PHRASÉOLOGIE ET CORPSHUMAIN.
Étude comparative de la représentation ducorps humain dans les expressions
phraséologiques en français et en allemand
Colette CORTÈSUniversité Paris 7, Denis Diderot
C.I.E.L.
(1) Qu'est-ce qu'il y a comme têtes qui se perdent!Dernièrement, je rencontre un Monsieur qui se tenait la tête dans lesmains :- J'ai perdu la tête ! J'ai perdu la tête !Je lui dis :-Et celle que vous avez entre les mains? (Raymond Devos 1976, 87)
(2) Je connais un monsieur, c'est un auto-stoppeur professionnel.Un auto-stoppeur professionnel !Il lui est arrivé un accident de travail...Il a perdu le pouce.Il ne peut plus travailler (...)Heureusement qu'il est à deux doigts de la retraite. (Raymond Devos1976, 209)
(3) On a beau ne pas être des machines, on s'use ! On s'use! De tempsen temps, il faut faire une petite révision générale. Moi j'en viens! Jesuis allé voir un spécialiste des organes...(...) j'ai dit :- Je voudrais simplement que vous me remplaciez les organes usagés.- Ça ne vaut pas le coup! Et puis quand je vous aurai greffé un rein outransplanté le coeur d'un autre, ce n'est pas cela qui vous fera une bellejambe.
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- Vous n'avez qu'à me greffer une autre jambe.- Hé ! c'est que je n'en ai pas sous la main! ... C'est qu'une jambe, çane court pas les rues ! (...) une jambe, ça va vous coûter les yeux de latête!- Tiens, je croyais que la greffe c'était à l'oeil!- Heureusement que ce n'est pas à l'oeil! Ici tout ce qui est à l'oeil esthors de prix! (...)- Si vous avez une peau de rechange...- Vous n'avez pas de chance, en ce moment, je manque de peau! (...) Avotre place, je continuerais de marcher comme cela en essayant de nerien perdre en route! Et .... puis je me laisserais pousser la moustache.- Vous croyez que cela sauverait la face?- Non, mais ça en cacherait une partie. (Raymond Devos 1976, 69-70)
INTRODUCTION
Les exemples (1), (2) et (3) montrent à quel type de déconstructionil est possible de soumettre les phrasèmes, ces "unités polylexicales,figées et figurées" selon la définition de Harald Burger (1987) et GertrudGréciano (1997). En élaborant un contexte approprié, où lesdénominations des parties du corps apparaissent dans un schémaisotopique propre à activer leur sens premier, Raymond Devos fait naîtrechez le spectateur un sentiment étrange de perte des repères ; il construitun sens qui semble artificiel, décalé et qui oblige le spectateur à uneconnivence particulière avec l'auteur. Les jeux de mots les plus réussissont ceux où le sens figé et défigé de l'expression sont mobilisés tous lesdeux à la fois. Les sketchs de R. Devos prennent le spectateur à contre-pied, l'obligeant à focaliser sur un objet linguistique avec deux angles devue différents, un peu comme dans une image à trois dimensions.
Mais ce qu'on admet dans une perspective ludique de distanciationpeut-il correspondre à une attitude scientifique de description du langage?A priori non. Et pourtant, si l'on observe les modes de classementproposés par les ouvrages lexicographiques spécialistes de phraséologie,tout porte à croire que leur but est d'apporter du matériau auxdéconstructivistes comme Raymond Devos plutôt que de soutenir l'effortde l'utilisateur "normal", notamment dans une perspective d'apprentissagedes phrasèmes, que ce soit dans sa langue maternelle ou dans une langueseconde.
En effet, pour les besoins du classement alphabétique (le seulfacilement utilisable dans un relevé publié en version papier, convenons-en), le lexicographe choisit artificiellement un mot porteur d'image pourarticuler son classement, alors que, lorsque les phrasèmes sont employés
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dans le langage ordinaire, ils sont choisis par le locuteur comme desunités lexicales inanalysables en fonction de leur sens figé et figuré. Lelexicographe propose généralement un classement sémasiologique, alorsque le locuteur cherche un outil pour une pratique onomasiologique.
Ainsi, comme dans les sketchs de R. Devos, l'utilisateur desphrasèmes est pris à contre-pied, car il ne peut trouver de tels phrasèmesfigés dans les relevés lexicographiques qu'à condition de les défiger.Comme avec R. Devos, on touche à l'absurde, puisque cela revient à direque l'utilisateur de dictionnaire ne peut trouver que ce qu'il connaît déjà.
Le problème de l'entreprise lexicographique est précisément que, àcause du figement, aucun des signifiants constitutifs du phrasème prisisolément ne peut donner un accès direct au signifié global du phrasème.La valeur des phrasèmes repose sur les mécanismes cognitifs complexesqui ne sauraient être pris en compte qu' à partir du signifié global, desimages, voire des clichés qu'ils véhiculent.
Les classements de phrasèmes retenus ou proposés dans ce travailseront de nature sémantique, même s'ils ont tous en commun un élémentqui désigne le corps humain ou une de ses parties. Ils chercheront àdécouvrir des traits sémantiques communs à certains ensembles dephrasèmes ou à mettre en évidence, comme le font Regina Hessky etStefan Ettinger (1997) dans une perspective onomasiologique, desdomaines d'emploi communs à des phrasèmes d'origines diverses.
Le travail proposé ici utilisera les relevés lexicographiques reposantsur l'ordre alphabétique des signifiants uniquement comme des sources decorpus. En outre, pour que soient respectées les contraintes de l'étudesynchronique, les données recueillies dans l'ouvrage de Wolf Friederich(1966) pour l'allemand et de Bruno Lafleur (1991) pour le français neseront retenues que si elles sont attestées dans le Spiegel ou le Monde de1998.
Dans un premier chapitre, nous partirons de la classificationsémantique des phrasèmes proposée par Regina Hessky et Stefan Ettinger(1997) dans le cadre de l'apprentissage de la langue seconde. L'étude desphrasèmes comportant un élément qui désigne le corps humain ou une deses parties en fonction de l'étude sémantique holistique du phrasème nouspermettra de repérer (au moins pour l'allemand) leurs domaines d'emploiet de préciser si les transferts de domaines opérés par le passage au pré-construit relèvent plutôt de la métaphore ou de la métonymie.
Cette première série d'observations nous autorisera à pousser plusloin nos investigations sur le plan cognitif et à tenter, pour le français etpour l'allemand, une classification des phrasèmes selon que la partie ducorps nommée appartient au sujet de l'énoncé, à un autre humain que lesujet ou aux deux. Et nous verrons se dégager des phénomènes
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d'interaction corporelle significatifs, auxquels la perspective comparatisteallemand-français nous autorisera à attribuer une valeur de stéréotype.
1. E MPLOI SÉMANTIQUE DES PHRASÈMESA L L E M A N D S . ÉTUDE DES TRANSFERTSMÉTONYMIQUES ET MÉTAPHORIQUES
Dans cette première partie, on essaiera de répondre aux deuxquestions suivantes :
- Dans quels domaines sémantiques les phrasèmes comportant unélément qui désigne le corps humain ou une de ses parties sont-ilsutilisés?
- Que peut-on en déduire sur le plan cognitif?Nous commencerons par une étude statistique en fonction du sens de
l'expression dans son domaine d'emploi.Pour cela les travaux de référence de Bruno Lafleur (1991) pour le
français et de Wolf Friederich (1966) pour l'allemand (que nousqualifierons de sémasiologiques puisqu'ils cheminent du signifiant vers lesignifié) nous permettent seulement d'affirmer que, en français comme enallemand, environ un tiers des "expressions idiomatiques" font référenceau corps humain. C'est de loin le domaine le plus représenté dansl'ensemble des phrasèmes.
Mais ces travaux ne sont pas d'un grand secours pour une étude surles domaines d'emploi, et ce pour les raisons déjà évoquées plus haut.
J'ai donc cherché des classements sémantiques plusonomasiologiques (partant du signifié holistique du phrasème). Pour lefrançais, l'ouvrage de M Martins-Baltar et G. Calbris (1997), qui portecomme sous-titre : «Esquisse d'un dictionnaire onomasiologique. Notionset expressions dans le champ de la "dent" et de "manger"» fournit uncadre théorique très intéressant; mais il est trop spécialisé dans saréalisation (domaine de la nutrition) pour permettre une étude statistiquegénérale (Pour une présentation du cadre théorique, voir l'article de MMartins-Baltar dans ce numéro des Cahiers de C.I.E.L. 1998-1999). Enrevanche, pour l'allemand j'ai découvert un classement de typeonomasiologique portant sur la langue générale dans l'ouvrage de ReginaHessky et Stefan Ettinger (1997). C'est sur la base de ce dictionnaireassez général et relativement homogène, car destiné à l'apprentissage del'allemand langue étrangère, que s'effectue l'étude qui suit. Les phrasèmesretenus sont fréquents aujourd'hui, utilisables dans des types de textes
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écrits ou oraux relativement non marqués, c'est-à-dire présentant unniveau de langue homogène et non marqué.
Bien sûr, l'étude statistique est relative puisqu'elle porte sur unnombre de phrasèmes beaucoup plus limité que celui dont il étaitquestion dans les ouvrages précédents qui comportaient environ 8000entrées, mais elle semble néanmoins significative avec ses 1567occurrences répertoriées.
Pour présenter les résultats, j'ai traduit en français le sommaire dudictionnaire qui indique l'ensemble des domaines d'emploi retenus parRegina Hessky et Stefan Ettinger (1997). Les pourcentages indiqués entrecrochets à la suite des titres principaux donnent la proportion desphrasèmes qui comportent la dénomination d'une partie du corps pourchaque grande partie. Les nombres entre parenthèses indiquent le nombrede phrasèmes qui comportent la dénomination d'une partie du corps, suividu nombre total de phrasèmes relevés dans la sous-partie du dictionnaire.
A. Apparence de l'homme. [18 %] (5 / 27)A.1 VêtementsA.2. Apparence corporelle (4/12) (gut bei Leibe sein, nichts auf den
Rippen haben)A.3 Age, expérience ou inexpérience en fonction de l'âge (1/ 10)
B. État de l'homme [37 % également répartis] (75/ 205)B.1 État physique (17/ 44)
B.1.1 Santé, maladie (5/11) (wieder auf die Beine kommen)B.1.2. Fatigue (3/4) (auf dem Zahnfleisch kriechen)B.1.3 Sommeil, somnolence, insomnie (1/ 7) (sich aufs Ohr
legen)B.1 4 Faim, repas (4 / 8) (sich den Bauch vollschlagen)B.1.5 Soif, boisson (3/6) (sich die Kehle anfeuchten)B.1.6 IvresseB.1.7 Meurtre, assassinat, suicide, trépas, mort (1/8)
B.2 Etat sentimental (46 / 117)B.2.1 Peur, crainte (3/6) (kalte Füße bekommen)B.2.2 Bonne humeur, rire, joie, bien-être, bonne ambiance
(2/9) (von einem Ohr zum anderen strahlen)B.2.3 Tristesse, pleurs (3/6) (jm ist das Herz schwer)B.2.4 Surprise (7/15) (fast auf den Rücken fallen)B.2.5 Mauvaise humeur, colère, fureur (6/22) (jm stehen die
Haare zu Berge)
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B.2.6. Impatience, curiosité (4/11) (seine Nase in alle Töpfestecken)
B.2.7 Déception (2/5) (ein Gesicht machen wie drei TageRegenwetter)
B.2.8 Désir, concupiscence, exigence, convoitise (3/5) (jmläuft das Wasser im Mund zusammen)
B.2.9 Sérénité , indifférence, indolence (2/11) (einenbreiten Rücken haben)
B.2.10 Indignation (3/9) (seinem Herzen Luft machen)B.2.11 Souci, chagrin, souffrance (7/8) (etw auf dem Herzen
haben)B.2.12 Ingratitude, satisfaction malsaine éprouvée devant le
malheur d'autrui (2/3) (sich die Hände reiben)B.2.13 Joie exubérante, insouciance (2 /8)
B.3 Perception (5 / 12)B.3.1 Voir ou ne pas voir qqch (3 /7) (jm nicht unter die
Augen treten dürfen)B.3. 2. Entendre et comprendre (ou ne pas comprendre ) ce
qu'on entend (2 /5) (jm kommt etw zu Ohren)B.4 Situation matérielle (4 / 19)
B.4.1. Aisance, richesse, luxe (1/5)B.4.2. Paupérisation, endettement, pauvreté (3 /14) (bis an
den Hals in Schulden stecken)B.5 État moral, considération sociale (3 / 13)
B.5.1. Réputation, considération, influence (3/6) (einenlangen Arm haben)
B.5.2. Malhonnêteté (= ce qui déshonore) (0 / 3)B.5.3. Séduction, subornation, déchéance (0 / 4)
C. Qualités humaines [30 % inégalement répartis du maximum auminimum] (70/ 234)
C.1 Fermeté / persévérance, esprit de suite (1/3) (nicht aus seinerHaut können)
C.2 Honnêteté (2/5) (das Gesicht wahren)C.3 Malhonnêteté, déloyauté (0/4)C.4 Franchise, loyauté (8/13) (kein Blatt vor den Mund nehmen)C.5 Maîtrise de soi, manque de contrôle (11/12) (kaltes Blut
bewahren)C.6 Connaissances, subtilité, intelligence, actions intelligentes
(3/9) (etw aus dem Handgelenk schütteln)
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C.7 Bêtise (1 / 11) (Stroh im Kopf haben)C.8 Manque d'intelligence, étroitesse d'esprit (1 / 5) (ein Brett vor
dem Kopf haben)C.9 Extravagance, folie (1/11)C.10 Vaillance, courage, ténacité (4/5) (das Herz auf dem rechten
Fleck haben)C.11 Optimisme, confiance, illusionC.12 Pessimisme, tristesse (qui fait triste mine), insuccèsC.13 Bonté, caractère inoffensif, innocence, ingénuité (1/11)C.14 Pitié, indulgence, irrésolution (4/5) (ein Auge zudrücken)C.15 Opiniâtreté, entêtement, obstination (3/9) (mit dem Kopf
durch die Wand rennen)C.16 Paresse, confort, inertie, négligence (6/11) (keinen Finger
krumm machen)C.17 Zèle, application au travail et à l'étude (4/5) (mit offenen
Augen durch die Welt gehen)C.18 Subtilité, rouerie (2/21)C.19 Insouciance, irresponsabilité (2/16)C.20 Égoïsme, économie (7 /11) (jn/ etw nicht aus den Fingern
lassen)C.21 Impertinence, effronterie/ insolence (5/6) (nicht auf den
Mund gefallen sein)C.22 Conscience (de ses devoirs), scrupules (3/11) (etw liegt jm
am Herzen)C.23 Modestie, sens des réalitésC.24 Esprit de décision, énergie (1/8)C.25 Manque de droiture (qui complique les choses, mesquin)
D. Disposition, rapport à son prochain, rapport à l'environnement [13%inégalement répartis] (20 / 147)
D.1 Inclination, amour sympathie (3/9) (sein Herz an jn verlieren)D.2 Reconnaissance, attentionD.3 Mépris, dédain (2/7)D.4 Assistance, soutien, intercession (4/18) (jm etw in die Hände
spielen)D.5 Aide et refus d'assistance (3/9 aide) (jm unter die Arme greifen)D.6 Aversion, répugnance, haine (2/16) (jm ein Dorn im Auge sein)D.7 Indulgence, toléranceD.8 Solidarité, attachement, complicité (1/8)D.9 Précaution, méfiance
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D.10 Supériorité, arrogance, pédanterie/ outrecuidance (1/20)D.11 Accord : partager une opinionD.12 JalousieD.13 Responsabilité, culpabilité (1/7)D.14 Confiance (3/3) (seine Hand für jn/ etw ins Feuer legen)
E. Activités humaines [20% inégalement répartis du maximum auminimum] (95 / 480)
E.1 Chercher, trouver (2/5) (sich die Beine nach etw ablaufen)E.2 Parler, discourir (9/33) (jm über den Mund fahren)E.3 Ne pas parler (7/10) (jn mundtot machen, etw auf der Zunge
haben)E.4 Examiner, contrôler, maîtriser (2/7)E.5 Juger, estimer, accord généralisation (1/18)E.6 Acquiescer, donner son accord (1/4)E.7 Convaincre, persuader (1/2)E.8 Protester, contredireE.9 Refus, dénégation (4/20) (jm den Rücken kehren)E.10 ArgumenterE.11 Promettre (1/7)E.12 Communiquer (2/7) (von Mund zu Mund gehen)E.13 Expliquer, informer (1/20)E.14 Reprocher, contester , critiquer (5/15) (kein gutes Haar an jm
lassen)E.15 Tromper, abuser, induire en erreur (1/14)E.16 Importuner (6/13) (jm auf die Nerven gehen)E.17 Retarder, empêcher, contrecarrer (1/6)E.18 Intimider, faire peurE.19 Menacer, mettre en danger (1/9)E.20 Mettre en doute, en question.E.21 Exagérer, mettre en relief (1/7)E.22 Excuser, réconcilierE.23 Se vanter, fanfaronner, faire l'outrecuidant (1/5)E.24 Être attentif, observer (5/8) (Augen und Ohren aufhalten)E.25 Séparation : congédier, renvoyer (1/7)E.26 Calomnier, diffamerE.27 Combattre, intervenir énergiquementE.28 Dire des platitudes, s'ingérer dans qqchE.29 Prise de contact
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E.30 Participation, activité, initiative (3/12) (bei etw die Finger imSpiel haben)
E.31 Voler, dérober (2/4)E.32 Attaquer (2/4)E.33 Tenir en laisse, protéger (1/4)E.34 Restructuration, modification positive ou négativeE.35 Vexer, offenser, comportement maladroit (5/13) (jm auf die
Zehen treten)E.36 Louer, flatter (1/5)E.37 Blâmer (2/25)E.38 Punir (2/15)E.39 Encouragement, exhortation, consolation (3/5)E.40 Taquinerie, agacerie, mystification (1/8)E.41 Renoncer, abandonner (1/19)E.42 Perte, échecE.43 Décision (4/12)E.44 Effort, engagement (1/19)E.45 Attention, soin (5/11) (etw wie seinen Augapfel hüten)E.46 Urgence, précipitation (4/11) (Hals über Kopf)E.47 Estimer, évaluer (4/6) (sich den Kopf zerbrechen)E.48 AchèvementE.49 Décevoir (1/1)
F. Évaluation d'une situation, d'un fait [11 %] (32 / 282)F.1 Certitude, habitude, familiarité, routine (6/29) (festen Fuß
fassen)F.2 Incertitude, manque d'assurance (1/23)F.3 ExigencesF.4 Secret, énigmeF.5 Possible/ impossible (réalisable, non réalisable) (1/8)F.6 Bonheur : satisfaction ou soulagement à la suite du succès
d'une affaire (1/11)F.7 Danger, risque (3/26) (für etw seine Haut zu Markte tragen)F.8 Succès (2/25) (die Oberhand haben)F.9 Insuccès, échec, en être pour ses frais (1/22)F.10 GainF.11 Perte, échec, déception (1/9)F.12 Défaite, gagner de l'expérience à partir de ses erreurs (3/12)
(sich die Finger verbrennen)
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F.13 Erreur, fauteF.14 SoupçonF.15 Difficultés (4/29) (sich die Zähne an etw ausbeißen)F.16 Désavantage, dommage (2/10)F.17 Provoquer de l'énervement, une tension (2/15)F.18 Provoquer une sensation, réactions exagéréesF.19 Condition, être prêt à prendre des risquesF.20 Modification, transformation, perte de l'ordre établiF.21 Excès jusqu'au dégoût (2/4)F.22 Surprise
G. Environnement, Monde extérieur [7 %] (10 / 151)G.1 Apprendre et travailler (avec ou sans succès) (0/12)G.2 Le temps qu'il fait (0/14)G.3 Relation temporelles (1/23)G.4 Vitesse (1/9)G.5 Relations spatiales (1/6) (Schulter an Schulter)G.6 Mouvement (2/21)G.7 relations quantitatives, ensembles (2/16) (über den Daumen
peilen / schätzen)G.8 Mesure (0 / 22)G.9 Valeur positive (1/9)G.10 Valeur négative (0/12)G.11 Valeur matérielle, prix (0/6)G.12 Possession (0/1)
H. Phraséologismes liés à la situation de communication [2 %] (1 / 41)H.1 Consolation - Apaisement- RassérénementH.2 Formules de souhait (1/1)H.3 Impatience, colère, indignation, protestationH.4 Refus, indifférence, résignationH.5 Vantardise (de celui qui veut se faire bien voir)H.6 CommentaireH.7 Recherche du contactH.8 Mise en doute ou assurance solennelleH.9 Surprise
Un constat s'impose : la répartition des emplois des phrasèmescomportant la désignation d'une partie du corps humain n'est pas vraiment
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arbitraire. La plupart des phrasèmes sont verbaux et désignent une attitudecorporelle, un mouvement du corps.
La plupart d'entre eux servent à désigner un état, une qualité ou uneactivité relevant de la sphère de l'humain. On observe un pic d'emploi enB (État de l'homme) [37 % également répartis] et une répartition qui faitla part belle à des attitudes corporelles à partir desquelles on peut inférerdes propriétés humaines : C (Qualités humaines) [30 % inégalementrépartis] et E (activités humaines) [20 % inégalement répartis], A(apparence de l'homme) [18 % inégalement répartis], D (Disposition,rapport à son prochain, rapport à l'environnement) [13 % inégalementrépartis]. Parmi ces exemples, on trouve majoritairement un rapport decontiguïté entre l'allusion à une attitude corporelle, un mouvement ducorps et ce que l'expérience permet d'en inférer sur un autre plan que leplan physique. Dans ce cas, la lexicalisation de ces expressions peuts'interpréter comme un transfert métonymique : le signifié holistique duphrasème et l'allusion au corps humain se situent dans un même domaine,en relation "cotopique", selon la définition de M. Bonhomme (1987).
Il faut ajouter que, en C, D et E, il y a de grosses différences derépartition : il semble que l'allemand évite de relier une attitude du corpshumain à des qualités trop négatives (folie, bêtise, manque de droiture,méfiance, aversion, jalousie) ou à des activité dégradantes (mettre endanger, échouer, renoncer, calomnier), comme si cette langue cherchait àdonner le plus possible une image valorisante du corps humain(assistance, confiance, attention).
Plus on s'éloigne de la sphère de l'humain et moins la représentationdu corps est utilisée : F (Évaluation d'une situation, d'un fait) [11 %inégalement répartis], G (Environnement, monde extérieur) [7 %inégalement répartis] et H (Situation de communication) [2 %inégalement répartis]. Dans ces domaines d'ailleurs, ce n'est plus lemécanisme de la contiguïté qui est à l'oeuvre, mais c'est plutôt lasimilarité avec changement de domaine d'expérience et les expressionsen question sont majoritairement des métaphores : le signifié holistiquedu phrasème et l'allusion au corps humain se situent dans des domainesdifférents, en relation "allotopique", selon la définition de M. Bonhomme(1987).
Observons que les domaines de l'argumentation et de lacommunication ne font pratiquement jamais appel à la représentation ducorps humain.
On peut conclure de ces quelques remarques que, en allemand, lesphrasèmes comportant la désignation d'une partie du corps humains'emploient de préférence dans la sphère de l'humain, mais qu'ils donnentaccès, grâce au figement, à des domaines connexes abstraits (propriétés,
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qualités, dispositions humaines), dont l'homme n'a qu'indirectementl'expérience par un travail introspectif d'inférences et de déductions.
En outre, l'emploi des phrasèmes allemands comportant ladésignation d'une partie du corps humain permet de projeter une imagevalorisante du corps, en rejetant, dans un mouvement conventionnelsocialisé les images dégradantes.
Au vu de ces résultats, on peut considérer que l'allemand met enoeuvre au niveau des structures préconceptuelles ce que Lakoff etJohnson (1980 / 1985) appellent une "gestalt expérencielle" . Rappelonsici quelques unes de leurs positions :
- "Les gestalts expériencielles représentent des organisationscohérentes de nos expériences en termes de dimensions naturelles(parties, étapes, causes etc.). Les domaines d'expérience qui sontorganisés comme des gestalts nous semblent être des espècesnaturelles d'expérience".(Lakoff et Johnson (1980 / 1985) p 127) Lanotion de gestalt est utilisée par Lakoff à deux niveaux de lastructure du modèle linguistique : au niveau fondamental de lagestalt expériencielle qui permet de rendre compte des structurespréconceptuelles, mais aussi au niveau de la catégorisation desunités linguistiques qui sont le reflet de ces "espèces naturellesd'expérience" et dont les propriétés se structurent également sousforme de gestalts.
- les relations à l'intérieur d'une gestalt ne se limitent pas à desconditions nécessaires et suffisantes ; elles se fondent surl'expérience et sur la pertinence pour l'homme. Cela n'effacenullement la diversité des langues, puisque l'expérience peut êtreconventionnalisée différemment d'une culture à une autre. Mais danstous les cas, "nous concevons un objet en fonction d'une gestaltmultidimensionnelle constituée de propriétés perceptives, motrices,intentionnelles, fonctionnelles". (Lakoff et Johnson (1980 / 1985) p131).
- "Les propriétés interactionnelles sont au tout premier rang despropriétés qui entrent dans la détermination des ressemblances defamille. (...) Ainsi les propriétés interactionnelles pertinentes pournotre compréhension des fauteuils comprendront des propriétésperceptives (la façon dont ils se présentent, comme nous sommesassis dedans, etc.), fonctionnelles (ils nous permettent de nousasseoir), motrices ( ce que nous faisons de nos corps lorsque nousnous asseyons, lorsque nous nous levons et pendant que noussommes assis) et intentionnelles (ils nous servent à nous reposer, àmanger, à écrire, etc.)" (Ibidem p 132-133.)
- Dans une gestalt structurée à l'aide de propriétés interactionnelles,
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aucune propriété n'est nécessaire en soi, mais elle peut l'être parrapport à des prototypes ou à des ressemblances de famille. Enfonction des propriétés interactantielles mises en oeuvre, on peutobserver des distances plus ou moins grandes entre les unitéslinguistiques à l'intérieur d'un champ prototypique ou d'une famille.(cf. Colette Cortès (1995) et (1996))Avec les phrasèmes qui comportent la dénomination d'une partie du
corps, nous sommes au coeur de l'expérience humaine à la foismédiatisée par le corps et donnant à voir le comportement humaincomme signe, comme symbole. Si près de la moitié des expressionsidiomatiques font intervenir le corps ou une partie du corps, leursignification n'a pas pour but de décrire le corps, mais de décrire del'invisible, quelque chose que l'expérience permet de déduire d'un attitudeou d'un comportement perçus habituellement comme associés à un état,une action ou un activité humain(e)s, au point d'en devenir desévocations prototypiques.
Toutefois, même si la valeur prototypique de ces expressionscorporelles joue, en tout état de cause, un rôle essentiel en ce quiconcerne leur interprétation par les locuteurs, il ne faut pas occulter lefait que, lorsqu'elle sont adoptées par une communauté de locuteurs, elleprennent une valeur sociale de stéréotype.
R. Amossy (1991) définit le stéréotype comme "le prêt à porter del'esprit. (...) En effet notre esprit est meublé de représentations collectivesà travers lesquelles nous appréhendons la réalité quotidienne et faisonssignifier le monde". (R. Amossy 1991 / 9)
"Le stéréotype présente une constante autour de laquelle gravitenttoutes les définitions. En effet, il est toujours présenté comme relevant dupréconçu et du préconstruit, lui-même enraciné dans le collectif (legroupe, la société, la culture)".(R. Amossy 1991/ 30)
"En tant que représentation collective accréditée, le stéréotyperelève du fonds commun à partir duquel un groupe donné façonne savision des choses et des événements. Il offre des schèmes grâce auxquelsla communauté peut appréhender le réel de façon uniforme et fonder envérité ses croyances. Le processus n'est pas en soi irrationnel. Toutesociété a besoin de structures cognitives homogénéisantes. Elle lesélabore à la fois en fonction de ses besoins immédiats et en vue de fairecommunier les esprits." (R. Amossy 1991/ 48).
C'est sans nul doute de ce besoin que relève la représentationvalorisée du corps que nous avons observée dans les relevés de ReginaHessky et Stefan Ettinger (1997) : cela semble bien relever de l'imagestéréotypée qu'une société souhaite donner du corps de l'homme.
Les phrasèmes comportant une dénomination d'une partie du corps
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humain contribuent certes à la conservation d'images communes à tousles locuteurs. Mais dans la mesure où certaines images remontent à unfonds très ancien, on peut se demander si ces phrasèmes ne font queperpétuer des images ou s'ils permettent d'avoir accès à l'imageinstantanée d'une société donnée. La réponse réside, me semble-t-il, dansle foisonnement même de ces expressions préfabriquées qui offrent danschaque langue un répertoire très large dans lequel chaque locuteur puiseselon ses besoins. Et on voit, au fil du temps, certaines expressionspassées de mode, relayées par d'autres reprises ou nouvellement créées.On peut donc penser qu'une étude strictement synchronique desexpressions employées par une communauté de locuteurs en un tempsrelativement restreint peut nous donner un éclairage particulier sur leursociolecte.
D'où l'importance de l'étude non pas de tous les phrasèmes attestés,mais de ceux qui sont effectivement employés et du type de texte qui lesporte. Autrement dit, une étude synchronique des phrasèmes d'une languedans un type de textes donné peut servir de fondement à une étude desstéréotypes de la société qui les utilise.
C'est cette méthode qui va être utilisée dans ce qui suit, à savoirl'analyse synchronique de phrasèmes français et allemands utilisés dansdes textes relativement homogènes : l'étude suivante sera contrôlée àl'aide d'un corpus de phrasèmes relevés sur les CD-ROM de journauxfrançais (Le Monde) et allemand (Der Spiegel) de 1998 à 2000.
Nous proposerons un classement de phrasèmes français et allemandscomportant la dénomination d'une partie du corps humain en fonctiond'une propriété sémantique à laquelle ils sont tous sensibles : pourl'ensemble des phrasèmes relevés chez Lafleur (1991) et Friederich(1966), nous nous demanderons si la partie du corps dénommée renvoieau corps du sujet de l'énoncé dont le phrasème constitue le prédicat, aucorps d'un autre individu interagissant avec le sujet ou aux deux. Lesexpressions qui présentent les deux corps comme en interactionretiendront toute notre attention dans la perspective comparativeallemand-français que nous avons choisie.
Le rapport au corps peut donc bien servir de point de départ à laclassification. Il convient toutefois de ne pas en rester à une listealphabétique des parties du corps, comme cela est fait chez Lafleur(1991) et Friederich (1966), mais de partir à la recherche de traitspertinents sémantiques communs qui nous conduisent au coeur de lafonction stéréotypique des phrasèmes.
2 . ÉT U D E C O M P A R A T I V E D E L A
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R E P R É S E N T A T I O N D E L ' INTERACTIONCORPORELLE DANS LES PHRASÈMESFRANÇAIS ET ALLEMANDS
L'étude comparative de la représentation de l'interaction corporelledans les phrasèmes français et allemands sera faite dans une perspectiveonomasiologique telle qu'elle est préconisée par M. Martins-Baltar et G.Calbris (1997), mais dans un but un peu différent puisque nous nousmettons en quête de stéréotypes.
La méthode utilisée s'apparente à une méthode actancielle, maiselle est "impure" dans la mesure où elle relève à la fois de l'expressionfigée et de son analyse défigée: elle joue à la fois sur la syntaxe desphrasèmes verbaux et sur les rôles sémantiques au niveau de lareprésentation du corps. C'est en effet ce croisement même, cette"impureté" de la classification qui garantit le fait que notre analyse portebien sur le phrasème en tant qu'objet linguistique et non sur unedescription "objective" de la partie du corps elle même. Nous classeronsles exemples en fonction de l'attribution par le phrasème de la partie ducorps au sujet syntaxique (colonne 2), au corps d'un autre coagissant (quipeut être objet direct ou indirect du phrasème verbal ou objet du nomprédicatif désignant la partie du corps) (colonne 3) ou aux deux dansl'interaction des deux corps (colonne 4).
Prenons un exemple pour montrer que les expressions se répartissenttrès facilement selon ce classement :
- la partie du corps dénommée dans le phrasème appartient au corpsdu sujet syntaxique du phrasème verbal [+ humain] : avoir perdu latête, en faire à sa tête, se mettre en tête de faire qqch
- la partie du corps dénommée dans le phrasème n'appartient pas aucorps du sujet syntaxique du phrasème verbal mais au corps du co-agissant qui peut être objet direct, indirect ou complément de nom[+ humain]: avoir la tête de qqn, monter la tête à qqn, tourner la tête àqqn
- deux corps sont vus dans leur interaction, corps du sujet et corps duco-agissant, tous deux [+ humain]: être en tête à tête.Dans le dernier cas, le phrasème a toujours une valeur réciproque
qui peut être verbalisée par : l'un avec l'autre, les uns avec les autres... Lesujet se caractérise par sa pluralité intrinsèque. La pluralité du sujet seréalise de deux façons :
- [Sujet [+ humain]] + lexie verbale + avec + [co-agissant [+ humain]]: Pierre est en tête à tête avec Marie.
- [Sujet Pluriel [+ humain]] qui se compose sémantiquement d'un
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agissant et d'un co-agissant : Pierre et Marie sont en tête à tête. Lesdeux jeunes gens sont en tête à tête (l'un avec l'autre).L'indication [Pluriel Réciproque] dans la colonne 4 doit être lue
comme la structure sous-jacente à ces deux réalisations.Le tableau 1 présente l'ensemble des exemples relevés pour le
français, mais il ne prétend nullement à l'exhaustivité.
partiedu corps
corps du sujet[Sujet [+ humain]]
corps du co-agissant[Sujet [+ humain]][Objet [+ humain]]
interaction des corps dusujet et du co-agissant[Sujet [+ humain]][Objet [+ humain]]OU[Sujet Pluriel [+ humain]]
tête avoir perdu la têteen faire à sa têtese mettre en tête defaire qqch
avoir la tête de qqnmonter la tête à qqntourner la tête à qqn
[Sujet Pluriel (être)] entête à tête(voir corps à corps)
coeur avoir du coeur àl'ouvrageparler à coeurouvert
si le coeur vous endit
coeur à coeur : non citédans Lafleur, mais voirLM (4)
main avoir à portée de lamainavoir sous la maindonner un coup demainreprendre qqn/ch enmains
être entre bonnesmainsforcer la main à qqn
de la main à la main[Pluriel Réciproque] envenir aux mains[Pluriel Réciproque]marcher la main dans lamain
face faire facesauver la face
jeter à la face deqqn
[Pluriel Réciproque]être face à face
oeil n'avoir d'yeux quepour qqnne pas en croire sesyeux
pour les beaux yeuxde qqnjeter de la poudreaux yeux à qqn
[Pluriel Réciproque](se) dire qqch entrequatre-z-yeux
nez avoir du nezavoir qqn dans lenezà vue de nez
faire qqch au nez(et à la barbe) deqqnpasser sous le nez àqqnrire au nez à qqn
nez à nez[Pluriel Réciproque] sebouffer le nez
oreille dresser / prêterl'oreillefaire la sourdeoreillese faire tirerl'oreille
avoir l'oreille deqqncorner aux oreillesde qqn
de bouche à oreille
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pied au pied levéperdre piedne pas mettre lespieds qqpart
lécher les pieds àqqnmarcher sur lespieds de qqn
[Pluriel Réciproque] sefaire un appel du piednon cité dans Lafleurmais voir LM (5)
[Pluriel Réciproque] êtresur un pied d'intimité avec
dos avoir bon dosen avoir plein ledostourner le dos à qqn
être sur le dos deqqnfaire qqch dans ledos de qqnse mettre qqn à dos
[Sujet Pluriel (être)] dos àdos
bras avoir qqn/ch sur lesbrasles bras m'entombent
manquer de brasêtre le bras droit deqqn
[Sujet Pluriel (être)] brasdessus, bras dessous
barbe/cheveux
rire dans sa barbe faire qqch à labarbe de qqn
[Pluriel Réciproque] secrêper le chignon
doigt mettre le doigt surqqchs'en mordre lesdoigts
obéir au doigt et àl'oeil
[Pluriel Réciproque] êtrecomme les deux doigts dela main
peau risquer sa peau,sauver sa peau,avoir qqn dans lapeau, y laisser lapeau
je ne voudrais pasêtre dans sa peau,se mettre dans lapeau de qqn
langue avoir la langue bienpenduene pas avoir salangue dans lapochedonner sa langue auchat
les mauvaiseslangues
[Pluriel Réciproque]prendre langue non cité dans Lafleurmais voir LM (6)
jambe ça me fait unebelle jambeavoir les jambescoupées
tenir la jambe à qqntirer dans lesjambes à qqnfaire un croc enjambe à qqn
[Pluriel Réciproque]se tenir la jambese tirer dans les jambesse faire un croc en jambe
dent avoir les dentslongues se casserles dents surêtre sur le dents
faire grincer desdents
dent pour dent
bouche faire la fine bouche [Pluriel Réciproque] être àbouche que veux-tude bouche à oreille
coude jouer des coudes [Pluriel Réciproque] êtreau coude à coude[Pluriel Réciproque] seserrer les coudes
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talons avoir l'estomacdans les talonsavoir toujours qqnsur ses talons
être sur les talonsde qqn
pas de symétrie possible
nerf avoir les nerfs enboule
taper sur les nerfs àqqn
[Pluriel Réciproque]se taper sur les nerfs
reins avoir les reinssolides
casser les reins àqqn
pas de symétrie possible
sang avoir cela dans lesangse faire du mauvaissangse ronger les sangs
pas de symétrie possible
Les exemples suivants tirés du Journal Le Monde attestent del'utilisation en français moderne de certaines expressions citées dans letableau 1. Il ne s'agit que d'un court échantillon d'un travail fait àbeaucoup plus grande échelle.
(4) C'est un tombeau, bien sûr, ce recueil qui rassemble poèmes en proseet en vers, trois élégies et une magnifique " Litanie de toi ". C'est unlivre de neige, mais jamais de grisaille, un souvenir d' " altitude,poésie, insouciance, goût du risque, étreinte à se briser les os, coeur àcoeur ". Le Monde 4 décembre 1998, page 30.
(5) Le président de la SNCF et le ministre des transports, Jean-ClaudeGayssot, se sont fait un appel du pied concernant les aides publiquesdont l'entreprise pourrait bénéficier afin de mettre en place la réductiondu temps de travail. Le Monde 26 novembre 1998, page 20.
(6) L'arrivée de Rupert Murdoch dans l'audiovisuel italien ressemble à unfeuilleton de l'été. Après avoir négocié un temps, mais sans succès,avec Silvio Berlusconi pour prendre la majorité de Mediaset, lemagnat australo-américain aurait désormais pris langue avec TelecomItalia, opérateur transalpin du téléphone. Le Monde 22 septembre 1998,page 27.
La tableau 2 présente l'ensemble des exemples relevés pourl'allemand, mais il ne prétend pas davantage que le tableau 1 àl'exhaustivité.
partie ducorps
corps du sujet corps du co-agissant les deux : corpsdu sujet et celuide l'interactant/communication
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Kopf seinen Kopf aufs SpielsetzenHals über Kopfsich kopfüber in etwstürzenden Kopf verlierenden Kopf über Wasserhalten
was ist ihm in denKopf gefahren?jm den Kopf vedrehen
[PlurielRéciproque] Kopfan Kopf (rennen(coude à coude))(7)
Herz das liegt mir am Herzenjn an sein Herz drückendas Herz auf der Zungehabener hat das Herz auf demrechten Fleckmir fällt ein Stein vomHerzen
alle Herzen gewinnenalle(r) Herzen für sicheinnehmendas ist ihm ein Stichins Herzjn ins Herz treffenjm ins Herz blicken
[PlurielRéciproque] einHerz und eineSeele seinzwei Herzen undein Schlag
Hand die Hand im Spiele habendie Hände nach etwausstreckensich für jn die Handabhacken lassenmit leeren Händendastehen
jm freie Hand lassenan js Handjm etw an die Handgebenjm etw aus der Handnehmenin fester Hand sein
[PlurielRéciproque] Handin Hand arbeitenHand in Handgehen
Angesicht im Schweiße meinesAngesichtes
der Gefahr, dem Todeins Angesicht sehen
von Angesicht zuAngesicht (8)
Auge ganz Auge und Ohr seinaus den Augen aus demSinnvorn und hinten Augenhabenetw im Auge behaltenjm schöne Augen machen
jm die Augen öffnenunter js Augenaufwachsenjeden Wunsch vonden Augen ablesen
[PlurielRéciproque] untervier Augen (entête à tête) (9)sich Auge inAugegegenüberstehen
Nase Die Nase hoch tragendie Nase rümpfendie Nase voll habenseine Nase in dieAngelegenheiten einesandern steckennicht weiter als seineNasenspitze sehen
jn an der Naseherumführenjm auf der Naseherumtanzenjm eins auf die Nasegeben
Ohr die Ohren spitzenein offenes, williges Ohrleihentaube Ohren habenauf diesem Ohr nichthören wollen
jm die Ohrenvollschreienjm etw zu Ohrenbringenjm klingen die Ohrenjs Ohr haben
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Fuß keinen Fuß über jsSchwelle setzendas Recht mit Füßentretenauf dem Fuße folgen
jm über die Füßelaufenjm etw zu Füßenlegen
[PlurielRéciproque] (mitjm) aufgespanntem Fuß /freundschaftlichem Fuß stehen
Rücken sich den Rücken deckeneinen breiten Rückenhaben
jm den Rückenstärkenjm in den Rückenfallen
[PlurielRéciproque]Rücken anRücken
Arm jn in die Arme schließenjn mit offenen Armenempfangen
jn am Arm packenjn dem Gegner in dieArme treibenjm in den Arm fallenjn unter die Armegreifen
[PlurielRéciproque]
Arm in Arm
Schulter jm die kalte Schulterzeigenetw auf seine Schulternnehmenetw auf die leichteSchulter nehmen
auf js Schulternliegen, lasten
auf js Schulternstehen
Schulter anSchulter
Haar sich die Haare raufen kein gutes Haar an jmlassenjm stehen die Haarezu Berge
[PlurielRéciproque]sich in die Haaregeratensich in denHaaren liegen
Finger keinen Finger krummmachenetw an den (fünf) Fingernabzählen
laß die Finger davonjm auf die Fingersehen
Haut mit Haut und Haarsich auf die faule Hautlegenseine Haut zu Marktetragenjm mit Haut und Haarverfallen sein
ich möchte nicht inseiner Haut stecken
jm die Haut gerben
Zunge eine scharfe/ spitzeZunge habensich auf die Zunge beißenseine Zunge im Zaumhalten
Böse Zungenbehaupten daß
jm die Zunge lösen
Bein den ganzen Tag auf denBeinen seinsich kein Bein ausreißenmit beiden Beinen imLeben stehen
etw auf die Beinebringenjn wieder auf dieBeine bringenjm wieder auf dieBeine helfen
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Zahn sich die Zähne an etwausbeißenHaare auf den Zähnenhabendas reicht für einenhohlen Zahndie Zähne nichtauseinanderkriegen
jm den Zahn ziehenjm auf den Zahnfühlen
Mund nicht auf den Mundgefallen seinvon der Hand in denMund leben
jm den Mundverbietenjm den Mund stopfenjm die Bissen imMunde zählenin aller Munde sein
wie aus einemMunde reden (10)
Ellbogen sich mit den Ellbogeneinen Weg bahnenEllbogenfreiheit haben
[PlurielRéciproque] sichmit dem Ellbogenanstoßen
Nerv(en) den Nerv habenschwache,überempfindliche, starkeNerven habenmit den Nerven am Endesein.
der hat Nerveneinem auf die Nervengehenjm die Nervenzerfetzen
Niere(n) das geht mir an dieNieren
auf Herz und Nierenprüfen
Blut das steckt mir im blutMusik im Blut habendas Blut stockte ihm inden Adern
jn bis aufs Blutpeinigendas Blut erstarrenlassen
Ferse(n) jn (dicht) auf den Fersenhaben
jm (dicht) auf denFersen seinsich an js Fersenheften
Les exemples suivants tirés du journal Der Spiegel attestent del'utilisation en allemand moderne de certaines expressions citées dans letableau 2. Il ne s'agit que d'un court échantillon d'un travail fait àbeaucoup plus grande échelle.
(7) Ein Stimmungswandel ausgerechnet zur Bundestagswahl könnteangesichts des zu erwartenden Kopf-an-Kopf-Rennens zwischenKoalition und Opposition für Kohl verheerend sein: Weit über eineMillion Rußlanddeutsche sind wahlberechtigt, 500 000 geben erstmalsihre Stimme ab. Spiegel 98 8 66-67
(8) „Mein Gott, wir haben die ,Titanic‘ gefunden“, hatte derselbe Ballardkurz nach Mitternacht des 1. September 1985 ausgerufen. Auf denBildschirmen in der Beobachtungszentrale an Bord desForschungsschiffes „Knorr“ erschien, 560 Kilometer vor Neufundland,
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der Hauptkessel mit den Feuertüren. Es war, schrieb Ballardspäter, wie „das Wiedersehen mit einer alten Geliebten“, mit der erviele Jahre korrespondiert hatte und der er schließlich „vonAngesicht zu Angesicht“ begegnete. Spiegel 1998 4 / 176
(9) Thyssen-Aufsichtsratschef Heinz Kriwet wollte kein Risiko mehreingehen. Die beiden Personalien schienen ihm so heikel, daß erdarüber mit einigen einflußreichen Ratskollegen nur unter vier Augensprach. Spiegel 98 3 / 82
(10) Die erste große Leistung der drei Schauspielerinnen: wiehingebungsvol l s ie d ie „Ähnl ichen“ geben und aufIndividualität verzichten, von nahezu identischem Outfit. Sie reden undquasseln wie aus einem Munde durcheinander, gegeneinanderund miteinander. Spiegel 98 24 / 226
La comparaison des tableaux 1 pour le français et 2 pour l'allemandest tout à fait éclairante : si les colonnes 2 et 3 sont à peu près égalementremplies dans les deux langues, la colonne 4 en revanche est presquevide pour l'allemand alors qu'elle est fort honorablement remplie pour lefrançais. Les deux langues semblent donc différer nettement en ce quiconcerne la représentation de l'interaction corporelle, très présente dansles phrasèmes français et quasiment absente dans les phrasèmesallemands.
Dans une perspective strictement synchronique, contrôlée par lesrelevés dans des journaux récents, on peut admettre que ce résultat nousrenseigne sur des images stéréotypées contrastées en français et enallemand.
Ce premier sentiment est confirmé par d'autres observations tantsociologiques que phraséologiques.
Sur la plan sociologique, il suffit de vivre quelques temps enAllemagne lorsqu'on est français ou en France lorsqu'on est allemand pourse rendre compte que les salutations sont très différentes dans les deuxpays et que l'Allemagne n'est pas le pays des effusions et desembrassades dans la vie quotidienne.
Certains termes comme "Tête-à-tête" sont des emprunts enallemand. Il n'y a pas non plus d'équivalent direct pour "corps-à-corps",qui se traduit par "Nahkampf (Mann gegen Mann)".
En revanche l'allemand a plus d'expressions que le français pourmarquer la distanciation vis à vis du corps de l'autre : jn vom Leibe halten,sich auf Armeslänge fernhalten.
A côté de cela, l'allemand présente plus d'expressions que lefrançais pour la fusion intellectuelle et sentimentale : "ein Herz und eineSeele sein, zwei Herzen und ein Schlag, wie aus einem Munde reden".
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Le corps humain impliqué dans un échange linguistique esttransparent à la communication, sauf lorsqu'il sert de repère dans larelation autodeictique ou lorsqu'il se met en scène dans les phrasèmes. Lecorps se présente alors comme opaque en tant que vecteur de lacommunication, en vue d'une construction directe de repères déictiques(dans son emploi verbalisé ou dans le geste co-verbal par exemple) ou envue de la construction d'un sens dérivé selon des procédures cotopiquesou allotopiques dans les phrasèmes.
Notre courte étude a donné au moins deux résultats :- dans les phrasèmes allemands, l'image du corps humain est un
vecteur d'abstraction, mais à propos de domaines relativementconnexes au corps humain : abstraction des sentiments, des qualitéshumaines, des activités humaines. En outre, le corps est montré biendavantage dans des conditions qui le valorisent que dans desconditions dévalorisantes (moins de 5 exemples).
- dans une perspective comparatiste s'appuyant sur une analyseactancielle hybride, on a pu montrer que l'interaction corporelle estbeaucoup moins représentée en allemand qu'en français.Ces observations auraient besoin d'être étayées par des études
sociologiques et psychologiques précises. Mais faites avec les précautionsque nous avons indiquées : homogénéité dans le temps et dans le type detexte étudié, elles peuvent être une indication sur les expressionspréfabriquées qu'une société privilégie à un moment donné.
Le grand nombre des phrasèmes disponibles dans un langue est ensoi un élément pertinent car il garantit l'adaptabilité du matériauphraséologique aux exigences d'une société toujours en mouvement.Seule une étude homogène dans le temps et dans le type de discoursanalysés permet d'accéder à un inventaire homogène des phrasèmeseffectivement employés en un temps t. De nombreuses études allant dansce sens sont consacrées aux phrasèmes dans le domaine économique (C.Delplanque 1996), dans le domaine juridique , et même dans le domainelittéraire (Christine Palm (1996), Alain Christophe (1997)). On peutconsidérer qu'un inventaire de phrasèmes qui suspend momentanément letemps et la variété des idiolectes donne accès à une image instantanéede la représentation stéréotypée qu'une société véhicule en un temps t deson histoire à travers ses expressions préfabriquées, et ce faisant, ilpermet de préciser dans quel sens se fait l'effort d'homogénéisation générépar la société dont il est le reflet.
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