7/26/2019 Socialisation Politique
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SOCIALISATION
POLITIQUE
ET
IDENTITS PARTISANES
PISTES DE RE HER HE
R
Claude DUBAR
Universit de Versailles Saint Quentin en Yvelines
Je
voudrais
essayer
de
soumettre un modle
d analyse de
ce
que j ai appel
les formes identitaires
(Dubar
91 l preuve d une transposition
du champ
professionnel- prcisment celui de
la
grande entreprise
au
champ
politique.
L hypothse sous-jacente
cet exercice es t
que
les formes identitaires et leur
principe
de construction
sont
gnralisables,
sous conditions, toute institu
tion
qui ti en t
sa russite
ou
sa reproduction de l engagemen t de
ses
membres
et
son
pouvoir de sa
capacit
grer leurs constructions identi
taires
l aide de modles plus ou
moins
explicites.
1
UN MODLE D ANALYSE
DES
FORMES
IDENTIT lRES
ETDE LEUR CONSTRUCTION
Analysant
dans une recherche collective les ractions salariales
ce que
nous avons
appel
des innovations de formation dans des grandes
entre
prises prives (LA8TREE
89), nous avons
systmatiquement mis en
vidence,
partir d entretiens approfondis
portant
sur le rapport au travail,
la trajec
toire d emploi et
la formation, quatre
logiques
salariales permettant de
comprendre
pourquoi
les
salaris concerns
taient ou non
alls
en
formation,
avaient
ou non chang d emploi et pensaient ou
non rester
ou progresser dans
leur entreprise.
La
relative
cohrence de
ces quatre fo rmes de
justification
reposait sur
l lucidation
des relations exprimes
dans
les entretiens
entre
le monde
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L IDENTIT POLITIQUE
vcu du
travail
c est--dire la manire dont taient dcrites les tches accom
plies,
les
relations
de
travail,
les
procdures de
gestion
etc ., la t ra jectoi re
subjective
c est--dire la faon dont
le pass
tait reconstitu et l avenir envi
sag et
la
conception
pratique
de
la format ion c est--dire la
manire
d apprendre et de considrer les diffrents
savoirs
transmis par
les
divers
modes de
formation propose
(cours, stages, monitorat. .. ).
L interprtation
de
ces
quatre
logiques
d action dans
le champ profes
sionnel en terme
de formes identitaires
reposait
sur une hypothse
tho
rique et
un constat
empirique. L hypothse, issue de
diverses tentatives
de
thoriser
la manire dont se
construisent
et se diffrencient les
identits
indivi
duelles
au
cours
du
processus de
socialisation
(Erikson
1968,
Goffman
1963,
Laing 1961, Sainsaulieu 1977), reposait sur
l ide que
les formes identitaires
grce auxquelles les individus tentent de se dfinir eux-mmes (identit pour
soi chez Laing ou identits
relles
chez Goffman)
et peuvent
tre identifis
et reconnus par autrui (identit
pour
autrui ou identits virtuelles ) impli
quent la conjonction d un esp e significatif d investissement de soi (le
champ
ou
la
sphre o l on joue son identit principale ) et d une tempor lit spci
fique
partir
de
laquelle
on reconstruit sa
biographie. Rejoignant
les dfini
tions
anthropologiques de l identit en
terme
d espace-temps gnrationnel
(Erikson) ou de processus organis autour
d un
foyer virtuel
(Lvi-Strauss
1977),
cette
approche
des formes
identitaires permettait de rorganiser les
quatre logiques prcdentes, construites inductivement, dans
un modle
ttrachorique croisant de manire idal-typique
deux grandes
manires de
construire
et reconstru ire sa
biographie (privilgiant
la
continuit
ou
les
rup
tures) et deux
positions opposes
l intrieur
du champ
de la grande entrepri
se intgrative (l une associe
la
reconnaissance des comptences,
l autre
leur
non-reconnaissance).
Le constat empirique
tait
que les quatre logiques salariales n taient
pas facilement
hirarchisables
au
moyen d une dimension
unique et ne pou
vaient se rduire par exemple
un
niveau de formation ou de
qualification.
Il
y
avait
clairement
deux
manires
d occuper
des
positions
juges
suprieures
voire dominantes (c est--dire fondes sur la reconnaissance
par
les
direc
tions d entreprise)
ou des
positions
dites infrieures ou
domines
(c est-
dire
sans
reconnaissance des
comptences
revendiques). Les
positions
suprieures pouvaient tre associes soit une forte
implication
dans les
jeux de pouvoir e t de promotion interne
l entreprise
(d o l appellation
d identit
d entreprise) soit une forte revendication d autonomie associe
des trajectoires
de
mobilit externe, fondes sur diverses formes d investisse
ment
dans
des
rseaux
affinitaires
(d o
l appellation
d identit de
rseau).
Ceux qui
partagent
cette dernire forme identitaire ont, gnralement, des
niveaux
de
diplme
plus
levs
que
les
prcdents
(cf.
tableau
1). Les secondes
concernaient soit des salaris d excution fortement attachs
leur
filire de
mtier, se
dfinissant
plu t t en terme catgoriel (informaticiens, hommes
d entretien ...
), voquant
les
syndicats et se considrant comme bloqus
dans leur progression
(nous avons
choisi
le
terme
identit catgorielle ),
soit
des
salaris
ayant connu
des trajectoires
chaotiques, des difficults d insertion
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SOCIALISATION POLITIQUE ET IDENTITS PARTISANES
229
ou de reconversion et
insistant presqu exclusivement sur
la stabilit d emploi
qu ils
jugeaient menace par
les
expriences en cours , au point de craindre
l exclusion
et d envisager
d autres investissements que professionnels (identit
de hors travail ). Ic i encore, les premiers avaient des niveaux de formation
plus levs relativement
que
les seconds cf. tableau 1 .
Tableau 1 Formes identitaires dominantes selon
niveau
de diplme
Identit
d entreprise
Ident it de rseau
Identit
catgorielle
Identit de
hors
travail
Niv.I -
7
1
3
Niv. IV
3
2
6
1
Niv. V
5
8
7
16
56
Niv.
VI
4
4
6
28
4
NB
4
7
1
6
18
Total
38
32
37
5
59
1 - I I I :
Diplme d enseignement suprieur
IV : Bac ou quivalent
V :
CAP
- BEP
ou quivalent
VI
: Pas de diplme.
UNE
TRANSPOSITION
AU
CH MP
POLITIQUE:
L EXEMPLE
DU PARTI
COMMUNISTE
1936-1968
Pour imaginer cette transposition, il es t
ncessaire
d approfondir les diff
rences spcifiques
entre
les diffrentes formes identitaires
et de prsenter la
manire dont j ai
tent
de la faire
partir
de la
notion
de
double
transaction.
L institution de
rfrence par rapport
laquelle
les
individus enquts
s taient principalement dfmis,
au
cours des
entretiens,
tait leur entreprise
actuelle, engage dans une dynamique de modernisation et de
mobilisation
de
ses salaris. Un
des
enjeux majeurs de cette politique tait, pour les directions
d entreprise, de slectionner les salaris jugs comptents pour affronter les
changements en cours ou en projet (dans l o rgani sa ti on du t rava il ,
des
emplois,
de la mobilit ... et,
pour
les salaris, de se faire reconnatre comp
tents
pour
garder leur emploi
et/ou
progresser dans leur carrire.
Une tran
saction majeure
tait
mise
en uvre, sous
des formes diverses mais
de plus
en
plus personnalises (entretiens
ave
le hirarchique, le responsable
de
forma
tion ...
), devant permettre
ceux
qui
avaient les stratgies
adaptes
-
ou qui
acceptaient
d en changer -
d changer
leur
mobilisation
pour
l entreprise
contre
des perspectives professionnelles positives. Pour
tre assur
subjective
ment de rester et/ou de progresser, il fal lait changer son
travail,
changer
d emploi, accepter
la
mobilit,
faire de
la
formation.
Mais
cette
transaction
structurelle
ou
relationnelle
qui
avait pour enjeu
la relation
de confiance
entre
employeur
et salari engageait une autre transaction
tout
aussi essentielle
mais
interne aux individus concerns. Elle concernait
la
relation
entre
l valua
tion
de leurs
capacits acquises
( de
quoi suis-je capable
tant donn
ce
que
j ai
fait ?
et la projection
des
opportunits possibles
(
quoi puis-je pr-
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3
L IDENTIT POLITIQUE
tendre tant donn la situation prsente ? ).
Cette
transaction
biographique
constituait
une
vritable
transaction avec soi mme
(Strauss
89) mettant
en
question la continuit de ses appartenances, le sens donn sa trajectoire et
la
vision du monde qui y es t associe.
Ce qui est
en
question dans les
formes
identi taires repres
dans la
recherche, c est donc la relation entre
des visions (et divisions)
de
l univers
professionnel
et
des conceptions (et
perceptions) de la
vie personnelle, du cycle
de vie, de la biographie.
En tr e un modle
clairement organis autour de la
progression
continue
fonde
sur l attachement
loyal
une
institution juge
dominante et
source
d identification (ici, l entreprise) et un
modle
impliquant
des
ruptures
successives
des
aux
alas
d un
march
du
travail
considr
comme pourvoyeur d emplois
ncessaires
pour assurer un
salaire permettant
de vivre
dans
une
autre
sphre (le hors-travail ), les deux autres formes
identitaires
impliquent des jeux subtils de ngociations complexes
entre
des
engagements
par tiels e t
limits pour
l entreprise et
des investissements dans
d autres groupes, rseaux, institutions
(groupes
professionnels, syndicats,
associations
...
)
pouvant entretenir
avec
l entreprise
des
rapports
conflictuels
coopratifs
ou
concurrentiels.
Entre
une forme fortement
fusionnelle de la
relation individu/institution
et une
forme largement instrumentale confron
te
aux menaces
de l exclusion, les
deux
autres
formes identitaires impliquent
des
relations
plus
ambigus
et
plus
fragiles
d adhsion critique
et
de
double
jeu
(identit de
r seau) ou de coop rat ion conflictuelle et de participation
dpendante (identit
catgorielle).
Transpos
de
l entreprise au parti
politique,
on peut fai re l hypothse de
l existence d identits partisanes
diversement lies
au noyau dirigeant du
Parti
et
diversement
impliques par les
croyances,
positions, slogans et visions
du
monde
sous-tendant
l idologie
partisane.
L image des cercles concentriques
propose
par A. Kriegel (1968) pour le
Parti
communiste franais de la premire
priode (1920-1950) distinguant les permanents, les simples militants, les sympa
thisants
ou
compagnons
de
route
et
les simples lecteurs a
l inconvnient de
rduire
une
seule dimension synchronique
le
lien entre les individus et
le
Parti. Selon le modle prcdent, il faut combiner le mode de
relation entre
l individu et la direction du Parti qui
le
reconnat ou non
comme
comptent
pour en
tre
un porte-parole
et la
forme
d engagement temporel de celui-ci
l gard du
Parti,
suivant qu il
veut
ou non
y faire c rrire Dans cette perspecti
ve, il existe
une
diversit d identits militantes
depuis
celle du futur permanent
totalement investi dans
le Parti
et reconnu apte faire un futur cadre par ses
dirigeants, jusqu celle du colleur d affiche
occasionnel
peu impliqu par
l idologie et peu valoris par les grands dirigeants . Entre les deux, on peut
distinguer assez nettement ceux qui,
esprant
y faire une carrire
locale
voire
nationale , en
vertu de
leur forte
implication
dans
des
groupes
spcialiss (syn
dicats, associations .. . ), ne parviennent pas
en faire
une
profession notam
ment par manque de comptence idologique reconnue et
ceux qui,
tout en
tant
pou rvus de
ces comptences, ne peuven t
s investir durablement
ou
exclusivement dans le Parti et finissent,
plus
ou moins rapidement, par
le
quitter
(ou
s en faire carter) sur la base de
divergences
multiples.
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SOCIALISATION POLITIQUE
ET
IDENTITS PARTISANES
231
Si
l on
applique
ce modle au Parti
communiste
durant
la pr iode de fabri
cat ion puis
de
consolidation du modle
st linien
(Pudal, 1989), on peut
assez facilement
reprer, grce aux donnes biographiques
disponibles,
les
signes - fonctionnant comme autant de
signaux
et de stigmates -
grce aux
quels le groupe dirigeant
repre
et slectionne les futurs cadres et perma
nents :
appartenance ou origine
ouvrire, militantisme CGTU
puis
CGT,
alliance de l esprit de masse et de l esprit de Parti , mfiance
l gard
des
intellectuels
dominants,
apprentissage systmatique
et
progressif du dogme
coles du Parti)
...
La
construction
de cette identit communiste
accompagne
les rites d initiation
et de
progression
dans l appareil
cellule, section, fdra
tion,
comit
central)
pour
s achever dans l installation comme permanent
pou
vant
(enfm
.. .
vivre
e
politique
p rce
que
viv nt pour
politique
et
se
servir en serv nt
(Bourdieu
1987, p. 197 . Il n y a
pas
passage d une
forme
identitaire primitive
(colleur d affiches ...
une forme
identitaire
ache
ve (permanent) mais construction conjointe - par l institution et l individu
de
cette forme
identitaire partisane
ds
l entre
dans le
Parti
(ou
peu aprs ...
par une sorte d ajustement
prcoce
(double transaction) entre la
revendica
t ion identi taire du militant
(son rapport
la politique et
au Parti)
et la
reconnaissance
identitaire par les dirigeants , selon son degr de
conformit
au modle lgitime.
Cette identit
partisane
ne
se
construit et
ne
se consolide
dans la
dure
que
parce qu elle es t d emble reconnue et identifie par les dirigeants. De fai t,
comme pour
la
grande entreprise aujourd hui
dans
le
champ professionnel, il
n y a, dans
ce
modle, qu une seule forme
identitaire
pleinement reconnue
par
les dirigeants
et permettant de
faire
carrire
dans le Parti. Nous l appellerons
identi t de Parti pour dsigner
- comme
pour
ce
que nous avons appel
identit
d entreprise l
-
la
conjonction d un
espace unique
d investissement
de
soi ici, le
Parti) et d une temporalit entirement
fonde sur
la carrire
interne
l espace prcdent ici, la carrire politique dans
le
Parti). Elle se
distingue nettement
des
trois
autres
formes identitaires dans
le
champ poli
tique soit
par
l espace
de rfrence
(ai lleurs , tel
ou tel secteur de la
socit
civile soit par la temporalit dominante (ailleurs, telle ou telle
priode
de la
vie soit
par
les deux
la
fois (pour le colleur d affiche, le temps des cam
pagnes lectorales). Cette forme identitaire
communiste
( de Parti ) es t
por
teuse d une anticipation d une
autre
socit, elle est
le symbole
d une
contre-culture
avec ses symboles (la
casquette,
le bleu
de travail,
le vlo
... ),
ses mots (camarades, classe ouvrire,
le
Parti,
etc.),
ses idoles (Thorez) et son
histoire officielle
( Fils du
peuple ). Elle
entretient de
fortes affinits avec des
identits sociales
(ouvriers masculins
de la grande entreprise mtallurgique .. .
et
avec des
mouvements syndicaux (CGTU puis
CGT)
associatifs, sportifs, cul
turels. C est
cette homologie
entre
position du PCFdans le champ politique et
position
de
ses
mandants et
lecteurs
dans
le
champ
socio-professionnel
qui
permet, durant toute cette
priode
1936-1968 , l identit communiste de se
reproduire
en assimilant
des fractions conscientes
de chaque gnration
1. A partir de 1982, le
CNPF
s intitule le parti de
l entreprise ...
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L IDENTIT POLITIQUE
ouvrire,
parfois
fortement concurrences par des intellectuels (PudaI1989).
C est
aussi sa relative imbrication a vec les autres
formes
identitaires
parti
sanes qui
lui permet
d viter
l isolement et de se faire admettre
comme lgiti
me par
une fraction
plus
ou moins importante de
l lectorat.
-
LES TR NSFORM TIONS DE SOCI LIS TION
POLITIQUE: DE
L IDENTIT
MILIT NTE
TOTALE
L IDENTIFICATION TOT LIS NTE
Qu il
s agisse d identits professionnelles ou d identits
partisanes,
l une
des questions-cls les
plus
dcisives
pour
la
comprhension
de s
ralits
sociales
es t celle
de la
gense des formes identitaires et des conditions
de leur
construc
tion et de
leur
consolidation
dans les biographies singulires
et
les conjonc
tures historiques.
Cette question
est,
en
fait, celle des
modes
de socialisation et
donc de s relations entre l histoire
des
individus et celle
des
institutions au sein
desquelles les individus
construisent leurs
identits en
contribuant
construi
re
les
institutions.
Une
des hypothses les plus
frquemment
avances
par
les sociologues
qui
s intressent aux volutions rcentes de la jeunesse en France es t celle de
la
transformation
des
modes
de
socialisation
au
cours de
la dernire
priode.
On
serait pass
d une socialisation fonde
principalement
sur
la
transmission
et la
lgitimation prcoce des hritages culturels
une socialisation fonde sur
l exprimentation et la construction progressive et alatoire de comptences
en qute de reconnaissance (Galland 90).
Applique
la socialisation poli
tique,
ce modle signifie un affaiblissement
des
affiliations partisanes fondes
sur l hritage familial (communistes
de
pre en fils
...
), une quasi-absence
de
forme
identitaire bien tablie lors de l adhsion ventuelle
un Par ti , de s pas
sages possibles voire probables par des
formes
identitaires diffrentes au
cours
de la
vi e
adulte impliquant de vritables conversions
individuelles mais aussi
des
transformations
des
modles
militants de
la
part
des
Partis
mme
les
plus fortemeut organiss.
On
pourrait interprter de cette manire l incontestable crise du militan
tisme communiste et du modle de
l identit
de Par ti , duran t la dernire
dceunie.
La
crise du modle lgitime antrieur stalinien) serait
ainsi le
rsul
tat de
la
conjonction de nouvelles aspirations identitaires -
et notamment
du
refus des stigmatisations
ou
slections
prcoces
-
et de
blocages multiples
dans
le fonctionnement de
l ancien
modle et de
ses
rfrences
politiques (par
exemple
la contradiction patente
entre les positions
et discours
anti PS
de la
priode 1978-81 et la participation de ministres
communistes
dans la priode
1981-84 ...
)
sans
qu il soit clairement remplac par un nouveau . On peut
d ailleurs avancer l hypothse que
l une
des sources
essentielles
de la
crise
rside dans le
tarissement
de
la
source
alimentant
le Parti communiste
en
jeunes susceptibles
de
correspondre
au
modle antrieur: scolarisation
accrue
des enfants
d ouvriers,
remplacement du modle ouvrier par le
modle
technicien dans l enseignement professionnel (Tanguy 91),
affaiblissement
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SOCIALISATION POLITIQUE ET IDENTITS PARTISANES
233
du
syndicalisme, allongement
et
complexification
de l insertion
professionnel
le ,
perte d identification
l gard
des
pres souvent chmeurs ou
pr-retrai
ts . . . De fortes ruptures entre les gnrations
ouvrires (Terrail
90)
accentuent
les dcalages
entre
les revendications identitaires des jeunes issus
de
la
classe
ouvrire et
le modle
identitaire partisan propos antrieurement
par le P ~ A
la
diminution des entres
dans
le Parti des jeunes s ajoute le
retrait
croissant
des
anciens et les ruptures massives
des intellectuels
de la
gnration
du
baby-boom: au-del de l affaiblissement quantitatif, c est la
dcomposition du modle identitaire prcdent que l on assiste durant les
annes
80, sans qu un
autre
modle
n merge clairement. On peut se
deman
der
si celui-ci
n exige
pas une transformation
complte du mode
de socialisa
tion politique
et d autres
pratiques de fabrication de l identit partisane.
A) Une
approche
psycho-analytique
de
l identit militante totale
Dans sa
dfmition
de l identit
militante, Bernard Chouvier 1980, p. 251
introduit
trois lments convergents:
-
des
textes sacrs dlimitant une doxie ;
- un groupe d appartenance fusionnelle formant un cercle ;
-
un
dsir proslytique renvoyant
l activisme
Pour
l auteur,
l identit militante,
construite
partir de ces lments de
base, implique
bien la fusion entre un
processus gntique,
inscrit dans
les
biographies
individuelles
et renvoyant
au modle
de la
conversion (entre en
militance,
changement
de nom et de peau,
adhsion
et
adhrence une
cause
devenue
la fois raison de
vivre
et cuirasse protectr ice
...
et
un processus
relationnel
fond sur
l identification
verticale au leader, incarnation de
l idal
du moi (identification la fois
spculaire,
groupale
aux
gaux
et
archaque,
introjectale
au leader , figure du pre archaque). A
propos
de
l identit militante, Chouvier parle d identi t
totale ,
clanique ou plutt
mta-ethnique,
en s appuyant sur les
analyses
de G. Devereux 1970, p. 131
ss.)
et considre qu elle es t porteuse d un ri sque de carcan
psycho-rigide
ds lors qu elle
ne
laisse plus aucune place aux jeux identitaires dcoulant de
la multiplicit
des rles et
des
prises de d is tance qu e lle s impliquen t. La
cause tant
enracine
la fois dans une adhsion excessive
la doxie et
dans une adhrence
collusoire au
cercle ne
laisse
plus grande place aux
autres champs
de la
vie sociale ou plu t t s infiltre activement dans toutes
les sphres sociales pour
imprgner
tous les autres rles:
un vrai
militant est
militant partout.
Dans le champ polit ique, cette forme d identit militante suppose, pour
s accorder
ce modle,
que
le
parti
auquel adhre
le
militant
soit:
1
porteur
d une cause
susceptible
d impliquer toute
la
vie sociale; 2 pourvu de mca
nismes intgrateurs capables d assurer le triomphe d une orthodoxie contre
les risques
d clatements
en tendances multiples; 3
capable
de proposer
ses adhrents des activits multiples, coordonnes et
centralises, susceptibles
d en
faire des soldats de la cause et des dfenseurs de l orthodoxie; 4 pourvu
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4
L IDENTIT POLITIQUE
d un
chef charismatique capable
de
provoquer
et
d entretenir
les
identifica
tions des militants. Le
parti
devient
alors
une sorte de
total
institution
Goffman)
capable
de contrler
l ensemble des
activits de ses membres depuis
les postures du corps les plus extrieures jusqu aux croyances les plus intimes
en passant par les
paroles
les plus anodines. Davantage
secte
qu glise, le
Parti doit alimenter les pratiques de ses
militants par une
utopie
mobilisatrice
toujours ractive dnonant radicalement les pouvoirs
tablis
et invoquant
l urgence de restaurer des valeurs essentielles
menaces par la modernit ,
le
grand capital
ou
...
les immigrs.
La prsence
d un
groupe
bouc missaire
favorise grandement les mobilisations militantes.
B Une r interprtation
socio-historique
de ce tte
approche
Cette identit militante
totale
est proche de ce que nous avons appel
l identit de
Parti,
elle en
constitue
une version subjectiviste
centre
sur
la
demande
identitaire
d individus
la fois
socialement
per turbs dans
leurs
appartenances et
psychologiquement
fragiles dans leur
autonomie.
Une
approche
plus objectiviste
consiste
se demander
quels
partis politiques
reprsentant
quelles couches
sociales et
dfendant quelles causes offrent
de
tels modles identitaires leurs adhrents
?
On pense immanquablement au
Front
National,
dans la
priode rcente,
mais le modle
pourrait
sans doute
s appliquer
au modle stalinien des partis communistes de la guerre froide.
Ce qu il faut comprendre,
l
encore, ce sont les
raisons pour
lesquelles des
individus,
appartenant
certaines
lignes et abordant
la
vie
adulte dans cer
taines
conjonctures, choisissent de s inves ti r
totalement
dans le champ poli-
tique partisan, d identifier
leur
avenir avec
celui
d un
Parti
et de structurer
leur
vision du monde autour
de sa
Cause. Si le mode
de
socialisation
par
transmission et lection par les dirigeants sur la base de critres de classe
semble ent r en crise, comment un
nouveau
modle
organis
autour
de
l exp
rimentation
et
de
la
construction,
par
les
entrants,
de
nouvelles
trajectoires
peut-il aboutir aussi
consolider d autres identits
totales au
sein
de
partis
totalitaires
? N y
aurait-il
pas,
en
fai t, deux versions
de l identi t de
Parti,
deux
manires de la construire et
deux faons
de
la valoriser
selon
la conjonc
ture historique
et
la configuration politique des forces ? On
peut
aussi
asso-
cier, plus mcaniquement, l une
et
l autre deux fractions sociales situes
aux
extrmes de la
hirarchie
et
confrontes des ruptures
inverses
l une
de
l autre: l e dclin
et
la rgression
dans un cas, la
transformation interne
et
l ascension sociale
dans
l autre.
Dans le premier cas (correspondant approximativement au PCF des
annes
30
60),
l identi t de
parti
se forge
partir de la
slection
prcoce
par
les
dirigeants
de
ceux
qui ont le
profIl
sociologique et les pratiques
militantes
adapts
un
modle de classe impliquant le renversement du pouvoir
des
dominants au profit
de
la fract ion juge la plus rvolutionnaire
de s
domins.
Le risque serait
de
laisser
les
enfants
d ouvriers les
plus dous
et les
plus
actifs
tre absorbs par
la
russite
individuelle,
scolaire puis sociale, et vous une
7/26/2019 Socialisation Politique
9/10
SOCIAUSATIONPOLITIQUE
ET
IDENTITS PARTISANES
5
intgration
progressive
la
petite
bourgeoisie
intellectuelle.
Il
faut
leur
four
nir l quivalent
d une
carrire dans
le
Parti appuye sur
une
formation
progressive, une
valorisation
symbolique
et l intriorisation
d une vocation
de
guide pour
le
peuple.
L identit de
Parti
constitue
certes
une forme
d usurpation
de pouvoir par
la reprsentation (Bourdieu 1987 mais
dans
l espoir utopique de permettre
l accs
au pouvoir
des domins.
Dans
le
second cas
(correspondant
par
exemple au Front
National des
annes
80-90
en France
mais
aussi
au
Parti National Socialiste allemand des
annes 20-30 , l identit de Parti se forge partir des
expriences
d opposi
tions
parfois violentes des
groupes
choisis comme boucs-missaires (jus,
maghrbins
.. .
et des processus d identifications
un Chef incarnant les
valeurs
dominantes (Nation, Patrie, Famille
.. .
juges menaces par
l invasion
des barbares,
les jeux
des
politiciens
et l ascension de nouvelles couches
sociales. Le risque es t
de
laisser se convertir l ancienne classe dirigeante (aris
tocratie
allemande,
grande
bourgeoisie traditionnelle franaise
...
aux
valeurs
de la
nouvelle
classe montante
(technocratie, affairisme
.. . et d accentuer ainsi
le
dclassement des
couches
porteuses de l ordre ancien. L identit de Parti
constitue ici
un
moyen de sauvegarder les
anciennes valeurs
de l ancien
ordre
moral symbolis par le Chef dans
l espoir
(peut-tre moins utopique) de le res
taurer en rtablissant le pouvoir
des
anciens dominants.
Une diffrence essentielle dcoule de cette position inverse du Parti dans
la
structure
politique relativement homologue
la structure
sociale:
l identit de
Parti vise,
dans
un cas, consolider une contre-culture contre les risques
d absorption par
les
dominants,
elle vise, dans
l autre,
restaurer la
vieille
culture contre les risques d clatement sous la pression des
domins
(ou, du
moins,
des
prtendants). Dans
le
premier
cas, l identit de Parti se sert
des
identifications
au
guide,
pour cimenter
la contre-culture; dans le second
cas,
l identication au Chef sert de ciment l identit de
Parti,
instrument du pou
voir charismatique des dirigeants du Par ti , c est--dire du Chef.
C est
ici que
la
conjoncture historique intervient pleinement pour renfor
cer l un ou l autre
de
ces
deux
modles
jugs
parfois aussi
totalitaires .
Le
modle des partis communistes comme
institutions totales
s panouit en
priode de croissance conomique
du
capitalisme
et de
concurrence conflic
tuelle avec un
pays communiste prtendant incarner la contre-culture . Le
modle
des partis fascistes se dveloppe dans les priodes de
crise
conomique
et de
stratgie
dfensive
ou de
dclin total des pays communis tes, donc
d absence
de contre-culture . Dans le
premier
cas, l identit de Parti peut
entretenir
l illusion
de
l anticipation d un
homme nouveau
en voie
de
rali
sation ail leurs, dans
le
second
cas, l identif ication
au
Chef de Parti peut
s appuyer sur l absence de
tout
modle
alternatif
et la rfrence un pass
mythique
o
rgnaient
les
valeurs ternelles.
Les processus
de
socialisation politique diffrent,
dans
l un
et
l autre cas,
malgr certaines analogies psycho-analytiques.
S ils
posent l un
et
l autre
la
question
centrale
des
effets
pervers
de la non-reconnaissance de la pluralit
7/26/2019 Socialisation Politique
10/10
36
L IDENTIT POLITIQUE
des identits partisanes,
la
prenre a
pu
voluer vers des formes plus dmo
cratiques de fonctionnement alors que la seconde ne
peut
voluer que vers la
victoire du Chef
ou
le dclin total du Parti. On
peut
convert ir une identit
communiste en identits multiples de militants
de la promotion ouvrire.
On
peut
beaucoup plus difficilement reconvertir des identifications
au
Chef
incar
nant la restauration de
valeurs
lies des classes en dclin. Mais ceci mrite
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