The Economy – L’Economie: Projet financé par INET, Azim Premji University et Sciences Po
Traduction financée et réalisée par le Département d'Economie de Sciences Po, avec l’accord de CORE project. Le Département d’Economie de Sciences Po assume toute responsabilité dans la traduction
(contactez Yann Algan).
UNITÉ 1
LA RÉVOLUTION CAPITALISTE
COMMENT LE CAPITALISME A RÉVOLUTIONNÉ NOTRE MODE
DE VIE, ET COMMENT LA SCIENCE ÉCONOMIQUE ANALYSE CE
PHÉNOMÈNE ET LES AUTRES SYSTÈMES ÉCONOMIQUES DANS
LE MONDE
Cette Unité abordera les notions et faits suivants :
Au cours des 1 000 dernières années, les conditions de vie dans de nombreux
pays ont connu des bouleversements.
Avec la révolution capitaliste, ces conditions de vie se sont rapidement
améliorées.
Cette révolution capitaliste découle à la fois d’avancées technologiques et d’un
système économique particulier.
Les sciences économiques étudient comment les individus interagissent entre
eux et avec leur environnement naturel afin de produire leurs moyens de
subsistance.
Le capitalisme est un système économique où la propriété privée, les marchés et
les entreprises jouent un rôle majeur.
L’amélioration des conditions de vie fut concomitante d’une transformation de la
démographie et des conditions de vie des individus, d’un impact particulier de
l’activité sur l’environnement et d’une évolution des inégalités, autant entre les
pays qu’en leur sein.
Il existe une grande diversité, en termes de réussite économique d’un pays à
l’autre et en termes d’inégalités de niveau de vie au sein de chaque pays.
2 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Au XIVe siècle, l’érudit marocain Ibn Battûta (voir l’encadré) décrivit la région indienne
du Bengale comme « un vaste pays où le riz pousse à foison. Je n’ai jamais vu une
région du monde recelant une telle abondance de provisions ». Il avait pourtant
parcouru une grande partie du monde, voyageant à travers la Chine, l’Afrique de
l’Ouest, le Moyen-Orient et l’Europe. Trois siècles plus tard, au XVIIe siècle, le même
sentiment fut traduit par le diamantaire français Jean Baptiste Tavernier qui écrivit à
propos de ce pays :
« Même dans les plus petits des villages, on peut se procurer en abondance du riz, de la
farine, du beurre, du lait, des haricots et autres légumes, du sucre, de la viande séchée
ou fraîche … »
Jean Baptiste Tavernier, Voyage en Inde (1676)
À l’époque des voyages d’Ibn Battûta, l'Inde n’était pas plus riche que les autres parties
du monde. Mais elle n’était pas plus pauvre non plus. Un observateur de l’époque
aurait remarqué que les habitants, en moyenne, étaient mieux lotis en Italie, en Chine
ou en Angleterre qu'au Japon ou en Inde. Mais les différences entre riches et pauvres
au sein de chaque pays sautaient bien plus aux yeux que les différences de richesses
entre pays. Riches et pauvres portaient des titres différents : ils étaient seigneurs
féodaux et serfs ; majestés et sujets ; esclavagistes et esclaves ; marchands et commis.
À l’époque, comme aujourd’hui, les perspectives futures d’un enfant dépendaient de
son sexe et de la position sociale de ses parents. Mais à la différence d’aujourd’hui, le
pays de naissance importait peu au XIVe siècle.
IBN BATTÛTA
Ibn Battûta (1304-1368) était un marchand et voyageur
marocain qui narra ses pérégrinations dans son livre Rihla (« Le
Voyage »). Ses trente années de voyages le conduisirent en
Afrique du Nord et de l’Ouest, en Europe de l’Est, au Moyen-
Orient, en Asie centrale, en Asie du Sud et en Chine. Il
parcourut plus de 110 000 km, davantage même que son
célèbre contemporain Marco Polo (1254 - 1324).
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 3
Revenons à aujourd’hui. Les Indiens sont mieux lotis qu’ils ne l’étaient il y a sept siècles
en termes d’accès à la nourriture, de soins médicaux, de logement et de biens de
première nécessité. Cependant, au regard des normes internationales, la plupart des
Indiens demeurent pauvres.
Le Graphique 1.1a illustre cette évolution (les liens inclus dans le graphique mènent
aux sources des données). La hauteur de chaque courbe est une estimation du niveau
de vie moyen – mesuré par le Produit Intérieur Brut par tête, notion présentée à la
section suivante – à la date inscrite sur l’axe des abscisses.
Illustration 1.1a La crosse de hockey de l’Histoire : Produit intérieur brut par tête dans
cinq pays (1000-2013)
Source: Bolt, J. and van Zanden, J. 2013. ‘The First Update of the Maddison Project; Re-Estimating
Growth before 1820’. Maddison Project Working Paper WP-4. Broadberry, Stephen. 2013. ’Accounting
for the Great Divergence’. London School of Economics and Political Science, London, UK.
Selon ce calcul, les habitants du Royaume-Uni sont six fois plus riches, en moyenne,
que les Indiens. Les Japonais sont aussi bien lotis que les Britanniques, comme ils
4 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
l’étaient déjà au XIVe siècle; en revanche les Américains sont désormais plus riches que
les Japonais, et les Norvégiens le sont encore davantage.
Le Graphique 1.1a existe grâce au travail d’Angus Maddison, un économiste
britannique qui a consacré sa carrière à rechercher des données rares, permettant de
comparer les modes de vie des individus sur plus de 1 000 ans (son travail se poursuit
au sein du « Maddison Project »). Dans ce cours, vous verrez que ce type de données,
portant sur diverses régions du monde et leurs habitants, constituent le point de
départ de toute analyse économique : dans cette vidéo, James Heckman (prix Nobel
d’économie en 2000) et Thomas Piketty expliquent combien la collecte de données leur
fut essentielle pour leurs travaux sur les inégalités et les mesures visant à les réduire.
Nous étudierons leurs travaux dans l’Unité 19.
Lien vers la vidéo de l’interview (« Economist in Action » James Heckman et Thomas
Piketty).
Il y a mille ans, le monde était bel et bien plat, d’un point de vue économique. Il existait
certes des différences de revenus1 entre les régions du monde, mais comme l’indique
le Graphique 1.1a, ces différences étaient faibles en regard des évolutions qui allaient
suivre.
1.1 LA CROSSE DE HOCKEY DE L’HISTOIRE : LA CROISSANCE DU REVENU
Une autre manière de considérer les données du Graphique 1.1a est d’utiliser une
échelle qui indique que le PIB par tête double à mesure que l’on progresse le long de
l’axe vertical (de 250 USD par tête et par année à 500 USD, puis à 1 000 USD, etc.). On 1 Le revenu provient de différentes sources (profits, intérêts, loyers, salaires, transferts de l’État, etc.). Il est calculé après paiement des taxes et mesuré sur une période de temps, comme une année. Votre revenu est le montant maximum que vous pourriez consommer. Le terme « revenu disponible » est également utilisé pour marquer la distinction avec le revenu avant taxes qui ne peut pas être intégralement dépensé.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 5
nomme cela une échelle de rapport. Le Graphique 1.1b utilise une telle échelle.
L’échelle ordinaire s’avère pratique pour comparer les niveaux de PIB par tête entre
pays, mais l’échelle de rapport est plus adaptée à la comparaison des taux de
croissance entre les pays.
Par taux de croissance du PIB, ou de toute autre quantité, comme la population par
exemple, on entend le taux de variation suivant :
Supposons un niveau du PIB par tête de 21 046 USD en 2000 (cas de la Grande-
Bretagne dans le Graphique 1.1a), et de 21 517 USD en 2001. On peut alors calculer le
taux de croissance entre ces deux dates :
%5,2
025,0
21406
2140621157
2000
20002001
g
g
g
y
yyg
En fonction de la question posée, nous choisissons de comparer les variables soit en
niveau, soit en taux de croissance. Le Graphique 1.1a permet une comparaison aisée et
directe des niveaux de PIB par tête entre pays à différents moments de l’histoire. À
l’inverse, le Graphique 1.1b utilise une échelle de rapport, qui permet une comparaison
directe des taux de croissance entre pays et à différentes périodes. Lorsqu’une échelle
de rapport est utilisée, une série qui croît à un taux constant est représentée par une
droite. Cela vient du fait que le taux ou le pourcentage d’évolution est constant. Sur un
graphique à échelle de rapport, une droite plus pentue indique un taux de croissance
plus important.
Pour bien comprendre, prenons un exemple. Soit un taux de croissance de 100 % : cela
signifie que le niveau de la variable considérée double. Dans le Graphique 1.1b, muni
d’une échelle de rapport, vous pouvez vérifier que si le PIB par tête doublait en 100 ans
- passant d’un niveau de 500 USD à un niveau de 1 000 USD - la droite aurait la même
6 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
pente que s’il doublait pour passer de 2 000 USD à 4 000 USD, ou de 16 000 USD à
32 000 USD au cours de la même période. Si au lieu de doubler, le niveau quadruplait
(passant, par exemple, de 500 USD à 2 000 USD en 100 ans), la droite serait deux fois
plus pentue, reflétant ainsi un taux de croissance deux fois plus élevé.
Illustration 1.1b La crosse de hockey de l’Histoire : niveau de vie dans cinq pays (1000-
2013) sur une échelle de rapport.
Source: Bolt, J. and van Zanden, J. 2013. ‘The First Update of the Maddison Project; Re-Estimating
Growth before 1820’. Maddison Project Working Paper WP-4. Broadberry, Stephen. 2013. ’Accounting
for the Great Divergence’. London School of Economics and Political Science, London, UK.
Des bouleversements culturels et scientifiques ont eu lieu à travers le monde au cours
de toute la période décrite sur le graphique, toutefois les niveaux de vie n’ont
commencé à croître durablement qu’à partir du XVIIIe siècle. En conséquence, le
graphique ressemble à une crosse de hockey, et notre attention est attirée par la
palette de la crosse, qui forme un coude. On remarque que l’accélération fut la moins
abrupte en Grande-Bretagne, où la croissance a démarré autour de 1650. Le coude
apparaît au Japon vers 1870, en Chine vers 1980 et en Inde encore plus récemment. On
constate également que le PIB par tête de l’Inde a décru sous l’empire colonial
britannique, comme celui de la Chine sous domination politique et économique
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 7
européenne. L’échelle de rapport révèle enfin que la croissance récente du Japon et de
la Chine a été plus soutenue qu’ailleurs.
Si vous n’avez jamais vu une crosse de hockey sur glace (ou du hockey sur glace), voici
pourquoi nous parlons de courbes en forme de crosse de hockey:
Dans certaines économies, il a fallu attendre que les pays accèdent à l’indépendance ou
que l’influence politique et économique des puissances européennes s’amenuise avant
de voir des améliorations substantielles du niveau de vie :
Après presque 300 ans de domination britannique sur l’Inde, en 1947, « la
pauvreté infantile en Inde a pu compter parmi les plus sévères de l’histoire de
l’humanité », d’après l’économiste Angus Deaton. Durant les dernières années
de la domination britannique, un enfant né en Inde avait une espérance de vie
de 27 ans. Un demi-siècle plus tard, l’espérance de vie à la naissance en Inde
était de 65 ans.
Par le passé, la Chine fut plus riche que la Grande-Bretagne, mais au milieu du
XXe siècle, le PIB par tête de la Chine correspondait au quinzième (1/15) de celui
de la Grande-Bretagne.
Ni la domination espagnole en Amérique Latine, ni ses conséquences dans le
sillage du mouvement d’indépendance intervenu au début du XIXe siècle n’ont
engendré une évolution de la croissance en forme de « coude », comme celle
que connurent les pays des Graphiques 1.1a et 1.1b.
Les Graphiques 1.1a et 1.1b nous enseignent deux choses :
Pendant très longtemps, les niveaux de vie n’ont pas augmenté de façon
soutenue.
8 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Lorsqu’une croissance durable s’est installée, ce fut à différents moments selon
les pays2. Ce décalage a engendré des différences substantielles de niveaux de
vie dans le monde.
Aux yeux des économistes, comprendre ce phénomène est devenu un enjeu
fondamental. Le fondateur de la discipline, Adam Smith, intitula ainsi son ouvrage
majeur Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations3.
LES GRANDS ECONOMISTES
ADAM SMITH
2 Cette vidéo met en évidence comment certains pays sont devenus plus riches plus tôt que d’autres. 3 Smith, Adam. (1776) 2003. An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations. New York, NY: Random House Publishing Group. Vous pouvez lire une version en anglais en ligne ici. Elle est indexée de sorte que vous pouvez effectuer des recherches par sujet spécifique.
Adam Smith (1723-1790), considéré par beaucoup
comme le père des sciences économiques, fut élevé par
sa mère veuve en Écosse. Il étudia la philosophie à
l’Université de Glasgow puis à Oxford où, selon son
témoignage, « la plupart des (…) professeurs (…) ne
daignent même plus faire semblant d’enseigner ».
Il voyagea à travers l’Europe, et c’est lors d’un séjour à
Toulouse où il se trouvait « désœuvré », qu’il
« commença à écrire un livre pour passer le temps ».
Cet ouvrage devint le livre d’économie le plus célèbre
de l’histoire.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 9
Dans son livre Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publié
en 1776, Smith se demande comment une société peut coordonner les activités
indépendantes d’un très grand nombre d’acteurs économiques (producteurs,
transporteurs, vendeurs, consommateurs) souvent inconnus les uns des autres et
dispersés de par le monde. Sa théorie novatrice fut qu’une coordination entre tous ces
acteurs pouvait émerger spontanément, sans qu’aucune personne ou institution ne
tente consciemment de l’organiser. Cet argument rompait avec les anciennes notions
d’organisation politique et économique des sociétés, fondées sur un ordre
institutionnel entre les dirigeants et leurs sujets.
Plus radicale encore fut l’idée que cette organisation était le résultat de la poursuite
par les individus de leurs intérêts égoïstes : « Ce n'est pas de la bienveillance du
boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais
bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur
humanité, mais à leur égoïsme», écrit-il, en ajoutant que chacun est « conduit par une
main invisible vers un résultat qui n'entre nullement dans ses intentions »4.
La « main invisible » est devenue une métaphore pour expliquer la manière dont les
marchés coordonnent de façon décentralisée les intérêts individuels pour produire un
résultat socialement désirable.
Smith ne pensait pas que les individus étaient entièrement guidés par leur propre
intérêt, et il consacra un livre aux comportements éthiques : La théorie des sentiments
moraux (1759)5.
Il comprit aussi que le système de marché présentait des défaillances, particulièrement
en cas de collusion entre vendeurs. « Il est rare que des gens du même métier se 4 Traduction française de Germain Garnier, 1881 à partir de l’édition revue par Adolphe Blanqui en 1843 : http://classiques.uqac.ca/classiques/Smith_adam/richesse_des_nations/livre_1/richesse_des_nations_1.pdf 5 Smith, Adam. (1759) 2010. The Theory of Moral Sentiments. Edited by Ryan Patrick Hanley. New York, NY: Penguin Group. Cliquez sur ce lien pour accéder à une version en ligne gratuite et indexée.
10 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
trouvent réunis, fût-ce pour quelque partie de plaisir ou pour se distraire, sans que la
conversation finisse par quelque conspiration contre le public, ou par quelque
machination pour faire hausser les prix »6.
Il fustigea particulièrement les monopoles étatiques telle que la Compagnie
britannique des Indes Orientales, qui non seulement contrôlait le commerce entre la
Grande-Bretagne et l’Inde mais administrait également une grande partie de la colonie
britannique en ces lieux.
Comme beaucoup à son époque, il défendait l’idée d’un gouvernement qui devait
protéger la nation contre les menaces extérieures et assurer la justice grâce à la police
et aux tribunaux. Il plaida aussi en faveur d’investissements étatiques dans l’éducation
et dans des infrastructures publiques tels que les ponts, les routes ou les canaux.
DISCUSSION 1.1 : LES AVANTAGES DES ECHELLES CONVENTIONNELLE ET DE
RAPPORT
Le Graphique 1.1a utilise une échelle ordinaire sur son axe des ordonnées, tandis que
le Graphique 1.1b utilise une échelle de rapport.
1. Choisissez deux pays représentés sur ces graphiques et comparez leur
croissance de 1400 à nos jours, à l’aide des données présentées.
2. Lequel des deux graphiques est le plus utile pour effectuer cette comparaison ?
Pourquoi ?
6 Ibid.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 11
1.2 MESURER LES REVENUS ET LES NIVEAUX DE VIE
L’estimation du niveau de vie, le PIB par tête, que nous avons utilisée dans les
Graphiques 1.1a et 1.1b, repose sur une mesure du revenu total (et de la production)
d’un pays (appelée Produit Intérieur Brut, ou PIB), qui est ensuite divisée par la
population du pays.
Le PIB mesure la quantité totale produite par une économie au cours d’une période
donnée (souvent une année) : l’économiste Diane Coyle explique que le PIB « recense
tout, des clous aux brosses à dents, en passant par les tracteurs, les chaussures, les
coupes de cheveux, les services de conseil de gestion, le nettoyage des rues, les cours
de yoga, les assiettes, les sparadraps, les livres et les millions d’autres biens et services
produits au sein de l’économie »7.
Cette vaste addition nécessite un étalon commun permettant de comparer, par
exemple, la valeur d’une heure de yoga par rapport à celle d’une brosse à dents. Le défi
des économistes est double : sélectionner ce qui doit être inclus, et assigner une valeur
à chacun de ces éléments.
Avant de mesurer le niveau de vie moyen d’un pays, rappelons trois points essentiels :
Le PIB est une mesure du revenu total d’un pays ; pour obtenir une mesure du
revenu moyen, le PIB est divisé par la population : c’est le « PIB par tête ».
Le PIB par tête est différent du revenu disponible d’un individu.
Le revenu disponible d’un individu constitue une mesure de son niveau de vie,
mais il omet d’importants aspects du bien-être.
7 Coyle, Diane. 2014. GDP: A Brief but Affectionate History. Princeton, NJ: Princeton University Press. Ecoutez une interview de Diane Coyle où elle explique les usages et les limites du PIB.
12 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Revenons sur les deuxième et troisième points. Le niveau de vie d’un individu est
souvent mesuré par son revenu disponible. Celui-ci correspond aux salaires, aux profits,
aux rentes, aux intérêts et aux revenus de transferts versés par l’État (comme les
allocations chômage ou les pensions d’invalidité) ou d’autres individus (cadeaux, par
exemple) pendant une période donnée, diminués des sommes versées à des tiers (ce
qui inclut les impôts payés à l’Etat). Le revenu disponible peut être considéré comme
une bonne mesure du niveau de vie, puisqu’il correspond à la quantité maximale de
nourriture, de logement, de vêtements et d’autres biens et services qu’une personne
peut acquérir sans avoir à emprunter, c’est-à-dire sans s’endetter ou sans vendre ses
actifs. Toutefois, si on vous proposait de représenter votre niveau de vie par votre
revenu disponible, vous pourriez légitimement vous poser deux questions :
Le revenu disponible est-il une bonne mesure du bien-être ?
Pour un groupe de personnes (un pays par exemple, ou une région particulière),
le revenu disponible moyen est-il une bonne mesure du niveau de vie moyen du
groupe ?
Revenu disponible et bien-être
Le revenu a un impact majeur sur le bien-être, car il permet d’acheter les biens et
services dont nous avons besoin ou que nous apprécions. Mais il ne suffit pas : de
nombreuses dimensions de notre bien-être ne sont pas liées à ce que nous pouvons
acheter8. Le revenu disponible omet :
Les critères de qualité de notre environnement social et physique, telles que
l’amitié et un air sain.
8 Des travaux récents conduits par Daniel Kahneman and Angus Deaton ont quantifié dans quelle mesure le revenu contribue au bien-être. Pour les personnes résidant aux Etats-Unis, ils ont estimé que le revenu individuel augmente le bien-être émotionnel – ce qui se reflète dans des niveaux de contentement plus élevés dans les expériences de vie du quotidien – mais une fois que le revenu atteint 75 000 USD par an, les effets de plus hauts revenus sur le bien-être sont négligeables. Voir Robison, Jennifer. 2011. ‘Happiness Is Love -- and $75,000.’ Gallup Business Journal.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 13
Les biens et services qu’on ne peut acheter, comme les soins de santé et
l’éducation9 lorsqu’ils sont fournis par l’État.
Les biens et services produits au sein du ménage, comme les repas ou la garde
des enfants (principalement par les femmes).
Revenu disponible moyen et niveau de bien-être moyen
Considérons un groupe d’individus au sein duquel chacun dispose initialement d’un
revenu mensuel disponible de 5 000 USD. Imaginons que le revenu de chacun des
individus du groupe augmente, sans que les prix varient. Nous conclurions que le
niveau moyen de bien-être de ce groupe a augmenté.
Considérons maintenant un cas légèrement différent. Dans un second groupe, le
revenu mensuel disponible moyen est en moyenne de 10 000 USD pour la moitié des
membres, et de seulement 500 USD pour les autres. Le revenu moyen de ce deuxième
groupe (5 250 USD) est plus élevé que celui du premier groupe (5 000 USD avant
l’augmentation). Mais dirions-nous que son bien-être est plus élevé que celui du
premier groupe, où chacun dispose de 5 000 USD par mois ? La hausse de revenu
importera peu aux plus aisés, tandis que pour la moitié démunie, leur pauvreté sera
ressentie comme une situation de grande précarité.
Le revenu absolu compte certes dans l’évaluation du bien-être, mais les travaux de
recherche ont établi que les individus se soucient également de leur position relative
dans la distribution des revenus. L‘évaluation de leur propre bien-être est affecté
négativement lorsqu’ils connaissent un salaire inférieur à celui de leurs pairs.
9 Des événements de vie majeurs comme le divorce ou le chômage rendent les gens malheureux, tandis que l’éducation renforce leur bien-être. Une illustration est donnée par les économistes Andrew Clark et Andrew Oswald. Ils ont estimé qu’en 2002, le Britannique moyen aurait besoin d’une compensation mensuelle à hauteur de 15 000 GBP (soit 22 500 USG) après la perte d’un emploi pour demeurer aussi heureux qu’il l’était avant le chômage. Cette estimation ne mesure pas la perte de revenus : elle est simplement fondée sur la comparaison statistique de le mesure de bien-être des individus avec et sans emploi.
14 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Puisque, d’une part, la distribution des revenus affecte le bien-être et que, d’autre part,
un même revenu moyen peut conduire à des distributions de revenus très différentes
au sein d’un groupe, le revenu moyen peut refléter imparfaitement le niveau de vie
relatif d’un groupe d’individus par rapport à un autre groupe.
La valeur des biens et services publics
Le PIB inclut les biens et les services fournis par l’Etat : l’éducation, l’armée, la justice.
Ces éléments concourent au bien-être, mais ne sont pas inclus dans le revenu
disponible. À cet égard, le PIB par tête est une meilleure mesure du niveau de vie que
le revenu disponible.
Mais la valeur des services fournis par l’État est difficile à évaluer, encore plus que la
valeur de services comme les coupes de cheveux et les leçons de yoga. Pour les biens
et services achetés par les individus, leur prix est considéré comme une mesure
approximative de leur valeur (si vous estimiez que la valeur d’une coupe de cheveux
était inférieure à son prix, vous vous seriez simplement laissé(e) pousser les cheveux).
Mais les biens et les services produits par l’État, eux, ne sont généralement pas
vendus ; la seule mesure disponible de leur valeur est leur coût de production.
DISCUSSION 1.2 : QUE DEVRIONS-NOUS MESURER ?
En campagne pour les élections présidentielles de 1968, le sénateur Robert Kennedy
prononça le 18 mars 1968 un discours célèbre dans lequel il remettait en cause « la
simple accumulation de biens matériels » au sein de la société américaine, et se
demandait pourquoi la pollution de l’air, les prisons et la publicité pour les cigarettes,
entre autres, étaient prises en compte dans la mesure américaine du niveau de vie,
alors que la santé, l’éducation ou le dévouement à sa patrie ne l’étaient pas. D’après
lui, on « mesurait tout, sauf ce qui donne du sens à nos vies ».
Lisez ce discours en entier, ou écoutez-en une version audio.
1. Dans la version complète du texte, quels biens Robert Kennedy inclut-il dans la
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 15
liste des éléments entrant dans le calcul du PIB ?
2. Pensez-vous que ces biens devraient être pris en compte dans un tel
indicateur ? Pourquoi ?
3. Quels biens inclut-il dans la liste des éléments ignorés par cet indicateur ?
4. Pensez-vous qu’ils devraient y être inclus ? Pourquoi ?
Les différences synthétisées ci-dessus entre ce que nous entendons par bien-être,
d’une part, et ce que le PIB par tête mesure, d’autre part10, incitent à se méfier d’une
équivalence immédiate entre les deux variables. Mais lorsque le PIB par tête évolue
autant que dans le Graphique 1.1 (et dans les Graphiques 1.9 et 1.10 ci-dessous), on
peut légitimement conjecturer que le PIB par tête est plus ou moins lié aux différences
de disponibilité de biens et de services.
Dans la section Einstein de cette unité, nous revenons plus en détail sur la méthode de
calcul du PIB, afin de pouvoir comparer ses valeurs dans le temps ou entre pays (la
10 Les limites du PIB comme mesure du bien-être des individus ont conduit les économistes à rechercher des mesures alternatives. Eurostat propose une introduction à ces mesures ici. L’Indice de développement humain (IDH) développé par les Nations Unies (ONU) prend en compte différentes dimensions – l’espérance de vie, la littératie et l’éducation ainsi que les conditions de vie en termes de revenus – qui sont combinées en vue d’établir un classement unique. Pour traiter la question de la distribution des richesses entre les personnes biens et moins bien loties, l’ONU a développé un Indice de développement humain ajusté aux inégalités (IDHI) qui va au-delà de l’IDH en incluant des mesures visant à prendre en compte les inégalités dans la répartition de chaque composante dans la population. L’indice de bien-être durable et l’indicateur de progrès véritable se fondent sur les mêmes données brutes utilisées pour le calcul du PIB et ajustent ensuite en fonction de la distribution des revenus, en ajoutant la valeur des activités économiques non monétaire (travail domestique, bénévolat) et en retirant les activités liées à la criminalité et à la pollution. Un autre travail soutenu par Joseph Stiglitz et Amartya Sen (deux lauréats du Prix Nobel en économie), parmi d’autres, repose sur l’idée qu’au lieu d’avoir un indicateur unique, nous devrions mobiliser un tableau d’indicateurs qui contribue au bien-être social : les conditions de vie matérielles (revenu, consommation, richesse), la santé, l’éducation, les activités personnelles et le travail, la représentation politique et la gouvernance, les connections sociales et les relations interpersonnelles, l’environnement et l’insécurité. Voir Eurostat. 2015. ‘Quality of Life Indicators - Measuring Quality of Life.’
16 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
plupart des unités comprennent une section Einstein, qui explique le calcul des
statistiques présentées). A l’aide de ces méthodes, nous pouvons utiliser le PIB par tête
pour communiquer sans équivoque des idées telles que « les Japonais d’aujourd’hui
sont bien plus riches que leurs ancêtres il y a 200 ans, et bien plus riches que les
Indiens d’aujourd’hui ».
Les deux parties du Graphique 1.1 soulèvent alors la question suivante : qu’est-ce qui a
changé de façon si spectaculaire au cours des 300 dernières années ?
1.3 LA REVOLUTION TECHNOLOGIQUE PERMANENTE
De remarquables avancées scientifiques et technologiques ont eu lieu à peu près en
même temps que l’accélération économique qu’a connue la Grande-Bretagne au milieu
du XVIIIe siècle. Des nouvelles technologies majeures furent introduites dans les
domaines du textile, de l’énergie et du transport. Le caractère cumulatif de ces
innovations au cours de la période lui valut son titre de révolution industrielle.
Jusqu’en 1800, dans la plupart des industries, des techniques d’artisanat traditionnelles
transmises de génération en génération étaient utilisées. La nouvelle ère apporta de
nouvelles idées, de nouvelles découvertes, de nouvelles méthodes et de nouvelles
machines, rendant les idées et les outils anciens obsolètes. Ces nouveautés devinrent
elles-mêmes obsolètes à mesure que des méthodes encore plus innovantes
apparurent.
Dans le langage courant, le mot « technologie » fait référence aux machines,
équipements et appareils développés grâce au savoir scientifique. Dans le vocabulaire
économique cependant, on appelle technologie le processus qui transforme un
ensemble de matériaux et autres facteurs de productions (les intrants, également
appelés inputs), y compris le travail des personnes et des machines, en produit fini (les
extrants, également appelés outputs). Par exemple, une technologie nécessaire à la
préparation d’un gâteau peut être décrite comme une « recette » indiquant la
combinaison nécessaire d’inputs (les ingrédients tels que la farine, et le travail tel que
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 17
le brassage) créant un produit fini (le gâteau). Une autre technologie de préparation de
gâteaux fait appel à des systèmes de production à grande échelle, mobilisant des
machines, des ingrédients et de la main d’œuvre (les opérateurs de machine).
Jusqu’à la révolution capitaliste, la technologie d’une économie, c’est-à-dire les
compétences nécessaires pour suivre des recettes, n’évoluaient que lentement et
étaient transmises quasi à l’identique de génération en génération. Avec la révolution
des méthodes de production permise par le progrès technologique, le temps nécessaire
à la confection d’une paire de chaussure a chuté de moitié en seulement quelques
décennies ; le filage, le tissage et la fabrication industrielle de gâteaux ont connu la
même révolution. Ces bouleversements ont marqué le début d’une révolution
technologique permanente, car le temps nécessaire à la production de la plupart des
biens n’a cessé de diminuer de génération en génération.
Le changement technologique dans le domaine de l’éclairage
Pour se faire une idée de la vitesse de ce changement sans précédent, considérons la
façon dont nous produisons la lumière. Durant la plus grande partie de l’histoire de
l’humanité, le progrès technologique pour l’éclairage fut lent. Nos ancêtres les plus
éloignés n’avaient rien de mieux que leurs feux de camp pour s’éclairer la nuit. La
« recette » pour produire de la lumière (si elle avait existé) aurait été : rassembler
beaucoup de bois, emprunter un tison enflammé à quelqu’un qui a déjà un feu, puis
allumer et entretenir le feu.
La première grande percée technologique en matière d’éclairage eut lieu il y a 40 000
ans avec la diffusion de lampes qui brûlaient de l’huile végétale ou animale. Nous
mesurons l’avancée technologique en éclairage au nombre d’unités de luminosité,
appelées lumens, qui peuvent être générées en une heure de travail. Un lumen est à
peu près la quantité de luminosité que reçoit un mètre carré au clair de lune. Un
lumen-heure (lm.h) est cette quantité de luminosité durant une heure. Par exemple,
faire un feu de camp requiert environ une heure de travail pour 17 lm.h, mais la lampe
à huile animale produit 20 lm.h pour la même quantité de travail. À l’époque
babylonienne (1750 av. J.-C.), l’invention d’une lampe améliorée consommant de
18 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
l’huile de sésame permit d’atteindre 24 lm.h par heure de travail. Le progrès
technologique fut lent : cette amélioration modeste nécessita 7 000 ans.
Trois millénaires plus tard, au début des années 1800, la technique d’éclairage la plus
efficace (les chandelles de suif) produisait environ 9 fois plus de lumière pour une
heure de travail que les lampes à huile animale d’autrefois. Depuis, l’efficacité de
l’éclairage grâce au développement des lampes au gaz de ville, des lampes à pétrole,
des ampoules à filament, des ampoules fluorescentes et d’autres formes d’éclairage.
Les ampoules compactes fluorescentes, inventées en 1992, sont environ 45 000 fois
plus efficaces, en termes de temps de production, que les lumières de 1800.
Aujourd’hui, la productivité du travail pour obtenir de l’éclairage est un demi-million de
fois plus élevée qu’au temps de nos ancêtres autour de leurs feux de camps.
Le Graphique 1.2, ci-dessous représente cette croissance remarquable de l’éclairage en
forme de crosse de hockey, à l’aide d’une échelle de rapport.
Illustration 1.2 La productivité du travail pour produire de la lumière : Lumen produits
par heure de travail (de -100 000 à aujourd’hui).
Source: Nordhaus W. 1998. ‘Do Real Output and Real Wage Measures Capture Reality? The History of
Lighting Suggests Not.’ Cowles Foundation for Research in Economics Paper 957.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 19
Le processus d’innovation ne s’est pas arrêté avec la révolution industrielle, comme le
montre l’exemple de la productivité en termes d’éclairage. Ce processus s’est poursuivi
par l’introduction de nouvelles technologies dans de nombreuses industries telles que
la machine à vapeur, l’électricité, les transports (canaux, chemins de fer, automobiles),
et plus récemment, la révolution du traitement de l’information et des
télécommunications. Ces innovations technologiques utilisables à grande échelle
donnent une très forte impulsion à la croissance des niveaux de vie, car elles modifient
le fonctionnement de larges pans de l’économie.
En réduisant la quantité de temps requis pour produire ce dont nous avons besoin, les
avancées technologiques ont été accompagnées d’une amélioration significative des
conditions de vie. David Landes, un historien de l’économie, a écrit que la révolution
industrielle était une « succession de changements technologiques étroitement liés »
qui a altéré les sociétés dans lesquelles elle a eu lieu11. Ce processus est toujours à
l’œuvre aujourd’hui : Hans Rosling, un statisticien, soutient dans cette conférence
TED12 que nous devrions « remercier l’industrialisation » d’avoir créé la machine à
laver, un appareil qui a économisé du travail et a eu des effets importants sur le bien-
être de millions de femmes, y compris sa propre mère.
1.4 UN MONDE CONNECTÉ
En juillet 2012 parut le tube coréen Gangnam Style. À la fin de l’année 2012, il était
classé en tête des ventes de 33 pays, parmi lesquels l’Australie, la Russie, le Canada, la
France, l’Espagne et le Royaume-Uni. Avec 2 milliards de vues en 2014, Gangnam Style
est devenue la vidéo la plus visionnée sur YouTube. La révolution technologique
permanente a créé un monde connecté.
11 Landes, David S. 2003. The Unbound Prometheus: Technological Change and Industrial Development in Western Europe from 1750 to the Present. Cambridge: Cambridge University Press. 12 S’agissait-il de la plus grande invention de la révolution industrielle ? Hans Rosling plaide en faveur de la machine à laver dans cette vidéo.
20 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Nul n’y échappe. Les ressources mobilisées pour cette introduction à l’économie ont
été écrites par des équipes d’économistes, de graphistes, de programmeurs et
d’éditeurs, travaillant ensemble sur des ordinateurs au Royaume-Uni, en Inde, aux
États-Unis, en Russie, en Colombie, en Afrique du Sud, au Chili, en Turquie, en France,
et dans bien d’autres pays. Si vous êtes en ligne, certaines transmissions ont lieu à une
vitesse proche de celle de la lumière. Alors que la plupart des produits échangés dans
le monde entier se déplacent encore à la vitesse d'un cargo - environ 33 kilomètres par
heure -, les transactions financières internationales sont réalisées en moins de temps
qu'il ne vous a fallu pour lire cette phrase.
La vitesse à laquelle l'information circule fournit une illustration supplémentaire de la
rupture que constitue la révolution technologique permanente dans l’histoire de
l’humanité. Il est possible de mesurer la vitesse de circulation de l’information en
comparant la date d’occurrence d'un événement historique avec la date à laquelle
l'événement a été relevé pour la première fois dans d’autres endroits (dans des
journaux intimes, des revues ou la presse). Quand Abraham Lincoln fut élu président
des États-Unis en 1860, la nouvelle fut transmise par télégraphe de Washington à Fort
Kearny (Nebraska), qui était à l'extrémité ouest de la ligne de télégraphe. De là,
l’information voyagea grâce à un relais de courriers montés, nommé le Pony Express,
couvrant 2030 km jusqu’à Fort Churchill dans le Nevada, d'où elle fut transmise à la
Californie par télégraphe. Le processus dura au total sept jours et 17 heures. Pour la
partie de l’itinéraire desservie par le Pony Express, l’information progressa en moyenne
à 11 kilomètres par heure. Une lettre de 14 grammes transportée sur cette route
coûtait 5 USD, soit l'équivalent de cinq jours de salaire.
Gangnam Style
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 21
Des calculs similaires révèlent que les informations voyageaient entre la Rome antique
et l’Égypte à environ 2 kilomètres par heure ; 1500 ans plus tard, entre Venise et les
autres villes autour de la Méditerranée, elles étaient plus lentes encore. Toutefois, le
Graphique 1.3 montre une accélération subite de la circulation quelques siècles après.
Il fallut seulement 46 jours pour que la nouvelle d'une mutinerie de soldats indiens
contre le joug britannique atteigne Londres en 1857, et les lecteurs du Times londonien
apprirent l'assassinat de Lincoln 13 jours seulement après l'événement. Un an après la
mort de Lincoln, le premier câble transatlantique réduit le temps de transmission des
informations entre New-York et Londres à quelques minutes.
Illustration 1.3 Vitesse de transmission de l’information de l’an 1000 à 1865
Source: Tables 15.2 and 15.3 from Clark, G. 2007. A Farewell to Alms: A Brief Economic History of the
World. Princeton, NJ: Princeton University Press.
22 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
1.5 LA CROISSANCE DE LA POPULATION ET LA CROISSANCE DES VILLES
Parallèlement aux progrès technologiques et à l'augmentation du niveau de vie, la
population a connu une croissance rapide. Pendant la plupart de ces 12 000 dernières
années, la population mondiale n’a guère ou pas du tout augmenté, avec des
augmentations dans les années fastes suivies de réductions à la suite de différentes
catastrophes, climatiques ou autres.
Le Graphique 1.4 montre l'évolution de la population mondiale à partir de l’an 1000.
Dans quelques pays, la population a commencé à croître rapidement il y a 200 ans,
mais c’est à partir du XXe siècle, avec le développement et la propagation de meilleurs
réseaux d’assainissement, de l’eau potable, et d'autres mesures de santé publique, que
la population mondiale a définitivement décollé. Bien que la population mondiale n’ait
cessé de croître, comme le montre le Graphique 1.4, le rythme de croissance
démographique redescend actuellement du sommet atteint en 1970 (voir le Graphique
1.5). On nomme transition démographique ce ralentissement de la croissance de la
population au moment où la chute des taux de mortalité est compensée par une baisse
des taux de natalité, associée soit à la volonté individuelle d’avoir moins d'enfants, soit
à des politiques publiques décourageant la constitution de familles nombreuses,
comme en Chine.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 23
Illustration 1.4 Population mondiale de l’an 1000 à l’an 2010.
Source: Maddison, Angus. 2015. ‘Statistics on World Population, GDP and Per Capita GDP, 1-2008
AD.’ (consulté en juin 2015); US Census Bureau. 2015. ‘International Programs, International Data
Base.’ (consulté en juin 2015).
Avec l'augmentation de la productivité du travail dans le domaine de l’agriculture,
moins de main d’œuvre était nécessaire pour nourrir la population non-agricole. Une
plus grande productivité du travail signifie que, sur un terrain donné, chaque
agriculteur pouvait récolter une moisson plus large. Des travailleurs délaissèrent alors
l'agriculture au profit d'autres emplois, ce qui eut pour conséquence l’exode urbain. Il y
a 300 ans, la majorité de la population vivait à la campagne et interagissait avec une
poignée de personnes seulement, la plupart du temps la famille et les voisins.
Cependant, au cours des derniers siècles, les individus ont souhaité (ou, dans certains
cas, ont été poussés à) s’établir dans les villes.
La vie urbaine est un changement radical puisqu’on y côtoie au quotidien des dizaines,
voire des centaines d'étrangers. Ceci altère, bien entendu, la façon dont nous
interagissons avec les autres – que pour la plupart nous ne reverrons jamais –, ceci
pouvant poser question du point de vue de la sécurité personnelle des individus, et
nécessitant de nouvelles méthodes de maintien de l’ordre social. Les forces de police
24 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
sont relativement nouvelles dans les sociétés humaines, et sont apparues en même
temps que les premières mégalopoles.
Illustration 1.5 Hausses et baisses de la croissance de la population mondiale au XXe
siècle
Source: Maddison, Angus. 2015. ‘Statistics on World Population, GDP and Per Capita GDP, 1-2008
AD.’ (consulté en juin 2015); US Census Bureau. 2015. ‘International Programs, International Data
Base.’ (consulté en juin 2015).
DISCUSSION 1.3 : DONNÉES DE POPULATION MONDIALE
Cliquez sur la source du Graphique 1.4. Ceci téléchargera un fichier Excel contenant,
entre autres données, celles utilisées pour tracer le Graphique 1.4 (il s’agit de la
seconde feuille du classeur Excel).
Trouvez les lignes correspondant à la Chine et à l’Inde, et additionnez ces nombres de
sorte à obtenir la population totale de ces deux pays pour chaque année.
1. Tracez cette population totale sur un graphe similaire à celui du Graphique 1.4.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 25
Insérez ensuite la population totale des 30 pays d’Europe occidentale dans le
même graphique. Que pouvez-vous dire à propos de la croissance
démographique dans ces deux groupes de pays sur l’ensemble de la période ?
2. Utilisez ces données pour représenter une version à échelle de rapport de ce
graphique (référez-vous à la description d’une échelle de rapport donnée dans
la Section 1). Comparez le taux de croissance de la population de ces deux
groupes deux pays sur ce nouveau graphique. Pouvez-vous expliquer les
différences de taux de croissance ?
3. Que pouvez-vous conclure des écarts mis en évidence dans la question 2 ?
En 1850, on comptait seulement trois villes dont la population dépassait un million
d’habitants : Londres, Paris et Pékin. En 2013, plus de 500 villes atteignaient cette taille
(cf. Carte 1.6).
Illustration 1.6 Villes comptant plus d’un million d’habitants (2013)
Source: ‘Major Agglomerations of the World’. 2015. Version de juin 2015. Les données représentent
les agglomérations (une ville-centre et les villes voisines (banlieue) formant une région connectée de
population dense et principalement urbaine) de plus d’un million d’habitants.
Tokyo est la plus grande région urbaine du monde et abrite 34 millions d’habitants.
Ceci représente quatre fois plus de personnes qu’il n’en existait dans le monde entier il
26 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
y a 11 000 ans selon les archéologues, au temps où les hommes ont commencé à
cultiver la terre. En 1900, neuf des 10 plus grandes villes du monde se trouvaient en
Europe ou en Amérique du Nord, Tokyo constituant l’exception. Aujourd'hui, avec la
propagation mondiale du capitalisme, 9 des 10 plus grandes villes du monde sont en
Asie ou en Amérique latine, New York étant l’intrus.
Vue de Tokyo à vol d’oiseau
1.6 LES IMPACTS SUR L’ENVIRONNEMENT
Tandis que la production mondiale a grimpé en flèche (Graphiques 1.1a, 1.1b et 1.2),
l’exploitation des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement naturel
ont suivi la même pente. Les éléments naturels tels que l'air, l'eau, le sol et les
conditions météorologiques ont été bouleversés comme jamais auparavant.
Un exemple : le changement climatique. Les Graphiques 1.7a et 1.7b montrent
comment notre utilisation intensive d’énergies fossiles – charbon et hydrocarbures – a
profondément affecté notre environnement naturel. Après être restée relativement
constante pendant de nombreux siècles, la quantité de dioxyde de carbone dans
l’atmosphère terrestre a augmenté subitement au cours du XXe siècle (Graphique 1.7a),
entraînant une augmentation perceptible des températures moyennes de l'hémisphère
Nord (Graphique 1.7b). Le Graphique 1.7 a montré que les émissions de dioxyde de
carbone issues de la consommation de combustibles fossiles ont augmenté de façon
spectaculaire au cours des 250 dernières années.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 27
DISCUSSION 1.4 : LA COURBE ENVIRONNEMENTALE DE KUZNETS
De nombreux chercheurs pensent qu’il existe une relation en forme de U inversé
entre le revenu d’un pays et la dégradation de l’environnement. On dénomme
souvent cette relation la Courbe environnementale de Kuznets (CEK).
1. Lisez cette description de la CEK et, avec vos propres mots, expliquez pourquoi
une telle relation pourrait apparaître.
2. Comment cette relation est-elle susceptible de changer lorsque le revenu est
défini non plus comme le PIB par tête, mais le PIB ?
Le Graphique 1.7b révèle que les températures moyennes de la terre varient d'une
décennie à l’autre. Ces fluctuations sont tributaires de multiples facteurs, y compris les
phénomènes volcaniques tels que l'éruption du Mont Tambora en Indonésie, en 1815.
Cette année-là, l’éruption du Mont Tambora expulsa tant de cendres volcaniques que
la température de la Terre chuta ; l’année 1816 fut ensuite surnommée « l'année sans
été ».
28 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Illustration 1.7a Dioxyde de carbone dans l’atmosphère entre l’an 1010 et 2010, et
émissions mondiales de carbone par combustion d’énergies fossiles entre 1750 et 2010
Source: Années 1010-1975: Etheridge D., Steele, L., Langenfelds R., Francey, R. 2012. ‘Historical record
from the Law Dome DE08, DE08-2, and DSS ice cores.’ Division of Atmospheric Research, CSIRO,
Aspendale, Victoria, Australia. Années 1976-2010: Données du Mauna Loa observatory. Boden, T.A.,
Marland G., and Andres R. J. 2010. ‘Global, Regional, and National Fossil-Fuel CO2 Emissions.’
Données du Carbon Dioxide Information Analysis Center (CIAC).
Au cours du dernier siècle, les températures moyennes ont augmenté en raison d’une
hausse de la concentration de gaz à effet de serre, résultant d’émissions de CO2
provoquées par la combustion d’énergies fossiles. Le réchauffement climatique
mondial pourrait avoir des conséquences majeures : fonte des calottes glaciaires,
élévation du niveau de la mer submergeant de vastes zones côtières, bouleversements
climatiques et pluviaux entraînant la destruction de zones de culture vivrières.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 29
Illustration 1.7b Fluctuations de la température dans l’hémisphère Nord à long terme
(1000-2006)
Source: Mann, M., Zhang, Z., Hughes, M., Bradley, R., Miller, S., Rutherford, S., Fenbiao, N. 2008.
‘Proxy-Based Reconstructions of Hemispheric and Global Surface Temperature Variations over the
Past Two Millennia’. Proceedings of the National Academy of Sciences 105(36): 13252-57.
Le changement climatique est un phénomène mondial. Toutefois, de nombreuses
conséquences environnementales sont locales, comme les problèmes respiratoires en
milieu urbain et d’autres affections résultant des émissions polluantes de centrales
électriques, de véhicules, et d’autres sources encore. Les communautés rurales sont
elles aussi affectées par la déforestation, l’épuisement des nappes d’eau potable et des
stocks de poisson.
Ces exemples de la façon dont les individus peuvent avoir une influence sur les
questions écologiques et être influencés en retour par ces dernières, au plan local
comme au plan global, justifient l’emploi que nous faisons du mot « économie ». Par le
terme d’économie, nous faisons référence à l’ensemble des interactions des individus
entre eux et sur la nature, dans le but de produire leur subsistance.
30 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Le Schéma 1.8 illustre une façon de penser l’économie : l’économie fait partie d’un
système social plus grand, qui est lui-même inclus dans la biosphère, rassemblant
toutes les formes de vie sur terre.
Illustration 1.8 L’économie fait partie de la société, qui fait partie de la biosphère
Le changement climatique mondial et l’épuisement des ressources locales sont des
conséquences autant de l’expansion de l’économie (la croissance de la production
totale) que – nous le verrons – de l’organisation de l’économie (qui détermine, par
exemple, quels biens sont valorisés et conservés).
Il ne fait aucun doute que la révolution technologique permanente – qui a débouché
sur une dépendance aux énergies fossiles – fait partie du problème environnemental
actuel. Mais elle constitue également une partie de la solution.
Revenons au Graphique 1.2a, qui concernait la productivité du travail pour produire de
la lumière. Les augmentations importantes qui ont eu lieu au cours de l’histoire, et en
particulier depuis le milieu du XIXe siècle, ont eu lieu en grande partie parce que la
quantité de lumière produite par unité de chaleur (émise par exemple par un feu de
camp, une bougie ou une ampoule) a considérablement augmenté.
Dans le domaine de l’éclairage, la révolution technologique permanente a permis de
produire davantage de lumière avec moins de chaleur (c’est-à-dire davantage de
lumens de lumière par joule de chaleur), épargnant ainsi les ressources naturelles – du
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 31
bois de chauffage aux combustibles fossiles – nécessaires à la production de chaleur.
Les progrès actuels de la technologie peuvent permettre un plus grand recours au vent,
au soleil et aux autres sources d’énergie renouvelable.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
L’origine humaine et la réalité du changement climatique ne sont désormais plus
contestées parmi la communauté scientifique.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait autorité
en matière de recherche et de données sur ce sujet. Les suites probables du
réchauffement climatique mondial sont considérables: fonte des calottes glaciaires,
élévation du niveau de la mer submergeant de vastes zones côtières, bouleversements
climatiques et pluviaux entraînant la destruction de zones de culture vivrières. Les
conséquences physiques et économiques à long-terme de ces changements, ainsi que
les réponses appropriées des pouvoirs publics sont discutées en détail dans l’Unité 18.
1.7 UNE DÉFINITION DU CAPITALISME
Si l’on considère à nouveau les données présentées dans les Graphiques 1.1 à 1.7, nous
constatons une accélération en forme de crosse de hockey pour :
Le PIB par tête
La productivité du travail (par exemple, lumière produite par heure de travail)
La connectivité entre différentes régions du monde (la vitesse à laquelle les
informations voyagent)
La population mondiale
L’impact de l’économie sur l’environnement mondial (émissions de carbone, taux
de CO2 atmosphérique, changement climatique)
32 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Comment pouvons-nous expliquer le passage d’un monde où les conditions de vie et
de survie fluctuaient au gré des épidémies et des guerres, à un monde où, sauf
exception, chaque génération est remarquablement, et de façon attendue, mieux lotie
que la précédente ?
La réponse la plus sensée, dans les faits et logiquement, est ce qu’on appelle la
révolution capitaliste, qui a introduit un nouveau système économique caractérisé par
une nouvelle combinaison d’institutions. Un système économique est une façon
d’organiser la production et la distribution de biens et de services dans l’ensemble
d’une économie. Et par institutions, nous entendons les différents ensembles de lois et
de coutumes sociales qui régulent la production et la distribution dans les familles, les
entreprises privées et les corps gouvernementaux.
LE CAPITALISME
Le capitalisme est un système économique au sein
duquel trois institutions clés jouent un rôle important :
La propriété privée
Les marchés
Les entreprises
Dans certaines économies du passé, les institutions économiques clés étaient la
propriété privée, les marchés et la famille, c’est-à-dire que la famille, plus que
l’entreprise, était le lieu principal de réalisation de la production. Imaginez une ferme
détenue et gérée par une famille. Qui travaille ? Qui consomme le produit qui en
résulte ? C’est la génération la plus âgée de la famille – dans la plupart des sociétés, des
hommes – ainsi que la coutume sociale en vigueur qui en décident.
Dans d’autres sociétés, l’institution régissant la production, la distribution et le
processus de changement était le gouvernement. La majeure partie de la production
avait lieu dans des établissements détenus par l’Etat et celui-ci décidait de l’utilisation
des biens, ainsi que de la part reçue par chacun. Pour désigner un tel système, on parle
d’économie planifiée. Ce système a existé par exemple en Union Soviétique, en
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 33
Allemagne de l’Est et dans de nombreux autres pays d’Europe de l’est jusqu’à la fin des
régimes communistes au début des années 1990.
Bien que les gouvernements et les familles demeurent des rouages essentiels au
fonctionnement de n’importe quelle économie, les économies actuelles sont
majoritairement capitalistes. Puisque la plupart des lecteurs vivent dans des économies
capitalistes, il est facile de négliger l’importance des institutions pourtant primordiales
à leur bon fonctionnement. Elles sont omniprésentes mais peu remarquées. Les trois
institutions au fondement de l’économie capitaliste sont la propriété privée, les
marchés et les entreprises, et avant de voir comment le système capitaliste les
combine, nous devons les définir.
1.8 LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE, LES MARCHÉS ET LES ENTREPRISES
Au cours de l’histoire de l’Humanité, l’importance de la propriété privée a varié. Dans
certaines sociétés, comme les bandes mobiles de chasseurs-cueilleurs que furent nos
lointains ancêtres, presque rien, si ce n’est les ornements personnels et les vêtements,
n’était détenu par les individus. Dans d’autres, les cultures et les animaux relevaient de
la propriété privée, mais non la terre. Le droit d’utiliser la terre était accordé aux
familles par consensus entre les membres d’un groupe, ou par un chef, sans que la
famille ne soit jamais revêtue du droit de vendre la parcelle.
LA PROPRIETE PRIVEE
La propriété privée signifie que vous pouvez :
Jouir de vos biens comme il vous plaît,
En exclure, à votre guise, leur usage à d’autres
personnes,
Les donner ou les vendre à autrui…
…qui en deviendra à son tour le propriétaire.
34 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Dans d’autres systèmes économiques, même des êtres humains – les esclaves –
relevaient de la propriété privée.
Dans une économie capitaliste, une forme importante de la propriété privée est
constituée des équipements, des bâtiments, des matières premières, des brevets et
d’autres formes de propriété intellectuelle, ainsi que d’autres intrants utilisés pour
produire des biens et des services. On les appelle des biens d’équipement.
Dans une économie capitaliste, la propriété privée n’inclut pas des éléments essentiels
tels que l’air ou nos connaissances (par exemple nos compétences, notre savoir-faire
en termes de production, notre capacité à résoudre les difficultés rencontrées au cours
du processus de production). La propriété privée peut être détenue par un individu,
une famille, une entreprise ou une autre entité différente de l’État.
DISCUSSION 1.5 : LA CHAUMIÈRE DU PAUVRE HOMME
« Dans sa chaumière, l'homme le plus pauvre peut défier toutes les forces de la
Couronne. Sa chaumière peut bien être frêle, son toit branlant, le vent peut souffler
en travers d'elle, la tempête, la pluie y pénétrer, mais le Roi d’Angleterre ne le peut
pas, sa puissance n'oserait franchir le seuil de cette maison en ruine ! »
William Pitt l’Ancien, 1er comte de Chatham (1708-1778), Discours à la Chambre des
Communes, 1763
1. Que nous indique ce texte sur la propriété privée ?
2. Cela s’applique-t-il au logement des citoyens de votre pays ?
Imaginez toutes les manières possibles de transférer des biens et des services d’une
personne à une autre : le don, le vol, la confiscation par l’État. Les échanges sur un
marché présentent deux différences fondamentales avec ces transferts.
La réciprocité : contrairement aux cadeaux et au vol, le transfert d’un bien ou
d’un service d’une personne à une autre sur un marché a pour contrepartie
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 35
immédiate un transfert dans le sens inverse (soit d’un autre bien comme en
économie de troc, soit de monnaie, soit d’une promesse de transfert futur en cas
d’achat financé par un crédit).
Le volontarisme : le double transfert – vers l’acheteur et vers le vendeur – sont
volontaires, puisque les quantités échangées relèvent de la propriété privée.
Pour avoir lieu, l’échange doit paraître bénéfique aux deux parties. De ce point
de vue, les marchés diffèrent à la fois du vol et des transferts autoritaires de
biens et de services dans les cas de planification économique centralisée.
LES MARCHÉS
Les marchés sont:
Une façon d’établir un lien mutuellement
avantageux entre individus,
… par l’intermédiaire d’un échange de biens et de
services,
… à travers un processus d’achat et de vente.
DISCUSSION 1.6 : LES MARCHÉS ET LES RÉSEAUX SOCIAUX
Considérez le réseau social que vous utilisez, par exemple Facebook. Considérez
maintenant la définition d’un marché.
Quelles sont les similarités et les différences entre ce réseau social et un marché ?
Mais la propriété privée et les marchés ne suffisent pas à définir le capitalisme. Dans de
nombreux endroits, ils constituaient des institutions importantes bien avant
l’avènement du capitalisme. La plus récente des trois composantes à l’origine des
économies capitalistes est l’entreprise.
36 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
L’ENTREPRISE
Une entreprise est une forme d’organisation de la
production possédant les caractéristiques suivantes:
Un ou plusieurs individus détiennent des biens
d’équipement utilisés dans la production.
Ils versent un salaire, ou une rétribution monétaire,
à des employés.
Ils dirigent ces employés (par l’intermédiaire de
managers qu’ils emploient également) dans le but
de produire des biens et des services.
Les biens et services produits reviennent
entièrement aux propriétaires.
Les propriétaires peuvent ensuite vendre cette
production sur les marchés afin de réaliser un
profit.
Les types d’entreprises qui constituent une économie capitaliste incluent les
restaurants, les banques, les grandes exploitations agricoles qui emploient des ouvriers
extérieurs, les établissements industriels, les supermarchés, les fournisseurs d’accès à
Internet, et bien d’autres encore. D’autres organisations productives qui ne sont pas
des entreprises et qui jouent un rôle moins important dans l’économie capitaliste
comprennent les entreprises familiales dans lesquelles les travailleurs sont
majoritairement issus de la famille, les organismes sans but lucratif (OSBL), les
coopératives détenues par des employés et des entités détenues par l’État (telles que
les compagnies de chemin de fer, d’énergie ou d’eau). Celles-ci ne sont pas des
entreprises ; soit parce qu’elles n’ont pas pour but de réaliser des profits ; soit parce
que les propriétaires ne sont pas des individus privés qui détiennent les actifs de
l’entreprise et emploient d’autres personnes pour y travailler. Notez qu’une entreprise
verse des salaires à des employés ; mais une entreprise qui recrute des étudiants
stagiaires non rémunérés demeure une entreprise.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 37
Les entreprises ont existé et joué un rôle mineur dans de nombreuses économies bien
avant leur rôle d’organisation prépondérante dans la production de biens et services au
sein des économies capitalistes. Ce nouveau rôle fut à l’origine du développement
soudain d’un type de marché qui avait joué un rôle restreint dans les systèmes
économiques précédents: le marché du travail. Les propriétaires des entreprises (ou
leurs managers) proposent des emplois à des salaires suffisants pour attirer ceux qui
recherchent un travail.
En langage économique, les employeurs constituent la demande sur le marché du
travail (ils « demandent » des salariés), alors que les travailleurs constituent l’offre, en
proposant de travailler sous la direction des propriétaires et des managers qui vont les
embaucher.
Une caractéristique remarquable des entreprises, qui les distingue des familles et des
institutions publiques, est la vitesse à laquelle elles naissent, croissent, déclinent, et
meurent. Une entreprise performante peut évoluer de l’emploi de quelques salariés
seulement au statut d’entreprise internationale aux millions de clients et aux milliers
de salariés, en quelques années. Ceci vient de ce qu’elles sont capables d’embaucher
des employés supplémentaires sur le marché du travail et d’attirer des capitaux pour
financer l’achat des biens d’équipement nécessaires à la croissance de la production.
Elles peuvent également péricliter en l’espace de quelques années. Une entreprise qui
ne réalise pas de profits n’attirera en effet pas assez de capitaux (et sera incapable
d’emprunter les capitaux nécessaires), pour continuer à employer des individus et à
produire. L’entreprise décline alors et licencie des salariés.
Comparez cela à une ferme familiale prospère. La famille sera plus riche que ses
voisins ; mais à moins que la ferme familiale ne se transforme en entreprise et emploie
d’autres individus, son expansion sera limitée. Et si, inversement, la famille se révèle
peu douée pour l’agriculture, elle sera simplement moins riche que ses voisins. Le chef
de famille n’a pas la possibilité de licencier ses enfants. Aussi longtemps qu’ils peuvent
38 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
subvenir à leurs besoins, il n’y a pas de mécanisme similaire à la faillite d’une
entreprise.
Les institutions publiques ont tendance à être limitées dans leurs capacités à s’étendre
en cas de succès, et à être protégées de la faillite si leurs performances sont mauvaises.
Les marchés et la propriété privée sont consubstantiels au bon fonctionnement des
entreprises pour deux raisons :
Les inputs et outputs relèvent de la propriété privée : les locaux des entreprises,
les équipements, les brevets et autres inputs, sont la propriété privée des
propriétaires au même titre que les outputs qui découlent de l’utilisation des
inputs.
Les entreprises recourent aux marchés pour vendre leur production (outputs) : les
profits des propriétaires dépendent de leur capacité à vendre leur production sur
des marchés au sein desquels des consommateurs achèteront volontairement
leurs produits13 à un prix qui excédera les coûts de production.
Une façon de se souvenir de ce qui distingue le système économique capitaliste des
autres systèmes est que l’un de ses traits distinctifs est la propriété privée des biens
d’équipement, organisés de façon à être utilisé par les entreprises. D’autres systèmes
économiques se distinguent par l’importance accordée à la possession de terres ou
d’êtres humains (les esclaves) ; par la détention des biens d’équipement par l’État ; ou
encore par l’importance limitée des entreprises. Les économies capitalistes diffèrent
également des économies précédentes par la quantité de biens d’équipement utilisés
dans la production, les gigantesques métiers à tisser ayant par exemple remplacé les
rouets, et de puissants tracteurs à charrue accomplissant le travail auparavant effectué
à la houe.
13 Paul Seabright s’est intéressé à la manière dont les économies de marché réussissent à organiser des échanges complexes entre des inconnus et créent des emplois spécialisés pour eux. Voir Seabright, Paul. 2010. The Company of Strangers: A Natural History of Economic Life (Revised Edition). Princeton, NJ: Princeton University Press.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 39
1.9 LE CAPITALISME EN TANT QUE SYSTEME ECONOMIQUE
Le Schéma 1.9 montre que les trois parties de la définition d’un système économique
capitaliste sont des concepts imbriqués, la propriété privée étant une condition
essentielle au bon fonctionnement des marchés, et l’entreprise présupposant
l’existence des marchés et de la propriété privée. Le cercle le plus à gauche décrit une
économie composée de familles isolées qui détiennent leurs propres biens
d’équipement ainsi que les biens qu’elles produisent ; mais qui n’échangent pas ou peu
avec les autres.
Illustration 1.9 Le capitalisme: la propriété privée, les marchés et les entreprises
Des économies de ce type – telles que décrites dans le cercle le plus à gauche – ont
existé, mais elles ont été bien moins importantes historiquement que le système
(représenté par la figure du milieu), dans lequel les marchés et la propriété privée sont
combinés. Dans le cercle du milieu, l’essentiel de la production est soit prise en charge
par des individus (des cordonniers ou des forgerons, par exemple) ou des familles (dans
des fermes). Avant 1600, plusieurs grandes économies mondiales ont fonctionné ainsi.
Le capitalisme est un système économique qui mêle centralisation et décentralisation :
Le capitalisme décentralise : il limite les pouvoirs des États et des autres individus
dans le processus d’appropriation, d’achat et de vente.
40 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Le capitalisme centralise : il concentre le pouvoir dans les mains des propriétaires
et des managers des entreprises qui sont alors capables de d’assurer la
coopération d’un grand nombre d’employés au sein du processus de production.
Une bonne façon de se souvenir de ce contraste est de se rappeler que lorsque le
propriétaire d’une entreprise interagit avec un employé, il est « le patron », mais
lorsqu’il interagit avec un consommateur potentiel, il est simplement une autre
personne essayant de réaliser une vente, généralement en compétition avec d’autres
entreprises. C’est cette combinaison inhabituelle de compétition entre entreprises et
de concentration du pouvoir, ainsi que de coopération au sein de ces mêmes
entreprises, qui permet d’expliquer le succès inhabituel du capitalisme en tant que
système économique.
La manière dont les institutions du capitalisme – la propriété privée, les marchés et les
entreprises – se lient entre elles et avec les familles, le secteur public et d’autres
institutions varie grandement selon les pays. La Chine et les États-Unis sont tous deux
des économies capitalistes. Mais leur gouvernement respectif occupe une place
diamétralement opposée dans son influence sur les affaires économiques et sociales.
Cet exemple l’illustre : les définitions dans les sciences sociales ne peuvent prétendre à
l’exactitude des sciences naturelles.
Apprendre une nouvelle langue
Nous espérons que ce cours vous permettra d’apprendre non seulement des aspects
importants du champ économique, mais aussi comment pratiquer les sciences
économiques. Cela implique d’apprendre à parler une nouvelle langue. Utiliser des
termes issus des sciences économiques permet de communiquer des idées complexes
à d’autres personnes qui connaissent cette langue. C’est pourquoi nous insistons sur
l’importance des définitions.
Être capable d’expliquer l’utilisation que les économistes font de certains mots est
également essentiel pour discuter correctement d’économie avec ceux qui n’en font
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 41
pas. C’est pour cette raison, et parce que de nombreuses définitions ont déjà été
données, qu’il faut réfléchir à ce que les définitions nous apportent.
L’eau, par exemple, se définit chimiquement comme deux atomes d’hydrogène
associés à un atome d’oxygène, prenant une forme liquide, mais également une forme
solide (la glace) ou gazeuse (vapeur), sans parler d’autres formes, comme la neige, le
brouillard etc… Certaines personnes pourraient arguer que « la glace n’est pas
vraiment de l’eau » et objecter que la définition est passée à côté de la « vraie
signification » du mot.
Mais les débats à propos de la « vraie » signification des mots (et en particulier de ceux
qui font références à des éléments complexes tels que « capitalisme » ou
« démocratie ») sont fondés sur une mauvaise compréhension de la raison pour
laquelle les définitions sont importantes. Pensez à la définition de l’eau ou du
capitalisme non pas comme quelque chose qui capture la vraie signification des mots,
mais comme à un dispositif dont la valeur réside dans le fait qu’il facilite la
communication.
Le mot capitalisme, comme « l’eau », ne fait pas référence à une chose unique, mais à
une classe de choses qui partagent des caractéristiques communes. Et comme pour la
définition de l’eau (qui suppose que nous sachions comment utiliser les mots
« oxygène » et « hydrogène » avec précision), nous avons eu besoin de définir les trois
institutions qui composent le système économique capitaliste avant de pouvoir définir
le capitalisme lui-même.
Mais contrairement à l’eau, nous ne pouvons pas identifier un système économique
capitaliste sur la base de propriétés physiques facilement observables.
La Grande-Bretagne était capitaliste en 1800 et ne l’était absolument pas en 1500, mais
il serait vain d’essayer de trouver la date précise à laquelle ce changement a eu lieu.
Pendant la plus grande partie de la période de transition, nous pouvons dire que
l’économie britannique était un système économique mixte, comportant à la fois des
éléments capitalistes et non capitalistes.
42 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
La Chine a été une économie planifiée de 1953 jusqu’aux réformes économiques
initiées en 1978. Depuis, la Chine a adopté de nouvelles institutions, de sorte que les
marchés, la propriété privée et les entreprises sont venues à jouer un rôle
suffisamment important pour que le pays constitue aujourd’hui une économie
capitaliste. Mais en quelle année exactement cette définition est-elle devenue
justifiée ?
Les distinctions majeures sont importantes – la différence entre une économie
planifiée et une économie capitaliste, par exemple – mais nous devons admettre que
les frontières sémantiques sont rarement précises dans la vie quotidienne, de sorte
que la manière de décrire un système est toujours subjective. Même aujourd’hui, en
dépit de la domination du capitalisme en Chine, l’économie reste organisée selon des
plans quinquennaux.
DISCUSSION 1.7 : ENTREPRISE OU PAS ?
A l’aide des définitions vues ci-dessus, déterminez si chacune des organisations
suivantes est une entreprise en vérifiant si elle satisfait les critères de définition d’une
entreprise. Vous pouvez vous aider d’Internet.
1. John Lewis (Royaume-Uni)
2. Une ferme familiale au Vietnam
3. Le cabinet médical de votre médecin de famille
4. Wal-Mart (États-Unis)
5. Un vaisseau corsaire du XVIIIe siècle (cf. définition du Rover dans l’Unité 5)
6. Google (États-Unis)
7. Manchester United (Royaume-Uni)
8. Wikipédia
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 43
1.10 CAPITALISME, CAUSALITÉ, ET LA CROSSE DE HOCKEY DE l’HISTOIRE
Des raisons historiques et logiques laissent à penser que c’est l’émergence du
capitalisme qui a impulsé l’accélération subite (le « coude ») sur la courbe en forme de
crosse de hockey vue plus haut.
Mais prenons garde à affirmer trop hâtivement qu’une notion aussi complexe que le
capitalisme « provoque » une élévation du niveau de vie (ou le progrès technologique,
la croissance de la population, un monde de plus en plus connecté, ou des défis
environnementaux).
D’une perspective scientifique, on peut soutenir que (X) cause (Y) à deux conditions. Il
nous faut :
Comprendre la relation existant entre la cause (X) et l’effet (Y).
Réaliser des expériences en mesurant conjointement (X) et (Y) afin de de
rassembler des preuves.
En physique, nous avons une bonne compréhension de l’impact des changements de
température sur l’état de l’eau (qui peut en partie se transformer en vapeur, par
exemple), et nous pouvons facilement réaliser une expérience pour voir ce qui se passe
lorsque la température devient supérieure à 100°C (vous pouvez faire cette expérience
à chaque fois que vous faites bouillir de l’eau). Ainsi, il est possible d’établir des liens de
causalité entre la température et l’état de l’eau.
De tels liens de causalité sont essentiels en économie. Nous souhaiterions souvent
changer les choses de façon à ce que l’économie fonctionne mieux, ce qui implique de
pouvoir affirmer que la mesure (X) a de bonnes chances de causer le changement (Y).
Ainsi, il est possible qu’un économiste affirme que « si la banque centrale baisse son
taux d’intérêt, davantage de consommateurs achèteront des maisons et des voitures ».
44 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Cependant, l’économie n’est pas comme la physique. Nous ne comprenons
qu’imparfaitement le détail des processus de causalité, et il est rare que l’on puisse
effectuer des expériences (bien que l’Unité 4 donne des exemples d’utilisation
classiques d’expériences conventionnelles dans un domaine de l’économie). Dès lors,
comment les économistes peuvent-ils produire des résultats scientifiques ? L’exemple
suivant montre comment l’observation du monde peut nous aider à déterminer des
liens de causalité.
COMMENT LES ECONOMISTES SE FONDENT SUR LES FAITS :
LES INSTITUTIONS ONT-ELLES UN IMPACT SUR LA CROISSANCE
ÉCONOMIQUE ?
Nous avons remarqué que l’émergence du capitalisme a coïncidé à la fois avec la
révolution industrielle et avec le « coude » de la courbe de croissance. Cette
simultanéité renforce l’hypothèse que les institutions capitalistes ont constitué l’une
des causes de la période de croissance continue de la productivité. Mais l’émergence
d’un environnement culturel de réflexion critique, appelé les Lumières, a également
coïncidé avec cette période d’accélération. L’instigateur de la croissance a-t-il été les
institutions, la culture, les deux, ou d’autres causes encore ? Les opinions des
économistes et des historiens divergent, comme nous le verrons dans l’Unité 2 lorsque
nous nous poserons la question des causes de la Révolution Industrielle.
Le but d’un chercheur, toute discipline confondue, est de résoudre les désaccords avec
ses collègues en se fondant sur les faits. Même pour des questions difficiles telles que
« les institutions ont-elles un impact sur la croissance ? », les faits peuvent produire
suffisamment d’information pour parvenir à une conclusion.
A cet effet, une méthode fréquente est l’expérience naturelle. Il s’agit d’une situation
dans laquelle deux groupes présentent des différences concernant une variable
d’intérêt – un changement dans les institutions par exemple – et ces différences sont
indépendantes des autres causes possibles. Puisque nous sommes incapables de
modifier le passé – quand bien même il serait possible de réaliser des expériences
contrôlées sur des populations entières ! –, nous nous appuyons sur des expériences
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 45
naturelles. C’est ce qu’expliquent le biologiste Jared Diamond et le professeur de
sciences politiques James Robinson14.
La division de l’Allemagne en deux systèmes économiques – un système planifié à l’est,
et un système capitaliste à l’ouest – à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, constitue
une expérience naturelle. Le rideau de fer séparait deux populations qui partageaient
la même langue, la même culture, et une même histoire récente au sein d’une
économie capitaliste.
Avant la Seconde Guerre Mondiale, les niveaux de vie de ce qui allait devenir
l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest étaient identiques. Il s’agit d’un cadre
favorable à l’utilisation de la méthode de l’expérience naturelle. Les entreprises
d’Allemagne de l’Est dans les régions de Saxe et de Thuringe étaient des leaders
mondiaux dans la production automobile, aéronautique, chimique, optique et de
l’ingénierie de précision.
Suite à l’instauration de la planification centralisée en Allemagne de l’Est (RDA), la
propriété privée, les marchés et les entreprises ont quasiment disparu. La décision de
produire, quand, où, et en quelle quantité n’échoyait plus aux individus, mais à des
responsables du gouvernement. Les dirigeants de cette organisation économique
n’avaient pas à respecter le critère clé de succès d’une économie capitaliste : produire
des biens et des services que les consommateurs achèteront à un prix supérieur aux
coûts.
L’Allemagne de l’Ouest (RFA), elle, est demeurée une économie capitaliste.
Le Parti Communiste de la RDA prévoyait en 1958 que le niveau de bien-être matériel
dépasserait celui de la RFA en 1961. L’échec de cette prédiction fut l’une des raisons de
14 Jared Diamond et James Robinson montrent que pour comprendre le passé – quand les expériences contrôlées ne sont pas possibles, d’autres études comparatives peuvent aider à documenter des explications causales. Diamond, Jared, and James Robinson. 2014. Natural Experiments of History. Cambridge, MA: Belknap Press of Harvard University Press. Lisez cet article pour une courte introduction aux études de l’ouvrage.
46 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
la construction du mur de Berlin séparant RDA et RFA en 1961. En 1989, lors de la
chute du mur de Berlin et de l’abandon de la planification centralisée en Allemagne de
l’Est, le PIB par tête de l’Allemagne de l’Est était moitié moindre que celui de
l’Allemagne de l’Ouest capitaliste. Le Graphique 1.10 représente ces évolutions
différentes ainsi que les évolutions d’autres économies, à partir de 1950 et en utilisant
une échelle de rapport.
Illustration 1.10 Les deux Allemagne : planification et capitalisme, 1950-1989
Source: The Conference Board. 2015. ‘Total Economy Database.’ Consulté en juin 2015. Maddison,
Angus. 2001. ‘The World Economy: A Millennial Perspective.’ Development Centre Studies. Paris:
OECD.
Remarquons, sur le Graphique 1.10, que la RDA a commencé dans une position moins
favorable que celle de la RFA en 1950. Ceci était dû aux conséquences très négatives de
la scission du pays pour les industries de la RDA en particulier, plutôt qu’à des
différences en termes de quantité de capital ou de compétences individuelles
disponibles.
Contrairement à certaines économies capitalistes qui disposaient d’un revenu par tête
faible en 1950, la RDA n’a pas rattrapé les têtes de files mondiales dont faisait partie la
RFA. En 1989, l’économie japonaise (qui avait également subi des dommages de
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 47
guerre) avait, grâce à une combinaison particulière de propriété privée, de marchés et
d’entreprises, ainsi qu’un rôle coordinateur fort de l’État, rattrapé l’Allemagne de
l’Ouest, et l’Espagne avait réduit une partie de son retard.
Il n’est pas possible de conclure de l’expérience naturelle allemande que le capitalisme
génère toujours une croissance économique rapide alors que la planification
centralisée est une garantie de stagnation. Ce que nous pouvons en déduire est plus
limité : pendant la seconde moitié du XXe siècle, la divergence des institutions
économiques a eu un impact sur le niveau de vie du peuple allemand. Si vous voulez en
savoir plus sur ce qui s’est passé dans les deux Allemagnes, ce chapitre d’ouvrage est
une bonne introduction15.
A quelles conditions le capitalisme est-il dynamique ?
Il existe deux types de conditions qui contribuent au dynamisme d’un système
économique capitaliste. Le premier ensemble de conditions est économique ; le second
est politique, et concerne le secteur public et son fonctionnement.
Les conditions économiques
Les conditions économiques sont résumées par le contraste entre la deuxième et la
troisième colonne du Tableau 1.11. Un système économique capitaliste est moins
dynamique lorsque les droits de propriété ne sont pas garantis, lorsqu’il existe une
compétition limitée sur les marchés, et lorsque la direction des entreprises tombe
15 Pour comprendre pourquoi l’Allemagne de l’Est n’a pas réussi à rattraper l’Allemagne de l’Ouest – et pourquoi il s’agissait de l’économie la plus performante du Bloc soviétique, lisez l’ouvrage de Hartmut Berghoff et Uta Andrea Balbier. Berghoff, Hartmut, and Uta Andrea Balbier. 2013. ‘From Centrally Planned Economy to Capitalist Avant-Garde? The Creation, Collapse, and Transformation of a Socialist Economy.’ In The East German Economy, 1945-2010 Falling behind or Catching Up?, by German Historical Institute, edited by Hartmut Berghoff and Uta Andrea Balbier. Cambridge: Cambridge University Press.
48 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
entre les mains d’individus qui ne sont pas passés par l’épreuve de la compétition16,
mais ont acquis leur position par leurs parents ou des relations politiques.
Illustration 1.11 Les institutions qui rendent le capitalisme dynamique
CARACTÉRISTIQUES LORSQUE LE CAPITALISME
EST DYNAMIQUE
ET LORSQU’IL NE L’EST PAS
DE LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE Sûre Précaire
DES MARCHÉS Concurrentiels (les perdants
sortent)
Monopolisés (les perdants
continuent)
DES ENTREPRISES Responsabilités
professionnelles acquises sur
la base du mérite
Responsabilités acquises
par népotisme ou héritage
16 Les données plus récentes portant sur les économies où la révolution technologique n’a pas eu lieu suggèrent également le rôle moteur du capitalisme en matière d’innovation. L’une des différences les plus marquantes entre le développement économique des économies planifiées du Bloc soviétique et les économies capitalistes au XXe siècle est l’ampleur de l’innovation. Parmi une liste de 111 innovations majeures de procédés et de produits non militaires couvrant une période allant de la Révolution Russe qui a donné naissance au communisme en 1917 jusqu’à 1990 lors de l’abandon du système d’économie planifiée, seule une – le caoutchouc synthétique – vient d’un pays du Bloc soviétique. Le retard en termes d’innovation dans le système d’économie planifiée est particulièrement criant sachant que pendant la période concernée, le système éducatif s’est étendu largement et de nombreux scientifiques talentueux ont été formés. Le fait que l’innovation soit en retard sous ces conditions est probablement le résultat que ni le bâton de l’échec, ni la carotte des profits tirés des succès en matière d’innovation n’étaient opérationnels. Les gérants des usines avaient peu à gagner en innovant et peu à perdre s’ils ne le faisaient pas. Beaucoup de chercheurs ont conclu que le facteur important ayant contribué à l’effondrement des économies planifiées était la perte de légitimité du pouvoir communiste – car il avait échoué à transmettre l’innovation dans les biens de consommation. Ces livres vous donneront une introduction aux problèmes relatifs à l’innovation dans une économie planifiée: Chapter 2 in Kornai, János. 2013. Dynamism, Rivalry, and the Surplus Economy: Two Essays on the Nature of Capitalism. Oxford: Oxford University Press. Pour une étude de cas de l’industrie microélectronique, voir: Augustine, Dolores. 2013. ‘Innovation and Ideology: Werner Hartmann and the Failure of the East German Electronics Industry.’ In The East German Economy, 1945-2010: Falling behind or Catching Up?, by German Historical Institute, edited by Hartmut Berghoff and Uta Andrea Balbier. Cambridge: Cambridge University Press.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 49
Lorsque ces institutions fonctionnent bien, de sorte que la propriété privée est
garantie, que les marchés sont concurrentiels et que les entreprises sont dirigées par
des individus qui ont prouvé leur valeur, le capitalisme est unique en son genre. Il s’agit
du premier système économique dans lequel l’appartenance à l’élite est conditionnée à
un haut niveau de performance économique.
En tant que propriétaire d’entreprise, si vous échouez, vous ne faites plus partie du
club. Personne ne vous radie, car cela n’est pas nécessaire : vous faites simplement
faillite. Un aspect important de la discipline imposée par un marché – produire de bons
produits à faible coût sous peine d’échec – est qu’elle est automatique ; avoir un ami
haut placé ne garantit pas de pouvoir poursuivre son activité. La même discipline
s’applique aux entreprises et aux individus au sein des entreprises : les perdants
sortent. La concurrence de marché fournit un mécanisme permettant d’éliminer ceux
dont les performances sont insuffisantes.
Imaginez à quel point cela est différent des autres systèmes économiques. Un seigneur
féodal qui gérait mal son domaine n’était qu’un seigneur déplorable. Mais le
propriétaire d'une entreprise incapable de produire des biens qui plaisent aux
acheteurs, et à des prix au minimum supérieurs aux coûts de production est, comme
nous l’avons vu, en faillite. Et un propriétaire en faillite est un ex-propriétaire.
Bien sûr, s’ils sont initialement très riches et qu’ils disposent d’un bon réseau politique,
les propriétaires et les gestionnaires d’entreprises capitalistes survivent, et leurs
entreprises restent en activité malgré leurs défaillances, occasionnellement pour de
longues périodes voire pour des générations. Les perdants continuent parfois. Mais il
n’y a pas de garanties : pour devancer la concurrence, il faut innover en permanence.
Les conditions politiques
Le gouvernement est également important. Les mesures qu’il adopte garantissent
souvent que les droits de propriétés sont respectés, que les marchés sont
concurrentiels et que les dirigeants des entreprises sont sélectionnés sur la base du
50 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
mérite. Ces conditions rendent possible le système « carotte et bâton » du processus
concurrentiel.
Afin que les entrepreneurs novateurs assument le risque d’introduire un nouveau
produit ou un nouveau processus de production, il est nécessaire de garantir leur profit
potentiel de vol par un système légal opérationnel. Les pouvoir publics doivent régler
les différents autour des droits de propriété et protège ces droits nécessaires au bon
fonctionnement des marchés.
Cependant, comme le signale Adam Smith, en créant des monopoles comme la
Compagnie des Indes orientales, les gouvernements vident parfois de son contenu le
principe de concurrence. Si une grande entreprise est capable de constituer un
monopole en excluant tous ses concurrents ou si un certain nombre d’entreprises sont
capables d’entrer en collusion pour maintenir des prix élevés, l’incitation à l’innovation
et la discipline par crainte de faillite s’estompera. Ceci est également vrai dans les
économies modernes – lorsque des banques, par exemple, sont considérées comme
« trop importantes pour faire faillite » (Too big to fail), et sont renflouées par les
gouvernements alors qu’elles auraient dû faire faillite dans des conditions normales.
Outre la garantie d’un environnement favorable aux institutions du système
économique capitaliste, l’État fournit des biens et services essentiels tels que les
infrastructures physiques, l’éducation ou la défense nationale.
En somme, le capitalisme peut être un système économique dynamique lorsqu’il
associe :
Des incitations privées à innover pour réduire les coûts, découlant de la
concurrence de marché et de la garantie de la propriété privée
Des entreprises dirigées par des individus qui ont démontré leur compétence à
produire des biens à faible coût
Des politiques publiques favorables à ces conditions et fournissant des biens et
services essentiels.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 51
Ce sont ces trois conditions qui constituent ensemble ce que nous appelons la
révolution capitaliste. C’est celle-ci qui, en Grande-Bretagne d’abord et dans d’autres
pays ensuite, a transformé la façon dont les individus interagissent entre eux et avec la
nature dans le but de produire leur subsistance.
1.11 LES FORMES DIVERSES DU CAPITALISME : DES DIVERGENCES PARMI LES DERNIERS
ARRIVÉS
Tous les pays capitalistes n’ont pas connu le même succès économique que la Grande-
Bretagne, et plus tard le Japon (cf. Graphique 1.1a). Le Graphique 1.12 représente
l’évolution d’un certain nombre de pays au cours du XXe siècle. Il montre par exemple
qu’en Afrique, le Botswana est parvenu à atteindre une croissance soutenue, qui
contraste avec l’échec relatif du Nigéria. Ces deux pays sont richement dotés en
ressources naturelles (le Botswana en diamants, et le Nigéria en pétrole) ; mais la
qualité variable de leurs institutions – concernant la corruption et le détournement des
fonds publics, en particulier – explique leurs trajectoires contrastées.
Illustration 1.12 Divergence du Produit Intérieur Brut par tête parmi les pays qui ont
connu une révolution capitaliste tardive (1928-2013)
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
19
28
19
33
19
38
19
43
19
48
19
53
19
58
19
63
19
68
19
73
19
78
19
83
19
88
19
93
19
98
20
03
20
08
20
13
Niv
eau
de
vie
(PIB
par
têt
e)
Figure 12. Divergence of Gross Domestic Product per capita among latecomers to the capitalist revolution (1928-2010)
Corée du Sud
Argentine
Russie
Ex-URSS
Brésil
Botswana
Nigéria
Source: Bolt, J. and van Zanden, J. 2013. ‘The First Update of the Maddison Project; Re-Estimating
Growth before 1820’. Maddison Project Working Paper WP-4, January.
52 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Le pays le plus performant du Graphique 1.12 est la Corée du Sud. En 1950, son PIB par
tête était identique à celui du Nigéria ; en 2013, il était dix fois supérieur. Le décollage
de la Corée du Sud eut lieu sous des institutions et des politiques radicalement
différentes de celles que connurent la Grande-Bretagne au XVIIIe et au XIXe siècle. La
différence première est que les pouvoirs publics de Corée du Sud (de concert avec un
petit nombre de très grandes entreprises) jouèrent un rôle primordial en dirigeant le
processus de développement17. Ils promurent intentionnellement certaines industries,
exigeant des entreprises qu’elles deviennent compétitives sur les marchés étrangers, et
fournirent une éducation de qualité à leur main d’œuvre. On parle aujourd’hui d’État
développeur (developmental state) au sujet du rôle de l’État coréen dans le décollage
économique du pays, et cette notion comprend aujourd’hui tout État intervenant de la
sorte dans son économie – tels le Japon, ou encore la Chine.
Le Graphique 1.12 montre également qu’en 1928, lorsque le premier plan quinquennal
de l’Union Soviétique fut introduit, le PIB par tête y valait un dixième de celui de
l’Argentine, était égal à celui du Brésil, et était bien plus élevé que celui de Corée. La
planification centralisée en Union Soviétique a produit une croissance régulière mais
peu spectaculaire pendant près de cinquante ans. Le PIB par tête de l’Union Soviétique
a largement devancé celui du Brésil, et surpassa même brièvement celui de l’Argentine
juste avant l’effondrement du régime communiste en 1990.
Le contraste entre les deux Allemagne illustre l’une des raisons pour lesquelles la
planification centralisée fut abandonnée : son incapacité, à la fin du XXe siècle, à
apporter les améliorations en termes de niveau de vie observées dans certaines
économies capitalistes. Pourtant, comme le montre le Graphique 1.12, les variétés de
capitalisme qui ont remplacé la planification centralisée dans les pays de l’ex-Bloc
soviétique n’ont pas mieux fonctionné ; témoin la chute importante du PIB par tête de
ces pays après 1990.
17 Amsden, Alice H. 1989. Asia’s next Giant: South Korea and Late Industrialization. 1st Ed. New York, NY: Oxford University Press (PDF).
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 53
Le retard de certains pays capitalistes, y compris ceux du Graphique 1.12 dont la
croissance a été lente ou inégale, met en évidence les problèmes suivants, évoqués
dans la colonne de droite du Tableau 1.11 :
La propriété privée n’est pas garantie, faute à une mauvaise application du droit
et des contrats, ou d’expropriations par des organisations criminelles ou par un
organe de l’État.
Les marchés ne sont pas concurrentiels et ne sont pas en mesure d’offrir le
système de récompenses-sanctions nécessaires au dynamisme d’une économie
capitaliste
Du fait de ces défaillances, les entreprises sont parfois contrôlées par des
individus en place grâce au népotisme politique ou familial, plutôt qu’en vertu de
leur compétence à produire des biens et services de bonne qualité à un prix
concurrentiel.
La combinaison des défaillances de trois institutions charnières du capitalisme18 signifie
que l’économie tombe dans la colonne de droite du Tableau 1.11. Dans ces conditions,
les individus et les groupes ont plus à gagner en dépensant leur temps et leurs
ressources en groupes de pression, en activités criminelles, et autres façons de
détourner la distribution des revenus en leur faveur, plutôt qu’en créant de la richesse.
1.12 LES DIVERSES FORMES DU CAPITALISME : LE SECTEUR PUBLIC ET L’ÉCONOMIE
Nous avons vu que dans certains pays – la Corée du Sud par exemple – les pouvoirs
publics ont joué un rôle primordial dans la révolution capitaliste. Mais même lorsque
les États jouent un rôle plus limité, comme en Grande-Bretagne lors de son décollage
économique, les gouvernements établissent, mettent en œuvre et changent les lois et
les régulations qui influencent le fonctionnement de l’économie. Par exemple, les 18 Pourquoi certains pays sont riches et d’autres pauvres? Daron Acemoglu et James Robinson arguent que ce sont les institutions politiques et économiques conçues par les Hommes qui sous-tendent le succès économique (ou son absence). Voir : Acemoglu, Daron, and James A. Robinson. 2012. Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity, and Poverty. New York, NY: Crown Publishing Group.
54 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
marchés, la propriété privée et les entreprises sont tous régulés par des lois et des
politiques publiques. De plus, dans presque toutes les économies capitalistes
modernes, le secteur public constitue une part importante de l’économie –
représentant parfois plus de la moitié du PIB.
Dans les unités suivantes, nous nous intéresserons à l’économie des politiques
publiques, dans des domaines tels que le maintien de la concurrence, les taxes et les
subventions visant à protéger l’environnement, la modification de la répartition des
revenus, la création de richesse, et le niveau de chômage et d’inflation.
Une des raisons de la diversité des capitalismes au cours de l’histoire est la diversité
des régimes politiques existants. Un régime politique tel que la démocratie détermine
comment un gouvernement sera constitué, et de quelle manière celui-ci mettra en
œuvre ses décisions à l’égard de la population.
Le capitalisme est apparu en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, et dans la plupart des
pays aujourd’hui riches, bien avant l’adoption de la démocratie. Le premier pays à
autoriser la plupart de ses citoyens à voter fut la Nouvelle-Zélande, en 1893 seulement.
Encore récemment le capitalisme a prospéré sous des régimes non démocratiques,
comme au Chili (1973-1990), au Brésil (1964-1985), et au Japon jusqu’en 1945. La Chine
moderne a opté également pour une variante du régime capitaliste, mais son régime
politique n’est pas une démocratie au sens de notre définition. Cependant le format le
plus répandu aujourd’hui dans le monde est un capitalisme en régime démocratique ;
les deux systèmes s’influençant mutuellement.
L’une des raisons pour lesquelles le capitalisme prend un si grand nombre de formes
est qu’au cours de l’histoire, et aujourd’hui, les économies capitalistes ont coexisté
avec de nombreux systèmes politiques. Un système politique comme la démocratie
détermine comme les gouvernements sont sélectionnés, et comme ces gouvernements
prennent et mettent en place les décisions qui affectent la population.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 55
LA DÉMOCRATIE
La démocratie est un système politique parmi beaucoup
d’autres, défini par :
Des droits individuels incluant la liberté
d’expression, le droit de réunion et la liberté de la
presse,
Des élections libres dans lesquelles quasiment tous
les adultes ont le droit de voter,
… et à l’issue desquelles les candidats perdants
quittent leur poste.
Tout comme le capitalisme, la démocratie revêt de nombreuses formes. Dans certains
cas, le chef de l’Etat est élu directement par les électeurs ; dans d’autres cas, c’est une
assemblée élue, comme un parlement, qui élit le chef de l’État. Dans certaines
démocraties, il existe des limites strictes à la façon dont les individus peuvent
influencer les élections ou les politiques publiques à travers leurs contributions
financières ; dans d’autres, l’argent privé a eu influence considérable par
l’intermédiaire des contributions aux campagnes électorales, des groupes de pression,
et même des contributions illicites comme la corruption.
Ces différences entre démocraties expliquent pourquoi l’importance du gouvernement
dans l’économie capitaliste diffère tant entre nations. Dans le Graphique 1.13, nous
représentons la taille du secteur public – la mesure est la quantité totale d’impôts
collectés par l’État, à l’échelle locale et nationale – relativement à l’ensemble de
l’économie, en pourcentage du PIB. Même parmi des économies dont le PIB par tête
est similaire, la taille du secteur public ainsi estimée varie. Elle est de 33 % du PIB aux
États-Unis ; et de plus de 50 % du PIB dans six pays très riches du nord de l’Europe.
Remarquez que, selon cet indicateur, la Corée du Sud et son État développeur (qui a
dirigé le processus de croissance du pays) ressemble aux États-Unis, où l’État a
56 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
pourtant un rôle bien moins actif dans la direction de l’économie. Les recettes de l’État
sont très limitées au Japon également. Mais les politiques des gouvernements japonais
et coréen jouent un rôle important dans la direction de leur économie, au moins autant
que pour les États suédois et danois qui dépensent une fraction bien supérieure du
revenu total du pays.
La grande différence entre la Corée et le Japon, d’une part, et le Suède et le Danemark,
d’autre part, réside dans le succès des politiques gouvernementales à réduire les
inégalités de revenu disponible. Nous verrons dans la section 1.13 qu’en Suède et au
Danemark, les inégalités de revenu disponible (mesurées par l’un des indicateurs les
plus fréquemment utilisés) correspondent à la moitié des inégalités de revenus avant le
paiement de taxes et la réception de paiement de transferts. Cela contraste avec le
Japon et la Corée du Sud où la réduction des inégalités de revenu disponible par ce
même procédé est bien moindre.
Graphique 1.13 La taille du secteur public, mesurée par les recettes fiscales totales, en
pourcentage du PIB.
Source: OCDE (2015), Recettes des administrations publiques.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 57
1.13 LA MESURE DES INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES
La mesure des inégalités à laquelle nous faisions référence lorsque nous avons
comparé les politiques publiques du Japon, de la Corée, de la Suède et du Danemark
est appelé le coefficient de Gini, d’après le statisticien italien Corrado Gini (1884-1965).
Ce coefficient révèle la dispersion des revenus, ou de n’importe quelle autre variable
partagée, au sein d’une population. Si tout le monde dispose du même revenu, il n’y a
pas d’inégalités, et le coefficient de Gini vaut 0. Le niveau maximum d’inégalités,
lorsque le coefficient de Gini vaut 1, signifie qu’un seul individu accapare la totalité des
revenus.
Lorsque nous avons mentionné le fait que les impôts et les transferts en Suède avaient
pour conséquence une répartition des revenus qui était deux fois moins inégalitaire
que la répartition des revenus avant la mise en place de ces politiques
gouvernementales, nous faisions référence au fait que le coefficient de Gini avant
impôts et transferts est de 0,47 (les mêmes variables sont présentées pour les Pays-Bas
dans le Graphique 1.14a ci-dessous), alors que le coefficient de Gini du revenu
disponible est de 0,24.
Tout comme le PIB par tête, le coefficient de Gini mesure une caractéristique
importante de l’économie. Et comme pour le PIB par tête, il est bon d’explorer ce que
le coefficient de Gini mesure.
Le coefficient de Gini est fondé sur une construction statistique appelée courbe de
Lorenz (inventée en 1905 par Max Lorenz (1876-1959), un économiste américain, alors
qu’il était encore étudiant19). Nous expliquerons la courbe de Lorenz avant de montrer
comment l’utiliser pour calculer le coefficient de Gini.
La courbe de Lorenz représente l’ensemble de la population, classée sur l’axe des
abscisses du plus pauvre au plus riche. La hauteur de la courbe à chaque point de l’axe
19 Lisez l’article célèbre de Lorenz : Lorenz, Max O. 1905. ‘Methods of Measuring the Concentration of Wealth.’ Publications of the American Statistical Association 9 (70).
58 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
des ordonnées indique la fraction du revenu total reçue par la fraction de population
indiquée en ce point de l’abscisse.
Le Graphique 1.14a représente la courbe de Lorenz aux Pays-Bas en 2010. Il se fonde
sur des données de revenus de marché, et ne prend donc pas en compte les impôts et
les transferts de l’État (nous verrons quelle différence cela implique dans quelques
paragraphes). La courbe indique que les 10 % les plus pauvres de la population (10 sur
l’axe horizontal), reçoivent seulement 0,1 % du revenu total (0,1 sur l’axe des
ordonnées). Les autres points de la courbe fournissent des informations analogues.
Lorsque l’on étudie de populations importantes à l’image de celles d’un pays ou d’une
ville – comme c’est souvent le cas –, le coefficient de Gini est l’aire entre la droite
d’égalité parfaite et la courbe de Lorenz (appelée A sur le graphique), divisée par
l’intégralité de l’aire sous la droite d’égalité parfaite (A+B). Le coefficient de Gini fut
introduit par le statisticien sept ans seulement après l’invention de la courbe de Lorenz.
On écrit alors :
D’après les données que nous avons utilisées pour construire la courbe de Lorenz, nous
pouvons calculer que le coefficient de Gini des revenus de marché au Pays-Bas en 2010
est de 0,47.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 59
Illustration 1.14a Distribution des revenus de marché et du revenu disponible aux
Pays-Bas (2010).
Source: LIS. 2015. ’Cross National Data Center.’ LIS. Version de juin 2015. Calculs sous la direction de
Stefan Thewissen (Université d’Oxford) en avril 2015. Les revenus du marché des ménages (revenus
du travail et du capital) et le revenu disponible sont normalisés et tronqués en haut et en bas.
Remarquons que la courbe de Lorenz est incurvée vers le bas par rapport à la droite à
45 degrés sur le graphique. Cela vient de ce qu’il existe des inégalités de revenu au sein
de la population néerlandaise. La droite à 45 degrés représente une courbe de Lorenz
dans une situation où tout le monde dispose du même revenu. Sa pente de 1 signifie
que les 50 % moins fortunés de la population reçoivent 50 % du revenu total ; les 10 %
les moins fortunés reçoivent 10 %, et ainsi de suite. Dans ce cas, nous n’aurions pas
besoin de classer les individus selon leurs revenus, puisque ceux-ci seraient tous
identiques. L’aire colorée A montre à quel point la courbe de Lorenz s’écarte de la
60 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
droite à 45 degrés. Elle constitue une mesure des inégalités aux Pays-Bas. Comparons
maintenant la courbe de Lorenz du revenu disponible et la courbe des revenus du
marché. La nouvelle aire A’ entre la courbe du revenu disponible et la droite d’égalité
parfaite est bien plus réduite : les impôts et transferts ont réduit les inégalités de
revenu disponible.
Comme vous pouvez le voir, lorsque l’on dessine la courbe de Gini du revenu
disponible, la nouvelle aire A’ est bien plus petite, et le nouveau coefficient de Gini
correspondant est donc plus faible :
Ce coefficient nous montre qu’aux Pays-Bas, en Suède et au Danemark, les impôts et
les transferts réduisent considérablement les inégalités de revenu disponible.
Comme pour le PIB par tête, nous pouvons utiliser la courbe de Lorenz pour réaliser
des comparaisons entre pays. Par exemple, le Graphique 1.14b représente la courbe de
Lorenz du revenu disponible aux États-Unis. En comparant cette courbe avec la courbe
analogue pour les Pays-Bas, nous pouvons voir que les inégalités de revenu disponible
sont bien plus importantes aux États-Unis qu’aux Pays-Bas : en utilisant à nouveau la
formule du coefficient de Gini, nous trouvons que le coefficient de Gini du revenu
disponible aux États-Unis est de 0,39.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 61
Illustration 1.14b Distribution du revenu disponible aux Pays-Bas et aux États-Unis
(2010).
Source : LIS. 2015. ‘Cross National Data Center.’ LIS. Version de juin 2015.
Il ne s’agit ici que de deux mesures des inégalités parmi beaucoup d’autres. Parmi ces
mesures alternatives, on peut citer : la fraction du revenu total perçue par le centile le
plus riche de la population ; le ratio des revenus des 10 premiers centiles de la
population sur les revenus des 10 derniers centiles ; et bien d’autres encore.
1.14 LES VARIÉTÉS DU CAPITALISME : LES INÉGALITES ÉCONOMIQUES
Le coefficient de Gini (ou les mesures alternatives, telle que la part des revenus perçus
par les plus hauts salaires) peut, comme le PIB par tête, être utilisé pour repérer des
tendances dans un pays au cours du temps.
Les coefficients de Gini du revenu depuis le XVIIIe siècle, aux États-Unis, en Grande-
Bretagne et aux Pays-Bas, sont représentés dans le Graphique 1.15. Un déclin plus ou
moins continu des inégalités de revenu peut être observé aux Pays-Bas depuis le milieu
62 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
du XVIIIe siècle. En Grande-Bretagne, les inégalités ont augmenté à la fin du XVIIIe
siècle, puis elles ont chuté jusqu’aux dernières décennies du XXe siècle ; après quoi elles
ont recommencé à augmenter. Aux États-Unis, les inégalités ont augmenté de la
Déclaration d’Indépendance de 1776 jusqu’à la Guerre Civile, en 1860. Elles ont ensuite
diminué au cours du siècle suivant, avant d’augmenter à nouveau au cours des
dernières années. Les inégalités de revenus aux États-Unis, mesurées par le coefficient
de Gini, sont désormais légèrement plus élevées qu’elles ne l’étaient à l’époque de
l’esclavage, à la veille de la Guerre Civile.
La forte augmentation des inégalités en Grande-Bretagne et aux États-Unis au cours
des dernières années s’est également produite dans de nombreuses économies de
première importance, comme l’Inde et la Chine, mais pas partout.
Illustration 1.15 Les inégalités de revenus aux États-Unis, en Grande-Bretagne et aux
Pays-Bas (1730-2010).
Source: Lindert, P.H. and Williamson, J.G. 2013. ‘Two Centuries of American Growth and Inequality,
1650-1860’, Stanford Economic History Seminar, October. Ce graphique mesure les inégalités de
revenus de marché, et non de revenu disponible (dont les données ne sont disponibles que pour des
années récentes), par conséquent les effets des impôts et des transferts ne sont pas pris en compte.
Avant 1950, ils étaient cependant de faible importance.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 63
Le Graphique 1.15 et la comparaison que nous avons faite entre les États-Unis et les
Pays-Bas dans la section précédente illustrent deux points importants à propos du
capitalisme et des inégalités :
Évolution dans le temps : Une économie capitaliste peut devenir aussi bien moins
inégalitaire que plus inégalitaire au cours du temps20.
Différences entre économies : Entre les économies capitalistes, à un moment
donné de l’histoire, les écarts d’inégalités de revenu disponible peuvent être
gigantesques, avec des pays très inégalitaires et d’autres presque égalitaires.
La raison principale des différences substantielles d’inégalités de revenu existant entre
nations est la volonté des États à taxer ou non les familles riches et à transférer ces
recettes aux plus démunis. Le Graphique 1.16 représente à la fois les inégalités de
revenus de marché et de revenu disponible, mesurées à l’aide du coefficient de Gini. Le
sommet du segment inférieur (rouge) de chaque colonne indique le coefficient de Gini
du revenu disponible ; le sommet du segment supérieur (bleu) de chaque colonne
indique le coefficient de Gini du revenu de marché. Les pays sont classés, de gauche à
droite, du pays le moins inégalitaire au pays le plus inégalitaire en utilisant le critère du
revenu disponible, la mesure la plus répandue des inégalités de niveau de vie.
Vous pouvez remarquer sur ce graphique :
Qu’entre les pays, les différences d’inégalités de revenu disponible (segment
rouge) sont bien plus importantes que les inégalités de revenus avant impôts et
transferts (segment bleu).
Que les États-Unis et la Grande-Bretagne comptent parmi les pays les plus
inégalitaires des économies développées.
20 Thomas Piketty et Emmanuel Saez ont publié l’article suivant sur l’histoire récente et l’avenir des inégalités économiques: Piketty, Thomas, and Emmanuel Saez. 2014. ‘Inequality in the Long Run.’ Science 344 (6186): 838–43.
64 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Que les quelques pays pauvres et en développement pour lesquels les données
sont disponibles sont encore plus inégalitaires que les États-Unis en termes de
revenu disponible.
Illustration 1.16 Inégalités de revenus de marché et de revenu disponible dans
différents pays du monde
Source: LIS. 2015. ’Cross National Data Center.’ LIS. Version de juin 2015. Calculs sous la direction de
Stefan Thewissen (Université d’Oxford) en avril 2015. Les revenus du marché des ménages (revenus
du travail et du capital) et le revenu disponible sont normalisés et tronqués en haut et en bas.
Toutefois, à l’exception de l’Afrique du Sud, cela est principalement dû à une très faible
redistribution des riches vers les pauvres, et non pas à des inégalités inhabituellement
élevées de revenus avant impôts et transferts.
Le Graphique 1.17 représente – pour les mêmes pays que ceux du Graphique 1.16 –
une mesure de l’intensité avec laquelle les impôts et les transferts redistribuent des
revenus à ceux dont le niveau de vie est le plus faible. Il s’agit du ratio de redistribution,
c’est-à-dire la longueur du segment bleu du Graphique 1.16, divisée par la hauteur
totale de la barre (le sommet de la barre bleue).
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 65
Illustration 1.17 Ratio de redistribution dans différents pays du monde
Source: LIS. 2015. ’Cross National Data Center.’ LIS. Version de juin 2015. Calculs sous la direction de
Stefan Thewissen (Université d’Oxford) en avril 2015. Les revenus du marché des ménages (revenus
du travail et du capital) et le revenu disponible sont normalisés et tronqués en haut et en bas.
DISCUSSION 1.8 :
Sélectionnez, dans le Graphique 1.17, deux pays qui disposent de ratios de
redistribution très différents.
En vous appuyant sur la politique, l’histoire et l’économie de ces pays, expliquez
pourquoi ces ratios sont si différents.
66 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
1.15 LES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET L’ÉCONOMIE
Les sciences économiques ont pour objet l’étude de la manière dont les individus
interagissent entre eux et avec leur environnement naturel afin de produire leur
subsistance, et l’étude de l’évolution de ces interactions cours du temps. Ce champ
disciplinaire traite donc de la manière dont :
Nous acquérons les éléments – notre nourriture, nos vêtements, notre logement,
notre temps libre – qui constituent nos moyens d’existence
Nous interagissons avec les autres, qu’ils soient vendeurs ou acheteurs,
employés ou employeurs, citoyens ou agents publics, parents, enfants, ou autres
membres de la famille
Nous interagissons avec notre environnement naturel, de l’air que nous respirons
à l’extraction de matières premières de la terre
Ces comportements évoluent dans le temps.
Dans le Graphique 1.8 nous avons montré comment l’économie fait partie de la
société, elle-même partie intégrante de la biosphère. Dans le Schéma 1.18, nous
illustrons la position des entreprises et des familles au sein de l’économie ; les flux
ayant lieu au sein de l’économie ; et enfin les flux qui ont lieu entre l’économie et la
biosphère. Les entreprises combinent le travail avec des structures et des équipements,
afin de produire des biens et des services qui sont utilisé par les ménages et par
d’autres entreprises.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 67
Illustration 1.18 Les ménages et les entreprises sont connectés les uns aux autres ainsi
qu’à la biosphère par des flux de biens, de services, de travailleurs, de pollution et de
matières premières
La production de biens et de services a également lieu au sein des ménages, mais
contrairement aux entreprises, certains de ces produits ne sont pas vendus sur le
marché : outre la production de biens et services, les ménages « produisent »
également des personnes – c’est-à-dire la génération suivante de main-d'œuvre. Le
travail des parents, des soignants et d’autres se combine avec les structures (une
maison, par exemple) et les équipements (le four dans cette maison, par exemple) dans
le but de reproduire et de former la force de travail future qui travaillera dans les
entreprises, ainsi que les individus qui travailleront et se reproduiront dans les
ménages du futur.
L’activité économique se déroule au sein du système biologique et physique au sein
duquel les entreprises et les ménages font usage de notre environnement et des
ressources naturelles, allant des énergies fossiles combustibles à l'air que nous
respirons. Au cours de ce processus, les ménages et les entreprises transforment la
nature en utilisant ces ressources, tout en ayant un impact en retour sur la nature.
Actuellement, les gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique
(illustré dans la section 1.6) font partie des impacts les plus importants.
68 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
1.16 CONCLUSION
Le capitalisme est le système économique le plus dynamique que le monde a connu.
Jusqu’à présent, les conséquences en furent largement positives : de nombreuses
économies capitalistes ont garanti à leurs citoyens un accès accru et substantiel aux
biens matériels et au temps libre.
Pourtant, malgré une révolution technologique permanente, les privations et
l’insécurité persistent, et beaucoup considèrent comme injuste l’accroissement des
inégalités entre les ménages.
Alors que la dynamique du capitalisme doit permettre de générer de nouvelles
technologies qui réduiront la pollution, les innovations non régulées par des politiques
environnementales constituent une menace pour notre environnement naturel. Or, la
vie sur terre dépend de la qualité de cet environnement.
NOTIONS INTRODUITES DANS L’UNITE 1
Avant de passer à l’unité suivante, passez en revue ces définitions :
Sciences économiques
Révolution industrielle
Technologie
Système économique
Capitalisme
Institutions
Propriété privée
Marchés
Entreprises
Révolution capitaliste
Démocratie
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 69
DISCUSSION 1.9 : QUAND ET OÙ AURIEZ-VOUS SOUHAITÉ NAÎTRE ?
Supposez que vous puissiez choisir d'être né à n’importe quel époque et dans
n’importe quel pays représenté sur le Graphique 1.1a, le Graphique 1.10 ou le
Graphique 1.12, mais à la condition que vous fassiez partie des 10 % les plus pauvres.
1. Dans quel pays choisiriez-vous de naître ?
2. Supposons maintenant que vous fassiez partie des 10 % les plus pauvres de la
population, mais que vous puissiez atteindre les 10 % les plus riches de la
population à force de travail. Dans quel pays choisiriez-vous de naître ?
3. Supposons finalement que vous ne puissiez décider que de votre pays et de la
période à laquelle vous naissez. Vous ne pouvez pas être sûr de naître en ville ou à
la campagne, homme ou femme, riche ou pauvre. Quels sont les pays et l’époque
où vous choisiriez de naître ?
4. Dans le scénario (3), quels sont le pays et l’époque dans lesquels vous souhaiteriez
le moins être né ?
Recourez à ce que vous avez appris dans cette unité pour expliquer vos choix.
70 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Points-clés de l’Unité 1
PIB et PIB par tête
Le Produit Intérieur Brut est une mesure du revenu d’un pays. Le PIB par tête
correspond au PIB divisé par l’effectif de la population ; cet outil est communément
utilisé pour mesurer le niveau de vie dans un pays.
La crosse de hockey et le « coude » de croissance
Au cours de la plus grande partie de l’histoire, le PIB par tête était relativement
similaire d’un pays à l’autre, et a peu évolué d’un siècle à l’autre. À partir de 1700, il a
augmenté rapidement dans certains pays, à commencer par la Grande-Bretagne.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 71
La révolution technologique permanente
Depuis 1700, la technologie s’est améliorée, la population a augmenté,
l’environnement s’est transformé et les revenus ont évolué différemment d’un pays à
l’autre.
Le capitalisme
Le capitalisme est système économique au sein duquel les entreprises, la propriété
privée et les marchés jouent un rôle majeur.
72 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
L’impact du capitalisme
Combiné à la révolution technologique permanente, ce nouveau système économique
a révolutionné la façon dont les individus interagissent entre eux et avec la nature dans
le but de produire leur subsistance.
Inégalités
Les inégalités au sein d’un groupe d’individus sont mesurées par la courbe de Lorenz et
le coefficient de Gini.
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 73
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
19
28
19
33
19
38
19
43
19
48
19
53
19
58
19
63
19
68
19
73
19
78
19
83
19
88
19
93
19
98
20
03
20
08
20
13
Niv
eau
de
vie
(PIB
par
têt
e)
Figure 12. Divergence of Gross Domestic Product per capita among latecomers to the capitalist revolution (1928-2010)
Corée du Sud
Argentine
Russie
Ex-URSS
Brésil
Botswana
Nigéria
Divergences
Les économies capitalistes du monde entier, par leur histoire, diffèrent grandement à
la fois dans leur mode de gouvernement et dans la forme que prennent les politiques
publiques, dans l’étendue des inégalités, et dans le degré d’amélioration du niveau de
vie.
1.17 EINSTEIN
Comparer les revenus à différentes périodes et entre différentes périodes.
Les Nations Unies collectent des estimations du PIB auprès des bureaux statistiques du
monde entier. Ces estimations, parallèlement à celles réalisées par les historiens de
l’économie, permettent de construire des graphiques, comme le Graphique 1.1b, qui
comparent les niveaux de vie entre pays et à différentes périodes, et qui déterminent si
l’écart entre les pays pauvres et les pays riches a diminué ou augmenté au cours du
temps. Avant d’affirmer quelque chose comme : « les Italiens sont plus riches que les
Chinois en moyenne, mais l’écart entre eux a diminué », les statisticiens et les
économistes doivent affronter les défis suivants :
74 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
Savoir distinguer ce que l’on cherche à mesurer, c’est-à-dire les évolutions ou les
différences de quantités (comme la quantité de biens et services), des éléments
non pertinents pour effectuer ces comparaisons ; en particulier les évolutions ou
les écarts de prix de ces biens et services.
Lorsque l’on compare la production dans un pays à deux moments différents, il
faut prendre en compte la variation des prix entre ces deux moments.
Lorsque l’on compare la production entre deux pays a un moment donné, il faut
prendre en compte les écarts de prix entre ces deux pays.
Remarquez à quel point les deux dernières affirmations sont similaires. La mesure de
l’évolution de la production entre différentes périodes présente le même type de défi
que la mesure des différences de production entre pays à un moment donné. L’enjeu
est de trouver une série de prix qui permette d’identifier les évolutions ou les écarts de
production sans tomber dans l’erreur qui consiste à croire que si le prix d’un bien a
augmenté dans un pays, et pas dans un autre, alors la quantité totale produite a
augmenté dans le premier pays. Commençons par les comparaisons dans le temps.
Le point de départ : le PIB nominal
Lorsque les statisticiens estiment la valeur de marché de l’ensemble de la production
d’une économie à une période donnée (comme, par exemple, une année), ils utilisent
les prix auxquels les biens et services sont vendus sur le marché. En multipliant par
leurs prix les vastes quantités de biens et services produits, on peut les convertir en en
termes nominaux (ou monétaires). Si tout est libellé dans la même unité nominale (ou
monétaire), il devient possible de tout additionner. Le PIB s’écrit alors :
De façon plus générale, on peut écrire :
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 75
Où pi désigne le prix du bien i, qi désigne la quantité du bien i, et Σ représente la
somme des produits du prix et de la quantité pour l’ensemble des biens et services.
Prendre en compte le changement des prix au cours du temps : le PIB réel
Pour savoir si l’économie est en croissance ou si elle ralentit, il faut disposer d’une
mesure de la quantité de biens et de services achetés. On parle de PIB réel. Si l’on
compare l’économie au cours de deux années différentes et si toutes les quantités
restent identiques, mais que les prix augmentent, par exemple, de 2 % entre ces deux
années, alors le PIB nominal augmente de 2 %, mais le PIB réel demeure inchangé :
l’économie a stagné.
Puisqu’il est impossible d’additionner le nombre d’ordinateur, de chaussures, de repas
au restaurant, de trajets en avions, de chariots élévateurs et ainsi de suite, il n’est pas
possible de mesurer le PIB réel directement. Mais il est possible d’obtenir une
estimation du PIB réel, en s’appuyant sur la définition du PIB nominal donnée ci-dessus.
Le terme de droite d’équation définissant le PIB nominal représente le produit des prix
de chaque élément vendu et de leur quantité.
Pour déterminer ce qu’il advient du PIB réel, nous commençons par sélectionner une
année de référence : par exemple, l’année 2010. Nous définissons ensuite le PIB réel en
considérant que les prix de 2010 sont égaux au PIB de cette année-là. L’année suivante,
le PIB nominal de 2011 est calculé selon la méthode usuelle à l’aide des prix en vigueur
en 2011. Il est alors possible de déterminer le PIB réel de 2011 en multipliant les
quantités de 2011 par les prix de 2010. Si, en utilisant l’indice des prix de référence, le
PIB a augmenté, on peut en déduire que le PIB réel a augmenté.
Si, avec cette méthode, on observe que lorsque l’on calcule le PIB de 2011 avec les prix
de 2010, il est identique au PIB de 2010, on peut en déduire que malgré des
changements probables dans la composition de la production (moins de trajets en
avions, mais plus d’ordinateurs vendus, par exemple), la quantité totale de biens et de
services produits n’a pas changé. La conclusion est alors que le PIB réel, qu’on appelle
76 Coreecon|Curriculum Open-access Resources in Economics
également PIB à prix constants, n’a pas changé. En termes réels, le taux de croissance
de l’économie est nul.
Prendre en compte les différences de prix entre pays : prix internationaux et parité
de pouvoir d’achat.
Pour comparer les pays entre eux, nous devons choisir une série de prix et appliquer
cette série de prix aux deux pays.
Commençons par un exemple simple, et imaginons que chaque économie ne produit
qu’un seul bien. Dans notre exemple, nous choisissons un simple cappuccino, car il est
facile de trouver le prix de ce produit standard dans différents endroits du monde.
Nous choisissons également deux économies dont les niveaux de développement sont
très différents : la Suède et l’Indonésie.
Lorsque les prix sont convertis en dollars américains, à l’aide du taux de change
courant, un cappuccino normal coûte 3,76 USD à Stockholm et 2,71 USD à Jakarta. Il
n’est cependant pas suffisant d’exprimer simplement le prix de ces deux cappuccinos
dans une même devise, car le taux de change international courant que nous avons
utilisé pour obtenir ces valeurs n’est pas une très bonne mesure de ce qu’une roupie
permet d’acheter à Jakarta et de ce qu’une couronne permet d’acheter à Stockholm.
C’est pourquoi, lorsque l’on compare les niveaux de vie entre pays, nous utilisons des
estimations du PIB par tête exprimées selon une série de prix communs appelé prix à
Parité de Pouvoir d’Achat (PPA). Comme son nom l’indique, l’idée est d’aboutir à une
parité (une égalité) des pouvoirs d’achats réels.
Les prix sont typiquement plus élevés dans les pays riches – comme c’est le cas dans
notre exemple. L’une des raisons en est que les salaires y sont plus élevés, ce qui se
traduit par des prix supérieurs. Puisque les prix des cappuccinos, des repas au
restaurant, des coupes de cheveux, de la plupart des aliments, des transports, des
loyers et de la plupart des autres biens et services sont plus élevés en Suède qu’en
Indonésie, lorsqu’un panier commun de prix est appliqué, la différence entre le PIB par
UNITÉ 1 |LA REVOLUTION CAPITALISTE 77
tête en Suède et en Indonésie mesurée à parité de pouvoir d’achat, est plus faible que
si elle était calculée aux taux de change courants.
Aux taux de change courants, le PIB par tête indonésien ne vaut que 6 % du PIB par
tête suédois ; à parité de pouvoir d’achat, lorsque la comparaison fait appel aux prix
internationaux, le PIB par tête indonésien vaut 21 % du PIB par tête suédois.
Cette comparaison montre que le pouvoir d’achat de la roupie indonésienne, par
rapport à la couronne suédoise, est plus de trois fois plus importante que ce que le
taux de change courant entre les deux monnaies indiquait.
Nous abordons plus en détail la mesure du PIB et d’autres aggrégats de l’économie
dans l’Unité 12.
1.18 POUR EN SAVOIR PLUS
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