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Après le Kilimandjaro et le montKenya, la chaîne de montagnesdes Rwenzori, en Ouganda, est la plus haute d’Afrique, etun des seuls massifs enneigés du continent. Menacée par le réchauffement climatique,son extraordinaire biodiversitéest un paradis pour les amoureux de la montagne.
Texte et photos: Clément Girardot
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En Ouganda,une terre de neiges
en péril
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Il a fallu slalomer en moto, sur une
route à 1’400 m d’altitude, pour ar-
river dans le village de Kilembe, au
sud d’une vallée luxuriante de l’Ou-
ganda. Nous sommes au mois de no-
vembre et en cette fin de la petite
saison des pluies, les voyageurs ne se
bousculent pas dans la seule auberge
du hameau.
Aux confins du village, un routard
américain campe dans son 4x4. On
jurerait que Kilembe est la dernière
étape de sa longue dérive à travers les
continents. Avec sa barbe et ses che-
veux longs, cet homme à la dégaine
de vieux hippie est ici pour profiter
des énergies cosmiques qui, dit-il, ir-
riguent la vallée.
Depuis l’Antiquité, la chaîne de mon-
tagnes des Rwenzori, où se trouve le
village de Kilembe, fascine les aven-
turiers. Ils ont longtemps cru qu’elle
abritait les sources du Nil. En 1978, le
commandant Cousteau, qui les sur-
vole en hydravion écrit dans son car-
net de voyage: «Voici que se profilent
à l’horizon les crêtes des Rwenzori.
Ce sont des hauteurs que les Anciens
nommaient les montagnes de la lune
parce qu’ils supposaient qu’elles se
dressaient au bord de l’univers. Nous
approchons des pics cotonnés de gla-
ce et de brumes. Un vers d’Apollinaire
me revient en mémoire. La neige aux
boucliers d’argent... J’ai sous les yeux
les boucliers d’argent de l’équateur.»
UN AIDE-SOIGNANT DEVENU ROIEn face du village se dresse l’impres-
sionnante chaîne de montagnes des
Rwenzori qui marque la frontière
entre l’Ouganda et la République
démocratique du Congo. Encerclé
d’éternels nuages, ce massif de 120 ki-
lomètres de long et de 65 kilomètres
de large culmine au Mont Stanley,
troisième sommet du continent afri-
cain avec les 5’109 mètres d’altitude
du pic Marguerite. Inscrit au patri-
moine mondial de l’UNESCO depuis
1994, le massif des Rwenzori connaît
d’incessantes précipitations qui irri-
guent toute la région, formant des
torrents qui dévalent les vallées pour
alimenter la rivière Semliki. Elle re-
joindra ensuite le Nil Blanc qui se
jette dans le lac Albert, au nord de
l’Ouganda.
Pour les autochtones, ces cimes sont
l’Olympe des dieux de l’ethnie des Ba-
konzo, un peuple montagnard qui
a longtemps défié le pouvoir central
de Kampala. Le territoire escarpé sur
lequel ils vivent est un royaume qui
a fait sécession en 1962 et qui est
aujourd’hui reconnu au même titre
que de nombreux autres royaumes
traditionnels. Son monarque, Char-
les Mumbere, est rentré en 2009 de
Page précédenteLa chaîne de monta-
gnes des Rwenzoriculmine au MontStanley, à 5’109
mètres d’altitude.
Ci-dessousL’aspect cadavérique
des arbustes té-moigne de la rareté des précipitations.
Ce type de sénéçongéant, que l’on ne
trouve qu’en Centra-frique, peut mesurer
jusqu’à six mètres.
A 3’100 mètres d’alti-tude, les tentes du
premier camp offrentun repos bien mérité
aux randonneurs.
Près du champ volcanique de FortPortal, dans lesRwenzori, le com-merce de la bananeest florissant.
son exil de 26 ans aux Etats-Unis. Il y
travaillait comme aide-soignant.
Comme d’autres bourgades de la ré-
gion, le village de Kilembe mise sur le
trekking pour survivre. Le hameau
accueille ainsi Rwenzori Trekking Ser-
vices, une des deux compagnies de
guides habilitées à accompagner les
visiteurs au sommet. Une activité
d’autant plus importante que la mine
de cuivre de Kilembe a été fermée en
1982. Elle attirait des milliers de tra-
vailleurs et générait du métal envoyé
par wagons entiers à Kampala. Té-
moins de cet âge d’or, des baraque-
ments construits en rangs d’oignon de
chaque côté de la route qui mène au
village. Les expatriés canadiens, in-
diens ou sud-africains sont rentrés
chez eux, les habitants sont retournés
à leurs champs et Kilembe est rede-
venu un hameau tranquille dans une
des régions les plus pauvres de l’Ou-
ganda. Peut-être pas pour longtemps:
l’envolée du prix du cuivre sur le mar-
ché mondial devrait attirer à nouveau
les investisseurs étrangers qui pour-
raient faire reprendre l’extraction.
CHENILLES ÉNORMESET REBELLES ISLAMISTESJe pars en trekking le lendemain de
mon arrivée. Le but de mes cinq jours
de marche: l’ascension d’un pic de
3’970 mètres. Mon guide, Benard Ena-
ga, est originaire des étendues plates
et arides du nord de l’Ouganda. A 29
ans, ce passionné de montagne fait
partie des rares accompagnants auto-
risés à entreprendre toutes les ascen-
sions du massif avec ses clients. Cet
aventurier qui aime passer plusieurs
semaines à plus de 3’000 mètres re-
çoit des visiteurs très motivés, comme
cette Canadienne de 78 ans venue es-
calader le Mont Stanley après dix
jours de trekking dans des conditions
météo plutôt difficiles.
L’aube vient de se lever alors que nous
commençons notre ascension par un
chemin en lacets très raides à travers
la forêt tropicale. Dans cette contrée
gorgée d’eau, la végétation prend des
dimensions extraordinaires: les fou-
gères sont immenses et les bambous
si épais que les rayons du soleil pei-
nent à atteindre le sol qui grouille de
chenilles et de limaces monstrueuses
tandis que sur une liane, se repose un
caméléon.
La région est par-semée de rivièressur lesquelles des
ponts ont étéconstruits à la hâte.
Page de droiteCouvertes de
mousse, les bruyè-res arborescentesgéantes poussent
entre 3’000 et 3’700 mètres.
L’eau est une res-source essentiellepour la faune et la
flore des Rwenzori.
Un crâne de sanglierindique aux randon-
neurs que les che-mins ont été crééspar des chasseurs.
Cette chenille enforme de point d’interrogation
rappelle que l’ave-nir des Rwenzori
est incertain.
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Le parc national des Rwenzori a con-
nu une histoire troublée. Aujourd’hui
surveillé par des rangers, il était dans
les années 1990 le refuge d’un grou-
pe de rebelles islamistes et un pa-
radis pour les braconniers qui ont
laissé leur empreinte sur les sentiers:
un crâne de sanglier, la fourrure
d’une antilope... «La chasse a rendu
les antilopes et les singes très crain-
tifs. Même si elle est interdite, il fau-
dra un moment avant que ces espè-
ces se laissent à nouveau approcher»,
explique Benard Enaga. Pour lui, nom-
bre de ces anciens chasseurs qui tra-
vaillent maintenant comme porteurs
ont la nostalgie de leur activité d’ori-
gine.
DES LIENS QUI DISPARAISSENT«Elle était à la fois un métier et un
mode de vie pour ces hommes qui
restaient jusqu’à deux mois dans la
montagne, dormaient sous des ro-
chers et s’alimentaient de viande
d’animaux sauvages en imaginant que
cela leur permettrait de vivre plus
longtemps», raconte mon guide. En
interdisant la chasse et en limitant
fortement les activités humaines dans
le parc, le gouvernement ougandais
a sans doute sauvé la faune. Mais
la prohibition a également provoqué
la quasi-disparition des liens écono-
miques, identitaires et spirituels qui
depuis des siècles unissaient les com-
munautés de la région à ces monts
enneigés.
UN MAUVAIS FILM D’HORREURC’est d’ailleurs en référence à leur
manteau blanc que les autochtones
les appellent «Rwenzururu», «terres
de neige». Une appellation qui pour-
rait bientôt ne plus être d’actualité.
Ici, comme sur tous les glaciers équa-
toriaux de plus de 4’500 mètres, neige
et glace fondent à vue d’œil. La super-
ficie qu’elles recouvrent a diminué
de 40% en moins de soixante ans et
elles pourraient bien disparaître d’ici
2025.
Autre enjeu de taille: il pleut de
moins en moins. Les riverains ne sa-
vent pas combien de temps encore la
pluie permettra de faire de bonnes ré-
coltes. Lorsqu’on monte à 3’000 m
d’altitude, on comprend leur angois-
se. Là, les silhouettes cadavériques de
milliers de bruyères arborescentes
victimes de la sécheresse forment un
spectacle digne d’un mauvais film
d’horreur. A 4’000 mètres commence
la zone alpine, qui n’a de commun
avec les Alpes que le nom et le relief
accidenté. Déformée, biscornue, la
flore semble venir d’une autre planète
et les rochers se parent d’une mousse
à la couleur jaune et rouille.
Les effets du réchauffement climati-
que se font sentir tant sur les monta-
gnes équatoriales des Rwenzori que
sur les glaciers alpins. Fonte des gla-
ciers, baisse des précipitations: les
menaces qui pèsent sur cet écosys-
tème unique auront dans les années
qui viennent, des conséquences im-
portantes sur le bassin du Nil et sur
l’existence des millions de riverains
pour qui elle est une ressource. �
Clément Girardot
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