DANSLAMÊMESÉRIE:
LEPACTE,TOME1:VENGEANCE
Responsabledecollection:MathieuSaintout
Titreoriginal:FirewithFire
Illustrationdecouverture:AnnaWolf
Traduitdel’anglais(États-Unis)parCarineRouletSuiviéditorialetrelecture:studioZibeline&Co
Maquette:StéphanieLairet
ISBN:978-2-809-44072-0
SCARLETTESTUNECOLLECTIONDEPANINIBOOKS
www.paninibooks.fr
©PaniniS.A.2014pourlaprésenteédition.PremièrepublicationenanglaisparSimon&Schuster,Inc.
©2013parJennyHanetSiobhanVivian
Pour lapremière fois, j’avais goûtéà la vengeance ;elle avait la saveur chaude et corsée d’un vinaromatique, mais m’avait laissé en bouche un arrière-goût métallique, corrosif, comme si on m’avaitempoisonnée.
JaneEyreCharlotteBrontë
LILLIA
J’AIEUDUmal à choisirma tenue.Au début, j’ai pensé à un ensemble décontracté, du style jean etchemisier, et puis jeme suis dit que non, parce que si ses parents étaient là, il valaitmieux porterquelquechosedesombre,commemarobegrisedécolletéeavecsa fineceinture.Maisonauraitcruquej’allaisàunenterrement,alorsj’aiessayéunerobe-chemisierensoieorangéequi,finalement,étaitbientropprintanière,tropjoyeuse.Ledingdel’ascenseurretentit,lesportess’ouvrentetjesorsdanslecouloir.Onestlundimatin,une
heure avant le début des cours. J’ai avecmoi un panier en osier rempli de cookies aux pépites dechocolat cuitsdu jouretunecartedeprompt rétablissement couverte demarquesde rouge à lèvresroseetcarmin.J’airevêtuunpullàcolroulébleumarine,unemini-jupecamel,descollantscrèmeetdesbottinesendaimmarronàtalons.Jemesuisfrisélescheveuxetj’enairelevélamoitié.Avecunpeudechance,monvisagenetrahitpaslaculpabilitéquimeronge.Jeme répète en boucle qu’heureusement, c’est moins grave que ça aurait pu l’être. Ça en avait
pourtanttoutl’air,l’autrenuit.C’étaithorrible,même.RegarderReevetomberdelascèneetatterrirsurlesoldugymnasecommeunpantindésarticulé…jen’oublieraijamaiscetteimage.Toutefois,sacolonnevertébralen’estpastouchée, ilsouffre justedequelquescontusionsetdouleurs,ets’ensortavecunefracturedupéroné.Cequin’estpasgénial,j’enaibienconscience.Reeveauraitpuquitterl’hôpitalplustôtsilesmédecinsn’avaientpassouhaitéluifairepasserune
batteriedetestspourexclureunecrised’épilepsie.Pourautantquejesache,ilsneluiontpasfaitdedépistage de drogues. J’étais persuadée qu’ils le feraient,maisKat était convaincue qu’ils ne s’endonneraient pas la peine, puisque c’est un athlète. Par conséquent, personne n’est au courant pourl’ecstasyquej’aiverséeendoucedanssonverre.Reeveneserapassuspenduetjenevaispasallerenprison.Normalement,ildevraitsortiraujourd’hui.J’imaginequ’ons’entirebientouslesdeux.Nousallonspouvoirreprendrelecoursnormaldenosvies,peuimportecequeçasignifie.Après
toutcequis’estpassécetteannée,jenesuispassûredepouvoirmesentirànouveau«normale»unjour,nimêmed’enavoirenvie.OndiraitquelaLilliad’avantetlaLilliad’aprèssontdeuxpersonnesdifférentes. La Lillia d’avant était insouciante, elle ne connaissait rien à la vie. La Lillia d’avantn’aurait pas pu supporter tout ça ; elle n’aurait pas su comment réagir. Je suis bien plus endurciedésormais,jenesuisplusaussipureetangélique.J’aisurmontédesépreuves;j’aivudeschoses.Jenesuispluslafilledelaplage.Toutachangélorsquenousavonsrencontrécesgarçons.Avant, j’avais peur de quitter Jar Island, de vivre loin de ma famille et de mes amis. Mais
maintenant, jeme dis que quand je serai à l’université l’année prochaine, personne ne connaîtra laLilliad’avantetlaLilliad’après.JeseraiLillia,toutsimplement.Laréceptionnistemesouritetmedemande:—Tuesvenuevoirnotrecélèbrejoueurdefoot?(Jeluirendssonsourireenhochantlatête.)Ilest
auboutducouloir.—Merci.Est-cequ’ilyaquelqu’unaveclui?—Oui,unejoliepetitebrune,répondlafemmeenm’adressantunclind’œil.Rennie.Jecroisqu’elleestrestéeàsonchevetdepuissamedisoir.Jel’aiappeléeàdeuxreprises,
mais elle n’a pas décroché. Ellem’en veut probablement encore d’avoir été élue reine du bal desétudiantsàsaplace.Jeremontelecouloirenserrantmonpanieretmacarte.J’aitoujoursdétestéleshôpitaux.Lesnéons,
lesodeurs…Quandj’étaispetite,j’essayaisderetenirmarespirationlepluslongtempspossible.J’yarrivebiendésormais,maisjenejoueplusàcejeu.Àmesure que j’approche,mon pouls accélère. Seulsmes battements de cœur et le bruit demes
talonsclaquantsurlelinoleumparviennentàmesoreilles.Jem’arrêtedevant laporte légèrement entrouvertede sa chambre, sur laquelle sonnomest écrit.
Alorsquejeposemonpanierpourfrapper,j’entendslavoixdeReeve,défianteetrauque:Je me fous de ce que disent les médecins. Ma convalescence ne peut pas être aussi longue,
impossible.Jesuisautopdemaforme.Jevaisrevenirsurleterrainenunriendetemps.Onvaleurmontrer,Reevie,leconforteRennieenreniflant.Quelqu’unmefrôleenpassant.Uneinfirmière.—Excuse-moi,mabelle,dit-ellegaiementenouvrantgrandlaporte.Ellefermelerideauquiséparelapièceendeuxetdisparaîtdel’autrecôté.C’estlàquej’aperçoisReeve,danssachemised’hôpitaldéfraîchie.Iln’estpasrasé:ilaunpeude
duvetsurlementon,etdescernessouslesyeux.Uneperfusionestreliéeàsonbras,etsajambeestemprisonnéedansunénormeplâtrequiremontedupiedjusqu’àlacuisse.Sesorteils,dumoinscequeje peux en voir sortir du plâtre, sont violets et tuméfiés. Ses bras sont couverts de coupures et decroûtes,probablementàcausedeséclatsdeverretombéssurlatêtedetouslesdanseurscettenuit-là.Quelquesplaiesplusimportantesontétésuturéesàl’aidedefinspointsnoirs.Ilal’airétonnammentpetitdanssonlitd’hôpital,différentded’habitude.Enmevoyant,Rennieplissesesyeuxrougis.—Salut,Lil.JedéglutisettendsmacarteàReeve.
— De la part des filles de l’équipe. Elles… elles t’adressent leurs meilleurs vœux derétablissement. (Puis, jeme souviensdes cookies. Jem’avance pour lui apporter le panier,mais jechanged’avisetleposesurunechaiseprèsdelaporte.)Jet’aiapportédescookies.Auxpépitesdechocolat.Sijemerappellebien,tulesasappréciésquandj’enaipréparépourlaventedegâteauxdugroupedetutoratl’annéedernière…Maispourquoiest-cequejecontinuedeparler?Reeves’essuierapidementlesyeuxavecsondrap.D’untonbourru,ilmelance:—Merci,maisjenemangepasdecochonneriespendantlasaisondefoot.Jenepeuxpasm’empêcherdefixersonplâtre.—C’estvrai.Désolée.—Ledocteurvarevenird’uneminuteàl’autrepoursignersonbondesortie,expliqueRennie.Tu
feraismieuxdepartir.Jesenslerougememonterauxjoues.—Oui,biensûr.Remets-toivite,Reeve.Peut-être que c’estmon imagination quime joue des tours,mais lorsqu’ilme regarde par-dessus
l’épauledeRennie,j’ail’impressiondeliredelahainedanssesyeux.Illesrefermesoudain.—Aurevoir,conclut-il.Jetraverselamoitiéducouloiravantdem’arrêteretd’expirerenfin.Mesgenouxtremblent.Jetiens
toujourslacarteserréeentremesmains.
KAT
—C’ESTMORT,DIS-JEenlaissantmatêteretombercontrelevolant.Mortdechezmort.Pat,mongrandfrère,s’essuielesmainssurunchiffonsale.—Kat,arrêtedepleurnicherettournecettefoutuecléencoreunefois.Jefaiscequ’ilmedemandeetmetslecontactdenotredécapotable.Ilnesepasserien.Pasunbruit,
pasungrondement.Rien.—Laissetomber.MêmesiPats’yconnaîttrèsbienenmécanique,iln’yaaucunmoyendesauvercevieuxtacot.Notre
familleabesoind’unenouvellevoiture,oudumoins,d’unesortiedel’usineilyamoinsdedixans.Jedescendsdemonsiègeetclaquelaportièresifortquetouteladécapotabletremble.Horsdequestionpourmoid’alleràl’écoleàpiedenmegelantleculcethiver.Oupire,deprendrelebus.Jesuisendernièreannée,merde!Patmefusilleduregard,puisseconcentreànouveausurlemoteur.Ilaouvertlecapotetestpenché
en avant, entre les phares.Quelques potes à lui sont là, ils l’observent endescendant les bières denotrepère.C’estleuroccupationpréféréelelundiaprès-midi.PatdemandeàSkeeterdeluipasserunecléàmolette,puissemetàtaperavecsurunepiècemétallique.Jemefaufilederrièremonfrère.—Peut-êtrequec’estlabatterie.Jecroisquelaradios’estéteinteavantquelerestecommenceà
merder.C’estarrivécetaprès-midi. J’avaisdécidédesécher lederniercoursetdepasserchezMary. Je
voulais savoir si elle allait bien, parce que je ne l’avais pas croisée dans les couloirs. Elle étaitsûrement tropsecouéepour retournerà l’écoleaprès lebal.Lapauvre,elle flippaitcomplètementàl’idéed’avoirfaitdumalàReeve.Maisjenesuispasalléebienloin.Lavoiturem’alâchéesurleparkingdubahut.
MapremièrepenséeaétéEst-cequec’estmonkarmaquimejouedestours?J’espèrefranchementquenon.Patseretournepourattraperunautreoutiletmanquedemefairetombersurlecul.—Putain,tuvastecalmerouquoi?Jesaispas,vafumeruneclope,parexemple.Jesuisunpeu…euh…nerveusedepuisquelquesjours.Jeveuxdire,quineleseraitpasaprèstout
cequis’estpasséaubaldesétudiants?Jamais,ôgrand jamais jenemeseraisattendueàvoirReevequitter lebalsur lebrancardd’une
ambulance.Onvoulaitquelesprofslechopentenpleintripetlevirentdel’équipedefoot,pasqu’ilfinisseàl’hôpital.Jemerépètesansarrêtqu’onn’yestpourriendanscequiestarrivé.C’étaitunincendied’origine
électrique.Mêmele journal l’aconfirméaujourd’hui.L’incidentestclos.Cesont lesexplosionsquiontfoutulafrousseàReeveetl’ontfaittomberdelascène,pasladroguequeLilliaaverséedanssonverre.Lesfaitsparlentd’eux-mêmes.Honnêtement,cettehistoireestunmalpourunbien.Biensûr,çacraintquedespersonnesaientété
blessées.Quelquesgaminsonteudespointsdesutureàcauseduverrebrisé,unpremièreannéeaeulebrasbrûlépar lesétincellesetundesprofs lesplusâgésaétésoignépour intoxicationauxfumées.Malgrétout, l’incendieapermisdedétourner l’attentiondenous.LablessuredeReeven’estqu’uneconséquence dramatique de tout ce chaos. Impossible qu’il se souvienne queLillia lui a donné uneboissoncontenantdeladrogueaumilieudubordelambiant.Dumoins,c’estcequejemetueàdireàLillia.Pat soulève la jauge d’huile argentée devant ses potes et tous secouent la tête, comme s’ils
assistaientàunspectaclecomique.—Putain,Kat!C’estquandladernièrefoisquetuascontrôléleniveaud’huile?—Jecroyaisquec’étaitàtoidelefaire.—Çafaitpartiedel’entretiendebased’unebagnole!Jelèvelesyeuxauciel.—Tuasprismesclopes?—Justeuneoudeux,répond-ild’unairpenaud.Pat tend ledoigtverssonétabli.Jefile lesrécupérer,etbienévidemment, lepaquetque jeviens
d’acheterestvide.Jeleluijetteàlatête.—Tuveuxquejetedéposeàlastation-service?meproposeRicky,lecasqueàlamain.Ilfautque
jefasselepleindemabécane,detoutemanière.—Merci,Ricky.Lorsque nous sortons du garage, Ricky pose la main au creux de mes reins. Immédiatement, je
repenseàAlexKudjaklorsdubal,àlafaçondontilagalammentescortéLilliahorsdecechampdebataillepourlamettreensécurité.J’auraispréférénepasassisteràcettescène.Nonpasquejesoisjalouse, c’est juste que le côté mièvre m’a donné mal à l’estomac. Je me demande s’il voulaitseulementêtregentil,ous’il enpincepourelle.Quoiqu’il ensoit, çam’estbienégal.Engrimpantderrière Ricky sur sa moto, je m’approche au maximum jusqu’à ce que nous nous retrouvionsquasimentcollésl’unàl’autre.
Iltournelatêteetmeconfieàvoixbasse:—Tumerendsdingue.Tulesais,n’est-cepas?Puis,ilrabatlavisièredesoncasque,danslaquellej’entrevoismonreflet.J’ail’airsupersexy.Je
luiadresseunclind’œiletunregardinnocent.Quandjeluiordonnededémarrer,ilfaitrugirlemoteurpourmoi.Lavérité,c’estquequandjeveuxunmec,jepeuxl’avoir.EtçavautégalementpourAlexKudjak.Lesoleilsecouchesuruncielgris,etlesroutessontpratiquementdésertes.C’esttoujourscomme
çasurJarIslandquandl’automnearrive.Plusdelamoitiédelapopulationestivaledisparaît.Ilrestebienquelquestouristesvenusfairedesherbiersetcegenredetrucs,maisdansl’ensemble,iln’yaplusgrandmonde.Certainsrestaurantsetboutiquessontdéjàferméspourlasaison.C’estdéprimant.Jesuistroppresséed’êtrel’annéeprochaineetdepouvoirdéménagerautrepart.Avecunpeudechance,cesera dans l’Ohio, dans une jolie chambre de la cité universitaire d’Oberlin. Je suis prête à vivren’importeoù,tantquecen’estpasàJarIsland.AlorsqueRickyfaitlepleindesamoto,j’achèteunnouveaupaquetdecigarettesàlaboutiquedela
station. Les clopes sont hyper chères. Je ferais mieux d’arrêter et d’économiser pour la fac. Enretournantàlamoto,j’aperçoislagrandecollinequimèneàMiddlebury.ÀlamaisondeMary.—Dis,Ricky,t’espresséderentrer?Ilmesourit.—Onvaoù?JeleguidejusquechezMary.Personnenerépondquandjesonneàlaported’entrée,pasmêmesa
sorcièredetante.Unetonnedelettresdépassedelaboîte,etlapelouseestencoreplusmiteusequelepoil demonchienShep. Je contourne lamaison et trouveunpetit caillou à jeter contre unevitre àl’étage.LeslumièressontéteintesdanslachambredeMary,etsesrideauxsonttirés.Jeguetteunsignedevieauxautresfenêtres.Toutessontplongéesdanslenoir.Lamaisonal’air…sinistre.Jelâchelepetitcaillouquejetenaisàlamain.J’auraisaiméparleràMaryjusteunesecondepourlarassurer.Ellen’arienàsereprocher.Ellene
devrait pas se sentir mal pour ce qui est arrivé. Ce connard a eu ce qu’il méritait, purement etsimplement.Maintenantquenotrevengeanceestaccomplie,j’espèrequeMaryvapouvoirreprendrelecoursdesavieetnepluslaisserReeveTabatskylagâcherunesecondedeplus.
MARY
ÇA FAITDEUX jours d’affilée que je pleure. Je n’arrive pas àmanger. Je n’arrive pas à dormir. Jen’arriveàrienfairedutout.Danslasalledebain,tanteBettesedébarbouilleetsebrosselesdents.C’estsonpetitrituelavant
la nuit.En allant se coucher, elle s’arrête dansma chambre. La ceinture de son peignoir est serréeautourdesatailleetelleaunjournalsouslebras.Recroquevilléesurmonlit,jefixeleplafond.Jeneparviensmêmepasàluisouhaiterbonnenuit.TanteBetteresteplantéelààm’observerpendantuninstant,avantdemedire:— Il y aun articledans le journal aujourd’hui. (Elleme le tend.L’article au-dessusde lapliure
parledubal,de l’incendie. Il y aunephotodugymnase, avecde la fuméenoirequi s’échappedesfenêtres et unemarée d’étudiants qui se rue à l’extérieur.) Ils pensent que c’est dû à un problèmeélectrique.Jeluitourneledosetfaisfaceaumur,parcequejen’aipasenviedeparlerdubaldesétudiants.Je
neveuxmêmepasypenser.J’aidéjàtoutressasséplusd’unmilliondefoisdansmatête,histoiredecomprendrecommenttoutadérapé.J’étaisenfinprêteàcequ’ilmevoiecettenuit-là,dansmabellerobe,fière,forteettransformée.Je
m’étaisimaginécommentçaauraitdûsepasser.Reeve,enpleintripàcausedeladroguequenousluiavionsadministrée,n’auraitpaspudétacherlesyeuxdemoi.Quelquechosechezmoiluiauraitsembléfamilier.Ilauraitétéattiré.Ilm’auraittrouvéemagnifique.À chaque fois que nos regards se seraient croisés, j’aurais touché le pendentif en forme de
marguerite qu’il m’avait offert pour mon anniversaire. Je lui aurais souri et j’aurais attendu qu’ildevine qui j’étais. Entre-temps, les profs auraient remarqué que Reeve commençait à perdre lespédales. Ils se seraient aperçus que quelque chose clochait. Et lorsqu’il aurait enfin compris quij’étais, ils l’auraientconduitpar lapeaudesfesses jusqu’aubureauduprincipaloù ilaurait reçu lapunitionqu’ilméritait.
Saufqueçanes’estpasdutoutpassécommeça.Maisalors,vraimentpas.Reeveasuquij’étaisdèsqu’ilm’aaperçue.Mêmesij’aiénormémentchangédepuislecollège,ila
reconnu la petite grosse qui avait été assez bête pour croire qu’il était son ami. Reeve a reconnuGrossePomme.L’entendreprononcermonsurnomm’acoupélesouffle,commecejouroùilm’avaitpousséedansl’eausombreetglacée.Jeserai toujourscettefillepour lui.J’étaishorsdemoi,alorsj’aipétélesplombs.—Apparemment,l’undesélèvesquiaétéblesséestunfootballeurvedettedulycée.Jeconfirmeàvoixbasse.—Ils’appelleReeve.ReeveTabatsky.TanteBettes’approche.—Jesais.C’estlegarçonquitefaisaitdesmisères,Mary.Aulieudeluirépondre,jeserreleslèvres.—Onaeucettelongueconversationàsonsujetautourd’unchocolatchaudlorsquejesuisvenueà
Noël.Tut’ensouviens?Oui, je m’en souviens. J’avais espéré que tant Bette me donnerait de bons conseils, un moyen
d’inciterReeveàsecomporteravecmoienprésencedesautrescommeillefaisaitlorsdestraverséesen ferry. J’aurais souhaité qu’elle me comprenne.Mais au lieu de cela, elle m’avait juste suggéréd’aller trouverunprof etde tout lui rapporter laprochaine foisqueReeve semoquerait demoi enpublic.«Çaluiapprendraàtelaissertranquille»,avait-elleaffirmé.Melaissertranquille?C’estladernièrechosequejevoulais.C’estlàquejem’étaisrenducomptequ’aucunadultenepouvaitcomprendre.Personnenepouvait
comprendrelarelationentreReeveetmoi.Àquelquespasdemonlit,tanteBetterespiredoucement.—Est-cequetuas…Jemeretourneverselle.—Est-cequej’aiquoi?Montonestagressif,maisc’estplusfortquemoi.Ellenevoitpasquejenesuispasd’humeurà
discuter,ouquoi?TanteBetteécarquillelesyeux,éberluée.—Rien,répond-elleavantdesortirdemachambre.Jen’enpeuxplus.Jemelève,enfileunpullsurmachemisedenuit,puischaussemesbasketsetfile
endouceparlaportedederrière.JedescendsMainStreetendirectiondesfalaises.Ilyenaunetrèshauted’oùj’aimaisobserverles
alentours,parcequejepouvaisvoiràdeskilomètres.Maiscesoir, iln’yariend’autrequel’obscuritéau-delàdelafalaise.Toutestnoiret tranquille,
comme si j’étais aubout dumonde. Je traîne les pieds jusqu’à ce que la pointe demes chaussuresdépassedelaroche.Desgravillonsbasculentdanslevide,mais jenelesentendspasheurter l’eau.Leurchutedureuneéternité.Au lieu de cela, j’entends Reevemurmurer dansma direction lors du bal des étudiants. Grosse
Pomme.Commeunéchoquiserépèteàl’infini.Jeserre lespoingspouressayerderefouler lesouvenirdecequis’estpasséensuite.Maisçane
marchepas.Çanemarchejamais.Ilyaeudesprécédents,notammentquandRennieesttombéedelapyramidedescheerleaders.Etcettefoisoùtouteslesportesdescasiersontclaquéàl’unisson.Ilyauntrucquiclochechezmoi.
Untruc…étrange.Unnuages’écarteetdévoilelalune,telunrideausurunescènedethéâtre.Sesrayonssereflètent
surlarochehumideetfonttoutscintiller.Unpetitsentierforméderochersinégauxdescendenserpentantlelongdelafalaise.Jel’emprunte
jusqu’à ce que je ne puisse plus aller plus loin. Je regarde dans le vide ; les vagues se brisent endessousdemoi.Elless’écrasentcontrelapierreetremplissentl’aird’embruns.Unpasdeplus…Unpasdeplusettoutseraterminé.Toutcequej’aifait,toutcequ’onm’afait,va
disparaître,balayéparlahoule.Soudain,unerafaleetdesprojectionsd’écumemanquentdemefairebasculer.Jetombeàgenouxet
rampejusqu’aumilieudusentier.Ilyaunechosequejenepeuxpasabandonner.Reeve.Je l’aime,malgré tout ce qu’ilm’a fait endurer. Je l’aime,même si je le déteste. Je ne sais pas
commentfairepourqueças’arrête.Etlepiredanstoutça,c’estquejenesuismêmepassûred’enavoirenvie.
UNESEMAINEPLUSTARD
IMARY
LORSQUELESOLEILdulundimatinperceparmafenêtre,quelquechosemeditdemeleveraulieudemerecroquevilleretdemetournerverslemur,commejelefaisdepuisunesemaine.Celafaitunmomentque je sais qu’il faudrait que je retourne à l’école, mais jusqu’ici, je n’ai pas trouvé l’énergienécessaire.Alors,jesuisrestéedansmonlit.Maisaujourd’hui,toutm’al’airdifférent.Iln’yapasderaisonprécise,c’estjusteuneimpression.
Commes’ilfallaitquej’aillelà-bas.Jetressemescheveuxetenfilemarobechasubleenvelourscôtelé,unchemisieretungilet.Jesuis
nerveuseàl’idéederevoirReeve.Jesuisnerveuseàl’idéequeçatourneànouveaumal.Enplus,j’aimanquépleindecours.Jen’aimêmepasessayédefairemesdevoirs.Meslivres, tousmescahiers,sontrestésdansmonsacàdosdansuncoindemachambreetjen’yaipastouché.Jelesoulèveparunebretelleetlehissesurmonépaule.Jenevaispasm’inquiétermaintenantdelamanièredontjevaispouvoirrattrapermonretard.Jetrouveraibienunmoyen.Maislorsquejeposelamainsurlapoignéeetlatournepourouvrirlaporte,ellenebougepas.Celaarriveparfoisdansnotremaison.Surtoutenété,lorsqueleboisgonfleàcausedel’humidité.
Lesportessontd’origine,etlesaccessoireségalement.C’estunegrossepoignéerondeenverreavecuneplaqueenlaitonetuneserrureàl’ancienne.Onnepeutmêmeplusachetercegenredetrucs.Engénéral,ilsuffitdelasecouerunpeupourqu’elletourne,maismêmeenessayant,jen’arrivepas
àladécoincer.—TanteBette?TanteBette?(J’essayeànouveaudetournerlapoignéeetsecouelaporteplusfort.
Soudain,jememetsàpaniquer.)TanteBette!Ausecours!Enfin,jel’entendsmonterl’escalieretluihurle:— Il y a un problème avec la porte ! Je ne peux pas l’ouvrir. (Je la secoue à nouveau pour lui
montrer.Etcommejen’entendsriendel’autrecôté,jememetsàgenouxetregardeparletroudelaserrure, pour m’assurer qu’elle est toujours là. Elle l’est. Je peux voir sa longue jupe froisséebordeaux.)TanteBette!S’ilteplaît!Finalement,tanteBettepasseàl’action.Pendantuninstant,jel’entendslutteravecmaportedeson
côté, et celle-ci finit par s’ouvrir. Soulagée, je laisse échapper un « Dieu merci ! » Alors que jem’apprête à sortir dans le couloir, je remarque un truc sur le sol.On dirait du sable blanc, ou uneespècedecraie.Surlagauche,jepeuxvoirqu’ilformeunefineligneparfaitementdroite,maisjustedevantmaporte,ilestdispersé,làoùtanteBetteamarchédessus.Maisqu’est-cequisepasseici?J’aienviedemebaisserpourletoucher,maisjesuisunpeueffrayée.TanteBettea toujoursétéattiréepar leschosesbizarres,comme lespurifications, lescristaux,et
toutcequi transmetdifférentesénergies.Quandelle revenaitdevoyage,elle rapportait toujoursdescolifichets et des porte-bonheur. J’ai beau savoir que tous ces trucs sont inoffensifs, je ne peuxm’empêcherdeluimontrerlacraieetdeluidemander:—C’estquoi,ça?Ellem’adresseunregardcoupable.—Cen’estrien.Je…Jevaistoutnettoyer.Enpassantdevantelle,jehochelatêtecommepourluidire«Biensûr,faisdonc».—Onsevoitdansquelquesheures.—Attends,mepresse-t-elle.Oùvas-tu?Jepousseunsoupir.—Àl’école.D’unepetitevoixtendue,ellemesuggère:—Tuferaismieuxderesteràlamaison.Bon, d’accord. La semaine a été difficile, je sais. J’ai vraiment broyé du noir, et j’ai beaucoup
pleuréaussi.Maiscen’estpascommesitanteBetteétaitenpleineforme,elle.Elledortpeu.Lanuit,je l’entends tourner en rond dans sa chambre. Elle ne sort presque jamais de la maison. Et plusinquiétantencore,ellenepeintplusbeaucoup.LorsquetanteBettepeint,elleestheureuse,c’estaussisimple que cela.Ce serait bien que je prennemes distances aujourd’hui.Ça nous donnerait un peud’airàtouteslesdeux.—Jenepeuxpasrestericiéternellement.(Jedoissuivremoninstinct.Quelquechoseenmoimedit
qu’ilfautquej’yaille.)Jevaisàl’école.Cettefois-ci,jenesourispas.Jedescendsl’escalierentrombesansattendresapermission.
LORSQUE J’ATTEINSLE hangar àvélosdu lycéede Jar Island, le soleil adisparu, et le ciel estgris etvoilé.Leparkingestdésert,misàpartquelquesprofsetlesfourgonsdesélectriciens.Tout lecâblageélectriquedu lycéedoitêtrerefaitaprès l’incidentdubaldesétudiants.Ondirait
qu’ilsontembauchétouslesélectriciensdel’île.Ilstravaillentjouretnuitpourterminerauplusvite.Je suis contente d’être arrivée de bonneheure, avant la plupart des autres élèves. J’ai besoin de
reprendremesmarquesendouceur.
Àmagrandesurprise,Lilliacourtjusqu’àmoi.Ellearemontélafermeturedesavestejusqu’enhautetarabattusacapuche.Ilfaitplusfroidchaquejour.—Salut, toi, dis-je timidement en cadenassantmonvélo. (C’est la première fois qu’on se revoit
depuislebal.)Tuesmatinale.—Jesuistellementcontentedetevoir,Mary!Commejenerépondspasimmédiatement,ellefroncelessourcilsetmedemande:—T’esfâchéeouquoi?Tunem’aspasappeléeettun’aspastentédemecontacter.J’aicherchéle
numérode ta tantedans l’annuaireet j’ai essayéde te joindre,maispersonnen’adécroché.Katestpasséecheztoiplusieursfois,maispersonnen’aréponduquandelleasonnéàlaporte.J’imaginequec’étaitstupidedemapartdecroirequeLilliaetKatneremarqueraientpasquejeles
évitais.Maisjenevoulaisvoirpersonnedel’école.Çan’avaitriendepersonnel.—Désolée.C’estjustequeçafaisait…beaucoup.—Pasdesouci,jecomprends.Lasemaineaétévraimentdingue.C’estsûrementmieuxqu’onfasse
profil bas toutes les trois. (Je sens de la tristesse dans sa voix.)Eh, je ne sais pas si tu sais,maisReeverevientàl’écoleaujourd’hui.J’aidumalàdéglutir.Est-cepourcetteraisonquej’avais l’impressiondedevoirrevenir icimoi
aussi?—Commentva-t-il?J’ailudanslejournalqu’ils’estcasséunejambe.Lilliaserreleslèvres,puism’explique:—Ilvabien,maisjepensequ’ilvamanquerlerestedelasaison.(Elledoitlirequelquechosesur
mon visage, parce qu’elle secoue rapidement la tête.) Ne t’inquiète pas, ça va aller. (Puis, elles’éloignedemoiàreculons.)Onsevoitplustard,O.K.?Tum’asmanqué.Reeveestbrisé.Jel’aibrisé.J’aieucequejevoulais,non?Ilvabientôtarriver.J’accélèrelepasetentredanslelycée.Danspresquetouteslessallesdecours,
de grands trous béants ont été découpés dans les murs pour les travaux électriques. Je dois faireattentionoùjemetslespiedspournepastrébuchersurlesfaisceauxdefilsneufsquicourentlelongdesmursducouloir.J’entredansmaclasseprincipaleetm’assoissurleradiateurprèsdelafenêtre,lebasdemarobe
chasuble en velours bien calé sous moi. J’ouvre un livre sur mes genoux. Je ne suis pas en traind’étudier;jeneregardepaslespagesuneseulefois.Àtraversmescheveux,j’observeleparkingquiseremplitd’élèves.Latempératureestpasséeendessousdezéropourlapremièrefoisceweek-end,etlesconcierges
sesontempressésd’arrêterlafontainedelacour.Seulslesfumeursetlescoureursdecross-countryaffrontentlefroid.Touslesautressebousculentàl’intérieur.Jeperçoislesondebassesàtraverslavitre.Alexentredansleparkingauvolantdeson4x4.Ilse
garesuruneplacehandicapés,prèsdel’accèspiétonnier,puissort,passedevantlavoitureetouvrelaportièrepassager.Dans la cour, tout lemonde se retourne pour le regarder. Eux aussi doivent savoir qu’il revient
aujourd’hui.
Reeveplantesajambevalidesurlesol.Ilporteunshortdebasketenmailleetunsweatàcapucheauxcouleursdel’équipedefootdeJarIsland.Alexluitendlamain,maisill’ignore,s’accrocheàlaportièreetsortsonautrejambe.Unplâtreblanccourtduhautdesacuissejusqu’àsesorteils.Reeveresteenéquilibresurunpied tandisqu’Alexrécupèresesbéquillesdans lecoffre.Rennie
bonditde labanquettearrièreet attrape le sacàdosdeReeve sur le siègepassager.Reeve lui faitsignequ’ilveutportersesaffaireslui-même,maisRenniesecouelatête,etsaqueuedechevalbatl’airdegaucheàdroite.Ilabandonneetsedirigeversl’écoleenboitillantaussivitequ’illepeutsursesbéquilles.Ilavancetrèsvite,d’ailleurs,laissantsesamisderrièrelui.QuelquesélèvesseprécipitentversReeveensouriantpourlesaluer.Toutlemondefixesajambe.
Ungarsessayedes’accroupiravecunstylopoursignerleplâtre,maisReevenes’arrêtepas.Ilbaisselatête,faitminedenepaslesvoiretcontinuesonchemin.Riendenouveau.TouslesélèvesveulentleurpartdeReeve.Laplupartn’obtiendrontjamaisriende
lui.Moi,j’aieudroitàquelquechose,autrefois.
IILILLIA
ALORSQUE JE suis concentrée sur mon équation demaths, on frappe à la porte de la classe. C’estMmeGardner, la secrétairedu lycée.Elleporteunblazerbleumarinequine lametpasdu tout envaleur.Ilestbientroplongettropdroitpourelle,avecd’énormesboutonsdorés.Ondiraitqu’ellel’apiquédansl’armoiredesonmari,en1980.Àmonavis,lesfemmesdepetitetaillenedevraientjamaisporter de blazer. Sauf s’ils sont bien courts et hyper ajustés, avec des manches trois-quarts, parexemple.Bref.Jeretourneàmesexercices.Ondoitrésoudredesfonctionsdérivées.Riendecompliqué.L’année
dernière,toutlemondeaffirmaitquecetypedecalculestleplusdifficilequisoit.Sérieux?Maissoudain,MmeGardnerdéposeunefeuilledepapierjaunesurmonbureau.Lapremièreligne
indique«LilliaCho», lasuivante«Convocationchez leconseillerpédagogique». Ilyauneautrelignepourl’heuredurendez-vous,quidit«Maintenant».Jesens toutmoncorpssecontracter. Jedégagemescheveuxderrièremonépauleet ramassemes
affaires.Alexmeregardepasseralorsquejemedirigeverslaporte.Jesourisethausselesépaulesenprenantunairinsouciant,commepourdire«Bizarre,qu’est-cequeçapeutbienêtre?»Jenetraînepasdanslecouloir.Sij’avaisdesennuis,siquelqu’unavaitdécouvertcequej’aifaità
Reevelorsdubal,jeseraisconvoquéechezleprincipal,paschezleconseiller.M. Randolph est mon conseiller depuis ma première année. Il n’est pas vieux. La date sur son
diplômedefind’étudesindiquequ’ill’aobtenuilyadixans.J’aivérifié,unefois.Ildevaitêtrecanonà l’époque,maismaintenant, il perd ses cheveux.Quel dommage. Ses parents sont propriétaires ducentreéquestreoùjelaissemonchevalPhantomenpension.Ilyadesplaquesetdesmédaillespartout,dutempsoùilfaisaitdelacompétition.Jepatienteunesecondedevantsaporte.Ilestautéléphone,maismefaitsigned’entrer.
Jem’assois et répète dansma tête ce que je vais lui dire, au cas où il m’interrogerait. Je vaisprendre unemine déconfite et lui sortir un truc du genre « Excusez-moi, monsieur Randolph, maispourquoiest-cequejeferaisunechosepareille?Reeveestl’undemesmeilleursamis.Toutceciestplusqueridicule.Jenesaismêmepasquoidire.»Ensuite,jevaiscroiserlesbrasetarrêterdeparlerjusqu’àl’arrivéedemonavocat.M.Randolphal’aircontrariéetfrottesoncrânedégarni.Jemedemandesic’estpourcetteraison
qu’ilperdprématurémentsescheveux,parcequ’ilestsistresséqu’ilsegrattelatêtetoutelajournée.—Oui,d’accord.Oui,merciàvous.Ilraccrocheetpousseunlongsoupir.—Pourquoies-tusinerveuse,Lillia?Jemeforceàsourire.—Bonjour,monsieurRandolph.—Jene t’aipasvueaucentreéquestredepuisunbonmoment.Tun’envisagespasdevendre ton
cheval,j’espère?—Non!JamaisjenevendraiPhantom!—Randolphsemetàrire.—Jesais,jesais.Maissituchangesd’avisunjour,tusaisquiappelerenpremier,O.K.?J’acquiesce,mêmesiçanerisquepasd’arriver.Jenepasseraijamaiscecoupdefiletjenevendrai
jamaisPhantom.—O.K.—Bon…J’étais en train d’étudier tes bulletins de notes. Ils sont très bons,Lillia, vraiment très
bons. Tu pourrais même être major de ta promotion et avoir l’honneur de prononcer le discoursd’introductionlorsdelaremisedesdiplômes.D’unseulcoup,jemesenssoulagée.—Oh,génial!Monpèrevaêtrecontent.M.Randolphouvreundossierportantmonnom.Jemedemandes’ilvamedonnermonclassement,
maisilm’annonce:—Parcontre,j’airemarquéquetun’astoujourspaspassétonbrevetdenatation.—Oh.DepuisqueJarIslanddisposed’unepiscinecouverte,touslesétudiantsdoiventobtenirleurbrevet
denatation.C’estobligatoirepourêtrediplômé.—Àmoinsqu’ilnes’agissed’uneerreuradministrative?Jemetrémoussesurmonsiège.—Non,jenel’aipaspassé.Ilsecouelatête.—Tusaisquecebrevetestobligatoirepourobtenirtondiplôme.—Saufsijesuisdispenséeparunmédecin,c’estbiença?Ilal’airsurpris.Surprisetdéçu.
—Exact.Saufencasdedispensemédicale.(Ilrefermemondossier.)Tun’aspasenvied’apprendreànager,Lillia?—Jemedébrouillesuffisammentpournepasmenoyer,monsieurRandolph,maislanatation,c’est
pasmontruc.Ilmeregardecommesijemecomportaisdefaçonridicule.—Çapeutservir,Lillia,surtoutpourunefillequivitsurune île.Çapourrait tesauver lavieun
jour.Outupourraissauvercelledequelqu’un.Promets-moid’yréfléchir.Jevaisyréfléchir.Jevaisréfléchiràlamanièredontjevaisdemanderàmonpèredemerédiger
unedispense.S’ilrefuse,jesuissûrequeKataccepteradelefaireenseservantdesonpapieràen-tête.Alorsquejeretourneenclasse,j’aperçoisquelqu’unentraindepunaiserdescitrouillesenpapier
autourd’octobresurlecalendrierdugrandpanneaud’affichage.Celafaitunpetitpeuplusd’unmoisqueKat,Maryetmoiavonsengagélaconversationtouteslestroisdanslestoilettesdesfilles.Jenesaispassic’estlachance,ouledestin,quinousaréunies.Peuimportecequec’est,jesuiscontentequeçasoitarrivé.
***NOUSSOMMESTOUSàtablepourledéjeuneretlesautresélèvesn’arrêtentpasdevenirpouressayer
designerleplâtredeReeve.LeReevequejeconnaisauraitappréciétoutecetteattentionetenauraitsavouréchaqueseconde.Maispascetype.Celui-làs’encontrefiche.Toutcequ’ilveut,c’estdiscuterdesonprogrammederééducationavecRennie.Ilssontblottisl’uncontrel’autreàl’autreboutdelatableetReeveaposésonplâtresurlesgenouxdeRennie.—Tant que je serai plâtré, je vaisme concentrer exclusivement sur le haut du corps. Pectoraux,
biceps, triceps,dos,abdos.Fautque jememuscledesépaules jusqu’à la taille.Ensuite,dans trois,peut-êtrequatresemaines,jevaisavoirmonattelle.Etlà,hop,programmed’hydrothérapie.Médusée, je le regarde avaler deux filets de poulet à la vapeur, ainsi qu’un énorme sac de
congélation rempli de bâtonnets de carottes et de pousses d’épinard. Il engloutit la nourriture à lamanièred’unaspirateur.—Jet’aicommandéuneceinturedeflottaisonhiersoir,l’informeRennie.Elledevraitarriverd’ici
lafindelasemaine.Alexestpenchéau-dessusde la table. Il tentedeconvaincreReevedeveniraumatchde footde
vendredi,maisbienévidemment,Reevel’égoïstes’enmoque.—Allez,Reeve.Tusaisquec’estbonpourlemoral.Lesgarsontunepeurbleueàl’idéequeLee
Freddingtonrejouequarterback.—C’estparcequeFreddingtonlancecommeunemerde,enchaîneDerek,labouchepleinedepizza.C’est vrai. Nous avons joué notre premier match sans Reeve vendredi dernier, et ça a été un
véritable désastre. On a perdu de beaucoup face à une équipe qui était avant-dernière de notredivision.—Tunousmanques,mec,claironnePJ.Etpuis, jesaispas,peut-êtreque tupourraisdonnerdes
conseilsàFreddington?—Exactement,confirmeAlex.Paslapeinedetemettreentenue.Restejusteprèsdelatouche.Je
suissûrqueçaferaitunesacréedifférence.Reevedescendsabriquedelaitvitaminé.Ens’essuyantlabouche,illance:—Lesgars,fautvousdébrouillertoutseuls,maintenant.Jenepeuxplusvousporteràboutdebras.
Jedoism’occuperdemoi.Sijenemerequinquepas,jenejoueraipasàl’automneprochain.—Turesteslecapitainedecetteéquipe,luirappelleAlex.—Jedoismeconcentrersurmarééduc,lecontreReeve.Jemecoucheàvingtetuneheuresetjeme
lèveàcinqheuresetdemiepourfairemesexercices.Tucroisfranchementquej’ailetempsd’alleràunmatchdefoot?—Jetedemandejusted’yréfléchir.Inutiledetedécideraujourd’hui.Onverracommenttutesens
vendredisoir.JesuismaladedevoirAlexfairepreuved’autantdepatienceavecReevelecoléreux.Àsaplace,
j’auraisditàReevedelaissertomber.Ensecouantlatête,Derekselamente:—Putain,mec,jepeuxpascroirequ’untrucpareiltesoitarrivé.Moiquiétaispressédeteregarder
enchaînerlestouchdownsàlatéléàl’automneprochain…Reeveenfourneunepleinefourchettedesalade.Enmâchanténergiquement,ilréplique:—Oh,maistuvasmevoiràlatélé.Comptelà-dessus.—C’estclair,Derek,siffleRennieenluiadressantunregardéloquent.Àpartirdemaintenant,fini
lepessimisme.Seuleslespenséespositivessontautorisées.Reevesehissepéniblementsursesbéquilles.—Tuvasoù?luidemandeRennie.—Auxtoilettes.Iltitube,etRennielesurveillecommelelaitsurlefeu,prêteàbondiretàinterveniraubesoin.Dès
qu’ils’estéloigné,elleregardeautourd’ellepours’assurerquepersonnen’écoute,puisconfieàAsh:—Ilestsupercourageux.Ilapratiquementpleurédansmesbrasl’autresoirlorsqu’ilaapprisque
l’universitédel’Alabamanevoulaitplusdelui.C’étaitl’unedesessolutionsderepli!Ducoup,ilaimploré les coaches de le prendre à l’essai la première saison, quitte à ne pas jouer les matchsofficiels. (Elle ferme les yeux et semasse les tempes.) Ils pensent qu’il ne récupérera jamais sonniveau de jeu. J’ai trop hâte qu’il leur prouve le contraire, à ces idiots. (Elle prend une gorgée desoda.)Évidemment,ilrisquedenepasêtreprisdansuneéquipedepremièredivisionunefoisquetoutseraterminé,maisunefacdedeuxièmeoutroisièmedivisionseraitchanceusedel’avoir.—Tuasencorepassélanuitchezlui?murmureAsh.Commentça,«encore»?Ilsdorment l’unchezl’autre,maintenant?JesuispersuadéequePaige
laisserait Rennie passer la nuit chez un garçon, mais les parents de Reeve m’ont toujours donnél’impressiond’êtrehyperconservateurs.Ilsvontàlamessetouslesdimanches,etReevevouvoiesonpère.Ensepassantlamaindanslescheveux,Renniesevante:—Enfait,jesuislaseulechosequil’aideàtenirlecoupencemoment.—EtauniveaudelaCDLR,vousenêtesoù?demandeAsh.
Jem’interrogeàvoixhaute:—Çaveutdirequoi,CDLR?—Clarificationde la relation,m’expliqueRennieen levant lesyeuxauciel, commesi seuleune
débileprofondepouvaitl’ignorer.(Maisellenemeregardepas.)Non,onn’arienclarifié.Pasencore.Ilatropdechosesentêtepourlemoment.Jeveuxjusteêtrelàpourlui.C’esttoutcedontilabesoin.(Ellerassemblesesaffaires.)Jevaisvoiroùilest.(EllefaitlabiseàAshlin.)Àplus,Ash,àplus,PJ,àplus,Derek.Sansmêmeunregarddansmadirection,elledécolle.PersonnenesembleremarquerqueRenniea
saluétout lemonde,saufmoi.C’estcommeçadepuis lebaldesétudiants,etçaempireunpeupluschaquejour.JesuissûrequeRenniem’enveut.Àmort.Dèsqu’elleafranchilaporte,jedemandeàAsh:—Est-cequeRenniet’aditquelquechose?Àproposdemoi?Ashlingigotesursachaiseetévitedecroisermonregard.—Commentça?—Ellemetraitecommede lamerdedepuis lebal.C’estparceque j’aiétécouronnéereineàsa
place?(Jememordslalèvre.)Jeveuxbienluidonnermatiaresielleenatellementenvie.Ashfinitparleverlesyeuxversmoi.—Lil,c’estpasàcausedeça.C’estparcequetuasembrasséReevesurlascène.J’enrestebouchebée.—Jenel’aipasembrassé!C’estluiquim’aembrassée!—Maistul’aslaisséfaire.Devanttoutlemonde.Jesuisauborddeslarmes.—Ash, jen’ai jamaisvouluqueçaarrive!Ilm’acarrémentforcée.Tusaisquejenel’apprécie
mêmepas.D’ailleurs…pourquoiest-cequ’ellem’enveutàmoietpasàReeve?Ashhausselesépaulesd’unaircompatissant.—C’estsonpremieramour,sonReeviechéri.Ellepeuttoutluipardonner.—Maisc’estpasjuste.—Dis-luique tuesnavrée,mesuggèreAshlin.Dis-luique tun’as jamaisvouluquoiquecesoit
avecReeve.Jefroncelessourcilsetmerenfoncedansmachaise.Peut-êtrequeçapourraitarrangerleschoses,
maisçam’étonnerait.—Letruc,c’estqueçanedevraitpasêtreàmoidefairelepremierpas.
IIIMARY
C’EST LA FIN de la semaine, et je m’apprête à sortir de l’école quand j’entends Kat hurler sur leparking.C’estuncrienjoué,pasuncrideterreurouautre.Jeregardeautourdemoietlarepèreàquelques
mètres, lacigarettecoincéeentre lesdents, en traind’essayerd’enlever la chemiseen flanelled’ungarçon.Jereconnaisplusoumoinslegarçonenquestion.Jeneconnaispassonnom,maisjelevoistoujours
traînerautourde l’école.Jenepensepasquecesoitunélève.Ousic’est lecas, sesprofsdoiventvraimentprendreleurslistesdeprésencepar-dessuslajambe.Katpourrait fairepartiede l’équipede luttedu lycéede Jar Island.Elleesthyper légère sur ses
jambes.Elle n’arrête pas de bouger, de sautiller sur la pointe des pieds, de se tortiller à gauche àdroitepourfairepasserledosdelachemisepar-dessuslatêtedugarçon.Jepariequec’estsonfrère,Pat,quiluiaapprisàfaireça.Legarçontitube,etondiraitqu’ilnesaitpastropcommentsedéfendrecontreunefille.Katentire
indéniablementavantage.Ellerestebagarreuseetcontinuedetirerjusqu’àcequ’elleluiaitenlevéleplusgrosdesachemise, ledistrayanten luienvoyantdepetitscoupsdans lescôtesouen tirantsurl’élastiquequiretientsescheveuxmi-longs.Bientôt,iln’agrippeplussachemisequeparunminusculeboutdemanche.Katprendappuisursespieds,commesiellesepréparaitpourune lutteacharnée,puis lemeten
garde:—Ellevasedéchirersitunelalâchespas,Dan.—Bon,d’accord,finitparcéderlegarçon.Dan,apparemment.
Katpousseunrugissementdevictoireettournesurelle-mêmeenagitantlachemiseau-dessusdesatêtecommeunlasso.—Tuviensdeprendreunebonneleçon,Dan.Quandjeveuxquelquechose,jel’obtiens.Unpoint,
c’esttout.LevisagedeDanvireaurosevif.J’éclatederire,parcequ’elleestvraimentdingue.Katdoitm’entendre,carelleregardeimmédiatementdansmadirection.Ellelèvelementonleplus
discrètementpossiblepourmesaluer.Je luisouris,etalorsquejem’apprêteàenfourchermonvélopourrentrerchezmoi,Katfaitquelquechosed’étonnant.Ellelèveundoigt,commepourmediredel’attendre.Toutsepassesivitequejemedemandesijen’aipasrêvé.Nousn’avonsjamaisvraimentfaitça
jusqu’ici.Noussaluerenpublic,augrandjour.Nouspouvonsprobablementlefairedésormais,carnosprojetsdevengeancesontterminés.Toutefois,jesorslelivrequejedoislirepourlecoursd’anglaisetlefeuilletteparsoucidediscrétion.Jelaregardeécrasersacigarette.—Allez,Kat,rends-moimachemise!Katl’enfilepar-dessussonsweat.—J’aienviedelaporter.Jeteprometsdetelaramenerlundi.Enplus,elleauramonodeur.Il fait semblant d’être contrarié, mais je vois bien qu’il l’apprécie à la manière dont il cède
rapidementetluipropose:—Jetedéposecheztoi?—Nan.Jepréfèremarcher.Jepeuxtetaxeruneautreclope?Sansattendresaréponse,ellesesertdanssonpaquetetcollelacigarettederrièresonoreille.Puis,ellesedirigeverslapistecyclable.Jerangemonlivreetm’avancedoucement,monvéloàlamain,afinqu’ellepuissemerattraper.Il
vautprobablementmieuxquenousrestionsprudentes.—Tutienslecoup,Mary?medemande-t-elleenserapprochant.Jesoupire.—Oui,çapeutaller.—Est-cequetuasbeaucoupvuReevecettesemaine?— Pas vraiment. (Je dégage mes cheveux derrière mes oreilles et fixe le sol.) Je… euh… j’ai
entendu dire queReeve risque de perdre sa bourse d’études à cause de sa blessure. (Dès que j’aiprononcécesmots,jesensmalèvresupérieuretrembler.)C’estvrai?Kathausselesépaules.— Peut-être, mais peut-être pas, qui sait ? Ce n’est pas comme s’il avait réellement perdu une
jambe.C’estjusteunefracture,etpasgrave,enplus.Monfrères’estcassélefémurunefois,pendantunecoursedemotocross.Maintenant,sajambegauchemesureuncentimètredemoinsqueladroite.Savoixestétonnammentcalme.Jesenssonregards’attardersurmoi.Ondiraitqu’elleattendde
voirsijevaism’effondrer.Jerelèvelementonetparviensàluiadresserunpetitsourire,mêmesijesaisquej’ailesyeuxembuésdelarmes.Cettefois-ci,c’estKatquisedétourne.Elles’écartedelapistecyclableetarrached’unebranche
basseunepleinepoignéedefeuillesquicommencentàvireraubrun.—Çavaaller,fais-moiconfiance.Reevevatrouverunesolution.Ilyarrivetoujours.Jehochelatêtecommepourrépondre«Oui,biensûr».Qu’est-cequejepourraisdiredeplus?Je
vaistrouverdessolutions,moiaussi.J’airéussiàsurvivreàcettesemaine.C’estdéjàbien.Jepréfèrechangerdesujet.—C’estqui,cegarsavecquitudiscutais?Tul’aimesbien?—Attends,Dan?(Katlèvelesyeuxauciel.)Mary,j’aipasbesoind’uneamourettesanslendemain,
pas maintenant qu’il me reste, quoi, sept mois avant de quitter cette île. C’est juste un remèdetemporaireàmonennui.Si seulement c’était aussi simple. Trouver un garçon à aimer, qui m’aimerait en retour. Kat a
beaucoupd’expérienceaveclesgarçons,etmoi, jen’enai jamaisembrasséun.Probablementparcequ’aufonddemoi,jesuisattachéeàReevedepuistoutcetemps,etquej’espèrequ’ilvaenfinpenserquej’étaisdignedelui.Etvoilàquejerecommence.ÀpenseràReeve,alorsquej’essayede l’oublier.C’estcommeune
maladie.—Qu’est-cequetufaiscesoir,Mary?Avantquejepuisserépondre,elleajoute:— Je vais sur le continent pour un concert aumagasin demusique dema copine.Un groupe de
deathcorequi s’appelleDayof theDogs. Ils fontun trucdedingue,un jeuavec lepublicoù il fautbeugler à s’en faire exploser les poumons. Je sais que tu en as une sacrée paire. (Elle le dit enplaisantant,en référenceà lamanièredont j’aihurlé le soirdubal,maisaucunedenousne rit.)Tudevraisvenir.Çateferaitdubien.Histoired’évacuertoutecettemerdequetugardesentoi.Jenesaispascequ’estledeathcore,etmêmesij’appréciesoninvitation,jepréféreraisyalleren
douceurpourlemoment.— J’ai encore plein de devoirs à rattraper. Je ne vais probablement pas pouvoir sortir avant
longtemps.Katmefixependantuneseconde,etjesensqu’elleessayededevinercequejepense.Entournantle
dosàlabrise,elletented’allumersacigarette.—O.K.,Mary,écoute,jesaisquetuaslecafarddepuislebal.Leschosesnesesontpasexactement
passées commeon le voulait, et ça craint, j’en ai bien conscience.Après lamort demamère, j’airefusé de parler pendant sixmois environ. (Elle tire quelques bouffées, puis regarde le bout de sacigarettepourvérifiersielleestallumée.)Tuesaucourantpourmamère,n’est-cepas?Jehochelatête.Lilliam’enaparlérapidementunefois.Elleestmorted’uncancer,maisKatnel’a
jamaisévoquéejusqu’ici.Unepetitepartiedemoiestcontentequ’elleseconfie,qu’ellesesenteprêteàpartagerunechoseaussiintimeavecmoi.—Ilmesemblaitbien,maisjepréféraism’enassurer,poursuit-elle.(Elleprendunelongue,longue
boufféeetrecrachelafumée.)Bref,quoiqu’ilensoit,merenfermercommeçan’étaitsûrementpaslameilleurechoseàfairepourmesentirmieux.Onnepeutpasresteréternellementtriste,tuvoiscequejeveuxdire?Çan’allaitpasme ramenermamère, c’est clair.Àunmoment, il faut passer à autrechose.Jem’arrêtedemarcher.
—Etcommentjefaispourpasseràautrechose?Ellepincesacigaretteentreseslèvresetplongelesmainsdanssespoches.— Tu devrais peut-être, je sais pas, t’inscrire à un club ou un truc dans le genre. Essayer de
t’impliquerdavantagedanslaviedulycée.Passerletempsjusqu’àlaremisedesdiplômes.—Queltypedeclub?Exaspérée,elles’exclame:—J’ensaisrien,Mary!Lesclubs,c’estpasmontruc.Choisisuneactivitéquit’intéresse.Ilfaut
quetutebouges.Quetutefassesdenouveauxamis.Quetuteconcentressurleschosesquiterendentheureuse.Jenedispasçapourteblesser,maisilfaudraitquetuvivesenfintavie,parcequ’ilteresteplusd’uneannéeàtireravantlaquille.Toutal’airsisimpleavecelle.Peut-êtrequec’estlecas.—Jesaisquetuasraison,maisc’est…c’estvraimentdur.—Çan’apasbesoindel’être,pourtant.(Kats’adosseàunarbre.)Tulefais,ettunelaissespastes
sentimentssemettreentraversdetonchemin.(Elletapotesapoitrine.)Jenem’attardepresquejamaissurmessentiments.Tusaispourquoi?Parcequesi jedevaisresterassise lààpleurerenpensantàtouslescoupsdursquimesontarrivés,jenesortiraisjamaisdemonlit.(Elleplongesonregarddanslemien.)Jetejurequetuvasallermieux.Ilfautjustequeturemonteslapente.Jeserremonmanteauautourdemoi.Kataraison,etjelesais.Jenedevraispasmemorfondrede
cettemanière. J’ai perdu une année entière dema vie après avoir tenté deme suicider à cause deReeve.Çanedoitpassereproduire.—Merci,luidis-jedufondducœur,parcequejelepensevraiment.Ilyaunegrandedifférenceentrecetteépoqueetmaintenant.Désormais,j’aidesamiesquiveillent
surmoi.
JEME PLONGE dans mes devoirs jusqu’à ne plus supporter la vue de mes cahiers, puis je sors mepromenersurMainStreet.Unferrys’arrêtesurlequai,etlepremiervéhiculeàdébarquerestuncarscolaireremplidejoueursdefoot.Surlesvitres,différentesinscriptionssontpeintes:desnumérosdejoueursetdesbêtisesdustyle«Lesmouettesvontboirelatasse!»Purée.Ondiraitbienqu’ilyaunmatchcesoir.Jemedirigevers le stade. Jenepensepas rester longtemps,mais je trouve facilementuneplace
danslesgradins.Lafouledessupportersestmoitiémoinsnombreuse,voirepire,quepourlematchquiaprécédé lebaldesétudiants.Cela s’explique sansdoutepar la pertedenotremeilleur joueur.Lepremiermatchaprès leweek-enddubal,après lablessuredeReeve,nousavonsperdu.Largement.Notrequarterbackremplaçant,LeeFreddington,n’apasréussiuneseulepasse.Unpetitgroupedecheerleadersestagglutinéetrépèteundesescrisd’encouragement:«Dé-fense!
Dé-fense ! Dé-fense ! » On risque de l’entendre bien plus souvent qu’avant, maintenant que notreéquipen’apluspersonnepourmenerl’attaque.Lesautrescheerleaderss’échauffenttranquillementlelongdeslignesdetouche,commesic’étaitunentraînementetnonunsoirdematch.Assiseentailleurdansl’herbe,Rennieconsultesontéléphone.LilliaetAshlindiscutentprèsdubancdesjoueurs.Lilliam’aperçoitetmesourit.Jefaisdemême.
Leprésentateursaluenosadversaires,puisnoscheerleaderss’alignentets’avancentvers laportedesvestiairespouraccueillirnos joueursdès leur entrée sur le terrain.TeresaCruzvient seplacerdevantlegroupe.CommeelleencourageLeeFreddington,elleaprisdugalon.Rennielavoitfaireetseplantejustedevantelle.Reeve est le premier à sortir. Il porte son maillot et un bas de survêtement, comme à l’école
aujourd’hui.Dèsqu’ilapparaît,touslessupportersmassésdanslestribunesselèventetl’acclament.Ilssontmoinsenthousiastesqu’ilsnel’étaientendébutdesaison.Ilsapplaudissentmoinsfort.Onsentplutôtdurespect,delapolitesse.Reevetented’alleraussivitequ’illepeutsursesbéquilles,maisleterrainestmeubleaprèslapluie
quiest tombéecettesemaineetsesbéquilless’enfoncentdans lapelouse.Plus il sedémène,plus ils’enlise,cequileralentit.Lesautresjoueursjaillissenthorsdesvestiaires.IlsessayentderesterderrièreReeve,delelaisser
menerlegroupe,maisilestsilentqu’unembouteillageseforme.Voici que Lee Freddington se présente ; remontant par les côtés, il passe à droite de Reeve en
l’ignorant et prend la tête de l’équipe. Comme si Lee Freddington venait de leur en donnerl’autorisation,lesautresjoueursdoublentégalementReeve,quiseretrouveenqueuedepeloton,avecAlex,PJ,l’entraîneuretlesporteursd’eauquidoiventtraînerlesglacières.Reevesembledeplusenplusfrustré.Àunmoment,leboutdesonplâtregrattelesol,remplissantl’espaceentresesorteilsdebrinsd’herbeetdeterre.Ilvireaurougevif,prêtàexploser.J’arrêted’applaudiretm’assoissurmesmains.C’est stupide,etça faitprobablementdemoiune
fillefaible,maisc’estjustequeReeven’estabsolumentpaspréparéàça.Ilnesaitpascommentgérerlefaitd’êtretenuàl’écart,parcequ’ilesthabituéàêtreaucentredetout.Çafaitpeineàvoir,commesi la luneet les étoilesavaient étébanniesdescieuxet contraintes àuneexistencemortelle commechacund’entrenous.Je voulais que Reeve ait de gros ennuis, qu’il perde ce qui le faisait se sentir si sûr de lui, si
supérieuràquiconque.Ilaméritécequiluiarrive,jelesaispertinemment.Pourtant,unepartiedemoisouhaiteraitquenousn’ayonspasétéaussiloin.Nousn’avionspasbesoindelebriserpourluifairelaleçon.Le premier quart-temps dumatch, nous jouons aussimal que prévu.Lee Freddington récupère la
balle au début du deuxième quart-temps. À sa première occasion de passe, il manque de se faireplaquer par l’autre équipe. Notre coach demande un temps mort et commence à engueuler lesdéfenseurs.ReeveessaiedecommuniqueravecLeeFreddingtondepuislatoucheetluidonnequelquesconseils.
Illefaitdepuisledébutdumatch.MaisLeel’ignorelaplupartdutemps.C’esttoutjustes’ilcroisesonregard.Etpasparcequ’ilestembarrassé,non.Parcequ’ilpensequ’iln’apasbesoindesonaide.Justeavantlafindutempsmort,LeeFreddingtonsedirigeversAlexKudjak.Ilpasselebrassurson
épauleetsembleluimurmurerquelquechose.Reevel’observe,lamâchoireserrée.Uninstantplustard,notreéquipereviententrombesurleterrain.Leemènelamêlée,etlorsquela
balle fuse, il tend lebrasenarrièrecommes’ilétaitvraimentprêtà l’intercepter.À l’autreboutduterrain,AlexKudjak dépasse un autre joueur. Lee lui lance la balle, qui décrit une vrille serrée etatterritpiledanslesbrasd’Alex.Touchdown.
JemelèvepourpartirquandPJtransformeetmarqueunpointsupplémentaire.Alorsquejepasseprèsdelalignedetouche,lescheerleaderss’alignentpourencouragerchacuneleurjoueur.Teresafaitunpasenavant;Renniemonteàlachargeetl’attrapeparlesweat.—Qu’est-cequetufais?—Leeafaitunepassedécisive.Iladroitàdesencouragementspersonnels.Rennielaregardecommesielleétaitdemeurée.—Maisc’estAlexquiamarqué.C’estluiquiamislespoints.Teresaprendlamouche.—Saufquedanscecas,onencouragetoujourslequarterback.—Notrequarterback,c’estReeve.Leen’estqu’unremplaçantàdeuxballes.Rennies’avanceetencourageReevesifortquejelevoisserecroquevillersursonbanc.RenniepensesavoircedontReeveabesoin,maisellesetrompesurtoutelaligne.Ilneveutplus
qu’onleregarde.Toutcequ’ilsouhaitemaintenant,c’estqu’onlelaissetranquille.Jeprendslecheminduretour.C’estexactementcequejecomptefaire.LaisserReevetranquille.En
plus, jevais reprogrammermoncerveaupournepluspenserà luietneplus rien ressentirpour lui.C’estlaseulechoseàfaire.
***DE RETOUR CHEZ moi, je découvre tante Bette dans le salon. Elle est assise par terre dans le noir,entouréedebougiesallumées.Lacireformedepetitesflaquessurleparquet.Monpèrepiqueraitunecrises’ilvoyaitça. Il répète toujoursque lessolssontcequ’ilpréfèredans lamaison ; ils sontencèdreblonddoréduplusbeleffet.—Jesuisrentrée,dis-jeenentrantdanslapièce.TanteBette sursaute. Jem’approche ; unmorceaudedrap est étalé devant elle. Il est couvert de
pilesd’herbesetdefeuillessèches,dontellefaitdepetitspaquetsqu’elleattacheavecdelaficelle.Ellefinitdeserrerunnœud,puism’annonced’unaircontrarié,commesij’avaisinterrompuquelque
chosed’important:—Jenesavaispasquetuétaissortie.—Jesuisalléemepromener.J’ajoute que je suis désolée, même si je n’ai rien à me reprocher. En désignant les paquets, je
l’interroge:—C’estquoi,ça?D’unemain,tanteBetteattrapeunbrindequelquechoseetfrotteunefeuilleentresesdoigts.—Desherbesanciennes.Ondiraitduromarin,oupeut-êtreduthym,jenesauraisdire.—O.K.Ehbien,bonnenuit.Aupieddel’escalier,jeremarqueunethéièreposéeàmêmelesol.Àl’intérieur,undespaquetsest
en trainde seconsumer. Il brûle en formantdesbraises incandescentes et desvolutesde fuméequimontentjusqu’auplafondducouloir.
Maisqu’est-cequisepasseici?Moncœurcommenceàpalpiter.Entoussant,j’appelle:—Euh,tanteBette,est-cequec’estprudentdelaissercetrucdansl’entrée?J’aipeurdeparaître
condescendante,maisfranchement,c’estplutôttroublant.Etçamedonnelanausée.TanteBettenerépondpas.Peuimporte.Jecontournelathéièreenveillantànepasinhalerlafumée,
puismontedansmachambre.
IVKAT
APRÈSLELYCÉE etmadiscussionavecMary, je rentreà lamaison,prépareundîneraumicro-ondespourmonpère,engloutisunboldecéréales,puismedirigeversleferry.Lesoleils’estcouchéetlevent est glacial. Je remonte la fermetureÉclair demon sweatshirt jusqu’au cou et serre la capucheautourdematête.J’auraisdûcommenceràporterunmanteauilyadéjàplusieurssemaines,mais jedéteste celui que j’ai acheté l’année dernière. C’est un caban gris anthracite, un authentique enprovenancedusurplusdel’armée.Jel’aidégotéàlafriperie,maisiln’estpasdoubléetlalainemegratte lapeau.Peut-êtrequ’enme rendant sur le continentdebonneheure, jepourraim’arrêter à lafriperiepourvoirs’ilsontautrechose.Surl’embarcadèreduferry,c’est tout lecontrairedel’été, lorsqueleparkingestpleinetquedes
files entières de gens font la queue pour monter à bord. L’endroit est complètement désert, àl’exceptiondequelquescamionsdelivraisonetvoitures.Laplupartdesemployésquejeconnaissontpartispourlasaison,alors jevaisprobablementdevoirpayermonbillet.Jem’approcheduguichet,mais le vendeur est un ami demon père, et il refuse de prendremon argent.Ce qui est génial.Çam’arrivesouvent,maisj’ensuisreconnaissanteàchaquefois.Comme je risque de me geler le cul en m’asseyant sur le pont passager, je trouve un siège à
l’intérieur,danslecafé.Àunetable,quatrepetitsvieuxboiventduthéetfeuillettentunlivresurlesoiseauxencochantceuxqu’ilsontvusaujourd’hui.J’allumemonMP3etfermelesyeux.JejuredevantDieuquejepréféreraismourirjeune,parcequejenepeuxpasm’imaginerentraindefairecegenredeconneries.Jesensmonestomacsenouer(deculpabilité,sansdoute),sachantqueçafaitdessemainesquejene
suispaspasséeaumagasinvoirKim.Pasdepuisnotrepetitedispute,lorsquej’avaisbesoind’utiliserla photocopieuse afin d’imprimer les poèmes débiles d’Alex pour notre plan de vengeance. J’étaistellement absorbée par ma tâche que je n’ai pas accordé à Kim l’attention qu’elle méritait, alorsqu’elleavaitmanifestementbesoind’uneamieàquiparler.
Avecunpeudechance,ellemepardonnera.Malheureusement, la friperie n’a pas demanteaux d’hiver, uniquement des fringues d’été que les
gens ont laissé après avoir fait le tri dans leurs armoires. Je parcours le kilomètre et demi quimeséparedePaul’sBoutique.LesDayoftheDogsnevontpassepointeravanttarddanslasoirée,maisc’estmieux comme ça, parce queKim etmoi allons pouvoir rattraper le temps perdu. Je décide àl’avancedenepasluiparlerdemeshistoires.Aujourd’hui,c’estellequidoitpouvoirsedéchargersurmoi.Peut-êtrequeleschosessesontarrangéesentrePauletelle.Peut-êtrequesafemmenesavaitpasvraimentqu’ilscouchaientensemble.Jel’espère,entoutcas.Enentrantdanslaboutique,j’aperçoisquelqu’unquejeneconnaispasderrièrelecomptoir,untype
trèsmaigreavecunecoupemulet.Jemedirigedonctoutdroitversl’arrièredumagasinoùlesconcertsont lieu, et tente de franchir la porte. Il fait beaucoup plus sombre dans le garage, et quelquespersonnessontdéjàmasséesdevantlascènepourêtresûresd’êtrebienplacées.Quelqu’unm’attrapeparlebras.—C’estdixdollarsl’entrée.JemeretournefaceàPaulenpersonne.Sescheveuxcoupéstrèscourtssontbeaucoupplusgrisque
dansmessouvenirs.Ilaenfiléunvieuxtee-shirtdesSexPistols,unjeanslimdéchiréetdestennisentoile. Il est petit pour unmec,mais bien foutu.Kim dit qu’il va régulièrement à la salle de sportsdepuis qu’il est clean. Apparemment, il y a des années de cela, il était accro aux drogues dures,notammentcellesquis’injectent.Bref,jeluisouris,parcequejel’aidéjàrencontréauparavant.—Salut,Paul.Sansmêmemelâcherlebras,ilrépète:—C’estdixdollarsl’entrée.Jemelibèred’uncoupsecetjetteuncoupd’œilverslarégieson,medemandantsiKimestlà-bas.
Maiselleestvide.—T’essourdeouquoi?D’untonennuyé,jel’interroge:—OùestKim?Paulsemblesurpris.—Tulaconnais?—Onestcopines.Ilcroiselesbras.—Ellenebosseplusici.—Hein?Maispourquoi?—Elleavolédanslaboutique,alorsjel’aivirée.Jeplisselesyeuxetcrache:—Vousmentez.—Pardon?—Vousm’avezbienentendue. (Jesuis tellementénervéeque j’en tremble.)Vousmentez.Kimne
vousauraitjamaisvolé.
J’en suis convaincue. Jamais Kim n’aurait volé un truc à Paul. Elle bossait comme unemalade.Parcequ’elleaimelamusique,maisaussiparcequ’ellel’aimait,lui.Ilmepointerageusementdudoigt.—Parcequelaisserlesgensassistergratuitementauxconcerts,tuappellesçacomment,hein?C’est
quand,ladernièrefoisquetuaspayépourvoirungroupe?—Vousêtesunlâchedoubléd’ungrosconnard,dis-jesuffisammentfortpourquelespersonnesqui
nousentourentseretournent.Vousbaisezvosemployées,etlorsquevousvousfaiteschoper,vouslesvirez.Ilreniflecommes’iln’enavaitrienàfoutre,maisjevoisbienqu’ilestfurieux.—Trèsbien,gamine.Tuvasdégagerdelàfissa.Il lèveunbrastatouéenl’airetfaitsigneàFrank,levideur,quiestappuyécontreungrosampli.
Franks’avanceetnesemblevraimentpasemballéàl’idéedemejeterdehors.Detoutesmesforces,jehurle:—J’espèrequevotrefemmesaitquelgrosqueutardvousêtes!Jeseraisraviedeleluiapprendre
moi-même!—Viens,Kat,meditFrankenpassantsonbrasautourdemoi.Jemedébatsenproféranttouslesjuronsquejeconnais.Frankmeconduitjusqu’àl’arrièredugarage,prèsdelaminusculepièceoùlegroupepatienteavant
demontersurscène.Jelesentendsaccorderleursinstruments,rireetdiscuter.—Tuvasbien?mequestionneFrank.Pourretenirmeslarmes,jedonneuncoupdepoingdanslemur.—Elleestpartieoù?Frankhausselesépaules.—IlsonteuunegrosseengueuladeilyaquelquessemainesdeçaetPaulluialaissévingt-quatre
heurespour récupérersesaffairesdans l’appartaupremier.Elle l’a faiten troisheures,etavantdemettrelesvoiles,elleavidétoutleliquidequisetrouvaitdanslecoffre.Alors comme ça,Kim a réellement volé Paul ? Frank remarque sans doute que je suis choquée,
parcequ’ilsecouelatête,commesijememéprenaissurcequis’étaitpassé.—Considèreplutôtçacommeledédommagementqu’elleauraitforcémentobtenus’ilyavaiteuun
procès.—Comme si la boutique faisait beaucoupde fric ! Il devait y avoir quoi, dans lesmille dollars
maximum?Ellenevapasallerbienloinavecça.Ellenerisquepasdes’acheterunchâteau.Ellen’apasparléàsesparentsdepuisdesannées.Peut-êtrequ’elleest…devenueSDF.—Çavaallerpourelle,m’assureFrank,mêmes’ilal’aird’endouter.Leslarmesmemontentauxyeux.Jenepeuxpasm’arrêterdepleureretFrankal’airhypermalà
l’aise.Enm’essuyantlenezsurmamanche,jeluidemande:—Sielleappelle,tuluidirasquejesuisvenuelavoir?Frankhochelatête,maisnoussavonstouslesdeuxqueçan’arriverajamais.Kimestpartiepourde
bon.
JechialecommeunbébétandisqueFrankmefaitsortirdansl’alléeparuneportelatérale.Ilmeditau revoir, puisme claque la porte à la tronche. J’essaye d’appeler Kim sur son portable, mais lenuméron’estplusattribué.Évidemment.JepenseàKimquidoitsurmontertoutcebordeltouteseule.Jemedemandesielleaenvisagéde
m’appeler.Pourmedemanderde l’aider.Probablementquenon,parceque jenesuisqu’unepauvrelycéennedébile.Parcequelaseulefoisoùelleaessayédeseconfieràmoi,jemesuisjustesouciéedemaproprevie.Jenesuisvraimentqu’unemerde.J’ailaissétombercellequejeconsidéraiscommemameilleure
amie aumoment où elle avait le plus besoin demoi. J’encaisse comme je peux,mais jeme fais lapromessedeneplusjamaisêtreuneamieaussiminable.
VLILLIA
LELUNDI,RENNIEm’ignoretotalementpendantl’entraînementdescheerleaders.Ellenemeregardepas,ne m’adresse pas la parole. Même lorsque je me retrouve avec elle et Ashlin à discuter desencouragementsquenousdevrionstravaillerensuite.RenniegardelesyeuxfixéssurAshlinetneparlequ’avecelle.C’estcommesij’étaisinvisible.J’essayed’enfaireabstraction.Rennieadorepunirparlesilence.C’esttypiquedesafaçond’agir.
Cequimerenddingue,c’estquejen’airienfaitpourmériterça.Riendontelleaconnaissance,entoutcas.Alorsmêmesielleseconduitengarceavecmoi,jecontinuedeluiparler.Enfin,plusoumoins.Par
exemple,jeluidis:—JepensequeMelanieestunpeuenretardsursadeuxièmerondade.Évidemment,Rennie neme répond pas. En revanche, elle va trouverMelanie et lui conseille de
travaillersontempo.Danslevestiaire,alorsquenousnouschangeons,RennieinviteAshlinàvenirdînerchezelle,juste
sousmon nez. Ashlin répond qu’elle est partante, puis, lorsqu’elle se souvient que je suis là, ellefroncelessourcilsetmedemande:—Ettoi,Lil?Tuviens?Renniemetourneimmédiatementledosetfaitfaceàsoncasierpourmefairecomprendrequejene
suispaslabienvenue.—Jepeuxpas,fautquej’ailleaucentreéquestre.Cen’estpas toutàfaitvrai,mais j’aiprévud’yallerdepuisdessemaines.NadiamontePhantom
bienplusquemoicesdernierstemps.Jeneveuxpasqu’ilm’oublie.Enplus,jeneveuxpasdonner
l’impressionqueçametouche.Lelundi,c’estpizzachezRennie,etjen’aimepaslevendeurchezquiellecommande.Ilmetbientropdesauceàmongoût.Rennie pouffe de rire en entendant mon excuse. Elle n’a jamais aimé Phantom. Une fois, elle a
essayédelemonter,maisdèsqu’elles’estretrouvéeenselle,ilacommencéàtrottersurlecôté,parcequ’elleluiavaitdonnédupiedentirantlabrideverslagauche.Jeluiaiditdeleverlesrênes,maisaulieudem’écouter, elle a paniqué et sauté sur la droite alors qu’il était enmouvement.Elle a chutélourdement et s’est égratigné les genoux. Les lads du centre équestre ont accouru pour l’aider à serelever, mais aussi pour l’engueuler parce que c’est dangereux de descendre de cheval de cettemanière.Rennieétaithyperembarrassée.ElleafiléversleparkingoùelleestrestéeàboudertandisquejeramenaisPhantomàsonboxpourledesseller.JedéposeNadiacheznous.Enchemin,àchaquestop,j’attendsdevoirsiellevadirequelquechose
àproposducomportementdeRennie,siellearemarquéqu’ellemefaisaitlatête,maisNadiapassetoutletrajetàenvoyerdesSMSàsesamis.Alorsquejefileverslecentreéquestre,jenepeuxpasm’empêcherdepenserqueKatetMaryne
me feraient jamais un truc pareil. M’exclure du groupe sans raison. Je décide d’appeler Mary etd’envoyerunSMSàKat,pourleurdemandersiellesveulentqu’onseretrouveaucentrepourytraînerunpeu.JepariequeMaryvaadorerPhantom.Jevaismêmeluimontrercommentlebrosser.Katmerépondaussitôt.J’adorelecrottindecheval,j’arrive!Jerisàgorgedéployéeetmesensdéjàmieux.J’appellechezMary,etc’estsatantequidécroche.Elleal’airgroggy,commesielleétaitentrain
dedormir.—Allô?—Bonjour,est-cequeMaryestàlamaison?Silenceàl’autreboutdufil.Jepoursuis:—C’estLillia,jesuisuneamiedeMary.J’appellepourl’inviteràvenirfaireduchevalaucentre
équestre avec moi cet après-midi. (Silence radio.) Alors euh… si vous pouviez lui transmettre lemessage,ceseraitgénial.J’entendsunerespirationlourde,puisunclicetlatonalité.Ellem’araccrochéaunez!Maryabienditquesatanteétaitunpeuspéciale,maisquandmême!
C’étaittropbizarre.JejurequejevaisluioffrirunportableàNoël.J’arriveaucentreéquestretroptardpourmonter,alorsjemedirigeversleboxdePhantompourle
panser.Ilresteparfaitementcalmependantquejelebrosse.Jeluimurmureàl’oreilleenluilustrantlepoil, qui brille commedu velours noir.Lorsque j’atteins son encolure, il n’arrête pas d’essayer detournerlatêteetdeseblottircontremoi.QuandNadiavientmonterPhantom,elledemandetoujoursauxladsdelebouchonneretdeluicurer
les pieds pour elle.Moi, c’est ce que je préfère. Il faut établir un lien avec son cheval. Et je faistotalementconfianceàmonPhantom.Jesaisqu’ilnemeferaitjamaisdemal.Mêmesijenesuispaspassée le voir depuis des semaines, il me salue comme s’il m’avait vue la veille. Avant, j’étaistellementamoureusedePhantomquej’auraispudormirdanssonboxsiMamanm’yavaitautorisée.Quandest-cequecesentiments’estdissipé?Quandj’airejointlescheerleaders?Jemedemandesi
Phantomaremarquéquelquechose,siçal’arendutristequejenevienneplusaussisouvent.Rienqued’ypenser,j’aienviedepleurer.Undesladsfrappeàlaporte.—Tuasdelavisite,Lillia.—Super!Jejetteuncoupd’œilhorsdubox,dansl’allée.J’aperçoisKat,quisepincelenez.Jeluifaissigne.—Ici,Kat!Kats’avancedirectementjusqu’aucentredel’écurieenveillantànepastrops’approcherdesbox.—Dis,onpourraitallerailleurs?Çapuelà-dedans!Jeprendsuneprofondeinspiration.—Turigoles?J’adorel’odeurdufumier.Sceptique,Katarrêtedesepincerlenezetrespireunboncoup,cequiluidonneunhaut-le-cœur.—Àtaplace,j’éviteraisdeledire.—D’accord.Ilyaunjolisentierquimènejusqu’àlacôte.Personnenemonteencemoment.On
peutallermarcherlà-bas.—O.K.,tantquejesorsdelà,rétorqueKatencherchantàreprendresonsouffle.Elleseretourneetcourtjusqu’àl’entréedel’écurie.JerangelabrossedoucedePhantometl’embrasseavantdepartir.Dehors,ilfaitpresquenuit,etun
peufroid,maisKatetmoidécidonstoutdemêmedenouspromener.—J’aiappeléMary,dis-jeàKat,maisjenesuispassûrequ’elleait…— Eh, les filles ! Attendez-moi ! (Nous nous retournons et voyons Mary qui court vers nous.)
Désolée,j’aimanquétonappel,Lillia.Jem’étaisendormie.Jefaistoujoursunesiesteaprèslescours.—Oh,répondKat.Subtilement,jeluidemande:— Tout va bien chez toi ? Ta tante était un peu bizarre au téléphone. Je pensais qu’elle ne te
transmettraitpaslemessage.Marysoupire.—TanteBetteestdanssaphaseNewAgeencemoment.Elles’intéresseplusauxbouquinsetaux
cristauxqu’auxpersonnes.(Ellesecouelatête.)Alors,quoideneuf?Jusqu’ici,nousn’avonstraînéensemblequepourplanifiernotrevengeance,oulorsquenousavions
desdétailsurgentsàrégler.Saufquetoutça,c’estdupassémaintenant.Jeprendslaparole:—Pasgrand-chose.Vousm’avezmanqué,lesfilles.Katmedévisage.—CommentçavaavecRen?Jemecontentedeluiavouer:—C’estpasletop.Jeveuxdire,j’aienviedevidermonsac,deleurconfieràquelpointçacraintmaintenant,maisje
nepeuxpas.Katavécuexactementlamêmechose.Enpire.Danscecas,dequeldroitjepourraismeplaindre?
MaisKatsemontreétonnammentcompatissante.Ellemetapoteledosetmerassure:—T’inquiète.Quelqu’und’autrevalamettreenrogneetelleoublieratoutça.Hé,çapourraitmême
êtremoi!—Etpuis,tunousaurastoujours,nous,ajouteMary.Jeleursouris.—Merci,lesfilles.Aprèsça,nousnoustaisonsplusoumoins.Cen’estpasvraimentunsilencegêné.Onn’ajustepas
grand-chosedeplusàsedirepourlemoment.Maisc’esttoutdemêmeagréabled’êtreavecelles.
VIKAT
LORSQUELASONNERIEretentitàlafindelatroisièmeheure,jefileàlabibliothèqueaulieud’alleraucoursdemaths,parceque lesconseillerspédagogiquesproposentunatelierpouraider lesdernièreannéeàremplirleursdossiersdecandidatureàl’université.Jesuispresquesûrequeçavaêtreunepertedetemps.J’aidéjàoptépourl’universitéd’Oberlin,et
lesdocuments sont très simples.Un formulairebasiqueetune lettredemotivationexpliquantqui jesuisetpourquoijeveuxallerlà-bas.Çadevraitêtredugâteau.Maisaprèsmesrésultatsplusquemoyensauxtestsd’évaluationdeniveaucetété,jedoismettreles
bouchéesdoubles.Cesystèmeesthypermalfoutu,ilfautconnaîtredestasd’astucespourrépondreauxquestions qui peuvent booster vos notes. C’est pour ça que les gosses de riches se débrouillentbeaucoupmieuxqueceuxdespauvres;ilspeuventsepayerdescoursprivésoùonleurapprendtouteslesficelles.Comme je ne pourrai jamais prendre de cours particuliers, j’ai emprunté une pile de livres à la
bibliothèque.Certainsétaient totalementobsolètes, etdesabrutis avaientnoté les réponsesau stylo.J’ai faitdemonmieux,maiscen’étaitmanifestementpas assez.D’ailleurs, j’envisagede l’évoquerdansmalettredemotivation.L’universitéd’Oberlinestultralibéraleetprogressiste.Quelquechosemeditqu’ilsvontadorermoncomplexed’inférioritédegosseissuedelaclassepopulaire.Néanmoins,jevaisdevoirrepasserlestestslemoisprochain,etavecunpeudechance,j’arriveraiàaugmentermonscoredequelquescentainesdepoints.Silesconseillerspédagogiquesconnaissentdesastucessecrètesquipourraientm’aideràavoirune
candidatureenbéton,ilfautquejelesdécouvre,histoiredemedémarquerdesautres.Jeferaitoutcequ’ilfautpourmebarrerdeJarIslandunefoispourtoutes.Peut-êtrequel’Ohion’estpasunendroitrêvéàpremièrevue,maisc’estvraimentlà-basquejeveuxaller.Labibliothèqueestdéserte,sidésertequejemedemandesicetrucnesedérouleraitpasplutôtau
bureau des conseillers. Je m’avance jusqu’à l’accueil. La bibliothécaire est concentrée sur sonordinateur.Jelèvemonpassejauneetdemande:—Savez-vousoùse…Maisellem’interromptavecungros«Chuuuuuut!»,mêmes’iln’yapersonneàpartelle.Ensuite,
elledésignelasalledeconférencesprèsdesordinateurs.Iln’yapasbeaucoupd’élèvesdanslapièce.Peut-êtrecinqautresdernièreannée;j’enreconnais
certains,maispastous.Jem’assoisdanslefond,ouvremonsacetensorsleformulairedecandidatureàl’universitéd’Oberlin.Ilfautleremplirenligne,maisj’aiimpriméunecopiepourpouvoirréfléchiràtouteslesréponsesàl’avance.MmeChirazo, laconseillèreprincipale,entrequandlasonnerieretentit,habilléedupantalonnoir
ampleetdel’écharpeajouréequisemblentconstituersonuniformenonofficiel.Jesuisprêteàparierquecettefemmen’ariend’autrequecesmerdesdanssonarmoire.Elle fronce les sourcils, sûrementparcequ’elleestdéçuedumanquedeparticipants.Maisquand
ellemevoit,sonvisages’illumine.—KatherineDeBrassio!Commentvas-tu?Jegrommelleun«Bien»avantdebaisserlesyeuxsurmespapiers.—Ondevraitconvenird’unrendez-vousafinquejeprennetranquillementdetesnouvelles!Elleleditsuruntonsienjouéqu’ilconfirmemespiressuspicions.J’aidûparleràMmeChirazoaprèslamortdemamère.Jen’enavaispasbesoin,pourtant.Jene
faisaispasdedrameenclasseetjenepleuraispasenpublicouquoiquecesoit.MaisMmeChirazoavaitlul’avisdedécèsdanslejournal.Elles’estpointéeàl’undemescoursaveclacoupureetm’ademandéd’unevoixétrangementcalmesij’avaisenviedeparler.Ellen’étaitmêmepasmaconseillèrepédagogiqueaucollège;elletravaillaitaulycée.Toutefois,l’accompagnementdudeuildevaitêtresaspécialité.Jeluiairépondu:—Non,paslapeine.Ducoup,cettepeaudevachem’aobligéeàveniràcinqrendez-vous!Elle adorait ça, guider une gamine après lamort d’un de ses parents. Lorsque j’entrais dans son
bureau,ellesouriaitcommeungosselematindeNoël.Ledécèsd’unparent,c’estdupainbénipourles gens comme elle. Ça, et les relations abusives, les grossesses d’adolescentes et les troublesalimentaires.Jeneluidisaisguèreplusqu’unmotoudeuxàchaquerendez-vous.Lorsdudernier,ellem’aremispleindelivressurledeuiletd’autresconneriesquej’aibalancéesàlapoubelledèsquejen’aiplusétéforcéed’allerlavoir.— Bon, eh bien, je pense que nous sommes au complet pour aujourd’hui, annonce-t-elle à son
auditoire.Avecunpeudechance,vousdirezàvosamisetcamaradesàquelpointcetatelierestutile.Alorsqu’elleestsurlepointderefermerlaporte,quelqu’unlapousse.AlexKudjak.Ilporteunjeansombreetunechemiseàcarreauxblancsetnoirssousunpullvertbouteille.—Désolé,jesuisenretard.Mêmes’ilyapleindechaisesvides,ils’installesurcellequiestjusteàcôtédemoi.
—Ondiraitqu’onestofficiellementdeslosers,murmure-t-ilavantderigoler.Jerétorque:—Parlepourtoi!Montonestunpeuvache,alorsjeluiadresseunpetitsourire.Mêmesijemefouspasmalqu’ilmetrouvevache.Jesuispasséeàautrechose.L’étéestdéjàloin
derrièrenous.MmeChirazocommencesonlaïusendivisantleprocessusdecandidatureàlafacentroisparties:
lequestionnaire,lesrecommandationsetlalettredemotivation.—Lalettredemotivationestlapartielaplusimportante.C’estvotreseuleoccasiondemontrerau
conseild’admissionquivousêtesetde luiexposervosprojets.Ellevousoffreunechancedevousdémarquer,devousprésenteretdeclarifieràl’avancetouslesélémentsdevotredossierscolairequinesontpasautop.Nousallonsprincipalementnousconcentrersurcepoint.Commenoussommesenpetitcomité,jevousproposedeconstituerdesbinômes.Jesensleregardd’Alexsurmoi.Jemetourneimmédiatementdel’autrecôté,faceàGaryRotini,
quiestassisàmadroite.Malheureusement,ils’estdéjàmisavecunefilledemoncoursdesport.Jesuissurprisedelavoirici.Allezsavoir,peut-êtrequ’ilfautremplirunformulaired’inscriptionpourentreràl’écoled’esthétique.Alexposelamainsurmonépauleetlaserregentiment.—Àtontour,Kat.Raconte-moitessecretslesplussombresetlesplusenfouis.Jemeforceàdéglutir.SiseulementAlexsavaitcequej’aifaitcetteannée,ilnem’adresseraitplus
jamaislaparole.Maisbon,encoreunefois,çam’estbienégal.—Tunepourraispassupporterdelesentendre.—Danscecas,jecommence.—Tuesunenfantdechœur.Tessecretsdoiventêtresiennuyeuxquejerisquedem’endormir.Jechercheunautrebinômeautourdemoi.Alexretournesachaisefaceàmoi.—Tusais,j’aimoncôtésombre,moiaussi.Jenesuispasunenfantdechœur,loindelà.Jelèvelesyeuxauciel.—Prouve-le,danscecas.Ils’assurequepersonnenenousécoute.—Unefois,quandj’avaisseptans,j’aiessayéderoulerunepelleàmababy-sitteralorsqu’elleme
mettaitaulit.—Oh,monDieu!—Bahquoi?Elleétaitsupermignonne!Sescheveuxsentaientlegranitéàlacerise.Jemerenfoncedansmachaise.—Dis-moitoutdesuitequec’estfaux,espècedepervers,oùjeneteparleraiplusjamais!Ilposesatêtesurlatable,embarrassé.Jetendslebraspourluiébourifferlescheveux,maisjemedisqu’ilvautmieuxéviter,alorsjeretire
mamain.Jeveuxqueleschosessoientbienclairesentrenous.Jen’aipasbesoindeflirteravecAlexKudjak, même si c’est plutôt sympa. Je ne peux pas me permettre de me laisser distraire de monobjectifultime:mecasserdeJarIslandunebonnefoispourtoutes.
VIILILLIA
APRÈSLELYCÉE,Ashm’aappeléeetm’afaitculpabiliserpourm’inciteràvenirchezelle.Ellen’apasarrêtédedirequenousn’avionspaspassédetempsrienquenousdeuxdepuisuneéternité.Cequiestvrai,aupassage.Jel’aiàpeinevueendehorsdesentraînementsdecheerleaders.Imaginezdoncmasurprisequandjemesuisgaréedanssonalléeetquej’aivulaJeepdeRennie.
J’aipresquefaitdemi-tourpour rentrerchezmoi,mais jenevoulaispas fairede lapeineàAshlin.Sanscompterqu’aufonddemoi,j’espéraisqueRennieyétaitpeut-êtrepourquelquechoseetqu’ellevoulaitqu’onseréconcilie.Maislorsquej’aisonnéàlaporteetqueRennieaouvert,j’aicruqu’elleallaitmelaclaqueràla
figure.Ellenel’apasfait,maisj’aibienvuqueçaladémangeait.Nous voilà donc dans le salon d’Ash à regarder la télé et à nous faire les ongles sur les poufs
qu’elleinterditàsamèredejeter.Nousnoussommesréfugiéesiciparcequesamèren’aimepaslesvapeursdevernis;elleditqueçaluidonnelamigraine.Ashlinessayededémarreruneconversation,maispersonneneparlevraiment.Noussommestoutes
concentréessurnosongles.—Passe-moiledissolvant,ordonneRennie.Ashlinleluitendavecdévouement.Jemevernislesonglesdepiedenvertmenthe.Ashalesplusbellescouleursdenoustoutes.J’en
suisàladeuxièmecouchequandAshnousdemande:—Lesfilles,vousavezcommencéàremplirlespapiersdecandidatureàlafac?Endéchirantl’emballaged’unmini-Snickersquej’aitrouvédansmonsacàmain,jeluiréponds:—Àpeine.Ashabeauavoirlesvernislesplusclasses,ellen’ajamaisdefriandisesànousproposer.Samère
faitunrégimesansgluten.Puis,j’ajoute:—Jevaissansdoutepassertousmesweek-endsjusqu’aupremierjanvieràtravaillersurmalettre
demotivation.Ashseretourneversmoietmequestionne:—Tuas toujours l’intentionde t’inscrireà l’universitédeBoston,Lil?Parceque j’ypensemoi
aussi,enprépa.Sijesuisprise,tuveuxbienêtremacoloc?—Ouais!Onpourraitavoirdescouettesassorties,toutça!Ashestunevraiebordélique,alorsaucunechancequej’acceptedepartagermachambreavecelle.
Enplus,çam’étonneraitqu’ellesoitadmise.Maisjem’enfous,parcequeRennienousobserve, lesyeuxplissés.Cen’estpasagréabled’êtreexclue,n’est-cepas,Ren?Ashlinglapitetapplaudit.—Génial!Tupréféreraisvivresurlecampusoudansunappartàl’extérieur?C’esttropfacile.—Jepréfèrelecampus,aumoinspourlapremièreannée.Commeça,onnerisquepasdemanquer
tous les trucs sympas.Tuvoisbien, étudier tard le soir, flirter avec les garçonsdenotre couloir etcommanderdespizzasàquatreheuresdumat.Ceseraitbiendevivrecesexpériencesensemble,non?Ensuite,onpourratoujoursdéménagerducampus.Immédiatement,jemesensmesquinedetoutfairepourrendreRenniemalheureuse.J’ail’impression
d’être…Rennie.—Ettoi,Ren?demandeAshlin.Tuasterminétademanded’inscription?—Ouais.Çam’aprisdeuxsecondesmaximum.J’imagine que les procédures d’inscription à la faculté de Jar Island sont hyper simples. Je me
demandemêmesielleadûrédigerunelettredemotivation.LorsqueRennieparlaitd’alleràlafacducoin,elleétaitdépitée.Elledisaitqu’elleseraitlaseuleàêtrecoincéeici.Maisaujourd’hui,ellen’apasl’airamèredutout.Enfait,ellejubilecarrément.Alorsqu’elleappliqueladernièrecouche,lescheveuxdanslesyeux,elleannonce:—Encemoment,jenevoispasl’intérêtpourmoidem’inscrireàlafacpourquatreans.Reeveet
moi,onnesaurapasoùilvajouertantquesajambeneserapasguérie,etilareprislespourparlersaveclesrecruteurs.(J’aienviededire«Sansparlerdufaitquetesnotessontpourriesetquetun’aspasd’argentpouralleràl’université»,maisjememordslalangue.)JevaisfaireunsemestreàJarIsland,obtenirseulementdesA,puismefairetransférerlàoùilseretrouvera.Ashlinclaironne:—Reeveet toi,vousallezvousmarier.Tu luiassauvé lavieen l’aidantàsurmonter toutecette
tragédie.Une tragédie?Un tsunamiquidévasteunvillageentier,ça,c’estune tragédie.Reeven’estqu’un
athlètesanscervellequis’estcassélajambe.Ils’enremettra.—Ilferait lamêmechosepourmoi,fanfaronneRennie.(Jesuisstupéfaitequ’ellearriveàgarder
sonsérieuxendisantça.CommesiReevepouvaitleverlepetitdoigtpourquelqu’und’autrequelui!)
Oh,maintenantqu’onenparle,jevaissécherl’entraînementlerestedelasemaine.Reeveaquelquesrendez-vous sur le continent avecunmédecindu sport. (Elle se sourit à elle-même, ravie.) Il va sefaireenleversonplâtredemain,pilecommeprévu.Jeredresselatête.—Maispourquoitudevraismanquerl’entraînementpourça?Renniem’ignoreetdemande:—Ash,tupeuxt’encharger?Ashlinjetteunregardgênédansmadirection.—Biensûr.JepeuxlefaireavecLil.N’est-cepas,Lil?Incrédule,jelaquestionne:—Tuvasquitterl’équipeouquoi?—Non,jenevaispasquitterl’équipe,cracheRennie.Cen’estpascequej’aidit.—Saufquetuasdéjàmanquétroisentraînementsaumoins.Mavoixtrembleunpeu,parcequej’aipeur.Jesuisentraindeluidémontrerqu’elleneraconteque
desconneries,pourunefois.LesjouesdeRennies’enflamment.—Lorsquej’aiacceptédesoutenirReeve,jemesuisengagéepourtoutelasaison.Jenevaispas
l’abandonnermaintenant.C’estridicule.Jemelèvebrusquement.—Jevaismechercherunsoda.Sansmeregarder,Rennieannonce:—Pourmoi,ceseraunCocalightsansglaçons.Commesij’étaisserveuseetqu’ellepassaitcommande.Ashseredresseégalement.—Jevaist’aider,Lil.J’aiplanquédelacrèmeglacéederrièrelesesquimauxaulaitdesojadema
mère.Elledoitencoreyêtre,simonpèrenel’apasdéjàtrouvée.Dèsquenoussommesdanslacuisine,àl’abridesoreillesindiscrètes,jemedirigeverslefrigo,en
sorsdeuxcanettesdeCocalight,puislanceàAsh:—J’auraisaiméquetumedisesqueRennieseraitlà,elleaussi.—Maistuneseraispasvenue,pleurniche-t-elle.—Exact.Ashs’assoitd’unbondsurl’îlotcentral.—Jedétestequandvousvousfaiteslagueule.C’estpourçaquejevousaiinvitéestouteslesdeux
icicesoir.Jesaisqu’ellenelepensepas.Ashadoreplusquetoutjouerlesentremetteuses.—Onnesefaitmêmepaslagueule.C’estRenniequim’enveutàmortetmefaitpayerpouruntruc
dontjenesuispasresponsable.—Jesaisquetuluimanques,argumenteAshlin.
Unelueurd’espoirjaillitenmoi.—Elletel’adit?—Pasencestermes,maisj’ensuissûre.Mouais.Jeprendsunegorgéedesoda.—Reeveetelle,ilssontensemblemaintenant?—Onpeutdireça.Ellel’aimeàlavieàlamort,tuvoiscequejeveuxdire?Jepensequec’est
l’accidentquiafaitcomprendreàReevequ’elleatoujoursétélàpourluitoutescesannées.—Jesuiscontentepourelle.Et je le pense vraiment. Si Rennie et Reeve sont officiellement en couple désormais, peut-être
qu’ellevafinirparoubliercequis’estpassélesoirdubaletqueleschosesvontredevenircommeavant.Lemoinsqu’onpuissedire,c’estqu’ilsseméritentl’unl’autre.
VIIIMARY
ONESTLUNDIaprès-midietjesuisencoursdechimie,entraindetravaillersuruneexpérienceavecmongroupe.Lesdeuxgarçonsfontleplusgrosduboulot,tandisquel’autrefilleetmoiprenonsnotedesrésultatsdansnoscahiers.Cetarrangementmeconvient;jen’aijamaisététrèsbonneensciences.Nous sommes debout autour d’une table à attendre que le mélange arrive à ébullition, lorsquej’interceptelaconversationdedeuxfillesderrièremoi.L’uned’ellesseplaint:—Jesuisàçade laisser tomber l’albumdu lycée.Toutcequ’onnousadonnéà faire,c’estdes
photomontagesdespremièreannée.Jenepensaispasdutoutqu’onseraitcantonnéesàça.Immédiatement,jemedisquel’albumestlegenredechosesdontKatm’aparlé.Ilfautquejeme
bouge et que je contribue àmon propre bonheur. J’ai passé de nombreuses journées, des journéesentièresàl’écoleenprésencedeReevesansenêtreaffectée.Etjen’aieuaucunproblèmeavecmes…euh…problèmes.Enplus,j’adorelesphotomontages.J’enfaisaistoutletempsquandj’étaisgamine.Jenejetaisjamaisunmagazinesansavoirdécoupé
lesplusbellesimagesaupréalable.Jepassaisdesheuresàlesarrangercommedespiècesdepuzzle;ensuite,jelescollaissurunmorceaudecartonquej’accrochaisdansmachambre.NousnelesavonspasemmenésenquittantJarIsland.Jen’étaispasd’humeuràfairemesvalises,évidemment,alorsj’ailaisséMaman et Papa s’en occuper. Jeme demande s’ils les ont jetés ou s’ils sont encore dans legarage,quelquepart.Jedessinedescerclessurmoncahieretcontinued’écouter.—Jesais,ditl’autrefilleavecunsoupirquifaitvacillerlaflammedesonbecBunsen.Maisilfaut
qu’onaille jusqu’aubout sionveutavoirunechanced’être rédac-chefun jour.Tusaiscommentçamarche.C’estjustepolitique.
Lecomitédel’albumdulycée.Voilà.Jevaisrejoindrelecomitédel’albumdulycée.Après les cours, je rangemes cahiers dansmon sac etme dirige vers le bureau des conseillers
pédagogiquespourdemanderoùetquandontlieulesréunionsducomité.Jemeretrouveàdéchiffrerunprospectusplacardésurlepanneaud’affichage,endehorsdesbureaux.Sousl’imaged’unappareilphoto s’étalent les mots « L’album du lycée, ça flashe ! Rendez-vous tous les lundis à labibliothèque!»Justement,onestlundi.J’aidelachance,commes’ils’agissaitd’unheureuxhasard.Ceseraitbien,
medis-je,d’avoirunclubàcitersurmescandidaturesàl’universitél’annéeprochaine.LilliaetKatn’arrêtent pas de parler des inscriptions ces derniers temps, et elles m’ont carrément incitée à mepréoccuperdemonavenir.Cen’estpas si loin, franchement. J’aidéjà fait presque lamoitié dematroisièmeannée.Ilfautquejecommenceàréfléchiràcequejevoudraisfairedanslavie.Mamèrem’aditqu’elle
avaitvouluêtrearchivistelejouroù,petitefille,elleavaitdécouvertunevieillepilededocumentssurlafamilleZaneplanquésdanslegrenier.Elle lesavait triéset rangésdansunclasseurspécialentredesfeuillesdepapierdesoie,etellen’avaitqueseptansàl’époque.Selon cette logique, je suis sans doute destinée à devenir vétérinaire. C’est ce que j’ai toujours
vouluêtre.Unjour,l’écoleMontessoriaorganiséunesortieauzooetj’aipuregarderunvétérinaireadministrerdesantibiotiquesàunbébépingouinmalade.C’était génial.Après ça, j’ai joué auvétoavecmes peluches, leur faisant des piqûres et entourant leurs pattes avec des bandages que j’avaistrouvésdansnotrearmoireàpharmacie.J’hésiteàappelertanteBettepourluidirequejevaisrentrertard,maisfinalement,jemeravise.Je
n’ai pas besoinqu’ellemedemande où je suis et ce que je fais. Sans rire, elle commence dès quej’arrivedel’école.Alorsquej’aitraversélamoitiédelacour,quelqu’unmanquedemefairetomberàlarenverse.Reeve.Jeparviensàm’écarterdesoncheminauderniermoment.Heureusement,ilnemevoitpas.Enfait,
ilnesemblemêmepasremarquerlesgensquil’évitenttandisqu’ilsehâtesursesbéquilles.Lefrontplissé,ilesttropoccupéàbraillerdanssonportable,qu’ilacaléentresonoreilleetsonépauleparcequ’ilnepeutpasseservirdesesmains.Pasavecsesbéquilles.Uneseulechoses’estaméliorée:songrosplâtreblancadisparu.Désormais,ilporteuntrucnoir
avecdesbandesenVelcro.Jecroisqueças’appelleuneattelle.Jefinisparlesuivre.Involontairement.Ilmarchejustedanslamêmedirectionquemoi.Mêmes’il
estloindevant,j’entendscequ’ildit.—Jen’arrêtepasderépéteràcemecquejepeuxenfaireplus,Ren,luijette-t-ilavecrage.Ouais,
ehbien,s’ilnepeutpass’adapterànotreprogrammedèsaujourd’hui,ilestviré.Jem’occuperaidemarééducmoi-même.J’aipresqueunesemainederetardparrapportànotreplanning.Reeve s’immobilise brusquement devant le grillage qui court le long du terrain de foot.
L’entraînement est en cours. L’équipe forme un grand cercle au centre du terrain. Les joueurss’échauffentensembleenfrappantenrythmedansleursmainsàchaquefoisqu’ilschangentdeposition.Alexestaumilieu.Jemedemandes’ilestlecapitainedésormais.Aucundesgarsne remarquequeReeve lesobserve. Ilsne levoientpasnonplus repartir. Jeme
répète:N’aiepaspitiédelui.N’éprouverienpourlui.
Reevequittel’alléeetsedirigeverslapiscine.Unhommesetientprèsdelaporte,untypeplusâgéencoupe-vent.Jenepensepasqu’ils’agissed’unprofdulycée;jenel’aijamaisvujusqu’ici.Ilporteunbloc-notesetunsacdesportenbandoulière.—Salut,Reeve!Alors,prêtàbosser?Après lui avoir tapé dans le dos, l’homme tente d’attraper la poignée de la porte et de la tenir
ouvertepourReeve.Cedernierluiadresseunregardglacial.—Jesuistoujoursprêtàbosser.Etvous?
***LECOMITÉDE l’albumdu lycéeestunclub trèspopulaire,surtoutauprèsdes filles.Sansdouteparcequ’en faisant partie du comité, on peut éviter la publication de photos sur lesquelles on se trouvemoche.C’estunavantage.Labibliothèqueestremplied’élèvesassisenpetitsgroupes,quivaquentàleurs occupations. Certains trient les fiches de contact, d’autres se chargent de la mise en page.D’autresencoreétudientlespossibilitésdecouvertureetcalculentlescoûtsparpersonne.Ily aquelquesgarçonségalement. J’ai comme l’impressionqu’ils s’intéressent surtout à l’aspect
technologique, parce qu’ils ont déjà réquisitionné les ordinateurs. La plupart des filles sont deboutderrièreeuxetindiquentàquelendroitellesveulentinsérerleséléments.J’aperçoislesfillesdemoncoursdechimiequipartagentunechaise,lessourcilsfroncés,occupées
à trier des piles de photos couleur. Elles pointent le doigt sur certaines, se moquent et font desgrimaces.—Onn’aqu’àgardercelle-cideCarrieentraind’éternuer,proposel’uned’elles.J’espèrequeces fillesvontquitter lecomité.Elles sontvraimentméchantes.Si j’ai lachancede
travaillersurdesmontages,jem’assureraidenelaisserpasseraucunephotopeuflatteusedequiquecesoit.Mêmedespersonnesquejen’aimepas.Toutefois, je trouve intimidant que chacun ait déjà une tâche attitrée. Qu’est-ce qu’une nouvelle
venuecommemoiestcenséefaire?Jem’appuiecontreunrayonnageprèsdufonddelasalleetessayede réfléchir à ce que je pourrais bien dire quandM. Kraus, le conseiller, arrivera et commenceraofficiellementlaréunion.Jedevraisprobablementmeprésenter,peut-êtreluiparlerdemonexpérienceen matière de photomontages, si on peut appeler ça comme ça. Si seulement je savais utiliser lesappareilsphotonumériquessophistiquésdel’écolequemescamaradessepassentàtraverslasalle,jepourraisaideravecçaégalement.Peut-êtrequ’ilproposedescoursàcesujet.Aprèsmoi,d’autresélèvesarriventaucompte-gouttesdanslabibliothèque,notammentNadiaCho.
Elleportesatenued’entraînementdecheerleaderetseposteprèsdelaporte,commesiellen’étaitpasenmesurederesterbienlongtemps.J’aimebienNadia.Elle a l’airdouce, commeuneLillia enplus jeune,mais avecdeplusgrands
yeuxetdestachesderousseur.J’envisage de m’approcher d’elle pour la saluer, car nous n’avons jamais été officiellement
présentées.MaisRennieentrederrièreelle.Elleneportepassatenued’entraînement.Oh,monDieu!Aurait-ellequittél’équipemaintenantqueReevenejoueplus?Jepeuxtrèsbienmel’imaginerfaireça.RennieserreNadiadanssesbras.Legesteestaffectueuxetdurequelqueslonguessecondes,alors
qu’habituellement, les filles du lycée ne s’étreignent pas aussi longtemps. Rennie recule un peu etébouriffelafrangedeNadiaenluidisantquelquechosequejenepeuxpasentendre.NadiasouritàRennieethochemalicieusementlatête.Puis,elleluitendunecartemémoireetbondithorsdelapièce.Au centre équestre, Lillia nous a expliqué, àKat etmoi, à quel point ses relations avec Rennie
étaient étranges et tendues depuis le bal des étudiants. Je me mords la lèvre inférieure. Je suiscontrariéedevoirNadiasiprochedeRennie.Ellen’apasunebonneinfluence.Vraimentpas.Enplus,LilliaestlagrandesœurdeNadia;elledevraitluiêtreloyaleplutôtqu’àRennie.M.Krausentredanslapièce.Ilestprofd’artsplastiques,etilestdonclogiquequel’albumdulycée
soitplacésoussaresponsabilité.—Trèsbien,écoutez-moi,voustous!(Lecalmes’installe,maisseulementpartiellement.Laplupart
desélèvescontinuentdediscuter.)Nousavonsbesoindelapagesurlebaldesétudiantscettesemaine,ainsiquedecellessurlesclubsdelanguesetlesactivitéssportivesd’automne.(Ilscrutebrièvementlapièce.)Sivousêtesnouveauounouvelle,trouvezquelqu’unquevouspourrezaidersursonprojet.Ensuite,ildisparaîtdanssonbureauetfermelaporte.Bon,d’accord.Ondiraitbienquelaréalisationdel’albumdulycéeestl’affairedesélèvesplusque
desprofs.Jemefaufilejusqu’àquelquesfillesquitéléchargentdirectementdesphotosdepuisleursappareils,
enespérantpouvoirglanerquelquesinfos.Jemeretrouveàunendroitd’oùjepeuxentendreRennie,quitravaillesurl’articledubaldesétudiantsavecuneautrefille.—Onarécupéréd’autresphotosdubaldesétudiantsaujourd’hui,annonceRennieenluitendantsa
cartemémoire.L’autrefillegardelesyeuxrivéssurl’écrandel’ordinateur.—Çam’étonneraitqu’onenaitbesoin.Tuasrassembléplusdephotosdubalquedesélèvesde
dernièreannée.L’articlenefaitqu’unepage.—Ondoitveilleràsélectionnerl’imageparfaite,insistesèchementRennie.—Jepensequec’estdéjàlecas,ditlafilleensouriant.EllecliquesurlasourisetafficheunephotodeLilliaetReevedansantsurlascène.Illatientserrée
contreluietlacontempleavecungrandsourire.Ça,c’étaitavantqu’ilmevoie.Avantquejedevienne…folle.Jemeforceàdétournerleregard.Lafilletapotesurl’écranaveclapointedesoncrayonetdéclare:—Jeproposedebâtirtoutelapageautourdecettephoto.Rennie secoue la tête, saisit la souris et clique sur une autre image, qui représente tous les
participantsàl’élection.— Celle-ci est meilleure. Mais franchement, nous devrions attendre d’avoir récupéré toutes les
photosavantdefairenotrechoixdéfinitif.Ondoittoutéplucher.—Maislaphotoquetuveuxnemontrepasleroietlareinedubal!Rennieseretournepourfairefaceàlafille.—Tutefichesdemoi?Taphotovarappelerl’accidentàtoutlemonde,O.K.?Çavaréveillerde
mauvais souvenirs. (Pour la première fois, je suis d’accord avec Rennie. En fait, je préférerais
qu’ellessupprimentcarrémentcettepage.)SanscompterqueceseraitmanquerderespectàReeve.D’unairdedéfi,l’autrefillerétorque:—Jusqu’ici,onatoujoursprésentéaumoinsunephotoduroietdelareinedansl’album.Rennielafusilleduregard,puisprendunevoixdouce,enluifaisantsignedeserapprocher.—Écoute,jenevoulaispasenparlerparcequecen’estpasencoreofficiel,maisletitredereinedu
baldesétudiantsestenquelquesortecontesté.LacoachChristyenvisagederecompterlesvoix.Danscecas,autantnepaschoisirdephotoavantd’enêtresûres,tunecroispas?Lafillehochelatête,lesyeuxécarquillés.—O.K.,murmure-t-elle.Là,c’estunetoutautrehistoire.Jesensmoncœurseserrer.LacoachChristyaurait-elledécouvertqueKatetmoisommesentrées
endoucedanssonbureaupourfausserlesrésultatsdel’élection?Non.Impossible.Onafaitattention.Nousn’avonslaisséaucunetrace.Jem’assois près d’un groupe d’élèves qui votent pour choisir les prix spéciaux à décerner cette
année.Leplusbeauoulaplusbelle,leoulapluspopulaire,leplusoulaplusathlétique.JemeforceàpenseràunautregarçonqueReevepourchaquecatégorie.
APRÈS LA RÉUNION, alors que je suis sur le chemin du retour, j’entends un coup de sifflet stridentprovenantdelapiscine.Reeveest-ilencorelà-bas?Mêmesijesaisquecen’estprobablementpasunebonneidée,jenepeuxpasm’empêcherdefairemacurieuse.Reeveseremet-ilrapidement?A-t-ilunechancededécrocherunebourseaprèstout?Jemeglissefurtivementàl’intérieuretl’observe.Reeveestdanslebassin,encaleçondebain.Sa
grosseattellenoireestposéedanslesgradins.L’hommeestassisàcôtédelapiscine,lesjambesdansl’eau.Iln’estpasenmaillot.Ilporteunpantalondejoggingrouléjusqu’auxgenoux.—Trèsbien,Reeve,maintenantjeveuxquetutetiennesaubordetquetuplieslesjambescomme
unegrenouilleparsériesdequinzesecondespendantlestroisprochainesminutes.(Ilasonsiffletàlabouche.)Prêt…(Reevepousseungrognement.)Saufsitunetesenspascapabledelefaire,letaquine-t-il.Reeveprendlamoucheetrépliquesèchement:—Évidemmentquejepeuxlefaire,c’estpasça,leproblème.—C’estquoi,danscecas?Reeveboutintérieurement.—Leproblème,c’estquejepeuxfairedessériesdesoixantesecondes.—Etalors?—Etalors,pourquoiest-cequ’onn’estpasàlasalledemuscuàmefairecourirsuruntapis?L’hommeclignedesyeuxplusieursfois.—Tun’espasencoreprêtpourlasalle,mongars.C’estpourçaquetuportesencoreuneattelle.Tu
forcestropencemoment.—Vousn’ensavezrien.Vousn’avezmêmepasessayédemepousser.Faites-moiconfiance.Jepeux
enfairebeaucoupplus.
—Fiston,tudoisacceptertablessureetnonluttercontreelle.Ilvatefalloirunmomentpourguérir.Reeve se redresse et sort le torse du bassin. Même s’il dégouline et frissonne, ses joues sont
écarlates.—J’aitrouvéunarticleenligneàproposd’untypequis’estcassélepéroné,etcinqsemainesplus
tard,ilcouraitcommeunlapin.C’estcementaldeguerrierquej’attendsdevous.Ilfautvraimentquevousmepoussiezaumaximum.L’hommesoupire.—Écoute,Reeve.Iln’yaaucunechancequeturetournessurleterraincettesaison.Jeveuxquetute
sortesçadelatête.Reeveseraiditentièrement.—Jesaisque jenevaispas jouercettesaison!Mais lesstagesderecrutementpour l’université
commencent en février, mec. Il faut absolument que j’y participe. Si je ne joue pas au foot, je nepourraipasfaired’études.Findel’histoire.Letypeposecalmementsonbloc-notesetcroiselesmainssursesgenoux.—Ilyatoutunprocessusàsuivre,Reeve.Uneétapeàlafois.Situpeuxyaller,tantmieux.Maistu
doisaussiteprépareràl’éventualitédenepasyarriver.Reeverecule,puissecouelatête,commepouressayerd’oubliercequ’ilvientd’entendre.—Voussavezquoi?Jevaismedébrouillertoutseul.—Reeve…—Vousêtessourd,ouquoi?Vousêtesviré.Jen’aipasbesoindevosservices.Reevesehissehorsdel’eau.Iltentedes’appuyersursajambe,maisn’yarrivepasetseretrouve
doncàsautilleràcloche-piedjusqu’àsaserviette,enjurantdanssabarbe.Navré,lekinéramassesesaffaires,sortdelapiscineetpassedevantmoidanslecouloir.Reeveresteassissurlebancencoreunmoment;desflaquesd’eauseformentsurlesolenbéton.Je
medisqu’ilvabaisserlesbrasetrentrerchezlui,maisaulieudecela,ilretournedansl’eauetsemetenpositiondanslepetitbain.Ilfaitlagrenouillecommelekinéleluiademandé,maissanss’arrêterpendantuneminute.Ensuite,ilenchaînecinqsériessupplémentaires.C’estdinguecommeonseressemble.Touslesdeux,onfaitnotrepossiblepourtirerdupositifde
quelquechosedetrèsnégatif.
IXLILLIA
LESOIRD’HALLOWEEN, lachasseauxbonbonsse résumeàpeudechosesà Jar Island. Ilya tropdecoins déserts sur l’île, de maisons de vacances vides dès la fin de l’été. Pour y pallier, l’écoleprimaireorganiseun«Halloweenalternatif»baptisélaFêtedel’automne.Aprèslescours,lesenfantsrentrent chez eux, enfilent leurs costumes, puis regagnent l’école qui a été entièrement parée dedécorations effrayantes pour l’occasion. On peut y faire tout un tas d’activités rigolotes, commeattraperunepommeavec lesdentsdansun seaud’eau, semaquiller levisageet se lancerdansunechasseautrésor,avecdesfriandisesàlaclé.Officiellement,c’estl’associationparents-professeursdel’écoleélémentairequis’occupedetout,maiselleesttoujoursenrelationavecundernièreannéedulycéequisechargedetrouverdesélèvespourtenirlesstandsetfileruncoupdemain.Cetteannée,c’estmoiquim’ycolle.Rennieétait supposée le faireavecmoi,maisune foisque les réunionsdepréparationontcommencé,elleamislesvoiles.Onestvendredi,etnoussommesassisànotretablepourledéjeuner.AshlinsupplieRenniedelui
direenquoielleseradéguisée.—Allez,Rennie,tuconnaisdéjàmoncostume!Renniesecouelatêted’unairsuffisant.—Ilvafalloirquetupatientes!Jeremuemonyaourtà l’aided’unecuillère.Jesuis tropstresséepar l’organisationde laFêtede
l’automnepouravoir faim.J’aiétablima listedechosesà faireet j’aiencore toutun tasde trucsàfinaliser.Ilmeresteaujourd’hui,ceweek-end,etdeuxjourslasemaineprochainepourtoutmettreenplace.J’attendstoujoursdesavoircombiendecupcakesleMilkyMorningaprévudenousdonner.Enplus,Sutton’srisquedenepasoffrirautantdebonbonsqued’habitudecetteannée,alorsilmefautunplanBs’ilsnerépondentpasàmesattentes.Maispourlemoment,monplusgrosproblème,c’estquejen’aipasassezdevolontairespourtenir
lesstands.Nadiaetsesamiss’occupentdelachasseautrésor,etlesélèvesducoursdethéâtrevontliredeshistoiresd’épouvante,maisj’aiencorebesoindejuréspourleconcoursdecostumes.Etpuis,ilyalestanddemaquillage.Depuis notre première année,Rennie etmoi le tenons à chaque Fête de l’automne.On peint des
papillons,desétoilesetdesrayuresdetigresurlevisagedespetits.Çaatoujourséténotretruc.Çadevraitnousdonneruneoccasionidéaledediscuter,loind’Ashlin,deReeveetdetouslesautres.JusteRennieetmoi,commeaubonvieuxtemps.Jeprendsuneprofondeinspirationetluidemande:—Ons’occupetoujoursdustanddemaquillage,pasvrai?Renniefaitlagrimace.—Jepensequejenevaispaspouvoirlefaire,désolée.Saufqu’ellen’apasl’airdésoléedutout.—Pasdesouci,dis-jeenessayantdemasquermadéception.Jen’auraispasdûcomptersurelle.— J’ai besoin de temps pour enfiler mon costume, se justifie Rennie. La Fête de l’automne
commenceàquoi,dix-septheures ?Et elle termine à vingt heures ? Je n’aurai pas assezde temps,mêmeenmedépêchantderentreràlamaisonaprèslescours.(Ellehausselesépaules.)Enplus,onestplusieursàpasserboirequelquesverreschezAshavantlelabyrinthehanté.Quoi?ToutlemondeseretrouvepourpicolerchezAshlin,etpersonnenem’aavertie?Jetourne
brusquementlatêtepourregarderAsh,quiestsoudainconcentréesursasalade.—Est-cequeçaveutdirequetunevaspastenirlestanddeplouf avecDerek?Cachéederrière
sescheveux,ellemeréponddoucement:—Non…Désolée,Lil.Renapiquédurhumépicéauboulot,etelleatrouvéunesuperrecettede
cocktailqu’onpeutpréparerenyajoutantducidre.Tudevraisvenir,toiaussi!Excédée,jem’écrie:—Etcommentjepourrais?Jesuiscenséesuperviserlafête,etvousaviezditquevousm’aideriez!—Jesuisvraiment,vraimentdésolée,s’excuseAshlinenbattantdescils,l’aircontrite.Àl’autreboutdelatable,Alexmelance:—Lil,jeserailà,moi.—MerciAlex.Puis,enhaussantlavoix,j’ajoute:—Çafaitdubiendesavoirquejepeuxcomptersurquelqu’un.—Pardonne-moi,Lil,insisteAshlinenfaisantlamoue.Danssabarbe,Reevemarmonne:—Pourquoiest-cequetut’excuses?Situnepeuxpas,tunepeuxpas,c’esttout.Je jetteun regardnoir àReeve.Ces troisdernières années, il s’est pointédéguisé en Jasondans
vendredi13.Lorsquenousétionsenpremièreannée,lesfillesdedernièreannéeluiavaientdemandédelefaire,etc’estdevenuunesortedetraditionàJarIsland.Reeveporteunmasquedehockeyblancetpoursuitlesenfantspartout,arméd’unetronçonneuse.Lesenfantsadorentça.Enfait, ils l’adorent
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lui.Jeluiaidemandéderecommenceràplusieursreprises,maisilarefusé.Bon,d’accord, iladesbéquilles,maisilpourraitaumoinsfaireuneapparitionavecsondéguisement.Jelesmetsengarde:—SilaFêtedel’automneestunfiascocetteannée,ceseradenotrefaute.—Tuveuxdirequeceseradelatienne,mecorrigeReeve.Jelefusilleduregard.—Non,denoustous.Etplusparticulièrementdelatienne.Tusaisquelesgaminsadorenttevoiren
Jason.Jenepigepaspourquoitune…—Qu’est-cequetunepigespas?enrageReeveenpointantsesbéquillesdudoigt.— Et comment il est censé courir après les gosses autour du gymnase avec ses béquilles ? me
demandeRennieavantdepousserungrognement.Ehoh,allôlaTerre!D’unevoixtremblante,jeproteste:—Ils’entraînetouslesjours!RenniesepencheversReevepourdire:—Ouais,àlapiscineetàlasalledemuscu!Ilnepeutpasposerlepiedparterre,Lillia.Neparle
pasdecequetunecomprendspas.Reeve pose lamain sur l’épaule deRennie.Elle se détend et se rassoit au fond de sa chaise en
secouantlatête,dégoûtée.Ensuite,ellemetourneledosetseremetàparlerdesondéguisement.C’estlàquejecomprends.Renniel’afaitexprès.Elles’estdébrouilléepourquetoutlemondeme
laisseenplan.ElleaconvaincuAshlind’inviterdumondechezelle,parcequ’elle savaitque jenepourraispasvenir.Je comprends enfin ce qui se tramait juste sousmon nez.Rennie n’est pas en colère contremoi.
C’est juste qu’elle ne veut plus être mon amie. Elle en a officiellement terminé avec moi, et parconséquent,ellevas’assurerquetouslesautresfassentcommeelle.Combiendefoisl’ai-jedéjàvuesecomporterainsietexclurequelqu’undugroupeparcequ’elleluienvoulaitpouruneraisonouuneautre?J’aidéjàassistéàcegenredescènessansriendire,parcequej’avaispeur,etquec’étaitplussimplecommeça.Jen’auraisjamaispenséquej’allaisypasserunjour,moiaussi.Alexbalayelegroupeduregard,incrédule.—Vousêtessérieux?Vousn’allezpasaiderLillesoirdelafête?(Commepersonnenerépond,il
jettesafourchettesursonplateau.)Franchement,vouscraignez.Lil,qu’est-cequejepeuxfaire?Dis-moienquoijepeuxt’aider.Latêtebaissée,jerassemblemesaffairesaussivitequepossible.D’unevoixcalme,jeproposeàAlex:—Situasdutempsceweek-end,tupourraispasserchezmoietm’aideràpréparerlessachetsde
bonbonspourlesrécompenses?—Jepasseraicesoir,directementaprèsl’entraînement,annonce-t-ild’unevoixtrèsforteenfixant
touslesautres.Puis,ilseretourneetplaisante:—Maisnet’inquiètepas,jeprendraiunedoucheavant.
Savannem’arracheunsourire.—Tuasintérêt.Ensuite,jefilejusqu’auparkingetpleuredansmavoiture.Alors,c’estcommeçaquenotrehistoire
setermine,aprèstoutcequeRennieetmoiavonsvécuensemble.
NADIA,ALEXETmoi travaillonsà lachaînedans lasalleàmanger.Nadias’occupedesM&M’s,desfrites et des Snickers, Alex des boules de chewing-gum, des bouteilles de coca acidulées et desMentos,etmoidesDragibusetdessucettes.Enplus,jefermelessachetsavecunbeauruban.C’estlevendredisoirleplusennuyeuxdetoutemavie,maisjesuisraviedemedébarrasserdecettecorvée.J’ensoulèveunpourl’inspecter:—Vousn’avezpasl’impressionqu’ilmanqueunpeudebonbonsdanscelui-ci?—Alexn’apasmisassezdeboulesdechewing-gum,ledénonceNadia.—Salecafteuse,plaisante-t-ilenluienvoyantunpetitcoupdecoudedanslescôtes.Ilesttrèsbien
commeça.Je rendsserviceaugaminqui le récupérera, ilauramoinsdecaries.Enplus, tuasdéjàfermélesachet,Lil.—Ouais,jesais.(Jememordslalèvreensoupesantlesachetaucreuxdemamain.)Jenevoudrais
pasquelesgaminssesententlésés.— Peut-être qu’on devrait ouvrir les rouleaux de Mentos pour donner plus de volume, suggère
Nadia.J’applaudis.—Superidée!AlexmetapedanslamainetNadianoussourit.—Alex,tut’enoccupes.Ilconfirmemesordresd’unsalutmilitaire.—Au fait, j’ai parlé àmamère, et elle a dit qu’elle allait appeler Joy ce soir, annonce-t-il en
ouvrantdélicatementunsachetdebonbons.Sescheveuxsontencorehumidesaprèssadouche.Ilestvraimentvenudirectement.—C’estqui,Joy?serenseigneNadia.—L’unedespropriétairesduMilkyMorning,préciseAlex.Mamèrelaconnaît,ellesfréquententle
mêmeclubdelecture.Elleditqu’ellepeutlaconvaincredet’offrirautantdecupcakesquenécessaire.Ilmetendunautrepaquet.Soudain,jeressenstellementdereconnaissance,d’amouretd’amitiépourAlexquejen’enreviens
pasmoi-même.Jenesaispascequej’auraisfaitsansluiaujourd’hui.—T’eslemeilleur,Skud.Alexhausselesépaulesd’unairgêné.—C’estrien.(Puis,ilpointeledoigtversmoi.)Eh,turalentislachaîne!Aprèssondépart,Nadiam’aideàtoutnettoyeretàrangerlerestedebonbons.Sansmeregarder,
ellemeconfie:
—Alext’aimebeaucoup,tusais.J’ouvre la bouche pour prétendre le contraire,mais jem’arrête. Je ne peux pasmentir àNadia.
Alors,jemecontentederépliquer:—Onestamis.Nadialèvelesyeuxaucieldemanièrethéâtrale.—Ettoi?—Quoi,moi?—Tul’aimesaussi?Jevoisbienqu’elleestunpeupeinée,maiselleessayesurtoutdesedonnerunairdétaché.J’enaile
cœurbrisé.Jel’interroge:—Ettoi,tul’aimes?Unsilences’ensuit,pendantqu’elleréfléchitàcequ’ellevadire.—Non,merépond-elle.Ilestgentil,trèsgentilmême.Maisjenel’aimeplusautantqu’avant.J’ai
étéamoureusedelui,l’espaced’uneseconde.Je tends le bras et caresse les cheveuxdeNadia. Ils sont doux, commeceuxd’unbébé.Elleme
laissefaireuninstantavantdesedégagerenmedemandant:—Soissympaaveclui,tuveux?Neluifaispasdemal.—Biensûr,Nadi.Dansmatête,j’ajoutePlusjamais.Jem’enfaislapromesse.
1Attractiondefoireconstituéed’unecuved’eausurmontéed’unetrappedontl’ouvertures’actionnelorsqu’untireuratteintlacible.Appelédunkboothoudunktank enanglais(NdT).
XMARY
AUJOURD’HUI,DANSLEhalldulycée,Lilliam’aexpliquéqu’elleavaitdemandéàquelques-unsdesesamisdel’aideràdéménagerlasonoetàlatransporterenvoiturejusqu’àl’écoleprimaire.Cesoiralieu la Fête de l’automne, l’événement qu’elle organise pour les petits. Mais ils avaient tousentraînement.—Etbiensûr,Reeveafaitminedenepasm’entendre.J’aisecouélatête.—Biensûrqu’ilt’aentendu.Lilliaétaitauborddeslarmes.—ÇavameprendredesplombesdechargermonAuditouteseule.—Maisnon,Lil,jevaist’aider!LevisagedeLillias’estilluminé.—Mercibeaucoup,Mary.Jemeretrouvedoncàcourirjusqu’àl’entréedeservice,prèsduthéâtre.Jenesuispastrèsforte,
maisàdeux,çadevraitdéjàêtreunpeuplusrapide.Au lieudemefrayeruncheminaumilieudesélèvesquisortentde l’école, jecoupeà travers le
parkingdederrière.C’estlàquejevoisle4x4d’Alexgaréàcôtédel’entréedeservice,justederrièrel’AudideLillia.IlestentraindesortirdescartonsducoffredelavoituredeLilliapourleschargerdanslasienne.Laporteestouverte,etLilliasortdubâtiment,vêtued’unmanteauivoire,unelongueécharpeenrouléeautourducou,avecungroscartonquiladéséquilibre.Alexseprécipitepourl’aider.—Alex,dit-elleenlevantlesyeux.Oh,monDieu.J’hésiteàavanceretobservelascène.
Alexluiprendlecartondesmains.—AttendsLil,tunevoudraispassalirtonmanteau,quandmême.—Jeletiens,insiste-t-elle,etalorsqu’ilessayedel’attraper,ilsrienttouslesdeuxparcequ’elle
manquedelelaissertomber.Ilfautquetufilesàl’entraînement.—Donne-le-moi,dit-ild’unevoixdouce.Lillia finit par lâcher son carton.Alex semble surpris par son poids. Il lui échappe presque des
mains,maisilresserresapriseauderniermoment.Pendantcetemps,Lilliascruteleparking.Jem’avanceetluisouris,maiselleagitelamain,commesijen’avaispasbesoind’intervenir.—Merci,dit-elle,lesoufflecourt,quandAlexlèvelatête.Iln’enresteplusquetroisàl’intérieur.Elles’apprêteàentrerdanslethéâtre,maisAlexl’arrête.—Attends-moiici,jevaisleschercher.Lillias’adosseàsavoiture.Levents’estlevé,etsescheveuxluibalayentlevisage.—Jeterevaudraiça,Skud!lance-t-elle.Mercibeaucoup!Jesuissurlepointderepartir,quandjelerepèresoudain:àenvironquatreoucinqmètresdemoi,
Reeveestauvolantdesacamionnette.Illesavus,luiaussi.Avecunairrenfrogné,ilpasselamarchearrière.Ilestpartiavantmêmequ’ilsl’aientremarqué.
LORSQUE JERENTRE chezmoi, laVolvo de tanteBette n’est plus dans l’allée.Même si je rechigne àl’avouer,jemesenssoulagée.J’aimeraispouvoirraconteràquelqu’unàquelpointlecomportementdetanteBetteestétrangeen
cemoment.J’ail’intentiond’endiscuteravecmesparents,maisl’idéemefaitpeur.TanteBetteestlasœurdemamère,aprèstout.JeneveuxpasqueMamansemetteencolère,niqu’ellesoumettetanteBetteàuninterrogatoirepourtirercettehistoireauclair.Je…Jemefaisjustedusoucipourelle.Je dépose mon sac dans la cuisine et monte l’escalier en appelant son nom plusieurs fois pour
m’assurerqu’ellen’estpasà lamaison.Ellesursaute facilementcesderniers temps.J’essayed’êtreattentionnéeavecelle,delalaisserrespirer.Jeneveuxpasaggraverlasituation.En haut des marches, je remarque que la porte de la chambre de tante Bette est légèrement
entrouverte.D’habitude,ellelafermeàclé.Jem’avancedoucementetjetteuncoupd’œilàl’intérieur.Des livres sont éparpillés partout sur le sol. Il y en a au moins une centaine, empilés dans un
équilibreprécairesurletapismarocaindetanteBette.Ilssontmoisisetcouvertsdetissu.Legenrequiprendlapoussièreàlabibliothèque.Legenrequ’ontrouvedanslesvide-greniers.J’entre dans la pièce en veillant à ne rien toucher, parce que je suis convaincue que tante Bette
piqueraitunecrisesielledécouvraitquej’aifouillésachambre.Jem’accroupisettentededéchiffrerlestitressurquelquesdos,maislaplupartsontécritsenlanguesétrangères.Ondiraitdulatin,peut-être.D’autressontenespagnol,etçamefaitpenserquejesuistellementàlatraînedanslecoursdeseñorTremontquec’enestdésespérant.Quelquesouvrages sontouverts,mais surdespagesquinecontiennentaucunmot,uniquementdeshiéroglyphes,enfin,jecrois.Dessymbolesetdesnombresquin’ontaucunsenspourmoi.LaVolvodetanteBettesetraînedansl’allée.Jemelèved’unbondetmedirigeverslaporte.C’est
làquejeremarquelacloisonquiséparelachambredetanteBettedelamienne.Celleàdroitedesonlit.Avant, elle était couverte de ses productions artistiques.Des photos, des peintures, des portraits.
Mais toutaétéenlevé,à l’exceptiondeminusculesclous fichésdans lemur.Même lacommodedetanteBette,celleavecquatretiroirsquiétaitadosséeaumur,aétépousséesurlecôté.Lacloisonestentièrementnue.Dumoins,c’estcequej’aipenséaudébut.Maisàyregarderdeplusprès,tanteBetteaentortillé
unecordelettecoquilled’œuf,delamêmecouleurquelemur,autourdesclous.Peut-êtremêmequ’ils’agitdufilqu’elleautilisépournouersespaquetsd’herbes.Elleaforméunesortedemotif.Ondiraituneétoilebiscornue.Lamêmequecellequej’aperçoisdansl’undeslivresouverts.OhmonDieu,maisqu’est-cequisepasseici?Jesorsentrombedesachambreetfiledanslamienne.TanteBetteouvrelaportedelacuisineet
m’appelle.—Jesuisenhaut!J’espèrequemavoixal’airnormale.Puis,jepriepourqu’ellenemontepas.Heureusement,ellene
lefaitpas.Jel’entendsouvrirlerobinet,probablementpourremplirsabouilloire.J’avanceàpasdeloupjusqu’àmonlitetm’assoissurlematelas,quiestcolléàlacloison.Jetends
lebraspourlatoucher,histoiredecapterjenesaisquoi.Del’énergie.Delachaleur.Quelquechoseprovenantdel’autrecôté.TanteBettem’aurait-ellejetédessorts?Jenepensepasqu’elletenteraitdemefairedumal,maisjedoisdirequejenemesenspastoutà
faitensécurité.D’autantplusquejenesaispasdepuiscombiendetempsduretoutcecirquedanssachambre.Etcequ’ilpeutbienmefaire.Toutefois,jeneperçoisrien,àpartunmur.Unvieuxmurtoutcequ’ilyadeplusordinaire.Évidemment.Àquoijem’attendais?J’imaginequequandonvitavecunedingo,c’estdifficiledenepasperdrelatêtedetempsentemps.
XILILLIA
LANUITD’HALLOWEEN,letempsestmagnifique.Lecielestdégagé,ilnefaitpastropfroidetlapleineluneestdesortie.Lesenfantscommencentàentrerlesunsderrièrelesautresavecleursparents,etmoncœurbatla
chamade.Jemetiensprèsdelaportedansmoncostumedeballerine,pouraccueillirlesgensetleurdistribuerdesbilletsdetombola.Jeporteunjustaucorpsrosecroisédansledosetuntutupar-dessus,avecdescollantsrosesetdespointesassortiesdontlesrubanss’enroulentautourdemesjambes.Monchignonesttellementhautetserréqu’ilmetirelapeau,maisjen’osepasytoucher,parcequ’ilm’afalluuntempsfoupourleréussir.Alexdébarque,vêtud’unechemiseetd’unpantalonentoile,complétéspardeslunettesàmonture
noire.—Tuesdéguiséenquoi?Engeek?Alexmefaitnondudoigt,puisouvresachemised’ungestethéâtral.Endessous,ilporteuntee-shirt
deSuperman.—ClarkKent,àvotreservice!Je ris et l’applaudis. Avant, Alex portait des lunettes, mais plusmaintenant. J’aime quand il est
habilléengeekchiccommecesoir.—Alex,tuesmonhéros.Puis,jeluimontreladirectiondujeudelapommedansl’eauetilyva.Lesenfants sontmignonsdans leurscostumes. Ily aquelques IronMan,unHarryPotter,unpetit
garçon en chef cuisinier, une fille en bouteille de ketchup. Mes préférés sont trois petits garçonsdéguisés en Riri, Fifi et Loulou. S’il n’en tenait qu’à moi, je leur décernerais le prix du meilleurcostumehautlamain.
Masœuretsesamismettentenplacelachasseautrésoretcachentdesindicesdanslegymnase.IlssontcostumésenrennesduPèreNoël.NadiaestFringant;elleportedesboissurlatête,uneétoleenfourrureappartenantànotremèrequinelametjamais,ainsiquedurougeàlèvrespourpre.Alexjetted’autrespommesdansleseauquivaservirpoursonstand.Alorsquejedisposedescupcakesauxbonbonssurungrandplateaunoir, j’aperçoisReeve,avec
sesbéquillesetsonattelle.Ilporteunechemiseenflanelle,sonmasquedeJason,etunetronçonneusesangléedansledos.Jesuissidérée.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsesoitpointé.Reeve installe une chaise pliante pour lui sous le panier de basket. Il traîne une autre chaise, la
déplieetposesajambedessus.Ungrouped’enfantsaccourtverslui.—Reeve!hurlent-ils.Cours-nousaprès!Reevesecouesatronçonneused’unairmenaçantdansleurdirection.Maisilneselancepasàleurs
trousses.Etpourcause:ilnelepeutpas.L’enthousiasmedesenfantsretombelorsqu’ilss’enrendentcompte,etilss’éloignentverslesautresstands,laissantReeveassistoutseuldanssoncoin.Ilal’airdéprimé,coincésursachaise.Abandonné.Jesensunepetitebouledansmagorge.Jel’aicarrémentharcelépourqu’ilvienne,etmaintenant,il
n’arienàfaire.Jem’approchedelui,enm’arrêtantencheminpourcontrôlerlasono,histoiredenepasdonnerl’impressionquejeviensjusteluidirebonjour.Jem’arrêtefaceàlui.—Salut,Reeve!—Salut,grommelle-t-ilderrièresonmasque.Jem’éclaircislagorge.—Je…euh…Jem’enveuxdet’avoirfaitveniralorsquetunepeuxpasfairegrand-chose.—C’estcequej’aitentédet’expliquerlapremièrefois,souligne-t-ilenrelevantsonmasquesur
soncrâne.—Jesais.— Comment est-ce que je pourrais courir après les enfants et me promener ensuite dans un
labyrintheaveclabande?(Ilsoupire.)Jedoisgardermajambesurélevéelaplupartdutemps.Jenepeuxquerépéter:—Jesais.Nosregardssecroisentuninstant,puisilremarque:—Jolidéguisement.Jem’attendsàcequ’ilsorteunevanne,qu’ilmedemandeoùj’aimismatiare,parexemple,maisil
nelefaitpas.Iltendlebrasettouchemontutu.Jesensunevaguedechaleurm’envahir.Ensuite,AlexarrivederrièremoietlebrasdeReeveretombe.—Salutmec!luilanceAlex.—Salut,répondReeve.— C’est sympa de ta part d’être venu, ajoute Alex en hochant la tête. Lil, si tu veux, je peux
échangeravecReeve,commeilnepeutpascourir.Çam’estégal.Reeve,pourlejeudelapommedans
l’eau,ilfautseulementresterassis.Reeveledévisage,incrédule.—Jason,c’estmonrôle.—Jesais,vieux,mais lesenfantsveulentque tu leurcouresaprès.Çane leur faitpaspeur si tu
agitestatronçonneusedepuistachaise…Alexs’interromptetmeregardecommes’ilespéraitquejevienneàlarescousse.Avantquejepuisseajouterquoiquecesoit,ReevearrachesonmasquedesatêteetlejetteàAlex.—Bon, prends-le, dans ce cas. Tu serasmoins doué quemoi,mais peu importe. (Il se redresse
maladroitementsursesbéquilles.)Vatefairemousserdevanttachérie.Levisaged’Alexvireaurougeetjeregardeailleurs,commesijen’avaisrienentendu.Reeveclopineverslasortie;audébut,jemedisqu’ilvapartir,maisnon.Ilsedirigeverslestand
delapommedansl’eau.Alexsepencheversmoietmurmure:—Peut-êtrequeJasonaprispossessionducorpsdeReeve.Jegloussed’unaircoupable.—Mercipourtout,Skud.AlexenfilelemasquedeJason.—Jet’enprie,merépond-ilavecunevoixdeserialkiller.Je ris à nouveau, pour de vrai cette fois-ci. Puis, je retourne à la table des rafraîchissements et
disposelescookiesenformed’araignéesquej’aipréparéslaveille.Jem’arrangepourquelesplusbeauxseretrouventenhaut,etlescasséstoutenbas.Toutsepassebien,finalement.Lesenfantss’amusent,participentauxdifférentesactivitésdesstands
etquelquesparentsrestentdanslesparagespoursurveillertoutcepetitmonde.Jenesuisdoncpaslaseule responsable. Je vais pouvoir mentionner cet événement avec fierté dans mon formulaire decandidatureàl’université.Etlemieuxdanstoutça,c’estquej’ysuisarrivéesansRennie.JeregardeAlexpourchasserungroupedefillesaveclatronçonneuse.Ilmanquedetrébucher,mais
serattrape.Àl’autreboutdelapièce,Reeves’esclaffe.Sonrirerésonnedanstoutlegymnase.Jecroqueunmorceaudemonbraceletenbonbons.Dansuneheureetdemie, toutseraterminé.Je
n’avaispasprévud’alleraulabyrinthehanté,parcequejenevoulaispasvoirRennie,maismaintenant,jepensequejevaism’yrendre.J’aitoutautantledroitd’yêtrequ’elle.Cesontaussimesamis.Aprèstout,ReeveetAlexsontvenusm’aidercesoir.Ilsnesontpasautantàsabottequ’ellelecroit.
XIIMARY
JEN’AIJAMAIScomprisl’intérêtd’undéguisementd’Halloweenavantcesoir.Probablementparcequejen’enaijamaisportédetrèsbeau.Lorsquej’étaisgamine,mamèrefaisaitelle-mêmemescostumes.Lesautresenfantsachetaientles
leurs au drugstore ; c’était ceux avec unmasque et une combinaison en plastique à enfiler sur sesvêtements.Cesmômescouraientdanstouslessensenbrisantdesbâtonscommes’ilsétaientSupermanoufaisaientsemblantquedestoilesd’araignéejaillissaientdeleurspoignetscommeSpiderman.Mamanétaitcontre.Elledisaitquetoutçamanquaitdecréativité.Enfait,ellevoulaitlesconfectionnerelle-mêmeparcequemagrand-mèreavaitfaitlamêmechose
pourelleettanteBettequandellesétaientpetites.Magrand-mèreétaitunecouturièrehorspair.Nousavons encore quelques-uns de ses dessus-de-lit en patchwork au grenier, dans unemalle en cèdre.C’estdingued’imaginerquedeschosesaussiparfaitesontétéréaliséesàlamain.Mamanaimaitcettetradition.Auborddeslarmes,ellem’affirmait:«Lorsquetuserasgrandeetquetuaurasunpetitgarçonou
unepetitefille,tuferaslamêmechosepoureux.»Difficiledeluttercontreça.Alors, au début de chaque mois d’octobre, j’expliquais à Maman ce que je voulais être pour
Halloween cette année-là : une princesse, une gitane, une chauve-souris. On dessinait les patronsensemble avec des crayons de couleur, puis on allait chez le marchand de tissus pour acheter lesfournitures.Leseulproblème,c’étaitqueMamann’étaitpastrèsdouéepourlacouture.D’ailleurs,Halloween
était l’uniquepériodede l’année où elle sortait samachine à coudre. Elle avait suivi des cours aulycée, mais c’est tout. Et même si au début elle s’amusait, une semaine avant Halloween, elle seretrouvait en haut dans le grenier à travailler toute la nuit. En général, elle devait retourner à la
boutiqueàplusieurs reprisesparcequ’elle avaitmal coupé le tissuouqu’ilne lui en restaitplus àforcedetoujoursrecommencer.Lerésultatfinaln’étaitjamaisconformeàl’idéequejem’enétaisfaite.Lescouturessedéfaisaient
toujours.Àcertainsendroits,letissuétaittropserré;àd’autres,ilétaittroplâche.Biensouvent,onavaitdumalàdevinercequej’étaissupposéeêtre.Notammentpourmondéguisementdedragon.Lesgenspensaientquej’étaisunesortedeharicotmagique,commedanslecontepourenfants.Jen’avaisjamaiseul’impressiondemetransformerenquelqu’und’autre.Jusqu’àcesoir.J’étais super contente queKatm’ait invitée à sortir avec elle. Je faisais déjà des cauchemars à
l’idéededevoirresterenferméetoutelanuitdansl’obscuritésansrépondreàlaporte,parcequetanteBetten’avaitpasachetédebonbonspourlesenfantsquifaisaientletourduquartier.Je suis dans la salle de bain et jemets la dernière touche àmon costume, qui consiste à ajouter
autant d’épingles à nourrice que possible avant queKat s’arrête devant chezmoi et klaxonne pours’annoncer.J’ai fouillé dans une vieille malle du grenier remplie d’affaires appartenant à tante Bette. À
l’intérieur,j’aitrouvéunpantalonencuirmoulant.L’étiquetteindiquaitqu’ilprovenaitd’uneboutiqueitalienne;ellel’avaitprobablementachetéquandellehabitaitàMilan,l’annéedesesvingtetunans.J’aiégalementdécouvertunesuperbepairedetalonsaiguillesnoirs,etunhautnoirendentelle.Toutm’allaitcommeungant.Unefoishabillée,j’avaisl’aird’unemotardehypersexy.Jemesuiscrêpélescheveuxpourmedonneruncôtésauvage,etj’aiutiliséunferàfriserdéniché
sous le lavabo de la salle de bain de la chambre d’amis pour ajouter quelques ondulations. J’aiégalementtresséquelquesmèchesetclipséquelquespostichesroses.Il ne me reste plus qu’à appliquer le maquillage que j’ai trouvé dans le vanity de tante Bette.
Eyeliner noir, ombre à paupières pailletée, et des couches et des couches demascara. Je vais sansdoutedevoiremprunterdelatérébenthineàtanteBettepourenlevertoutça.Jeme tiensdevant lemiroir. Jene ressemblepasàMaryce soir. Jen’aimêmepas l’impression
d’être elle, si ça veut dire quoi que ce soit. Toutm’a l’air totalement différent. Jeme sens commeéclairéedel’intérieur.Jemesens…vivante.Lorsquejemeretourne,tanteBetteestderrièremoi.Jeretiensmonsouffle.—Çafaitlongtempsquetueslà?—Pasplusd’uneminute,merassuretanteBette.Jenevoulaispastefairepeur.Elledresselatêteets’approche,puistendlebrasettouchelecuird’unemaintremblante.—Monpantalon.Je baisse les yeux en me rendant compte que je ne lui ai pas demandé son autorisation avant
d’empruntersesvêtements.—Jesuisdésolée,j’auraisdûtedemanderavant.Jepeuxtoutenleversiçat’embête.—Non,non,c’estjusteque…—Net’inquiètepas,jen’accepteraipasdefriandisesdelapartd’étrangers.Saufsic’estdesKit
Kat.
TanteBettenesouritmêmepasàmaplaisanterie.Aulieudecela,elledéclared’unairmystérieux:—Lesoird’Halloween,lafrontièreentrelesvivantsetlesmortss’efface.Jehochelatête,commesijelaprenaisausérieux,saufquejepensevraimentquetanteBettedevrait
arrêterdelirecesbouquinsbizarres.Àl’entendre,ondiraitunesorcière!D’ailleurs,elleressembledeplusenplusàl’imagequ’onpeuts’enfaire.Sescheveuxdrussontenbataille,sesyeuxsontcreuséset sombres. Si j’étais un gamin venu sonner à sa porte pour demander des bonbons, je me seraisprobablement enfuie en courant. Dire qu’autrefois, c’était une fille cool et joyeuse qui portait despantalonsencuiritaliens.Jem’enveuximmédiatementd’avoireuunepenséeaussiméchante.TanteBetteesttellementseule;
savieestsitriste.Ellenerendjamaisvisiteàpersonneetnepassejamaisunenuithorsdechezelle.Elleestcommemoi,avant.Je me demande alors… Est-ce qu’il est arrivé quelque chose à tante Bette ? Un événement
traumatisantdont jen’aipasconnaissancequi l’a renduecommeça?Peut-êtreunedisputeavecmamère?Peut-êtrequ’ellen’ajamaissouhaitéquemesparentsetmoiquittionsJarIsland?Jenesaispaspourquoi,maisjem’avanceetlaserredansmesbras.Jenel’aipasfaituneseulefois
depuismon retour ici.TanteBette n’a jamais été très démonstrative,mais ça ne veut pas dire pourautantqu’ellen’apasbesoind’affectiondetempsàautre.Toutsoncorpsseraidit.Elleestsiseule,quisaitàquandremontesonderniercâlin?—Toutvabien,tanteBette.TanteBettesedétend,penchelatête,etjelasensquimeserretendrement.Danslemiroir,jevois
quesesyeuxsontfermés.Katklaxonneàl’extérieur.JemedétachedetanteBetteetluilance«Jet’aime,nem’attendspas!»,
avantdedévalerl’escalier.—Lavache,regarde-toi!s’extasieKatenjetantsonmégotdecigaretteparlavitreouverte.Jem’esclaffeenmontantdanssavoitureetendécouvrantsoncostumedenonne.—Mafoi,jepensequenoussommeslecontrairel’unedel’autrecesoir!C’est une tenue complète qui lui couvre tout le corps en dehors desmains et du visage, assortie
d’unelourdecroixenboissuspendueàsoncou.Katneportepasdemaquillage.Jen’yaijamaisfaitattentionauparavant,maiselleaunepeaumagnifiqueetquelquesminusculestachesderousseur.—Jesuisunenonnemaléfique,précise-t-elle.(Ellesetournesursonsiègeetmedétailledelatête
auxpieds.)T’essupersexy,mabelle.—Vraiment?J’aienvied’applaudircommeunepetitefille,maisjemeretiens.Katmeregardecommesij’avais
perdulatête.— Bah oui, évidemment ! Heureusement, sœur DeBrassio a pensé à t’apporter une ceinture de
chasteté.Jeluitirelalangue,bouclemaceinturedesécuritéetpoussel’autoradioàpleinvolume.Surunair
derockendiablé,jecommenceàagiterlatêteenmetrémoussantsurmonsiège.—MonDieu,ayezl’obligeanced’accordervoslumièresàcetasdeferrailleafinqu’ilnousmèneà
bonportcesoir.(Katfaitunsignedecroix,allumeunecigarette,puisdémarresivitequelespneus
crissent et se mettent à fumer.) Il est encore tôt, beugle-t-elle par-dessus la musique. On n’a qu’às’arrêterchezmonpoteRickypourluitaxerunebièreavantd’alleraulabyrinthe.Jehochelatêteetcontinuededanser.Jen’aijamaistraînéavecpersonneendehorsdeKatetLillia
depuismonretoursurl’île.Etjen’aijamaisbud’alcool,pasmêmeunepetitegorgée.Jesensqueçavaêtreunenuitdefolie.Danslebonsensduterme,Dieumerci!
JESUISASSISEsurlecanapé,danslesous-soldecetype,Ricky.L’endroitestsombreetenfumé.Latéléestalluméeetdiffuseunfilmd’horreur.J’aiunebièreàlamain,maisjenelaboispas.Jesensunedrôled’odeur:ondiraitdeschampignonsfermentés.Àcôtédemoi,àcalifourchonsurl’accoudoirducanapé,Katdescendsabièrejusqu’àladernière
goutte.—Jesuisàsec,annonce-t-elle.Ricky,aide-moiàrapporterd’autresbières.Puis,ellesepencheversmoietmurmure:—Ilestmignon,n’est-cepas?J’acquiesce.Rickyadesyeuxmarronpétillantsetdelongscilsnoirs.—Très.—Maispourquoiest-cequej’aiperdumontempsavecunmeccommeAlexKudjak?Je ne sais pas trop si elle attend une réponse dema part. Alex et Ricky sont très différents. Je
m’apprêteàdirequ’Alexestgentil,maisavantdem’enlaisserl’occasion,KatetRickyremontentaurez-de-chaussée. Je les regarde partir, puis me retourne vers Pat, le frère de Kat, qui les observeégalement.DéguiséenGrandeFaucheuse,ilestaffalésurunfauteuilinclinable,unbangcoincéentrelesjambes.J’espèrequeKatvabientôt revenir. Jenemesenspasàmaplaceet je suisunpeumalà l’aise.
L’excitationdudébutdesoiréecommenceàsedissiper.Àcôtédemoi,surlecanapé,untyperespirelourdementàtraversunmasquedemonstreencaoutchouc.Je me retourne pour regarder la télé. Un gars poursuit une fille avec une hache, et lorsqu’il la
rattrape enfin, je ne peux pasm’empêcher de crier. Le frère deKat finit par détourner les yeux del’escalieretsemetàrire.—T’aslafrousse?medemande-t-il.—Jen’aimepaslesfilmsd’horreur.Jeportemabièreàmeslèvres,maisneboispas.—Oùest-cequetuasconnuKat?m’interrogePat.—Euh,aulycée.—JecroyaisqueKatn’avaitpasdecopinesaulycée,marmonneletypeaumasquedemonstre,ce
quifaitricanerPat.Vexée,jeluilance:—Sisi,ellem’a,moi.LesouriredePats’évanouitetilmeregarded’unairrespectueuxenlevantsonbang.—Çatedit,Mary?
Jesecouelatête.—Oh,nonmerci.Letypeaumasquerenifled’unairmoqueur.Surlecoup,j’aipeurqu’ilsefoutedemoiparceque
maréponseétaitbientroppolieetcolletmontépouruneinvitationàfumerdel’herbe.Maisjemerendscomptequ’ilregardejustelefilmetquelafillevientdesefairedécouperendeux.
Alors que je m’apprête à me couvrir les yeux, je remarque que tout a l’air hyper faux. Le sangressembleàduketchup,lesboyauxàdesspaghettis.Jeriségalement.
IL N’Y AVAIT pas de labyrinthe hanté quand j’habitais sur l’île. Tout a commencé après mondéménagement.Lasociétéquil’exploiteestlamêmequecellequiorganiselafêteforaineenété.IlsontlouéungrandchampdanslapartieruraledeT-Town,làoùontrouveencoredesfermes.—Çacommencebien,grogneKatlorsqueleresponsableduparkingnousempêched’entrerparce
quec’estplein.Nousdevonslongersixpâtésdemaisonsavantdetrouveruneplacelibre.Lelabyrintheouvredeux
semainesavantHalloween,maisd’aprèsKat,laplupartdesgensattendentcesoirpours’yrendre.Katetmoimarchonscôteàcôte.Ilyadestasdegensdehors,quisedirigentverslelabyrintheou
qui retournent à leurs voitures. Tout le monde est déguisé. Il y a une énergie incroyable. Plus ons’approchedulabyrinthe,etplusonentendlescrisquienmontent.Lelabyrintheestaussigrandqu’unterraindefoot.Ilestconstituédebottesdepailleempiléessur
troismètresdehautdemanièreàcequ’onnepuissepasvoirpar-dessus.Lasociétéainstalléquelquesgrosprojecteurspourquelesvisiteursnesemarchentpaslesunssurlesautres,maisiln’yenapasassezpouréclairertoutleparcours.Unesonodiffusedesmorceauxd’orguesinistres.Nousnesommespas encore entrées que, déjà, des personnes en costumes effrayants se baladent autour des visiteurspourleurficherlafrousse.JepassemonbrassousceluideKat.Elleestforteetsûred’elleàcôtédemoi.—J’aipeur!Katmeregardeavecunsouriresurpris.—Restebienàcôtédemoi,mapetite,dit-elleenmecaressantlatête.Nous rejoignons la file d’attente. Avant de pénétrer dans le labyrinthe, nous devons signer une
déchargenousengageantànepaspoursuivrelasociétéencasdecrisecardiaque.—JemedemandeenquoiAlexpeutbienêtredéguisé,déclareKatdebutenblanc.(Jehausseles
épaules.)Probablementuntrucbidon.—J’espèrequelasoiréedeLilliaaveclesenfantss’estbienpassée.—Jesuissûrequeoui.Choestdugenrehyperorganisée.Jepeuxtegarantirqu’ellen’arienlaissé
auhasard.— Peut-être que nous la verrons ce soir. Peut-être qu’elle voudra traîner avec nous. Tu sais, si
Rennieesttoujoursvacheavecelle.—Peut-être,répondKat;maisàsavoix,jepeuxdirequ’elleendoute.Jenesaispaspourquoi.J’ail’impressionqueLilliaavraimentfaitdeseffortspourresteramieavec
nous.Bienplusquejenel’auraiscruenseptembre.Jelabousculegentiment.
—Jesuissûrequ’ellenousdiraaumoinsbonjoursionlacroise!Soudain, je sens une tape surmon épaule. Jeme retourne etme retrouvenez à nez avecunbeau
garçon.Dumoins,d’aprèscequejepeuxentrevoirentresesbandagesdemomie.—Salut!medit-il,tuneseraispasdansmoncoursd’anglais?—Jenecroispas.Ilsefrottelementonetmefixed’unairsceptique,commesijeluimentais.—Tuenessûre?Jel’auraisjuré,pourtant.Jesecouelatête.—JesuisavecMmeDockerty,entroisièmeheure.Ilfroncelessourcils.—Oh.Moi,jesuisavecM.Frissel.Je lui réponds gaiement « Tout lemonde peut se tromper ! », avant de lui tourner le dos.Kat a
avancédequelquespasdanslafileetjemedépêchedereveniràsahauteur.Elles’approchedemoi.— Pourquoi tu n’as pas continué à lui parler ? Retourne là-bas et donne-lui ton numéro de
téléphone!—Ilm’aprisepouruneautre.Katmeregarde,bouchebée.—Ilflirtaitavectoi,bêtasse!Cetrucàproposducoursd’anglais,c’étaitpourbriserlaglaceette
fairelaconversation.T’esaveugle,ouquoi?—Vraiment?Jemeretourne,etlegarsenmomieestdeboutaumilieudesoncercled’amis.Ilmeregarde,puis
baisserapidementlesyeuxverslesol.JemurmureàKat:—Oh,monDieu!Ellerit.—Ce que tu peux être innocente,Mary ! Tu comprends ce que je voulais dire,maintenant ? Tu
devraistemettreunpeuplusenavant.Quisait?Peut-êtrequetuaurasunpetitcopainavantNoël.Cettepenséemeréchauffedel’intérieur.Moi?Unpetitami?—Ilfautquetuarrêtesdejouerleshumblesetdefairetatimide.Tun’asplusdouzeans.Tuenas
dix-sept!(Sonregardseposesurmapoitrine.)Regarde.Tuasdebeauxseins,etlesgarsadorentça!—Arrêteavecça!luidis-jeenriantetenserrantmesbrasautourdemoi.—Non,jenecomptepasm’arrêterlà.Fautquetucomprennesquetuesunefillesupersexydont
touslesgarsontenvie.J’ouvre labouchepourdire«Aucungarsn’aenviedemoi !»,maisKatmedécocheun regard,
alorsjerestesilencieuse.Franchement,c’estlavérité.Ilsn’ontjamaiseuenviedemoi.Dumoins,jusqu’ici.Oupeut-être est-ceparceque jen’ai jamais rien fait pourqu’ungarçonme remarque.Ungarçon
autrequeReeveTabatsky.
Je dois attendre d’être arrivée au début de la file pour trouver le cran de jeter un nouveau coupd’œilaugarçonenmomie.Ilm’observetoujours,etcettefois-ci,ilnefaitpassemblantducontraire.Ilmesouritgentiment.Jeparvinsàluirendresonsourireavantquemoncouragem’abandonne.Maisc’estdéjàça!Àl’entréedulabyrinthe,deuximmensesstroboscopesclignotentsivitequ’ilestpresqueimpossible
devoircequisetrouvejustederrièrelespremièresbottesdepaille.Nousavançonsdequelquespasàl’intérieur,jusqu’àlapremièregrandeintersection.Onpeutalleràgaucheouàdroite,oucontinuertoutdroit.Katmeprendlamain.—Tuesglacée!(Ellemetireavecelleverslagauche.)Resteàcôtédemoimaintenant,lesneuneus
vontbientôtnousbondir…Àcemomentprécis,deuxgoulessurgissenthorsdel’obscurité.Jehurleetmemetsàrire,tandisque
Katmesautepratiquementdanslesbras.—Gardezvosdistances,bandedetrouducs!leurcrie-t-elle.Jeluidemande:—Çava?Tuveuxqu’onfassedemi-tour?Ellemedévisagecommesij’étaisdébile.—Ilsm’ont euepar surprise, c’est tout.Viens.Ce trucva rapidementme saouler.Plusvitenous
arriveronsàlafin,plusvitenouspourronsretrouverRickyetlesautres.Jeluidonneunepetitetapedansledos.—Entendu,sœurKatherine.Nous ne progressons que de quelques pas avant que je sente une présence derrière nous.Kat la
remarqueégalement,etnousnousretournonstouteslesdeuxpourlaregarder.C’estunevieillefemme,habillée en petite fille avec une robe bleue, des chaussettes blanches en dentelle et des souliers àboucleenveloursnoir.Ellesepromèneavecunepoupéecouvertedefauxsangqu’ellenoustend.—Mapoupéeestmalade!pleurniche-t-elled’uneétrangepetitevoix.Aidez-la!Katpousseuncriperçantetbestialdontjenel’auraispascruecapable.Ellemelâchelamainet
prendsesjambesàsoncou.Jesuispliéederire.—Kat!Reviens!JemefrayeunchemindansladirectionempruntéeparKat,maisj’aidumalàavanceravectoutes
lespersonnesprésentesdanslelabyrinthe.Jetourneàgauche,puisàdroite,etmeretrouvefaceàunmur.Jerevienssurmespas,etquelqu’unmetapesurl’épaule.J’appelledoucement«Kat?»,maisc’estjusteunfermierfouportantunesalopettetachéedesanget
unefourche.J’entendsparlàquec’estunautreemployé.Ilmefaittournoyer,etlorsquej’avance,jemerendscomptequejenesaisabsolumentpasd’oùje
viensetoùjedoisallerensuite.—Parici,lesgars!lanceunefille.
Cen’estpasKat.C’estLillia.Je titubeendirectiondesavoix,mais j’aidumalà la localiserprécisémentaveclamusique, les
crisetlesriresdesautresvisiteurs.Je bifurque à plusieurs reprises,mais je n’entends plus Lillia. J’ai le vertige, et les flashes des
stroboscopescommencentàmedonnermalàlatête.Jecrie:—Kat?Kat?Une autre goule me saute dessus, et cette fois-ci, je hurle. Elle m’attrape le bras et essaye de
m’empêcherdepartir.Jelesecouepourmelibéreretaccélèrelepasdansunelongueallée.Ilfautqueje trouve Kat. Je ne veux pas traverser ce truc toute seule. C’est carrément plus flippant sanscompagnie.Enplus,Katestpeut-êtreentraindefaireunecrisecardiaque,pourautantquejesache.Jeprendsànouveauàgaucheetavanceunpeujusqu’àuncul-de-sac.Jesecouelesmainsettentede
mecalmer.Est-cequejevaisréussiràsortird’iciunjour?Là,jemeretourneettombesurReeveTabatsky.Ausenspropreduterme.Jelepercuteauniveaudelapoitrine.Laforcedel’impactmefaitreculer
d’unpas.LesbéquillesdeReeveglissentau solet ilperd l’équilibreàcausede sa jambeblessée.Heureusement, l’allée dans laquelle nous nous trouvons est étroite, et le mur de bottes de pailleinterromptsachuteetluiévitedefinirparterre.—Ehmerde!dit-il.—Je…jenet’avaispasvu.—Çava?Saquestionmeprendtotalementaudépourvu.Mesjouess’empourprentaussitôt,maisjemepenche
etramassesesbéquillespourqu’ilneleremarquepas.—Net’inquiètepaspourmoi,çava.Jesuistellementnerveusequelesmotsontfusédemabouche.Jen’arrivepasàcroirequejesuis
enfinfaceàReeve,àdiscuternormalementaveclui.Aprèstoutescesannées,onestenfinréunis.Jemeredresseetluidemande:—Commentvatajambe?CommeReevenemereprendpaslesbéquilles,jelesposecontrelemurdebottespourplustard.—Ellevabien,merassure-t-il.Saufquejenelecroispas.Ilal’aird’avoirvraimentmal.Jepeuxleliresursonvisage.Lesdents
serrées,ils’inclinepourvérifiersonattelleetrepositionnerlesscratchs.—Est-cequ’ilfautquej’aillechercherdel’aide?Jereculed’unpaspourluilaisserdel’espace.J’espèrequetoutçanevapasretarderlesprogrès
qu’ilfaitdanslapiscine.—Non,paslapeine,répond-ildoucement,ensepassantlamaindanslescheveuxpoursecalmer.
C’estdemafaute,jen’auraispasdûvenirdanscestupidelabyrinthe,grogne-t-il.Ilattrapesesbéquillesetcalesesavant-bras.Jevoisbienqu’ilestsurlepointdes’éloignerdemoi,maisjen’enaipasenvie.Jenesuispasprête
à laisser cet instant m’échapper. Pas encore. C’est comme lorsqu’on prenait le ferry ensemble.
J’espéraistoujoursquelatraverséedureraitencoreunpeu,neserait-cequ’uneminute.Jetendslamainetluitouchelebras.Sachemiseestincroyablementdouceetjesenssonbicepsen
dessous.Ilestfermeetbiendessiné,probablementàcausedessemainesqu’ilvientdepassersursesbéquilles.—Jesuisdésoléequetutesoisblessélorsdubal.Malgré tout ce que Reevem’a fait endurer, je suis contente de pouvoirm’excuser. Parce que je
n’avaisvraimentpasl’intentiondeluinuireaupointderisquerdefoutretoutesavieenl’air.Ilhausselesépaules.—Cegenredemerdes,çaarrive,tusais.—Ouais.Jehochelatête,parcequec’estvrai.Çapeutnousarriveràtous.Unangepasse;aucundenousnesaitquoidire.Reevepasserapidementlamaindanssescheveux.—Ilfautquejerejoignemesamis.Jetesouhaitedesortirdelàvivante.Ilpositionnesesbéquillesets’apprêteàfaireunpas,maisjemedécaledemanièreàluibloquerle
passage.Jeressensunepousséed’adrénaline.—Çafaiteuh…unbail,hein?dis-je,lagorgeserrée.Reeveinclinelégèrementlatête.—Ouais.Leventselèveetbalayemescheveux.Jelesplaquedumieuxpossiblederrièremesoreilles.—Jemesuistoujoursdemandésituavaisrepenséàcequis’estpassé.(Reevelaisseéchapperun
riregêné,puiscligneplusieursfoisdesyeux.Jenepeuxpasdires’ilestembarrasséouprisdecourt.)Situt’envoulaisdecequetuasfait.Ensuite, j’attends,parceque jeviensde lui tendre laperche.Je luidonneuneoccasion idéalede
s’excuser,d’assumerenfinlaresponsabilitédesesactes.D’arrangerleschosesentrenous,unebonnefoispourtoutes.Reeve plisse les yeux, perplexe. Il essaye de me resituer, ce qui me déstabilise complètement.
Évidemment, jeporteuncostumed’Halloween,maisc’estbizarre. Ilne luiapas falluplusdecinqsecondes pourm’appelerGrosse Pomme lors du bal. Est-ce qu’il neme reconnaît vraiment pas cesoir?—TraiterunefilledeGrossePommeparcequ’elleestronde,tusaiscequeçapeutluifaire?(Tout
lecorpsdeReeveseraiditetilmefixeavecunregardduretfroid.Jelesensôteruneàunetouteslescouchesque j’aisurmoi.Lemaquillage, lepantalonencuir, lacoiffuredéjantée, jusqu’àmemettretotalementànu.Je tremblecommeunefeuilledans levent.)Tuétaisunevraiebruteà l’époque.Tun’espasdésolé?Mêmepasunpeu?Ils’humecteleslèvresetgrommelle:—Vatefairefoutre.Jecommenceàmedécomposer;j’aipeurquemesjambessedérobent.Reevepassedevantmoien
mebousculantetremontelalongueallée.Jeluicriequejesuisdésolée.Jenesaismêmepaspourquoi.Maisjemedétesteimmédiatementde
l’avoir fait. Parce que ces mots, c’est moi qui mérite de les entendre, pas lui. Seulement, jen’obtiendraijamaisd’excusesdelapartdeReeve,parcequ’iln’estpasdésolé.
Paslemoinsdumonde.Soudain, une vague dévastatrice déferle en moi et me submerge, tel un tsunami de colère et de
tristesse. Comme le soir du bal des étudiants. Je ferme les yeux, mais je ne vois pas l’obscurité.J’aperçoislelabyrinthedepailles’embraser,desmursdefeuencerclertoutescespersonnes.Oh,monDieu…Oh,monDieu!Ilfautquejesorted’iciavantd’exploser.
XIIIKAT
ADOSSÉEÀUNmurdebottesdepaille,jesenslesbrinsquimepiquentàtraversmatenuedenonne.Jesuisdansuncul-de-sacdulabyrinthe,maisjem’enfous.Jemecachepourqueleszombies,lesgouleset autres créatures ne puissent pasme surprendre par-derrière.De temps à autre, je tends le cou etessayederepérerMary.Évidemment, je la trouverais plusvite si je la cherchaisvraiment,mais je ne comptepasbouger
d’ici.Marypeutbienvenir àma rencontre. Je n’ai pas payé trente dollars pourmourir d’une crisecardiaquedanscefoutulabyrinthe.J’espèrequ’elle s’amusebien.Elleméritede se changer les idées. Je suis contenteque le crétin
déguiséenmomieaitessayédeluiparlerquandnousfaisions laqueue.Boostersonegonepourraitque lui être bénéfique, c’est lemoins qu’on puisse dire. Inutile d’être conseillère d’éducation poursavoirqueMaryabesoindeprendreconsciencequ’ellen’estpluslamêmefillequ’avant.Unpetitgroupepassedansl’alléeoùjesuiscachée.Unefilledéguiséeenballerinesortduranget
s’avanceversmoienmarchantprudemmentsurlapointedespieds.Elleporteunjustaucorpsrose,untuturose,bref,elleesthabilléeenrosedelatêteauxpieds.Bienentendu,c’estLillia.Jel’appelleensortantdel’ombre.Elle sursaute et hurle comme dans un film d’horreur, mais sourit également. Lillia la froussarde
adorecetruc.Quil’auraitcru?Elledoitpenserquejesuisl’undesemployés,parcequ’elles’apprêteà rejoindresesamisencourant.Mais lorsque je répète sonprénom,elle s’arrêtenet. Il lui fautunesecondesupplémentairepourmereconnaître,àcauseducostume,j’imagine.—Oh,monDieu,Kat,c’estbientoisouscetruc?—N’invoquepaslenomduSeigneurenvain!dis-jed’unevoixcaverneuse.Elleglousse.
—OùestMary?Elledevaitveniravectoi,non?Jehochelatête.—Attendsdevoirsondéguisement.Elleestàtomberavecsonpantalonencuir.En le disant, jeme rends compte que j’aurais aimé passer cette soirée avec elles deux.Mais je
refoulecettepensée,parcequeçanesertà riendese lamenter.Elleest làavecsesautresamis. Jechangerapidementdesujet.—Touts’estbienpasséàl’écoleprimairecesoir?—Oui,impeccable.Jepensequelesenfantssesontbienamusés.Etlesparentsétaientcontents.—Cool.(JemesuissentiemalenvoyantLilliasistresséetoutecettesemaine.)Tusais,j’auraispu
venirt’aider.Maiscommetun’asriendit…(Sesjouesvirentaurouge,alorsjemeradoucis.)Jenesuispasfâchée,t’inquiète.C’estjusteque…Jenesaispasquoiajouter.Jem’embrouille.—Pasdesouci.Touts’estbiendéroulé.Jen’aipaspenséàtedemander,parcontre.Jesaisquece
n’est pas ton truc.Maismerci deme proposer ton aide. (Ellem’adresse un petit sourire suffisant.)Mêmes’ilesttroptardpourça.Jeluidonneunpetitcoupd’épaulepourlataquiner.—Supervanne,Lil.J’aimelamanièredontjedéteinssurtoi.Alors qu’elle semble sur le point de faire une autre blague àmes dépens, nous entendonsReeve
s’exclamer:—Ehmerde!Ondirait qu’il est de l’autre côtédumurdepaille.Nous levons toutes lesdeux lesyeuxau ciel
parcequeReeveestungroscrétin,maisaussitôt,lapetitevoixdeMaryretentit.—Je…jenet’avaispasvu.Enmoinsd’uneseconde,Lilliaetmoicollonsl’oreilleaumurpourécouter.Lilliamechuchote:—Maryestentraindeluiparler.Jeluiréponds:—Ons’enfoutdelaconversation,qu’elleluibalancesonpieddanslescouilles,plutôt!MaremarquefaitglousserLillia.NousrestonstouteslesdeuxbouchebéequandMarydit:—TraiterunefilledeGrossePommeparcequ’elleestronde,tusaiscequeçapeutluifaire?Lilliam’attrapeparlebrasetnouscommençonsàsautillersousl’effetdel’excitation.Jen’arrive
pasàycroire.Elleestvraimententraindelefaire!Ensuite,Reeverétorque:—Vatefairefoutre.Lillia secache labouchedesdeuxmains.CeReeveTabatsky,quelenfoiré. Il est aussi conqu’il
l’étaitavantsonaccident,sicen’estplus.Lilliaetmoiattendonsd’entendrecequeMaryvarépliquer.
—Jesuisdésolée.Lilliafermelesyeuxetlaissesatêteretombercontresapoitrine.Putain.Marypasseencourantdevantnotreallée.JemelanceàsapoursuiteetLillias’apprêteàenfaireautantquandjesecouelatête.—Non.Resteavectesamis.Nousnedevrionslaisserpersonnenousvoirensemble.Maisellenem’écoutepasetsemetàcouriràcôtédemoi.—Mary!Nouscrionstouteslesdeuxsonnomenpoussantlesgenshorsdenotrechemin.Jevoissesmèches
rosesàunetrentainedemètresdevantnous.Nousréussissonsenfinàremonteràsahauteur.Lillial’attrapeparsonhaut.—Mary!Mary se retourne.Elle pleure.Elle essaye de nous raconter ce qui s’est passé,mais lesmots ne
sortentpas.—Onatoutentendu.(LilliadégagedoucementlescheveuxdeMarydesonvisage.)Tuessuperbe,
aufait.Maryneréagitmêmepasaucompliment.Elleresteimpassible.Ondiraitqu’ellesouffredestress
post-traumatiqueouuntrucdanslegenre.Jelasaisisparlesépaulespourl’obligeràseretourneretàmeregarderdanslesyeux,puisjelui
demande:—Qu’est-cequetuveuxqu’onfasse?Dis-le-nous,toutsimplement.Jepensequ’ellevamerépondre,maisaulieudecela,elleselibèreets’enfuit.Nouslalaissonspartir.—Ças’annoncemal,dis-jeenmerongeantunongle.Le chignon de ballerine impeccable de Lil est défait. Des mèches s’en échappent, mais elle ne
semblepasleremarquer.—Fautqu’onlalaisserespirersic’estcequ’elleveut.—J’imagine…Maissiellesefaisaitdumal?Lilliasemblehésitante,maintenant.—Oh,monDieu ! Tu crois qu’elle le ferait ? (Elle prend une profonde inspiration et soupire.)
PauvreMary.Sans trop savoir ce que je fais, jemepenche commepour serrerLilliaChodansmesbras.Elle
s’inclineégalement,ondiraitqu’ellevam’étreindreelleaussi.—Lillia!Lil!Ons’enva!C’estAshlin.Jemurmure:—Vas-y,jevaisvoirsijepeuxlatrouver.Lilliafroncelessourcilsets’éloignedemoiàreculons.
—Onirachezelledemainpourvérifierquetoutvabien.Jehochelatête.Alorsque jemedirigevers la sortiedu labyrinthe,un fantômese jette surmoi. J’ai tellementde
colèreenmoiquejelepousseenluibalançant:—J’enaiassez.Quelquespersonnesmeregardentcommesi j’étaisfolle.Etc’estexactementcequejeressens.Je
suisfolled’inquiétudepourmonamie.
XIVLILLIA
ENMEDIRIGEANT vers la voix d’Ash, je tombe sur elle et quelques filles de l’équipe. Éméchée etguillerette,ellehurlemonnomenprenantmonbrassouslesien,sansdouteparcequeRennienel’apas encore rattrapée. Elle peut donc semontrer aussi sympathique qu’elle le veut et se comportercommesiderienn’était.Jemefous totalementde toutçapour lemoment.Monseulsouci,c’estdem’assurerqueMaryvabien.J’auraisaiméaiderKatàlachercher,maisjenesuispasvenueavecmavoiture.Elleestrestéeprèsdel’écoleélémentaire.Toutlemondesedirigeversleparkingafind’allerfairelafêtedanslegrandcimetièredeCanobie
Bluffs.Lesgenscommencentàs’entasserdanslesvoituresetjeremarqueReeveseul,adosséau4x4d’Alex,leregarddanslevide.Jesuismaladerienquedelevoir.Jenepeuxpasm’enempêcher.Jemeséparedesfillesetfoncedroitsurlui.—Salut,Reeve.Ilseretourneetmesourit.Cesalebâtardosesourire.—Salut,Cho.Tuvasaucimetière?D’unevoixtremblante,jeluiréponds:— Tu es cruel. Je savais que tu pouvais être vache parfois, mais je n’aurais jamais cru que tu
pouvaisêtreaussicruel.Dérouté,ilmedemande:—Dequoituparles?— Je t’ai entendu. Je t’ai entendu dans le labyrinthe dire à cette fille d’aller se faire foutre.
Franchement,tuteprendspourqui?
—Attends…—Qu’est-cequ’ellet’afaitpourmériterça?Jehausseletondeplusenplus.Sestraitssedurcissent.—Depuisquandtutepréoccupesdesfillesàquijeparle?—Oh,maisjenesuispasdutoutpréoccupée!—Danscecas,occupe-toidetesoignons.J’aienviedehurlerquejustement,cesontmesoignons.Maisjenepeuxpaslefairesansrisquerde
mettreMaryendanger.Alors,j’ajoutesimplement:—Tusaisquoi?Jesuiscontentequetutesoiscassélajambe.Jesuiscontentequetunepuisses
plus jouer au foot et qu’aucune équipe universitaire ne veuille plus de toi. Tu mérites tout ce quit’arrive,parcequetuasunmauvaisfond.Reeveblêmit,maisjemerefuseàavoirdelapeinepourlui.Jeluiadresseunregardassassin,puis
tournelestalonsetcoursverslavoitured’Ash.
XVMARY
JEFONCEENslalomantentrelesrangéesdevoituresgaréesetlesgroupesdevisiteurs,pouressayerdemettreautantdedistancequepossibleentrelelabyrintheetmoi.Perchéesurmestalons,jetrébuchecontrelespierresetm’enfoncedanslaterremeuble,puisfinis
partomberentredeuxvoitures.Jeveuxmereleveretcontinueràavancer,parcequelesboisnesontqu’àquelquesmètres,maisje
suis à bout de forces.Heureusement, il n’y a personne pourme voir.Alors, jeme redresse sur lesgenouxetmemetsàpleurer.Vatefairefoutre.C’estpourm’entendredireçaquejesuisrevenue?C’estcequejemérite,aprèstoutcequej’aienduré?Je sanglote depuis quelquesminutes quand j’entends la voix deLillia.Audébut, je crois qu’elle
m’appelle.Maissoudain,jemerendscomptequ’ellecriesurReeve.Tapiederrièrelavoiture,jeregardeàtraverslesvitres.Jelesrepèreàquelquesfilesdevéhicules
de là. Lillia et Reeve, face à face. Je ne parviens pas à distinguer ce qu’elle dit, alors je resteaccroupieetpassedevoitureenvoiturepourtenterdem’approcher.—Tusaisquoi?Jesuiscontentequetutesoiscassélajambe.Jesuiscontentequetunepuisses
plus jouer au foot et qu’aucune équipe universitaire ne veuille plus de toi. Tu mérites tout ce quit’arrive,parcequetuasunmauvaisfond.Oh,Lillia.Toi,tuesunevéritableamie.Elles’éloigneetjeguettelaréactiondeReeve.Jeveuxl’entendresedéfendre.Jeveuxentendreles
insultesqu’ilvahurleràLillia.Maisilnefaitrien.Immobile,illaregardepartir.
Cequimechoqueleplus,c’estdelevoirs’essuyerlesyeuxavecsamanche.Je me prends un autre coup dans l’estomac. Je suis insignifiante pour Reeve, alors pourquoi
s’excuseraitil des horreurs qu’ilm’a dites. Il n’amême pas essayé de s’excuser.Mais il suffit queLilliaCholuireproched’avoirunmauvaisfondpourqu’ilsemetteàpleurer.Jesaispourquoi.Reevel’appréciebeaucoup.Peut-êtremêmequ’ilestamoureuxd’elle.Jerépugneàledire,maisjesuisjalouse.Folledejalousie,même.Toutcelaestmalsain,etj’enaila
nausée.J’aienviederentrerchezmoi,mais jenepeuxpas.Jesuis tropbouleverséepourça.Jemesens
tellement mal que j’ai l’impression que je vais exploser d’une seconde à l’autre. Je me redresse,époussettemesvêtements,puisfileverslesbois.
XVILILLIA
LE CIMETIÈRE DE Canobie Bluffs est le plus ancien de l’île. Certaines des tombes remontent auXVIII siècle.TouteslesfamillesdeJarIslandyontuneconcession.Onytrouvepleindenomsbizarres,commeEbenezer,DeliveranceetJedidah.Lesgarçonssejettentunballondefootenseservantdestombescommepoteaux.Quelqu’unpasse
ThrillerdeMichaelJackson;Rennie,Ashetd’autresfillessedonnentenspectacleenfaisantladansedeszombies.Rennieporteundéguisementd’infirmièresexyavecdesbasblancsàcouturesrouges.Ilyaquelquessemainesencore,j’auraisétésurledevantdelascène,àcôtédeRennie.Maisaujourd’hui,jesuisassiseseulesurunecouvertureàsiroterle«breuvagedesorcière»d’Ash,dupunchavecdesbâtonsdecannelle,desquartiersd’orangeetducidre.Ilesttellementsucréquejeleboiscommedupetit-lait.Enplus,jen’airiend’autreàfairequepicoler.Iln’yapasécoledemain,niaprès-demain,àcausedesréunionsparents-professeurs,alorsjepeuxbienmelaisseraller.Reeveestaffalésuruneautrecouverture,sa jambeallongéedevant lui. Ilestentourédefillesde
troisième année, habillées comme des putes. J’aperçois une salope des cavernes, une sourislibidineuseetunePocahontas trash.Elles lenourrissentdegrainsderaisin.Jen’arrivepasàcroirequej’aieudelapeinepourlui.C’estvraimentunmonstre.ParleràMarydecettemanière,aprèstoutcequ’illuiafait…çamedonneenviedegerber.Jesuiscontente,etmêmesoulagée,deluiavoirditlefonddemapenséesurleparking.Un nouveau morceau commence et Rennie accourt vers Reeve. Elle se fait une place sur la
couvertureetvirelesautresfilles.—Tuasbesoindequelquechose?luidemande-t-elle.Onadestrucsàgrignoter.—Est-cequ’onadelabière?Renniehoche la tête et se précipite vers la glacière.Beurk.Çame rendmaladede la voir à ses
petitssoins.C’estàvomir.
e
Elleluirapporteunebière,qu’ilregardeavantd’ajouter:—Y’auraitpasdelaBudLight,plutôt?Enmonforintérieur,jenepeuxm’empêcherdelesingerenmerépétant:«Y’auraitpasdelaBud
Light,plutôt?»J’interviens:— Reeve, et si tu bougeais un peu ton cul pour aller vérifier par toi-même ? Tu n’es pas
paraplégique,auxdernièresnouvelles!C’estjusteunefracturedupéroné!Reevetournebrusquementlatêteetmejettesonregardleplusnoirpossible.Commesiçapouvait
m’impressionner.—Ferme-la,Cho,m’avertit-il.Jesuissurlepointdereprendreunegorgéedemonbreuvagedesorcière,maisavantdelefaire,je
rétorque:—Ferme-latoi,plutôt.Ilpensepouvoirs’enprendreàquiilveut.Ehbien,pasàmoi.Ildevraitêtreaucourantdésormais.Soudain,Alexselaissetomberprèsdemoi,essouffléparsacourse.—Tuasvucematch?medemande-t-ilenmasquantReeve.J’aiquasimenttraversétoutleterrain
jusqu’àlazoned’en-but.J’aiesquivétroisdéfenseursavantdemefairetacler.Je soupire. Alex est vraiment adorable. Il a fait en sorte que les enfants ne manquent pas de
cupcakes, et il n’a jamais rien fait qui puisseme blesser. Il est toujours là pourmoi. Je soupire ànouveauetposelatêtesursonépauleenmurmurant:—Tuessigentil,Alex.—T’esbourréeouquoi?medemande-t-il,mi-amusé,mi-inquiet,etsurtoutsurpris.—Oui.Non.Bon,d’accord,oui.—Tuneboisjamais,d’habitude.—Çam’estdéjàarrivé.(Jem’assoisetleregarde.Ilmefautquelquessecondespourledistinguer
clairement.)J’aipicoléunefoisetçaaétélapireerreurdetoutemavie.Parfois,jemedis…jemedisque jene seraiplus jamais lamême. (Mesyeux se ferment tout seuls).Bref, oublie, je n’auraisjamaisdûdireça.Jetombedesommeil.AlexmeprendlaThermosdesmainsetreposematêtesursonépaule.—Tuasfroid,Lil?Jesecoue la têtepour lui signifierquenon.Lepunchme tientchaud.Enplus, j’aienfilé surmon
justaucorpsunsweat-shirtàlargeencolurequimeretombesurl’épaule.Ilvabienavecmatenuedeballerine;ondiraitquejerentred’unerépétition.—Lepunchtetientchaud?medemandeAlex.Jemecachelabouchederrièremamain.—Jel’aiditàvoixhaute?—Ouais,confirme-t-ilenriant.Jeredresselatêteetledévisage.Sesyeuxsontmagnifiques.
—Magnifiques,dis-jeentouchantseslunettes.—Merci,répond-ilsolennellement.Jefrissonne,etAlexenlèvelavestedesoncostumepourlaposersurmesépaules.—Tupeuxt’appuyercontremoi,pasdesouci,mepropose-t-il.Jem’exécute.Jemelaisseallercontrelui,parfaitementdétendue.Jem’affalepresque.Ilpasseses
brasautourdemoietjemesensplusensécuritéquejamais.Toutlecontrairedecemauvaissouvenir.D’uncoupdepied,PJenvoielaballevolerdanslesairs.—Buuuuut!braille-t-il.—Non,mec, la zone d’en-but, c’est la concession des Zane, le contreditDerek en désignant un
ensembledecroixenpierreblanchecouvertesdemousse,aucentreducimetière.LesZane.Çadoit être la familledeMary. Jene savaispasquec’étaitunevieille famillede Jar
Island.PJetDereksedisputent,etjedisàAlex:—J’aidumalàcroireque lederniermatchdefootaura lieuvendrediprochain.Vousn’êtespas
dégoûtésdenepasjouerlesplay-offs?—Non,dutout.LasaisonauraitputournercourtquandReeves’estblessé,maisonatenulechoc.
Jesuisfierdecequenousavonsfait.Ettusaisquoi?C’estgénialqueLeeaitpuautantjouercettesaison.Ilavraimentréussiàsedistinguer.Jepariequel’annéeprochaine,lesMouettesirontjusqu’ennationale.—Tuestellementgentil,dis-jeenhochantlatête.Jejetteuncoupd’œilàReeve.Ilsemetpéniblementdebout,enéquilibresurunebéquille.Rennie
luidemande:—Tuvasoù?LevisagedeReeveestrouge.—Jerentrechezmoi.Çacraintici.Renniefaitlamoue,maisilnelaregardemêmepas.Ils’estdéjàmisenrouteetclaudiquesurses
béquilles.—Reevie,resteencoreunpeu,s’ilteplaît,lesupplieRennie.Jetereconduiraicheztoijusteaprès.Jeluilance:—Byyyye!Faisgaffeàcequelagrilleducimetièreneserefermepassurtoiensortant!Puis,jeparsdansunrirehystérique.Ilm’ignoreets’enfonceentitubantdanslanuit.Dèsqu’ilestparti,Rennies’approcheetseplante
faceàmoi.—Nonmaistudéconnesouquoi?siffle-t-elle.Avantquejepuisseluirépondrequejenedéconnepasdutout,Alexlance:—Elleestbourrée,ellenesaitpascequ’elleraconte.—Ohquesi!J’envoieuncoupdecoudedanslapoitrined’Alex,puismeredresseetdisàRennie:
—Tum’asplantéepourlaFêtedel’automneettut’esdébrouilléepourquepersonnenem’aide.Renniefermelesyeuxetsecouelatête.—J’enaiplusquemarredet’entendrepleurnicheretteplaindre.LapauvrepetiteLilliaabesoin
qu’onl’aide.Elleestincapabledequoiquecesoittouteseule,elleabesoinquetoutlemondevienneàsonsecours.Tonpetitnumérodedemoiselleendétressecommenceànoussaouler,Lil.J’ail’impressionquejeviensdemeprendreunegrossegifle.Toutcequej’arriveàfaire,c’estla
fixer,sidérée.Alexserelève.—Pourquoitutesensobligéedefairetagarce?Renniesouritetagiteledoigtdanssadirection.—Àpointnommé,Alex,enbravetoutou.Lesgarçonsontinterrompuleurmatch.Quelqu’unabaissélamusique.Touslesyeuxsontbraqués
surnous.Maisjem’enfous.—Oh, alors commeça, je suisunedemoiselle endétresse?Comme le soiroù je t’ai appeléeà
l’aide à la fête ? (À son expression, je vois qu’elle vient de comprendre.Nous voilà de retour cefameuxsoirdanslamaisondelocation,avecMikeetIan.Letrucdontnousétionssupposéesnejamais,jamais parler.)Attends, tu as dit que tu nem’avais pas entendue, c’est bien ça ?Ou alors, tum’asentendue,maistuétaistropoccupéeavectonmec?Dèsquej’aiprononcécesmots,jem’aperçoisquejetremble.LevisagedeRennieestcomplètementfermé.—Tudélirescomplètementet jenesaispasdequoi tuparles.Çasuffit, j’enai terminéavectoi,
souffle-t-elle.Puis,elletournelestalonsetavanced’unpasraidedansladirectionqueReevevientd’emprunter.Alexposelamainsurmonépaule.J’avaisoubliésaprésence.—Dequoiest-cequetuparlais,là?Jeneluirépondspasetmecontentedeluidemanders’ilpeutmeramenerchezmoi.
XVIIMARY
AUBOUTD’UNmomentquimesembledurerdesheures,jesorsentitubantdesboisetdébouchesuruneruerésidentielle.Jenesaispastropquelleheureilest,nicombiendetempsj’aimarché.Laluneesttoujourshautedanslecieletl’aubenepointepasencore.Àencroirel’apparencedesmaisons,descottagespittoresquestrônantaucentredeminusculesîlots
de pelouse, j’ai probablement marché jusqu’à Canobie Bluffs, ce qui veut dire que je me trouvecomplètementà l’opposédemonquartier.Leretour jusqu’àMiddleburyvameprendreuneéternité.Rienqu’àl’idéededevoirfranchirlacollineavecmestalons,j’aidenouveauenviedepleurer.Maisjen’yarrivepas.Jen’aiplusdelarmes.Laseulechosequipeutmeréconforter,c’estquejen’aiblessépersonne.Je…jenepourraisplus
meregarderenfacesiças’étaitproduit.L’énergiequej’aiperçueaujourd’hui,c’étaitlamêmequelesoirdubal,multipliéeparcent.Mêmemaintenant,ellen’apastotalementdisparu.Jepeuxencorelasentirunpeuenmoiquibouillonne,commel’océanàmaréebasse.Jemarcheaumilieudelarueenregrettantdenepaspouvoirfermerlesyeux,claquerdesdoigtset
meretrouverdirectementdansmonlit.Toutestcalmeici.Leschasseursdebonbonssontrentrésdepuislongtemps.Jen’entendsrien,àpartlesdernièressauterellesdel’étéquinesontpasencoremortesetunevoiturequipassedetempsàautreàquelquesruesdelà.Presquetouteslesmaisonssontéteintes.On reconnaît facilement les locations vides ; elles n’ont ni citrouilles, ni chrysanthèmes, ni aucuneautredécorationd’automne.Toutlemondeestendormi;ildoitêtretard.Jeremontequelquespâtésdemaisons.Soudain,unevoituredébouchedanslarueetm’éblouitavec
sesphares.Elleralentitenmecroisant,puiss’arrête.Jenepeuxpasvoirquiestàl’intérieur;lesvitressontteintées.J’aperçoismonreflet,uneversion
punkdemoi-mêmebaignéedelarmes.Heureusement,ellesn’ontpastropravagémonmaquillage.Aupire,ellesmedonnentl’airplusendurcie.Maiscen’estqu’apparence;jenelesuisvraimentpas.Au
contraire,jesuistotalementdévastée.Lavitrecôtéconducteurs’abaisse.—Salut,reinedesbikers.C’estcegarçon,celuidelafiled’attentedulabyrinthe.Ilaretirésesbandelettesdemomie,quisont
empilées sur le siège passager. Il porte à présent un jean et un tee-shirt à manches longues avecl’inscription«Équipedecross-countrydulycéedeJarIsland».Sanslesbandelettes,jepeuxaffirmerqu’ilestmignon.Ilaunmagnifiqueteintcaféaulait,desyeuxclairsetdejoliesfossettes.Ilestminceettrèsgrand,bientroppoursavoiture.Sesgenouxtouchentpresquelevolant,mêmes’ilaentièrementreculésonsiège.Ilestpeut-êtreplusgrandqueReeve.—Jepeuxtedéposerquelquepart?Jepassedevant lavoiture,occultantunphare,puis l’autre. Il tend lebrasetm’ouvre laportière,
commeungentleman.—Moi,c’estDavid,annonce-t-ilens’éclaircissantlagorge.DavidWashington.—Çanemeditrien.—Ettoi,c’estquoi,tonnom?Jemetourneverslavitreafindenepasavoiràleregarder.—Elizabeth.Cenomestsortitoutseul,ettantmieux.Jeneveuxrienracontersurmoiàcetype.Enplaisantant,ilmedemande:—Alors,Elizabeth,est-cequetuasrécoltébeaucoupdedouceurscesoir?—Non.(Jesoupire.)Àvraidire,masoiréed’Halloweenaététoutsaufdouce.—Danscecas,onvaarrangerça.(Ilmontredudoigtleporte-gobeletssurletableaudebord,qui
estremplidesucreries.)Prendstoutcequitefaitplaisir.Jenemesouviensmêmepasdeladernièrefoisoùj’aimangédesbonbons.Maispourquoiest-ce
quejedevraismesoucierdemaligne?Cen’estpascommesiReeverisquaitdemeregarder.Je choisis une sucette dont j’ôte doucement l’emballage. Elle est rose vif. Je la glisse dans ma
bouche et son goût est très sucré, presque acide. David me jette un drôle de regard, alors je luiexplique:—Çafaituneéternitéquejen’aipasmangédebonbons.Ensuite,commeçan’apasbeaucoupdesens,j’ajoute:—Avant,j’étaisgrosse.(Ilrit,commesijevenaisdesortiruneblague.Jetournelasucettedansma
bouchepour la faire fondre.)C’estvrai,etonsemoquait tout le tempsdemoi. Jeme faisaismêmeharceler.Davida l’airunpeumal à l’aise faceà cette confidence. Jemedemande s’il adéjàharcelédes
personnesdanssavie.Jemeretournefaceàluietlequestionne:—Tumetrouvesbelle?Macopineprétendquetumedraguaisdanslelabyrinthe.Davidsembledécontenancé.—Oui.Tuesbelle.Trèsbelle,même.
—Enfait,cesoir,jen’aipaslemêmelookqued’habitude,dis-jesuruntonpluspressantquejenel’auraisvoulu.Normalement,jeneportepasautantdemaquillage.Ilsecouelatête.—Maisc’estlebutd’Halloweendesedéguiser,non?Jemerendscomptequejeporteundéguisementenpermanence.Jen’aipeut-êtreplus l’aird’une
pauvrepetitegrosse,maisc’estpourtantellequejesuisàl’intérieur.Ilparaîtnerveuxetjevoisbienqu’ilcherchesesmots.—Tusaisquoi?Avant, j’avaisunœilparesseux. J’aidûporteruncachependant troisanspour
renforcer lemuscle. (Ilmesouritenmefaisantcetteconfidence.)Tupeuxdirequelœilc’était?Jepariequenon.Jeledévisage.Ilestvraimentbeau.Eneffet,impossibleàdire.Jen’essayemêmepasdedeviner.
Aulieudecela,jeluidemande:—Tupeuxmeramenerchezmoi?Davidmefait laconversationtoutlelongduchemin.IlaquittélaCalifornieilyadeuxanspour
emménagersurl’îleavecsamère,aprèsledivorcedesesparents.Nousdiscutonssurtoutdufaitquec’estvraimentbizarredevivreici.J’appréciequeDavidnedénigrepasmonîle.Iln’estpascommeKat, qui est plus que pressée de partir ailleurs, parce que tout l’agace à Jar Island.David est trèsmodéré. Par exemple, il déplore l’absence d’un bon restaurant mexicain, un truc typiquementcalifornien,j’imagine.Maisiladoresurferici,commelà-bas.Ilmeproposedemedonneruncours.Àunfeurouge,illèveunemainduvolantetlaglissedanslamienne.—Tesmainssontgelées.Ilal’airgêné;nousnoustaisons.Jerésisteàl’enviederetirermamain.JemedisC’estcommeça
quetudevraisêtre;unefillequin’apaspeurdeflirteraveclesgarçons,unefillequiaconfianceen elle, qui est drôle et qui veut passer du bon temps. Honnêtement, je n’étais pas timide, avant.Jusqu’àcequeReevemebrise.Jeluidemandedemedéposerdevantchezmoi.Ils’arrêtelelongdutrottoir,serrelefreinàmain,
puissepencheversmoi.Etlà,ilm’embrasse.Jeluirendssonbaiser.C’estmontout,toutpremier.Davidpasseunemaindansmescheveuxetm’attrapedoucementparla
nuque.Saboucheaungoûtdebonbonsucré.Jel’embrasse,parcequec’estcommeçaquejedevraisvivre.Saufqueleseulpointpositif,c’estlefaitqu’ilaitenviedemoi.Siseulementjepouvaisressentirla
mêmechosepourlui.Ils’écartedemoietmeproposedoucement:—Jetechercheraiàl’écolelundi,Elizabeth.Jenedisrien,lesyeuxrivéssurl’horloge.Ilestpresqueminuit.Davidfermelesyeuxetsepenche
pourunautrebaiser.Auralenti,commedanslesfilms.
Cettefois-ci,jetournelatête.Sadéceptionselitimmédiatementsursonvisage.—Fautquej’yaille,David.—Attends,donne-moitonnuméro.Ilseretourneverslabanquettearrière,àlarecherchedesontéléphone.Pendant ces quelques secondes, je me précipite hors de la voiture et cours jusque chezmoi. Je
n’aimepasDavid.Jen’aipasenviedel’embrasser.Cen’estpasmavie.Cen’estpasmoi.Jenesuispas…normale.Jenepeuxpasfairesemblantdel’être,mêmepourunenuit.Je me faufile à l’intérieur par la porte de derrière. Tante Bette devrait être endormie, mais je
l’aperçoisdanslesalon,quiguetteàtraverslesrideaux.—Tuétaisentraindem’espionner?TanteBetteinspirebrusquement,commesiellevenaitdesortirlatêtedel’eau.Elleseretourneet
medévisage.—Quiestcegarçon?Je suis contrariée qu’ellem’ait vue.C’est embarrassant ! Jemérite un peu d’intimité, après tout.
CommeKatl’adit,jesuisuneadolescente,désormais.Jenesuisplusunepetitefille.—Personne.Jemontemecoucher.TanteBettemesuitàl’étage.—Jesaisquetuattendaisdeconnaîtrecegenred’expériences,etmêmesiçamefendlecœur,je
doistedired’arrêter.—Qu’est-cequejedoisarrêter?Pourquoiest-cequejenepeuxpasembrasserungarçonsij’enai
envie ?Ou traîner avecmes amis ? J’ai fait une erreur il y a bien longtemps et tum’empêches del’oublier!Tante Bette tend la main pour me toucher le bras, mais la retire rapidement, comme si j’étais
brûlantederage.—Tuastellementdecolèreentoiqu’elle…irradie.Jelafixejusqu’àcequ’ellebaisselesyeux.—Tusaisquoi?Jesuisencolère.Contretoi.(Jecroiselesbras.)C’estquoi,tousceslivresdans
tachambre?Tumejettesdessorts?—Mary,je…—Touscestrucsflippantsquetuaccrochesaumurdetachambre,ilsserventàquoi?TanteBettetremble.—Mary,c’estpourteprotéger.—Commentça,meprotéger?Elle n’a pas l’air de vouloir me le dire, ce qui me donne envie d’en savoir encore plus. Elle
commenceàreculerdanslecouloir,maisjelarattrape.—C’estquoi,aujuste?TanteBettelèvelesmains.
—Çanefonctionnepas,detoutemanière.Detoutesmesforces,jehurle:—C’estquoiexactement,cestrucs?—Cesontdessortsdecontrainte,murmure-t-elleenselaissanttombersurlesol.Dessortsdecontrainte?Jesongeimmédiatementàcematinoùjen’arrivaispasàouvrirlaportede
machambre.Etàlamanièredontlafuméemerendaitmalade.Sessortsauraient-ilsfonctionné?Jechassecespenséesinsenséesdemonesprit.Commentai-jepucroireàcesbalivernesneserait-
cequ’uneseconde?TanteBetten’estpasunesorcière.Ilnes’agitpasdevraissorts.Elleestjuste…tarée.Jem’accroupispourpouvoirlaregarderdanslesyeux.—TanteBette,ilfautquetusortesdecettemaison.Ilfautquetuteremettesàpeindre.Tudoissortir
etvivretavie,aulieud’essayerdemegarderenferméeavectoi.(TanteBettes’enfouitlevisagedanslesmains.Elle refusedeme regarder. Il n’y a aucunmoyende lui faire entendre raison. Je ne saismêmepaspourquoij’essayedediscuteravecunefolle.)Jeveuxquetudécrochestoutescesficelles.Ce soir. Je veux aussi que tu arrêtes de brûler le contenu de tes petits paquets, et ce truc avec lacraie…Soittuarrêtes,soitj’appelleMamanetPapapourleurracontertouslestrucsbizarresquetumefais.Elle fond en larmes. Peut-être que ça fait demoi laméchante de l’histoire,mais je ne veux pas
entendresessanglots.Pascesoir,alorsquemoncœurestdéjàbrisé.Enfait,non,cen’estpasseulementmoncœur.C’esttoutemaviequiestenmorceaux.
XVIIIKAT
LADÉLICIEUSEODEURsucréedesgaufresmetiredusommeil.D’habitude,jedoisattendrelesamedipourpouvoir prendre le petit-déjeuner avecmon père,mais je n’ai pas cours jeudi et vendredi à caused’uneréuniondeprofesseurs.J’ai traînéenvoiture lanuitdernière,à la recherchedeMary. Je suismêmeallée jusquechezelle,mais toutes les lumièresétaientéteintes.J’espère justequ’elleestbienrentrée. J’attrapemon téléphoneet envoieunSMS rapideàLilliapour luiproposerdepasser chezMary plus tard, puis je descends l’escalier en chaussettes, dans le grand tee-shirt qui me sert depyjama.—Tut’esbienamuséehiersoir?medemandemonpèrequandj’entredanslacuisine.Bienévidemment,Patdortencore.Ilneselèvepasavantmidi,week-endoupas.Jeserrechaleureusementmonpèredansmesbras.Ilatoujoursétédugenrecostaud,commelesont
lespapas,etj’aimepassermesbrasautourdelui.—Pasvraiment.Honnêtement,lanuitdernièreaétéunfiasco.Jesaisquecen’estpastotalementmafaute,maisjeme
senscoupabled’avoir laisséMary seule dans le labyrinthe. Si j’étais restée avec elle, à ses côtés,cetteconversationdemerdeavecReeven’aurait jamaiseu lieu.Pas sansque je luicasse sonautrejambe.Jenousversechacununetassedecafé.Jeprendslemienavecdulait;Papaleboitnoiravecdeux
cuilleréesdesucre.Ensecret, jene luiendonnequ’une,parcequesonmédecinveutqu’il limitesaconsommation.Papaposenosassiettessurlatable,aveclebeurrieretunpotdegeléedeframboise.Jepréfèremesgaufresavecdelageléeplutôtquedusiropd’érable,etjel’aiconverti.—Est-cequedesgaminssontvenusteréclamerdesbonbonshiersoir?—Justelesdeuxfillesquihabitentplusloindanslarue.
Jemelaissetombersurmachaise.—Ellesétaientdéguiséesenquoi?Papasevoûteau-dessusdesonassiette,sapositionhabituellepourmanger.—Desprincesses,peut-être?Jenesaispas.Onauraitditdesboulesàfacettesroses.—Jedétestetoutcerose.C’estuneoffenseàlaféministequisommeilleenmoi.Est-cequ’ilreste
surcetteplanètedespetitesfillesquiontenviedesedéguiserenpilotesdecourseouendocteurs?Je soulève le couvercle du beurrier et fronce les sourcils.Le beurre est constellé desmiettes de
quelqu’und’autre.Enplus,ilrestedevieillestracesdebeurrefigéesaufond,parcequ’iln’apasétélavédepuislongtemps.Avecmoncouteau,jedécollecequirestedubeurreetlejettedanslapoubelle,pose le beurrier sur la pile de vaisselle sale qui attend déjà dans l’évier, puis sors une nouvelleplaquettedufrigo.Ellepeutresterdanssonemballagepourlemoment.Papalèvelesyeux.—Tuvasbien?—Trèsbien.J’attrapelepotdegelée.Ilestpoisseuxetlecouvercleestmalvissé.C’esttoutPat,ça.Ilfaittout
detraversquandilestenpleintrip.Jeleposelourdementsurlatable.—Quelestleproblème,mafille?Mêmesijesuismanifestementàcran,jeluiréponds:—Rien.Alors,çaavance,toncanoë?Tupensesleterminercettesemaine?Papahochelatête.—Legarsqui l’aacheténeveutmêmepas lemettreà l’eau. Ilpréfère l’accrocheraumurdesa
villasurlaplage.Tunetrouvespasçadingue?Toutcefricpourdeladéco.Ilpeutnaviguer,pourtant.Jen’écoutepasetexaminenotrecuisine.Elleesthypercrade.Unepiledevaissellesales’entasse
dansl’évier,devieuxjournauxetducourrierenvahissentlecomptoir,etlaportedufourestmaculéedechili.Papadescendlerestedesoncafé.—Tum’asgrugésurlaquantitédesucre,Katherine.Ilreculedelatableetc’estlàquejeremarquecequ’ilaauxpieds.—Papaaa,c’estquoicebordel?(Jememetsàrire.)Tuferaismieuxdenepassortircommeça.Il me regarde, perplexe. Je pointe ses pieds du doigt. Il a une socquette de sport noire et une
chaussettebleuclaircenséeêtreportéeavecuncostume.Papahausselesépaulesetattrapelesucrier.—Je n’ai pas trouvéde chaussettes assorties.Et alors ?Qu’est-ce que ça peutme faire ? Je ne
cherchepasàimpressionnerquiquecesoit.MonpauvrePapa.C’estbienvrai.Ilnecherchepasàimpressionnerquiquecesoit.Iln’apaseuun
seul rencarddepuis lamort deMaman.Nonpasque je sois emballéepar l’idéed’avoir unebelle-mère,maisçafaitcinqans toutdemême.Jeneveuxpasqu’il resteseulpour toujours. Ilméritedetrouverunefemmebien.Leproblème,c’estquenoussavonstouslesdeuxqu’iln’yapasuneseulefemmequisoitmieuxque
Judy.—Jevaisfairelalessiveaujourd’hui.Jen’aipasdecorvéesbiendéfiniesouquoiquecesoit,maisj’aitendanceàm’occuperdulinge,
parcequejesuislaseuleàmedonnerlapeinedetrierlescouleurs.Papamefaitsignequec’estinutile.—Kat,jesaisquel’écoleteprendbeaucoupdetemps.Net’inquiètepaspourça.Ilaraison.J’aiététrèsoccupéedernièrement.Maiscen’estpasuneraison.Ilfautquejetrouvele
tempsd’aideràlamaisontantquejevisici.J’engloutismesdeuxgaufres,terminemoncafé,puism’attaqueauménage.Jenettoielacuisine,fais
lavaissellejusqu’àcequel’égouttoirsoitplein,changelesserviettesdanslasalledebainetlanceunemachine pour Papa. Pendant tout ce temps, Pat dort sur le canapé du salon. Lorsque j’entre avecl’aspirateur,ilbougeàpeine.Queltocard.Jesuistellementénervéequej’envoiel’aspirateurcontrelecanapépourleréveiller.Lorsqu’ilouvreenfinlesyeux,jeluibalancedemavoixlaplusmielleuse:—Oh,excuse-moi.—C’estquoi,tonproblème?—Ilfaudraitquetuaidesunpeuplusdanscettemaison.—Laissetomber,Kat,t’astesragnagnaspourêtreaussichiante?D’ailleurs,tunedevraispasêtreà
l’école?Il tend le bras pour remonter le plaid, mais je le lui arrache. Monsieur le tocard est en slip
kangourou.—Iln’yapasécoleaujourd’hui.Regardeautourdetoi,Pat!Cettebaraqueestunevraieporcherie.
QuediraitMaman?—Mamannediraitrien,elleferaitleménage.—Ehbien,tusaisquoi?JenesuispasMaman.Jevaisbientôtmebarreràlafac,etjeneveuxpas
quePapaettoiviviezdansunedécharge!Pats’étireetgrogne:—O.K.,tuveuxquejefassequoi?Je désigne la table basse. Elle est couverte des magazines de course de Pat, et des pièces de
carburateursontposéessurunepagedejournalgraisseuse.—Nettoietamerde.Pathumel’air.—Çasentiraitpaslesgaufres?Ilselèveetsortdusalonentraînantlespieds.Jefiledansmachambreavantd’exploseretconsultemontéléphone.Çafaitpresquedeuxheures,et
Lillian’a toujourspas réponduàmonSMS.Je luienenvoieunnouveau,puism’habille.Comme jen’aitoujourspasderéponse,jememetsàl’appelerenboucle.
Elledécrocheenfinàlaquatrièmetentative.Savoixestéraillée.—Salut,Kat.Quelleheureilest?—Presquemidi.Pourquoitudorsencore?—J’ailagueuledebois,gémit-elle.Jenesaispaspourquoi,maisçamemethorsdemoi.—Bon,jevaischezMary.Tuviens?—Biensûrquejeviens!(Ellesemetàtousser.Oupeut-êtrequec’estunhaut-le-cœur.Impossible
àdire.Entoutcas,çamedonnelanausée.)J’ailetempsdemedoucher?—Évidemment!Jepasseteprendredansvingtminutes.Pourtuerletemps,jemerendsauMilkyMorningetachètetroiscupcakes,unpourchacuned’entre
nous.Jem’arrêteégalementcommanderunsandwichaubacon,àl’œufetaufromagepourLillia,parcequelagraisse,c’estboncontrelagueuledebois.AvantdepasserchezLillia,j’essayed’appelerMarypourluidirequenousarrivons,maispersonne
ne répond. Ehmerde. J’ai comme une boule au ventre. Et si jamais sa dispute avec Reeve l’avaitenvoyéeautrente-sixièmedessouscommeavant?Etsijamais…Jeneveuxmêmepasypenser.Lilliam’attendsurleperron.Elleporteunjeanample,unsweatàcapucheetdeslunettesdesoleil.
Sescheveuxsontencoremouillés.Elles’avancelentementjusqu’àmavoiture,commeunzombie.Jeluitendsmonsandwichàl’œuf.—Tiens,c’estpourtoi.—Génial,Kat!s’exclame-t-elle.T’esvraimentlameilleure.Enl’observantducoindel’œil,jeluidemande:—Lanuitaétéagitée?—Unpetitgroupeestalléaucimetière.J’aiunpeutroppicolé…Jen’aipasarrêtédedireàReeve
à quel point il est naze jusqu’à ce qu’il se barre. (Je lui tape dans lamain pour la féliciter.) J’aiégalement réglémescomptesavecRennie.Noussommesofficiellementennemiesmaintenant. (Lilliasourit,maisjevoisbienquelecœurn’yestpas.)C’estlafind’uneépoque,Katherine.Jeressenssoudainuneenvieirrépressibledeladéfendre.Rennieestunevraiegarce.Lilestbien
mieuxsanselle.D’unevoixtremblante,Lilliaajoute:—Jesuisjustecontentequ’onsesoitretrouvées.Jenesaispascequejeferaissijenevousavais
pas,Maryettoi.D’untonbourru,jerétorque:—Tefaispasdebilepourça.Lilliamesourit,pourdevraicettefois-ci.—Est-cequetuasréussiàlatrouverlanuitdernière?—Non.—Flûte.
Lilliaprendunebouchéedesonsandwich tandisquenousapprochonsdeMiddlebury.Toutenseléchantlesdoigts,ellemeconfie:—J’espèrequ’ellevabien.—Ellevabien,t’inquiète.—Non,jeveuxdire,j’espèrequesonmentalestbon.Jebaisselavoix,parcequejenesuissûrederien.—Jemedisaisquenousdevrionspeut-êtrel’inciteràparleràquelqu’un.—Comme qui ?Un conseiller pédagogique ? (Je repense aussitôt àMmeChirazo enme disant
Putain,toutsaufça.)Onvalasurveillerdeplusprès.Sileschosesempirent,O.K.,onlaforceraàparleràquelqu’un.Maisjenepensepasqu’onensoitlàpourlemoment.Dumoins,jel’espère.Lilliaal’airhésitante,maisellehochelatête.—O.K.,marchéconclu.NousnousarrêtonsdevantchezMary.Dieumerci,lavoituredesatanten’estpasgaréedansl’allée.
Nous nous avançons jusqu’à la porte d’entrée et sonnons à plusieurs reprises, mais personne nerépond.J’aiunmauvaispressentimentquandjesuggère:—Peut-êtrequ’elleestsortieprendrelepetit-déj?Lilliacrie:—Mary!Mary!—Jesuisderrière!répondMary.Jem’approchedugarageavecLillia.Maryestàl’intérieur,sonvéloretournésurlaselle.Elleest
entraindegraisserlachaîne.Le garage est plongé dans l’obscurité, à l’exception d’une ampoule nue pendue aux chevrons.
L’endroitestencombrédemillechoses.Desmeublessousdescouvertures,untélescopepliéetappuyécontreunvieuxbureau.—Lavache!Ildoityavoirdequoimeublertouteunemaisonici.—C’est principalement des affaires appartenant àma famille, dit-elle, qu’on a laissées lors du
déménagement.Jem’avanceetexamineletélescope.Ilestsuperbeau.Duhautdegamme.—Ilsnevoulaientpasdecetruc?Çameparaîtdinguequ’unefamilleabandonnetoutessesaffairesderrièreelle.Maisbon,jenesuis
pasriche.Peut-êtrequelafamilledeMaryadel’argent.Maryhausselesépaules.— Papa aimait tenter de repérer les baleines depuis la fenêtre de devant. Il n’a pas de vue sur
l’océanlàoùilsviventmaintenant.—Onaapportédescupcakes!annonceLilliaenmeprenantlaboîtedesmains.Jem’assoissurunvieuxmeubledejardin.—Onvoulaits’assurerquetuallaisbien,aprèscequeReevet’aditdanslelabyrinthehiersoir.
Maryselèveetfourrelesmainsdanslesmanchesdesonpull.—Çamegênequevousayeztoutentendu,surtoutmesexcuses.Jelaréconforte:—Tu n’as aucune raison d’être gênée.Nous sommes fières que tu lui aies remis les pendules à
l’heure.Tuasbienfait,Mary.—J’imagine.(Salèvreinférieuresemetàtrembloter,maisellelamordpourl’immobiliser.)Jene
comprendspaspourquoijen’arrivepasàpasseroutre.(Ellesetordlesmains.)Jefaisdemonmieux,pourtant…(Savoixestmalassurée.)J’essayedem’inscrireàdesclubsàl’écolepourmeconcentrersurautrechose,pourcommenceràréfléchiràmonavenir.Maismêmesijetravailledurpourrecollerlesmorceaux,jesuistoujoursàdeuxdoigtsdem’effondrer.J’aieuunedisputeterribleavecmatantelanuitdernière. Jesaisquec’esthorribleàdire,maisd’unecertaine façon, je regretted’avoir ratémonsuicide,parcequecen’estpasunefaçondevivre.Je retiensmonsouffleetme rendssoudaincomptequemoncœurbatàcentà l’heure.Notrepire
cauchemar est en passe de se réaliser. Je jette un coup d’œil à Lillia, qui triture les liens de sacapuche.Ellenesaitpasquoidire.Etmoinonplus.Lesilencemepèse,alorsjeleromps:—Mary, c’est biendepersévérerdans lavie,maispaspour cegenrede tentatives,O.K. ? (Ma
blaguetombeàplatetjeparsdansunrirenerveux.Lilliamefusilleduregard,maisaprèstout,jenel’aipasvueouvrirlabouche.)Ilfautquetuarrêtesdediredestrucspareils.Je ne suismêmepas sûre qu’ellem’entende, tellement elle est bouleversée.Tout son corps s’est
avachi,commesisesosavaientfondu.Jedégagemafrangequimetombedanslesyeuxetmepenchepourlarassurer:—Tuaseutonlotdemalheurs,maisunjour,toutcelanetesembleraplussiterrible.L’anprochain,
tuserasendernièreannée,etensuite,tuirasàl’université.Unjour,turegarderasenarrièreetturirasdetoutescesconneries.Siseulementjepouvaisluidonnerplusd’espoirqueça,quelquechosequipourraitl’aider…Mais
c’esttoutcequej’aiàproposer.Avecsoncalmehabituel,ellerépond:—Leplusdrôle,c’estqueReeves’enfoutraitpasmalsijemourais.Voussavezlemalqueçame
fait,aprèstoutcequej’aienduré?Etpourtant,iln’estpassanscœur.Iltientàcertainespersonnes.(EllelèvelatêtedansladirectiondeLillia.)Maispasàmoi.Incrédule,Lillialadévisageetl’implore:—Mary, tunepeuxpas te faireça. Iln’envautpas lapeine. (Elle repoussesescheveuxsurson
épaule.)Vraimentpas.MaryplongesonregarddansceluideLillia.—Jevousaientendustouslesdeuxdansleparkinghiersoir.J’aientenduleschosesquetuluias
dites.Personnenem’a jamais défendue comme ça jusqu’ici.Vous vous êtes comportées en grandessœurspourmoi.Touteslesdeux.Mêmesijesuistouchée,jen’aimepassamanièredeparler.Ondiraitqu’ellenousfaitsesadieux.
Lillia lui adresse un sourire timide et tente d’articuler quelque chose,maisMary ne s’interromptpas,etsavoixsefaitplusforte,plusintense.—TusaisqueReeveapleuréquandtul’aslaissésurleparking?C’estdiresicequetupensesde
luicompteàsesyeux.Lilliasemblesidérée.—Reeveapleuré?Maryacquiesce.—Oui,parcequ’ilt’apprécie.Lilliasecouerapidementlatête.—Non,non,nedispasça,s’ilteplaît.J’interviens:—Attends uneminute. Tu te souviens, le soir du bal ?Comment il t’a embrassée devant tout le
monde?— Il était sous ecstasy ! C’est moi qui la lui ai donnée, tu te rappelles ? Il aurait embrassé
MmeDockertysielleavaitétésurscèneaveclui!—Uneminute.Jemesouviensquelorsquetuasemménagétoutaudébut,ilyaeuunbarbecuechez
Reeve.Tuasditquetuvoulaisunhotdog.Iln’enrestaitqu’un,etalorsquejem’apprêtaisàleposersurmonassiette,ilm’apratiquementfaittomberpourpouvoirteledonner.Lilliaclignedesyeux.—Maisdequoituparles?Dehotdogs?LeregarddeMarys’illuminesousl’effetdel’excitation.—Oh,monDieu,jeviensdecomprendre!Reeveobtienttoutcequ’ilveut.Maispascettefois-ci.
Nousavonslaseulechosequ’iln’aurajamais.Toi.Lilenrestebouchebée.— Admettons que ce que tu dis soit vrai, et j’en doute, même si Reeve m’aimait, je ne
m’intéresseraisjamaisàlui.Jamaisdelavie.Ellefrissonnededégoût.J’aime l’idéedeReevecraquantpourune fillequ’iln’aura jamais.Alorsque je suis sur lepoint
d’enfairepartauxfilles,Marysepenchepourdire:—Lefaitqu’ilt’aimeetqueçasoitàsensuniquenesuffitpas.Tuvoisletruc?Leplushorrible
pourmoi,c’estqueReevem’afaitespérer.Ilm’aattirée,ilapassébeaucoupdetempsavecmoi,ilm’aconfiésessecrets.Ilm’afaitmesentirspéciale.Ilm’afaitcroirequej’avaisunechanceaveclui.(Jegrimace.)Alors,quandilm’atrahiecejour-là,lorsqu’ilm’apousséedansl’eaudevantlesgarçonsdenotreécole,ilm’aeueparsurprise.Jemesuisbriséeenmillemorceaux.Parcequechaquemomentqu’onavaitpasséensemblen’étaitqu’unmensonge.Ilnes’intéressaitpasàmoilemoinsdumonde.Ilm’a utilisée pour s’amuser, pour ne pas s’ennuyer lors des traversées en ferry. (Elle s’éclaircit lagorge.)Reevem’abrisélecœur,etmaintenant,tuasl’occasiondebriserlesien.Tuleferaspourmoi,Lillia?S’ilteplaît.LavoixdeMarys’étranglesurcesderniersmots.
Lilliaporteundoigtàsaboucheetserongel’ongle.—Mary,jevoudraisbient’aider,mais…(Elles’interrompt,puissoupire.)Rennieferaitdemavie
unenferaprèsça.Leschosesvontdéjàmalentrenous…Maryhochetristementlatête.—Jecomprends.Jenevoudraispasqueçateretombedessus.Énervéecommejesuis,jepasseàl’attaque:—Attendez,lesfilles!Lil,situparviensàfaireensortequeReevetombeamoureuxdetoi,tuseras
intouchable.Personnen’oserarientediresituessapetiteamie!Ceconnardrègneenmaîtresurl’île.Lilliamedéfie:—Maisquesepassera-t-ilquandjerompraiaveclui?Çamemèneraàquoi?Jeluiadresseunsouriremachiavélique.—Jevaistedireexactementoùçavatemener,Cho.Çaferadetoilareinedesgarces.Unefille
capabled’embobinerReeveTabatsky,puisdelejeter,çanepeutêtrequ’unechef,mavieille.Lesgensn’aimeront peut-être pas ça, mais ils te respecteront, c’est évident. C’est la passation de pouvoirultime.Putain,siseulementçapouvaitêtremoi!—Jeluiaiditdestrucsvraimenthorribleslanuitdernière,remarqueLillia.Jenepensepasqu’il
mepardonneraunjour.— Si tu t’excuses, il le fera. Les gars comme lui aiment qu’on leur résiste un peu avant de
succomberàleurcharme.Ilsneveulentpasqueçasoit tropfacile.Dis-luiquetuesdésolée,et toutrentreradansl’ordre.D’accord,Mary?Maryacquiesce.Lilliasetait,plongéedanssespensées.Ellelèvelatêteetsemordillelalèvre.—Rennieauraitvraimentlesboules.(Unsourireéclairesonvisage.)O.K.,jevaislefaire.—Tuenesbiensûre?luidemandeMary.Lilliaexpirelonguement.—Jesuisd’accordpourlefaire.Marymanquedes’écroulersouslepoidsdelagratitude.—Merci!Merci,mercibeaucoup,Lillia.J’attrapeLilparlesépaulesetlasecoue.—Yes!LilliaCho,jetenommeofficiellementreinedesgarces.ElleritetjesourisàMary,quirayonned’espoir.Jepavoise.—L’opération«BrisonslecœurdeReeve»débuteraofficiellementsamedi!Chezmoi.—Etpourquoipasdèsmaintenant?m’interrogeLillia.—Parce qu’on a besoin demunitions. Je te lesmontrerai samedi après avoir repassémes tests
d’évaluation.Unpeudepatience,mabelle.
XIXLILLIA
PARSÉCURITÉ,JEmegareàuneruedechezKat.Lesmaisonssonttrèsprocheslesunesdesautresdanssonquartier,etlaplupartontunétage.Ellesn’ontpasdegrandeshaiesetdegrillescommeàWhiteHaven,alorstoutlemondepeutvoircequisepasseàl’intérieur.CommeRenniehabitetoutprèsdelà,etReeveaussi,jepréfèrenepasprendrederisques.ÀJarIsland,onnesaitjamaisquinousobserve.Je sonne à la porte, mais personne ne répond. On avait prévu de se retrouver après le test
d’évaluationdeKat.Mêmesionmepayaitetqu’onmegarantissaitunscoreparfait,jerefuseraisdelerepasser.Jepatienteunpeuavantdesonnerànouveau.Uneminutes’écoule,maisriennesepasse.Lalumière
estalluméedanslacuisine,pourtant.Ilyaquelqu’unàl’intérieur.Délicatement,jetournelapoignéedelaporte.Ellen’estpasferméeàclé,commed’habitude.Jel’entrouvreetappelle:—Y’aquelqu’un?Kat,t’eslà?Quandonétaitgamines,çasepassaittoujourscommeçachezKat.Lesenfantsduquartierentraient
etsortaientlibrement,etpersonnenes’enpréoccupait.Mamère,elle,n’arrêtaitpasavecses«mercide te déchausser avant d’entrer, est-ce que ta mère sait que tu es ici, qui veut du yaourt auxmyrtilles ? » Chez Kat, en revanche, tout était en libre-service. On pouvait se goinfrer de gâteauxapéritifs,boireduSevenUpetjoueràlaconsolependantdesheuressansquepersonnen’ytrouveàredire.C’étaitleparadisdesenfants.—Ehoh,y’aquelqu’un?Unevoixd’hommerépond:—C’estouvert.Jem’aventuredanslacuisineettombesurPatrick,assisàlatable,torsenu,entraindemangerdes
céréales, alors que l’heure du déjeuner est passée depuis longtemps. Il dégouline de sueur et il estsale;ondiraitqu’ilvientdefaireuntourdemoto.Sesépaulessontconstelléesdetachesderousseurcommedansmessouvenirs,maisiln’estplusmaigrecommeunclou.Ilesttoujoursmince,maisplusmusclé.Ilmeregardeébahipendantunefractiondeseconde,puismesourit.—Qu’est-cequetufaisdececôtédel’île,mapetite?J’ailagorgesèchetoutàcoup.—Salut,Patrick.D’unevoixtraînante,ilm’interroge:—C’estKatquetuespasséevoir,oumoi?Jemesensrougir.—Kat.On…onaunprojetàpréparerpourl’école.Elleafinisontestd’évaluation?—Ouais.Elleestsortieacheteruntruc.Descigarettes,jepense.Ilseremetàmangersescéréales,commes’iltrouvaitparfaitementnormalquejesoischezluialors
qu’ilneportepasdetee-shirt.Labouchepleine,ilmepropose:—Tuveuxdescéréales?—C’estlesquelles?—Tespréférées,dit-ilenpointantdudoigtlachaiseàcôtédelui.Assieds-toi.Mêmesi j’aimangéunesaladeaupouletavecuncroissantuneheureplus tôt, jem’installe. Il se
lève et rapporte une bouteille de lait, une cuillère et une boîte de Trix, qui se trouvent être mespréférées.Ilversedescéréalesdanssonboletlepousseentrenousdeux.—Bonappétit ,Lil,dit-ilenmetendantlacuillère.NousnousretrouvonsàmangerdesTrixdanslemêmebol;ilsentlegrandairetl’huiledemoteur.Jen’arrivepasàcroirequePatricksesoitsouvenuquelesTrixétaientmespréférées.Çafaitdes
années que je ne l’ai pas vu. En plus, il est à la facmaintenant, alors comment se fait-il qu’il serappellecegenrededétail?C’estdrôle,parcequemêmesimonbéguinpourluim’estpassédepuislongtemps,enmeretrouvant
assiseàcôtédeluiàlatabledeKat,j’ail’impressionquec’étaithierquej’étaisamoureusedePatricketqueRennie,Katetmoiétionslesmeilleuresamiesdumonde.RKL,àlavie,àlamort.Ilmeparled’uncoursdephilosophiequ’ilsuitàlafacdeJarIsland,etjehochelatêteavecferveur
commesij’étaispassionnée,maistoutcequim’intéresse,cesontsesyeuxd’unvertintense,commeautrefois.C’estàcemoment-làqueKatentredanslapièce.Elleal’airsurprisedemevoir,mêmesionavaitdécidédeseretrouvercetaprès-midi.Adosséeàl’embrasuredelaporte,ellelance:—Qu’est-cequevousfaites,touslesdeux?—Àtonavis?Onmangedescéréales!lataquinePatrick.Jeglousse.Katmejetteundrôlederegard.—Prendstonboletmontedansmachambre,Lil.Ensuite,elleavancedanslecouloir.JemelèveetdemandeàPat:
1
—Çatedérangesijel’emmène?—Jet’enprie.Jeserremonbolcontremapoitrine.—Mercipourlescéréales,Patrick.—Quandtuveux,Lil.Ilmefaitunclind’œiletjepinceleslèvrespournepassourire.Puis,jesuisKatdanssachambre.—C’étaitquoi,ça?medemande-t-elleens’allongeantsursonlitsanssedéchausser.Beurk.—Quoidonc?Jem’assoisparterre.Jesaisqu’onestcenséesselajouerdiscrète,maiscen’estpasmafautesiPat
estàlamaison.—Tu vois très bien ce que je veux dire, insinue-t-elle en secouant la tête avec un petit sourire
taquin. Ce gros tocard sèche encore les cours. C’est vraiment un loser. Je n’ai jamais comprispourquoi tuétais sigagademondébilede frère. Ilvaà la facducoin ; tun’aspirespasàmieux?Parcequemoi,si.Jerépliquesèchement:—Jen’aijamaisétégagadePatrick.Etpuis,iln’yariendedéshonorantàfréquenterlafacdel’île.
Enplus,ilditqu’ilvaprobablementchangerdefacbientôt.Apparemment,Katl’atoujourssu.Jeneluiaijamaisavouéquej’enpinçaispourPatrick.Jel’avais
seulementconfiéàRennie,quiavaitjurédetenirsalangue.Etunetrahisondeplus.Katrenifled’unairmoqueur:—Oh,ceque tupeuxêtrenaïve,Lil. Ilnevaallernullepart. Ildoit avoirvalidédeuxmatières
maximum.IlvarestercoincésurJarIslandpourlerestedesaputaindevie.—Aufait,comments’estpassétontestd’évaluation?—Alorslà,aucuneidée!Jem’appliqueàmangermescéréalesleplusvitepossible,parcequ’ellescommencentàramollir.
Enessuyantlelaitquicoulesurmonmenton,jequestionneKat:—ÀquelleheureMarydoitpasser?—Jecroisqu’elleaditqu’elledevaitfaireuntrucavecsatanteavant.Elledevaitluidemanderde
ladéposerouveniràvélo.—Cool.Jeboismonlaitsucrépar lescéréales,puispose lebolsur lamoquette.Aprèsavoirenlevémes
ballerines,jem’allongesurlelitàcôtédeKat,quisepoussepourmefaireunpeudeplace.Enfixantleplafond,jelacuisine:—Alors,euh…est-cequePatrickaditquelquechosesurmoi?Katéclatederireetmefrappesurlatêteavecsontraversin.Jesouris,avantd’exploserégalement.—J’arrivepas à croire queRennie t’ait dit que j’aimais bienPatrick alors qu’elle avait promis
qu’elleneleferaitjamais.Ellel’ajurésurlatêtedesamère!
Engloussant,Katm’avoue:—Mêmesiellenemel’avaitpasdit,çasevoyaitcommelenezaumilieudelafigure.Tutrouvais
toujoursdesexcusespourorganisernossoiréespyjamasiciplutôtquechezRennie!—Enfait,c’étaitsurtoutàcausedeShep.Mamèreprétendqu’elleestallergiqueauxpoilsdechien,alorsnousn’avonsjamaisétéautorisésà
enavoirun,etcen’estpasfautedel’avoirsuppliée.Elleneveutprobablementpasqu’unchiensalissenosmeublesblancs.Jem’assiedsetappelle:—Shep,viensparici,Shep!Shepbonditdanslachambre,puissautesurlelitetmelèchelevisage.Jeleserrefortcontremoiet
luimurmureàl’oreille:—Salut,monchien!Soudain,Katmedemande:—Tu tesouviensdecespétassesquePat ramenaità lamaison?Ellesétaient toujoursbeaucoup
plusvieillesqueluietellesfumaientàl’intérieur.Tuterappellescettefois-là?Biensûrquejem’ensouviens.J’avaistreizeansquandmonbéguinpourPatrickétaitàsonapogée;ildevaitdoncavoirquinzeou
seizeans,àl’époque,etlesfillesaveclesquellesiltraînaitavaientl’airdevraiesfemmespourmoi.Ellesavaientdesseins,ellesjuraientetellessepavanaientàl’arrièredesamoto.L’uned’entreelless’appelaitBeth.C’étaitl’après-midi,etavecRennieetKat,onétaitdanslesalon
àécouterdelamusiqueetàrépéterunechorégraphied’undecesfilmsoùlesacteursdansentsouslapluiedansunparking.—Lil,ilfautroulerleshanchescommeça,m’aditRennieenmemontrantcommentfaire.Katetellesesontalorsexécutées,avecunesynchronisationparfaite.—Détends-toi,Lil,tuestropraide,m’aconseilléKat.Mal assurée, j’ai essayé de les suivre pour apprendre les pas. C’est là que Patrick et Beth sont
entrés. Ils ont éclaté de rire et jeme suis immédiatement immobilisée, mais Rennie et Kat les ontignorésetontcontinuéàdanser,mêmelorsqu’ilssesontassissurlecanapépournousregarder.Bethavaitlescheveuxauburn.Ilsétaientjusteassezlongspourqu’ellepuisselesattacherenqueue
decheval.Elleportaitunetonned’eye-liner,maispasderougeàlèvres,etungrandtee-shirtnoirdontelleavaitcoupélesmanchesenguisederobe.Ellesemblaitavoirvingt-deuxans,alorsqu’ellen’enavaitprobablementquedix-huit.—Mate-moicespetitespoufsentraindesetrémousser,a-t-ellelancédesavoixrauqueenallumant
unecigarette.Patricks’estmoquéetj’aibaissélesyeux.Àtraversmescils,jel’aiobservéeuninstant.Elleavait
posésespiedssurlatablebassesansmêmeenleverseschaussures.J’aimurmuré«Onmonte»,maisKatafaitminedenepasm’entendre.—Alorscommeça,c’estnouslespoufs?Regarde-toi,plutôt!Ilestoù,tonfut?Tul’asoubliéà
l’arrièred’unefourgonnette?
Beths’estesclafféeetatiréuneboufféesursacigarette.Çaluidonnaitunairsexy,commedansunfilm.—Excuse-moi,maistun’espasautoriséeàfumerdanslamaison,l’aavertieRennie,lesmainssur
leshanches.PatrickaprisuneclopedanslepaquetdeBeth.—Allezjouerdehors,lespetites.Onveutregarderlatélé.Ilsontéchangéunsourireencoin.—Onétaitlàlespremières,aremarquéRennie.PatrickluiaadresséunregardmenaçantetKatacoupécourt:—Bon,d’accord,onsecasse.Venez,lesfilles.Àladernièreseconde,elleaattrapélepaquetdecigarettesdeBethetestpartieencourant,Rennie
etmoi sur ses talons.Ona franchi lamoustiquaire à fondde trainpour sortir dans le jardin et j’aientenduPatrickrager.Jamais jen’avaiseuautantconsciencedemonâge jusqu’ici.J’avaisenvied’avoirdix-huitanset
nontreize.JevoulaisquePatrickmecontemplecommeillacontemplaitelle.Etplusquetout,j’avaisenviedefaireuntouràl’arrièredelamotodePatrick.Justeunefois,pour
voircequeçafaisaitdefonceravecseulementluiàquimetenir.Mesparentsm’auraientenvoyéeaucouventsijeleleuravaisavoué.Ilsm’avaientfaitpromettredenejamaismontersurlamotodePat.C’étaitlaconditionàrespecterpourpouvoirtraînerchezKat.Jen’aijamaisdésobéiàmesparentsjusqu’àprésent,maissiPatmeproposaitdefaireuntoursursa
moto,j’accepteraissanshésiter.Pourmesentirlibre.Jeveuxsavoirqueleffetçafait.
NOUSMANGEONSDU pop-corn caramélisé en écoutant de lamusique.C’est le groupe préféré deKat,maislesonesttellementfortquej’enaimalaucrâne.Ducoup,nousn’entendonspasMaryentrer.Ellebonditdanslapièce,lesjouesroses;elleal’airenbienmeilleureformequejeudi.Jem’exclame:—Mary!—Bonjour,bonjour!noussalue-t-elleens’approchantdulit.Alorsqu’elles’apprêteàs’asseoir,Shepmontrelescrocsetgrognedanssadirection.Katl’attrapeparlecollieretlesecoueenluiordonnant:—Arrêtetoutdesuite.ÀMary,elleexplique:—Ilestinoffensif,jetelejure.Maryritnerveusementets’assoitparterre.—Engénéral,leschiensm’adorent.—Jepeuxlefoutredehors,proposeKatenselevant.Jeproteste.—Oh,non!Laisse-moilecaresser.Mary,ilnevapass’approcherdetoi.—Çameva,dit-elleengloussant.Bonchien!
Shepfilesous le lit. Jemepenchepouressayerde l’appâteravecunepoignéedepop-corn ; ilal’airtenté,maisnesortpaspourautant.JetendslepaquetàMaryetlesecouesoussonnez.—Vas-y,ilesthyperbon.Marygrimace.—Tun’aimesquelestrucshypersucrés,Lillia.—C’estparcequejesuistoutsucre,toutmiel.Plusgentillequemoi,y’apas!EllemesouritetjegrimpedanslehamacdeKat.Kats’avanceverssonarmoireetmejetteunsacremplidefringues.—Tiens,tesmunitions.Avantdel’ouvrir,jelapréviens:—Pourtagouverne,jeneportepasdebasrésille.—Y’apasdebasrésillelà-dedans,nounouille.Elle s’affale sur son lit etm’observe tandis que je commence à inspecter le contenu du sac.Un
bustierrose.Unautrenoirendentelle.Desbascrèmetoutdoux.Unejupebandeautellementcourtequeça pourrait bien être un hautmoulant. Impossible à dire. Les bas sont plutôt sympas,mais le restesembletoutdroitsortid’uneboutiquedelingerie.C’estvraimentpasmonstyle.Jelataquine:—Kat,tuasvolétouscestrucs?Celle-cilèvelesyeuxauciel.—Tusaistrèsbienquejenesuispasunevoleuse.C’estletrucdeRennie,ça.Oh,tantqu’onyest,
tumedoiscentsoixantedollars.Jesoulèveunemini-robemoulanteàmancheslongues.Ondiraitpresqueunjustaucorpsdeballet.—Jenevaisquandmêmepasporterça!J’auraisl’aird’unepute,sinon.—J’ailamêmeenviolet,s’offusqueKatenmejetantunregardfurieux.Oups…—C’estpasmongenre.Jeveuxdire,jesuissûrequetuessuperbeaveccetterobe.Maisçaneme
ressemblepas.(Jerepèreuncorsetnoirendentelleenbasdelapile.)Tut’attendsàcequej’ailleàl’écoleenlingerie?Katbonditauborddulit.—Et alors ?Tuauras l’airhyper sexy.Si tu tepointes à l’école enportant ce trucetdes talons
hauts,Reevevadevenir dingue.Tout ce que tu as à faire, c’est porter ces fringues pour attirer sonattention.Ensuite,tuenchaînesaveclerapprochementphysique:tuluifrôleslebras,tuposeslamainsursongenou.Etpourfinir,tudiscutesavecd’autresmecspourlerendrejaloux.C’estaussisimplequeça.Jerétorquesèchement:—Euh,excuse-moi,maisjesaisparlerauxmecs.Commesij’avaisbesoindesconseilsdeKatpoursavoircommentattirerl’attentiond’ungarçon!
J’ajoute:
—Pourtoninfo,àlaSaint-Valentin,j’aibattulerecordduplusgrandnombrederosesreçuesparunefilleaulycée.C’est la vérité. Bon, d’accord, une douzaine provenait de Papa,mais d’autres garçonsm’en ont
égalementoffert. J’aimêmebattuRennie.Ellen’arrêtait pasdedireque jen’auraispasgagné sansl’aidedemonpère.Maintenantquej’ypense,jevaislabattrecetteannéeégalement.Jeferaitoutcequ’ilfautpourça,mêmeparleràdesboutonneuxdepremièreannées’illefaut.Katsoupire.—O.K.Situneveuxpasmettrecesfringues,tuproposesquoi?J’enfourneunepoignéedepop-cornetréfléchis.—Ehbien, j’aiun joli chemisieravecuncolnoué ; jepourrais leporteravecce super shorten
flanellegrisequej’aivusurInternethiersoir.MaryetKatéchangentunregard.Katsepencheversmoi.— Écoute. Apparemment, tu as un style plutôt classique, genre Jackie Kennedy. Tu es classe,
raffinée,stylée.Jehochelatête.—Exactement.Enlevantlesyeuxauciel,Katpoursuit:Là,fautquetulajouesfaçonMarilynMonroe.Tudoisêtresexy.Unevraiebombeatomique.Ilne
faut pas que Reeve ait envie de te présenter à sa mère. Le but, c’est qu’il ait envie de toi. Qu’ilfantasmeàmort.Quetufassesmonterlasauce…O.K.,O.K.,c’estbon,j’aipigé!(Jeretombedanslehamacengloussant.)Maisfranchement,ilest
répugnant.Jevaisavoirlagerbeàchaquefoisquejedevraifairesemblantdeflirteraveclui.Katmejettelarobemoulanteàlatête.—Essayeaumoinscelle-là.—Ouais,Lil,confirmeMary.Toutescesfringuesvontt’allerhyperbien.Jebougonne.—Lil, fais-moi confiance sur ce coup-là. Je sais de quoi je parle. Je t’ai dit avec combien de
chanteursjesuissortiecetété?Quatre!Ilyavaitdesfillesplussexyquemoidanslesparages,maisc’estmoi qu’ils ont repéré dans la foule.Tu sais pourquoi ?Tout est une questiond’attitude.Tu teconduiscommesituneteprenaispaspourdelamerde,etlesmecssontsiconsqu’ilstombentdirectdanslepanneau.Elleaparfaitementraison.RegardezRennie,parexemple.Sontruc,c’estl’attitude.Cequ’elleveut,
ellel’obtient.Elleatoutel’écoleàsespieds.OnoublieMarilyn.Jevaisjustefairecommeelle.Jeprendslarobe.—Alors,lesfilles,qu’est-cequejedoisporterenpremier?Cetterobedeputeoucetteespècede
soutif?MarypousseuncriperçantetleregarddeKats’illuminequandellemerépond:—Larobe,y’apasphoto.
LORSQUENOUSENTRONSdansleparkingdel’écolelelundisuivant,NadiaaperçoitsacopineJanelleetmedemandedeladéposerprèsdel’entréeprincipale.Jeprendsle tempsdemegareretd’arrangermescheveuxdanslerétroviseur.Hiersoir,j’aiappliquélesbigoudischauffantsdemamèresurmescheveuxavantd’alleraulit.Katn’arrêtaitpasdedirequ’ilmefallaitunecoiffuredebombasse.Cen’est pas exactement une coiffure de bombasse,mais c’est toujours plus sophistiqué quemon stylehabituel.Jem’appliqueégalementunpeudeglossrosesurleslèvres.Ensortantdemavoiture, jeveille àboutonnermon trench jusqu’enhaut et le serreautourdema
taille.Justeaumomentoùjerefermelaportière,jerepèreKatquimeregardedepuisl’autrecôtéduparking, adossée au grillage. Elle secoue la tête et articule « Enlève ton trench. » En réponse,j’articule«J’aifroid»etluiadresseunregardimplorant,maisellesecoueànouveaulatête.Surseslèvres,jelis«Marilyn».Lentement,jeretiremontrenchetlerangedansmoncoffre.Jetraverseleparkingetentredansl’école.Jeportemestalonslesplushauts,lesrosepâleencuir
verni que j’avais achetés pour le bal des étudiants. Jemonte prudemment lesmarches pour ne pastrébucher.Larobeesthyperserrée,maistrèsconfortablemalgrétout,parcequ’elleestenlycra.Ellecouvreàpeinemesfessesetmefaitdesseinsénormes,contrairementàd’habitude.J’espèrequelessurveillantsnevontpasmedirederentrermechanger.Mamèreferaitcertainementuneattaque.Immédiatement,jesensquelesgensmefixent,maisjeregardedroitdevant,latêtehaute,lesépaules
enarrière.Unefillededeuxièmeannéemurmure«Lavache!»àsacopineetquelquesgarçonsmesifflent.Jefaisminedenepaslesentendre.Jemarchecommesil’écolem’appartenait.ÇadoitêtrecequeRennieressent.Jedéposemasacochedansmoncasieretmepromèneseulementavecunsacàmain,parcequec’est
bienplus sexy,plusdans le styleMarilyn. Jeme remets unpeudegloss également.La sonnerie varetentirdanscinqminutes,cequiveutdirequeReevedoitêtreprèsdesdistributeursavecAlexetPJ,commetouslesmatins.C’estbienlecas.Adossésàunerangéedecasiers,ilsmangentdesdonuts,saufReeve,quiapris
unebarreprotéinée.Àmongrandsoulagement,Rennien’estpaslà.Moncœurpulsedansmestympansquandje lessalueenpassantdevanteux.Jefile toutdroitvers ledistributeur.En tapant leschiffrespourobtenirdesdonutsauchocolat,jejetteuncoupd’œildanslavitrepourvoirsiReevemeregarde.Ilnelefaitpas;ilestoccupéàengloutirsabarreprotéinée.Jeremarqueégalementqu’iln’aplusdebéquillesetqu’ilatroquésagrosseattellecontreunepluslégère,faitepourlamarche.PJmesiffleetmelance:—Tut’eshabilléepourquelleoccasion,Lil?Enmetournantlégèrement,jeluiréponds:—Pourunexposéencoursdefrançais.JeseraisparfaitementraccordsijedevaisfaireunexposésurleMoulinRouge.—Trèsbien ,conclutPJsuruntonadmiratif.Jeluifaislarévérence.Marobeesttropcourtepourmepermettredemepencheretderécupérermesdonutsdanslebasdu
distributeur.Heureusement,Alexs’approchedemoijusteàcemoment-là.—Tuesjuste…àtomber!meconfie-t-ilàvoixbasse.Jemesensrougir.
2
—Merci.Alexsebaisse,attrapemesdonutsetmelestend.—Vraimentàtomber,répète-t-il,lesyeuxécarquillés.J’essayedenepassourire.Jen’arrivepasàmesouvenirsijedoisd’abordtenterunrapprochement
physiqueavecReeveoulerendredirectementjaloux.Jenesaismêmepass’ilmeregarde.Jesuissur lepointdejeteruncoupd’œilàReeve,quandj’aperçoisRenniedanslecouloiravec
Ashlin.Rapidement,jepassemonbrassousceluid’Alex.—Tum’accompagnesjusqu’àmaclasse?—Biensûr!Jeseraitongardeducorps.Reevem’observe,désormais.Sesyeuxseposentrapidementsurmoi,puisillesdétourneaussivite.
Ilsembletotalementdésintéressé.Ilnefaitmêmepasdeblaguevaseusesurmatenue.Sansm’accorderunregard,ils’essuielaboucheetjettel’emballagedesabarredanslapoubelle.Peut-êtrequ’ilm’enveut encoreaprèsceque je lui aidit le soird’Halloween.Merde.Pourque
notreplanaitlamoindrechancedefonctionner, jevaisdevoirravalermafiertéet luiprésentermesexcuses,mêmesic’estladernièrechosequej’aienviedefaire.
ÀL’HEUREDUdéjeuner,j’ail’intentiondem’installeràcôtédeReevepourm’excuser,maislorsquejem’approche,ilestdéjàassistoutauboutavecRennie.Elleouvredegrandsyeuxenvoyantmatenue,etjedoisrésisteràl’enviedecroiserlesbrassurmapoitrine.Jeme glisse sur la chaise en face d’elle. Je vais faire comme si la dispute d’Halloween n’avait
jamaiseulieu,parcequejen’aipasd’autrechoix.—Salut,vousdeux!dis-jeenouvrantmonThermosdethéblancàlamyrtille.Elle fait semblant de ne pas m’entendre, ce qui me convient parfaitement, puis pose la tête sur
l’épauledeReeveetluidemande:—Tuveuxquej’ailletechercherquelquechoseàmanger,chéri?—Nan,çava,répond-ilenagitantsabriquedelaitvitaminé.—O.K.,jevaisprendredesfrites.Jereviensdansdeuxsecondes.Renniecourtquasimentjusqu’àlafiled’attentedevantlebuffet.Dèsqu’elleestpartie,jemepencheversReeveetluimurmure:—Je…euh…jesuisdésoléepourtoutcequej’aiditàHalloween.Jecroisquej’avaistropbu.Faisantpeudecasdemesexcuses,ilm’annonceplatement:—Ahouais,tucrois?Bon, apparemment, Reeve ne va pas me faciliter la tâche. C’est tout lui, ça. J’avale ma salive,
baisse la tête, puis le regarde à travers mes paupières mi-closes. Il va falloir que je fasse uneperformancedigned’unOscar.D’unevoixhonteuse,j’ajoute:—Reeve,jesuisvraimentdésolée.Jen’auraisjamaisdûtedireça…d’autantplusquetuesvenu
m’aideràlaFêtedel’automneetquetuasfaitdetonmieux,malgrétablessure.Jetendslamainetluitouchelebras,qu’ilretirevivement.—Jene suispasvenuà la fêtepour t’aider. Je l’ai fait uniquementparceque jem’étais engagé
auprèsdesenfants.Ilserenfoncedanssachaise.Ondiraitbienquemonplannefonctionnepasdutout.Jevaisdevoirchangerdetactique.Peut-être
bienenluidisantunpeulavérité.—Jenesaispas si tu l’as remarqué,maisRennieetmoi,ons’estdisputées. Je levismal, et je
pensequejemesuisdéfouléesurtoiparcequetuétaislà.Encoreunefois,jesuisdésolée.Jetejurequejenepensaisriendecequejet’aidit.Bond’accord,jemensunpeu.Reevehausselesépaulesetavaleunegorgéedelait.Cool,mercidetemontreraussicompréhensif,Reeve.Mercimillefois.
1Enfrançaisdansletexteoriginal(NdT).2Enfrançaisdansletexteoriginal(NdT).
XXMARY
ILESTDIX-SEPTheurespassées;toutlemondeadéjàquittél’école.Noussommesassisessurlesdeuxderniersrangsdel’auditorium.LilliaestàcôtédeKat,quiaposésesrangerssurlesiègefaceàelle,etmoiperchéesurledossierd’unfauteuildevantelles.Lilliaôtel’emballaged’unesucettemarronclairetl’agite.—Quiveutgoûterenpremier?nouspropose-t-elle.Noussecouonstouteslesdeuxlatêtepourrefuser.—Alors,raconte!crieKatenfrappantdanssesmains.Onveuttoutsavoir!J’applaudiségalement,parcequec’estsuperexcitant.J’aiattenducemomenttoutelajournée.Lillia
tournelasucettedanssabouche.— Eh bien, je me suis pavanée devant lui avant le premier cours et il m’a à peine regardée.
Maintenant que j’y repense, c’était plutôt insultant. Je veux dire,O.K., je lui ai crié dessus le soird’Halloween,maisc’estunmec.Lesmecssontsupposésêtretoujoursexcités,non?Alorsqu’iladûdraguertouteslesfillesdel’école,ilm’ignorecomplètement?(Ellesoupire.)Franchement,aprèstoutletempsquej’aipasséàmecoifferetàmemaquiller…—Ilessayaitprobablementdecachersatrique,meditKatensemordillantl’ongle.Tueschaude
commelabraise,Lil.Lilliarigole.—Euh,merci?— En cours d’espagnol, j’ai entendu Connor Dufresne décrire ta tenue avec un nombre
impressionnantdedétails.Iladitquetueslafillelaplussexydesdernièreannée,etdeloin.Iladit…—Ahnon,ladeuxièmeplussexy,blagueKat,etnousrionstouteslestrois.Netestressepas,Lil.
C’estqu’unéchauffement.Aujourd’hui,onaplantéledécor.Après,onvapasserauxchosessérieuses.
—Comment?s’interrogeLillia.Jemesuismêmeexcuséependantledéjeuner,etiln’apasvoulum’écouter.Enplus,iln’estjamaisseul,avecRennielaparasitequiesttoujoursaccrochéeàlui.Jem’éclaircislagorge.—Jeconnaisunendroitoùilserendseul.(Lesyeuxbaissés,j’enrouleunemèchedecheveuxautour
demondoigt.)Lapiscine.Surprise,Lilliademande:—Ilcompterejoindrel’équipedenatation?—Non,c’estpoursarééducation.Ilyvatouslesjoursdepuisqu’onluiaretirésonplâtre.(Jesuis
sûrequ’ellespensentquej’espionnesesmoindresfaitsetgestesparcequ’ilm’obsède,maisçam’estégal.L’occasion est tropbonnepour la laisser filer. Je pose les yeux sur elle.)Lillia, commence ànageraveclui!Vousneserezquetouslesdeux.Iln’yapersonneàlapiscineaprèsl’école.Lilliasecouedéjàlatête.—Mary,jenesaispasnager.Dis-lui,Kat!—Lillianesaitpasnager,confirmeKat.—Tun’aspasappris?—Sisi,vaguement,maisjedétesteça,rétorqueLillia,surladéfensive.Enplus,Reevelesait.Ilva
avoirdesdoutessijemepointeàlapiscinedujouraulendemain!D’untonrassurant,Katajoute:—Ducalme,Lil.Personneneva te jeterà l’eauaujourd’hui. (MaisLilliacontinuedesecouer la
tête, affolée. Soudain, le visage de Kat s’illumine.) Attends, tu ne devrais pas passer le brevet denatationpourtondiplôme?—Monmédecinm’adispensée,expliqueLilliaenrelevantfièrementlatête.Jeveuxdire,monpère
l’afait.Katestsiexcitéequ’elleenfrémit.—Bahvoilà,Lil!Tonexcuseesttoutetrouvée.Tut’entraînespourlebrevet.Lilliacroiselesbras.—Jet’aiditquejenepasseraipasletest!J’aidéjàfournimadispense.Qu’est-cequ’ilfautqueje
fasse maintenant ? Aller trouver M. Randolph pour lui annoncer que mon aquaphobie amiraculeusementdisparu?—Reevenesaitpasquetuesdispensée!Faissemblantdetepréparer.Toutcequetuasàfaire,
c’estpataugeravecuneplanche,mepresseKat.Contente-toidefairelepetitchienlàoùtuaspied.Etn’oubliepasqueReeveestunexcellentnageur.IlapulvérisélerecorddebrassedeJarIslandquandilavait, quoi, dix ans, et personne ne l’a battu depuis ! Même avec sa jambe blessée, il pourraitfacilementvenirtesauver.Jen’aipaspeurdemenoyer,rétorquesèchementLillia.Danscecas,tuaspeurdequoi?Ceplanestparfait.Imaginecequivasepassersituteretrouves
toutprèsdelui,jouraprèsjour.(Katclaquedesdoigts.)Ilnepourrapastenirbienlongtemps.Lilliasembleunpeumalàl’aise.Jenepeuxpasluienvouloir.Meretrouvertouslesjoursenfaceà
faceavecReeveTabatskyenmaillotdebainmedonneraitégalementdessueursfroides.Ellesetourneversmoiensemordantlalèvre.
—Qu’est-cequetuendis,Mary?Jemepasselamaindanslescheveux.JeneveuxpasmettreLilliadansunesituationinconfortable,
maisencoreunefois,nousn’avonspasd’autreschoix.Jefinisparluirépondre:—J’endisqueKataraison.Est-cequetupourraisaumoinsessayer,Lillia?Pourmoi?Lilliame dévisage, puis éclate de rire. Elle donne un petit coup de coude àKat, puis, les yeux
toujoursfixéssurmoi,annonce:—Commentjepourraisrefuseraveclaminequetufais?JenesuispascommeRennie.Quandmes
copinesontbesoindemoi,j’accours.
PLUSTARD,QUAND jerentreàlamaison,tanteBetteestdanslegrenier.Jecollel’oreilleàlaporteetentendslefrottementdesonpinceaucontrelatoile.Jefermelesyeuxetsouris,soulagée.Dieumerci,elles’estremiseàpeindre.TanteBetteest toujoursplusheureusequandelle travaille.Cetteénergiepositivepourraitêtrebénéfiqueànotremaison.
XXILILLIA
APRÈS LES COURS, je file directement à la piscine. Le bâtiment est vide et baigne dans une lumièrebleutée, à cause de l’éclairage. Je déteste l’odeur du chlore. Sur les gradins, à côté de l’attelle demarche,de la serviette etdu sacde sportdeReeve, jeposema serviette deplage avecunours enpeluchedessusetmestongs.Jeporteunbikinificelleblancbrodédemarguerites.C’estleplusbeauquejepossède.Jemerelèvelescheveuxenchignonafindenepastroplesmouiller.Reeveestdéjàdansl’eau.Ilaattachédesflotteursàsajambe,qu’ilbalanceenavantetenarrière
engrimaçantetens’aidantdesesbraspoursedonnerde l’élan. Ilest siconcentréqu’ilnesemblemêmepasremarquermaprésence.Jem’éclaircislagorge,etiltournevivementlatête.—Qu’est-cequetufousici?exige-t-ildesavoir.Jedoism’entraînerpourlebrevetdenatation.Ilfautquejel’obtiennepourdécrochermondiplôme.Danscecas,nemedérangepas.Jesuisicipourtravailler,paspourdiscuter.C’estpourçaqueje
viensseul.Maistum’asdemandéde…—J’aibesoindecetteligned’eauetdel’équipementquetuvoisici.N’ytouchepas.Puis,ilretourneàsesexercices.Bouillantdecolère, j’attrapeuneplanchesur lapileetmedirigevers l’échellede lapiscine,du
côté le plus profond. Je commence à descendre une marche à la fois, très prudemment. L’eau estchauffée,maisjelatrouveglaciale.J’aidéjàlachairdepoule.Lejeun’envautpaslachandelle.Jerestesurl’échelle.Pourpasser le testdenatation, jedevraisplonger,puisnagerdeux fois la longueurde lapiscine
aller-retoursansm’arrêter.Ilfaudraitégalementquejefassedusurplacependanttroisminutes,puislaplanchependantuneminute.Jenesaisrienfairedetoutça.
Jeveuxdire, jesaisfaire lepetitchien.Jeneconnaispas lesmouvementsofficiels,maisons’enfout,non?Jenevaispasmenoyerchezmoi,dansmaproprepiscine.Jen’aimepasmettrelatêtesousl’eau.Jedétesteavoirl’impressiondenepaspouvoirrespirer.Jetez-moilapierresivouslevoulez.J’aipleind’autresactivitésphysiquesquej’adore,commelecheerleading,l’équitation,letennisetlegolf.Pourquoiest-cequ’ilfaudraitabsolumentquejenage?Jeme tiens aubordpendantuneminute,unbras sur lemur et l’autre agrippéàmaplanche.Mes
piedsnetouchentpaslefond,etjepaniqueunpeu.Quandjesuisdansmapiscineàlamaison,jerestetoujoursoùj’aipied.Entre-temps,Reeve a viré ses flotteurs et il nage comme un champion olympique, enchaînant les
longueurs.Ilsortàpeinelatêtedel’eaupourrespirer.Ilsedonneàfond,peut-êtretropmême.Ilnagelepapillon,etsesbrasfendentl’eauavecforceetassurance,maissajambetraînederrièrelui.Jedoisadmettre que je suis rassurée par sa présence. Comme ça, s’il m’arrive quelque chose, il ne melaisserapascouler,mêmes’ilmehait.Enfin,jenepensepas.Jelâchelemuretcommenceàmeservirdelaplancheenlaserrantfort.Jebatsdespiedslelongde
la ligne, la têtedresséehors de l’eau, en essayant denepasm’éclabousser.C’est vraiment dur.Enplus, j’aipeurdenepas avoir suffisamment serré le haut demonbikini.Mesmaillots debain sontpurementdécoratifs;ilsnesontpasconçuspourfairedusport.Ilmefautuneéternitépourfaireunelongueur.Reevealetempsd’enfairetroisavantquej’atteignel’autrebord.Reeve ne s’arrête pas et neme prête pas attention. Je flotte près de l’échelle en attendant qu’il
termine, comme le ferait la groupie d’un nageur, si ça existe. Lorsqu’il a enfin fini, il arrache seslunettesetconsultelagrandependulesurlemurenexpirantd’unairlas.Puis,ilremetseslunettesetenchaîneànouveauleslongueurs.Alors comme ça, puisque sa carrière de footballeur est à l’arrêt, il s’entraîne pour rejoindre
l’équipedenatation?Jecontemplelapiscine.Elleestsacrémentlongue.Jesuistentéederentrerchezmoi.Mais ça ne doit faire qu’un petit quart d’heure que je suis dans l’eau. Je prends une granderespiration, puis m’écarte du mur et me remets à battre des pieds, agrippée à ma planche. Je meconcentreintensémentenmedisantquejesuisuncanard.Coin,coin,coin.Jesuistellementconcentréepouratteindreleboutdemoncouloirquejeneremarquemêmepasle
départdeReeve.
***LEMERCREDI, JE portemon bikini jaune à pois, celui qui a une taille haute. Rennie dit que c’est unmodèlepourgrand-mèrechic,maisilmedonnel’impressiond’êtresuperglamour.Unevraienaïade,commeMarilyn.Celui-làn’apasdelienautourducou;iladesarmatures,pourplusdesécurité.Tout est silencieux dans la piscine, mis à part l’écho des battements de jambe de Reeve et des
éclaboussures contre les parois carrelées. Je suis morose quand j’attrape la planche et descendsl’échelle.C’estcommehier.Hier,onn’apasparlé.Pasvraiment.En toutcas,onn’acarrémentpasflirté.Enbarbotantetenflottantverslemilieudemoncouloir,jedécidequ’aujourd’huiseramondernier
jour ici. J’ai fait demonmieux.Kat etMary ne peuvent rien exiger de plus. Il va falloir qu’ellescomprennentquej’aitoutessayépourqueReevemeremarque,envain.Jen’aipaspromisdepasserle
restedemadernièreannéeaccrochéeàuneplanche.Alorsquejesuisentraindedécidertoutcela,Reevemelanced’unevoixmorne:—Pourquoit’esrevenue?Agrippéauborddelapiscine,ilchassel’eaudeseslunettes.Jeposelementonetlesbrassurmaplanche.—Jecroyaisquetunevoulaispasdiscuter.Ilignoremaremarqueetajoute:—Tusaisquetun’auraspasledroitd’utiliseruneplanchepourletestdenatation,j’espère?Enfin,
simes souvenirs sontbons. Je l’aipassé il y abien longtemps,quand j’étais enpremièreannée, jepense.Avectouslesautres.Suruntongrincheux,jeluiréponds:—Jesais!Jem’arrêteavantd’ajouterquoiquecesoit.Monattituden’estpasdigned’uneMarilyn.Jetiensune
occasiond’entamerlaconversationetjecomptebienlasaisir.J’inspire,puispoursuisd’unevoixplusdouce:—Je…jem’habituejusteàfairedeslongueurs.—Tudevraissurtoutt’habitueràmettrelatêtesousl’eau,remarque-t-ilennageantversmoi.Lorsqu’ilestsuffisammentproche,ilm’éclabousselevisage.Jeluihurled’arrêterenfaisantdemi-tourpourm’éloignerdelui,cramponnéeàmaplanche.Qu’est-
cequejepeuxledétester!Reevefaitunmouvementbrusquecommes’ilallaitmeplongerlatêtesousl’eau,etjepousseuncri.
Ilm’attrapeparlatailleetmesoulève.Sanslâchermaplanche,jebatsdespiedsetl’éclabousseaussifortquejelepeux,maisilnemelâchepas.Jemeremetsàhurler:—Jet’aiditd’arrêter!Mavoixterrifiéerésonnedanstoutelapiscine.Jen’aipaspeurqu’ilmejette.C’estjustequeses
mainssontposéeslàoùjenevoudraispasqu’ellessoient.Jesuisunefillequidit«Stop»àungarçonquirefusedel’écouter.C’estencorepirequedesenoyer.Ilmelâcheetjeretombedansl’eau.Quandjeremonteàlasurface,ilmeregardecommesij’étais
folle.Moncœurbatlachamade;j’ailesoufflecourt.Reevenagejusqu’àl’autreboutdelapiscineetsehissehorsdel’eau.Dosàmoi,ilsesècheavecuneserviette.Jeluicrie:—Nerecommencejamaisça!Ilseretourneetmedévisage.—Ilvafalloirtemouillerlescheveuxunjouroul’autre.Sij’étaistoi,jemepréoccuperaisunpeu
moinsdemonbikinietdemescheveuxetunpeuplusdenagerpourdebon.J’enrestebouchebée.
—Oh,désoléedenepasavoirdebonnetdebainetdeSpeedodecompet.Ilsecouelatêtecommesij’étaisuncasdésespéré.Puis,ils’éloigneenboitillantetclaquelaporte
derrièrelui.Moncœurbattoujoursàcentàl’heure.
LANUITSUIVANTE,jefouilledansletiroirdemacommodeàlarecherchedemonmaillotdebainnoirunepièce,afindeleporterlelendemainàlapiscine.Parcequelenoir,çaveutdirequ’onpasseauxchoses sérieuses.Cen’estpasunSpeedo : il est serré sur la nuque et a unepetite ouverture sur ledevant,maisaumoins,ilmemaintiendramieuxqu’undeux-pièces.Jesuisentraindepasserenrevuetousmesbikinisficellesquandjetombedessus.Paslenoir.Le
rouge.Celuiquejeportaiscettefameusenuit,danslamaisondevacances.Lesmainstremblantes,jelerouleenbouleetlejettedanslacorbeilleàpapier.
XXIIKAT
C’ESTVENDREDI,ETjetraînedanslescouloirsavecuneautorisationd’allerauxtoilettes,enessayantdegrappillerunpeudetempssurlesixièmecoursdelajournée,lorsquejeremarqueMaryplanquéesouslepalierdupremierétageavecunbouquin.—Tunedevraispasêtreenclasse?Surprise,Marylèvelesyeux,maissedétendenvoyantquec’estmoietpasunsurveillant.Elleme
souritvaguement.—Je…euh…Jefaisunepause.—Commeunepausepipioucommeunepauseséchagedecourspourlajournée?Marybaisselatête.O.K.,j’avoue.Jen’aipasrévisépourmoninterrod’espagnol.Alors,pendantlederniercours,j’ai
demandé l’autorisation d’aller aux toilettes et je suis venueme cacher ici jusqu’au prochain. (Ellesoupire.) Ma tante va me tuer quand elle lira mon bulletin. Je te jure, le seul cours où j’aurai lamoyenne,ceseralachorale.Danscecas,tuasbienfaitdeprendreunepause.Maisilfautquetutrouvesunautreendroitoùte
cacher.Lessurveillantscontrôlenttoujourscecoinpendantleursrondes.Crois-moi,jelesais.(Jejetteunœil pardessusmon épaule.) En fait, je suis surprise que tu ne te sois pas encore fait pincer. Tudevraisalleràl’infirmerieetteplanquerlà-bas.Tun’asqu’àdireque tuasdescrampesouuntrucdanslegenre.—Merci,merépondMaryavantdeselever.—Commentçava,avectatante?Ças’arrange?—Unpeu.Elles’estremiseàlapeinture,maisellenemeparletoujourspas.(Marysecouelatête.)
C’estdrôle.Jenemesouvienspasdem’êtrejamaisdisputéecommeçaavecmesparents.Jemesens
si…indésirabledansmapropremaison,tuvoiscequejeveuxdire?Jem’appuiecontrelarampe.—Dis,tuveuxfairequelquechosecesoir?Avecmoi?Maryrayonne.—Commequoi?—Etsionfaisaituneviréeenvoiture?—Ohoui,çaseraitgénial.—Cool.Jepasseteprendreàvingtetuneheures.Alorsquejem’apprêteàremonteraupremier,j’ajoute:—Attends.Oùesttonautorisation?Jelèvelamienne.C’estungrosmorceaudeboissurlequelestgravélesymbolePi,untruchideux
quelesgaminsdel’atelierderattrapageontprobablementdûfairepourledépartementdemathsafindegagnerdespointspourleurdiplôme.Marymeregarded’unairperplexe.—Oh,euh…Jepensequeleprofadûoublierdem’endonnerune.—Dans ce cas, ne traîne pas près des labosde science. J’enviens et un surveillant est en train
d’inspecterlecouloir.Passeparlaportedeservicecôtégymnaseetfiledevantlabibliothèquejusqu’àl’infirmerie.—Pigé,annonceMaryenfaisantdemi-tour.Merci.Jen’aijamaiseud’heuresdecollejusqu’ici.Jelèvelesyeuxauciel.—Évidemment,mabelle.
JEMERÉVEILLEensentantShepmelécherlafigure.D’unbond,jemelèveducanapéetcoursjusqu’àlafenêtre.Ilfaitdéjànuit.—Quelleheureilest?Patconsultesontéléphone.—Vingt-deuxheuresetquelques.Pourquoi?Merde,merde,merdeetremerde!—Oùtuvas?medemande-t-iltandisquejemeprécipitedanslacuisinepourrécupérermesbottes
prèsdelaporte.—Jesors.Heureusement, la voiture démarre. Je conduis aussi vite que je peux jusqu’à lamaison deMary.
Quellenazejefais,êtreenretardàunrencardquej’aimoi-mêmefixé!Arf.Àunfeurouge,j’essayed’appelerchezMary,maislaligneestoccupée.Lorsquej’arriveàdestination,elleestdeboutsurletrottoiràm’attendredansl’obscurité.Soussa
parka,elleportelamêmerobeàpetitesfleursqu’aujourd’huiàl’école.—Jesuisvraiment,vraimentdésoléed’êtreàlabourre,luidis-jeensautanthorsdelavoiture.(Je
luiouvregalammentlaportecôtépassager,parcequejemesensvraimentconne.)Jemesuisendormie
devantlatélé.J’aiessayéd’appelercheztoi,maisçasonnaitoccupé.(Jegrimace.)Çafaitlongtempsquetum’attendsici?Ellem’adresseunsourirediscret.Àmongrandsoulagement,ellen’apasl’airfâchée.Maryestsans
doutelapersonnelaplusindulgentequejeconnaisse.—Jesavaisquetuallaisvenir.Nousroulonssansbutenécoutantdelamusique.Aprèsplusieurstoursdel’île,jecommenceàavoir
faim.Leseulendroitouvertàcettepériodedel’annéeetàcetteheuretardive,c’estleGreasySpoon,unpetit restodeT-Townquisertencontinu.Iln’est jamaisbondé,parceque lanourrituren’estpastop,maisonpeuttrouverdeux-troistrucspastropdégueulassessurlacarte.Jeralentisetmegareàcôtédubâtiment.Bizarrement,ilyabeaucoupdemondesurleparking.Avec
unpeudechance,jenevaispasdevoirattendretroplongtempsavantd’êtreservie.—Tuveuxquelquechose?Marybâilleetsecouelatêtepourmesignifierquenon.J’entre et commande au comptoir.Du café avec du lait et deux sucres, et un donut à la cannelle.
Alorsquelaserveuseenregistretoutça,j’entendslavoixdeRennie.Je tourne la têteet l’aperçois,assiseauboutd’une longue tableaumilieuduresto.Ondiraitque
l’équipedefootdeJarIslandaugrandcompletl’accompagne.Lilliaestlàégalement,encompagniedetouteslescheerleaders.EllerigoledanssoncoinavecAshlinetquelquescamarades.Chaquefilleaune rose rouge avec une longue tige dans son verre d’eau. Elles portent toutes leur uniforme, saufRennie.Jemesouviens,maintenant.Cesoir,c’étaitlederniermatchdelasaison.Je jette un coup d’œil en arrière. Rennie me fixe. Nos regards se croisent et je détourne
immédiatementlatête,parcequejeneveuxpasentrerdanssonjeu.—Oh, voyez-vous ça,mais c’estKatDeBrassio ! lance-t-elle en faisant semblant demurmurer.
(Toutlemondeseretournedansmadirection.)Etsionluidemandaitdevenirs’asseoiravecnous?Àlamanièredontelleprononcecesmots,jepeuxdirequ’elleabu.Jepariequ’elleestdégoûtée
quenotreéquipes’ensoitbientiréesansReeve.Alexmevoit,commetoutlemonde,ettentedecollerunmenudevantRenniepourl’obligeràregarderailleurs.Maisellelerepousse.Jeme retourne face au comptoir et fixe la serveuse.Elle ne pourrait pas semagner unpeu àme
servirmoncafépourquejepuisseme tirerde là?Jemedemandesice typedesituationmerdiqueperdureraunefoisquenousseronsdiplômées.Si,àchaquefoisquejerentreraipourrendrevisiteàmafamille,jetomberaisurRenniequelquepartsurl’île.—Kat,tunemesuivraispasensecret,parhasard?Combiendefoisilfaudraquejetedisequeje
nesuispaslesbienne?(Renniegloussecommeunehyène.)Espècedegrossecassos.Nousyvoilà.Jefaisvolte-facepourrépliquer,maisjen’aimêmepasàlefaire.Lilliareposeson
menuetdéclare:—Rennie,tuesjustefurieusequenousayonstoutesreçudesrosesdenosjoueurscesoiralorsque
Reevenes’estmêmepasdonnélapeinedesepointerpourtevoir.On pourrait entendre unemouche voler.Rennie est abasourdie.Tout lemonde se retourne face à
Lilliaqui,pendantuneseconde,sembleaussisurpriseque lesautres.Rennievireaurougevif,d’unrouge que je n’ai jamais vu chez personne, puis vérifie autour d’elle si quelqu’un va prendre sa
défense.MaisAshlinévitedecroisersonregard.Touslesgarçonsdel’équipedétournentlesyeux,malàl’aise.Pareilpourlesautresfillesdel’équipe.Puis,Renniefaitsigneàlaserveuseetluidemandesuruntontoutaussiimpatientqu’implorant:—Onpourraitpassercommande,siouplait?Ellereprendunegorgéed’eau,etsamaintremble.Lilnemeregardepas.Oupeut-êtrequejeneluiendonnepasl’occasion.J’attrapemacommande
surlecomptoiretsorsaussivitequepossible.Dehors,Maryseredresse:—Eh,çava?Jeluisouris,parcequebonsang,jesuissurunpetitnuage.—Ouais,jemesenshyperbien.
XXIIIMARY
J’AIENVISAGÉPLUSIEURSfoisdequitterlecomitédel’albumdulycée,maisjecontinuedemedirequejedoistenirbon,mêmesijen’aipasencorefaitlemoindrephotomontagejusqu’ici.C’estdur,parcequelestâchessympassontdéjàattribuées,etmêmequandjedemandesijepeuxaider,lesélèvesfontminedenepasm’entendre.La seule personne qui nem’a pas totalement ignorée, c’estMarisa Viola, une fille de deuxième
année.Elle est chargéed’inspecter les épreuvespour repérer les problèmesdemise enpage et lesfautesd’orthographedansletexte.J’approcheunechaisedesonbureauetlispar-dessussonépaule.Elleestsuperrapideetentouredestrucsavecsonstylorougeavantmêmequejepuisselesremarquer,maisjemedisqu’unedeuxièmepaired’yeuxesttoujourslabienvenue.Aprèsnotreréuniondulundi,jedécidederepasserplustardàlabibliothèquepouremprunterdes
livressurlagrammaireetlaponctuation.Çadevraitm’aideràêtreplusefficace.Jelongelesbureauxdesprofsdesport.LaportedelacoachChristyestouverte.Elleestenpleine
conversationaniméeavecquelqu’un.C’est làque j’aperçoisRennie,assisesur l’unedeschaisesdubureaudelacoach.Elleaquittélaréunionducomitéavantlafin.ToutcequeRenniesaitfaire,c’estexaminerlesphotosdubaldesétudiantsetpartirdebonneheure.Franchement, jemedemandebienpourquoiellesedonnelapeinedevenir.Enpassant,jecollemonoreilleàlacloisonetj’écoute:—Rennie,çafaitunmoisquetun’aspasparticipéauxentraînementsdescheerleaders,ditlacoach
Christy en soupirant. Tu n’es pas vraiment dans mes petits papiers en ce moment. Tu comprendspourquoi,n’est-cepas?—Etpourquoijeneviensplus,àvotreavis?ÀcausedeLillia!Commentest-cequejepourrais
resteràcôtédequelqu’unquim’avolémontitredereinedubal?LachaisedelacoachChristycraque,commesielles’appuyaitcontreledossier.
—Combiendefoisfaudra-t-ilquejetelerépète,Rennie?J’aicomptélesbulletinsmoi-même.Iln’yaquemoiquilesaitouchés.LilliaChoaétééluereinedubaldesétudiantsàlarégulière.Jem’attendsàcequeRennie se rétracteetqu’elle revienneà la raison,maisc’est exactement le
contrairequiseproduit.D’unevoixdéterminée,ellemartèle:—C’estmoilareinedubaldesétudiants.J’aigagné.J’aidemandéàtouslesélèvespourquiils
avaient voté, et environ quatre-vingt-dix-neuf pour cent d’entre eux ont répondu qu’ils m’avaientchoisie.Toutcequejedemande,c’estqu’onrevote,etvousverrezbien.J’acceptemêmedepayerpourl’impressiondesbulletins!—Rennie,arrêteavecça.Lilliaettoi,vousêtesamiesdepuislongtemps.Tunevaspaslaisserun
trucaussiinsignifiantqu’unepauvretiareenplastiquebriserunetelleamitié,quandmême!Renniepartdansunrirequimedéclenchedesfrissonslelongdudos.—Iln’yapasd’amitiéentrenous.EtvouspouvezmerépéterquelagentillepetiteLillian’arienà
voiraveclefaitquej’aiétébienbaiséecesoir-là,jamaisjenevouscroirai.Enplus,vousêtesnulleentantquecoach,voschoréssontpourriesetpersonnen’aimelamusiquequevouschoisissezpourlami-temps!Telleunefusée,Renniepasseàcôtédemoidanslecouloir.Jesuiseffrayéeàl’idéequeRennieaitdécouvertcequenousavonsfait.MaisDieumerci,ellen’a
aucunmoyendeleprouver.
XXIVLILLIA
LUNDIAPRÈS-MIDI,QUANDReevesepointe,j’aidéjàfaitquatrelongueurs.Iln’entrepasdansl’eau.Aulieudecela,ilrestedeboutàmeregarderenmangeantunepomme.Jenelèvepaslesyeuxetcontinuecommes’iln’étaitpaslà.—Tudevraisétirertesorteils,meconseille-t-ilenmâchantbruyamment.Ettouttoncorps.Jeprendslamouche.—Excuse-moi,maisilmesemblequ’ilestinterditdemangerici.Enplus,tunedevraispasporter
tonattelledemarche,parhasard?Illatraînederrièrelui.—Jerenforcematoléranceàladouleur.Iljettelapommedanslapoubelle.Elledécritunarcparfait.Jen’aimêmepasbesoinderegarder
poursavoirqu’elleaatterriàl’intérieur.Négligemment,ilbalancesaserviettesurlebancàcôtédemesaffaires,puisilplongedanslecouloirprèsdumien,aulieudechoisirundeceuxquisetrouventàl’autreboutcommeàsonhabitude.Jemeraidis.—Danscecas,tunepourrast’enprendrequ’àtoi-mêmesituterefaismal.Jen’aipasbesoinqu’ilmecritique,niqu’ilmedonnedesconseils.Toutefois,j’essayed’étirerun
peumesorteilsennageantjusqu’àl’échelleetconstateunetrèslégèredifférence.Jemeprécipitejusqu’àmaservietteparcequej’aisuperfroid.Alorsquejel’enveloppeautourde
moicommeunecouverture,ilnagesoudainsouslesflotteursetsedirigeversmoitelunrequin.Ilsehissehorsdel’eau,sansseservirdel’échelle.Iln’apasfaituneseulelongueur.Ensilence,jeluitendssaserviette.Enmeregardantdroitdanslesyeux,ilmedit:—Tusaisquoi?Jen’avaispasl’intentiondedirequoiquecesoit,maisoui,Lil,parlons-en,dema
blessure.Parlonsdelamanièredonttoutçaestarrivé.
Oh,monDieu.S’ilvousplaît,non.—Jenevoispasdutoutdequoituveuxparler.Jemeretourne,prêteàpartir,maisilm’attrapeparlebras.—Jesaisquec’esttoiquiasverséuntrucdansmonpunchlesoirdubal.(J’ail’impressionquele
solvas’effondrersousmespieds.Mesjambesflageolent,etjesuisàdeuxdoigtsdem’évanouir.)Dis-moipourquoi.Savoixestduredésormais.Sesyeuxvertsseplantentdanslesmiens,etjelesfixeententantdene
pasmedérober.Jem’efforcedenerienlaisserparaître.Aprèstout,nedit-onpasquelesmenteursnepeuventpasvousregarderdroitdanslesyeux?J’essayedemedégager,maisilaunesacréepoigne.—Quelpunch?Dequoiest-cequetuparles?Lâche-moi!Ilnemelaissepaspartir.—Tune te souviens pas que tum’as donné un verre de punch ?On était assis à table.Tum’as
reprochédejoueravecRennie.Etpuisonafaitlapaix,etonatrinqué.Tunetesouviensderiendetoutça?—Reeve,tuétaiscomplètementbourrélorsdubal!Ilplisselesyeux.—Non,pasdutout.Ilsm’ontfaituntestdedépistagededroguesàl’hôpital.Ilestrevenupositif
pourlaMDMA.—Jenesaismêmepascequec’est,laMDMA!—C’est l’ecstasy.Et tu le sais, parceque c’est toi qui l’asmisedansmonverre. Jeme force à
avalermasalive.—Tuétaisdéjàbourréquand tu es arrivé chezAshlin. Je t’ai vuboire avec les autresdansune
flasque.Tuaspicolédanslalimousine,etpendantlebal.Commenttupeuxêtresisûrqueleverrequeje t’ai soi-disant donné contenait de la MD je-ne-sais-quoi ? Évidemment, je connais des tas dedealers!—Jesaisoùtut’esprocuréladrogue.(LestraitsdeReevesedurcissentetilplisselesyeux.)Ces
garsquetuasrencontréssurlaplage,crache-t-il,c’étaitdesdealers!Renniem’aconduitjusquechezeuxafind’acheterde l’herbepournotrepartiedepêche. (Attendez.Reeven’estpasaucourant.Pasvraiment.Maistoutmoncorpssefigemalgrétout.)Oh,commeçatunesavaispasqueletypeavecquitut’esenvoyéeenl’airvendaitdelacame?Lamanièredontilledit,dontilmeregarde,avecunteldédain,unteldégoût,merendmalade.Rennieluiadit.Ilsaittout.Unevaguedechaleurmeparcourtsoudainementetjelegifledetoutes
mesforces.Iltitubeenarrière,avecl’empreinterougedemamainsurlajoue.Nousnousdévisageons.Il semble sous le choc ; je dois avoir l’air abasourdie, parce que c’est ce que je ressens. Je suisparalysée.—Jen’aipasachetédedrogueàcestypes.Tunesaisabsolumentpasdequoituparles.—Danscecas,explique-moi.—Rennienet’apastoutraconté?Àcemomentprécis,jelahaiscommejen’aijamaishaïpersonnedetoutemavie.
—Non.Ellenem’ariendit.Jel’aivudemespropresyeux.J’étaisprésent,cettenuit-là.Àlafête.—Jenetecroispas.—C’étaitdansunemaisonsurShoreRoad.Unelocationpourriegéréeparmonpère.J’ysuisallé
aprèslafêted’Alex.Jevousaivues,toietRen,préparerdescocktailssurlatabledelacuisine,puismonteràl’étageaveceux.Jechancelle.Ilétaitlà.Ilatoutvu.Jecommenceàluitournerledosenserrantmaservietteautourdemoi.—Danscecas,tusaisdéjà.—Ouais,jesaisquetun’espaslasainte-nitouchepourlaquelletoutlemondeteprend.Ilfinitparbaisserlesyeux;jem’efforcetellementdenepaspleureretdenepasm’enfuirquemon
mentontremblote.—Donc,tusaisaussiquej’étaistellementbourréequejepouvaisàpeinetenirdeboutetqueRennie
étaitdanslamêmepièce,avecl’autremec.Jepensequej’aiditd’arrêter,jecroisvraimentquejel’aifait,maisjen’ensuispassûre.Soudain,jememetsàpleurer,parcequejenepeuxplusgardertoutçapourmoi.Reeverecule.—Je…Jenesavaisriendetoutça.Illèvelebrascommepourmetoucher,maisjedoistressaillir,parcequ’illelaisseretomber.C’étaitmonsecret,lemienetceluideRennie.Personned’autren’auraitdûsavoir.Surtoutpaslui.
Messanglotsredoublent,etmeslarmessemêlentàl’eaudelapiscinequigouttedemescheveux.—Jesuisdésolé,s’excuseReeve.S’ilteplaît,nepleurepas.Je m’effondre sur le banc. Il ne bouge pas d’un pouce ; il se contente de rester debout, l’air
embarrassé.—Danscecas,neparlepasdechosesdonttun’espascertain.Jem’essuielesjouesducoindemaserviette.—Tuasraison,convient-ilrapidement.Jesuisungroscon.Jen’auraisjamaisdûévoquerlesujet.
(Jepleuretoujours;maintenantque j’aicommencé, jenepeuxplusm’arrêter.Les larmescoulent lelongdemesjoues,etjecontinuedelesessuyeravecmaserviette.)Lillia…sij’avaissuquetuétaisaussibourrée, je tiensà tedireque jene t’aurais jamais laisséemonteravecce type.Je t’enauraisempêchée. (Il s’accroupit face àmoi pour se retrouver à hauteur d’yeux et pose lesmains surmesgenouxpourgarderl’équilibre.Quandjemedérobe,ilreculerapidementetappuiesescoudessursescuisses.)S’ilteplaît,arrêtedepleurer,m’implore-t-il.Jehochelatêteetprendsuneprofondeinspiration.Bizarrement,jemesenssoulagéedel’avoirdità
quelqu’un.Del’avoirexpriméàvoixhaute.Jemesens…unpeupluslégère.Justeunpetitpeuplus.Maisc’estdéjàça.Nousrestonsdanscettepositionpendantunlongmoment,mesemble-t-il,puisilbougeetjevoisque
sajambelegêne.—Tajambetefaitmal?Mavoixrésonnecontrelesmurs;ondiraitquelapiècen’estplushabituéeaubruit.Noussommes
restéssilencieuxpendantsilongtemps.—Pasdutout,réfute-t-il.Jemelèveetluitendslamain,qu’ilaccepte.Ilétiresajambeetlamasse.—Tudevraisteménagerunpeu.Tudevraisécouterlesmédecins.Reevehausselesépaules,faisantondulerlesmusclesdesondos.—Ilfautquejemedonneàfondsijeveuxavoirunebourse.Enreniflant,j’ajoute:—Tonkinénet’apasditquetropd’effortsneferaientqu’aggraverlasituation?Jesuissûrequesi,
sic’estunbon.—Alorscommeça,tuesmédecin,toiaussi?plaisanteReeveavecunsourirediscret.Ondiraitque
nousavonsunautredocteurChosurl’île.Jecommenceàmesécher lescheveuxavecmaserviette,puism’assiedsetouvremonsacpoury
récupérermonleggingetmonsweatàcapuche.—Jedétestesortirdanslefroidaprèslapiscine.J’ail’impressionquejen’arriveraijamaisàme
réchauffer.—Tuvois,c’estpourçaquetudevraisporterunbonnetdebain.Jefrissonne.—Jamaisdelavie.J’aipasenviederessembleràunetêted’œuf.Ensecouantlatête,Reevemelance:—PrincesseLillia.Toujours aussi vaniteuse. (Toutefois, son ton est gentil, affectueux. Il s’assoit
prèsdemoi,maispastrop.)Danscecas,onn’estpasobligésdepartirtoutdesuite.Onpeutattendrequetescheveuxsèchentunpeuplus.Et c’est ce que nous faisons.Une fois de retour àma voiture, j’envoie un SMS àKat. Je ne lui
expliquepasprécisémentcequis’estpassé,maisjeluidisquejeprogresseenfin.
XXVKAT
LE JEUDI, NOUS avons notre troisième réunion de préparation à l’université. Quelques élèves ontdécroché,cequejenecomprendsvraimentpas.Ilssontbêtes,ouquoi?Çapermetdelouperquelquescoursunesemainesurdeux.Alexestdéjàarrivé ; ilpianotesursonordi.Alorsque jemeglissederrière luipour lui faire la
peurdesavie,jeremarquelesitequ’ilestentraindeconsulter.Celuidel’universitédeCalifornieduSud.C’estdrôle. Je croyaisqu’Alexne s’était préinscrit qu’àdeuxuniversités : celleduMichiganen
premierchoix,etcelledeBostonensolutionderepli.Ilcliquesurunmenudéroulantaffichant toutes lesspécialitésdepremièreannéeetsélectionnele
programmed’écrituremusicale.Avantquejepuissedirequoiquecesoit,MmeChirazos’avanceversnous.Alexfermerapidement
son ordinateur, comme s’il venait de se faire choper en train de mater un porno. Je tire la chaisevoisineetm’assois.—Bon,vousdeux,j’ailulesbrouillonsdevoslettresdemotivation.Elleposedeuxfeuillessurlatable,celled’Alexetlamienne.Alexn’apasbeaucoupdecorrections
sur la sienne. Juste quelques coches au crayon rouge pour signifier que c’est bien. La mienne estcouvertedegribouillis.Mince.Jel’attrapebrusquementpourqu’Alexnelavoiepas.—Alex,j’adorelepointdevuequetuaschoisi.Jepensequetuasrédigéunebonnethèsesurlefait
quelesclassesetlesprivilègess’effacentsurunterraindefootetqueseuluntravailacharnépermetderéussir.Toutefois, jevoudraism’assurerque tune soispas tropcritiquevis-à-visde la situationfinancièredetesparentslorsquetuparlesdetonexpériencepersonnelle.J’espèrequetuvastempérer
certainspassagespourtemontrerplusreconnaissantdespossibilitésqu’ilst’ontoffertes.Alexhochelatête.—Oui,biensûr.Jem’affale surma chaise.Selonmoi, la lettre d’Alex était bien rédigée et concise,mais je vois
précisémentcequeMmeChirazoveutdire.Àcertainsmoments,jel’aitrouvéunpeuniais,notammentquand ilaécritJen’avaispasconsciencede larichessedema familleetde lamanièredontellepeutinfluencerl’imagequelesautresontdemoi.Franchement,mec.Ton4x4coûtepluscherqu’uneannéedescolaritéàl’universitéd’Oberlin!MmeChirazotournelatêteversmoi.—Àtontour,Kat…J’aiétésurprisepartalettre.Sansgrandenthousiasme,jeluidemande:—Surprisedanslebonsens?Maisjesaisdéjàqu’ellel’adétestée.J’airacontéàquelpointilestbizarredegrandirdansunendroitcommeJarIsland.J’aidissertésur
lamanièredontcelanousfaitvivredansunebulle.J’aiparlédemonamitiéavecKim,delafaçondontlamusiquem’aouvertesurl’extérieur.Dufaitquejesuisplusqueprêteàmebarrerd’icietàvivremavie.Pasencestermes,évidemment,maisc’étaitquandmêmeunréquisitoirecontrecetendroit.Malettreestleparfaitcontrepointdecelled’Alex.C’estàmourirderire,parcequ’aufond,ona
plusoumoinsécritsurlemêmesujet.Etpourtant,onnes’estpasconcertés.— J’ai trouvé la lettre de Kat vraiment bonne, déclare Alex. Jar Island est vraiment un endroit
bizarrepourhabiter,etçadevraitl’aideràsedémarquer.Quesonâmebienveillantesoitbénie.LeslunettesdeMmeChirazosontretenuesparunechaîneautourdesoncou.Elleleschausseettend
lamainversmalettre.—Jesuisd’accord.Jenedispasquetalettren’estpasbonne,Kat.Ellel’est.Jen’aijamaisvuJar
Islanddelamanièredont tu laprésentes. (Ellecommenceà tourner lespagesenserrant les lèvres.)Monprincipal problème, c’est qu’elle nem’apprend pas grand-chose sur toi. Elle décrit surtout celieu.Gardeà l’espritquenotreobjectif,c’estd’aider lecomitéd’admissionàcomprendrequi tuesvraiment.(Elleposelalettresurlatableettournesachaiseversmoi.)Est-cequetuasenvisagéderaconterquetuavaisperdutamèretrèsjeune?Je suis estomaquée. Elle a vraiment osé s’aventurer sur ce terrain ? Franchement,MmeChirazo
prend son pied à l’idée que ma mère soit morte. Elle saute sur la moindre occasion pour me lerappeler!—J’yaipensé,maisjemesuisditquec’étaitunemauvaiseidée.Jefaistoutmonpossiblepouravoirl’aircalmeetmasquerlaragequejeressensenverselle.C’est
probablement ce qu’elle souhaite. Elle veut que je pète les plombs afin de me forcer à assister àd’autresséancesdeconseilavecelle.—Est-cequetupourraismotivercettedécision?Piquéeauvif,jeluilanced’untonacerbe:—Écoutez,j’aidestasderaisons,maisjevaisvousendonnerune.Jeneveuxpasutiliserlaperte
demamèrepourquelesgensmeprennentenpitié.Sanscompterquejenesuiscertainementpas laseulelycéennedesÉtats-Unisàavoirperduunparent.Cen’estpasaussirarequ’onpourraitlepenser.Enplus, il y adesgaminsdehorsquiontdesproblèmesbienpires que lesmiens, vouspouvezmecroire. Par conséquent, je n’ai pas besoin d’en parler. Mes notes sont excellentes et je suispratiquementsûred’avoircartonnéautestd’évaluationladernièrefois.—Tondossierscolaireesttrèsbon,Kat.Surtoutdanstasituation.Enmontrantlesdents,jerépète:—Ma…situation?Soudain,jesenslamaind’Alexsurmongenou,souslatable.Personnenepeutlavoir.Ilmeserre
doucementlajambepourm’encourager,pourmedirederespirerunboncoup,denepasme laisseratteindrepartoutça,denepasexploserdevanttoutelasalle.Jemerenfoncedansmachaiseetdéclare:—Trèsbien.J’ypenserai.Onverra.—Jenevoudraispastecontrarier,Kat,maisréfléchis-y.Tupeuxécriresurtamèresansteservir
d’elle.Jepensequ’ilseraitbiendeparlerdecetteépreuveetdelaforcequetuenasretirée.JemeforceàesquisserunsourirequandMmeChirazoselève,medonneunelégèretapedansledos
etpasseaugroupesuivant.Dansmabarbe,jem’adresseàAlex:—Merci.Sanstoi,jeluiauraismismonpoingdanslafigure.Sous la table, ilme donne un petit coup de genou. Jeme demande s’il va dire un truc pourme
réconforter,s’ilvameposerdesquestionssurmamèreous’ilvatenterdemeconvaincred’inclurecepassagedansmalettre.Maistoutcequ’ilmedit,c’est:—Y’adebonsgroupesquijouentceweek-end?Jem’apprêteàluiannoncerquejevaisàunconcertavecRickypourvoirsiçalerendjaloux,mais
finalement, je changed’avis…Et si jamaisAlexme posait la question parce qu’il veut sortir avecmoi?Nouspassonsdubontempsensemble,commel’étédernier.Jedécidedefeindrelatimidité.—Y’aungroupejeudiquej’aimeraiséventuellementvoir.Tuasquelquechosedeprévu?—JevaisàBostonavecLillia.Onpartàlapremièreheuredemainmatin.Onvalouperlescours
pendantdeuxjours.Oh.Peuimporte.—Merde, en fait, j’ai oublié que j’ai un rencard jeudi soir. Il fait partie d’un groupe. C’est le
chanteur.IlssontassezconnusenAllemagne.—Wouah,cool!—Ouais,jesais.(Lillianem’apasparlédesapetiteescapadeavecAlex.)Pourquoivousallezà
Boston,touslesdeux?—On a des entretiens préliminaires avec d’anciens élèves. (Il soupire.) C’est le gros sujet de
dispute entre mon père et ma mère, ces derniers temps. Si mon père avait son mot à dire, je ne
m’inscriraisqu’àl’universitéduMichigan.Maismamèreadécidéquejedevaisaumoinsvisitermondeuxièmechoix.Entrenous,jepensesurtoutqu’elleadesenviesdeshopping.O.K.Alors,commeça,cen’estpasunvoyageenamoureux.—TudevraisprobablementfaireuntouràBerkleeégalement.—Pardon?— C’est la troisième meilleure école de musique du pays. Je crois qu’ils ont aussi une
spécialisationenécrituremusicale.(Levisaged’Alexseferme,etjemesenssoudainementcoupable,commesij’avaisdituntrucquejen’auraispasdû.)Désolée,j’ailupar-dessustonépaule.Je me demande si Alex va essayer de nier. Ce qui serait bizarre. Je veux dire, c’est quoi le
problème?—Jenepensepas,répond-ilcalmement.Onn’auraprobablementpasletemps.—Commentvousallezlà-bas?Envoiture?Parsunpeuplustôt,danscecas,oureviensunpeu
plustard.Peuimporte.Alexsepencheversmoietmurmure,embarrassé:—Onvaprendreunjetprivé.Çanem’auraitpasdérangédeconduire,maismonpèren’estpasen
villeetiltrouvequemamèreestunehorribleconductrice,alorsilnousaconseilléd’yallerenavion.Ilpayedéjàpourceservice,çanevariennouscoûterdeplus.Unjetprivé.MonDieu.Lasonnerieretentit.—Danscecas,amusez-vousbien,touslesdeux,dis-jeenramassantrapidementmesaffaires.Maisjenelepensepas.Vraimentpas.
XXVILILLIA
ONESTJEUDI,etlescourssontdéjàterminés.J’aifaitmonpetittourdanslapiscineetjerévisemoncoursd’histoiredesÉtats-Unissur lesgradinspendantqueReevecontinueses longueurs. Jemedisquecommeça,onpourrapartirensembleetjepourraisluiréserverunaurevoirdignedecenom.Onnepeutpasflirteravecungarçonquiestsousl’eaulorsqu’onestbienausecsurlebord.Un bloc-notes est posé sur le sac de sport de Reeve. J’y jette un coup d’œil et reconnais
immédiatement l’écriture tout en rondeur de Rennie. Elle planifie encore toutes les séancesd’entraînementdeReeve.Jesourisenmonforintérieur.Elleadoreraitêtreiciaveclui.Maisellen’yestpas.Moi,si.Malgrétout,ilestévidentqueRennienesaitriendenosrendez-vousd’aprèslescours.Sic’étaitle
cas,elleferaitviderlapiscine.J’imaginequeReeveneluiariendit.Àproposdemoi.Auboutd’unedemi-heureenviron,Reevefinitparsortirdel’eau.— Jemeurs de faim, dit-il en s’étirant et en chassant l’eau de ses oreilles.Des pancakes, ça te
dirait?Mon cœur manque un battement. C’est la première fois qu’il me propose de sortir avec lui. Le
progrèsestréel.Depuisnotredispute,leschosessontunpeudifférentes.D’unairdétaché,jelèvelesyeuxdemoncahier.— Hum, je ne sais pas. Je suis loin d’avoir terminé mes leçons. Tu n’aurais pas une interro
d’histoirevendredi,toiaussi?Jesuisenhistoirerenforcéeetluinon,maisjesuisquasimentsûrequ’onatouslesdeuxuneinterro
vendredi,àmonretourdeBoston.Reevehausselesépaules.
—Çafaitdeuxjoursquejenesuispasalléencours.Jefaisdeuxséancesdemuscuquotidiennes.Maintenantquej’aimonattelledemarche,jepeuxm’entraîneràcourir.Commeça,quandledocmedonneralefeuvertpouryalleràfond,j’auraidéjàprisdel’avance.—T’essérieux?Danscecas,tuferaismieuxdeteremettreàétudier,tuauraismêmedûcommencer
hier!—Jenemefaispasdebile.J’aiuneexcellentemémoire,meconfie-t-il.Toutestgravélà-dedans,
fanfaronne-t-ilensetapantlatête.—O.K.,danscecas,enquelleannéeaeulieularévoltedeShays?—Euh…(Reevesepencheenavantetjetteuncoupd’œilaucahiersurmesgenoux.)1786.Unegoutted’eaus’échappedesescheveuxettombesurmoncours.Jeluifaissignedereculer.Contrariée,jesoufflesurlapageetluilance:—Reeve,t’esentraindetrempermoncahier,là!Ils’assoitprèsdemoi.—Allez,c’estchiant,tontruc.Onyva.J’ailadalle.Jeme laisseraisbien tenterpardespancakes.Onpourrait aller auGreasySpoon. Ils les servent
avecduvraisiropd’érablelà-bas.Maiscetteinterrocomptepourbeaucoupdanslanotefinale.—Ilfautquejefinissemesfiches.(Jefouilledansmonsacàdosetensorsunebarredecéréales
aux pépites de chocolat.)Mange ça en attendant, lui dis-je en la lui tendant et en retournant àmesrévisions.Brusquement,ilmedemande:—Pourquoituessisympaavecmoi?Surprise,jelèvelesyeux.Sympa?C’estjusteunebarredecéréales!—Parcequ’onestamis.—Amis?semoque-t-il.Admets-le,Cho,tunem’asjamaisapprécié.Wouah.Jeveuxdire,c’estplutôtvrai.MaisjenepensaispasqueReevel’avaitremarqué,etencoremoins
queçaavaitde l’importancepour lui. Jen’iraispas jusqu’àdireque je ledétestais.Dumoins,pasavantderencontrerMary.Rapidement,j’essayed’alignerquelquesmots:—Si,jet’appréciais!Ensecouantlatête,jeprécise:—Etjet’apprécietoujours.(Reevenesemblepasconvaincu.Sansréfléchir,jeluitendslamain.)
Onestamismaintenant,pasvrai?(Ilredresselatêteetacquiesce.)Danscecas,serre-moilamain!Ilfinitpars’exécuter,avantdemedemander:—Est-cequeçaveutdirequetuvasm’aideràrévisercettesemaine,monamie?Onseretrouve
demainàlabibliothèqueaprèslapiscine?—Oh…Jenepeuxpas.JeparsdemainmatinàBostonpourvisiteruneuniversité.—Toiaussi?Skudm’aditqu’ilallaitfaireletourdecertainesécolesdeBostoncettesemaine.
J’hésite.—Ouais…Ilvientavecmoi.J’ajouterapidement:—Nosmèresserontduvoyage.Ellesonttoutorganisé.Jen’étaismêmepasaucourantilyaune
semaine.Onvatousdescendredansnotreappartementenville.Jenesaispaspourquoij’expliquetoutçaàReeve.Çaneleregardepas,aprèstout.Àencroiresa
mineblasée,ils’enfichepasmal.—Amusez-vousbien,medit-ilenbâillantetenétirantlesbrasau-dessusdesatête.—J’ycomptebien.Jesuiscontrariéedésormais,etjen’arrivepasàsavoirpourquoi.Jerefermemoncahieretlerange
dansmasacoche.—Jeferaismieuxderentrerpourpréparermesvalises.IlvaprobablementretrouverRenniemaintenant.Jenesaismêmepascequ’ilyaexactemententre
cesdeux-là.Jemedemandes’ilsontclarifiéleurrelation.Bref.—Tescheveuxsontencoremouillés,protesteReeve.—Çavaaller.Jevaiscourirjusqu’àmavoiture.J’enfilemonsweatàcapucheetserremaservietteautourdemataille.D’unpastraînant,Reeves’approchedemoietrabatmacapuchesurmatête.—Pourquoipartirsivite?Tuasbesoindedixheurespourfairetesvalisespourdeuxjours?—Trois jours,enfait.Onnereviendraquevendredimatin.Enplus,mamèrearéservédansdes
endroits chics, alors il faut que je réfléchisse à ce que je vais emporter. Et ces entretiens sontimportants.Jedoismemontrersousmonmeilleurjour.—Çadonneenvie,dit-ilenlevantlesyeuxauciel.Vousallezassisteràunballetaussi?Unopéra,
peut-être?—Peut-être!(Jeserreleslèvres.)Etpeut-êtremêmequ’oniraàunmatchdesRedSox.Lecopain
demonpèreadesplacesenloge!Reeveéclatederire.Ilrittellementfortqu’ilnepeutplusparler.Lesmainssurleshanches,jeluidemande:—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?—Lillia,Lillia,Lillia.Lasaisondebaseballestterminée,magrande.Vousnerisquezpasd’assister
àunmatchdesRedSox!(Ilsecouelatêteensetenantlescôtes.)Enfinbon,amusez-vousbienquandmême,touslesdeux.J’aienviedelepousserdesgradins.C’estlàquejem’enrendscompte.C’estladeuxièmefoisqu’il
meditdem’amuser.En langagedegarçon,çasignifie :«Jesuis jaloux.»Reeveest jaloux!D’Alex.D’Alexetmoi,
ensemble.Çamarche!Monplanfonctionne!Jeramassemonsacetluipropose:
—Alors,cespancakes,onselesmangeoupas?—Jecroyaisquetudevaisfairetesvalises,medéfie-t-il.—Jepeuxbientrouvercinqminutespourdespancakes.Enmêmetemps,jeluilanceunregardlangoureux.Enfin,j’essaye.Reeveselèveens’étirantencore.—Trèsbien.CequePrincesseLilliaveut,ellel’obtient.Mais je vois bien qu’il est content, parce qu’il pose les mains sur mes épaules et les serre
délicatement.
XXVIIKAT
LE MERCREDI SOIR, je réfléchis encore à ce que Mme Chirazo m’a dit à propos de ma lettre demotivation. Peut-être que je suis bête. Je devrais faire tout ce qui est possible pour être admise àl’universitéd’Oberlinetobtenirunebonneaidefinancière.Lesjetsprivés,cen’estpaspourdemain.Etjenesaispaspourquoi,maispeuimportelenombredebièresquejebois,jen’arrêtepasdepenseràAlexetLilliaquiontprisl’avionensemblecettesemaine.Àtouteslespersonnesprésentesdanslegarage,jepropose:—Etsionallaitsefaireunjacuzzi?Quim’accompagne?Ricky,Skeeteretdeuxautresgarsregardentversmoi.—Oùça?demandeRicky.J’éteinslaradio.—Jeconnaisunendroit.Unebelledemeure.Elleestcomplètementvidecesoir.Ceseraitdommagedenepasprofiterdelamaisond’Alex.—Maisilfaitfroiddehors!selamenteSkeeter.—C’estpourçaquejeproposed’allerteréchaufferdansunjacuzzi,imbécile!—Jen’aipasenviedemefairearrêter,protesteRicky.Jem’avanceversluiettiresurlesliensdesacapuche.—Personnenevasefairearrêter.Puisquejetedisqu’iln’yapersonnedanslamaison.C’estcelle
d’unpote,etiln’apasdevoisins.Rickyhausselesépaules.—O.K.,jetesuis.Onestsept:moi,cinqgarçons,etl’unedeleurspetitesamiesquimedébectetellementquejeneme
suis jamaisdonné lapeined’apprendre sonnom.Patnevientpas. Ilprétextequ’ilveut continuer àbossersursamoto,mais jeconnais lavérité : ildéteste les jacuzzis.Ça ledégoûte.Lachaleur, lesmicrobes, touscescorpsquibarbotentensembledansunegrandebaignoire…Toutefois, je tiensmalangue,principalementparcequejepréfèreéviterdeleurcouperl’envie.C’est l’occasionrêvée.Cesoir,Rickyvaenfinavoircequ’ilveut.Çafaitdessemainesqu’ilme
drague.Enplus,unbonroulagedepellesnemeferapasdemal.Jemefichepasmald’avoirécoledemain.Jen’aipasembrassédegarçondepuis…Skud.J’hésiteàappelerMarypourl’inviter,maisjemeravise.Lapauvre,çapourraitl’effrayerdemevoiràl’œuvre.Nous jetonsdeuxpacksdebières dansun sac enplastique, enfourchonsnosmotos et filons chez
Alex.Leslumièresdelamaisonsonttoutesalluméescommes’ilyavaitquelqu’un,maisjesaisqu’elleestvide.JedoistraînerRickytoutlelongdel’allée.—Tuessûredecequetufais?medemande-t-ilenboucle.J’ouvreunebièreetprendsunegorgéeavantdelaluiproposer.Jem’approchedesonvisageetlui
dis:—Oui,ettulesaistrèsbien.J’aimeflirteravecRicky.Ilestadorable.Iladeuxansdeplusquemoi,unandemoinsquePat.On
était touslesdeuxaulycéedeJarIslandàunmoment,maisàcetteépoque, ilsortaitavecuneautrefille.Sarah,peut-être?J’aioublié.Bref,ill’alarguéecetété,aprèsqu’ellel’atrompéeavecsonprof.C’estlegenredetruclouchequisepasseàlafacducoin,etc’estpourçaqu’ilfautquejemebarred’ici.Commelagrilleestferméeàclé,nousdevonsmontersurlapoubellepourl’escalader.Dèsquenous
atterrissonsde l’autre côté, les lumièresdu jardin s’allument automatiquement.Moncœur se fige etj’attendsquel’alarmesedéclenche.Nousrestonstoussilencieux;ellesfinissentpars’éteindre.D’unevoixnonchalante,jeleurlance:—Vousvoyez?Toutvabien.Lapiscined’Alexestferméepourlasaison.Elleestàmoitiévideetrecouverted’unebâchebien
tendue.Ehmerde.Jesoulèvelabâchedujacuzzid’Alex,etDieumerci,ilestplein.C’estunmodèlebien clinquant, avec des boutons qui permettent de changer la couleur de l’éclairage et une stéréointégrée.Nousentrons tousà l’intérieur,mettons les jetsenmarcheet ilne fautpas longtempspouratteindrelatempératureidéale.Rickyn’apasdemaillotdebain,alorsilresteencaleçon.Avecsonboxernoir, ilestsupersexy.Soncorpsestminceetmusclé,onpeutvoir toussesabdos,et ilaunevilainecicatrice,unsouvenirdujouroùils’estfaitopérerdel’appendicite.J’aienfilémonbikininoiretundébardeurassorti.JepousselacopinedeTimdemoncheminpour
pouvoirm’asseoiràcôtédeRicky.—Cettebaraqueestdémente!s’extasiel’undesgars.—Siseulementj’étaisblindé,regretteSkeeter.Çamemet en rogne,parceque laplupart de cesmecsn’auront jamaisd’argent et ne connaîtront
jamaislaviedececôtédel’île.Saufàdevenirgarçonsdepiscine.Cequiestàlaportéedecertains.Timmequestionne:—Tuconnaisletypequivitici?—Ouais.
—T’essortieaveclui?—Biensûrquenon.Jemens, parce que je sais ce quemes amis pensent de ce type de personnes. Elles ne sont pas
commenous.Mêmesiçapeutsemblerraciste,sectaireouautre,c’estlastrictevérité.Alexn’estpascommemoi.Après tout, il aprisunputainde jet privépour aller visiter des écoles auxquelles sesparents feront probablement un don conséquent pour qu’il soit accepté. Je ne comprendsmême paspourquoiilvientàl’atelierderédactionavecmoi.Iln’apasbesoind’unebonnelettredemotivationalorsqu’ilpeutleurproposerunchèqueenblanc.Jeterminemabièreetjettelacanettevidedanslejardin, comme si je n’en avais rien à foutre. Jeme rapprochedeRicky.L’espace d’une seconde, ilpassesonbrasautourdemoi,puisleretire.Bizarre.Mon estomac se noue. Est-ce que j’ai mal interprété les signes ? Est-ce que Ricky s’intéresse
vraiment à moi ? Je ne suis pas sûre de pouvoir supporter un autre scénario façon Alex Kudjak.J’espèrequ’iln’estpassimplementgentiletqu’ilaréellementdesvuessurmoi.Monegon’estpasindestructible.Jeregardedel’autrecôtédujacuzzi.Touslesamisdemonfrèrenousépient.Oh.O.K.Jeviensdecomprendre.Ilveutêtreseulavecmoi.Soudain,jem’écrie:—Ehmerde!Toutlemondesetait.—Quoi?murmureRicky.—J’aientenduuntruc.Jesorsdel’eau.Lavache,ilfaitsuperfroiddehors.Delavapeurmontedetoutmoncorps.—Quoidonc?J’airienentendu,moi!Quelcrétin.J’attrapeRickyparlebras.—Viensvérifieravecmoi.Ilm’adresseunregardimplorant,puisjetteuncoupd’œilaurestedelatroupedanslejacuzzi.Tout
lemondeglousseetchuchote.Personnenenousprêteattention.Jegrogne:—Magne-toi!Jemegèlelesfesses.Noustraversonslejardinetlongeonslepoolhouse.D’unseulcoup,jemedis
queceseraitgéniald’embrasserRickyjusteenfacedelachambred’Alex.Jelepoussecontrelemuretluidemande:—Bon,ons’emballeoupas?Maisçanesonnepasaussisexyquejelevoudrais,parcequejegrelottehyperfort.Seslèvress’arrêtentàquelquesmillimètresdesmiennes.—Kat,ilssontjusteàcôté.Jeposelesmainssursesépaulesetmecolletoutcontrelui,lapoitrineserréecontresontorse.Au
pire,çavameréchauffer.Jemurmure:
—Etalors,qu’est-cequeçapeutfaire?Ilfaitsifroidquejepeuxvoirmarespiration.Jefermelesyeuxetattendsqu’ilplanteseslèvressur
lesmiennes.Rien.Lorsquej’ouvrelesyeux,Rickymeregardeavecunairdechienbattu.Jelaissemesbrasretomber.—Franchement,Ricky!Tumeplantespileàcemoment?Mavoixestbeaucoupmoinssexy.J’aicarrémentlesboules,etças’entend.Jem’éloignedeluienclaquantsifortdesdentsquejen’entendsriend’autre.Ladernièrechosedont
j’aibesoin,c’estdetombersurunautretypesanscouilles.Rickyessayedemeforceràleregarder.—Kat,attends.Je suis déjà partie et me dirige vers le jacuzzi. Mais au lieu d’entrer dans l’eau, j’attrape mes
affairessurunechaiselonguedujardin.—Eh,lesflicssontpassésenbagnoleetontbraquéleurstorchesdanslejardin.Onferaitmieuxde
setirer.Toutdesuite.Rickyrevientetentendmonmensonge,maisneditrien.Tout lemondesebousculepoursortirde
l’eauetfilepiedsnusjusqu’àl’alléeoùnousavonsgarélesmotos.Jelessuis,maisauderniermoment,jejetteuncoupd’œilpar-dessusmonépauleetaperçoistoutle
bordel que nous avons laissé dans le jardin d’Alex. Des canettes de bière vides et desmégots decigarettes.—Tuviens?m’appelleRicky.Jeneluirépondspas,etilpartsansplusattendreenmelaissantenplan.Jetrouveunsac-poubelledansl’unedesbennesàorduresetcommenceàarpenterlejardinenme
servantdelalumièredemonportablepourrepérerlesdétritusdanslapelouse.Peudetempsaprès,laneigesemetàtomber.Monhautestcomplètementtrempé;jenesaismêmepascommentjevaisrentrerchezmoi.Quelleviedemerde.
XXVIIILILLIA
ILNEIGEDEHORS.Lesminuscules flocons tiennent à peine,mais c’est beau à voir. J’ai toujours aiméBostonenhiver.Ondiraitquelavillesorttoutdroitd’unromandeCharlesDickens.Nousattendonsqu’unetableselibèrechezSalt,lerestaurantpréférédemamère,etlemien.Ilsfont
lameilleurebisquedehomard;leserveurlasertàtabledansunesoupièreenargent.Onavaitréservépourdix-neufheures,maisMmeKudjakamistellementdetempsàsepréparerqu’onaratél’heure.Ilest vingt heures désormais, et nous n’avons toujours pas dîné. J’ai l’impression que je vais tomberdanslespommes.—C’estridicule!s’offusqueMmeKudjakàvoixhautepourquetoutlemondel’entende.Elleporteunmanteauenrenardetdesbottesnoiresàtalonsaiguillesquiluimontentau-dessusdu
genou.—Onvapouvoirs’installerd’unmomentàl’autre,ditmamère.Jelesvoisdébarrasserunetablede
quatre.Mêmesielleal’airaussizenqued’habitude,seslèvresrougecarminsontpincéesetjevoisbien
qu’elleestcontrariée.—Çafaitunedemi-heurequ’onattend!protesteMmeKudjak.Unmercredi,enplus!—C’estuncinqétoiles,luirappellemamère.Onn’estpassurl’île.MmeKudjaksecouelatête,etsachevelurecuivréebalayesesépaules.—Jevaisentoucherdeuxmotsàl’hôtessed’accueil.—Celeste…l’imploremamère.Heureusement,l’hôtessevientnoustrouverpournousdirequenotretableestprête.—Enfin,grommelleMmeKudjak.
Alexetmoiéchangeonsunregard.C’estcommeçadepuisquenoussommesarrivésàBoston.Latensionestpalpable.Parexemple,ma
mèrevoulaitpasseravantledînerchezledécorateurd’intérieuroùelletravaillait,afindesaluerBertetCleve,sesamisquimeconnaissentdepuisquejesuisbébé.Ilssontassociésetparcourentlemondepours’inspirerdes tapisdeMarrakechoudesmosaïquesencéramiquedeProvence.PourNoël, ilsnousontenvoyé,àNadiaetmoi,uncadeauadorable:deshuilesessentiellesdelavande,desbraceletsencristaletdespotsd’argiledelaMerMorte.Mais on n’y est pas allés, parce queMme Kudjak a déclaré « Grace, il faut qu’on passe chez
Hermèsavantlafermeture;jevoudraisquetumedonnestonavissurlatablebassequej’airepérée.»AlorsonestpasséschezHermèsàlaplace.Plusieursfois,Alexaposédeuxdoigtssursatempepourfaire semblantde se tireruneballedans la tête. Jeme suis attardéeprèsdes bracelets en émail enespérantquemamèreleremarqueetenajouteunàmalistedeNoël.L’airderien,j’enaipointéunquimeplaisait,maistoutcequ’elleatrouvéàmedire,c’est«Nerêvepas,Lilli,tun’aspasbesoind’unbraceletàsixcentsdollars.»MmeKudjakaessayédedemanderà lavendeusede lepassersursanote, maismamère a refusé catégoriquement, etMme Kudjak a fait la grimace. Je me suis sentiecoupable,parcequesij’avaissucombienilcoûtait,jen’auraisriendemandé,évidemment.Mêmesijedoisavouerqueleporteràl’écolepourvoirlatêtedeRennieauraitbienvalulapeinededépensersixcentsdollars.Ensuite,alorsquenousfaisionsletourducampusdel’universitédeBoston,mamèreavouluvisiter
labibliothèqueetlebâtimentdédiéauxarts,maisMmeKudjakn’arrêtaitpasdeseplaindred’avoirmalauxpieds.Jesavaiscequemamèreenpensait,parcequej’étaisdumêmeavis:àquoibonporterdestalonsaiguillesdedouzecentimètresdehautpourvisiteruncampus?C’esttoutsaufpratique.L’hôtessenousplaceaufonddurestaurant,suruneélégantebanquetteencuir.Jem’assoisprèsde
mamère,etAlexs’installeaveclasiennefaceànous.MmeKudjakprendlacartedesvins.—Rougeoublanc,trèschère?demande-t-elleàmamère.—Jeprendraisbienunverredesauvignonblanc, répond-elleen rabattantunemèchedecheveux
derrièremonoreille.Puis,ellem’annonce:—Tuesbienjoliecesoir,chérie.—Oh,Lilliaesttoujoursàtomber,souligneMmeKudjak.MonDieu,siseulementjepouvaisencore
porterunerobecommelasienne…Je souris humblement en baissant les yeux. J’ai choisima tenue avec le plus grand soin. Sur Jar
Island,çan’apasgrandeimportance,maislesgenss’habillentmieuxàBoston.Ilsfontplusattention.Jeporteunerobepullgrischinéajustéeavecuneceintureencuirblancverniquimemarquelatailleetune paire de bottines à semelles compensées que j’ai achetée pour le voyage. Jeme suis frisé lescheveuxetjelesaiattachésenqueuedechevalbassesurlecôté.Lorsquejesuissortiedelasalledebain,Alexm’aditque j’étaisbelle. Ilportaitunpullencachemirebleumarine,maisaprèsm’avoirvue,ils’estchangéetaoptépourunechemisebleuclairetunecravate.Lorsqueleserveurs’approche,avantqu’ilpuissedireunmot,MmeKudjakdéclare:—OnvaprendreunebouteilledesauvignonblancetunebouteilledeVeuveClicquot.
Mamèresembleinquiète.Cen’estpasunegrandebuveuse.—Celeste,jenesaispassi…—Visunpeu!Onvalaisserlesenfantssiroterunpeudechampagne.C’estmoiquioffre.MmeKudjakmefaitunclind’œil,etAlexetmoihaussonslesépaules.—Rienqu’unepetitegorgée,meconseillemamère.Alex et moi buvons chacun un dé à coudre de champagne et nosmères finissent la bouteille. À
chaqueverresupplémentaire,ellessedétendentunpeuplusetlatensiondelajournéedisparaît.—Àl’avenir!s’exclameMmeKudjakenportantuntoast.—Ànosbébés!renchéritmamèreentrinquantavecelle.MmeKudjakposelamainsurlatêted’Alex.D’unevoixtriste,elledemande:—Oùsontpassésnosbébés?Jejurequetoutlemondedanslerestaurantnousregarde.C’estlàqu’ellessemettentàraconterdes
histoiresnousconcernant.Mamèreseremémorelafoisoùellem’aemmenéeauzoo.J’avaistellementpeur des animaux que quand ellem’a offert un tour à dos d’éléphant, j’ai complètement perdu lespédalesetjeluiaifaitpipidessus.—Sarobeétaitfichueaprèsça,conclut-elleens’étranglantderire.Elleétaitmagnifique,blanche,
avecuntablierendentelleetdesmanchesbouffantes.Jel’avaisachetéeàParisquandelleétaittoutepetite…Onauraitditunange.Lilli,tutesouviensdecetterobe?—Non.(Jecroiselesbrasetlasupplied’unetoutepetitevoix.)S’ilteplaît,maman,arrêteavectes
histoires.—Oh,attends,j’enaiunebienbonne!s’écrieMmeKudjak.EllecommenceànousexpliqueràquelpointelleaeudumalàsevrerAlex.Pendanttoutcetemps,
Alexluijettedesregardsfurieux,commes’ilvoulaitl’arrêterenluibalançantsonassiettedesaladeàlatête.Tandisquenosmèressedéchaînent,Alexmedonneuncoupdepiedsouslatableetarticule«Elles
sontcomplètementbourrées.»Jeluiréponds«Jesais».Nouséchangeonsunsourirecompliceetjemedemandecommentceseraitsinousétionsicitousles
deux.Dans lamêmeuniversité, jeveuxdire. J’aurais l’impressiond’avoir emportéunpetitboutdechezmoi.
LANUITSUIVANTE,Alexetmoitraînonsdanslesalondel’appartementfamilialdeBoston.Uneémissionpasseàlatélé,maisnousnelaregardonspasvraiment.Jemedisquec’estparcequenoussommescrevés.Heureusement,onrentredemain.Mêmes’ilfaudraquejefiledirectementàl’école.Alexestassisentailleuraumilieuducanapé.Ilporteunbasdejoggingetuntee-shirtduconcours
inter-lycées du printemps dernier, où nous avons perdu le championnat à cause de deux questionsdébiles.Vêtued’unleggingetd’unsweatample, jesuisallongéesur lecôtédans lefauteuilencuirpréférédemonpère,emmitoufléedansl’undesjetésencachemiredouilletsdontmamèreraffole.Elleenaachetéaumoinsunedizaine,tousdecouleurcrème.Nousfeuilletonslesbrochuresuniversitairesenpapierglacéquenousavonsrécupéréeslorsdenos
visites du jour et rions en découvrant les photosmanifestement mises en scène. Nous avons visitél’universitéTuftslematin,etcelledeBostonl’après-midi.Ensuite,nousnoussommesséparés,parcequ’AlexdevaitacheteruncostumeetquejevoulaisdécouvrirWellesley,l’écoledefilles.—Àtontour,Lil,meditAlexenserrantleslèvrespourétoufferunrire.Dis-moicequinevapas
surcettephoto.Ilme tend le dépliant etmemontre une photo pleine page d’un étudiant en blouse et lunettes de
protectionquibranditfièrementunbéchervide.J’éclatederire:—Oh,monDieu,ilsnesesontmêmepasdonnélapeinedemettrequelquechosedanssonbécher!
Ilsn’ontpasd’accessoiristeetdedirecteurartistique,ouquoi?Alexsemetàriresifortqu’ilnepeutplusrespirer.—C’estcommesionluidisait«Monvieux,jenevoispascequitefaitsourire.Tuvasfoirerton
expériencesitunemetsriendanscebécher.»(Ilsecouelatête,puisreposelabrochuresurlatablebasseaveclesautres.)Tumefilesungâteau?Je lui jette un paquet de cookies entier, parce qu’il n’en reste plus que cinq dans le mien. Le
prospectusposésurmesgenouxprésentedesphotosd’étudiantsdansleurchambre.Surl’uned’elles,quatre fillessourient,assisessurdes litssuperposésdansunepiècequi sembleàpeineplusgrandequ’unecelluledeprison.— Je ne sais pas comment je vais pouvoir vivre en cité universitaire.Ma salle de bain est plus
grandequelachambrequenousavonsvueaujourd’hui.J’avaleunedernièregorgéedelaitetrejettemacouverture.—Tuveuxboirequelquechose?Alexhochelatête.—Unverred’eau,s’ilteplaît.Tuvasprobablementrejoindreuneconfrérieétudiante,tunecrois
pas?Jehausselesépaules.—Peut-être.Toutdépendd’oùj’atterris.Ettoi?Tupensesêtreacceptédansunefraternité?—J’ensaisrien.Àmonavis,laplupartdecesgarssontaccrosàlagonfletteetn’ontriendansle
ciboulot.(Ilmeregardemelever.)Tupourraispeut-êtrehabiterici?Cetappartestgénial,Lil.—Chuuut!(Dumenton,jedésignelecouloirsurlequeldonnentleschambres.Mamèredortdansla
chambreprincipale,MmeKudjakdanslachambred’amis.)Mamanflippedéjààl’idéedemelaisserpartir,etmonpèreadoreraitmegardersouscléiciaveclui.Alexattrapelatélécommandeetchoisitunechaînedesports.—Çam’étonneraitquequoiquecesoitréveillenosmèrescettenuit.Il a probablement raison. Elles ont débouché une bouteille de vin rouge une fois rentrées à
l’appartement.Aucoursdesdeuxderniersjours,ellesontprobablementconsomméplusd’alcoolqueles première année que nous avons rencontrés dans les chambres de la cité U. Leurs verres sonttoujours sur la table, à moitié pleins, et portent des traces de rouge à lèvres de deux couleursdifférentes. Je les dépose dans le lave-vaisselle, vide le fond de la bouteille, puis la jette dans lapoubellederecyclage.J’espèrequemonpèrenevapasenvouloiràmamèredel’avoirouverte.Toute
l’étiquetteestenfrançais.Ilgardesesmeilleuresbouteillesdevinetdechampagneici.En allant à l’universitéTufts cematin, j’ai bien vu que lamère d’Alex tapait sur les nerfs de la
mienne.Lesyeux rivés sur leGPSde son téléphone,MmeKudjak essayait de nous faire éviter lesbouchons, alors quemamère connaîtBoston comme sa poche et avait évidemment pris lemeilleuritinéraire pour traverser la ville. Maman avait choisi de partir tôt pour pouvoir se garer près ducampusetmarcherjusqu’aubâtimentdesadmissions,maisMmeKudjakn’arrêtaitpasdedirequelesplaces oùmamère essayait de se garer étaient trop justes pour notre 4x4.Nous étions presque enretard, alors Maman s’est adressée au voiturier d’un restaurant tout proche et lui a filé un grospourboire,carnousnevoulionspasmangersurplace.Jedoism’yprendreàplusieursfoispourretrouverdansquelmeubledelacuisinesontlesverres.
J’enremplisdeuxavecdel’eau.Çafaitplusd’unanquejenesuispasvenueàl’appart,maisPapayvitenpermanenceparcequ’iltravailleàl’hôpital.Nousavonsunefemmedeménage,etunepersonnechargéede faire les courses, commeça, il n’a à se soucierde rien. Il nemanqueraitplusqu’il soitobligéd’allerausupermarchépouracheterunebriquedelait.Lorsquejereviensdanslesalon,Alexcontemplelavilledepuislafenêtre.Jeposenosverresetle
rejoins.Ilneigeànouveau.—Lavueestsympa,dis-jeenmepenchantpourm’appuyerlefrontcontrelavitre.Noussommesauvingt-neuvièmeétaged’un immensebuildingetonvoit toutd’ici. Il resteencore
deux semaines avant Thanksgiving, mais beaucoup de voisins ont déjà accroché des guirlandeslumineuses sur leurs toits ou leurs balcons. En bas, dans le parc, tous les arbres ont perdu leursfeuilles,etleursfrêlessilhouettessedétachentsurlecielnoird’encreconstellédefloconsblancs.Lespassantsressemblentàdeminusculesfourmis.Alexseretourneversmoiavecungrandsourire.—Tuveuxallertepromener?Jenesuispasfatigué.—Maintenant?(Ilestplusdeminuitetjesuisdéjàenpyjama.)Maisonaécoledemain!Enplus,j’aimalauxpiedsàforcedemarcher.J’aideuxampoules,unesurchaquepetitorteil.Jene
voulaispasporterde talons,maismamèrea insisté,parceque j’allaisàunentretien.Et tandisquenousnousbaladionssurlecampusdeWellesley,elles’estpenchéeversmoipourmemurmurer«Nefaisjamaisça,Lillia»endésignantungroupedefillesquiserendaientàleurscoursenpantalondepyjamaetenpantoufles.J’ailevélesyeuxauciel.Commesij’allaisfaireuntrucpareilunjour…—Allez,Lil!Partonsàl’aventuresansnoschaperons.Cevoyageétaitcensépréparernotreavenir,
maisçafaisaitlongtempsqu’onnem’avaitpasautanttraitécommeungamin.Jeris.Jevoistrèsbiencequ’ilveutdire.Nosmèresontététoutletempssurnotredosaujourd’hui.
Elles ont posé deux fois plus de questions que nous pendant les visites. Maman a choisi tous lesrestaurantsoùnoussommesallés,mêmesiçam’étaitégal.J’aimelesgnocchisfaitsmaisondechezSorrento.De temps en temps, je demande à Papa dem’en rapporter quand il prend le jet privé del’hôpital,maisilsnesontjamaisaussibonsquelorsqu’ilssontultra-frais.Enplus,MmeKudjakn’apasarrêtéderemettreenplacelacravateetlescheveuxd’Alex.Jem’apprêteàavoueràAlexquejenemesuisjamaispromenéeseuledansBoston,etencoremoins
la nuit.Mais comme il a l’air hyper enthousiaste et que je ne suis pas vraiment fatiguée non plus,surtoutaprèstouteslessucreriesquenousavonsenglouties,j’accepte.Sur lapointedespieds, jemefaufiledansmachambreetéchangemon leggingcontreun jean.Je
colle un pansement surmes petits orteils et enfile une paire de bottes. Avant de franchir la porte,j’attrapemontéléphoneetremarquequej’aireçuunSMSdeReeve.Alors,t’esalléeàl’opéraouauspaavecSkud?Je laisse échapper un rire enm’imaginant au spa avecAlex, en train de nous fairemanucurer en
peignoirsassortis.Jeluiréponds.Auspa,évidemment!Lorsquejesorsdemachambre,Alexanettoyénotrebazardanslesalon.Ilsechangedanslecoin
oùilaposésonsacremplidevêtements.Ilporteunjean,luiaussi,etestentraindechausserunepairedebaskets,maisiln’apasencoremissachemise.Jepeuxdistinguertouslesmusclesdesesépaulesetdesesbras.Jemeretourneenfaisantminedenepaslevoiretluilaissequelquessecondesd’intimité.Noustraversonslecouloiretapprochonsdel’entréesansfairelemoindrebruit.Alexmefaitsigne
de me taire lorsque je tourne le verrou et ouvre doucement la porte. Dès que nous sommes dansl’ascenseur, j’expireprofondément.Nouspassonsensembledevant legardienetsortonsdans la rue.Alexmetapedanslamain.Boston est encore plus belle la nuit. C’est une vieille ville qui a beaucoup de charme, avec ses
réverbèresàgazetsesenseignesenbois.—J’aimecetteville,meconfieAlex.Ilyatellementdechosesàvoiretàfaireici.Jevaissûrement
mourird’ennuidansleMichigan.—Tucroisquetuvasallerlà-bas,finalement?Alexhausselesépaules.—Monpèreafaitunénormedonàl’université.Enplus,sonmeilleuramidefraternitéestmembre
duconseild’administration.Jepensequejenevaispasycouper.—Tut’entirerascommeunchef.Parcequ’Alexestcommeça.Commenotreappartn’estpastrèséloignédeHarvardSquare,nousdécidonsdenousyrendre.Au
début,j’aiunpeupeur,parcequ’ilyapleindemondedehorsetquelaruequenousprenonsestbordéed’allées très sombres. Je reste tout près d’Alex, un bras passé sous le sien. Mais plus nous nousapprochonsducampus,plusnouscroisonsdejeunes.Laneigen’apasl’airdelesdéranger,pasplusque le fait qu’il y a classe demain. Nous suivons lemouvement jusqu’à une rue où se trouvent denombreuxbars.Alexmeprendlamainafinquenousnenousperdionspasdanslafoule.—Ilsdevraientajoutercetterueàlavisite,remarqueAlexenriant.Jem’apprêteàluirépondrequandungrouped’étudiantsbourréssortd’unbarentitubant.Unepeur
indiciblemesubmergeetmedonnelanausée.Jemefige.Pendantuneseconde,jecroisl’apercevoir.Mike.Puis,legarsseretourne,etenfindecompte,cen’estpaslui.—Çava?medemandeAlexenmeserrantdélicatement lamain.Moncœurbatsi fortdansmes
oreillesquejel’entendsàpeine.Etsijem’étaisvraimentretrouvéefaceàMike?Seserait-ilsouvenudemoi?Seserait-ilexcusé
pour… ce qui est arrivé ? Ou pense-t-il que ce n’était rien ? C’est probablement le cas. Il ne sesouvientprobablementpasdemoi.
Jemesenstellementoppresséequej’aidumalàrespirer.AmherstestàplusieursheuresdeBoston.C’estcequejemedispourmecalmer.Maisilspourraienttrèsbienêtreici.L’idéen’estpasinsensée;elleestmêmeplausible.Jepariequedestasd’étudiantsviennentàBostonpourfairelafête.Peut-êtrequejen’aipasenviedevenirétudieràBoston.Peut-êtrequejevaism’inscriredansune
universitéde lacôteouest. Pourquoi pasBerkeleyou l’université deLosAngeles ? Je suis prête àpartiraussiloinquenécessairepourneplusjamaisrevoirsonvisage.Finalement,jecommenceàcomprendrecequeMaryaendurépendanttoutescesannées.Pourquoi
elleestpartie,pourquoielleestrevenue.Elleabesoindetournerlapage.Moi,jenelepourraijamais,maisjepeuxl’aideràyparvenir.—Tuessûrequeçava?medemandeànouveauAlex.J’acquiesce.—Oncontinuedemarcher,tuveuxbien?Jehâterésolumentlepas,maisAlexparvientsansproblèmeàresteràmahauteur.
UNEFOISDE retourdansmachambre, jeconsultemontéléphoneet tombesurunnouveaumessagedeReeve.Qu’est-cequevousfaites,envrai?Vousvousennuyezàmourir?Jeluiréponds.Onrevientjusted’unebaladesouslaneige.Toutestsibeauici!Etvoilà.Jen’aiplusqu’àlelaissermarinerunpeu.
XXIXKAT
LEVENDREDIJE,suiscenséem’entraîneràrédigermonCVavecAlex,cequiestdébile,parcequelesfacsn’endemandentmêmepaspourlescandidatures.MaisMmeChirazon’arrêtepasdedirequedans«lemonderéel»,onenaurabesoin,etqu’ilestdoncutiledes’exercer.Mais jecommenceà flipper,parcequepour lapartieextrascolaire,monCVestplutôtmaigre.Je
n’aipasgrand-chosedeplusàindiquerquemonnometmamoyennegénérale.Oh,etmonjobd’étéàlamarina. Jemedépêchede l’ajouter. Je jette un coupd’œil furtif à la feuille d’Alex, et il a déjàconsignépleindetrucs:unstagedanslaboîtedesonpère,leconcoursinter-lycées,dubénévolatdansunrefugepouranimauxàBoston,etsaparticipationàlachorale.Jeposelatêtesurmoncahieretfermelesyeux.Jen’aitoujourspasmodifiémalettredemotivation
pouryinclureunpassagesurmamère.JesaisqueMmeChirazom’enveutpourça.Ellen’amêmepaseu l’air emballée quand je lui ai annoncé que je pensais avoir bien réussi mon nouveau testd’évaluationilyaquelquessemaines.J’espèrebiendépasserlesmilleneufcentspoints,parlagrâcedeDieu.Commeça, j’enauraiunpeuplusqu’iln’enfautpourêtreadmiseàl’universitéd’Oberlin.Maiscetruc,ceCVdemerde,c’estunvraiproblèmequivamedonnerduboulot.LorsqueMmeChirazosortde lapiècepourrépondreautéléphone, jemepencheversAlexet lui
demande:—Eh,c’étaitcomment,Boston?TuaspuvisiterBerklee?Alexlèvelesyeuxdesafeuille.—Nan.Jen’aipaseul’occasiond’yaller.Notreplanningétaithyperserré.—FranchementAlex,t’esconouquoi?Tuauraisaumoinspuyfaireunsaut!—Jen’enaipasvul’intérêt.—Pourquoidonc?
Alexserenfoncedanssachaiseettapotesurlatableavecsonstylo.—Sijedevaism’inscrireàdescoursdemusique,jechoisiraisl’universitédeCalifornieduSud.
Aprèstout,c’estàLosAngelesquetoutsejouedanscedomaine.Enplus,ilssontplusorientésverslamusique contemporaine que la classique, et c’est ce qui m’intéresse. (Il secoue la tête.) Bref, peuimporte,parcequejenevaism’inscriredansaucuneécoledemusique.—Maistuaimeslamusique,pourtant.—Bien sûr,mais commemamère dit tout le temps, ce n’est pas parce qu’on est diplôméd’une
école de musique qu’on est assuré de signer un contrat pour un disque. En faisant des étudescommerciales,jeseraiàl’abri.Etjepourraitoujoursprendredescoursdemusiqueàcôté.Jeleregardedetravers.—Desétudescommerciales?Depuisquandtut’intéressesaucommerce?—Jedoisréfléchiràlongterme,Kat.Enplus,aveclescontactsdemonpère,jepourrai…—Maiscequetuveux,c’estcomposer.Évidemment,rienn’estgaranti,maisc’estcequiestgénial,
tunetrouvespas?Lefaitqueriennesoitgagnéd’avance!Je jetteuncoupd’œilautourdemoi.Tout lemondemeregarde,sûrementparceque j’aiélevé la
voix.Jebaissed’untonetajoute:—Ilfautquetutedonnesàfond,parcequetuadoreslamusique.Lesautres,tulesemmerdes,parce
quetunerenonceraspas,peuimportecequ’ilencoûte.C’estvraimentcequ’Alexveut.J’ensuissûre,parcequ’ilnerépondpasdu tacau tac. Ilsemble
réfléchiruninstant.Puis,ilfroncelessourcilsetmeconfie:—Tusais,mêmesij’étaisadmis,çam’étonneraitquemesparentspayentmesfraisdescolarité.Ils
ontd’autresambitionspourmoiqu’unevied’artistecrèvela-faim.Monpèreparletoujoursdemefaireentrerdanssaboîteunefoisquej’auraimondiplôme.—Alex,mêmesiçamegênedeteledire,tuespleinauxas.Tuaurasdel’argent,quoiqu’ilarrive.
Tu as déjà un filet de sécurité ! Tes parents ne te laisseront pas à la rue. Postule à l’université deCalifornieduSud.Qu’est-cequeturisques?Siçasetrouve,tuneserasmêmepaspris.J’ensaisrien.Peut-êtrequet’esnul.Jen’aijamaisentenducequetuécris.(Jeluidonneuncoupdecoudequilefaitrigoler.)Arrêtedefairedeschichiset tentetachance.Qu’est-cequetuasàperdre?Aupire, ils terefusent, et c’est tout. Dans ce cas, tu rentres dans le rang et tu poses ta candidature à l’école decommercepourfaireplaisiràpapa.Maistunesaurasjamaissitun’essayespas.—J’imagine.J’aienviedeluiconfierquel’universitéd’Oberlinaunconservatoirevraimentgénial,maisjeme
ravise.Mavieestdéjàassezcompliquée.Jeposeunemainsursondos.—Allez,vas-y,fonce!LaCalifornieourien!—Peut-êtreque jevais réfléchir àBerklee,dit-il en segrattant la tête.Aumoins, si je faismes
étudesàBoston,jeseraiavecLillia.Jeressensunpincementaucœur.—Mec,tuasditquel’universitédeCalifornieduSudestl’écolequ’iltefaut.Neterabatspassur
uneautreàcaused’unefille.Alexsemblesurpris.
—Quoi?Cen’estpascequej’aidit.—Ahbon?—Non !Putain,Kat,parlemoins fort. J’aimeBoston,eton…ona justepassédebonsmoments
ensemble.C’esttout.—Donc,touslesdeux,vousêtesjusteamis.Commetoietmoi.Ilinclinelatêteetmeregardedroitdanslesyeux.—JenesuisjamaissortiavecLillia.Jemeradosseàmachaise,satisfaite.—Envoietacandidatureàl’universitédeCalifornieduSud,Alex.Ilfautquetucommencesàfaire
cequetuveuxvraiment.Mme Chirazo revient et m’adresse un regard d’avertissement, comme si elle savait que j’avais
glandéensonabsence.Biensûr,Alexn’estpasvisé,parcequ’elle leprendpourunange tombéduciel.
XXXMARY
LEVENDREDI,JE traîneunpeuaprès l’écolepouralleràuncoursd’espagnoldesoutienorganiséparseñorTremontavantlesvacancesdeNoël.J’arrivelapremièreetmedemandependantunesecondesij’aibiennotéladate,maisensuite,dixautresélèvesentrentets’assoientàleurplacehabituelle.Cesontceuxquejem’attendaisàvoir,ceuxquineparlentjamaisenclasse.Commemoi.Noussommestouspassésmaîtresdansl’artdebaisserlesyeuxsurnosbureauxquandseñorTremontdemandedesvolontairespourdiscuteraveclui.L’uniqueabsentestseñorTremontlui-même.Dixminutes s’écoulent, puis quinze.Les couloirs sont vides et silencieux ; le seul bruit qui nous
provient est celui de l’extérieur. J’ouvre mon sac, mon livre d’espagnol et révise le cours de lajournée.Maislesautresélèvessontbienmoinspatientsquemoi.Auboutdevingtminutes,l’und’euxselèveenfaisanttoutuncirque.—C’estquoi,cebordel?lance-t-il.D’autressemblentégalementprêtsàpartir.MaisseñorTremontseprécipitedans laclasse, sonportableà lamain.D’unevoixsurexcitée, il
crie«¡Miesposaestáteniendounbebé!»,avecundébitencoresupérieuràceluidesdialoguesdessoapsespagnolsqu’ilnousdiffuselevendredi.Perplexes, les étudiants se regardent, parcequ’ils n’ont pas lamoindre idéede cequ’il vient de
dire. Aurait-il oublié qu’il s’agit d’un cours de soutien ? Son rire redouble et il nous traduit sespropos.—Mafemmeestentraind’accoucher!Faceàcettebonnenouvelle,lacontrariétédesélèveslaisseplaceàlajoie.Toutlemondeapplaudit
et le félicite tandisqu’il fourre sespapiersdans sonattaché-caseet sort encourantde la salle.Les
larmesmemontentauxyeux,etjenesaismêmepaspourquoi.Peut-êtreparcequejesensqueseñorTremont sera un bon père. Ou peut-être parce que mes parents me manquent. Un peu des deux,probablement.Ensortantde laclasse, j’aperçoisLilliaà l’autreboutducouloir. Je la reconnaisà sescheveux.
Personnedansnotreécolen’aunechevelureaussilongueetsoyeusequeLilliaCho.J’ouvrelabouchepourl’appeler,puisjechanged’avis.Elleestsûrementenroutepourlapiscine
afindenageravecReeve.Jeresteenarrière,maissanslaquitterdesyeux.Puis,jelasuispourm’enassurer.Lillia remonte l’alléeenneigéequimèneà lapiscine.Ellen’utilisepas laporte latéralequenous
empruntions,elle,Maryetmoi,lorsquenousnousretrouvionspourpréparernosplansdevengeance,pendantlestravauxderénovation.Aulieudecela,ellelongeletrottoirquimèneauxdoublesportesdel’entréeprincipale.Quandjelesatteins,Lilliatourneàgauchedanslevestiairedesfilles.Je feraismieux de rentrer. Je le sais. Seulement, quelque chosem’attire dans le bâtiment. À de
nombreuses reprises déjà, j’ai eu envie d’entrer en douce dans la piscine pour les épier, maisjusqu’ici,j’aitoujoursréussiàm’endissuader.Peut-êtreparcequeLilliam’enadéjàbeaucoupditsurcequisepasseentreReeveetellelorsqu’ilsnagent.Elleestheureusedemedonnerdesdétails,etjesuiscontentedel’écouter.Mais soudain, j’ai besoin de le constater de mes propres yeux. De les voir ensemble. Pendant
qu’ellesechange,jemehâtedanslecouloirjusqu’aubassin.Larénovationestterminéeetl’endroitestmagnifique.Ilsontinstalléleplongeoiretpeintunegrandemouettesurlemuropposé.Toutleplafondestenverre,etlalumièreentreàflots.Ellesereflètesurl’eaud’unbleupur.Sur le côté, près du plongeoir, se trouve le placard dans lequel Lillia,Kat etmoi nous sommes
cachéesun jourpouréchapperàunouvrier. J’aimerais pouvoirm’y faufiler,mais c’est impossible.Reeveestdanslepetitbain,ils’échauffeenlevantlesgenouxcontrelapoitrine.Ilmeverraitàcoupsûr.Je regardedans l’autredirectionet aperçoisune rangéedegradinsmétalliquesvisséeaumur sur
presque toute la longueurde lapiscine.Rapidement, jem’accroupisendessous.Heureusementpourmoi,quelqu’unyaglisséunepiledeplanchesbleuesquim’offreunebonnecouverture,àconditionderesteràgenoux.Parfait.Pendantquelquesminutes,j’ailapossibilitéd’observerReeveseul.Iltravailledur,etmêmes’ila
perdu un peu demuscle par rapport au début de la saison de foot, j’aime encoremieux son corpsactuel.Ilestmoinsmassif,plusélancé.Aprèsavoir terminésaséried’exercices,Reevenagevers l’entréeet jetteuncoupd’œildans le
couloirquimèneauxvestiaires.Ill’attend.Puis, Lillia entre dans la piscine. Elle a troqué ses vêtements d’école contre unmaillot noir une
pièce.C’estvraimentpaslegenredetrucdanslequelelleaimeraitêtrevueàlaplage,maisilluivatoutdemêmebien.Si j’ignoraisqu’ellenesavaitpasnager, je l’auraisprisepourunmaître-nageur.Elles’assoitauborddesgradins,justeenfacedemacachette,etenfileunbonnetdebainblancsursescheveux.—Salut,Cho!luilanceReeve.T’esenretard!Lillianerépondpas.Alorsqu’elleauneéchelleàproximité,elles’avancejusqu’aupetitbainpour
entrerdansl’eau.Elleestpeureuseetréagitcommesielleétaitglacée.DèsqueLilliaestdansl’eau,Reeveabandonnesesexercicesetcommenceàluidonneruncours.Il
l’aideà s’entraînerà flotter, lesmains sous sondos. Il la fait travailler sesmouvementsdebras. Ilobserveattentivementchacundesesgestes,commeuncoach.Illacorrigeàdenombreusesreprises,cequisemblevraimentagacerLil,maisquandellenepeutpaslevoir,ilhochelatêteetsouritcommesielleassuraitparfaitement.Pendantunmoment,jefermelesyeuxetrepenseaujouroùReevem’apousséedansl’eau.Est-ce
queçaseraitarrivésilesautresélèvesn’avaientpasétélà?Jepariequenon.Jepariequ’onauraitprisleferryensemble,commed’habitude.Jesensleslarmesmonteretjeleslaissecouler.Lorsquej’ouvreànouveaulesyeux,Reeveestsortidubassinetsesèchejusteàcôtédemoi.Desi
près, je peux voir qu’il a gardé quelques cicatrices après le bal, là où le verre l’a entaillé.À cesendroits,lapeauestplusrosequ’ailleurs.Rose,pâle,presquetranslucide.J’essuiemeslarmesd’unreversdemanche.—Jevaismechanger,Cho.Situprenaisuneplanchepourfairequelqueslongueursdanslegrand
bain?Reeves’éloigneetLillias’apprêteàfairecequ’ilvientdedire.Maislorsqu’elles’approchepour
récupéreruneplanche,ellemevoitetmanquedehurler.Jemurmure:—Jesuisdésolée!—Mary!(Ellejetteuncoupd’œilpar-dessussesdeuxépaules.)Qu’est-cequetufichesici?(Puis,
elletrouveapparemmentlaréponseparelle-même.Soudain,ellesemblejoyeuse.)Tum’asregardéependant tout ce temps?Tuas compté lenombrede fois où il a essayédeme toucher ?Notre planmarchedufeudeDieu!D’unepetitevoix,jeluiréponds:—Ouais,çaroule.—Enplus,ajoute-t-elle,jemesuisbeaucoupamélioréedansl’eau.Jepensequejevaisvraiment
passerletest.(Ellefrissonne,etdesgouttesd’eauvolentautourd’elle.)Toutlemondeygagne!Jeclignedesyeuxplusieursfois.Heureusement,Lillian’apasconsciencedetoutesleschosesque
jeressenspourReeve,toutaufonddemoi.Jeveuxquepersonnenelesache.Jamais.Rapidement,jechuchote:—C’estgénial,Lil.Jesuisraviequetuytrouvestoncompte,toiaussi.MaisjenesuispassûrequeLilliam’entende.Elledétourneleregardendirectionducouloir.—Ehmerde.Elleattrapeuneplancheenhautdelapileetsautemaladroitementdanslapiscine.Reeveentrequelquessecondesplustard,entièrementhabillé.—Tutrichesdansmondos,Cho?—Non.C’estjusteque…jen’aimepasalleroùjen’aipaspiedquandjesuisseule.Reeve s’accroupit au bord du bassin, non sans effort. Je vois bien que sa jambe est raide et
douloureuseaprèslesexercices.Enplus,ilaremissonattelledemarche.
—Net’inquiètepas.Jesuislà.Puisilajoutesuruntonblagueur:—Pourlapeine,tumeferasunelongueurdeplus.Lillia se sert de sa planche pour progresser jusqu’à l’autre bout du bassin.Reevemarche à côté
d’elletoutdulong.Sajambevamieux.Elles’estrenforcée.Dèsquel’occasionseprésente,jesorsencourantdelapiscineetrentrechezmoi.Encemoment,
c’estmoiquiperdspiedsetquicoule.
XXXILILLIA
PENDANT QUE JE me sèche, Reeve sort sur le parking et démarre ma voiture afin qu’elle soit bienchaufféepourmoi.Jen’aimêmepasbesoindeleluidemander,cequiestbonsigne.Jeramassemesaffairesetlerejoins.JescrutelesalentoursàlarecherchedeMary,maisjenela
voisnullepart.Reeves’estemparédelaracletteetagrattélegivresurmonpare-brise.Ilaégalementdémarréet
dégivrésacamionnettequiestgaréejusteàcôté,maisc’estdansmavoiturequ’ilm’attendenécoutantlaradio,assissurlesiègeconducteur.Jeravalemonsourireetsautesurlesiègepassager.—Mevoilà!Mercidel’avoirdémarrée,luidis-jeenorientantlaventilationversmoi.—Pasdesouci.Commeilnesemblepaschercheràsortir,jeresteimmobile.Brusquement,ilmedemande:Aufait,tunem’asjamaisracontécommentças’estpasséàBoston.Oh, à merveille.Mon entretien avec l’ancienne élève deWellesley s’est très bien déroulé. Elle
venaitsouventàJarIslandquandelleétaitpetite,ducoupçanousafaitunpointcommun.—Cool.(Duboutdesdoigts,ilmartèlelevolant.)Alors,est-cequeSkudaenfineulecouragede
passeràlavitessesupérieureavectoi?J’ouvredegrandsyeux.Jeveuxdire,O.K.,ons’estprisparlamain.Maisonétaitloind’unevraie
tentative de rapprochement. Pourtant, je ne compte pas l’avouer à Reeve. Je préfère qu’il pensequ’Alexestvraimentpasséàl’attaque.—Pourquoi?T’esjaloux?Reeveregardeparlavitre.
—Pfff,est-cequeSkudestjalouxdenosséancesdenatation?mecontre-t-il.Jemeforceàdéglutir.—Iln’estpasaucourant.J’aienviedeluidire«S’ilteplaît,garde-lepourtoi»,maisjenepeuxpasfaireça.Àlaplace,je
réfléchisrapidementetluiretournelaquestion:—EtRennie?Mêmesijeconnaisdéjàsaréponse.Reevesegrattelefront.—Jeneluienaipasparlé.—O.K.—O.K.Comme ça, aucun de nous ne l’a dit à qui que ce soit.Rennie etAlex n’en savent rien.Mais je
redoutelemomentoùçaarrivera.Parcequ’ilviendrabienunjour.Letrainestlancéetilprenddelavitesse.Reeveretirelesmainsduvolantetleslaissetombersursesgenoux,oùillestritureuninstant.Puis,
ilmeregarde,etjesuisbienincapablededeviners’ilvadirequelquechose.Oufairequelquechose.Jecommenceàpaniquer.Jesorsrapidementmontéléphone,faisminedelireunSMSimaginaireetluiannonce:—Ilfautquejerentreàlamaison.Onsevoitceweek-end?Ilsemordl’intérieurdelajoueetmerépond:—Biensûr.Àplus,Cho.
LE SAMEDI,EN sortant duMilkyMorning, je tombe sur PJ. Pendant qu’ilme tient la porte, je passedevantluietluilance:—Bonjour,belétranger!—Àcesoir,Lil!mesalue-t-ilenlevantlamainpourtaperdanslamienne.Jeluitendsmaboîtedemuffinsafinqu’illagardependantquejeremontelafermetureÉclairdema
doudoune.—Onfaitquoi,cesoir?—Renarécupérédestasdebouteillesgratos.Onseretrouvedanslesboisprèsdechezelle.Elle
net’ariendit?—Non,riendutout.Ashnonplus.ParcequeRennieleluiaordonné,j’ensuissûre.SiRenveutjoueràcejeu,trèsbien.
Jepeuxyjoueraussi.—Àquelleheurevousvousretrouvezlà-bas?—Àvingtetuneheures.—Ilfaitfroid,parcontre.Onvasegeler.—L’alcoolnousréchauffera.Oùest-cequ’onpourraitaller,sinon?
***C’ESTMONJOURdechance,parcequeMamanetNadiasontpartiessurlecontinentpourassisteràunspectacleéquestre.Ellesnereviendrontpasavantdemainaprès-midi.Mamèrevoulaitquej’aillechezRennieouqueCarlotapasselanuitàlamaison,maisjeluiaiditquec’étaitridicule.J’aidix-septans,etdansmoinsd’unan,jeseraiàlafac.Jesuissuffisammentgrandepourresterseulependantunenuit.«Tumefaisconfiance,non?»,ai-jeajouté.Elleafiniparcéderenmerépondantqueoui.J’envoieunSMSàAlexpourcommencer.Ilfaitsuperfroiddehors.Tuveuxpasserchezmoiregarderunfilmcesoir?À21heures?Amène
Derek!Ilmerépondimmédiatement.Çametente!Au tour d’Ash. Je suis sûre que si j’agiteDerek sous son nez, elle vamordre à l’hameçon.Elle
laisseraRennieenplanpourtraîneraveclui.Elleaunfaiblepour luidepuis l’annéedernièreet ilssontsortisensembleplusieursfois,mêmes’ilsnesontpasofficiellementencouple.MamèreetNadiasontabsentescettenuit.Tuveuxvenirvoirunfilm?Lesgarsserontlà,Derek
aussi!Oui!Àquelleheure?21heuresÇamarche!Bon,àReeve,maintenant.SoiréefilmchezmoisiçateditReeveprendtoutsontempspourmerépondre.Maisilfinitparlefaire.Enunseulmot.Cool.Jepasseàl’action.Carlotaestvenueplustôtaujourd’huietlamaisonétincelle.Maisilnousfautde
quoigrignoter.Jeconfectionneunplatdebrownies,mêmes’ilsnesontpasvraimentfaitsmaison.J’utiliseunsachet
depréparationd’unemarquechicquemamèreaachetédansuneépiceriefinedeBoston.Ilcoûteonzedollars, alors jeme dis qu’ils doivent être bons. Pour faire bonnemesure, j’ajoute une poignée depépitesdechocolat.Jedescendsàlacavechercherunebouteilledevinrougequin’apas l’air tropchèreetlaposesurlatable,avecdesverres.Auderniermoment,jepréparedupop-cornetdécidequeçadevraitsuffire.Puis,jemontemechanger.Jetroquemesvêtementsd’écolecontreunjeanslimetunpullcrèmequi
medénudel’épaule.Jedéposeunpeudemonparfumderrièremesoreillesetaucreuxdemoncou.Jenememaquillepas,parcontre,etmecontented’unetouchedebaumeàlacerise.J’ail’airdécontractée.Maisaufond,jesuishyperexcitéeàl’idéequeRennieseretrouvetouteseuledanslesboisavecses
bouteilles,àsegelerenattendantenvainquetoutlemonderapplique.
NOUSSOMMESTOUSaffalésdanslesalon.AshetDereksontconfortablementinstallésdansnotrefauteuil
encuirsousunecouverture.Alexetmoiavonsprisplacesurleconvertible.PasdesignedeReeve.IladûrejoindreRennie,finalement.J’essayedenepasmelaissergagnerparladéception.Soudain,onsonne.—C’estqui?veutsavoirAlex.—J’ensaisrien!Jemerueverslaporteetl’ouvre.C’estReeve,vêtud’unedoudouneetd’unpull.—Salut,Reeve!Jemedressesurlapointedespiedsetleserredansmesbras.Ilal’airsurprisetjeluisouris,tout
sucretoutmiel.—Skudestlà?medemande-t-ilenregardantpardessusmonépaule,lessourcilsfroncés.—Ouaip…Je viens de comprendre. Il pensait qu’il n’y aurait que nous deux. Comme une sorte de rencard.
Wouah.Ças’annoncebien.Vraimentbien.J’aitrophâtedetoutraconteràMaryetàKat.Jepassemonbrassouslesienetl’accompagne.—Toutlemondeestdanslesalon.Reevemesuit.Jeleurbalancequec’estReeve,alorsqu’ilestlà,devanteux.Ilsnesontpasaveugles.—Quoideneuf,Tabatsky?l’interrogeDerek.Alexluifaitdelaplacesurlecanapé.LorsqueReeves’assoitetcommenceàposersespiedssurla
tablebasse,Alexluiexplique:—Mec,safamilleneportepasdechaussuresàl’intérieur.—Calme-toi,Skud,luirépond-il.Toutefois,ilobéitetsedéchausse.—Çavautaussipourtoi,ordonneAshàDerek.J’interviens:—Çava,t’inquiète.Néanmoins, je suis soulagée qu’Alex ait fait la remarque. Je déteste être celle qui dit aux autres
d’enleverleurspompes.C’estvraimentgênant.Maismamèremetueraitsielleretrouvaitdestracessuspectessursesmeublesblancs.Ondiraitquesamissiondans lavie,c’estd’acheterseulementdublanc,puisdefaireensortedenejamaisriensalir.Jedemande:—Est-cequequelqu’unveutduvin?Jemesensvraimentadulte, jusqu’àcequejemerendecomptequejenesaismêmepascomment
déboucherunebouteille.—Moi,s’ilteplaît!claironneAshlin.Jemedébatsavecletire-bouchonjusqu’àcequeReevemeleprennedesmainsetouvrelabouteille
endeuxsecondesmaxi,sansdireunmot.Ensuite,ilnousserttous.—OùestRen?mequestionne-t-ilenreposantlabouteille.
Jehausselesépaulesetluiréplique:—Aucuneidée.(Jemelèved’unbond,filedanslacuisineetreviensavecmesbrownies.)Quiveut
desbrownies?Ilsviennentjustedesortirdufour!JelestendsàAshetDerekquiprennentunmorceauetselepartagent.Je retournevers le canapéet enproposeàAlex,qui accepte.Puis, jepose l’assiette sur la table
basseetm’assoisentreluietReeve.—Alors,onseregardequoi?Ilyaplusieursbonsfilmsàlademande.—Etmoi,j’aipasdroitàunepartdebrownies?s’offusqueReeve.Quelgenred’hôtessees-tu?—Maistunemangespasdesucre!Ça,aumoins,j’ensuissûre.—Jenemangepasdesucrependantlasaison,mecorrige-t-il,etlasaisonestterminée.Sesyeuxvertsétincellentlorsqu’ilouvrelaboucheetajoute:—Alors?(Jeglisseleplatversluietilsecouelatête.)Alors?répète-t-ilimpatiemment.Jelèvelesyeuxaucieletluifourreunmorceaudanslabouche.—Quelcomédientufais!Labouchepleine,ilcommente:—Délicieux!Jeluiadresseunautresourireangéliqueenrécompense.—Tesbrowniessontterribles,Lillia!intervientAlex.—Jelesaipréparésmoi-même.Ilsn’ontpasbesoindesavoirquej’aiutiliséunsachet.Enattrapantlatélécommande,jepropose:—Etsionregardaitcefilmfrançaisdontj’aientenduparler?ReevegrogneetAlexdemande:—Celuiaveclevoleurdechats?J’aivulacritiquesurNPRhiersoir.Apparemment,ilestbon.Reevegrommelle:—Etsivousdéménagieztouslesdeuxàlamaisonderetraitedèsmaintenant?Jem’interpose:—Onn’estpasobligésdechoisircelui-là.Ash,Der,qu’est-cequivoustente?Ilscontinuentdechuchoterensepartageantleursmiettessansmêmefaireattentionànous.Reevem’arrachelatélécommande.—Laisse-moiregarderlachaînedesportuninstant.Enlevantlamain,jeluiordonne:—Rends-la-moi,Reeve!—Jeveuxconnaîtrelescoredumatch,m’explique-t-il.—Reeve!Jegarde lamain tendueenattendantqu’ilme rende la télécommande,mais il la tienthorsdema
portée.Agacée,jeluilance:
—Ehbien,jeplainscellequit’épousera!Puis,jemelaissetomberdanslecanapéetavaleuneminusculegorgéedevin.Jemanquepresque
de la recracher dansmon verre. Ce truc a un goût de fumée. On dirait du charbon de bois. Jemedemandecommentfontlesadultespourl’apprécier.Évidemment, je plaisantais,maismanifestement, Reeve ne voit pas les choses ainsi. Sansmême
leverlesyeuxdelatélé,ilmerétorque:—Pareilpourtoi.—Allez,Reeve,rends-luilatélécommande,insisteAlex.Reevemelajetteetsemetàconsultersontéléphonependantquejecommandelefilmfrançaiset
qu’Alexallumelehomecinéma.—Tuveuxquejebaisselalumière?medemandeAlex.Reeveselève.—Jemecasse.—Déjà?s’étonneDerek.—Ouais.UnpetitgroupetraînedanslesboisprèsdechezRennie.Vousvoulezvenir?DerekregardeAshetrejettel’idée:—Nan,ilfaittropfroid.Ashlinseblottitcontrelui.ReevedévisageAlex.—Al,j’imaginequetun’aspasl’intentiondevenir?—Non,jesuisbienici,confirmeAlexens’étirantsurlecanapé.—Trèsbien.Jevousretrouveaprès.(Ilenfilesonmanteauetramasseseschaussures.)Àplustard.—Bye,ditAlexenseredressant.—Bye,Reevie,ajouteAsh.Jen’arrivepasàcroirequ’ilparte.IlsuffitqueRennieclaquedesdoigtspourqu’ilaccoure?Reeve
fileversl’entrée;jelesuis.—Pourquoiest-cequetunerestespasencoreunpeu?—Non,merci,décline-t-ilpar-dessussonépaule.J’avaisoubliéquej’avaisunautrerendez-vous.—Neparspas.Jetendslebraspourtoucherl’ourletdesadoudoune,maisjelelaisseretomber,parcequ’ilnese
retournepas.Ilrenfilesesbaskets,puisouvrelaporte.Audébut,jepensequ’ilvapartirsansmedireaurevoir,
maisils’immobiliseetmedévisage.Ilhésite,puismedemandeàvoixbasse:—Onsevoitlundiàlapiscine?Jesouristimidementenhochantlatête.Puis,ilsort.Jerefermelaportederrièreluietlaverrouille.
XXXIIKAT
JEREGARDELEtempspassersurmonréveil,etuneminuteavantquel’alarmeneretentisse,jel’éteins.Jeferme les albums photo que j’ai sortis la nuit dernière et les pose par terre. Ensuite, je tire lescouverturessurmoi.Matêtes’enfoncedanslecreuxencorechauddemonoreilleretjem’attardedanscettepositionuneminutedeplus.Depuisquemamèreestdécédéeilyacinqans,j’aipourhabitudederesterdebouttoutelanuit,la
veillede ladateanniversairede samort,pourpenseràelle. Jenedorspas,pasmêmeuneminute.C’estunesortedeméditationmélancolique,j’imagine,maisj’ytiens.Jepenseàellejusqu’aumatin.Jeremontelefildesadernièreannéedeviemerdiquejusqu’aumomentoùtoutacommencé:lejour
oùelleadûmedéposerdebonneheureàl’écoleparcequ’elleavaitrendez-vousavecunspécialistesurlecontinent.Jeme rappelle le jour où elle nous a fait asseoir à la table de la cuisine avec Papa pour nous
annoncerlamauvaisenouvelle.Çaseprésentaitmal,maisilfallaittoutdemêmegarderespoir.Mamanétait calme, et Papa pleurait tellement qu’il ne pouvait plus respirer. Pat est sorti en courant par laporte de derrière, en chaussettes, et n’est pas rentré pendant trois jours. Jeme suis sentie tout saufoptimiste.Jeme revois annoncer le diagnostic àRennie. J’étais allée chez elle à vélo de bonmatin, avant
qu’ellesoitlevée,afindelaprendredecourt.Elleétaitrestéeassisedanssonlit,àmoitiéendormie,alorsquejem’effondraisprèsd’elle,enpleurs.Unepartmalsainedemoiétaitcontented’avoirunehistoireaussi tristeà raconter.À l’époque,elleavaitdéjàcommencéà s’éloignerdemoi.ElleétaitcomplètementobsédéeparLilliaetnetenaitplusenplaceparcequeLilliaallaitemménagersurl’îleàpleintempsaprèsl’été.Mêmesic’estpathétique,jedoisavouerquej’aiespéréqueRenniemeprennesuffisammentenpitiépour recoller lesmorceauxavecmoi,aumoinspendantcette terribleépreuve,maislamaladiedemamèren’afaitqu’empirerleschosesentrenous.
Je me souviens que Maman s’est montrée forte pendant longtemps, et puis, en l’espace d’unesemaine, elle s’est étiolée.Le cancer, ça vous bouffe de l’intérieur. Je l’ai vue fondre à vue d’œiljusqu’àcequ’ilneluiresteplusquelapeausurlesos,enseptpetitsjoursseulement.Ledernierjour,ellen’aouvertlesyeuxqu’uneseulefois,etjenesaispassiellem’aaperçueaupieddesonlit.Papal’aappeléeetPatluiaconfiéqu’ill’aimait,maisMamannesemblaitplusavoirconsciencedenotreprésence.Nousétionstousentraindelaregarders’éteindre.J’aieuenviedeluidirequelquechose,maissesyeuxsesontrefermésavantquejepuisselefaire.OnainstallélachaînedanslachambreetonaécoutéSuiteJudyBlueEyesenboucle.C’étaitpresqueunsoulagementdelavoirpartir.Touscessouvenirs,ainsiquelesbonsmomentsd’avantsamaladie,m’occupentunebonnepartiede
lanuit.Dèsquelesoleilselève,jechangedesujetetmedemandecommentseraitmaviesielleavaitsurvécu.Jepasseenrevuelesvieuxalbumsphotoetleslettresqu’elleacommencéàm’écrirequandelleadécouvertqu’elleétaitmalade.Jefaistoutçaetjenedorsàaucunmoment.Commeça,pendantlajournée,jesuisunevraiezombie.Jesuistellementcrevéequejeneressens
rien, et je ne risque pas de pleurer devant des étrangers ou de craquer. Ça m’aide à sauver lesapparences.
LORSQUEJEDESCENDS,Papaestdéjààtable,lesyeuxdanslevagueau-dessusdesonjournal.Ensilence,Patmangeunepartdepizzafroidedevantl’évier.Enfin,aussisilencieusementqu’illepeut.Cemecestunebêtesauvage.C’esttoujourscommeçaquesedéroulecettejournée.Notrebruyanteetfollefamillebaisselevolumeaussibasquepossible.JeserrePapadansmesbraspourlerameneràlaréalité.Iltapotesonjournaletdit:—J’ai trouvéuncouponderéductionpour lesupermarché. Ils fontmoitiéprixsur les tartesà la
citrouillepourThanksgiving.Avant,Thanksgivingétaitunepériodegéniale.Mamanmeconfiaitsaboîtederecettes,uncoffreten
bois que Papa lui avait confectionné pour ranger toutes ses fiches. Je sortais celles dont on avaitbesoin;ellesétaienttoutespoisseusesettachéesàforcedeservir.Monboulotconsistaitàalignerlesingrédientssurleplandetravailpourchaquerecette.Despatatesdouces,desharicotsverts,unedindenappéedesaugeetdebeurre,delasauceauxairellesetdelafarce.Inutiledepréciserquecen’estpluscommeça,désormais.Les premières années qui ont suivi la mort deMaman, Papa a bien essayé de recréer le repas
familial,envain.Àchaquefois,çaatournéaudésastre.Ils’envoulaitd’avoirgaspillésonargentetselamentait de ne pas réussir à survivre sans Judy.C’était simauvais que nous avons pris l’habituded’acheterunpouletàlarôtisserieetdeslégumescongelés.Laseulechosequenouspréparionsencoreàlamaison,c’étaitlespommesdeterreaufour.Etmêmes’ilestpresqueimpossiblederaterceplat,jamaisjen’airetrouvélemêmegoûtqu’avant.Soudain,Papa semetàpleurer. Jemedemandeàquoi il repense.Et commechaqueannéeoùce
foutuanniversairetombeunjourdesemaine,jedétestel’idéedepasserlajournéesanslui.Pireencore,àlamêmepériodel’annéeprochaine,jeneseraipasàJarIsland.Àvoixbasse,commesij’avaismalàlagorge,j’annonceàmonpère:
—Jenemesenspastrèsbien.Jeferaispeut-êtremieuxderester…—N’ycomptepas,réplique-t-ilenreniflant.—Hein?Allez,Papa!(Jen’aiplusl’airmalade,maisquandmême!)Jenesèchejamaislescours!—Jesais,etc’estbienpourçaquetudoisalleràl’école.Tamèrenemepardonneraitjamaisdete
laissermanquerlaclasseàcaused’elle.J’ouvrelabouchepourprotester,maisPatmejetteunregardéloquent.Ilaraison.C’estunejournée
difficilepournoustous,etjeneveuxpascommenceràmebattreavecmonpère.Alorsjemetraîneaupremier,m’habille,puisfranchislaporte.Jenepensepasquebeaucoupdemonde soit au courantque jen’ai plusdemère, cequi est une
bonnechose.EndehorsdeMmeChirazo,jeveuxdire.Commeça,personnenemetraitedifféremmentàl’école.Jepréfère,parcequejenepourraispassupporterlesregardscompatissants.Toutefois,unepartiedemoisedemandesiLillias’ensouvient.Siellevamedirequelquechose.Ellen’étaitpaslàlejourdel’enterrement;safamillevivaitencoreàBoston.Maisilsontfaitundonàuneassociationdeluttecontrelecanceraunomdemamère.Je passe à côté de Lillia dans le couloir. Elle discute avec Ash, et lorsqu’elle m’aperçoit, elle
m’adresseunpetitsourire.Maisc’estlemêmequetouslesjours.Jesuisquasimentsûred’avoirparlédemamèreàMary,maiselleneconnaîtpaslejourexactdesa
mort.C’estbizarre,parcequemêmesijesuishabituéeàaffrontercettejournéeseule,cetteannéeestbien
pirequelesprécédentes.J’ouvremoncasierpourylaissermaveste.Jetrouveunemargueriteblancheàl’intérieur,poséesur
mesaffaires.Lesmarguerites étaient les fleurs préférées demamère. Tout lemonde en a déposé une sur son
cercueilavantlamiseenterre.Jemeretourneetregardederrièremoi.Quiabienpufaireça?Cen’estpasLillia,niMary.Ellene
peutpassavoirunechosepareille.Puis, pendant une seconde, j’aperçois Rennie qui m’observe à l’angle du couloir. Nous nous
dévisageons.
LEWEEK-ENDOÙmamèreasubisadernièreséancedechimio,personnen’avaitlecœuràlafête.Elleétaitarrivéeauboutdesontraitement,etpourtantleschosesnes’annonçaientpasbien.Unmoisplustôt,ledocteurluiavaitannoncéuntrucdustyle«C’estàvousdedécider,Judy.»Ce
qui est lapire chosequ’unmédecin puisse dire.Cela signifie quemême lui n’a plus trop d’espoir.Pourtant,audîner,onaeuunediscussiondefamillepourdécidersielledevaitcontinuerounonàsefairesoigner.Papas’estexprimélepremier.Ilpensaitqu’elledevaitleverlepied,profiterdutempsqu’illuirestait,maisMamannousaregardés,Patetmoi,etadéclaré:—Onnepeutpasabandonner.Ilfautessayer.Papa a commencé à sangloter, et nous nous sommes tous joints à lui. Personne n’a touché à ses
lasagnes.Maman a suivi sa dernière chimio le jeudi, et trois jours plus tard, Pat avait une course de
motocross.C’étaitsapremièresurlecontinentdepuislamaladiedeMaman.D’habitude,onassistaitauxcoursesdePatenfamilleetRennienousaccompagnait.Évidemment,Mamann’allaitpaspouvoirvenir cette fois-ci, et nous savions sans le dire qu’elle ne viendrait peut-être plus jamais. Pat lui apromisderemporterletrophée.Ilamêmeréussiànepaspleurerdevantelle.Ilaattendud’êtredanslegaragepourselaisseraller.J’aimaisregarderlescoursesdemonfrère.Lesfamillesdesautrespilotesleconnaissaienttoutes,
parcequ’il étaitbon.Nousétionsdepetites célébrités sur le circuit.Même lorsque je faisaisde labalançoireoupatientaisdanslafiled’attentepouracheterunhotdog,lesgaminsmetémoignaientdurespect.MaisjenevenaispasseulementpourencouragerPat.J’avaiségalementunetâcheàaccomplir.Aprèschaquecourse,jedevaisastiquersamotojusqu’àcequ’elleétincelle.Jedevaisenlevertouteslesprojections,mêmesursoncasque.Rennieavaitdécidéquesonjob,c’étaitdefaireensortequePataittoujoursunecanettedeCocabienfrais.PapaetPatavaientdéjàchargélaremorque.JesuisalléechercherunsacdechiffonsetPapam’a
tiréesurlecôté.—Katherine,m’a-t-ilditenposantlesmainssurmesépaules.Jeveuxqueturestesàlamaisoncette
fois-cipourt’assurerquetamèrenemanquederien.Celaauraitdûmesemblerévident,maisnon. J’étais impatientede sortirdecheznous,dequitter
l’îlepourunaprès-midi.Enplus,ilyavaitRennie.—MaisRennie doit nous accompagner !On l’a décidé depuis des semaines !Elle doit attendre
qu’onpasselachercher.—Désolé,mapuce.Une autre fois. (Il a rapidement versé lesmédicaments deMamandans une
tassedethé.)JesuissûrqueRenniecomprendra.J’aiappeléRennie,etelleacompris,mêmesi j’aidevinéqu’elleétaitdéçue.Par la fenêtre, j’ai
regardéPapaetPats’éloigner.—Kat,j’aibesoindetoi!C’étaitmamère.Cesdernierstemps,elleétaitdevenueaigrie,uneffetsecondairedesontraitement
auquel personne ne s’était attendu. Elle n’était pas comme ça, avant. Tout semblait la contrarierdésormais.Ledésordredanslamaison,cequePapaluipréparaitàmanger,lesodeursquimontaientde la chambre de Pat. Jusqu’ici, j’avais toujours été sa petite fille, son bébé, maismalgré tout, jesubissais samauvaise humeurmoi aussi. Elle avait pété un câble le jour où j’avais passé un pullqu’elleadoraitàlamachine.Franchement,j’avaisunpeupeurd’elle.Dansl’escalier,j’aicrié:—Uneseconde!Puis,j’aidemandéàRenniesiellepouvaitvenir,enespérantqu’ellecomprendraitàmavoixqu’il
lefallaitvraiment.Jenevoulaispasresterseuleavecmamère.J’avaisbesoindeRennie.—Euh…avait-elle réponduenpassant le téléphoned’uneoreilleà l’autre,enfait,mamèreveut
quejel’aideàdécollerlepapierpeint.Désolée,jeterappelleplustard!J’étais furieuse.MaispascontreRennie.Contremamère.Je luienvoulaisd’être responsabledu
faitquemonamierefusedemevoir,alorsquec’étaitRennielalâcheuse.Jeme suis traînée à l’étage.Mamère était couchée dans son lit, les yeux entrouverts. Elle avait
rejetétoutessescouverturesetelletranspirait.—Tupeuxcouperlechauffage?J’étouffe!Avechargne,jeluiaidemandé:—Ceseratout?Ellem’arépondud’untontriste:—Oui.Désoléedet’avoirdérangée.Jesavaisqu’ellemetendaitlaperchepourmepermettredem’excuser.Maisaulieudecela,jesuis
sortieenclaquantlaporte.
J’AIREJETÉLAfautesurlamauvaisepersonne.Mamèren’yétaitpourrien.Elleétaitmalade.Elleavaitbesoindemoi.SiRennieavaitétéunemeilleureamie,peut-êtrequej’auraisétépluspatiente,quejemeseraismieuxoccupéedemamèrecejour-là.C’étaitvraimentimpardonnabledemapart.Jeprendslamarguerite,cellequeRennieadéposéedansmoncasier,etlajetteàlapoubelle.Jene
saispassiellemeregardeencore,maisj’espèrefranchementqueoui.
XXXIIILILLIA
LE MARDI, JE sors de mon dernier cours en retard, parce que l’interro a duré longtemps. Je filedirectementàlapiscine,espérantyretrouverReeveentraindefaireseslongueurs.Maislebassinestvide;iln’estpaslà.Jepatientequelquesminutes,puism’assoissurlesgradinspourluienvoyerunSMS.Pasdepiscineaujourd’hui?:(Non,j’enaiterminéavecça.???Jepeuxpasteparler,jebosseaubureaudemonpère.Hum.Comment ça, il en a terminé ?Avec quoi ?Avec ses exercices, ou avecmoi ? Si nous ne
nageons pas aujourd’hui, je ne vais pas avoir l’occasion deme retrouver seule avec lui avant lesvacancesdeThanksgiving,parcequedemain,onn’acoursquelematin.Jeréfléchisàtouteallure.Laseulechosequ’ilmeresteàfaire,c’estdelerejoindremaintenantpour
luidemandercequ’ilvoulaitdire.Pourluimontrerqueçam’inquiète.Jesorsencourantdelapiscineetfileenvoiturejusqu’aubureaudesonpère.Ilsetrouvenonloin
de l’école, dans une petite maison coloniale. Son enseigne blanche et noire indique « Tabatsky –Gestionimmobilière».LacamionnettedeReeveestgaréedevant,seule.Jerabatsmonpare-soleilpourmeregarderdansle
miroir ; j’appliqueunpeudeglossetdonneduvolumeàmescheveux.Ensuite, j’attrapemonsacàmain,sautehorsdelavoitureetm’avancejusqu’àlaporte.Reeveestassisàunbureau.Descléssontalignéesdevantlui;ilestoccupéàlestrier.Illèvelatête
etcommenceàdire:—Bonjour,enquoipuis-je…(Puis,ilouvredegrandsyeuxens’apercevantquec’estmoi.)Qu’est-
cequetufouslà?—J’étaisinquiètedenepastevoir.(Jemerapprochedeluietm’assoissurlecoindelatable.Je
merendscomptequ’iln’aplussonattelledemarche.Ilportedesbasketsauxdeuxpieds.)Oh,monDieu!Plusd’attelle!—Ouais,depuisledébutdel’après-midi.Concentrésursesclés,Reevecontinuedelestrierparpiles.Enplus,iln’apasl’aircontent.—Pourquoitufais latête?Ondevraitfêterça!Allez, jet’inviteàmangerdespancakes.(Jelui
donneunpetitcoupdecoudepourqu’ilmeregardeenfin.)Jesavaisquetouscesexercicesfiniraientparpayer.—Saufquecen’estpaslecas,annonce-t-ild’unevoixéteinte.—Commentça?Qu’est-cequetuveuxdireparlà?Reeveregardedroitdevantetm’explique:— J’ai demandé au coach s’il voulait bien chronométrer mes longueurs aujourd’hui. Je me
réjouissaisdeluimontrermesprogrèsàlapiscine,etjepensaisquej’allaisleconvaincre,qu’ilallaitm’aideràm’entraîneretqu’ilpasseraitpeut-êtrequelquescoupsdefilauxrecruteurspour leurdirequejesuisdenouveaudanslacourseetquejeseraiautopniveaupourlesstagesdeprintemps.Bref,pour leur demander de me garder une place au chaud. (Il s’éclaircit la gorge, comme si les motsrestaientcoincés,etçamedésole.)Ehbien,çaaétéunvrai fiasco.Jesuis très loindemonniveaud’avant.Jesuispluslentquelalignededéfense,etpourtantcestypespèsentplusdecenttrentekilos.Jeneseraijamaisautopdemaformedanslestemps.C’estfichu.Ilfautquejeregardelaréalitéenfaceetquejeréfléchisseàcequejevaisfairemaintenant.—Attends,peut-êtrequetun’intégreraspasl’élite,maisjecroyaisquetuavaisquelqueséquipesde
secoursentroisièmedivision?Williams,tuenpensesquoi?Ilsecouelatête.—Jenesuismêmepasassezbonpourl’équipederéserve,Lillia.Jesuisfini.Jenemettraijamais
lespiedsàl’université.Sansbourse,jesuiscondamnéàrestersurl’île.Jegardelesilencependantqu’ilessayed’ouvriruntiroiràclassement.Ilestcoincé,etiltiredessus
si fort que les clés qu’il a sagement classées glissent pour neplus formerqu’un tas.Reevevire aurougevif;ondiraitqu’ilvapleurer,oudonneruncoupdepoingdanslemur.—Putaindebordel!hurle-t-il.(Jesursautesurmonsiègeetilsecouelatête.)Désolé,Lil,ajoute-t-
ild’unevoixétranglée.Ilpleure.ReeveTabatskyestentraindepleurer.Jenesaispasquoifaire.Rennieestsuperfortepourleréconforterettrouverlesmotsqu’ilfaut.Je
n’aijamaisétédouéepourconsolerlesgens.—Net’excusepas,Reeve.Tun’aspasàêtredésolé.C’estmoiquidevraisl’être,plutôt.Àl’automneprochain,Reevedevraitêtreundieudufootdans
uneécoledepremièredivision,enchaînantlesbeuveriesetsortantavectoutcequibouge.C’estsondestin.M’imaginerReevecoincéicisurl’île,fréquentantlafacducoinetvivantchezsesparents…c’estbientroptristepourmoi.Reeves’affalesursachaise;ilenfouitlatêtedanssesmainsetsesépaulessemettentàtressauter.Il
sanglotecommeunpetitgarçon.Jegardelesyeuxrivéssurlesol.
Soudain,ilsecalmeetmedemande:—Tutesouviensdecequetum’asditlesoird’Halloween?Tuméritestoutcequit’arrive,parcequetuasunmauvaisfond.Monestomacsecontracte.—Reeve,j’étais…—Non,non,tuavaisraison.Jenesuispasuntypebien,Lillia.(Ils’essuielesyeuxd’unreversde
main.)J’aifaituntrucàquelqu’unilyalongtemps.Jeluiaifaitbeaucoupdemal.Jemurmure:—Àquidonc?Mary.IlparlesûrementdeMary.—Àunefille…Plusj’ypense,plusjemedisquejen’aiquecequejemérite,etquejen’aipasle
droitd’êtreaffectéàcepoint.(Ilhochelatête.)D’unecertainemanière,jemesenssoulagé.Çafaitsilongtempsquej’attendsd’êtrepuni.Peut-être…Peut-êtrequec’estça,mapunition.Il a l’air si résigné, si désespéré que çame fend le cœur. Je pose la tête sur son épaule et lui
murmure:—Nedispasdeschosespareilles.C’estdingue,maisj’aivraimentdelapeinepourlui.Nousrestonsdanscettepositionpendantunmoment,jusqu’àcequ’ilmedemande:—Tupeuxmelaisser,maintenant?Jemeredressepourlefixerdanslesyeux,maisilfuitmonregard.C’estlàqu’ilmevientuneidée.
Sansprendreletempsderéfléchir,jeluiproposeunesolution.—Monpèreauncollèguedontlefilsestfootballeur.C’estpasunquarterbackstarcommetoi,mais
quandmême.Ilestrestéuneannéedeplusaulycéepourfaireuneprépa,etlesrecruteursenontprofitépourl’observer.(Jeluiracontetoutçad’unevoixsupercalme,commes’iln’avaitpaspleuréetqu’ilnem’avaitpasdemandédepartir.)Tupourraisfaireça,Reeve.Situt’entraînesduretquetuaméliorestesnotes,jepariequetuparviendrasàdécrocheruneboursedansuneprépaquelquepart.Commeça,lesfacsseréintéresserontàtoiauprintempsprochain.Çapourraitêtreunedeuxièmechance.Illèvelatêteetsesyeuxsontrouges.—Jetel’aidéjàdit,Cho,jeneméritepasdedeuxièmechance.Jenesuisbonàrien.Tunedevrais
mêmepasêtrelàavecmoi.—Arrêtedeparlercommeça!Jen’aurais jamaiscruque jepenseraisçaun jour,maispeut-êtrequeReevemériteunedeuxième
chance.Ilsembled’abordsurprisparmaréaction,puismedit:—Etpourquoiuneécolechicvoudraitm’accorderunebourse?Mesnotesnesontpasassezbonnes
pourça.—Arrête,t’esunquarterbackincroyable.Sileuréquipecraint,ilspaierontpourqu’elles’améliore
enteprenantdansleurécole.Jepourraisdemanderàmonpèred’endiscuteravecsonami,histoired’obtenirplusd’informations.Çapourraittepermettredepartird’ici.
—J’ensaisrien.C’estpasgagné.—Nebaissepaslesbras.Toutcedonttuasbesoin,c’estd’unpeuplusdetempspourteremettreet
reprendredesforces.Évidemment,lesstagesdeprintempssontsansdoutetropprochespourtoi,maissi tu avais une année supplémentaire pour récupérer ? Tu ne rejoindrais peut-être pas une grandeéquipe, mais aumoins, ce serait une vraie université et pas la fac de Jar Island. (Reeve ouvre labouche,maissansluilaisserletempsderépondre,jel’attrapeparlecoldesachemise.)Écoute-moi,O.K.?Çavautlecoupd’essayer.Jet’aideraiàétudier,sic’estcequitetracasse.Reevesouritpresque,cequimefaitmesentirmieux.—Ahoui?C’esttropgénéreuxdetapart,Cho.Etpourtagouverne,jenesuispasunhommede
Néandertal;jesuismêmeplutôtintelligent,commegars.Jelerassure:—Jen’aijamaispenséquetuétaisbête.Jerelâchesoncoletleremetsenplace,puis,commesitoutétaitdéjàdécidé,j’ajoute:—Demain, tu prends rendez-vous avecM. Randolph pour voir s’il a entendu parler de ce type
d’arrangement.Ildoitbienavoirdescontactsdansdesprépas;jecroisqu’ilenafaitune.Ensuite,tut’inscrispourletestd’évaluationdedécembre.—J’aidéjàpasséletest,dit-il,etjem’ensuistrèsbientiré.Jeluijetteunregardsceptique.—Commentça,trèsbien?—Oh,c’étaitfacile.Àunmoment,j’aimêmeposématêtesurmonbureaupourunepetitesieste.Je
croisquej’avaislagueuledeboiscejour-là.Ahoui?Etc’estquoi,tonscore?Milleneufcentvingtpoints.Lavache.Eneffet,c’estcarrémentbien.Jel’aipassétroisfois,etcen’estqu’àlatroisièmequej’ai
dépassélesdeuxmillecentpoints.Alorscommeça,Reeveestintelligent.Ilaunechancedefairedesétudes.—Dans ce cas, repasse le test. Si tu as obtenu un tel score sans te fouler, imagine celui que tu
pourraisavoirenétudiant!Jemedisquejenedoispasmesentircoupabledel’aider.Sij’arriveàréparerça,s’ilparvientà
décrocheruneboursemalgrétout…Toutsetermineracommeonl’avaitprévu.Marypourraencoresevenger,etReeveiraquandmêmeàlafac.J’applaudisàlamanièred’unecheerleader.—Bon,pourcommencer,ilfautqu’ontriecesclés.Ensuite,onpasseraàlabibliothèque.Etsitu
travaillesbien,tuaurasdroitd’allermangerunbout.Reevemesouritvraimentcettefois-ci.T’esunsacrénuméro,Cho,tulesais,ça?Jeluisourisd’unpetitairsuffisant.Ohoui,crois-moi,jelesais.
XXXIVMARY
JEMETRAÎNEdans lecouloir jusqu’àmoncoursd’anglais,complètementau radar. J’arriveàpeineàgarder les yeux ouverts. Je suis restée éveillée hyper tard afin de finirLa Lettre écarlate pour ladiscussiondujour.Jesuistroptimidepouroserprendrelaparoleenclasse,maisMmeDockertyadoreinterrogerauhasardlesélèvesquinedisentrien.J’auraispuenlirequelquespageschaquesoir,maisbiensûr,j’aiattenduladernièreminute.C’est
unehistoirevraimenttriste,etjenepeuxpasdirequejel’aiappréciée.Ellemerappelleunpeutropmaproprehistoire.Lescicatricesqu’Hesteraportéestoutesavie,laculpabilitéetlahontequ’ellearessentiesmêmesicen’étaitpassafaute.Lorsqu’elleestmorteàlafin,j’aifonduenlarmes.Inutiledepréciserquecen’étaitpasunelecturetrèsjoyeuse.Jen’aiplusenviedefairegrand-chosedepuisquej’aivuReeveetLilliaensembleàlapiscine.Je
devraisêtreheureuse,çadevraitm’aideràavancer.Etpourtant,jenelesuispas.J’entredansmasalledeclasse.Jesuislapremière.Bizarre.Pourtant,jesorsd’uncoursàl’autre
bout du lycée et tout le monde avait l’air pressé. On a tous hâte d’être enfin aux vacances deThanksgiving.MêmeMmeDockertyn’estpasencorearrivée.Elleestprobablementaux toilettesouquelquechosedanslegenre.Jemelaissetombersurmachaiseetposela têtesur lebureauafindefermerlesyeuxuneminute.
JEMERÉVEILLE en sursaut, la joue collée à la couverture demon livre. Je lève lentement la tête enessayantdedevinercombiendetempsjesuisrestéecommeça.Laclasses’estremplieentre-temps;tout lemondeestà saplace.SaufMmeDockerty.Unhommes’estassis sur sa table. J’imaginequec’estunremplaçant.Jem’essuierapidementlaboucheetouvremonlivre.
—Quepensez-vousdeladécisiondeBartlebydenejamaisquittersonbureau?Est-cequeçal’arenducompatissant?Ouest-cequevousvousêtessentisfrustrés?Quelquesmains se lèvent. Je jette un coup d’œil àmon exemplaire. Je neme souviens d’aucun
bureaudansLaLettreécarlate,pasplusqued’unpersonnagenomméBartleby.Peut-êtrequejen’aipasfaitsuffisammentattention?Leremplaçantinterrogeundemescamarades,quirépond:—J’aitrouvéçaagaçant.Quandonn’estpasheureuxdetravailleràunendroit,pourquoirester?Àl’autreboutdelapièce,unélèverétorque:—Ilestmalheureux,maisilnesaitpascommentyremédier.Ilestparalysé.Iln’anullepartailleurs
oùaller.Lavieaubureau,c’esttoutcequ’ila.Sanselle,iln’estrien.Il n’a même pas attendu d’être interrogé, ce qui est carrément dingue.Mme Dockerty est très à
chevalsurlesrèglesetrefusequ’onparlesansyêtreautorisé.Leremplaçanthochelatête,satisfait.Ilsautedesonbureauetdistribueunepiledepapiersàchaque
rangée. Lorsqu’il se lève, j’aperçois quelque chose sur son bureau. C’est une plaque en laiton surlaquelleestgravé«M.FRISSEL».Oh,non.Jemesuistrompéedeclasse.Jem’enrendscomptependantladistributiondespapiers.L’élèvedevantmoiseretourne.C’est David Washington, le garçon que j’ai embrassé le soir d’Halloween. Je ne peux pas
m’empêcherdel’interpeller:—David?Ilnemerépondpas.Peut-êtrequ’ilnem’apasreconnuesansmonmaquillageetmacoiffuredéjantée?Enfait,c’estpire.Ilselèvedesachaiseettendlesfeuillesàlafilleassisederrièremoi,commesi
jen’existaispas.Jemelèved’unbondenbalbutiant:—Je…jemesuistrompée.Je ramasse mes affaires et sors en courant, mais je ne me rends pas dans la classe où je suis
supposée avoir cours. J’ai toutes les peines du monde à me rappeler laquelle c’est. Alors, je filedirectementàlamaison.Çan’estqu’unedemi-journéed’école,aprèstout.Lorsquej’arrivechezmoi,jesuistoujoursàcran,aupointquemesmainstremblentquandjepose
monvélocontrelemurdelamaison.Uneseulelumièreestalluméeàl’intérieur,au-dessusdel’évierdelacuisine.Lesautrespiècessontaussisombresqueleciel.J’entendsfrapperàlaported’entrée.Jem’approcheducoindelamaisonetaperçoisdeuxfemmes
duComitédepréservationdeJarIsland,unsourireforcéscotchéauxlèvres.Ellessontdéjàpasséesici,sanss’annonceraupréalable.JesuissûrequetanteBetteneleurouvrirapas.J’étais là lors de leurs précédentes visites. Nous sommes restées debout dans l’entrée, pendant
qu’ellesnous recommandaientdespaysagistesquipourraientnous aider ànettoyer le jardin etnoussuggéraient lenomd’unartisancapablede remplacer lesbardeauxcassésdemanièreà«préserverl’intégritéoriginelle»del’architecture.Notremaisonn’estpasdansunétatimpeccable,c’estclair.Surtoutcomparéeauxautresbâtissesdu
quartier.CettepartiedeJarIslandabritelesdemeureslesplusanciennesdel’île.Prèsdelamoitiéontété officiellement classées comme monuments historiques. Certaines personnes prennent cettedistinctiontrèsausérieux;ellesveillentàcequelemoindredétailsoitrespectueuxdelapériodedeconstruction et que les rénovations soient faites avec des matériaux spéciaux qui auraient pu êtreutilisésàl’époque,commedesardoisesetducèdre.Maislesvieillesmaisonsexigentbeaucoupd’entretien,etçan’ajamaisétélefortdetanteBette.Ni
lemien,d’ailleurs.Toutl’édificeauraitbesoind’unboncoupdepeinture.L’unedesmarchesenboisduperronestcomplètementpourrie.Notrejardinestpleindefeuillesmortestombéesdenotregrandchêne,maisjenevoispasoùestleproblème.Lesolestcouvertdeneige;toutresterablancjusqu’enmars.Sanscompterquetoutcelanefaitdemalàpersonne.Çanelesregardeenrien,mêmesiellesont
enviedefaireclasserlebâtiment.C’estnotremaison,etelleappartientàlafamilleZanedepuisqueJarIslandexiste.Lesdeuxfemmesfinissentparredescendrelentementlesmarches.Maiscomme toutes leschoses indésirables, elles reviennent toujours.Onvadevoir fairequelque
chose;sinon,onn’estpasprêtesdes’endébarrasser.C’est ceque j’envisagedediremotpourmotà tanteBetteen franchissant laportede lacuisine.
Maisjenepeuxpaslefaire,parcequ’elleestautéléphone.—Elle est à cran tout le temps. Je ne pense pas qu’elle sache. Il n’y a pasmoyen de lui faire
entendreraison.J’aiessayédelaconvaincrequ’ilfallaitqu’ellearrêtedepenseràceReeve.Jenet’aijamaisrienditparcequ’ellem’afaitjurerdegarderlesecret,mais…(Elles’interrompt.)Non,non,biensûrquenon.Tun’aspasbesoindevenir.Toutestsouscontrôle.Oh,monDieu,elleparledeReeveàmamère.J’entreencourantdans lapièce,meplantedevant
elleet lui jetteunregardassassin.TanteBetteouvredegrandsyeux.Elleest surprisedemevoiràcetteheuredelajournée.—Erica,il…ilfautquejetelaisse.Puis,elleraccroche.—Jen’arrivepasàcroirequetuaiesfaitça.Tum’avaispromisdegarderlesecret!TanteBetteselaissetombersursachaiseetsemetàsemasserlestempes.—Qu’est-cequeçapeutbienfaire,désormais?Jeluienveuxdesemontreraussiexaspérée,commesimaprésenceétaitdifficileàsupporter.Jeluiassènesèchement:—Tues sérieuse ? Je te faisais confiance ! Je rentre à lamaison, et je te trouve en traindeme
casserdusucresurledos?Qu’est-cequejepeuxressentir,àtonavis?TanteBettehausselesépaules.— J’ai arrêté d’essayer de deviner ce que tu ressens,Mary. Je nememêle plus de tes affaires
désormais.Jedésigneletéléphone.—Oh que si, tu t’enmêles ! (Je tremble de rage.)Maintenant, je vais être obligée de tout leur
expliqueràThanksgiving!TesparentsneviendrontpaspourThanksgiving.
Pourquoi?—Tamèren’apasvraimentdebonssouvenirsdanscetendroit,dit-ellesuruntoncassantqueje
mériteprobablement,maisquimeprendtoutdemêmeparsurprise.—RappelleMaman.Rappelle-laetdis-luiquetoutvabien,qu’ilsdoiventvenirpourThanksgiving.
Dis-leurquejevaisbien.TanteBetteselève.—Rienne la rendrait plusheureusequede savoir que sa fille vabien.Mais je crainsquenous
sachionstouteslesdeuxquecen’estpastoutàfaitvrai.
APRÈS LE DÉSASTRE de mon treizième anniversaire où Reeve était le seul enfant à être venu, mesparentsontcommencéàsemontrerinquiets.Inquietsetenvahissants.Papa a eu l’idée d’organiser une autre fête d’anniversaire, comme si la première n’avait jamais
existé.Cettenouvellefêtedevaitavoirlieuquelquepartsurlecontinent.Ils’étaitmisentêtequelatraversée en ferry, c’était trop demander. Il refusait de croire que personne n’était venu parce quepersonnenevoulaitmefréquenter.Ilasimplementsuggéréd’opterpouruntrucplusmature,pluscoolpourungrouped’ados.Commelerolleroulebowling.Jeluiaiditdelaissertomber.Mamanm’aproposédefairelestraverséesenferryavecmoi,versetdepuisl’école.Elleaprétendu
queceseraitrigolo.Elleauraitpuprendrelejournalavecelle,ouunlivre.Jen’auraismêmepasétéobligéedeluiparlersijen’enavaispaseuenvie.Onauraitpus’asseoircôteàcôtesansriendireetprofiterdupaysage.Bienévidemment, j’ai refusé.La traversée,c’étaitmonmomentavecReeve.Leseuloùj’étaisheureuse.En leur présence, je veillais à moins manger au dîner, et ils paraissaient blessés quand je leur
demandaisdemeserviruneportiondepâtesmoinsconséquente.Ilsfaisaienttellementd’effortsquejemesentaisencoreplusmal.J’aicommencéàmerepliersur
moi-même.Jenevoulaisplussortiravecmesparents,nifairedestrucssympassurl’îleleweek-end.Jedétestaisl’ardeurqu’ilsmettaientàessayerdetoutarranger.Çanepouvaitpass’arranger.Cen’étaitpas de leur ressort. Et je détestais les voir souffrir. Je voulais les protéger de cette souffrance. Jepouvaisencaisser.Maisjenevoulaispasqueçalesatteigne.Le pire, ça a été quand ils ont frappé à la porte dema chambre un soir, tard. Le semestre était
terminéàl’écoleMontessori.J’avaisrapportéunbulletinminableàlamaison.Jen’avaisjamaiseudemauvaisesnotesjusque-là.Papas’estassissurmonlit;Mamans’estadosséeàmonbureau.Iladit:—Est-cequeçatediraitdechangerd’école?Mamanaajouté:— Tu pourrais aller à Middlebury. Comme ça, tu n’aurais plus besoin de prendre le ferry. Tu
pourraistoutrecommenceràzéro.J’aisecouélatêteavecdétermination.—Jeneveuxpaschangerd’école.
Mamans’estavancéeversmoiavecungrandsourireforcé.On peut déménager, sinon. Ton père et moi avons toujours parlé de revenir à Boston un jour.
Imagine,desdimancheaprès-midiaumusée,despique-niquesauparc…Jeneveuxpaschangerd’école!ai-jerépétéencoreplusfort.Papam’atapotédoucementlajambe,leslarmesauxyeux.Onveutquetusoisheureuse,c’esttoutcequ’onveut.Ettoutcequejeveux,moi,c’estresteràl’écoleMontessori.AvecReeve.
JEMELAISSEtombersurmonlitetfixeleplafond.JechoisistoujoursReeve;ilprimesurtoutettoutlemonde.Pourtant,c’estunmauvaischoix.C’estcommesimavieétaitundisquerayé:mêmesijepeuxvoirlarayure,impossiblepourmoidepasseroutre.
XXXVLILLIA
ALLONGÉESURLE canapé, je regarde la téléavecNadia.Mamèreest sur sonordinateur, en traindeplanifierThanksgiving.Nousseronsenpetit comitécetteannée.La familledu frèredemonpèrevadébarquer de New York, et notre grand-mère californienne, qui était censée venir, a décidé à ladernièreminute qu’elle n’avait pas envie de faire le déplacement, ce qui amismamère en rogne.Depuis,ellen’arrêtepasdedirequepuisquec’estcommeça,oniraenCalifornie,l’annéeprochaine.Plusieursfois,nousavonsinvitéRennieetsamèreàlamaisonpourThanksgiving.L’annéedernière,
c’étaitvraimentgênant,parcequeMmeHoltzn’arrêtaitpasdeflirteraveclecopaindivorcédemonpèrequitravailleàl’hôpital.Parlasuite,Rennieavoulusavoirsi jepensaisquesamèreavaitunechanceaveclui,etjen’aipassucommentluiavouerqu’ilnesortqu’avecdestopmodelsestoniensd’unevingtained’années.Jemedemandecequesamèreetelleontprévucetteannée.—Onpourraitfairedelapuréedepatatesdoucesaulieud’unragoût?suggèreNadia.—Maistuadoresmonragoûtdepatatesdouces!protestemamère.Nadiafrissonne.—Toutecettecrème,cebeurreetcesucre,Rennieditquec’estquedugras.J’interviens:—Tun’enmangesqu’unefoisparan.Tusurvivras.Enplus,Mamanl’adéjàcommandé.—Jepensequ’ondevraitmangerplussainement,déploreNadiaenhaussantlesépaules.Mamèresoupire.—Jepeux toujoursdemander s’iln’estpas trop tardpourmodifiermacommande,dit-elle en se
levantpourappelerletraiteur.Merci,Maman!luilanceNadia.
L’airderien,jelaquestionne:Ellefaitquoi,Rennie,pourThanksgiving?Nadiamefaitsignedeluidonnerunautrecoussin.—ElledîneaveclepetitcopaindeMmeHoltzetsonfils.ElleditqueRickaunpotequiestchef
dansungrandrestaurantetqu’ilvacuisinerpoureux.Jelèvelesyeuxauciel.Rickestpropriétaired’unesandwicherieetvitdansunT2justeau-dessus.
Ilestgentil,maisj’aidumalàimaginerqu’ilfréquentedesgrandschefs.Àmonavis,c’estdupipeau.—Quandest-cequ’ellet’aditça?—Ellem’aramenéeàlamaisonhierparcequetuétaisàlabibliothèque.Je n’aimepas du tout lamanière dontRennie amis le grappin surNadia.Deux fois déjà, elle a
appelécheznousendemandantàparleràNadiaàproposdel’albumdulycée.Jelaconnais;ellefaitçapourm’embêter.JedonneunpetitcoupdepiedàNadia.—N’écoutepastoutcequeRennieraconte.Parfois,elleparlepourneriendire.Nadiaécarquillelesyeuxetmedemande:Vousêtesenfroidtouteslesdeux?Non…Onadécidédeprendrenosdistances.Maisils’estpasséuntrucpourquevousenarriviezlà?insiste-t-elle.Pourquoi?(Jerepenseànotredisputedanslecimetière.)Ellet’aditquelquechose?(Ellen’oserait
pas.Nadiahésitel’espaced’uneseconde,puissecouelatête.)Nadia!Ellen’ariendit,jureNadia.Maisj’airemarquéquevousnetraînezplustropensemble.—Ehbien,ilnes’estrienpassédespécial.Onesttropdifférentes,c’esttout.Nadiadigèrel’information.—Ouais,t’assûrementraison.Rennieesttellement…pétillante.Avecelle,toutestunévénement.
Jenesaismêmepascommentdécrireça.Jefroncelessourcils.SiRennieestpétillante,jesuisquoi,moi?Elles’empressedepréciser:Tuesmarrante,toiaussi.Maisd’uneautremanière.Je ne dis rien, mais j’y repense pendant des heures. Est-ce que je suis vraiment ennuyeuse par
rapportàRennie?C’estvraiquejesuisplusprudentequ’elle,etquejenesuispasuneboute-en-traincommeReeve et elle.Mais si j’étais si ennuyeuse que ça, pourquoi est-ce qu’elle serait restéemameilleureamiependanttoutescesannées?Parceques’ilyauntrucqueRenniedétesteplusquetout,c’estbiens’ennuyer.Çam’énervequeNadiametteRennie surunpiédestal, commesi elle étaitune forcede lanature
magnétique,etmoiunmodèledesagesse.Si seulement Nadi savait par où je suis passée cette année. Elle ne me trouverait plus aussi
ennuyeuse.
MA MÈRE NOUS demande toujours de bien nous habiller pour Thanksgiving. Elle dit que si nousmangeonscedînerdefêteenjogging,ilperdrasadimensionfestive.Onluiobéitpourluifaireplaisir.Nadiaporteunerobeécossaisevertesansbretellessurunjuponbouffant,etungiletpar-dessus.J’aienfiléunemini-jupeenlainemauveetunchemisiertransparent.Monpèreestenchemiseéléganteetpantalon,etmamèreaoptépourunerobepulllie-de-vinàcol
bouleetunbraceletenor.Peut-êtrequ’elleme le prêterait, et peut-êtremêmequ’elleme laisseraitl’emmeneràlafac?Dans la salle àmanger, les adultes dégustent le vin quemon oncle a apporté.Nous, les enfants,
traînons dans le salon.Nous avons deux cousins du côté de Papa :Walker, qui a lemême âge queNadia, et Ethan, qui a dix ans.Walker et Nadia sont très complices, même s’ils ne se voient passouvent.Ethanestunsalemorveux,maiscen’estpassafaute.Sesparentsn’arrêtentpasdeluirépéteràquelpointilestgénialparcequec’estunprodigeduviolon.—CommentvaPhantom?s’enquiertWalkerauprèsdeNadia,quiajustesonbandeau.Noussommestousallongéssurleconvertible,etEthanjoueàunjeuvidéosursontéléphone.—Ilvabien!Jevais leprésenterauconcours lemoisprochain. (Nadiaétaledufromagesurun
crackeretl’enfournedanssabouche.)C’estlemeilleurchevaldumonde.Duboutdupied,jeluidécocheunpetitcoup.—N’oubliepasàquiilappartient!—Tune lemontespresqueplus,dit-elle.Enfait, ilestquasimentàmoi,maintenant.Jesuissûre
qu’ilnetereconnaîtraitmêmepas.Jefroncelessourcils.—J’ysuisalléelasemainedernière!Oupeut-êtrequec’étaitlasemained’avant?C’estvrai;jesuiscommeunparentabsentpourmon
cheval. J’ai été tellement occupée, entre la natation, Reeve et mes inscriptions à la fac, que j’aitotalementnégligéPhantom.Demain.J’iraiaucentreéquestredemainpourluiapporterunsacentierdecarottesetpasserl’après-midiàlepanser.Bientôt,tuserasàl’universitéetilseratoutàmoi!glousseNadia,cequifaitricanerWalker.Tuasraison.Tudevrasprendregrandsoindeluiquandjeseraipartie.Jelefaisdéjà,ditNadiaenengloutissantunautrecracker.Ledînerdureuneéternité;onportedestoastsetlespèrespassentleurtempsàsevanter.Monpère
dità tout lemondeque j’aidebonneschancesd’êtremajordemapromotion,alors il faudraqu’ilsreviennentpourécoutermondiscours.Jedoisrectifierquejenesuisquedeuxièmeetquerienn’estjoué. Mon oncle commence à m’interroger à propos des universités auprès desquelles je comptepostuler.Jelesénumère:—L’universitédeBoston,Wellesleyetpeut-êtreBerkeley.Monpèrefroncelessourcils.—Berkeley?Onn’enajamaisparlé.Jeprendsunebouchéededindeetdefarcepourgagnerunpeude temps.Lorsquej’ai terminéde
mastiquer,j’annonce:
—J’ypense,pourtant.Heureusement,ma tante vient àma rescousse en se vantant qu’Ethan a remporté un concours de
violonetqu’ilvapeut-êtrefaireunspectacleàJuilliard.Aprèsledîner,toutlemondes’installeconfortablementdanslesalonpourregarderdevieuxfilms
ennoiretblanc.Jem’assoisprèsdePapasurlecanapé.Ilpassesonbrasautourdemoi,etjeposelatêtesursonépaule.C’esttropbiendel’avoiràlamaison.J’ailaissémontéléphonesurmesgenoux,etlorsqu’ilvibre,jemanquedebondir.C’estunSMSde
Reeve.Monpèreessayedelirepar-dessusmonépaule,maisjedétaledanslacuisine.Qu’est-cequetufais?Jeluirépondsquejeregardelatéléenfamille.Pareil.Tuveuxvenir?JerelisleSMSenboucle.Est-cequ’ilveutquejevienneregarderlatéléaveclerestedelabande?
Ouest-cequ’ilveutregarderlatéléjusteavecmoidanssachambre?Quivient?Justetoi.Wouah.Jemedemandesisafamillevacroirequejesuissapetiteamie.Lorsquemonpèreentredanslacuisinepourchercherdel’eau,jel’interroge:—Papa,est-cequejepeuxsortiravecmesamiscesoir?Jeneprécisepasquejevaischezungarçonetqu’iln’yauraquenousdeux.Monpèreréfléchit.TuemmènesNadiaetWalkeravectoi?Euh,non.Danscecas,c’estnon.Mais,Papa!Jefaislamoue.Mamèreauraitditoui.Jen’auraispasdûluidemanderàlui.Ensecouantlatête,ilenfonceleclou:—Jenechangeraipasd’avis,Lil.C’estThanksgiving,etnotrefamillenerestequequelquesjours.
Vienst’asseoiretregarderlefilmavecnous.Jedécidedefairemabêcheuse.—Dansuneminute.Ilfautquej’annonceàmesamisquejenepeuxpasvenir.C’estcequej’écrisàReeve,puisj’attendsdanslacuisinequ’ilmeréponde.Maisilnelefaitpas.
XXXVIMARY
JENEMEsuismêmepasdonnélapeinedem’habillerpourThanksgiving,nidedescendreàlacuisinepourdemanderàtanteBettesielleavaitbesoind’aide.Maisc’estlàquejelatrouve.Devantl’évier,entraindefairelavaisselleaprèslespréparatifsdurepas.Enfin,c’estcequejecroyais.Jenem’attendaispasàceque tanteBette fassede ladinde,parcequ’elleestvégétarienne.Avec
elle,Thanksgivingserésumegénéralementàunesériedeplatsdelégumes.Delatarteàlacitrouille,desharicotsvertsauxamandes,desbetteravesrôtiesetduveloutédechampignons.Maiscesoir,elleaseulementpréparéunesalade.Pourelle.Elleapassélerestantdelajournéeaugrenier,àpeindre.Seule.D’untonsarcastique,jeluilance:—J’imaginequ’iln’yapasderestes.TanteBettesefige.Auboutd’uneseconde,elle laissetombersonassiettedansl’eausavonneuse,
puisseretourneversmoi,excédée.—Jen’aipaspréparégrand-chose,parcequetunemangesrien,Mary!Saremarquemeblesse.Çadevraitêtreunejournéederemerciements,departageaveclafamille.Il
n’enestrien.Jem’affalesurunechaisedelacuisine.—Mesparentsauraientdûvenir.Jenecomprendspaspourquoiilsmepunissentcommeça.Ilsne
m’appellent jamais. (TanteBette semord la lèvre comme si elle voulait prendre la parole,mais seravise.)Quoi?Ilsontditquelquechose?Est-cequ’ilsm’auraienttéléphonésansquetanteBettemetransmettelesmessages?Ellesoupire,etjevoisbienqu’elleessayedechoisirsesmotsavecprécaution.
—Jen’ensuispassûre,Mary,maisàmonavis,tamèrenes’esttoujourspasremisedetondépart.—Jenevoulaispasleurfairedelapeine!—Peut-être,maisc’estpourtantlecas.Tuessafilleunique,Mary.Elleferaittoutpourtoi!Jeme
suissouventbattueavec tesparentsparceque je trouvaisque tuétaispourriegâtée. Ils tedonnaienttoutcequetudemandais.Jeleuraiditquecen’étaitpasbonpourtoi.Maisilsnem’ontpasécoutée.Ilssepliaientenquatrepourt’offrircequetuvoulais.Tumanquesàtamère,ettuluienveuxpourça?Tuétaistoutpourelle!Elleseretourne,probablementparcequ’ellenepeutpassupporterdemeregarderenface.—Jevaismieux,pourtant.DepuisHalloween.Depuisquetuasvirétoutestesbizarreriesetquetu
asarrêtétesincantationsétranges.Seulement,cen’estpastotalementvrai.Biensûr,jen’aipluseud’accèsdepanique.Maisd’autres
chosesétrangessontarrivées.TanteBettemejetteunregardcompatissantetmurmure:—Tunesaispasdequoituescapable,n’est-cepas?Tunesaismêmepascequetues.Unfrissonmeparcourtl’échine.—Dis-le-moi,danscecas!Dis-moicequejesuis!Tumeficheslafrousse!Ilfautquetutecalmes,m’intime-t-elleenreculant.Maisc’esttoiquimemetshorsdemoi!TanteBettemonteaupremier.Jelasuis,maiselleestrapide.Elleentredanssachambreetclaquela
porte.—Vadanstachambre,Mary,dit-elleàtraverslaporte,etrestes-yjusqu’àcequetusoiscalmée!Jefaistoutlecontraireetparsdanslanuit.
MAINSTREETESTquasimentdéserte.Tous lescommercessont fermés.Tous,sauf lecinéma.CertainssontdéjàdécoréspourNoël.Alorsquelesspectateurssortentdeladernièreséance,jemeplanteprèsdesdoublesportesetobserve.Est-cequejesuisdifférented’eux?Est-cequejesuisanormale?Peut-être qu’il m’est arrivé quelque chose pendant mon long séjour à l’hôpital. Mais même en
essayant deme rappeler, je n’y arrive pas. Est-ce qu’ils m’ont fait quoi que ce soit là-bas ? Desélectrochocs,oupireencore?Desexpériencesoudestraitementsquiontagisurmoncerveau?Soudain,j’aperçoisReeveetRenniequisortentducinéma.Ilmarchederrièreelle,lesbrasenroulés
autourdesoncou,etellerit.—Reevie,jet’avaisbienditquecefilmétaitunnavet!Tum’endoisunautre.Ilagiteledoigtdevantelle.—Non,non,tum’endevaisunaprèscettecomédiedecheerleadersquetum’asobligéàregarder
cetété.—Danscecas,onestquitte!Puis,elletournelatêteetl’embrassesurlajoue.Je reste là, pétrifiée, tandis qu’ils descendent la rue en direction de la camionnette deReeve. Il
ouvrelaportièredeRennie,puispassede l’autrecôté.Commeungentleman.Jen’encroispasmes
yeux.Reevejouerait-ilundoublejeuavecLilliacommeill’afaitavecmoi?Jesenslacolèreetlajalousiem’envahir.Aulieudecéderàlapanique,jedécidedemeconcentrer.
Pendant trop longtemps, j’ai essayé d’ignorer ce qu’il y a en moi. De l’étouffer. S’il se passeréellementquelquechoseenmoi,sicequetanteBetteaditestvrai,jedoislesavoir.JefixeleboutondecondamnationdelaportièredeReeve.Jemeconcentreaussifortquejepeuxet
m’imagineentraind’appuyerdessus.Reevesedébatavecsaclé.Iln’arrivepasàlatournerpourouvrirlaportière.—Ren,appelle-t-ilàtraverslavitre,jecroisquemaserrureestgelée.Rennieseglissesurlesiègeconducteurettented’ouvrirdel’intérieur.—J’yarrivepas!gémit-elle.Reevetenteànouveaudetournersaclé.Cettefois-ci,jelesensluttercontremoi.Mapoitrineme
brûle.C’estcommeunbrasdefer.Jesuisentraindeperdre,jelesens.Puis,soudain,laserrurecède.Jetombecontrelemur,épuisée.TanteBetteavaitraison.J’ignoredequoijesuiscapable.Dumoins,pourlemoment.
XXXVIIKAT
LELUNDIMATIN,jecommenceparpasseraubureaudeMmeChirazo.Enfin,aprèsunpetitdétourparlasalleinformatique.J’aiunepiledefeuillesblanchesencorechaudesàlamain.—Bonjour,madameChirazo!Jerefermelaportederrièremoi.Surprise,ellelèvelesyeux,entenantlecordond’unebouilloireélectriquequiestbranchéesurune
prisemurale.—Katherine?Toutvabien?Elledésigneunechaisevide.Jeposelesfessessurl’accoudoiretlespapierssursonbureau.— J’ai imprimé le brouillon de ma dernière lettre de motivation. Désolée. Je n’avais pas
d’agrafeusesouslamain.J’enrepèreunesursonarmoireetm’ensers.LevisagedeMmeChirazos’illumine.—Est-cequec’est…Jehochelatête.—Oui,maisjenevoulaispaslaliredevanttoutlegroupe.J’aidéjàeudumalàlarédigerseuledansmachambre.Pendanttoutcetemps,j’aipleuréetjeme
suissentietotalementpaniquéeà l’idéequequelqu’un,etenparticulierAlex, la lise.J’enavaisdeshaut-le-cœur.Enfait,mamèreaétéadmiseàl’universitéd’Oberlin.Seulement,ellen’ajamaispuyaller,parce
qu’ellen’avaitpaslesmoyensdepayerlesfraisd’inscription.Enfaisantmesétudeslà-bas,j’aurais
l’impressionderéalisernotrerêveàtouteslesdeux.D’unecertainemanière,j’aitrouvéunpeufaciledeleformulerendestermesaussiniais,mêmesic’estlavérité.Maisbon,aprèstout,jeveuxmetirerde cette île et entrer à l’université d’Oberlin avecunebourse confortable, alors je compte bienmeservirdetouslestuyauxqueMmeChirazovoudrabienmedonner.Enplus,jemesuisconvaincuequeje n’exploite pas la mort de ma mère pour parvenir à mes fins. Elle aurait voulu que je fasse lenécessaire.C’est peut-être un peu décousu, et je ne suis toujours pas sûre de vouloir l’utiliser, mais…
j’aimeraisbienavoirvotreavisavantdel’envoyercettesemaine.Biensûr!répond-elleenhochantlatête.Jevaisessayerdelalireavantlafindelajournée.Prenezvotretemps,pasdesouci.(Jemelève,ravie.)Merci,madameChirazo.
XXXVIIIMARY
LASALLEDErépétitiondelachoraleestunepiècesansfenêtrequisesituejustederrièrel’auditorium.Lesmursd’unblancéclatantsonttotalementinsonorisés,etlaportefaitundrôledebruitdeventousequandonlaferme.Lorsquenousentrons,lalumièreestaveuglante,commeunleverdesoleilartificiel.M.Mayurnik, le chefde chœurdu lycée, est assisderrière sonpianodroit.Alorsque les élèves
franchissentlaporte,iljouequelquesnotesjazzyetentraînantesenappuyantsifortsurlestouchesquel’airsemblevibrer.— Bonjour, les dindes ! lance-t-il pendant que nous prenons place. Alors, on a survécu au
massacre?Pourlui,cen’estqu’uneblague,maisc’estexactementcequejeressens.Àcentpourcent.Ondiraitquetoutlemondetraînelespiedsaujourd’hui.C’estnotrepremierjouraprèslesvacances
deThanksgiving.Jesuisclairementvenueàreculons.Maispourmoi,cen’estpasparcequ’ilfautquejemesecoueaprèsavoirtropmangéetdormi.Enfait,jemesensvide.Épuisée.J’imaginequec’estpourçaquemonsacàdosmesemblesilourd,mêmesijeportelesmêmeslivresqued’habitude.J’aipasséleresteduweek-endàm’entraîner,àvoircedontj’étaiscapable.Est-cequejepeuxfaire
tomberunstylodecebureau?Oui,toutjuste.Est-cequejepeuxdéclencherunerafale?Non.Etlesrideauxdemachambre,est-cequejepeuxlesfairefrémirsanslestoucher?Parfois.C’estdinguedefairecegenredechoses,etderevenirensuiteici,àl’école,commetoutlemonde.Jenesuispascommetoutlemonde.Unegrosse liassedephotocopiesdeparolesdechansonsestposée toutes lesdeuxchaises.Leurs
couverturesenpapiervert sontornéesdecliparts deNoël : des feuillesdehoux,unbonhommedeneige,despaquetscadeauxavecdesrubans,dessucresd’orge.Toutcequej’aime.Jemedemandesi
jesuiscapabledetournerdiscrètementlespagesàdistance,maisjerésisteàcetteenvie.Ilfautquejesoisprudenteaveccesecret.Personnenedoitsavoir.PasmêmeKatetLillia.SurtoutpasKatetLillia.Qu’est-cequ’ellesdiraient,sinon?Est-cequ’ellesaccepteraientencored’êtremesamies?S’ille
faut,jegarderaicesecretàjamais.MonamitiéavecKatetLilliaestlaseulechosepositivedansmaviecesdernierstemps.Parcontre,jevaisleurracontercequej’aivu:ReeveetRennieensemble.Jem’assoisàmaplacehabituelle,audernierrang.AlexKudjakarrivequelquessecondesavantla
sonnerieets’installedevant.Audébutdusemestre,quandjemesuisrenducomptequ’Alexassistaitégalementàcecours, j’aienvisagéd’arrêter,parmesuredesécurité.Pourtant, jenepensepasqu’ilsachequijesuis,endehorsd’unefillequitraîneavecKatoudiscuteavecLilliadetempsàautre.Ilnem’ajamaisadressélaparole.Aprèslasonnerie,M.Mayurnikselèveetnousparlederrièresonpiano.Ilestgrand,carré,avecun
crânedégarniluisantetuneépaissemoustacheargentée.Lesimprimésdesescravatessonttoujoursenrapportaveclamusique:destouchesdepiano,descordesdeviolon,desclésdesol.—Bon,mesdemoisellesetmessieurs,àpartird’aujourd’hui,vousn’êtesplusdesdindes,vousêtes
depetitselfes.PasdeselfesdeNoël,bienévidemment,parcequelafêtesedoitd’êtreunecélébrationséculaire païenne, conformément à une ordonnance de la cour. (Il soupire.) Nous aurions dûcommencer à répéter ces chantsdepuisdes semaines,mais leConseil des aînés a tenu à valider lelivretaupréalable,etvoussavezàquelpointleschosesvontviteenpolitique…M.Mayurnikpianotelentementpoursoulignersespropos.Do.Ré.Mi.Jedoispartagerun livretavec la fillequiestassiseàcôtédemoi. Jemepenchepar-dessus son
épauletandisqu’ellelefeuillette.Mesclassiquespréférés,commeTheLittleDrummerBoyouJoytotheWorld,sontabsents.Àlaplace,ilsontchoisiWinterWonderland,ouencoreFrostytheSnowman.Bref,deschantsgénériques.Cequimeconvientaussi.—Commetoujours,notreclassechanterasurMainStreetpendantl’illuminationdusapindeNoël
deJarIslandmardiprochain,cequiveutdirequenousavonsunesemainepourêtreautop.Alors,ons’ycolletoutdesuite!Ilnousdonnequelquesnotesetnouscommençonsnotreéchauffementstandard.J’apprécied’utiliser
magorge,d’entendremavoixsemêleràcelledesautres.Ensuite,M.Mayurnikannonce:—Bien!Maintenantquenoussommesbienchauds,nousdevonsdéciderquichanteralessolos.Est-
cequetouteslessopranespeuvents’avancer?Comme je suis soprane, je me lève. Alors que je me faufile entre les rangs, je me sens
instantanémentnerveuse.Jechantecorrectementaufonddelaclasse,maisici,devanttoutlemonde,jesensmagorgeseserrer.Jepenseimmédiatementàmonpère,parcequ’ildittoujoursquej’aiunebellevoix.Sibellequ’ilmefaitchanterJoyeuxanniversairedeuxfoisavantdesoufflersesbougies.Çaluiestbienégald’aspergerlegâteaudecirefondue.Maiscesouvenirnem’aidepasàallermieux.Aucontraire,c’estpire.JeprendsplaceprèsdupianoetmeretrouvejustedevantAlexKudjak.M.MayurnikcommenceàjouerBaby,it’sColdOutside.J’aioubliédeprendrelelivretavecmoi,
mais jeconnais lesparoles. Je faisdemonmieux.Parmi lesautressopranes,certaines sontdans le
chœurdepuis plus longtemps.D’autres sont inscrites au clubde théâtre.Elles répètent déjàpour lacomédiemusicaleduprintemps.Cetteannée,c’estHello,Dolly!J’aimeraisbienenfairepartie,moiaussi,maiscommejen’aipasleurtalent,jemecontented’essayerdenepasm’emmêlerlespinceaux.Pendantlamajeurepartiedelachanson,jefixeleplafond.Maisverslafin,jebaisselesyeuxsur
Alex.Ilalespaupièresclosesetunsourireauxlèvres,commesinousétionsvraimentdouées.Ilestgentil.AlexKudjakestunvraigentil.Jelesais.Àlafin, tout lemondenousapplaudit.Alexsifflemême.M.MayurnikchoisitJessSalzarpour le
solo,etçameva.Enfait,jesuisplutôtsoulagée.Sanscompterqu’elleaunebellevoix.—Bon,lesgarçons,àvotretour.Alexetlesautresgarçonsviennentseplacerdevantl’auditoire.Ilsnesontquequatre.M.Mayurnik
demandeàJessderesteràcôtédupianopourchanter sapartie,et lorsque lesgarçonsentonnent laleur,illesécouteattentivement.Moiaussi.Alexauntimbreincroyable.Iln’estpascommecertainsgarçonsduclubdethéâtrequiauraientleur
placeàBroadway.Savoixn’estpasassezpuissantepourça,maisellesortquandmêmedulot.Elleestjuste…douce.Sincère.Parfaitepourlachanson.QuandM.Mayurniklechoisit,jesuisréellementcontentepourlui.Alexal’airstupéfait.Moi?Mayurniktapotesursonpiano.Oui, toi ! Un petit oiseaum’a dit que tu jouais très bien de la guitare également. Tu connais le
solfège?(Alexhochelatête.)Bien.Apporte-lademainettupourrasnousaccompagner.Jenesaispas…Jen’aijamaisjouédevantunpublicjusqu’ici.—Lesfillesvontsepâmerdevanttoi!Pasvrai,lesfilles?À l’unisson, toutes les fillesde la classehurlent lenomd’Alexcommes’il était unepop starou
l’idoledesjeunes.Mêmemoi.Alexestplusrougequ’unebaiedehoux.Çamerappellequedebonneschosesarriventparfoisauxpersonnesquileméritent.
XXXIXLILLIA
JENESUISjamaismontéesurunplotdedépartauparavant.Reevem’aproposéd’essayeraumoinsunefoisavantletest,maisjen’aipaspum’yrésoudre.Mesgenouxtremblent.C’esttellementhaut,etl’eaual’airvraimentprofonde.Unerangéed’élèvesattendàmescôtés.Ilssonttouspenchés,enposition,sauf moi. Je me force à respirer. Je n’ai pas besoin de faire le saut de l’ange ; tout ce qu’onmedemande,c’estdesauter.Sij’yarrive,lerestesuivra.C’estcequejemerépèteenboucle.LacoachChristydonnelesinstructionsquejeconnaisparcœur:deuxaller-retourdanslapiscine,
suivisdedeuxminutesdesurplace.Jemedébatsavecmeslunettes,quisonttropajustées.Jedétestelesporter,maisReeven’arrêtaitpasdedirequejemesentiraismieuxsousl’eausijepouvaisvoir,etilavaitraison.La coach Christy souffle dans son sifflet, et je serre les paupières. Les autres élèves plongent
bruyamment.Jecomptejusqu’àtrois,puismelance.J’entredansl’eaudansungrandplouf.Jeremuelesbras,jebatsdesjambes.J’essayedemesouvenirdetoutcequeReevem’aappris:gardelatêtebaissée, les bras le long des oreilles, et bats des pieds sans t’arrêter. Je retiensmon souffle aussilongtemps que possible avant de remonter à la surface. Puis, je remets la tête sous l’eau. J’ail’impressionquejevaismenoyer,mais jecontinueàavancer jusqu’àcequemesdoigts touchent lemur.Jemeretourneetreparsdansl’autresens.Jene regardepas les lignesàmagaucheetàmadroite,parceque j’aipeurdeperdre le rythme,
maisjesuisquasimentsûrequ’ilsontdéjàterminé.Jenem’occupepasdeça;jedoismeconcentrersurmoi-mêmeetnepasmesoucierdecequefontlesautres.Tupeuxlefaire.Tupeuxlefaire.Quandjetoucheànouveaulemur,jesuisépuisée.Tousmesmusclesm’élancent,maisjesaisque
c’estpresqueterminé.Ilneresteplusqu’unelongueuràfaire.Jeprendsmontemps;riennepresse,
commediraitReeve.J’yvaistranquillement,unmouvementàlafois.Enfin, je toucheaubut.Mesdoigts frôlent lemur. J’ai réussi. Je redresse la têtepour respirer et
m’accrocheaureborddubassin,lesoufflecourt.Enentendantdesapplaudissements,jelèvelesyeux:Reeveestlà,prèsdesgradins,àm’applaudiretmesiffler.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsoitvenu.Tous les autres sont sortisde l’eau, et la coachChristy s’approchedemoiavec sonchronomètre
pourévaluermonsurplace.Jegardeledosdroit,lesgenouxpliés,etjebatsdespieds,commeReevemel’aapprislasemainedernière.J’avaleunpeud’eau,maisparviensàmaintenirmatêtedroite.—Bravo,Lil,mefélicitelacoachenmesouriant.Le chronomètre s’arrête et je n’arrive pas à le croire. Je nage jusqu’à l’échelle et remonte.Mon
corpsesttoutendolori,maisjemeprendspourunechampionne.J’ail’impressionquetoutmeréussit.JemerueversReeveenhurlant:—J’aicartonné!Ilmesouritàpleinesdents.—Oui,tul’asfait!Jemejettedanssesbrasetilmesoulèveenl’air.Jemesenseuphorique,extatique.Nousrions,maislorsqu’ilmerepose,nousnousregardonsdansunlongsilenceembarrassé.Nous
parlonsenmêmetemps.Merci…Tuasétégéniale…Nousrionsànouveau,puisjereprendslaparole:Mercipour tout,Reeve.Jen’yseraispasarrivéesans toi.Jemesuis rappelé toutceque tum’as
apprispendanttouteladuréedutest.Oh,ditReeveenpenchantlatêtesurlecôté.Voyez-vousça,lanatationnousarapprochés…Entant
qu’amis,s’empresse-t-ild’ajouter.Unautresilencegênés’ensuit.Ouais,carrément!Merciencore.Reevemetendmaserviettequej’avaislaisséesurlebanc.Jet’enprie.Tuviensàlabibliothèqueaujourd’hui?Jesecouelatête.Non,fautquej’aillequelquepart.JedoisretrouverKatetMarydanslestoilettesdesfillesàcinqheures.Bon,d’accord.(Ilal’airdéçu,cequimemetdubaumeaucœur.Iltendlamainettiregentimentsur
maqueuedechevaldégoulinante.)Bonboulot,Cho.Merci,coach!Instinctivement,jeleserredansmesbras,afinqu’ilsachequejesuissincère.
XLMARY
QUANDKATENTREdanslestoilettes,jesuisassisesurleradiateur.— Salut, toi ! me lance-t-elle en jetant son sac par terre et en s’affalant dessus. Alors, ton
Thanksgiving,c’étaitcomment?—Euh…pasterrible.(J’arracheunepeluchedemonpull.)Mesparentsnesontpasvenus.Mince.Ouaip.C’étaitcarrémentnaze.Laportes’ouvreàlavoléeetLilliaentreencourant.J’airéussi!hurle-t-elle.J’aiobtenumonbrevetdenatation!J’applaudis,etKats’exclame:—Bravo,Lil!Ellesautille,tellementelleestexcitée.—J’étaishypernerveusesurleplotdedépart,maisjel’aifait,j’aisautéàl’eau!Jeveuxdire,il
m’afalludeuxfoisplusdetempsquelesautres,maisj’airéussi.Lesurplace,çaaétédugâteau.(Elles’avance devant le miroir et ôte l’élastique qui retient ses cheveux mouillés.) Reeve est passém’encourager. Ça m’a carrément surprise. (Elle fouille dans son sac, en sort un peigne ivoire etcommenceàserecoiffer.)Aufait,Mary…Jecroisqu’ilm’aparlédetoil’autrejour.Jesuisestomaquée.—T’essérieuse?C’estjuste…incroyable.Kat,quiétaitentraindegratterlessemellesdesesrangersavecunstylo,lèvebrusquementlatête.—Iladitquoi?demande-t-elle,l’airsceptique.
Lilliaarrêtedesepeigner.—C’était juste avant les vacances. Il a appris qu’il ne jouera pas au foot l’année prochaine. Sa
jambeneseremetpassuffisammentvite.(Jenelalâchepasdesyeuxetrestependueàseslèvres).Ilpleurait,ilétaitbouleversé.Ensuite,iladitqu’ilavaitméritéqueçaluiretombedessus.Ilaexpliquéqu’ilya longtempsdecela, ila faitbeaucoupdemalàunefilleetqu’ilne l’a jamaisoubliée. Il aavouéêtrepresquesoulagédepayerenfinpourcequ’ilavait fait. (Elle se retourne faceà nous.) Ildevaitparlerdetoi,Mary,tunecroispas?Ilnem’ajamaisoubliée?Ilavraimentpenséàmoitoutcetemps.J’enaidesfrissons.—Tunepeuxpasêtresûrequ’ilparlaitdeMary,objecteKat.Ilaprononcésonnom?Iladitce
qu’ilafaitàcettefille?Etcequ’elles’estinfligé?Lilliahésite.—Ehbien…non.Jenepensepas.C’estpourçaquejen’airiendit.Jen’enétaispassûre.— Il a dû se taper, quoi, quatre-vingt-dix-neuf pour cent des filles dubahut, ajouteKat, les bras
croisés.Ilpouvaitparlerden’importequi.—Kat,jet’enprie,laisseLilliaterminer.Jeveuxdire,peut-êtrequeKataraison,mêmesijepréféreraisquenon.Lilliasecouelatête.—Lesfilles,sivousaviezétélàetsivousaviezvusatête,vousl’auriezcru,vousaussi.(Ellese
tourneversmoi.)Peu importedequi il parlait, il était sincère. Il avraimentdes remords. Jepensefranchementqu’ilestnavré.Katselèved’unbond.— On s’en cogne ! Même s’il parlait de Mary, qu’est-ce que ça peut foutre qu’il soit désolé
maintenant ? C’est trop tard. Ses remords ne comptent pas. En plus, n’oubliez pas qu’il y a troissemaines,ilaeul’occasiondes’excuserlesyeuxdanslesyeux,etaulieudeça,illuiaditd’allersefairefoutre!Ilveutsemontrersoussonmeilleurjourdevanttoi,Lil.IlsefichepasmaldeMary.C’estunmenteur!Mes yeux s’embuent. Et voilà, je retombe dans le même piège, alors que je devrais être
suffisammentavertiepourpasseroutre.—Jedoisvousavoueruntruc,dis-jeensanglotant.Lil,mêmesituaffirmesquetoutsepassebien
entrevous,lesoirdeThanksgiving,jel’aivuaucinéavecRennie.Çaressemblaitàunrencard.—Sérieux?medemande-t-elle.Jehochelatête.Lilliafroncelessourcils.—Oh,danscecas,jepariequ’ilestsortiavecelleparcequejenelepouvaispas.Ilm’aenvoyéun
SMSenpremier,ajoute-t-elleensemordantlalèvre.Katfaitcraquersesarticulations.—MêmesiRenn’apassesfaveurs,elleresteunemenace.C’estunvraipitbullquandelleveutun
truc.Ondevraitenterminerauplusvite.—Commentça,enterminerauplusvite?s’étonneLillia.Qu’est-cequetuveuxdireparlà?
—Çafaitpresqueunmoisquevousvoustournezautourtouslesdeux,ànager,àétudierettoutletralala,maisvousn’avezrienfaitdeconcret.Iln’ariententéavectoi,pasvrai?—Exact… confirmeLillia en fronçant à nouveau les sourcils.Mais enmême temps, on n’a pas
convenudecequejesuiscenséefaire.Luibriserlecœur,c’estunpeuvaguecommeprojet,lesfilles.(Ellecroiselesbras.)Jeveuxunplan,untrucprécisquejedoisappliquer.Jen’aipasenviequetoutçatraîneencoretroismois.Katacquiesce.—O.K.,O.K.,jepenseàunplanentroisétapes.Tul’asbienappâté,maisjenesuispassûrequ’il
aitmorduàl’hameçon.Parconséquent,lapremièreétape,çaseraunFrenchkisstorride.—Quoi?Maisonn’ajamaisditqueLilliadevaitembrasserReeve!Lilliasembleatterrée.—UnFrenchkiss?Tuveuxdirel’embrasseraveclalangue?Katrit.—Franchement, tun’as jamaisrouléunepelleàquelqu’unque tun’aimaispas?Tun’aurasqu’à
fermerlesyeuxetpenseràquelqu’und’autre.Lilliasemordlalèvre.—J’imagine…Jem’empressed’ajouter:—Kat,ilnefaudraitpaspousserLilliaàfaireuntrucdontellen’apasenvie.KatetLilliaéchangentunregard,etjemerendscomptequej’ail’airjalouse.Jefaismarchearrière.—Jeveuxdire,situesd’accord,tupourraispeut-êtrelefairelorsdelacérémonied’illumination
dusapin.J’yseraiaveclachorale.AlexKudjakégalement.Ilaunsolo.C’estmardisoir.—Unsolo?Katsemblesurprise.Çafaitplaisird’avoirquelquechoseàpartageraveclegroupepourunefois,
untrucdontellesnesontpasaucourant.—IlvachanterBaby,it’sColdOutside.Ilaunesupervoix.Etiljouedelaguitare.Katsesouritàelle-même.—Sympa.—Skuddoitêtrehypercontent,maispourquoiiln’ariendit?(Lilliaarronditleslèvresetsepasse
dubaume.)Tusaisquoi?Jevaismedébrouillerpourquetoutelabandevienneleregarderchanter.Enplus,j’aienviedet’écouter,Mary.—Jen’aipasdesolo,maisjeseraicontentedesavoirquequelqu’undanslepublicestlàpourmoi.C’estclairquetanteBetteneviendrapas.Detoutemanière,jen’enaipasenvie.—Lil,c’estparfait,conclutKat.Rapproche-toideReevecesoir-là.Etboum.—Peut-être,ditLillia.ÀconditionqueRennienesoitpaslà.—Jecroyaisquecen’étaitpasunproblèmepourtoi.—Non,eneffet.C’estjusteque…quejen’aipasenviedelefairesoussonnez.Entoutcas,jeseraisbiencontentequ’ellenelefassepassouslemien.
Lilliasortsontéléphonedesonsac.—J’envoieunSMSàReeve,pourm’assurerqu’ilvienne.Nousnousmassonsautourd’ellependantqu’elleluiécrit:Merciencored’êtrepasséaujourd’hui,coach.Tuveuxallervoirl’illuminationmardi?Skudva
chanterensolo,onpourraitluifairelasurprise!Ilrépondaussitôt:Ouais,bonneidée.Aufait,toujoursO.K.pourrévisersamedi?Enlisantsonmessage,Kathausselessourcils.—Bahvoilà!Tuvaspouvoirpasseràladeuxièmeétape.—Quiconsisteà…?—ÀlaisserReevecroirequetuessapetiteamiejusqu’àlafindesvacancesdeNoël.Fais-luidu
charme et tout, histoire qu’il t’achète un cadeau. Comme ça, nous serons sûres qu’il te considèrevraimentcommesameuf.—Tucroisqu’ilferaitça?Je repenseau jouroùReevem’aoffertmonpendentif en formedemarguerite.À la joieque j’ai
ressentie.Ouais.Jepariequ’ilt’offrirauntruc.Lilliasemordillel’ongle.Bon,etlatroisièmeétape,c’estquoi?LeréveillondelaSaint-Sylvestre.Tuleplaquesàminuit.Katagitelesmains.—Mieuxencore,tupourraisembrasserquelqu’und’autreàminuit!Lilliasecouelatêteenjetantdesregardsfurieux.Jenesuispasunesalope!Katserétracte.O.K.,O.K.,danscecas,tulelaissesjusteenplan!Lilliaréfléchit,puisajoutecalmement:—Bon,d’accord.Ensuite, lepremier janvier, tout sera terminé.Nouvelleannée,nouveaudépart.
Pournoustoutes.—Exactement.Marchéconclu.Katluitapedanslamainpourscellerl’accordetelles’apprêteàlefaireavecmoiquandunefille
quejenereconnaispasentredanslestoilettes.LebrasdeKatretombeetjemedépêchedesortiravantquelaportesereferme.Pendantcetemps,Katfilejusqu’àunecabinepourpisser,etLilliasepencheau-dessusdulavabopourfinirdesemaquiller.Jem’éloigneunpeupuis,aubeaumilieuducouloir,alorsquejetentedemereprésenterLilliaen
traind’embrasserReeve,quelquechosem’inciteàrevenirsurmespas.Jenesaispaspourquoi;c’estjuste un pressentiment.Alors, jem’exécute. Je retourne aux toilettes et collemon oreille contre laporte.
—Tusavaisquesesparentsn’étaientpasvenuspourThanksgiving?Ilsdevaientvenir,etpuisilsontchangéd’avis.C’estKatquimurmureenparlantdemoi.Lilliaretientsonsouffle.—C’esthorrible!Lapauvre.Jecomprendsmieuxpourquoiellen’avaitpaslemoralcesderniers
temps.—Satanteal’airvraimentlouche.Quandellen’estpasenferméeaugrenier,ellepassesontempsà
laréprimander.Tuespasséeprèsdechezelledernièrement?Lamaisontombepresqueenruines.Jemedemandesielledevraitcontinuerd’habiterlà-bas.—Ondevraitpeut-êtreessayerd’appelersesparents?Pourleurracontercequisepasse?—Mais c’est bien ça, le problème.On ne saitmême pas ce qui se passe. (Kat pousse un long
soupir.)Çam’étonneraitqueMarynousracontetouslesdétails.Elleneveutprobablementpasnousinquiétersurlagravitédelasituation.Quelquechosenevapas,
c’estclair.Peut-êtrequ’ondevraitl’inciteràseconfieràquelqu’un.Unconseiller,parexemple.Ouais,bonneidée.C’estànousdeveillersurelle,sinon,personnenelefera.Jeparsencourant.Mêmesicetteconversationveutdirequ’ellessontdevraiesamies, jedéteste
qu’ellesdiscutentdemoidansmondos.PersonnenedoitparleràtanteBette.Nil’école,niLillia,niKat.
XLILILLIA
JEN’ARRÊTEPASdepenseràcequeKatadit.Selonelle,Reeven’estpasdésoléetm’aracontécettehistoireuniquementpourmefairebonneimpression.Jeluidonneraison.Pourquoin’a-t-ilpasfaitsesexcusesàMaryquandl’occasions’estprésentée?Malgrétout,jemesouviensdelamanièredontilm’aregardée,dont ilapleurécommeunpetitenfant,et jesuispersuadéequ’ilm’adit lavérité.Enoutre,quiaurait-ilpublesserdavantagequeMary?Çan’apasd’importance,detoutefaçon.Parcequecen’estpasàmoidepousserReeveàs’excuser
oud’essayerdedeviners’ilestvraimentdésolédecequ’ilafait.Jerestefidèleàmonamie.IlfautqueReevepayepourcequ’ilafaitàMary.C’esttout.Œilpourœil,dentpourdent.Cœurbrisépourcœurbrisé.OndoitseretrouverauJavaJonesàmidi.J’ail’intentiondeterminermadissertationd’anglaissur
les figuresmaternelles dans lesœuvres deShakespeare, que je dois rendre lundi. J’ai pris unCD-ROMd’entraînementautestd’évaluationpourReeve.Jecompteleluiprêter,parcequ’iladéjà finilesdeuxlivretsd’exercicesquejeluiaipassés.Je décide de me rendre au Java Jones une heure à l’avance, parce que cette dissert ne va pas
s’écriretouteseule,etparcequejeveuxnousréserverunebonnetableprèsd’uneprise,pourquenouspuissionsrechargernosordinateursportablesaubesoin.Parchance,cellequejeconvoitaisest libre.Jeposemonmanteausurledossierd’unechaiseetlasacochedemonordinateursurl’autre.Ensuite,aucomptoir,jecommandeunchocolatchaudavecdelacrèmefouettéeetunsucred’orgeàlamenthe.Pendantquejefouilledansmonporte-monnaie,montéléphonevibre.C’estunSMSdeReeve.Majambemefaitvraimentmalcematin.Jepensequejenevaispasvenir.Désolé:(Jefaislamêmetêtequesonsmiley.Jen’arrêtepasdeluidirequ’ilnedevraitpastropforceràla
salledemuscu.Ilnefautpasbrûlerlesétapeslorsd’unerééducation,etresterpatient.Mononcles’est
cassélachevilleencourantilyadeuxans;ilaterminésarééducunesemaineenavance,etilditquesachevilleluifaittoujoursmalpartempsdepluie.Alorsquejem’apprêteàluirépondre,Reevepassedevantlavitrineauvolantdesacamionnette.Qu’est-cequec’estquece…?C’estlàquejecomprends.ReeveserendprobablementchezRennie.Jeramassemesaffairessurlatableenlaissantmonchocolatchaudpourgarderlaplace.Jedisau
serveurque je reviens tout de suite et je sors.Comme le soleilm’éblouit, je lève lamainpourmeprotégerlesyeux.Pendantuneseconde,jepensel’avoirperdu,maisjel’aperçoisquitourneàgauchedansleparkingprèsdesferries.O.K.,jemesuispeut-êtretrompée.Jedévaleletrottoirentoutehâte.Jesuisencolère,maisj’essayederestercalme.Peut-êtrequ’il
passechercherundesesfrères?JeluienvoieunSMSinnocent.Tuveuxquejevienne?Onpeutétudiercheztoi.Dès que j’appuie sur « Envoyer », je sens mon cœur se serrer, parce que j’ai l’horrible
pressentimentqueReevevamementir.Ilnemerépondpastoutdesuite,cequimelaisseletempsdelerattraper.Lorsquej’entresur leparking, jefaisattentionàrestercachéederrière lesarbreset labilletterie.
Reeveagarésacamionnettedanslafiledesvoituresquiattendentd’embarquersurleprochainferry.Jesuissuffisammentprochepourlevoirconsultersontéléphone.IlestprobablemententraindeliremonSMS.Ilm’écrit:Jepensequejeferaismieuxderestertranquilleetd’appliquerunepochedeglace.Jet’envoieun
SMSplustardsijemesensmieux.Monsangnefaitqu’untour.Reeven’estpasdignedeconfiance,vraimentpas.Jem’enveuxàmort
d’êtretombéedanslepanneaualorsquejesavaisàquoim’attendre.Reevenemevoitpasarriver.Iltriturelesboutonsdel’autoradio.J’entendslamusiqueàmesureque
j’approche.C’estduhip-hop,etilamislevolumeàfond.Iltapotelevolantenrythme.Peuimportequiils’apprêteàretrouver,ilesteuphorique.Jefrappesifortcontresavitrequej’enaimalauxdoigts.Reevesursaute,etlorsqu’ilmevoit, il
tombedesnues.Iléteintlaradio,puistented’abaissersavitre.—Saluttoi!luidis-jed’untonmielleux.Raviedeconstaterquetajambevamieux.(Jecessede
jouerlacomédie,etmonsouriredisparaît.)Paslapeinedem’envoyerunSMSplustard.Niunautrejour.Jem’éloigne.J’entendssaportières’ouvrirpuisclaquer,etsespiedsmartelerlachaussée.J’accélèrelepasaussi
vitequepossible,maisReevedoitcarrémentcourir,mêmeavecsajambeblessée.Jefaistombermasacoched’ordinateurparterre.Jem’enfous.Jeneveuxpasleregarder.Avantdecomprendrecequim’arrive,Reevepassesesbrasautourdemoipar-derrière.—Lâche-moi!J’essayed’échapperàsapoignedefer,maissesbrasmebloquentcomplètement.—Lillia,attends!
Jen’attendspas.Jemedébatsenhurlantetm’agitepourmelibérerjusqu’àmeretrouveràboutdeforces.—Lâche-moi,j’aidit!Dansleparking,quelquespersonnessesontarrêtéespournousregarder.—Arrêtetoncirque!siffle-t-il.(Ilaraison.Jen’aipasenviequelesflicsdébarquent.Jeveuxjuste
qu’ilmelâche.Ilneleferaquesijemecalme.)S’ilteplaît,Lillia.Jecessedelutteretilrelâchesonétreinte.Essoufflée,jemeretournefaceàlui.—Tuasl’intentiondem’expliquerpourquoitumemens?Reeveserrelesdents.—Non,pasvraiment.Ilfaitquelquespasenarrièreetramassemasacoche.Jesensquejesuisàdeuxdoigtsdeluibalancerdestrucsvraimentméchants.Jemeursd’enviede
toutluidire,deluiraconterquejesorsavecluiuniquementdanslebutdevengerMary.Quetoutcecin’estqu’unmensonge.Quej’aifaitsemblantdel’apprécier,alorsqu’enréalité,ilmedégoûte.Maisjenepeuxpaslefaire,parcequecesmotsnesignifientrien.Ilsneleblesserontpas.Parceque
si Reeve s’intéressait à moi, il ne m’aurait pas menti afin de filer en douce, probablement pourretrouveruneautrefille.—Dis-moioùtuvas.Jesaisquejesemblejalouse,etj’aihorreurdeça.—Ilvautmieuxquetunelesachespas,medit-ilenmetendantmasacoche.Jelaluiarrachedesmainsetentendsdesmorceauxdeplastiquesepromeneràl’intérieur.Monordi
estcassé.Jesensleslarmesmemonterauxyeuxetmavisionsetroubler.—J’espèrequecettefilles’yconnaîtentestsd’évaluation.Oupeut-êtrequ’ellen’enarienàfoutre
quetun’aillespasàl’université!Jerepenseàtout le tempsquej’aiperduàtenterd’aiderReeve.J’auraisdûm’enteniràcefoutu
plan.Jepariequej’auraispul’embrasserilyadessemainesdecela.Reeveblêmit.—Tucroisquejevaisvoiruneautrefille?Jem’éloignesansriendire.Ilmesuitànouveauetaccélèreafinderesteràmahauteur.—Trèsbien,tuveuxsavoiroùjevais?Ilfouilledanssapocheetensortunpapierqu’ilmetend.Jem’essuielesyeuxpourlelire.Deux
nomssontécritsdessus,etaucunn’estceluid’unefille.Ilyaégalementl’adressed’unefraternitédel’universitéduMassachusetts.Jelèvelesyeuxpourleregarder,parcequeçan’aaucunsens.Ilpinceleslèvres.—Jevaisbotterleculdecesdeuxconnards.Puis,ilretourneverssacamionnette.Jefixelepapier.IanRosenbergetMichaelFenelli.Ilmefaut
unesecondepourcomprendre.Oh,monDieu!Oh,monDieu,non!Cettefois-ci,c’estmoiquiluicoursaprès.Jeluihurle:T’esmalade,ouquoi?Reeveneralentitpas.Jesuisvraimentcondenepasyavoirpenséplustôt.Lamaisonquecesordureslouaient,elleest
géréeparmonpère.J’aijusteeuàchercherl’adresse,etbingo!J’aitouttrouvé:leursadresses,leursnuméros de téléphone et leurs dates de naissance. Je vais y aller et leur faire regretter d’avoir oséposerlesyeuxsurRennieettoi.Je ne veux pas que tu fasses ça ! (La sirène du ferry retentit et les voitures qui patientaient
démarrent.)Jeneveuxpasquetulesapproches!Reeveouvresaportière.—Pourquoi?Tunecroispasqu’ilsleméritent?Jeme fais violencepour lui répondre.Parceque si cesgars ont leur part de responsabilité dans
l’histoire,j’ailamienne,également.C’estmoiquimesuisrenduedanslamaisond’unétranger.C’estmoiquiaitropbu.C’estmoiquileuraidonnél’occasiondefairecetruchorrible,àmongrandregret.—Çanechangerarien!(Jetendslesbrasetattrapesonsweatàdeuxmains.)S’ilteplaît,n’yva
pas.Sic’estpourmoi,nelefaispas.Reevesecouedéjàlatête.Ilnem’écoutepas.—Cesbâtardsdoiventpayerpourcequ’ilsontfait.Leurcrimenedoitpasresterimpuni.Ilsnes’en
tirerontpascommeça.J’aidumalàrespirer.— Je sais que tu veux m’aider, vraiment. Mais rien de ce que tu pourras faire ne changera la
situation. (Je tente de rester forte afin de le forcer à m’écouter, mais je sens que je commence àtrembler.)Situyvas,tuneferasquemerappelercettenuit-là.Toutcequejeveux,c’estoublier.Jelesenssedétendreunpeu.—Tunepeuxpasfairecommesiriennes’étaitpassé,Lil.C’estarrivé,tudoisl’accepter.—Jesais,maislaisse-moiréglerleschosesàmafaçon.(Jeluiadresseunregardimplorant.)Pas
commeça.Nousnousdévisageonssansciller,etReevefinitparacquiescer.—Je…Jevoulaisjustearrangerleschosespourtoi.Iltendlebras,meprendlamainetresserrelesdoigtsautourdesmiens.Jelelaissefaire,mêmesije
pensequejeneledevraispas.Plustard,enrepensantauregarddeReeve,jel’entendsànouveaumedirequelesmauvaisesactions
nedoiventpasresterimpunies,etjesuisterrifiée,parcequ’ilaraison.Nousfinironstousparsubirlesconséquencesdenosagissements,etmoipeut-êtreplusquelesautres.
XLIIKAT
PENDANTMONHEURElibredulundi,jefileàlasalleinformatiquepourconsultermese-mails.Jedoisattendred’êtreàl’écolepourlefaire,parcequechezmoi,l’ordinateuresthyperlent.Ilestvieux,pourcommencer,etcommePatatéléchargédestasdejeuxvidéo(despornos,envérité),ilachopéplusdevirusqu’uneprostituée.Quand je me connecte, une fenêtre s’ouvre pourme dire quema boîte de réception est presque
pleine. Pas étonnant. Il y a un mois, ma tante Jackie a découvert l’existence du « courrierélectronique»etm’ademandémonadresse.Depuis,ellemetransfèreaumoinsdixmessagesparjour.Des poèmes sur les anges, des chaînes de prières de lutte contre le cancer et des articles sur larecherche et les nouveaux traitements médicaux. Elle est obsédée par la mort de ma mère, d’unemanièrevraimentmalsaine.Elleferaitbiendeprendrerendez-vousavecMmeChirazo.Malheureusement, rien de nouveau à propos de ma candidature à l’université d’Oberlin. Je sais
qu’ilsontjusqu’àlafinjanvierpourmerépondre,maisjecroiselesdoigtspourqu’ilslefassentavant.MmeChirazo a adoréma nouvelle lettre demotivation. Elle a dit qu’elle lui avait faitmonter leslarmesauxyeux.Elleaprobablementdûavoiruneboufféedechaleuràcemoment-là,maisc’esttoutcequej’avaisbesoind’entendre.
PLUSTARDLEmêmejour,nousassistonsàuneréunionsurlesdangersdel’alcoolauvolant,cequiestune manière sympathique de nous rappeler que les vacances de Noël approchent. Debout sur lepodium,unefemmed’uncertainâgeenuniformed’agentdepoliceréciteuntextesoporifiqueenfaisantdéfilerundiaporamad’accidentsdevoituredesannéessoixante-dixquinemontreriend’intéressant.Pasdesang,pasdecadavres.Justedesépavesetdestasdemétaldéchiquetés.Elleauraittoutaussibienpuprendredesphotosdemongarage.Bref,jem’endorsencoursderoute,etdesapplaudissementspolismeréveillent.J’ouvrelesyeux
justeaumomentoùl’agentdepoliceseprendlespiedsdanslefildumicroetmanquedetombersurlecul.Jenepeuxpasm’empêcherderire.JeregardeautourdemoipourvoirquiaégalementappréciécecadeaudeNoëlavantl’heure,maispersonnenebronche.JecroiseleregarddeRennie,quiaungrandsourireauxlèvres.Aussigrandquelemien.Jedétourneimmédiatementlesyeux.AvecRennie,onpartageaitlemêmesensdel’humournoir.Merde.Jepensequec’esttoujourslecas.
XLIIILILLIA
LESAPINETlesdécorationsvenduesparlesdamesdel’églisedégagentunedélicieuseodeurdepinetdecannelleannonciatricedeNoël.Ondiraitqu’ilvaneigerd’uneminuteàl’autre.Jel’espère,entoutcas.Unjourdeneige,etceseraitleparadis.Lepublicestvenuennombrecetteannée.LamoitiédeJarIslandsembleavoirfaitledéplacement
surMainStreetpourassisteràl’illumination,mêmesic’estunjourdesemaine.Lachoraledel’écoleestaupieddel’arbreentraindechanterWinterWonderland,etleschoristessontvraimentbons.IlsportenttousdesbonnetsdeNoëletdesécharpesàrayuresrougesetvertes.Lessopranesontmêmedesclochettes. Mary se tient à l’arrière, et elle est vraiment mignonne avec ses tresses et son bonnetenfoncé sur la tête.Alex est là, lui aussi, au premier rang. Son solo devrait bientôt commencer. Jecroisesonregardetluifaissigne;ilmefaitunclind’œiletinclinesoncouvre-chef.Lechantsetermineetj’applaudisavantd’effectuerunpetitsautgroupé.Jecrie:—HourrapourSkud!Etdansmatête,j’ajouteHourrapourMary.JesuisblottiecontreAshlin.DereketReevesontpartisnousacheterunchocolatchaud.Rennieest
auboulot.Parfait.Jenevaispasavoiràmesoucierd’ellecesoir.—Skudest vraimentmignoncommeça !meconfieAshlin enmedonnantun coupde coude.On
diraitunelfegéant.Jefouilledansmonsacenbandoulièreàlarecherched’unbonbonàlamenthe.—Ouais,ilressemblevraimentàunelfe.Ilestvraimentcanonavecsoncabancamel,sonbonnetdeNoëletl’écharpeécossaisequesamère
luiaprobablementachetée.Sesjouessontrougiesparlefroidetilarboreunlargesourire.Jenepeux
pasm’empêcherdesourire,moiaussi.JefaisremarqueràAshlin:—Ilaunebellevoix,tunetrouvespas?Jesuistroppresséed’entendresonsolo.—Pareil,reconnaîtAshlin.Puisellesepencheversmoietmemurmure:—Alors,y’aquoientreReeveettoi?Vousêtesiciensembleouquoi?Jeclignedesyeux,etsansmêmeréfléchir,jeluirépondsd’unevoixperçante:—Ahnon,alors!Commeelleal’aird’endouter,j’ajoute:—IlnesepasserajamaisrienentreReeveetmoi.Pasmêmedansunmilliarddemillionsd’années.Alorsqu’elles’apprêteàmerépondre,sesyeuxs’illuminentetelletendlamainenhurlant:—Donne-le-moi,donne-le-moi!Jemeretourne.DereketReevesontderetouravecnoschocolatschauds.L’espaced’uneseconde,je
medemandeavecinquiétudesiReevem’aentendue,maisilmetendmongobeletetsonvisageresteimpassible.Puis,del’autrecôtédelaplacedel’hôteldeville,j’aperçoisKatquinousregarde.Lemomentest
venudepasseràlapremièreétape.Oh,monDieu.JechangedeplaceavecAshlinafindemeretrouverprèsdeReeveetelleàcôtédeDerek.—J’aisuperfroid,dis-jeenserrantmongobeletentremesdoigts.Jeporteunepolairegrispâle,unjeanslimetdesbottesdecavalière,ainsiquedesprotège-oreilles
enpeaudelapin.J’auraisdûmettredesmoufles,parcontre.CommeReeverestesilencieux,jeletireparlamancheenrépétant:J’aisuperfroid.Reevelèvelesyeuxauciel.Pourquoitun’aspasprisdeveste?Jemerapprochedoucementetmeblottiscontreluipourmeréchauffer.Voilàpourquoi,Reeve.—D’habitude,mapolairemesuffit,maiscesoir,ilgèlevraiment.J’essayedeglissermonbrassouslesien,maisilsedérobevivement.Ensuite,ils’écartedemoietôtesadoudoune,puismelatendenlançant:—Prendsçaetarrêtedeteplaindre.N’oubliepasquec’esttoiquinousasdemandédeveniràcet
événement.Pourquoisemontre-t-ilsidésagréable,toutd’uncoup?Onétaittrèsprochessamedi,ettroisjours
plus tard, on dirait qu’il tente deme repousser.M’aurait-il entendue parler à Ash, ou est-ce autrechose?Jedevraismesentirsoulagée,parcequejenevaispasl’embrassers’ilsecomporteaussimal.Pourtant,jenelesuispas.Jesuiscontrariéeetjeluirappelle:—OnestlàpoursoutenirAlex.C’estaussitonami.Reevegrogneplusoumoins.Lesbrascroisés,ilseremetàregarderlachorale,quivientd’entamer
LetitSnow.DereketAshsesontréfugiéssousunsapinpours’emballer.Enpublic.C’estvraimentdemauvaisgoût.Enplus,ilsontgâchéleurchocolatchaud;leursgobeletsgisentparterre.IlneresteplusqueReeveetmoi.Jejetteunnouveaucoupd’œilàKat,maisnelavoispas.Ilya
tropdemondeautourdenous.J’observeReevedu coinde l’œil. Il est planté là, lesbras croisés, l’air renfrogné. Je siroteune
gorgéedemonchocolatchaud.Peut-êtrequej’aitoutimaginéetqu’ilestdéjàpasséàautrechose.—Qu’est-cequetuas,cesoir?Tuesvraimentdemauvaispoil.Ilmeregardeàpeine.—Riendutout,toutvabien.— Tu as mal à la jambe à force de rester debout ? On pourrait trouver un banc et… (Je
m’interromps.Ilnem’écoutemêmepas.Jememordsla lèvre.S’ilestdécidéàenrester là, jevaiscoupercourtlapremière.)Tiens,luidis-jeenluirendantsonmanteau.Jem’envais.DisàAlexquej’aidûpartir.Jem’éloigneàgrandspasendirectionduparkingetjettemongobeletdansunepoubelleenpassant.—Attends!s’écrie-t-il.Jeneralentispas.Aucontraire,j’accélère,maisReevemerattrape.Lesoufflecourt,ilmeretourne
faceàlui.Sesyeuxvertsétincellent.Ilplantesonregarddanslemien,sansciller.Àvoixbasse,ilmeconfie
rapidement:—Jet’aimebeaucoup.Jel’aigardépourmoipournepasblesserSkud.Maisjet’aime,jen’ypeux
rien. (Il attend que je dise ou fasse quelque chose.) On arrête de jouer, Cho. Toi et moi, c’est dusérieux?Monvisage s’empourpre. Je saisque je suis censée répondrequeoui et l’embrasser.C’est notre
plan.Leseulproblème,c’estqu’aufonddemoi,j’airéellementenviedeluirépondrequeoui.Jeleveuxplusquetout,maisj’aipeur.Toutestsoudainsiréelquejesuispétrifiée.Quelquessecondespassent,etReevedétourneleregard.Ilfixelesol.Ils’apprêteàreculer,àpartir,
ettoutseraterminé.Oui,c’estsérieux.Reevetournevivementlatête.Danscecas,pourquoituasditàAshlinquetun’étaispasiciavecmoi?Jenetrouveriend’autreàluidirequelastrictevérité.—Parcequej’aipeur.(Mavoixsebrise.)Jeneveuxblesserpersonne.Je resteplantée là, tremblante.Reeveposesonmanteausurmesépauleset je le laissem’aiderà
l’enfiler.Ilm’attirecontrelui,puisglissemesbrasautourdesoncou.—Çava?mechuchote-t-il.Ilfrissonne,luiaussi.Jehoche la tête ;moncœurbat siviteet si fortque jepeux l’entendre. Jecroisentendre le sien
également.Là,ilm’embrasse,etjenepenseplusàrien.
XLIVMARY
JELESAIVUSpartir.Etmêmesij’aiessayédeluttercontrel’envie,j’aiquittélachoraleencatimini,jesuisdescenduedesgradinsetlesaisuivis.Reevel’embrassedélicatement,commesic’étaitunepoupéedeporcelainesusceptibledesebriser
danssesbrass’ilne faisaitpasattention.Ellen’a jamaissembléaussi jolie.Ondiraitunange.Sesjouessontrosesetsacheveluresoyeuseflotteautourd’eux.Onsecroiraitdansunfilm.Deuxadosquis’embrassentsurleparking,avecdeschantsdeNoëletunsapinilluminéenarrière-plan.Etmoi,tapiedansl’ombre,quilesépie.Notreplanamarché.Maintenant,jesuissûrequ’ill’aime,àlamanièredontillaregarde,commesi
c’était la fillede ses rêves. Il n’arrivepas à réaliser la chancequ’il a.Tout sedéroule exactementcommenousl’avonsprévu.Jeserrelespoingssifortquemesongleslaissentdescroissantsrougesdansmespaumes.Jesens
une vague de chaleur monter en moi, comme si elle me dévorait. Mais même si j’ai mal pour lemoment,ceseradixfoispirepourlui.C’estlaseulechosequimepermettedetenirlecoup.
XLVKAT
JE SUIS ASSISE par terre au milieu de la foule venue assister à l’illumination du sapin, et le froids’infiltreparlefonddemonjean.J’arrachemesmouflesavecmesdents,rabatsleslanguettesdemesrangersetvérifiequejenesaignepas.Voussavez,ilexisteuncodeàsuivrependantlesconcerts.Desrèglesdebonsensàrespecterafin
quetoutlemondepasseunbonmoment.Ilestvalablemêmepourlesconcertspunks,oùlesspectateursdeboutdanslafossesetabassentcommedesmalades.Parconséquent,ildoits’appliquerégalementàcetypedespectaclemerdique.J’aiapprislesrègleslorsdemonpremierconcertchezPaul’sBoutique.Kimetmoiétionsdansla
régie son. Elle avait une torche qu’elle n’arrêtait pas de braquer sur les contrevenants pour que jepuisseobserverendirectleurstransgressions.Lecodeserésumeprincipalementàceci:Règlenuméroun:nejamaisprétendrequ’unamivousattendprèsdelascènepourpouvoirpousser
toutlemondeets’approcher.Lesgensbraillentdesnomsbidon,dutype«Hé,Jimmy,j’arrive!»,puisse faufilent jusqu’au premier rang. La technique peut éventuellement fonctionner sur une ou deuxpersonnesàl’arrière,maisenfindecompte,ilsseretrouventdevanttoutseulsetlesautresspectateursl’ontmauvaise.Règlenumérodeux:mêmedanslafoulelapluscompacte,ilfauttoujoursrespecterl’espacevital
dechacun.Vouspouvezfrôlerquelqu’ununefoisparmégarde,maisc’esttout.Etsivousportezunsacàmainouautre,vousdevezletenirserrécontrevotrepoitrinepouréviterdebousculerlesautresavec.Règlenumérotrois:sivousêtestrèsgrand,nesoyezpasvacheenvousplaçantdevantunpetit.Enfin,mêmesi jen’ai jamaiseu l’occasiond’yassister lorsd’unconcert, ildoitbienexisterune
dernièrerèglesurl’artdemanœuvreraumilieudelafouleavecunepoussettedoublechargéededeuxmoufletshurlants.
JefusilleduregardcetteMèredel’Annéequandelleseretournetimidementetmefixeavecsaminedéconfite,commepourmedirequ’elleestdésolée.Enattendant,sesdeuxbraillardsm’ontgâchétoutlerécital.Jeme remetsdeboutetchercheLilliaetReevedesyeuxdans la foule,mais ilsontdisparu.Tout
commecettecrétined’AshlinetcetasdemusclesdeDerek.Jefaisvolte-faceetmedressesurlapointedespiedspouressayerdevoiroùilsontpualler,mais
la foule est hyper dense, et la famille derrière moi me regarde de travers, alors je me retourne ànouveaupourécouterleconcert.Lillianousdonneralesdétailscroustillantsplustard.Jesaisqu’elleafaitcequ’ilfallait.Detoutefaçon,jesuiscurieused’entendreAlexchanter.Jeluiaidéjàdemandédemejouerl’unede
seschansons,maisilatoujoursrefusé.Jeluiaiditquecettesoiréeseraitunesortederépétitionpourson audition à l’université deCalifornie duSud.Pour autant que je sache, il ne leur a toujours pasenvoyésacandidature.Aprèsdeuxchantsbienniais, l’orchestreentameBaby,it’sColdOutside.Alexs’avanceavecune
fillequifaitpartiedelatroupedethéâtre.Ilaattrapésaguitareetcommenceàjouer.Jemesenssourire.Lafilleduthéâtren’assurepasdutout;elleselajouefaçonBroadway,cequi
estcomplètementdéplacépourunechansonaussisexy.Alexa toutbon,enrevanche. Il secomportecomme un gars qui a envie de convaincre. Sa voix est douce,mais on sent qu’il en veut. Elle estfantastique:claire,lumineuse,affirmée.S’ilpouvaitsemontreraussisûrdeluiauquotidien, il iraitforcémentloin.Àlafindelachanson,ilreculesurlesmarchesetrougitfaceauxapplaudissements.Lesgenstapent
dans leursmains,mais pas demanière polie.Ondirait qu’ils viennent d’assister à un événement…spécial.Pendantcetemps,Alexscrutelafoule,probablementàlarecherchedesesamis.Maisilssonttous
partis.Lepauvre.Jenepigepaspourquoisabandeneremarquepasàquelpointilestformidable.Lesyeuxd’Alexseposentsurmoi. Jesiffleentremesdoigts,puis lui fais lesignedudiabledes
deuxmains,commes’ilétaitunevraierockstar.Oudumoins,surlepointd’endevenirune.Ilmesourit,etmalgrélefroid,toutmoncorpsseréchauffe.Je m’apprête à adresser le même signe à Mary, parce que je suis trop fière qu’elle ait osé se
présenterdevanttoutlemondecommeça,maisjenelatrouvepasnonplus.Oùest-cequ’ilssonttouspassés?Lemaires’avancesurl’estradeetsignaleautechniciend’illuminerlesapin.Ils’éclairependantune
seconde,puisplusrien.Toutesleslumièresdelarue,leslampadaires,lesvitrinesdesmagasinsetlesfeux de signalisation crépitent, puis s’éteignent complètement, nous plongeant dans le noir. Ensuite,ellesserallumentetseremettentàclignoter,commes’ilyavaitunproblèmeélectrique.Purée,est-cequec’esttoutleréseaudel’îlequ’ilfaudraitrénover?Jem’apprêteàprendremesjambesàmoncoupourladeuxièmefoisdel’année,quandsoudain,la
lumièreserallumepourdebonettoutelafouleapplauditcommesic’étaitunvraimiracledeNoël.Aprèstout,c’enestpeut-êtreun.Maisjedécidedemebarrerd’icicoûtequecoûte,parmesurede
précaution.
XLVILILLIA
LEMERCREDI,ALORS que jedéjeuneavec toute labande,deux fillesdedeuxièmeannée s’approchentnerveusement de notre table. Elles ont l’air hyper jeunes, avec leurs jeans bien trop bleus et troplarges,leursdoudounesdesportetleursConverse.—Dis,Rennie,onpourraitteposerunepetitequestionrapide?demandelablondeàlaqueuede
cheval.—Situn’espastropoccupée,ajoutelabrunette.Au cours des dernières semaines, je suis passée maître dans l’art d’ignorer Rennie. J’y arrive
presqueaussibienqu’ellevis-à-visdemoi.Jemereplongedoncdansmonlivred’histoireetfaismined’êtreabsorbéeparunportraitdel’inventeurEliWhitney.Enplus,jesaisdéjàcequ’ellesvontluidemander.LesdeuxfillessortentunecoupuredejournaletlaposesurlatableàcôtédeRennie.Vud’ici,sans
y regarder de trop près, on dirait un article d’unmagazine pour ados. Ou du catalogue d’un grandmagasin?—Onsedemandaitsicetterobeconviendraitpourtafête.LeréveillonchezRennieestLAfêtedonttoutlemondeparle.Elleauralieudanslagaleriedesa
mère,commeundernierbaroudd’honneuravantqueMmeHoltznelavende.Ceseralechef-d’œuvredeRennie.Elleachoisicommethèmelesannéesvingt,etellesortlegrandjeu:çafaitunmoisqu’ellestocke des bouteilles de gin et de champagne piquées au Bow Tie. Selon elle, ce n’est pas trèscompliqué, avec tous les pots deNoël qui y sont organisés par les entreprises. Il reste des tas debouteilles à la fin de chaque soirée.En plus, tout lemonde devra être costumé.Les filles viennenttrouver Rennie pour lui montrer des photos de leurs robes et obtenir son approbation pour leurscoiffures. Je l’ai même observée, le front plissé par la concentration, en train de lireGatsby lemagnifique pendant une pause, ce qui est àmourir de rire, parce qu’on a dû l’étudier en première
année,sijemesouviensbien.Le jour de la rentrée, Renniem’avait exposé cette idée en premier. Elle a convié presque toute
l’écoleàsafête,saufmoi.Ellenem’apasinterditdevenir,maisnem’apasinvitéenonplus.Jen’aipasenvied’yaller,maisenmêmetemps,jen’aipaslechoix.C’estl’ultimeétapedenotreplan.Rennieattaquelesdeuxfilles.—Vousvoulezrire,ouquoi?Pourcommencer,c’estunerobedebal,pasunerobederéveillon.En
plus,ellen’amêmepasdevolants.Vousvoyezlataillecintrée?Etcetaffreuxjupon?C’estunpauvrecostumedefemmeaufoyerdesannéescinquante.Ellechiffonnelafeuilleetlajettesurlesoldelacafétéria.
***DEPUISQUEJElaconnais,Renniemetannepourorganiserunefêtechezmoi.J’aitoujoursrefusé,parcequelegenredefêtesquemesparentsm’autoriseraientàdonnern’intéresseraitaucundenosamis:pasd’alcool,pasdemusiqueàfond,pasdebaignadeàpoil,pasderoulagedepelledansleschambres.Çaressembleraitplusàunkaraokéautourd’uneassiettedefromage.Enplus,jedoisavouerquejen’aijamaisététropchaudepouraccueillirautantdegens.Çadoitêtre
stressantdeveilleràcequetoutlemondepassedubontempstoutens’assurantqu’ilsnedévastentpaslabaraque.Pourtant,c’estunemaisonidéalepourlesfêtes.Mamèrel’aconçuepourça,avecunvasteespaceouvert,dehautsplafondsvoûtésetpleindeplacepourbouger.D’ailleurs,lasoiréecinémaquej’aiorganiséeilyaquelquessemainess’estbiendéroulée.Jepasse lerestede la journéeàmedemanderpourquoiRennieest laseuleàorganiserdesfêtes.
Pourquoic’estuniquementellequigardelamainsurtouteslessoiréesdeJarIsland.Cejour-là,uneoccasionseprésente.Alorsquenouspréparonsledîner,mamèresuggèrequenous
fassions une surprise à Papa en nous rendant toutes les trois à New York où il participe à uneconférencemédicale.Jeluirappellequejedoistravaillermeslettresdemotivation,maisellemedit:—Lillia,tunevoispresquejamaistonpère.Nouspourronspasserdubontempsenfamille.Onira
àunspectacle,onseprendraunbrunchetoniraadmirerladernièreexpositiond’artauMetropolitan.Peut-êtrequ’onseferamasser.EtonpourrafairenosemplettesdeNoël!Tunem’aspasditqu’iltefallaitdenouvellesbottes?Jesaisqu’ellepensemeconvaincreavecleshopping,maisjecampesurmespositions.Papavaêtrecoincéàsaconférencetoutelajournée.Ilnerisquepasdevenirauspaavecnous.Ilpourranousrejoindrepourdîner,argumentemamère.Maman, il fautvraimentque je travaille surmes lettresdemotiv. J’ai eu tellementd’interrosces
dernierstempsquejen’aipaspum’yconsacrerautantquejel’auraisvoulu.Jelepense,d’ailleurs.Mamèresoupire.—Bon,d’accord.Ceserapouruneautrefois.—TudevraisyalleravecNadi.Jemedébrouilleraitrèsbientouteseule,promis.Jevoisbienqu’ellehésite.Elleveutvraimentquitter cette île ; toute excuseestbonneàprendre
pours’enéchapperunpeu.Leshiversicilarendentdingue.Elledevientclaustrophobe,incapablede
sortir,aveccetempssifroid,sihumideetsigris.Enplus,elleadoreNewYork.Elleyavécuquandelleavait lavingtaine,etelleestnostalgique
quandellenousracontesesviréesenvilleavecsescopines.Nadia,quinousécoutedepuislecanapé,lance:—Oh,s’ilteplaît,onpeutyaller?Jeveuxfairedushopping!EtjeveuxvoirPapa,s’empresse-t-
elled’ajouter.—Jenesaispas…Tupasseraisunweek-endentiertouteseule?D’unevoixbienaffirmée,jeluiréponds:—Maman,çavaaller.Jesuisrestéeseulelemoisdernierettouts’estbienpassé.—Ehbien…c’estvraiquej’adoreNewYorkpendantlesfêtesdeNoël,dit-elleenseretournant
versNadia,quipousseuncriaigu.Lavillescintilledepartout.Ellemeregardeetmepropose:—Tun’asqu’àdemanderàRenniederesterpourtetenircompagnie.—Pourquoipas…Nadiahausselessourcils.Jemeretourneetcommenceàremplirnosverresd’eau.— Qu’est-ce qui se passe entre vous deux ? m’interroge Maman. Je ne l’ai pas beaucoup vue
dernièrement.—Rien.Onestjustetrèsoccupées.(Commemamèresemblesurlepointd’enchaîneravecuneautre
question,jedécidedechangerdesujet.)Maman,quandvousserezàNewYork,tupourrasmeramenerunpotdecrèmehydratanteduspaoùtuvas?Cellequisentladragée?—Peut-êtrequelepèreNoëlt’enlaisseraunaupieddusapin,meconfie-t-elleavecunclind’œil.C’est comme ça que je me retrouve à organiser ma première vraie fête. Le jeudi, pendant le
déjeuner, je l’annonceà tout lemonde,etenvoyant laminecontrariéedeRennie, jem’en réjouisàl’avance.— Vendredi soir, uniquement les dernière année. Aucune exception : je ne veux pas voir de
troisièmeannéeouautre.Uniquementlespersonnesqu’onapprécie.Cequit’exclutd’office,Rennie.—Tamèretelaisseorganiserunefête?medemandeRennie,l’airsceptique.Jesuissurlepointderépliquersèchementquandjemerendscomptequecesontlespremiersmots
queRenniem’adressedepuisplusd’unmois.Jemeforceàdéglutiretexplique:—Mamèreneserapaslà.Nadianonplus.Renniefaitlamoue.—Etl’alcool,alors?Jepariequ’iln’yenaurapas.Cocalightetlimonadepourtoutlemonde,je
metrompe?Jel’ignoreettouchelebrasdeReeve.Reeve,tupeuxdemanderàundetesfrèresdemeramenerquelquesfûtsdebièrepourdemain?Jete
paieraiaprèslescours.Pas de problème, confirme-t-il en avalant cul sec sa brique de lait et en s’essuyant la bouche.
Tommymedoitbiença,parcequejel’aiaidéàdéménagerlasemainedernière.Tuveuxdestrucsplus
forts,aussi?Dusucrépourlesfilles,danslestylevodkapêcheouautre?Hum.Jen’aipasenviequeleschosesdégénèrent.MaiscommeRenniemeregarde,jeprécise:—Unebouteilledetequilaéventuellement,pourlesshooters.Àl’ensembledelatablée,j’annoncelacouleur:—Jeneveuxpasqueçatournemal.Vouspourrezm’aideràassurerleserviced’ordre?Mamère
metueraitsionmettaitlamaisonàsac.Reevemefaitdupiedsouslatable,sabasketcontremabottine.—Jeseraitonvideur,promet-ilenmeregardant.SeulslesVIPsontautorisésàlafêtedeprincesse
Lillia.Jesuistentéedejeteruncoupd’œilàRenniepourvoirsatronche,maisjen’enaipasbesoin.Je
saisqu’elleboutdel’intérieur.Aucundoutelà-dessus.Etpourjeterdel’huilesurlefeu,jedéclare:—Iln’yaurapasdethème.Lesthèmes,c’estcarrémentringard.—Ças’annoncebien,seréjouitAlex.Dis-moisijepeuxt’aider.Suffitdedemander.—Tupourraispeut-êtretechargerdespizzas?—Çamarche,accepte-t-ilenhochantlatête.
APRÈSL’ÉCOLE,REEVEm’aenvoyéunSMSpourmedemanderdel’aideràtrouveruncostumepourlafête deRennie. J’ai accepté, parce que j’espérais que ça revienne aux oreilles deRen.Nous nousretrouvonsàSecondTimeAround,unefriperieprochedechezReevedontsamèreluiaparlé.Devantunepsyché,Reeveessayeunevestecroiséeàfinesrayures.Euh,jecroisquec’estunevestedefemme,dis-jeenmetordantderire.Certainementpas,mecontreditReeveàvoixbasse.C’estunmodèlepourhomme.Elleestjusteun
peucintrée.Jemeglissederrièreluietmedressesurlapointedespiedspourregarderl’étiquette.AnnTaylor.
Enessayantdenepaspouffer,jeluiréponds:—Tuasraison,c’estunemarquepourhommes.Reevem’adresseunregardsuspicieuxetenlèvelaveste.Enlisantl’étiquette,ils’exclame:—AnnTaylor!C’estlàquemamèreachètesesfringues.(Ilmejettelavesteetjelarangesurle
portant.)Si jene trouveriend’autre,ça fera l’affaire.C’est l’hommequi fait lesvêtements,pas lesvêtementsquifontl’homme.Jesecouelatêted’unairmoqueur.—Tu as vraiment une assurance incroyable. (Je lui en fais voir de toutes les couleurs,mais en
vérité, je suis contente de retrouver le Reeve d’autrefois. Je lui tends une veste grise à carreauxboutonnéejusqu’enbas.)Tupourraisportercelle-ciavecunechemiseetunecravate.Illadéboutonneetl’enfilesursachemise.—Pasmal,commente-t-ilens’admirant.Ilestvraimenttrèsstylé.Trèsviril.J’attrapeunchapeaudefeutregrissurleprésentoiretlepose
sursatêteenl’inclinantlégèrement.—Maintenant,tuesparfait!TrèsBCBG,trèsGatsby.
Ses joues sont douces ; il s’est rasé ce matin. Et il sent bon. Il ne s’est pas aspergé d’eau deCologne,maissentlepropre,commeunsavonparfumé.—Cool,jeleprends,melanceReeve.Jevoisbienqu’ilestcontent.Ilseregardedanslemiroirunedernièrefois,puisôtesoncouvre-chef
etmelemetsurlatête.Ilbaisselesyeuxsurmoi,tiregentimentmatresse,etj’ail’impressionqu’ilvam’embrasser.MaisderrièreReeve, à l’autreboutdumagasin,deux fillesetungarçondu lycéechoisissentdes
vêtements sur les portants. Ils font partie du clubde théâtre et sont probablement à la recherchedecostumes. Jeneconnaispas leursnoms,mais jeparie qu’ils savent qui nous sommes.Et s’ils noussurprenaiententraindenousembrasser,cegenredepotinsferaitletourdubahutenunriendetemps.Soudain,j’ailatêtequitourne.Jem’éloignerapidementdeReeveetmedirigeverslacaisse.Ilme
suitetannonceàlacaissière:—Onvaprendrelefeutreetlaveste.Puis, il règlesesachatsetnousretournonsàsacamionnette.Lesoleilbrille,mais il fait froid.Je
serremonécharpeautourdemoncou.Alorsquejesuissur lepointdesautersur lesiègepassager,Reeves’éclaircitlagorgeetmedemande:—Çatediraitdeveniràlajournéeportesouverteschezmesparents?—C’estquoi,ces«portesouvertes»?Ilvadéménager,ouquoi?—Untrucquemesparentsorganisenttouslesansendécembre,expliqueReeve.Mamèreprépare
destonnesdebouffe,etdesgenspassenttoutelajournée.Principalementlafamilleetlesvoisins.Ilyauramesfrères,leurscopinesetmescousins.Engénéral,onregardelefootàlatéléetondécorelesapin,onaccrochelesguirlandesaugarage,riendespécial.Jem’humectenerveusementleslèvres.—C’estquand?—Cedimanche.Passequandtuveux.Çaduretoutelajournée.—O.K.JeconnaisReevedepuisdesannées,etjenemesouvienspasqu’ilaitdéjàparlédeportesouvertes.
Jen’arrivepasàcroirequ’ilm’invite.C’estcarrémentgentildesapart.Maisc’estaussitrèsconcret.Franchement, traîneravecsamère,sonpère,sesfrèreset leurscopines?C’est legenrede trucqueseuleslespetitesamiesfont.Cequiestunebonnechose,j’imagine.UnsouriresoulagésedessinesurlevisagedeReeve.—Vraiment?O.K.,cool.Passequandçatetente.Jeveuxdire,çacommencelematinetmamère
faitdesroulésàtomberparterre,alorstupourraisvenirversdixheuresavantquemesfrèresnelesmangenttous.—Cool.Ilal’airsiheureuxquejemedemandes’ilnevapasencoreessayerdem’embrasser.Reevem’ouvre la portière passager et je grimpe à l’intérieur,mon écharpe volant derrièremoi.
Avantdelarefermer,ilattrapeleboutdemonécharpepournepaslacoinceretl’enrouleautourde
moncou.Puis,ilretournedel’autrecôté,metlecontactetallumelechauffage.—Ilvavitefairechaud.Jehochelatêteetdoismerappelerenpermanencequetoutçan’arienderéel.Cettehistoiresera
bientôtterminée.Jenepeuxpasmelaisserdistrairedemonobjectifparcequej’aidessentimentspourlui.Jenepeuxpasavoirdesentimentspourlui.Ilfautquejemecontrôle.Reeves’arrêtedevantchezmoi,etavantquejedescende,ilmedit:—Tout est réglé pour les fûts. Je les récupère demain après le lycée. Je peux aussi prendre les
pizzas.Surprise,jetentedeledissuader:Oh,c’estgentil,maisAlexaproposédes’encharger.Jem’enoccupe,c’estsurmonchemin.O.K.,merci,alors.Jedonneraimonnumérodecartedecréditquandjepasseraicommandedemain.Reevemelanceunregardétrange.—J’ailesmoyensdepayerquelquespizzas,Cho.Génial,jel’aivexé.Alorsquejeréfléchisàcequejepourraisdirepourrattraperlecoup,ilajoute:—Jeviendraidemaindebonneheurepourt’aideràtoutinstaller,situveux.Jeleregardeducoindel’œil.Lesgensvonts’enrendrecompte,tusais.Reevehausselesépaules.Dequoi?—Franchement,Reeve.Sionveutquepersonnenesoitaucourant,ondevraitêtreplusdiscrets.Reevetendlamainetdégageunemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Onneréussirapasàsecacheréternellement.—Je sais,mais onnepeut pasnonplusmettre les autres devant le fait accompli commeça.Ça
risquedelesblesser.Par«lesautres»,j’entendsRennieetAlex.Ilsefrottelesyeux.—Jevaisjustefairecequemedictemoncœur.Silesautresontunproblèmeavecça…ilspeuvent
allersefairefoutre.J’acquiesce.Qu’est-cequ’onpeutfaired’autre?Alors,jefaiscequemedictelemiensurl’instant.
Jemepencheau-dessusdelaconsolecentraleetluicolleunebisesurlajoue.Jelefaissivitequejen’aipasl’occasiondevoirlatêtequ’ilfait,puisjesorsdelacamionnetted’unbondetcoursjusqu’àlaported’entrée.Essoufflée,lesjouesrouges,jegrimpel’escalieretfiledansmachambre.Alorsquejemebrosse
lescheveuxdevantmacoiffeuse,Nadiaentre,vêtued’undesgrandssweat-shirtsdeHarvarddenotrepèreetdeseschaussons.—Salut,toi!Jecroyaisquetudevaisalleraucentreéquestre.—Oui,plustard.(Elles’assoitsurmonlitetmeregarde,lesgenouxpliéscontrelapoitrine.)Tuas
l’airheureuse.—Ahoui?—Ouais.C’estpasReevequivientdetedéposer?demande-t-elled’untonlégèrementaccusateur.—Si.Aveclabande,onatraînéenvilleetilm’aramenéeàlamaisonparcequ’ilpassaitdevanten
allantchezAlex.Nadiasaitquejeluimens.Jelesaisaussi.Unsilencegênés’installe,puisellem’avoue:Jet’aivuel’embrasser.Surlajoue!Ellesecouelatêteetmedévisagecommeuneétrangère.—Pourtant, tudevrais savoirquecen’estpasbien.Peu importeceque tu fabriquesavec lui,ce
n’estpascorrect.—Etpourquoidonc?Mavoixestfaible,désespérée.JedétestequandNadiameregardecommeça,commesijel’avaisdéçue.—ParcequetusaiscequeRennieressentpourlui.C’estsonmec.—Non,c’estfaux.Ellecroitquesi,maisellesegoure.Leslarmesauxyeux,jedéclare:—Jenecomprendsmêmepaspourquoituladéfends,vulamanièredontellemetraite.Tun’asrien
remarqué?Çafaitpresquedeuxmoisqu’ellem’ignoreenpublicetqu’elleparledemoidansmondos.JesaisquetesamisettoiavezpréparédesdécorationsdeNoëletd’autrestrucspoursonréveillon.Çamefaitquoi,àtonavis?Tuescenséeêtredemoncôté,Nadi.Tuesmasœur,paslasienne.—Jeneteparlepasdecequ’ellefait,maisdecequetufaistoi.Nadiasemblesurlepointdefondreenlarmes,elleaussi.—Nadi…Jenesaispastropquoidirepourarrangerlasituation.Avantquejepuisseajouterquoiquecesoit,
masœurselèveetsortdemachambre.Jel’appelle,maisellenerevientpas.
XLVIIKAT
MMESVENDREDISSOIRSsontdemoinsenmoinspassionnantscesdernierstemps.Lillias’éclateàsafêteetjesuisassiseparterredanslesalon,àessayerdedémêlerunnœuddeguirlandesélectriques.C’estunjolipuzzlelumineux.PatetPapasontsortisacheterunsapinavecuncouponderéductionqu’ilsontdénichédanslejournal.Patétaittoutexcité.—J’enveuxunquisentevraimentlesapin,cen’estpaslecasdetous.J’aiposélesmainssursesépaulespourluirappelersamission:—Tudoisenramenerungrandetpascher.Jetrouvetoujoursbizarrededépenserdel’argentpourunsapindeNoël.QuandMamanétaitencore
envie,onsortaitàla«chasseausapin».C’estcommeçaqu’ellel’appelait,maisd’autrespersonnesparleraientprobablementde«chapardage».Aprèsledîner,unefoislesoleilcouché,onallaitsepromenertouslesquatredanslesboisderrière
la maison, chacun avec une lampe-torche. Dès qu’on trouvait un sapin à notre goût, Papa et Patattrapaient chacun l’extrémité d’une vieille scie àmain et passaient à l’action.AvecMaman, je lesencourageaisàvoixbasseentapantdansmesmainsgantéesetensirotantducidrechaud.C’estlaseulechoseillégalequemamèreaitjamaisfaite.Ontraînaitlesapinjusqu’àlamaisonet,
pendantcetemps,onlataquinaitàproposdeça.Patbaissaitlavoixetmurmurait«Judy,jecroisquej’entendsdessirènes!»etonéclataitderiretouslesdeux.MaisMamanrefusaitcatégoriquementdedépenser de l’argent pour un sapin alors que les bois en regorgeaient. Peu importe s’ils ne nousappartenaientpas.IlsétaientlapropriétéduComitédepréservation,quifaisaittoutsonpossiblepourempêcherledéveloppementdeJarIsland.Montéléphonevibresurlatablebasse.JetendslamainpourlesaisirettombesurunSMS.
Onpeutdiscuter?S’ilteplaît?Jefaislagrimace,commesijevenaisdemangeruntrucacide.C’estladeuxièmefoisqueRennie
fait un geste vers moi. D’abord, la marguerite dans mon casier, un acte d’une manipulationémotionnelle inouïe, et maintenant, ce message. Je n’ai jamais réagi après la marguerite. Je l’aitotalementignoréequandjel’aicroiséeàl’école.Etjen’aivraimentpasl’intentionde lui répondremaintenant.Jeveuxdire,quandmême…CommentRenniepeut-ellecroirequejevaispasserl’épongesurtoutça?Ilyaunmoisàpeine,ellemecherchaitdespouxauGreasySpoon.Je sais pourquoi elle le fait. Elle est brouillée avec Lillia. Elle n’a probablementmême pas été
invitéeàlafêtecesoir.Sitoutsepassaitbienentreelles,ellen’auraitjamaischerchéàserapprocherdemoi.Alorsfranchement,nonmerci,espècedesorcière.UnautreSMSarriveavantquejepuisseeffacerlepremier.Steupléééé!Pourquoiest-cequ’ellerefusedepiger?Ellecontinued’essayer,alorsquejel’aienvoyéepaître…
Etpourtant,çamemetmalàl’aise,cequiestcomplètementdébile.Jeneluidoisrien.C’estellelasalope,pasmoi.Ilvafalloirqu’ellecomprenneunefoispourtoutes.Jeluiréponds.Vatefairefoutre.Jemedisqueçayest,c’estbeletbienfini,cettefois-ci.Maisellem’envoieunnouveaumessage.Uncafé,auJavaJones,àvingt-deuxheures?J’enrestesurlecul.Cettefilleestsacrémentgonflée.Jamaisdelavie.Mêmepasenrêve!Mesdoigtstapentsifortsurl’écranquej’aipeurdecassermontéléphone.Laconnaissant,elleestcapabledemepréparerunegrandehumiliationcommedans leCarrie de
StephenKing,avecunseaude sangdecochonquivame tomber sur la tête lorsque je franchirai laporte.O.K.,pasdecafé.Jepeuxpassercheztoicinqminutes?C’estduRennie toutcraché.Ellevousharcèle tantqu’ellen’apascequ’elleveut.Ellefaisaitça
tout le tempsquandonétaitpetites.Unefois,Rennieavouluassisteràuneprojectionnocturned’unfilmd’horreurhypergoredéconseilléauxmoinsdedixans.Paigeaditnondansunpremier temps,maisRennieacontinuédeluidemanderjusqu’àcequ’ellecède.Jeluiréponds.Vacrever,SALOPE!!!Puis, je coince mon téléphone entre deux coussins, parce que j’en ai terminé avec elle. J’en ai
égalementterminéaveccefoutunœuddeguirlandes.C’estlafautedePat;c’estluiquilesfourredansun sac chaque année au lieu de les ranger proprement. Alors que je fouille dans les cartons à larecherchedel’étoiledusapin,jemeretrouveàdéballerl’angeenporcelaineblancheenveloppédansune feuille de journal. Avec lamanche demon pull noir, j’époussette le rebord de la fenêtre et ledépose là. Ilyaunemplacementà l’intérieurpourunepetitebougiechauffe-platdansunecoupellemétallique,maisnousnel’avonsjamaisutilisé.Jenotedansuncoindematêted’enacheterplustard.
Jenesaisplustropoùnousavonseucetange.J’ignores’ilétaitdéjàànousavantlamortdeMamanousionnousl’aoffertaprès,maisquandjelevois,ilmefaitpenseràJudy.Onsonneàlaporte.Shepdescenddesachaiseetaboieenseruantversl’entrée.Oh,non.Non,non,non,pasça.Jejetteuncoupd’œilàtraverslesrideauxetaperçoisuneJeepblanchedansmonallée.Putain,non!Lasonnetteretentitànouveau.Puis,onfrappeavecimpatience.Jem’arrêteàquelquespasdelaporteethurle:—Barre-toidechezmoi,Rennie!SiseulementShepavaitétéunchiendegarde,jel’auraislâchésurelle.—Allez,Kat,fautquejeteparle!Jem’adosseàlaporte.Ellecontinuedefrapper.Toutcelaestridicule.Rennieatrouvélemoyendemefairepasserpouruneidiote.Lafillequise
cacheàl’intérieurparcequ’elleapeurd’affrontersapersécutrice.JejuredevantDieuque…J’ouvrelaporteàlavolée.—Jet’accordeuneminute,balance.Renniemesourit timidement.Elleporteunpullvertolive,un jeannoiretdesbottesà frangesen
daimtotalementridicules.—Salut,annonce-t-elle,l’airderien.Je ne lui réponds pas et attends qu’elle commence. Sauf queRennie ne fait rien à partme fixer,
commesielleétaitfrappéed’amnésieetcherchaitàsesouvenirdemonidentité.—Crachelemorceau,qu’onenfinisse.Ellesemordlalèvreethochelatête.—Kat,dit-elleavantdeprendreuneprofondeinspiration.Jesuisdésolée.Elletendlesbrascommepourm’offrirquelquechose,puisleslaisseretomberlelongdesoncorps.Jenepeuxpasm’empêcherderire,etjevoismonsoufflemonterdansl’airfroid.—C’esttout?C’estpourçaquetuesvenue?Ellesoupire,presquecontrariée,commesijenecomprenaispasàquelpointc’estdurpourelle.Jesaisquemabanden’apasététendreavectoi.Lillia,Ashlin…Jet’arrêtetoutdesuite.(Jesecouelatête,biendécidéeàcoupercourtàsesconneries.)N’accuse
paslesautresdecequetum’asfaitsubircesquatredernièresannées.Jeneparlepas,jegrogne.Ellebatdescils,puisobservelesol.Je…Je…Allez,arrête.Jecommenceàfermerlaporteparcequetoutçaestd’unridicule…Rennieavanced’unpasetlabloqueaveclepied.
— Attends. D’accord, j’aimerais pouvoir revenir à notre première rentrée au lycée pour toutrecommenceràzéro.Siseulementjepouvaistouteffacer,Kat.Ehbien,tunepeuxpas.Ilestbientroptardpourça.Jesais,etçacraint.Jem’appuiecontrelaporte.—Tusaiscequicraint?Tontiming.Commeparhasard,tut’excusesmaintenant,alorsquec’estle
bordeldanstabandeetquetuteretrouvestouteseule.(J’aipresquehurlécesdernièresparoles.Ellecligne des yeux, plusieurs fois.)Tout lemonde est au courant à l’école,Ren.Toi et ta chère petiteLillia,vousêtesenfroid.JenesaispaspourquoijeluidisçaàproposdeLillia.J’aifaitlapaixavecelle;jeluiaipardonné.
Ons’entendbien,désormais.Maisondiraitquej’aiencoredelarageenmoi,quejeluienveuxdem’avoirlaisséetomber.—Tul’aschoisieplutôtquemoi,alorsjenevoispaspourquoij’enauraisquelquechoseàfoutre
qu’elleteplantemaintenant!(Jeris,etmonriresonnecreux,maisçam’estégal.)J’adore!Tonkarmat’arattrapée,mabelle!J’essayeànouveaudefermerlaporte.—Attends!S’ilteplaît,Kat.Écoute-moijusteuneseconde.Lilliaestunesalopequijouedouble
jeu,aupointqu’onpourraitlaprendrepouruneschizo!Jen’aijamaisvuuntrucpareilauparavant!Rennieal’airtellementconvaincue,tellementsûred’elle.Danssatêtedetarée,Lilliaestclairement
coupabledequelquechose.Jeladévisage,atterrée.—Tun’aspascompris,pauvreconne?Aucuneexcuseaumondenepourraréparerlebordelquetu
asfoutu.(Jesensquejem’échauffe,mêmesij’essayedegardermonsang-froid.)Touslesmensongesquetuasbalancéssurmoi.Touteslesvacheries,lesbrimades,jenelesaijamaisméritées.J’étaistonamie,jenet’aijamaisrienfait.Rennie commence à trembler.Les yeux rivés sur ses bottes immondes, elle serre ses bras autour
d’elle,envain.—O.K.,tuasraison.Deboutenbout.Jeméritetoutàfaitcequim’arrive.Jenelaréconfortepas,etaulieudecela,j’enfonceleclou:—Oh, jen’en suismêmepas sûre. J’espèreque tuvasavoir ceque tumérites. J’espèreque les
chosesvontencoreempirerpourtoi.Cesmotsmelaissentungoûtamerdanslabouche.Ilssontvraimenttrèsméchants.Peut-êtreunpeu
trop.Jemedisqu’ellevaleverlesyeuxetmecrierd’allermefairefoutre,maisnon.Ellelèvebienles
yeux,certes,maisilssontremplisdelarmes.Ellereculed’unpas.—Laisse-moitedireunedernièrechose,Kat.Jeveuxquetusachesquetoutemavie,j’auraihonte
denepasavoirétélàpourtoiquandtamèreétaitmalade.JenevoulaispasquetupartespourOberlinouailleursetqu’onsoitséparéespourtoujourssanstel’avoiravouéavant.J’aidumalàparler.Magorgeestserrée.
—Trèsbien,ilyadequoiavoirhonte.Monmentonsemetàtrembler.Rennielevoitetseslarmescoulentaussitôt.—Jesuistellementdésolée,répète-t-elle.Puis,ellefondensanglots.Elles’assoitsurunemarche,sepenche,poselatêtesursesgenouxetse
metàbrailler.Cettevisionmechoque.Puis,jemerendscomptequejeviensd’obtenircequej’aitoujoursdésiré.
Pasunevengeance,desexcuses.Desexcusessincères.Saufquejesuistroptristepourlesapprécier.Leschosesn’auraientpasdûsepassercommeça.Jem’assoiségalement,unemarcheau-dessusd’elle,etregardesesépaulesse leverets’abaisser.
C’estdurdenepaslaconsoler.Jefinisparluicaresserledos.Deuxfois.Aprèstout,jesuishumaine.PapaetPatarriventavecunsapinsanglésurletoitdelavoiture.Ilsnousvoient,etPatestébahi.Je
hochelatêtepourluisignifierquetoutvabien.Iltiremonpèreverslegarage.Rennielèvelementon.—Jeveuxtepromettreuntruc.Jetejurequejeneteferaiplusjamaisdemal,Kat.Plusjamais.(Ma
gorgeest sèche, alors j’acquiescepour luimontrerque je l’ai entendue.) Jevoudrais aussi t’inviterpourlaSaint-Sylvestre.Jem’apprêteàrefuserpolimentsoninvitation,maisjecomprendsd’unseulcoup.Enétantprésente
àlafête,jeseraiauxpremièreslogespourassisteràlaruptureentreLilliaetReeve.—Jepeuxamenerquelqu’un?(JepenseàMary.)Sijen’airiendemieuxàfaire?Rennierit.—C’estduKattoutcraché,ça.Évidemment.Viensavecquituveux.(Elleselèveets’étire.)Ily
auraunvideur,commedans lesbarsclandestins.Si tu luidis«Maflasqueestvide», il te laisseraentrergratuitement.(Ellem’adresseunsouriresournois.)J’aimêmeconcoctéunepetitesurprisepourminuitetjeveuxquetuprofitesduspectacle.Boum,boum,bébé!Jenepeuxpasm’empêcherdeleverlesyeuxauciel,parcequefranchement,ellen’apaschangé.D’untonbourru,jeluiconfie:—Écoute…mercid’êtrepassée,etdem’avoirconfiétoutça.Ellesourit.—C’étaitlamoindredeschoses.(EllegratteShepderrièrelesoreilles,puisl’embrassesurlatête).
Aurevoir,Kat.—Aurevoir,Ren.Bizarrement,çaneressemblepasàunaurevoir.Ondiraitplutôtunnouveaudépart,mêmetimide.
XLVIIILILLIA
ÀMON RETOUR DE l’école, j’ai fermé à clé le bar et la porte de la cave. Puis, avec mon stylo decalligraphie,j’aidessinéunpanneau«Interditd’entrer»etjel’aicollésurlaportedelachambredemesparents.J’aihésitéàenmettreunàl’entréepourdemanderauxinvitésd’enleverleurschaussures,maisjemesuisditqueçaferaittrop.Sijevoisdesgensposerlespiedssurlescanapésblancs,jeleurdemanderaipolimentdelesretirer.Jeporte lecorsetendentellenoirequeKatm’aacheté. Jen’ai jamaiseu lecouragede lemettre
jusqu’ici,maisjepensequ’entantqu’hôtesse,jemedoisd’avoirunlookquisortdulot.Jel’aiassortid’unemini-jupeplisséegriseetdemonpendentifenorenformedeferàcheval.Jemesuisfrisélescheveuxet j’aicrêpé ledessuspourdonnerduvolume.Pour ladernière touche, j’ajoutedu rougeàlèvresrosepâleetunsoupçondeparfum.LacamionnettedeReeves’arrêtedansl’alléeetjeleregarderemonteravecquatrecartonsdepizza
empilés.Jemeprécipiteverslaported’entréeetl’ouvreavantquelasonnetteneretentisse.Iltombedesnuesenmevoyant.—Lavache,Cho!C’est exactement la réaction que j’attendais,maismes joues s’enflamment tout demême. Tandis
qu’ilfranchitleseuil,jeluiglisse:—Mercid’êtrepasséchercherlespizzas.Ilme tend lescartons, retireseschaussureset lesalignecontre lemur. Ilportedessocquettesde
sportblanchesavecunorteilgris,lesmêmesquemonpère,cequimefaitsourire.Je sens son regard surmoi quand je le conduis à la cuisine.En posant les pizzas sur le plan de
travail,jeluilance:Merciencore.
Histoired’avoirquelquechoseàdire.Pasdeproblème.Tuasapportélesfûts?Ouais,ilssontàl’arrièredemacamionnette.Jevaist’aideràlesramener.Reeveéclatederire.Ilssonttroplourdspourtoietmoi.JedemanderaiàPJdemefileruncoupdemaintoutàl’heure.Enm’observantfurtivement,ilajoute:—Avecunejupeaussicourte,tunepeuxpasm’aider,detoutemanière.Jefaislamoue.—Ellen’estpassicourtequeça.Ilmesourit,puisposelesmainssurmeshanchesetm’attirecontrelui,toutdoucement.Sesyeuxsont
rivéssurmoi;ilmedévisageattentivement,melaissantunechancedel’arrêtersijelesouhaite.Maisjenelefaispas.Jen’enaipasenvie.Enfin,si.J’aienviedelui.Puis,ilm’embrasse.Saboucheestdouceetassuréecontrelamienne.Ilembrassemerveilleusement
bien.
JENEME souvienspasd’avoir invitéautantdemonde.J’avaispourtantditque jenevoulaisquedesdernièreannée,alorspourquoij’aperçoislescheerleadersdetroisièmeannée?Cettefêten’estpassiprivéequeça,finalement.Enplus,jouerleshôtessesestprobablementlachoselamoinsdrôlequisoit.Jepassemontempsàessuyerlecontenudesverresrenversésetàbaisserlamusique.Jen’aipasbuuneseulegorgéed’alcool!Heureusement,Reeveestlà.Deboutprèsdelaporte,ilbeugleauxgensderetirerleurschaussures.—Morrissey,t’asgrandidansuneétable,ouquoi?grogne-t-il.Ilmefaitunclind’œilquandilserendcomptequejeleregarde.Alorsquejefaisletourdurez-de-chaussée,jel’aperçois.Rennie.Jen’encroispasmesyeux.Elle
est là, en traindeboireunebière, affalée surmoncanapéavecsesbottesà talons, etpourtant, elleconnaîtlarèglemieuxquepersonne.EllediscuteavecAsh,quiestperchéesurl’accoudoir.Jenesaispastropquoifaire.Sij’essayedelamettredehors,ellevamefaireunescène,etc’est
exactement ce qu’elle cherche. Elle veut qu’on se batte devant tout le monde. Je fais donc tout lecontraire;jeprendsunboldechipsdanslacuisine,m’approcheducanapéavecungrandsourireetmelaissetomberàcôtéd’elles.—Salutlesfilles!Renniem’adresseunpetitsourireforcé.Ashsepencheetmeprenddanssesbras.Lil,c’estlebordel,selamente-t-elle.Qu’est-cequ’ilya?—Hiersoir,Derekm’aditqu’iln’étaitpasprêtàs’engagerdansunerelationsérieusependantsa
dernièreannéedelycée.Ashlinsemouchedansuneservietteenpapier.—Oh,çanem’étonnepasdeDerek.—Ash,c’estlameilleurechosequipuisset’arriver,luicertifieRennieensirotantsabière.Derek
nevautrienentantquepetitcopain.JepousseleboldechipsversAshlin.Elleenenfourneunepleinepoignéeetcontinue:—Oui,maistuesencoupleavecReeve,etLiletAlexvontsûrementsemettreensemble.Ilmereste
qui,danscecas?PJ?Elleprenduneminedégoûtée.Jemegardedeluidirecequej’enpense,àsavoirEuh,excuse-moi,
maisReeve etRennie ne sont pas en couple, parce queReeve sort avecmoi. J’attends de voir siRennievacorrigerAshlin,maisellecontinuedeboiresabièreetsecontentedelarassurer:—Oh,maisPJestsupermignon.Net’inquiètepas,Ash.Tufiniraspartrouverlemecidéal,comme
moi.Jemelève,parcequejen’enpeuxplusdel’entendredébitersesconneries.—Ash,jereviensdansuneminute.Jevaisvérifierqu’iln’yapersonneenhaut.Rennielèvelesyeuxauciel.—Personnenevas’amusersitupassestontempsàinspecterpartoutcommeungardiendeprison.
Ehoh,c’estcenséêtreunefête,détends-toiunpeu!Alors que jem’apprête à répliquer, Reeve entre en courant dans le salon. Il soulève Rennie du
canapéetlajettesursonépaulecommesielleétaitaussilégèrequ’uneplume,cequiestlecas.—Repose-moi,Reeve!hurle-t-elleenbattantdespieds.—Pasdechaussuresdanslamaison,Ren!l’avertit-ilenluiretirantsesbottes.Puis,illabalancesurlecanapé.Songobeletdebièreserenverseetéclaboussepartout,jusquesur
monbras.—Génial,merci,vousdeux,dis-jeenépongeantlesolavecdesserviettesenpapier.Reeves’accroupitetcommenceàm’aider.—Désolé,Cho.—Détends-toi, Lil, répète Rennie, le visage encore rouge d’être restée tête en bas. C’est de la
bière!Onenrenversetoujourspendantlesfêtes.—Rennie,jetejure,situmedisencoredemedétendre…Etjelepensevraiment.Jeneplaisantepas.Rennieplisse lesyeuxetnousnousdéfionsduregard.Reeveessayedepasser lesbrasautourde
nous,maisjemedégaged’uncoupd’épaule.C’estlàqu’Alexentreavecuneassietteencartondansunemainetunebièredansl’autre.Jeluilance:—Salut!Jenet’aipasvudetoutelasoirée.Alexavaleunebouchéedepizza.—J’étaislà,pourtant.(Ilprendunegorgéedebière.)Aufait,jesuispasséàlapizzeriaetilsm’ont
ditquequelqu’unavaitdéjàrécupérétacommande.Jemecouvrelabouchedelamain.—Oh,mince!Jesuisdésolée!J’aicomplètementoubliédet’avertir.Alexengloutitlerestedesapizza.Pasdesouci.Jesuisvraimentdésolée,Skud!Rennielèvelesyeuxauciel.—Ouais,désolé,Skud,ajouteReeved’unevoixtraînante.Jem’ensuischargé.AlexposelesyeuxsurReeve,quiesttoujoursàcôtédemoi.Jepréciserapidement:—Ildevaitpasserchercher lesfûts,etc’étaitsursaroute,alors jemesuisditqueçaseraitplus
facile.—Pasdesouci,répèteAlexenposantsonassiettesurlatablebasse.Puis,iltiresonportefeuilledesapochearrièreetmonestomacsenoue.Ilensortquelquesbillets
devingtdollarsetlestendàReeve:Tiens,c’estpourtoi.Enquelhonneur?luidemandeReeve.Alexs’approched’unpas,lesbilletsàlamain.J’avaisditàLilquejevoulaismechargerdespizzas.—J’avaisditàLilquejevoulaismechargerdespizzas,l’imiteReeved’unepetitevoixgeignarde.
Troptard,mongrand.Jem’ensuisoccupé.Alexvireaurouge.Jem’apprêteàluidiredelaissertomber,maisavantquejepuisselefaire, il
jettel’argentsurlatablebasse.Gardelamonnaie.Jesuispastonlivreur,connard,lerabroueReeve.Alexritsèchement.Quisait?Dansquelquesannées,tuleseraspeut-être.Jemecachederrièremesmains. Jen’arrivepasàcroirequ’Alexaitdit ça. Jene l’ai jamaisvu
parleràReevedecettemanièrejusqu’ici.Surlecanapé,RenniesembleprêteàsejetersurAlex.Reevealepoingserrélelongducorps;ilestàdeuxdoigtsd’aplatirAlex.Ilfautquej’intervienne,
etvite.Lecœurbattantàcentàl’heure,jeramasselesbilletsetlestendsàAlex.D’unevoixdouce,maisferme,jeluidis:—Merci,Skud,maisReeveadéjàpayé.Puis,jemelaissetombercontreReeveetglisselamaindanslasienne.C’estunpetitgestedepresquerien,discretetsubtil.Maisilfautmoinsd’unesecondepourqu’Alex
comprenne et reste bouche bée. Je tourne la tête et regardeRennie sur le canapé. Sa bouche est sigrandeouvertequejepeuxvoirsesmolaires.Tousmesmusclessonttendus,maisjenebougepas.
Ilsobserventtouslascène.Nous,ensemble.Soudain,Reevebaisselesyeuxsurmoi,stupéfait.Ilal’aircarrémentfurieux.Ilretiresamaindela
mienne et lance « Qu’est-ce que tu fais, Cho ? », comme si j’avais perdu la tête, comme si cetteconversation dans sa camionnette n’avait jamais eu lieu, comme si nous ne nous étions jamaisembrassés.Puis,engloussant,ils’écartedemoi,ramassel’assietted’Alexetdisparaîtdanslacuisine.Ilmelaisseplantéelàdevanttoutlemonde,estomaquée.Maisqu’est-cequ’illuiapris?Jenepeuxpassupporter le regarddeRennieoudequiquecesoit. Je tourne les talonsetmonte
rapidementàl’étage.C’étaitquoi,cediscourssurlanécessitédefairecequeluidictaitsoncœur,dedireauxautresd’allersefairefoutres’ilsn’étaientpascontents?Alorsquec’estmoiqui luiavaissuggéréderesterdiscrets!Jefiledirectementdansmachambre,fermelaporteetmelaissetomberdevantmacoiffeuse.Mes
cheveux ne ressemblent à rien ; ils sont tout plats, mais pas dans le style lisse et brillant. C’estsûrementparcequejeviensdepasserdeuxheuresàcourirdanstouslessenspournettoyerlebordeldesautres.Jelesbrossesansménagements,puismeremetsdurougeàlèvres,parcequ’ilaquasimentdisparu.Jepeuxsentirlamusiquevibreràtraverslesmurs,etj’aijusteenviedem’allongersurmonlit.Jemedemandeàquelleheurejevaispouvoirjetertoutlemondedehorssansperdrelaface.Jesuissûrequ’ils’estcomportécommeçaparcequ’ilétaitembarrassé.Àcausedecequ’Alexluia
ditsursonfuturstatutdelivreur.Peut-êtrequej’aimalréagi.J’auraismieuxfaitdem’éloigner,delelaisserjouerlesbravachesetd’attendreunmeilleurmoment.MonDieu,oncroiraitentendreMary.Ensoupirant,jeredescendsaurez-de-chausséepourm’assurerquetoutvabien.Depuislesalon,je
perçois le rugissement d’une voiture qui recule dans l’allée. Je jette un coup d’œil à travers lesrideaux.C’estle4x4d’Alex.Génial.Franchementgénial.Je repère une trace de verre sur la table basse et essaye de la nettoyer. Je vais dans la cuisine
chercherdel’essuie-tout,etc’estlàquejetrouveRennieassiseparterre,adosséeàlaportedufour.Reeveestpenchéau-dessusd’elle.—Reevie…Jecroisque jesuisbourrée. (Elledodelinede la têteetsescheveux luicouvrent le
visage.)Tupourraismerameneràlamaison?Jelaregardeattentivement.Elleabu,quoi,deuxbières?Jel’aidéjàvues’enfilerunpackdesixen
moinsd’uneheuresansflancher.Jeluilance:—Tiensdonc,jen’avaispasremarquéquetuavaisautantpicolé.LesyeuxdeRennieseposentsoudainsurmoi.Peut-êtrequequelqu’unaverséuntrucdansmonverre.Jereculed’unpas.Reeveselève.Rennie,tuenasbucombien?—J’ensaisrien…(Ellegémit,reprenantsonsketchdefillesaoule).J’aiarrêtédecompteraubout
d’unmoment. (Elleen faitdes tonnes.Elleest arrivée ilyaunedemi-heurepeut-être, et ilyaune
minute encore, elle allait parfaitement bien.) Je vais rentrer chezmoi en voiture. Je ne veux pas tedéranger.—Mêmepasenrêve.Jenetelaisseraipasconduiredanscetétat,laréprimande-t-ilensecouantla
tête.Ill’aideàseremettresurpieds,puislasoulève.Renniepasselesbrasautourdesoncou.—T’eslemeilleur,Reevie,soupire-t-elleenfermantlesyeuxetensecollantàlui.—Vacherchertaveste.Jeteretrouveprèsdelaported’entrée.—O.K.,maisdépêche-tooooiiii!brailleRennieentitubant.UnefoisRenniesortie,Reevem’annonce:Jevaisladéposer.Jeluiadresseunregardfurieuxetcroiselesbras.Jenesaismêmepascequ’elleficheici,pourcommencer!Reeveseredresseetrétorque:—Elleestici,parcequ’onl’esttous,Lil.Toussesamissontprésents.Qu’est-cequ’elleauraitdû
faire?Restertouteseulechezelle?J’enrage intérieurement. Combien de fois Rennie s’est-elle débrouillée pour que ça soitmoi qui
resteseule!—Tupourraiséviterdeladéfendredevantmoi?—Jesaisqu’elleestvacheparfois,maiselleauncœurenor. (Reevesepasse lamaindans les
cheveux,puisjetteuncoupd’œilverslaported’entrée.)Écoute,jeladéposeetjereviens.Jeserrelesdents.—Laissetomber.Jevaisbientôtdemanderàtoutlemondederentrer,detoutemanière.(Jerejette
mescheveuxderrièremonépaule.)Pourtagouverne,Alexestparti.Reevericane.Tantmieux!Salefilsdebourge.Reeve!Jelefixeaveccolère.Prèsdelaported’entrée,j’entendsRennieappelerReeve.—Reevie!Jesuisprête!Ilregardeenarrière.—Écoute,jem’occupedeça,etjerevienst’aiderànettoyer.Jepeuxlefairetouteseule.Exaspéré,ilsoupire.Tuesencolèrecontremoi?Froidement,jeréplique:Etpourquoijedevraisêtreencolère?Reevemeprendlamainetmesupplie:—Jetejurequejerevienstoutdesuite.Laisse-moivingtminutes.
J’aienviedeluidiredenepasrevenircesoir,maisjen’yarrivepas.Parcequejeveuxvraimentqu’ilrevienne.Jesaisquejenedevraispas,maisc’estcommeça.Jen’ypeuxrien.—O.K.,situveux,luidis-jeenlissantlesplisdemajupe.Aprèsavoirvérifiépar-dessussesdeuxépaulesquepersonnenel’observe,Reevemeplanteungros
baisersurlefront.Puis,ilsortsesclésdesapoche,medemandedeluigarderunepartdepizzaets’enva.
LORSQUETOUTLEmondepartuneheureplustard,Ashmeproposederesterpourfaireleménage,maisjerefuse.Jelapoussedehors,puisfileàl’étagepourenfilermonjolipyjama,uncaracoroseavecdeslapinsetunshortassorti.J’ail’estomacnouéenmepassantdelalotionetendéposantuneminusculegouttedeparfumaucreuxdemoncou.Jem’attachelescheveux,puislesrelâche.Jenemesuisjamaisretrouvéeseulechezmoiavecungarçonjusqu’ici.Ilpourraitarrivern’importe
quoi.Jeneveuxpasallertroploin;jemecontenteraidel’embrasser.O.K.,j’enaiunpeuenvie,maisen
mêmetemps,jem’yrefuse.Jenesuispasprête.Enplus,jeluienveuxencore,etjecomptebienluidiresesquatrevérités.J’imaginequ’onvaresterenbassurlecanapé,etilfaudraqu’ils’encontente.En l’attendant, je nettoie le salon, jette les gobelets en plastique, essuie les tables et tapote les
coussinsducanapé.CommeReevemet une éternité à revenir, je sorsmême l’aspirateur.Uneheurepasseetlacuisineestpropre,elleaussi.Lamaisonapresqueretrouvésonapparencenormale.Jeposedeuxpartsdepizzasurunebelleassiette,pasuneencarton,etlarecouvred’unfilmplastiqueafindelaréchaufferquandReeveseralà.C’estlàquejereçoisunSMS.JesuiscoincéchezRennie,jenevaispaspouvoirvenircesoir.Jelelisdeuxfoispourm’assurerdebiencomprendre.Ilmelaisseenplan.Pourelle.
***RENNIE ET MOI, on n’a jamais été attirées par les mêmes garçons. Elle a eu toute une série deprétendants,desmecs sibruyantset si effrontésqu’onne savait jamais s’ils semoquaientd’elle ous’ils étaient sérieux.Elle aimait ceuxqui la faisaient douter, parce qu’elle était toujours hyper sûred’elle.Encequimeconcerne, leseulgarçondeJarIslanddont jemesois jamaisentichée,c’estPatrick
DeBrassio.Etencore, c’était legenredebéguinqu’onpeut avoir pour legrand frèred’une copine,quandonestsûrqu’ilnesepasserajamaisrien.Pourlui,j’étaisl’amiedesapetitesœur,unbébé.Bref,Rennieetmoin’avonsjamaisflashésurlemêmegarçon,saufunefoisoùçan’étaitpaspassé
loin. C’était l’été de nos quatorze ans. À cette époque, Rennie, Kat et moi étions encore amies.Toutefois,cejour-là,j’étaisseuleavecRennie.Ilyavaitunnouveauserveurchezlemarchanddeglaces,unsaisonnier,quisemblaitaussijeuneque
nous.Ilnepouvaitpasavoirplusdequinzeans.Ilavaitlescheveuxblondfoncéetunepetitebouche;ilétaitfiliforme,maisonpouvaitdevinerqu’ilseraitgrandetfortunjour.Jel’avaisdéjàvuàdeuxreprises, et à chaque fois, j’avais fait passerNadia devantmoi afin que ce soit lui qui prennemacommande.J’aimaissesfossettes,etl’habiletéaveclaquelleilmaniaitsacuillèreàglace.Toutesles
boulesqu’ilfaisaitétaientparfaites.Cetaprès-midi-là,ellem’aprisedecourt.Alorsquej’hésitaisentreuneglacefraise-basilicetun
sorbetàlamyrtilletoutenessayantdetrouverlecouragededemanderauserveursijepouvaisgoûterunpeudesdeuxpourmedécider,Rennies’estpenchéeau-dessusducongélateuretluiademandé:—T’asquelâge?Rennieavaitbeaucoupjouéàçapendantl’été:parleràdesgarçonsquenousneconnaissionspas,
qui étaient envacances sur l’île pour la semaine, lemois ou la saison tout au plus.Kat s’ymettaitparfoiselleaussi,maisjemesentaistoujoursintimidée.Ilalevélatêtetoutenessuyantlecomptoir.—Pourquoi?—Parcequ’ilfautavoirseizeanspourtravaillerici,etquetun’aspasl’airdelesavoir.Elle l’a dit sur un ton désagréable,mais avec des yeux de biche.C’était samarque de fabrique.
Rennieétaitsisûred’ellequ’ilavaiteuenviedeluiparleretqu’ilavaitétéintriguéparsoncranetsonattitude.Tumedonnesquelâge?Quinzeans,grandmax.Alors,t’asquelâge?—Quinzeans,a-t-ilconcédé.J’aieulejobparmononclequiestlepropriétaire.Jesuisicipourle
restedel’été.Ettoi,t’asquelâge?—Quatorze,aréponduRennie.Ilafinalementposélesyeuxsurmoi.Jefixaislavitreducongélateur,lesbrasserrésautourdemoi,
etjefaisaisminedenepasentendre.—Jet’aidéjàvueici.Tuasprisdelamyrtilleladernièrefois,c’estça?Avecdesvermicelles?J’aihochélatête.Surlecheminduretour,j’aiditàRennie:—J’arrivepasàcroirequ’ilsesoitsouvenudemoi.—Biensûrqu’ilsesouvientdetoi.Iln’yapasd’autreasiatsurl’île.Jel’airegardéepourvoirsielleplaisantait,maiselleétaitdéjàpasséeàautrechose.Certes,ily
avaittrèspeudefamillesasiatiquesàJarIsland.Maisellenel’avaitjamaisévoquéauparavant.Cettedifférenceentreelleetmoi.Elleestsortieavecluiplustarddanslasemaine,unjouroùj’étaisaucentreéquestre.Ellefaisaitla
tronche,parcequejeluiavaisditquejenepouvaispasalleràlaplageavecelleàcausedemoncoursd’équitation. Je ne me souviens pas du nom de ce garçon. Je ne pouvais même pas en vouloir àRennie:Qu’est-cequej’auraisbienpufaireaveclui?Cen’estpascommesij’avaiseul’intentiondetraîner avec lui sur les quais, comme Rennie le faisait. Je n’étais pas autorisée à sortir avec desgarçons.Laseulechosedont jemesouviens,c’est lasensationquej’aiéprouvéelorsqu’ellea insinuéque
l’uniqueraisonpourlaquelleils’étaitsouvenudemoi,c’étaitparcequej’étaisasiatique.Commes’iln’yavaitriend’autred’intéressantoudespécialàserappeleràmonpropos.L’idéem’avaitobsédéependantunbonmoment.
XLXIKAT
LIL AVAIT BIEN évoqué la possibilité de traîner ensemble ce week-end, mais j’ai tout de même étésurprisequandellem’aenvoyéunSMSpourmedemandersijevoulaisdormirchezelleavecMary.C’étaitcomplètementinédit.Jeluiairépondu.Biensûr,pourquoipas.Etjesuisalléesortirmonsacdecouchage.Jecroisqueladernièrefoisoùj’aiassistéàunesoirée
pyjama,j’étaisencoreamieavecRennie.Patnepouvaitpasmedéposer.Notrevoiturefaisaitdessiennes,unefoisdeplus.Ilyavaitquelques
garçonsdansnotregarage,etlaplupartétaiententraindepicoler.MaispasRicky.—O.K.,jevaismarcher,danscecas.Alorsquej’aidescendulamoitiédel’allée,Rickymerattrape.Jem’apprêtaisàfiler,alorsjetedéposesituveux.Jesoutienssonregard.Euhnon,merci,sansfaçon.Jen’aipasbesoindesacharité.Kat,attends.Quoi,Ricky?Montonestvolontairementblasé,désintéressé.—Tum’ignores,remarque-t-il.Pourquoi?Parcequej’airefusédet’embrasser?Lavache.Iln’yvapasparquatrechemins.Danscecas,jevaisenfaireautant.—Qu’est-cequi te faitdireque j’avais enviede t’embrasser ?Neprendspas tesdésirspour la
réalité.
Rickyéclatederire.—Euh,tum’ascolléaumurettuétaisàdeuxdoigtsdemedévorertoutcru.—Jericane.Ilseprendpourqui,cecon?—Danstesrêves.—Écoute,tuveuxquejejouefranc-jeuavectoi?Jem’arrêteetmeretourne.—Vas-y,jet’écoute.—Jet’aimebeaucoup,etdepuislongtemps.—Danscecas,c’estquoi,tonproblème?Rickyfaitdemi-tourfaceaugarage.—C’estPat,çateva?J’aiessayédefaireleschosescommeilfaut,deluiavouercequejeressens
pourtoi,maisilm’aconseillédegardermesdistances.—Çanedevraitpasplutôtêtreàmoideprendrecegenrededécisions?—Iln’apasditçapourfairesonsalaud,maistusais,tuessaiesdet’inscrireàcettefacchic,etje
croisqu’ilneveutpasquetutelaissesdistrairedetonobjectif.Enplus,c’estmonpote.S’ilmeposedes limites, jenevaispas lesfranchir. (Il secoue la tête.)D’ailleurs,onresteraitcombiende tempsensemble?Quelquesmois,grandmaximum?Etaprès, tupartirais?Jeneveuxpas…tuvoisbien,m’attacherencoreplusàtoiquemaintenant.O.K.,franchement,c’estgentildelapartdePat.Maismerde,pourquoiest-cequ’ilsemêledemes
affaires? Iln’estmêmepas foutude ramasser sonbordeldans lamaison,mais il se sentobligédedécideravecquijepeuxsortiroupas?D’unecertainemanière,c’estunmalpourunbien,parcequemêmesij’aimebienRicky,jenesuis
certainementpasamoureusedelui.Pasdelamanièredontill’entend.Jeluicolleunebisesurlajoue.—Onresteamis?Ilal’airmorose,maismefaittoutdemêmeunpetitsourire.—Ouais,onresteamis.
QUANDRICKYMEdépose,Marym’attendsurlesmarches.Jeluilance:—Salut!Pourquoituesdehors?—Salut !me répond-elleenhaussantunsourcil. JecroisqueLiln’estpaschezelle. J’ai frappé
pendantdesplombes,maisellenem’apasouvert.—Oh.Je sonne, et quelques secondes plus tard, Lil ouvre la porte à la volée et m’adresse un sourire
fatigué.—Salut,lesfilles.Elleporteungrandsweat-shirtdeHarvard,un leggingetdeschaussettesépaisses.Ellen’estpas
maquilléeets’estenrouléuneservietteautourdelatête.Elledevaitêtresousladouche.Nousentrons,etilmefautuntempsfoupourdélacermesrangers.Çamesaoulededevoirenfileret
ôtermespompesenpermanence.Dansmafamille,onmeurtdanssonlitavecseschaussuresauxpieds.Lorsquej’arriveenfinàlesretirer,Lillianousconduitàlacuisine.Jem’installesurl’îlotcentralen
marbreetMarys’assoitàlatable.—Alors,ças’estpassécomment,hiersoir?demandeMary.Lilliatiresurlesmanchesdesonsweatpourrentrerlesmainsàl’intérieur.—C’était pas génial. Les filles, aucune chance que je tienne jusqu’à la Saint-Sylvestre. Je… je
croisbienquec’estfinientrenous.Jelèvelesyeuxauciel.Çafaitaumoinsdixfoisquetudisça,Lil!Lilliasecouelatêteavecdéfi.Cettefois-ci,c’estdifférent.JepensequeReeves’estfoutudemoidèsledébut.Marycroiselesbras.—Biensûrquenon.Ilt’aime,Lil.Jel’aivudemespropresyeux.—Mary,iljoueavecmoicommeill’afaitavectoi!Ettuavaisraisondet’inquiéterenlevoyantau
cinéavecRennie.(Elletiresurlespointesdesescheveux.)MonDieu,cequej’aipuêtrebête.—Bon,bon,dis-je.Qu’est-cequis’estpassé?Iln’estpasvenuàtafête?Si,si,ilestvenu.Ettoutsepassaitbienjusqu’à…Jusqu’àquoi?Marysepencheenavant,tenduecommeunélastique.Lilliarougit.— Écoute, on a eu cette conversation, l’autre jour, sur le fait de semontrer en public, de faire
comprendreànosamisqu’onestensemble.C’estluiquimepoussaitàlefaire!(Ellesemordlalèvreinférieure.)Alors,quandl’occasions’estprésentéehiersoir,jel’aisaisie.Devanttoutlemonde.Alex,Rennie…ettouslesautres.Wouah.JedoissaluerlecouragedeLil.Elleavraimentjouélejeu.Cettefilleaosésauterlepas.—Saufquelà,ilm’arepoussée,poursuit-elle.Ilm’aplantéedevanttoutlemonde!(Lilliasetourne
versMary, les yeux écarquillés.) Toute la nuit, j’ai pensé à toi,Mary. Et à ce jour sur le ferry.Àl’humiliationquetuavaisressentie.Ellesecouelatête,incapabledepoursuivre.—Etilafaitexactementlamêmechoseavectoi,dis-je.—Carrément. (Lillia semord à nouveau la lèvre.) Ensuite, histoire dem’enfoncer encore plus,
Rennieaprétenduquequelqu’unavaitverséun trucdanssonverre,afinqueReeve la raccompagnechezelle.Iladitqu’ilallaitrevenir,maisilnes’estjamaisrepointé.Ça,çaressemblevraimentàunsalecoupdeRennie.Soudain, jemedemandesiLilliavatrouver
bizarrequeRenniesoitpasséechezmoihierpours’excuser.Jesuissurlepointdetoutluiraconteràmasauce,enfaisantl’impassesurleslarmes,quandMarylance:—Rennieestunesorcière.
Lillian’encroitpassesoreilles.—JemefouspasmaldeRennie.Reeveestunmanipulateurdepremière.Iln’aquedesmensongesà
labouche.(Elleavalesasalive.)Évidemment, j’aimenti,moiaussi,maissi toutcelaavaitétébienréel, j’aurais pu en souffrir. (Puis, elle laisse échapper un long soupir.) Dire que l’autre jour, j’aiessayédeprendresadéfensefaceàvousdanslestoilettes.Ilm’acarrémentmenéeenbateau!—C’estlecoupdel’arroseurarrosé,dis-jeenacquiesçant.Putain…LilliaseretourneversMary:—Jesuisdésoléed’avoiréchoué.J’aiessayé,vraiment.Mêmesic’estétrange,onjureraitqueMaryal’airsoulagée.—Lillia,nedispasça,protesteMary.Jetesuisreconnaissantedetoutcequetuasfait.Çan’apas
dûêtrefacilepourtoidefairesemblantaussilongtemps.Lilliabatdespaupières.—Peuimporte,çanem’ariencoûté.Puis,elledescendlerestedesonverre.Marytiresuruneboucledesescheveux.J’ycroispas.Toutsepassaitsibien!Lebaisersurleparking…Jesais,lacoupeLillia.Ilm’amêmeinvitéeauxportesouverteschezluidemain.Attends, Reeve t’a invitée à sa journée portes ouvertes ? (C’est la première fois qu’elle le
mentionne.)J’yallais,dansletemps.—Ouais,ehbien,jenecomptepasyaller.Enposantlescoudessurleplandetravail,Lilliademande:—C’estquoi,unejournéeportesouvertes,d’ailleurs?—Lesgensduquartierpassentcheztoietrestent toutela journée.(Jemerongelesongles.)Mon
pèreetmamèrem’yontemmenéequelquefois.Onregardeunmatchdefoot,ondécore lesapin,onbouffe…Puis,jelèvelesyeuxetannonce:—Bon, si Reeve t’invite à ce truc, c’est sûrement parce que c’est hyper important. À ton avis,
combiendefillesiladéjàprésentéesàsamère?—J’aidéjàrencontrésamère,remarqueLillia.Onatraînéchezluiplusd’unefois.Jel’arrêted’unsignedelamain.—Ouais,saufquecettefois-ci,c’estplutôtdanslecontexte«Maman,Papa,Mamie,TontonChris,
TataLinda,jevousprésentemapetiteamie.»Çam’étonneraitqu’ilaitdéjàfaitça.Lilliaouvrelabouchepourprotester,maisj’ajoute,l’airderien:—LamèredeReeveestuncordon-bleu…Touslesans,ellepréparecettesoupedepoissondefolie
avecdescoquillesSaint-Jacquesetdestonnesdefruitsdemer,commedescrevettes,despalourdes…Enparlantdeça,tuasuntrucàbouffer?Jemeursdefaim.Lilliafouilledanssonfrigo.Ilmerestedelapizza,dubrieetduhoumous.
Jevaisprendredubrie.Jen’aijamaispurésisteraufromage.—Et toi,Mary, tu veux quoi ? demande Lillia en posant unmorceau de brie sur une planche à
découper.Elles’avancejusqu’auplacardetensortuneboîtedecrackersetunpotdeNutella.—J’aipasfaim,répondMaryengardantlatêtebaissée.Jen’arrivepasàcroirequecesoitterminé.Moinonplus. J’aurais juré sur la tête demonpère queReeve l’aimait.Mais bon, je n’étais pas
présentehiersoir.Lillialèvelesyeuxauciel.—C’estcommeça,etpuisc’est tout.Jesuiscontentequeçasoitfini.Désormais, jen’auraiplus
jamaisbesoind’êtregentilleavecReeveTabatsky.(Elleattrapelatélécommande.)Onseregardeunfilm?Untrucdefilles.JegrogneetLilliamejetteuncoussinàlatête.
NOUSÉCOUTONSDElamusiqueetpapotonsdanslachambredeLillia.Ilcommenceàsefairetard;ilestpresquedeuxheuresdumatin.Maryestallongéeparterre,sescheveuxblondsétalésautourd’elle.Soudain,elledemande:—Lesfilles,vouscroyezqueRennieetReevesontsortisensemblehiersoir?Lilliahausselesépaules.Probablement.Maryinsiste:Pourquoi?—Pff,Reeveestuncoureur.Alorsoui,j’ensuispresquesûre.Délicatement,LilliaplongeledoigtdanslepotdeNutella.—Ilfautquetufassesattention,Mary.Promets-moidenepassortiravecunmecprisauhasardtant
quetuneseraspassûredepouvoirluifaireconfiance.Jelèvelesyeuxaucieletavaleunegorgéedebière.—Détends-toi.Maryappartienttoujoursauclandesvierges,commetoi,alorspasd’inquiétude.Lilliasefige,levisageblême.Jeluidemande:—Qu’est-cequ’ilya?Qu’est-cequej’aidit?Lilliasecouelatête.Ondiraitqu’ellevasemettreàpleurer.—Toutvabien,murmureMary.Tun’espasobligéedeledire.LavoixdeLils’étrangle;elleneparvientmêmepasànousregarder.—Jenesuisplusvierge,j’aicouchéavecungarsquejeneconnaismêmepas.Jesuisenétatdechoc.Lil?Setaperuninconnu?—C’est vrai ? Je ne t’aurais jamais imaginée sortir avec le premier venu. Je croyais que tu te
préservaispourlemariage!Leslarmescommencentàroulerlelongdesesjoues,etjemesensvraimentconne.Marym’adresse
un regard réprobateur, et je hausse les épaules, impuissante. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?Pourquoiest-cequejesorstoujoursletrucleplusdébilequimepasseparlatête?—C’étaitlecas,sangloteLillia.Peut-êtrepasjusqu’aumariage,maisaumoinspourungarçonque
j’aimeraisetquim’aimeraitaussi.Jetendslamainetluipressegentimentlacuisse.—Mapremièrefoisaétéfoireuse,moiaussi,Lil.C’étaitdanslesous-soldecetype,etsamère
n’arrêtaitpasdetaperàlaporteparcequ’ellevoulaitqu’iltondelapelouse.LespleursdeLilliaredoublent.Elletrembleetsescheveuxluicouvrentlevisage.Jenesaispasquoiajouterpourlaréconforter.Précipitamment,jeluidis:—Tusaisquoi?Jecroisque lapremière foisest toujours foireuse,mêmeavecquelqu’unqu’on
aime.—Saufque…jenem’ensouviensmêmepas,pleurnicheLillia.J’étais tropsaoule.Jen’enavais
mêmepasenvie.Jen’arrêtaispasd’appelerRenniepourqu’ellem’aide,maisellenerépondaitpas.Maryetmoinousregardons,horrifiées.Oh,monDieu.—Lil,c’étaitunviol.Cen’étaitpasjusteunepremièrefoismerdique.C’étaitcarrémentunviol.Ellesecouelatête.Non,cen’estpasça.Jenel’aimêmepasrepoussé.Tun’aspasrepoussécebâtardparcequetuétaistropbourréepourlefaire!Plusjehurle,etplusLilliabaisselavoix.—Ilétaitbourré,luiaussi,murmure-t-elle.Jenesuismêmepassûrequ’ilm’aitentenduedirenon,
c’est ça le problème. (Elle se recroqueville, les genoux contre la poitrine, les cheveux devant lesyeux.)Çam’étonneraitqu’ilconsidèrequec’étaitunviol.Mêmemoi,jen’ensuispascertaine!Jesuismontéeàl’étageaveclui,jeluiairendusonbaiser,jel’ailaisséfairetouscestrucs.—Lil,situn’étaispasenmesurededireoui,çaveutdirequec’étaitunviol,crois-moi.C’estla
définitionmêmed’unviol ! (Mon sangbouillonnedansmesveines, je le sensvraiment. Jeme lèved’unbondetcommenceàfairelescentpas.Jevaisfairelapeauàcetype.)C’estquoi,sonnom?Dis-le-moi,etj’iraidirectementlevoiravecmespotes.Patviendra,Rickyaussi.Jepeuxrassemblertouteunebande.Jesortiraimavieillebattedebase-
balletjeréduiraienmietteslabaraquedecetype.—Kat,assieds-toi,m’ordonneMaryenmefixantdesesyeuxbleus.Étonnéeparlafermetédesavoix,jeposelesfessesparterre.—Onnepeutpaslelaissers’entirercommeça!—Cen’estpasàtoidedécider,s’interposeMary.OnferacequeLilliaveut.J’ouvrelabouchepourprotester,maisLilliaprendlaparole.D’unairreconnaissant,elleannonce:—Merci,Mary,c’estgentil.Kat,c’estsympadetapartégalement.Maiscequejeveuxvraiment,
c’estoublier cette soirée.C’était une erreur, et elle appartient aupassé. Jeneveuxplusme laisseraffecterparcetévénement.
Jehochelatête,parcequejecomprendsparfaitement.Soudain,j’ajoute:—Attendsuneminute,tuasappeléRennie?Elleétaitlà,elleaussi?—Ouais.C’étaitcetété.Onarencontrédeuxmecsdel’universitéduMassachusettssurlaplage…
ilsontorganiséunefête.(Lilliadéglutit.)Onabeaucoupbu,jenemesouviensplustropdecequis’estpasséquandonestmontésaupremieraveceux.MaisRennieétaitdanslamêmepiècequemoi,elles’envoyaitenl’airavecsoncopain.Onestpartiesavantleurréveil.—Rennieaétéviolée,elleaussi?—J’ensaisrien.Jenesaispassic’étaitunviol,ousileschosessontjustealléestroploin.Avec
Rennie,onn’enajamaisvraimentreparléaprèscettenuit.(Elles’essuielesyeuxsurlamanchedesonsweat-shirt.)Jen’arrivepasàcroirequejevousracontetoutça,lesfilles.—Onesttesamies,larassureMaryens’approchantd’elle.Tupeuxtoutnousdire.J’interviensd’unevoixhésitante:Maisondevraitpeut-être…appelerlesflics,non?Pourdénoncercemec?Onn’aaucunepreuve,souligneLillia.Jen’aidemandéaucunkitdeviol.Jen’avaispasdebleussur
lecorps.Ceseraitsaparolecontrelamienne,etjen’aipasenvied’affronterça,nilefairesubiràmesparents. Je ne veux pas qu’ils sachent ce quim’est arrivé. (Elle lève la tête et croise le regard deMary.) Jeveuxqu’ils continuent demeconsidérer de lamêmemanière.Vous voyez ce que je veuxdire?Maryhochelatête.—Parfaitement.—Lil,tudevraispeut-êtreparleràquelqu’un.(J’ail’impressiond’êtrelapiredeshypocrites,parce
quejesuismalplacéepourcequiestd’exprimermessentiments.Mais lasituationestgrave.)Àunconseiller,peut-être,jesaispas.Ouàunpsychologue.PasàMmeChirazo,maisàunvraipsyavecundiplôme,quelqu’unquiconnaîtsonboulot.Peut-êtrequ’ilpourrat’aider.—Peut-être,répondLillia.Maisimpossiblepourmoidediresiellelepense.Soudain,elleajoute:—Jeleferaisituenfaisautant,Mary.Bravo,Lillia!Timingparfait!Tuassautésurl’occasionaubonmoment.MarytitubeenarrièrecommesiLillial’avaitgiflée.—Jen’aipasbesoindeparleràquiquecesoit.Ens’humectantleslèvres,Lilliaprécise:—Tuaseudesmomentstrèsdifficiles.Jeviensrapidementl’épauler:—Et je sais que c’est pas le top chez toi avec ta tante…Ça pourrait t’aider d’avoir une autre
personnedetoncôté.Ensecouantlatête,Maryserrelespoings.—Onpourraitparlerd’autrechose?S’ilvousplaît?Ellefermelesyeux,commesiellenepouvaitplussupporterdenousregarder.
Cettefois-ci,heureusement,j’arriveàtenirmalangue.
LLILLIA
LASONNERIEDUtéléphonemetiredusommeil.Jesuisenfouiesousmonédredon,etilfaitsombredansmachambre,parcequelesstoressonttirés.Sansrienvoir,jem’assoisetcommenceàtâtonneràcôtédemonlitpourattrapermontéléphone.Puis,lasonneries’arrêteetjemerallonge.Maiselleretentitànouveau.Kat est étendue sur le sol dans son sac de couchage, enroulée dansma couverture de bébé.Elle
grognebruyamment:Quequelqu’unm’éteignecettesaleté!Depuismoncanapé,Marydresselatêteetmedemande:Quelleheureilest?Bientroptôt,grommelleKat.Jefinispartrouvermontéléphoneaupieddemonlit.C’estReeve.Jem’assoisrapidementetcrie:—Lesfilles,c’estReeve!Kat saute sur mon lit etMary s’agenouille précipitamment à côté de nous. Nous sommes toutes
parfaitementréveilléesdésormais.Unventdepaniques’emparedemoi.—Qu’est-cequejedoisfaire?Jedécroche?Hier, jeme suis faite à l’idée que je ne parlerai plus jamais àReeveTabatsky dema vie.Mais
jamaisjen’auraisimaginéqu’ilm’appelle.—Mets-lesurhaut-parleur!m’ordonneKat.Soiscruelle,Lil!Mamaintremblequandjeréponds.J’appuiesurlatoucheduhaut-parleur.—Allô?
—Salut,quoideneuf?D’unevoixfaussementendormie,jedemande:—Quic’est?Katsejettesurlelitenriantsouscape.Maryestprèsdemoi,lesyeuxgrandsouverts.Jenesuis
mêmepassûrequ’ellerespireencore.—C’estReeve!(Jesensqu’ilestcontrarié.)Pourquoitun’espasencorearrivée?—Jeviensdemeréveiller.Jecroisquej’aieuunepanned’oreiller.Désolée.Jefaisensortedegarderuntonindifférentetimpassible.Ilprendlamouche.—Danscecas,tupeuxt’amenermaintenant?Jesensmonpoulss’accélérer.Jeprendsuneprofondeinspirationettentederéveillerlacolèreque
j’aiéprouvéequandiln’estpasrevenul’autrenuit,maiselleadisparu.Cequiprouvebienquetoutcebordelestallébientroploin.Maladroitement,jeluilance:—Jenelesenspastrop.Surcesmots,Marysecouvre labouchedesdeuxmainsetKatse roule littéralementpar terreen
battantdespiedsdans l’air.Aprèsun long silence, jemedis queReeve aprobablement raccroché,maisilajoute:—J’arrive.Moncœurs’arrête.—Attends ! (Mais il a raccroché pour de bon, cette fois-ci. Je laisse tombermon téléphone et
regarde les filles, horrifiée.) Oh, mon Dieu ! Oh, mon Dieu ! Qu’est-ce que je suis censée faire,maintenant?Ilestenroute!Katsemetàdansersurplace.—Yes!Onvaleserrer!Ilnefautjamaiss’avouervaincu!(Puis,ellesetortillejusqu’àmafenêtre
et jetteuncoupd’œilà l’extérieur.) Ilest toujoursaccrochéà l’hameçon.Qu’est-cequeçavoudraitdire,sinon?—Jenesaispascequ’ilveut!Qu’est-cequeçapeutfaire?Ilarrive,detoutemanière.Ilseralàdansquoi,cinqminutes?Jene
vaispasrépondreàlaporteaveccettetêtededéterrée.Jecoursjusqu’àlasalledebain,m’aspergelevisaged’eaufroideetmebrosselesdentsaussivitequepossible.Jebalancemonjoggingetenfileànouveaumonshortetmoncaracosexy.Dansmachambre,KatetMarydébattentdelamarcheàsuivre.Katpropose:—Jepensequ’elledoitavoirl’airfurieuselorsqu’ellerépondàlaporte,puiscontrariée,etenfin
triste.Tuvois?Histoirequ’ilsesentesupermal.Ellemelance:—Lil,tucroisquetuarriveraisàverserquelqueslarmes?Maryenchaîne:—Jenepensepasqu’elledoivepleurer.Elledevraitplutôtsemettreencolère,etpeut-êtremême
legifler.Katéclatederire.Tranquillement,jesuggère,àmoi-mêmeplutôtqu’auxfilles:—Jecroisquejeveuxjusteenfiniravectoutça.Lorsquejeressorsde lasalledebain,KatetMarysontdéjàaurez-de-chaussée,cachéesdans le
salon.Ellessontaccroupiesderrièreuneméridienne.J’enfileunsweatàcapucheetleurlance:—Lesfilles,etsijamaisilessayed’entrer?Ilvousverra.—Maisonveuttoutentendre!gémitMary.Nelelaissepasfranchirlaporteettoutirabien.—Jesuisnerveuse,dis-jeenportantlesmainsàmonvisage.Mesmainssontfroides,maisj’ailesjouesenfeu.—Ilnefautpas,répondMary.Tuasétéparfaitejusqu’ici.Lasonnetteretentitetmonestomacsenoue.—Lavache,ilestvenuenvolant,ouquoi?murmureKat.JeregardeMarypourmerassurer,etellehochelatêtepourm’encourager.—Écrase-le,Lil.J’ouvrelaporte.Reevearevêtuunjean,unechemiseetunedoudoune.—Pourquoi tun’espashabillée?medemande-t-il en fourrant lesmainsdans lespochesde son
jean.—Jet’aiditquej’avaiseuunepanned’oreiller.Jelaissemescheveuxretombersurmonvisage.—Ouais,jesais,jet’aientendueautéléphone.Qu’est-cequetuvoulaisdirepar«Jenelesenspas
trop?»Ilal’airréellementdéçu,cequimedéstabiliseuneseconde.Jenesavaispassij’étaisencoreinvitée.Ilfroncelessourcils.Pourquoidonc?Ilestbête,ouillefaitexprès?Tun’esjamaisrevenul’autresoir.Reevesoupire.Maisjet’aiexpliquéquejedevaisaiderRennieàrentrerchezelle!Tuasvuàquelpointelleétait
bourrée!Oh,jet’enprie.Renniet’afaitmarcher,ettuascouru.Jenepouvaispaspartir,Cho.Ellearéveillésamèrepourqu’ellemedisebonjour,etensuiteelles
ontsortitouscesvieuxalbumsphotodenousquandonétaitgamins.Ilditlavérité,jelesais.Etc’esttypiquementlegenredetrucsqueRenniepourraitfaire,surtouten
mesachant chezmoi en traind’attendreReeve. Jem’oblige à faire abstractionde ça, etd’unevoixblasée,jeconclus:—Bref.Fermement,ilmedit:—Renniecomptebeaucouppourmoi.Elleatoujoursétélàquandj’avaisbesoind’elle.Jeneveux
pasluifairedemal.Tudevraiscomprendreçamieuxquequiconque.Jecroiselesbras.—Qu’est-cequetuentendsparlà?—Skud!Tuestoujourssisoucieusedesessentiments.Commentose-t-ilramenerAlexsurletapis!—Ouais,jemesouciedessentimentsd’Alex.Ilcomptepourmoi,parcequec’estmonami.Ilestlà
àchaquefoisquej’aibesoindelui.Ilestcommeça.C’estunmecbien,lui.Reeveseraiditetjemesenssoudainsatisfaite.Quelajalousiel’étouffe,celui-là.Jepoursuis:—Pourtant,j’avaisquandmêmeenviequ’Alexsachequenousétionsensembleàmafête.Mêmeen
sachant que ça lui feraitmal, je voulais le lui dire.Contrairement à toi.Tu roules desmécaniques,Reeve,maisquandils’agitdepasseràl’acte,tutedégonfles.—Jenemesuispasdégonflé!C’estjustequejenevoulaispasleurbalancerçaàlatronche!—TuveuxdirequetunevoulaispasbalancerçaàlatronchedeRennie.Parcequec’esttapetite
amie,voilàtout.Reevesecouelatêteetexpirebruyamment.—Cen’estpasceque jeveuxdire,et tu le sais ! (Ildétourne le regard.)Est-ceque tupourrais
juste…t’habilleretveniravecmoi,etonrediscuteradeçaplustard?Mamèret’attend.Moncœurseserre.MonDieu.Samère?Jen’aiqu’uneenvie:courirà l’étage,enfilerunejolie
tenueet fileravec lui.SiKatetMaryn’épiaientpasde l’autrecôtéde laporte,peut-êtreque je leferais.Maisjenepeuxpas.Ellessontlà,toutçan’estqu’unjeuetj’ensuisincapable.—Jenepensepas,dis-jeenrelevantlementon.Franchement,çanemetentepasdevenirparader
devanttafamilleaujourd’hui.Onn’estpasensemble,aprèstout.Ilblêmit.—T’essérieuse?Allez,Cho.Situveux,j’appelleRennieetjeluiavouecequejeressenspourtoi.—Çaneserapasnécessaire.Jetentedeluiclaquerlaporteaunez,maisiltendlebrasetlabloque.—Attends ! Tu as raison. Jeme suis conduit commeun lâche. J’aurais dû le lui dire il y a des
semaines. J’ai eu peur,Lillia. S’il te plaît, laisse-moi une autre chance.Laisse-moi te prouvermessentiments.Ilessayedem’attraperlamain,maisjelaretireetsecouelatête.Jenepeuxmêmepasleregarder.Parceque toutcelaestbienréel. Ilne jouepasavecmoi.Jepeuxfacilement lire ladouleuret le
désespoirdanssesyeux.
Jesaiségalementquejenepeuxplusjoueràça.Ilfautquej’enfinisse.Sijen’arrêtepastoutdanslaseconde,jeneseraipluscapabledelefaire.C’estmieuxainsi,franchement.Plusletempspasseraetplusceseradur,pourtoutlemonde.Laplaisanterieabienassezduré.Jesuistombéeamoureusedeceluiqu’ilnefallaitpas.DugarçonquiabrisélecœurdeMary.Du
grandamourdeRennie.Dumeilleuramid’Alex.Ilfautqueçacesse.Maintenant.Jeprendsuneprofondeinspiration.—Tuasdéjàmontrétonvraivisage,etpasqu’unefois.Leplusdinguedansl’histoire,c’estqueje
lesavaisdepuisledébut.Maiscesdernièressemaines, j’aicruque tuétaisplusque lepauvre typeégocentriquequejeconnaisdepuisdesannées.Peut-être…peut-êtrequej’aieudelapeinepourtoi.(Jesecouelatête.)Maistuescommeça,Reeve.Tuneserasjamaiscapabledemetraitercommejelemérite.Tun’aspasçaentoi.Alors,autants’arrêterlà.Tuesprobablementaussifatiguédejouerlesgentilsquemoidefairesemblantd’ycroire.Lesmotssortentdemabouche,maisj’ail’impressiond’entendrequelqu’und’autre.Peut-êtreparce
quejenefaisquementir.Pourtant,jevoisbienqueReevecroitàmesmensonges.Illesgobetous.Sonregardseperddansle
vide.Ilserenfermecomplètement.Cequimefaitleplusmal,c’estlafacilitéaveclaquelleilavaletoutcequejeluibalance.Parce
qu’aufonddelui,c’estcequ’ilpensedelui-même.J’aiprofitédesapeurlaplusenfouie,jem’ensuisserviecontrelui,etc’estprobablementlaplusgrandetrahisonqu’ilaitvécue.Pourtant,unepartiedemois’attendàcequ’ilrépliqueetmedisequej’aitort.ParcequeleReeve
Tabatskyquejeconnaisn’abandonnejamais.Maisj’espèrequecettefois-ci,ilvajustelaissertomber.Va-t’en,s’ilteplaît,va-t’en.Et c’est exactement ce qu’il fait. Sans pipermot, il tourne les talons, regagne sa camionnette et
s’éloigne.Jerefermederrièrelui.KatsemetàsauterdanstouslessensetMaryfixelaporte,ébahie.Jesuisdésolée,jenepouvaispasattendrejusqu’àlaSaint-Sylvestre.Ons’enfout,delaSaint-Sylvestre!Lesjeuxsontfaits,mabelle!J’aipresquepeurderegarderMary.Sicelaneluisuffitpas,jenevoispascequejepourraisfaire
deplus.J’ail’impressiond’avoirperduunepetitepartiedemoi.—Oh,monDieu!murmure-t-elle.J’aitoutressenti.Elleposeleregardsurmoi,puisportelamainàsapoitrine.Enclignantdesyeux,ellem’annonce
gaiement:—J’aisentisoncœursebriser.Jemeforceàsourire.
LESFILLESQUITTENTlamaisontarddansl’après-midi.Àcemoment-là,lepetitmalaisequej’éprouvedepuisledépartdeReeves’esttransforméenvéritablenausée.Quandje repenseàcequis’estpassé,auxchosesque je luiaidites,à lacruautéetà la froideur
aveclesquellesjemesuisadresséeàlui,monestomacserévulse.
Mary etKat ont rejoué la scène sans relâche en face à face, singeantReevede leur voix la plusgravepossible.«Mamèret’attend.»Jejurequ’ellesl’ontrépétéaumoinscentfois,enriantdeplusenplusfort.Ellesneseseraientpasmarréessiellesl’avaientaperçudepuisleurcachette.Ellesn’ontpaslula
douleurdanssonregard.Contrairementàmoi.JusteaprèsledépartdeReeve,Kataprismontéléphoneetl’aposésurl’îlotdelacuisine,oùnous
pouvionstouteslevoir.Elleaditqu’ellesnepouvaientpasencorepartir,parcequ’ilallaitsûrementappeleravantd’êtrearrivéchezlui.Enfait,ellevoulaitmêmequ’onparletoutesàvoixbasse,aucasoùilauraittraînédanslequartier.Biensûr,ilnel’apasfait.Iln’estpasrevenuetn’apastéléphoné.Jelesavais.Uneheureplustard,KatnousadécritunReevedanstoussesétats,entraindesaisirsonportable
avantdelereposercommesouslatorture.Ilallaitsûrementmecontacteraprèsledéjeuner.Uneautreheure est passée, et Kat a changé d’avis en prétendant qu’on allait avoir de ses nouvelles avantqu’ellespartent.En rangeant son sacdecouchage, elle a juréqueReevem’enverraitunSMSavantd’allerdormir.Oudemain,auplustard.Kataenfiléses rangersetchargésesaffairesdans lavoiture.Avantde franchir laported’entrée
avecMary,ellealancédepuislebasdel’escalier:—S’ilt’appellecesoir,mémorisechaquemotqu’ilteditpourqu’onpuissetoutessemarrer!TandisqueMarymettaitseschaussures,jeluiaitenulaporte.—Jeneteremercieraijamaisassezpourcequetuasfait,m’a-t-elleconfié,leslarmesauxyeux.J’aidéglutidifficilementetrépondu:—Jet’enprie.Jesuisjustesoulagéequeçasoitterminé.
JESUISALLONGÉEsurmoncanapé,unoreillersurlevisage.Mêmesic’estmoiquiaichoisidemettreun termeà toutça, je regrettedenepasavoirprocédé
différemment.J’auraispuattendred’êtrearrivéeauxportesouvertes.Seule,sanspublic.J’auraispulelaissertomberendouceur.J’auraispuluidire«Je t’aimebeaucoup,mais jepréféreraisqu’onresteamis.»KatetMaryn’auraient jamaissu tous lesdétails,uniquementque j’avais tenumapromesse.Évidemment,ilm’enauraitvoulu,maisiln’auraitpaseuderaisondemedétester.LasimplepenséequeReevepuissemedétester…Jen’envisageriendepirepourlemoment.Ilestseulementquinzeheures.Reeveaditquelesgenspassaienttoutelajournéechezsesparents.
Sijemedépêche,jepourraiyalleretluiparler.Luifairecomprendre.Onnepeutpasêtreensemble,maisjepeuxencoreretirerleschoseshorriblesquejeluiaienvoyéesàlafigure.Jemerueaupremieretentresousladoucheensautillantd’unpiedsurl’autre,parcequel’eauest
encorefroide.Maismerde,jen’aipasletempsdemedoucher!Ilmefautuneéternitépourmesécherlescheveux!Jefermelerobinetetbranchemonferàfriser.Pendantqu’ilchauffe,jefilejusqu’àmonarmoireet
en sors la robe-chemisier en soie bleumarine que j’ai achetée comme tenue de rechange pourmesentretiensàl’université.Jel’accompagnedemesescarpinspêcheetducollierdeperlesquemonpèrem’aoffertpourmesseizeans.Jemefriselapointedescheveux,puisappliquedumascara,unetouchedeblushroseetduglossclair.
Jevérifiemonrefletdanslemiroirdusalonavantdesortirencourant.J’ail’airfestive,féminineetadulte.Parfait.JeveuxfairebonneimpressionsurlamèredeReeve.Quisaitcequ’ellepensedemoimaintenantquej’aidesheuresderetard.Jesuisàmi-chemindeT-TownquandjemesouviensquejenepeuxpasmeprésenterchezReeve
lesmainsvides.Jefaisdemi-touraumilieudelarueetquelquespersonnesklaxonnent,maisçam’estégal.LeMilkyMorning est déjà fermé, alors je passe chez le fleuriste d’à côté et lui demande dem’emballer leur plus gros poinsettia rouge. C’est plus une composition de table qu’une planted’intérieur,legenredetrucsqu’ontrouvedansleshallsd’hôtel.Ilestbeaucouptropgrandparrapportaumagnifique pot dans lequel il est vendu. Il coûte plus de cent dollars avec les taxes, mais peuimporte.Jedemandeautypedelechargersurlesiègepassager.J’arrive chez Reeve un peu avant seize heures. À mon grand soulagement, il y a encore de
nombreusesvoituresdevantlamaison,sibienquej’aidumalàtrouveroùmegarer.Jem’arrêtedevantl’alléedesesvoisinsenbloquantcomplètementleurminivan.Jecomptedéplacermavoituredèsquej’auraieulachancedem’excuserauprèsdeReeve.Laplantepèseunetonne,maisjeparviensàlaporterjusqu’àl’entrée.J’entendslafêtebattreson
plein à l’intérieur, les gens qui crient devant la télévision. Je posemon poinsettia par terre, passerapidementlesdoigtsdansmesboucles,puissonneàlaporte.O.K.,Lil,c’estlemomentdefairetonshow.Jesuistoutaussinerveusequ’impatiente.Derectifier
letir,deréparertoutcebazar.Demesentirànouveaumoi.Laportes’ouvre,etilmefautunesecondepourreconnaîtrecellequivientderépondre.Rennie.Ellecroiselesbrassursapoitrine.Elleestpiedsnus, lescheveuxvaguementattachésen
chignonausommetdelatête,vêtued’unmaillotdefootetd’unlegging.Jemesenstotalementridiculeetj’ail’impressiondefairetacheavecmatenuechic.—Jen’arrivepasàcroirequetuaieseuleculotdetepointerici,crache-t-elle.—IlfautquejeparleàReeve.Ellelaisseéchapperunrirecruel.—Parcequetucroisqu’ilveutencoreteparler?Ilt’arayéedesavie.Ilaenfindécouvertquitues
vraiment.Unevraiesalope.Impuissante,jeregardederrièreelledanslesalonenespérantqueReevemevoieetchanged’avis.
Oudumoinsqu’ilme laisseunechancedem’expliquer.Dans lapièce, il y apleindegarçons, lesfrèresdeReeveetquelqueshommesquejeneconnaispas.PresquetousportentlemêmemaillotqueRennie. Leurs yeux sont rivés sur l’écran de la télé. Derrière eux se dresse le sapin de Noël,entièrementdécoré.SurlatablebassetrônelasaucepourtacosàseptcouchesdeRennie,cellequ’elleprépare toujours pour les soirées pyjamadans le plat bleude samère.Et à l’arrière de lamaison,j’aperçoislamèredeReevedansuntablieretdeschaussonsenflanelle,entrainderemuerlecontenud’ungrosfaitout.J’appelleReeveettentedepasseroutreRennie,maisellemepoussesifortquejevacillesurmes
talonsetmanquedetomberenarrière.—Tun’espaslabienvenueici.Reevetedétestetoutautantquemoidésormais.—Iln’aqu’àmeledireenface,danscecas.Jetendslecoupourvoiràl’intérieur.
—Iln’est pas enbas,m’informe-t-elle en seglissant dans l’embrasurepourmemasquer la vue.Noussommesenhautdanssachambre,ajoute-t-elleeninsistantsurle«nous»pourêtrebiensûrequejel’entende.Jel’aientendu,bienévidemment,etmonimaginations’emballe.Jemelesreprésenteallongéssurle
lit,latêtedeReeveposéesurlesgenouxdeRennie,ellequiluipasselesmainsdanslescheveux,etsoudain ils semettent à s’embrasser.Reeve sait exactement commentme faire beaucoup demal, etRennieégalement.Jesuissûrequ’ilsn’hésiteraientpasàlefaire.—Tudevraissavoirqu’ilvautmieuxnepaschercheràrivaliseravecmoi,Lil,meprévient-elle.Tu
saisquejegagnetoujours.Jerelèvelementon.JenevaispasramperauxpiedsdeRennie,commesielleétaitlamaîtressedes
lieuxetmoiuneclocharde.—Dis-luiquejesuispassée.Jetentedepoussermonpoinsettiadanslamaison,maisRenniesecouelatêteetcommenceàfermer
laporte.—Ilsontunchat,etlespoinsettiassonttoxiquespourleschats.Unevoixdefemmecriederrièrenous:—C’estqui,àlaporte?—Personne!répondRennieenmelaclaquantaunez.Enretournantàmavoiture,jemedisquetoutvapourlemieux.Reeveetmoi,c’estterminé.Jesuis
enfinlibre.Etmêmesic’estunimmensesoulagement,jepleurequandmêmecommeunbébéjusqu’àcequej’arrivechezmoi.
LIMARY
ÀQUELQUESRUESDE chez Lillia, je patiente avecKat qui essaye de joindre Pat au téléphone depuisquelquesminutes.—Eh,c’estquoi,cebordel?TudevaispassermeprendreavecMarychezLillia,tutesouviens?
(J’entendslavoixdePatauboutdufil.Iln’apasl’airaussidécontractéquelesoird’Halloween.Sontimbreestplusdur,plustendu.)Quoi?T’essérieux?Katgrogne,puismeditàvoixbassequelavoitureestencoreenpanne.Enfin,ellehurle:—Appelleunputaindemécano,alors!PatbeuglequelquechoseenretouretKatluiraccrocheaunez.—Cecrétinferaitmieuxdebougersonculetdereprendrel’écoledecommerce.(Ellefourreson
téléphonedanslapochedesonjean.)Jepourraisessayerd’appelerRicky,maisjecroisqu’iltravaille,etenplus, ilnepeut ramenerqu’uned’entrenoussursamoto.Onn’aqu’à retournerchezLilet luidemanderdenousreconduirecheznous.Sansgrandenthousiasme,jesuggère:—Oualors,onpeutmarcher.J’imaginequeKatvaimmédiatementrejetermaproposition,parcequeçafaitloinpournousdeuxet
que le fond de l’air est plutôt frais. Ça neme dérange pas demarcher, mais on dirait que Kat nepossèdepasdemanteaud’hiverdignedecenom.Pourfairefaceàlachutedestempératures,ellesecontented’enfilerplusieurscouchesdesweat-shirtsetdepolaires,puissavestedel’armée.Unetelleépaisseur,çadoitlaprotégeraussibienqu’ungiletpare-balles.—Trèsbien,concède-t-elle.Onpeutremonterjusqu’àStateRoadetseséparerprèsdulycée.(Elle
déroulesonsacdecouchageetl’enveloppeautourdesesépaulestelleunegrandecape.)Onapleindetrucsàseraconter,detoutemanière.
Alors, nous nous mettons à marcher. Au début, nous progressons vite, mais petit à petit, nousralentissonsetnousbaladonstranquillementcommeunaprès-midid’été.Toutestbeaudehors.Lecielestbas,laneigemenacedetomber,etdetempsàautre,nouspassonsdevantunemaisonilluminéededécorationsdeNoël.Tout le longduchemin,nous rejouons lamiseàmortdeReeve.Secondepar seconde.Kat aune
excellentemémoire;ellesesouvientdeplusdedétailsquemoi.J’étaishypernerveuse,àespérerqueleschosessedéroulentselonnotreplan.Jesuisdonccaptivée,pendueàseslèvres.—Siseulement j’avaispuvoir la sale tronchedeReevequandLil luiaclaqué laporteaunez !
s’enthousiasmeKat.Putain.TucroisquelesparentsdeLilliaontdescamérasdesurveillance?(Elleseretournefaceauventpourdégagersescheveuxdesonvisage.)Ilmesemblequetouslesrichesontdescamérasdesécurité.Enplus,sonpèreestdugenrehyper-protecteuravecelle.—Possible,dis-jeenriant.Ondevraitluidemander!KatsortsontéléphonedesapocheetenvoieunSMSàLil.— Tu sais quoi,Mary ? S’ils en ont, je vais en récupérer une copie. Comme ça, tu pourras te
repasserenbouclelemomentoùlecœurdeReeves’estbrisé.JoyeuxNoël,mabelle.Tuasétébiensage,cetteannée.Jeglousse.—Oh,vraiment?Katrit.Peut-êtrepasselonlesnormesduPèreNoël,maistuleméritesvraiment.(Ellereprendsoudainson
sérieux.)J’espèrequeçat’aide.Àallermieux.Oui,Kat.Plusquetulecrois.Àpeinecesparolesprononcées,jemerendscomptequ’ellessonnentjuste.Kat serre les poings, puis commence à chanterHeartbreaker, la voix portée par la brise. Nous
passonsdevantunemaison;deboutsuruneéchelle,unhommeestentraind’accrocherdesguirlandes,etilmanquedetombersousl’effetdelasurprise.Avecunpeudechance,Lillianousrépondra,parcequej’auraisaimévoirlatronchedeReeve,moi
aussi.Maismêmesansça,jesaisqueçaamarché.Monplanafonctionné.Reevealecœurenmiettes,aucundoutelà-dessus.ToutçamerappellecefameuxjoursurlesquaisoùReeveaditàtouscesgarsqu’iln’étaitpasmon
ami.Moncœurs’estbrisécejour-là.Onestquitte,maintenant.Eh,aufait,elleaquelâge,tatanteBette?Elleauraitpasdesrobesdesannéesvingt?Kat,ellen’estpassivieille!Ellen’aquequarante-sixans.Kats’esclaffe.—Autempspourmoi.Jemedemandais justesielleavaitdesfringuesvintagequ’onpourrait lui
emprunterpourlaSaint-Sylvestre.Jedéglutis.—TunepensesquandmêmepasalleràlafêtedeRennie?
—Euh… (Kat me regarde d’un air ahuri, puis commence à secouer la tête.) Je t’explique. J’aientenduquelqu’unprononcerlemotdepassepourentrer.Toutel’écoleseralà-bas.Jemesuisditqueçaseraitsympadenouspointer.Ellenenousremarqueramêmepas.—EtLillia?Elleneveutpasyaller.—Onlaconvaincra.Qu’est-cequ’ellepourraitfaired’autre?Lorsquenousarrivonsaulycée,KatmesalueetsedirigeversT-Town.J’empruntelapistecyclable
etfileverslamaison.Àl’intérieurdemoi,laragealaisséplaceàl’apaisement.J’ail’impressiond’êtreàmaréebasse;
toutesleschosesnégativesontdisparuenmer.C’est làque jecomprends.Jepeuxrentrerchezmoi,désormais.PasàMiddlebury.Dansmonvraichez-moi,avecmesparents.Maintenant queReeve a payé,maintenant que j’ai tourné la page, pourquoi rester à Jar Island ?
J’aimeLilliaetKatàlavie,àlamort,évidemment,maisellesvontpartirl’annéeprochaine.Cen’estpascommesijem’étaisfaitdestasd’autresamis.Lemomentestidéalpourdireaurevoiràl’île.Jesuisvenue,j’aivu,j’aivaincu.Jevaisquitterl’îleaprèsleNouvelAn.Monpasséestvéritablementderrièremoi;jevaisfinalementréussiràm’endébarrasser.Je ressens un pincement au cœur à l’idée de laisser tante Bette ici, surtout dans l’état où est la
maison.Etnotrerelation.Maispeut-êtrequ’ellepourraitveniravecmoi?Pourquoipas.Çaluiferaitautantdebienqu’àmoide s’échapperdecette île.MamanetPapapourraient embaucherquelqu’unpourrénoverlamaisonpendantqu’elleestvide,afindelaretaperavantl’été.Oui,voilàmonplan. Jem’arrêteprèsde l’eauet regardeun ferrys’éloigner. Jem’imagineà son
bord,priseensandwichentremamèreetmonpère.Noussommestousheureuxderetournercheznous.Jeretrouvemafamille.Mavieestànouveausurlesrails.Jerésisteàl’enviedel’annoncerauxfillessur-le-champ.Jeneveuxpaslesinquiéter,nileslaisser
essayerdemeconvaincrederester,oudumoinsdefinir l’annéescolaire.Je ressens lasérénitéquiaccompagnetoutebonnedécision.Jefaislebonchoix.
TANTE BETTE REÇOIT un appel après dîner et je vois immédiatement qu’elle est contrariée. Je luidemande:—C’estqui?Elles’affalesurunechaisedecuisine.—L’unedesgaleriesdanslesquelles jevendaismespeinturesvafermer.Ilsveulentquejepasse
récupérer mes œuvres ce soir. (Elle jette un coup d’œil à la pendule et se masse les tempes.)Maintenant,enfait.—Oh.Sympadeleurpartdetepréveniràl’avance,dis-jesuruntonsarcastique.(MaistanteBette
nesouritmêmepas.)Jet’accompagne,tupourraisavoirbesoind’aidepourtouttransporter.Ellesecouelatête.—Mary,jene…—Pasdeproblème,j’aiterminémesdevoirs.C’estunmensonge,maispeuimporte.Combiendetempsçavameprendre?Mêmesileschosesont
vraiment été bizarres entre nous dernièrement, jeme fais toujours du souci pour elle. Elle pourraitavoirbesoindemoi.Contrairementàmoi,ellen’apasd’amispourl’épauler.Bref, j’ai l’impression que tout s’enchaîne bien. Maintenant que cette galerie n’expose plus ses
œuvres,ehbien…qu’est-cequipourraitlaretenirici?JerejoinstanteBettedanssaVolvo.J’auraispenséqu’elleauraitenfiléunpantalonetunjolipull,
maiselleportetoujourssarobed’intérieur.Etsescheveuxsontenbataille.Jenepensepasqu’ellelesaitbrossésaujourd’hui.Hiernonplus,d’ailleurs.Sesmainstremblent.Elleconduitunpeuviteenprenantlesviragestropserrés.—Tuesnerveuse.Ellemeregardeducoindel’œil.Mary,s’ilteplaît.Nedisrien,tuveuxbien?Niàmoi,niàlapropriétaire.Jeveuxentreretsortir
aussivitequepossible.O.K.,d’accord.Tuneremarquerasmêmepasmaprésence.Promis.Avecunpeudechance,jen’auraipasbesoindeparler.Maiss’illefaut,jen’hésiteraipas.C’estce
queKatm’aappris.Lagaleriesetrouvedel’autrecôtédeT-Town,auboutd’unepetitealléebordéedemagasins.Ilyen
aenvironmoitiémoinsquesurMainStreetàMiddlebury,etaucund’euxn’estaussibeau.DetouslescoinsdeJarIsland,c’estprobablementT-Townquivoitlemoinsdetouristes.C’estplusunquartierpourleslocaux.Ducoup,jenesuispasétonnéequelaboutiquemettelaclésouslaporte.Lagalerieestunbâtimentblancsituédansunangle.Ilaunegrandevitrine,etderrièrelavitre,en
lettresdorées, jepeux lireart in the jar,enminuscules (uneffetdestyle,sansdoute?).Lacloisontemporaire,surlaquelleilsdevaientaccrocherleursmeilleurstableaux,estvidedésormais.Ilneresteplusquelespetitstrouslaissésparlesclous.Laporteestbloquéeenpositionouverte.Àl’intérieur,jevoisuneéchelle,unpaquetdedraps,des
potsdepeintureentamés.Unefemmeestassisepar terreaucentrede lapièce, jambescroisées, lescheveuxretenusenarrièreparunfoulardnoir.Elleparcourtdespapiersdansuneboîteencarton.TanteBettecoupe lemoteur, respireprofondément,puisentre. Je la regardedepuis lavoiture.La
femmenesouritpas;apparemment,elleneditmêmepasbonjouràtanteBetteetpointel’indexversl’arrièredelagalerie.Prised’unmauvaispressentiment,jedécided’entrer.—Jeviensaidermatante,dis-jeenpassantlaporte,maislafemmenefaitpasattentionàmoi.Jepassederrièreelleetmedirigeverscequisembleêtrel’espaceprincipaldelagalerie,surma
gauche.Saufquecettegalerien’estpasunegrandepièce,maisunesuccessiondepetitsespaces.J’essayede
devineroùtanteBetteapualler,etjemeretrouveàtournerenrond.Alorsquejesuissurlepointdefranchiruneautreporte,jemerendscomptequejesuisrevenueàl’entréeprincipale.—Ondiraitunesorcière!murmureunefille.Puis,deuxpersonnesrient.Jepasselatêtedansl’embrasure.Rennieestassiseaveclafemme.Oh,
monDieu.C’estlagaleriedelamèredeRennie.—Unesorcièreclocharde,même!Jemedemandesielleestvenueenbalai.
Samèrelaisseéchapperunriresemblableaucacardementd’uneoie.—Chut,Ren.Ensuite, tante Bette entre dans la pièce, les bras chargés de tableaux. Alors qu’elle s’apprête à
mettrelesvoiles,lamèredeRennieselève.—Euh,Bette?Jemedemandaissijepouvaisvousdonnerunconseil.TanteBettenerépondpastoutdesuite.Elles’avanceverslasortieetjetteuncoupd’œildehorsà
savoiture.Jepensequ’ellemecherche.Etcommeellenemevoitpas,sesyeuxscrutentlagalerie.Jemecachehorsdesavue.Bette?insistelamèredeRennie.J’entendsRenniericaner.Oui,pardon.Jetendsànouveaul’oreille.—J’aieubeaucoupdemalavecvosdernières toiles.Pourêtrehonnête,ellesmettaientcertaines
personnesmalàl’aise.Jenedispasqu’ellesnesontpasintéressantes,maisjenepensepasquelesacheteursrecherchentdesœuvresaussinoires.Jem’efforce de distinguer les tableaux que tante Bette tient à lamain. Ils sont confus, sombres,
inquiétants.Degrandestraînéesdenoirsetdegris.Rienàvoiravecsesanciennespeintures.Ondiraitl’œuvred’unefolle.Lapeinturenel’apasaidéeàrevenirdanslemonderéel,ellel’afaitsombrerunpeuplusdansl’obscurité.—Vousdevriezreveniràvosadorablespharesetpaysagescôtiers.LevisagedetanteBetteseferme.—Jenepeinspaspourvendre.Jepeinsmonunivers,etilestcommeçaencemoment.Elleseretournepourpartir.LamèredeRenniemurmure:Elleabasculéducôtéobscur.Quelletarée!ajouteRennie.Puis,elleséclatenttouteslesdeuxderire.Jesuissurlepointdeperdremonsang-froid.Je regarde autour demoi. Je veux faire quelque chose pour les arrêter. Je plisse les yeux etme
concentresur lespotsdepeintureouvertssur lesol. Jevais les fairebouger.Clicclicclicclic. Ilscommencentàtrembler.—Mary!mecrietanteBettedepuislaported’entrée.Rennieetsamèresontéberluées.Jepassedevantellesencourantetsuismatantejusqu’àsaVolvo.—Jet’avaisditdenepasentrer!meréprimande-t-elle.Qu’est-cequiteprend?Sesmainsserrentlevolantsifortquesesjointuresdeviennentblanches.—J’aifiniparcomprendre,tanteBette.J’aiunpouvoirsurleschoses.—Tunedevraispast’enservir.Peuimportecequetufaisais,tudoiscesser.—Maisellestetraitaientdefolle!Ellesprétendaientquetuesunesorcièreetquetuasperdula
tête.Enplus,jemesuisentraînée.J’arriveàcontrôlermesfacultés.(Jem’assoisàsescôtésetcroiselesmainscalmement.)TanteBette,j’aidécidéqu’ilesttempspourmoidepartir.JusteaprèsleNouvelAn.J’attendsdevoirsiellevadirequelquechose.Siellevaessayerdemeconvaincrederester.Mais
ellesemblesoulagée,toutauplus.—Oui,Mary.Jepensequeçavaudraitmieuxpournousdeux.Puis,ellerelèvesavitre,nousenfermantàl’intérieurdelavoiturecommedansunetombe.
LIILILLIA
CELUNDI,ILestmidietquart,etj’attendscemomentprécisdepuisquejemesuisréveilléecematin.Ledéjeuneràlacafétéria.J’adoreraissnoberlabandepourm’installeravecKatetMary,maisMarynedéjeunepasàlamême
heurequemoietKatnemangejamaisici.Enplus,laraisonprincipalepourlaquellejedoism’asseoirànotretablehabituelleestlasuivante:sijenelesaffrontepasaujourd’hui,jenepourraiplusjamaisdéjeuner avec eux. C’est ma table, ainsi que celle d’Ash, d’Alex et de PJ, et ce sont mes amiségalement.Jevaisyallerlatêtehaute.Jesuisintouchable.RennieetReevenepeuventpasmeblesser,parcequ’ilsnepeuventpasm’atteindre.C’estcequejemedisenentrantdanslacafétéria.Dieumerci,Ashestavecmoi.Dereketellese
sontremisensemblependantleweek-end,alorselleestencorepluspétillantequed’habitude.Jeporteunetenuedécontractée,commepourmontreràReevequejenemesouciepasdutoutdelui.J’aioptépour un chemisier en soie noire avec un motif en forme de baiser, la jupe moulante que Kat m’aachetée,descollantsnoirstransparentsetdesbottinescompenséesendaim.Parbonheur,RennieetReevenesontpasarrivés.Peut-êtrequ’ilsnesemontrerontpas.Jemangela
saladecomposéequeMamanaglisséedansmonsacetécouteAshmeraconteravecquelromantismeDerekluiademandéderecollerlesmorceaux.—Ils’estpointéchezmoiavecdesfleurset iln’auraitpasacceptéquejerefuse,Lil,dit-elleen
soupirantjoyeusement.—Queltypedefleurs?Lecœurn’yestpas,maisj’essayeaumoinsdem’intéresser.—Desœilletsroses!Qu’ilaprobablementachetésencheminàlastation-service.
—Tropmignon.Soudain,AshremarqueDerekdanslafiled’attentedelacafétériaetseprécipiteverslui.RennieetReevesedirigentversmatable,brasdessus,brasdessous.Mêmeavecsestalons,ellene
luiarrivequ’àl’épaule.Je garde les yeux rivés surma salade et ne bronche pas quand ils s’asseyent. Jeme contente de
tremperchaquefeuilledansmasauceàlamoutardeetaumiel.Sijem’ytiens,jen’auraipasbesoindeleverlesyeuxdetoutledéjeuner.Puis, Alex arrive. Je me demande si Reeve et lui se font encore la tête ou s’ils se sont déjà
réconciliés,commelefontlesgarçons.Oupeut-êtrequ’ilmedétesteégalementmaintenant,àcausedel’histoire des pizzas et parce que j’ai pris la main de Reeve devant lui. Je retiens ma respirationlorsqu’ilposesonplateauets’assoitfaceàmoi.—Tuesravissante,mecomplimente-t-ilenenlevantsonpullirlandais.Jeluiadresseunsourirereconnaissant.—Merci,Skud.Merci,mercibeaucoup.Àl’autreboutdelatable,RennieestquasimentassisesurlesgenouxdeReeve.Elleluimurmureà
l’oreilleetroucoule,puisill’enlace.Jeresteconcentréesurmasalade,ladécoupantenminusculesmorceauxquejetrempedanslasauce.Dereksepointeavecunplateauchargédefritesetannonce:—Dites, vous avez entendu queM.Dunlevy s’est fait choper pour conduite en état d’ivresse ce
week-end?—Ouais,j’aientendu,confirmeRennie.LacoachChristyétaitfurax.Jeveuxdire,ilsefaitpayer
pournousdonnerdescoursdeconduite.Jeprendsuneautrebouchéedesalade,etmâche,mâche,mâche.—Lil,Reeveettoi,vousn’avezpasprisdescoursdeconduiteavecluil’annéedernière?demande
Alex.Ilnesentaitjamaisl’alcool?Jehausselesépaules,etReeveenfaitautant.Aucundenousnepipemot.—Oh, je vois, ajoute-t-il avec une légère insinuation dans la voix. (Ilme regarde, puis agite le
pouceendirectiondeReeve.)Vendredi,vousétiezcollésl’unàl’autreàtafête,etmaintenant,vousnevouscalculezmêmeplus.Qu’est-cequejedoisenconclure?Jem’étouffepresqueenavalantunmorceaud’œufdur.Jeluitrouveungoûtterreux.Nonchalamment,Reevedéclare:—Liletmoi,ons’estsouvenusquenousnenousapprécionspasréellement.Renniem’adressesonsourirediaboliqueetjevoisrouge.Au-dessusdelatable,monregardcroiseceluideReevependantuneseconde,etsoudain,letemps
semble se suspendredans la cafétéria. Il n’y a plus que nous deux, les yeuxdans les yeux. Puis, ilreprendsoncours.Reevesecouelatêteetgloussecommes’iln’enavaitrienàfaire.Après ledéjeuner,alorsquejemerendsaucourssuivant,unefillededeuxièmeannéem’aborde,
uneépaisseenveloppeenpapierkraftàlamain.
—Lillia,tunemeconnaispas,mais…jemedisaisquetupourraispeut-êtreremettrececiàRenniedemapart.Elleaditqu’ellevoulaitlesrecevoirpare-mail,maismonordiestenpanneetc’étaitplussimplepourmoidelesimprimer.Jenel’aipasencorecroiséeaujourd’hui,etjeneveuxpasqu’ellecroiequejelambine.O.K.,dis-jelentementenprenantlalourdeenveloppe.Merci!Jeme réfugie rapidement dans les toilettes pour l’ouvrir. Elle est remplie de photos du bal des
étudiants.Desdeuxièmeannéequiposentbrasdessus,brasdessousouquis’éclatentsur lapistededanse.Desélèvesquiphotographientlesparticipantsàl’élection,deboutaupieddel’estrade.Oui,Rennie fait partieducomitéde l’albumdu lycée,maisuniquementpour s’assurerqu’aucune
imagepeuflatteused’elleneseraretenue.Qu’est-cequipeutbienl’intéresserdanscesphotosd’autresélèves ? On peut voir la robe argentée de Rennie sur certaines d’entre elles, et toute la bande enarrière-plan,maissurlaplupart,noussommesflous.Jeglissel’enveloppedanslesfentesdelaportedesoncasier,sansmêmefaireattentionànepasla
déchirer.
LIIIMARY
NOUS SOMMES MERCREDI après-midi, pendant le dernier cours. Plantée sur le parking face à lacamionnettedeReeve,jemeconcentredetoutesmesforces.Mais j’ai du mal à y arriver, parce que je suis trop contente. Ces derniers jours, Reeve s’est
promenédansl’écolecommesitoutallaitbien,maismoi,jevoisparfaitementenlui.Ilestmalheureux,etjesavourechaqueseconde.La portière ne bouge pas. Jeme concentre encore plus. Si seulement je savais à quoi ressemble
l’intérieurd’uneserruredevoiture,peut-êtrequej’arriveraisàmelareprésenterentraindes’ouvrir.Ouvre-toi,ouvre-toi,ouvre-toi.Ilfautquej’entredanslavoituredeReeveavantlafindel’écolepourpouvoirluilaisseruncadeau.
C’est mon pendentif en forme demarguerite, celui qu’il m’a offert pour mes treize ans. Autrefois,c’étaitmonbienleplusprécieux; jenel’enlevaisjamais,pasmêmepourprendremonbain.Je l’airetrouvé l’autre nuit quand j’emballais mes affaires. Je ne l’avais plus aperçu depuis le bal desétudiants.C’estlecadeaud’adieuidéal.Jeveuxqu’illevoiependreàsonrétroviseurintérieuretqu’ilpenseàmoi.Jesaisqu’ilnevapas
faire le rapprochement, qu’il ne va pas immédiatement comprendre que c’est à cause demoi qu’ilsouffreencemoment.Maisj’espèrequ’ilvaavoirunesortededéclic,unevagueidéequivaprendreprogressivement corps, longtemps aprèsmon départ :Tu souffres désormais pour tous tes péchéspassés.Tun’asquecequetumérites.Detoutemanière,j’enaifiniaveccependentif.Jen’enveuxplus.Jeglisse lamaindans lapochedemaveste,ensors lamargueriteet la serreaussi fortque je le
peux.Aussifortqu’illefautpourchangerunmorceaudecharbonendiamant.Clic.
Lesdeuxportièresdelacamionnette,côtéconducteuretcôtépassager,s’ouvrentàlavoléecommesiellesétaientmontéessurressorts,faisantvibrertoutlechâssis.L’alarmesedéclenche.Jen’aipasbeaucoupdetemps.Jegrimpesurlesiègeavantetenroulelachaînedupendentifautourdurétroviseur,puisjeluidonne
unepetitepichenettepourqu’ilsemetteàoscillercommeunpendule,aubeaumilieudupare-brise.Pourfinir,jemeglisseàl’extérieuretm’éloigne,sansmedonnerlapeinederefermerlesportières,
tandisquelelycéecommenceàsevider.
LIVKAT
PLUSQU’UNJOURavantlesvacancesdeNoël,etnousnefaisonsdéjàplusrienenclasse.J’airegardédesfilmspendanttroiscoursaujourd’hui.Maisbon,jenemeplainspas.Jedéjeuneàlabibliothèquepourpouvoirconsultermese-mails,unenouvellehabitudedepuisque
j’ai envoyémon formulaire de demande d’inscription. D’un point de vue technique, personne n’estautorisé àboireoumangerdans la bibliothèque,mais je le fais en douce. J’ai fourrémonwrap aupouletdanslamanchedemachemiseenflanelleetunecanettedesodaouvertedansmasacoche,quejetiensdeboutentremespieds.J’aideuxe-mails.Unmessaged’informationsurlaviolencefaiteauxchiotstransféréparmatante
Jackie,etuneréponsedel’universitéd’Oberlin.Jeretiensmonsouffleetclique,lesyeuxécarquillésfaceàl’écran.—Oh,monDieu!Oh,putain!Putain,putain,putain,putain!Labibliothécaire seprécipite immédiatementversmoi. Jepensequeça faitdessemainesqu’elle
rêvedemesurprendreentraindecontreveniraurèglementafindemevirerd’ici.Jevousjure,cettebonnefemmevoudraitavoirlabibliothèquepourelletouteseule.— Vous ne pouvez pas employer un tel langage ici, mademoiselle DeBrassio. Je vais faire un
signalement…Je n’attendsmêmepas qu’elle termine son sermon, peu importe ce qu’elle peut bien raconter. Je
reculema chaise, hissemon sac surmon épaule, puis file au bureau deMmeChirazo. Jeme rue àl’intérieursansmêmefrapper.Elleestavecunautreélève,unpremièreannéerondouillardquiporteunpolorayé.Tousdeuxse
retournentetmeregardent,ébahis.Jenem’ensuispasimmédiatementaperçue,maisunfiletdesodas’écouledemonsac.
Jehurle«Ehmerde!»àpleinspoumons,parcequec’estleseulmotquimevientàl’esprit.Puis,jememetsàpleurercommeunbébé.MmeChirazonesedémontemêmepas.Unvrairobot.—Kat,assieds-toi,dit-elleavecl’intonationd’unsergentinstructeur.Jem’effondresurlachaisevideàcôtédupetitgros,enroulelesbrasautourdematête,puismemets
àgémir.MmeChizaros’adresseaugarçon:—Billy,jeviendraitechercherplustard.JelanceunregardassassinàBilly-je-sais-pascommentetlemenace:—Toi,tun’asrienvu.MmeChirazol’accompagnejusqu’àlaporteetlarefermesifortquesespapierss’envolent.Puis,
elleseprécipiteversmoi,sansretourneràsonbureau,ets’assoitsurlachaiselibéréeparBilly.D’unreversdemanche,j’essuielamorvequimependaunez,maisilencouleencore.—Ques’est-ilpassé,Kat?Jeveuxlaregarder,maisjen’yarrivepas.—Jen’aipasétéadmiseàOberlin,voilàcequis’estpassé!Ledireàvoixhautemefaitl’effetd’uneputaindegifle.—Ilst’ontenvoyéuncourrier?Jesecouelatête.—Non,justeune-mail.Uneréponseautomatique.Salesbâtards!(J’arriveàpeineàparler.)Dans
cettefichuelettredemotiv,jeleuraiditquec’étaitmonrêve.Jeleuraiditquemamèreestmorteetquejevoulaisréalisersonrêveàsaplace.Etilsn’ontmêmepaseuladécenced’envoyeruneréponsepersonnalisée?—Qu’est-cequeçadisait,exactement?Jeluidécocheunregardfurieux.—Putain,vousêtessourde,ouquoi?Çadisaitquejenesuispasprise!Immédiatement, je regrettemes paroles. Je ne veux pasme conduire en sale petite garce face à
MmeChirazo.Jen’auraispasdûjurercommeçadevantelle.Elleaétésympaavecmoi.MmeChirazonem’engueulepasetnemejettepasdehors.Aulieudecela,ellemefaitsignedeme
leveretmemurmuredem’asseoiràsonbureau.EllesepencheversmoietseconnecteàInternetsursonordinateur.—Montre-moi.Montre-moiexactementcequ’ilst’ontenvoyé.Jem’exécuteetouvrecefoutumailpourqu’ellepuisselevoirdesesyeux.Ellelelitbienplusattentivementquemoi.Quelquessecondess’écoulentavantqu’elleneprennela
parole.—Kat,cemessageditjustequetun’aspasétéadmiseaupremiertour.Tademandeaétémiseen
listed’attente.Tuasencoreunechance.Peut-êtrequejedevraismesentirmieuxenentendantça,maiscen’estpaslecas.—S’ilsnemeprennentpasaupremiertour,c’estqu’ilsneveulentpasdemoi,pointbarre.
— Tu te trompes, ce n’est pas du tout ça. Nous pouvons étoffer la rubrique de tes activitésextrascolaires, essayer de trouver d’autres moyens de la compléter. J’ai lu tout ton dossier decandidature,etc’esttonseulpointfaible.—Qu’est-cequejevaisbienpouvoirfaire?Lanceruncontratsurlatêteduprésidentduconseil
desétudiants?Cen’estpasdrôle,Kat.Jedisjustequec’esttroptard.Elles’avancejusqu’àsonarmoireetfouilledanssespapiers.—NousavonsreçuunerequêtecettesemainedelapartduComitédepréservationdeJarIsland.Ils
cherchentdesbénévolesaprèsl’écoleetleweek-end.Jeneveuxpasmefaired’illusions,maisc’estmieuxquerien.—Trèsbien.— Excellent, Kat. Je vais les appeler aujourd’hui et leur demander quand est-ce que tu peux
commencer.—Jesuisdésoléedevousavoirinsultée.—Tuétaisencolère.Jecomprends.Jesuiscontentequetuarrivesàexprimertessentiments.(Elle
metapotelajambe.)Entre-temps,postuleauprèsdetonécoledesecondchoix,aucasoù.Tuesforte,Kat.Neperdspaspiedmaintenant.Jen’auraisjamaiscrupouvoirdireçaunjour,maismercimillefois,MmeChirazo.C’estlàqu’uneidéemevient.—Au fait,MmeChirazo,est-cequevousavezdesélèvesattitrésàcharge?Ouest-cequevous
pouvezdiscuteravectousceuxquiontbesoind’aide?Parcequ’unedemesamies…
PLUSTARDDANSlajournée,unmessagedeMmeChirazom’esttransmispendantlahuitièmeheure.IlsetrouvequeleComitédepréservationdeJarIslandveutquejecommenceaujourd’huimême.Jevaisdoncm’y rendre directement après les cours. Pourquoi pas ? Je n’ai rien à perdre. Et quand bienmême, j’ai l’impression que je dois bien ça à ma conseillère qui s’est donnée tant de peine pourm’aider.C’estunjolibâtiment,prèsdesboutiqueschicsdeWhiteHaven.Duboisblanc,descadresnoirset
pleinsdevieuxvitrauxtarabiscotés.Desbranchesdebalsamierencadrentlaporteetgrimpentlelongdelarampemétallique,embaumantl’aird’undélicieuxparfum.Jeremarqueuneplaqueenbronzesurmonchemin.Elleditquecebâtimentétaitl’anciennemairie,auXVI siècle.À l’intérieur, l’espace est vaste, avec des parquets en boismassif si brillants que jeme reflète
dedans.Chaquemurestrecouvertdebriquesrougesapparentes,etonyasuspendudesobjetsanciensappartenantàl’histoiredelaville,commeunvieuxdrapeaumitéetunepagaieenboisrongée.Touslesquelquesmètressedresseungrandbureauenchêne.Desampoulesàfilamentpendentduplafond.Toutcetendroitpuelefricàpleinnez.Je le déteste immédiatement. Il y a un truc qui me dérange chez les riches. On dirait qu’ils
recherchentdesmoyensdedépenserleurargentafindesoulagerleurconscience.Jem’avance jusqu’aupremierbureau.Unefemmeestassisederrièreetdiscuteau téléphone.Elle
e
porteunpullcrèmeample,desbouclesd’oreilleenperleetunénormediamanttape-à-l’œilaudoigt.Ellemedétaille:mescheveuxenbataille,lesaccrocsdansmonjean,mesrangers…puisseforceà
mesourire.Danslecombiné,elledit:—Biensûrquenousnousinquiétonsàproposdelamaison.Elleestvraimentcharmante…Etelle
est tellement liée à l’histoire de votre famille…Nous avons essayé plusieurs fois de joindre votresœuret…laissez-moivousdirequ’ellenevapasbienetquelamaisonenpâtitclairement.(Lavoixdelafemmeesthautperchéeetgeignarde.Elleadressequelques«Hum,hum»detempsàautreàlapersonneàl’autreboutdufil,maislitsese-mailsouautrechoseenmêmetempssursonordinateur,etça m’étonnerait qu’elle écoute vraiment.) Oui, eh bien, nous sommes prêts à vous aider du mieuxpossible.Sivotresœurn’estplusenmesured’assurerl’entretiendelamaison,nousseronsravisdevousfaireuneoffregénéreuse.Oui,biensûr.Nousattendonsdevosnouvellesetnousferonstoutnotrepossiblepourvousaider.Lafemmeraccrocheetpousseunsoupiraffecté.Jel’interroge:—Lajournéeaétédifficile?Ellericanesèchement.— On peut le dire. Bon, en quoi puis-je t’aider ? Tu t’es montrée très patiente et je t’en suis
reconnaissante.J’aienviedeluidire«Paslapeinedetemontreraussicondescendante,saleconne»,maisjeme
contentedesourire.Cettefemmedoitpenserquejesuisunesansdomicilefixe.—MmeChirazodulycéeaappeléàmonsujetaujourd’hui.Lafemmemedévisage.PeuimportecequeMmeChirazoluiavendu, jenesuispasà lahauteur,
selonelle.—Oui,biensûr.Noussommesravisde t’accueillirparminous,Katherine. (Ellese lèvederrière
sonbureau.)Laisse-moit’accompagnerausous-sol,oùtuvastravailler.Biensûr…Nousdescendonsunescaliergrinçant.Lesous-soln’apasbénéficiédumêmesoinque le rez-de-
chaussée.Iln’apasdefenêtres,etlesplafondssontsibasquenousdevonsnouspencherpournepasnouscognerlatête.—Ilvafalloirparcourircesdocuments,numériserlespremièrespages,puislesenregistrersurle
disquedur.(Ellememontreuntrucquiressembleàunedéchiqueteuseàpapier.)Çavavite;tuglissesles documents par ici et le scanner les numérise. Essaye de les insérer bien droit. Et faisparticulièrementattentionaveclespapiersjaunis.—C’estquoi,touscesdocuments?Lafemmeritsouscape.— Un peu de tout. Des arrêtés municipaux, des journaux, des relevés cadastraux. (Elle a déjà
remontélamoitiédel’escalier.)Fais-moisignesituasbesoindequoiquecesoit.J’enlève ma veste. Je préférerais me casser d’ici, mais je ne peux pas. Je vais probablement
travailler ici jusqu’auprintemps.Maisbon,qu’est-ceque jene feraispaspour intégrer l’universitéd’Oberlin!
LVLILLIA
CETTE ANNÉE, MME KUDJAK a mis le paquet. Des serveurs en nœud papillon rouge distribuent desamuse-bouche sophistiqués, comme desminicakes au crabe ou des fourrés à la poire surmontés decrèmefraîcheàla truffe.Enplus, ilyaunbuffetdeviandes,desplateauxdefruitsdemeret toutessortesdegourmandisesauchocolat.Lamaisonestbondée, ilyadumondepartout.Àcôtédusapin,mesparentsdiscutentavec leurs
amisduyacht-club.Mamèreestmagnifiquecesoir.Elleporteunerobeblanchedrapéesurlecôtéetunélégantchignonbanane.ElleaessayédemetraîneravecNadiachezlecoiffeur,maisNadiadétestequ’uneautrepersonnes’occupedesescheveux,etalorsquejesautesurl’occasiondemefairefaireunbrushingentempsnormal,jen’étaispasd’humeur.Jeporteànouveaumarobeensoiebleue,cellequej’avaischoisiepourallerauxportesouvertes
chezReeve.Jemesuisfaitunequeuedechevaletj’aienfilémesbottinescompensées,parcequecesont mes chaussures habillées les plus confortables. De toute manière, je n’ai pas l’intentiond’impressionnerquiquecesoitcesoir.Je suis assise avecAlex sur le douillet canapédu salon et nouspartageonsune tarte au chocolat
nappéedecrème fouettée. Il a chapardéducidrechaud,mêmesi çam’étonneraitquenosparentsytrouventàredire.JenesaispasoùestNadia.ProbablemententraindejoueràGuitarHerodans lepoolhouseaveclescousinsd’Alex.Noussommeslesseulsenfantsencoreprésents,saufquenousn’ensommesplusvraiment.Lamèred’Alexaditquenousdevionsresteretdiscuteraveclesadultesparcequenousenétionspresque.J’espèrequemesparentsnevoudrontpasrestertard,parcequejen’aipasprismavoiture.—Pourquoituessimorose,Lil?medemandeAlex.Danstroisjours,c’estNoël!Mafourchettechargéedetarteauchocolats’immobiliseàmi-chemindemabouche.—Commentça,morose?Jenesuispasmorose.Désoléedetedonnercetteimpression…Jesuis
justefatiguée,jepense.Jesuisalléeaucentreéquestretrèstôtcematin.—CommentvaPhantom?—Oh,ilvabien.(Jeprendsuneautrebouchéedetarte.)Jen’enrevienspasquetutesouviennesde
sonnom.Alexmeregarded’unairoffensé.—Biensûrquejem’ensouviens.Jet’aivueencompétition.Tuterappelles,enpremièreannée?Tu
montaistouslesjoursoupresque.Tun’avaisquePhantomàlabouche.Jeris.—J’imaginequejetapaissurlesystèmeavecmondada.(Jetendslebrasetattrapemapochettesur
latablebasse.)J’aiunpetitquelquechosepourtoi.Alexmâcherapidementetavale.—Nan!Jehochetimidementlatête.—Jevoulaisteremercier.Tuasétésisympaavecmoicetteannée.Je sorsmoncadeaudemapochette. J’ai eudumal àglissermon rougeà lèvresetmonmiroir à
l’intérieur,tellementilprenaitdeplace.Alexsembletouché.Ilretournelepaquetdanssesmainsetjesuiscontentedeluiavoirfaitunjoli
emballage.J’aichoisiunpapierdorébrillantquej’aiattachéavecunrubanensoiecrème.Ill’ouvrelentementenveillantànepasdéchirerlepapier.Ilensortunlongmorceaudecuirbrunetlefixesansdireunmot.—C’estunesanglepourtaguitare.(Jepréfèrepréciser,parcequ’ilpensepeut-êtrequec’estune
ceinture.Jelaluiprendsdesmainsetlaretourne.)J’aifaitgravertesinitialesdanslecuir.J’aichoisila policemoi-même.La fillem’adit qu’elle était réglable, alors tu peux la porter haute et près ducorpsàlaJohnnyCash,oulâchecommelespunk-rockers.(Jelaluirends.)Jen’étaispassûredetonstyle.—Lil,annonce-t-iltranquillementavantdeleverlesyeuxsurmoi.C’estsupercooldetapart.Jeluisourisouvertement.—Vraiment?Tul’aimes?Alexhochelatête,puisselèvebrusquementducanapéetregardedel’autrecôtédelapièce.JelèvelesyeuxetaperçoisReevedanssadoudoune,deboutdevantlebuffet,unebièreàlamain.Il
secoupeunetranchedefiletmignondeporcetlamangeaveclesdoigts.Jemeredresseégalement,lecœurbattant.Tul’asinvité?Non.Reeveportesabièreàlaboucheetlatermineenunelonguegorgée.Ilscrutelapièce;ilnenousa
pasencorevus.Enrevanche,ilrepèreTim,l’oncled’Alex,foncedroitsurluietletapedansledossifortqueduchampagneserenversedesaflûte.—Merde,ilestbourré,constateAlexentraversantlesalonàgrandesenjambées.Jelesuis.Ils’arrêteprèsdeReeveetluiposelamainsurl’épaule.
—Qu’est-cequetufais,mec?Reeveseretourneenchancelant.—Tamèrem’alaisséentrer.(Puis,ilmevoitderrièreAlex.)Salut,Cho.Quoideneuf?—Salut,Reeve.AlextraîneReevehorsdelapièce,lefaitsortirparlaportedelacuisine,puisletireverslepool
house,malgrélesprotestationsetladémarchemalassuréedecedernier.ReeverepousseAlexunefoisdehors.—C’estquoi,cebordel?Jenesuispluslebienvenucheztoi,maintenant?—Eh,doucement,luiintimeAlex.Calme-toi.Jeserrelesbrasautourdemoienfrissonnant.J’ailaissémavesteàl’intérieur.Reevepointelementondansmadirection.—Qu’est-ceque t’ascontre lesmanteauxd’hiver?medemande-t-ilencommençantàenleversa
doudoune.—Çava,Reeve.—Çava,Reeve,m’imite-t-ilavantdem’adresserunsouriredédaigneux.Peuimporte,tupeuxbien
creverdefroid.Commesij’enavaisquelquechoseàfoutre.Mesyeuxs’embuent. Il est siméchant.C’estcommeçaque leschosesvont sepasserentrenous,
désormais?—Tuferaismieuxdepartir,luiconseilleAlexens’avançantdevantmoi.Reevelèvelesmainsenl’air.—O.K.Moiquicroyaisquelespotespassaientavantlesmeufs…Jemetire.Ilhurleendirectiondupoolhouse:—JoyeuxNoël,lesmorveux!LePèreNoëlvientdesefairejeterdehors!Puis,iltitubeverslagrille.Nadiaetdeuxdescousinslesplusâgésd’Alexsontsortisdevantlepoolhouseetnousobservent,
ahuris.JeprendsAlexparlebras.— Il ne devrait pas conduire, il est saoul. (Alex ne bouge pas et se contente de regarderReeve
trébucher.JelepousseversReeveaussifortquepossible.)Dépêche-toi,Alex!Alexlesuitàcontrecœur.—Donne-moitesclés,jevaistereconduirecheztoi.Reevejettesesclésdanslapelouse.—Nan,jevaisrentreràpied.Àdistance,jeluicrie:—Reeve,laisse-leteramener!Maisiladéjàdescendulamoitiédelarue,sadoudounesefondantdansl’obscurité.Jemelanceà
larecherchedesesclés,maisilfaittropsombre.Alexmerejointethausselesépaules.
—Donne-moitontéléphone,Alex.Ils’exécute.Jem’enserscommelampedepocheetpasselapelouseaupeignefin.Derrièremoi,Alexmepropose:—Onferaitmieuxderentrer.Ilgèleici.Jelestrouveraidemainmatin.Je l’ignore et continue à tâtonner. Mes doigts finissent par se refermer sur un objet froid et
métallique.Jelèveletrousseaudevantlesyeuxd’Alex.—Ilfautquetulesuives,ilestsaoul.Ilvaluifalloirdesheurespourrentrerchezluiavecsajambe
blessée.Ilpourraitsefairerenverserparunevoiture.Alexresteimpassible.—Ilnem’écouterapas.Ilesttroptêtupourça.Çavaaller.—Essaye,s’ilteplaît.Alexmeregardeuninstant,puisajoute:—Qu’est-ce qu’il y a entre vous ? (Il se passe lamain dans les cheveux et se cache le visage,
commes’ilnevoulaitpasentendremaréponse.)Nememenspas,s’ilteplaît.Jenedisrien.Jeneveuxpasluimentir.J’ail’impressiond’avoirmentiàtoutlemondecesderniers
temps,etj’enaimarre.Alexméritemieuxqueça.—On…atraînéensemble,deux-troisfois.Alexmescrute.—Tuveuxdirequevousêtessortisensemble?Jeprendsuneprofondeinspiration.—Ons’estembrassés,maisc’esttout.C’étaituneerreurstupide.(Alexfixelesol.Ilneveutpasme
regarder.)Désolée.—Tun’aspasàêtredésolée,m’assure-t-ilen levant lesyeux. (Heureusement, iln’apas l’airen
colère.Justesonné.Ilmeprendlesclésdesmains.)Merciencorepourmoncadeau.—Jet’enprie.Il trotte jusqu’à la camionnette de Reeve garée devant l’allée de son voisin, monte dedans et
démarre.Nadiamerejointencourantetmedemande:—Qu’est-cequ’ilya?—Rien.(Jepasselebrasautourdesesépaules.)Onrentre.
LELENDEMAIN,JEsuisallongéesurlecanapédevantlatéléàéchangerdesSMSavecAsh,quandmonpèreentredanslesalonets’assoitàcôtédemoi.—Turegardesquoi?medemande-t-il.JenelèvepaslesyeuxetcontinuederédigermonSMS.—J’ensaisrien,uneémissionspécialesurNoël.Qu’est-cequis’estpasséchezAlex?J’aientendudirequeReeves’estpointébourréetqu’Alex
l’afoutudehors!
Pasvraiment.C’estcequ’onraconte?Renaditqu’elleavaitdûallerrécupérerReevesurleborddelaroute!Évidemment,ilaappeléRenniepourqu’elleviennelechercher.Pasétonnant.—Tuasterminétoncomplémentd’informationspourWellesley?m’interrogemonpère.—Ouais,quasiment.C’estpresquevrai,parcequej’aipratiquementterminé.L’airderien,ilmepropose:—Tuveuxquej’yjetteuncoupd’œilavantquetunel’envoies?—Non,c’estbon.Jel’aidéjàmontréàmaconseillèrepédagogique.Pourquoiils’estmisdanscetétat?Aucuneidée.Renaditquoi?Elleluiatrouvédesexcuses,commetoujours.Illamèneparleboutdunez.—Çaneferaitpasdemald’avoirunsecondavis.Jefinisparleverlesyeuxdutéléphone.—Papa…Jenesuismêmepassûred’avoirenvied’alleràWellesley.Enfronçantlessourcils,iltempère:—Jecroyaisqu’ons’étaittousmisd’accordpourquetuposesaumoinstacandidature.—Jevaislefaire,maismêmesijesuisprise,jenesuispassûredevouloiryaller.(Surl’écran,je
faisdéfilermaconversationavecAshetreliscequ’elleaécrit.)Cen’estpasparcequeMamanaimaitl’idéed’uneécoledefillesquejevaisyentrer.—Jeveuxquetupostulespourquetupuissesavoircetteoption.Compris?Jehochelatête.D’accord.Jenesuismêmepassûred’êtreadmise,detoutefaçon.Ils’éclaircitlagorgecommeillefaittoujoursquandilestmalàl’aise.—L’autrenuit,chezlesKudjak…Tonamiétaitsaoul?Jegardelesyeuxbaissés,maismoncœurs’affole.—Quelami?—Reeve.C’estcommeçaqu’ils’appelle,non?Jesuissurprisequemonpèreconnaissesonprénom.Mamèreleluiaprobablementdit.—Non,iln’étaitpassaoul.Monpèreal’airsceptique,alorsjerépèteavecplusd’insistance:—Vraiment,iln’étaitpassaoul,Papa!C’estpassongenre.C’estunsportif.—Trèsbien,jetecrois.Jeveuxjustequetufassesattentionàtesfréquentations.Encemoment,tu
doisteconcentrersurtescandidaturesàl’universitéetfinirlelycéeenbeauté.Netereposepassurteslauriers.J’aienviede le rabrouer,mais jem’abstiens,parcequeçanese faitpasdansma famille.Onne
répondpasavec insolence.Çame renddinguequandmonpère rentre à lamaisonet joue leparentimpliqué,alorsqu’iln’estjamaislàoupresque.Iln’apasledroitdemedirecommentmecomporter.
Calmement,jerétorque:—Jesuisconcentréesurmescandidatures,Papa.D’ailleurs,jevaismonterterminermescourriers.Jemelève.—C’estbien,mafille,répond-ilenhochantlatête.Unefoisdansmachambre,jemelaissetombersurlelitetappelleAsh.Jel’entendsmâcherquelquechose.—JepensequeRenméritemieux.Iljoueavecelledepuisqu’onestgamins.Elleluidonnetoutce
qu’ilveut,etluinefaitqueprendre,prendre,prendre.Cettefille,c’estlagénérositéincarnée.J’aidumalàmereprésenterRennieenâmegénéreuse,maisjen’endisrien.—Ilnepensequ’àlui,poursuitAsh.Ilsemoqueéperdumentdesautres.Jenesuispassûrequeçasoitvrai.Enfait,jesuispersuadéeducontraire.
JEMESOUVIENSdelatoutepremièrefoisoùj’airencontréReeve.C’étaitquandnotremaisonétaitencoursdeconstruction.Nadiaétaittoutepetite,etj’avaisseptans.Jen’aijamaisvuenvrailademeurequisetrouvaitlàauparavant.Uniquementenphotos.C’étaitun
bâtimentsurdeuxniveauxavecunporchequicouraitsurtoutelafaçade,desvoletsdécoratifsetunegrandegirouettemétallique.Cen’étaitpasdutoutlestyledemesparents,maismamèreavaitcraquépour l’emplacement. Avec ses huit mille mètres carrés, la parcelle était vaste et offrait une vuemagnifiquesurlamer.L’hommequivivaitlàn’avaitmêmepasl’intentiondevendre,maismonpèreluiavaitfaitenvoyerunelettreparsonavocatpourluiproposerunegrossesomme.Lejoursuivantlaventeeffective,l’anciennebâtisseaétéraséeparlesbulldozers.Àcetteépoque,WhiteHavenn’étaitpasencoreenvahiededemeures immenses.Jeveuxdire, les
maisonsétaientgrandes,maisdansmessouvenirs,aucunen’avaitdepiscineenterrée,d’ascenseuroudegaragepourcinqvoitures.C’étaitplusbucolique.Ilyavaitdel’espaceentrelesconstructions,del’intimité,etlesplusbellesvuesdetoutel’île.D’unecertainemanière,jenesuispasétonnéequelavillesoitdevenuecequ’elleestaujourd’hui.Lapropriétédesriches.Bref,commec’étaitmamèrequiavaitdessinélesplans,elleaimaitvisiterlechantierpourvérifier
l’avancéedestravaux.Unjour,ellenousaamenéesavecelle,Nadiaetmoi.Quandnoussommesarrivéesàdestination,ilsavaientcoulélesfondationsetcommencéàdélimiter
lespiècesàl’aidedegroschevrons.Ilyavaitaumoinsdixfourgonnettesgaréessurlapelouse,etunimposanttombereaujaune.—MonDieu!s’estexclamémamère.Ilvafalloirqu’onressèmetoutelapelousedevant.Jemesouviensd’avoirétécomplètementimpressionnéeparlatailledenotrefuturemaison.Nous
avionstoujoursvécuenappartement.Certes,ils’agissaitd’immeublesdestanding,maisonavaittoutdemêmedesvoisinsdel’autrecôtédelacloison.Cettemaisonétaitgigantesque.Desouvrierss’activaientsurlechantier.Ilsavaienttousdegrosventres.J’aiprisNadiaparlamain
etjesuisrestéeprèsdemamère,tandisqu’ellediscutaitavecundesentrepreneurs.Mêmes’ilfaisaitchauddehors,mamèreportaituntailleurnoiretdesescarpins,etelleagardéseslunettesquandnoussommesallésàl’intérieur.
Ilssedisputaientàproposdelacaged’escalier.Mamèrenecessaitdedésignersesplansdudoigtet de lui dire qu’il devait suivre ses instructions, sans quoi elle ferait appel à une autre équipe.L’hommearicané.—Noussommeslaseuleéquipesurl’île.Mamèreluiarépondu:—Jelesferaivenirparferryetjeleurloueraiunemaison.Çaluiacoupélachique.Tandisquemamèreluipassaitunsavon,iln’arrêtaitpasdenousregarder,Nadiaetmoi.Jepense
qu’iln’appréciaitpasdesefaireengueulerparunefemme,surtoutdevantdesenfants.Soudain,jemesuisprisunegrandeclaquedansledos.—Touchée!Jemesuis retournée.C’étaitunpetitgarçonunpeuplusgrandquemoi,avecun immensesourire
révélantpresquetoutessesdents;ilsebalançaitd’unpiedsurl’autre.—Reeve!acriél’homme.Jet’avaisditderesterdanslafourgonnette!—Vouslaissezdesgaminscourirsurlechantier?s’estoffusquéemamère.— Il devait aller à un stage de foot, mais apparemment, ma femme a mal noté la date sur le
calendrier.Elleestpartierendrevisiteàsasœursurlecontinent,alorsj’aifaitcequej’avaisàfaire.Reevem’aadresséplusieursclinsd’œil.Ensuite,ilm’atapésurlebrasenrépétant:—Touchée!Puis,enparlanttrèslentement,commesijenecomprenaispascequ’ildisait,ilaajouté:—C’esttoileloup!Demavoixlaplusméchante,jeluiairépondu:—Jesaisjouerauloup.Jedétestaisquandlesgenssupposaientque,parcequej’étaisasiatique,jenelescomprenaispas.Ça
merendaitdingue.—Onnediraitpas.Ilareculéprécipitamment.J’ailâchélamaindeNadiaetmesuislancéeàsestrousses.Maman et l’homme nous ont crié après, mais je ne me suis pas arrêtée. Je voulais vraiment
l’attraper.Mêmesil’hommeavaitprétenduàmamèrequeReevenetraînaitpassurlechantierd’habitude,il
évoluaitsiaisémentdanslamaisonquej’étaissûrequ’ilyétaitdéjàvenu.Ilsavaitexactementoùsefaufiler et comment se diriger. Il a sauté au-dessus d’une pile de planches et s’est glissé sous deuxchevalets de coupe. Il était vif, mais moi aussi. J’aurais été plus rapide sans mes chaussures dudimanche.Alorsqu’ilétaitpresqueàmaportée, il s’estengouffrédans l’embrasured’uneporte.Audernier
moment,ilasembléchangerd’avis,commes’ilnevoulaitpasyaller.Maisj’étaisdéjàrevenueàsahauteur.Je luiairentrédedanset luiai tapélebrasde toutesmesforces. Ilavolédans lapièceenglissantsurlesol.
C’étaitducimentfrais.Ilyalaisséunetracededérapagehallucinante.J’airetenumonsouffle.—Bonsang,Reeve!Jemesuisretournéeet j’aivusonpère,rougedecolère.Ilestentrédanslapièceenlaissantses
grossesempreintesdebottesdansleciment.J’imaginequ’ilsemoquaitpasmaldel’abîmer,sachantqueReeves’enétaitdéjàchargé.IlasoulevéReeveparledosdesachemise,commeleschatsavecleursbébés.Saufqu’il ne s’est pasmontrédélicat.On aurait dit qu’il allait tuerReeve.Et celui-cisemblaitterrorisé.Toutsonvisages’esttransformé.D’unepetitevoixaiguë,j’aidit:—C’est…C’estdema…C’étaitdemafaute;jel’avaispoussé,maisReevenem’apaslaisséefinir.—Pardon,Père.Jesuisvraimentdésolé.Toutestdemafaute.MamanetNadiasontarrivéesàcemoment-làetontpousséunpetitcridestupeur.Enlesvoyant,lepèredeReevel’areposéparterre.—Onvaimmédiatementréparerça.Ànosfrais,évidemment.IlajetéunregardfurieuxàReeveetasiffléentresesdents:—Retournedanslafourgonnette.Maintenant!—Oui,Père,aréponduReeve.Jemesuissentiemalpourlui.Mamanm’afaitmonterdanslavoitureavecNadia.Surlechemindu
retour,j’aivuReeveassissagementsurlabanquettearrièredelafourgonnettedesonpère.Iln’avaitplusl’aireffrayé.Ilm’amêmesouri.
LVIKAT
LEMATINDENoël,j’avaisprévudemeleverdebonneheureafindepréparerdespancakespourtoutlemonde.Maislaveille,jesuisrestéedeboutjusquetarddanslanuitpourregarderUnehistoiredeNoëlavecPat,etjenemesuispasréveillée.Ilestplusdedixheuresquandjemelèveenfin.J’enfilemonpeignoirmiteuxsurmontee-shirtetmetraînejusqu’àlacuisinepourmefaireunetasse
decafé.Àmagrandesurprise,PapaetPatsontassisàlatable.Patestpenchéau-dessusd’unboldesoupedelaveilleetPapaboitsoncafé.D’unevoixencoreensommeillée,jeleurlance:—JoyeuxNoël,lesDeBrassio!Jevoulaismelevertôtpourfairedespancakes,mais…—Maistun’esqu’unegrosseflemmarde?terminePatenavalantbruyammentsasoupe.Jesourisetmeverseducafé.—Commemongrandfrère!Matasseàlamain,jefiledanslesalonetallumelesguirlandesdeNoël.Iln’yariensouslesapin.
Nousnoussommesdéjàéchangénoscadeauxlaveille,selonlatraditiondesDeBrassio.J’aioffertàmonpèreunenouvellecanneàpêchepourlaquellej’avaiséconomisé,etàPatunedécalcomaniedemotoitaliennevintagequej’aitrouvéesurInternet.Monpèrem’adonnéunbilletdecentdollars,etPatm’aditqu’ilm’offriraitmoncadeauplustard.
Maisbiensûr…Lescadeauximaginaires,c’estsaspécialité.J’allumelatéléettombeànouveausurUnehistoiredeNoël.C’estlafindufilm,quandilsmangent
tousaurestaurantchinoisetquelesserveurschantentDecktheHalls,sansparveniràprononcerlesL.C’estracistecommetout,maisçaresteunbonfilm.Puis,PatetPapaentrent,etcederniermedit:—Katherine,jepensequ’ilresteuncadeaupourtoisouslesapin.
Jeluiindiqueletapisoùiln’yarienetluilance:—Ouvrelesyeux,monvieux!—Pat!rugitPapa.Tudevaisleposersouslesapincematin!—Ducalme,ducalme,sedéfendPat.(Ilvadanssachambre,enramèneunpaquetenveloppédans
dupapierreprésentantdesPèreNoël,puismeletend.)Voilà.Jelesregardetouràtour.—C’estquoi?Papasourit.—Ouvre-le!Jedéchirelepapier:c’estunnouvelordinateurportable.J’enrestebouchebée.—Non,c’esttrop.—C’estpourtesétudes,Katherine.Jesensmagorgeseserreretleslarmesmemonterauxyeux.—Comment…commenttuaspul’acheter?—J’ai terminé lecanoë la semainedernière,expliquePapaenmesouriant fièrement.EtPatm’a
aidé.JefixePat,quiestaccoudédansl’encadrementdelaporte,lesbrascroisés.—Pourdevrai?—Ouais,mavieille.Jemesuiscasséleculpourcetruc,alorstuasplutôtintérêtànepasteplanter
àOberlin,meraille-t-ilenagitantledoigt.Jem’essuielesyeuxd’unreversdemanche.—Jen’aipasencoreétéadmise.Jedevraisleuravouerquejen’aipasétépriseaupremiertour,maisjen’enaipaslecourage.—Maissi,çavalefaire,m’assurePat.Mêmesi jesuisadmise,c’est tellement loin…Jeferaispeut-êtremieuxdechoisiruneécoleplus
proche,pourpouvoirreveniràlamaisonetvousaider.Certainementpas,aboiePapa.Tuvaspartird’icidèsquetuaurastondiplôme.Tamèren’auraitpas
vouluquetufassesautrement.Jelevoisàpeineàtraversmeslarmes.—Mercibeaucoup.Patsepenchepourmedire:—Papaetmoi,onestcapablesdesedébrouillertoutseuls.Tuvasalleràl’universitéd’Oberlin,
pointbarre.Tun’aurasquedesA,tuvasdevenirricheenfaisantunboulotsympa,etensuite,tunousenverrasdestonnesdebilletsàlamaison.Jeris.—Tucomptesencorevivreicidanscinqans?Loser,va!Puisjemelève,lesjambestremblantes,etlesserrefortdansmesbras.
LVIILILLIA
LAJOURNÉEDENoëlpasseàtouteallure.Nousallonsàl’égliselematincommetoujours,puis,ànotreretour,monpèrepréparedelasoupeaugâteauderizcoréenneetmamèreréchauffedesroulésàlacannelle surgelés qu’elle a commandés chez Neiman Marcus. Nous les mangeons en ouvrant noscadeaux. Je reçois un nouvel ordinateur portable, un pull en cachemire vert et lavande, des bottesd’équitationetdepetiteschoses,commemonparfumpréféréetlacrèmeàladragéedeNewYork.Jedevraisêtrecontente,parcequej’aimelescadeauxetquej’aieutoutcequej’avaisdemandé,et
plus encore. Nadia pousse des cris aigus à chaque paquet ouvert en embrassant nos parents et enprenantsontempspourfairedurerleplaisir.J’aidumalàsourireetàremerciertoutlemonde.Jesuislapirefillequisoit.Mesparentsleremarquentsansaucundoute.Ilsn’arrêtentpasd’échangerdesregardsinquiets.Àun
moment,mamères’assoitàcôtédemoisurlaméridienneetposelamainsurmonfrontpours’assurerquejen’aipasdefièvre.Jenepensaispasque j’allaissimal levivre.Quej’allaissouffrirautantpourunechosequiétait
censéeêtreunefarce.Une fois tous les cadeaux déballés, Maman fait signe de la tête à Papa, qui sort de la pièce.
Lorsqu’ilrevient,ilportedeuxénormescartonsdanslesbras.Nadiaselèved’unbondetessayed’enprendreun,maisPapaluirépond:—IlssonttouslesdeuxpourLillia.Je lesouvre.C’estunensembledevoyageflambantneufdechezTumi,avecunecoquerenforcée
blancbrillant.Deuxvalisesàroulettes,unegrande,etunepetitequejepourraiemmenerencabine.—C’est pour l’université,m’explique Papa.Wellesley a de fantastiques programmes d’études à
l’étranger,tusais.
Jen’aimêmepaslaforcedeluirépondrequoiquecesoit,deluiavouerquejenesuistoujourspascomplètementemballéeparWellesley.Jemecontentedehocherlatête,puisd’ouvriretdefermerlaserruredelavaliseàplusieursreprises.—Ton père a choisi cet ensemble lui-même,m’expliqueMaman. Il s’est dit que tu aimerais le
blanc.Elleposelamainsurmongenouetleserrevigoureusement.Jeregardemachinalementmonpère.Jel’adore.JoyeuxNoël,princesse,merépond-il.
LVIIIMARY
NOUSSOMMESENFINàlaSaint-Sylvestre.Laneigevatombercesoir,quelquescentimètres.Etleventsouffle.LafêtedeRennieserasûrementmaintenue.J’espère justequ’ilyauradesferrysdemain.Jesuistropimpatientedevoirmonpèreetmamère.J’aiprévuunetenuespécialepourlevoyageduretour.Unejupedroite,desescarpins,unchemisier
crème.Jeveuxêtrebelleetavoirl’airmûrepournosretrouvailles.Jeveuxqu’ilsserendentcomptequej’aigrandi.Mêmes’ilspensentbienfaire,ilsm’onttoujoursconsidéréecommeunbébé.Quandjeseraidenouveauchezeux,j’aienviequ’ilsmetraitentcommeuneadoetpascommeuneenfant.Maisavantcela,jedoisparticiperàunefêteetfairemesadieuxàdeuxpersonnestrèsspéciales.Jeprendsmontempspourmemaquilleretmecoiffer.Jemepareleslèvresd’unrougeéclatantet
attachemescheveuxenchignon.J’enfileunerobequej’aitrouvéedansmonarmoire,uneblancheavecdesperles,despoignetsétincelantsetunetaillebasse,puisjefaisletourdelamaisonàlarecherchedemesnu-piedsdorés.Onsonneàlaporte.Décidément,cesdamesduComitédepréservationsontbiendéterminéesànepaslâcherl’affaire.
J’imagineque tanteBettenevapas répondrecommed’habitude,maisdehors, lapersonne insisteetsonnedenouveau.Bizarre.TanteBettefinitparouvrir.—Erica?Jemefige.—Oh,monDieu,Bette,regarde-moicettemaison!Cettevoix.Çafaisaitlongtempsquejenel’avaispasentendue.
C’estmamère.Elle…elleestvenue!Jemelèved’unbondetdévalelesescaliers,maislorsquejel’aperçois,jem’immobilise.Maman?Elleestdeboutdans lesalon,dansun longmanteaunoir.Sescheveuxsontpresqueaussigrisque
ceuxde tanteBette.Commenta-t-ellepuvieillirautantdu jourau lendemain?Jenesuispaspartiedepuissilongtempsqueça.—C’estquoi,cebruit?demande-t-elle.—C’estMary,répondtanteBette.—S’ilteplaît,Bette.Jet’enprie,cessedemetorturer.Jem’arrêtenet.Quelquechosecloche,etpasqu’unpeu.Unevaguedechaleuretdepaniques’emparedemoi.Lesphotosencadréessurlemurdel’escalier
commencentàtrembler,etjedoismeforceràmecalmer.Calme-toi,calme-toi,calme-toi,calme-toi.—Tuasbesoind’aide,Bette,poursuitmamère. (Ondiraitqu’ellepleure.)Jevais te fairesortir
d’ici.Cettemaisonterendmalade.LesmembresduComitédepréservationontappelé,et ilsonteuraisondelefaire.Regardeautourdetoi!—Non,non,jevaisbien,Erica,sedéfenddésespérémenttanteBette.Maryveutpartir!J’iraimieux
aprèssondépart.—Cettemaisontombeenruines,et tu…tunevaspasbien,bredouillemamère.Tunepeuxplus
resterici.TanteBetterecule.— Il faut que tu la voies,Erica, et que tu lui parles.Que tu lui dises pour Jim.Peut-être que ça
l’aidera.Jim,c’estmonpère.—Bette…s’ilteplaît,arrête,gémitmamère.Arrêtedeparlerd’elle.Maisqu’est-cequisepasse?Ilssesontdisputés?Ilssesontséparésenmonabsence,etc’estpour
çaqu’ilsnem’ontpasrenduvisite?—Nouspartons.Maintenant.Maman a ouvert la porte. Je la fixe pour l’obliger à se fermer.Mamère est stupéfaite quand la
poignéeluiglissedelamain.Laporteclaqueviolemmentetlesverroussetirent.—Arrête,Mary!Tuvasl’effrayer!hurletanteBette.Enl’ignorant,jecoursdansmachambreàl’étage,attrapemavalise,descendsl’escalierentrombe
etpasselaporte.—Maman,jeviensavectoi!Neparspassansmoi!Maissoudain, j’entends laportedederrières’ouvrir. Jem’approchede la fenêtreetaperçoisma
mère,unbrasautourdesépaulesdesasœur,quiessayedelaconduirejusqu’àsavoituredelocation.Ellespartent?Sansmoi?Jetraverselerez-de-chausséeaupasdecourseetsorsdanslarue.Mamèresanglote.Ellenemeregardemêmepas.
—Bette,s’ilteplaît,montedanslavoiture.Jemeprécipitesurelleencriant:—Maman!Je hurle désormais, et les volets de la maison claquent, de plus en plus vite. Je ne peux pas
m’arrêter.Jenepeuxpasmecontrôler.—Oh,monDieu,s’écriemamèreenouvrantlaportièrepassagerd’uncoupsecetenpoussanttante
Betteàl’intérieur.Elleseprécipitedel’autrecôté,trébucheets’écrouleparterre.Jecoursaprèselleensanglotant.—Maman,maman,maman!Neparspas.Nemelaissepas.Jeveuxrentreràlamaison!Souslechoc,elleouvredegrandsyeux.—Mary?C’esttoi?Jel’implore:—Nemelaissepas!Ellesedémènepoursereleveretj’attendsqu’ellemeserrefortcontreelle.Çafaitsilongtemps,Maman!Maisellenes’avancepasversmoi.Aucontraire,elleseruedel’autrecôtédelavoitureetsauteà
l’intérieur.Jefrappesifortcontrelavitrequ’ellecommenceàsefissurer.—Jesuisdésolée,pleure-t-elle.Jesuisvraimentdésolée.Jenepeuxpasrester.Sesmainstremblentquandelledémarrelemoteur,enclenchelamarchearrièreetprendlafuite.
LIXLILLIA
JEN’AVAISPASl’intentiond’alleràlafête,maisKatm’aenvoyémessagesurmessagepourmedemanderde venir : ellem’a assuré queMary et elle viendraient ce soir et qu’ellesme défendraient face àRennie.Enplus,cetaprès-midi,j’aireçuunSMSdeRennieenpersonnequidisaitNouvelleannée,nouveaudépart?Vienscesoir.Ensuite,ellem’aenvoyéunephotodesamaintenantunesucetteàlacerise.Samanucureavaitl’airgéniale,avecdespaillettesetdurosepâle,commedelabarbeàpapaétincelante.Parconséquent,jevaisyaller.Jeneveuxpasêtrelaseuleabsentedetoutel’école.Masœursera
là.MêmeKatetMaryferontledéplacement.Qu’est-cequejepourraisbienfaired’autre?Sortirdîneravecmesparents?Ilyaquelquesmoisencore,avecRennie,onseseraitpréparéesensemble.OnauraitmisMadonnaà
fondetonseseraitbattuespourlemiroir,enhésitantentreunrougeàlèvrescarminetunvermillon.Aulieudecela,jesuisseule.MêmeNadiamanqueàl’appel,parcequ’elleestpartiesechangeravectouteslespremièreannéechezJanelle.Iln’yaplusquemoi.J’ai trouvémarobedansuneboutiqueenlignevintage.J’avaispeurqu’ellenem’aillepas,parce
quelestaillesétaientdifférentesàl’époque,maislorsquejel’aiessayée,elleétaitparfaite.Elleestensoievertémeraudetrèsfine,avecunetaillebasse,uncolenVtrèséchancréetundoscroiséajourécommeunefineetdélicatetoiled’araignée.J’aienroulélesbigoudisdemamèredansmescheveux,puisjemesuisfaituncarréboule.Comme
ilsn’arrêtaientpasdetomber,j’aipiquéquelquesépingles.Poursublimerletout,j’aichoisiunrougeàlèvresrougesombre.Lorsquej’aidescendul’escalier,monpèreestsortidesonbureaupourmeserrerdanssesbraset
medirequej’étaismagnifique.Ilm’aégalementrappeléquej’avaislapermissiondedeuxheuresdumatin,etpasuneminutedeplus.Ilm’ademandédenepasrentrerenvoiture,deprendreuntaxiou
d’appelerpourqu’ilpassemechercher.—LesruesnesontpassûreslesoirdelaSaint-Sylvestre.Tropdegensivresprennentlevolant.J’ailevélesyeuxaucielenrépétant:—Oui,Papa,biensûr,Papa.
ÀUNFEU,j’envoieunSMSàAshpourvoirsielleestdéjàarrivéeetnepasmepointerseule.Ellemerépondqu’elle est déjà à l’intérieur. J’envoie unSMSàAlex également,mais il neme répondpasimmédiatement.Nousnoussommesàpeineparlédepuissa fête,depuisque je luiaiditque j’avaisembrasséReeve.Leschosesétaientdéjàunpeuétrangesentreeux,etjenepeuxpasm’empêcherdepenserqu’ellesontprobablementempiré.Commeiln’yapasdeparkingdevant lagalerie, jemegareàdeuxruesde làet regretteaussitôt
d’avoir emprunté les escarpins à lanière ornés de strass demamère.Ce sont desManolos, et j’aitoujourspenséqueleschaussureschèresseraientplusconfortables.Maisellesnelesontpas;quandj’arriveàlafête,j’aitellementmalauxpiedsquej’aienviedelesretirer.Le nom de la galerie a été gratté et un panneau « À louer » est accroché à la vitrine. Depuis
l’extérieur,elleal’airvraiment…vide.Onnevoitpasgrand-choseàl’intérieur.Touteslesfenêtressontcouvertesdebuée.Ilyaunvraivideurprèsdelaporte.Jelereconnais:c’estl’undescuistotsduBowTie.Jen’arrive
pasàcroirequeRenniel’aitconvaincudegâchersonréveillonenpassantlanuitdevantlaportedelagaleriedesamèrepourunefêtedelycée.Ilmedemande:—Motdepasse?—Clairdelune.Pendantunefractiondeseconde,j’aipeurqueRennieaitchangélemotdepasseetquejenepuisse
pasentreràsafête.Maisilhochelatêteetajoute:—C’estdixdollars.Dixdollars?Jusqu’ici,jen’aijamaispayépouralleràl’unedesfêtesdeRennie.—JesuisendernièreannéeetjesuisuneamiedeRennie.Jecroisqu’ons’estdéjàcroisés,auBow
Tie?—Tout lemonde est l’ami deRennie ce soir,me fait-il remarquer en regardant derrièremoi un
groupe de jeunes qui débouche bruyamment au coin de la rue. C’est dix dollars pour les dernièreannée,vingtpourlestroisièmeannée,trentepourlesdeuxièmeannéeet…Je suis sûre àmillepour centqu’Ashet tousnosamisn’ontpas euàpayer,mais jeneveuxpas
resterdehorsàmebattreaveclui.C’esthumiliant.—O.K.,O.K.,c’estbon.Heureusement,j’ailamonnaiequemonpèrem’adonnéepourletaxi.Jesorsunbilletdevingtde
mapochetteornéedeperlesetleluitends.Ilextraituneliassedelapochedesavesteencuiretmerendunbilletdedix.—Amuse-toibien!Jemefrayeunchemindanslagalerie.Jel’aivuevideauparavant,quandPaigeremplaçaituneexpo
parune autre et repassait un coupde peinture blanche sur lesmurs pour faire ressortir lesœuvres.
MaisRenniel’atransformée.Elleainstalléunbaràlaplacedelacaisse:unautreemployédurestoypréparedescocktails,vêtud’unsmokingblancimmaculéetd’unnœudpapillonnoir.Lesboissonssontserviesdansdevraisverres,probablementceuxdurestaurant.Pasdesgobeletsenplastiquejetables.De jolies guirlandes métalliques de différentes couleurs se croisent au plafond. Elles ont l’aird’époque.Desballonsgonflés à l’héliumblancs, argentés et dorés avec des rubans assortis flottentégalementàtraverslapièce.Jebaisselesyeux:Rennieapeintausoldesbandesblanchesetnoiresenzigzags. Elle a réalisé des compositions pour tous les centres de tables : des bouquets de plumescrème,certainesrecouvertesdepaillettesdoréesetargentées.Jedoisadmettrequec’estsafêtelaplusréussiejusqu’ici.Lagalerieestbondée.Ilyfaitsisombrequ’ilfautunesecondeàmesyeuxpours’habituer.Katet
Mary ne sont pas encore arrivées. Je remarqueNadia et quelques filles de l’équipe agglutinées lesunesàcôtédesautressuruncanapéd’angle.Nadiamefaitunsignedelamain,quejeluiretourne.Jemeretrouvedoncseuleaumilieudelafoule.J’aimalàl’estomac.Est-cequeçavaêtrecommeçatoutelanuit?J’inspireprofondément,puissorsdemapochettemonrougeàlèvresetmonmiroirdepoche.C’est
leproblèmeaveclerougeàlèvresrougesombre.Ilfauts’assurerd’enavoirunecouchebienépaisse,sinononal’aird’avoirmangéunesucette.Jemeretouchelescoinsdelabouche,etalorsquejerangeletoutdansmapochette,montéléphonesemetàvibrer.C’estAlex.Tuesmagnifique.Jesourisetrefermemontéléphone.Jescrutelapièceàlarecherched’Alexetlerepèreprèsdubar,
adosséaucoindumur,entraindesiroterunliquidebrunâtre.Illèvesonverredansmadirectionetjeris.Jenepeuxpasm’enempêcher.Ilporteunechemiseboutonnée,desbretellesetunchapeauquesamèreluiaprobablementdénichés.Jeletrouvetropmignon.Enfendantlafoulejusqu’àmoi,ilsortquelquechosedesapochedepantalon.—Tuasquittélafêteavantquejepuisset’offrirtoncadeaudeNoëll’autrenuit.Il tend lamain.Au creux de sa paume se trouve une petite boîte orange entourée d’un fin ruban
marronsurlequelestécritHermès.Jen’arrivepasàlecroire.Alexdéposelaboîteentremesmains.—Ouvre-la,Lil.Je dénoue le ruban et ouvre l’écrin.C’est le bracelet que je voulais, celui que j’ai vu àBoston.
Blanc,émaillé,parfait.—Alex,c’estbientropcher!Jenepeuxpasl’accepter.—Tuasditquetulevoulais,tutesouviens?—Oui,mais…Ravi,ilsourit.—Danscecas,ilestpourtoi.Alexsortlebraceletdelaboîteetl’attacheàmonpoignet.
—Jenepeuxpas.—Pourquoi?—Parceque…c’estvraimenttrop.—Net’inquiètepaspourça.J’aiutilisél’argentquemagrand-mèrem’adonnépourm’acheterune
nouvelleguitare.(Alexfourrelesmainsdanssespoches.)Enfait, j’aimerais tedemanderuntruc.ÀproposdeceweekendàBoston.Jehochenerveusementlatête.—Si…(Ilbaisselesyeux,puislesreposesurmoi.)Tutesouviensdenotrebaladedanslaneige?
Sij’avaisessayédet’embrassercesoir-là,tum’auraislaisséfaire?Jerevisenpenséescettefameusenuit.JemesouviensqueBostonétaitmagnifiquesouslaneige,que
jemesentaisensécuritéavecAlex.Que toutétait si simpleavec lui, surtoutcomparéà lasituationavecReeve.Jepensequejel’auraislaisséfaire,eneffet.Peut-être.Jesuissurlepointdeleluiconfirmer,quandsoudain,j’ail’impressionquetoutdisparaîtautourde
moietqueletempss’arrête,parcequ’au-dessusdel’épauled’Alex,àl’autreboutdelapièce,jeviensdelevoir.Reeve. Sur le canapé, à côté d’une fille que je prends d’abord pourRennie, avant deme rendre
comptequenon.C’estunedeuxièmeannée,quis’appelleKendall,jecrois.Ilportelatenuequenousavonsachetéeensemble.Ilestsibeauqueçamerendmalade.Elleaunboaenplumesautourducou,etiln’arrêtepasdejoueravec.Nosregardssecroisent,etildétournedélibérémentlesyeux.Ilmurmurequelquechoseàl’oreille
deKendall,posesonchapeausur la têtedecelle-ci,puiselle seglisse sur sesgenoux.Lesangmemonteauxjoues.Jem’éloigned’Alex.—Fautquej’yaille.Levisaged’Alexsedécompose.—Tunevasmêmepasrépondreàmaquestion?—Je…Jenepeuxpaspourlemoment.Je jettedenouveauuncoupd’œilàReeve.C’estplusfortquemoi.Ilcroisemonregard,etcette
fois-ci,ilprendunegrossegorgéedesaboisson,puisposelamainsurlacuissedeKendall.Ilfautquejesorted’ici.Jecommenceàregagnerl’entréeentitubantetenpoussantlesgenshorsde
monchemin.Soudain,Reeveapparaîtdevantmoietmebloquelepassagedesonbras.D’untonglacial,jeluilance:—Excuse-moi.—Oh,commeça,onneseparletoujourspas?Reevecroiselesbrasdansungestedésinvolteets’appuiecontrelemurdel’entrée.Jelefixed’unairfurieux.—Etpourquoionauraitbesoindeseparler?Onnes’appréciemêmepas,tutesouviens?Reevemesouritaveccondescendance,commesijen’étaisqu’uneidiote,etluiunmecmatureau-
dessusdetoutça.Jelepousseavecforcepourpasser,etsonrictusdisparaît.
—Écoute, j’étais furieux que tum’aies largué,mais j’ai tourné la page,maintenant. Tu n’as pasbesoindemefuiràchaquefoisquetutombessurmoi.Jenet’embêteraiplus.Toutvabien.—Génial…Reevetendlebrasettouchelebraceletàmonpoignet.—Jolibracelet,remarque-t-il.Mêmesijesaisqu’ilnelepensepas,jeleremercie.D’unairsuffisant,ilajoute:—Skudasûrementtravaillétrèsdurpourpouvoirtel’acheter.—Exact.Jedevraism’entenirlà,maisjenerésistepasàl’enviedepréciser:—C’esttropclassedetapartdeparleràuneautrefilleàlafêtedeRennie.(Jejetteuncoupd’œil
sanséquivoquedansladirectiondeKendall.)Oualorsc’estdéjàfinientretoietRen?Pourquoiest-cequeçanemesurprendpaslemoinsdumonde?C’esttouttoi,ça,tuesdéjàpasséàlasuivante.JecroyaisqueRenniem’avaitinvitéeàsafêtepoursepavaneravecReevedevantmoi,maispeut-
êtrequenon,finalement.Peut-êtrequ’ilsontcassé,euxaussi.Reeveaperdusonairnarquois,etjesaisquejecommenceàluitapersurlesnerfs.—Commejetel’aidéjàexpliquéunmilliondefois,Rennieetmoi,onestjusteamis.Sèchement,je
luiassène:—Oh…Tuveuxsansdoutedireamis,etplussiaffinités.Reevelèvelesmains.—Tupeuxcroirecequetuveux.Çam’estégal.—Jecroiscequ’ellem’araconté,espèced’idiot.Jel’aivuecheztoi!Elleétaitplusquecontente
demelebalancerenpleineface.—Quand?exige-t-ildesavoir.—L’autrejour,lorsdesportesouvertesdetesparents.Reevesursautedesurprise.—Tuesvenue?JeregardeautourdemoietrepèreRenniedanslafoule,entouréedesjoueursdel’équipedefoot.
Alorscommeça,elleneluiapasditquej’étaispassée.Commec’estétonnant.Maisbon,çanefaitaucunedifférence,detoutemanière.Jehausselesépaules.—Ouais,jesuispassée.Renniem’ainforméequetunevoulaispasmevoir,alorsjesuisrepartie.Reevemedévisage.—T’essérieuse,là?Tuesvenuechezmoi?—Oui,etalors?dis-jeenmepenchantpouressayerdepassersoussonbras.Maisilreculeetmebloqueànouveau.—Attends ! Je ne sais pas ce queRennie t’a dit,mais j’ai passé toute la journée seul dansma
chambre,parcequej’étaisfuraxquetum’aieslargué.C’esttoiquej’auraisvouluavoiràmescôtés,Lil.Seulementtoi.
Pendantuneseconde,jefermelesyeux,puislesrouvre.—Çan’aplusd’importance,maintenant.Aumêmemoment,Kendalls’approchedenousetmelance:—Salut,Lillia!Çava?Elleposelatêtesurl’épauledeReeve,quitenteimmédiatementdesedégager.—Salut.Jefixelaporteducoindel’œil.Ungroupeestentraind’entreretjenepeuxdoncpassortir.Jevais
passerparl’arrière.JesourisrapidementàKendallendisant:—Amusez-vousbien,touslesdeux!Puis, je me faufile entre eux. Alors que j’ai traversé la moitié du couloir, j’entends Reeve
s’approcherdemoiencriantmonnom.Ilhurle:—Tum’aimes encore, je le sais ! Je refuse notre rupture, parce qu’elle repose sur un putain de
malentendu.Jem’arrêteetmeretournefaceàlui.—Onn’apasrompu,parcequ’onn’étaitpasensemble,etqu’onneleserajamais.—Tum’aimes!Admets-le,Cho.MonDieu,j’espèrequeKatetMarynesontpasarrivées.Siellesnousvoientcommeça,ellesvont
vouloirtoutrecommencer.Jenepeuxpascontinuer.Alorsjerépète,pluscalmement:—Reeve,jenet’aimepas.—Si,tum’aimes,çasevoit.Ilmeprendlamainetjetentedemedégager,maisilnemelaissepasfaire.—Tum’aimes, et c’est réciproque.Alors, onpourrait peut-être arrêterde jouer et nous remettre
ensemble?Jedécidedeleprovoquer:—EtKendall,danstoutça?Ilsoupired’unairdédaigneux.—Jeluiparlaisuniquementpourterendrejalouse.Etçaamarché.Ilm’attireversluijusqu’àcequejesoissuffisammentprochepourqu’ilpuissem’embrasser.—Tusais,notrerelationn’apasbesoind’êtreaussicompliquée.Jesuissurlepointdeprotesterquandsoudain,ilmeprendlevisageentresesmainsetm’embrasse.
Jerésistel’espaced’uneseconde,puisluirendssonbaiser,parcequej’enrêvedepuisdesjours.Mesmainss’enroulentautourdesoncoupourleserrertoutcontremoietsescheveuxsontdouxsousmesdoigts.J’entendsunpetitcridesurprise,puismeséparedeReevedontlesbrasmeretiennentcontrelemur.—C’estquoi,cebordel?C’estRennie,quinousobserveàl’autreboutducouloir.Sidérée.Ellemepointedel’index,lebras
tremblant.
Reeveseretourne,lavoitetdit:—Attends,Ren.Elles’éloignedenousetseréfugiedanslacuisine.Jelasuis,Reevesurlestalons.—Rennie…EllemerepousseetmartèlelapoitrinedeReevedesdeuxpoings.—Tul’aspréféréeàmoi?(Renniesanglotedecolèreetreculed’unpas.)Ellen’estpascellequetu
crois,Reeve.Tulapensesdouceetinnocente?Quelleconnerie!Envérité,c’estunepute.—Neparlepasd’ellecommeça,l’avertitReeve.Renniel’ignoreets’avanceversmoi.—Jet’ailaisséemesuivregentiment,jet’aiprisesousmonaile,j’aicarrémentbâtitaréputation!
(ToutlecorpsdeRennietremblederage.)Sansmoi,tuneseraispersonne!Reevetentedes’interposerentrenous.—Ren,arrête.Lillianem’apasvoléàtoi,alorsnel’accusepas.Tusaisquejet’aimebien,maisce
neserajamaiscommeçaentrenous.—Net’avisepasdeprendresadéfensecontremoi!hurleRennieentournoyantautourdelui.Tune
laconnaispassoussonvraijour!Lesoufflecourt,jem’avanceverselle.—Rennie,tuvoisleschosessouslemauvaisangle.C’esttoiquiastoujoursvoulucequej’avais,
pasl’inverse.Depuisquejeteconnais,tuesjalousedemoiparcequej’aitoutcequetudésires.Elleretrousseleslèvresdansunrictus.—Jen’arrivepasàcroirequeturetournestoutçacontremoiaujourd’hui.Jem’humecteleslèvres.—Tusaisquoi?Jecroisqued’unecertainemanière,tuétaiscontentedecequiestarrivécettenuit-
làaveccesgars.RennieregardefurtivementReeve,puisreposelesyeuxsurmoi.—Laferme,meprévient-elle.Nedispasunmotdeplus.— Je crois que tu étais contente, parce que çam’a ramenée à ton niveau. (Mavoix tremble.) Je
n’étaisplus l’innocenteLillia. Je n’étais plus uneprincesse, ni une vierge. Je n’étais plus spéciale.J’étaiscommetoi.Unefilleabîméeparlavie.Rennielèvelamainàlavitessedel’éclairetmegiflesifortquejevacillesurmestalonsetmanque
detomber.Reevebraille:—Putain,Rennie!Ilmetireenarrièreets’interposeentrenous.DeslarmesmêléesdemascaranoirroulentsurlesjouesdeRennie.—Ellen’enarienàfoutredetoi,crois-moi!Jesecouevigoureusementlatête.Jepleure,moiaussi.—C’estfaux.
Malgrétoutcequej’aifait,cen’estpaslavérité.Ungarçonenbretellesentreentitubantdanslacuisineets’excuse:—Oups,jepensaisquec’étaitlestoilettes.—Dégage!hurleRennie.Legarçondétale.Dèsqu’ilestparti,Rennierecommence,ens’avançantversmoi,cettefois-ci.—Jeteledis,Reeve.Ellen’estpascellequetucrois.C’estunesaleputeroublardeetmenteuse.
(Satisfaite,elleprenduneprofondeinspiration.)Etjepeuxleprouver!Oh,monDieu.Oh.Mon.Dieu.J’ailatêtequitourne.Rennieestaucourant.Ellesaitcequej’aifaitlesoirdubaldesétudiants.
Maiscommenta-t-ellesu?—Reeve,s’ilteplaît,va-t’en.(Jel’imploreenlepoussanthorsdelapièce.)Sors.Jelepoussedetoutesmesforces,maisilnebougepas.Rennieestécarlate.—Tuauraispuletuer,Lillia!—Jet’enprie,Reeve!Jelesupplieententantdeledirigerverslaporte.Reeveresteplantécommeunestatue,lesbrascroisés.—Dequoiest-cequetuparles?Renniesanglote.—Jesuislaseuleàavoirétélàpourtoi.Aprèstablessure,personnenes’estoccupédetoi,àpart
moi.C’estmoiquisuispasséetevoiràl’hôpitaltouslesjours.C’estàcepointquetucomptespourmoi!Reeveserrelesdents.Froidement,illuidéclare:—Si je comptais tellement pour toi, tum’aurais informé queLil était passée le jour des portes
ouvertes.Maisnon.Tuasvuàquelpointj’étaisbouleversé,maistun’asriendit.Puis,ilseretourneversmoietmelance:—Onyva.Désespérée,Rennies’écrie:—Attends!Attends.(Ellechancellesurses talonsetseredresseànouveau.)Jevoulaisréserver
cettebombepourminuit,maistantpis.Sansmequitterdesyeux,elleajoute:—Tusaispourquoituestombédel’estradelesoirdubal?Lilliat’adrogué.Elleaverséuntruc
danstonverre.J’aitrouvéunephotooùonlavoitfaire!J’ail’impressionquelascènesedérouleauralenti.QuandjetournelecoupourregarderReeve,on
diraitquej’ailatêtesousl’eau.Renniealesoufflecourt.ElleattendqueReeveréagisse.— Laisse-moi te montrer la photo, Reeve. Je ne te mens pas ! Je ne t’ai jamais menti. (Elle
m’adresseun souriremachiavélique.)Tu sais quoi,Lil ?Tapetite vie parfaite est terminée.Tuvasallerentaule,salepute.
Toutestfini.Jesuisfoutue.Reeve,mesamis,mavieentière…toutestfichu.Le visage de Reeve est impassible. Il neme regarde pas. Puis, d’une voix calme etmesurée, il
réplique:—Jen’aipasbesoindetapreuve.Jesaisdéjàcequis’estpassélesoirdubal.—Comment?—C’estuneblaguedébilequiamaltourné.Ellenevoulaitpasmeblesser.Alors,oublietonplan
demerde et laisse couler. Je suis sérieux,Ren.Si tu veux continuer demevoir, tu feraismieuxdelâcherl’affairedirect.(Ilmetendlamain.)Viens,Lil.—Reevie,non!crie-t-elle.Jet’ensupplie!Jel’autoriseàmeprendrelamainetàm’escorterhorsdelacuisinepuisdansl’entrée,oùlafoule
commenceàsemasser.IlsnousobserventquandReevelesrepoussepourmelaisserpasser.J’aperçoisAlexaumilieudesfêtards,etjedoisdétournerlesyeux.Dèsquenousavonsrejointlarue,jeluidisd’unevoixentrecoupée:—J’aioubliémaveste.—Attends-moiici.Jevaislachercher.Ilsefrayeuncheminàl’intérieur,m’abandonnantseuleaveclevideur,quifumeunecigarette.Ilmedévisage.—Lavache,tut’esbattueavecunefille,ouquoi?Jemetouchelajoue.Elleestchaudeetm’élance.—Plusoumoins.Maistoutestréglé,maintenant.
LXKAT
JEVERSEUNdoigtdewhiskydansmonverre.Leglaçontinteetfondlentement,etleliquideambreprendlacouleurdumiel.J’avaleunepetitegorgéequimebrûlelefonddupalaiscommeseulslesalcoolshautdegammelefont.LeDJpassed’unrapconnuàunvieuxmorceaudejazz.Ilalternecommeçadepuismonarrivée,ily
avingtminutes.C’estbizarre,maisçamarche.Lesgaminsquisetrémoussentsurlapistededansesemettentà tressauteretàonduler, transformantce tubevieillotenairsexyetcontemporain.J’agite latêteenrythme,lesourireauxlèvres,etprendsuneautregorgée.Je dois l’avouer, le réveillon de la Saint-Sylvestre chez Rennie est aussi spectaculaire qu’elle
l’avaitpromis.Cequiveutdirequelquechose,parcequej’aidéchantébiensouventenconstatantsatendanceàl’exagération.Unefois,quandonavaithuitans,elleafaittoutuncirquepourm’inviteràpasserleweek-enddanslamaisond’étédesagrand-mère,auborddelarivière.Enfait,c’étaitunerésidencepourpersonnesâgéesprèsd’unecriqueenvasée.Onatouteslesdeuxattrapédesteignesenypataugeantjusqu’auxchevillesaprèsundéfiidiot.Jemesuisremémoréceweek-endenmepréparantcesoir.C’étaitagréabledeseconcentrersurun
souvenirsympadel’époqueoùjenedétestaispasRenniedetoutmonêtre.Jeneluipardonnepaspourtoutes les saloperies qu’ellem’a fait endurer. Je ne pourrais pas tourner la page comme si de rienn’était,mêmesij’enavaisenvie.Maisbon,jepréfèrenettementunecicatriceàuneplaiebéante.Jemetouchelatêtepourm’assurerquemacoiffureestbienenplace.Ilm’afalluuneéternitépour
réussir mon brushing cranté. J’ai dû me laver les cheveux dans le lavabo à deux reprises et toutrecommencer. Pendant tout ce temps, je me suis demandé à quoi une fête de lycée pouvait bienressembler.Jen’enavaisaucuneidée.CommeMary,jen’étaisjamaisalléeàuneseulejusqu’ici.J’aientenduparlerdes fêtesde foliedeRenniependantdesannées. J’ai levé lesyeuxaucielen
entendantdesélèvesracontercestueriesoùl’alcoolvoléetautressubstancesàlalimitedelalégalité
coulaientà flots.Maiscesoir, jedois lui rendrehommage.Safête,c’estduRennieà l’étatpur.Dupunchservidansdescoupesencristal,desaccessoiresdebarvintage,desnappesentissu.LeDJ,levideur,toutcemondecostumé.Etpasdesdéguisementsminables,enplus,commeceuxqu’ondégottepourHalloween.Touslesinvitésontsortilegrandjeucesoir.Sansmonfichubrushingcranté,j’auraisvraimenteul’aird’uneconne.Jesuissacrémentimpressionnée,d’autantplusqueRennien’apaslesmoyensd’achetertoutcedont
elleabesoinpourorganisercegenredefête.Elleadûvachementbosserpour réussiràdonnerunetellesensationdeluxeavecunpetitbudget.Renniedevraitenfairesonmétier.Organisatriced’événements, j’entends.Sansrire.Jevais le lui
direquandjelaverrai.Aussidinguequeçapuisseparaître,jesuiscontented’êtrevenue.Pendant tout l’après-midi, je me suis préparée à affronter les inévitables regards noirs, et les
murmuresdustyle«Quefoutcettecassosici?»ToutlemondesaitqueRennieetmoiavonsunpassécommun.Etmêmesijerespectelescodes(coiffure,combinaisonnoire,basrésilleetétuiàcigarettesargenté),ilssaventquejenefaispaspartiedeleurmonde.Pasvraiment.Finalement,jemesuisinquiétéepourrien.Toutlemondeaétégentilavecmoi.J’aieuledroitàdes
«Çaroule,Kat?»,des«Bonneannée!»etdes«Salut,DeBrassio!»Certainesfillesm’ontmêmefaitlabise.Jen’aipasparléàtouscesgensdepuisuneéternité.Jelesaiignorésetsnobéscesquatredernièresannées.Cesoir,nosrancœurssesontenvolées.Commeça,dujouraulendemain.Je sirotemonwhisky etme faufile aumilieu de la foule pour regagner l’avant de la galerie. La
vitrineestcouvertedecondensation,quej’essuiepourregarderdehors.OùestMary?Elledevraitêtrearrivéemaintenant.Ungroupedegaminsfaitlaqueuepourentrer;lesgarçonsontlesmainsdanslespochesetlesfillesfrissonnentdansleursrobeslégères.Jemesurprendsàsourire.Ilsneconnaissentprobablementpaslemotdepasse.Jesensquelquechosemechatouillerlebras.Uneplume.JemeretourneettombenezànezavecAshlin.—Salut!bredouille-t-elleenprenantuneminusculegorgéedechampagne.Sa robe est courte et entièrement brodée de sequins rose pâle. Elle est hyper moulante et j’ai
l’impressionquesesénormesseinsvontdéborderpar-dessus.Elles’estdessinéunemouchenoiresurlajouegaucheetsespaupièressontpailletées.—Salut.Jeremontemabretellesurmonépaule.Ellemechatouilleànouveauavecsaplume,quidoits’êtredétachéedesonsacàmain.Ondiraitun
minusculepoussinrosecouvertdeduvet.—Euh,justeparcuriosité,Renniesaitquetueslà?Jelafixeduregard.Quellesalebimbo.Elleestvraimentdébile,ouellelefaitexprès?Ellecroit
franchementquejepourraismepointersansavoirétéofficiellementinvitée?Sauf que je n’ai pas croisé Rennie ce soir. Pas encore, en tout cas. J’ai l’estomac noué. Je me
demandesicen’estpasunpiègequivamepéteràlatronche,cettesurprisedeminuitàlaquelleellevoulaitquej’assiste.
Soudain,j’aperçoisReeveetLilliasortirparlaported’entrée.Maisqu’est-cequise…Puis, Rennie s’élance après eux. Elle est calme, ne dit rien, mais je vois bien qu’elle est
bouleversée.ReeveetLilliasontpartis,etRennies’immobiliseaubeaumilieudelapistededanse.Personnenelaremarque.Personne,àpartAshlinetmoi.Rennie se retourne commeparmagie et s’avancevers nous en chancelant sur ses talonshauts.À
mesurequ’elles’approche,sonmentonsemetàtrembleretelleretientseslarmes.JefaisunpasdecôtépourluipermettrederejoindreAshlin.—Ren!luilanceAshlintoutsourire,parcequ’elleestvraimentbête.Ondanse?Rennie repousseAshlinetme tombequasimentdans lesbras. Je regardederrièremoiet tentede
voirparlavitrinedansquelledirectionReeveetLilsontpartis,maiselleestcouvertedebuée.À côté de nous, Ashlin titube, manifestement ivre, et semble désorientée. Puis, autour de nous,
d’autrespersonnescommencentànousremarquer,ouplutôtàremarquerRen.—Kat,c’estlafautedeLillia.C’estellequil’adrogué.Ellearriveàpeineàparler.Ellemeserrefortduboutdesdoigts.Etellefrissonne.Jel’attireverslestoilettes.—Viens.Enchemin,nouscroisonsAlex.Jeluisourispoliment,maisRenniel’aperçoitetluilance:—Tacopineestunegrossesalopequijoueundoublejeu!Alexestsidéré.Danslestoilettes,jeverrouillelaporte.Jevidemonfonddewhiskyetremplismonverred’eaudu
robinet,avantdeleluitendre.—Bon,tuvasmedirecequisepasse,ouiounon?Rennieavalequelquesgorgées,maismanquedes’étrangler,tellementellepleure.—Ellelesavait.Ellesavaitquejel’aimaisetellemel’apiqué.Cettesalopeobtienttoutcequ’elle
veut!C’estvraimenttropinjuste!Jerésisteàl’enviedeconfiernotreplanàRennie.DeluiconfesserqueLillian’enarienàfairede
Reeve.Maisjemetais,parceque…est-cequeLillian’enfaitqu’àsatête?Jecroyaisqu’onenavaitterminéaprèsqu’elleaplantéReevele jourdesportesouverteschezsamère.Aurait-elle trouvéunmoyen plus efficace de le blesser ? Peut-être qu’elle n’a pas encore eu l’occasion de tout nousraconter.—Calme-toi,calme-toi.Dequoiest-cequetuparlaistoutàl’heure?C’estquoicettehistoirede…
drogues?Assisesurlesolcarrelé,ellelèvelesyeuxversmoi.Sonmascaraacouléetelleal’aird’unraton
laveur.Elleouvrelaportedumeubledulavaboetensortunepiledephotos.J’endécouvreunedubaldes étudiants. Deux filles, bras dessus, bras dessous, qui sourient. Il me faut une minute pourcomprendrecequisepasseenarrière-plan.OnvoitLilliaverserl’ecstasyliquidedansleverredeReevependantqu’ilregardeailleurs.Jem’agrippeauporte-serviettespourmesoutenir.
—Jeleluiaidit,etils’enmoque!Ilveutêtreavecelle.Ilssesontbarrésmaindanslamain!Matêtetourne,etilfaitfoutrementchaudici.Jeluiassure:—Ren,jenevoispascequeçaprouve.Etpourtant,laphotoprouvetout.Ellelaisseéchapperunrirenerveux.—Regardebien.Elleaunesortedefioledanslamain.Çadoitêtredel’ecstaliquide.Iln’yaqu’un
seulmoyendes’enprocurer.CesaleconnarddeKevindealeaveclesmecsdurestaurant.Jesuissûrequesijeluidemande,ilsesouviendrad’enavoirvenduàuneasiat.SaufqueKevinnel’apasvendueàLillia,maisàmoi.Oh,putain.Je consulte mon téléphone en espérant y trouver un message de Lillia. Rien. Est-ce qu’elle a
consciencequetoutcecipourraitnouspéteràlatronche?Quelqu’unfrappeàlaportedestoilettes.Jebeugle:—Bonsang!Y’adéjàquelqu’un!—Kat?(C’estAlex.)Euh,est-cequeLilliaestavecvous?Ouest-cequetul’asvuepartir?Rennierejettelatêteenarrièreetexplose.—Alex,Lillian’enarienàfoutredetagueule!Fourre-toibiençadanslecrâne,crétin!Elleest
avecReeve.Elleteconsidèrejustecommesonpetittoutou!Rennie s’apprête de nouveau à vociférer, mais je pose la main sur sa bouche pour l’arrêter et
entrouvrelaporte.Alexestdebout,hébété.Jeluidemande:—Désolée,tunouslaissesuneminute?Puis,jerefermelaporte.Rennies’essuiesouslesyeux.—Lilliavamorfler.SiReeves’enfoutdecequ’elleafait,ceneserapaslecasdetoutlemonde.
Ilsvonttousladétesterautantquemoi.OùestNadia?Tul’asvuecesoir?Ehmerde.Ilvafalloirquejelimitelacasse.—Allez,onsort.Ensedépêchant,onpeutencorelesrattraper.Jem’attendsàcequeRennieproteste,maisellen’enfaitrien,etçam’attristepourelle.Ellelève
lesmainsetjelarelèvecommeunepoupéedechiffons.—Oùesttonsacàmain?—J’enaipascesoir.Merde.Jenesuispasvenueenvoiture.C’estPatquim’adéposée.Jeneveuxpasperdredetemps
enluienvoyantunSMSpourluidemanderdepassernousprendre.—Tuesvenueavectacaisse?Renniehochelatête.—MaJeepestgaréederrière.Lacléestsurlecontact.J’entrebâillelaportedestoilettesetjetteuncoupd’œilàl’extérieur.Heureusement,ilestprèsde
minuit ; les fêtards ont commencé à se rassembler dans l’espace principal de la galerie. Ashlindistribuedes languesdebelle-mère.Alexestaumilieude la foule,maisson regardalterneentre laported’entréeetsontéléphoneportable.J’attrapeRennieparlamainetcoursjusqu’àlaportedeservice.Noussortons,etilfaitsuperfroid.
Jel’arrêteavantqu’ellegrimpesurlesiègeconducteur.—Tuesàcran.Jeprendslevolant.L’air frais semble réveillerRennie. Ses yeux étincellent de rage et elle n’arrête pas de serrer et
desserrerlespoings.Jedémarreetallume lechauffageà fond,mêmes’il soufflede l’airglacialaudébut.Lebruitest
tellementfortqu’aucunedenousn’estobligéedeparler.Jesorsentrombeduparkingetmeretourneendirectiondelafêtepourtenterd’apercevoirMary.Maisqu’est-cequ’ellefout,àlafin?—Àtonavis,ilssontpartisversoù?medemandeRennie.—J’ensaisrien.Onn’aqu’àpasserchezmoipourseressaisir.Ondécideraquoifaireenchemin.Rennieregardeparlavitre;sesyeuxscrutentlesalentourscommedesrayonslaser.—Quandjelesauraitrouvés,ilsvontmelepayer.Elleessaiedevoiràl’intérieurdechaquevoiturequenouscroisons.Pourêtrehonnête,j’aidelapeinepourelle.Elleneprofitemêmepasdesafêteaprèstoutlemal
qu’elles’estdonné.Jenesaispastropquoipensersurlecoup,maisjenepeuxpasm’empêcherd’envouloiràLillia.Ilvaudraitmieuxquetoutçanesoitqu’unimmensemalentendu.Jen’arrivemêmepasàenvisagerla
possibilitéqueRennieait raison.S’il sepasseréellementquelquechoseentreReeveetLillia, je latueraidemesmains.ParcequefaireçaàMaryseraitvraimentlapirecrasseaumonde.NousarrivonschezmoietsortonsdelaJeepdeRennie.Elleclaquebruyammentlaporte,avecbien
tropdeforce.Elleestencorefurieuse.Totalementhorsd’elle.—Donne-moimesclés,m’ordonne-t-elle. Jevais regarderducôtédes falaises, tu t’occupesdes
dunes.J’aileterriblepressentimentqu’ilvasepasseruntruchorrible.Je serre son trousseau dans ma main. Le porte-clés est plein de breloques et autres saletés qui
s’enfoncentdansmapeau.—Tuessûrequetupeuxconduire?Tuesencolère,etenplustuasbu.—Jevaisbien.Elleme prend les clés enme regardant et enme souriant àmoitié. J’ai l’impression qu’elle est
contentequejenelaculpabilisepas,quejeneluimettepaslapressionetquejeneluiproposepasdedormir chezmoi pour la garder à l’œil.On n’a jamais eu ce genre de relations amicales, de toutefaçon.Çameferaitbizarredecommencermaintenant.JemontedansmavoiturealorsqueRenniedescendlarueàtombeauouvert.Toutefois,jenemedirigepasverslesdunes,commeelles’yattend.Jeretourneàlafête.Ilfautque
jemettelamainsurcesphotosavantquequelqu’unlestrouve.J’espèrequeLilliasaitcequ’ellefait.Parcequesicen’estpaslecas,onesttoutesmortes.
LXIMARY
JE NE SAIS pas comment j’ai réussi à me relever et à aller à la fête de Rennie. Je nage en pleinbrouillard;j’ail’impressiondeflotterhorsdemoncorps,demeregarderévoluerdanslesruesdepuisleciel.Laneigetombeenminusculesfloconsquirecouvrentàpeinelesol,lesarbresetlespelousesdéfraîchies. Je ne sens même pas le froid. J’essaye d’avaler ma salive, mais ma gorge est nouée.Qu’est-ilarrivéàmonpère?Pourquoimamèrenem’a-t-ellepaslaisséepartiravecelle?Malgrémespouvoirs,jen’aipaspulesempêcherdem’abandonner.Lorsquej’arriveàT-Town, jememetsàcourir jusqu’à lagalerie. Il fautque jerejoigneLilliaet
Kat.Ellesvontm’aider.Ellesvontm’aideràretrouvermamèreettanteBette.Devantlaportedelagalerie,jemeretrouvenezànezavecunvideurencostumenoirrayéquiporte
un feutre noir rabattu sur les yeux. J’envisage un instant de passer en douce devant lui,mais il esttellementgrosqu’ilremplitl’embrasuredelaporteet formeunvéritablemurhumain.Justederrièrelui,j’entendsdelamusique,desriresetdesgensquis’amusent,etçamefaitmalaucœur,parcequejesuisàmillelieuesdetoutçapourlemoment.Jemedemandemêmesijepourrairireànouveauunjour.—Ilfautquejerejoignemesamies,dis-jeauvideurd’unevoixdésespérée.Ellessontàl’intérieur.Ilrestesilencieuxetnerelèvemêmepaslementonpourquejepuisseleregarderdanslesyeux.Ehmerde.Cefichumotdepassetopsecret,c’étaitquoi,déjà?Jel’ainotésurunpapierdansmon
sacàmain.Jemecreuselesméninges,maisilnemerevientpas.Toutestconfusdansmatête.—S’ilvousplaît,monsieur.S’ilvousplaît,c’estuneurgence.Levideurnedittoujoursrien.Jemedemandecombiendegaminsilarefuséscesoir.Desgensque
Rennieestimenepasfairepartiedesonmonde.Jemetire lescheveux, fort,maisçanemefaitpasmal,etjemeconcentredumieuxquejepeuxpourmesouvenirdumotdepasse.—Jesaisqu’ilyaunmotdepassepourentrer.Monamiemel’adit.Je…Jeconnaismêmecelui
quipermetdenepaspayerl’entrée.Rennienousainvitésenpersonne.Maisje…je…MonamieKatestàl’intérieur,c’estsûr.C’estunebruneauxcheveuxcourts.Legardeducorpssevoûtetoutdoucement,puissortuneflasquedelapochedesaveste.JemedisquejevaisdemanderàparleràRennie,maisellenemelaisseraprobablementpasentrer.
PasaprèslamanièredontjemesuisconduitequandtanteBetteestpasséeàlagaleriepourrécupérersespeintures.Jenepeuxmêmepasfilerunpot-de-vinauvideur,parcequejen’aipasunsousurmoi.Soudain,ilmerevient.—Clairdelune!Oui,c’estça,clairdelune!Je lecrieaussi fortque jepeux,mais legardeducorps fait toujoursminedenepasm’entendre.
C’estcommesijenemetenaismêmepasdevantlui.Meslèvrestremblentetleslarmesmemontentauxyeux.Qu’est-cequisepasse?Jelesupplie:—S’ilvousplaît,s’ilvousplaît,laissez-moientrer.Maisçanesertàrien.Jem’éloigneentitubantetessayederegarderàtraverslavitrineembuée.JenevoisniKatniLillia
àl’intérieur.Jen’arrivepasàlesrepérerdanslafouledesdanseurs.Maisjesuissûrequ’ellessontlà.Jelesens.Jem’assoissurletrottoiretmetouchelapoitrine.Ondiraitquemoncœurbatlachamade,maispourtant,jenesensrien.Soudain,jetournelatêteverslaportedelagalerie.Lilliaestdeboutsurletrottoir.Ellefrissonne
dans sa robe légère et ses collants. Est-ce qu’elle me cherche ? Elle doit avoir perçu que j’avaisbesoind’elle.Je m’avance vers elle, mais Reeve surgit en portant la veste de Lil, dans laquelle il l’aide à
s’emmitoufler.Ilscourentensembledel’autrecôtédelarue.ReevesoulèveLilliaetladéposedanssacamionnette.Ondiraitqu’ilssontpressés.Ilss’embrassentsurlaboucheavantdedémarrer,dansunlangoureuxettendrebaiser.Ohnon.C’estpasvrai.Jemeretourne;j’ailevertigeetm’effondreparterre.Jenecomprendspas.Commenta-t-ellepume
faireça?Jesuisencoreassisesurletrottoirquand,depuisl’arrièredelagalerie,laJeepblanchedeRennie
dévalelaruedansl’autresens.Katestauvolant.Jelèveunemaintremblanteetmedégagelescheveuxderrièrelesoreilles.Jen’ainullepartoùaller
etjenecomprendsabsolumentpascequisepasse.Toutmonuniverss’écroule.Je peux peut-être rattraper Maman et tante Bette avant le départ du ferry. Je vais les forcer à
m’emmeneravecelles,parcequejenepeuxvraimentpasresterici.Jememetsdoncàcourir,aussivitequepossible.Meschaussuresdérapentsurlaroutehumideetjehurle«Attendez-moi!Attendez-moi!»jusqu’àenavoirmalàlagorge.Jesaisqu’ellesnepeuventpasm’entendreparcequejesuistroploin,maisilfautquejefassequelquechose.J’arriveàlazoned’embarquementduferry.Alorsqu’elleesthabituellementéclairée,cesoirelle
estplongéedansl’obscurité.Jescruteleparking,maisilestdésert.Unegrossechaînemétalliquebarrel’entrée.Toutesleslumièresblanchesquicourentlelongdel’embarcadèresontéteintes.Leferrynetourneplus.MamanettanteBetteontdûprendreledernier.
Ellessontparties.Jetombeàgenouxetpousseuncridedésespoirquifaittremblerlesarbres.Jesuisépuisée,vidée
del’intérieur.Jenepeuxpluscontinuercommeça.Jemeremetssurpiedsetmedirigeverslesommetdelacolline.Jesaiscequ’ilmeresteàfaire.J’auraisdûm’yrésoudreilyalongtemps.Etcettefois-ci,personnenepourram’arrêter.UneJeepblanches’immobiliseàcôtédemoi.Rennieestàl’intérieur.Elleapleuré;sonmaquillage
acouléetelleressembleàunratonlaveur.—Çava?medemande-t-elle.JemerapprochepéniblementdelaJeepetentrevoismonrefletdanslepare-brise.Jeneportepas
marobedesoirée,maisun jean trempéaccompagnéd’un tee-shirtblancmaculédegravillonsetdeterrequicolleàmesbourrelets.Jebaisselesyeuxetaperçoismesvieillesbasketsdétrempées.J’essayederépondreàRennie,maisjenelepeuxpas.Jem’étrangleentredeuxsanglots.Ellemeditdemonter. Jenebougepas.Elleouvre laportièrepourmoiet je finispargrimperà
l’intérieur.—Tuhabitesoù?Oùsonttesparents?Jetenteànouveaudeluiparler,dedirequelquechose,maisriennesortdemabouche.Ondiraitque
jem’étouffe.Commesi j’avaisquelquechoseautourducouquimeserrait. Jepeuxsentirmesyeuxsortirdeleursorbites.Mespoumonsmebrûlent;jemanqued’oxygène.Rennieesteffrayée,jelevoisbien.—Respire,toutvabiensepasser.Contente-toiderespirer.
—RESPIRE!RESPIRE!Jeveux lefaire.Jeveuxprendreunegrandeboufféed’air frais,mais toutceque jesens,c’est la
brûluredelacordeautourdemoncou.J’ailatêtequitourneàcausedumanqued’oxygène.Etdufaitquejemebalanceaccrochéeàunepoutreduplafond,avantqu’ellenecoupelacorde.—Monbébé!Monjolibébé!sangloteMaman.(Ellesepenchepourm’embrasser levisage, les
jouesbaignéesdelarmes.)Pourquoi?Pourquoitut’esfaitça?
***JEMETOURNEversRennieetparviensenfinàinspirerunmincefiletd’air.D’unepetitevoixfatiguée,jeluidis:—Reeve.(LesyeuxdeRennies’écarquillentd’horreur.)C’estReevequim’afaitça.C’estdesa
faute.Elleserrelesmainsautourduvolantsansréussiràmeregarder.Elleatroppeur.—Je…Jevaisteconduireàl’hôpital.
—TIENSBON,MAchérie!hurlemamèredetoutessesforces.L’ambulancearrive!Tiensbon,jesuislà.J’essaye,mais c’est dur. Je sensque je suis en traindepartir. Je neveuxpasmourir,mais c’est
exactementcequiestentraindesepasser.
Puis,dansundernierélan,jesuistiréehorsdemoncorpsetjem’envolejusqu’auplafond.Jevoismamèremeteniralorsquel’ambulancearrive.Ilsmesaisissent,maismamèreneveutpasmelâcher.Elleacompris.Elleacompriscequej’ignoreapparemment.Jesuismorte.
—QU’EST-CEQUETUfais?hurleRennie.Elle est terrifiée et s’éloigne demoi autant qu’elle le peut. Elle ne regarde pas la route, ni les
virages.Jesensquejem’embrasedel’intérieur.Moncorpsestplusbrûlantquejamaisauparavant.Jeferme
lesyeuxettoutestblanc,commelecentredusoleil.J’entendsàpeineRennie,parcequec’estlafin.Jetiensmachancedepasserdel’autrecôté.Jesuissoulagéedelâcherenfinprise.
LXIILILLIA
DANSLAVOITURE,Reeveetmoigardonslesilence,saufàquelquesreprisesoùl’undenouslanceun«Oh,monDieu»,parcequetoutçaestvraimentdingue.Jeneluidemandepasoùilvaetlelaisseconduire.Nousdébouchonsdans lesbois.Toutestcalmeet sombre.Reeves’arrête,éteint lesphares,mais
laisselemoteurtournerpournepascouperlechauffage.Çan’apasd’importance,pourtant.Pourunefois,jen’aimêmepasfroid.Ondiraitquenoussommes
dansnotrepetitebulle.Ildétachesaceinture,etjefaislamêmechose.Enl’espaced’uneseconde,nousnousabandonnons
complètement.Jepressemeslèvresaussifortquepossiblecontrelessiennes.Sesbrasm’enlacent,meserrentfort.Jesensmontertoutcequej’avaistantdemalàcontenir,etjepeuxdirequeçavautpourluiégalement.Jenemelassepasdel’embrasser.Mesmainsnesontpasassezgrandespourl’étreindreautantque
j’enaienvie.Jeluiretiresadoudouneetmedébatsavecmaveste.Reevemedécolledemonsiègeetmedépose
sursesgenoux,adosséeauvolant.Leklaxonretentit,maisaucundenousnes’enpréoccupe.Ildégagesonvisagedumienetmeditàtoutehâte:—Quandjesuispartidecheztoil’autrejour,jesuismontédansmachambreetjemesuisallongé
surmonlitpourécouterdelamusiquedéprimante.Jecontinuedeluiembrasserlevisage,lesyeux,lesjoues.—Commequoi?Illèvelesyeuxauciel.
—Comme…euh…bonsang,jenesaisplus.(Ilritnerveusement.)Radiohead…Beck…Jenem’ensouviensplusmaintenant.Jel’embrassedanslecouetremontejusqu’àsesoreilles.Reevefrissonne.—Sij’avaissuquetuétaispassée,jeseraisdescenduencourant.Jet’auraisprésentéeàtoutema
famille.(Ilmerepoussesoudainementpourpouvoirmeregarderdanslesyeux.)Jeveuxquetusachesquejen’aipasinvitéRennie.Elleestvenued’elle-même.Jeposelatêtecontresapoitrineetrestedanscetteposition.Jen’aipasenviedefairequoiquece
soitquirisqueraitdegâchercemoment,maisilfautquejeluiavouetout.Jedoisêtrehonnêteaveclui.—Cetrucdontelleparlaitàlafête…Illèvemonvisageàhauteurdusien.—Oublieça.—Reeve,s’ilteplaît,laisse-moiterminer.Je…—Non,jet’enprie,nedisrien.Jen’aipasbesoindesavoircequis’estpasséavant.Jeveuxjuste
êtresûrquetuesavecmoimaintenant.—Oui.J’hésiteuneseconde,puismecontentedeluiconfirmer:—Jesuistoutàtoi.Unsourirevientéclairersonvisage;saboucheparcourtmanuquejusqu’àmeslèvresetnousnous
embrassonsànouveau.Seslèvressontempressées,commesinousn’avionsquecettenuitdevantnous.Jenemesouviensmêmeplusdeceque jevoulais luidire, et c’est trèsbiencommeça.Nousnousembrassonsàn’enplusfinir.Cettefois-ci,personnenenousarrêtera.
LXIIIKAT
JEN’AIAUCUN mal à subtiliser les photos. J’entre furtivement dans la galerie, les récupère dans lemeubledulavabo,puisressorsendouce.Ensuite,jem’envaisrejoindremonfrère.Patet toussesamisfontducamping.Jesaisvaguementoùilssont,dansuneclairièreprochedes
falaisesqu’iladécouvertelorsd’unecoursedemotocross.Jemegareaussiprèsquepossible,surleborddelaroute,puisfonceàtraverslesboisavecmarobeetmestalons.Ilyatantd’arbresquelaneigetoucheàpeinelesol.Jelestrouve.Ilsontfaitdufeu;toutlemondeestjoyeux,bourréetglacécommepaspossible.—Kat,s’étonnePatenselevantdurondinsurlequelilestassis,qu’est-cequ’ilya?Jefiletoutdroitjusqu’aufeuetjettelapiledephotosdeRenniedanslesflammes.—Filez-moiunwhisky.Rickymepassesabouteilleetjedescendslefondculsec.Jerestetranquillementassiseunmoment,pendantquetouslesautresfontlafête.Touteslesquelques
minutes, j’envoie à Rennie un SMS du styleT’es où ? ouDis-moi où tu es ! ou encoreRéponds,Rennie,merde!Soudain,par-dessus lecraquementdesbûches, laconversationetLedZeppelin, jecroisentendre
unesirène,commecelled’uncamiondepompiersoud’uneambulance.Impossibleàdire.Maislesonme fait frissonner. Je jette un coup d’œil à mon téléphone. Rennie n’a répondu à aucun de mesmessages.J’aiunpressentiment.Unmauvaispressentiment.—Fermez-latousuneseconde!Patmeritaunez.Installédel’autrecôtédufeusursonduvet,ilestentraindefairecuireunhotdog
douteuxsurunebroche.
—Pourquoi,t’asentenduunyeti?Lerestedugrouperigoledesablaguedébileoum’ignoreetcontinueàdiscuter.Jem’éloignedequelquespasetm’efforcedetendrel’oreille.Maintenant,jedistinguedeuxsirènes.
Peut-êtremêmetrois.Jecoursjusqu’àlaradioquequelqu’unaapportéeetl’éteinsaubeaumilieud’unsolodeguitareàtomberdeLedZep.Quelqu’unseplaint,maisj’aboie:—Jeneplaisantepas!Bouclez-la.Quelquechosedansmavoix les incite àmeprendreau sérieux. Ils ferment leursgueulesetnous
écoutons tous. On dirait que tous les camions de pompier de Jar Island sont en route vers unecatastrophe.—Ricky!Jecoursjusqu’àsamotoetenfileuncasqueaussivitequepossible.Personnenesemblecomprendre
ceque jeveux, saufRicky,Dieumerci,quin’hésitepasune seconde. Il fait rugir lemoteur etnousdémarronsentrombedansunnuaged’aiguillesdepinetdeneige.Nousroulonsendirectiondubruit,quin’estpastrèséloigné.Maisnousnepouvonspasapprocher.
L’undescamionsdepompierabloquélaroute.Jedescendsdelamotoetcourssurlebas-côté,oùunpompier est en train de dérouler un ruban rouge et blanc en travers du chemin.À une trentaine demètresdelà,unefalaiseescarpéesembleluiredanslanuit.Mesyeuxsuiventlalumièrejusqu’àl’eau,oùunebouleorangebrillantebrûledansl’anse.On…Ondiraitquelamerestenfeu.—Qu’est-cequis’estpassé?Ilmeregardecommesij’étaisunbadauddébileàlarecherchededétailssordides.—Ilyaeuunaccident.Puis,ilmetourneledos.Jel’attrapeparlebras.—Commentça?C’étaitqui?Est-cequec’étaituneJeepblanche?Dès que j’ai prononcé lesmots « Jeep blanche », il fait volte-face etme présente un tout autre
visage.Jetombeàgenouxetpousseuncridéchirant,telunanimalsauvage.
LXIVLILLIA
LORSQUE JEME réveille, le jourcommence justeàpoindreet jesuisallongéecontreReeve,sesbrasautourdemoi.L’horlogedutableaudebordindique«7:07».Oh,monDieu.J’essayedem’asseoir;Reeveremue,maisneseréveillepasetnerelâchepassonétreinte.Ilme
serreplusfort,etpendantuneseconde,jelelaissefaire.Mesparentsvontmetuer.Est-cequeçaenvalaitlapeine?JecontempleReeve;sesyeuxsontfermés,sescilssontlongset
ses cheveux sont tout ébouriffés sur sa nuque. On dirait un petit garçon. Oui, le jeu en valait lachandelle.Jesaisdésormaisqu’ilm’estimpossibledenepasêtreaveclui.Çavaêtredur,maisjevaistout expliquer àMaryetKat afinqu’elles comprennentque jen’ai rienplanifié.C’est arrivé, voilàtout.Ilfaudrabienqu’ellesl’acceptent.Jem’assoisetsecouedoucementReeveparl’épaule.—Réveille-toi,Reeve.Ilouvrelespaupièresetsourit,puisécarquillelesyeux.—Merde.—Mesparentsvontmetuer.J’étaiscenséerentreràdeuxheures.Je m’écarte de lui et commence à chercher ma pochette. Je la trouve sur le sol près de mes
chaussures.Jeconsultemontéléphone:j’aimanquédix-huitappels,tousenprovenancedelamaison.—Oh,non.Reevedémarresacamionnette,puissortdesboisenmarchearrièreetrejointrapidement laroute
principale.—Tuserascheztoidanssixminutes.Onexpliqueraqu’ons’estendormis,toutvabiensepasser.—Tunevasrienexpliquerdutout!Contente-toidemedéposer.Jeleurparleraimoi-même.
Jevérifiemacoiffuredanslemiroir.Unvraicarnage.Jecommenceàmerecoifferavecmesdoigtspourdémêlerlespointes.Jemesensnauséeuse,etpasseulementàcausedemesparents.ÀchaquefoisquejepenseàMary,j’aicommeunpincementaucœur.Etlamanièredontj’aiquittéRennie…Quelbordel.Reevetendlebrasetmeprendlamain.Ilentremêlesesdoigtsauxmiensetmedit:—Renfinirapars’enremettre.Jevaisluiparler.Ellenepourrapasfairelagueuleéternellement.Jelaisseéchapperunrire.—TuneconnaispasRennie,ouquoi?Biensûrqu’ellelepeut!—Pasàmoi,meconfie-t-il.Onseconnaîtdepuistroplongtemps.—O.K.,danscecaselletepardonnera,etellecontinuerademehaïr.Àpeine ces paroles prononcées, je sais exactement comment ça va se passer.Reeve est juste un
garçon;iln’estpassameilleureamie.Ilnel’apastrahiecommejel’aifait.—Jenelalaisseraipastehaïr,Cho.J’esquisseunsourire,quidisparaîtaussitôt.Jemurmure:—EtMary…Ellevaêtrebouleversée.—C’estqui,Mary?—Uneamie.Nous sommes arrivés dansmon quartier. Plus tard, simes parentsm’autorisent à ressortir de la
maisonunjour,jeluiraconteraitout.LepactedevengeanceavecMaryetKat,l’ecstasylesoirdubal,leplanpourlefairetomberamoureuxdemoi,tout.Jesaisqu’iln’aaucuneenviedel’entendre,maisc’est laseulesolution.Et lorsqu’ilcomprendra tout lemalqu’ilafaitàMary, il ira la trouverpours’excuser.Ilvoudraréparersestorts.Lorsquenoustournonsaucoindemarue,unevoituredepoliceestgaréedansnotreallée.Oh,mon
Dieu.Mesparentsontlancéunavisderecherche.Danssabarbe,Reevemarmonne:—Ohoh.Ils’arrêteetmedemanded’unairsoucieux:—Tuessûrequetuneveuxpasquej’entreavectoi?Tun’asqu’àmefaireporterlechapeau.Jesuisdéjàentraind’ouvrirlaportière.—Non,vas-y.Jet’appelleplustard.D’unbond,jesorsdesacamionnetteetcoursjusqu’àlaported’entrée.Jeneregardepasenarrière,
maisj’entendssavoitures’éloigner.Àboutdesouffle,jefranchislaporteetmeglissedanslamaison.Monpèrefaitlescentpasdevant
lacheminée,etmamèrepleure sur lecanapéen tenantNadiadans sesbras.Unagentdepoliceestassisàcôtéd’elles.Jemelance:—Jesuisdésolée,jemesuisendormie…Mais j’arrête de parler quandmamère laisse échapper un sanglot étranglé.Monpèrem’observe
avecuneexpressionquejeneluiaijamaisvuejusqu’ici.Ilcourtversmoi,meprenddanssesbraset
meserretrèsfort.D’unevoixrauque,ilmedit:—Tuvasbien,Dieumerci.Onpensait…Ilnepeutmêmepasfinirsaphrase.—Qu’est-cequisepasse?Puis,par-dessusmonépaule,jeregardeMamanetNadiasurlecanapé.Mamèrepleure,toutcomme
Nadia.Ellelissedélicatementlescheveuxdemasœuretluicaresseledos.—Lillia,parvient-elleàarticuler,enlevantlesbrasversmoi.Jesuiseffrayéecommejamais.—Papa?(Jereculeetledévisage.)Dis-moicequisepasse.C’estGrand-mère?Monpèrefermelaported’entréeettentedem’attirerverslecanapé.—Assieds-toid’abord,chérie.Jesecouelatête.—Non,dis-le-moimaintenant.Ilposelesmainssurmesépaules.Lesridesautourdesesyeuxsemblentprofondesdanslalumière
dumatin.Ilal’airvraimentfatigué.—C’estRennie.(Moncœursefige.Non,non,non,non.)Elleaeuunaccident,etnousnesavions
passituétaisavecelle.Elle…elleestmorte,Lilli.Mes jambessedérobent sousmoi.Monpèreseprécipitepourmesoutenir,envain.Cen’estpas
possible.C’estuncauchemar.Rennienepeutpasêtremorte.
LXVMARY
JEMERÉVEILLE à l’aube, roulée enboule sur le sol recouvertd’herbegelée,deboueetd’une légèrecouchedeneige.Maisjen’aipasfroid.Jenesensriendutout.Jelèvelatête.Qu’est-cequis’estpassé?Pourquoiest-cequejesuisencorelà?Lentement, je distingue les choses qui m’entourent. Des dalles en marbre blanc, des bouquets
délicats,desbougiesfondues.Jesuisdanslegrandcimetière,aucœurdel’île.Àquatrepattes,jemerapprochedelatombedevantlaquellej’étaisétendue.«JamesGlennDonovan,ànotrepèreetmaritantaimé»Jesanglote.Papa.L’inscriptionditqu’ilestmortilyaunan.Jemecreuselesméningespouressayerdemerappelerla
dernièrefoisoùjel’aivu.C’étaitforcémentavantmonretoursurJarIsland.Maisjenemesouvienspasdutoutdecejour-là.Jenepeuxpasentendresavoix,nilevoirmedéposerauferry.Ondiraitquequelqu’unaeffacémamémoire;elleesttotalementvierge.Entredeuxsanglots, j’aperçois la tombeàcôtéde la sienne.Ellea l’airvieille ; elledevait être
blancheautrefois,maismaintenant,elleestgrise.«ElizabethMaryDonovanZane.Reposeenpaix,monenfant.»Jetendslesdoigts.Elizabeth.Jelisl’inscriptionàvoixhaute;jesaisquec’estmonnom.Mafamillem’atoujoursappeléeMary,parcequejeportelemêmeprénomquetanteBette.Maisà
l’école,j’étaisElizabeth.ElizabethZane.J’effleure lescontoursdemadatedenaissancegravéedans lapierre. J’avais treizeansquand je
suis…D’unpas chancelant, jeme remetsdebout et commenceàm’éloignerde la tombe, sans laisser la
moindreempreintedanslaneige.Jemeretourneetcoursaussivitequejepeuxjusquechezmoi.La porte d’entrée est ouverte. Jeme rue dans lamaison,monte l’escalier à toutes jambes etme
précipitedansmachambre.Iln’yapaslemoindrecartonàl’intérieur.Lesvêtementsquej’airangésdansmesvalisesnesont
pluslà.Macommodeestrecouverted’undrap.Dansmonlit, iln’yaquelematelas.J’entredanslasalledebain.Lerideaudedoucheadisparu.Lesservietteségalement.Jejetteuncoupd’œildanslabaignoire.Elleestpleinedepoussière,alorsquej’aiprisunedouchejusteavantl’arrivéedeMaman.Pourtant,jesuisalléeàl’école.J’aifaittouslestrucsnormauxqu’unelycéennepeutfaire.J’aides
amis.J’aideuxamies,même!Commentpeuvent-ellesmevoirsijesuismorte?Je ressasse tout ça dans ma tête. Toutes les personnes auxquelles j’ai parlé…Kat, Lillia, tante
Bette…etc’estàpeuprèstout.Attendez ! Il y a eu Halloween, aussi ! J’ai parlé à d’autres personnes, ce soir-là. J’ai même
embrasséungarçon.Soudain, je me souviens de ce que tante Bette m’a dit cette nuit-là. « Le soir d’Halloween, la
frontièreentrelesvivantsetlesmortss’efface.»Jetombeàgenoux.TanteBetteaessayédemelediredepuisledébut.Maisjen’aipascompris.Etjenecomprendstoujourspas.Jesuisvraimentrestéesurl’îlependanttoutcetemps?L’hôpitalpsychiatrique,lanouvellemaison,
lesannéesquej’aipasséesloind’ici…J’aitoutimaginé?Levéloaussi?Etmesvêtements?Riendetoutçan’estréel?Etplusimportantencore…Sijesuismorte,pourquoiest-cequejenesuispasalléeauparadis?Ou
enenfer?Pourquoiest-ceque jen’aipassimplementdisparu?Pourquoiest-ceque jenepeuxpasquitterJarIsland?Jefermelesyeuxtrèsfort,rejettelatêteenarrièreetpousseunhurlementsansfin.
LXVIKAT
C’ESTL’HEUREDUdîner, et je suisgaréeàquelquesmaisonsdechezLillia. Je fumeclopesurclopederrièrelesvitresferméesdemavoiture.Laneigen’apascessédetomberdepuislanuitdernière,etmonpare-briseestpresqueentièrementrecouvertdeblanc.Çafaituneheurequej’attendsqu’ellerentrechezelle.Jenesaispastropoùelleest.Peut-êtreà
l’appartementdelamèredeRennie,àessayerde laréconforter.Oupeut-êtrequ’elleesten traindepleurerdanslesbrasd’Ashoudesfillesdel’équipe.Mon cœur est lourd.Rennie etmoi avons été amies pendant longtemps.Malgré notre brouille au
lycée,jesaisquenotreamitiéétaitplusforteetsurpassaittoutescellesqu’ellepouvaitentreteniravecd’autres.Je ne peuxmême pas passer à son appart. J’ai l’impression que je n’ai pas le droit de le faire.
Personne ne va passer voir comment j’accuse le coup ou me proposer son épaule pour pleurer.Personnenevam’expliquerpourquoic’estarrivé,quelleétaitlacausedel’accidentetmedirecequenoussommestoussupposésfaireàprésent.J’aidûenvoyeraumoinsdixSMSàLillia,etellen’aréponduàaucun.Pasunseul,alorsqu’elle
saitqueRennieétaitmameilleureamie,àmoiaussi.Peut-êtrequ’elleestencoreavecReeve.Jen’aipasenviedeprendredesnouvellesdeMarytantquejen’auraipasparléàLiletqu’ellene
m’aurapasexpliquécequisepasse.Jeposelatêtecontrelepare-briseetfermelesyeux,maismeslarmesressurgissentaussitôt.Toutest
complètementdingue.Çan’aaucunsens.Jen’aipasdormi.Pasuneseuleseconde.Jemesuiscontentéedesangloteretdefumerenboucle
depuisquej’aivusaJeepbrûlerdansleravin.
Jejetteuncoupd’œilàlapenduledutableaudebord.Ilestdix-septheures.QuinzeheuressesontécouléesdepuislamortdeRennie.Ilyaquinzeheures,jesuisladernièrepersonneàl’avoirvuevivante.Jeluiairendusesclés.Je
l’ailaisséeconduire.Jerecommenceàtrembleretàpleurer,etj’aihorriblementmalàlatête.Jeplongelamaindansma
pocheetensorsleValiumquePatm’adonnélorsquej’aiessayédem’allongerlapremièrefois,aprèsêtre rentréedesbois.Dieusaitoù il se l’estprocuré. Je l’avaleavecunegorgéedecafédésormaisfroidquej’aiachetéàlastation-service.
J’IMAGINEQUEJE finisparm’endormir,parcequejen’aiaucuneidéedutempsquis’estécouléavantquej’entendetaperàmavitre.C’estLillia.Jemepenchepourouvrirlaportièrepassageretellemonteàl’intérieur.Lapeauautourdesesyeux
estrougieetsonvisageestlivide.—Désoléedenepasavoir réponduà tesmessages,murmure-t-elle.J’étaisavecsamère.Elle…
Elleestdansunpiteuxétat.JemecontentedefixerLillia,parcequejenesaispasquoidire.Ellesemetàpleurerdoucement.
Ensilence.—Est-cequ’ilssaventcequiestarrivé?Pourquoielleaquittélaroute?—J’ensaisrien.Lespoliciersnesesontpasencoreprononcés.—Tusavaisqu’elleavaitdesphotosdetoientraindeverserl’ecstadansleverredeReeve?Lilliablêmit.—Tulesasvues?—Ouais.Renniemelesamontréesaprèstondépart.J’aidûlaconvaincredepartiravecmoietde
nelesmontreràpersonneàlafête.Jesuisrevenueleschercheretjelesaibrûlées,maisjenesaispass’ilenexisted’autrescopies.Lilliafermelesyeux.—Jen’arrivemêmepasàréfléchiràtoutçaencemoment.—Ehbien,tuferaismieuxd’yréfléchirrapidement,parcequesiquelqu’und’autrevoitcesphotos,
onestdanslamerde.(Jegrimacerageusement.)Bonsang,qu’est-cequis’estpasséentreReeveettoilanuitdernière?Elleouvrelabouche,maisaucunmotn’ensort.Jesecouelatêteetserrelevolantàpleinesmains.—Putain,Lillia!Qu’est-cequetuvasdireàMary?— J’en sais rien, O.K. ? crie Lillia en s’essuyant les yeux. Je suis incapable de penser en ce
moment.J’enchaîne:—J’espèrequetunecroispasquec’estmoiquivaisleluidireetfairelesaleboulotàtaplace.
C’esttonproblème,paslemien.
Putain,Kat !Tu…Tunepourraispasarrêterdeuxsecondes,à la fin !Rennieestmorte.Maplusvieillecopineaumondeestmorte.Jefrappelevolantethurleàpleinspoumons:—Tunecroispasquejelesaisdéjà?Tupensesquetuétaislaseuleàtesoucierd’elle?Lilliaessuieseslarmessurlamanchedesaveste.—Jen’arrivepasàcroirequetoutçasoitvrai.(Ellesetourneversmoi,leregardtriste,maisplein
d’espoir.)Jeveuxdire,c’estpeut-êtrequ’unmauvaisrêve,aprèstout?
LXVIIMARY
DEBOUTÀCÔTÉ de la voiture deKat, je les écoute se disputer.Elles se battent pour décider qui vam’annoncer ce que je sais déjà. Que Reeve et Lillia sont ensemble, maintenant. Qu’ils forment uncouple.Peut-êtremêmequ’ilssontamoureux.Mais Kat et Lillia ignorent que j’ai des secrets, moi aussi, et des gros. Bien sûr, j’ai encore
beaucoupdechosesàcomprendre.Cequejepeuxfaire,oupas.PourquoiLilliaetKatpeuventmevoiralors que personne d’autre ne le peut. Chaque étape viendra en son temps, j’en suis convaincue.Commel’adittanteBette,jenesaispasdequoijesuiscapable.Maisjelesauraibientôt.Ilyaunechosedontjesuissûre,enrevanche.Cequiestarrivélanuitdernière,lamortdeRennie,
c’étaitunaccident.Maislaprochainefois,ceneserapaslecas.J’aiperdutropdetempsàessayerdepousserReeveàregrettercequ’ilafait,àtenterdelefaire
culpabiliserpourqu’ils’excuse.Maisdésormais, jesaisque toutcelan’aservià rien. Ilnepourrajamaismerendre toutcequ’ilm’apris.Mafamille,mesamis,moncœur,mavie.Jen’aiplus rien.Mêmes’ilmesuppliaitàgenouxdetoutluipardonner,çanesuffiraitpas.Loindelà.Œilpourœil,dentpourdent,couppourcoup.Viepourvie.C’estcommeçaquetoutacommencé,etc’estcommeçaquetouts’achèvera.
Fin
BIOGRAPHIEDESAUTEURS
JENNY HAN est l’auteure de la trilogie L’été où je suis devenue jolie. Autrefois librairespécialiséedans la littérature jeunesse, elle est titulaired’unmaster en écriture créativede laNewSchooldeNewYork.
SIOBHAN VIVIAN est l’auteure du roman La Liste. Auparavant rédactrice chez Alloy
Entertainment,elleesttitulaired’unmasterenécriturecréativedelaNewSchooldeNewYork.Elleenseignel’écriturecréativeàl’universitédePittsburgh.
DÉCOUVREZLESAUTRESTITRESDELACOLLECTIONsCARLETT
Piégée
DEHEATHERDIXON
Alorsqu’uneviederêverempliedebalssomptueux,detoilettessublimesetd’élégantscourtisanss’offraitàelle,l’universd’Azalées’écroulesubitement.Dujouraulendemain,elleseretrouvepiégée.Heureusement,leGardienlacomprend;ilestpiégéluiaussi,enfermédepuisdessièclesentreles
mursdupalais,etchoisitdoncdel’inviteràsescôtés.
Touteslesnuits,Azaléeetsesonzesœursempruntentunpassagesecretquilesconduitdeleurchambreàuneforêtmagique.Maisilyaunprixàpayer.LeGardienaimeplusquetoutgarderdes
choses.Azaléerisquedel’apprendreàsesdépens,maisilserapeut-êtretroptardpouréchapperàsonemprise…
DÉCOUVREZLESAUTRESTITRESDELACOLLECTIONsCARLETT
LeSonged’une
Nuitd’Automne
TOME1
LaNeuvièmeNuit
DELESLEYLIVINGSTON
Kelly,jeunecomédiennededix-septans,atoujourscruquelesféesn’existaientquedanslescontespourenfants…jusqu’àcequ’ellerencontreSonnyFlannery.Enl’espacedequelquesnuits,ilva
changerlaviedeKellyetsefaireuneplacedanssoncœurpourl’éternitéenluiouvrantlesyeuxsurunmondeemplidemagie…
MaisKellyassumera-t-ellesonnouvelhéritage?
DÉCOUVREZLESAUTRESTITRESDELACOLLECTIONsCARLETT
MILA2.0
DEDEBRADRIZAMilaestunejeunefilletoutcequ’ilyadeplusnormale.InstalléedepuispeudansleMinnesota
avecsamère,aprèsledécèsdesonpère,ellecommenceàrebâtirsavie.Nouveaulycée,nouvellescopines,nouvelamoureux…
Maistoutbasculelejouroùelledécouvrelavéritésursonidentité:ellen’estpasfaitedechair
etdesang,maisdematièressynthétiques.Enréalité,Milaestuneandroïde,deuxièmemodèledugenre,laversion2.0.Toutdroitissuedeslaboratoiressecretsdeladéfense,elleaétéconçueetprogramméepouraccomplirdeschosesimpossiblespourlecommundesmortels,espionnage,
infiltration,combat…Etcellequiprétendêtresamèren’estautrequesaconceptrice.Maintenantquelesecretestpercé,desindividusveulentmettrelamainsurMila.Maiss’agit-ildel’arméeaméricaine,soucieusederécupérersonbien,oudedangereuxterroristesprêtsàvendresa
technologieauplusoffrant?
PourMilaetsamère,l’uniquesolutionrésidedanslafuite…
DÉCOUVREZLESAUTRESTITRESDELACOLLECTIONsCARLETT
MARADYER
TOMEI
MaisquiestMaraDyer?
DEMICHELLEHODKIN
Maranepensaitpasquesaviepourraitchangerautant.
Elles’éveilled’uncomadansunhôpitalsansaucunsouvenirrécent.Sanssavoircommentelles’estretrouvéelà,nicequiaprovoquél’accidentquiatuésameilleureamieetsonpetitcopainalors
qu’ellen’apasuneégratignure.Lesdocteursayantsuggéréunnouveaudépart,MaradéménageenFloridepourrecommencersavie
dansunlycéelocal.Maissavieachangé:ellevoitdésormaislesvisagesd’amisdisparus,etperçoitlamanièredontvontmourirlesgens…Est-elledevenuefolle?Neserait-cequedeshallucinations?AuxcôtésdeNoah,lemystérieuxséducteurdesonlycée,ellevaessayerdedistinguerlavérité
entrecequ’elleimagineetlaterribleréalité.
DÉCOUVREZLESAUTRESTITRESDELACOLLECTIONsCARLETT
BALLERINES
DESOPHIEFLACKHannahWard,dix-neufans,estdanseuseauseinduManhattanBallet,unecompagnieprestigieuse.
Ellesevouecorpsetâmeàsonart.Ellen’aqu’undésir:prouverqu’ellen’estpasqu’unedanseuseanonymeparmitantd’autres,etdevenirballerine.Maisderrièrelespectacleenchanteurqu’offretouslessoirslecorpsdeballetàunpublicravi,encoulissesecacheunetouteautreréalité:amitiéset
rivalités,ambitionsetespoirsdéçusrythmentuneviedetravailacharnéquinelaisseaucuneplaceaumondeextérieur.
Etquandunjeunemusiciens’immiscedanscetuniversfermépourluiproposerunpasdedeux,
Hannahdécouvreàtraversdesémotionsnouvellesqu’ellen’estpasseulementunedanseuse,maisaussiunejeunefemme.Elledevraalorsfaireunchoix:selanceràcorpsperdudanslacompétition
pourobtenircesolosiconvoité,oudonnerunechanceàcetamournaissant…
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