. Bien sûr, nous pouvons imaginer qu’un

minimum de marge de manœuvre est autorisé pour que les agents puissent traiter ces relations

comparées aux situations très simples (horaires d’ouverture par exemple). Dans la pratique,

nos observations et les discours des agents montrent que ces deniers résistent et estiment que

322

la logique de service devrait être privilégiée dans ce genre de situations. Les agents ne

demandent pas non plus de mobiliser les mêmes moyens que ceux exigés pour le traitement

des situations très complexes, mais ils estiment qu’elles méritent tout de même d’être

considérées comme des situations relativement compliquées.

Dans ce qui suit, nous allons essayer de rapporter quelques observations pour mieux

comprendre les pratiques mises en œuvre dans les trois catégories respectives. Nous allons

nous limiter ici à présenter les modèles productifs. Nous présenterons le modèle de

performance ensuite.

3.1 La standardisation et la prescription vs la personnalisation et la

compétence dans les relations de service.

Les trois organisations semblent suivre la même politique en procédant à la standardisation de

certaines situations et la personnalisation des autres. Comme évoqué dans la revue de

littérature, la standardisation et la personnalisation peuvent concerner à la fois le volet produit

et son processus de servuction. En ce qui concerne notre terrain, on s’intéresse davantage à

ces processus de production188. Du côté des modes opératoires, le même raisonnement est

conduit, dans le sens où le traitement de certaines situations suit un modèle prescrit, et

d’autres reposent sur les compétences de l’agent.

Avant de présenter ces éléments, nous souhaitons rapporter les consignes, quasiment

similaires dans les trois organisations, que l’agent doit suivre pour réaliser l’interaction. A

partir des manuels distribués aux téléopérateurs et les guichetiers dans nos trois organisations

respectives, nous pouvons résumer ces consignes comme suit :

1. j’accueil le client, (civilités, etc.)

2. je me présente (ceci se fait uniquement dans le cas des centres d’appels)

3. j’écoute mon interlocuteur

4. je reformule sa demande

5. je traite la demande

188 Si les produits de service dans les organisations publiques A et B sont tous standards, dans le sens où les règles sont les mêmes pour tout le monde, la banque ‘C’ se permet (d’après les responsables) d’accorder des prestations sur mesure en fonction des données (financières notamment) du client.

323

6. je demande au client s’il n’a pas d’autres demandes à formuler

- proposer un produit ou une option supplémentaire (dans le cas de la banque C).

7. je conclue l’entretien en remerciant le client.

3.1.1 Les standardisations et la prescription pour gérer les situations de routine

Dans le cas des situations de routine, une standardisation intense couvre le processus de

servuction. Les agents sont exhortés à utiliser les mêmes argumentaires pour répondre aux

questions de tous les clients quelles que soient leurs caractéristiques. Les agents sont aussi

invités (implicitement) à tenir le même comportement devant tous les clients, en termes de ton

de la voix et les phrases relatives aux civilités. Cependant, les superviseurs incitent les agents

(selon leur propres termes) à « personnaliser » un peu l’interaction en appelant le client par

son nom pendant les échanges.

Le traitement de ces situations nécessite peu ou pas de réflexion et de compétences. En

d’autres termes, le traitement des demandes routinières par les agents relève d’une action

routinière fortement saturée par le « tenu pour acquis ». Nous nous retrouvons ainsi dans le

schéma classique du travail prescrit, dans le sens où se rabattre sur les procédures et les

contenus prescrits est largement suffisant aux agents pour traiter ce genre de relation. L’agent

suit les consignes indiquées ci-dessus, de manière plus ou moins scrupuleuse, pour traiter la

relation. Quant aux réponses formulées, les agents peuvent puiser dans les scripts qui sont mis

à leur disposition sur les écrans, néanmoins, la routine fait que les agents avec un peu

d’expérience ont retenu l’essentiel des éléments contenus dans les scripts, et donc, font

confiance à leur mémoire dans la plupart des cas pour répondre aux questions d’ordre général,

qui caractérisent et définissent ce genre de situations. En réalité, et d’une manière générale,

nous pouvons dire que le recours aux scripts pour traiter ces situations n’est pas vraiment

courant dans les front-office étudiés, et nous n’avons pas l’impression qu’il caractérise les

modes opératoires mobilisés par les agents d’accueil.

Bien sûr, à l’intérieur de cette catégorie on trouve certaines situations relativement plus

difficiles que d’autres, où l’agent est invité à mobiliser plus d’effort ou de compétence. Cela

peut être observé dans le cas où le client pose une question technique pointue ou relative à un

cas particulier. Pour répondre, l’agent manifeste une certaine prudence dans la formulation de

la réponse en procédant à des explications bien argumentées.

324

3.1.2 La personnalisation et la compétence pour traiter les situations complexes et

équivoques (intermédiaires)

Comme nous l’avons déjà souligné, il faut garder en tête que lorsqu’il s’agit des situations

équivoques (intermédiaires), il y a un essentiellement deux écarts. Le premier est entre le

discours officiel et la volonté affichée par la hiérarchie d’inciter les agents à les considérer et

à les traiter comme des situations ordinaires et routinières. Le second écart est entre le

discours officiel et la réalité du travail observé sur le terrain, tel qu’il est perçu et pratiqué par

les agents.

Lorsque la situation est complexe, la démarche se veut complètement opposée de celle

déclenchée dans les situations de routine. La complexité des cas fait que l’organisation a

intérêt à traiter la relation selon une logique de service, en réservant au client un accueil très

personnalisé. Qu’elle soit traitée par un agent ou par son manager189, la personnalisation

couvre tous les aspects de l’interaction, allant des argumentaires avancés jusqu’au

comportements tenus, en passant par des procédures et méthodes ajustées aux cas. Comme

indiqué auparavant, ces situations peuvent par exemple concerner une situation d’urgence, ou

relative à une profonde insatisfaction du client qui menace de compromettre la relation, etc.,

d’où des mesures spécifiques mises en œuvre spécialement pour ajuster le service suivant les

caractéristiques du client et de son comportement.

Dans le cadre des situations équivoques, la plupart des managers ne reconnaissent pas

vraiment la complexité de la situation, puisqu’ils demandent aux agents de ne pas les traiter

selon des procédures spécifiques et ajustées comme dans le cas des situations très complexes.

En réalité, nous avons remarqué que la standardisation et la prescription ne peuvent pas

vraiment être tenues vue les recrudescences des événements qui peuvent altérer le processus

de coproductions. A notre sens, cette différence que l’on peut observer entre la perception des

managers et celles des agents, peut être considérée comme l’illustration, par excellence, de la

problématique autour de l’écart entre le travail prescrit et le travail réel dans les organisations.

Parmi les nombreux exemples et discours retranscrits, relatifs à la difficulté de la

standardisation des situations équivoques, les propos de Julien (centre d’appel ‘C2’), illustrent

bien cette problématique. En parlant d’une situation qui bascule suite au comportement

odieux d’un client, il s’exclame : :« comment veux tu ne pas monter le ton si celui qui est à

189 Notons que dans ce qui suit, lorsque nous évoquons les situations complexes, il faut comprendre que nous renvoyons davantage à celles qui sont traités par les agents.

325

l’autre bout du fil se permet de t’insulter, ou qu’il te prend de haut ? T’es obligé de lui sortir

des arguments pour le remettre à sa place, non ? ». Dans un autre cas, Karine (guichet ‘B2’),

nous indique que les agents ne peuvent pas toujours rester insensibles aux cas des clients : « si

par exemple on reçoit un type malheureux, même si sa situation n’est pas extrêmement

urgente, on ne peut rester indifférent…On n’est pas des machines, ma foi…J’ai déclenché à

plusieurs reprises des procédures spéciales pour débloquer certaines situations même si je

sais que mon manager ne l’approuvait pas vraiment ». Comme c’est le cas dans ces deux

témoignages, nous avons assisté à plusieurs reprises à des scènes où l’agent va au delà des

argumentaires et procédures standards pour traiter les relations, même si ces dernières ne

relevaient pas de ce que la hiérarchie considère comme des cas spéciaux.

C’est pour cette raison que nous avons décidé de regrouper les deux catégories (complexes et

équivoques) comme des relations traitées (à quelques exceptions près, en fonction du degré de

complexité) suivant le même modèle de compétence.

Description du modèle des compétences individuelles

Si la forme générale concernant les étapes du déroulement de l’interaction reste la même que

celui présenté ci-dessus, le traitement de ces situations repose dans sa partie dominante sur les

compétences individuelles des agents et sur leurs capacités à prendre des initiatives. Le

processus réel de l’interaction ne suit pas un schéma simpliste et prescrit. Il peut être exprimé

davantage selon les termes rapportés dans notre second chapitre à propos du travail réel des

agents, à savoir, analyser la demande, faire des arbitrages et manager la contribution ainsi

que le comportement du client.

Les scripts et les procédures industrialistes ne permettent pas de mobiliser ces pratiques. Ces

dernières sont directement liées aux compétences des agents. Si on considère les composantes

de la compétence (individuelle) présentées dans la revue de littérature, c’est à dire, des

compétences cognitivo-techniques et des compétences relationnelles (le savoir faire

cognitivo-pratique et le « savoir-être »), nous pouvons dire qu’elles se traduisent dans les

trois organisations étudiées comme suit :

Analyser la demande et faire l’arbitrage commence par l’analyse de la situation du client afin

de vérifier si le besoin formulé correspond à ce qu’il veut réellement. Ceci est

particulièrement important si on se réfère aux propos des agents qui affirment que dans de

nombreux cas, le client formule mal sa demande. Parfois, c’est dû tout simplement au fait

qu’il n’a pas connaissance de tous les services proposés ou des règles les régissant. Ainsi, en

326

plus de la capacité d’écoute, l’agent mobilise des compétences cognitivo-techniques dans le

sens où il est amené à interpréter le langage du client et le comparer à toutes les formules

techniques relatives aux différentes prestations existantes. En retour, l’agent doit présenter au

client des éléments techniques sous la forme la plus compréhensible possible pour ce dernier.

Ceci nécessite à la fois une connaissance large de toute la gamme des prestations (rappelons

qu’elles sont au nombre de ‘27’ dans ‘A’, 26 pour ‘B’ et 20 chez ‘C’) et une maîtrise des

détails qui caractérisent chacune de ces prestations. Notons que d’après les agents, il existe

une difficulté particulière dans les organisations ‘A’ et ‘B’. Il s’agit de la maîtrise des

nombreuses règles législatives régissant les prestations, d’un côté, et leur traduction en

langage courant, de l’autre. A ces multiples compétences, nous pouvons rajouter celles

relatives à la maîtrise des outils et des applications informatiques, etc.

Le management de la contribution du client et de son comportement peut être conduit grâce à

ce que nous avons qualifié de savoir cognitivo-pratique, combiné au savoir-être de l’agent.

Ce sont des savoirs qui relèvent du relationnel dans le sens où c’est ce qui permet à l’agent de

diriger la coproduction dans le sens souhaité. Le savoir-faire permet de prévenir et de réparer

les problèmes et éviter que l’interaction se complique davantage. Il peut consister dans la

façon avec laquelle l’agent traite la relation en procédant aux ajustements nécessaires en

fonction des situations, et prend des initiatives permettant de débloquer ces dernières et

réparer les problèmes. Ce savoir-faire est particulièrement important puisque tout cela doit se

faire en veillant à respecter les contraintes organisationnelles.

La mobilisation de ces savoir-faire est très fréquent dans la gestion des situations équivoques.

Dans les organisations ‘A’ et ‘B’, le savoir-faire peut, par exemple, renvoyer à la façon dont

un agent présente les raisons et les arguments à un client (en détresse) pour lui faire savoir

qu’il n’ouvre pas droit à telle ou telle prestation. Il peut aussi essayer d’indiquer à un client les

pièces à compléter pour relancer son dossier (resté sans réponse depuis un temps) tout en

évitant une montée de colère chez le client.

Dans le cadre de la banque ‘C’, on retrouve des exemples similaires à propos de la

mobilisation de ces savoir-faire dans la gestion de la relation avec le client. On trouve aussi un

savoir-faire particulier utilisé dans le volet marchand de la banque, relatif aux techniques

commerciales que les agents mobilisent pour vendre un produit. A titre d’exemple, « savoir

faire basculer une situation de doute chez le client en situation d’achat », ou convaincre un

327

client sur la faisabilité du projet (manager l’hésitation du client), ou encore, et selon le jargon

des agents interrogés, « savoir faire passer la pullule » au client qui proteste contre le

prélèvement de certains intérêts auxquels il ne s’attendait pas, etc. sont des situations très

largement équivoques.

Quant au volet « savoir-être » de la compétence relationnelle, il a pour but de manager la

relation en instaurant un cadre interactionnel harmonieux et agréable. Nos observations dans

les trois organisations montrent que le modèle suivi est pratiquement le même. En plus des

civilités qui représentent un aspect non négligeable dans ces compétences (pour entretenir et

véhiculer une bonne image de l’organisation, fidéliser le client, etc.), on trouve les aptitudes

comportementales qui consistent pour l’agent à ajuster son comportement en fonction de la

situation. Il s’agit de savoir mener et encadrer l’interaction et éviter d’enfoncer un client.

Notons que dans l’organisation ‘B’, la phrase qui revient le plus dans les discours des agents

est : « savoir-calmer le jeu ». Dans l’organisation ‘A’, on parle beaucoup de « savoir-

répondre au client », ainsi que de « savoir mettre un terme à la discussion » (cette expression

concerne plutôt les situations conflictuelles, dans le sens où à un moment donné il faut arrêter

la discussion car la suite ne fera que s’envenimer). Dans la banque ‘C’, plusieurs agents

mettent en avant des phrases du style, « instaurer un climat de confiance », « séduire le

client », pour vendre.

3.2 Qu’en est-il du contrôle des contenus et des rythmes de travail des agents ?

Nous avons rapporté dans notre revue de littérature que les pratiques de contrôles des agents

du front-office, concernent autant le contenu des coproductions que les rythmes de travail. En

ce qui concerne notre terrain, nous souhaitons d’abord souligner que le contrôle des contenus

se veut beaucoup plus présent dans les centres d’appels que dans les guichets. D’après un

manager dans le centre d’appels ‘C1’ (anciennement guichetier), « la raison se résume tout

simplement à une question de moyens de contrôle. Dans les centres d’appels, la technologie

permet d’écouter n’importe qui à n’importe quel moment, sans qu’il se rende compte de quoi

que ce soit. C’est un moyen efficace. Dans les guichets, ce n’est pas la volonté qui manque,

mais…c’est compliqué de contrôler un agent». Ceci nous rappelle l’idée rapportée par Ben

Fekih-Aissi (2010), qui indique que le contrôle n’est pas récent, mais qu’il s’est développé et

est devenu constant, pénétrant et pervers grâce au développement des technologies (cf.

chapitre 2).

328

En effet, les pratiques de contrôle des contenus sont plus faciles dans les centres d’appels que

dans les guichets, mais cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas dans ces derniers. Certains

agents opérants dans les guichets B1, B2 et C4, disent avoir surpris leur manager en train

d’écouter leurs conversations avec les clients. De notre côté, lors de nos séjours dans ces

organisations, nous avons assisté une fois au guichet B1, à une scène où un manager s’est

positionné non loin d’un agent et écoutait sa conversation.

En fait, même dans les centres d’appels, nous avons remarqué que les pratiques de contrôle

existent mais ne sont pas excessivement fréquentes. Nous n’avons pas des informations

précises à ce sujet, mais d’après les agents, ils sont écoutés environs deux à trois fois par an.

La pratique de contrôle des contenus passe donc par l’écoute des conversations entre l’agent

et le client. Les procédures diffèrent d’une organisation à une autre. Dans l’organisation ‘B’,

l’agent concerné par une écoute est informé du jour de sa mise en œuvre, sans qu’on lui

précise l’intervalle des minutes pendant lesquelles le superviseur procède à l’écoute

synchrone de sa conversation avec le client (permise par les NTIC). Dans la banque ‘C’, les

écoutes sont tout simplement inopinées. Le superviseur choisit le téléopérateur à écouter sans

l’avertir. Enfin, dans le centre d’appel A, il n’y a pas d’écoute via les dispositifs téléphonie-

informatique, mais les superviseurs, du fait de leur proximité spatiale des agents (voir plus

loin), se montrent parfois très attentifs aux discussions des agents.

D’après les managers et les responsables, le but des écoutes est double. Le premier, et le plus

important selon eux, consiste à relever les éventuels points faibles chez l’agent pour le faire

monter en compétence. Nous retrouvons ainsi le constat émis par certains auteurs (Pichault et

Zune, 2000 ; Clergeau, 2004 ; Béraud et al., 2008 ; Ben Fekih-Aissi, 2010) qui considèrent la

pratique de contrôle dans les centres d’appels comme représentant également un outil d’aide

et de perfectionnement des agents (cf. chapitre 2).

D’ailleurs, à la fin de chaque écoute, ou parfois le jour d’après, le manager invite l’agent pour

un débriefing en lui signalant ces points faibles et donnant des consignes pour améliorer sa

compétence. Le second objectif des écoutes est l’évaluation de l’agent, en s’intéressant à la

fois à ses compétences techniques, pratiques et relationnelles. Notons que les téléopérateurs et

les guichetiers n’apprécient pas cette pratique, en estimant qu’elle est appliquée plus pour des

fins d’évaluation que celles de la correction des erreurs. Ils disent aussi que c’est une pratique

qui génère beaucoup de pression et de stress.

329

Si le contrôle des contenus des interactions est davantage pratiqué dans les centres d’appels,

celui des rythmes de production concerne les deux dispositifs. Les outils informatiques

permettent de recenser le nombre de personnes reçues / appels traités dans la journée par un

agent, et indiquent son rendement en affichant la durée moyenne des coproductions réalisées.

Bien évidemment ceci permet de comparer les résultats de chacun aux objectifs de

performance. Donc, tout comme le contrôle des contenus, cette pratique sert à l’appréciation

des agents.

Par ailleurs, les pratiques de contrôle des contenus et des rendements concernent tous les

types de situations. En revanche, des différences apparaissent au moment des débriefings

réalisés par les managers. Lorsqu’il s’agit d’une situation de routine, le contrôleur s’attend à

ce que la coproduction soit traitée rapidement et en se conformant aux procédures prescrites.

La lecture des scripts ne semble pas une exigence dans les organisations ‘A’ et ‘B’. Dans la

banque ‘C’, le superviseur rappellent aux agents qu’ils doivent, à certains moments, lire les

scripts afin de s’assurer de donner tous les détails concernant un produit ou un service.

Lorsqu’il s’agit d’une situation complexe, une autonomie est accordée à l’agent pour gérer la

relation, mais cela ne lui économise pas du contrôle, car pour le superviseur, ce sont des

situations où l’entreprise ne se permet pas de faire des erreurs. Ainsi, lors du débriefing,

l’agent se voit relever les éventuelles erreurs commises, que ce soit aux niveaux technique,

pratique ou comportemental. Enfin, dans les situations équivoques, ce cas de figure se

présente comme relativement ambiguë, dans le sens où l’agent traite la relation comme une

relation complexe en se permettant une certaine autonomie et marge de manœuvre pour

réparer la situation, alors que son manager contrôleur s’attendait à un traitement plus proche

de celui des situations de routine, en suivant plus ou moins des procédures prescrites. On

assiste ainsi pendant les débriefings qui suivent les écoutes de ces situations à des échanges

parfois tumultueux entre, le superviseur qui rappelle à l’agent qu’il n’a pas de marge de

manouvre pour traiter ces cas comme il le souhaite, et l’agent qui résiste en argumentant que

ce n’était pas une situation simple que l’on peut traiter de manière standard.

Enfin, comme nous l’avons déjà amorcé, l’organisation des pauses fait l’objet d’un contrôle

strict. Nous avons remarqué dans les trois organisations que les superviseurs n’hésitent pas à

aller chercher les agents qui sont en pause dès que ces derniers tardent un peu à regagner leur

poste de travail. Nous nous arrêtons ici en ce qui concerne ce point sur le contrôle des

330

contenus et des rythmes de travail, car d’autres détails seront évoqués dans le point suivant

traitant de la performance et les critères de sa mesure.

4. La performance dans les relations de service : Indicateurs de mesure, et

contradiction

Le concept de performance dans les organisations étudiées, semblent problématique et fait

souvent débat entre la hiérarchie et les agents. Dans les trois organisations, les critères de

mesure de la performance sont d’ordre quantitatifs et qualitatifs et commun aux centres

d’appels et aux guichets. Dans ce qui suit, nous commençons par présenter la performance et

sa mesure telles qu’elles sont relevées dans chacune des trois organisations. Puis, nous

montrerons comment l’application des indicateurs de performance est aussi fonction du type

de situations rencontrée. Enfin, nous aborderons l’idée relative à la nature de la cohabitation

entre ces critères dans les organisations étudiés.

4.1 La performance et sa mesure dans les front-office étudiés

La performance dans les front office étudiés est définie selon deux critères : la quantité et la

qualité. Bien sûr, l’aspect marchand de la banque ‘C’ fait que certains éléments de la

performance de cette dernière n’existe pas dans les deux organisations publiques.

4.1.1 Le critère quantitatif :

Ce critère qui incarne selon notre revue de littérature la logique industrialiste (critère

industrialiste), correspond ici à des données objectivées et chiffrées, fixées au préalable par

l’organisation et traduites auprès des agents sous forme d’objectifs à atteindre. Les logiciels

informatiques se chargent de cueillir les données relatives à chaque agent.

4.1.1.1 Les organisations ‘A’ et ‘B’ :

Dans les centres d’appels de ces organisations publiques, l’indicateur de performance

quantitative concerne deux points : Le premier étant le nombre des relations traitées dans une

échéance bien déterminée. Le second point s’intéresse à la durée moyenne de traitement pour

une relation190. Ce second indicateur est le seul appliqué dans le cas des guichets (dans

l’organisation B), étant donné que le nombre de clients se présentant aux espace d’accueil est

190 Le principe du calcul est simple, il suffit de diviser le nombre de relations traitées sur le temps de travail effectif (les temps des pauses sont exclus des calculs).

331

très variable, comparé à celui des centres d’appels où dans la plupart des cas le nombre des

appels quotidiens est presque identique.

Cet indicateur quantitatif se traduit alors en terme d’objectifs de productivité fixés aux agents.

(cités auparavant dans le premier point traitant de l’organisation du travail), que nous pouvons

rappeler comme suit :

Le centre d’appels A : Le nombre minimum de relation à traiter par un agent: 90 appels /jour.

Dans les cas (rares) où le flux des appels est trop faible pour réaliser ce nombre, l’objectif de

performance sera donc la durée moyenne d’un appel, fixée à trois minutes.

L’organisation ‘B’ :

Centre d’appels : Idem pour le nombre de relations à traiter par jour. Sinon, l’objectif de la

durée moyenne d’un appel est fixé à trois minutes et vingt secondes.

Guichets : la durée moyenne de la relation ne devrait pas dépasser les 4 minutes.

Cette dimension quantitative dans la performance est parfaitement assumée par les directions

des deux organismes qui considèrent qu’elle est nécessaire pour « couvrir un maximum

d’appels » afin « de permettre une accessibilité à l’information pour tous les clients ». Il faut

ici noter que cette dimension peut aussi être considérée comme élément renvoyant à la qualité

du service, mesurée en termes de temps d’attente des clients pour avoir accès aux agents.

4.1.1.2 La banque ‘C’ :

Comme nous l’avons indiqué dans la revue de littérature (Chen et Yang, 2000), on distingue

deux sous catégories d’indicateurs dans le critère quantitatif. Aux côtés du critère

industrialiste relatif au nombre d’appels, on trouve une performance marchande correspondant

à l’activité de la banque, dont l’indicateur est mesuré à travers le volume (nombre) des ventes

réalisées.

Centres d’appels :

-Chaque agent est censé traiter au minimum 80 appels/jour.

-La durée moyenne d’un appel ne devant pas dépasser les quatre minutes.

Cet objectif est positionné au second plan lorsque la relation traitée est une vente. Dans ce

cas, il n’y a pas de limite particulière pour la durée de son traitement.

- Les objectifs liés à la vente sont qualifié de « taux d’efficacité » :

332

� Le nombre de ventes est fixé à un minimum de 20 produits (ventes) par semaine et par

agent.

Guichets ‘C3’ et ‘C4’:

- La durée moyenne de la réception d’un client ne doit pas dépasser cinq minutes. Comme

dans le cas des centres d’appel, cet objectif est relégué au second rang lorsque l’accueil du

client concerne une vente. Les objectifs en termes de volume sont également de 20 ventes par

semaine pour chaque agent191.

Comme c’est le cas dans les organisations ‘A’ et ‘B’, pour la banque ‘C’, l’objectif visant à

traiter le plus grand nombre de relations possibles peut aussi être lu d’un point de vue

qualitatif. Selon la hiérarchie, le temps d’attente est un élément important dans la satisfaction

de la clientèle. Dès lors, il n’est pas surprenant qu’elle le voit comme un des critères

qualitatifs dans cette organisation.

4.1.2 Le critère qualitatif

Comme nous l’avons soutenu dans notre partie théorique, comparé au critère quantitatif, la

qualité est considérée par les acteurs comme la dimension qui reflète l’esprit (la logique) de

service. En outre, et contrairement aux indicateurs quantitatifs, les indicateurs qualitatifs sont

difficiles à définir.

Dans les trois organisations étudiées, la performance qualitative concerne la « qualité de la

prestation » et vise la satisfaction du client. Bien que ces critères sont difficiles à mettre en

place, ce ne sont pas ces critères en soi qui sont remis en cause par les agents, mais plutôt, le

caractère subjectif qui s’attache à leur appréciation. Comme nous allons le voir ci-après,

l’appréciation de la qualité peut être assimilée à l’appréciation des compétences des agents à

travers leurs savoirs, leurs savoir-faire et leurs compétences relationnelles.

En effet, d’après les documents recueillis dans les organisations, la qualité de la prestation

peut être appréciée à travers plusieurs critères, dont l’appréciation est permise notamment

grâce aux dispositifs d’écoute et d’observation des agents en situation de travail. Ces critères

191 Rappelons qu’ici nous parlons seulement des agents d’accueil et non des conseillers du back-office.

333

traduisent les objectifs assignés aux agents lors des situations de coproduction. Nous avons

identifié 192 :

- La manière dont la coproduction est conduite : qualité des questionnements prononcés

par l’agent, directivité de la relation, la réponse apportée (ou non), etc.

- La pertinence de la prestation de l’agent, en termes des connaissances mobilisées

pendant l’interaction (connaissances des produits et services attribués par l’organisation,

maîtrise des règles régissant les prestations, les erreurs commises, etc.).

- La gestion de la relation : anticipation des situations, alerte, initiative, gestion des

aléas, maîtrise des risques, évitement des problèmes, etc.

- La qualité du relationnel avec le client : comportement, qualité d’expression,

courtoisie, sourire, etc.

- La satisfaction du client : les organisations administrent parfois auprès de leurs clients

des enquêtes de satisfaction et tentent d’élaborer un taux de satisfaction chiffré à partir

des réponses formulées. Elles ajoutent à cela la prise en compte des lettres de

contestation des clients, dénonçant par exemple la qualité de l’accueil qui leur a été

réservé, ou la qualité de la prestation servie par agent.

- Le temps d’attente (la file d’attente) : comme nous l’avons rapporté précédemment, ce

critère quantitatif concerne directement le rendement des agents. Les agents sont alors

invités à bien gérer leur temps en fonction des flux de la clientèle. Ce critère vise

directement la satisfaction du client.

Bien que ces objectifs qualitatifs soient communs aux trois organisations, les enjeux diffèrent

si on considère le caractère public ou privé des organisations étudiées. Dans la banque ‘C’,

assurer une prestation de qualité vise la fidélisation du client. Cet élément se présente, d’après

les responsables dans cette entreprise, comme un des facteurs qui permettent un avantage

concurrentiel considérable dans le secteur bancaire. Du côté des organisations publiques ‘A’

et ‘B’, il n’y pas d’enjeux relatifs à la concurrence. Le souci de la qualité relève plutôt du

respect des engagements des services publics envers les usagers.

Atteindre les objectifs de performance quantitative et qualitative se présente comme un des

éléments caractérisant le management dans ces front offices. Dans les trois organisations

192

Les critères sont relativement proches entre les trois organisations. Nous avons donc décidé de les regrouper sans aborder les détails relatifs à chaque organisation. Les seules différences se trouvent dans la terminologie utilisée dans chacune de ces trois organisations.

334

étudiées, en plus des objectifs individuels assignés aux agents, chaque front office se voit

attribué des objectifs globaux de performance à atteindre. Ainsi, et afin de motiver les acteurs

à atteindre les objectifs fixés, deux dispositifs de rémunération sont instaurés : le premier

correspond à une prime d’intéressement collectif, qui récompense les unités ayant respecté ou

dépassé les normes exigées. Elle est distribuée équitablement par les managers à l’ensemble

des salariés quelles que soient leurs contributions à la performance collective. Quant aux

niveaux individuels, la rémunération des agents comprend aussi une autre augmentation liée

directement à leurs propres résultats de performance, atteints ou dépassés. Notons que cette

augmentation individuelle est trimestrielle dans la banque ‘C’ et semestrielle dans les

organisations ‘A’ et ‘B’.

Nous venons ainsi de présenter comment la performance est mesurée dans les trois

organisations étudiées. Toutefois, les indicateurs sont rapportés sous forme de moyennes et de

standards à respecter, or comme nous l’avons vu, les situations ne sont pas homogènes et leur

degré de complexité implique de redéfinir à chaque fois les moyens et les procédures à

mobiliser. La performance peut donc aussi être mesurée en fonction des types des situations

qui se présentent. Ce point de vue est défendu par le discours officiel des hiérarchies dans les

trois organisations. Mais, comme nous pouvons le deviner, les situations équivoques posent

problème sur ce point à propos de la nature de performance à privilégier.

4.2 Les objectifs de performance en fonction des types de situations

Dans les organisations étudiées, les objectifs de performance, sont présentés par les

responsables comme répondant aux mêmes schémas que les modèles productifs appliqués

selon les types de situations rencontrés. Comme nous l’avons soutenu dans la revue de

littérature, la logique industrialiste et la logique de service ne hiérarchisent pas les critères de

performance de la même manière.

Lorsqu’il s’agit des situations de routine, gérées donc suivant un modèle industrialiste, le

critère quantitatif est privilégié dans le sens où l’objectif est de traiter la relation dans les

meilleurs temps. Bien évidemment la logique de service n’est pas complètement négligée car

un minimum de qualité est exigé afin de conserver une relation positive et durable avec le

client mais elle est située au second plan. Inversement, dans le cas des situations complexes la

logique de service prend le dessus et met en avant le critère qualitatif qui a pour objectif

premier la satisfaction du client. L’idée est d’abandonner momentanément le critère

335

quantitatif (le temps pris pour produire le service) pour s’intéresser davantage à la qualité de

la prestation. Ceci permet un traitement de qualité dans le sens où l’agent utilisera un temps

relativement élevé (par rapport à celui utilisé dans les situations de « routine ») pour répondre

à la question du client avec des arguments bien développés et détaillés, et résoudre la situation

en ajustant les procédures selon les cas, etc. Bien sûr, le salarié ne dispose pas d’une totale

liberté en ce qui concerne le temps de la relation. Donc, même si la dimension quantitative

n’est pas très explicite, l’agent est invité à faire au mieux pour résoudre la situation sans y

consacrer un temps excessivement long. Il est à souligner que dans le cas où c’est le manager

qui récupère un client pour traiter la relation lui même, aucune contrainte temporelle ne lui est

imposée pour dénouer la situation.

Enfin, et comme c’est le cas dans les modèles productifs mobilisés pour le traitement des

situations équivoques, là aussi, la volonté des managers ne semble pas concorder avec les

pratiques des agents. Ce type de situation constitue une réelle difficulté pour la gestion de la

qualité d’une relation de service, car la coexistence des deux critères quantitatif et qualitatif

devient tension et difficulté. La hiérarchie exige que ces situations soient traitées davantage

dans un temps relativement court, en exhortant les agents à ne pas trop rallonger la durée

prévue pour les situations simples. De leur côté, les agents estiment qu’ils ont besoin de plus

de temps pour mieux gérer la relation et résoudre le problème, sinon, il y a un risque

d’aggraver l’insatisfaction du client et de compromettre la relation avec ce dernier.

Ce différent entre les managers (qui représentent alors les directions) et les agents autour du

critère de performance à privilégier en cas des situations équivoques, illustre bien la

problématique évoquée dans notre second chapitre, selon laquelle la performance est une

question de perception. En effet, les perceptions diffèrent selon les acteurs à propos de ce

qu’ils considèrent comme une gestion performante de la relation de service (des situations

équivoques). Les agents estiment que la performance doit être plus qualitative dans la gestion

de ces situations alors que l’organisation s’estime performante lorsque la situation est traitée

dans un temps réduit (quantitatif). Ceci se traduit pour les agents par le fait de porter une

attention particulière à la question de la performance dans ce genre de situations, en cherchant

un équilibre entre les deux critères, en produisant une prestation de qualité tout en évitant de

trop rallonger le temps qui lui est consacré.

336

Dans les organisations que nous avons étudié, nous avons souvent assisté, aux guichets

comme dans les centres d’appels, à ce bras de fers où le manager fait signe (pour reprendre le

terme utilisé par les agents Thibault (B2) et Alice (C1)) de « bâcler » la coproduction, alors

que l’agent continue à s’appliquer et prend soin de la qualité de la relation. Notons qu’une

minorité de managers semblent ne pas rester indifférent vis-à-vis de ce problème en nous

indiquant qu’ils évitent au maximum de mettre la pression aux agents pour terminer la

coproduction. Il est particulièrement intéressant de souligner que les agents confirment

l’existence de ces pratiques de la part de ces managers. Un des managers ajoute même que les

agents sont les mieux placés pour juger de la complexité de la situation qu’ils ont en face et

du temps nécessaire pour la traiter.

Par ailleurs, et hormis la question de la performance comme une affaire de perception, tout ce

que nous venons de présenter à propos de la hiérarchisation des critères de performance, est

sous-tendu par l’idée implicite selon laquelle, il y a une contradiction entre les deux critères

de performance. Voyons comment cette contradiction engendre des tensions dans nos trois

organisations.

4.3 La contradiction des critères de performance et les tensions générées

Avant de commencer, nous soulignons que cette contradiction est commune aux trois

organisations respectives. Cependant, cette problématique dans la banque ‘C’ se présente

comme plus compliquée. Nous commençons par aborder la problématique de manière

générale, puis, nous expliquerons le cas de la banque ‘C’.

Nous venons de voir que la hiérarchie des performances appliquées selon les types de

situations, prend appui sur la différence dans l’utilisation par les agents des laps de temps

consacré au traitement de la relation. Dès lors, il existe une tension dans le sens où un temps

réduit, préconisé par le critère quantitatif pour traiter une relation ne permet pas une gestion

qualitative digne de ce nom. A l’inverse, prendre son temps pour réaliser bien une prestation

et ajuster les méthodes réduit les chances de traiter un grand nombre de relations. Ceci

explique alors le comportement des agents pendant le traitement d’une relation, où ils

regardent régulièrement le bandeau sur l’écran de l’ordinateur affichant les minutes qui

défilent. Ils tentent ainsi de terminer les discussions dès que le compteur affiche un

dépassement important du temps imparti.

337

Cette contradiction entre les critères de performance est connu de tous les acteurs et se

présente comme l’un des facteurs principaux qui génèrent des tensions entre les agents et

leurs managers. Plusieurs cas relatifs aux tensions générées par la contradiction entre les

critères de la performance sont rapportés par les agents. Un des exemples qui nous semble

récurrent peut être résumé comme suit : bien que la hiérarchie encourage les agents à prendre

un temps relativement large pour gérer les situations complexes, aucun décompte différencié

n’est établi par les managers en fonction du type de situations géré par l’agent. Le temps

consacré à une situation complexe s’ajoute automatiquement au cumul du temps que l’agent a

comptabilisé dans le traitement de l’ensemble de ses coproductions dans la journée. Ainsi, son

temps moyen de traitement des relations sera élevé du fait des situations complexes. Nous

pouvons comprendre l’embarras des agents si on pense que ces derniers ne choisissent ni les

situations à traiter ni leur contenu. Si un agent traite dans la journée, en plus des nombreuses

situations équivoques (consommatrices de temps), une demi-douzaine de situations

compliquées (un cas de figure que les agents estiment fréquent), alors « dans ces cas il vaut

mieux ne pas te renseigner sur ton rendement dans la journée, d’ailleurs c’est pour ça qu’il

est rare de voir quelqu’un chercher après son rendement, car dans les trois quart du temps on

ne traite que des problèmes » Julie (téléopératrice ‘A’).

Si l’on se rappelle que le critère quantitatif vise le court terme alors que le qualitatif a pour

objectif l’instauration d’une relation durable et positive sur le long terme, réduire le temps

consacré à une relation se traduit par une baisse dans le niveau de sa qualité. Or un manque de

qualité peut être fatal pour maintenir une relation positive avec le client à long-terme.

Cette contradiction se présente comme particulièrement significative dans la banque ‘C’.

Dans les organisations publiques ‘A’ et ‘B’, aucun enjeu relatif à la concurrence ne peut être

identifié étant donné que ce sont les seuls organismes, mandatés par l’Etat pour délivrer les

deux types prestations concernées. Donc, en cas de problème dans la qualité de la prestation,

hormis la contestation, le client n’a pas de moyens pour exprimer son mécontentement. Ce

n’est pas le cas de la banque ‘C’ qui évolue dans un environnement concurrentiel, où le client

peut changer de banque s’il n’est pas satisfait de la relation qu’il entretient avec cette banque.

De ce fait, la qualité de la relation apparaît comme un véritable facteur de fidélisation à

manipuler avec précaution. Mais les objectifs à court terme font que les agents sont souvent

tentés de clore une coproduction dans les meilleurs délais au détriment de la qualité de

l’interaction.

338

Par ailleurs, la problématique de la contradiction des critères dans la banque ‘C’ se présente

comme beaucoup plus compliquée que dans les organisations publiques. Cette complication

est due à l’existence d’une autre contradiction à l’intérieur même des objectifs quantitatifs de

la performance. Le sous-conflit oppose le nombre de relations traitées au nombre de produits

vendus. Cette tension est également arbitrée par l’utilisation de la variable temporelle. Par

ailleurs, le nombre de ventes est positivement corrélée à la qualité, et donc à la largeur de

l’intervalle de temps consacrée à une relation. Ces éléments font que l’équation devient très

difficile à résoudre. En résumé, nous avons :

- la qualité de l’interaction dépend fortement du temps qui lui est consacré ;

- la vente d’un produit dépend fortement de la qualité de la prestation, donc du temps

qui lui est consacré193 ;

- le nombre de relations traitées est une fonction inverse du temps consacré à chacune.

Ainsi, le problème qui se pose peut être formulé comme suit : Pour vendre, il faut faire de la

qualité qui, à son tour dépend du temps consacré à la relation, or le rallongement de ce temps

fait que la productivité baisse (nombre de relations traitées). Ceci dit, la solution que les

agents peuvent apporter à cette équation consiste à trouver un équilibre fin dans l’utilisation

du temps consacré à chacune des relations à traiter.

Enfin, pour couronner tout ce que nous venons de rapporter, et cela concerne les trois

organisations, l’introduction de la productivité (rythme de traitement des relations) comme

critère de qualité, renvoyant à la satisfaction du client vis à vis du temps d’attente, fait que la

performance dans les front-offices de ces entreprises est définitivement une question

contradictoire et compliquée à résoudre.

Pour terminer cette première section relative à la description du contexte des relations de

service, nous aborderons un dernier point qui va mettre en évidence que les modèles de la

prescription et de la compétence individuelle sont insuffisant, en fonction des situations, pour

atteindre les objectifs de performance.

193 Rappelons que nous n’abordons ici que la qualité de l’interaction sans inclure celle du produit.

339

5. La compétence individuelle et la prescription ne suffisent pas à elles

seules pour atteindre les objectifs de performance.

Les situations simples et routinières peuvent être traitées par les agents dans un temps

relativement court. Nous pouvons les considérer comme des situations conformes aux

hypothèses et aux attentes de l’organisation. Elles sont prévues et couvertes par des

procédures bien définies par l’organisation. Se rabattre sur les procédures et les contenus

prescrits permet aux agents de traiter ce genre de relation sans difficulté apparente.

Bien que les situations complexes soient difficiles à traiter, les procédures organisationnelles

ont instauré des règles et des consignes particulières pour faciliter leur résolution par les

agents et leur laisse une marge de manœuvre dans l’utilisation du temps et des ressources pour

conclure la relation dans de bons termes.

Le véritable problème se pose dès que l’on passe au traitement des situations équivoques (qui

ne peuvent pas être déléguées aux managers). Elles sont réputées comme particulièrement

délicates à gérer du fait qu’elles sont multiples, ambigües et se renouvellent sans cesse. La

difficulté n’est toutefois pas seulement due à la complexité de la situation, mais aussi au fait

que l’organisation ordonne aux agents de suivre plus ou moins les instructions prescrites,

alors que ces dernières sont généralement en décalage avec les travail réel qu’exige leur

traitement. Ces situations échappent alors au contrôle de l’organisation institutionnelle en

terme de prescription.

Les propos de Fabien (agent au guichet B2) illustrent bien ce cas de figure : «Dans ce travail,

on ne peut pas suivre les consignes à la lettre, il existe 36000 cas différents, la situation n’est

jamais la même,…Il y a toujours quelque chose d’incohérent dans l’histoire…De toutes

façons, si le respect des consignes permettait de résoudre les situations, on aurait été

remplacés facilement par les bornes interactives 194». Les propos de l’agent (métaphore

36000) souligne que la multitude des cas font que l’organisation reste incapable de les

prescrire, étant donné que cela nécessiterait avant tout de les identifier un par un.

L’impossibilité de mettre en œuvre ce dernier schéma explique alors pourquoi la prescription

194 Cette dernière idée évoquée par l’agent nous rappelle que les situations simples s’apparentent aussi à celles qui sont programmées dans les bornes automatiques.

340

ne peut être que standard et incomplète dans son projet d’indiquer aux agents les solutions à

apporter aux situations.

Hormis l’incapacité de la prescription à gérer les situations équivoques, l’autre limite

auxquelles les agents sont confrontés concerne leur niveau de compétence individuelle.

L’hétérogénéité, la complexité et l’imprévisibilité des situations rencontrées, remet sans cesse

en cause les compétences individuelles des agents. Ces limites concernent autant la dimension

cognitive que comportementale. En effet, les agents des trois organisations respectives nous

ont souvent confié qu’il est difficile de faire face à toutes les situations qu’ils rencontrent.

Entre autres, ils soulignent la difficulté de maîtriser toutes les règles qui régissent les

prestations et les produits délivrés par leurs entreprises. Ceci est davantage palpable dans les

organisations publiques ‘A’ et ‘B’ où le nombre de prestation est relativement élevé, où elles

sont gérés par des règles législatives complexes, et qui comportent un nombre non négligeable

de détails auxquels les agents sont fortement incités à y faire attention.

La limite concernant le volet comportemental de l’interaction s’incarne dans la difficulté

qu’éprouvent les agents à contrôler et trouver régulièrement le comportement adéquat à tenir

face à celui du client. D’un côté, les agents sont exhortés à tenir un comportement cohérent

afin de ne pas heurter le client, de l’autre, les agents disent qu’ils ne peuvent pas rester

insensibles aux comportements de ces deniers, dans le sens où parfois ils perdent le contrôle

de la situation, ce qui aggrave généralement le conflit.. Selon Marion (centre d’appels ‘B’),

« dans ce métier, il ne faut jamais prendre sur soi même, en encaissant à chaque fois les

propos du client, tu risques ta santé et tu finiras par quitter ton poste ». Lors de nos séjours,

notamment dans les organisations ‘A’ et ‘B’195, nous avons assisté à plusieurs reprises à des

scènes où les agents s’effondrent en larmes et craquent à la fin de certaine discussions.

A ces deux limites, se conjuguent celle relative à la subjectivité de l’agent qui intervient dans

ses choix et prises de décision, ainsi qu’au niveau du critère de performance à privilégier pour

mener à bien sa coproduction.

Ces nombreuses limites montrent que les situations dans relations de service ne sont pas

évidentes à gérer individuellement par les agents. C’est pour remédier à ces limites que

195 Où les clients, d’après les termes des deux responsables respectifs, profitent des valeurs de service public et n’hésitent pas à abuser de leurs comportements sous prétexte qu’il s’agit de leur droits.

341

l’organisation institutionnelle des front offices confient aux managers la tâche consistant, à

défaut de traiter les coproductions concernées, à épauler les agents en cas de difficulté en

apportant des réponses à leurs sollicitations sur l’orientation, et à proposer des solutions

pertinentes pour résoudre les situations rencontrées.

Il est vrai que dans une partie des cas où les agents se trouvent en difficulté et sollicitent l’aide

des managers, ces derniers se mobilisent et s’impliquent dans le travail de l’agent en tentant

d’apporter la meilleure solution possible. Cependant, ce cas de figure n’est pas courant. Il est

même parfois impossible pour deux raisons. La première raison tient au fait que les

superviseurs ont d’autres tâches à réaliser et ne sont pas, de ce fait, souvent disponibles. Deux

superviseurs (centre d’appel ‘B’ et ‘C1’) nous confient, que lors de leur prise de poste, on leur

a indiqué que leur tâche principale serait de « coacher » les agents et les faire monter en

compétence. Mais, ils disent qu’ils sont surpris par l’importance des tâches administratives

qu’on leur a confiées et qui prennent, selon eux, la quasi-totalité de leur temps de travail.

La seconde raison est liée directement aux compétences de superviseurs, qui sont elles aussi

limitées, malgré leurs expériences et connaissances. Nous avons assisté, et les agents le

confirment, à un nombre non négligeable de situations où les managers se montrent

incapables d’indiquer une réponse claire ou la consigne adéquate permettant de mener à bien

une situation.

Ces éléments que l’on vient d’aborder, (très grand nombre et ambigüité des situations,

incapacité de la prescription à trouver des solutions adéquates, les limites des compétences

chez les agents, et enfin, l’indisponibilité et/ou l’incapacité des managers à fournir une

solution à certaines situations, font que les agents se consultent entre eux, échangent des

connaissances et interagissent fréquemment, en quête de sens et de pratiques pour réaliser

leurs coproductions. C’est ainsi que les Communautés de Pratique émergent dans nos trois

organisations. Les CP se présentent alors comme une ressource, permettant de remédier aux

limites évoquées et viennent en aide aux agents afin de mener à bien leur travail quotidien et

améliorer leur performance. C’est surtout dans ces situations équivoques (intermédiaires) que

ces groupes jouent un rôle primordial dans leur résolution. C’est ce que nous allons tenter

d’expliquer dans la section suivante.

342

Section 2. Emergence des CP dans les relations de service et

impact sur la performance

Cette section a pour objet de répondre aux questionnements soulevés dans la partie théorique,

à savoir, si et comment les CP contribuent à la performance de leurs membres. Pour montrer

les résultats relatifs à ces questions, nous commençons par montrer l’émergence des CP dans

chacun des centres étudié. Nous illustrons au passage les situations de négociations de sens

pour tenter de décrire le modèle de l’apprentissage situé dans les CP évoluant dans ces

centres. Nous verrons également que l’émergence des CP dans ces front-office est fortement

préconfigurée par les distributions spatio-temporelles, et différèrent aussi selon les

caractéristiques de leurs participants respectifs. Les résultats indiquent également que certains

agents ne peuvent pas être considérés comme membres d’une CP (1). Dans le second point,

nous montrons, de différentes manières, que la CP contribue à la performance de ses

membres. Nous expliquerons par la suite les mécanismes qui permettent cette relation, en

montrant, de manière relativement détaillée, comment l’apprentissage et l’échange de

connaissances et pratiques ont un impact à la fois sur la performance quantitative et la

qualitative dans les relations de service des entreprises étudiées.

1. Emergence et identification des CP dans les organisations étudiées

1.1 Emergence des CP comme réponse aux limites des dispositifs

organisationnels. Illustration des caractéristiques des CP et du modèle de

l’apprentissage situé

Dans la section précédente nous avons vu que le contexte des relations de service est

caractérisé par une hétérogénéité et complexité des situations, face auxquelles la prescription

et les compétences individuelles des agents se présentent dans de nombreux cas comme

insuffisantes. En ce sens, ces dispositifs ne permettent pas souvent de trouver des solutions

appropriées aux situations tout en respectant les exigences organisationnelles en termes de

performance. Ceci incite donc les agents à chercher, et de manière quasi-permanente, à

développer de nouveaux savoirs et pratiques afin de mener à bien leur travail quotidien. Ainsi,

343

on assiste à des mouvements d’interactions, verbales et non verbales, entre les agents,

produisant un apprentissage significatif qui leur permet de donner un sens aux situations

vécues et de trouver les solutions adéquates. C’est ainsi que les communautés de pratique

émergent et se développent dans nos trois organisations. Elles se présentent alors comme une

ressource productive de pratiques et de connaissances par et pour ses participants.

1.1.1 Exemple de la négociation de sens d’une situation équivoque

Lors de nos différents séjours dans ces différentes organisations nous avons observé, en

situation de travail (in situ) comme hors situation de travail (ex situ : pauses café et

déjeuners), plusieurs (très nombreuses196) scènes de négociations de sens entre les agents

autour des situations vécues par ces derniers. Nous avons ainsi retranscrit un grand nombre

d’exemples relatifs à cette pratique. Nous vous proposons ici un exemple relatif à une

situation équivoque se déroulant dans le centre d’appels ‘B’, suivie par une négociation de

sens entre certains participants.

Vendredi 27 06 2008, 10h45 (centre d’appel ‘B’)

[Nadine vient de recevoir un appel d’un avocat souhaitant obtenir des informations sur le

dossier d’un client, prétendant que c’est ce dernier qui lui a donné son numéro de dossier et le

mot de passe].

Avant de développer la suite de la situation, nous souhaitons préciser certains

éléments concernant le travail prescrit :

- La règle générale stipule que les agents ne doivent donner des informations à une tierce

personne que si cette dernière apporte des preuves que le client ne sera pas contre. Parmi ces

preuves, on demande à l’appelant de fournir des renseignements précis à propos de l’identité

du client, notamment, celles relatives à la date de naissance, au numéro et le mot de passe du

dossier du client dans l’organisation. La règle indique aussi qu’il y a des exceptions et

énumère 3 ou 4 exemples justifiant ces exceptions. Le cas des avocats n’est pas explicitement

mentionné. La petite liste des exceptions à cette règle est complétée par la phrase : « ou tout

autre cas où la divulgation des informations mettrait le client dans l’embarras ». Ce qui sous

entend que la décision de diffuser une information (ou pas) appartient à l’appréciation

(subjective) que l’agent a de la situation.

196 Nous pouvons dire qu’il ne se passe pas un jour où les agents n’échangent pas des informations relatives aux situations qu’ils ont rencontrées.

344

- La prescription ne dit pas non plus comment répondre et argumenter précisément le motif

du refus au cas où l’agent refuserait de donner des informations.

- Ces deux limites font que Nadine ne peut pas compter uniquement sur la

prescription. De plus, elles mettent en perspective, les choix stratégiques que

Nadine va faire.

Revenons à l’échange

[La coproduction s’engage et les questionnements de Nadine s’enchainent pour vérifier ce

que la règle préconise. Elle semble avoir des doutes sur les motivations réelles de l’avocat,

mais n’arrive toujours pas à se décider de donner ou non des informations à ce dernier].

Cette hésitation reflète les limites des compétences individuelles et celles

inhérente à la subjectivité qui interviennent dans les choix et les décisions à

prendre par l’agent.

Puis elle répond :

Nadine : « je pense qu’il serait préférable monsieur que vous nous rappeliez lorsque le client

en question sera dans votre bureau et après qu’il nous ait donné directement l’autorisation de

vous délivrer ces informations ».

(A la fin de la coproduction, nous avons appris qu’après cette réponse de Nadine)

[l’appelant persistait en prétendant qu’il n’y a rien de problématique dans l’histoire et qu’il

s’agit d’une simple vérification de certains éléments mal retranscrits sur son fichier].

[Karim et Elsa, deux agents qui se trouvaient non loin de Nadine (ils n’étaient pas en

situations de coproduction) suivaient la prestation de cette dernière. Ils semblent qu’ils ont

bien compris la problématique].

Pour rappel, le fait de comprendre rapidement la situation correspond à l’un des

indicateurs qui permettent de caractériser l’appartenance à une CP.

[Karim fait signe à Nadine avec sa tête exprimant de ne pas donner les informations, et Elsa

prononce : « secret professionnel »].

345

[Nadine semble suivre les conseils de ses collègues et annonce : « Je ne peux pas vous fournir

les informations que vous demandez, je suis tenue au secret professionnel. Je vais devoir

écourter la discussion. En vous souhaitant une bonne…». Quelques secondes après, elle

prononce « à vous aussi monsieur ». Puis elle raccroche.

[Fin de la coproduction]

Cet exemple de situation ambiguë peut être considéré comme un modèle type des

nombreuses des situations intermédiaires auxquelles les agents font face régulièrement dans

leur travail. Elle n’est pas simple à gérer car elle sort de la routine organisationnelle, mais ne

relève pas non plus des cas que les agents sont sensés transmettre à leur managers, car il ne

s’agit pas d’une urgence particulière. Du point de vue des modes opératoires, bien que la

relation est censée être réalisée individuellement (et ça le reste aux yeux de l’organisation),

nous avons vu que Karim et Elsa se sont impliqués dans le travail de Nadine et qu’ils ont

permis de dépasser les limites de la prescription et de la compétence individuelle

(subjectivité) de Nadine, en l’aidant à proposant une solution relativement plus efficace.

Cette situation s’est ensuite prolongée. Lors de la pause déjeuner (12h15), les trois agents,

rejoints par deux autres agent (Florent et Lynda), se sont mis à discuter à propos de la

situation vécue par Nadine. On assiste alors à un véritable processus de négociation de sens

et de réification de pratiques.

- Nadine : tout à l’heure j’ai eu un avocat au tel. Il voulait des renseignements sur un client.

Je ne le sentais pas trop. C’était un peu louche… J’ai refusé de lui donner des

infos.

- Karim : t’as bien fait.

- Florent : t’as répondu quoi pour le virer ?

- Nadine : bah, au début j’ai dit qu’il rappelle avec le client. Mais le mec il ne voulait pas

lâcher. Il disait, ouais, mais c’est juste pour vérifier des infos que le client lui a

donné. J’ai dit que je suis tenu au secret professionnel. Au fait, merci Elsa de me

l’avoir dit

- Lynda : si t’as des doutes vaut mieux ne pas donner. Tu sais, il est possible qu’il ne soit pas

l’avocat du client …. T’sais, peut être que le client est en ID (instance de divorce)

346

et que c’est sa femme qui a chargé l’avocat pour faire sa p’tite enquête sur ce

qu’il perçoit de la ‘B’!

- Elsa : au fait il a répondu quoi quand t’as dit « secret professionnel » ?

- Nadine : il m’a dit Ok alors je comprends, je vous souhaite une bonne journée !

- Florent : si c’était moi, même pas me casser la tête, bonne journée et je rac (raccroche)

direct !

- Lynda : ah non, j’suis pas d’accord avec toi Flo (Florent). C’est bien de lui faire

comprendre que ce n’est pas possible de donner les infos, sinon, il rappellera une

autre fois. Nadine l’a remis à sa place, comme ça, non seulement il a compris

pourquoi, en plus je suis sûre qu’il ne va pas revenir.

- Florent : c’est vrai, c’est vrai, je pense que t’as raison. Puis, il a compris aussi qu’on n’est

pas nul… Tu sais, les gens n’attendent que ce genre d’erreur pour te mettre dans

le journal du lendemain…Et dire qu’à la ‘B’ ils sont nuls …comme, …vous vous

rappelez de l’histoire de Christophe l’été dernier.

[Les autres répondent qu’ils se rappellent bien de cette histoire].

Ces interactions informelles qui viennent de se dérouler entre les agents montrent comment

ces derniers négocient le sens de la situation vécue par Nadine. Ça permet de tirer le

maximum d’informations relatives à la situation en question et développer des arguments et

des pratiques à mettre en œuvre dans les cas à venir, relatifs à des situations relevant du même

registre.

Ainsi nous venons de présenter une illustration de ce que peut être le processus de négociation

de sens dans les front offices étudiés. Les savoirs échangés et les pratiques élaborées de

manière informelle s’apparentent parfaitement à ce que les théoriciens de l’apprentissage situé

qualifient de savoir situationnel à caractère expérientiel, négocié et réifié à travers les

interactions dans les CP.

1.1.2 Les caractéristiques épistémique et structurelles de la CP

A partir de l’analyse conversationnelle que nous venons de présenter, plusieurs éléments

reflètent les caractéristiques des CP, qui rappelons le, sont globalement le processus de

négociation de sens « la participation et la réification », et les dimensions communautaires

« engagement mutuel, répertoire partagé et entreprise commune ». Nous précisions ici

quelques uns de ces éléments pour en développer d’autres au moment opportun.

347

� La « participation » des agents à travers leurs échanges pour l’analyse de la situation :

dans un premier temps, nous avons le récit de la coproduction par Nadine, les actions

mobilisées par cette dernière et la façon dont la coproduction a été close. Puis, l’échange

des points de vue (entre les agents), apportant des explications autour des pratiques

utilisées (refus de donner des informations et l’argument utilisé « secret professionnel »),

cherchant à démontrer en quoi cela peut être pertinent pour mener à bien ce genre de

situations de coproduction.

Cette participation représente l’« engagement mutuel » des agents dans les activités de la

communauté.

� La « réification » de cette pratique après échanges des opinions, convergentes et

divergentes à propos de la pratique en question.

� Les références communes dont les agents disposent : ils connaissent tous l’histoire de

Christophe à laquelle Florent fait allusion. Ceci indique que les agents disposent bien

d’un « répertoire partagé ». Ce dernier sera enrichi par la nouvelle pratique qui vient

d’être réifiée.

� La volonté des agents de préserver une bonne image de leur collectif des téléopérateurs

afin de défendre leur « entreprise commune ». Notons que nos observations révèlent des

styles de conversation et des comportements montrant que les interactions se font sans

protocole. D’autres signes indiquent l’existence de coutumes et de traditions locales

propres à ce groupe. Comme nous pouvons le remarquer, l’intervention d’Elsa et de

Karim en situation de travail s’est faite sans préambule en s’ingérant directement dans le

travail de Nadine. Cette dernière de son côté n’a pas montré de signe qui pourrait

exprimer un mécontentement vis-à-vis de ces collègues. Au contraire, elle a utilisé leurs

propositions.

� Enfin, le souci qu’ont les agents de l’image de leur organisation, nous rappelle que les CP

ne se renferment pas sur elles mêmes et s’alignent sur les mêmes objectifs que ceux de

l’entreprise où elles se développent (cf. Chapitre 1).

C’est suivant ce modèle informel que les négociations de sens des expériences dans les front

offices prennent formes et se développent entre les participants des apprentissages informels

348

situés197, échangeant et développant des savoirs situationnels à caractère expérientiel. Ceux-ci

donnent naissance et formes aux communautés de pratique. Comme nous venons de le voir,

l’engagement mutuel dans les échanges abouti à une réification d’une pratique qui,

vraisemblablement, sera mobilisée à nouveau dans des cas relativement similaires. Celle-ci

s’ajoutera alors aux références communes précédentes et alimentera de ce fait leur répertoire

partagé. Cette pratique a permis de remédier à l’incapacité de la prescription à préciser ce

qu’il faut faire dans ce genre de situations imprévues, et à dépasser la subjectivité des salariés,

étant donné que la pratique développée est le fruit d’un processus collectif qui tend à avoir des

résultats plus efficaces.

Par ailleurs, comme nous pouvons le remarquer dans cet exemple, l’apprentissage situé et

entre pairs peut se dérouler en situation et/ou hors situation de coproduction. La plupart de

nos observations dans les trois organisations respectives, montrent que le processus

d’apprentissage dans ces CP suit de près ce modèle. C’est ce que nous allons tenter de

schématiser dans le point qui suit.

1.2 Modèle de l’apprentissage « situé et entre pairs » dans les front offices

Lors de nos séjours dans les trois organisations, nous avons retranscrit un très grand nombre

d’exemples où un apprentissage situé se déroulant entre les membres de la CP permet à ces

derniers de donner un sens aux situations vécues, de transférer des informations à propos des

expériences vécues, et de produire collectivement des connaissances indispensables pour

mener à bien leur travail quotidien. Avant de caractériser ce modèle d’apprentissage, en plus

de l’exemple précédent, nous vous proposons trois autres illustrations tirés de nos recherches

dans chacune des trois organisations.

Le premier exemple est relatif à une situation d’interactions entre les membres d’une CP

évoluant dans le centre d’appels ‘A’. C’est un exemple qui peut sembler banal et ordinaire,

dans le sens où il est fort possible que nous avions tous vécu un jour ce genre de situation. Il

est néanmoins particulièrement intéressant pour décrire le fonctionnement d’une CP.

197 Certes les échanges ici se sont intervenus a posteriori, mais les connaissances échangées concernent une situation bien précise.

349

Mercredi, 14 02 2007, en fin d’après midi

[Bastian, renseigne un client sur les dates d’ouverture des droits d’attribution d’une prestation.

Il lui indique qu’il y a un effet rétroactif quelle que soit la date de sa demande, donc pas de

délai à respecter. Après avoir raccroché :

- Vanessa (qui n’était pas en contact avec un client, a écouté la conversation)] : « Non,

Bastian, les droits s’ouvrent à compter de la date de la demande ».

[Bastian regarde Christelle et lui demande si elle est d’accord avec Vanessa].

- Christelle : «Oui, regarde dans AD (logiciel Adhoc) pour confirmer. Fais une copro

(fiche de coproduction) pour qu’un Tech (Technicien) le rappelle, sinon, ouvre RCR (un

logiciel), prends son tel et rappelle-le ». [Aussitôt, Bastian consulte le logiciel, mais avant

de rappeler le client, il a demandé aux collègues de lui expliquer davantage les règles pour

mieux argumenter sa réponse].

On assiste alors à une discussion technique entre les agents, ayant permis

d’éclairer la situation et de développer les arguments nécessaires pour

accompagner la réponse à formuler aux clients dans ce genre de registre.

Comme nous pouvons l’apercevoir ici, la négociation de sens de l’expérience vécue a permis

l’apprentissage de Bastian, qui vient d’acquérir manifestement une connaissance qu’il ne

possédait pas avant que cette situation se présente. Nous pouvons aussi dire que les autres

agents ont bénéficié de cette négociation de sens étant donné que c’est une occasion qui a

permis de confronter les points de vue et de dégager des arguments, élaborés de manière

collective pour bien résoudre ce genre de situation. Par ailleurs, comme dans le précédent

exemple, il est important de rappeler que l’organisation considère que Bastian est sensé

réaliser ses tâches seul, alors que cette situation montre c’est tout le collectif présent au

moment des faits qui s’y implique. On voit alors que c’est grâce à l’engagement mutuel dans

sa CP que Bastian a corrigé son erreur auprès du client (et assuré la qualité de sa prestation).

La seconde illustration que nous avons choisie, concerne un verbatim d’un agent du guichet

‘B1’, Hubert, qui donne un signe sur l’importance de ce type d’apprentissage pour les agents :

«Avant, je travaillais dans le service traitement. On m’a transféré ici sans formation sur la

gestion de la relation client … C’est grâce à mes collègues qu’aujourd’hui je maîtrise bien

mon travail, notamment Greg, qui a fait l’accueil depuis des années. Je m’assois à côté de lui

350

au pôle (guichet), je lui pose des questions régulièrement, et j’observe comment il gère les

situations conflictuelles… En plus, il m’apprend des astuces pour rester calme avec les

clients. Des fois, il intervient dans des situations que je n’arrive pas à gérer ».

Les propos d’Hubert sont suffisamment argumentés pour comprendre tout l’enjeu et les

bénéfices que les agents tirent de l’apprentissage situé qui se déroule entre eux.

Le dernier exemple est un extrait d’une discussion entre trois téléopérateurs dans le centre

d’appels de la banque ‘C’ lors d’une pause café. Sébastien et Alain, deux agents

manifestement « bons vendeurs » donnent des conseils à un autre agent, Robert, sur les

techniques de vente. Avant de présenter cette négociation de sens, nous apportons à votre

connaissance le fait que les agents sont invités à faire « de temps à autre » des gestes

commerciaux (10% de réduction) aux clients désirant contracter une nouvelle prestation.

- Robert : « Seb (Sébastien), comment ça se fait que tu fais autant de ventes toi ? »

- Sébastien : « Je pense savoir où est ton problème à toi. Il faut que tu proposes des gestes

(commerciaux) dès les premières com (communications). Au fait, l’idée c’est de ne pas

attendre à ce que le client te fasse signe qu’il a envie d’acheter. Il faut proposer des réduc

(réductions) tous le temps…sauf si tu ne sens pas le client… une fois que t’as fait tes

ventes, tu y vas zen ».

- Alain : « Et ne laisse pas non plus jusqu’à la fin de la journée pour faire ton quota…,

sinon, tu vas être stressé et tu forces sur le client, tu risques de le bousculer et il te

raccroche au nez après, et peut être il ne reviendra plus ! (en riant) ».

Notons que les superviseurs invitent les salariés à faire les gestes commerciaux lorsque le

client ne se montre pas très séduit par l’offre proposée. Ici, manifestement, Sébastien et Alain

conseillent une autre méthode, consistant à faire des gestes quasiment tous le temps, et une

fois le quota des ventes fixé soit atteint, à ce moment-là seulement, ils appliquent les

indications des superviseurs et proposent les gestes commerciaux occasionnellement, si

besoin. Cette stratégie se présente alors comme une pratique informelle qui s’avère d’après les

agents, plus pertinente que la méthode institutionnelle.

Enfin, notons aussi que la dernière phrase d’Alain, en riant, « … ne reviendra plus ! » fait

allusion à l’idée que le client clôt son compte et change de banque. En ce sens, les conseils

prodigués par Alain montrent qu’ils sont soucieux de la fidélisation des clients vis à vis de

leur banque et de l’image véhiculée.

351

A partir des exemples rapportés ici, ainsi que d’autres exemples, similaires, que nous avons

observés dans les trois organisations, nous pouvons résumer le modèle de l’apprentissage

situé des agents opérants dans le front office, comme pouvant se dérouler dans une seule

séquence, que nous désignons par le niveau 1, ou cumulés sur deux séquences, niveau 2. (Un

résumé est proposé dans le tableau 8, ci-après).

� Niveau 1 : l’apprentissage se déroule uniquement en une seule séquence, soit en situation

de coproduction soit hors situation de coproduction.

L’apprentissage en situation de coproduction peut prendre à son tour deux formes : la

première se déroule à travers des interactions « non verbales », c’est à dire, les agents

apprennent à travers l’écoute et l’observation d’un agent en communication avec un client.

La seconde forme est « verbale ». Les agents interviennent pendant la situation de

coproduction (exemples de Nadine (B) et Bastian (A)) et construisent collectivement des

connaissances pour bien gérer la relation avec le client.

L’apprentissage hors situation de coproduction prend une forme essentiellement verbale, où

les agents font un retour sur une situation vécue par un agent, dont ils négocient le sens

collectivement pendant leurs pauses (café, déjeuners).

� Niveau 2 : il s’agit ici du cumul des deux cas de figures précédents et il se présente

comme un apprentissage plus approfondi. Après les interactions verbales et/ou non verbales

pendant la situation de coproduction, l’apprentissage se poursuit au delà de la situation de

coproduction, soit pendant les pauses où les agents reviennent sur leurs expériences pour en

négocier le sens et produire des connaissances, ou bien directement après la fin de la

coproduction en question. Par exemple, après qu’un agent ait écouté et observé son collègue

en situation de coproduction, il pose des questions à ce dernier sur l’objet de la demande du

client, sur ce qu’il a répondu, pourquoi a-t-il procédé ainsi, etc. Il est à signaler que ce type

d’interaction est très fréquent. Ainsi, nous ne pouvons pas réduire l’apprentissage via les

interactions non verbales à un apprentissage par « imitation », car dans la plupart des cas, les

discussions sont déclenchées entre les acteurs à propos de l’expérience qui vient d’être vécue.

Cependant, ces échanges sont permis notamment lorsque le flux des clients est relativement

faible198. Ce cas de figure concerne particulièrement les personnes opérant sur des postes de

travail voisins, d’où le rôle important de l’agencement spatial (et temporel), qui peut favoriser

(ou au contraire entraver) ce genre d’apprentissage (nous développerons ce point plus loin).

198 D’ailleurs, nous avons assisté à plusieurs reprises où la discussion reste inachevé et les agents s’entendent à la reprendre et terminer plus tard.

352

Ces différentes formes d’apprentissage situé se déroulant entre les pairs dans les front-office

peut être résumé dans ce tableau (8) comme suit :

Tableau 8 : Modèle de l’apprentissage « situé et entre pairs » dans les front-office

Pendant les situations coproduction Après les situations de coproduction

- Interactions non-verbales : observation

et écoute d’un agent en communication

avec un client ;

- Interactions verbales : échange

pendant la situation de coproduction

(intervention des collègues)

Apprentissage

Niveau 1

(une seule

séquence) - Négociation de sens autour de la

coproduction, intervenant lors les pauses

(café, déjeuners).

Apprentissage

Niveau 2

(cumulé sur

deux séquences)

Interactions verbales et/ou non verbales

pendant la situation de coproduction

Poursuite de l’apprentissage en retournant

sur la situation et négocier le sens de cette

dernière, soit directement après la

coproduction, soit pendant les pauses.

Dans le cas que nous venons de présenter, l’analyse conversationnelle des négociations de

sens permet de relever des caractéristiques types des CP qui se forment dans les relations de

service. Les exemples observés ont permis de montrer comment l’apprentissage situé et entre

pairs peut se dérouler, et comment le savoir expérientiel se négocie et aboutit à la production

d’autres savoirs situationnels qui seront mobilisés dans les situations à venir.

Cependant, la description des processus d’apprentissage n’est pas suffisant pour bien

identifier et délimiter, voir distinguer les CP des autres formes de groupes, notamment celui

du service où évoluent les agents. Dans le point qui suit, nous allons essayer d’identifier les

CP dans chacun des centres étudiés, car comme nous allons le voir, certains facteurs tels que

353

l’agencement spatio-temporel des agents influence considérablement la configuration de ces

groupes.

1.3 L’émergence des CP dans les front offices : fortement préconfigurée par

les distributions spatio-temporelles et les caractéristiques de leurs

participants respectifs. Certains salariés n’appartiennent à aucune CP

Nos recherches dans les trois organisations font ressortir que les CP évoluant dans ces

dernières montrent certaines caractéristiques communes. Cependant, nous n’avons pas estimé

pertinent de dresser une typologie des CP sur la base de ces caractéristiques communes, pas

seulement pour éviter le risque de provoquer une confusion chez le lecteur vue le nombre

d’unités étudiées, mais surtout parce que plusieurs autres éléments sont déterminants dans

l’identification et la caractérisation des CP observées. Il s’agit des caractéristiques

organisationnelles relatives à chacune des entreprises respectives où les CP émergent et

évoluent. Nous retrouvons ainsi certains points abordés dans notre revue de littérature, à

savoir les liens entre les CP et le design institutionnel, ainsi que le rôle de la dimension

« spatio-temporelle » dans l’émergence et la configuration des CP (cf. chapitre 1). Nous avons

indiqué alors que cette dimension est abordée par Wenger (1998) et les autres de manière très

sommaire, en annonçant que les participants ont besoin (naturellement) d’espace et de temps

pour échanger. En ce qui concerne nos recherches, cette dimension présentée ainsi ne reflète

pas toute l’importance que cette dernière joue dans la pré-configuration des CP. En outre,

d’autres caractéristiques organisationnelles relatives, entre autres, à la nature de l’activité

exercée, aux objectifs poursuivis, aux statuts des participants et à la nature des connaissances

échangées, etc. influencent également la naissance et la configuration de ces groupes. Nous

avons donc décidé de présenter nos CP en les rattachant à leurs contextes organisationnels,

c’est à dire, en restituant chacune d’elles par rapport au front office dans lequel elle évolue.

Par ailleurs, les CP qui se forment dans les organisations sont difficiles à différencier des

collectifs présents dans les services où elles évoluent. A premières vue, nous étions tentés de

dire que tous les agents évoluant dans chacune des unités visitées forment une et seule CP.

Mais, notre démarche, fortement ethnographique, à travers l’observation ciblée et l’analyse

fine des mouvements des interactions entre les agents, révèle que c’est loin d’être le cas. Non

354

seulement il peut exister plus d’une CP qui cohabitent dans un même centre, mais nos

analyses montrent aussi que certains agents n’appartiennent à aucune CP. Dans ce qui suit,

nous allons donc identifier les CP dans chacune des organisations étudiées, en rapportant à

chaque fois les signes particuliers qui les caractérisent. De nombreuses données précises

seront utilisées pour clairement identifier les différentes CP évoluant dans chacun des centres

étudiés. Nous proposerons un résumé à la fin de ce point, en dégageant l’essentiel des

caractéristiques relatives aux différentes CP identifiées, pour ôter une éventuelle confusion et

faciliter la compréhension de notre présentation.

1.3.1 Organisation ‘A’ : Le centre d’appels s’apparente à une constellation de CP.

Contrairement à ce que l’on pouvait attendre, les entretiens et les observations démontrent que

cette plateforme téléphonique ne constitue pas une seule et même CP, mais plusieurs

communautés199. L’agencement spatial (voir schéma ci-dessous) qui contribue à structurer des

petits groupes influence également l’intensité des niveaux d’interaction entre les agents. Il

ressort aussi que certains agents ne forment pas/ n’appartiennent pas vraiment à une CP.

199 D’un point de vue méthodologique, ce constat révèle que finalement l’étude de ce centre d’appels est en soi une étude de cas encastrés / imbriqués (et non simple) étant donné que notre unité d’analyse est la CP.

355

Box 1 Box 2 Box 3

Cloisons de

séparation

Box 4

Box 5 Box 6 Box 7

Figure 5 : Architecture des postes de travail sur la plate-forme téléphonique ‘A’

Poste 23

Poste 22

Poste 20

Poste 17

Poste 21

Poste 19

Poste 18

Poste 24

Poste 25

Poste 26

Poste 27

Superviseur 1

Superviseur II

Poste 13

Poste 14

Poste 16

Poste 12

Poste 15

Poste 7

Poste 6

Poste 4

Poste 5

Poste 2

Poste 1

Poste 8

Poste 9

Poste 10

Poste 11

Poste 3

356

Comme nous pouvons l’apercevoir sur ce schéma, l’architecture de cette plateforme montre

que les postes de travail sur lesquels les agents opèrent sont regroupés dans ce que le jargon

de la plateforme qualifie de « Box », séparés par des cloisons d’une hauteur d’environ 1m80

chacune.

- Les box 1 et 5 regroupent 5 agents, les box 2 et 6 comptent 4 agents chacun,

- les box 3 et 7 regroupent quant à eux 2 agents chacun,

- le box 4 diffère des autres dans le sens où quasiment chaque poste est séparé de l’autre par

les cloisons. D’après le responsable du centre d’appels, ces cloisons dans le poste 4 (au

milieu de la salle) sont dues à des contraintes techniques relatives aux raccordements des

fils, etc.

Cette configuration fait que les interactions entre les agents est surtout fonction de leur

proximité spatiale, délimitée par les cloisons qui séparent un box d’un autre. En effet, les

interactions les plus fréquentes sont enregistrées pendant les situations de travail. Les

échanges entre les agents, mais aussi, les interactions non-verbales à travers l’observation et

l’écoute des conversations d’un téléopérateur, sont courantes. Ceci se déroule le plus souvent

entre des agents appartenant au même box. De ce fait, on constate des niveaux d’interactions

différents d’un box à un autre, du point de vue de leurs intensités et de la richesse de leurs

contenus. Elles sont corrélées aux nombres de participants composants chacun des box et à la

possibilité d’interagir.

Nos observations révèlent ainsi des interactions multilatérales très intenses et soutenues dans

les boxes 1, 2, 5 et 6. La principale raison de cette intensité vient de la possibilité même

d’interagir à l’intérieur du box et du nombre de salariés susceptibles d’y participer. Le nombre

de salariés relativement élevé par rapport aux autres box se traduit par un nombre

d’expériences échangées qui est lui aussi relativement élevé. Ceci fait que l’apprentissage

situé et entre pairs qui se déroule entre les membres est relativement intense et riches en

termes de connaissances échangées.

En revanche, les interactions se présentent comme faibles dans les box 3 et 7. Contrairement

au cas précédent, le nombre réduit des participants dans chacun des deux box (deux agents)

fait que les interactions sont bilatérales et ne concernent dans la plupart des cas que les

expériences vécues en même temps par les deux agents concernés. L’apprentissage situé ne

s’y fait pas au même rythme que dans les box précédents et il apparaît comme relativement

357

pauvre au niveau cognitif. Enfin, dans le box 4, que les interactions sont minimes pour ne pas

dire inexistantes. Les cloisons qui séparent les postes des agents se présentent comme des

barrières qui ne facilitent pas les échanges, entravent les discussions et l’observation mutuelle

en situations de travail. Dès lors, un apprentissage situé ne semble pas pouvoir vraiment se

dérouler au niveau de ce box. Bien sûr, les agents se lèvent parfois et se rapprochent pour

échanger quelques discussions. Néanmoins, du fait de l’intensité de l’activité, cette pratique

est rarement possible.

Cette situation, liée à la distribution spatiale qui se veut déterminante dans la formation des

groupes et les niveaux d’interactions associés, est parfois renforcée par le planning des pauses

(café et déjeuners) qui est programmé pratiquement toujours (sauf exception) suivant

l’agencement des box. Dans plusieurs cas, nous avons remarqué que chaque box se voit

attribué un créneau horaire précisant les horaires des pauses (les créneaux sont modifiés toute

les semaines). Ainsi, les participants appartenant à un même box auront la possibilité

d’échanger et d’interagir à nouveau pendant leurs pauses, et négocier de ce fait les sens des

expériences vécues. Ceci leur permettra éventuellement de passer à un apprentissage situé de

« niveau 2 » (cf. supra). D’ailleurs, nos observations montrent que les moments de pause sont

les seuls espaces qui permettent aux agents opérant dans le box 4 d’échanger un peu, entre

autres, à propos de leur travail (ce qui s’apparente au niveau 1 de l’apprentissage). Il faut de

plus ajouter que ces occasions restent rares également.

La différence dans les niveaux d’interactions n’est pas le seul facteur indiquant qu’il y a des

CP distinctes, car ces box (1, 2, 5, 7) où nous considérons leurs groupes respectifs comme

relativement actifs dans la formation des CP, se différencient les uns des autres par leurs

entreprises communes (les complicités et des relations soutenues que l’on peut observer chez

les agents appartenant au même box). Par leurs répertoires partagés (les styles, méthodes,

jargons, pratiques, comportements et habitudes ne sont pas les mêmes dans tous les box ). Par

exemple, le box 1 a une façon particulière de parler et de s’habiller. Dans le box 5, les agents

aiment jouer aux mots croisés et les agents du box 6 sont connus pour leur lecture des

magazines people.

Ces différences sont cristallisées dans des noms spécifiques puisque le box (1) est surnommé

par les agents de la plateforme le «club des impitoyables », en référence à leur pratiques et

méthodes, rigoureuses, dans leur façon d’aborder les clients et de gérer les coproductions. Ce

groupe entre en contraste avec celui du box (6) qui se voit attribué le nom de « club des

358

serviables », en référence à leurs approches dans la gestion des coproductions, qui se veulent

sensibles et empathiques vis-à-vis des situations des clients.

Les deux autres groupes (box 2 et 7) n’ont pas de surnoms, mais chacun d’entre eux

mobilisent parfois certaines pratiques, méthodes de travail ou styles d’engagement spécifiques

qui montrent que des collectifs existent dans chacun de ces box (notamment dans leurs façons

de parler respectives)

Ces groupes ne sont pas radicalement différents les uns des autres car les agents partagent les

mêmes règles et contraintes organisationnelles. La distribution spatiale (et temporelle) ne

supprime pas toutes les caractéristiques organisationnelles communes à ces agents. Toutefois,

une période d’observation relativement longue, couplée à une analyse fine des caractéristiques

qui permettent d’identifier les CP permettent d’identifier ces différences. Il est d’ailleurs

intéressant de noter qu’une grande partie de ces nuances échappent au regard de la plupart des

acteurs de l’organisation, à commencer par le responsable de la plateforme, les superviseurs,

et même certains salariés.

Etant donné les différents éléments rapportés ici, nous pensons qu’il est possible de considérer

les agents appartenant aux box 1, 2, 5 et 7 comme formant de vraies communautés de

pratique. Au fait, l’exemple que nous avons présenté auparavant qui illustre des échanges

entre Bastian, Vanessa et Christelle (où ces dernières ont permis au premier de corriger son

erreur), s’est déroulé dans le box 2.

Quant aux box 4, 3 et 7, l’inexistence ou la faiblesse des interactions et l’absence de marque

distinctives de ces groupes, nous amènent à ne pas considérer ces groupes comme des CP.

Enfin, notre observation nous a permis de constater qu’il existe sur la plate-forme deux

agents, relativement actifs en matière de construction des liens entre les différents box. Ils

appartiennent respectivement aux box 2 et 6. Ils se déplacent et diffusent parfois des

informations aux autres agents de la plateforme. En suivant les travaux de Wenger (1998),

nous les qualifions de « courtiers ». Ils permettent d’échanger des connaissances et des

pratiques sur une échelle inter CP. Ainsi, nous pouvons considérer, malgré les cas des box 3,

4 et 7, que la plateforme téléphonique se présente comme une communauté des communautés

(Brown et Duguid 1991) ou une constellation des communautés de pratique (Wenger, 1998)

(cf. chapitre 1).

359

1.3.2 Organisation B : Les caractéristiques des participants aux CP peuvent être

hétérogènes.

A l’instar de ce qu’a été dit sur le rôle déterminant de la distribution spatiale dans le centre

d’appels ‘A’, ici aussi, l’agencement des postes de travail influence la configuration des CP,

mais dans une perspective relativement différente. Comme nous allons le voir dans ce qui

suit, les caractéristiques fonctionnelles et statutaires des agents composants certaines CP sont

hétérogènes et ceci influence le fonctionnement des CP.

1.3.2.1 Centre d’appel ‘B’

La configuration spatiale200 de ce centre d’appel ne ressemble pas à celle du centre ‘A’. Les

postes de travail sont regroupés à chaque fois par 4. Ces postes sont configurés sur un même

bureau séparés par deux petites barrières en forme de croix, ce qui fait qu’elles sont

dénommées « marguerite » sur la plate-forme201. Ici, les petites barrières ne ressemblent pas

aux cloisons que nous avons rencontrées dans le centre d’appels ‘A’. Leur hauteur est

relativement petite (environ 40 ou 50 centimètres) et elles servent uniquement à délimiter

l’espace du bureau alloué à chacun des 4 agents partageant le même bureau de travail. Cette

délimitation ne présente en aucun cas un obstacle pour les interactions entre les agents.

La plateforme téléphonique comprend deux salles :

- une grande surface qui comprend dix marguerites, regroupant des agents traitant les appels

des clients. Les marguerites sont espacées d’environ un mètre, sans aucune cloison.

- une petite salle au fond (séparée par des murs) où sont disposées deux marguerites. Une

d’entre elles est occupée par un groupe des quatre agents, affectés au traitement des appels

émanant des professionnels. En cas d’absence de ce type d’appels, ils reçoivent comme les

autres des appels émanant des clients (cf. chapitre méthodologie). L’autre marguerite de

cette petite salle est occupée par quatre agents qui se consacrent aux appels des clients

(comme leurs homologues dans la grande salle).

200 Etant donné qu’il est relativement difficile pour nous de présenter un schéma graphique de la disposition des postes de travail, nous nous contentons ici de rapporter les éléments qui nous semblent les plus déterminant dans la configuration des CP dans ce centre. 201 Cette appellation est relative à la fleur portant le même nom.

360

Enfin, les bureaux des superviseurs sont alignés et collés au mur dans la grande salle. Ils

permettent aux managers d’avoir une vision sur les agents opérant dans cette dernière.

Quant à la distribution temporelle (des pauses), elle ne suit aucun schéma rigide. La

planification des horaires change et les agents peuvent demander aux managers à avoir tel ou

tel créneau.

Dans ce centre, l’intensité des interactions est élevée entre les agents. On note des

mouvements dans tous les sens, à l’image d’une ruche en effervescence202. Contrairement aux

cas observés dans le centre d’appel ‘A’, les différents marguerites situés dans la grande salle

de cette plateforme ne semblent pas constituer des CP distinctes. Les agents interagissent

autant avec ceux avec qui il partage sa marguerite qu’avec les autres agents installés sur les

marguerites adjacentes (celles-ci sont situées à moins d’un mètre les unes des autres). Les

interactions entre les agents se font donc aussi inter-marguerites et l’apprentissage se déroule

alors à une échelle relativement large.

Bien évidemment, on note une interaction relativement plus intense, non verbales notamment

(par exemple à travers l’observation et l’écoute d’un collègue en situation de coproduction)

(cf. l’exemple précédent impliquant Nadine, Elsa et Karim – cas de l’avocat qui demande des

informations sur un client) entre les agents appartenant aux marguerites les plus proches.

Toutefois cela n’est pas suffisant pour développer des pratiques et des styles propres pour

permettre d’identifier des CP distinctes. Ainsi, il nous semble que les agents opérant dans la

grande salle forment une seule et large CP.

Par ailleurs, il nous semble que les huit agents regroupés dans la petite salle forment une CP

différente de celle de la grande salle. Cette différence peut être appréciée par rapport au

« répertoire des connaissances et des compétences partagées » dont disposent ces huit agents,

qui se veut plus riche que le répertoire partagé de la CP de la grande salle. En effet, nous

avons ici quatre agents qui traitent des appels émanant des clients et les quatre autres agents

sont chargés des appels des professionnels. Les interactions et les négociations de sens que

nous avons pu observer chez ces agents, portent sur les deux types d’expériences vécues

(relations avec les clients et relations avec les professionnels). Grâce à l’apprentissage situé

202 Nous avons remarqué que l’intensité des interactions dans les centres d’appels étudiés est relativement plus élevée que celle observée aux guichets. Cela est dû non seulement au nombre relativement élevé des salariés dans ces centres d’appels, mais aussi au fait que ces agents ne sont pas visibles pour les appelants. La présence des clients freine les interactions et les mouvements des agents.

361

généré par ces interactions, remarquablement intenses entre les deux groupes, les agents ont

développé des connaissances multiples et des compétences polyvalentes, dans le sens où ceux

qui s’occupent des clients ont des connaissances sur les relations de service avec les

professionnels, et ceux qui sont chargés de ces dernières actualisent régulièrement leurs

connaissances et informations sur la relation client. Nous estimons que l’intensité des

interactions, le répertoire partagé, les perceptions communes qu’ils ont à propos de la relation

avec le client et les professionnels, leurs styles et pratiques, etc., font que les agents

appartenant à ces deux groupes ne peuvent pas être qualifiés seulement de « courtiers » se

déplaçant entre deux CP, mais ils constituent tous une seule et même communauté.

Notre analyse est renforcée par les avis des superviseurs de la plateforme, qui confirment que

contrairement aux agents de la grande salle qui leur posent des questions lorsque ces dernières

comportent un volet relatif aux professionnels, les agents de la petite salle, chargés des

relations clients ne les sollicitent pas pour ce genre de situations. En ce qui concerne les

agents chargés des professionnels, les superviseurs disent qu’ils sont impressionnés par le fait

qu’ils se montrent compétent sur les deux volets, alors que leur métier principal est centré sur

les professionnels et qu’ils sont supposés avoir des faiblesses au niveau des relations client,

étant la complexité et l’évolution des règles qui gèrent les prestations.

Ainsi, les agents ont acquis une double compétence qui les distingue des autres. Ils forment

une CP différente des autres, notamment au niveaux des connaissances et compétences qui

composent leur répertoire partagé.

Enfin, il est important de souligner que les niveaux d’engagement dans les CP diffèrent selon

les agents. Les huit agents formant la CP dans la petite salle présentent tous un engagement

fort et des interactions soutenues entre eux. Cela leur permet de construire une CP

relativement solide. Mais ce n’est pas le cas de tous les agents opérant dans la grande salle et

qui sont membres d’une large CP. Ceci n’est pas dû au nombre des agents relativement élevé

ici, ni à l’environnement spatial, car les différences des niveaux d’engagements ici relèvent de

la volonté des agents eux mêmes et de leur personnalités. En effet, nous avons identifié six

agents qui nous paraissent relativement distants vis à vis des autres203, non seulement de part

la faiblesse de leurs participations aux échanges avec les collègues en situations de travail,

203 Nous devons relativiser et nuancer ce constat dans le sens où cela ne signifie pas l’inexistence de toute interaction avec les autres agents.

362

mais aussi parce qu’ils ne se rassemblent pas non plus avec eux pendant les pauses café et

déjeuners (notons qu’ils ne forment pas non plus une CP distincte204!). Notre constat est

confirmé par les superviseurs, qui nous indiquent qu’en plus des six agents identifiés, deux

autres agents développent la même attitude. D’ailleurs, ces superviseurs disent qu’ils

reprochent souvent à ces agents « de ne pas s’impliquer assez dans le collectif » (selon les

termes utilisés par deux superviseurs). Parmi les signes distinctifs de l’attitude de ces agents,

on trouve le fait qu’ils sollicitent relativement fréquemment les superviseurs en situation de

travail, pour obtenir de l’aide et résoudre les problèmes qu’ils rencontrent dans leurs

coproductions. Ils se révèlent alors comme relativement dépendant de leurs managers (nous

reviendrons plus loin sur cet élément).

En résumé, nous avons dans ce centre d’appels ‘B’, une CP (8 agents) fermée, avec une

compétence polyvalente. Une CP large, regroupant une grande partie des salariés dans la

grande salle, et huit agents que nous considérons comme non appartenant à cette CP.

1.3.2.2 Le guichet ‘B1’: La CP regroupe des participants ayant des statuts hétérogènes.

Avant de parler de la configuration spatiale dans ce guichet, il est important de souligner que

contrairement aux centres d’appels précédents (‘A’ et ‘B’), ici les managers « participent » au

travail d’accueil dans le sens où chacun, y compris la responsable205, assure l’accueil physique

à hauteur de quatre heures par semaines.

Le guichet représente un espace ouvert (« open space ») avec un bureau (sous forme d’un bar)

appelé « le pôle206 ». Il est composé de sept postes d’accueil. Ces postes ne sont pas séparés

par des cloisons et permettent donc aux agents d’avoir dans leur champ visuel tous les

collègues opérant dans ce bureau, mais aussi, tous les clients se présentant au « pôle ». Ceci

permet donc une grande possibilité d’interaction entre les agents. En d’autres termes,

lorsqu’un agent reçoit un client, l’agent voisin voit et écoute la coproduction qui se produit

entre ces derniers. Cependant, rappelons que les agents sont ici au nombre de 12. Ils se

204 Ces agents ne se regroupent pas entre eux et aucun mouvement d’interaction spécifique peut être identifié entre ces derniers. 205 Notons que cette initiative prise par la responsable du centre et suivie par les managers, ne relève pas de leurs fiches de postes, mais d’une pratique informelle s’inscrivant dans une perspective d’entraide. 206 Cette appellation n’est pas institutionnelle et fait partie du jargon de la CP de ce guichet. Elle fait référence à « Pôle emploi » et souligne les flux considérables des personnes se présentant à ce centre.

363

relaient avec une partie (environs 7) assurent l’accueil au pôle tandis que les 5 autres assurent

un accueil personnalisé dans les bureaux, situé juste à côté du pôle.

Le pôle n’est pas le seul espace où les agents interagissent, car derrière l’espace d’accueil

(délimité par un grand mur), on trouve un grand espace appelé le « backstage »207où sont

situés les postes des managers, une salle de repos, mais aussi, tout le matériel informatique :

imprimantes, photocopieurs, faxes, téléphones, ordinateurs, scanners, etc., que les agents

utilisent régulièrement. Cet élément, sous-entendant que toute opération nécessitant

l’utilisation du matériel informatique se fait dans le backstage, nous semble importante dans

le sens où l’agent souhaitant imprimer ou photocopier un document doit quitter son poste et

son client (au pôle ou au bureau personnalisé), pour aller au backstage et utiliser le

matériel208. Ainsi, cet espace connaît des mouvements, des va et viens des agents très intense,

et dans la plupart des cas, les croisements entre les pairs et avec les managers se traduit par

une interaction et un échange, des récits d’histoire et d’anecdotes à propos des clients, partage

de friandises, etc.

Plusieurs agents mettent en avant le rôle important que joue ces coulisses dans leur travail

quotidien. Les propos d’Agathe résume ce rôle en annonçant : « heureusement, il y a le

backstage, sinon, on ne peut pas vraiment gérer de manière individuelle. C’est là-bas que ça

se passe. Y a toujours quelqu’un pour t’aider à résoudre un problème ou te filer une info ou

te raconter une anecdote pour te déstresser. C’est très important dans notre métier ».

La participation de la responsable et des managers à l’activité d’accueil physique, et les

possibilités d’interactions multiples offertes par les deux espaces sus-cités, font que la CP des

agents d’accueil dans ce guichet est composée de personnes aux statuts hétérogènes (n+2, n+1

et n). Ce constat est encore renforcé si l’on s’intéresse à l’organisation temporelle du travail

dans ce guichet. Comme nous l’avons indiqué dans la section précédente, les agents

s’autorégulent pour organiser leur travail. Les plannings fixent les durées des pauses, mais

n’imposent pas aux agents un strict respect des horaires indiqués. La convention tacitement

admise dans ce guichet est simple : l’agent qui ressent le besoin de prendre une pause avertit

207 Cette appellation que les membres de la CP emploient pour désigner l’espace se trouvant derrière le guichet d’accueil se traduit par le terme des « coulisses », qui désigne habituellement la partie de la scène qui n'est pas visible par les spectateurs. Dans notre cas, les « spectateurs » sont remplacés par les « clients ». 208 Pour information, le matériel informatique dans les centres d’appels se trouvent généralement dans un espace séparant deux box (A) ou deux marguerites (B).

364

les autres de son indisponibilité, et ces derniers déplacent et régulent leurs horaires en

fonction du départ de l’agent. Le principe est appliqué par quasiment tout le monde (voir plus

loin), sans aucun problème apparent. La responsable dit qu’elle fait beaucoup confiance à ses

agents, en estimant que « depuis que ce système est revendiqué et instauré par les salariés,

aucun dépassement abusif n’a été remarqué…Puis, il y a un autre accord (convention

tacite), qui suit le premier, c’est que les agents sont priés de prendre leurs pauses notamment

pendant les moments creux, où la file d’attente n’est pas considérable. Ça fonctionne très

bien, et on veut que ça le continue ».

Ainsi, on retrouve ici certaines idées phares relatives au concept des CP, qui se veut différent

des concepts de service ou du groupe projet, notamment via l’autorégulation et les

conventions tacitement admises entre les participants.

Cependant, deux remarques méritent d’être précisées concernant cette CP :

- le responsable et les managers partagent une grande partie du répertoire partagé de leurs

subordonnés. Au niveau des styles des interactions entre les différents statuts, nous avons

l’impression que l’autorité hiérarchique n’entrave pas la bonne ambiance qui règne dans ce

centre, dans le sens où nous n’avons pas décelé de grandes différences en termes de jargons,

styles et comportement, etc., qui caractérisent ces différents acteurs. Par ailleurs, il faut

souligner que l’autorisation de certaines pratiques informelles n’est pas l’œuvre des

hiérarchiques participant à l’activité, mais plutôt celle des plus expérimentés (anciens dans la

fonction d’accueil). Ces constats rejoignent alors l’idée de Restler & Woolis (2007) qui

indiquent que le passage d’une organisation classique à une CP est marqué par le passage de

« "Authority of Position" to "Authority of Knowledge" » (de l’autorité hiérarchique à

l’autorité de la connaissance). La négociation de sens dans cette CP, qui comprend des agents

ayant des expériences et statuts différents, porte en grande partie (mais pas exclusivement) sur

l’activité d’accueil (pratiques liées aux comportements à mobiliser face aux clients) et semble

relativement dominée par les anciens dont les pratiques sont reprises généralement par les

moins expérimentés.

- les distributions spatiale et temporelle ne semblent pas suffisantes pour intégrer tous les

acteurs dans cette CP. Nous avons remarqué deux agents montrant des attitudes différentes de

celles des autres. Ceci concerne tous les éléments que nous venons d’indiquer. L’interaction

avec les collègues est rare. Avec les managers, elle suit strictement le schéma hiérarchique, et

avec la responsable, leurs interactions concernent uniquement le niveau administratif (d’après

365

la responsable). Ces agents n’ont pas accepté non plus le principe de l’autorégulation des

pauses et ont demandé aux managers (quelques semaines après leur arrivée au centre) de fixer

leurs horaires qu’ils tâcheront de respecter sans se préoccuper des comportements des autres

agents. Enfin, les méthodes de travail de ces deux agents sont différentes de celles des autres.

L’un d’entre eux nous dit qu’il n’utilise pas les mêmes techniques que les autres pour gérer

les clients, parce qu’il considère que les techniques des autres ne sont pas efficaces. Nous

avons questionné également l’autre agent à propos de ses distances vis à vis des autres et sur

ses méthodes de travail, mais ce dernier, hormis le conflit en cours sur les pauses, il ne nous a

pas apporté beaucoup d’éléments significatifs. Il s’est contenté d’affirmer « n’aime pas des

masses l’ambiance dans ce guichet ».

Les éléments dont nous disposons à propos de ce guichet et de ses acteurs, nous permet de

considérer que la CP de ce centre regroupe des acteurs ayant des statuts hétérogènes, mais

n’intègre pas deux agents qui se montrent distant vis à vis du groupe. D’après un manager,

« les attitudes de ces deux agents ont toujours été les mêmes…De plus, entre eux, ils ne

partagent rien de commun non plus ». Les agents de cette CP n’arrivent pas non plus, en tous

cas d’après ce qu’ils disent, à expliquer le comportement des deux autres agents. Ils insistent

dans leurs discours sur le fait qu’il n’y a eu aucun événement significatif qui pourrait

expliquer cet éloignement. Ceci reste l’avis des agents membres de la CP et nous n’avons pas

d’autres éléments explicatifs de ce phénomène. Ainsi, et considérant les propos des différents

protagonistes (les membres de la CP et les deux autres agents), nous pouvons penser que

l’appartenance à un même métier dans une même organisation n’est pas le facteur le plus

déterminant pour appartenir à une CP, car l’appartenance est aussi fonction de la volonté des

concernés et de ceux qui y sont déjà.

Enfin, notons que nous avons repéré un « courtier » parmi les agents. Il entretient des

relations amicales avec certains agents du back-office opérant à l’étage209. Bien sûr, il arrive

quasiment à tous les agents de se rendre à ce back-office pour les besoins de traitement des

dossiers. Par exemple, dans le cas où un client soulève certaines anomalies dans le traitement

de son dossier, l’agent, après vérification, essaye d’établir un contact avec l’opérateur du back

office qui a traité le dossier en question. Cependant, les déplacements du « courtier » dont

nous parlons se veulent beaucoup plus fréquents que ceux des autres, et dans la plupart des

209 Dans le centre d’appels ‘B’ nous n’avons pas remarqué de déplacements des agents vers le back-office. Ce sont les managers qui sont censés se déplacer en cas de besoin.

366

cas il ne s’agit pas du traitement d’un dossier. Selon la responsable, « oui, il n’est pas rare de

voir cet agent prendre les escaliers pour aller rendre visite à ses collègues ».

En résumé, nous avons dans ce guichet une CP incorporant des acteurs ayant des statuts

différents (n, n+1, n+2), et deux agents pouvant être considérés comme n’appartenant pas

vraiment à cette communauté.

1.3.2.3 Le guichet ‘B2’ :

Comme ses homologues dans l’agence ‘B1’, la responsable de ce centre participe également à

l’activité d’accueil. Elle participe également aux échanges et à l’apprentissage situé se

déroulant entre les agents. Il nous semble que l’ensemble des acteurs ici forment une CP avec

toutes ses dimensions en terme d’engagement mutuel, de répertoire partagé et d’entreprise

commune.

Cependant, le nombre des agents (cinq) relativement réduit comparé au guichet précédent, fait

que l’intensité des interactions se présente comme moins intense. De plus, le cinquième agent

(Juliette) a été recruté il y a à peine deux mois et demi. Nous pouvons la considérer comme

participant périphérique à la CP. La théorie de la LPP, comme nous l’avons vu (cf. chapitre

1), stipule que les novices participent de manière périphérique et légitime aux pratiques de la

CP en se chargeant au départ de quelques activité annexes. Ici, l’agent (comme c’est le cas de

tous les salariés au moment de leur entrée organisationnelle dans les trois organisations

respective), fait exactement le même travail que les autres. Cependant, le caractère

périphérique de son travail est incarné dans les objectifs de performance qu’on lui a assignés,

qui se présentent comme largement en deçà de ceux des anciens.

Au niveau de l’agencement spatial de la petite surface du centre210, on y trouve également un

« pôle », un « backstage » et un réfectoire, où les agents déjeunent ensemble. Ici aussi on

observe une certaines autorégulation dans la gestion des horaires des pauses (café et

déjeuners). Néanmoins, ces moments ne peuvent pas réunir un grand nombre d’agent étant

donné que le guichet doit assurer un accueil ininterrompu avec, au moins, deux agents au

pôle. Donc, trois agents au maximum peuvent partir en pause en même temps.

Dans le backstage, en plus des interactions en face à face entre les agents, ces derniers ont mis

en place un autre moyen de communication, au milieu de cet espace, à savoir, un tableau où

210 Dans ce centre il n’y a pas de back-office. Tous les dossiers sont transférés à une autre unité pour le traitement.

367

les agents notent régulièrement des informations relatives aux nouveautés concernant les

règles qui régissent les prestations, des informations sur certains clients, etc. Comme exemple,

nous pouvons rapporter ces deux éléments que nous avons retranscrits lors de notre séjour

dans ce guichet:

D’après les agents, tout le monde (excepté la nouvelle recrue) a le droit et le devoir d’inscrire

des notes importantes sur le tableau afin qu’elles soient à la portée de tous. Mais ceci reste

une pratique informelle élaborée par les agents, car aucune consigne institutionnelle n’exige

cette pratique. Ceci est bien évidemment une des caractéristiques type des CP.

Les agents disent aussi que les contenus de ce tableau constituent parfois un sujet de

discussion entre eux. En d’autres termes, ils négocient et interprètent le sens des informations

rapportées et la façon avec laquelle ils doivent les utiliser.

La responsable du centre déclare à propos du tableau : « C’est Émilie qui en a eu l’idée. Elle a

été reçue favorablement par tous les agents. Ils estiment aujourd’hui que c’est quelque chose

d’indispensable….Vue l’intensité du travail, tout le monde n’a pas le temps de lire les notes et

28/07/2008.

* FDI + Notif d’attribution :

-le clit dde « écrite » ; svce ITAV à consult.

Si transm via Pelog : « veuillez env le

dossier DDI au sce ITAVl ».

29/07/2008

Clit Dupont Agnes n° 14345342 V:

ATTENTION : syst Fredo

Pas doc ITER /SDD

=> les imprimés 3711-3712

=> copie CNI.

- attest OLFC/duuI

Signé Rik

368

les nouvelles informations sur l’intranet. Donc, les agents ont pensé à noter sur ce tableau les

informations les plus indispensables. Tout le monde sera au courant de l’info… et puisque le

tableau est implanté au milieu de la salle, personne ne peut le rater. J’ai accepté une telle

pratique mais je vérifie parfois la pertinence de ces informations pour éviter le risque de

transmettre des informations erronées. La personne qui note une info marque son nom à la

fin, pour savoir qui contacter et questionner si besoin de plus d’info. C’est aussi une façon

d’assumer la responsabilité des informations portées… »

La mise en place de ce tableau, qui représente un moyen d’interactions asynchrones entre les

agents, constitue une réponse des agents à la contrainte temporelle et à celle du nombre réduit

d’effectif, qui ne permettent pas souvent l’interaction en face à face. Nous retrouvons ainsi un

des préceptes de la théorie des CP (Brown et Duguid 1991 ; Wenger, 1998), stipulant que

l’émergence des CP est une réponse des salariés aux conditions de travail dans les

organisations. En effet, il s’agit d’une pratique informelle élaborée par les agents et qui leur

permet de partager des informations et connaissances et ainsi de mener à bien leur travail au

quotidien.

Ainsi, en plus des interactions et des pratiques observées dans ce groupe, celui-ci se

caractérise par une forte cohésion. Ses membres disent souvent qu’ils se considèrent comme

une « famille ». Même la nouvelle recrue avait utilisé ce concept pour nous indiquer qu’elle se

plaisait bien dans ce guichet. Nous pensons alors que les agents de ce centre forment une

vraie CP, avec la particularité d’avoir une nouvelle recrue comme participante périphérique.

Enfin, nous souhaitons souligner ici une remarque qui nous interpelle en matière de

comparaison entre les CP. Comme nous pouvons le remarquer sur le tableau (cf. exemple ci-

dessus), les inscriptions sont généralement rapportées en utilisant un style et jargon

spécifiques. Au fait, dans notre cas, et contrairement à ce que nous pensions, ce style et jargon

n’est maîtrisé que par les membres de la CP de ce centre. En effet, nous avons testé cette

hypothèse à l’occasion d’un retour à l’organisation ‘B’ 211 où, (de manière officieuse), nous

avons montré ce tableau (retranscrit comme il est), à un superviseur et 3 agents du guichet

‘B1’. A notre grande surprise, bien qu’ils aient décrypté environ 90% du contenu, ils avouent

ne pas avoir tout compris. Ceci s’explique par l’absence d’interactions entre les agents

211 Ce retour à l’organisation ‘B’ avait pour objet la remise d’un rapport au responsable du centre d’appels, qui portait sur notre sujet (CP et Performance) et sur les pratiques de GRH dans ce centre.

369

appartenant aux différents centres. Ceci appuie alors les constats rapporté depuis le début de

cette partie, selon lesquels, les interactions entre les agents en face à face et la proximité

physique entre eux, sont effectivement des éléments très important dans la constitution et la

configuration des CP.

1.3.3 Les CP dans la banque ‘C’

Dans la banque ‘C’, les distributions spatio-temporelles ne sont pas aussi déterminantes que

celles des cas précédents, car les CP que nous avons observées dans cette organisation nous

semblent davantage identifiables par les caractéristiques socioprofessionnelles des

participants dans les deux centres d’appels respectifs, et par les règles implicites que les

guichetiers ont instauré dans les deux centres étudiés.

1.3.3.1 Les centres d’appels ‘C1’ et ‘C2’ : Les CP des expertises partagées

Le centre d’appels ‘C1’.

Pour commencer, nous souhaitons rappeler que les téléopérateurs de ce centre ont des

caractéristiques que nous avons regroupées selon deux catégories :

-1ère catégorie : Jeunes sans ou avec peu d’expérience, ayant des niveaux d’étude allant de

bac + 3 à bac + 4, diplômés pour la plupart des filières économiques et commerciales.

-2ème catégorie: Les moyennes d’âge, d’expérience et d’ancienneté sont relativement élevées,

et les niveaux d’étude sont relativement faibles. Pour la plupart sont des anciens agents ayant

travaillé dans le back-office.

L’agencement spatial des postes de travail dans ce centre correspond presque exactement à

celui de la grande salle du centre d’appels ‘B’. Les bureaux sont en forme de marguerites et

regroupent à chaque fois quatre agents. Cependant, ici, les bureaux des superviseurs sont

placés au milieu de la salle, et partage de ce fait l’espace en deux :

� Les marguerites situées à la droite des bureaux des superviseurs sont occupées

exclusivement par la première catégorie de salariés (jeunes diplômés avec peu

d’expérience).

� Les autres marguerites (à gauche), regroupent les salariés de la seconde catégorie,

(anciens salariés du back-office avec une expérience significative)

Contrairement aux centres d’appels (‘A’ et ‘B’) ce sont les salariés qui choisissent le poste où

ils souhaitent travailler.

370

Par ailleurs, cette organisation spatiale n’a pas découragé les deux catégories à interagir

mutuellement. Nos observations relèvent que les formes d’interactions sont différentes par

leurs formes mais aussi par le sens de l’interaction : les jeunes consultent régulièrement les

anciens sur des questions, ayant généralement pour objet des éléments techniques

relativement pointus. D’après ces salariés, ils choisissent l’agent expérimenté auquel ils

souhaitent adresser leur question en fonction de l’expertise de ce dernier. Ils disent que

chaque salarié (expérimenté) se révèle comme particulièrement pointu sur certaines

prestations, et moins habile sur d’autres. Ceci dit, les jeunes agents savent - et ciblent en

fonction de -, « qui maîtrise quoi ». Ceci correspond bien à la dynamique interne des CP telle

que décrite par Smith et Farquhar, 2000, Lesser et Stork (2001) annonçant que dans une CP,

les participant savent « qui sait quoi, qui fait quoi, qui avec qui, qui connaît qui, etc. » (cf.

chapitre 3).

Dans l’autre sens, la forme et le contenu de l’interaction se veulent différents. Les anciens ne

posent pas des questions directes aux jeunes salariés, par contre, il est fréquent de voir ces

salariés errer (parfois pendant leurs pauses) dans les espaces séparant les marguerites où sont

installés les jeunes. Nous avons remarqué qu’ils étaient attentifs au travail de ces jeunes,

qu’ils les observaient et les écoutaient pendant que ces derniers conduisent leurs

coproductions. Dans la plupart des cas, lorsque le jeune raccroche, le salarié qui l’observait

déclenche la discussion en annonçant des phrases du genre : « c’était pas évident, hein ? »,

« et ben, tu t’es débrouillé comme un chef !». Ainsi débute une négociation de sens (et donc

un apprentissage de niveau 2) entre les deux salariés autour de l’expérience que vient d’être

réalisé par le plus jeune.

Nous avons interrogé certains salariés appartenant à cette seconde catégorie (entretiens

formels et informels), à propos de cette habitude consistant à se rendre chez les jeunes pour

les observer et les écouter. Leurs réponses sont presque unanimes : ils disent bien aimer la

façon dont les jeunes parlent au client en affichant une certaine « audace », leur permettant

d’être de « bons vendeurs ». Un des salariés va plus loin en disant clairement qu’il s’inspire

de leurs techniques pour vendre plus.

C’est ainsi, pour reprendre les termes de Codello-Guijarro (2004) qu’une grande CP

d’ « expertises partagées », se forme et intègre un grand nombre de salariés appartenant aux

deux catégories, où les anciens font bénéficier les nouveaux de leurs savoirs techniques, et en

371

retour, les jeunes inspirent et enseignent quelques techniques commerciales aux anciens. En

outre, ce cas de la CP d’expertises partagées nous rappelle aussi que la motivation des salariés

à interagir est bien marquée par l’« intérêt mutuel » que procurent ces échanges aux salariés.

Bien évidemment, comme c’est le cas par exemple dans le centre d’appels ‘B’, il faut garder

en tête que les degrés des engagements (de participation) des salariés dans cette communauté

sont différents, dans le sens où, dans chacune des deux catégories, on peut repérer des agents

qui n’interagissent pas aussi fréquemment que les autres. De notre côté, nous avons repérer

environs huit agents dont les niveaux d’engagement dans la CP nous semblaient relativement

en deçà de ceux des autres. Les réponses des superviseurs à propos de ce sujet nous signalent

que notre observation est confirmée dans le cas de sept agents, et que le dernier agent identifié

est en vérité un membre relativement actif dans le collectif en général. Là aussi, les

superviseurs indiquent qu’ils attachent beaucoup d’importance à l’engagement dans le

collectif de travail. C’est même l’un des indicateurs utilisés dans l’évaluation annuelle des

agents. (Nous reviendrons plus loin sur le cas de ces agents).

En résumé, nous avons dans ce centre une CP dont les participants appartiennent à deux

catégories, ont des caractéristiques socioprofessionnelle relativement différents, et dont les

interactions permettent de partager les expertises de chacune de ces deux catégories. Sept

agents au total sont considérés comment ne participant entièrement à la CP, c’est à dire, pas

vraiment membres de cette dernière.

Le centre d’appels ‘C2’.

La configuration spatiale du centre d’appel se différencie de la précédente dans le sens où la

plateforme n’est pas délimitée par les bureaux des managers. Ces derniers se trouvent au fond

de la salle et les marguerites sont installées en face d’eux. Comme rapporté dans notre partie

méthodologique, ce centre est composé de treize agents seulement, dont les caractéristiques

sont globalement celles correspondant à la seconde catégorie présentée ci-dessus (des anciens

salariés du back-office avec une expérience significative). Avant d’aller plus loin, nous vous

proposons ce verbatim de l’un des deux superviseurs de la plateforme : « nos agents ne sont

pas aussi formés sur la gestion de la relation client que ceux de Marseille (en référence au

centre C1). La force de notre centre d’appels c’est l’hétérogénéité des expertises, et c’est

l’échange entre les téléopérateurs qui permet la complémentarité….S’il n’ y a pas d’échange,

ça ne sert à rien d’avoir des experts sur la plateforme…et on ne pourra pas s’en sortir… vous

savez, une bonne partie des demandes qui tombent sont d’ordre général…Et puis, nous

372

(superviseurs), on est débordé et rarement disponibles pour répondre aux sollicitations des

agents,…. D’ailleurs, il vaut mieux solliciter les agents experts que nous, nous aussi on pas

mal de failles… »212. Ce témoignage nous fait penser que là aussi, à l’instar du guichet ‘B1’,

l’autorité de la connaissance prend le dessus sur l’autorité hiérarchique du point de vue du

contenu du travail réel des agents.

Ces salariés ont tous une expérience significative dans le back-office, où ils se sont le plus

souvent spécialisés sur un ensemble précis de prestations (par exemple, les prêts et les crédits

en général), mais d’autres, se sont spécialisés davantage dans un seul type de prestation (par

exemple, deux agents ont passé la dernière année à traiter uniquement de grands dossiers

relatifs aux prêts immobiliers). L’expérience significative de chacun présente un avantage

dans le sens où chacun à une grande maîtrise d’un ensemble de produits. Elle leur permet de

donner des réponses claires et pertinentes aux clients souhaitant se renseigner ou acheter un

des produits concernés. Par contre, la spécialisation se présente comme un inconvénient par

rapport à la nature du travail exercé sur la plateforme qui se veut plus polyvalent (pour rappel,

ce travail a pour objet de renseigner les appelants sur des questions qui concerneraient

l’ensemble des prestations délivrées par l’entreprise). Ce manque de polyvalence dans la

connaissance des produits fait que les agents ne sont pas en mesure de répondre

individuellement à une partie non négligeable des questions émanant des clients.

L’autre problème, signalé par les concernés, se résume dans le fait qu’ils ont perdu pas mal de

notions et de réflexes relatifs à la coproduction, étant donné que ces dernières années leur

travail consistait à travailler sans la présence du client.

Pour remédier à ces deux grands problèmes, les agents interagissent et échangent leurs

connaissances, conseils et techniques pour mener à bien leur coproduction. C’est ainsi que

leur CP prend la forme d’expertises partagées dans ce centre d’appels. Ce cas permet aussi de

constater que la CP est un moyen qui permet aux salariés d’élargir leur vivier des

compétences en passant de la spécialisation à la polyvalence.

212 Notons que ce superviseur accorde beaucoup d’importance aux interactions entre agents et déplorent le fait ne pas avoir l’occasion d’interagir fréquemment avec les autres superviseurs travaillant dans le C1.

373

1.3.3.2 Les Guichets ‘C3’ et ‘C4’ : Le caractère solidaire des CP respectives

Nous avons choisi de regrouper dans le même point nos résultats empiriques issus de ces deux

guichets, car leurs caractéristiques organisationnelles et les CP qui y émergent nous semblent

très similaires.

Contrairement aux guichets de l’organisation ‘B’, ici les responsables des deux guichets ne

participent pas à l’activité. Du côté de l’organisation spatio-temporelle, dans les deux cas elles

ressemblent de près à celle décrite à propos du guichet ‘B1’ (pôle et backstage) qui se

présente comme facilitateur pour l’interaction verbale, l’observation et l’écoute en situations

de travail. On note aussi dans ces deux centres respectifs une autorégulation des agents de

leurs horaires de pauses.

Le nombre relativement réduit des agents dans ces deux centres, respectivement cinq et

quatre, semble poser moins de problèmes en terme d’interactions entre les agents, car, non

seulement ils n’assurent pas un service ininterrompu (à la mi-journée, tous les salariés se

regroupent pour déjeuner ensemble) mais de plus, comme nous l’avons mentionné dans la

section précédente, l’activité est peu intense comparée à celle observée dans les guichets des

organisations publiques. Les agents profitent des moments creux pour interagir et échanger à

propos de leurs expériences. Les contenus des interactions concernent autant les

connaissances relatives aux produits qu’à la gestion de la relation client. La dimension de

l’ « entreprise commune » (relations remarquablement soutenues), dont les participants

négocient le sens continuellement nous semble être déterminant dans les caractéristiques des

CP qui se forment respectivement dans ces deux cas.. En d’autres termes, les membres de ces

deux CP ont instauré des règles implicites afin de bien gérer leur travail quotidien. Les

« entreprises communes » de ces deux CP sont caractérisées, entre autres, par ce que Clot

(1999) qualifie de « genre ». Pour rappel, le « genre » regroupe les règles informelles et

tacites servant à orienter les conduites du collectif. Elles sont enseignées aux novices

notamment (cf. chapitre 3). Ces règles se focalisent notamment autour de l’aspect commercial

de leur activité. Il n’était pas facile pour nous d’avoir des informations concernant ces

pratiques tacites, mais les agents ont accepté de nous dévoiler leurs règles, à condition de ne

pas enregistrer les interviews avec le dictaphone. Nous présentons ci-dessous quelques

exemples concernant les caractéristiques de ces entreprises communes :

� Etre en compétition avec les autres agences, mais jamais en interne :

Ici, les salariés nous ont révélé qu’il existe des « guéguerres » autour du fait de capter des

clients, déclenchées entre les agences qui couvrent des zones géographiques mitoyennes. Une

374

autre guerre oppose les agences et le centre d’appels de la banque, qui est aussi un centre de

profit autonome et qui peut vendre quelques prestations disponibles également aux guichets

(cf. chapitre méthodologie).

Quant à l’interdiction officieuse de la compétition interne, il s’agit de ne pas profiter d’une

situation pour récupérer un client reçu habituellement par un collègue213.

Nous avons rencontré dans le guichet C3, une salariée (Nadège) mutée depuis quelques mois

à cette agence suite à sa demande. Nous avons alors demandé son avis sur cette règle : « là où

j’étais, c’est l’égoïsme qui domine…Ce qui me plaît ici, c’est qu’on ne te pique pas tes clients,

au contraire on t’aide à en avoir ». Ces propos indiquent que ces pratiques ne sont pas

appliquées par les salariés dans les autres agences.

� Aider les salariés qui ont du mal à atteindre leurs objectifs de vente :

Cette situation est bien résumée par Bruno (C4) « tous les ‘jeudi’ à midi, on fait le bilan entre

salariés (officieusement). Ceux qui ont fait leurs quotas (pour rappel, les salariés sont soumis

à un objectif de 20 ventes par semaine), doivent aider celui qui n’a pas dépassé 15 ventes. Ils

doivent lui envoyer les clients potentiels pour qu’il puisse vendre. Sinon, (si tout le monde à

15 ventes et plus), c’est chacun pour soi ». Dans le C3, nous n’avons pas eu de détails précis

à propos de la norme tacite instaurée par les salariés, à partir de laquelle le système se

déclenche, mais le principe est présenté par l’un d’entre eux comme étant le même que celui

de l’agence C4.

� Une grande implication du collectif dans le travail d’un individu :

Notamment lorsqu’il s’agit de manager le comportement déviant d’un client, d’une manière

générale, l’ensemble des salariés quitte leurs postes et interviennent en même temps pour

soutenir l’agent en difficulté, histoire d’impressionner le client.

Notons que cette pratique est plus tangible dans le C3 que le C4, contrairement aux deux

précédentes qui se révèlent présentes dans les deux agences.

A travers ces trois éléments caractérisant les CP évoluant dans les deux guichets, on touche à

l’une des caractéristiques indispensables pour le fonctionnement des CP telles que Wenger

213 Les agents n’ont pas de « portefeuille clients » (comme dans le cas des conseillers), mais officieusement, ils ont quelques clients qu’ils ont l’habitude de servir. Dès lors, si par exemple un agent part en congé, ses collègues ne doivent pas profiter de cette occasion pour séduire ses clients habituels (non attitrés officiellement).

375

(1998) les présente. Il s’agit des dimensions relatives aux savoir aider et savoir se faire aider

(cf. Chapitre1), dont dépend le succès de l’engagement mutuel des agents dans une CP.

Cependant, il est à noter que deux salariés, appartenant respectivement à C3 et C4, ne

partagent pas l’avis de Nadège (qui se veut enthousiaste vis à vis des pratiques informelles

dans son guichet). Ils nous confient qu’ils s’efforcent d’adhérer à cette culture mais qu’au

fond d’eux, ils disent, selon les termes du premier salarié, qu’il « n’aime pas trop ces règles

de « pseudo-solidarité » ».

Notons que d’après les salariés du ‘C3’, leur responsable n’est pas au courant de ce système.

Ceux du ‘C4’ pensent que la responsable est au courant, mais le sujet n’a jamais été évoqué

en réunion ou ailleurs.

Enfin, d’après les salariés de ces deux CP, ce système régulateur a été inventé par les anciens

et continue à se perpétuer. C’est une sorte de culture locale, mettant en avant des valeurs

solidaires qui permettent aux agents de bien travailler, et surtout dans une bonne atmosphère.

C’est à travers cette dimension solidaire et ces normes tacites que ces deux CP se distinguent

de celles observées dans les centres d’appels C1 et C2 (le métier et l’organisation du travail

dans les centres d’appels ne facilitent pas l’instauration de ce genre de pratiques).

Nous venons ainsi de dresser une présentation des CP observées dans leurs contextes

organisationnels respectifs. Les différents éléments rapportés permettent de souligner

plusieurs enseignements à propos de l’émergence, de l’identification et de la caractérisation

des CP. Le premier résultat est le rôle important que la distribution spatio-temporelle joue, car

elle est décisive pour les schémas interactifs de la CP. En fonction des agencements

organisationnels, ce facteur peut faciliter, ou au contraire entraver, les opportunités

d’interactions, et par conséquent la formation et la dynamique de la communauté. Le style de

management des responsables et le degré de leur engagement dans l’activité des agents est

aussi un facteur important dans la configuration des CP. Contrairement à ce qui est annoncé

par certains auteurs, nous avons trouvé des CP hétérogènes englobant des statuts

hiérarchiques différents214. En plus de ces facteurs, les CP peuvent aussi être caractérisées

214 Dans le cas de la petite salle du centre d’appel ‘B’, nous pouvons même considérer que la CP formée par les huit agents comprend des statuts « fonctionnels » différents si nous considérons que le travail réalisé par chacun des groupe n’est pas tout à fait le même.

376

suivant les intérêts mutuels et les objectifs poursuivis par les salariés à travers ces CP. C’est ce

qu’a révélé notre étude de la banque ‘C’, où les interactions aboutissent à développer une

sorte d’expertise partagée, d’un côté, et l’établissement de règles qui se veulent garantes de la

culture locale défendue et négociée continuellement par les participants.

Par ailleurs, il faut indiquer que ces CP se révèlent comme généralement appréciées par les

salariés. Ils continuent à y adhérer volontiers en multipliant leurs interactions, mais nous

devons garder en tête que ce n’est pas le cas pour une minorité de salariés, car certains

refusent volontairement d’y participer, et d’autres, à défaut de s’en auto-exclure, acceptent le

système à contre cœur.

Enfin, l’un des résultats les plus décisifs, notamment pour suite de notre démonstration, est

relatif au fait que les degrés d’engagement et de participation des agents dans les CP peuvent

varier considérablement d’un membre à un autre. Comme nous l’avons vu au niveau des

différentes organisations étudiées, nous pouvons distinguer d’une manière générale deux

catégories d’agents : une majorité des salariés qui s’engagent mutuellement à travers des

interactions intenses, développant de ce fait des caractéristiques spécifiques à l’appartenance à

une CP. Puis, il y a une minorité d’agents qui n’ont pas montré des niveaux d’interactions

aussi conséquentes que celles de la première catégorie. De ce fait, ils ne disposent pas, à notre

sens, de caractéristiques assez significatives pour qu’on puisse les considérer comme

membres faisant partie de ces groupes informels.

Avant de passer au point suivant, ci-dessous le tableau (9) résume les caractéristiques

essentielles permettant de différencier les CP identifiées dans les front-office étudiés.

Après avoir identifié les CP et certains éléments qui les caractérisent et les différencient les

unes des autres, nous allons maintenant essayer de répondre à notre problématique centrale, à

savoir, si et comment les CP peuvent contribuer à la performance des agents.

Pour éviter une certaine lourdeur dans le style dans nos écrits, nous tenons à préciser que dans

ce qui suit, nous caractérisons les agents en les qualifiant directement de membres ou non

membre de la CP. Cependant, pour bien contextualiser ces résultats, il faut garder en tête qu’il

s’agit des CP émergentes et informelles et que l’appartenance ou non à une CP dans nos cas

relève de nos propres observations et analyses, pas d’un fait définitivement établi.

377

Centre étudié Caractéristiques des CP identifiées (composition (membres et non membres, statuts), agencement spatial, particularités dominantes, etc.)

Centre d’appels ‘A’

- Constellation de CP sur la plateforme; les frontières entre CP sont fortement déterminées par l’agencement spatial des box (séparés par des

cloisons)

- 4 box forment des CP distinctes : interactions intenses entre les membres respectifs de chacune des CP ;

- 3 box ne permettent pas la formation de CP ; interactions faibles voire inexistantes entre les agents respectifs opérant sur ces box.

Centre d’appels ‘B’

- Agencement spatial délimite les frontières entre deux CP : - Une CP retreinte composée de 8 agents (la petite salle), avec un niveau d’interaction intense, avec un répertoire de connaissances et de compétences riche. - Une CP large, regroupant les salariés (de la grande salle) : Niveau d’interaction moyennement intense ; 8 agents ne sont pas membres de la CP.

Guichet ‘B1’

- Agencement spatial (pôle et backstage) permet des interactions intenses et larges entre les acteurs opérant dans ce centre ;

- Participation de la responsable et des managers à l’activité des agents (4 heures/semaines chacun) : CP regroupant des statuts hétérogènes. Les

interactions et les pratiques élaborées dans la CP sont marquées par « l’autorité de la connaissance qui prend le dessus sur l’autorité de la position

hiérarchique ». Autorégulation des membres de la CP. Deux agents sont considérés comme non appartenant à la CP.

Guichet ‘B2’

- Tous les agents sont membres de la CP, y compris la responsable qui participe à l’activité d’accueil. (CP avec des statuts hétérogènes). Une

salariée recrutée récemment peut être considérée comme « un participant périphérique ».

- Agencement spatial (pôle, backstage) favorise l’interaction, mais le nombre relativement réduit des agents se dresse comme un obstacle=>

élaboration d’un moyen d’interactions interposées via des notes inscrites sur un tableau (pratique informelle). Autorégulation de la CP.

Centre d’appels ‘C1’

- La CP regroupe des agents ayant des caractéristiques différentes (âges, diplômes, expériences). 7 agents (sur 47) ne sont pas membres de la CP ;

- C’est une CP d’expertises partagées : techniques de vente (jeunes) et maîtrise techniques (anciens).

Centre d’appels ‘C2’

- Tous les agents sont membres de la CP. Tous issus du back-office ; chacun est spécialisé dans une ou un ensemble de prestations.

- C’est une CP d’expertises partagées : permet aux participants d’élargir ses compétences en passant du statut de spécialiste à celui de polyvalent.

Guichets ‘C3’ et ‘C4’

- Dans chacun des deux guichets, les agents sont tous membres de la CP.

- Les CP sont caractérisées par leur caractère solidaire autour de l’entreprise commune : élaboration de règle informelles régissant l’activité des

agents : - Une grande implication du collectif dans le travail d’un individu

- Etre en compétition avec les autres agences, mais jamais en interne

- Aider les salariés qui ont du mal à atteindre leurs objectifs de vente

Tableau 9 : Résumé des caractéristiques des CP identifiées dans les organisations étudiées

378

2. Impact des CP sur la performance de ses membres : Une analyse

comparative des niveaux de performance des agents

D’une manière générale, le rôle opérationnel des CP dans les centres étudiés correspond de

très près à celui que nous avons présenté dans nos premiers exemples, où nous avons identifié

que les membres de la CP permettent de résoudre le problème rencontré lors des situations

(équivoques) en apportant une solution ad-hoc à la situation, et en négociant dans un second

temps le sens de l’expérience, afin de comprendre, d’établir et de réifier des pratiques et des

méthodes à réutiliser dans d’autres situations qui le permettent. En ce sens, nous avons

remarqué que le fait d’appartenir à une CP permet aux agents d’être relativement

indépendants vis-à-vis de leurs managers. Nous allons approfondir cette question en exposant

les résultats d’une analyse comparative, qui compare les performances des agents qui sont

membres d’une CP et les performances de ceux qui ne le sont pas215. Bien évidemment, pour

que l’analyse gagne davantage en validité, nous avons essayé de raisonner « toutes choses

égalent par ailleurs ». Enfin, nous terminons ce point en explicitant les mécanismes à travers

desquels les CP contribuent à la performance de leurs membres.

2.1 Appréciation de l’apport des CP en terme de performance à travers le

degré d’autonomie (ou dépendance) de ses membres vis à vis de leurs

managers.

Le premier élément montrant un lien fort entre CP et performance de ses membres a été

obtenu en considérant l’indicateur relatif au niveau d’autonomie ou de dépendance des agents

vis à vis de leurs managers.

Pour rappel, lorsque les agents confrontés à des situations relativement compliquées, ils sont

censés solliciter l’aide de leurs managers. En fonction du degré de complication de la

situation, soit le manager accepte de reprendre la situation en main pour la gérer lui même,

soit il donne des indications à l’agent sous forme de réponse à la question posée ou de

méthode pour gérer la situation en général. Cependant, comme nous l’avons déjà annoncé, les

215 Dans un premier temps, nous évoquerons la performance globale sans distinguer la qualité de la quantité. Nous effectuerons ensuite cette distinction.

379

managers ne sont pas toujours favorables à l’idée de reprendre la coproduction à leur compte.

Ils se contentent souvent d’indiquer à l’agent les consignes à suivre.

Etant donné que la sollicitation d’un manager par un agent peut être due au fait que ce dernier

n’arrive pas à gérer la situation individuellement, il nous semble que le degré d’autonomie (ou

de dépendance) des agents vis-à-vis de leurs managers constitue un indicateur pertinent pour

évaluer l’apport des CP à la performance de leurs membres.

Nos observations sur les trois terrains respectifs ont révélées que la fréquence des

sollicitations des managers varie sensiblement entre les agents. Certains ont besoin plus que

d’autres d’obtenir l’aide des managers pour réaliser leur travail. Ils se montrent alors

particulièrement dépendants des managers, tandis que les autres agents se présentent comme

relativement plus autonomes vis-à-vis de ces derniers. Comme en témoignent les exemples

rapportés au début de cette section, cette autonomie est largement due aux interactions qu’ils

ont avec les autres membres de leurs CP.

Avant de commencer notre illustration, nous souhaitons préciser que dans les trois

organisations étudiées, les niveaux de qualification et d’expérience des agents ne se présentent

pas comme significativement corrélées avec l’autonomie ou l’indépendance des agents. Ces

deux facteurs ne seront pas cités systématiquement ici, car nous les aborderons de manière

plus précise dans le point d’après.

� Dans le centre d’appels ‘A’, lorsque nous avons questionné une superviseuse sur les

téléconseillers qui sollicitent le plus son aide, elle désigne le box du milieu (le box 4) et les

deux box 3 et 7, situés sur ses côtés. Ces trois box sont ceux que notre analyse a montré qu’ils

ne constituaient pas des CP. Il est toutefois intéressant de souligner que ce manager explique

ces sollicitations plus fréquentes en disant : « les autres ne me sollicitent pas autant, je pense

qu’ils ont « la flemme » de venir me voir »216. Cette affirmation nous semble curieuse, car le

plan de la plate-forme présenté ci-dessus montre que cette explication n’est pas valide. Les

postes 24 (box 6) et 9 (box 2) sont géographiquement plus proches des managers que ne le

sont les postes 12 et 16 (box 4), or elle est plus sollicitée par les salariés de ces deux derniers

postes. De plus, les agents sont censés trouver toujours une solution à la situation car ils ne

peuvent pas raccrocher sans donner une réponse à l’appelant. Il semble donc plus pertinent de

216 Notons que la superviseuse en question est celle évoqué dans notre chapitre de méthodologie, à qui nous avons révélé notre problématique et qui ne semblait pas d’accord avec nos idées.

380

penser que ce n’est pas la paresse qui est à l’origine de l’autonomie des autres agents, mais

plutôt leurs CP leur permettant d’exposer leurs questions et d’y trouver des solutions.

Dans le centre d’appels de l’organisation ‘B’, les agents ne participant pas à la CP se montrent

également fortement dépendant de leurs managers. Ces derniers nous indiquent

qu’effectivement, les agents que nous avons énumérés dans notre liste et considérés comme

peu engagés dans les interactions avec les autres, sont ceux qui sollicitent le plus les

managers. D’après ces derniers, ce rythme n’a pas changé depuis leur recrutement. « C’est

vrai que c’est surprenant … On comprend bien qu’au début ils commencent à peine et donc

on doit les accompagner, mais après,…on a l’impression qu’ils ne montent pas en

compétence », indique un des superviseurs. Ici ces derniers n’ont pas d’explication à fournir

car ils estiment que les agents concernés ne présentent aucune différence, ni en terme de

qualification ni en terme d’expérience par rapport au reste de la plateforme. De notre côté,

nous pensons que si ces agents montrent une certaine difficulté pour « monter en

compétence », c’est parce le modèle d’apprentissage qui consiste à apprendre uniquement

auprès du supérieur hiérarchique et jamais des et avec les pairs est peu efficace. A l’inverse,

les huit agents opérant dans la petite salle, et que nous considérons comme formant une CP

particulièrement active, sont présentés par les managers comme très autonomes, et considérés

comme parmi leurs « meilleurs agents ».

� Dans le guichet ‘B1’, la responsable est formelle à ce sujet. Les deux agents que nous

avons identifié comme distant par rapport au reste du groupe sont les plus dépendants dans le

service. Quant aux autres agents, les managers qui, rappelons-le, assurent eux aussi

physiquement l’accueil physique des clients, disent que parfois se sont eux (les managers) qui

ont besoin de solliciter le savoir des agents et non le contraire.

� Dans le guichet ‘B2’, Là aussi la responsable nous confirme qu’elle n’est pas très

sollicitée par les agents pour la gestion des coproductions. Selon ses dires, « ils sont

indépendants, ils savent faire ».

� Dans le centre d’appels ‘C1’, les managers tiennent un discours très proche de celui de

leurs homologues dans le centre d’appels ‘B’. Ils disent à propos des agents que nous avons

considérés comme non membres de la CP, excepté deux d’entre eux, qu’ils ont l’impression

que ces agents n’arrivent pas à évoluer en termes de compétence. Selon les propos d’un des

381

managers : « ces agents ne progressent pas trop… Ils nous prennent trop de temps dans notre

travail,…c’est pas normal…à vrai dire, ça commence à m’agacer, cette situation ».

A propos des salariés dans le centre d’appel ‘C2’, les deux managers nous indiquent qu’ils

sont « rarement » sollicités par leurs agents. D’après un des managers « ils nous sollicitent

surtout lorsqu’il s’agit de clients particulièrement agressif…, sinon, ils se sollicitent entre

eux, et je crois qu’ils ont compris que c’est eux les experts et pas nous ».

� Dans les deux guichets (C3 et C4), les responsables respectifs, disent qu’ils sont sollicités

juste dans les cas particulièrement critiques, lorsque la prestation concernée concerne une

grosse somme d’argent. Autrement dit, il s’agit essentiellement des situations que nous

pouvons classées dans la catégorie des situations complexes.

Cet indicateur de degré d’autonomie /dépendance des agents vis à vis de leurs supérieurs, n’a

pas été pris en compte au départ de notre investigation comme élément déterminant

l’appartenance ou pas d’un agent à une CP (les exceptions relevées dans les centres d’appels

B et C1 en sont la preuve). Sinon, ce résultat aurait été tautologique et sans apport significatif.

Mais, et comme nous l’avons déjà indiqué, nos critères sont ceux annoncés précédemment,

relatif aux dimensions de la CP telles que identifiés dans la littérature, se présentant comme le

résultat des interactions entre les participants.

Ce premier résultat, relatif à l’indépendance relative des membres des CP vis-à-vis de leurs

managers, témoigne que ces groupes sont actifs en matière d’élaboration des solutions, qu’ils

négocient entre eux le sens de leurs actions sans recourir aux managers. Ceci constitue un

signe que l’apprentissage situé qui se déroule dans ces groupes est particulièrement efficace,

qu’il permet aux membres de monter en compétence et de trouver des solutions adéquates aux

situations rencontrées.

Après avoir introduit ces constats autour des apports potentiels de la CP à ses participants,

voyons maintenant si ces apports ont une incidence ou non sur le niveau de performance de

ces derniers.

382

2.2 L’appartenance d’un salarié à une CP est déterminant dans son niveau de

performance

Notre analyse comparative s’intéresse aux niveaux de performances des agents en situant ces

derniers dans leurs catégories respectives, basée sur l’appartenance ou non à une CP. Pour

permettre cette analyse, nous avons tenté de respecter au mieux le principe de « toute chose

égale par ailleurs » : concrètement, nous avons pris en compte les facteurs (variables) relatifs

aux individus, susceptibles d’avoir une influence sur les niveaux de performance. D’après nos

différentes lectures dans ce domaine, d’une manière générale les facteurs les plus significatifs

dans ce contexte concernent les variables individuelles relatives à la qualification (diplôme) et

à l’expérience des agents. Cependant, nous n’avons pas pu ni mesurer ni contrôler un

troisième facteur, incarné dans la compétence individuelle (intelligence situationnelle) des

agents concernés217.

2.2.1 Le centre d’appel ‘A’

Dans ce centre d’appel, une prime individuelle est attribuée aux agents semestriellement en

fonction de leur atteinte ou pas des objectifs de performance fixés. Concrètement, cela se fait

par un système intermédiaire : à la fin de chaque semestre, les superviseurs attribuent « des

points de compétence » aux agents ayant atteint ou dépassé les objectifs218. Donc, ces points

de compétence reflètent le niveau de performance des agents. Ce niveau de performance

correspond à un score qui regroupe à la fois le critère quantitatif et qualitatif de la

performance.

Les managers ont accepté de nous donner, verbalement, les noms des salariés n’ayant pas

obtenu les points de compétence à la dernière échéance de calcul219. Si on se réfère au schéma

217 Nous rappelons ici que notre recherche s’intéresse à la performance individuelle des agents et non à la performance globale de l’organisation. Dès lors, nous ne pouvons pas inclure les facteurs organisationnels (modèle industrialiste, moyens, management des RH, etc.) comme facteur à part entière de la performance. Par contre, étant donné que ces facteurs sont communs à tous les agents et mis à disposition de chacun d’eux, leurs impacts sur la performance peuvent être considérés comme pris en compte dans la compétence individuelle de chacun. 218 Pour la suite, et afin de ne pas alourdir nos propos, nous nous contenterons de parler uniquement d’ « atteinte » des objectifs sans ajouter à chaque fois le terme « dépassé ». 219 Notre position de salarié au moment où nous faisions notre recherche a été handicapante pour l’accès à ce genre d’information. Mais, en réalité, comme tout autre salarié de cette plateforme, nous étions au courant des personnes n’ayant pas eu les points de compétences au terme des six mois. Les performances individuelles n’étaient pas un secret pour les salariés (ni un tabou d’ailleurs).

383

de l’architecture de la plateforme téléphonique (cf. supra), il s’agit des personnes installées

sur les postes suivant:

Box ‘4’ : postes 12, 13 et 16

Box ‘3’ : postes 10 et 11

Box ‘7’ : poste 26

Box ‘5’ : poste 20

Comme nous pouvons le remarquer, les trois box ne formant pas des CP, en l’occurrence les

box 4, 3 et 7, sont significativement surreprésentés dans cette liste des agents n’ayant pas

obtenu les points de compétence. Ces trois box regroupent les 2/3 des agents (6/9 – 66%) qui

n’ont pas eu les points, alors que sur l’ensemble de la plate-forme seulement sept salariés sur

vingt-sept ont été privés de ces points (soit 26% de l’effectif).

Les deux superviseuses de cette plate-forme confirment cette analyse en indiquant que ces

agents (notamment ceux du box 4), ont une performance quantitative faible et la qualité des

renseignements apportés aux appelants est mauvaise. Ceux-ci sont même parfois tout

simplement erronés.

La recherche des explications au niveau des caractéristiques individuelles, en l’occurrence les

niveaux de diplômes et d’expériences, n’a révélé aucune corrélation significative entre ces

caractéristiques et les niveaux de performance. Du côté des diplômes, rappelons que les

niveaux de diplôme des agents sur la plateforme varie du niveau bac à bac + 4. Hormis l’agent

opérant sur le poste 10 (box 3) qui dispose du niveau bac, les autres ont tous des niveaux

allant de bac + 2 à bac +4. Du côté de l’expérience, là aussi il n’y a pas d’éléments

significatifs à relever. Tous les agents sont recrutés « en vagues » et ont tous entre 2 et 3 ans

d’expérience. D’après les managers, à partir de la première année, les agents sont censés être

opérationnels. Cependant, dans ce centre, il existe une faible corrélation entre le niveau

d’expérience et celui de la « haute » performance. Certains anciens, sont très performants

mais d’autres ne le sont pas spécialement.

Ce premier résultat peut être renforcé par un autre constat concernant deux des agents n’ayant

pas obtenu les point de compétence. Quelques semaines après la publication des points de

compétence, trois postes se sont libérés suite à la promotion de trois agents. L’agent qui

opérait sur le poste 13 (box 4) a changé de poste pour s’installer dans celui portant le numéro

384

5 (box 1). Un autre agent, qui occupait également le box 4 sur le poste 12, s’est installé à son

tour sur le poste 23 (box 6). En d’autres termes, ils ont intégré respectivement deux CP.

Après environ cinq mois, et à l’échéance de calcul des résultats, ces agents ont obtenu leurs

point de compétence. D’après une des deux salariés concernés : « depuis que j’ai changé de

place, je me sens plus compétitive sur le nombre d’appels ...Avant, je n’arrivais pas à me fixer

une référence. Ne serait ce que celle de la moyenne fixée à tous les salariés, là je me réfère à

Patrice (poste 2) qui fait beaucoup d’appels, et j’essaye de détecter sa technique pour

augmenter mon score, je pense que j’ai réussi à l’améliorer. Ça m’arrive aussi de poser des

questions à mes collègues, qui m’aident, notamment en cas d’oubli ». L’autre agent, n’a pas

voulu développer ses idées à propos de cette situation. Il s’est contenté de dire « une chose est

sûre, quand tu changes de place ça change tout. Tout le travail… ». Ces deux témoignages

nous rappellent toute l’importance de travailler dans un box formant une CP, comme c’était le

cas de Bastian (cf. supra) qui a pu corriger son erreur grâce à l’intervention des membres de

sa communauté.

L’obtention des point de compétence par ces agents depuis qu’ils ont changé de poste nous

amène à penser que c’est grâce à leurs CP que ces deux agents ont réussi à monter en

compétence et à atteindre les résultats de performance exigés. Cependant, le facteur de

l’apprentissage individuel peut aussi intervenir ici, puisqu’il s’est passé six mois depuis la

première échéance. Bien évidemment nous ne pouvons pas vérifier cet élément, mais les

témoignages des agents concernés nous font penser que les CP qu’ils ont rejointes ont

fortement contribué à leur apprentissage et leur montée en compétence, ce qui leur a permis

d’atteindre les objectifs de performance.

Par ailleurs, nos résultats montrent aussi qu’il existe des exceptions par rapport à la tendance

dominante autour du lien positif entre l’appartenance d’un agent à la CP et niveau de

performance. Ces exceptions concernent les deux sens caractérisant ce lien. La première

exception s’observe au niveau de deux agents opérant respectivement sur les postes 15 (box

4) et 27 (box 7). Ces deux box ne sont pas considérés comme permettant de former des CP,

or, et contrairement à leurs voisins respectifs dans leurs box, ces deux agents ont réussi à

atteindre les objectifs de performance exigés. Dans l’autre sens, l’agent opérant sur le poste

(20) que nous avons considéré comme membre de la CP émergente dans le box (5), n’a pas

385

réussi à atteindre les objectifs de performance exigés, contrairement à ses trois voisins qui

appartiennent aussi à cette CP.

Ces exceptions nous conduisent à être prudent quant à tout interprétation abusive autour de la

place de la CP comme facteur contribuant à la performance de ses participants. Cela dit, étant

donné que le niveau du diplôme et de l’expérience ne sont pas significativement corrélés avec

le niveau de performance, nous pensons que la CP joue un rôle important dans la définition

des niveaux de performance des agents.

En effet, les exceptions au niveau du lien positif entre la CP et la performance de ses

participants, sont « rares ». Elles ne représentent que trois cas sur la totalité des agents opérant

sur la plateforme (3/27 contre 24/27). De ce fait, les résultats exposés ici semblent s’appliquer

à la grande majorité des salariés de ce front-office. Les agents appartenant à une CP semblent

avoir de meilleures performance que leurs homologues qui n’en font pas partie.

2.2.2 L’organisation ‘B’

Le système d’attribution des points de compétence existe également dans cette organisation. Il

est identique à celui décrit dans le centre d’appels ‘A’. Nous nous sommes alors intéressés à

cet indicateur pour évaluer le lien entre l’appartenance d’un agent à une CP et son niveau de

performance. Cependant, les responsables du centre d’appels et des guichets ont préféré que

nos questions n’abordent pas le thème des points de compétence (qui définissent une partie du

niveau du salaire des agents220) et se limitent à évoquer « l’atteinte ou non » des objectifs

fixés.

Le centre d’appels : Pour rappel, dans ce centre nous avons identifié dans un premier temps

deux CP. Une CP restreinte composée de huit agents (dans une petite salle séparée) et une CP

large, qui regroupe un grand nombre de salarié opérant dans la grande salle. Dans un second

temps, nous avons rapporté que certains agents (au nombre de huit) ne semblent pas être

membres d’une CP. Sur ces huit agents que nous avions repérés, les managers nous ont

indiqué que six d’entre eux (6/8) n’ont pas atteint les objectifs attendus. D’après les

superviseurs, le nombre total des agents dont les résultats de performance sont insatisfaisants

220 Le premier responsable appréhende que les salariés n’apprécient pas de divulguer leurs résultats.

386

(en plus des 6 précédents) est égal à neuf agents (sur 47 au total). Cela signifie que 3 agents

sur 39 que nous considérons comme membres de la CP ne sont pas assez performants221.

Ce constat révèle alors que les agents les moins performants sont représentés en grande

majorité par les agents que nous avions identifiés comme ne faisant pas partie d’une CP. En

termes de taux, ils représentent 6 personnes sur 8 (contre 3/39). Là aussi, les niveaux

d’expérience et de qualification des agents ne montrent pas une corrélation significative avec

leur capacité à d’atteindre les objectifs de performance.

Ces constats affichent la même tendance dominante que celle relevée dans le cas précédent, à

savoir, les agents appartenant aux CP ont de meilleurs résultats que les autres ne participant

pas aux activités de ces groupes informels. Toutefois, à nouveau, on trouve là aussi deux

exceptions à cette tendance dominante. D’un côté, nous avons trois agents qui, bien que

membres de la CP, n’ont pas atteint les objectifs de performance. Dans le sens inverse, deux

agents sur huit (2/8) apparaissant comme n’appartenant pas à une CP, ont néanmoins atteint

leurs objectifs de performance. Mais, et comme c’était le cas précédemment, ces exceptions

sont rares (4 /47). Ainsi, et malgré ces rares exceptions, là aussi les résultats révélés par cette

comparaison entre les niveaux de performance donnent des signaux particulièrement

intéressants dont l’interprétation permet de révéler qu’il existe fort probablement des liens

sérieux entre le fait d’appartenir à une CP et le niveau de performance des agents.

� Le guichet ‘B1’ : comme indiqué précédemment, ici nous avons identifié deux salariés qui

nous paraissent comme n’appartenant pas à la CP dans ce guichet222.

D’après la responsable du centre, tous les agents ont atteint les objectifs de performance sauf

un. Il s’agit de l’un des deux agents que nous avons identifiés comme non membre de la

communauté. Son niveau d’expérience et niveau d’étude se présentent comme correspondant

à la norme qu’on trouve dans ce guichet. Ainsi, tous les agents formant la CP dans ce centre

se présentent comme des agents performants. Cependant, là aussi on relève une exception,

dans le sens où un agent non membre a aussi réussi à atteindre les objectifs de performance.

221 Notons que tous les agents de la CP de la petite salle ont atteint leurs objectifs de performance. 222 Les responsables qui participent, accessoirement, à l’activité des guichetiers et que nous considérons comme membres de cette CP ne sont pas soumis aux objectifs de performance relatifs à cette seconde activité.

387

Malgré cette exception, notons que la situation dominante ici est que les membres de la CP

réussissent à atteindre les objectifs de performance.

Par ailleurs, le lien que la CP entretient avec la performance des agents dans ce guichet peut

être renforcé, si on considère les différences que l’on peut observer au niveau de l’expérience

des agents. Parmi les dernières recrues, nous trouvons deux agents ayant une expérience

relativement faible (2 ans chacun223) par rapport aux autres, qui ont tous au minimum 4 ans

d’expérience (certains ayant même près de 10 ans d’expérience). Ces deux agents ont obtenu

leurs points de compétences. Nous pouvons donc estimer que la faiblesse de leur niveau

d’expérience n’a pas était un handicap pour ces derniers pour accomplir leur travail selon les

objectifs attendus. Autrement dit, le niveau d’expérience n’a pas été décisif dans l’atteinte ou

pas des objectifs de performance. Ceci correspond à dire, comme dans les cas précédents, que

le niveau de performance d’un agent n’est pas corrélé essentiellement à celui de son

expérience. Dès lors, il est possible de penser que le fait d’appartenir à une CP a effacé cette

disparité en termes de niveaux d’expérience et a fait que les deux agents concerné ont atteint

leurs objectifs de performance.

� Le guichet ‘B2’ :

Nous rappelons que, dans ce guichet, tous les agents sont considérés comme membre d’une

CP. D’après la responsable, tous ses agents ont atteint les objectifs de performance. Elle

précise même que lors des deux derniers semestres, tous les agents ont eu leurs points de

compétence. Seule la dernière recrue (deux mois et demi de présence dans ce guichet) n’a pas

fait l’objet d’une évaluation. Quant à l’échéance précédant ces deux dernières, la responsable

nous dit qu’il y a deux agents, sans les nommer, qui n’avaient pas atteint leurs objectifs de

performance.

Bien évidemment, si les agents ont tous atteint les objectifs de performance, d’un côté, et que

nous n’avons pas identifié un agent comme non membre de la CP, de l’autre, ici la

comparaison n’est pas permise. En ce qui concerne les niveaux d’expérience et de

qualifications, ils sont relativement homogènes.

Il est vrai qu’à partir de ces données collectées, nous ne pouvons pas déduire des résultats

aussi solides que ceux présentés précédemment. Cependant, nous pouvons toujours garder en

223 Notons que leurs niveaux de qualification respectifs (bac +2 et Bac +3) correspondent à la moyenne dans ce guichet.

388

tête que tous les agents qui forment une CP sont performants. Plus loin, nous confronterons ce

résultat concernant ce guichet à d’autres éléments qui seront développés plus loin.

2.2.3 L’organisation ‘C’

Les responsables de cette banque n’ont pas accepté de nous donner les résultats précis des

performances des agents. Bien que nous ayons réussi à collecter quelques informations à ce

propos, ces dernières ne sont pas aussi précises que celles que nous avons collectées dans les

organisations précédentes.

Les mangers se sont mis d’accord et ont estimé qu’il est préférable de ne pas indiquer les

noms des agents n’ayant pas atteint les objectifs de performance, afin d’éviter le risque de

voir une « fuite d’information » à ce sujet dans les centres respectifs. Ceci dit, ils ont accepté

de répondre à nos questions mais leurs réponses manquaient de précisions.

D’une manière générale, les réponses obtenues peuvent être considérées comme

correspondant aux résultats révélés précédemment dans les organisations ‘A’ et ‘B’.

� Les centre d’appels ‘C1’ : Pour rappel, la confrontation des constats issus de nos

observations, aux dires des managers dans ce centre, fait ressortir qu’il existe sept agents qui

n’appartiennent pas à la CP de cette plateforme. Même si nous savions que ne n’aurions pas

de réponses précises, nous avons présenté tout de même notre liste comprenant les noms de

ces sept personnes aux superviseurs en leur demandant s’ils peuvent nous confirmer ou

infirmer si les agents cités sont moins performants que les autres. Deux superviseurs ont

accepté de nous donner chacun une réponse sommaire. Le premier s’est contenté de dire

« votre liste est quasi-parfaite ». Le second a annoncé « vos observations sont très

intéressantes ! ». Nous n’avons pas réussi à avoir d’autres informations de leur part. Nous

avons alors tenté de questionner directement les concernés, mais les propos de ces derniers

n’ont pas étaient suffisamment clairs pour déduire s’ils ont atteint ou non les objectifs de

performance qu’on leur a fixés.

Nous estimons que l’absence de données précises nous conduisent à être prudent et de ne pas

généraliser à partir de ces données incomplètes. Cependant, les deux remarques des

superviseurs nous semblent conforter les résultats obtenus dans les organisations précédentes.

A cela, nous pouvons ajouter les résultats présentés précédemment à propos de l’indicateur

d’autonomie (vs dépendance) dans ce centre, où les managers avaient réagi en annonçant que

389

les personnes qui figuraient sur notre liste avaient du mal à monter en compétence et que la

situation commençait à les interpeller. Nous pensons alors que les résultats dans ce centre, à

propos du lien entre appartenance à une CP et niveau de performance des salariés, sont

proches des constats relevés dans les organisations précédentes, où la tendance dominante

révèle qu’il ya un lien positif entre ces deux phénomènes.

� Le centre d’appels ‘C2’

Pour rappel, ici nous avons considéré que tous les agents développent un niveau d’interactions

et d’engagement qui permet, à notre sens, de les considérer tous comme appartenant à la CP.

Aucune comparaison n’est donc possible ici. Nous avons alors posé aux superviseurs notre

question, qui se veut plus générale, en leur demandant s’il y a des agents qui n’ont pas atteint

les objectifs de performance. Ils nous ont répondu, sans citer les noms, qu’il y a deux agents

qui n’ont pas réussi à atteindre les objectifs. Ici, il est clair que ce résultat correspond aux

exceptions que nous avons relevées dans les cas précédents dans les organisations ‘A’ et ‘B’.

Mais, il ne nous est pas possible d’aller plus en avant dans l’analyse, ce terrain ne semble pas

pertinent pour clarifier le lien entre la CP et la performance.

� Les guichets ‘C3’ et ‘ C4’.

Rappelons que dans les cas observés dans ces deux guichets, nous avons considéré que les

agents de chaque agence appartiennent tous aux deux CP respectives. Rappelons également

que le volume des ventes (20 ventes par semaine) est le critère le plus important dans cette

banque, étant donné qu’il est prioritaire et relègue au second plan celui du nombre de relations

traitées.

Les deux responsables dans ces guichets se sont contentés de nous dire que leurs agents

réussissent tous à atteindre les objectifs fixés. Une responsable se vante même de la

performance de ses agents, en prétendant qu’elle ne se rappelle plus de la dernière année où

un de ses agents n’a pas réussi à avoir « son augmentation de salaire ». Elle poursuit en disant

qu’ils ne sont pas nombreux les guichets de la région à afficher d’aussi bon résultats.

Là aussi, nous avons voulu vérifier les propos des responsables en questionnant directement

les concernés. Ici, et ce dans les deux centres, nous avions l’impression que les agents se

précipitaient même pour nous annoncer qu’ils ont atteint tous leurs objectifs de performance,

avant même que notre question soit clairement posée.

390

Si on considère ces propos, en sachant que le critère le plus déterminant dans les objectifs

fixés aux agents dans cette banque est le nombre de vente réalisées, nous pensons que cela est

due en grande partie à leurs CP. En effet, nous avons rapporté à propos de ces deux guichets

que les CP identifiées, en plus du fait que leurs membres respectifs affichent une grande

cohésion et une solidarité remarquable, sont marquées surtout par leurs conventions

tacitement admises qui ont permis de bâtir, entre autres, un système informel qui aide les

agents les moins performants à atteindre le nombre de ventes exigés.

Là aussi nous pouvons estimer que l’effet de la CP a pris le dessus sur les différences que l’on

peut observer entre les agents en termes de diplômes, d’expérience et d’ancienneté. Pour

rappel, dans chacun des deux guichets nous y trouvons une grande variété des niveaux relatifs

à ces caractéristiques.

Ici, la perspective se veut différente de celle observée jusqu’à présent dans les organisations

précédentes. Mais, comme c’était le cas dans ces dernières, les éléments présentés ici nous

amènent logiquement à dire que du fait de leur appartenance aux deux CP respectives, les

agents dans les deux guichets réussissent à améliorer leur performance et à atteindre les

objectifs exigés.

Par ailleurs, et comme nous pouvons le remarquer, il faut signaler que la manière avec

laquelle les CP contribuent ici à la performance n’est pas la même que celle observée dans les

organisations précédentes, étant donné que dans ces dernières les CP n’ont pas développé un

système permettant de distribuer les clients. Cela dit, ceci montre aussi que les membres des

CP s’adaptent bien à, - et s’approprient parfaitement -, leur environnement en trouvant à

chaque fois un moyen de répondre aux contraintes et exigences de leurs contextes

organisationnels et atteindre de ce fait les objectifs fixés.

Nous venons ainsi de présenter notre analyse comparative des performances des agents selon

qu’ils appartiennent ou pas à une CP. Malgré les rares exceptions enregistrées224, les résultats

tendent à montrer que globalement, il existe un schéma « dominant », indiquant qu’il y a une

relation positive entre l’appartenance d’un agent à une CP et le niveau de performance de ce

dernier. Enfin, l’existence de rares exceptions nous rappellent que l’appartenance ou non une

CP n’est pas un facteur qui détermine à lui seul le niveau de performance des agents. Etant

224 La faiblesse du nombre d’exceptions relevée dans notre recherche peut aussi être vérifiée en termes de taux qu’elles représentent vis à vis de la tendance dominante. Sans prendre en compte la population du centre C1 où nous n’avons pas de données précises ; ce taux représente seulement 9,73 % de la population étudiée (11/113). Ce qui revient à dire que la tendance dominante est vérifiée pour 90,27 % chez les agents.

391

donné qu’ici les diplômes et les niveaux d’expérience ne sont pas significativement corrélés

avec l’atteinte des objectifs fixés, nous pensons que l’autre facteur, que nous n’avons pas

réussi à mesurer ici, est la compétence individuelle de chacun des agents.

Nos résultats exposés ici permettent de montrer qu’il existe un lien fort et positif entre la CP

et la performance de ses membres. Cependant, nous estimons nécessaire d’expliciter ce lien

en identifiant les mécanismes qui permettent de le concrétiser. Pour ce, nous allons donc

tenter de répondre dans ce qui suit, à la seconde partie de notre réflexion, en exposant les

éléments qui cristallisent les apports de ces CP et , expliquent comment les CP contribuent à

la performance de leurs participants.

2.3. Comment les CP contribuent à la performance de leurs membres ? Les

différents mécanismes permettant d’apprécier l’apport des CP.

Pour rappel, les apports annoncés dans notre partie théorique concernant les mécanismes par

lesquels les CP améliorent la performance (individuelle et organisationnelle), s’articulent

principalement autour de l’apprentissage et du partage de connaissances. Ils permettent à leur

tour d’améliorer la qualité du travail des participants, ainsi que de réaliser des gains de temps

considérables (entre autres, en évitant le « rework »).

Globalement, nous pouvons dire que nos recherches dans les différentes unités étudiées ont

relevé ces principaux apports. Néanmoins, ces derniers se présentent différemment et parfois

comme plus tangibles dans certaines unités que d’autres. Nous allons donc présenter ces

apports en les illustrant au mieux par les exemples que nous avons rapportés au début de cette

section.

2.3.1 L’élaboration et l’échange de connaissances et de pratiques dans la CP : Quand

les CP permettent à la fois la performance quantitative et qualitative

Comme nous l’avons présenté au début de cette section, les interactions informelles entre les

agents permettent de produire un apprentissage situé, dont la matière s’apparente à un savoir

situationnel à caractère expérientiel, négocié et réifié dans les CP. Les connaissances et les

pratiques issues de cet apprentissage se présentent alors comme particulièrement importantes

pour le travail des agents dans le front-office.

392

A partir de nos observations sur le terrain, nous avons rapporté quatre exemples issus des trois

organisations étudiées. Pour rappel, nous avons déjà vu le cas de la coproduction de Nadine

avec un avocat dans le centre d’appels ‘A’, où les collègues se sont intervenus en situation

pour indiquer à Nadine comment argumenter sa réponse. La discussion à propos de cette

expérience s’est poursuivie, et de manière plus large, pendant la pause déjeuner, où les agents

négociaient le sens de la coproduction en donnant chacun leur point de vue, ce qui leur a

permis d’aboutir à une connaissance engendrée. Dans le centre d’appels ‘A’, nous avons

montré comment Bastian a pu corriger son erreur et éviter la non qualité de sa prestation,

grâce à l’intervention des membres de sa CP, qui l’ont interpellé et ont corrigé son erreur. Le

verbatim de Hubert dans le guichet ‘B1’ nous a renseigné sur l’importance de travailler au

guichet aux côtés des pairs. Cela permet de partager des connaissances, d’apprendre des

astuces, et de bénéficier de l’intervention collective des agents pour gérer une situation

difficile. Enfin, dans le centre ‘C1’, lors d’une pause café, Sébastien et Alain conseillaient

Robert sur les techniques de ventes et les méthodes qu’ils jugent pertinentes pour gérer la

relation client.

A partir de ces exemples (et d’autres nombreuses situations similaires que nous avons

observées dans les trois autres organisations), nous avons alors retracé le modèle de

l’apprentissage situé des agents dans le front office. Ce modèle indique que l’apprentissage se

fait à travers des interactions verbales et/ou non verbale, et peut se faire en situation et/ou hors

situation de coproduction (cf. supra)

Les interactions verbales en situation de coproduction peuvent avoir un impact double sur la

performance de l’agent, dans le sens où elles concernent à la fois son volet quantitatif et

qualitatif. En effet, si on prend l’exemple des interactions en situation de coproduction entre

Karim, Elsa et Nadine (cas de l’avocat), cette dernière a appris la réponse à formuler au client,

qu’elle a utilisé ensuite de manière ad hoc pour résoudre la situation. Le volet quantitatif de la

performance peut être évalué en estimant que la réponse a permis de gérer la relation dans un

temps relativement réduit, alors que la coproduction tendait à être rallongée du fait que

Nadine n’arrivait pas prendre une décision et ne savait pas trop comment argumenter son

refus. Le côté qualitatif peut être apprécié par l’idée que Nadine n’a pas divulgué des

informations qui auraient pu nuire à la situation du client concerné. Et l’avocat de son côté n’a

pas été enfoncé étant donné qu’il a estimé la réponse de Nadine (secret professionnel) comme

correcte et il n’a pas cherché de ce fait à compliquer davantage la relation. Ainsi, nous

retrouvons dans ce cas de figure notre idée annoncée dans le troisième chapitre, selon

393

laquelle, dans la CP on trouve la bonne personne qui donne la bonne réponse au bon

moment.

Les interactions qui se sont déroulées hors situation de coproduction, ont permis d’élaborer et

d’échanger des connaissances et des pratiques qui seront réutilisées ultérieurement par les

agents, pour gérer de manière plus efficace les coproductions à venir. Là aussi, les

connaissances échangées sont généralement plus objectives et offrent une meilleure qualité de

service. Et le fait qu’elles ont déjà été testées et ont fait leurs preuves, les agents auront intérêt

à s’en inspirer et/ou les réutiliser pour réaliser les coproductions dans de meilleurs temps225.

Le cas des conseils apportés par Sébastien et Alain à Robert (dans la banque C) vont

également dans ce sens, car ces conseils dévoilent des méthodes permettent à la fois de vendre

le plus possible de produits (performance quantitative), tout en tenant compte de la

satisfaction du client et du souci de sa fidélisation (performance qualitative) en précisant les

cas où il vaut mieux changer de stratégie dans le cas contraire.

L’exemple de Bastian et son groupe montre un lien évident entre les interactions dans la CP et

la performance qualitative dans la réalisation des prestations. L’intervention des collègues à

permis d’éviter la non-qualité dans le travail de l’agent, en corrigeant son erreur et en lui

conseillant de rappeler le client. Ceci se traduira alors vraisemblablement par une satisfaction

de la part du client.

A l’instar de ces exemples relatifs à l’utilisation ad hoc et/ou ultérieure des connaissances et

pratiques élaborées et partagées par les membres de la CP, plusieurs autres exemples

similaires ont été relevés dans nos trois organisations respectives. Ainsi, nous pensons que ce

constat autour des incidences des interactions informelles dans la CP sur la performance

qualitative et quantitative de ses membres peut être extrapolé à l’ensemble des unités étudiées.

En effet, souvenez vous, les interactions des agents dans le centre d’appels ‘C1’, sont

caractérisées par des échanges des méthodes de vente et des informations techniques sur les

prestations. Ceci permet aux agents de vendre un grand nombre de produit (performance

quantitative), tout en maîtrisant le contenu technique des prestations afin de mieux renseigner

le client (performance qualitative). Dans le ‘C2’, l’expertise partagée entre les agents

(anciennement spécialistes) leur a permis d’être plus polyvalent en maitrisant un grand

225 Il faut garder en tête que le cas contraire est aussi vrai, car lorsqu’une connaissance ou pratique utilisée par un agent et qui s’est révélé inefficace, les autres agents la délaissent pour en utiliser d’autres.

394

nombre de prestations. Ainsi, les agents arrivent à traiter et vendre (performance quantitative)

plus de prestations et à répondre aux différentes questions arrivant sur la plateforme

(performance qualitative). Du côté des guichets (C3, C4), la perspective des membres de la

CP se veut plus quantitative étant donné que le système qu’ils ont instauré tend à aider

chacun d’eux atteindre le nombre de vente exigé. Toutefois, nous avons assisté à des

conversations entre les agents (notamment pendant les pauses) où ces derniers se montrent

soucieux de la qualité des prestations et de l’image de leurs agences respectives.

Dans le centre d’appels de l’organisation ‘B’, nous avons vu que les agents dans la petite salle

ont développé grâce à leurs interactions des compétences multiples, qui leur a valu le statut

des meilleurs agents (d’après les superviseurs, ceci étant au niveau quantitatif et qualitatif).

Dans la grande salle, à l’image de ce qui s’est passé lors de la coproduction de Nadine,

l’apprentissage collectif des membres de la CP leur a permis, à quelques exception près,

d’atteindre les objectifs de performance, calculé sur des indicateurs quantitatif et qualitatif.

Au guichet, ‘B1’ en plus des apports du verbatim de Hubert, à propos de l’interaction verbale

et non verbale entre les agents opérant côte à côte au « pôle », permettant l’utilisation de

pratiques ad-hoc pour bien mener les relations, l’autre agent nous a renseigné sur le fait que

les guichetiers trouvent des solutions aux problèmes rencontrés, grâce à leur rencontres dans

le « backstage ». Ces deux moyens d’interactions permettent de gérer au mieux la relation

(performance qualitative) et dans les meilleurs délais (quantitative). Dans le centre ‘B2’, les

échanges entre les agents à travers « le tableau installé au milieu du backstage» permet un

gain de temps dans la recherche d’information (performance quantitative), et éviter les erreurs

(performance qualitative) qui peuvent survenir suite à la non-maîtrise des nouvelles

informations actualisées.

Enfin, dans le centre d’appels ‘A’, à l’instar de l’exemple de la CP de Bastian, les

interventions des collègues, permises notamment par la proximité géographique, font que les

agents apportent des solutions (performance qualitative) aux agents qui manifestent certaines

difficultés, afin que ces derniers puissent traiter leurs coproductions dans les meilleurs délais

(performance quantitative).

Bien sûr, une prise de recul doit être observée quant à l’ampleur des idées que nous venons de

présenter. Nous ne prétendons pas que « toutes » les connaissances/pratiques et solutions

apportées par la CP sont « toujours » efficaces, ou encore « souvent pertinentes » par rapport

la performance. Il faut garder en tête que certaines solutions élaborées ne sont pas forcément

395

les meilleures à utiliser, d’autant que les situations rencontrées ne présentent pas souvent de

grandes similitudes, étant donné qu’elles peuvent sensiblement varier. Par ailleurs, il existe

des situations où l’apprentissage avec les collègues apporte des solutions de bonne qualité

sans pour autant que leur utilisation implique la coproduction dans un temps réduit.

Inversement, certaines solutions permettent seulement une performance quantitative sans que

la gestion de la relation soit vraiment de qualité. Ceci nous amène donc à modérer et

relativiser nos propos autour de ces questions.

Toutefois, bien que ces exceptions existent, la plupart des exemples observés et des analyses

réalisées, vont dans le sens où les CP apportent et élaborent des solutions particulièrement

efficaces dans la plupart des situations rencontrées. Ainsi, et à l’aune de ce que nous venons

de présenter à propos des incidences positives sur les deux volets de la performance, il nous

paraît logique de dire que la CP permet à ses membres de réaliser un travail de qualité dans de

meilleurs délais. Nous retrouvons ainsi l’idée que nous avons relevée dans notre troisième

chapitre, à savoir, la CP permet à ses membres de trouver un équilibre entre les critères

qualitatifs et quantitatifs de la performance, surpassant ainsi la contradiction qui caractérise la

cohabitation de ces deux logiques.

Nous terminons ce point en montrant l’autre façon qui permet d’évaluer l’apport des CP à la

performance de ses membres, à travers l’autorité de la connaissance qui prend le dessus sur

l’autorité hiérarchique, et l’efficacité de l’apprentissage situé et entre pairs dans la CP.

2.3.2 L’efficacité de l’apprentissage « situé et entre pairs » et l’autorité de la

connaissance dans les CP

Pour analyser l’efficacité de l’apprentissage situé qui se déroule entre les pairs, nous allons

le comparer aux deux autres formes d’apprentissage existantes dans le contexte étudié :

l’apprentissage individuel par « essai-erreur », et l’apprentissage permis par l’interaction

entre l’agent et son manager.

Lorsqu’un agent est en quête d’informations pour produire une solution pertinente relative à

une situation de coproduction, trois choix s’offrent à lui. La première est la recherche de

l’information par lui-même, suivant le processus d’apprentissage individuel par « essai-

erreur ». Les agents nous disent qu’il leur arrive de procéder ainsi. Par contre, parfois la

recherche prend un certain temps qui diminue la performance quantitative. Ceci se dresse

396

comme un obstacle et limite de ce fait la pertinence de cette technique. D’autant que les

découvertes des agents ne sont pas souvent les meilleurs solutions à actionner, d’où l’erreur

et la nécessité de renouveler le processus de recherche.

Ces limites incitent alors les agents à d’autres choix. Nous commençons pas celui consistant

à solliciter les managers. Cette situation semble présenter un atout étant donné que les

managers disposent- ou du moins sont censés disposer - de connaissances approfondies à

propos des services et des processus de servuction. Ceci est vrai notamment lorsqu’il s’agit

de connaissances techniques. Malgré cet atout, les agents trouvent plusieurs limites dans ce

mode d’apprentissage. La discussion avec les salariés nous a permis d’identifier les limites

suivantes :

- Le manager n’a pas toujours la réponse. Notamment lorsqu’il s’agit d’un problème

relationnel. Ici, ce sont les salariés les plus expérimentés qui sont le mieux placés pour

indiquer quelle méthode/pratique mobiliser (nous reviendrons sur cet aspect plus bas) ;

- La réponse du manager peut être jugée par le salarié comme non pertinente pour gérer

la situation en question. Ce désaccord peut être compris comme une différence de perception

sur ce que doit être une gestion performante de la relation (cf. dans la revue de la littérature la

performance comme question de perception).

- Dans la plupart des cas, le manager donne la réponse sur « comment » répondre, mais

pas systématiquement sur le « pourquoi » de la réponse. En effet, nous avons assisté à

plusieurs reprises à ce cas de figure, où le manager manifeste la volonté d’expliquer à l’agent

pourquoi il est nécessaire de répondre de telle ou telle manière, mais la contrainte temporelle

intervient et l’explication est remise pour plus tard. Deux possibilités apparaissent alors : soit

le manager et l’agent trouvent un moment lorsque la situation du flux le permet (ce qui est

rarement le cas), soit le manager inscrit la question sur un papier pour en faire un objet de

formation occasionnelle (si la même question revenait souvent parmi celles posées par les

salariés). Comme nous allons le voir plus loin, ces formations occasionnelles sont rares.

Notons que cette problématique autour du « pourquoi du comment » ne se présentent pas

vraiment dans le cas des CP. Comme nous l’avons vu, les agents se retrouvent généralement

après les coproductions (pendant les pauses notamment) pour négocier le sens de la situation

vécue et approfondissent à l’occasion la compréhension et l’apprentissage de l’agent qui a

sollicité l’information (ainsi que ceux des autres participants à la discussion).

- Enfin, le superviseur incarne une autorité d’évaluation. Deux agents (centres d’appels

A et B) nous ont confirmé qu’il évitent au maximum de poser des questions à leurs managers

respectifs, car cet acte se présente comme un moyen d’évaluer les agents.

397

Ces éléments expliquent alors pourquoi les agents ne sont pas souvent favorables au fait de

solliciter leurs managers. Par ailleurs, cette méthode d’apprentissage ne se présente pas

comme étant le meilleur moyen pour les agents pour monter en compétence. En tous cas, c’est

ce que nous pouvons déduire du constat soulevé précédemment à partir de la comparaison

entre les agents que nous avons qualifiés de « dépendants » de leur managers, et ceux qui se

présentent comme indépendants de ces derniers. Notamment dans les centres d’appels ‘B1’ et

‘C1’, les managers disent que les agents qui les sollicitent régulièrement ont manifestement

du mal à progresser dans leur apprentissage. Ce problème autour du développement des

compétences n’est pas soulevé chez les agents jugés relativement indépendants de leurs

managers, c’est à dire, ceux qui apprennent grâce aux interactions avec les collègues dans les

CP.

Au vue des limites présentées autour de l’apprentissage par interaction avec les superviseurs,

les agents se retournent alors vers leurs collègues pour obtenir des réponses à leurs

questionnements. D’après les agents, les interactions dans les CP se présentent comme un

moyen efficace pour apprendre. Elles permettent d’accélérer le processus d’apprentissage

(réduire la courbe d’apprentissage) et de monter en compétence. D’ailleurs, si nous

considérons les résultats de performance dans les guichets étudiés, notamment dans ceux de

l’organisation ‘B’, nous constatons que malgré les disparités dans les niveaux d’expérience

des agents, les plus jeunes arrivent à avoir des résultats corrects et proches de leurs

homologues expérimentés. Cependant, il faut garder en tête que ce mode d’apprentissage par

les pairs n’est pas forcément efficace pour tout les salariés, car comme nous l’avons déjà vu,

bien que certains agents appartiennent à des CP, ils n’arrivent pas à afficher des résultats aussi

performants que ceux de leurs homologues dans ces groupes.

Le recourt aux savoirs des collègues tient sa légitimité de plusieurs sources. Le verbatim de

Sabrina (centre d’appels ‘A’) reprend l’essentiel des raisons invoqués par la majorité des

salariés (dans les trois organisations) interrogés sur ce sujet : « Je préfère demander une info

à un collègue qu’au sup (superviseur). Il comprend vite ce que tu veux, et je trouve que

généralement il explique mieux que le sup (superviseur)…Les collègues connaissent mieux les

problèmes qui arrivent ici… ». Ce verbatim nous semble bien illustrer, en plus des éléments

renvoyant aux caractéristiques générales des CP (problème commun, style d’engagement

(explications, etc.)), les motivations des collègues à recourir aux interactions entre eux. Nous

398

nous retrouvons ici complètement à l’opposé de ce qui a été dit à propos des managers. En

plus de l’appréhension du jugement du manager, le recours aux collègues s’explique par la

capacité de ces derniers à analyser rapidement le problème et à y apporter des solutions. Ceci

est dû au fait qu’ils partagent le même contexte, vivent des situations similaires, et que leurs

interactions permettent d’une manière générale d’établir un savoir expérientiel, testé et réifié

par les participants dans la CP qu’ils intègrent dans un prétoire partagé que seuls les

participants maîtrisent. Dès lors, les collègues se présentent comme étant les « mieux placés »

pour apporter des connaissances aux agents en quête d’information. Ce qui nous renvoie à

nouveau, à l’idée selon laquelle, « on trouve dans la CP la bonne personne qui donne la bonne

information au bon moment ».

En outre, préférer solliciter les collègues que le supérieur rejoint aussi le constat déjà annoncé

à propos du travail réel dans les relations de service, à savoir le fait que l’autorité de la

connaissance y prend le dessus sur l’autorité de la position hiérarchique. A ce sujet, il faut

préciser que lors de nos observations, nous avons remarqué que les agents qui prennent

l’initiative de répondre en premier aux questions posées, sont généralement les agents les

« plus expérimentés » ou encore ceux qui affichent de bon résultats de performance. Ainsi,

ces éléments que nous venons de rapporter appuient davantage l’idée que la CP contribue à la

performance quantitative et qualitative de ses membres, dans le sens où les réponses apportées

par certains agents aux questions soulevées par d’autres, sont déjà testées et considérées

comme de « bonnes pratiques » à mobiliser.

Par ailleurs, il est important de souligner que les avis des managers sont partagés à propos de

cette autorité de la connaissance qui caractérise les modes opératoires des agents dans les

front-office. La plupart d’entre eux approuvent ce mode d’apprentissage entre pairs mais une

minorité se montre plus prudente vis-à-vis de cette pratique. Ceux qui approuvent ce type

d’apprentissage disent qu’ils le conseillent même à leurs subordonnés. On trouve cette idée

relativement répandue dans tous les guichets et les centres d’appels ‘B’, ‘C1’ et ‘C2’. A titre

d’exemple, la responsable du guichet ‘B2’ nous informe qu’elle incite sa jeune salariée

(Juliette) à interagir avec ses collègues anciens, car selon ses propres mots « c’est la meilleure

formation qu’elle peut avoir ».

Dans le centre d’appel ‘A’, une superviseuse se montre entièrement d’accord avec

l’apprentissage entre pairs, et la seconde, qui estimait que l’absence de sollicitations de

certains agents s’explique par la « flemme », dit que parfois c’est efficace, mais aussi que

parfois ils se transmettent des erreurs. Toutefois, elle poursuit en disant qu’elle reconnaît que

399

ces erreurs ne sont pas nombreuses. Nous avons soumis aux managers du centre d’appels ‘B’

cette remarque relative aux pratiques potentiellement erronées qui peuvent entacher

l’apprentissage situé et entre pairs. Une des managers nous dit qu’« il est rare de détecter des

erreurs circulant entre les salariés. D’ailleurs, si un cas se présente, ce sont les agents eux

mêmes qui viennent nous consulter pour vérifier en cas de doute. Vous savez, les agents sont

conscients des retombées qu’ils engendrent avec une erreur sur un dossier ». Nous avons

aussi questionné deux agents dans ce centre sur ce sujet. Leur réponse est quasiment la

même : lorsqu’ils doutent de la validité d’une réponse, ils consultent un second collègue qui

va confirmer ou infirmer cette réponse226, sinon les agents consultent les managers.

De notre côté, dans le centre d’appels ‘A’ (en tant que salarié) nous n’avons pas eu

connaissance, à partir d’un retour des superviseurs par exemple, d’erreurs circulant entre les

agents. Dans les organisations ‘B’ et ‘C’ nous n’avons pas non plus eu l’occasion (ou la

capacité technique) d’observer des erreurs circulant entre les agents. Donc, hormis les

remarques ci-dessus nous ne sommes pas en mesure de proposer une analyse précise sur ce

sujet. Mais il est probablement plus cohérent de penser que l’idée selon laquelle quelques

informations erronées sont partagées par les membres de la CP, reste une hypothèse probable.

Par ailleurs, dans le centre d’appels ‘A’, nous avons remarqué que lorsqu’un agent est

consulté par son collègue, si le premier semble douter de la réponse à formuler, il lui conseille

de vérifier auprès d’un autre collègue ou du superviseur. Cependant, nous avons aussi

remarqué une pratique qui nous semble intéressante à souligner ici. Les agents de ce centre se

montrent très prudents et font parfois circuler des mails pour alerter les collègues et corriger

des informations erronées, « indiquées dans les scripts ». Considérons cette observation, nous

pouvons dire que c’est aussi en réduisant et évitant les erreurs que la CP contribue à la

performance de ses membres.

226 En d’autres termes, le processus de négociation de sens continue pour vérifier la solidité des informations partagées.

400

Section 3. Quand les CP enrichissent les pratiques de Gestion des

Ressources Humaines dans les front-offices

D’abord, nous souhaitons rappeler que les trois organisations étudiées n’utilisent pas le terme

de CP pour rendre compte de l’aspect collectif de l’activité des agents du front office. On y

trouve souvent l’appellation de « collectif de travail ». Cependant, comme nous l’avons vu

tout au long de notre partie empirique, ce n’est pas le collectif entier qui est mobilisé dans

certaines pratiques, mais seulement ceux que nous avons considéré comme appartenant à – et

formant – une CP. De ce fait, nous continuons à utiliser ce terme de CP.

Comme c’était le cas dans notre partie théorique, nous tenterons ici de mettre en exergue les

rôles et apports potentiels des CP à certaines pratiques de GRH se déroulant dans les front-

office que nous avons examinés. En particulier, nous allons voir dans un premier temps si les

CP jouent un rôle dans les pratiques d’intégration des nouvelles recrues (1) et dans la

formation des salariés (2). Dans un second temps, nous verrons si l’activité des CP et leurs

productions sont prises en compte ou non lors de l’appréciation des salariés (3). Bien

évidemment, nous commençons chacun de ces points en apportant quelques informations

autour de chacune de ces trois pratiques dans les front-offices étudiés. En guise de conclusion

à cette section, nous reviendrons sur le problème de la CP autour de sa non-reconnaissance

par les hiérarchiques comme une source pertinente permettant de réaliser ce que

l’organisation institutionnelle peine à réussir (4).

Avant de commencer, il faut souligner que les pratiques de GRH dans les trois organisations

étudiées peuvent être considérées, à quelques détails près, comme identiques. Ce constat des

similitudes entre les trois organisations va à l’encontre des idées dominantes, puisqu’il est

habituel de considérer qu’il y a des différences entre les secteurs privé/public ou

marchand/non-marchand en matière de GRH. En fait, comme nous l’avons déjà rapporté,

d’après le responsable du centre d’appels ‘A’, nous pouvons considérer que le système de

GRH dans ces organisations a très largement évolué vers le mode de management dans

secteur privé. Le système de rémunération est ainsi quasiment identique dans les trois

organisations : un salaire fixe est augmenté d’un salaire variable dépendant des résultats de

performance. On distingue dans ce salaire variable la prime d’intéressement collectif

(objectifs de performance globaux) et une prime individuelle attribuée à chacun des salariés

401

ayant atteint ou dépassé les objectifs individuels qu’on leur a fixés. Nous allons maintenant

exposer ces pratiques comme communes aux trois organisations, en précisant si besoin si

certains éléments concernent une organisation particulière.

1. Les pratiques d’intégration des nouvelles recrues et le rôle informel des

CP

Nous commençons ici par rapporter les pratiques d’intégration officielles mises en œuvre par

les organisations, puis nous verrons comment les CP complètent ces pratiques et permettent

aux agents de mieux s’intégrer dans les front-office étudiés.

1.1 Les pratiques d’intégration des novices dans les front-office étudiés

Les pratiques formelles d’intégration des futurs agents d’accueil sont classiques dans les trois

organisations étudiées. Elles consistent généralement en un accueil formel par les

responsables hiérarchiques directs, une information orale sur l'entreprise et la remise d’un

livret d’accueil, des informations sociales et des informations sécurité, du journal interne de

l'entreprise et d'une invitation à la lecture des tableaux d’affichage. Ces moyens représentent,

comme l’indique Bargues (2008), les sources matérielles adaptées aux besoins d’information

du nouvel entrant.

Des entretiens sont également prévus, mais ils se limitent généralement à deux rencontres

avec le DRH, la première après la période de formation, et la seconde à la fin de la période

d’essai. D’après les DRH des organisations ‘A’ et ‘B’, ce sont des entretiens de suivi qui ne

sont pas suffisants pour réellement intégrer la nouvelle recrue et suppléer l’absence d’un

programme de "parrainage par un ancien". Les DRH soulignent que cette absence est liée au

fait que les agents sont recrutés par vague. Plusieurs recrues arrivent donc simultanément et il

est difficile de parrainer tout le monde. Ces mêmes raisons sont évoquées par le responsable

des centres d’appels de la banque ‘C’ pour justifier l’absence de « parrains ».

La suite du processus d’intégration est conduit, dans les organisations ‘A’ et ‘B’ par le service

de formation via des formateurs spécialisés. Dans l’organisation ‘C’, les formateurs sont les

managers qui se relaient tout au long de la formation. Parfois certains formateurs évoluant

dans la banque interviennent occasionnellement pour dispenser une formation sur un produit

402

ou service précis. Pendant la période de formation, dans les organisations ‘A’ et ‘B’, les

formateurs n’organisent que deux visites sur les espaces d’accueil (plateformes téléphoniques

et guichets) que les futurs téléconseillers et conseillers intégreront dans quelques semaines.

Dans l’organisation ‘C’, nous retrouvons la même fréquence en ce qui concerne les guichets,

mais dans les centres d’appels, les visites sur la plateforme sont plus fréquentes, environ cinq

fois pendant toute la période de formation. C’est pendant ces visites que le processus

d’intégration via la CP débute pour les jeunes recrues.

1.2 Le rôle des CP comme source socialisatrice des nouvelles recrues

Le processus d’intégration des nouveaux salariés via leurs interactions avec les anciens

commence dès les premières visites encadrées par les managers sur les plateformes et les

guichets d’accueil. Pendant ces visites, on demande aux apprentis d’observer les anciens, et

d’écouter leurs conversations avec les clients. Cependant, à l’occasion de l’une des visites

organisées par les managers de la plateforme ‘C1’, nous avons observé que les apprentis ne se

contentent pas d’observer et d’écouter. Ils initient des conversations avec les anciens et leur

posent beaucoup de questions. Ainsi, ils apprennent quelques astuces et pratiques bien avant

leur prise de fonction officielle. Ces premiers échanges ne font qu’amorcer le processus

d’appartenance à la CP. En effet, ce premier contact avec les anciens est généralement suivi

par d’autres rencontres informelles, initiées par les anciens (qui invitent les apprentis à les

rejoindre pendant les pauses (café et déjeuner)).

Les questions que nous avons posées aux salariés des autres organisations sur ce sujet ont

abouti au même constat. Les premières visites effectuées par les novices dans les lieux où ils

seront affectés sont très appréciées par ces jeunes. Elles leur permettent de collecter des

informations de natures technique, comportementale et institutionnelle. Les agents disent que

les questions posés alors ne se limitent pas uniquement au contenu du travail et qu’elles

débordent sur d’autres informations sur le fonctionnement de l’institution en général,

notamment à propos des statuts et de la rémunération, des congés et arrêt maladie, etc. Selon

deux agents de l’organisation ‘A’, « ce genre d’information n’est jamais bien expliqué par les

officiels », sinon, de manière floue « avec un jargon administratif qu’ils ne maîtrisaient pas

vraiment à l’époque». Ainsi, l’interaction avec les pairs se présentent comme un moyen

privilégié pour la collecte d’information.

403

Ces premiers contacts nous rappellent les apports des théoriciens mobilisés précédemment

dans le champ de la socialisation organisationnelle, mais aussi, les préceptes de la théorie de

Legitimate Peripheral Participation (LPP) (Lave et Wenger, 1991), qui présente ce processus

comme les premiers pas permettant l’apprentissage et l’enculturation des novices. C’est ainsi

que la CP aide les novices à mieux intégrer leur environnement organisationnel.

Lors de la prise de fonction, le phénomène d’interactions s’amplifie dans le sens où les

novices sollicitent encore les anciens, mais davantage sur le travail (gestion des coproductions

d’un point de vue technique et comportemental), c’est à dire les débuts du processus

d’apprentissage situé. Les pratiques institutionnelles d’intégration se poursuivent un peu au

moment de la prise de fonction, sous la forme d’une formation complémentaire qui se fait en

situation de travail. Celle-ci se fait de manière relativement similaire dans les organisations

étudiées. Elle met les novices en doublon avec les plus expérimentés pendant une journée

entière. Pendant ce temps, le novice accueil le client et l’agent expérimenté l’aide et le guide

dans ses démarches.

Après ce premier jour, les novices sont considérés comme prêts à assurer individuellement

leurs tâches. Toutefois, les managers restent vigilants à l’égard de leurs attitudes. Cependant,

quelques différences peuvent être observées entre les différentes organisations.

Dans le centre d’appels ‘A’, bien que l’une des superviseuses semblait ne pas accorder

beaucoup d’importance au rôle que joue la disposition spatiale dans l’apprentissage des

agents, la pratique (initiée par la seconde superviseuse) consistant à placer les novices aux

côtés des anciens. Elles font en sorte que le poste attribué au nouvel entrant soit situé à

l’intérieur des box ayant 4 ou 5 agents, et alignent son planning de pauses sur celui de ces

mêmes agents. La seconde superviseuse nous confie qu’elles « essaient » au mieux de faire

ainsi, car l’organisation formelle n’a pas prévue cette procédure, et parfois, il est difficile de

trouver des places dans ces box vu que tous les salariés ont tendance à éviter de rester seul

dans le box du milieu. L’absence de formalisation de cette procédure, fait qu’une des

nouvelles recrues de la dernière vague d’embauche, s’est retrouvée livrée à elle même seule

dans le box du milieu (n°4) séparée des autres par des cloisons et nous avons remarqué

également que pendant les pauses, cette personne était presque toujours seule. Après quelques

mois, la direction a mis fin à son contrat, et les superviseuses nous ont indiqué que ses

résultats étaient en deçà des objectifs fixés. Mais d’après elles, la nouvelle recrue n’a pas

montré de son côté qu’elle tenait à rester dans l’entreprise. Nous pensons que cet échec est dû

404

en partie au fait qu’elle n’a pas été placée dans un box formant une CP. Son intégration n’a

pas vraiment eu lieu. A l’inverse les autres novices intégrés dans une CP ont tissé des liens

avec les membres de leurs box, échangent régulièrement avec eux, en situation et hors

situation de travail, et se sont même approprié certains comportements de leurs communautés

respectives.

Dans le centre d’appels ‘B’, nous avons eu l’occasion d’assister aux premiers jours de la prise

de fonction des novices. Ici les managers ne se soucient pas de la nécessité de rapprocher les

nouveaux des anciens. Les nouveaux sont regroupés, et non incorporés au milieu des

expérimentés, et ce, même au niveau de la gestion temporelle. Mais les novices ont vite

compris que les anciens salariés présentent une source d’information de laquelle ils ont intérêt

à se rapprocher. Ainsi, guidés par la quête d’information, nous avons remarqué que le groupe

des nouveaux commençaient à s’éparpiller sur la plateforme. Ils se mettent à côté des anciens

dès que des places sont disponibles, ou encore, demandent à prendre des pauses aux mêmes

moments qu’eux. Ainsi, ils se déplacent petit à petit de la périphérie au centre de la

communauté, pour en devenir des membres à part entière.

Dans les guichets, mis à part le cas de Juliette (B2), nous n’avons pas eu l’occasion

d’observer des novices. Cette nouvelle salariée sort régulièrement dans les coulisses pour

solliciter les collègues qui s’y trouvent, en général pour imprimer des documents, etc. Ses

collègues (y compris la responsable du centre) ne se contentent pas de l’informer sur les

pratiques à mobiliser. Ils lui parlent souvent, et demandent de ses nouvelles par rapport au

travail : « Alors, pas trop fatiguée aujourd’hui ? », « Si t’as besoin de quoi que se soit,

surtout, n’hésite pas à nous solliciter, on est là pour ça, on est une famille ici… », Juliette

répond en souriant : « merci, c’est gentil… ». Le fait de dire « on est une famille…, comment

ça va aujourd’hui ?… », met Juliette en position de confiance, et ses réponses sont

généralement accompagnées de sourires, témoignant de son sentiment d’appartenir à un

groupe uni, prêt à l’aider. Ainsi, nous avons remarqué que ses pairs l’accompagnent presque

dans toutes les démarches qu’elle entreprend, même en fin de journée, nous avons entendu à

plusieurs reprises les agents lui rappellent « n’oublie pas de badger…».La façon dont les

membres de la CP se comportent ici vis à vis de la novice nous fait penser qu’il peut être

traduit comme un « soutien social », que nous avons considéré comme étant aussi un apport

de la CP à leurs novices. D’ailleurs, c’est probablement ce soutien qui manquait à la salariée

405

licencié du centre ‘A’, car cette dernière n’a pas été entourée par les collègues comme c’est le

cas de Juliette ici.

Dans la banque ‘C’, nous n’avons pas assisté à la prise de service des novices. Cependant,

nous avons abordé quelques questions relatives à ce sujet dans les entretiens réalisé auprès de

certains acteurs. Il en ressort que les managers misent sur le tutorat des premiers jours, mais

qu’ils négligent complètement la suite du processus. Du côté des agents, hormis le processus

d’apprentissage, lors des premiers temps grâce à la CP, qui se présente comme faisant

l’unanimité, un des exemples qui revient fréquemment, est celui de la situation où le novice

fait face à un client ayant un comportement agressif, et l’agent finit par « craquer ». Les

agents se rappellent que dans ces situations là, les anciens se dirigent vers le novice pour le

consoler. Les agents lui expliquent alors que c’est un cas fréquent et qu’ils ont tous connu ça

un jour, et terminent généralement en riant avec la phrase (qui fait partie du répertoire de leur

CP), « Bienvenue au club ». En plus de ce « soutien social », les agents apportent une

information supplémentaire au novice sur la réalité du travail qu’ils vivent au quotidien.

Manifestement, cette réalité n’est pas présentée ainsi lors de la formation des agents à leur

entrée, et donc ils n’étaient pas vraiment préparés pour se confronter à ce genre de situation.

D’ailleurs, cella indique qu’il y a des carences au niveau de la formation institutionnelle à ce

niveau. (cf. infra)

Au vue des résultats présentés ici, nous comprenons bien que l’intégration des novices dans

les organisations étudiées se fait également par le tissage de liens avec les anciens, auprès

desquels ils trouvent les informations nécessaires pour mener à bien leur travail au quotidien.

Ce soutien social et psychologique leur permet de résister et de faire face aux contraintes de

l’activité. Nos résultats s’apparentent bien aux apports de Kram et Isabella (1985) concernant

le rôle des collègues, qui rappelons le, sont présentés par ces auteurs comme, « toute personne

ayant un rôle similaire dans l’entreprise, donc généralement au même niveau hiérarchique ».

Cependant, nous avons montré que dans les agences étudiées tous les salariés ne parviennent

pas à tisser ces liens. Les membres formant une CP, se présentent comme les plus actifs dans

ce processus. Ainsi, et au vu des résultats, nous pouvons dire que la CP joue un rôle important

en tant que structure socialisatrice des novices à leur entrée organisationnelle.

406

2. La CP permet de remédier aux carences de la formation institutionnelle

Dans ce point nous recenserons dans un premier temps les carences des dispositifs

organisationnels mobilisés dans la formation des salariés. Puis, nous rappelons comment la

formation informelle se déroulant dans les CP permet de compléter les connaissances acquises

lors de la formation officielle et de remédier aux problèmes qui caractérisent cette dernière.

2.1 Les carences de la formation institutionnelle dans les organisations

étudiées

Dans le centre d’appels ‘A’, la durée de la formation initiale des futurs téléopérateurs après

leur embauche est de six semaines. Dans l’organisation ‘B’ (guichets et centre d’appels), elle

s’élève à environ cinq semaines. Quant à l’organisation ‘C’, la formation se fait seulement en

deux semaines.

Les trois organisations consacrent la quasi-totalité de la formation aux aspects techniques des

prestations attribuées et aux outils que les salariés auront à manipuler, l’ordinateur notamment

pour expliquer le fonctionnement des différents logiciels (où trouver les informations en cas

de besoin, les scripts, comment constituer un dossier, etc.). Le temps consacré à ces éléments

fait qu’une carence est constatée dans la transmission des connaissances relevant de l’aspect

relationnel : la Gestion de la Relation Client (GRC). En effet, les agents ne maîtrisent pas les

techniques de la GRC et manifestent un très fort besoin en formation. C’est une carence

courante dans les front-offices des centres d’appels (Clergeau ; 2004) : la formation des

agents à l’entrée porte principalement sur les prestations, sur l’outil, sur les procédures et très

peu sur la communication.

Cet aspect de la formation qui est censé couvrir les techniques de communication, de

résolution des situations conflictuelles, de la gestion des émotions, etc. apparaît comme

négligé dans les trois organisations étudiées. Plus préoccupant, si les téléopérateurs et

guichetiers (qui ont moins de 3 ans d’expérience) ont bénéficié de la formation minimale

nécessaire pour tenir un poste d’accueil, certains guichetiers n’ont jamais eu l’occasion

d’apprendre ce genre de techniques. C’est ce que l’on peut lire dans le verbatim de Hubert

(guichet B1) (cf. supra), qui indiquait qu’il travaillait auparavant au service traitement et qu’il

a été transféré au guichet sans formation sur la gestion de la relation client. A l’instar

407

d’Hubert, plusieurs agents n’ont pas eu ce genre de formation. C’est aussi le cas des

téléconseillers des deux centres d’appels de la banque ‘C’ où, mis à part les jeunes, les

anciens ont été tous transférés sur les plateformes sans aucune indication sur la gestion de la

relation client.

En plus de la formation à l’entrée, les règles institutionnelles dans les trois organisations

étudiées stipulent que les managers, ont aussi pour mission d’organiser des réunions

d’information. Ce sont des petites séquences que l’ont peut assimiler à une sorte de formation

continue pour les agents. Le but de ces formations est d’actualiser les connaissances

techniques des agents, de relever et corriger les incohérences liées à la GRC, afin de les faire

monter en compétence. Mais, en plus de la charge de travail des superviseurs, la pression

temporelle et les objectifs quantitatifs font que ces réunions ont rarement lieu. Dans le centre

d’appels ‘A’, les superviseuses s’efforcent d’organiser ces réunions, mais d’après les agents,

elles restent rares. Quant aux organisations ‘B’ et ‘C’, elles sont presque inexistantes. Les

managers de ces organisations avouent que les agents manifestent et expriment un grand

besoin de se former régulièrement, mais les moyens (temporels notamment) mis à la

disposition de ces managers ne le permet pas.

Hormis l’incomplétude de la formation et l’absence de formations continues régulières, nous

retrouvons également dans ces organisations une dimension soulevée dans notre revue de

littérature à propos de la formation institutionnelle, en l’occurrence, le caractère acontextuel

des connaissances transmises par la voie de la formation officielle. En effet, comme nous

l’avons soutenu tout long de notre partie empirique, du fait de la multiplicité des demandes,

des comportements et l’imprévisibilité des situations, le traitement des coproductions

nécessite souvent des savoirs situationnels, généralement tacites et issus des expériences des

salariés, réifiés à travers les négociations de sens dans les CP. Ces savoirs et savoir faire

résistent à la formalisation (codification) et restent inaccessibles par la voie de la formation

institutionnelle. Le cas présenté en début de section (coproduction de Nadine avec un

avocat)227, montre bien ce décalage entre les règles générales prescrites aux agents et le savoir

situationnel nécessaire pour faire face aux situations rencontrées réellement. Ou encore, les

conseils prodigués par les deux téléopérateurs de la banque ‘C’ à leur collègue, lui expliquant

que les modes opératoires institutionnels ne sont pas efficaces, et qu’il a intérêt à mobiliser le

227 Pour rappel, il y a eu l’intervention des collègues in situ, et la négociation de sens de l’expérience a été poursuivie pendant la pause, aboutissant à la réification d’un savoir situationnel.

408

savoir faire issu de leur expérience, qui permet de vendre plus et mieux. Enfin, du côté des

agents du centre d’appels ‘A’, ils nous informent que leur formation sur les prestations et les

règles d’attribution était relativement bien faite, par contre, ils disent qu’ils étaient surpris

lorsqu’ils se sont rendu compte du décalage entre la formation théorique et ce qu’ils vivent

réellement sur le terrain, en mettant l’accent notamment sur le fait que « le plus dur dans leur

travail c’est la gestion de la relation avec le client ».

Par ailleurs, il est à noter que les agents estiment que leurs managers ne sont pas vraiment au

courant des, - ou du moins, ne jugent pas à leurs vraie valeur les- problèmes rencontrés par les

agents dans leur travail quotidien. La différence dans les perceptions des situations

intermédiaires en est un bon exemple. C’est ce que l’on peut lire et comprendre du verbatim

de Sabrina (centre d’appels ‘A’), (cf. supra) lorsqu’elle annonce qu’elle préfère solliciter les

collègues que les superviseurs, car les premiers connaissent mieux que les seconds, les

problèmes qui caractérisent les demandes parvenant à la plateforme. Notons que cet aspect est

plus mis en avant par les téléopérateurs dans les plateformes que dans les guichets. Nous

pouvons émettre l’hypothèse que cela est dû à la nature des métiers, car contrairement aux

guichets où les situations sont bien visibles par les managers, sur les plateformes, hormis les

quelques feedback rapportés par les agents à leurs managers lors des situations considérés

comme très complexes, les managers ont du mal à savoir exactement ce que vivent les agents

au téléphone quotidiennement.

A partir de ces éléments, nous comprenons que la multiplicité des situations fait que

l’élaboration des solutions adaptées à chacune d’entre elles est, tout simplement, impossible à

réaliser par l’organisation institutionnelle228. De plus, une bonne partie dans le traitement

coproductions fait appel à un savoir-faire situationnel ayant un caractère expérientiel que les

organisations, via leurs managers, ne peuvent pas capturer et codifier. La situation se

complique davantage si on prend en compte l’ignorance des managers de ce que leurs agents

vivent réellement au quotidien dans les situations de coproductions, entravant ainsi la

détection des besoins des agents en formation.

228 Selon un des managers de la plateforme ‘B’ «peut être j’exagère un peu, mais je peux dire que les cas existants sont innombrables, mais surtout, de nouveaux cas apparaissent chaque jour…Impossible de les identifier tous et les catégoriser pour tenter d’élaborer ensuite des solutions adaptées » .

409

Au vue des carences qui caractérisent la formation institutionnelle, les agents se retournent

alors vers leurs CP pour se former davantage et apprendre des savoirs non dispensés par la

voie organisationnelle officielle.

2.2 La CP, un espace pour compléter et remédier aux déficiences de la

formation institutionnelle

Bien évidemment nous n’avons pas l’intention de revenir ici sur tous les détails concernant les

apports des CP en terme d’apprentissage. Cependant, il est important de faire un parallèle

entre l’émergence des CP et les carences de la formation institutionnelle dans les

organisations concernées. Cela dit, ces carences font aussi partie des caractéristiques de

l’environnement organisationnelle, que nous devons rajouter à l’inefficacité des modes

opératoires prescrit d’un coté, et les caractéristiques des situations de coproduction de l’autre.

En effet, si nous considérons tout ce que nous avons rapporté à propos de l’apprentissage situé

et entre pairs dans les relations de service, il est évident que ce moyen informel a permis ce

que la formation institutionnelle peine à réaliser. Entre l’identification des problèmes

rencontrés dans le travail quotidien par les salariés, la négociation des situations vécues par

ces derniers, et l’élaboration de solutions adaptées, on comprend alors pourquoi les agents

recourent à l’interaction entre eux étant donné que les canaux institutionnels se présentent

comme incapables d’assurer pleinement cette fonction.

Nous pouvons de ce fait considérer que la formation des agents dans les front-office se

poursuit sous la forme d’un apprentissage situé et multilatéral. Bien évidemment tous les

exemples présentés dans ce chapitre vont en ce sens, comme par exemple la suite du verbatim

de Hubert ‘B1’, indiquant que c’est grâce à ses collègues qu’il est formé et arrive à faire face

aux situations auxquelles il est confronté au guichet. Ou encore, la responsable du guichet

‘B2’(cf. supra) qui incitait sa nouvelle recrue (Juliette) à interagir avec ses collègues, en

considérant ce moyen comme étant la meilleure formation qu’elle peut recevoir. D’ailleurs, il

est intéressant de souligner que cette responsable qui, rappelons-le, participe à l’activité des

agents, tout comme ceux du guichet ‘B1’, disent s’appuyer largement sur les interactions

informelles auxquelles ils participent pour identifier les besoins en formation des agents. La

détection de ces besoins fait l’objet d’une négociation collective autour des problèmes

410

rencontrés par ces salariés quotidiennement. Par contre, nous devons garder en tête que ceci

reste dans un cadre strictement informel.

Ainsi, et au vue des carences de la formation institutionnelle, apprendre des et avec les pairs

se présente comme un élément important dans la vie des salariés de ces front office, qui

expriment sans cesse un besoin de professionnalisation. Les CP se présentent alors comme

des espaces où toutes les conditions sont réunies pour permettre aux salariés de compléter leur

formation. On y trouve les personnes compétentes et expertes, avec qui la négociation de sens

permet de réifier les connaissances les plus indispensables pour la tenue du service, sans

aucune pression et contrainte procédurale ou encore d’évaluation. Dès lors, on peut dire que

les CP sont des espaces propices à des formations permanentes informelles, où les

connaissances sont crées et transmises sous l’égide des plus expérimentés et/ou compétents

(autorité de la connaissance), selon des conventions tacitement admises entre les membres

participants. Nous comprenons alors davantage pourquoi ces derniers ne manquent pas de

motivation pour s’engager mutuellement.

Enfin, nous souhaitons rappeler que la CP permet à l’organisation d’éliminer certains coûts

cachés inhérents à la formation des agents en situation, en court-circuitant parfois le processus

d’apprentissage individuel par essai-erreur, permettant ainsi un gain de temps (impact

quantitatif /productivité) et la réduction de la non-qualité (impact qualitatif).

3. La pratique d’appréciation des salariés dans les front-office. Qu’en est-il

des apports de la CP dans l’évaluation de leurs membres ?

Comme nous allons le voir dans ce qui suit, dans les trois organisations étudiées, les grilles

d’appréciation des agents comprennent toutes une rubrique consacrée à l’engagement des

salariés dans le collectif du travail. Cependant, la place qui lui est accordée reste largement

secondaire comparée aux critères de performance chiffrée et à ceux de la compétence

individuelle des agents.

3.1 Les critères d’appréciation des salariés dans les front office étudiés

Le système d’évaluation dans nos trois organisations respective se heurte à la même

problématique soulignée dans notre revue de littérature, relative à la difficulté d’instaurer un

411

système d’évaluation susceptible de satisfaire les différents acteurs évoluant dans

l’organisation. Cela dit, l’évaluation annuelle des salariés se présente, d’après les responsables

du centre d’appels ‘A’ et des guichets ‘B’ comme « un moment délicat pour les managers et

les salariés ». Toujours d’après ces responsables, la divergence des avis des acteurs fait que la

grille d’évaluation utilisée évoluent quasiment tous les deux ou trois ans. Toutefois, les

modifications sont relativement minimes. Elles consistent à rajouter certains critères et/ou en

supprimer d’autres.

Dans les front offices visités, l’observation des rythmes de travail, les pratiques d’écoute

mobilisées (des conversations avec les clients dans les centres d’appels), la supervision, la

pression ressentie et subie par les conseillers, et l’impression qu’ont ces derniers d’être tout le

temps « fliqués »229(espionnés), nous amènent à penser logiquement que l’évaluation des

salariés sur la base de résultats objectivés l’emporte dans le processus d’appréciation.

Comme nous l’avons indiqué dans la première section, les critères d’évaluation des

conseillers et téléconseillers sont d’ordre quantitatif et qualitatif, fixés par les directions

comme étant les objectifs de performance requis. Si l’évaluation des objectifs quantitatifs se

présente comme objective, la performance qualitative pose souvent des problèmes entre les

agents et leurs supérieurs. Rappelons que dans les trois organisations, nous avons rapporté que

l’appréciation de la qualité s’apparente à l’appréciation des compétences individuelles des

agents à travers leurs savoirs et savoir faire technique et relationnel.

Il est vrai que les critères de performance occupent une place primordiale dans le processus

d’appréciation des agents. Cependant, en plus de critères classiques, d’autres critères ont été

intégrés (au fur et à mesure) ces dernières années dans les grilles d’évaluation utilisées dans

les trois organisations étudiées. Ces critères renvoient au comportement230 du salarié « en tant

que membre de groupe ».

Comme nous l’avons déjà annoncé, le terme de CP n’est pas utilisé dans nos organisations.

Elles mobilisent plutôt les concepts de collectif, ou de groupe, qui sous entend l’ensemble des

salariés évoluant dans le même service, y compris les managers (et le responsable). Le

229 Ce terme est utilisé par la CP du centre d’appels ‘B’. 230 Ceci explique en partie la décentralisation de l’appréciation des conseillers et téléconseillers pour la confier aux managers, car ces critères ne peuvent être observés et jugés que par ceux qui côtoient les conseillers et les accompagnent dans leur travail quotidien.

412

comportement du salarié en tant que membre de groupe renvoie en partie à son relationnel

avec les supérieurs et les collègues, ainsi qu’à sa collaboration et coopération dans

l’organisation en général (avec le back-office, notamment). Cependant, les entretiens réalisés

avec les évaluateurs nous indiquent que le processus ne se limite pas à l’aspect formel de la

collaboration, mais s’étend aux pratiques informelles que les salariés mobilisent dans une

optique d’entraide, voire de contribution et d’apport à l’organisation.

3.2 L’appréciation des engagements mais pas des apports des CP

Dans le centre d’appels ‘A’, nous trouvons une colonne dans la grille d’évaluation des

téléconseillers intitulée « Rappel des compétences requises » :

- Savoir faire relationnel (implication) : adhésion, engagement, coopération.

- Savoir faire relationnel231 (relationnel) : communication et qualité d’expression, force de

conviction, animation de groupe.

En questionnant les superviseures, on comprend qu’elles recensent ces qualités davantage

chez les salariés opérant dans les box que nous avons considérés comme constituant des CP.

Quant au poids relatif232 de ces dimensions dans l’appréciation générale des salariés, les deux

superviseuses avouent que ça reste nettement secondaire étant donné que les injonctions

organisationnelles mettent davantage l’accent sur les objectifs chiffrés de l’activité.

Dans l’organisation ‘B’, la grille d’appréciation (commune au centre d’appels et aux

guichets), définit les compétences relationnelles par : les capacités d’aide et d’entraide,

l’implication dans les résolutions collective des problèmes, l’investissement dans le collectif,

les relations avec les collègues et esprit d’équipe.

En parallèle à ces données, deux managers dans le guichet ‘B1’ (qui, rappelons le, participent

à l’activité des agents), nous ont indiqué que lors des entretiens annuels d’appréciation, elles

ont reproché aux agents que nous avons identifié précédemment comme isolé du reste de la

CP, de ne pas être suffisamment engagés avec les autres. D’après les termes utilisés par les

231 Rappelons qu’il s’agit ici des événements relatif au comportement des agents vis à vis du groupe (et non vis à vis des client) 232 Nous entendons ici pas le « poids relatif », la place qu’occupe réellement ces éléments dans la grille d’évaluation, comme par exemple l’effet sur la détermination de « l’attribution des points de compétence ».

413

managers, ces deux agents ne veulent pas demander l’aide des collègues, et inversement, ne se

rendent pas disponibles quand ces derniers les sollicitent. Les managers insistent pour dire

qu’elles considérément ce non-engagement comme une rétention d’information et une

absence d’esprit d’équipe. Contrairement aux cas des groupes projet par exemple, bien qu’ici

les tâches réalisées par les conseillers et téléconseillers sont sensées être individuelles et non

collectives, le fait de reprocher aux salariés le non-engagement dans les interactions avec les

autres, témoigne du fait que les superviseurs ont conscience des apports potentiels de ces

échanges.

Dans le guichet ‘B2’, dont la CP est caractérisée par la pratique informelle consistant pour les

agent à transcrire sur le tableau les informations indispensable à partager pour bien mener leur

travail, la responsable avoue que ce moyen renseigne aussi ceux qui s’impliquent plus que

d’autre. Cependant, elle dit qu’elle n’a pas relevé (jusqu’au au jour de l’interview) des agents

moins impliqués que d’autres.

Enfin, dans la banque ‘C’ la rubrique de la grille d’évaluation qui prend en compte

l’engagement des salariés dans la vie du groupe, est intitulée « coopération ». Elle comprend

des indicateurs comme le « taux de logage »233, « faire savoir », « assistance », « mobilisation

d’ actions », « esprit d’équipe » et « engagement ».

Certains managers dans les centres ‘C1’ et ‘C2’ estiment que ces compétences sont

primordiales pour le « fonctionnement des plateformes téléphoniques ». Par contre, ils ne

cachent pas le fait, et assument – que ces compétences restent secondaires dans l’appréciation

des agents, par rapport à leurs résultats quantitatifs de vente notamment. L’activité de la

banque étant de vendre des prestations, ils trouvent ça relativement logique.

Dans les deux guichets (C3 et C4), on retrouve aussi le même style de discours avec des

expressions du genre « le guichet ne peut pas fonctionner sans l’implication des agents,… »,

mais là aussi, les responsables évoquent l’activité marchande de la banque, pour faire

prévaloir les critères de ventes sur les autres critères d’appréciation des salariés.

233 Ce taux renvoie au temps passé par le salarié sur son poste de travail par rapport au temps normal exigé. Ceci a un lien direct avec le critère de performance (cf. première section du chapitre) « Le temps d’attente (la file d’attente) », que nous avons présenté comme un critère quantitatif inclus dans les indicateurs qualitatif.

414

Au vue des éléments présentés ici à propos des systèmes d’appréciation des salariés en

rapport avec leur engagement dans le collectif, on comprend que les managers mesurent

l’importance de ces engagements dans la vie de l’organisation et s’efforcent de le prendre en

compte pour mieux le valoriser et inciter les agents à interagir. Toutefois, ceux-ci restent

moins importants que les critères quantitatifs dans l’évaluation de la performance des salariés

dans ces trois entreprises.

Par ailleurs, si les engagement des salariés sont bel et bien pris en compte, nous avons

remarqué que les apports potentiels cognitifs des CP qui peuvent émerger de ces

engagements, à savoir, les apports de l’apprentissage situé et entre pairs, l’échange de

pratiques, des connaissances et des savoir faire, les solutions élaborées ayant permis de mieux

gérer les coproductions, les techniques efficaces, etc., ne sont pas pris en compte alors que

nous avons vu tout au long de ce chapitre l’importance de ces éléments et leur efficacité dans

le travail quotidien des agents dans les front-office. Nous avons alors questionné les managers

à propos de cette problématique. Les avis divergent selon que l’on croit ou pas à l’efficacité

des produits cognitifs issus des CP. Une minorité des managers, ne reconnaissant pas

vraiment les apports des CP, refusent l’idée que ces groupes soient porteurs de performance

pour l’entreprise. Ils estiment donc que cela ne mérite pas vraiment d’être souligné dans la

grille d’appréciation. D’ailleurs, ce sont eux qui négligent davantage dans l’appréciation des

salariés, la rubrique relative à leurs engagement dans le collectif.

Toutefois, la majorité des managers (recensés notamment dans les guichets234) croient aux

apports de leurs agents pour réaliser le travail quotidien et estiment que c’est une « erreur » de

ne pas prendre en compte la production de ces groupes, même s’ils soulignent qu’elle n’est

pas simple à transformer en indicateurs relativement objectifs. Pour eux, il est très difficile de

distinguer qui a produit quoi. Ainsi, ils disent que ces apports potentiels sont compris et pris

en compte implicitement dans la rubrique relative à l’engagement des salariés.

234 Notons que si la majorité des managers (favorables à l’idée que la CP a un impact positif sur la performance de ses membres et de l’organisation en général) sont ceux travaillant dans les guichets, c’est parce que ces derniers, comme nous l’avons déjà souligné, sont mieux placés que leurs homologues dans les centres d’appels, pour comprendre le vécu des agents et comment ils arrivent à traiter les relations grâce à leurs interactions.

415

4. Malgré ses apports, la CP peine être reconnue dans le champ de la GRH

dans les organisations étudiés

A l’aune de ce que nous venons présenter dans cette section, il semble que la CP se présente

comme un moyen permettant d’enrichir les pratiques de GRH évoquées. Cependant, elle

peine à avoir une reconnaissance autre qu’informelle. Son apport reste marginalisé, et pas

considéré par les décideurs comme aussi pertinent que ceux élaborés et issus des réflexions

institutionnelles.

Dans le domaine de la socialisation organisationnelle, le rôle important que les CP jouent dans

l’intégration des novices semble avoir attiré l’attention de certains managers mais pas de tous.

Ainsi, bien que cette pratique reste informelle, les novices ne tardent pas à découvrir que la

CP est une source riche en termes d’informations techniques, comportementales et

institutionnelles, et qu’elle est particulièrement importante pour bien démarrer leur carrière

organisationnelle.

En ce qui concerne la CP comme un moyen remédiant aux déficiences de la formation

institutionnelle, là aussi les organisations étudiées ne manifestent pas un intérêt particulier

pour ces groupes pour tenter de repenser les pratiques de formation des salariés. Bien

évidemment la CP a toujours formé les salariés et continue de le faire. Elle permet à

l’organisation institutionnelle, entre autres, d’économiser des coûts financiers et matériels

inhérents à la formation des agents. Cependant le problème se pose au niveau de la prise de

conscience des responsables de ces apports et les mécanismes qui les permettent. Si

l’organisation institutionnelle ne considère pas ces apports, elle risque de négliger les facteurs

(spatio-temporels notamment) qui influencent l’émergence et la dynamique de ces groupes et

entraver de ce fait la production de la communauté.

De plus, au vu des carences des dispositifs institutionnels en termes de formation, il semble

important qu’il y ait une vraie réflexion à propos de la possibilité d’enrichir la formation

institutionnelle par les apports de la CP. Par exemple, et hormis l’idée d’inviter ces groupes à

participer à l’identification des besoins en formation, nous pensons que certaines pratiques

élaborées par les CP peuvent être, au moins partiellement, codifiées et intégrées dans les

circuits de la formation institutionnelle. Les histoires partagées par les CP peuvent aussi être

416

utilisées comme une source d’inspiration ou comme exemples pour les traduire sous forme

‘mises en situations’ à utiliser dans la formation des nouveaux salariés.

Enfin, ce manque de considération est aussi visible au niveau de la pratique d’appréciation des

salariés. Comme nous l’avons vu dans les trois organisations, bien que les engagements des

salariés soient inscrits dans les fiches d’appréciation comme un indicateur servant à les

évaluer, il est évident que cela n’est fait qu’a minima. Son importance est très secondaire,

comparé aux autres indicateurs relatifs aux compétences individuelles et à la performance

chiffrée. Par railleurs, prendre en compte seulement les engagements des salariés sans inclure

les apports en terme de connaissances et de pratiques ne permet pas de motiver réellement les

agents à diffuser leurs savoirs et divulguer leurs pratiques, ou encore, pour certains à renoncer

à la rétention d’information. Les CP pourraient donc être beaucoup plus présentes dans

l’appréciation des salariés.

Conclusion du chapitre 5

Les résultats empiriques présentés dans ce chapitre nous semblent particulièrement

intéressants, et permettent d’enrichir considérablement les apports théoriques évoqués dans la

revue de littérature. Nous proposons de résumer ici les principaux résultats pour les discuter

après dans la conclusion générale.

Nous commençons par les résultats relatifs à l’analyse du contexte des relations de service.

L’un des résultats qui mérite d’être rappelé ici est celui relatif à la typologie des situations

rencontrées dans les relations de service (routines, complexes et équivoques (intermédiaires)).

Cette typologie, en plus du fait qu’elle permet de comprendre les différents types de situations

de coproduction qui caractérisent le quotidien des agents dans le front office, son importance

réside également dans le fait qu’elle annonce la logique productive à mobiliser et la nature de

la performance privilégiée selon le type de situation rencontrée.

A propos des CP qui émergent dans les différentes unités des organisations étudiées, nos

résultats montrent que le partage d’un même métier dans une même organisation n’est pas le

417

facteur le plus déterminant pour appartenir à une CP. L’agencement spatiotemporel et la

volonté d’engagement des agents sont également déterminants dans l’appartenance ou pas à

une CP.

Les résultats qui permettent de répondre à nos interrogations dans cette thèse se veulent bien

clairs. En effet, ils montrent bien que les CP contribuent à la performance de leurs membres

dans les relations de service.

Après avoir montré que les agents dans les CP élaborent des solutions adéquates pour

résoudre les différentes situations rencontrées, et que les CP permettent à leurs membres

d’être relativement indépendants vis-à-vis de leurs managers, nous avons pu cristallisé ce lien

à travers les résultats de notre analyse comparative des niveaux de performance individuelles

des agents, selon qu’ils soient membres ou pas d’une CP. Les résultats présentent une

tendance clairement dominante, indiquant que le fait d’appartenir aux CP permet aux agents

d’atteindre les résultats de performance exigés, contrairement aux salariés qui n’appartiennent

à aucune CP. Bien évidemment nous devons prendre en considération les rares exceptions

révélées par cette analyse. Ceci nous amène à tempérer nos propos en soulignant que cette

relation ne s’applique pas à tous les salariés, mais à une grande majorité d’entre eux. Ainsi,

nous devons préciser que la CP n’est pas le seul facteur déterminant dans le niveau de

performance des agents.

Quant aux mécanismes à travers desquels ce lien est construit, nous avons montré comment

l’élaboration et l’échange de pratiques dans la CP permettent à la fois la

performance quantitative et qualitative dans les relations de service. Nous avons renforcé cet

argument en démontrant l’efficacité de l’apprentissage « situé et entre pairs », qui se

différencie des autres modèles d’apprentissage dans l’organisation à travers, notamment,

l’autorité de la connaissance qui caractérise les schémas interactionnels dans les CP.

Enfin, à partir de l’analyse du rôle potentiel que joue les CP dans les pratiques d’intégration et

de formation des salariés dans les organisations étudiées, il ressort que les enseignements que

l’ont peut tirer de cette étude sont particulièrement pertinents et intéressants pour la GRH. La

CP se montre comme une source socialisatrice des nouveaux salariés en leur apportant à la

fois un apprentissage, un soutien sociale et des informations important pour bien démarrer

leur activité dans l’organisation. Du côté de la formation institutionnelle, les différents

activités dans la CP permettent de remédier en partie aux déficiences que présentent les

dispositifs organisationnels en matière de formation des salariés. Au vu des ces apports, nous

418

pensons que l’organisation gagnerait à intégrer davantage ces groupes dans ses pratiques de

GRH. Par ailleurs, nous avons vu que les différentes organisations étudiées, ne manifestent

pas une réelle volonté de cultiver ces groupes et exploiter leurs apports, en considérant

l’engagement des salariés dans le collectif comme un critère largement secondaire dans la

grille d’appréciation. Ceci ne motive pas les agents à s’impliquer davantage dans la vie de

l’entreprise. Dès lors, intégrer l’engagement des salariés dans les CP ainsi que leurs apports

nous semblent nécessaire, et se présente comme un levier d’action permettant d’aider ces

groupes à se former et s’épanouir dans l’organisation.

419

Conclusion générale : discussion des résultats, apports de la thèse, limites et

ouvertures pour le prolongement de la recherche

L'objectif de cette thèse est de chercher à comprendre, sur le plan conceptuel et

opérationnel, si et comment les communautés de pratiques contribuent à la performance de

leurs membres dans les relations de service. L’appréhension de ce lien permet de susciter une

prise de conscience chez les responsables sur l’importance du phénomène dans les entreprises

et de tirer quelques enseignements pour la GRH.

Tout d'abord, la revue de la littérature a permis de constater que les CP jouent un rôle

opérationnel considérable dans les organisations, en matière d’apprentissage et de partage de

connaissance. Ensuite, dans le domaine des relations de service, nous avons montré, à travers

certains exemples, comment ces groupes émergent dans ces entreprises, afin de répondre aux

caractéristiques spécifiques de leur contexte. La multitude, l’instabilité et l’imprévisibilité des

situations auxquelles les agents du front-office font face, incitent ces agents à interagir,

permettant de ce fait un apprentissage situé et une élaboration des connaissances et pratiques

indispensables pour mener à bien leur travail quotidien.

Cependant, les études rapportées dans cette partie théoriques montrent que les auteurs,

en plus du fait qu’ils ont travaillé pour la plupart sur les CP intentionnellement créées, mettent

l’accent davantage sur les mécanismes se déroulant dans les CP et qui renseignent sur le rôle

opérationnel de ces groupes sans expliciter le lien qu’elles entretiennent avec la performance.

L’absence d’une explicitation claire à propos de ce lien nous a conduit à étudier trois

organisations de service, dans l’espoir d’obtenir des informations plus significatives sur le

phénomène des CP et les liens qu’elles entretiennent avec la performance de leurs membres.

Nos observations fines des interactions entre les agents ont permis, dans un premier temps, de

distinguer les agents membres d’une CP de ceux qui ne le sont pas. Puis, l’analyse

comparative des niveaux de performance individuelle des agents, couplés aux résultats

renseignant sur leurs appartenances ou non à une CP, a permis de dégager des résultats

significatifs qui permettent de montrer le lien entre CP et performance.

Finalement, il est ressorti que, malgré le fait que l’apport des CP en termes de

performance à ses membres, et à l’organisation d’une manière générale, se présente comme

considérable dans les trois organisations étudiées, la prise de conscience à propos de ce

phénomène est loin d’atteindre la maturité chez les hiérarchies respectives. Ce constat se

révèle comme vrai tant au niveau managérial qui n’a pas su profiter des mécanismes

420

d’apprentissage et d’élaboration des connaissances dans ces groupes, qu’au niveau des

pratiques de GRH qui n’intègrent pas vraiment ces structures pour compléter certaines

pratiques et remédier aux déficiences de certains dispositifs institutionnels. Le fait de ne pas

considérer les contributions des membres de la CP dans l’appréciation de ces derniers,

témoigne que les organisations n’ont pas encore dégagé la volonté d’encourager et d’inciter

les agents à multiplier les mouvements interactionnels.

Dans ce qui suit, nous allons commencer par discuter les résultats issus de notre

recherche en les confrontant à certains postulats théoriques évoqués dans notre première

partie. Nous poursuivons notre présentation en mettant en avant les apports de notre travail

aux champs théoriques concernés et en termes de perspectives managériales. Bien que ces

apports se présentent comme pertinents, notre travail a ses limites et nous tâcherons à les

exposer juste après nos apports. Nous terminons notre concluions par proposer quelques pistes

pour l’ouverture de la recherche dans le champ d’étude des CP.

� Discussion des résultats empiriques ;

Les résultats empiriques présentés dans le dernier chapitre nous semblent particulièrement

intéressants. Par rapports à ce que nous avons évoqués dans notre revue de littérature, nous

pouvons regrouper ces résultats dans deux catégories. La première catégorie concerne les

résultats qui vont dans le sens des postulats théoriques évoqués, permettant de ce fait de les

confirmer et renforcer. La seconde catégorie des résultats regroupe les éléments qui n’ont

pas été analysés de manière suffisamment explicite par les théoriciens, pour ne pas dire ils ont

été négligés. Les résultats composant cette seconde catégorie ne contredisent pas forcément

les réflexions théoriques avancées, mais viennent pour la plupart apporter des précisions ou

soulever certaines nuances dans les différents champs d’étude respectifs.

Pour la présentation de ces deux catégories des résultats, nous les restituons dans leurs

champs théoriques équivalents afin de mieux dégager les similitudes et les nuances vis-à-vis

de ces derniers. Après avoir discuté les deux champs théoriques principaux (CP et relations de

service), nous parlerons de manière relativement sommaire de nos résultats par rapport à notre

problématique, ainsi que par rapport aux enseignements relatifs aux pratiques de GRH. Nous

reviendrons sur ces deux éléments davantage au moment où nous parlerons des apports de

notre thèse.

421

• La théorie des communautés de pratique.

� Les résultats conformes aux postulats théoriques évoqués : par rapport au champ

théorique de la CP, nos résultats se révèlent majoritairement conformes à ce qu’a été annoncé

dans la revue de littérature à propos de ces groupes, notamment au niveau des points

suivants :

- L’émergence des CP comme réponse aux caractéristiques de l’activité des salariés,

incarnées notamment par l’écart entre le travail prescrit et le travail réel (Brown et Duguid

1991 ; Wenger, 1998). En effet, nos différents exemples des négociations de sens se déroulant

dans les CP identifiées sur notre terrain, font ressortir que ce processus permet l’élaboration

des savoirs et pratiques, qui permettent de combler l’écart entre la prescription

organisationnelle du travail et les situations réelles auxquelles sont confrontées les agents

dans les relations de service. (Nous aborderons le processus d’apprentissage dans le troisième

point)

- En ce qui concerne les caractéristiques épistémiques et structurelles des CP, en plus de la

négociation de sens qui se fait effectivement suivant la dualité engagement-réification

(Wenger, 1998), les CP identifiées sur notre terrain semblent disposer en effet de répertoires

partagés propres aux membres qui s’engagent mutuellement dans leur groupes respectifs, et

développent ainsi un sentiment d’appartenance à une entreprise locale. Entre autres, c’est la

présence de ces éléments qui nous a permis de distinguer des CP différentes, pour certaines

évoluant dans une même organisation.

- A cette liste, nous pouvons rajouter certains résultats conformes à d’autres idées évoquées

dans le champ théorique des CP, comme par exemple l’aspect de l’autorégulation (Wenger,

1998 ; etc.) observé dans les CP identifiées. Nous ajoutant au passage la confirmation d’une

autre idée (Reynaud, 1988) stipulant que ces groupes sont effectivement sensibles aux,- et

s’alignent sur les mêmes- objectifs de l’organisation où ils se développent. Enfin, l’idée de

Smith et Farquhar, (2000) ou Lesser et Stork (2001) selon laquelle dans une CP, les

participant savent « qui sait quoi, qui fait quoi, qui avec qui, qui connaît qui, etc. » est

particulièrement présente dans les CP étudiées sur notre terrain.

� Les résultats qui nuancent certains postulats théoriques :

- Le premier résultat concerne la problématique d’appartenance des salariés à une CP.

Contrairement à la plupart des auteurs (dont Wenger, 1998) qui présentent dans leurs études

les CP comme composées de tous les membres partageant la même activité, et évoluant

dans la même organisation, nos résultats se veulent un peu différents. Ils montrent que

422

l’appartenance à l’organisation et le partage du même métier ne sont pas suffisants pour

qualifier un groupe de CP. Ceci est bien évidemment en tenant compte du postulat de Wenger

qui considère les interactions entre les membres comme le cœur battant de la CP. Dans nos

trois organisations respectives, il ressort que certains agents n’interagissent pas avec les autres

et ne développent pas de pratiques communes avec leurs homologues. Ils n’appartiennent à

aucune CP.

- Le second résultat fait suite au premier et concerne les agents membres et non membres des

CP. Deux idées qui nuancent les apports théoriques peuvent être relevées ici.

Concernant les agents n’appartenant pas à une CP, bien que certains d’entre eux se trouvent

malgré eux privés de ce groupe, notamment à cause de certains déterminants organisationnels

(voir ci-après), d’autres salariés ne se montrent pas enthousiastes à l’idée d’interagir avec les

autres et ils n’ont pas développé le sentiment d’appartenance à une entreprise commune et

locale. La volonté d’appartenir ou pas à une CP diffère selon les personnes. Dans le sens

inverse, nous avons vu dans les guichets de la banque ‘C’ que la CP peut contraindre les

salariés à y adhérer même si ces derniers ne sont pas forcément enthousiastes à l’idée de

groupe. Le cas des deux salariés de notre terrain concernés par cette problématique renseigne

qu’à défaut de s’auto-exclure, l’appartenance d’un membre à une CP peut relever d’une

adhésion forcée.

- Le résultat que nous évoquons ici explique en partie les deux précédents. Il s’agit de

l’ importance relative de la configuration spatio-temporelle, qui se veut dans nos trois

organisations respectives, à des différences près, comme particulièrement déterminante dans

la configuration des schémas interactionnels dans les CP. Bien que la revue de littérature à

mentionné les paramètres « espace » et « temps » comme logiquement nécessaires aux

interactions, le rôle de cet aspect a été présenté comme secondaire et n’a pas fait l’objet d’une

analyse plus fine, alors que l’agencement spatial des postes de travail et l’organisation des

plannings horaires des salariés (pauses, etc.) ont largement contribué à configurer les CP

identifiées. Cependant, ce résultat n’est pas totalement nouveau car on trouve, dans une

perspective relativement similaire, un résultat annoncé par Schenkel et Teigland (2008)

renvoyant au rôle important du face-à-face dans les interactions entre les salariés.

- Enfin, l’hétérogénéité des statuts composant les CP dans les guichets ‘B’ se présente comme

un résultat pas commun dans le champ théorique. En effet, contrairement à ce qui a annoncé

ou présenté par certains auteurs, à l’instar de Cohendet et al. (2003), les statuts des membres

qui composent une CP ne sont pas forcément « homogènes », mais il peuvent être

« hétérogènes». C’est ce cas de figure qui est observé dans les guichets de l’organisation ‘B’

423

où les CP peuvent regrouper les salariés, leurs managers ainsi que leurs responsables. Cette

configuration est possible à condition que les membres participent tous à la même activité,

partagent de problèmes similaires, et surtout, ils interagissent suivant une logique qui donne la

primauté à l’autorité de la connaissance et non à celle de la position hiérarchique.

• Le contexte des relations de service :

� Les résultats conformes aux postulats théoriques évoqués: Plusieurs résultats issus de

notre terrain confirment les idées relatives à la description du contexte des relations de

service, telles que rapportées par de nombreux auteurs dans ce domaine (Pichault et Zune,

2000 ; David, 2001 ; Hubault et Bourgeois, 2001 ; Zarifian, 2002 ; Jeantet, 2003 ; Lanciano et

al, 2008 ; Caldéron, 2006, etc.).

- Les résultats empiriques montrent que, toutes les caractéristiques de la logique industrialiste

qui interviennent dans les relations de service sont bien présentes dans nos organisations (la

standardisation, la prescription et le contrôle). Celles de la logique de service (la

personnalisation, les compétences spécifiques et l’autonomie), sont également de mise dans

nos front-office. Comme c’était annoncé dans la revue de littérature, cette cohabitation se

transforme parfois en conflit de logiques, qui se répercutent sur la performance et sa mesure

dans ces organisations. A propos de la performance dans les organisations étudiées, on

retrouve les même caractéristiques rapportées dans la littérature, à savoir des critères de

mesure quantitatifs et qualitatifs, qui se présentent aussi comme contradictoires dans les

organisations étudiées.

- Du côté du processus de coproduction, là aussi les constats empiriques renforcent

particulièrement les idées évoquées dans la revue de littérature concernant le « client

multiple », la variabilité et l’imprévisibilité des demandes, ainsi que les difficultés rencontrées

par les agents dans leur travail provoquées par les comportements des clients (Jeantet, 2003 ;

Guérin, 2005 ; etc.). Enfin, les limites de la prescription organisationnelle et celles relatives

aux compétences individuelles sont également relevées dans les trois organisations étudiées.

Ces deux dispositifs ne suffisent pas eux seuls pour que les agents puissent atteindre les

objectifs de performance. Dès lors, la CP intervient comme une ressource productive qui

permet aux agents de remédier en partie à ces limites.

� Les résultats qui nuancent certains postulats théoriques :

- Certainement, l’un des résultats empiriques que nous pouvons évoquer ici est celui relatif à

la typologie des situations rencontrées dans les relations de service. Cette typologie permet de

424

comprendre, non seulement les caractéristiques de ces situations, mais aussi, les modèles de

production et de performance qui se révèlent aussi comme fonctions de cette typologie.

A partir du critère de degré de complexité, qui prend à la fois le rôle des caractéristiques des

clients et celui de la variété de leurs demandes, notre typologie a fait ressortir trois types de

situations : routines, compliquées et équivoques (intermédiaire). Ceci étant contrairement à

certains auteurs ayant développé une vision déterministe du contexte des relations de service,

prétendant que les situations rencontrées dans les front-office sont simples et répétitives. Mais

certains auteurs ont bien signalé l’existence de situations simples et d’autres compliquées.

Nos résultats montrent qu’il existe une catégorie de situations intermédiaires entre les

précédentes, non reconnues officiellement par la hiérarchie, mais qui occupent une place très

importante dans les relations de service, de part de leurs nombres que de la complexité

relative de leurs contenus et/ou leurs déroulements. Cependant, notre résultat met en avant les

trois types de situations qui sont les plus représentatives du contexte des relations de service,

mais nous devons garder en tête qu’un degré de simplicité ou de complexité peut aussi être

observé à l’intérieur de chacune des catégories identifiées.

- Le second résultat est subséquent au précédent. Les éléments caractérisant la logique

industrialiste et celle du service sont aussi fonction de cette typologie. Dans nos organisations,

c’est le degré de complexité de la situation (type) qui définit le modèle productif encouragé

par l’organisation ainsi que le critère de performance qui lui est rattaché. Ceci ne concorde

pas avec la vision des auteurs qui rapportent l’existence des deux logiques comme intervenant

toujours au même moment et avec le même poids quelle que soit la situation que l’ont cherche

à résoudre. Ceci expliquent alors pourquoi ces auteurs parlent du conflit de logique comme

omniprésent dans les relations de service. Nos résultats ne réfutent pas l’existence de ce

conflit et le montrent bien, mais ils se veulent plus précis en montrant que ce conflit est

surtout présent lorsqu’il s’agit des situations équivoques. Les deux logiques n’interviennent

pas avec le même degré qu’il s’agit des situations simples ou compliquées. Dans ces cas de

figures, la cohabitation des deux logiques peut être plus ou moins soutenue sans engendrer

systématiquement un conflit.

Enfin, un autre résultat mérite d’être souligné ici et concerne notamment les centres d’appels

étudiés. Il s’agit de la faiblesse de la pratique exhortant les agents à la lecture textuelle des

scripts. Dans nos trois organisations, le modèle se rapproche davantage des remarques de

Pichault et Zune (2000) à propos de la faiblesse de cette pratique dans les centres d’appels

entrants, et s’éloigne de ce fait des apports théoriques mettant cet aspect comme étant une

caractéristique importante du travail des téléopérateurs.

425

• L’impact des CP sur la performance de ses membres et les autres apports

� Les résultats conformes aux postulats théoriques évoqués : Les résultats relatifs au lien

positif entre la CP et la performance de ses membres vont tout à fait dans le sens de ce qui est

soutenu par les tenants de cette théorie.

- Nos résultats montrent qu’il y a un lien fort entre l’appartenance d’un agent à une CP et ses

résultats de la performance quantitative et qualitative. Ce lien est permis grâce aux

mécanismes rapportés dans la revue de littérature, à savoir l’apprentissage et le partage des

connaissances. Ces deux mécanismes expliquent comment la CP permet aux participants de

réaliser des économies de temps, d’éviter le « rework », d’accélérer le processus

d’apprentissage, d’élaborer des pratiques pour faire face aux situations délicates, de faire

émerger de nouvelles méthodes de travail, etc.

- L’apport des CP en termes d’apprentissage se veut particulièrement dominant dans les CP

identifiées dans les organisations étudiées. Comme défendu par les tenants de la théorie de la

CP, cette structure permet un apprentissage informel situé, généralement efficace grâce à

l’autorité de la connaissance qui s’impose dans les schémas interactionnels entre les

participants (Lave et Wenger 1991 ; Brown et Duguid, 1991 ; Wenger, 1998 ; Restler &

Woolis 2007 ; etc.). Les résultats empiriques confirment cette idée et relèvent que les

membres des CP identifiées apprennent des et avec les pairs (incluant les autres statuts dans le

cas des guichets ‘B’) qui partagent le même quotidien. Cet apprentissage informel situé,

permet d’élaborer un savoir situationnel à caractère expérientiel, partagé entre les membres

pour une utilisation ad-hoc et une réutilisation ultérieure si des situations relativement

similaires se présentent. C’est ainsi que la CP contribue à la performance de ses membres

� Les résultats qui nuancent certains postulats théoriques : Bien que nos résultats soient

dans leur partie dominante conformes aux apports théoriques, ils relèvent tout de même des

exceptions qui ne sont pas rapportés dans la littérature.

-Nos résultats montrent que certains agents, bien qu’ils soient membres de la CP, ne

bénéficient pas vraiment des apports de cette dernière au même titre que leurs homologues

dans le groupe. En d’autres termes le processus d’apprentissage « situé et entre pairs » et le

partage des connaissances dans les CP ne sont pas invariablement efficaces pour tous les

salariés. Ainsi, et contrairement aux auteurs qui avancent les CP comme étant bénéfiques à

tous les participants sans soulever les exceptions éventuelles, nos résultats indiquent qu’il faut

observer une certaine nuance à ce sujet.

426

• CP et pratiques de GRH dans les organisations

D’une manière générale, les résultats empiriques confirment l’idée évoquée dans la revue de

littérature à propos des apports potentiels des CP à certaines pratiques dans le domaine de la

GRH dans les organisations. En effet, dans nos organisations respectives, il ressort que les CP

ont un rôle potentiellement important dans certaines pratiques, mais comme c’est le cas dans

les autres organisations en général, ce rôle reste informel et minimisé par les hiérarchies

respectives des organisations étudiées. En ce qui concerne la CP comme source socialisatrice

des novices, les postulats sont bien vérifiés sur notre terrain, avec quelques différences près

dans la façon dont les managers respectifs considèrent l’importance de ces groupes dans la

socialisation des nouvelles recrues. Dans le volet de la formation, et à l’instar de ce qui est

évoqué dans la partie théorique, nos organisations sont aussi concernées par des carences au

niveau de la formation institutionnelle. Ce sont les CP qui permettent de remédier en partie à

ces déficiences. Enfin, bien que le terme de la CP n’est pas mobilisé dans les front-office

étudiés, l’engagement des agents dans le collectif est pris en compte dans la grille

d’appréciation des salariés. Cet aspect n’est pas vraiment mis en avant par les théoriciens,

mais nous pensons que cela est dû, comme nous l’avons constaté sur notre terrain, au fait que

son importance dans l’appréciation des salariés n’est que secondaire, par rapport aux critères

relatifs à l’atteinte des objectifs de performance et ceux relatifs à la compétence individuelle

des agents. Contrairement aux rares exemples des entreprises novatrices en matière

d’appréciation des salariés, qui intègrent dans leurs grilles d’évaluation les apports de ces

derniers à la CP (exemples rapportés par Wenger et Snyder 2002 ; Mc Dermott 2003 ;

Bourhis et Tremblay, 2004), nos trois organisations ne montrent pas cette volonté de

considérer ces apports. Certains managers estiment que ce fait s’explique par la difficulté de

traduire ces apports en indicateurs relativement objectifs. Cela va alors dans le sens des idées

évoquées dans notre revue de littérature à propos de ce volet.

A l’aune de ce que nous venons de présenter, d’une manière générale nous pouvons dire que

nos résultats confirment une bonne partie des postulats théoriques relatifs aux différents

champs théoriques mobilisés dans notre thèse. Cependant, nous avons eu quelques résultats

qui, bien qu’ils ne réfutent pas catégoriquement certaines axes conceptuels, ils permettent de

nuancer ces derniers et apportent quelques précisions, nécessaires, pour une meilleure

compréhension et interprétation des préceptes théoriques avancés.

427

� Apports de la thèse aux champs théoriques et en termes de perspectives

Avant de présenter les apports de notre thèse d’une manière générale, nous souhaitons

souligner certains apports à la théorie des CP issus de notre réflexion théorique mobilisée

dans notre première partie. En effet, nous pensons que la confrontation de certaines idées ont

permis d’enrichir le cadre conceptuel des CP.

� La confrontation de la théorie de l’apprentissage situé dans les CP avec le

socioconstructivisme Vygotskien, a permis de dégager de nombreuses similitudes entre ces

deux écoles. Le Situated Learning n’est pas un nouveau modèle au sens rigoureux du terme,

car les bases de la réflexion à propos de ce modèle d’apprentissage sont bien présentes chez

les socioconstructivistes. La théorie des CP de Lave et Wenger (1991) est venue enrichir le

modèle socioconstructiviste en introduisant le plan communautaire qui définit les contours du

contexte où l’apprentissage a lieu. La différence principale entre ces deux courants se trouve

dans la manière dont l’individu apprend. Chez les socioconstructivistes, l’individu, de

manière consciente, reconsidère ses propres représentations et celles des autres afin de

reconstruire un nouveau savoir, alors que dans la vision situationniste, l’apprentissage peut se

dérouler de manière inconsciente.

� En ce qui concerne le concept de CP, notre réflexion théorique a permis d’atténuer le

flou qui existe entre les pratiques de ces groupes et les autres concepts communs dans les

étude des collectifs de travail, tels que la collaboration, la coopération et l’entraide, etc. Nous

avons estimé alors que l’utilisation de ces dernières notions est restrictive pour analyser

l’ampleur du phonème des interactions dans les CP et rendre compte de toutes ses finalités.

Ces notions n’intègrent pas dans leur analyse la perspective socioconstructiviste des

connaissances, de l’apprentissage et des pratiques qui en découlent.

� Enfin, nous rappelons que le rapprochement du concept de CP des pratiques de GRH

se présente comme un des éléments novateurs de notre travail. Nous avons intégré ce concept

dans le champ de la GRH, afin de sortir un peu du courant commun et dominant dans le

domaine des CP (le Knowledge Management), et tenter de ce fait d’enrichir les connaissances

et les pratiques dans le domaine de la GRH.

En plus des apports issus de notre réflexion théorique, notre travail de thèse dans sa globalité

et les résultats qui y sont émerger sont nombreux. De notre point de vue, les résultats

émergeant de notre thèse constituent un triple apport scientifique, méthodologique et pratique.

428

� Apports scientifiques

Sur le plan conceptuel, plusieurs résultats empiriques se présentent comme relativement

novateurs et viennent enrichir les différents champs théoriques mobilisés dans notre travail.

• La configuration des CP et leurs caractéristiques

Sur la base des indicateurs formulés par Wenger (1998), qui aident à repérer et à

identifier les CP, nous avons vu qu’il ne se suffit pas d’appartenir à un service et de partager

le même métier pour qu’un salarié soit membre d’une CP. A notre sens, considérer

uniquement le lieu d’évolution des salariés pour parler de CP est un raisonnement simpliste,

qui constitue le point de départ de la confusion entre ces structures et les groupes fonctionnels

dans les organisations. Ce premier élément nous amène à souligner l’autre résultat empirique

mettant en avant, d’un côté, le rôle de l’agencement spatio-temporel des postes de travail dont

la disposition peut favoriser ou au contraire entraver les schémas interactionnels entre les

agents. A cette idée, nous ajoutons celle relative à la volonté d’appartenir ou pas à une CP qui

doit être prise en considération comme également déterminante dans la configuration des CP.

Enfin, les frontières des CP ne sont pas forcément fermées aux hiérarchiques, qui

partagent parfois l’activité des salariés et manifestent une volonté d’interagir avec eux. Cette

appartenance est permise si ces responsables acceptant le principe de l’autorité de la

connaissance, laissant de côté ainsi, momentanément, le pouvoir que leurs confèrent leurs

statuts à l’égard de leurs subordonnés.

La combinaison de ces éléments permettent, à notre sens, de mieux comprendre la

configuration des CP et leurs dynamiques dans les organisations.

• L’appréhension du contexte des relations de service

Notre travail a fait ressortir que la compréhension du contexte des relations de service

peut être permis en combinant deux types d’analyses :

- La confrontation des caractéristiques de la logique industrialiste à celles de la logique

de service pour comprendre les conditions de travail des salariés

Plusieurs auteurs ont décrit les dispositifs organisationnels relatifs à l’organisation du

travail dans les entreprises de service. Cependant, chaque description se montre accentuée

davantage sur certains éléments selon la sensibilité de chaque auteur. Notre modèle d’analyse

429

de l’organisation du travail dans les entreprises de service est érigé sur la confrontation des

deux logiques qui cohabitent dans ce secteur, et se transforme parfois en conflit de logiques.

La décomposition de ce dernier en sous-dualités (standardisation et personnalisation ;

prescription et compétence ; contrôle et autonomie ; performance quantitative et performance

qualitative), semble particulièrement pertinent pour rendre compte de l’organisation du travail

qui règne dans cet univers.

- La typologie des situations auxquelles les agents sont confrontés dans leur quotidien

L’un des éléments novateurs dans notre travail concernant le champ d’étude des

relations de service, est la révélation d’une catégorie de situations équivoques situées à

l’intermédiaire entre les situations simples et les situations compliquées. Prendre en compte ce

type de situation permet, de comprendre davantage l’ampleur des différentes situations de

coproduction qui caractérisent le contexte et le travail quotidien des agents dans les front-

office.

En outre, dresser une typologie des situations caractérisant les processus de coproduction des

services permet de mieux comprendre comment les deux logiques concurrentes cohabitent

pour organiser le travail des salariés. L’introduction de ces deux logiques dans la gestion des

coproductions se fait de manière hiérarchisée, en privilégiant l’une ou l’autre en fonction du

type de la situation rencontrée. Cependant, si la logique industrialiste se veut clairement

dominante pour gérer les situations simples, et que celle du service prend l’avantage lorsqu’il

s’agit des situations compliquées, le problème réside dans ces situations intermédiaires où les

deux logiques interviennent en même temps avec des poids relativement équilibrée. La

hiérarchie privilégie dans ce cas la logique industrialiste alors les salariés estiment que celle

du service permet de mieux de résoudre le problème rencontré. C’est ainsi que la

problématique de l’écart entre le travail prescrit et travail réel prend son sens, et la

cohabitation des deux logiques se transforme en conflit.

• L’apport des CP à leurs membres en terme de performance.

Nos résultats montrent clairement que la CP contribue à la performance de ses membres.

L’originalité de ces résultats s’exilique à travers deux éléments :

- Premièrement, nous avons pu expliciter ce lien de manière concrète avec des données

relativement pertinentes. L’analyse comparative des niveaux de performance individuelle des

agents en fonction de leur appartenance ou non à une CP a permis de révéler, malgré quelques

rares exceptions, une tendance dominante montrant que les agents appartenant à une CP

430

affichent de meilleurs résultats de performance que leurs homologues non-membres d’une

communauté.

- Secondement, l’élément qui fait de nos résultats à propos du lien positif entre la CP et

la performance un élément novateur, consiste dans la façon dont nous avons rendu compte de

ce phénomène, et qui donne à ces résultats un caractère relativement solide. Nos résultats sont

issus d’une analyse comparative ayant permis de dresser un état des lieux des niveaux de

performance individuelles des agents, que nous avons comparés selon que ces derniers soient

membres ou pas d’une CP. Cet aspect se rapproche aussi des apports méthodologiques. Nous

reviendrons dessus plus loin.

En ce qui concerne l’apprentissage situé se déroulant dans les CP, nos observations et

analyses ont montré que cet apprentissage permet à la fois la performance quantitative et

qualitative dans les relations de service. Nous avons également érigé un modèle décrivant cet

apprentissage, situé et entre pairs, comme pouvant se réaliser en un ou deux niveaux. Nous

avons également pris en compte la dimension spatio-temporelle intervenant dans son

déroulement, afin de comprendre si le savoir co-élaboré à travers les négociations de sens

dans la CP est utilisé de manière ad-hoc (impact direct sur la performance), ou bien

ultérieurement dans des situations similaires, permettant ainsi d’éviter le recours à

l’expérimentation individuel par essai-erreur. Ainsi l’économie de temps se réalise et la

qualité sera de mise si on considère que le savoir expérientiel constitué, est généralement

efficace dans le sens où il est testé et renégocié entre les membres de la CP.

Enfin, pour concrétiser le lien entre la CP et la performance à travers l’efficacité de

l’apprentissage situé et entre pairs, nous avons expliqué en quoi ce type d’apprentissage se

présente comme meilleur par rapports aux deux autres modèles alternatifs existant. Le premier

étant l’apprentissage individuel par essai-erreur, qui entre autres, se montre particulièrement

long. Le second concerne l’apprentissage formel à travers le questionnement des managers.

Entre autres, ce type d’apprentissage n’est pas vraiment efficace car il permet généralement

aux agents de savoir, comment répondre au client mais pas forcément le pourquoi du

comment. D’autres problèmes caractérisant ce mode d’apprentissage et expliquent pourquoi

les agents dans leur majorité préfèrent l’apprentissage des et avec les pairs.

� Apports méthodologiques

Sur le plan méthodologique, trois éléments méritent d’être évoqués ici comme pertinents

pour appréhender la problématique du lien entre la CP et la performance. Le premier concerne

431

notre approche ayant permis de dégager des résultats relativement solides à propos de ce lien.

Les deux autres concernent la façon dont les outils méthodologiques permettent d’identifier

les CP et de décrire les différents types de situations dans les relations de service.

• L’analyse comparative pour appréhender lien entre la CP et la performance

Comme nous l’avons amorcé ci-dessus notre approche consiste à établir, sur la base

d’une une analyse comparative, un état des lieux des niveaux de performance des agents pour

les comparer en fonction de leur appartenance ou pas à une CP. Ce résultat est novateur dans

le sens où les rares auteurs ayant tenté de répondre à cette problématique ont mis l’accent sur

les mécanismes qui permettent ce lien (l’apprentissage et l’élaboration/le partage des

connaissances). De notre côté, l’analyse comparative des performances individuelles permet

d’appréhender ce lien sans recourir nécessairement à ces variables intermédiaires. Ces

dernières ont été relevées en second lieu pour répondre à notre seconde question de notre

problématique, qui consiste à expliquer la façon dont la CP contribue à la performance de ses

membres.

La difficulté d’observer le lien dans notre cas revient surtout au fait que l’identification des

CP n’est pas évidente à réaliser. Cependant, notre présence physique sur le terrain à permis

cette identification, même si elle a toujours ses limites.

• L’observation in situ et ex situ pour identifier les CP

Le caractère informel et fluide de la CP d’une part, et les fortes chances que ces groupes

soient confondus avec le collectif évoluant dans l’unité étudiée, de l’autre, font que

l’identification des CP relève d’un exercice très délicat. Pour réussir à distinguer entre ceux

qui sont membres d’une CP de ceux qui ne le sont pas, l’observation fine des moments

d’interaction, en situation de coproduction et pendant les pauses (ex situ) (un moment

relativement négligé par certains auteurs), doit être portée sur la fréquence de ces interactions

ainsi que sur le contenus. Ces deux éléments permettent dans un premier temps d’évaluer la

chance qu’un agent soit membre ou pas d’une CP. Puis, l’observation continue pour relever

les gestes, les styles, les méthodes de travail, etc., c’est à dire, vérifier les indicateurs qui

permettent de conférer à un groupe la dimension communautaire. Enfin, il est à noter que

l’observation des sujets doit être conduite sur quelques jours et ne pas se contenter d’une seule

observation journalière. En effet, le comportement des salariés doit faire l’objet d’une suivi

pendant toute la durée de la recherche, afin de voir si leurs engagements sont réguliers ou bien

occasionnels. Nous estimons alors que dans des terrains similaires au notre, une durée d’une

ou de deux semaines peuvent être suffisante pour tracer les schémas interactionnels existant

entre les agents dont le nombre avoisine la trentaine, et qui évoluent dans un espace bien

432

délimité. Quant aux négociations de sens se déroulant dans une CP, la durée de l’observation

dépend de celle que prend ce processus, ni plus, ni moins. Suivre une conversation dès son

début jusqu’à sa fin, permet de relever tous les aspects caractérisant la négociation de sens, à

savoir, le problème soulevé, la manière dont les discussions ont pris forme, les différents

styles d’engagement et jargons mobilisés, ainsi que les pratiques réifiées à la fin du processus.

• L’observation in situ et le récit des agents pour décrire les situations équivoques

Si nous nous contentons des avis des hiérarchiques, les situations équivoques ne

pourraient jamais être révélées comme des situations auxquelles les agents font face

régulièrement dans les relations de service. Donc, une présence physique aux côtés des agents

en situation de travail, permet de suivre la coproduction afin d’en relever l’objet (contenu), les

caractéristiques du client, le comportement de l’agent, la durée de la coproduction, ainsi que

le résultats soumis au jugement (la performance). C’est à dire, relever l’ensemble des

éléments caractérisant la situation tels que proposés par Girin (1990). A cette liste, nous

ajoutons les modes opératoires mobilisés pour résoudre la situation (les modèles productifs).

Bien que Girin n’ait pas inclut les modes opératoires comme caractéristique de la situation,

nous pensons que cet élément est particulièrement important pour comprendre la situation

dans sa globalité dans les relations de service. Ce aspect explique non seulement la façon dont

la situation a été résolue, mais aussi, ce qu’a fait que l’agent a réussi ou non à réaliser sa

coproduction (donc les moyens qui peuvent justifier les résultats soumis au jugement).

La durée de l’observation des situations dépend de la durée de la situation elle même. Par

exemple, même si au départ d’une coproduction la question formulée par le client se présente

comme relativement banale, sous entendant que la situation relève de la catégorie des

situations simples, le volet relationnel dans ce processus peut faire déborder cette dernière de

son cadre routinier, et la faire basculer de ce fait en une situation plus délicate à gérer.

Par ailleurs, certaines coproductions, du fait des éléments techniques du métier concerné sont

parfois difficiles à comprendre et à catégoriser dans un registre précis. Ainsi, le récit de

l’agent se présente comme une source d’information fiable et intéressante, comparé à celui

d’un manager qui n’a pas vécu la situation de coproduction en question.

� Apports managériaux

Nous avons montré dans cette recherche que les CP contribuent à la performance de ses

membres, qui se répercute bien évidemment sur la performance de l’organisation. Cependant,

433

cet apport n’a pas été évalué à sa juste valeur par les responsables dans les organisations

étudiées, puisqu’il ne fait l’objet d’aucun mode de gestion spécifique.

Considérant les divers résultats qui émergent de notre travail, une partie des perspectives

que nous présentons ici s’adressent aux hiérarchiques d’une manière générale. La seconde

partie est adressée à l’attention des praticiens de la GRH dans les organisations. Bien sûr,

toutes nos perspectives restent fidèles au caractère informel de la structure de la CP, et au

mode implicite du transfert des connaissances et des pratiques entre les membres de ce

groupe.

• Les perspectives managériales pour maximiser le potentiel des CP

Il est vrai que les caractéristiques et le mode de fonctionnement de ces groupes

informels constituent une réelle difficulté pour les praticiens, désirant de maximiser le

potentiel de ces groupes et le rendre plus effectif. Sans vouloir imposer une logique de

productivité cognitive à ces communautés, certaines pistes d’action peuvent être envisagées

pour optimiser leur production, en s’intéressant aux facteurs qui peuvent aider leur émergence

et leur épanouissement. En effet, notre recherche a montré que cette émergence est

préconfigurée notamment par le facteur espace-temps. Tout en respectant l’aspect

ergonomique du travail, on peut alors penser à concevoir une architecture des postes de travail

permettant l’interaction (sans cloison) dans les centres d’appels, et une configuration des

guichet sur le modèle de l’« open space », doté d’un backstage pour permettre la

multiplication des interactions. Par ailleurs, et vue les différentes caractéristiques des agents

évoluant les front-office, l’organisation et l’attribution des postes de travail des agents doit

être effectuée de manière à rapprocher spatialement : les novices et les anciens, les

compétents et les moins habiles, les agents ayant des expertises différentes, les agents ayant

des méthodes de travail différentes, etc. Cette organisation spatiale doit être complétée d’une

organisation temporelle qui permet plus de rencontres entre les agents en situation et hors

situation de travail.

Enfin, l’exemple des responsables et managers évoluant dans les guichets de

l’organisation ‘B’, et qui interagissent avec les agents sans mettre en avant le pouvoir conféré

par leurs positions hiérarchiques, nous semble particulièrement intéressant à prendre en

considération pour les managers ayant la volonté de bénéficier du savoir situationnel et

expérientiel négocié dans les CP.

434

• Les conseils adressés aux DRH

L’idée de rapprocher le concept des CP de certaines pratiques de la GRH a permis de

dégager certains éléments qui peuvent enrichir les pratiques concernées.

- Utiliser la CP comme des source socialisatrice des novices

Comme nous l’avons avancé dans le chapitre des résultats, pour compléter et renforcer

les dispositifs organisationnels mobilisés lors de l’accueil et l’intégration des novices, les

praticiens de la GRH peuvent, et dès l’entrée des novices, inviter ces derniers à interagir avec

les anciens en leur permettant de se rencontrer régulièrement, en situation de coproduction et

pendant les pauses. Une fois leur prise de fonction est réelle, le processus doit être suivi en

veillant à ce que ces novices ne soient pas regroupés et enfermés sur eux-mêmes.

L’affectation des postes de travail doit suivre l’idée de leur rapprochement des anciens, c’est à

dire un agencement spatio-temporel qui permet de multiplier les occasions d’interaction entre

eux. Bien évidemment, le seul critère d’ancienneté n’est pas forcément suffisant pour choisir

les agents socialisateurs. La compétence et l’exemplarité doivent aussi être pris en compte

dans le choix des agents avec qui les novices vont interagir.

- Considérer le savoir issus des CP et faire impliquer ces groupes davantage dans les

dispositifs de formation

Dans les pratiques relatives à la formation, nous avons montré que le dispositif des CP

pourrait remédier aux carences de la formation institutionnelle, marquée par la rigidité des

dispositifs mobilisés et la nature a-contextuelle des connaissances dispensées par les

formateurs. Ainsi, les DRH peuvent inviter les CP à participer à des réunions occasionnelles

(collectivement, les groupes de rotation par exemple) pour s’exprimer par rapport à leur

activité (problèmes, commentaires, informations, suggestions, conseils…). Cette pratique peut

être particulièrement intéressante dans l’identification des besoins réels en formation,

complétant de ce fait les propositions soulevées par les managers. Il s’avère que ces derniers

ignorent certains problèmes vécus par les salariés dans leur travail quotidien. Après la

définition des besoins en formation, nous pensons que les savoirs et les pratiques issus des

négociations de sens peuvent être réutilisés dans les dispositifs de la formation

institutionnelle. Bien évidemment nous ne prétendons pas codifier et institutionnaliser ces

savoirs, d’ailleurs, ils résisteront à cette tentative, toutefois, une inspiration, voire une

récupération partielle de certaines idées peut être réalisée. Cela doit être accompagné d’une

réflexion conjointe avec les membres de la CP, afin de discuter et tenter de trouver les moyens

pour partager ces connaissances dans l’organisation. A cet égard, les histoires partagées par

435

les membres de la CP peuvent aussi être utilisées comme une source d’inspiration ou des

exemples, en les traduisant sous forme de ‘mises en situations’, à utiliser dans la formation

des nouveaux salariés. Enfin, il serait intéressant de penser à programmer quelques petites

séances de formation, notamment sur la thématique du management du comportement des

clients, qui seront dispensées par les membres de la CP aux novices, afin que ces derniers

puissent négocier le sens des expériences authentiques vécues par les anciens. Ceci leur

permettraient d’apprendre des pratiques indispensables pour bien démarrer dans leurs

fonctions, et éviter de ce fait des situations délicates qui peuvent heurter ces novices lors des

premiers contacts avec les clients.

- Enrichir la grille d’appréciation des salariés en considérant leurs engagements et

productions

L’engagement des participant et l’élaboration de pratiques par les membre des CP

doivent être intégrés dans la grille d’appréciation annuelle des salariés. Ceci permettrait

d’inciter les agents à interagir davantage et d’être plus impliqués dans les deux pratiques

précédentes (socialisation et formation), et dans la vie de l’organisation en général.

Cependant, comme nous l’avons compris dans les trois organisations étudiées, instaurer un

critère d’appréciation relatif à l’engagement des agents dans le collectif sans que son rôle ne

soit considéré comme relativement important dans l’appréciation, ne permettrait pas

d’encourager les agents à s’engager davantage dans le collectif.

Par ailleurs, on sait bien que l’instauration de ce critère n’est pas un exercice facile et

son appréciation peut être relativement subjective. Dès lors, si l’intégration des apports des

CP s’avère difficile à mettre en place dans la grille d’évaluation, les DRH et le management

peuvent penser à mettre en place un système, hors appréciation annuelle, consistant à

récompenser les agents les plus actifs dans les CP. Les exemples rapportés à propos de ce

sujet (cf. chapitre 3) montrent que certaines entreprises ont commencé à investir dans cette

pratique. Pour encourager leurs salariés à interagir et produire des connaissances et des

pratiques, ces entreprises récompensent, de manière matérielle ou non, les salariés ayant

élaboré de bonnes pratiques bénéfiques pour l’organisation.

Comme nous venons de le voir, nos résultats se montrent particulièrement pertinents et riches.

Ils nous ont également permis de dégager de nombreuses perspectives managériale.

Cependant, notre travail à ses limites.

436

� Les principales limites de notre travail

• Une des limites qui méritent d’être soulignées ici concerne la question de la

généralisation de nos résultats. Bien que notre stratégie de réplication (Yin, 1994) qui consiste

à sélectionner et à multiplier les études de cas, a permis de dégager le résultat principal autour

du lien entre les CP et la performance comme commun aux trois organisation étudiés, certains

mécanismes qui expliquent la façon dont le lien est construit peuvent paraître relativement

différents et dépendants de leurs contextes. Il résistent ainsi à la généralisation du fait de leur

caractère très contextualisé. Ils sont techniques et ne peuvent être explicités sans faire

référence au contexte où ils se sont produits. Nous rappelons que cette limite est classique

dans les méthodologiques qualitative.

• Nous pensons que notre travail présente une autre limite vu le caractère relativement

imprécis des données collectées dans le centre d’appels ‘C1’ de la banque ‘C’. Contrairement

aux autres unités étudiés, les managers dans ce centre ne nous ont pas communiqué les

niveaux de performance des agents de manière assez précise. Nos conclusions de ce fait à

propos des liens entre CP et performance dans ce centre sont relativement moins solides.

Pour terminer, nous souhaitons proposer quelques ouvertures en vue des

prolongements des travaux dans ce champs.

� Les principales ouvertures pour le prolongement des travaux dans ce

domaine

� De notre point de vue, pour donner plus de validité externe à nos résultats, nous

pensons que le lien positif entre la CP et la performance peut être vérifié suivant une

méthodologie quantitative, via l’administration d’un questionnaire. En ce sens, l’hypothèse

pourrait être par exemple : « Plus les agents s’engagent dans leur CP plus ils sont

performants ». Pour tester cette hypothèse nous proposons de procéder comme suit :

- L’appartenance à une CP comme variable indépendante. Elle peut être recueillie à travers un

construit (tableau) où sont posées des questions se rapportant aux indicateurs d’identification

des CP (la régularité des interactions avec les pairs, l’identification rapide des problèmes, le

partage des connaissances, etc.). Les possibilités de réponses seront positionnées selon

l’échelle de Likert (5 au minimum). Ceci permet l’analyse factorielle pour vérifier si les trois

dimensions de la CP sont bien présentes (engagement mutuel, répertoire partagé et entreprise

commune). Evidemment le alpha de Chronbach doit être testé pour évaluer la validité du

construit.

437

- Le niveau de performance comme variable dépendante. Elle peut être renseignée en posant

la question aux agents sur leur niveaux de performance quantitative et qualitative (sur

l’échelle de Likert de 5 points)

- Une fois les résultat sont collectés une représentation graphique peut être établie, en posant

l’appartenance à une CP (variable ‘x’) sur l’axe des abscisses comme un continuum

renseignant sur les degrés (5 points) d’appartenance à la CP. La performance sera positionnée

sur l’axe des ordonnées (y = f (x)). Le nuage de point, la droite et le coefficient de corrélation

ainsi que le coefficient de détermination, permettraient de renseigner sur l’intensité de la

relation entre l’appartenance à une CP et la performance de leur membres. Enfin, l’analyse

des régressions permettrait de mesurer le coefficient a pour estimer de combien évolue la

performance d’un agent lorsque son appartenance à la CP augmente d’une unité.

� La seconde proposition de prolongement concerne l’ouverture sur le champ de la

gestion des ressources humaines. Nous pensons que le concept de CP peut être rapproché

davantage des pratiques de GRH pour nourrir la réflexion dans ce champ, et contribuer à

améliorer les pratiques dans ce domaine. L’objectif de cette ouverture est double :

premièrement, cela susciterait une prise de conscience chez les DRH et le management sur

l’importance des CP dans les organisations. Secundo, l’intégration des CP permet de renforcer

les pratiques de GRH qui montrent certaines déficiences, notamment en terme d’intégration et

de formation des salariés.

438

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460

Table des matières

Remerciements ................................................................................................................... 2 Plan..................................................................................................................................... 4 Introduction générale.......................................................................................................... 7

Chapitre 1. La Communauté de pratique: Un phénomène émergent en réponse aux caractéristiques des contextes organisationnels ....................................................................... 20

Introduction ...................................................................................................................... 20 Section 1. La théorie des Communautés de Pratique (CP) : un nouveau cadre pour (re) penser l’apprentissage .......................................................................................................... 21

1. La théorie des CP à l’intersection des courants des sciences humaines et sociales .... 21 1.1 La théorie des CP au croisement de deux axes théoriques..................................... 22

1.1.1 Axe Pratique –Identité.................................................................................... 24 1.1.1.1 Les théories de la pratique :..................................................................... 24 1.1.1.2. Les théories de l’identité ......................................................................... 25

1.1.2. Axe Structure- Expérience située................................................................... 27 1.1.2.1. Les théories de la structure sociale.......................................................... 27 1.1.2.2 Les théories de l’expérience située...........................................................28

2. Les théories de l’apprentissage et la perspective de l’« apprentissage situé »............. 31 2.1 Les paradigmes dominants des théories de l’apprentissage ................................... 32

2.1.1. Le paradigme béhavioriste ............................................................................. 33 2.1.2. Le paradigme cognitiviste .............................................................................. 34 2.1.3. Le paradigme constructiviste ......................................................................... 35 2.1.4. Le paradigme socioconstructiviste ................................................................. 36

2.2. La perspective de l’« apprentissage situé »........................................................... 40 2.2.1 Les préceptes de la théorie de l’« action située »............................................ 41 2.2.2 Les préceptes de la théorie de l’« apprentissage situé ».................................. 44

2.2.2.1 Rétrospective des travaux précurseurs de la perspective de l’ « apprentissage situé » : de Cole (1971) à Lave et Wenger (1991). ............... 45 2.2.2.2 L’apprentissage situé : un double processus d’Apprentissage et d’Enculturation..................................................................................................... 48 2.2.2.3 Le Situated Learning à la lumière du concept de Legitimate Peripheral Participation (LPP) de Lave et Wenger (1991) .................................................... 52 2.2.2.4 Résumé des principes fondamentaux de la perspective de l’apprentissage situé ...................................................................................................................... 55

2.3 La perspective de l’«apprentissage situé » et le paradigme socioconstructiviste... 56 Section 2. CP; définition du concept et restitution dans son environnement organisationnel.............................................................................................................................................. 61

1. Le concept de Communauté de Pratique : Définitions et caractéristiques. .................. 61 1.1 Définition du concept de « Communauté de Pratique » : ...................................... 62 1.2 La notion de « Pratique » ....................................................................................... 66

1.2.1 La pratique comme une « négociation de sens »............................................. 68 1.2.1.1 La participation ........................................................................................ 70 1.2.1.2 La réification ............................................................................................ 71

1.2.2 La dualité participation / réification ................................................................ 72 1.3 La notion de « Communauté » ............................................................................... 74

1.3.1 L’engagement mutuel (Mutual Commitment) ................................................ 75 1.3.2 L’entreprise commune (Joint Enterprise)........................................................ 76 1.3.3 Le répertoire partagé (Shared Repertoire) ...................................................... 77

461

2. Les Communautés de Pratique comme espaces d’apprentissage pour les salariés dans l’organisation.................................................................................................................... 80

2.1 Le mécanisme de l’apprentissage à l’intérieur de la CP ........................................ 80 2.1.1 L’approche Wengerienne (1998) : la pratique et la négociation de sens ;piliers de l’apprentissage situé ............................................................................................ 81

2.1.1.1 La mémorisation et l’oubli ....................................................................... 81 2.1.1.2 Les continuités et les discontinuités ........................................................81

2.1.2. L’approche de Brown et Duguid (1991) : l’apprentissage, l’histoire d’une pratique partagée ...................................................................................................... 83

2.2 L’apprentissage inter CP pour penser l’apprentissage organisationnel ................. 85 2.2.1 L’organisation comme une communauté des communautés........................... 86 2.2.2 La constellation des CP dans l’organisation apprenante................................. 86

2.2.2.1 Les courtiers et le courtage....................................................................... 88 2.2.2.2. Les objets frontière................................................................................. 89

3. La CP et son environnement organisationnel : pratiques, acteurs et régulation. ......... 91 3.1 La CP n’émerge pas ex-nihilo : La relation avec le design institutionnel.............. 91 3.2 L’émergence de la CP : une réaction aux exigences situées du travail réel dans l’organisation................................................................................................................ 93 3.3 Acteurs et Régulation : La démographie de la CP et sa régulation dans ............... 96 l’organisation................................................................................................................ 96

3.3.1 Les caractéristiques des participants dans la CP et le mécanisme de sa régulation interne...................................................................................................... 96 3.3.2 La CP dans l’organisation, quel modèle de régulation?.................................. 98

3.4 Le rôle de la dimension « spatio-temporelle » dans l’émergence et la configuration des CP......................................................................................................................... 102

Conclusion du chapitre 1................................................................................................ 106 Chapitre 2. Les relations de service : ..................................................................................... 108 contexte, organisation et performance.................................................................................... 108

Introduction .................................................................................................................... 108 Section 1. Le Contexte des relations de service : « coproduction » et modèle organisationnel ................................................................................................................... 110

1. Qu’est-ce que les relations de service ? ..................................................................... 110 1.1 Des tentatives de définition de la relation de service ........................................... 110 1.2 La relation de service : une co-production du service.......................................... 112

1.2.1 L’approche interactionniste des relations de service..................................... 113 1.2.2 La « coproduction » du service. .................................................................... 113

2. Le modèle d’organisation des entreprises de service ................................................. 115 2.1 « Front office » et « Back office », séparation et rencontre ................................. 116 2.2 Un modèle productif reposant sur la coordination des différents univers de l’entreprise.................................................................................................................. 118

Section 2. Focus sur l’univers du « front-office ».............................................................. 120 1. Présentation générale de l’univers du « front office » ............................................... 121

1.1 Le « front-office » : La pointe avancée de la relation de service. ....................... 121 1.2 Les dispositifs de l’accueil: les centres d’appels et les guichets .......................... 122

1.2.1 Les centres d’appels (accueil téléphonique):................................................. 123 1.2.2 Les guichets d’accueil (accueil physique)..................................................... 123 1.2.3 Organisation du travail et statuts................................................................... 124

2. Le « travail réel » des agents du front office imposé par les caractéristiques du contexte des relations de service : Une activité multitâches, des cas multiples et imprévisibles................................................................................................................... 125

462

2.1 En quoi consiste le « travail réel » de l’agent d’accueil ? .................................... 125 2.2. Intensité, multiplicité et imprévisibilité des cas : catégorisation des relations à partir des profils des clients et de la nature de leurs demandes.................................. 127

2.2.1 Une activité réputée très intense.................................................................... 127 2.2.2 Multiplicité et imprévisibilité des cas ........................................................... 128

2.2.2.1 Le « client multiple » ............................................................................. 129 2.2.2.2 Des demandes variées ............................................................................ 131

3. Les compétences et le nouveau modèle productif dans les relations de service. ....... 133 3.1 Les compétences individuelles exigées par le travail réel au front-office. ......... 133

3.1.1 Les types et niveaux de qualification des agents des front-office................. 134 3.1.2 Les compétences mobilisées par les agents du front office .......................... 136

3.1.2.1 Les compétences cognitivo-techniques.................................................. 136 3.1.2.2 Les compétences relationnelles : le cognitivo-pratique et le « savoir-être »................................................................................................................... 137 A. Le savoir faire cognitivo-pratique (ou le savoir faire)................................... 138 B. Les compétences relationnelles relatives au « savoir être » .......................... 138

3.1.3 Des compétences qui font appel à la subjectivité du salarié ......................... 140 3.1.4 Les limites des compétences individuelles et de la subjectivité.................... 141

3.2 Les nouvelles caractéristiques du modèle productif, favorisé par l’introduction des NTIC: Standardisation, Prescription et Contrôle .......................................................143

3.2.1 Une utilisation accrue des NTIC ................................................................... 144 3.2.2 La standardisation de la relation de service et la prescription des modes opératoires .............................................................................................................. 145 3.2.3. Le contrôle de la conformité du contenu de la relation et des rythmes de travail...................................................................................................................... 147

3.3 La cohabitation du modèle de compétence et le nouveau modèle productif se solde par un conflit de logiques : «logique industrialiste » vs « logique de service »........ 149

3.3.1 Une volonté de standardisation peu compatible avec les exigences de la coproduction........................................................................................................... 152 3.3.2 Face à la multiplicité et l’imprévisibilité des cas et des comportements des clients, la prescription reste nécessairement incomplète. « Ecart entre travail réel et travail prescrit »...................................................................................................... 152 3.3.3 Les limites des pratiques de contrôle ............................................................ 155

Section 3. La « performance » des salariés dans les relations de service et ses mesures... 156 1. La performance : un concept Kaléidoscopique ......................................................... 157 2. La performance dans les relations de service et ses critères de mesure.................... 160

2.1 Du fait de la coproduction, la performance dans les relations de service est délicate ....................................................................................................................... 161 2.2 Les critères d’évaluation de la performance et la difficulté de mesure de la qualité.................................................................................................................................... 165

2.2.1 La performance quantitative et sa mesure..................................................... 166 2.2.2 La performance qualitative et la « difficulté » de sa mesure ........................ 167

2.3. La performance qualitative et la performance quantitative : une cohabitation qualifiée de paradoxale.............................................................................................. 171 2.4 Un paradoxe qui reflète l’opposition « logique industrialiste vs logique de service »...................................................................................................................... 175

Conclusion du chapitre 2................................................................................................ 177 Chapitre 3. Apport des CP à la Performance dans les services. Quels enseignements pour la GRH ?..................................................................................................................................... 179

Introduction .................................................................................................................... 179

463

Section 1. Les perspectives expliquant le lien entre la CP et la performance................... 180 1. Communautés de Pratique et impact sur la performance via l’apprentissage, le partage des connaissance ............................................................................................................ 181

1.1 Apprentissage, partage des connaissances et performance .................................. 181 1.2 Qu’en est-il du lien entre les mécanismes d’apprentissage se déroulant dans les CP et la performance ? ..................................................................................................... 184

2. Quelques études de cas ayant tenté de montrer le lien entre CP et Performance....... 186 2.1 La CP comme permettant des économies de temps et des coûts d’exploitation .. 187 2.2 L’appréciation des apports des CP (intentionnellement crées) par la méthode des questionnaires............................................................................................................. 188 2.3 La performance dépend aussi des interactions inter-CP ...................................... 191

3. La CP améliore la performance par le développement du Capital Social : La perspective de Lesser et Stork (2001). ........................................................................... 193

3.1 Le « capital social » comme source de performance dans l’organisation............ 193 3.2 L’étude de cas de Lesser et Stork (2001) : CP, Capital Social et Performance ... 195

3.2.1 Raccourcir les courbes d’apprentissage des nouveaux employés ................. 199 3.2.2 De répondre plus rapidement aux besoins et interrogations des clients........ 200 3.2.3 Eviter la répétition (prevent rework) et la réinvention de la roue. ................ 200 3.2.4 Faire émerger de nouvelles idées à propos des produits et services ............. 201

Section 2. L’apport des CP à la Performance dans les relations de service. ...................... 203 1. Les CP émergent pour permettre à leurs membres de faire face aux difficultés du contexte des relations de service .................................................................................... 204

1.1 Retour sur la problématique des situations multiples et imprévisibles ................ 204 1.2 Retour sur les limites des modèles des compétences individuelles et de la prescription................................................................................................................. 205 1.3 Un contexte qui incite les agents à l’apprentissage, au transfert de connaissances et à l’élaboration de pratiques. ....................................................................................... 206 1.4 Emergence des CP comme une troisième ressource productive dans les relations de service......................................................................................................................... 208

2. Quelques études de cas montrant la contribution des CP à la performance de leurs membres dans les front-office ........................................................................................ 212

2.1 La CP apporte des solutions aux guichetiers vivant des situations d’« enfers » (Guérin, 2005) ............................................................................................................ 212 2.2 La CP comme levier d’efficacité dans la gestion des événements inattendus. Le cas d’un centre de répartition des urgences 911 au Québec (Grosjean, 2008)................. 214 2.3 La catégorisation des clients par les guichetiers, pratiques et stratégies collectives..................................................................................................................................... 217

3. Analyse et discussion des apports qui ressortent de ces études ................................. 219 Section 3. Quels enseignements pour la Gestion des Ressources Humaines dans les organisations ?.................................................................................................................... 224

1. Les communautés de pratique au service de la GRH ? .............................................. 224 2. La CP : Une structure socialisatrice, source d'information et d’apprentissage pour les novices dans les organisations........................................................................................ 226

2.1 L’intégration des nouvelles recrues : la première phase de la socialisation organisationnelle. ....................................................................................................... 226 2.2 La CP : une source d’informations, d’apprentissage et de soutien social pour les novices........................................................................................................................ 228

3. La CP : Un moyen pour remédier à la défaillance de la formation institutionnelle ? 230 3.1. La formation institutionnelle, rigidité et insuffisances........................................ 231

464

3.2 La CP : Un dispositif permettant de remédier aux défaillances de la formation traditionnelle?............................................................................................................. 233

4. Enrichir l’appréciation des salariés en considérant leur participation dans les CP ? . 237 4.1 La GRH en quête de nouvelles méthodes pour l’appréciation des salariés.......... 237 4.2 La nécessité d’apprécier les salariés à travers leurs apports et engagements dans les CP............................................................................................................................... 239

Conclusion du chapitre 3................................................................................................ 243 Chapitre 4. Méthodologie de la recherche ............................................................................. 245

Introduction .................................................................................................................... 245 Section 1. Le positionnement épistémologique et le choix de l’étude de cas, multiples et imbriqués (encastrés).......................................................................................................... 246

1. Le Positionnement épistémologique : une approche interprétativiste reposant sur un mode de raisonnement abductif...................................................................................... 247

1.1 Recours à l’approche interprétativiste.................................................................. 247 1.1.1 Le paradigme positiviste ............................................................................... 249 1.1.2 Le paradigme constructiviste ........................................................................ 250 1.1.3 Le paradigme interprétativiste....................................................................... 251

1.2. Un mode de raisonnement abductif..................................................................... 252 2. Le choix de l’étude de cas, multiples et imbriqués (encastrés), pour mener notre recherche exploratoire .................................................................................................... 254

2.1 L’étude de cas comme méthode de recherche empirique..................................... 254 2.2 Une étude de cas multiples et encastrés ............................................................... 256

3. Recherche sur le contenu des CP plutôt que sur leurs processus ............................... 260 3.1 La recherche sur le processus comme incohérente avec notre objet de recherche.................................................................................................................................... 261 3.2 La pertinence de la recherche sur le contenu pour appréhender les CP............... 263

Section 2. Présentation des entreprises étudiées et des outils méthodologiques mobilisés............................................................................................................................................ 266

1. Présentation des entreprises étudiées ......................................................................... 266 1.1 Deux organisations parapubliques (A et B) et une organisation privée (C)......... 267

1.1.1 Le centre d'appel de l’organisation ‘A’ ........................................................269 1.1.2 L’organisation ‘B’ : étude de son centre d’appels et de deux guichets d’accueil physique.................................................................................................. 270 1.1.3 La Banque 'C’ : études réalisées dans deux centres d’appels et deux guichets................................................................................................................................ 272

1.2 La posture du chercheur dans les organisations étudiées ..................................... 276 2. Outils de recueil de données, collecte, transcription et analyse ................................. 278

2.1 Les outils de recueil de données sur le terrain...................................................... 278 2.1.1 L’analyse documentaire ................................................................................ 279 2.1.2 Les entretiens semi-directifs.......................................................................... 282 2.1.3 L’observation participante « in situ » et « ex situ » .................................... 288

2.1.3.1 « Participant qui observe » dans l’organisation ‘A’, « Observateur qui participe » dans les organisations ‘B’ et ‘C’ ...................................................... 288 2.3.1.2 Quoi et pourquoi observer ? ...................................................................290 2.3.1.3 Quand et où observer ?........................................................................... 291

2.2 La transcription des notes d’observation dans le journal de recherche................ 294 2.3 L’analyse des données collectées ......................................................................... 299

Conclusion du chapitre 4................................................................................................ 301 Chapitre 5. Résultats empiriques :.......................................................................................... 302

465

Emergence des CP dans les relations de service et leur impact sur la performance de leurs membres. Quelques enseignements pour la GRH.................................................................. 302

Introduction .................................................................................................................... 302 Section 1. Contexte des relations de service : situations, compétences, prescription et performance........................................................................................................................ 304

1. Le travail des agents d’accueil et son organisation .................................................... 304 1.1 La nature de l’activité des agents dans les trois organisations. ............................ 304

1.1.1 Les organisations ‘A’ et ‘B’ .......................................................................... 305 1.1.2 La banque ‘C’................................................................................................ 305

1.2 Une activité intense se déroulant sous une organisation rigoureuse .................... 306 2. Les relations de service vus sous l’angle de leurs degrés de complexité................... 311

2.1 La facette cachée de la coproduction de service.................................................. 311 2.2 Proposition d’une nouvelle typologie des situations de coproduction................. 313

2.2.1 Les situations de « routine ».......................................................................... 315 2.2.2 Les situations « complexes »......................................................................... 316 2.2.3 Les situations « équivoques » (« intermédiaires ») ....................................... 318

3. Quand la typologie des situations dicte le type de la logique productive à suivre..... 321 3.1 La standardisation et la prescription vs la personnalisation et la compétence dans les relations de service................................................................................................ 322

3.1.1 Les standardisations et la prescription pour gérer les situations de routine .. 323 3.1.2 La personnalisation et la compétence pour traiter les situations complexes et équivoques (intermédiaires) ................................................................................... 324

3.2 Qu’en est-il du contrôle des contenus et des rythmes de travail des agents ?...... 327 4. La performance dans les relations de service : Indicateurs de mesure, et contradiction........................................................................................................................................ 330

4.1 La performance et sa mesure dans les front-office étudiés .................................. 330 4.1.1 Le critère quantitatif : .................................................................................... 330

4.1.1.1 Les organisations ‘A’ et ‘B’ : ................................................................. 330 4.1.1.2 La banque ‘C’ :....................................................................................... 331

4.1.2 Le critère qualitatif ........................................................................................ 332 4.2 Les objectifs de performance en fonction des types de situations ....................... 334 4.3 La contradiction des critères de performance et les tensions générées ................ 336

5. La compétence individuelle et la prescription ne suffisent pas à elles seules pour atteindre les objectifs de performance............................................................................ 339

Section 2. Emergence des CP dans les relations de service et impact sur la performance 342 1. Emergence et identification des CP dans les organisations étudiées ......................... 342

1.1 Emergence des CP comme réponse aux limites des dispositifs organisationnels. Illustration des caractéristiques des CP et du modèle de l’apprentissage situé.......... 342

1.1.1 Exemple de la négociation de sens d’une situation équivoque ..................... 343 1.1.2 Les caractéristiques épistémique et structurelles de la CP............................ 346

1.2 Modèle de l’apprentissage « situé et entre pairs » dans les front offices ............ 348 1.3 L’émergence des CP dans les front offices : fortement préconfigurée par les distributions spatio-temporelles et les caractéristiques de leurs participants respectifs. Certains salariés n’appartiennent à aucune CP........................................................... 353

1.3.1 Organisation ‘A’ : Le centre d’appels s’apparente à une constellation de CP................................................................................................................................. 354 1.3.2 Organisation B : Les caractéristiques des participants aux CP peuvent être hétérogènes............................................................................................................. 359

1.3.2.1 Centre d’appel ‘B’ .................................................................................. 359

466

1.3.2.2 Le guichet ‘B1’: La CP regroupe des participants ayant des statuts hétérogènes......................................................................................................... 362 1.3.2.3 Le guichet ‘B2’ : .................................................................................... 366

1.3.3 Les CP dans la banque ‘C’ ............................................................................ 369 1.3.3.1 Les centres d’appels ‘C1’ et ‘C2’ : Les CP des expertises partagées.... 369 1.3.3.2 Les Guichets ‘C3’ et ‘C4’ : Le caractère solidaire des CP respectives. 373

2. Impact des CP sur la performance de ses membres : Une analyse comparative des niveaux de performance des agents................................................................................ 378

2.1 Appréciation de l’apport des CP en terme de performance à travers le degré d’autonomie (ou dépendance) de ses membres vis à vis de leurs managers.............. 378 2.2 L’appartenance d’un salarié à une CP est déterminant dans son niveau de performance................................................................................................................ 382

2.2.1 Le centre d’appel ‘A’ .................................................................................... 382 2.2.2 L’organisation ‘B’ ......................................................................................... 385 2.2.3 L’organisation ‘C’ ......................................................................................... 388

2.3. Comment les CP contribuent à la performance de leurs membres ? Les différents mécanismes permettant d’apprécier l’apport des CP................................. 391

2.3.1 L’élaboration et l’échange de connaissances et de pratiques dans la CP : Quand les CP permettent à la fois la performance quantitative et qualitative ....... 391 2.3.2 L’efficacité de l’apprentissage « situé et entre pairs » et l’autorité de la connaissance dans les CP ....................................................................................... 395

Section 3. Quand les CP enrichissent les pratiques de Gestion des Ressources Humaines dans les front-offices .......................................................................................................... 400

1. Les pratiques d’intégration des nouvelles recrues et le rôle informel des CP............ 401 1.1 Les pratiques d’intégration des novices dans les front-office étudiés.................. 401 1.2 Le rôle des CP comme source socialisatrice des nouvelles recrues..................... 402

2. La CP permet de remédier aux carences de la formation institutionnelle.................. 406 2.1 Les carences de la formation institutionnelle dans les organisations étudiées..... 406 2.2 La CP, un espace pour compléter et remédier aux déficiences de la formation institutionnelle............................................................................................................ 409

3. La pratique d’appréciation des salariés dans les front-office. Qu’en est-il des apports de la CP dans l’évaluation de leurs membres ? .............................................................. 410

3.1 Les critères d’appréciation des salariés dans les front office étudiés................... 410 3.2 L’appréciation des engagements mais pas des apports des CP............................ 412

4. Malgré ses apports, la CP peine être reconnue dans le champ de la GRH dans les organisations étudiés ...................................................................................................... 415 Conclusion du chapitre 5................................................................................................ 416 Conclusion générale : discussion des résultats, apports de la thèse, limites et ouvertures pour le prolongement de la recherche ............................................................................ 419 Bibliographie.................................................................................................................. 438 Table des matières.......................................................................................................... 460 Index des tableaux & figures........................................................................................ 4677

467

Index des tableaux & figures

Chapitre 1

Tableau 1. Résumé des théories de l’apprentissage (Hung 2001, p. 283). …………..…..….40

Chapitre 2

Tableau 2.Implications organisationnelles et comportementales des types d’appels

téléphoniques (Pichault et Zune, 2000, p.3)……………..……………....………153

Tableau 3. Le conflit de logiques : logique de service et logique industrialiste....................156

Chapitre 4.

Tableau 4. Les positions épistémologiques en recherches en gestion (Perret et Séville, 2003,

p.14)………………………………………………………………...…………249

Tableau 5. Récapitulatif des front-office étudiés (durées de la recherche, caractéristiques des

salariés et tâches principales des agents) ......................................…….……...275

Tableau 6. Les différentes catégories d’acteurs interviewés et les questionnements associés…

……………………………….…………………………………….…………..287

Tableau 7. Synthèse des différents statuts et rôles de l’observateur proposé par Junker (1960)

[in Groleau, 2003, p. 216]………………………………………………..…....288

Chapitre 5

Tableau 8. Modèle de l’apprentissage « situé et entre pairs » dans les front-office….…......352

Tableau 9.Résumé des caractéristiques des CP identifiées dans les organisations étudiées…….

………….………………………………………………..…………………………….….…377

Figures

Figure 1. Les deux principaux axes de théorisation des CP (Wenger 1998, p.9)…………....23

Figure 2. La dualité participation / réification dans les CP (Wenger, 1998 p.69) …...………73

Figure 3. Schéma de la boucle récursive combinant les trois formes de raisonnement. (David,

1999, p. 5)……………………………………………………………………........253

Figure 4. Les principaux designs des modèles d’études de cas (Yin 2009, p.46)………..….259

Figure 5. Architecture des postes de travail sur la plate-forme téléphonique ‘A’………..…355

468