UNIVERSITE DU QUE BEC
MEMOIRE
PR~SENTE A
L'UNIVERSITE DU QUEbEC A TRO IS- RIVI ERES
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAITRJSE ES ARTS (LETTRES)
PAR
JEAN-PAUL HAMOIR, B.Sp. Lettres (Littrature franaise)
LES STRUCTUR ES RO~lANESOUES ET LEURS SIGN JFICATI O"S DANS LA LITTrRATlI RE FRA\C.\I5E
Janvier 1973
Universit du Qubec Trois-Rivires
Service de la bibliothque
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REMERCIEMENTS
Nous tenons ici remercier M. Jean-Paul Lamy qui a bien voulu
prendre ce travail en charge. Notre thse a bnfici de toute son
attention et de ses conseils aviss. M. Lamy a suivi avec beaucoup de
diligenc~ nos travaux de recherche , l ' volution de notre travail ainsi
que son laboration. Nous tenons le remercier pour sa largeur de
vue qui nous a permis de nous exprimer plus librement,et pour sa bien-
veillanc e qui nous a fortement encourag poursuivre nos recherches.
Nous tenons galement remercier M. Maurice-Jean Lefebvre,
Professeur l'Universit de Bruxelles,auteur du rcent ouvrage:
Structure du discours de la posie et du rcit . Il a bien voulu nous
accorder une entr evue et nous prodiguer ses encouragements .
TABLE DES MATIERES
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
CHAPITRE
l
II
COMMUNICATION
Communication en gnral Dfinition Diffrents aspects de la communi cation
texte sens signification information
Elements qui dsignent le loc~teur Elments qui dsignent l'interlocuteur Cod~ et dcodage Feed-back
Roman comme communication Dfinition Diffrents aspects de la communication
texte sens signification
Roman ou message esthtique sens ou "narration" signification "littraire"
ROMANCIER ET ROMAN
Problme du romancier face au roman Oeuvre crant le romancier Romancier fabriquant le roman Aspects biographiques et autobiographiques Distanciation roman-romancier . Romancier refusant d'tre "fabricateur"
de roman
Roman dvoilant le romancier par certaines techniques
Romancier dmiurge Les interventions de l'crivain
page
vii
l
5
27
Narrateur Gnralits
divers types de narrateurs narrateur "diffrent" du romancier
Narrateur voil
. cach absent ou qui se veut tel
Vision Dfinition Sortes de vision
vision avec vision par derrire
un personnage deux ou plusieurs personnages
vision par dessus
III ROMANCIER ET LECTEUR
IV
deux termes de l'activit romanesque
Romancier crateur Diverses thories Romancier comme crateur Divers "moi" crateurs Oeuvre d'art qui "se fait" sans crateur
Lecteur Gnrali ts Lecteur de soi-mme Diverses lectures d'un roman Lecteur inclus dans l'oeuvre Romancier, lecteur d'autrui
TEXTE DU ROMAN ET GRAMMAIRE TEXTUELLE
Texte du roman Dfini tion Trois systmes de signes
narration digse auto-caractrisation
Discours, ou grammaire textuelle Fonction
Diffrentes thories Propp Brmont Barthes Todorov Flaubert
Problme particulier: texte fonction-nant comme une phrase
Opinion personnelle: trois types de squences
dtermination caractrisation digression relation entre les squences
ii
56
85
v
Discours, ou "units suprieures" causalit
dfinition roman forte causalit roman faible causalit roman sans causalit
Problmes particuliers texte plusieurs discours discours sans fin mise en abyme
LE PERSONNAGE Hros et personnages
Essai de dfinition dfinitions contradictoires selon les
crivains hros classique: un lutteur hros li l'action hros incarnant des situations conclusion: difficult de donner une
dfinition du hros car il est changeant
Aspects permanents du hros trois mythes hro~ques
naissance oracle ddoublement
"hro~sation" du personnage pourquoi procds
adversaires du hros hros et destin
116
Evolution de la conception de hros: du hros classique au hros moderne qui s'anantit, lie l'volution de la socit
volution moyen ge XVIe sicle XVIIe sicle XVI Ile sicle XIxe sicle xxe sicle
Hros au point de vue structural classification des personnages
dfinition . diffrents types
confident adjuvent-opposant mdiateur existentiateur indiffrence homme-rcit
iii
VI
VII
PERSONNAGES DU ROMAN: "JE", "TU", "IL", "VOUS"
Introduction: problme du "je" et du "il": roman objectif ou subjectif
Roman la troisime personne: problme du "je" selon Barthes du "j e" vers le "il" le "il" chez Blanch.ot le "il" chez Nathalie Sarraute le "on" chez Nathalie Sarraute
Roman la premire personne dfinition types divers
"je" romancier "je" narrateur
le "je" faire :i=ecteur dire = narrateur chez Soller chez Beckett
diffrents types de romans selon Todorov selon Romberg
le "je" dans divers romans roman par lettres roman picaresque roman confession monologue intrieur
le "je" clat chez Proust chez d'autres auteurs
problmes particuliers le "je" dans L'Etranger le "j e" chez Soller le "je" chez Nathalie Sarraute le "je" chez L.R. des Forts
Roman la seconde personne: le "vous" et le "tu" chez Butor
DIALOGUE
Gnralits: dfinition importance du dialogue
Parole directe et par~le indirecte
Conversation signifiante personne acte explication oracle dcors romancier
iv
. 60
182
VIII
Conversation insignifiante non significative contradictoire
Sous-conversation
Personnage incapable de parole
ROMAN ET REALITE
Roman, ralit et socit roman comme reflet de la ralit socia l e
description de la ralit globale description des groupes sociaux reprsentation diffrente selon l es
poques roman comme critique de la socit
roman comme reflet de la r ali t ? ralisme mitig et/ou absent dans le roman texte s'auto-engendrant
Romans et mythes mythes sociaux
dfinition diffrents mythes dans le roman
Psyche Cain mal Don Juan OEdipe double deux femmes mythes solaires mythes de l'amour
mythes personnels: psychocritique
Dcors dfinition opposition description-narration deux types de description: significative et
esthtique description esthtique
202
description esthtique proprement dite description non significative
description significative problmes particuliers
dcors mythiques auteurs:
Choses procds
les Goncourt Zola Proust Green Roussel
objet significatif
v
objet non-significatif ou "mat" objet qui remplace le personnage et/ou objet
vivant Roussel ou les mots chosifis
IX TEMPS ET ESPACE
CONCLUSION
Temps Gnrali ts
dfinition problmes du temps dans le roman
pass prsent
chronologie anti-chronologie instantani t
Problmes particuliers mythe de l'ternel retour temps mythique chez Roussel
Espace Dfinition Roman comme espace: la page Espace dans le roman: .
essai de dfinition conception de l~espace chez certai ns
crivains.
vi
266
302
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*
INTRODUCTION
Les tudes sont fort nombreuses , qui ont t consacres au roman.
Nous pourrions ci ter, mais en oubliant combien d' autres, les travaux de
Messieurs Thibaudet, Albrs, Zraffa, Lukacs, Goldmann ... Menti onnons
aussi l'ouvrage que viennent de publier Messieurs Bourneuf et Oue llet .
Tous ces crits, toutes ces tud~s visent cerner une cert aine
ralit de l'univers romanesque, lucider les problmes qu'el le pose.
La critique marxiste, par exemple, tablit un lien entre la production
littraire et la production de biens de consommation. Et nous pourrions
discourir longuement sur l'apport de la critique thmatique, de la cri -
tique sociologique, sans oublier, bien sr, les travaux mens par les
tenants de la critique traditionnelle Ces diverses manires d'envi -
sager le roman sont, n'en pas douter, fructueuses . Il suffit, pour
s'en convaincre, de considrer la somme de publications qu'elles engen -
drent. Il faut cependant regretter que ces diverses mthodes critiques
tendent devenir exclusives. Ce n'est plus le roman qui est tudi,
c'est le roman vu sous l'clairage d'une thorie. L'approche que fait
Monsieur Escarpit est fort diffrente de celle qu'opre Monsieur Gold-
mann , or tous deux se rclament d'une sociologie de la littrature. On
mesure alors la diffrence qUl les spare d'un Mauron, d'un Barthes .. .
Toute cri tique se ramne en fait . deux grands axes: dcrire
et/ou juger; seul ce qui est dcrit, ou apprci, varie d'une approche
2
l'autre. Mis:, toute description est souvent superficie lle en ce
sens qu'elle reste la surface de l'oeuvre. Le co~~entaire effleure
"l'objet" ou un aspect de cet objet. Gustave Lanson, par exemple,
lorsqu'il crit: "L'Education sentimentale [ ... ] c'est l'aplatisse-
ment lent et progressif d'une me par la vie; ce Frdric Moreau est
un mdiocre et un faible [ ... ],,1, ne fait que livrer un rsume succinct
de l'oeuvre, additionn de commentaires. Ces remarques ne nous servent
de rien pour savoir ce qu'est l e roman, et mme, pour savoir ce qu'est
L'Education sentimentale. En fait,dcrire c'est toujours trahir , c'est
toujours diminuer. L'arbre ne se ramne pas , au mot "arbre", l' arbre ne
se rduit aucun mot. Alors, comment dcrire l a f ort? Toute descrip -
tion se rduit donc un effort pour atteindre l'oeuvre dans ce qu'e lle
a d'essentiel. Mais ce qui est accessoire pour une poque peut tre
l'essentiel d'une autre. La description totale d'un roman. c'est en
dfinitive, la totalit du roman.
Une tout autre manire d'envisager la critique est celle que
dcrit Monsieur Macherey: "Au fond de l'attitude critique, il y a,
sous-entendue, mai s dterminante, cette affirmation "il pourrait ou
devrait en tre autrement,,2. La critique normative, dfinie ainsi,
met un jugement Elle s'attache, pour se faire, non pas ce que le
roman est, mais ce qu'il devrait tre. Arm d'un modle parfait, l e
critique souligne les dfauts. Mais qui justifie la validit de ce
1 G. L. Lanson, Histoire de la littrature franaise, Paris, Hachette, 1906, p. 1,057.
2 P. Macherey, Pour une thorie de la production littraire, Paris, Maspero, 1970, p. 25.
3
modle - que personne n'a crit? Que penser d'une critique qui se fonde
non pas sur ce qui est, mais sur ce qui devrait tre? Comment approuver)
de nos jours, l'opinion de Monsieur Faguet qui accueille par ces termes
L'Education sentimentale: "Les incidents ne se commandent pas les uns
les autres [ ... ] beaucoup paraissent plaqus ici sans qu'il y ait de
raison,,3, et qui finit par rendre son verdict en jugeant l'oeuvre pro-
fondment ennuyeuse.
Ces deux attitudes critiques finalement subjectives l'une CO~Tle
l'autre, nous valent une kyrielle de ,dfinitions. Toutes prtendent
cerner le "roman", toutes sont contradictoires, toutes se r vl ent,
ellf:in, inefficaces .
Or il nous faut replacer le roman dans son vritable domaine.
Ecrire une oeuvre, c'est pour le romancier oprer un choix de moyens .
. "L'art de l'crivain tient la faon dont il dessine les limites de
cet espace, qui est le corps visible de la Littrature"~. Le romancier ,
pour largir le propos de Monsieur Genette, est confront non seulement
au problme personnel de sa langue et de son style, mais encore ce lui
du choix des techniques narratives. Face son oeuvre "en puissance",
il lui faut dterminer toute une srie d'attitudes qui feront prendre
corps l'oeuvre, qui 1 '''informeront''. Cette latitude dans les moyens
provient d'un fait que la critique a souvent tendance oublier: il
n'y a pas de "Roman", il y a des romans. Et les oeuvres sont souvent
3 E. Faguet, Flaubert, Paris, Hachette, 1922, p. 122.
~ G. Genette, Figures, essais, Paris, Seuil, 1966, p. 208.
4
fort loignes les unes des autres moins par le "contenu" que par la
manire de narrer. Il existe un monde entre les aventures de Pantagruel
et celles de Candide; l'histoire est essentiellement la mme : c'est
l'expression d'une certaine sagesse. Rabelais a fait un choix de moyens
narratifs, Voltaire en a opr un autre. Mais ce choix ne se justifie
pas par la seule oeuvre crire. Parce que le roman est, d'abord, un
"vouloir dire", il est communication. Entre le romancier et le lecteur
s'tablit un lien. Ecrire et lire font partie d'une charne, ce sont les
synonymes d'mettre et de recevoir. Ce sont les "termes" de l'acte de
communiquer, c'est--dire d'une volont de mettre en "commun" une certaine
exprience. Cela implique non pas une "histoire" raconter, mais une
certaine intention de communiquer, mais l'emploi judicieux de moyens,
c'est--dire l'utilisation de certains codes.
Cette optique nous conduit examiner le roman partir d'un sys-
tme plus large mais qui l'inclut: la communication trois termes
telle que l'a tablie Karl Buhler, en 1934, . dans Sprachtheorie, et qui a
trouv une expansion particulire en linguistique grce aux travaux de
Troubetzkoy (principes de phonologie). Ce modle triadique nous offre
un point de dpart: le roman qui est un moyen d'expression l'intrieur
de la fonction de communication suppose toujours trois lments: un
metteur, un rcepteur et un obj et de communication.
CHAPITRE PREMIER
COMMUNICATION
De tout temps, l'homme confront un univers, des forces qui
souvent le dpassent et le menacent, a voulu conjurer sa peur. I l a
voulu comprendre et expliquer, car il croyait trouver dans les "tho-
ries" de quoi chasser son angoisse.
Or les connaissances que l'homme, dans sa relation avec le monde,
peut acqurir, semblent s'orienter en deux grands courants - comme le
fait justement ressortir le professeur Abraham Moles. C'est, d' abord,
un ensemble de disciplines qui se regroupent sous le dnominateur-
commun qu'est la physico-chimie, disciplines qui, toutes, dcri vent
l'univers sous son aspect nergtique. L'homme dcouvre ainsi une fa-
cette de la ralit, la dimension scientifique du monde. Attel une
tche ambitieuse qui vise expliciter l'univers, le cher cheur se donne
un rle essentiel. Il met toute son attention exprimenter , consta-
ter; il met toute son intelligence dduire, laborer lois et
6
thories. Pourtant, dans le discours scientifique, l'homme ne s'impli-
que jamais. Observateur "scrupuleux", tmoin "impartial", logicien
"parfait", l'homme n'est amen qu' jouer, dans le champ scientifique
qu'un rle extrieur. La thorie de Newton nous parle de l'univers,
tente de le dcrire, de l'expliquer, elle ne nous rvle jamais l'Homme .
L'humain est singulirement absent du domaine scientifique. Les tho-
ries ne rvlent le chercheur que par la voie oblique, en dmasquant un
contexte socio-culturel, en rvlant la conception du monde qu'une po-
que envisageait.
Lorsque l'homme reprend sa place dans l'univers, lorsqu'il s'atta-
che, ainsi, dcrire les modes et les types de relation qu'il noue avec
le monde, avec ses semblables, voire avec lui-mme, il emprunte alors la
seconde alle de la connaissance. Il parcourt une voie prilleuse qui
dbouche sur le monde de la "communication". L'homme doit y faire essen-
tiellement appel aux donnes de la conscience dirige nonvrs des objets
scientifiques, mais vers le champ des relations entre les tres. De l
cette tude qui s'intresse entre autre au "Message" que l'homme reoit
du monde extrieur, de ses semblables, et ses ractions.
Depuis quelques annes, partir de recherches effectues en
Amrique du Nord, il s'est dvelopp ' une thorie qui vise la communica-
tion comme telle. Cette thorie s'est rapidement annex des aspects
purement mathmatiques, (sous l'influence notamment des compagnies de
tlphone qui considrent, videmment, les seules dimensions techniques
du problme). En effet, entre le locuteur et son interlocuteur inter-
vient un double systme de codage-dcodage qui transforme la communication
en impulsions lectriques et inversement, faisant basculer ainsi le
message dans un domaine purement scientifique.
Systme intermdiaire .
++++++ Locuteur --------- +Systme 1+---------
Message (M)+ + + + + + codage
+ + + + + + inter-+Systme 11+--------- locuteur +++++ + M
dcodage
C'est l, pourrions-nous dire un aspect qui parasite la Gommuni-
7
cation qui peut fort bien s'tablir sans le recours de systme i nterm-
diaire (tlphone). Ce n'est videmment pas l'aspect physique ou
mathmatique auquel nous voulons nous arrter dans cette tude mais
l'acte de communication lui-mme.
Selon le dictionnaire Larousse, la "Communication" est "l'action de
communiquer". Ce dictionnaire n'est gure plus explicite puisqu'il
dfinit ainsi "communiquer": transmettre ... donner connaissance de.
Nous restons sur notre faim. Cette dfinition est trop simpliste et
limite. La communication ne serait simplement que l'acte de transmettre,
de donner connaissance de ... Mais "qui" donne connaissance de "quoi"?
Comment cette connaissance est-elle transmise? A "qui"? Comment est-
elle reue? Autant de questions qui restent en suspens.
Nous n'avons Pas l'intention de rpondre, et de manire exhaustive,
toutes ces interrogations. Nous dpasserions alors, trs largement ,
le cadre de ce travail. Nous voulons, ici, nous borner cerner le plus
exactement possible quelques aspects du problme.
8
Dans son apparence la plus immdiate, la communication se compose
de deux lments: le "Contenu" (ou "doxa" selon la terminologie grec-
que) c'est--dire, ce qui doit tre communiqu, et l'''Acte de communi -
cation" proprement dit. Ce dernier, lui-mme, prsente trois lments:
un "locuteur" (ou metteur), un "message", un "interlocuteur" (ou
rcepteur). Ces donnes peuvent se traduire, trs simplement, par le
schma suivant:
ACTE DE Message Locuteur ----------------Interlocuteur
COMrvruNICATION (metteur) (rcepteur)
Il convient ds prsent de noter qu'il n'y a pas identit entre
le "Contenu" et le "Message". Le "Message" est porteur d'un sens qui
est celui que le "locuteur" veut transmettre, c'est--dire le "Contenu";
mais il n'est pas ce sens ou ce "Contenu".
L'tude des actes de communication nous apprend que quand un tre humain communique avec un autre, il labore un "message" sur la base d'un "code" de conventions communi -catives qui vaut l'intrieur d'un groupe social et d'une situation historiqe. On obtient les meilleures condi-tions pour le passage de la communication lorsque celui qui reoit le message le dchiffre sur la base du code mme employ par l'metteur. l
Le passage du "Contenu" en "Message" s'opre par l'intermdiaire du locu-
teur. Il choisit pour cela un "code". Ce "code" assure la transformation
. du "Contenu" en un systme structur et signifiant. Le sens du systme
devant tre le plus proche possible du "Contenu" exprimer. Le locuteur
n'est donc pas un simple metteur passif, c'est un "Codeur" .
1 U. Eco, Problme de la rception dans Critique sociologique et critique psychanalytique, Bruxelles, Institut de sociologie, 1970 , p. 14.
9
Les codes utiliss sont multiples, ils vont des signes mathmat i -
ques la signalisation routire, en passant par la lgende cartogra-
phi que , la hraldique .... 2. Il semble bien que le code par excellence
soit celui de la langue. L'interlocuteur n'est pas, lui non plus, un
tre passif; c'est" un "Dcodeur". Le dcodage, condition d'tre
fait de la manire la plus rigoureuse possible (selon le code uti lis
par le locuteur) doit livrer l'interlocuteur le "Contenu", selon l e
schma suivant.
Contenu X------ Emetteur R cepteur ------ Contenu X MESSAGE
code code
codage dcodage
Ce schma suppose le meilleur des cas, savoir celui o le coda~e et
le dcodage auraient traduit parfaitement le "Contenu'l. Les codes uti-
liss se rvlent donc multiples et divers. Ce sont tous des systmes
de signes; depuis le simple chiffre mathmatique jusqu'au caractre ar abe,
sans oublier les affiches, les mimiques .... Tous ces systmes relvent
d'un domaine qui semble s'largir constamment: la smiologie, telle que
Roland Barthes la dfinit. Tous ces signes n'ont pas mme "valeur" , et
il convient, par exemple, de distinguer l"'indice" du "signal". Un si-
gnal est univoque, on ne peut le dcoder que d'une seule manire.
Ainsi, pour reprendre un exemple classique, la signalisation routi re
qui ne prte, en principe, ni interprtation ni discussion. Un indi-
ce est multivoque, il possde une multitude de dcodages possibles.
2 Pour l'tude des systmes de communication non linguistique , voir: Georges Mounin, Introduction la smiologie, Paris, Ed. de Minuit, 1970; Julia Kristeva, Recherches pour une smanalyse, Pari s , Seuil, 1969.
10
L'acte d"'encodage" linguistique est loin d'tre acte simple .
Il est soumis un certain nombre de rgles ou de contraintes. Nous
prendrons pour expliciter ces normes le schma donn par W.J. Paisley.
+++++++++ +++++ + ++ + + THE ALL LANGUAGE NORM + + + + + + + + + + + ++++++ + ++++++ + + + + + + + + Regional norm + + + + + + +
Channel norm + + + Si tuational + + Familial norrn + + + + + + + + + + + + + + Individual norm + + + + + + + + + + + + + + + + + + +++ + + + + + + + + + + + + + + + + + + + + Structural norrn + + + Topic norrn + + + + + + + + + + + ++++++++++++ + +++++++++++
+ MESSAGE 3
Ce schma dispose les contraintes auxquelles est soumise la communica-
norrn
tion, selon un certain ordre. Il convient ici de les distinguer. Nous
envisageons d'abord le "langage commun" qui est constitu par l'ensem-
ble des mots d'une langue tel que les livrent les dictionnaires, ainsi
que par l'ensemble des rgles syntaxiques qui rgissent cette l angue.
Nous considrons ensuite le "langage rgional" qui est l'usage r estreint
fait de la langue dans une rgion donne; c'st aussi l'usage particulier
qu'un groupe ou une communaut font de cette langue.
3 W.J. Paisley, Studiing Style as Deviation frorn Encoding Norms, dans The Ana1ysis of Communication Content, New-York, Wiley & Sons, 1969, p. 140.
11
Le "langage familial" est dlimit par l'utilisation caractristi-
que de la langue faite par le milieu familial du locuteur. Cettenorme
se rvle particulirement importante durant l'enfance. Le langage
personnel: est celui du locuteur. Il est la rsultante des nor mes prc-
dentes ainsi que des acquisitions personnelles du locuteur , au fur et
mesure de ses expriences et de son enrichissement/appauvri s sement. Il
convient de noter ici que ces normes, passant du gnral au parti culier,
ont une influence trs relative les unes par rapport aux autres. Le
langage personnel d'un Rabelais, par exemple, tait de l oin suprieur
celui d'un Mauriac. L'un crait une langue, l'autre tait un utilisateur.
Deux tendances visent imposer tous et chacun l'usage gnral
du "langage commun". D'une part la langue (plus parti culir ement le
langage littraire) tend se fixer, et ce depuis le XVIIe si cl e. D'au-
tre part la scolarisation gagne des couches de plus en plus larges de
la socit.
La "norme de situation" caractrise l'interlocuteur qui s' impose
au discours. L'on ne s'adresse pas en effet de la mme manire un
notaire, un mdecin, un ministre ... Cette "norme de situation" trans-
forme "l'action de rmunration" en paye, solde, honoraires , r edevance,
moluments ... On ne "parle" pas de la mme manire une personne qui
est: attentive ou distraite; hostile ou sympathique; rser ve, ner-
veuse, tendue ... La "norme du canal" est impose par le type de "voie"
par laquelle le message sera achemin . . Dans la communication l i nguisti -
que, l'on distingue deux "canaux": la langue crite et la langue orale .
La "norme du sujet" est dtermine par la nature du sujet trait. Une
12
note de service, une lettre d'affaires, un essai, un discours, sont
des manires fort diffrentes de communiquer, auxquelles correspondent
des rgles prcises. La norme de structure ' dpend du genre litt-
raire abord, posie, roman, th~tre ... Toutes ces normes s'imposent
au locuteur. Elles n'ont pas toutes mme valeur ou mme importance .
Elles ne sont pas toutes galement impratives. Mais elles consti -
tuent ce que Monsieur Greimas appe11e "un rseau apriorique"". E11es
constituent, aussi, un ensemble d'o se dgagent trois tendances, trois
types de "contraintes". Les "contraintes sociales" imposent un code
comprhensible pour un public large (restreint); les "contraintes
structurelles" s'organisent selon la nature du sujet trait, du genre
littraire abord, du canal utilis; les contraintes relationnelles
envisagent l'interlocuteur, sa nature, son rle social, le code qU'il
connaft, son attitude. Toutes ces contraintes, en dfinitive, sont
imposes au locuteur en vue de l'intelligibilit de son message; ou,
dirons-nous, d'un dcodage adquatement excut par l'interlocuteur.
Ces rgles, toutefois, ne sont pas aussi contraignantes qu'on pourrait
le croire. Prisonnier des contraintes, le locuteur ne jouirait d'au-
cune libert; il serait astreint une rptition monotone de messages
convenus. (C'est le cas, par exemple, lors de l'utilisation de syst-
mes de signes "pauvres": signalisation routire, idogrammes ...
C'est aussi le cas pour les formules ri~uelles - remerciements, condo-
lances, voeux de "nouve11e anne" ... ), La communication est aussi
"l'exercice d'une certaine libert"s. C'est ce niveau que l'on peu'"
,. A.J. Greimas, Smantique structurale, Paris, Larousse, 1966, p.36.
5 Ibidem, p. 36.
13
parler d'invention et de cration. Cette libert est ncessaire de
toute vidence pour exprimer un "Contenu" neuf l une "exprience" qui
n'a jamais t communique. Elle est "normale" parce que l'usage mme
des rgles en entrane une transgression partielle; principalement
lorsque le locuteur veut communiquer d'autres propos que de simples
clichs conventionnels, lorsqu'il veut "personnaliser" son message.
C'est l notamment l tout le problme du style tel qu'voqu par Monsieur
Riffaterre (dans Essai de stylistique structurale).
Ainsi donc le Locuteur (codeur) et l'Interlocuteur (dcodeur)
ignorent leur rle purement mcanique que joue le couple metteur -
rcepteur pour devenir des individualistes qui marquent le message de
leur personnalit:
+ Contenu X----Locuteur +
+ codeur +
+ +Interlocuteur--Contenu X ' + +dcodeur
Message Crateur----------------------------Interprte
Le message devient alors la ralisation particulire (indite) d'un
Enonc qui s'labore en transgressant plus ou moins les rgles apriori-
ques que nous avons tudies.
Le locuteur possde encore la possibilit d'organiser son message
en fonction des facteUrs de temps et d'espace. Il aboutit ainsi des
formes particulires d'expression. L'utilisation du temps et de l' es-
pace trois dimensions produit des oeuvres thtrales (ou analogues:
opras ... ). Les films s'articulent sur le temps et sur un espace
deux dimensions. Le discours ne requiert l'utilisation que du seul
temps.
14
Notons ici qu' ct du temps de dire ou temps de l'nonciation
du message, existe le temps de lire (ou "temps de perception"). Un
roman-photo, une bande dessine, un conte se .trouvent en soi figs dans
le temps. Ils ne .s'animent que sous le regard d'autrui.
Il convient prsent d'introduire les notions d'Information et
de "Quantit d'information". Ces deux concepts sont lis au caractre
de nouveaut et d'impossibilit. Ils sont en gnral utiliss pour
caractriser ce que nous avons appel le "Contenu". Prenons un exemple.
Soit une situation donne X, susceptible d'un certain nombre de
variations. Une monnaie peut ou dvaluer, ou se rvaluer ou encore
garder sa parit. La rvaluation (dvaluation) peut tre aussi bien
de 1%, 2% ou 3%. Supposons que toutes ces possibilits aient ~a mme
chance de se raliser. A l'annonce que cette monnaie est rvalue,
disons, de 3%, nous constatons qu'une possibilit XC vient de se rali-
ser. Plus l'incertitude de cette ralisation tait .grande, plus la
"quantit de nouveaut" c'est--dire d'Information attache cette op-
ration, tait importante. Lorsque l'annonce de la rvaluation sera
reprise par voie de journaux, revues ... la quantit d'information devien-
dra nulle pour nous, du moins, qui avons dj t "informs". Le message
(annonce) ne fera que reprendre un "Contenu" (rvaluation) dj diffus,
et donc dj connu.
Cette quantit d'information dpend donc des lois de ia probabilit.
On dira que si la solution X offre "x" solutions possibles, et que si
Xc est la solution ralise -1 tant la reprsentation de la quantit
d'information, I(Xe) tant la quantit d'information reue lorsqu' on
apprend que xo s'est ralis, on a I(xo)=Klog ~, o K est une cons-
tante 6
lS
La "Quantit d'information" peut tre nulle, elle peut tre m:::n-
male ou se situer des degrs intermdiaires. Une carte de Nol, L '-l e
publicit rebche comportent une quantit d'information quasimen:
nulle. Un signal routier prsente une forme parfaitement convenue, Cl1.':
tout automobiliste conn ah . La quantit d'information attache C o
signal dpend de son caract&re de prvisibilit . Une lettre d'affalres
envoye en guise de reponse, contient (selon le caractre attendu d~ la
rponse) une certaine quantit d'information, mais les formules de
style conyentionnel ne nous apprennent rien, leur quantit d'infol'na-
tion est nulle . Il en est de mme pour l es clichs, les poncifs, les
formules strotypes , tout ce qui dcoule de l'utilisation stricte des
rgles de rhtorique . Ainsi donc le caractre "informationnel" d'un
message dpend non seulement du caractre prvisible (ou non) d'un e
situation, mais aussi de la forme prvue (ou non) de l'Enonce. Ce qvc
nous pourrions traduire par le schma ci-dessous~
+ + Enonc-------------- l +
Message++ + + Enonciation--------- ID +
Les loi s de la probabilit nous ont nermis de quantifier le contenu de
l'information , et ce indpendamment de la nature du 'f~1ess age", en
6 Pour l'tablissemc'nt de cette formule, voir l'om'rage de I3rillouin, La sci ence ct la th orie de l ' information, Paris , ~las50r, ct Cie, 1959.
16
tablissant un rapport constant et inverse entre la quantit de prob a-
bilit et la quantit d'information. Le "Message" ryle donc une fa ce
mathmatique. Ce n ' est pas cet aspect que nous voulons retenir, mais
les trois niveaux constitus par le plan du Texte , le plan du Sens, l e
plan de la Signification. Nous traduirons ces donnes par le schma
suivant:
+ Texte +
Message + Sens + + Signification
Par "Text e" nous ent endons l ' a spect purement formel (s truc t ural )
du message . Plus prcisment nous dsignerons , par cette expression , le
systme de signes (linguistiques) employ, ainsi que les relations qui
s'tablissent entre ces signes et qui font de ceux-ci un systme, c' est-
-dire un tout structur .
Par "Sens ff nous entendons le contenu textuel de l'nonc , c'est: -
-dire le "pattern unitaire" qui est immdiatement perceptible tOU1:C
personne qui connat l e code (langue) employ . C'est le Sens qui est:
fourni par les dictionnaires.
Par "Signification" nous entendons la rsonnance que revt l e
message au niveau individuel, qui est celui de l ' interlocuteur. La
"Signification" dpasse alors le sens lexicologique. Elle devient un
"sens second" (qui s ' labore au ni veau motif et/ou intellectuel . )
Ainsi, par exemple, l ' nonc suivant: "~!onsieur, VOliS ~ te s l e
plus valeureux des hros". Au ni veau du texte, nous pouvons disti r,g:_lf.. r
17
des mots: nom, verbe, pronom ... qui se structurent en une proposi tion
(qui, en l'occurrence, est toute la phrase). Au niveau du sens, chaque
mot renvoie un terme du dictionnaire. Le "Sens" de l'nonc rvle
une affirmation qui caractrise certaine personne "quant sa bravoure" .
Le niveau de la signification nous offre par contre un ventail extrme-
ment large de possibilits: orgueil, plaisir ... ou au contraire : colre,
dpit .... Le message peut, en effet, tre ressenti comme un compliment
ou comme une insulte. La "Signification" de l'nonc est: "Vous tes
brave" ou "Vous tes un lche". Elle comprend galement toute la rac-
tion motive de l'interlocuteur.
Pour qui sait jouer habilement des termes, le message peut n'avoir
d'autre but que de suggrer. C'est l'art de la suggestion dirige?
Il s'agit de dclencher chez l'Interlocuteur un afflux de Significations
lies au Sens d'un terme ou d'une expression. Ainsi le mot Far-West
voque des images telles que: vastes plaines, scheresse, buffles , che-
vaux, troupeaux de btail ... saloon .... Cette association d'images per-
turbe le reste de l'Enonc dont le Sens perd de .son importance au profit
de la Signification, beaucoup plus large et imprcise. Les "divagations
de l'esprit sous l'effet d'un stimulus vague sont telles que l'impres-
sion d'un mot rej aillit sur ceux qui prcdent"s. En consquence , le
texte du message prsente celui qui le reoit un double visage:
celui du Sens, c'est.--dire ce que l'Enonc exprime en lui-mme: c'est
le "Contenu brut". Et celui de la Signification, c'est--dire ce que
? Selon l'expression utilise par Umberto Eco.
S U. Eco, L'oeuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965, p. 49.
18
l'Enonc exprime au niveau de l'Interlocuteur lui-mme; il s'agit d'une
sort-e de "Contnu latent". Il est, en quelque sorte, constitu par une
multitude-d'interprtations et de ractions motives possibles.
Nous dirons donc plus simplement que le Message est un Texte qui
possde un Sens et suggre une ou plusieurs Signification(s).
Dans certains types de communication, la Signification l'emporte
sur le Sens. A un niveau simple, l'expression "bonjour" a perdu son sens
de "je vous souhaite une bonne journe", au profit d'un ventail large
de Significations; soit qu'il s'agisse de marquer l'amiti, une prsen-
ce ... A un niveau nettement suprieur, on peut dire qu'un pome est-
davantage un champ de Significations que l'expression d'un sens, compte
tenu de certains cas particuliers tels la fable et la satire, qui sont
bien plus l'utilisation de procds potiques que de la posie.
Dans son ouvrage Essai de linguistique, R. Jakobson poursuit l'a-
nalyse du message. Il ramne ses conclusions au schma suivant :
EMOTIVE REFERENTIELLE
POETIQUE PHATIQUE
METALINGUISTIQUE
CONATIVE
9
,La fonction emoti ve, telle que l'envisage Jakobson, concerne l' atti tude
du Locuteur par rapport son message. Elle vise faire croire un
certain tat motionnel (vrai ou faux) ressenti par celui qui parle
9 R. Jakobson, Essai de linguistique gnrale, Paris, Ed. de Minuit, 1963, p. 220.
19
l'gard de ce dont il parle (passion, douleur). La fonction conative
concerne l'Interlocuteur, nous l'avons dj dfinie dans ce que nous
avons appel "norme de situation"; selon Jakobson cette norme trouve
"son expression grammaticale la plus pure dans le vocatif ou l'impra-
ti~'!o. La fonction phatique vise prolonger le message, sans qu' il y
ait apport de sens. Elle empche l'interruption de la communication
grce un change (dialogue) de formules toutes faites et creuses.
La fonction rfrentielle permet l'interlocuteur de s'assurer de la
bonne comprhension du message en vrifiant que le dcodage se fait
correctement. Elle engendre des expressions toutes faites du type
"vous me suivez", "vous me comprenez bien". La fonction potique vise
le message lui-mme, "l'accent mis sur le message pour son propre comp-
te, est c.e qui caractrise la fonction potique du langage"! 1 La
fonctiOn mtalinguistique, enfin, a pour but de parler du langage comme
tel. Il s ' agit donc d'un message labor propos de la langue ou d'un
aut re mes sage. .
L'tude des divers aspects de la "communication" a amen les sp-
cialistes se pencher sur un certain nombre de problmes qui ne con-
cernent pas le message comme tel, mais qui lui sont intimement lis .
Nous en ferons ici une tude trs sommaire.
Nous envisagerons d'abord ce que l'on range sous l ' .expression de
"brui t". Au sens strict, on en:tend par l, la perte en partie ou en
10 R. Jakobson, Essai de linguistique gnrale, Paris, Ed. de Minuit, 1963, p. 216.
Il Ibidem, p. 218.
20
totalit du message au cours de l'mission. C'est ce qui se passe,
pour prendre un exemple simple, lorsque des parasites couvrent la voix
pendant une communication tlphonique. En tendant cette dfinit ion
nous pourrions dire qu'il y a "bruit" chaque fois que le Contenu est
altr, c'est-a-dire chaque fois que le Sens peru par l'Interlocuteur
subit une dtrioration par rapport au Contenu. Cette altration peut
se produire en cours de transmission du message, elle peut auss i se
faire lors des oprations de codage-dcodage. D'o les expressions
courantes de type: ce n'est pas tout a fait ce que je voulais dire.
La "redondance" consiste en l'mission d'un excs de signes par
rapport au Sens, lors d'une communication. Cela se produi t , par exem-
pIe, lorsque par suite d'une erreur la mme phrase se trouve reproduite
deux fois de suite dans un article de journal 12
Le "feed-back" peut engendrer la sursaturation d'une source par
le message qu'il met. Cela arrive lorsqu'un micro capte le son mis
par le haut parleur qui lui est reli. Par extension, l'on di ra qu'il y
a "feed-back" lorsque le message revient au locuteur qui le rediffus e a
nouveau. C'est le cas d'une personne qui, ressassant ses pr opres paro-
les, finit par les croire et par les propager.
La scotomisation est un problme particulier. Il s'agit d'un
mcanisme qui se dclenche au niveau psychologique. Il met entre paren-
thses tel aspect d'une ralit, tel lment d'une communication parce
12 C'est, en soi, un problme qui concerne davantage les t echni-ciens de la communication (gain de temps, d'nergie, suppression de dpenses superflues). La redondance intresse aussi les linguistes. Nous envisagerons le problme ici parce que ce phnomne se produit par-fois dans le roman.
21
qu'il est ressenti comme dsagrable sinon douloureux. A ce phnomne
nous pouvons lier ce que Monsieur Goldman appelle le "maximum de
cons ci ence", qu' il dcrit dans le cas suivant:
[ ... ] l'affirmation [ ... ] que la grande exploitation agri-cole cooprative prsente des avantages [ ... ] tait une affirmation significative [ ... ]. Or Lnin affirmait . qu'indpendamment de son contenu de vrit, pour des rai-sons relevant du maximum de conscience possible de la paysannerie russe de l'poque, cette affirmation ne pou-vait en aucun cas tre comprise par la masse des paysans 13
Avec ces derniers aspects, nous voudrions clore 1'tude,fort
sommaire il va sans dire, de la communication en gnral, tude qui
nous a conduit distinguer Texte, Sens et Signification, envisager
diverses formes de Message (seln leurs articulations sur le temps et
l'espace) et tudierles diffrentes fonctions de ce Message telles
que proposes par Monsieur Jakobson. Nous voudrions envisager, mainte-
nant, le problme particulier des oeuvres littraires, plus spciale -
ment celui du roman.
Pour toute une catgorie de gens, les oeuvres littraires se pr-
sentent d'abord comme des objets. Ils s'entassent dans les rayons pour
leur reliure. On ne les possde que pour les vendre (libraires , bouqui-
nistes ... ). Certains speculent mme sur leur valeur pcuniaire. Le
prix en est dtermin par des qualits trangres au "Contenu". C'est lE.
cas pour les oeuvres originales, les ditions rares, les reliures en
chagrin ... Le roman est alors une "simple chose", soumise toutes les
spculations commerciales dont l'objet en est tributaire.
13 L. Goldmann, Le concept d'information dans la science contem-poraine, Paris, Gauthier, 1965, p. 59.
22
Pourtant, le roman n'est pas un objet ordinaire, puisqu ' il a pour
. fonction de "dire". Une statue , une peinture . .. , dans la conception
cl assique, reproduisent une ralit . Le roman nonce des ralits. Il
tablit, par l' acte de la lecture (et bien avant mme - mais alors en
puiss ance - dans l'acte de l' cri ture) une sorte de lien entre l e ro-
mancier et son lecteur .
Ecrire un livre, c'est, bien entendu et puisque la litt-rature y t r ouV0 son origine en mme temps que son but , chercher exprimer ce que nul n'a dit jusque-l [ ... ] mais c ' est aussi chercher entrer en communication avec autrui , refaire une communi on [ . .. ] llf .
C' es t un fait que toute oeuvre littraire vise jeter un pont
entre l'auteur et le public. Le romancier crit pour tre lu ; son
oeuvre est "communication" . ~lme si le temp~ peut faire disparatre le
"locuteur" (romancier) , il demeure un change entre un "vouloir dire"
(criture) et un "vouloir comprendre" (lecture). Le roman est "conununi-
cation" parce qu ' il es t "volont de communiquer" . Cette volont peut
tre explicite pour un Rabelais , par exemple:
Voulant doncques je, vostre humble esclave, accroistre vos passetemps davantaige , vous offre de present un aultre livre de mesme billon, sinon qu'il est un peu plus qui-table et digne de foy que n ' estoit l 'aultre 15
Pour la plupart des crivains contemporains , cette vo lont es t tacite .
Les traits, que nous avons d6finis , et qui sont les caractristi-
ques et les normes de la co mmunication, nous les retrouverons donc dans
cet "nonc" littraire qu' es t le roman .
Ilf R. Guas tall a , Le mythe et l e li vre, Paris, Galli ma rd, 1940, p. I S7 . (
15 Fr. Pabe l ,s, pyo l oruc aux Ocuvre s con:l1 1 tc s , P r i s , Pl i :ld;.' , \,.lL J, p. 191.
23
Nous pouvons ainsi dresser les schmas suivants:
Schma 1:
Contenu X----Ecrivain--~-+ (source) +
Roman (message) +----Lecteur---- Contenu X'
+ (rcepteur)
Schma II:
o
Texte Roman
Sens (message)
+ + + o
code criture o
o Signification o
+ + + o
] ecture O
Cependant le roman est un "message" d'un type particulier. Il est
d'abord un "texte littraire", c'est--dire "un systme combinatoire
fini de signes l'intrieur du systme combinatoire de la 1angue,,16.
Comme tout "texte", le roman est constitu par un ensemble struc-
tur de signes, systme labor partir d'un ensemble dj existant et
autonome: la langue. Mais, par le jeu de "l'criture", le romancier
fait passer son "texte" du statut linguistique au statut "littraire".
Ce passage peut s'oprer par deux voies diamtralement opposes: la
conformit aux rgles de la rhtorique, ou la "sUbversion" du langage
(Cline, Queneau, les mouvements d'avant-garde ... ) Dans l'un et l'autre
16 M. Riffaterre, Essai de sty1isti9ue structurale, Paris, Flamma-rion, 1971, p. 265.
cas, il s'opre une vritable rvolution; la langue est dtourne de
sa fonction propre: celle de signifier la (une) ralit lexicologique
pour assumer un rle nouveau: celui de rvler une ralit "esthti-
que".
Le message, devenu "message esthtique" (roman), cesse d'avoir
comme but immdiat de communiquer une indic8.tion (plus ou moins claire,
plus ou moins prcise) en vue de dclencher chez l'interlocuteur (lec-
teur) un certain nombre d'attitudes, de gestes .... Le roman n'est donc
pas essentiellement porteur de "renseignements". Toutefois, et parce
qu'il est "message", il peut assumer ce rle (roman thses, didacti-
que, moralisateur ... ).
Le message esthtique offre ainsi un double visage. Il montre
parce que les mots dont il est constitu renvoient une certaine ra-
lit (charge de "sens" et de "signification"); et il ~ montre, il se
dsigne comme rali t littraire (charge de "sens" et de "significa-
tion"). Ainsi donc, l'oeuvre littraire se prsente comme une sorte de
"tourniquet": comprenez-moi, je suis "message"; admirez-moi, je suis
"oeuvre".
Le "sens" du roman est clair. Il se rsume l'histoire, l'anec-
docte; nous l'appellerons la "Narration". Cette "Narration" peut
exister avant le roman, c'est le cas pour tout crivain qui tablit un
schma impratif sur lequel il "brode" son oeuvre. C'est aussi la
dmarche de certains tenants du roman moderne, pour qui l'anecdote
(logiqU/~ ou non) est une ralit indpendante du romancier (et donc de
l'acte d'crire), dmarche qui fait crire Marguerite Duras:
L'histoire. Elle commence. Elle a commenc avant la marche au bord de la mer, le cri, le geste
i le mouve-
ment de la mer, le mouvement de la lumire 7.
25
La signification du roman, par contre, est complexe. Non seulement
elle est constitue par le double aspect: "signification" du "texte"
- "signification" du "texte littraire", mais encore par la multitude
des . , .. interactions qui peuvent se produire entre ces deux ni veaux .
Ces donnes peuvent se ramener au schma suivant:
o o
o o Texte ~ o o
o Texte 0 o o o o forme o
o Texte littraire 0 ROMAN o o o style
o o o
(message) o Sens o
o o
o 0 SirifiCattion o Signification 0
du "texte" t
o 0 Signification du "texte littraire". o o
La "signification littraire" (forme, style) ne peut tre accessi-
ble pour un lecteur qu'en raison d'un "dcodage" supplmentaire. Le
code "littraire" ne participe plus un savoir (les mots du dictionnai-
re), mais une "culture". Si le dictionnaire est accessible tous;
tout arrangement de mots (style, forme) en un message esthtique (roman)
n'est accessible, dchiffrable que par celui qui possde le code cultu-
rel de l'oeuvre (sinon un code culturel qui la dchiffre). Ainsi, Alain
Robbe-Grillet, par exemple, est illisible pour celui qui n'est pas init~
17 M. Duras, L'amour, Paris, Gallimard, 1971, p. 13.
au code qu'il utilise. Il en est d'ailleurs de mme pour Rabelai s ,
Balzac, Proust ....
Le roman prsente donc un "texte" dont les caractristiques l e
dsignent comme une oeuvre littraire; il offre aussi un "sens"
(histoire, anecdote, "narration") et des "significations" multiples
(les ractions motives et/ou intellectuelles du lecteur).
26
CHAPITRE II
ROMANCIER ET ROMAN
L'oeuvre d'art, semble-t-il, peut modifier l'crivain au moment
mme o il crit. Non seulement parce qu' l'instant o l'tre hoi-
sit d'crire, il choisit gnralement la solitude au dtriment de la so-
cit, -parce qu'il refoule sa personnalit sociale, - mais encore parce
que le jeu mme de l'criture transforme son moi profond; et ainsi se
ralise l'opinion de Valry au sujet des rapports qui se tissent entre
le romancier et son oeuvre.
A chacun des mouvements qui la tirent de lui, il subit une altration. Acheve: elle ragit encore sur lui. Il se fait, par exemple, celui qui a t capable de l'engendrer. Il se reconstruit en quelque sorte un formateur de l'ensemble ralis 1
Le Roman de Thbes dbute par les deux vers suivants:
l P. Valry, cit par J. Ricardou, op. cit., p. 68.
Ainz me delit a aconter, Chose digne de remembrer 2
28
Dans ce cas-ci, et ce n'est pas une exception, le romancier s'af-
fiche. C'est lui, dit-il, qui va rdiger un roman. Ce roman, il l e
dfinit d'ailleurs par l'assemblage d'vnements mmorables (digne de
remembrer). C'est une attitude commune que l'on peut rencontrer au
moyen ge. Mme si l'crivain prfre l'anonymat, il s'affirme toujours
comme un "je" et un "je" romancier.
Dans L'Hystoyre du Petit Jehan de Saintr, Jean-Baptiste de La
Salle ddie au duc d'Anjou le roman qu'il a l'intention de composer et
qui racontera les aventures de Jehan. Aujourd'hui la plupart des romans
ne possdent pas de prologue par lequel l'auteur revendique la paterni t
de son oeuvre. Il n'en reste pas moins vrai que nombre de romancier s
se reconnaissent comme "romanciers", et comme "pre" de leurs ouvrages.
Au XVIIIe sicle, l'on peut encore retrouver ces ddicaces qui
dsignent le romancier et lui assignent le rle d'crivain. Ains i,
Restif de la Bretonne rdige en prologue son roman pistolaire: Le
Paysan perverti:
Il m'a paru, Monsieur, que ces lettres pourraient tre de quelque utilit non seulement dans la province, o, les particuliers un peu aiss lisent prsent, aussi bien que les habitants .des villes, mais encore ces derni er s eux-mmes . [ . . . ] On Y verra un jeune homme dou de tous les talents et de tous les avantages se perdre par ces avantages mmes 3
2 L. Constant, Le roman de Thbes, l, Paris, F. Didot, 1830 , p. 2.
3 R. de la Bretonne, Le paysan perverti, l, Bruxelles, Kiste -maekers, 1886, pp. 1-2.
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L'on ne pourrait passer sous silence ce petit mot de Voltaire o~
il se reconnat, avec beaucoup d'humour , crivain condamnahle: "Tchez
surtout d'engager le sieur Riballier faire condamner la Princesse de
Babylone par la Sorbonne; vous ferez grand plaisir mon libraire qui
j'ai donn cette petite histoire pour ses trennes,,4 .
Tout efois, cette paternit n'est pas si vritable que bien des
romanciers voudraient le laisser cr oire. "Tout texte est une nigme qui
laisse deviner en la jouant et en la constituant l'identit Ge son
auteur. Le texte renvoie au texte de la vie"s. D'une maniere plus silTl -
pIe, mais bien plus littraire, Proust nous dit: "Je m' aperois que ce
li vre essentiel, le seul li VTe vrai, un grand crivain n'a pas , dans le
sens courant, l'inventer, puisqu'il existe dj en chacun de nous,
. mais le traduire,,6.
L'acrivain exprime ce qui existe et la premire chose qui existe
pour lui, c'est lui-mme. Voil pourquoi maints romans revtent un
caractre autobiographique avou (dissimul), partiel (comp let); " Un
roman est autobiographique en ce sens qu'il est la biographie
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