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NEGRI Master 1 HMMC
Vanessa
EMERGENCE ET INSTITUTIONNALISATION DE L’ACTION
HUMANITAIRE DE 1968 A NOS JOURS : LE CAS DE
L’HUMANITAIRE D’URGENCE
Sous la direction de M. Xavier Huetz de Lemps
Année 2010/2011
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Remerciements :
Je tenais à remercier M. Xavier Huetz de Lemps, par la liberté de choix du sujet qu’il m’a
accordé. Un mémoire qui m’a permis d’appréhender les réalités historiques, de la voie
professionnelle que j’ai choisi d’emprunter.
Je voudrais également remercier M. Benjamin Herreros, pour son soutien et ses
encouragements, tout au long de l’élaboration de ce travail.
Un merci également à Mme. Eliane Schiavo, pour son effort de relecture.
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USAGE DES ABREVIATIONS :
C.I.C.R : Comité International de la Croix Rouge
F.P.R : Front Patriotique Rwandais
H.C.R : Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
M.D.M : Médecins Du Monde
M.I.N.U.A.R : Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda
M.S.F : Médecins Sans Frontières
O.I : Organisation Internationale
O.N.G : Organisation Non Gouvernemental
O.N.U : Organisation des Nations Unies
O.T.A.N : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
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Table des matières
Introduction .............................................................................................................................. 5
Chapitre 1 : Les fondements de l’humanitaire moderne .............................................16
1. La guerre du Biafra ou la crise fondatrice d’un humanitaire moderne ..............................................16
2. Une situation internationale propice au développement de l’humanitaire d’urgence.....................22
3. Agir dans l’urgence : l’action des ONG .....................................................................................26
4. L’Humanitaire d’urgence et le politique ………………………………………………………………………….34
Chapitre 2 : L’expérience des crises au profit de la construction d’une action
humanitaire efficace. .....................................................................................................................40
1. L’Ethiopie : une famine politique alimentée par les acteurs de l’humanitaire ...............................40
2. Le Rwanda, le troisième génocide du siècle ..............................................................................47
3. Kosovo : une guerre humanitaire ............................................................................................53
Chapitre 3 : Des avancées au service de la modernisation de l’humanitaire .... 62
1. Le droit au service de l’action ........................................................................................................62
2. De bénévolat à professionnalisation ...........................................................................................73
3. Les médias : avantages ou inconvénients pour l’humanitaire ...............................................80
Conclusion……………………………………………………………………………………87
Bibliographie………………………………………………………………………………...90
5
INTRODUCTION
« Ma p’tite mère
… Je te raconte tout ça parce que depuis le temps que tu « bourlingues » avec moi par lettres
interposées, j’ai envie que tu comprennes ton fils. Que tu comprennes pourquoi je me bats
(parfois contre des moulins à vents), pourquoi je te laisse presque seule, souvent pour aller si
loin, pour essayer d’améliorer la vie de ces gens qui ne sont rien car ils ont eu la malchance de
naître dans des conditions bien moins bonnes que les miennes. Et si j’aime tant ces gosses,
c’est parce qu’ils sont innocents et qu’ils représentent les générations futures : celles qu’il faut
sauver pour que la vie continue dans un monde meilleur. 1989 me donne beaucoup de raisons
d’espérer…
Autant de raisons qui me font penser qu’il faut continuer à se battre, sans armes à mains nues,
en faisant du bruit, pour que les choses changent… Bref, j’aime ma vie et je t’aime
Ton fils André »1
Comprendre l’humanitaire, chercher à le définir, appréhender ses enjeux, ses
perspectives apparaît comme une tâche ardue mais néanmoins réalisable au vue des études
établies2 par des auteurs notamment sociologues, politologues, ou des humanitaires soucieux
de retranscrire leur expérience, qui se sont faits spécialistes de la question. Si de nombreux
dictionnaires se sont essayés à l’exercice, il semble que ce sont encore les acteurs qui en
parlent mieux. Pour rechercher une définition, il convient d’entrevoir le passé de cette action
humanitaire, de s’attarder sur les témoignages de ceux qui l’ont vécu ou qui le vivent encore
au quotidien, qui en ont fait un engagement, une vocation, une profession. Comprendre
l’humanitaire revient à mettre en relief toutes les perspectives qui lui sont relatives : les
acteurs, les bénéficiaires, la nature de l’assistance, le lieu de l’action de solidarité et dans un
contexte plus large l’ensemble des valeurs et des idéaux inhérents au concept de
l’humanitaire. En effet, ce dernier est avant tout un engagement qui rassemble en son sein, des
personnes aux horizons variés mais aux valeurs communes. Ne pas accepter l’inacceptable, ne
pas envisager la situation de crise comme une fatalité et réagir d’une façon propre à
1 Extrait d’une lettre d’un volontaire de l’action humanitaire, datée du 10/02/1990, Job Roger, Lettres sans
frontières, Editions Complexe, Bruxelles, 1994, p.112. 2 Voir principalement Ryfman Philippe, La question humanitaire, ellipses, Paris, 1999. Brauman Rony, L’action
humanitaire, Flammarion, Paris, 1995. Le Coconier. M.L, Pommier. B, L’action humanitaire, Presses universitaires de France, Paris, 2009.
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l’humanitaire, en aidant, en portant secours et assistance, en étant présent là où le danger
demeure : telle est ce que l’on pourrait appeler la doctrine humanitaire.
D’une notion cloisonnée, utilisée uniquement dans le secteur de l’humanitaire, le mot
s’est vulgarisé au point de devenir un concept générique, commun voire banal dans nos
sociétés actuelles. Le terme d’humanitaire apparait pour la première fois en 1835. Lamartine
l’utilise le premier au sens de « qui vise au bien commun »3, dans une lettre adressée à Virieu
où il parlait de l’abolition de l’esclavage comme une question humanitaire. La notion revêt
alors une dimension généraliste sans but plus précis que celui de participer à la construction
d’une société idéale. Dans son contenu, le terme évolue au fil des expériences. L’humanitaire
à cette époque est rattachée à l’humanité. Lamartine définit l’humanité comme « la totalité
concrète des hommes habitant la planète »4. Ainsi l’humanitaire et son action, ont une mission
universelle et internationale et doivent parvenir au bonheur de chacun. Mais l’humanitaire ne
trouve alors que peu d’audience auprès des élites, il est source de moquerie et de disgrâce.
Musset et Flaubert, pour ne citer qu’eux, s’attachent à dénigrer ce concept alors flou qui n’a
pas d’objectifs concrets. L’action humanitaire ne prend vraiment son envol qu’à la fin du
XIXe siècle avec la création de la Croix Rouge.
Plusieurs définitions de l’humanitaire peuvent être proposées. Celle des dictionnaires
sont plus théoriques que celles mises en avant pour les acteurs de l’humanitaire. Ainsi si Le
Petit Larousse de 1999 le désigne comme « l’ensemble des organisations humanitaires et des
actions qu’ils mènent »5. A cette linéature, Rony Brauman préfère une explication plus
pragmatique : « L'humanitaire ce n'est pas l'humanité... L'humanitaire est une action bien
cernée qui vise à atténuer la souffrance sans discrimination... Cela se passe d'homme à
homme... Ensuite il y a le politique, le social, le dialogue entre les personnes, les politiques
nationales, l'aide au développement... Il faut avoir une conception restrictive, limitative de
l'humanitaire si on veut lui donner sa substance »6. Définir l’humanitaire en quelques lignes
s’avère un exercice relativement compliqué. Il s’agit d’une notion complexe où de multiples
paramètres sont à prendre en compte. Pour la comprendre, nous préférons mettre en avant son
3 Tournier Maurice, L’humanitaire est-il apolitique de naissance ?, les Mots, mars 2001, n°65, p. 135-146.
4 Ibid p. 137
5 Voir article humanitaire.
6 Source audiovisuelle de l’INA, Rony Brauman à propos de sa définition de l’humanitaire, l’heure de vérité,
antenne2, le 1/03/1992.
7
évolution au fil des époques, plutôt que de s’attarder sur une définition réduite à de simples
phrases peu explicites.
L’humanitaire découle d’un long héritage que l’on peut faire remonter jusqu’au temps les plus
reculés de l’Antiquité. Cet humanitaire qui n’en pas alors pas le nom prend sa source dans les
conceptions religieuses, philosophiques, et humanistes. A toutes les périodes de l’humanité,
on entrevoit la charité et la philanthropie, les ancêtres de l’humanitaire, comme des nécessités
pour la concrétisation d’une société bienveillante. Durant l’Antiquité on parle de charité
stoïcienne au nom d’un amour des hommes. Elle est avant tout sociale et non religieuse.
Epitete s’est appliqué à définir les contours de cette charité, il pense qu’il faut compatir au
moins en paroles à la douleur d’autrui, voire le cas échéant gémir avec lui. La charité prend
avant tout la forme d’un sentiment de compassion envers les autres plutôt que d’une action à
proprement dite. Bouddha s’accorde sur cette idée en parlant de « bienveillance universelle »,
d’une compassion active envers tous les êtres vivants, il s’agit d’un état d’esprit non égoïste
tourné vers autrui et aspirant au bonheur de tous les êtres ce qui implique la perception de la
souffrance des autres et le devoir de les aider. La notion de charité évolue avec les religions
monothéistes et prend alors une forte connotation religieuse. Du latin caritas, elle signifiait
pourtant en tout premier lieu la bienveillance dans les relations sociales. L’autre demeure au
centre des préoccupations des actions caritatives. La Torah exige de pratiquer la charité. Du
principe « tu aimeras ton prochain comme toi-même »7 découle l’idée d’une fraternité
humaine. Pratiquer la charité à l’égard de l’étranger, de l’orphelin, de la veuve, et du pauvre,
est dans le judaïsme une obligation d’ordre à la fois moral et légal, à laquelle nul n’est
autorisé à se soustraire. Pour les chrétiens, la charité demeure le plus grand commandement
social. Ils se sont attachés à observer le commandement nouveau donné par Jésus : « aimez
vous les uns les autres comme je vous ai aimés »8. Les religions juive et chrétienne placent
l’amour au centre de la charité. De l’amour découle l’aide et l’assistance. Cette aide prend la
forme concrète des bonnes œuvres et de l’aumône pour les chrétiens. Cette forme d’assistance
existe également dans la religion musulmane. En effet, l’Islam recommande la pratique de
l’assistance aux démunis. Celle-ci s’exprime par l’obligation pour le musulman de pratiquer la
« zakat » que l’on peut traduire par aumône. Il s’agit même de l’un des cinq piliers de la
religion musulmane. La notion de charité dans le sens où elle est une assistance envers les
7 Lévitique, XIX, 18.
8 Jean, XIII, 34.
8
plus démunis s’apparente sur le fond à l’humanitaire moderne, si la forme diffère, la
conception d’aide demeure.
De la charité à la philanthropie, telle est l’évolution qui marque le passage à l’époque
moderne dans le domaine de l’assistance, fortement influencé par les idées humanistes et
philosophiques qui émergent à partir du XVIe siècle. La charité ayant une trop grande
connotation religieuse, les humanistes lui préfèrent les idées de philanthropie, de bienfaisance,
ou encore d’humanité dont ils s’appliquent à donner une définition. Diderot les présente dans
son Encyclopédie9. Ainsi la bienfaisance est « la fille de bienveillance et de l’amour de
l’humanité »10
, l’humanité étant mise en avant comme « un noble et sublime enthousiasme qui
se tourmente des peines des autres et du besoin de les soulager : il voudrait parcourir l’univers
pour abolir l’esclavage, la superstition, le vice et le malheur »11
. L’humanitaire est donc
l’aboutissement d’un long processus de conceptualisation, de définition des objectifs et du
bien fondé de l’action. Du caractère sociale de l’antiquité, la solidarité prend une dimension
religieuse au Moyen Age, puis philosophique à l’époque moderne pour aboutir sur une
conception contemporaine de l’humanitaire, telle qu’elle sera présentée par la suite. Des
théories doivent naître les mises en applications, elles émanent durant le Moyen Age des
initiatives religieuses. Ainsi, la « Trêve de Dieu » prend les traits d’une action humanitaire en
situation de guerre. L’Eglise catholique impose cette mesure, qui prévoyait que durant
quarante jours les combats cessent afin que les villes assiégées puissent être ravitaillées, les
blessés soignés, et des négociations entre adversaires engagées. Néanmoins, les idées
humanistes du XVIIe siècle amènent progressivement à la laïcisation de l’assistance. Une
relation nouvelle s’institue entre l’acteur et la bénéficiaire de l’aide. La guerre d’indépendance
grecque de 1821 à 1829 est l’occasion de mettre en pratique les conceptions humanistes.
D’autre part, cette guerre et le mouvement d’assistance qui en résulte, posent les bases d’une
nouvelle manière d’appliquer la solidarité. Jusqu’alors interne à un pays, elle
s’internationalise. Considéré comme un moment fondateur de l’histoire de l’humanitaire, la
solidarité envers les victimes de la guerre d’indépendance grecque est celle qui se rapproche
le plus de l’humanitaire du XXe siècle. Des réseaux d’aide se mettent en place en France afin
que soient récoltés des fonds et des vêtements pour les insurgés grecs.
9 D’Alembert, Diderot, Encyclopédie ou dictionnaire des sciences, des arts et métiers, publié de 1751 à 1772.
10 Ibid. voir article Bienfaisance.
11 Ibid. voir article Humanité.
9
La solidarité prend un tournant remarquable avec la création de la Croix Rouge. Elle
est l’œuvre d’Henry Dunant, dont l’histoire mérite d’être abordée. Homme d’affaire français
vivant en Suisse, il fait partie de ces héros des mythes humanitaires. Il souhaite acquérir à la
fin des années 1860, des terrains en Algérie afin d’y implanter une société. Face au refus des
l’administration coloniale, il décide de partir en Europe à la recherche de Napoléon III afin de
lui formuler en personne sa requête. Ce dernier a alors engagé une guerre contre l’Empire
autrichien. Lors de son périple européen Henry Dunant se retrouve au beau milieu de la
bataille de Solferino caractérisée par l’extrême violence des combats. Dunant même s’il n’est
pas un humanitaire mais un homme d’affaire, à un rapport particulier avec la solidarité. Il a,
en effet, effectué ses classes parmi la Société des aumônes qui rend visite aux indigents et aux
handicapés. Il ressent donc une sensibilité particulière vis-à-vis de ceux qui souffrent. La
souffrance, durant la bataille de Solferino est à son paroxysme. Pourtant, les soins n’arrivent
pas, les blessés et les agonisants sont laissés seuls face à leur destin. Henry Dunant, avec
l’aide de quelques villageois, entreprend de porter assistance aux blessés et de mettre en place
un réseau de secours, à une très petite échelle certes. De cette expérience nait «un souvenir de
Solferino »12
dans lequel Henry Dunant relate les réalités du champ de bataille. Pour
maximaliser sa diffusion le livre est gratuit. Le succès est retentissant. Le livre pose quatre
jalons d’une nouvelle conception de l’action d’assistance, qui forgeront ce que Philippe
Ryfman nomme « le premier siècle de l’humanitaire »13
. Dans un premier temps, il s’agit de
soigner indistinctement les victimes de guerre, quel que soit leur camp. La seconde avancée
conceptuelle est la neutralité du sauveteur qui peut intervenir auprès des blessés, quelle qu’en
soit leur origine nationale. La troisième innovation majeure est la recherche d’un soutien des
opinions publiques afin de faire pression sur les gouvernements. Aux liens entretenus avec les
religions et la philosophie des époques précédentes, interviennent désormais les relations
entre les actions d’assistance et les gouvernements. La quatrième innovation résulte de la
volonté de constituer « des sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux
blessés en temps de guerre par des volontaire zélés, dévoués et bien qualifiés pour une pareille
œuvre… Des sociétés de ce genre, une fois constituées, et avec une existence permanente,
demeureraient naturellement inactives en temps de paix, mais elles se retrouveraient tout
organisées, vis-à-vis d’une éventualité de guerre »14
. Abandonnant le milieu des affaires,
Henry Dunant s’attache à mettre en application les idées évoquées dans son livre. La création
12
Ryfman Philippe, La question humanitaire, ellipses, Paris, 1999 p. 10. 13
Dunant Henry, Un souvenir de Solferino, Joël Cherbuliez, Genève, 1882. 14
Ibid.
10
de la Croix Rouge découle de l’expérience de Solferino. Le livre est publié en 1862. En
octobre 1863 Dunant institue un « Comité International de Secours aux blessés », instance qui
supervise par la suite les différentes « Sociétés de Secours aux blessés » créées dans plusieurs
pays. L’institutionnalisation de l’assistance est en marche. Un cadre bien précis lui est
désormais astreint. La création d’une juridiction propre à l’humanitaire permet de parachever
le premier élan de construction d’une organisation internationale. C’est ainsi qu’intervient la
Première Convention de Genève ratifiée par les douze États les plus influents de l’Europe, le
22 août 1864. En 1875 le « Comité de Secours aux blessés » prend le nom de « Comité
International de la Croix Rouge », l’humanitaire devient dès lors progressivement une donnée
majeure des relations internationales. Jusqu'à l’entre deux guerres, l’humanitaire est
représenté par l’action de la Croix Rouge. Aucun autre acteur d’une telle envergure n’émerge.
La Croix Rouge se donne une mission : « Né du souci de porter secours sans discrimination
aux blessés des champs de bataille, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge, sous son aspect international, s'efforce de prévenir et d'alléger en toutes
circonstances les souffrances des hommes. Il tend à protéger la vie et la santé ainsi qu'à faire
respecter la personne humaine. Il favorise la compréhension mutuelle, l'amitié, la coopération
et une paix durable entre tous les peuples »15
. Le Comité International de la Croix Rouge
repose également sur des principes d’organisation et de comportement. Ce n'est qu'en 1921
que le Comité international de la Croix-Rouge, organe fondateur du Mouvement, introduisit,
dans ses statuts, lors d'une révision de ceux-ci, le premier énoncé formel des principes
fondamentaux. À savoir, l'impartialité, la neutralité l'indépendance politique, confessionnelle
et économique, l'universalité du Mouvement, le volontariat et l’unité. Dans un premier lieu
l’impartialité : « Il ne fait aucune distinction de nationalité, de race, de religion, de condition
sociale et d'appartenance politique. Il s'applique seulement à secourir les individus à la mesure
de leur souffrance et à subvenir par priorité aux détresses les plus urgentes »16
. Dans un
second temps la neutralité : «Afin de garder la confiance de tous, le mouvement s'abstient de
prendre part aux hostilités et, en tout temps, aux controverses d'ordre politique, racial,
religieux et idéologique »17
. Ensuite l’indépendance : « Le Mouvement est indépendant.
Auxiliaires des pouvoirs publics dans leurs activités humanitaires et soumises aux lois qui
régissent leurs pays respectifs, les Sociétés nationales doivent pourtant conserver une
15
Publication du CICR, Principes fondamentaux du la Croix Rouge, 1996, réf. 0513. 16
Ibid. p.4 17
Ibid. p.7
11
autonomie qui leur permette d'agir toujours selon les principes du Mouvement »18
. Le
volontariat : « Il est un Mouvement de secours volontaire et désintéressé »19
. Dans un
cinquième temps l’unité : « Il ne peut y avoir qu'une seule société de la Croix-Rouge ou du
Croissant-Rouge dans un même pays. Elle doit être ouverte à tous et étendre son action
humanitaire au territoire entier »20
. Enfin l’universalité : « Le Mouvement international de la
Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, au sein duquel toutes les sociétés ont des droits égaux et
le devoir de s'entraider, est universel »21
. Ces éléments mettent en relief le caractère unique de
l’organisation internationale. Ils garantissent la cohésion interne du Mouvement de la Croix
Rouge dont le rayonnement est universel. Ils fixent également son organisation, son éthique,
sa raison d’être ainsi que sa nature particulière. Ils constituent enfin, la charte du mouvement
et sa spécifié. Les Guerres Mondiales constituent les premiers grands succès comme les plus
grands échecs du « Comité International de la Croix Rouge ». L’aide aux victimes de guerre
constitue la donnée majeure de l’assistance de l’organisation de la Croix Rouge. Durant la
Première Guerre Mondiale, la Croix Rouge acquiert une popularité sans précédent, ses actions
d’assistance envers les victimes de la guerre sont remarquées et approuvées. Le silence de la
Croix Rouge durant la Seconde Guerre Mondiale a, en revanche, un écho plus que
défavorable pour l’organisation, auprès des sociétés civiles. Pire que le silence, on lui
reproche l’inaction face au génocide juif, à l’extermination des Tsiganes et aux innombrables
crimes contre l’humanité dont elle était témoin. Cette loi du silence à laquelle doivent
s’astreindre les volontaires de la Croix Rouge est à l’origine de la rupture entre le « premier
siècle de l’humanitaire » et un humanitaire moderne, notion sur laquelle s’accorde les
observateurs du secteur.
La guerre du Biafra de 1968 est l’événement majeur de l’émergence d’une nouvelle
conception de l’humanitaire. Avec elle, émergent des mutations de grandes échelles,
représentatives d’une nouvelle manière d’agir face à l’urgence. Le monopole de la Croix
Rouge s’affaiblit à cette période face notamment à l’arrivée sur la scène internationale de
nouveaux acteurs à vocation humanitaire, il s’agit des organisations non gouvernementales.
Nées durant l’entre deux guerres dans les pays anglophones, elles n’émergent en France qu’à
partir des années 1970. Si l’on peut parler de siècle de la Croix Rouge pour caractériser la
période 1863-1968 dans le domaine de l’humanitaire, nous pouvons également qualifier les
18
Ibid. p.9 19
Ibid. p.12 20
Ibid. p.15 21
Ibid. p.17
12
cinquante dernières années de demi-siècle des ONG tant leur croissante, leur influence, leur
action sont prolifiques à cette époque. L’action humanitaire placent les zones les plus fragiles
au centre de ses préoccupations, et sont des espaces d’intervention privilégiés, à l’image de
l’Afrique et de l’Asie qui concentrent la majorité des déploiements de l’humanitaire
d’urgence. Il existe différents types d’humanitaires, certains ayant une plus grande assise
auprès des populations civiles. On recense quatre principales actions humanitaires. Une
première relative à la défense des droits de l’homme. Une seconde propre à l’intervention
d’urgence. Une troisième qui vise à continuer le travail de la seconde, une fois celle-ci partie,
en aidant au développement. Une dernière enfin, dont la zone d’application est restreinte au
national, au régional, voire au local, et qui n’a donc pas de portée internationale.
L’humanitaire moderne connaît tout un processus d’institutionnalisation marqué par son
frottement à la politique, par sa confrontation avec la logique d’influence des Etats, par la
relation entre les pays occidentaux et le reste du monde. Durant le demi-siècle qui vient de
s’écouler faire de l’humanitaire avait une portée plus politique que précédemment. Son action
s’inscrit dans le cadre des relations internationales où de multiples enjeux sont à prendre en
compte. Autour de graves crises humanitaire, des guerres civiles, des catastrophes humaines
ou naturelles, l’action humanitaire évolue, s’améliore, devient plus performante, plus rapide,
plus efficace, plus professionnel. De l’amateurisme dont on l’accable, les organisations
humanitaires se perfectionnent pour minimiser les terrains sur contre lesquelles des critiques
pourraient être émises. Le droit et la juridiction lui apportent un support sur lequel s’appuyer
pour justifier de ses décisions et de ses actions. Un droit humanitaire s’établit au nom du
« droit d’ingérence ». L’humanitaire moderne en somme s’applique à devenir incontournable
sur la scène internationale. Dans les sociétés modernes, il est devenu une chose courante
faisant partie intégrante du langage de ces dernières. Son essor et son audience sont
notamment permis grâce au développement des médias qui mettent en avant les réalités
auxquelles les humanitaires doivent faire face. Progressivement les crises humanitaires se
médiatisent, presse écrite et médias audiovisuels retranscrivent les réalités vécues par les
victimes de troubles et celles des sauveteurs qui leur viennent en aide. Dans un cercle
vertueux, cette médiatisation entraîne la solidarité. Face aux images, la société se révèle plus
généreuse. Les dons sont plus nombreux et plus conséquents, permettant ainsi le
développement des organisations de solidarité et l’amélioration de leurs moyens, tant
financier et matériel qu’humain.
13
Faire l’histoire de cet humanitaire revient à prendre en compte tous les paramètres de
l’émergence et de l’institutionnalisation. Pour réaliser cette histoire, nous nous appuierons en
particulier sur écrits de ceux qui ont vécu l’expérience de l’humanitaire, ceux qui pour nous
peuvent le mieux en parler, certains l’ont théorisé, d’autres l’ont mis en pratique, tous se sont
appliquer à expliquer son essence, sa raison d’être, ses actions, ses objectifs. Les écrits de
Rony Brauman22
ou ceux de Philippe Ryfman23
, deux spécialistes de la question nous
intéressent particulièrement. Le premier l’est au regard de son parcours. Médecin volontaire,
il fait partie de la génération d’humanitaires qui ont repensé l’acte de solidarité après la guerre
du Biafra. Acteur de la création de Médecins sans Frontières, il en devient le président à
partir de 1982 et ce jusqu’en 1994. Il est l’auteur d’une somme considérable d’ouvrages sur
l’humanitaire allant du très général, en pensant l’action dans sa globalité, jusqu’au cas plus
précis d’intervention. Philippe Ryfman quant à lui est professeur et chercheur associé au
Département de Science Politique et au Centre Européen de Sociologie et Science Politique
de la Sorbonne, Philippe Ryfman coordonne aujourd'hui les enseignements du Pôle ONG et
humanitaire. Il est Membre du Comité de rédaction de la revue Humanitaire et du Conseil
scientifique de Questions internationales Il est également expert-consultant auprès d'ONG,
d'organisations internationales et de gouvernements. Au titre de ses engagements personnels
en matière de solidarité internationale et de causes associatives, il a été secrétaire Général de
la Fondation des amis de Médecins du Monde, membre du Conseil d'Administration de l'ONG
Primo Levi et du Conseil Consultatif de Déontologie du Comité de la Charte ou encore du
Conseil d'Orientation de l'Action Humanitaire d'Urgence. L’apport de ces deux auteurs est
indispensable pour la rédaction de ce mémoire tant leurs travaux ont permis de mettre en
lumière les avancées de cet humanitaire moderne. Ils ont œuvrés depuis près de trente ans
pour retranscrire leurs expériences, pour témoigner de ce qu’ils ont vu et vécus. Toute la
démarche de notre travail sera d’appliquer la méthode historique aux témoignages de ces
hommes.
Quelques historiens déjà se sont essayés à l’exercice, ils sont en revanche, peu
nombreux. La question de l’humanitaire historique a été défrichée par des sociologues et
22 Rony Brauman : Pourquoi je suis devenu… médecin humanitaire, propos recueillis par Frédéric Niel, Bayard,
2009. Aider, sauver : Pourquoi, comment ?, Bayard Centurion, octobre 2006, Penser dans l’urgence : Parcours critique d’un humanitaire, Seuil, 2006, - entretien avec Catherine Portevin, Les médias et l’humanitaire (avec René Backmann, Victoires, 1998) Humanitaire : le dilemme, avec Philippe Petit, Editions Textuel, 1996; Textuel, 2002,) L'action humanitaire, Flammarion, 1993. 23
Ryfman Philippe, La question humanitaire, ellipses, Paris, 1999. Les ONG, le Découverte, Paris, 2004. Histoire de l’humanitaire, la Découverte, Paris, 2004.
14
politologues, par des humanitaires également. Il semble que le regard rétrospectif devienne
désormais une nécessité. Les ouvrages récents d’acteurs, de médecins, invitent la
communauté historienne à appréhender l’humanitaire comme un objet d’étude dont il faille
mettre en avant toute la profondeur historique. L’histoire de l’humanitaire se confond avec
celle du XXe siècle. Ainsi, l’histoire de l’humanitaire est indissociable de l’histoire des
conflits armés entre nations, et elle s’insère dans une approche en terme de relations
internationales. Elle s’inscrit également dans le courant historiographique qui s’intéresse au
sort des combattants. L’histoire de l’humanitaire s’intéresse également à l’évolution du fait
religieux. Si cette dominante tend à s’atténuer, aujourd’hui encore la plupart des organisations
humanitaires portent explicitement ou implicitement les traces de leurs origines religieuses.
Dans l’histoire de l’humanitaire, la solidarité nationale prime sur l’assistance internationale.
Cette solidarité est initiée partout en Europe par les mouvements protestants dans les pays
anglo-saxons et catholiques en France à l’instar des conférences Saint Vincent de Paul. Des
historiens à l’image d’Axelle Brodiez24
, Guillaume Lachenal, et Bertrand Taithe25
se sont
confrontés à l’histoire de cette forme d’assistance en mettant en avant les éléments qui
permettent le passage du monde missionnaire à l’humanitaire. D’autre part, l’histoire de
l’humanitaire est liée à l’histoire du politique. Elle suit les grands mouvements politiques du
siècle. Dans les années 1930 elle est liée au communisme, après 1945, elle suit le mouvement
des décolonisations. La thématique de l’aide au développement et celle de la défense des
droits de l’homme émergent à ce moment là pour aider à l’émancipation et à l’indépendance
des populations colonisées. L’humanitaire s’inscrit également dans la culture internationale,
celle des relations internationales proprement dite. Enfin l’histoire de l’humanitaire évolue en
fonction de celle des médias et des cultures de masses. L’audience progressive qu’acquiert
l’humanitaire auprès des populations est directement liée à la médiatisation des événements.
Face aux recherches spécifiques des historiens notre travail consiste ici à appréhender
la question de humanitaire moderne dans sa globalité, d’aborder sa genèse autour des
témoignages de ceux qui ont vécu son évolution. De la prise de conscience à l’envie d’agir, de
l’action à l’efficacité, d’une assistance silencieuse au renfort médiatique, l’humanitaire vit
depuis la fin des années 1960, une révolution interne et externe. Acteurs privés ou étatiques,
24
Brodiez Axelle, Emmaüs et l’abbé Pierre, Presses de Science Po, Paris, 2008.
25 Lachenal Guillaume, Taithe Bertrand, Une généalogie missionnaire et coloniale de l’humanitaire : le cas Aujoulat au Cameroun, 1935-1973, Le Mouvement Social, n°227.
15
catastrophes naturelles, humaines ou guerres civiles, l’assistance d’urgence doit répondre aux
besoins. Elle tend à ne plus agir sans se poser de questions, comme ce fut longtemps le cas
lors de crises humanitaires conséquentes. L’humanitaire moderne est le résultat d’une
réflexion qu’il s’agira ici de mettre en perspective. Né de l’envie de comprendre la solidarité
actuelle, notre travail consiste à répondre aux questions : « Comment l’humanitaire moderne
s’est-il imposé comme un acteur central des relations internationales et comme une donnée
majeure des sociétés contemporaines? Autour de quels grands fondements, de quels principes,
de quelles avancées, de quelles remises en cause mène-t-il son processus de développement
au point de s’installer comme un des piliers de l’ordre mondial ?
Notre travail consiste à percevoir la rupture de 1968, comme le point de départ de
l’humanitaire moderne. Autour des ses remises en cause, de ses acteurs, de ses lieux
privilégiés d’intervention, nous appréhenderons l’assistance internationale dans sa globalité.
Nous aborderons particulièrement, l’expérience de l’urgence en Ethiopie, au Rwanda, ainsi
qu’au Kosovo. Nous mettrons en avant les évolutions, liées à l’instauration d’un cadre
juridique moderne, à la professionnalisation de l’humanitaire, et au rapport d’interdépendance
qui se crée avec les médias.
16
CHAPITRE 1 : Les fondements de l’humanitaire moderne
La page qui s’ouvre en 1968 avec la guerre du Biafra marque le début d’une nouvelle
ère de l’humanitaire alors considéré comme plus moderne. Au nom de la volonté de ne plus se
taire, les acteurs de l’assistance d’urgence bouleversent l’ordre établi, allant jusqu’à rompre
avec les principaux fondamentaux préexistants. Dès lors, de nouveaux acteurs apparaissent
sur la scène internationale, privés comme publics. De nouveaux rapports de force, de
nouvelles luttes d’influence, de nouvelles coopérations et partenariats s’instituent afin de
rendre la sphère de l’humanitaire plus efficace. Tout le travail ici constituera à mettre en avant
les principales caractéristiques de ce nouvel humanitaire, autour de données clés
incontournables afin d’apprécier la dimension complexe de l’aide. Des ONG, aux
organisations internationales en passant par l’humanitaire étatique nous tenterons de montrer
comment est désormais coordonnée l’action humanitaire. Pour la comprendre, il faut
également envisager les moments où son déploiement devient inévitable. Ce chapitre
concentre l’essentiel de ces interrogations.
1. La guerre du Biafra ou la crise fondatrice d’un humanitaire moderne
Le monde humanitaire comme la communauté internationale s’accorde pour dire que
l’humanitaire moderne, qui rompt dans ses fondements les plus radicaux avec celui né après la
création de la Croix Rouge, découle directement de la guerre du Biafra. Les différents
événements de ce conflit ont mené, dès la paix annoncée, à de nouvelles conceptions et
applications de l’aide humanitaire. Trois éléments principaux concourent à cette
transformation. D’une part, il est question de la première opération de grande envergure
d’organismes d’aides privées et du mouvement de la Croix Rouge dans le monde
postcolonial. D’autre part, cette opération d’aide humanitaire fût menée durant plusieurs mois
de manière illégale, dans le sens où elle avait été interdite par le chef du gouvernement du
Nigéria, mais parallèlement cette solidarité internationale s’effectue avec le soutien des
opinions publiques européennes. Enfin, pour la première fois certains membres des
17
organismes d’aides humanitaires dénoncèrent publiquement les massacres dont ils étaient
témoins, rompant ainsi avec la tradition du silence des organisations de solidarité. En France,
cette rupture est perçue comme l’innovation fondatrice d’un nouveau mouvement humanitaire
désormais libre de ses gestes et de ses mots. L’apport croissant de la presse et des médias dans
la diffusion des actions humanitaires complètent le tableau des avancées modernes de ce
secteur.
A) De l’ouverture du conflit à l’intervention humanitaire.
Le 27 mai 1967 des notables et des représentants du Nigéria oriental proclament la
« république du Biafra ». Cette région du pays peuplée en majorité par des chrétiens, est
connue pour ses ressources pétrolières. Ce territoire demeure donc pour l’Etat nigérian
nouvellement indépendant une source de richesses exploitables. Une fois la partition décrétée,
c’est au lieutenant-colonel Ojukwu qu’est confiée la tâche de proclamer la souveraineté du
Biafra. Ce dernier se dit résolu à doter la nouvelle république des pleins pouvoirs d’un Etat, à
savoir, pouvoir déclarer la guerre, conduire la paix, établir des relations diplomatiques, ou
encore conclure des accords. Dès le 30 mai le colonel Ojukwu déclare dissoudre tous les liens
politiques existants entre le Nigéria et le Biafra. Face à cette déclaration d’indépendance, le
gouvernement nigérian dirigé par le général Gowon, entame une guerre de reconquête. Deux
millions d’Ibos, peuple du Biafra, répartis dans l’ensemble du pays commencent à refluer en
catastrophe vers la province orientale. Pressentant un conflit d’envergure, le Comité
International de la Croix Rouge missionne alors son délégué général pour l’Afrique Georg
Hoffmann de se rendre sur place, dans le but de mesurer les nécessités des victimes des
troubles. Pour lui, le CICR doit prendre des mesures opérationnelles semblables à celles d’une
période de catastrophe naturelle. Le conflit du Biafra reste un conflit interne. Pour intervenir
le CICR s’appuie sur l’article 9 des trois premières conventions de 1949, qui le dote du droit
général d’initiative, afin d’entreprendre des actions de protection et de secours au profit des
populations civiles, même dans le cas d’un conflit interne. L’article 3 de ces conventions
complète les modalités d’intervention dans le cas d’un conflit de caractère non international.
Celui-ci fixe un minimum humanitaire, un standard humanitaire applicable dans ce cas précis.
L’article 3 s’applique dès qu’en raison d’un conflit avec une fraction de la population, les
troubles ne peuvent plus être réprimés de manière ordinaire, et dès que pour rétablir l’ordre, il
est fait recours à la force. Dans ce cas, les modalités d’interventions des actions de solidarité
18
doivent s’effectuer auprès des personnes qui ne participent pas directement aux conflits. Il est
alors question de soin ainsi que de reconnaître aux bénéficiaires de ces dispositions les droits
de l’Homme les plus fondamentaux. L’action humanitaire au Biafra s’organise sous l’égide du
CICIR. Des ONG catholiques ainsi des prêtres irlandais prennent part aux missions de
solidarité.
Au cours des premiers mois, les forces sécessionnistes résistent à l’armée fédérale et
réussissent à imposer leur autorité sur une grande partie du territoire revendiqué. Les
organisations humanitaires œuvrent en amont pour fournir à la population civile biafraise des
vivres et des médicaments à partir d’un espace déclaré neutre selon les critères de la Croix
Rouge sur l’île espagnole de Santa Isabel, au large de la Guinée équatoriale. Mais très vite les
voies d’accès au Biafra deviennent de plus en plus difficilement atteignables. Les prêtres
irlandais décident alors de préparer l’acheminement des ressources depuis Lisbonne via des
avions militaires. Le CICR, de son côté, préfère négocier avec le colonel Gowon, et s’engage
à ne pas mélanger les canaux de circulation des armes, et ceux des livraisons humanitaires.
Pourtant les réalités du blocus opéré par le gouvernement de Lagos, changent la donne de
l’action humanitaire. Alors que la défaite du Biafra se profile, le colonel Gowon décide du
blocus partiel du Biafra, dans le but de se présenter en position de force lors des négociations
qui se déroulent en Ouganda sous l’égide de l’Organisation de l’Unité Africaine. Il accepte le
passage de l’aide humanitaire par le territoire fédéral, gage du maintien de sa souveraineté. Le
lieutenant-colonel Ojukwu, pour cette même raison refuse que le ravitaillement apporté par
les organisations humanitaires n’emprunte ce chemin. Alors que la famine devient un fléau de
plus en plus pressant, les organisations chrétiennes reprennent leurs vols de nuit mais de façon
clandestine cette fois. L’aide humanitaire au Biafra est très importante, 80% des ressources
économiques de l’enclave proviennent de l’apport des organisations de solidarité. Le CICR
passe outre son habituel légalisme et se résout à suivre ces interventions clandestines. Il s’agit
d’une première dans l’histoire de l’action humanitaire : franchir la légalité, en tout cas celle
décrétée par le gouvernement local, pour mener à bien sa mission originelle, celle de porter
assistance, une première, qui devient un élément courant de l’humanitaire moderne.
B) Le mythe humanitaire.
Si la guerre du Biafra demeure l’élément fondamental de l’émergence d’une nouvelle
ère de l’humanitaire, une ère plus moderne, le milieu humanitaire s’étend sur le mythe qui lui
est rattaché. En effet, le Biafra est devenu un mythe humanitaire où la vérité croise la légende
19
dorée des événements. L’élément fondamental de cette crise qui a influencé toute la nouvelle
politique de l’action humanitaire demeure la rupture avec la tradition du silence. Des
médecins engagés durant le conflit, parmi lesquels Bernard Kouchner, en rentrant en Paris
déclarent ne plus pouvoir rester silencieux face aux réalités du conflit. Selon eux, on leur
demande de prodiguer une médecine d’urgence sans se soucier du génocide qui se passe sous
leurs yeux. Dans ces fondements, le CICR déclare agir mais se refuse obstinément à parler.
Kouchner tente alors d’alerter la presse afin d’expliquer les atrocités exercées à l’encontre de
la population biafraise. Pour la première fois dans l’histoire du CICR, ses membres violent la
règle interdisant l’expression publique de ses délégués. La guerre du Biafra a également fait
naître deux conceptions de l’humanitaire défendues par deux chefs de file derrière lesquels les
humanitaires se regroupent. Il s’agit de Bernard Kouchner et de Rony Brauman. Au départ,
Kouchner est l’un des fondateurs de Médecins Sans Frontières en 1971, dont la création est la
conséquence de ce refus désormais omniprésent de se taire, Kouchner explique que « autour
de la table d’une salle de garde naîtra, dans le mois d’octobre 1968, l’idée de MSF »26
.
Rony Brauman intègre Médecins Sans Frontières, jusqu’à ce que les distensions entre
leurs deux conceptions de l’action humanitaire soient trop fortes au point de provoquer une
scission au sein de l’ONG. Bernard Kouchner est omniprésent sur la scène publique après la
guerre du Biafra, il permet notamment la démocratisation de l’humanitaire. Médecin au
Biafra, fondateur de MSF, secrétaire d’Etat à l’action humanitaire en 1988, puis représentant
des Nations Unies au Kosovo en 1999 enfin Ministre des Affaires Etrangères, pour lui, la
fonction première de l’action humanitaire est de témoigner, de faire avancer les choses, le
soin n’étant que secondaire voire symbolique. Rony Brauman réfute cette conception. Il
préconise un humanitaire porté sur l’action. Il a un avis très arrêté sur les réalités du Biafra. Si
Kouchner défend ardemment l’existence d’un génocide au Biafra, Brauman parle « d’un
mythe reconstruit à postériori »27
. Selon lui, le génocide n’a pas eu lieu, il n’aurait été qu’un
instrument de propagande. La question de la réalité du génocide demeure jusqu’à nos jours un
débat brulant du monde humanitaire. Dans un second temps, nous étudierons plus en détail les
théories de Rony Brauman à ce sujet. Les deux conceptions de l’humanitaire réunient
jusqu’en 1979 sous la bannière de Médecins sans frontières s’opposent jusqu’à atteindre le
point de non retour qui les oblige à se séparer. Le faire-savoir s’oppose ainsi au savoir-faire.
26
Vallaeys Anne, Médecin sans frontière, la biographie, Fayard, 2004, p.51. 27
Brauman Rony, Biafra-Cambodge : un génocide et une famine fabriqués, octobre 2004.
20
Kouchner fonde alors Médecins du Monde tandis que Brauman s’attèle à la deuxième
fondation de MSF qui doit reprendre les principes de sa conception de l’action humanitaire.
Le mythe du héros accompagne l’image de l’humanitaire qu’entretient l’opinion
publique. La légende des French doctors qui apparaît au début des années 70 pour qualifier
les médecins français de la Croix Rouge envoyés au Biafra ramène à la conception d’un
héroïsme moderne porté désormais par la société civile qui prend part aux actions
humanitaires. Après le Biafra, les dons sont plus nombreux. A l’époque où tout n’est que
politique, Denis Maillard avance l’idée que l’humanitaire apparaît comme quelque chose de
reposant : « peu importe si la victime est de droite ou de gauche, seule sa douleur est
insupportable »28
. Le mythe édifié après le Biafra s’instaure donc autour des humanitaires qui
prennent la position de héros après la guerre, au sein de l’opinion publique, Kouchner
symbolise ce mythe, Denis Maillard allant jusqu’à parler d’un « moment Kouchner ». Il faut
également prendre en compte le mythe relatif à une France humanitaire. Alors que le pays
vient de perdre deux guerres coloniales, la France entend retrouver un rayonnement
international via l’action des ONG françaises. Dans un second temps, la guerre du Biafra
permet de récréer un esprit collectif. A l’heure de l’individualisme et de la société de
consommation, l’élan de solidarité qui débute au Biafra marque le commencement de prise en
considération des réalités d’ailleurs et mène à la perception croissante que les pays du Nord
doivent aider ceux du Sud.
C) Stratégie victimaire, apport des médias et passion démocratique.
Il s’agit ici de revenir sur les théories avancées par Rony Brauman, reprises par de
nombreux membres de la communauté humanitaire. Fait remarquable pour l’époque, le
gouvernement biafrais fait appel aux services d’une société de relations publiques : l’agence
Markpress basée à Genève. Cette agence est directement financée par les services spéciaux
français car la France entend défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Rony
Brauman s’appuie sur les confidences de Paddie Davies pour alimenter sa théorie. Ce dernier
était le responsable biafrais de la propagande. Il explique que le but de l’agence était
d’affaiblir l’ennemi à l’extérieur et d’entretenir la motivation à l’intérieur. Il affirme
également que trois étapes successives de communication devaient alimenter la propagande, il
28
Maillard Denis, 1968-2008 : le biafra ou le sens de l’humanitaire, Humanitaire n°18, 2008.
21
s’agit : du jihad, du génocide et de la famine. Brauman ne réfute pas les réalités de la guerre
du Biafra, pourtant il clame que certaines données sur l’état des biafrais étaient biaisées :
ainsi, le gouvernement nigérian n’a pas procédé à un génocide. D’ailleurs, le terme fait son
apparition à partir du moment où la médiatisation du conflit s’accélère. Les biafrais se disent
victimes d’un génocide. Les Ibos chrétiens accusent les musulmans nigérians d’avoir causé la
mort de millions de biafrais, au nom de la religion. Or de nombreux soldats de l’armée
fédérale étaient chrétiens, le général Gowon l’étant également lui-même. Le génocide apparaît
comme une arme de propagande : il a un impact médiatique très puissant. Les recherches
menées démontrent les affirmations de Brauman : la famine a été utilisée comme une arme de
guerre par le gouvernement nigérian via le blocus, le génocide, quant à lui, a été mis en scène
par le gouvernement biafrais pour mobiliser l’opinion internationale. Markpress organisait des
voyages de presse sur le terrain et publiait en moyenne deux communiqués par jour dont
notamment ce dernier qui choqua les consciences européennes « Pour beaucoup d’entre eux,
une terrible solution finale, la mort par la faim, s’approche ». Au départ le gouvernement
biafrais s’était lancé dans une guerre somme toute classique. Cependant sentant la défaite
approchée, il s’était octroyé les services de cette agence de relations publiques afin de mettre
en œuvre une sorte de propagande par le génocide qui aurait mobilisé la communauté
internationale.
Au mois de juillet 1968, les images de la famine arrivent en France soulevant une
vague d’émotion et de générosité sans précédent. Au même moment, on parle de trois mille
enfants morts de faim par jour. Ces images d’enfants choquent particulièrement l’opinion
occidentale. Elles apparaissent comme insupportables. La guerre du Biafra fait naître en
Europe une vague tiers-mondiste, la société exprime dès lors sa compassion pour l’Afrique et
ne cesse à partir de ce conflit d’alimenter économiquement les organisations humanitaires. La
Croix Rouge récolte près de 13 millions de francs de dons. Paddie Davies relate que sur le
terrain des équipes de journalistes du monde entier étaient prises en charge et encadrées par
l’agence qui leur donne à voir l’auto-organisation des biafrais, la résistance des combattants
mais surtout l’agonie des civils. Les autorités allèrent jusqu’à créer des « parcs » d’affamés,
où des centaines de personnes attendent l’arrivée des caméras. Le Nigéria ne déserta pas sur le
terrain de la communication. Il organisa de son côté des visites internationales de zones de
combat et de territoires reconquis où il montrait que les Ibos vivant sous sa juridiction étaient
traités comme les autres nigérians.
22
L’apport des médias permet de mettre des images sur les réalités des pays éloignés. La
représentation des victimes matérialise le discours des humanitaires. La guerre du Biafra
marque le début du recours systématique à l’image, et à la presse. L’appel au don, qui reçut
un écho retentissant en France, ne cesse désormais d’être utilisé. Si le recours aux riches
donateurs demeure systématique, l’apport que peut désormais constituer la société civile
apparaît comme une donnée non négligeable pour les organisations humanitaires.
La guerre du Biafra marque donc le début de nombreuses évolutions dans le secteur
humanitaire. Le monopole de la Comité international de la Croix Rouge notamment
s’amenuise au profit de nouveaux acteurs qui font leur apparition.
2. Une situation internationale propice au développement de l’humanitaire
d’urgence.
Il est question de voir ici les cas généraux d’intervention de l’humanitaire d’urgence.
D’origine différente, ils ont pour points communs, l’extrême rapidité du déploiement de l’aide
afin de répondre aux nécessités des populations civiles qui traversent une période de crise.
A) L’émergence du Tiers Monde.
L’invention du terme revient au démographe français Alfred Sauvy. Il désigne ainsi
dans un article publié le 14 août 1952 : « l’ensemble de ceux que l’on appelle, en style
Nations Unies, les pays sous développés »29
. Sauvy oppose ce tiers monde aux deux premiers,
le bloc de l’est et celui de l’ouest qui s’oppose alors durant la Guerre Froide : « ce tiers
monde, ignoré, exploité, méprisé comme le tiers Etat veut lui aussi être quelque chose »30
.
L’émergence du tiers monde s’effectue en corolaire du mouvement de décolonisation qui voit
apparaître des dizaines de nouveaux Etats en Asie, au Proche et Moyen Orient, dans le
Pacifique, en Afrique. Ces pays décolonisés à partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale
et jusque dans les années 70 doivent alors se reconstruire, voire se construire pour certains. Le
tiers monde est marqué par des retards économiques vis-à-vis des pays occidentaux. Dans les
années 70 les pays émergents tentent de combler ce retard, ils veulent désormais jouer un rôle
29
Cordelier Serge, Le dictionnaire historique et géopolitique du XXe siècle, la Découverte, Paris, 2000, p.672. 30
Ibid 1
23
considérable dans les échanges mondiaux afin de permettre leur développement intérieur.
Ainsi dans l’ensemble des exportations mondiales, la part des pays en voie de développement
est passée de 16 à 20% entre 1973 et 1981, tandis que leur part des importations mondiales a
culminé à 28.7% en 1983 contre 19% en 1973. La succession du second choc pétrolier, de la
crise de l’endettement puis du contre-choc pétrolier a partiellement annulé ces avancées et la
décennie 80 s’est avérée bien plus difficile à traverser que la précédente. Le tiers monde a
alors dû faire face à la crise de l’endettement. Les raisons de cet endettement sont multiples et
varient en fonction de la localité des pays et des besoins. Qu’il s’agisse de régler le montant
des importations d’armes, pour financer une facture pétrolière de 67.5 milliards, ou pour
alimenter des potentats locaux : 300 millions de dollars entre 1974 et 1985 auraient été versés
par les grandes banques privées internationales. Le poids de la dette devient alors un fardeau
insupportable pour les pays en développement. Pour rembourser les gouvernements locaux
procèdent à des politiques d’austérité dont les premières victimes sont les populations. Face à
ces restrictions les crises humanitaires s’accentuent : famine, épidémie, non accès à l’eau
potable, l’action humanitaire doit alors se déployer.
Le tiers monde connaît également tout au long de la seconde moitié du XXe siècle une
explosion démographique qui lui demande de répondre de manière plus considérable aux
besoins des populations. Au début des années 70 on parle alors de « Bombe-D »31
ou de
« désastre humain pour le XXIe siècle »32
pour caractériser le futur démographique des pays
du tiers monde. En Afrique subsaharienne les démographes parlent « d’explosion
démographique »33
avec un accroissement naturel de 26 pour 1000, les femmes ayant alors en
moyenne 6 à 8 enfants. Ainsi les autorités locales n’arrivent pas à satisfaire les besoins de
populations grandissantes. Avec une économie au ralenti, voire en faillite, l’enlisement des
sociétés civiles dans la pauvreté s’avère inévitable : ainsi on considère que 50% de la
population se partage 10% des ressources au sein des pays africains. Ces réalités du tiers
monde sont le terreau des crises humanitaires et des interventions d’urgence. Face aux
nécessités croissantes des populations en souffrance, l’humanitaire doit adapter sa politique
d’intervention afin de déployer de plus en plus rapidement l’action de solidarité. Une certaine
forme de dépendance, particulièrement en Afrique s’amorce vis-à-vis des pays occidentaux au
travers des actions des organisations non gouvernementales et des organisations
internationales. Cette dimension a fait l’objet d’un vif débat dans les années 90, certains
31
Attal Léon Armand, Bibas Jean Claude, L’histoire du XXe siècle en fiches, ellipses, Paris, 2002, p.616. 32
Ibid 3 33
Ibid 3
24
estimant que ces actions de solidarité pouvaient être assimilées à une forme de colonialisme
moderne. Les observateurs occidentaux ont dressé le portrait de 50 ans de « mal être » des
populations des pays sous développés : sous-alimentation, malnutrition, pénurie, non accès
aux soins, à l’éducation. De fait, dans certains pays en développement les effets combinés de
l’explosion démographique, du marasme économique, du discrédit des valeurs au nom
desquelles a été fondé le régime politique, ouvrent la voie à des formes variées de rupture.
Violences sociales et politiques, guerres civiles sont les produits de cette histoire et les causes
de l’intervention l’humanitaire d’urgence.
B) La multiplication des zones de conflits.
La chute du bloc soviétique marque un tournant pour l’équilibre mondial.
L’international se dirige alors vers une restructuration qui doit le mener jusqu’à l’édification
d’un ordre nouveau. La fin de la bipolarisation des échanges et des dominations amène vers
un processus qui doit conduire à la souveraineté des Etats. Pourtant ce processus est long et la
fin du siècle est marquée par la prolifération des conflits armés à l’intérieur des Etats. Si
durant la dernière décennie du XXe siècle on dénombre trois conflits interétatiques34
, ceux de
nature intra-étatique sont bien plus nombreux. Ayant valeur d’exemples nous pouvons citer,
en Europe, l’éclatement de l’Ex-Yougoslavie. En Asie, les rebellions tamoules au Sri-Lanka,
sikhs et cachemiris en Inde, moro aux Philippines, timoraise en Indonésie. En Afrique, les
guerres civiles et affrontements ethniques en Algérie, Angola, Guinée-Bissau, Sierra-Leone,
Libéria, Congo-Brazzaville, Congo ex-Zaïre, Rwanda, Burundi, Somalie. Durant ces conflits,
les premières victimes sont principalement les civils, plus de 90% des morts. L’humanitaire
d’urgence se doit alors de réagir et d’intervenir afin de porter assistance à une population qui
nécessite l’apport de secours en soin et alimentation pour survivre. En 1994, les Nations
Unies ont recensé entre cette date et 1989, 82 nouveaux conflits dont 79 étaient internes. Ces
conflits se localisent essentiellement dans les zones où la pauvreté est déjà endémique et la
précarité permanente, particulièrement en matière médicale. De fait, l’intervention des acteurs
de l’humanitaire apparaît comme prépondérante pour la gestion de la population civile. Ces
situations vont permettre leur développement, les rendant au fil des interventions quasi
indispensables. Le constat établit en 1998 par la Banque Mondiale permet d’appréhender les
réalités de cette multiplication des zones de conflits. Ainsi sur les 20 pays les plus pauvres, 15
34
Il s’agit de la guerre du Golfe, des confrontations Ethiopie/Erythrée, et Equateur/Pérou.
25
ont connu un conflit majeur au cours des 15 dernières années, près de la moitié des pays à
faible revenu ont été touchée par un conflit depuis le début des années 80. De 1988 à 1998, la
poussée des conflits a compromis, selon le rapport de la Banque Mondiale, les perspectives de
développement d’une cinquantaine de pays. Pour mesurer l’ampleur des interventions
humanitaires, il faut envisager les conséquences de ces conflits. Cette période est marquée par
plus de 4 millions de morts, des dizaines de millions de blessés et mutilés, autant de réfugiés
et de personnes déplacées, et des dizaines de milliards de francs de destructions. La situation
géopolitique à partir des années 80 a donc obligé les organisations de solidarité à se
développer afin de répondre de manière efficace aux besoins causés par cette recrudescence
de conflits armés. Plus nombreuses, plus violentes, plus meurtrières, les catastrophes
naturelles, demandent elles aussi, l’intervention de l’action humanitaire d’urgence.
C) Les catastrophes naturelles : l’édification d’un humanitaire de première urgence.
Evolution du nombre de catastrophes naturelles entre 1900 et 200835
Ce graphique permet de comprendre à lui seul, les enjeux inhérents à la gestion des
conséquences des catastrophes naturelles. Le site d’information français sur la prévention des
35
Etude de l’université catholique de Louvain, Brussels, Belgique, 09/2009
26
catastrophes naturelles les définit en ces termes : « Une catastrophe naturelle est classifiée
comme "grande" lorsque la région dans laquelle elle se produit n'est de toute évidence pas en
mesure de faire face à la situation et que l'assistance inter-régionale ou internationale s'avère
indispensable. C'est généralement le cas lorsque des milliers de personnes sont tuées, des
centaines de milliers privées de foyer, ou lorsqu'un pays est victime de pertes économiques
considérables, en regard de son niveau de développement »36
. En constante évolution, ces
dernières sont à l’origine de crises humanitaires de grande ampleur. En fonction de leur
intensité, les catastrophes naturelles causent des milliers voire des millions de morts. Le pays
traverse alors une période de déstabilisation, de désorganisation qui l’oblige à faire appel à
l’aide d’urgence dans le domaine sanitaire et dans celui de l’approvisionnement alimentaire.
Quelque soit leur type, la typologie des catastrophes naturelles démontrent de l’étendue des
dégâts qu’elles engendrent : le tsunami du Bangladesh qui détruit le port de Chittagong,
second plus important du pays, en 1970, fait 400 000 victimes. En 1976, un séisme d’une
magnitude de 7.8 sur l’échelle de Richter rase la ville Tangshan, en Chine, le nombre de
victimes est alors estimé à 250 000. Dans le début des années 83, c’est le continent sud
Américain qui est particulièrement touché par les catastrophes naturelles. En 1982, le volcan
Chichon explose, 3600 personnes disparaissent. En 1985, le même cas de figure se présente,
le Nevado del Ruiz se réveille, la ville d’Armero est faite prisonnière des coulées de boue,
24000 personnes périssent alors. Le Bangladesh est victime d’inondations en 1988, 30
millions de personnes se retrouvent sans abris. Le Yang-Tsé-Kiang déborde en 1999,
submergeant plus de 200 000 km2 de terre. Plus de 100 millions de personnes sont touchées et
5 millions de maisons inondées. Le coût de ces inondations est évalué à 160 milliards de
yuans pour les provinces concernées. Face à de tels bouleversements climatiques,
l’humanitaire d’urgence se doit de réagir. L’affirmation progressive sur la scène internationale
d’organisations non gouvernementales ayant pour vocation l’assistance aux personnes en
situation de crises permet de répondre en partie à la gestion des populations civiles.
3. Agir dans l’urgence : l’action des ONG.
Le tournant pris entre la fin des années 70 et le début des années 80 marque
l’apparition sur la scène internationale de nouveaux acteurs propres à l’humanitaire
36
Voir www.prevention2000.org
27
d’urgence. Attachés au mouvement « sans-frontiérisme » né après la guerre du Biafra sous
l’influence des french doctors, une nouvelle génération d’organisations non gouvernementales
investit la scène internationale. Elle remet en cause les normes et règles préexistantes
particulièrement en franchissant les frontières sans autorisation, en ignorant volontairement
les interdits politiques ainsi qu’en témoignant leurs expériences du tiers-monde.
A) Qu’est qu’une organisation non gouvernementale ?
François Rubio, directeur juridique de l’ONG Médecin du Monde depuis 1996, s’est
attaché à recenser les différentes ONG au sein d’un dictionnaire37
qui permet ainsi de mesurer
l’ampleur du processus de construction des organisations non gouvernementales. Dans la
définition proposée par ce dictionnaire, il est précisé que le terme apparait pour la première
fois le 26 juin 1945 au sein de l’article 71 de la Charte des Nations Unies signée à San
Francisco. La Charte des Nations unies demeure la première définition connue des
Organisations Non Gouvernementales, ainsi une ONG est : « un groupe de citoyens
volontaires, sans but lucratif et organisé à l’échelon local, national ou international. Les
organisations non gouvernementales remplissent divers types de services et de fonctions :
humanitaires, d’information aux gouvernements sur les préoccupations de leurs citoyens, de
surveillances des politiques des gouvernements et de promotion de la participation politique
au niveau communautaire. Elles fournissent des analyses et expertises, servent de mécanisme
d’arlerte avancée et aident à superviser et mettre en œuvre les accords internationaux.
Certaines sont organisées autour de questions spécifiques telles que les Droits de l’Homme,
l’environnement ou la santé ».38
Dès lors les ONG ont fait l’objet de toutes sortes de
questionnements. La définition fournie par les Nations Unies a été conçue dans un sens large
qui a donné lieu à des redéfinitions. Ainsi les juristes se sont penchés sur la question des
ONG. Plus tardivement, l’EDOSOC39
adopte la résolution 1996/31 du 25 juillet 1996 afin de
préciser sa conception d’une ONG et de démocratiser ce système international: « une
organisation qui n’a pas été constituée par une entité publique ou par voie d’un accord
intergouvernemental, même si elle accepte des membres désignés par les autorités publiques,
à condition que ceux-ci ne nuisent pas à sa liberté d’expression. Toute contribution financière
37
Rubio François, Dictionnaire pratique des organisations non gouvernementales, ellipses, Lonrai, 2004. 38
Rubio François, Dictionnaire pratique des organisations non gouvernementales, ellipses, Lonrai, 2004. P.126-127. 39 Le Conseil économique et social, appelé communément ECOSOC est l’organe principal de coordination des
activités économiques et sociales de l’ONU
28
reçue directement ou indirectement d’un gouvernement doit être déclarée à l’ONU ».40
L’expérience d’un demi-siècle de pratique des ONG démontre le contenu des préoccupations.
La relation particulière avec le politique est soumise aux contrôles. La dimension principale
d’une ONG demeure son caractère privé dans le sens où elle n’est pas crée par un
gouvernement, elle est en opposition avec les organisations intergouvernementales. Elle est
donc une initiative privée qui doit le rester même si des partenariats ne sont pas exclus. Son
indépendance doit être garante de ses interventions dans le sens où elle ne doit pas être
soumise, en principe, aux diverses pressions politiques. Cette liberté doit être reconnue dans
son fonctionnement et son organisation. Les politistes comme les sociologues se sont
également confronter à l’exercice d’une définition des ONG. En France, la définition de
Merle du début des années 1970 a longtemps prévalu, elle définissait une ONG comme « tout
regroupement, association ou mouvement constitué de façon durable par des particuliers
appartenant à divers pays en vue de la poursuite d’objectifs non lucratifs ».41
Au fil des définitions plusieurs données apparaissent indissociables de la notion
d’ONG. Premièrement il s’agit du concept d’organisations de citoyens, c'est-à-dire le
regroupement de personnes privées pour défendre un idéal ou des convictions et assurer la
réalisation d’un dessein non lucratif. Dans un second temps, le rapport aux puissances
publiques au niveau national comme au niveau local détermine le concept d’ONG. Ainsi doit
être constitué un espace autonome de la sphère des compétences : si les liens entre ONG et
Etats ne sont pas exclus, cela suppose que l’Etat n’est pas à l’origine de sa création ni que
leurs relations relèvent d’une forme d’instrumentalisation. Les ONG défendent des valeurs
communes malgré la catégorisation de leur domaine d’intervention. Il est question
principalement de la volonté d’inscrire l’action dans une dimension insérée dans un cadre
démocratique. Il faut par là comprendre que toutes missions humanitaires menées par une
organisation non gouvernementale doivent s’établir selon le modèle démocratique dominant
en Occident. Enfin le caractère transnational de son activité prédomine la définition d’une
ONG. Les actions de ces organisations doivent s’appliquer à l’international. La vocation de
ces ONG est majoritairement d’agir à l’étranger. Pensées et crées au sein d’un pays en
partenariat avec plusieurs pays, les organisations ont pour finalité des interventions d’aide
dans différents espaces du monde. Ainsi, les ONG doivent poursuivre un intérêt international.
40
Ryfman Philippe, Les ONG, La Découverte, Paris, 2009. 41
29
Ainsi leur rôle revêt une dimension visant une action d’intérêt international en dehors de
toutes préoccupations nationales.
Il existe plusieurs types d’ONG, qui chacun se charge de répondre aux besoins des
populations. La finalité reste la même puisque les ONG agissent pour le bien de l’humanité,
mais leurs champs d’actions se différencient. Ainsi il existe des ONG dites d’urgence42
,
d’autres sont vouées à la défense des Droits de l’Homme43
, certaines se chargent de
promouvoir la justice44
, ou encore l’abolition de la torture, d’autres encore, il s’agit des plus
nombreuses, œuvrent pour le développement45
. Pendant près de cinquante ans les ONG ont
mené le projet de leur institutionnalisation jusqu’à devenir le principal moteur de l’action
humanitaire. Si les ONG ne sont pas les seuls acteurs agissant dans le secteur de
l’humanitaire, comme nous pourrons le voir par la suite, ces organisations représentent dans
l’esprit collectif, au sein des opinions publiques du Nord comme du Sud les principaux
dépositaires de l’action humanitaire.
B) L’urgence : une spécificité.
La croissance que connaît l’action humanitaire dans les années 70 provient
principalement de l’aide au développement. Face aux décolonisations, l’humanitaire
s’emploie à intervenir dans des projets de reconstruction des pays colonisés via des missions
longues. Même si l’aide au développement et l’action d’urgence sont complémentaires, elles
n’ont pas le même domaine de compétences ni le même type d’intervention. La décennie
1970 est particulièrement marquée par le premier type d’humanitaire. Les missions dites
d’urgence font alors figure d’exception. Les prémices de cette forme d’assistance initiée au
Biafra ne trouvent pas alors les chemins de l’institutionnalisation qui généraliseraient ses
interventions. L’humanitaire ne mobilise aucune intervention qui viendrait en aide au pays
traversant des crises durant cette période. Ainsi, les massacres du Burundi et du Rwanda de
1972 et 1973 ne donnent lieu à aucune grande mobilisation de solidarité. Durant les conflits
les plus dévastateurs de cette époque aucun souci de secours d’urgence ne s’est manifesté.
Pourtant l’humanitaire d’urgence mobilisé au Biafra avait posé les jalons d’une forme
d’intervention qui agit en fonction du déroulement d’une crise. Cet humanitaire met une
42
Nous pouvons citer Médecins sans frontières ou Médecins du Monde 43
Nous pouvons citer Amnesty International ou Human Rights Watch. 44
Nous pouvons citer Commission internationale des juristes. 45
Nous pouvons citer Action contre la faim ou Caritas.
30
décennie à trouver sa place sur la scène internationale et à rendre son action efficace. Le
mouvement « sans frontièriste » qui est un néologisme formé à partir du nom de Médecins
sans frontières mène à une conception nouvelle qui accompagne l’humanitaire d’urgence. Il
s’agit d’intervenir, de parer aux nécessités de victimes de catastrophes naturelles ou de crises
causées par les hommes, mais il est question plus largement de témoigner de l’horreur
observée quelles que soient les contraintes ou les pressions. Les sans frontiéristes veulent
dépasser les impératifs diplomatico-stratégiques, les raisons d’Etat, ou les frontières
internationales afin que le geste de solidarité se pérennise. Les années 80 sont un tournant
pour les « ONG urgencières »46
. Face à la multiplication des foyers de conflits dans le tiers-
monde, l’aide aux victimes apparaît comme incontournable. Soigner et nourrir deviennent les
maitres mots de cette nouvelle forme d’intervention. La figure du médecin est alors
caractéristique de cette humanitaire d’urgence. Produits des années 70, Médecins Sans
Frontières et Médecins du Monde, ne prennent véritablement leur essor que durant la
décennie suivante. Leur activité s’accroît au point de devenir les deux ONG françaises les
plus actives. Le fait que les deux principales associations humanitaires françaises impliquées à
l’international soient à dominante médicale constitue une spécificité hexagonale. En situation
d’urgence l’assistance médicale et sanitaire constitue l’une des premières priorités. Ces
organisations ont montré une capacité nouvelle à collecter des fonds, un professionnalisme
qui les écarte des critiques d’amateurisme proférées à l’encontre de certaines organisations de
solidarité, et des capacités techniques qui rendent efficace leurs actions. Agir dans l’urgence
suppose d’être prêt à intervenir. Les ONG d’urgence ne peuvent prévoir le moment de leurs
interventions. Leurs capacités à réagir face à l’actualité détermine les résultats de l’aide
apportée : ainsi, le processus de décision doit être court, la logistique prête, les moyens
humains et financiers rapidement mobilisés Contrairement aux ONG d’aide au
développement qui préparent en amont des projets sur le long terme, qui définissent le début
de leur action et savent exactement à quel moment intervenir, les ONG d’urgence doivent
faire face à l’inconnu. Ces compétences leurs ont permis d’accéder à une véritable notoriété
internationale auprès des opinions publiques, des gouvernements et des agences
multilatérales. En France, la catégorisation des ONG a longtemps fait l’objet d’un réel débat
dans la communauté humanitaire apparaissant alors comme une nécessité qui permettrait de
rendre plus efficace les interventions. A l’étranger cette préoccupation n’existe pas puisque
les ONG ont les deux fonctions : aider au développement, réagir face à l’urgence. Pourtant la
46
Lechevry Christian, Ryfman Philippe, Action humanitaire et solidarité internationale : les ONG, Hatier, Paris, 1993, p. 19.
31
part des ressources et des moyens consacrés à la gestion de crise est inférieure à la part
allouée à la réalisation de projet de développement. Qu’il s’agisse de l’OXFAM en Grande-
Bretagne, de CATHOLIC RELIEF SERVICES aux Etats Unis ou ÄRZTE FÜR DIE DRITTE
WELT en Allemagne, ces organisations qui, toutes trois ont un rayonnement et une influence
prépondérantes sur la scène humanitaire internationale ne consacrent en moyenne que 30% de
leurs ressources aux crises47
. La pratique française apparait comme une spécificité qui la situe
en bonne place des ONG capables de répondre à l’urgence.
C) La question du financement.
Les ONG pour agir, intervenir, prévoir, nécessitent un apport financer relativement
conséquent. Fonds privés et fonds publics permettent de constituer le socle financier des
organisations de solidarité. Qu’ils s’agissent d’aides de l’Etat, ou plus de manière plus
conséquente d’aides apportées par les organisations internationales, la part des ressources
allouées par des instances publiques apparaît comme non négligeable. Cependant dans la
logique d’une certaine indépendance visant de toutes représentations gouvernementales, les
fonds privés constituent la principale source financière des ONG. Les fonds collectés servent
à couvrir les frais de structure, les actions entreprises ainsi que les investissements. Selon
Sophie Dupont48
on observe trois types de répartitions des fonds : les associations souhaitant
une majorité de fonds privés, celles préférant les fonds publics, enfin celles recherchant
l’équilibre de ces fonds.
Le tableau ci-dessous permet de comprendre la part respective de chacun des deux
donateurs privilégiés des organisations non gouvernementales françaises. Il met en avant la
prépondérance des donations privées sur celles publiques. Sur une évolution de 12 ans, entre
1991 et 2003, si le montant des contributions, privées comme publiques, augmentent de
manière progressive, la part des ressources attribuées par les deux parties demeure stable.
Située entre 56 et 65% pour les fonds privés, elle plafonne également entre 35 et 44% pour les
donations publiques. Pour comprendre les enjeux inhérents à la collecte des fonds, il faut
d’abord aborder la provenance de donations.
47
Ryfman Philippe, La question humanitaire, Ellipses, Paris, 1999, p. 109. 48
Sophie, Les enjeux d’Internet dans la communication des associations, http://stephanie.dupont3.free.fr/integral.
32
Ressources publiques et privées dans l’ensemble des ressources des ONG françaises de
1991 à2003 49
(En millions d’euros)
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Ressources
Privées
227 250 246 275 284 289 280 333 407 419 440 423 412
65% 65% 59% 56% 58% 56% 56% 60% 61% 59% 62% 63% 63%
Ressources
Publiques
120 137 174 212 209 228 224 226 258 287 273 246 240
35% 35% 41% 44% 42% 44% 44% 40% 39% 41% 38% 37% 37%
Ressources
Totales
347
387
420
487
493
517
504
559
665
706
713
669
652
Les Etats et les organisations internationales ne donnent pas aux organisations non
gouvernementales de manière uniforme : selon la taille de l’association, du rapport à l’Etat, de
l’action de l’organisation, de son domaine d’intervention, les fonds publics attribués varient
considérablement. Philippe Ryfman nous propose de passer en revue pour la décennie 1990
les donations publiques reçues par les ONG d’urgence. Il précise que la part perçue par ces
dernières est bien moindre que celle attribuée par les ONG dont le champ d’intervention est le
développement. En 1993-1994 alors que les crises humanitaires augmentent et ravagent un
peu plus les populations du tiers monde : au Rwanda, en Somalie, l’aide d’urgence des pays
membres du CAD, le Comité d’Aide au développement de l’OCDE50
, ne représente que 8%
de l’aide publique au développement, elle augmente pour atteindre 10% en 1997. Les
organisations internationales telles que l’Union Européenne ou les Nations Unies alimentent
financièrement plus largement les ONG que les Etats et collectivités locales. Plus de 75% des
donations publiques perçues par les ONG proviennent de l’aide internationale. En 2005, cela
représente 152.26 millions d’euros. Etats et organisations internationales soutiennent les
projets humanitaires mais la part publique n’est pas prédominante au regard des financements
privés.
La médiatisation croissante des crises humanitaires a mené à l’augmentation des fonds
privés. Nous l’avons vu au Biafra où la couverture médiatique avait permis de récolter
49 Source : Enquête intitulée Argent et organisations de solidarité internationale - 2002-2003, publiée en
septembre 2005 par la Commission coopération développement. 50 L’Organisation de coopération et de développement économiques: est une organisation internationale
d’études économiques, dont les pays membres - des pays développés pour la plupart - ont en commun un
système de gouvernement démocratique et une économie de marché.
33
d’importantes ressources financières, les progrès techniques de la télévision qui
accompagnent la seconde moitié du XXe siècle tout comme la récurrence de la presse écrite à
décrire les événements du Tiers monde ont contribué à développer la générosité des
populations civiles des pays du Nord. Dans le cas de l’humanitaire d’urgence, Antoine
Vaccaro précise qu’ « en l’absence d’un traitement médiatique forte de l’événement, la bulle
de générosité n’enfle pas »51
. Il explique également que le montant des dons privés par les
ONG dépend particulièrement de la compassion éprouvée par les particuliers pour la cause
défendue des organisations de solidarité, c’est ce que Vaccaro appelle la « solvabilité »52
de
l’ONG, et de la confiance qui leur ait accordé. En 1996 cette confiance est mise à mal à cause
de l’affaire Crozemarie, connue également sous le nom de l’affaire de l’ARC (Association
pour la Recherche contre le Cancer). Cet événement est considéré comme une rupture dans la
relation établie entre les organisations de solidarité et les donateurs. L’affaire révèle que Mr.
Crozemarie a détourné une partie des fonds dont bénéficiait son association pour financer ses
besoins personnels. Ainsi seules 28% des sommes collectées, étaient destinées à la recherche
contre le cancer. Jacques Crozemarie est reconnu coupable d'abus de confiance et d'abus de
biens sociaux. Cette affaire ébranle le milieu associatif, les dons sont moins nombreux et
moins conséquents, les donateurs plus méfiants.
Les dons en argent constituent la majeure partie des recettes des ONG. En 2002, la
population française compte 46% de donateurs réguliers quelle que soit la forme du don, soit
près de 21 millions de personnes âgées de 15 ans et plus. Le montant total des dons
approcherait les 1,9 milliards d’euros53
. Sophie Dupont se propose de réaliser une typologie
des donateurs. Ainsi, ils y auraient « les épargnés »54
de 40 à 60 ans, aisés socialement et
économiquement qui se sentent privilégiés et épargnés. Leurs dons sont motivés par le souci
de modifier l’équilibre entre les riches et les pauvres perçu comme instable. Il existe
également « les généreux »55
. Il s’agit majoritairement de seniors dont la catégorie
socioprofessionnelle est élevée, qui conçoivent leur don comme une forme de générosité et de
responsabilité qui provient de leur statut social. Le montant de leurs dons est généralement
élevé. Enfin, Sophie Dupont catégorise « les militants »56
qui sont des jeunes actifs qualifiés
51
Vaccaro Antoine, Le financement des ONG humanitaires, Revue française de Finances Publiques, n°52/1995. 52
Ibid . p.24 53
Dupont Sophie, Les enjeux d’Internet dans la communication des associations, http://stephanie.dupont3.free.fr/integral.pdf 54
Ibid. p. 20. 55
Ibid. p.21. 56
Ibid p. 20.
34
aux convictions politiques progressistes. Leurs dons sont souvent réguliers. Ils privilégient les
organisations qui sont des « contre pouvoir » vis-à-vis des institutions ou de l’Etat. Quelles
que soient les raisons qui poussent à donner, le financement s’avère primordial pour la
réalisation des projets. Le financement de l’action d’urgence diffère des organisations qui
effectuent des projets sur le long terme. C’est la faculté à mobiliser la générosité qui
détermine l’acheminement des moyens sur les zones de crises.
Nous venons de le voir le financement peut provenir des instances publiques. L’humanitaire
entretient des relations particulières avec le politique dont il s’avère nécessaire de décrire la
teneur.
4. L’humanitaire d’urgence et le politique.
L’humanitaire entretient différents types de relations avec le politique. Il conserve
avec les instances publiques à la fois des rapports de force, des luttes d’influence mais
également certaines formes de coopération et de partenariat. Les Etats redeviennent
progressivement, après les années 1970, des acteurs de l’aide d’urgence dont il est nécessaire
d’analyser le rôle. Parallèlement l’implication des ONG dans la vie internationale s’amplifie,
modifiant ainsi les relations qu’elles entretenaient avec les instances publiques. Pour
comprendre les enjeux inhérents aux relations réciproques entre humanitaire et politique, il
faut d’abord s’accorder sur le fait que l’humanitaire n’est pas complètement dépolitiser.
Même si, de part et autre, des signes d’opposition entre les ONG et les gouvernements ou les
organisations internationales s’accumulent, l’humanitaire poursuit un processus
d’encadrement, de normalisation et de technocratisation largement initié par les instances
publiques.
A) Acteurs non gouvernementaux et instances publiques : un rapport complexe.
L’exemple de « l’île de lumière »57
traduit une offensive humanitaire visant à dénoncer
les dérives d’un gouvernement. L’action des humanitaires à ce moment s’inscrit dans une
volonté d’accuser plus que de secourir. Sortant des bornes de leurs actions, les humanitaires
avaient alors jugé nécessaire de mettre en lumière le mauvais traitement infligé à des
57
Nom du bateau du mouvement un bateau pour le Vietnam.
35
centaines de milliers de Vietnamiens par le gouvernement communiste. En Avril 1979,
Bernard Kouchner fait parti du mouvement « un bateau pour le Vietnam », qui doit venir en
aide aux Vietnamiens qui fuient leur pays dans des conditions déplorables. Ils embarquaient à
bord de bateaux vétustes et rouillés. Beaucoup d’entre eux se noyaient en mer car les bateaux
coulaient sous le poids du trop grand nombre de personnes à bord. Fuyant un gouvernement
totalitaire, ces Vietnamiens, rebaptisés pour l’occasion boat people, ne trouvaient que peu de
terres d’accueil. Cette initiative s’avère être plus symbolique et médiatique, qu’efficace. En
effet, face au très grand nombre de victimes, qui se comptent en centaines de milliers, les trois
bateaux transformés en hôpitaux ne peuvent avoir de réelles répercutions sur l’amélioration
des conditions de ces Vietnamiens. Il s’agit plus d’une action de dénonciation largement
médiatisée qui vise à révéler, en plein conflit de la guerre froide, les réalités du gouvernement
communiste. Dans ce cas précis l’humanitaire s’oppose au politique. Il s’inscrit alors dans une
logique de dénonciation largement fondée sur une dimension idéologique qui cherche à mettre
à mal le camp soviétique. Progressivement les organisations humanitaires acquièrent un statut
qui leur permet de faire entendre leur voix et de mobiliser l’opinion avec plus de force
qu’auparavant. Pourtant les organisations humanitaires se doivent de suivre deux principes
fondateurs qui sont l’impartialité et la neutralité. Ainsi, il s’agit « du principe au nom duquel
les humanitaires distribuent des biens et des services, des secours en général, en fonction des
besoins provoqués par une situation de crise, et non en fonction de la sympathie qu’ils
peuvent éprouver pour les victimes, ou pour des affiliations politiques »58
. Dès lors après
l’expérience de « l’ile de lumière », ce principe va prévaloir sur les idéaux politiques, sans
que ne cessent dans certains cas, des protestations, des appels, des critiques qui doivent
permettre d’étendre l’espace d’action humanitaire ou le défendre lorsqu’il est en danger. Les
acteurs de l’humanitaire doivent savoir équilibrer leurs relations avec les Etats qui vivent une
situation de crise, les différents gouvernements qui cherchent à défendre leurs potentiels
intérêts ainsi que les organisations internationales. Ils choisissent pour cela généralement
d’adopter une position qui les place soit dans la continuité d’une coopération avec les Etats
soit dans une rupture avec ceux-ci, préférant les ignorer. Lors d’une période de crise la
volonté d’inscrire l’action de l’ONG dans une relation unilatérale avec les partenaires locaux
afin d’être au plus près des populations amène à contourner les politiques et prérogatives du
gouvernement du pays sur lequel se déroule l’intervention humanitaire. Les gouvernements
peuvent décider de filtrer les intervenants afin de contrôler les flux et de limiter les incursions
58 Ryfman Philippe, Les ONG, la Découverte, Paris, 2004.
36
dans le pays. Ces situations n’ont généralement toujours été qu’à l’initiative des régimes
autoritaires.
Pour agir efficacement les acteurs non gouvernementaux de l’humanitaire, dans
certaines situations, doivent se soumettre à la tutelle d’une organisation internationale. Ainsi,
après une catastrophe naturelle, le premier coordinateur de l’aide devrait être l’Etat victime de
cette catastrophe, pourtant dans cette situation de désordre, il arrive, dans de nombreux cas,
que l’aide doive venir de l’extérieure. Les ONG dans ce cas précis accepte la tutelle, ou en
tout cas, un pouvoir d’orientation des Nations Unies, qui se pose comme un intermédiaire
relativement neutre entre les différents intervenants. Lors d’un conflit armé, les relations
s’avèrent de différentes natures. Dans de nombreuses zones de conflits, les organisations sont
perçues comme le « bras de l’occident »59
, s’astreindre à la subordination de ces organisations
limiterait les capacités d’intervention des ONG. En effet, les populations expriment une
méfiance vis-à-vis des Nations Unies, qui se répercute sur les acteurs humanitaires en cas de
coopération des deux parties. Les relations entre les ONG et les OI (organisations
internationales) sont légiférées et s’inscrivent dans un cadre précis. Les ONG acquièrent un
« statut » qui traduit un lien avec diverses OI. A l’origine celui-ci avait pour objectif
d’enfermer dans un cadre strict leurs rapports mutuels. Il évolue au fil de la croissance
exponentielle des ONG vers une reconnaissance voire une consécration de leur rôle mutuel.
Les ONG ont donc un « statut consultatif » sur les projets et actions des OI. Au début des
années 1990, on dénombre plus de 3000 bénéficiaires60
de ce statut consultatif qui confère les
qualités d’experts techniques, de conseillers, ou de consultants. Il s’agit d’une façon pour le
système onusien de reconnaitre le caractère incontournable des acteurs de l’humanitaire en
situation d’urgence. Le conseil de l’Europe depuis la résolution 93/38 tend à mettre en place
les mêmes dispositions que l’ONU, et octroi le même statut aux ONG. Cette coopération qui
s’accentue depuis le depuis des années 1990, n’a pas toujours été du gout du milieu associatif.
En effet, jusqu’alors l’immense majorité des ONG d’urgence françaises refusaient de lier tous
les liens avec les OI. Les nécessités d’améliorer les interventions, les ont forcées à modifier
leur position.
Les politiques prennent progressivement conscience de l’apport que peuvent constituer
les ONG. Les connaissances des humanitaires sur toutes les questions relatives aux pays du
Sud intéressent fortement les Occidentaux. Dès lors, une présence régulière d’ONG
59
Ibid.p.36 60
Ibid.p.42
37
humanitaires lors de grandes conférences traitant de sujets transnationaux s’institue. On les
retrouve au Sommet de la Terre à Rio en 1992 comme au Sommet mondial sur les populations
au Caire en 1994. Les forums d’ONG accompagnent les débats des Etats. Cependant, leurs
intérêts sont souvent en conflit et le dialogue si fragile, tend à se rompre constamment. Les
humanitaires pour avoir une assise plus importante lors de ces débats, pour faire entendre leur
voix, pour que leurs idées ne soient pas noyées parmi les débats des Etats, organisent des
« contre sommets » en marge des conférences officielles. Ces derniers doivent attirer les
médias dans le but d’affirmer les positions des ONG. Les relations entre les OI et les ONG
sont à la fois antagonistes et coopératives. Pour un grand nombre d’ONG, les OI sont
devenues des partenaires de terrains privilégiés. Parallèlement pour les OI, les ONG
constituent des associés comme opérateurs de projets ou relais auprès des opinions publiques
et sociétés civiles. Pour autant, certaines ONG de grande envergure accèdent à des moyens
considérables qui leur permettent de mener seules des opérations sans la coordination des OI.
De fait, elles apparaissant comme moins sensibles à l’influence du politique que les OI qui
subissent directement la tutelle des Etats. Ces derniers d’ailleurs deviennent, avec les
bouleversements de l’humanitaire moderne, de véritables acteurs de ce secteur.
B) L’humanitaire d’Etat.
Philippe Ryfman61
s’est particulièrement appliqué à décrire et analyser les aspects de
l’humanitaire d’Etat. S’il n’apparaît véritablement qu’au milieu des années 1990, Philippe
Ryfman rappelle qu’il s’agit d’un acteur ancien de la solidarité qui réintègre le circuit de
l’assistance. Appelé durant le XIXe siècle « intervention humaniste», cet humanitaire étatique
s’applique dans des cas de catastrophes naturelles ou de conflits, en somme dans des
situations d’urgence uniquement. Ainsi au XIXe siècle, dans la sphère européenne, il était
d’usage que lorsqu’une catastrophe naturelle survenait, les pays voisins, voire parfois plus
lointains, portaient assistance au pays subissant les troubles. Lors de conflits, la démarche
était similaire mais les moyens différents. En effet, l’intervention prenait alors une dimension
militaire. L’ambivalence de cette forme d’assistance est flagrante. Sous couverte d’humanité,
il est nécessaire de se demander si l’intervention n’est pas au final une immixtion. D’ailleurs,
61 Ryfman Philippe, La question humanitaire : histoire, problématiques, acteurs et enjeux de l'aide humanitaire
internationale, Ellipses, Paris, 1999.
38
elle est remise en cause au XXe siècle, et disparait. Le XXe siècle lui reproche d’être en
réalité une forme de colonialisme dans le sens où l’humanitaire est avancé comme un alibi.
L’équilibre international qui nait après la Seconde Guerre Mondiale et qui repose sur le
processus de décolonisation amène également son lot de contestations à l’encontre de
l’humanitaire étatique. Ces nouveaux états le perçoivent comme une incursion dans leurs
affaires intérieures et le rejettent « tout de go ». Les activités militaro-humanitaires des Etats
cessent un temps, avant de refaire leur apparition dans les années 90 sous l’impulsion de la
France, Bernard Kouchner en tête. Il prétend « qu’il ne saurait d’abord y avoir
intellectuellement de cloison étanche entre action politique et activité humanitaire, la seconde
étant en quelque sorte une catégorie de la première »62
. L’initiative de Kouchner est
particulièrement décisive pour le rétablissement d’une forme d’humanitaire d’Etat, dont
Ryfman rapporte les propos. Ainsi, les moyens des puissances publiques sont « sans
commune mesure avec la puissance privée, notamment en cas de conflit », avant d’ajouter que
selon lui, l’Etat doit s’imposer comme l’acteur principal de l’action humanitaire aux dépens
des ONG qui ne sont pas « en mesure de déployer de tels moyens opérationnels »63
. La
sensibilité croissante de l’opinion publique pour l’humanitaire joua certainement un rôle dans
la volonté de l’Etat d’arborer un blason humanitaire.
De fait, des acteurs marquants de l’humanitaire intègrent le gouvernement afin d’y
occuper des responsabilités en lien avec ce secteur. C’est le cas particulièrement de Xavier
Emmanuelli, fondateur et ex-président de MSF, et de Bernard Kouchner, fondateur de MSF et
de MDM. Le premier fût Secrétaire d’Etat à l’Action Humanitaire d’Urgence de 1995 à 1997.
Quant au second il épouse une carrière politique sans précédent pour un humanitaire. Il fit
partie de presque tous les gouvernements socialistes de 1988 à 2001 : secrétaire d'État chargé
de l'Action humanitaire dans le deuxième gouvernement Rocard, secrétaire d'État auprès du
ministre d'État, chargé de l'Action humanitaire dans le gouvernement Cresson, ministre de la
Santé et de l’Action humanitaire dans le gouvernement Pierre Bérégovoy, secrétaire d'État
puis ministre délégué chargé de la Santé dans le gouvernement Jospin. Il devient Ministre des
Affaires Etrangères et Européennes de 2007 à 2010 dans le gouvernement de droite de
François Fillion sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce qui lui vaut d’être exclu du parti
socialiste. La France comme nous venons de le voir se dotent de personnalités marquantes de
62
Ibid p.54. 63
Ibid p.54
39
l’humanitaire moderne mais également de structures administratives destinées à l’assistance
d’urgence :
Le service de l’Action Humanitaire qui relève du Ministère des Affaires Etrangères
qui doit gérer les interventions sur le terrain telles que l’expertise, la mise en place de
structures de soins d’urgence, et l’évacuation des blessés.
La Cellule d’Urgence qui est le cœur du dispositif de l’aide d’urgence française
depuis sa création en 1985. Elle a pour fonction l’organisation des opérations, le
rassemblement des moyens logistiques ainsi que l’acheminement de l’aide alimentaire.
Les postes diplomatiques : certaines ambassades sont pourvues d’« attachés
humanitaires » qui ont pour fonction de mettre en œuvre les actions d’urgence. Ils sont
en quelque sorte les agents exécutants des décisions prises par les instances en
métropole.
Sous-direction des conflits armés chargée des questions relatives au droit
international humanitaire.
Le Bureau des Opérations Civilo-Militaires dont la fonction consiste à s’assurer du
développement des actions civilo-militaires qui s’intègrent dans le champ de
l’humanitaire militaire.
L’Etat intervient dans l’humanitaire et tend à s’installer dans le secteur comme un acteur
de poids. Au contraire des ONG, il ne prône pas l’action de solidarité d’urgence comme sa
carte de visite, son essence, sa raison d’être, il est un acteur occasionnel qui révèle en situation
de précarité particulière. Fort influencé par le politique, il est certainement l’agent le plus
ambigu du domaine de l’humanitaire.
Nous venons de le voir, l’humanitaire moderne se fonde sur des acteurs, sur des espaces
privilégiés d’intervention, sur des cas précis où la nécessité s’avère telle que le déploiement
de l’aide est inévitable. Il s’agit désormais de voir les applications précises face à des crises
humanitaires, de l’aide d’urgence. Autour de la famine en Ethiopie de 1984, du génocide au
Rwanda en 1994 et de la guerre du Kosovo en 1999, nous aborderons les diverses dimensions
de l’humanitaire, son évolution au fil des années et des crises. Nous nous demanderons si
l’expérience des crises a rendu l’aide d’urgence plus efficace ? Et comment réagit
l’humanitaire face aux catastrophes humaines, aux crimes contre l’humanité, face aux
guerres ?
40
CHAPITRE 2 : L’expérience des crises au profit de la
construction d’une action humanitaire efficace
L’exemple de l’action humanitaire menée respectivement en Ethiopie, au Rwanda, et
au Kosovo permet de comprendre l’évolution de l’intervention d’urgence. De l’Ethiopie au
Kosovo, l’action progresse dans le sens où son organisation, sa coordination, sa mobilisation
se structurent. L’humanitaire semble apprendre de ses erreurs. Pourtant, les cas présentés dans
ce chapitre amènent à relativiser la portée universaliste de l’action humanitaire. Mal organisé,
mal coordonné, influencé par le politique, l’humanitaire démontre au fil des crises qu’il a
encore des progrès à faire, pour rendre son intervention performante. De l’Ethiopie où il a
servi les aspirations quasi meurtrières du régime local, en passant par le Rwanda où il n’a pas
su insuffler un mouvement plus large qui aurait amené la fin du génocide, jusqu’au Kosovo
où il se retrouve dirigé par une organisation militaire, l’humanitaire prouve que son action
doit servir de son expérience pour progresser.
1. L’Ethiopie : une famine politique alimentée par les acteurs de
l’humanitaire
En 1984 apparaissent sur les écrans de télévisions occidentaux les images de l’Ethiopie,
symbole d’une Afrique en crise vouée par une sorte de fatalité climatique, à une catastrophe
perpétuelle. Si la sécheresse est avancée comme la cause de la famine qui ravage le pays au
cours des années 1984-1985, l’explication de la mort d’un million de personnes est plus
complexe. En effet, le gouvernement éthiopien a joué un rôle considérable dans la constitution
d’une situation qui affame un peu plus, jour après jour, les éthiopiens. L’intervention de
l’humanitaire d’urgence, d’une ampleur sans précédent tant dans la mobilisation que dans le
soutien financier, nourrit en réalité les aspirations du régime. Calqué sur le modèle soviétique,
le gouvernement, par ses politiques transferts de population et de collectivisation à lui-même
crée un espace où la famine est dévastatrice. L’humanitaire saura tirer des leçons des
enseignements éthiopiens.
41
A) Genèse d’une famine prévisible
La famine qui sévit en Ethiopie est le résultat de divers facteurs aux conséquences
mortelles. Les zones de conflits en Erythrée, au Tigré et dans le nord du Wollo qui
revendiquaient leur indépendance, des régions particulièrement sensibles aux aléas
climatiques, des politiques qualifiées de « criminelles » mises en place par le gouvernement
ont eu raison de la production éthiopienne et causé la disette de la population. Depuis la fin
des années 60, la destruction des récoltes et du bétail, le pillage des villages et des marchés
ruraux, l’attaque des routes et des convois de vivres ont découragé la production, désorganisé
les circuits d’échange et retardé les rééquilibrages entre les zones excédentaires et les zones
déficitaires. Les mesures prises par le gouvernement révolutionnaires du Général Mengistu,
qui a renversé le gouvernement dix ans plus tôt, mènent le pays vers une situation de disette
chronique et engendrent une dépendance croissante à l’égard de l’aide occidentale. Ainsi la
livraison des quotas obligatoires, la multiplication des taxes, la confiscation des réserves de
grain ont fini de déstabiliser l’agriculture éthiopienne, vulnérable de surcroît à la sécheresse
subsaharienne. Suivant le modèle soviétique, le gouvernement met en place des fermes d’Etat
et de coopératives agricoles, censées concentrer l’essentiel de la production. L’Etat méprise
les paysans qu’il considère comme trop ancrés dans une logique traditionnaliste. Parmi la liste
des préoccupations primordiales du gouvernement apparaissaient le renforcement de
l’appareil étatique, le ravitaillement de la population politiquement sensible de la capitale et
l’approvisionnement de l’armée ; le sort des paysans n’intéressait pas le général Mengistu. Ils
sont au contraire perçus comme des freins à la modernité que souhaite enclencher le
gouvernement. Dès lors, pour combattre ce qu’il considère comme un fléau, le Général met en
marche la collectivisation de la paysannerie prétextant qu’ « il n’y a pas d’alternative »64
.
Ainsi le regroupement des terres en vastes complexes agricoles est censé être la seule manière
de réactualiser les techniques agricoles éthiopiennes. De fait, les paysans devaient quitter
leurs fermes respectives afin de se rendre vers celles qui leur avaient été attribuées par l’Etat.
Cette mesure entraine un vaste mouvement de déplacement des populations. La famine est
chronique en Ethiopie mais le déplacement de plusieurs centaines de milliers de personnes
mène à une situation de crise humanitaire d’une grande envergure. Loin de leurs terres, sans
ravitaillement, entassés les uns sur les autres dans des espaces clos mis à disposition par le
64
François Jean, De l’Ethiopie à la Tchétchénie, Les cahiers du Crash, Avril 2004, p.22
42
gouvernement, la population agricole s’enfonce dans la sous-alimentation qui se transforme
très rapidement en famine. La politique suivie par l’Etat prend alors une allure mortelle.
L’aide internationale doit se déployer pour pallier aux manquements de l’Etat éthiopien qui ne
semble toujours pas se soucier du devenir de cette population.
Le pays est l’un des Etats africains les moins favorisés par l’aide au développement
occidentale. En effet, cette mesure est une sorte de « punition » émise par les organisations
internationales, comme une réponse aux politiques suivies par le gouvernement et à la
persistance du chef de l’état de s’engager dans la voie de la collectivisation coupable de la
famine qui sévit. Pourtant, elles ne peuvent laisser totalement la population à l’abandon et
apportent au pays un soutien financier ainsi qu’une aide alimentaire qui ne sont pas aussi
conséquents que dans d’autres pays de l’Afrique. La sécheresse a certes joué un rôle, mais la
famine est la conséquence de trois éléments principaux : la guerre, la politique et le climat. On
ne peut pas réellement taxer le gouvernement de vouloir délibérément briser les paysans par la
faim mais on ne peut pas croire qu’ils ne connaissaient pas les répercussions probables de
telles mesures de transfert de population. Qui plus est, il a favorisé la sous nutrition des
paysans qui ne voulaient pas quitter leurs terres. Comprenant que la situation alimentaire se
dégradait à une vitesse faramineuse, le gouvernement se sert de l’alimentation pour maximiser
les effets de sa politique. Face au mécontentement des paysans qui ne veulent pas intégrer les
fermes d’Etats, le gouvernement promet dès janvier 1985, nourritures et couvertures à tous
ceux qui se porteraient volontaires à la réinstallation, ce qui signifiait la mort pour tous ceux
qui refusaient de quitter leur exploitation. Le programme de réinstallation se met alors en
place, sous la bienveillance internationale. Afin de construire « le premier pays communiste
d’Afrique »65
l’Etat procède à la « fabrication de l’homme nouveau »66
. En s’appuyant sur un
rapport de la Banque Mondiale qui constatait en 1972 que certaines zones de l’Ethiopie
étaient surpeuplées tandis que d’autres étaient désertes, le gouvernement justifie publiquement
sa politique de réinstallation. Ce rapport préconisait un rééquilibrage démographique. Le
général Mengistu entend réaliser les recommandations de la Banque Mondiale. Même si ce
rapport est réel, il ne concernait que la région de Wollo et proposait le déplacement de deux
cent mille personnes. Le gouvernement a donc étendu sa zone d’application prétextant que
cette mesure était économique et réajustée en fonction des nouvelles données géographiques
et devait affranchir l’Ethiopie des cycles perpétuels de famine qui la frappaient. Pourtant il
65
Ibid. p.25 66
Ibid. p.25
43
apparait que cette mesure soit au cœur des causes de la famine, du fait du regroupement de
population et du mauvais approvisionnement. Surtout il est important de comprendre qu’en
1985, les éthiopiens meurent plus du transfert de population que de la famine.
B) Aide humanitaire, aide à l’Etat ?
L’action des humanitaires durant les interventions en Ethiopie en fait l’objet d’une
vaste mais tardive remise en cause par les opinions occidentales. Décrié, l’humanitaire
moderne connaît alors ses premières réelles objections. Pour comprendre l’assistance
d’urgence en Ethiopie, il fallait se confronter aux témoignages de ceux qui y sont allés, de
ceux qui l’ont vécu, de ceux qui ont agi. Rony Brauman dans les entretiens qu’il accorde à
Catherine Portevin67
revient sur son expérience de l’Ethiopie et explique comment MSF a
progressivement pris conscience que leur action humanitaire déployée par la communauté
internationale, s’apparentait plus à un soutien de l’Etat qu’à une aide aux populations. Les
sommes allouées par les humanitaires au gouvernement n’étaient pas consacrées à des
mesures censées venir en aide à la société, mais servaient à la politique de transferts et à la
constitution de camps de travail forcé. Rony Brauman était alors président de Médecins sans
Frontières. Chez MSF, il explique que l’Ethiopie a eu pour conséquences de conduire à un
remaniement des conceptions face au constat que l’aide pouvait se retourner contre ses
destinataires et les acteurs de l’aide intégrés à un système d’oppression. Les thèses de
François Jean68
corroborent les propos de Rony Brauman. Il avance que l’Ethiopie a mis en
lumière l’un des paradoxes de l’aide qui constitue parfois une prime aux régimes les plus
irresponsables et les plus cruels : « une prime permettant de capitaliser les effets de politiques
désastreuses, de les poursuivre, en toute impunité et même d’accélérer un processus
générateur de réfugiés, de famines et … de nouveaux secours »69
. Il ajoute ensuite qu’« en
refusant officiellement de soutenir ces opérations mais en fermant les yeux sur la manière
dont l’aide était utilisée, les donateurs se sont laissés entraîner dans une logique meurtrière.
Par aveuglement ou par consentement, ils ont permis que soit financé, le grand bond en avant
décrété par les dirigeants éthiopiens, se condamnant aussi à payer indéfiniment les factures de
leurs expérimentations sociales, pour secourir les victimes »70
. Les deux auteurs s’accordent
67 Brauman. Rony, Penser dans l’urgence : Parcours critique d’un humanitaire, entretiens avec Catherine
Protevin, Ed. Du Seuil, Paris, 2006. 68
François Jean, De l’Ethiopie à la Tchétchénie, Les cahiers du Crash, Avril 2004. 69
Ibid. p. 70
Ibid. p.
44
sur le rôle de l’humanitaire durant la famine en Ethiopie qui n’a pas eu les conséquences
espérées. Rony Brauman explique de l’intérieur comment la situation fut vécue. Une
quarantaine d’ONG s’appliquait en Ethiopie à résoudre le fléau de la famine, ce qui
constituait pour l’époque une mobilisation sans précédent. MSF était présent en Erythrée, une
région sécessionniste sans autorisation ni visa et opéré là bas des missions médicales et
alimentaires. Face aux dégâts humains, à la même période en 1984, le gouvernement avait
injecté plus de cent millions de dollars dans la célébration du dixième anniversaire de la
révolution. Cet élément traduit le mépris du Général Mengistu qui sait que l’urgence lui
apportera les fonds que lui refuse l’aide au développement. Les humanitaires n’ont pas perçu
les conséquences de la politique de réinstallation, ils n’ont en réalité, pas compris ce qui
signifiait ce programme, et ont au contraire adhéré à l’argumentation publique du
gouvernement éthiopien. La victime est placée au cœur des préoccupations, les acteurs ne
cherchent rien, ils aident mais ne posent pas de questions comme l’explique Rony Brauman.
Au contraire, ils sont satisfaits de la tournure que prennent les événements en Ethiopie. Ainsi
ils ont reçu les autorisations leur permettant d’augmenter leurs effectifs, la nourriture arrivait
et ces évolutions rassuraient les humanitaires. Face au discours stalinien caché aux
occidentaux et aux instances internationales était prôné un discours « développementiste » sur
la politique de réinstallation. En réalité la population est victime de rafles. Au cours de
l’année 1985, sept cent mille personnes ont été emportées de force vers de camps de travail.
Or le gouvernement affirmait publiquement qu’elles étaient amenées vers de nouveaux
villages dotés de projets de développement modèles. Pourtant des réactions d’humanitaires
commençaient à se faire entendre. Au sein du conseil d’administration de MSF, des doutes
sont exprimés. Ils étaient rapidement étouffés par les promesses de l’Etat éthiopien qui
prétend que l’aide doit servir à l’autosuffisance et à la construction d’un pays doté
d’infrastructures essentielles au bien de la société. En temps que président de MSF, Rony
Brauman reçut des rapports d’enquêtes71
sur l’Ethiopie. Ils expliquaient clairement que la
famine était le résultat de la collectivisation accélérée, du système de taxation et que si la
sécheresse avait bien eu lieu, elle n’avait fait qu’aggraver une pénurie organisée par l’état.
Ces enquêtes fondent leur existence sur le besoin de comprendre pourquoi une famine d’une
telle ampleur se déroulait en Ethiopie. Rony Brauman commente cette initiative : « ce qui est
frappant, c’est que personne d’autre n’avait pensé à faire ce travail – une négligence
phénoménale, qui est pour moi l’une des principales leçons de l’expérience éthiopienne :
71
Brauman Rony, Penser dans l’urgence : Parcours critique d’un humanitaire, entretiens avec Catherine Protevin, Ed. Du Seuil, Paris, 2006. p.140
45
l’urgence d’agir neutralise celle de penser ses actes ; la nécessité d’intervenir au plus vite
renvoie à plus tard celle de comprendre »72
. Il soulève ici une des principales introspections
auxquelles l’humanitaire a dû faire face après l’intervention en Ethiopie. Il est question d’une
interrogation centrale à laquelle les humanitaires ont dû réfléchir. Faut-il désormais
comprendre puis agir ou agir puis comprendre ? Les rapports qui dénonçaient les raisons de la
famine n’ont eu aucune répercutions immédiates sur les actions de MSF, car au vu des
besoins, l’ONG a préféré agir plutôt que de parler et risquer d’être expulsée du territoire
éthiopien. Pourtant quelques mois plus tard, MSF sonne la révolte et rentre en confrontation
avec le gouvernement éthiopien. Lors d’une conférence de presse à Paris, Rony Brauman
expliqua que les secours en Ethiopie constituaient l’une des difficultés majeures du moment
de MSF. Il raconte : « j’expliquais qu’en réalité notre présence ne servait qu’à attirer des gens
qui étaient ensuite transférés de force vers des zones inconnues. J’essayais de décrire la
situation de manière concrète et plus je racontais, plus le dilemme m’apparaissait clair, plus je
m’apercevais du piège dans lequel nous étions coincés ».73
Après ces déclarations, la
communauté humanitaire se désolidarise de MSF, ne souhaitant pas être affiliée aux propos
de son président. Alors que le Biafra avait permis de rompre avec la loi du silence du CICR,
l’humanitaire international au moment de l’Ethiopie s’y soustrait encore. Il ne s’agit pas
forcement de fermer les yeux, simplement il considère que ce n’est pas son rôle. Pour les
acteurs, leurs missions consistent à apporter de l’aide, s’occuper des victimes, panser les
plaies des populations, réparer les dégâts des catastrophes, mais pas de dénoncer. L’Ethiopie
aura pour conséquence de remettre en cause l’un des piliers moraux de l’action humanitaire,
la fin de la loi : silence et obéissance. Cette intervention, la plus importante que connaît à cette
époque l’humanitaire permet de refonder les principes de l’humanitaire. Pourtant celui-ci ne
réalise son autocritique que tardivement, recommençant ainsi les erreurs dont on l’accuse.
L’humanitaire s’est donc forgé au fil des expériences, des interventions et grâce à ses
méprises, ses fourvoiements, et ses fautes. Expulsé le 2 décembre 1985 d’Ethiopie, MSF
commence un travail de lobbying auprès des Communautés européennes et des Nations
Unies, lesquelles finissent par faire pression sur le gouvernement éthiopien qui, en avril 1986,
stoppe les déportations.
72
Ibid p.141. 73
Brauman Rony, Penser dans l’urgence : Parcours critique d’un humanitaire, entretiens avec Catherine Protevin, Ed. Du Seuil, Paris, 2006. p.143.
46
C) Une nouvelle forme de solidarité
L’appel au don est considérable pour secourir les éthiopiens et financer l’aide humanitaire.
Il prend alors en partie la forme d’une vente de disques sous l’égide de divers chanteurs à
succès de l’époque. Le modèle est universel et s’applique en Angleterre, aux USA et en
France. Face aux images poignantes d’éthiopiens mourant de faim, la communauté musicale
et cinématographique, dont l’influence auprès des sociétés civiles est prépondérante, se
mobilisent afin de récolter des fonds. Il s’agit d’une action de circonstances, significative de
la portée des médias. Leur action ne s’inscrit pas dans la continuité, elle est vouée à
disparaitre une fois que les sommes récoltées auraient été jugées suffisantes. Ainsi, chanteurs
et acteurs se regroupent, s’unissent pour une même cause, le temps d’une chanson, qui
destinée à la vente doit permettre d’alimenter les actions des humanitaires. En France résonne
SOS Ethiopie, en Angleterre on peut entendre, Do they know it’s Christmas ?, aux USA
Mickael Jackson et Lionel Richie mobilisent un grand nombre de chanteurs pour reprendre
ensemble le très célèbre We are the world. En Angleterre, Band Aid qui se constitue sous
l’impulsion du chanteur de Bob Geldof récolte plus de 70 millions de dollars réinjectés dans
l’économie éthiopienne puisque le chanteur se rend directement dans le pays pour remettre
l’argent aux autorités locales. En France, Valérie Lagrange sous l’égide du chanteur Renaud,
reprend l’initiative anglaise et crée Chanteurs sans frontières, nom formé sur la base de MSF
dont le président Rony Brauman participe à la constitution de l’association. Grâce à la vente
de leurs 45 tours, les 80 chanteurs constituant le mouvement, permettent de récolter près de 24
millions de francs, dont 90% sont reversés à MSF. Avec plus de 20 millions d’exemplaires
écoulés, we are the world rassemble près de 63 millions de dollars. Cette mobilisation est une
première pour le monde humanitaire qui semble avoir conquis par ses actions, les opinions
publiques. Facilitant ainsi la récolte, ses initiatives sont une première du genre mais tendent à
trouver leur fondement dorénavant à chaque fois qu’une catastrophe naturelle ou humaine
d’une telle ampleur se produit. L’Ethiopie se présente comme une étape marquante de
l’histoire de l’humanitaire, tant dans la mobilisation qu’elle produit, que dans les remises en
question qu’elle entraine.
47
2. Rwanda, le troisième génocide du siècle.
La crise rwandaise de 1994 s’est déroulée durant une période où les crises humanitaires se
multipliaient, où les institutions traditionnelles d’aide humanitaire étaient surexploitées.
Pendant près de deux mois et demi les milices d’un régime nouvellement instauré, ont
répandu le sang, la terreur et la mort sans que la communauté internationale n’intervienne.
L’humanitaire doit alors prendre en charge les faiblesses d’une action militaire qui devait
contribuer à combattre les dérives des miliciens, coupables d’un véritable génocide.
A) Histoire d’un génocide
Le texte de la Convention de décembre 1948 sur la prévention et la répression du crime du
génocide, dans son article II déclare : « le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-
après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique,
racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Les massacres dont est victime une partie de la population rwandaise appartiennent à
la catégorie citée ci-dessus du génocide.
Le 6 avril 1994, date de l’assassinat du président rwandais Habyarimana, marque le
début du génocide opéré contre la population tutsie. Dès lors une junte militaire présidée par
le colonel Bagosora déclare combler le vide institutionnel causé par l’assassinat du premier
ministre, du président de la Cour suprême et de plusieurs membres du gouvernement, en
nommant au poste de chef de l’Etat du Rwanda par intérim l’ancien président de l’assemblée
Théodore Sindikubwado. Bien qu’inconstitutionnel, le gouvernement de transition était en
mesure de poursuivre une campagne de génocide savamment organisée. Elle dépendait en
grande partie de la participation massive de la population hutue. Loin de n’être qu’un
affrontement interethnique, les persécutions devaient amener les Hutus à une maîtrise absolue
du pouvoir. La mission d’éradication par le massacre méthodique de tous les Tutsis permet
d’assoir ce dessein. Le génocide devient rapidement terrifiant par son ampleur. Il l’est
48
également par les conditions atroces de mises à mort, spécifiques des guerres de
« purification ». Parmi les éléments démontrant de la teneur du massacre, les plus marquants
demeurent la cruauté gratuite, le déni d’humanité et l’abaissement de l’autre par tous les
moyens. Les tortures sont innombrables tout comme le caractère violent des persécutions qui
dépasse rapidement l’entendement. L’imaginaire occidental qui voudrait que le génocide
émane d’un mouvement de révolte des Hutus, majoritaires, agriculteurs et pauvres, contre les
Tutsis, minoritaires, pasteurs et aristocrates semble caduque. Les réalités montrent que les
deux groupes partageaient des activités communes et étaient unis par des liens de mariage et
de voisinage. Ce qu’ils avaient en commun : langue, traditions politiques et culturelles,
l’emportait sur ce qui les différenciait. Les luttes d’influence politiques épargnaient les deux
ethnies, car le pouvoir était entre les mains d’une catégorie à part, celle des princes de sang,
parents du roi et des chefs régionaux. L’initiative hutue résulte donc d’une volonté de
bouleverser l’ordre établi, notamment celui instauré par l’administration coloniale. Même si
une vie communautaire s’instituait, les colons avaient procédé à un processus de
« racialisation » des ethnies. Ainsi les Tutsis étaient appelés à régner sur race inférieure des
Hutus.
Les Tutsis sont victimes d’un véritable génocide : plus de la moitié de la population a
été massacrée. Grâce à la mention ethnique sur les cartes d’identité et les barrages établis à
l’entrée des villes, la machine à tuer se met en place fauchant sur son passage, n’importe quel
Tutsi qui tenterait de s’échapper. Un paysage de désolation de la capitale Kigali traduit de
l’ampleur des dégâts causés par les miliciens hutus. Les corps s’entassent, les maisons sont
pillées, les exécutions s’enchaînent inlassablement. En un mois le Rwanda compte ses
victimes et déplore près d’un demi-million de morts. La réalité dénombre que les miliciens ne
sont pas les seuls assassins, Hutus comme Tutsis, tout le monde a tué pour ne pas être tué soi-
même. En effet, les Hutus ont été amenés à tuer parmi leur propre ethnie, s’ils apercevaient
parmi leurs membres quelques réfractaires à l’initiative engagée. Les événements du Rwanda
ont été catégorisés en trois périodes retraçant l’ensemble de la durée des interventions
humanitaires. Ainsi, le génocide a duré trois mois d’avril à juillet, cessant lorsque le Front
patriotique rwandais (FPR) dominé par les Tutsis, réussit à s’emparer de la capitale, Kigali.
S’ouvre alors une période d’exode massive, période d’environ six semaines, marquée par la
fuite de millions d’individus. Sur 8 millions de rwandais plus de deux millions ont déserté le
pays. Dès le mois d’avril déjà, les Tutsis avaient constitué la première vague d’exode,
montrant leur volonté de fuir les massacres dont ils étaient victimes. En juillet, l’exode
49
devient plus spectaculaire. Rien que pour les seules journées du 14 et 15 juillet 1994, près
d’un million de rwandais, principalement hutus ont franchi la frontière du Zaïre, craignant de
supposées représailles du FPR qui venait de récupérer la capitale. L’aide humanitaire doit
donc faire face en moins de six mois à un génocide et des déplacements massifs de population
qui entrainent généralement disette et épidémie. Face au besoin de combattre, entre avril et
juillet, les miliciens du gouvernement hutu, l’intervention militaire doit émaner d’une
initiative des Nations-Unies. Le commandant des quelques 2500 Casques bleus présents
demande à ses supérieurs dès les premiers jours du génocide, un renforcement de ses moyens
militaires. Il obtient en réponse une réduction du nombre de soldats des Nations Unies passant
en dessous de la barre des 300. Le secrétaire général de l’ONU n’entend pas défendre un
nouvel engagement des Nations Unies, connaissant les réticences des grandes puissances à
intervenir. Dès lors l’action humanitaire devient la seule représentation, d’une intervention
internationale au Rwanda. Pourtant les humanitaires ne peuvent que panser les plaies, mais en
aucun cas, ils n’auraient pu faire arrêter le massacre.
B) Une action humanitaire en lieu et place d’une intervention armée.
« Ce n’est pas avec des médecins et des biscuits que l’on s’oppose à un génocide, mais
en intervenant contre les auteurs de l’extermination »74
. Le 21 avril, soit quinze jours après le
débuts des massacres, les Nations Unies déclaraient que ce « carnage » ne le concernaient que
de très loin, et qu’ils se présentaient comme un simple observateur des événements. Face à
l’immobilisme international, le CICR et MSF étaient sur le terrain. Ils observaient impuissants
la situation évoluer. Des blessés étaient exécutés sous leurs yeux, au sein même des hôpitaux
ou des ambulances. Grâce aux expériences antérieures, les humanitaires ne comptaient pas
rester silencieux face aux atrocités dont ils étaient témoins. Pourtant, ils savaient que pour
soulager les malheurs humains, ils devaient comme précédemment feindre d’ignorer l’origine
des massacres. Néanmoins, ils savaient également que tout cela a des limites au-delà
desquelles les effets de leurs actions s’inversent, se retournent contre ceux à qui l’action
humanitaire s’adresse. Dès lors, il leur apparût que le premier devoir consistait à dénoncer.
C’est cette prise de conscience qui explique l’appel à une intervention armée contre les
auteurs du génocide, et les critiques proférées à l’encontre d’une politique qui vise à mettre en
avant l’intervention humanitaire en lieu et place d’une action armée de la communauté
74
Propos tenus par le Dr Jean-Hervé Bradol devant la commission de la Défense nationale en 1994.
50
internationale. Les propos de François Mitterrand reprennent les positions occidentales : « La
France n’entend pas mener d’opérations militaires au Rwanda contre qui que ce soit. Nous
tendons une main secourable. Là s’arrête notre action. Nous tentons de mettre un terme à ce
génocide par une action humanitaire qui est humanitaire et doit le rester »75
. Rony Brauman76
explique que « tendre une main secourable »77
revient à accepter la logique d’un système
meurtrier. Les secours qui doivent prendre en charge les quelques survivants cautionnent en
s’occupant des victimes, sans chercher à arrêter les dégâts. Pourtant, il est évident que
l’humanitaire ne peut parvenir à de telles fins, elle n’en ni les moyens, ni les capacités. Ce
n’est d’ailleurs tout simplement pas son rôle. Rony Brauman rappelle à cette occasion
qu’ « aucune main secourable n’a jamais arrêté la bras d’un assassin »78
. Il est important de
souligner l’évolution de l’humanitaire au sein des consciences politiques et collectives. Il est
devenu un acteur de premier plan, pouvant, si on en croit les décisions internationales, tenir
lieu de politique. Progressivement les acteurs de l’humanitaire se sont rendus indispensables
et ont surtout réussi à faire comprendre de l’extrême nécessité de leur action. Forte des
expériences précédentes, l’action humanitaire se présente aguerrie au Rwanda.
Si les Nations Unies refusent d’intervenir militairement, des contingents sont présents
au Rwanda. Il s’agit de l’opération MINUAR79
qui consiste en une activité de maintien de la
paix. Au Rwanda depuis octobre 1993 et dotée d’un mandat en vertu de la Charte des Nations
unies, la MINUAR est la seule force internationale présente. Lorsque la violence s’est
déchaînée en avril 1994, la MINUAR a cherché à fournir l’assistance et la protection que
pouvaient assurer ses 2548 hommes, un effectif peu après réduit par Conseil de sécurité à 270.
Dès le mois de mai, le Conseil de sécurité revient sur sa décision en élargissant les effectifs à
5500 au nom de la mission de MINUAR II. Les activités de MINUAR comprenaient le
déploiement d’observateurs militaires, la protection des populations minoritaires et du
personnel humanitaire, le soutien administratif et sécuritaire des activités d’assistance ainsi
que l’aide au transport et à la distribution de l’aide humanitaire. Certains gouvernements ont
pris par la suite, l’initiative d’envoyer sur place des soldats afin de mener une intervention
« militaro-humanitaire ». La France démarre l’opération Turquoise avec 2500 hommes, tandis
que les USA enclenchent la mission Support Hope qui compte 3000 soldats. La mission
75
Propos tenus lors d’une conférence de presse à Johannesburg. 76
Brauman. Rony, Penser dans l’urgence : Parcours critique d’un humanitaire, Ed. Du Seuil, Paris, 2006. 77
Ibid.p.237 78
Ibid. p.238 79
La Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) était une mission de l'ONU au Rwanda créée en octobre 1993 et dissoute en mars 1996.
51
française est avant tout sécuritaire. Elle aboutit à la mise en place d’une Zone Humanitaire
Sûre (ZHR) dans le sud-ouest du pays, qui permet le regroupement d’une partie de la
population hutue fuyant l’avancée des FPR. L’opération américaine est, elle, purement
altruiste. Aborder l’humanitaire pratiqué au Rwanda durant l’année 1994 revient à
comprendre les différents acteurs présents, qu’ils soient d’origine privée ou publique. En
effet, les gouvernements comme les organisations internationales ont pris la décision de ne
pas s’engager dans un conflit armé contre les miliciens qui exécutent sans état d’âme la
population. Cependant, conscients des réalités qui s’y déroulaient, ils ont déployé leurs forces
au profit d’une aide humanitaire. La réaction du monde à la crise rwandaise a été unique par
son ampleur et par la multiplicité des moyens militaires consacrés aux besoins humanitaires.
Les moyens militaires ont apporté trois sortes de contributions. D’abord les soldats se sont
appliqués à entretenir un cadre protecteur de stabilité dans lequel les populations étaient
protégées et les actions humanitaires menées à bien. Ensuite, ils ont soutenu ces activités,
avec une logistique, un personnel et des conseils en matière de sécurité. Enfin, ils ont mené
eux-mêmes des activités humanitaires. Les militaires devaient prendre en charge les postes
laissés vacants par les humanitaires, qui ont quelques peu déserté le pays se sentant inutiles et
menacés face aux atrocités du génocide. Les soldats remplissaient alors les fonctions des
humanitaires, assurant l’effort d’assistance nécessaire aux victimes. Lorsque le génocide pris
fin et que commençait la période d’exode, les organisations humanitaires ont rapidement
repris leurs fonctions, relayant les militaires à un simple rôle d’encadrement. Si les activités
des militaires s’étaient d’abord accrues pour combler un vide humanitaire, vers la fin de
l’année 1994, la participation militaire a nettement diminué. Qu’en est-il dès lors des
interventions des acteurs humanitaires a proprement dits ? Quel a été le rôle sur place ?
Comment ont-ils réagi face aux atrocités qui se déroulaient sur leurs yeux ?
C) L’autocritique de l’action humanitaire.
Toutes les composantes du pôle humanitaire ont été mises à pied d’œuvre face à la
tragédie rwandaise. D’avril à décembre 1994, 1.4 milliard de dollars environ furent dépensés,
85% de ces fonds étaient d’origine publique et le reste provenait de financement privé.
L’Union Européenne et le gouvernement américain ont assuré à eux seuls 50% des
financements publics. Le Rwanda a mobilisé plus de deux cent ONG. L’innovation qui résulte
de l’expérience rwandaise concerne plus l’évolution des principes humanitaires que l’action
52
d’assistance en elle-même. Le fait marquant des ONG durant ce génocide demeure la fin de la
loi de neutralité, de cet impératif qui justifiait le silence et qui collaborait avec les politiques
meurtrières. L’Ethiopie a joué un rôle déterminant dans cette prise de conscience, qui dix ans
plus tard, montre l’étendue de ses possibilités. Si cette avancée apparaît déterminante en ce
qui concerne l’amélioration des principes moraux de l’humanitaire, d’autres évolutions
propres à la pratique de l’action sont à envisager. Dans l’idée de faire l’autocritique de son
intervention, quelques mois après les événements du Rwanda, un rapport est rendu. Il
s’adresse en réalité à la communauté internationale dans son ensemble. Vingt six
recommandations sont émises pour viser à une démarche plus cohérente de la sphère
internationale, afin d’intégrer l’aide humanitaire dans une perspective plus globale pour au
final tendre vers une meilleure synergie entre les divers types d’intervention. En octobre 1996,
le Rapport 1996 « populations en danger » de MSF évoquait dans le chapitre sur le Rwanda :
« une crise enlisée, un monde humanitaire en désarroi80
». Dès cette année là, analyses,
échanges, évaluations, consultations, colloques avaient envahi le monde humanitaire afin de
tenter de se prémunir contre la répétition de pareille situation qui avait sérieusement entaché
la crédibilité des acteurs. Pourtant, si l’image des humanitaires est mise à mal par leur fuite du
pays, toute la responsabilité des dérives du Rwanda ne leur incombent pas. Malgré des
moyens financiers conséquents, leurs actions consistaient en un secours partiel aux quelques
victimes épargnées par les coups de machettes habituellement assassins des miliciens. La
responsabilité essentielle des événements rwandais pèse sur la communauté internationale,
coupable de n’être pas intervenue militairement pour arrêter les massacres. Les acteurs de
l’humanitaire avaient pourtant fait pression. Ils l’ont encore fait, dans les mois qui suivirent
les fins des interventions, pour que soient jugés les coupables du génocide. Or personne
durant qu’il se déroulait, n’a recherché pour les appréhender et les juger les investigateurs de
l’extermination. Ce n’est que le 8 novembre 1994 que le Conseil de Sécurité, répondant aux
appels du monde humanitaire, instituait un Tribunal Pénal International pour le Rwanda,
chargé de jugé les présumés « génocidaires ».
L’issue du génocide rwandais semble apporter de véritables remises en causes au sein du
pôle humanitaire. Ainsi, il s’agit de ne plus agir sans parler et sans comprendre. D’autre part,
le jugement des coupables des catastrophes humaines intéressent dorénavant de près la
communauté humanitaire. Ses acteurs ont mené un combat particulièrement féroce pour que
80
MSF, Rapport 1996 : populations en danger, La Découverte, Paris, 1996, p.141.
53
soit crée une Cour Pénale Internationale. Enfin l’idée d’une meilleure coordination de tous les
acteurs publics comme privés émerge, pour rendre encore plus efficace l’intervention
d’urgence.
3. Kosovo : une guerre humanitaire
La guerre du Kosovo est à l’origine d’un conflit entre les deux principales communautés
qui occupent le territoire kosovar, les serbes et les albanais. Après la Seconde Guerre
Mondiale, le Kosovo est rattaché à la Yougoslavie en tant que province de la Serbie. Même si
l’autonomie du territoire s’accroît grâce aux constitutions de 1960 et 1974, elles ne lui
confèrent pas pour autant le statut de république. En 1989, Slobodan Milosevic le président de
la Serbie, réduit considérablement le statut d’autonomie du Kosovo, en modifiant la
constitution serbe, dans l’optique de reprendre définitivement le contrôle de la province. Les
albanais y opposent d’abord une résistance pacifique, puis face à l’échec de cette tentative,
donnent un caractère violent à leurs revendications. 1996 marque le début réel des
affrontements avec la création de « l’armée de libération du Kosovo » qui commence une
campagne de terrorisme contre les représentants du pouvoir serbe. Les conséquences de ces
actions ne se font pas attendre et le pouvoir serbe opère de véritables exactions contre le
peuple albanais. Le conflit prend une dimension ethnique. Les occidentaux créent en 1998 le
Groupe de Contact composé de la France, du Royaume Uni, de la Russie, de l’Allemagne, qui
doit d’abord gérer le conflit sur le terrain diplomatique.
Le Kosovo a montré les limites de l’humanitaire étatique mais a mis en avant les possibilités
de l’action d’urgence civile qui a déployé une force considérable à répondre aux attentes des
réfugiés albanais.
A) La multiplicité des acteurs
La guerre du Kosovo a impliqué différents acteurs afin de parvenir à une résolution de
crise. Comme nous avons pu le voir lorsque nous avons abordé le cas du Rwanda, l’action
humanitaire ne constitue pas l’apanage des seuls protagonistes qui ont fait de cette cause leur
raison d’être. Ainsi les humanitaires civils depuis la fin de la guerre froide ne sont plus seuls
sur le théâtre des crises. La chute du Mur de Berlin, ainsi que le début des années 1990 ont
ouvert une nouvelle époque marquée par le retour sur la scène humanitaire des Etats et de
l’ONU. Désormais les ONG sont contraintes de travailler en collaboration avec les
54
organisations internationales voire dans certains cas d’être soumises à leur autorité. Au nom
des opérations de maintien de la paix, les associations humanitaires doivent entretenir une
promiscuité avec les institutions publiques. Dès lors, ONU et ONG doivent apprendre à
cohabiter dans l’optique de rendre efficace leurs actions. Pourtant cette nouvelle cohabitation
a fait naître au sein de la sphère humanitaire de sérieuses préoccupations : perte de la
neutralité et de l’indépendance, et danger d’une politisation croissante de l’humanitaire.
Lorsque subvient la guerre du Kosovo et le besoin imminent d’une aide d’urgence, ses
interrogations se sont quelque peu estompées au profit d’une répartition assez claire des rôles.
Le Kosovo vient remettre en cause cet équilibre si durement établi. En effet, la décennie 90
est consacrée à un travail de stabilité de rôles de chacune des parties. L’ONU et ses agences
sont les garants du contrôle et de la bonne tenue des opérations dans des situations où le
besoin des populations est tel, que la communauté doit intervenir. L’OTAN81
quant à lui,
constitue la partie militaire de ces interventions, mais son action est placée sous contrôle de
l’ONU et se limite au mandat qui lui a préalablement été fixé. Les humanitaires se sont
accommodés de cette répartition des rôles. Leur principale volonté était de réduire au
maximum les doutes sur une probable ambigüité militaro-humanitaire lors des actions
d’urgence. Cette disposition des fonctions leur garantissait une séparation précise des
interventions. La guerre du Kosovo réduit à néant les mesures prises pour qu’existe une action
humanitaire indépendante du pouvoir militaire international. Au Kosovo règne la confusion
des genres et des actions. Pourtant ce processus d’association des forces avait amené une
situation, qui jusqu’au Kosovo, est acceptée par les parties concernées. L’ONU est donc
devenue un partenaire familier des ONG. Les associations conçoivent que le recours à la force
soit inévitable dans des conflits où la violence devient incontrôlable, à la condition que cette
imposition de la paix soit toujours placée sous le contrôle des Nations Unies.
Dès 1998, les organisations humanitaires sont les premières à s’activer au Kosovo qui
est quasiment en état de siège. Les kosovars sont l’objet de discriminations en terme de soin,
d’éducation et de tous autres actes de la vie civile, que les humanitaires entendent, par leurs
81 L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ou Otan, parfois connue sous le nom d’Alliance Atlantique, est
une organisation politico-militaire qui rassemble de nombreux pays occidentaux. Elle a vu le jour le 4 avril 1949, suite à des négociations des cinq pays européens signataires du traité de Bruxelles (Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni) avec les États-Unis, le Canada et cinq autres pays d’Europe occidentale invités à participer (Danemark, Italie, Islande, Norvège et Portugal). L'Alliance avait pour vocation initiale d'assurer la sécurité de l'Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en prévenant d'éventuels soubresauts d'impérialisme allemand et en luttant contre les ambitions de conquête de l'Union Soviétique. Il assure aujourd’hui des missions militaires dans le cas de conflit internationaux.
55
actions, réduire autant que possible. Des actes de répression selon le principe de « nettoyage
ethnique » sont perpétrés par l’armée et la police serbes, montrant le caractère violent et
meurtrier de la situation qui s’installe progressivement sur ce territoire, ce qui entraîne
l’exode de près de 200 000 kosovars82
. Les humanitaires cherchent à ce moment là, à rendre
moins douloureux le traumatisme de l’exode. Dès lors, témoins des exactions qui se
déroulaient sous leurs yeux, ils appellent la communauté internationale à une prise de
conscience face aux réalités Kosovares. Cet appel n’est pas un appel au déploiement de la
machine de guerre mais à celui de l’appareil de la solidarité internationale orchestré par les
Nations Unies. La relative lenteur des réponses des gouvernements et organisations
internationales, à laquelle sont habitués les ONG ne s’applique au cas kosovar. La rapidité des
réactions sont à la hauteur des stupéfactions des humanitaires. Pour une fois, ils n’auront pas à
combattre l’indifférence générale de la communauté internationale. Les Etats Unis sont les
premiers à faire entendre leur voix. Décidés à engager un bras de fer avec le pouvoir serbe, ils
prennent progressivement la gestion des opérations, limitant le pouvoir des ONG. L’OTAN
est alors choisie pour interpréter le rôle d’instrument de l’action militaire. L’intervention
prend une tournure militaire sous l’impulsion de l’influence américaine. Les exactions
commises au Kosovo constituent, pour la communauté internationale, une réelle source de
déséquilibre de l’ordre mondial. L’intervention étatique puis celles des organisations
internationales amènent à une situation nouvelle. A l’origine seules, face aux dérives serbes
contre le peuple albanais, les ONG se retrouvent enlisées dans un conflit à la dimension
interétatique. La multiplicité des acteurs rend le conflit plus complexe à gérer. Les USA, le
Groupe de Contact, l’ONU, l’OTAN, les ONG tous sont concernés par la question kosovare.
Pourtant, il apparaît très rapidement que le rôle de contrôle alloué aux Nations Unies lui
échappe au profit d’une montée en puissance de l’OTAN.
B) Une guerre déclenchée au nom de l’humanitaire
L’expérience des interventions antérieures a montré que les opinions publiques
acceptaient plus facilement l’exercice de la force par leurs gouvernements lorsque la situation
humaine d’une population leur apparaissait révoltante. Le massacre de Raçak83
du 19 janvier
82
Rufin Jean-Christophe, Les humanitaires et la guerre du Kosovo, Le Débat, n°106, 1999, p. 6. 83 Le massacre de Racak
est le massacre de 45 albanais du Kosovo qui a eu lieu le 15 janvier 1999, pendant de la
Guerre du Kosovo dans le village de Racak au Kosovo central.
56
1999 permet de créer un contexte émotionnel en Occident, favorable à une intervention
armée. Dès lors l’OTAN et les Etats vivent dans l’attente d’une exaction dont seraient témoins
les humanitaires. La dénonciation de ces derniers, de la terreur orchestrée par les serbes doit
amener la congrégation internationale à prendre ses dispositions pour que cesse la répression
de Milosevic. Elle entend agir au nom de l’existence d’un plan à grand échelle d’épuration
ethnique par les forces serbes. D’autre part, l’OTAN doit représenter le pendant militaire de
l’intervention occidentale. Ils ne parlent ces humanitaires, qui ne veulent pas déclencher les
hostilités dont ils craignent les répercutions néfastes sur les populations civiles. Alors c’est
l’échec des négociations de Rambouillet, tenue entre janvier et mars 1999, qui est invoqué
pour expliquer le déclenchement de bombardements massifs sur Belgrade et Pristina. Les
gouvernements des pays du Groupe de contact à savoir les Etats Unis, la France, l’Italie, le
Royaume-Uni, l’Allemagne, et la Russie s’étaient entendus sur la nécessité d’obliger les deux
parties en conflit à un règlement politique du litige. Le gouvernement de Belgrade et les
représentants de la communauté albanaise doivent se retrouver à Rambouillet afin de négocier
la fin du conflit. Les négociations n’aboutissent pas, les deux parties ne transigeant pas sur des
points qui leur paraissaient essentiels. La diplomatie américaine leur proposait de transformer
le Kosovo en un protectorat de l’OTAN. Le gouvernement serbe perdait alors toutes ses
prétentions sur le territoire. Malgré la menace de l’utilisation des bombardements, les
négociations de Rambouillet sont un échec. Pourtant la raison humanitaire est invoquée pour
justifier le déclenchement de l’arme militaire. Les occidentaux prétextent que la possibilité
d’une urgence humanitaire est telle, que l’OTAN doit intervenir. Le 24 mars 1999 les frappes
débutaient et Jacques Chirac, le président français, déclarait que cette action était destinée à
« éviter une catastrophe humanitaire ».84
Les ONG n’ont pas été consultées quant à
l’appréciation d’éventuels risques de crise humanitaire. Cette décision a été prise en interne
par les états membres de l’OTAN. Sa mission était organisée de façon à ce qu’elle soit de
courte durée. Il s’agit plus en réalité, d’une sorte de pression opérée sur le gouvernement
serbe dans le l’optique de le faire plier et de l’amener à la table des négociations. Or les
frappes ont continué sans interruption pendant plus de 70 jours, créant une véritable
catastrophe humaine. En effet, si le peuple kosovar s’exile à cause des exactions perpétrées
par les serbes, l’exode n’a rien de comparable à celle qui fait suite aux bombardements
occidentaux. Ainsi, 900 000 personnes85
ont quitté leur territoire pour rejoindre les pays
limitrophes en seulement quelques jours. Les bombardements ont entraîné l’augmentation de
84
Rufin Jean-Christophe, Les humanitaires et la guerre du Kosovo, Le Débat, n°106, 1999, p. 12. 85
Ibid. p. 13.
57
la répression serbe contre le peuple albanais. La colère de l’armée serbe se répercute sur les
kosovars qui doivent dès lors quitter le territoire s’ils veulent espérer rester en vie. En
occident, les images des réfugiés fuyant les persécutions des milices serbes, arrivent
progressivement sur les écrans de télévision. Les sociétés civiles approuvent alors l’utilisation
de frappes massives. Pourtant les études montrent que ce sont ces dernières qui ont causé par
l’exode de plusieurs centaines de milliers de kosovar, non pas directement mais par un
système de causes à effets. Les bombardements ont entrainé la colère des serbes qui se sont
vengés sur le peuple albanais, qui lui, a dû quitter le Kosovo.
Contraints au silence avant la guerre par peur de porter la responsabilité de son
déclenchement, les humanitaires se sont retrouvés muselés après le début des frappes du fait
de l’ampleur et de la gravité de la tragédie humaine qui se déroulait. Le seul espace laissé
alors aux humanitaires était celui de l’approbation. La singularité du cas kosovar résulte dans
la simultanéité de la phase de guerre et de la phase humanitaire. Pendant que les militaires
bombardent, les humanitaires pansent les plaies physiques et morales des réfugiés. Pourtant ce
sont les militaires qui sont mis en scène par les médias, les montrant tour à tour portant des
enfants, ou secourant des femmes. Les kosovars sont les victimes collatérales de l’action
militaire des occidentaux. Sans présence terrestre de leur part, il apparaissait prévisible qu’ils
ne pourraient contrôler ni la répression ni l’exode. Le soutien des sociétés civiles à la guerre
est sans faille. Dans leur esprit, l’armée doit protéger les réfugiés. Néanmoins, même si leur
action est moins médiatisée, tous les acteurs de la solidarité internationales d’urgence ou
quasiment tous, sont présents au Kosovo afin de venir en aide aux populations. Le véritable
effort d’assistance et de prise en charge des réfugiés est de nature civile. Les ONG travaillent
à la construction de camps de toile, à la réhabilitation d’abris en dur, au ravitaillement en
nourriture des réfugiés, à leurs soins et leur apportent un soutien moral. Le réseau de
solidarité, renforcé par ses expériences, peut désormais faire face à l’afflux de plusieurs
centaines de milliers de réfugiés. Il est mieux organisé et mieux coordonné. L’action
humanitaire au Kosovo est performante. Il n’y a pas eu d’épidémie, pas de famine et chaque
réfugié, une fois la frontière franchie, a pu bénéficier de nourriture et de soins. Toutefois,
l’action humanitaire est critiquée durant son intervention au Kosovo, notamment en terme de
coordination. Il est vrai que des manquements se sont fait ressentir. La faute n’incombe pas
aux ONG mais aux Nations Unies, qui durant le conflit kosovar, n’ont pas réussi à remplir
cette mission. Une place laissée vacante que, l’OTAN s’est empressée de récupérer. Le
département des affaires humanitaires de l’ONU n’a pas su faire entendre sa voix et le
58
H.C.R86
n’a pas anticipé les répercussions des bombardements. Plus grave encore, il s’est
retrouvé désemparé face à l’afflux massif de réfugiés. Ils n’ont pas été capables de mettre en
place un système d’enregistrement rigoureux des réfugiés. Ils n’ont pas non plus, su imposer
leur autorité aux acteurs sur le terrain, notamment à l’OTAN, dont le rôle dans le domaine de
l’humaine progresse de manière croissante, pour finalement s’y imposer. En effet, ce dernier a
pris la décision d’intervenir sur le champ humanitaire et de prendre en main les opérations de
secours. Les médias ont compris cette décision comme une faiblesse de l’action humanitaire
civile, perçue comme débordée face aux déplacements de populations. L’OTAN devient alors
la représentation de l’humanitaire au Kosovo.
C) L’OTAN et l’humanitaire
Seulement deux mois après les premiers bombardements, l’OTAN décide d’endosser
une nouvelle responsabilité, celle de gestionnaire des opérations humanitaires. Il demeure
néanmoins le principal acteur du déploiement militaire. Dès lors l’OTAN conçoit son action
dans une globalité parfois déconcertante. Toute l’intervention occidentale, sur n’importe quel
tableau, émane de l’organisation. Les Nations Unies doivent maintenant, s’aligner sur les
décisions de l’OTAN. Les ONG, quant à elles, ne perdent pas leur indépendance, mais leur
impartialité vis-à-vis du pouvoir militaire, qui désormais les coordonne. En comparaison de
l’OTAN, elles sont perçues par les opinions publiques et par les journalistes : « comme une
foire humanitaire, dans laquelle le folklore est pris pour une incompétence généralisée et les
problèmes de coordination par un défaut structurel du monde des ONG »87
. Les défaillances
des Nations Unies sont alors attribuées aux organisations de solidarité civiles. L’action
internationale au Kosovo devient donc globale, placée sous l’égide d’une seule et même
organisation qui gère les différents volets militaires, administratifs, politiques et humanitaires
de l’intervention. Les ONG ont montré des réticences à être intégrées dans le giron de
l’OTAN, de peur que leurs actions se politisent sous l’influence de l’organisation. Elles
craignent de perdre également le caractère neutre de leurs associations, qui demeure l’un des
principes fondateurs de leur création. Accepter de collaborer avec l’ONU, une organisation
par essence pacifiste et universelle, leur paraissait acceptable. Néanmoins être contrôlées par
86 Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés basé à Genève, est un programme de l'ONU. Il a
pour but originel de protéger les réfugiés, de trouver une solution durable à leurs problèmes et de veiller à
l'application de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951. 87
Rufin Jean-Christophe, Les humanitaires et la guerre du Kosovo, Le Débat, n°106, 1999, p. 19.
59
l’OTAN, une organisation militaire à vocation offensive allait à l’encontre de l’idéologie
humanitaire. L’action humanitaire de l’OTAN a eu pour conséquence la confusion des genres.
En effet, l’organisation a pris le contrôle de la gestion de camps de réfugiés. Les serbes ont
alors considéré qu’il s’agissait de zones militaires et n’ont pas hésité à bombarder les camps
de réfugiés. Pour les serbes comme pour les albanais la distinction entre civils et militaires
devenait délicate. Les humanitaires quant à eux, avaient bien conscience, qu’au contraire, la
meilleure façon de protéger les civils demeure de lever toutes zones d’ombre sur la dimension
neutre des camps. L’humanitaire se présente au Kosovo comme le « garde-fou » du militaire.
Déclenchée au nom d’une crise humanitaire, la guerre prend désormais une autre tournure
avec l’offensive terrestre. En intégrant le champ humanitaire, les militaires ont mis un pied
sur le territoire kosovar. Il leur permet maintenant de camoufler leurs tentations
d’offensives88
. Pour prendre en main l’action humanitaire, l’OTAN s’est dotée entre autres
de para-commandos, d’unités d’élite formées à l’observation et à la pénétration en territoires
hostiles89
. La nature même de ce personnel était inhabituelle pour la communauté
humanitaire, ce qui fit naitre chez elle, quelques doutes sérieux sur les réelles intentions de
l’OTAN. L’expérience de l’association Première Urgence relatée par Jean Christophe
Ruffin90
traduit les ambivalences de l’OTAN. Ainsi l’organisation de solidarité s’est vu retirer
l’autorité sur un camp qu’elle était en train de réhabiliter dans l’optique d’accueillir
prochainement des réfugiés, afin que l’OTAN puisse y installer du matériel destiné à la
maintenance des hélicoptères Apache91
. Par la nature même les deux parties, l’OTAN d’un
côté et les ONG de l’autre ne poursuivent les même intérêts. Ils n’ont pas les mêmes objectifs,
n’ont pas de culture en commun, ne partagent aucun idéaux. Le but de l’OTAN est militaire
celui des ONG, humanitaire. Les deux termes sont ambivalents, voire contradictoires. Il
apparait qu’au Kosovo l’action humanitaire a fait l’objet d’une manipulation de la part de
l’OTAN. Face à ce danger les principales ONG françaises se sont réunies afin de déclarer à
l’unisson : « Les forces militaires de l’OTAN présentes sur le théâtre balkanique mènent une
guerre, conformément à des décisions politiques prises par les gouvernements de l’Alliance.
Cette guerre vise à faire respecter des principes de droit et à s’opposer aux actions d’un
gouvernement dont la violence constitue une menace pour la paix. Ces objectifs peuvent
servir la cause humanitaire : ils ne sauraient pour autant être confondus avec elle. Les armées
mènent des actions dans une logique qui est la leur et qui peut tantôt être favorable (quand
88
Ibid. p.21 89
Ibid. p.23 90
Ibid 91
L'Apache est un hélicoptère américain d'attaque tout temps.
60
leur présence permet d’assurer une meilleure sécurité) à l’action humanitaire, tantôt
préjudiciable (lorsque la stratégie choisie conduit à accélérer l’exode des civils kosovars). En
tout cas, cette action militaire est différente de l’action humanitaire. Celle-ci est menée
principalement par des civils. La prise en charge des réfugiés en Albanie, Macédoine et
Monténégro a été le fait des O.N.G venant à l’appui des populations locales qui accueillent les
réfugiés. Des concours, en particulier logistiques, ont pu être apportés par les armées, à titre
complémentaire et sans que cela mette en cause leur indépendance. Si des
dysfonctionnements ont pu être observés dans l’acheminement des secours, ce n’est pas le fait
des ONG et des donateurs qui ont mis en place avec rapidité un gigantesque réseau de
secours. Il est vrai cependant que de nombreux problèmes de coordination ont été rencontrés,
en grande partie du fait de l’insuffisance initiale des structures de l’ONU, en particulier du
H.C.R. ces défaillances ne permettent cependant pas de porter un jugement négatif sur ces
opérations. Elles ne justifient surtout pas de tirer la conclusion qu’il faut désormais confier
aux militaires la responsabilité des secours »92
. Le caractère inédit de la situation humanitaire
au Kosovo est retranscrit dans les paroles des ONG françaises qui craignent que l’expérience
kosovare ne se réitère.
L’action humanitaire civile a montré au Kosovo sa forme la plus aboutie. Construite
autour de règles, de droits, de devoir, d’une hiérarchie, elle se montre de plus en plus efficace
en situation de crise. Entre l’Ethiopie et le Kosovo, l’humanitaire civil a su rendre son
intervention pertinente afin de devenir un acteur indispensable de la résolution des crises. Il a
su remettre à jour ses principes afin qu’ils collent avec les réalités du terrain. La codification
de l’action autour d’un droit et d’une législative permet de justifier ses interventions. Le
processus de professionnalisme de ses membres est enclenché afin que cessent les critiques
d’amateurisme dont l’action humanitaire fait l’objet. Enfin les médias apparaissent comme
l’un des facteurs essentiels ayant amené la démocratisation de l’humanitaire, qui trouve grâce
à eux une assise auprès des opinions publiques.
92
Discussions réunissant les présidents et directeurs généraux des principales ONG françaises et les responsables du bureau de Paris du CICR. Jacky Mamou (Médecin du Monde), Philippe Biberson (Médecin sans Frontière) Thierry Mauricet (Première Urgence), Mario Betati (La voix de l’Enfant).
61
CHAPITRE 3 : Des avancées au service de la modernisation de
l’humanitaire
Qu’ils s’agissent de l’élaboration d’un droit international humanitaire qui cherche à
coller au plus près de réalités de l’action de solidarité, de la professionnalisation croissante
des acteurs de l’humanitaire, ou encore la médiatisation massive de déploiement de l’aide en
situation de crises humanitaires, la modernité de ce domaine est enclenchée depuis la guerre
du Biafra. Si les observateurs de l’humanitaire s’accordent pour dire que 1968 marque une
rupture, c’est notamment parce que l’humanitaire prend un tournant qui l’emmène sur la voie
de la modernité. Alors que les sociétés évoluent, l’action d’aide doit également se mettre à
jour. Face à un monde qui subit de plus en plus de guerres civiles, de catastrophes naturelles
et industrielles, l’humanitaire se veut plus performant. Cette recherche de « productivité »
passe par une codification de son droit, par une professionnalisation de ses acteurs, ainsi que
par une médiatisation qui doit lui apporter une partie du financement nécessaire à ses actions.
Il s’agit de voir ici, ces trois aspects en particulier pour comprendre pourquoi la communauté
internationale parle d’un « second siècle de l’humanitaire ».
1. Le droit au service de l’action
L’affirmation progressive du droit international humanitaire date du XIXe siècle. Le
« droit de La Haye » donne le premier cadre juridique à une action de solidarité émergente.
Constitué de seize conventions, il a pour objectif de réglementer la guerre. Réunie par le tsar
de Russie Nicolas II, la première conférence de la Haye s’ouvre le 29 juillet 1899 et rassemble
26 Etats. Le 18 octobre 1907, Nicolas II prend l’initiative d’inviter à nouveau les Etats à
réfléchir sur la manière de codifier la guerre. 40 Etats sont présents à cette nouvelle
conférence de La Haye. Les conventions de La Haye contiennent des principes généraux
parmi lesquels, le plus connu demeure le principe de discrimination, qui distingue les forces
armées de la population civile. On retient communément également le principe de
proportionnalité qui définit une juste proportion entre les objectifs militaires et les dommages
physiques et moraux des populations civiles. Les conventions de Genève élaborées après la
62
Seconde Mondiale en 1949 viennent réactualiser les conventions de la Haye. Elles
s’intéressent au sort des victimes collatérales des conflits. Ainsi, elles fixent l’attention de la
communauté internationale sur les conséquences de la guerre sur les blessés et les malades
dans les forces armées en campagne, dans les forces armées en mer, sur les prisonniers de
guerre, et sur les populations civiles. Le traitement des populations civiles devient
progressivement une question centrale des relations internationales. Le Comité International
de la Croix Rouge est à l’origine de la création des conventions de Genève. Elles constituent
la base du droit international humanitaire dit « classique ». Le droit de Genève est avant tout
protecteur des personnes et des structures, en prévoyant des zones et des localités sanitaires.
Sont maintenant protégés juridiquement les blessés, les malades, et le personnel sanitaire. Les
protocoles additionnels de 1977 amènent une modernisation du droit international
humanitaire. La période qui s’ouvre en 1977 est marquée par une reconsidération croissante
de ce droit afin qu’il s’aligne sur les avancées que connait le domaine de l’humanitaire depuis
la guerre du Biafra. La grande innovation de ces protocoles est la systématisation de règles
juridiques protectrices des personnes lors des conflits armés non internationaux. Le processus
mis en place depuis cette date mène à un élargissement du droit international humanitaire.
A) Le droit humanitaire international
Il existe deux formes de droit humanitaire, principalement distinguées par le moment
où ils ont été élaborés. Ainsi on retrouve le droit humanitaire interétatique, qui est le droit
humanitaire établi et appliqué par les Etats en tant que tels, c’est également le droit
humanitaire international dit « classique », qui correspond au droit de Genève. Le droit
humanitaire international, est, quant à lui le droit humanitaire dit « moderne » qui est en voie
de formalisation depuis la fin des années 1980. Ces deux conceptions de l’application
juridique de l’action d’assistance tendent néanmoins à s’unifier au profil d’une approche
globalisante du droit humanitaire international définit alors comme « l’ensemble des règles
juridiques qui concernent, au plan international, la protection de la personne humaine en
situation de crise »93
. Replacé au sein du droit international public général, le droit
international humanitaire apparait comme un droit « spécial » dans le sens où il s’agit d’un
droit « d’exception ». La spécificité de ce droit résulte des situations particulières de son
93
Bélanger Michel, Droit international humanitaire général, Editions Gualino, 2e éd, Paris, 1997, p.16.
63
application (c'est-à-dire les conflits armés et les catastrophes) ainsi que les bénéficiaires
auxquels il s’adresse (les victimes).
Le droit humanitaire est composé de différents droits qui extrapolent les domaines
d’intervention de l’action humanitaire et qui constituent son originalité. A chaque fois que le
sort des populations, sujettes à des troubles, est en jeu, ces droits sont affiliés au droit
international humanitaire, qui représente le droit suprême en matière de protection de
victimes:
Le droit des conflits armés : il définit « l’ensemble des règles qui à la fois fixent les
droits et devoirs des belligérants dans la conduite des diverses opérations militaires et limitent
les moyens utilisés dans les conflits armés »94
. L’objectif est donc de réglementer les
hostilités. Si les conventions de Genève et de La Haye différenciaient ce droit et celui du droit
international humanitaire, les considérant même comme opposés, une tendance née de
l’adoption des protocoles de 1977 amène à reconnaitre la complémentarité des deux droits. La
modernisation du droit international humanitaire a permis de l’envisager comme l’avenir du
droit des conflits armés. Parce qu’il sert la cause des victimes de guerre, l’humanitaire se
présente comme la caution morale de la gestion des conflits. Il ne prend parti pour aucune des
puissances en jeu et ne s’intéresse qu’au sort des populations civiles. Son regard objectif se
présente donc comme indispensable dans l’application juridique des règlements des conflits.
Le droit international médical : il consiste en « l’ensemble des règles juridiques
établies pour la protection internationale des professionnels de santé en temps de guerre ou de
situation équivalente »95
. Le droit international médical est une branche spécialisée du droit
international humanitaire. Son élaboration est par ailleurs, postérieure à celle du droit
international humanitaire.
Le droit international de la personne humaine : il est un droit à part de
l’humanitaire mais sa construction est semblable à celle du droit humanitaire international. Il
est « l’ensemble des règles juridiques établies pour la protection des intérêts vitaux de la
personne humaine, en temps de paix comme en temps de guerre »96
. Il emprunte au droit
international humanitaire sa conception classique, issue de la convention de Genève et sa
composante moderne, proclamée à New York. Ce droit lutte contre les génocides, la torture,
94
Ibid. p.20 95
Ibid. p.21 96
Ibid. p.22
64
et toutes autres formes de traitements inhumains ou dégradants. Cette dimension se rapproche
des actions menées par les acteurs de l’humanitaire qui s’attachent à apporter un soutien
moral et physique aux victimes de ces traitements. Une certaine complémentarité de ces droits
permet d’envisager une entreprise performante de lutte contre les supplices physiques
perpétrés contre des civils.
Le droit international des réfugiés : les institutions internationales97
chargées de
défendre sur le terrain, les droits des réfugiés, sont les mêmes qui travaillent étroitement avec
les acteurs de l’humanitaire. Nous pourrions même ajouter qu’elles sont des acteurs de
l’humanitaire à part entière. Ces réfugiés politiques subissant des persécutions au sein de leur
pays d’origine sont à la charge des humanitaires qui doivent s’exécuter à rendre moins
douloureuse leur situation. Les règles générales de protection juridique des réfugiés sont
largement empruntées au droit international humanitaire, et issues de la Convention de
Genève.
Le droit international des minorités : la nécessité d’une juridiction propre aux
minorités ne s’est imposée à la communauté internationale, qu’à partir des années 1990. La
Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, et l’ONU ont respectivement en 1991
puis 1992, adopté des mesures visant à garantir l’intégrité physique et morale des minorités.
La communauté internationale se charge alors de rechercher des solutions protectrices des
droits des minorités.
Après avoir localisé les bénéficiaires de l’action humanitaire, et s’être assuré de
l’encadrement juridique de cette dernière, le droit humanitaire s’est appliqué à distinguer les
droits fondamentaux qu’il entend défendre. En effet, la notion de droit humanitaire renforce la
protection des droits fondamentaux de la personne humaine. Ceux-ci sont au nombre de trois :
Le droit à la vie : mentionné dans la déclaration universelle des droits de l’Homme98
de 1948 ainsi que dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des
libertés fondamentales de 195099
, la convention interaméricaine des droits de l’Homme de
1969100
, tout comme la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples de 1981101
, le
droit à la vie s’impose comme l’un des points déterminants du droit international humanitaire.
97
Voir Haut Commissariat des Réfugiés. 98
Art 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » 99
Art 2, paragraphe 1. 100
Art 4, paragraphe 1. 101
Art 6, paragraphe 1.
65
Dès lors, l’assistance humanitaire est confiée particulièrement aux Etats territoriaux qui
doivent garantir ce droit à la vie.
Le droit à la santé : la notion de droit à la santé est relativement floue. Envisagé
comme droit à la meilleure santé possible, il s’agit de rechercher des solutions garantissant
une sécurité sanitaire, qui inclut une sécurité alimentaire. Le droit international humanitaire
participe particulièrement à la mise en œuvre du droit à la santé. D’une part, il pose la règle de
l’interdiction des atteintes à l’intégrité physique et mentale. D’autre part, il affirme le droit
aux secours et à la protection, premiers maillons d’une chaîne qui doit s’atteler à rendre
possible le droit à la santé. Ainsi, l’action humanitaire permet de déployer les moyens
nécessaires à assurer le droit à la santé.
Le droit à la paix : l’action humanitaire intervient particulièrement voire
principalement en temps de conflits armés. Soigner, aider, nourrir ne sont pas les seules
missions des organisations de solidarité, qui doivent également faire de leur mieux pour
rétablir un climat de paix. Si elles n’interviennent pas militairement, elles ont en revanche
l’obligation d’alerter la communauté internationale des réalités du terrain afin que celle-ci
mette en place un secours militaire. L’humanitaire se présente comme un outil du maintien de
la paix. Cette dimension émane des principes modernes du droit international humanitaire.
Pour défendre ces droits, que l’humanitaire considère comme l’essence de sa raison
d’être, il doit pouvoir intervenir légalement. De fait, l’action humanitaire est, elle aussi
codifiée au sein du droit humanitaire international. L’effort est mené pour donner un cadre
juridique à l’aspect proprement opératoire de l’action. Réciproquement, le droit a permis le
développement de l’action. Le droit international humanitaire réunit un ensemble de règles
juridiques destinées à encadrer l’action humanitaire internationale102
. Même si dans certains
cas, l’intervention apparaît inévitable pour les acteurs de l’humanitaire, ils doivent néanmoins
s’assurer de rassembler un certain nombre de garanties qui rendent légal le déploiement de la
solidarité. Là, où le mouvement sans frontièriste ne s’attardait pas sur les normes et les lois,
les ONG prennent soin de s’inscrire dans la légalité. L’Etat joue un rôle décisif dans le
processus de déclenchement de l’action humanitaire. Il peut prendre l’initiative d’appeler à
l’intervention de solidarité comme de s’y opposer. Dans ce cas précis, le principe de
subsidiarité103
relaye les décisions étatiques. Il met la communauté internationale face à ses
102
Buirette P, Lagrange P, Le droit humanitaire international, la Découverte, Paris, 2008, p.56. 103
Bélanger Michel, Droit international humanitaire général, Editions Gualino, 2e éd, Paris, 1997, p.26.
66
responsabilités. Si un Etat refuse de protéger sa propre population, par le biais de
l’humanitaire, c’est à la communauté internationale de décider de la mise en place du
processus d’aide aux populations. La théorie de la légitime défense104
accompagne cette idée.
Cette règle est inscrite dans le droit humanitaire international. Elle est en réalité une assurance
permettant l’intervention humanitaire.
L’assistance est également codifiée au sein du droit humanitaire international. Elle se
fonde sur l’idée de protection des droits fondamentaux des victimes. Trois critères relatifs à
l’assistance sont retenus par le droit humanitaire. Tout d’abord, il s’agit du moment de
déclenchement (des circonstances exceptionnelles sont-elles réunies pour intervenir ?). Puis il
est question de savoir qui intervient (les ONG ? les Etats ? la communauté internationale ?).
Enfin, il faut déterminer la nature de l’intervention. Au travers du droit à la vie, et du droit à la
santé, est sous-entendu le droit à l’assistance humanitaire auquel toutes les victimes doivent
avoir accès. Il fait partie du droit international humanitaire coutumier. Pourtant, dans certains
cas, ces interventions humanitaires sont perçues comme une ingérence dans les affaires
intérieures d’un Etat.
B) Droit d’ingérence ou devoir d’ingérence ?
A la base, le principe de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats est un
fondement du droit international public classique. Cependant, l’émergence du droit
international humanitaire moderne vient remettre en cause ce principe au nom de
« l’intervention d’humanité »105
. Progressivement, le droit international public admet les
limites de ce principe. Car ce sont les populations qui sont en jeu. Cette loi permet à n’importe
quel tyran, d’opprimer sa population, sans que la communauté internationale ne puisse
intervenir, ni par la voie militaire et ni par son action humanitaire. L’ONU elle-même,
reconnaît à la fois le caractère ambigü de ce principe ainsi que son caractère restrictif. Très
vite des situations apparaissent comme inévitablement sujettes à une intervention. Dès lors la
pratique de l’ingérence humanitaire s’impose à la communauté internationale. Au nom de la
« protection de l’humanité », les Etats, les premiers prennent la décision d’une action visant à
la protection des populations. Pour Mario Bettati106
, il s’agit d’une « ingérence soustractive ».
104
Ibid. p.26. 105
Bettati Mario, Droit d’ingérence mutation de l’ordre international, Editions Odile Jacob, Paris, 1996, p.102 106
Ibid. p.104.
67
Les premiers motifs d’ingérence remontant au XIXe siècle, étaient de l’ordre de la protection
des minorités, notamment religieuses. Les interventions du XXe siècle recouvrent une toute
autre signification. Les Etats interviennent afin de protéger leurs nationaux, présents dans le
pays qui subit des troubles. Les exemples sont nombreux. Peut-on énoncer l’action de la
Belgique à Congo-Kinshasa en 1960, celle de la France au Zaïre en 1978, des Etats Unis au
Panama en 1989, ou encore les interventions belges, françaises, et italiennes au Rwanda en
1994. Les textes juridiques ne statuent pas sur cette nouvelle interprétation de l’ingérence. La
communauté internationale se retrouve face à un état de fait, contre lequel personne ne
s’élève. Ainsi, il n’y a pas d’habilitation en la faveur de l’ingérence, mais néanmoins, il
n’existe pas de textes reconnaissants son illicéité. Les Nations Unies ont pour vocation de
maintenir la paix. Fortes de cet objectif, elles ne peuvent se satisfaire du principe de non
ingérence. La charte de Nations Unies en fait allusion, comme le principe suprême régissant
les relations internationales. Pourtant, cette organisation sait jouer des dérogations. Au nom de
la légitime défense individuelle ou collective, ou d’une situation dans laquelle la paix n’est
pas garantie, l’ONU autorise, un Etat, une coalition d’Etats, ou une organisation à intervenir
militairement. L’idée d’ingérence va de paire avec l’affirmation qui prétend que la
souveraineté ne doit plus être un rempart qui permet au gouvernement de cautionner voire de
perpétrer sur son territoire et en toute impunité des violations massives aux droit de l’Homme.
L’ingérence est fondée sur la confrontation entre l’intervention et la souveraineté.
Inventée en 1979 par Jean-François Revel, dans un article de l’Express107
, la notion
d’ « ingérence humanitaire » traduit les velléités de la sphère humanitaire. Cette expression
définit « l’assistance humanitaire non sollicitée. L’ingérence peut être matérielle ou
immatérielle ». L’humanitaire prend modèle sur l’ingérence étatique, pour ne plus se borner
au cadre strict du droit international. Face à la volonté d’intervenir dès qu’il le souhaite, dès
qu’il juge la situation assez critique pour mener une action, l’humanitaire se dote des attributs
de l’ingérence. Même s’il ne constitue pas un droit, les acteurs de l’humanitaire, perçoivent
l’ingérence comme un devoir. Ils estiment avoir la responsabilité d’intervenir au nom de la
défense des droits fondamentaux. Mario Bettati108
distingue quatre périodes de la mise en
place de l’ingérence humanitaire. Tout d’abord, l’ « ingérence immatérielle » qui s’étale de
1948 à 1968 qui défend les droits de la personne humaine. Puis la période de l « ingérence
caritative » de 1968 à 1988 qui est caractérisée par une ingérence matérielle des ONG. Ce
107
Ibid. p.110. 108
Ibid. p.155.
68
mouvement est porté par les organisations sans frontièriste. Depuis 1988, s’applique une
« ingérence forcée » qui s’effectue avec la bienveillance de la communauté internationale.
Enfin « l’ingérence dissuasive » est axée sur la prévention des crises. L’ingérence humanitaire
est principalement non armée. Elle représente le déploiement de l’aide habituelle, sanitaire et
médicale dans la plupart des cas. Elle s’applique soit en accord avec l’Etat concerné par
l’ingérence, soit sans accord de celui-ci, soit dans des situations où il n’existe pas de
structures étatiques. Elle peut également être de nature politique, dans le sens où elle vise à
défendre les valeurs de la démocratie, financière et économique, ou judiciaire, c'est-à-dire que
l’ingérence dans ce cas précis a pour but de juger les coupables des troubles. La montée en
puissance de l’ingérence humanitaire, prônée par les occidentaux, mène à une réflexion sur la
création d’un droit d’ingérence. René Cassin est à l’origine de ce débat. Le texte fondateur de
ce droit revient au conseil de sécurité des Nations Unies, qui l’adopte le 5 avril 1991.
Désormais l’ingérence a un fondement juridique. Celui-ci repose sur la défense de l’ensemble
des droits fondamentaux de la personne humaine. Ce droit a une finalité démocratique. On
distingue le droit d’ingérence dit naturel et celui dit spécial ; le premier s’applique en cas de
catastrophe naturelle ou industrielle majeure, nécessitant le déploiement de l’aide humanitaire
sanitaire d’urgence. Le second se mobilise en cas de guerre et de guerre civile. Le droit
d’ingérence induit un droit de libre accès aux victimes. Cette évolution révèle la prise de
conscience des organisations internationales. Jusqu’en 1990, elles ne reconnaissaient pas les
crises humanitaires. Donner un cadre légale à l’action en revient à la reconnaître. Jusqu’à
cette période, l’ingérence est perçue comme du néo-colonialisme. Le droit d’ingérence se
présente comme l’aménagement d’un nouvel espace juridique destiné à légitimer
l’intervention humanitaire tout en garantissant le principe fondamental de l’indépendance et
de la non-soumission de l’Etat à l’égard de l’extérieur. L’aide d’urgence, bien plus qu’une
autre est facilitée par le droit d’ingérence. En droit civil, l’urgence est « le caractère d’un état
de fait susceptible d’entraîner, s’il n’y est pas porté remède, un préjudice irréparable à bref
délai »109
. L’élément temporel en plus qu’ailleurs, déterminant. Face à l’urgence,
l’humanitaire se doit de réagir rapidement. Ce droit lui accorde la liberté de la vitesse de
déploiement de l’action de solidarité. La constitution de ce droit est née de simples questions
portées par le mouvement des french doctors qui n’ont jamais attendu un cadre légal pour
intervenir. Faisant fit du caractère illégal de leur action, ils ont constamment franchi les
frontières pour aider au plus près les victimes. Le constat s’est rapidement imposé :
109
Bettati Mario, Droit d’ingérence mutation de l’ordre international, Editions Odile Jacob, Paris, 1996, p.188.
69
« l’ampleur de certaines violences collectives ou de certains conflits armés internes ou
internationaux engendrent des situations critiques susceptibles de faire de nombreuses
victimes dont la survie et la santé dépendante d’une assistance rapide et efficace »110
. Pourtant
en raison de règles juridiques et des lois, de très nombreuses victimes ne bénéficient d’aucun
régime de protection humanitaire. L’assistance dans certaines situations, ne constitue pas un
droit des victimes, ni une obligation à la charge des Etats alors que de nombreuses
organisations publiques comme privées ont les moyens d’intervenir. Le droit à l’assistance
humanitaire fait partie des droits de la personne humaine. Or à cause du principe de non
ingérence, certaines populations n’y avaient pas accès. L’idée de droit d’ingérence devient
rapidement inévitable. Considérée comme un devoir de l’humanité, l’humanitaire doit trouver
sa place juridique. Le principe de droit d’ingérence vise à dépasser la souveraineté étatique
afin de servir les intérêts de l’humanitaire. Cette avancée marque une évolution radicale des
règles du jeu international. Pour les défenseurs de ce droit, il est plus question de s’assurer
d’un droit à l’assistance humanitaire, qu’un véritable principe d’ingérence. Leurs principales
revendications demeurent du domaine du droit à la santé, à la vie et à la paix. Pour défendre
ces droits, il leur faut un cadre juridique qui permet, dans n’importe quelle situation, que soit
assurée l’aide humanitaire. Ainsi sont crées les « couloirs d’urgence » par la résolution 45/100
de l’ONU garantissant le libre accès aux victimes pour les organisations humanitaires. Le
droit d’ingérence se rapproche du principe de la responsabilité à protéger. Le droit
humanitaire international se repose sur des textes juridiques censés préserver sa pérennité.
C) Textes et institutions du droit humanitaire international
Les textes relatifs au droit international humanitaire sont les produits des organisations
internationales et des organisations non gouvernementales. De nombreuses organisations
intergouvernementales ont participé à l’effort de codification du droit humanitaire.
Néanmoins, les Nations Unies ont l’influence la plus significative en matière de production de
textes. En effet, ils constituent le noyau dur du droit conventionnel de l’action humanitaire
international. Les textes juridiques provenant des Nations Unies sont rassemblés au sein de ce
que l’on appelle « droit de New York ». Il est affilié à la vision moderne du droit international
humanitaire. Ainsi, la résolution 43/129 du 2 novembre 1988 est communément reconnue
110
Déclaration issue de la résolution du 28 janvier 1987 réunissant les acteurs de l’humanitaire lors de la première conférence internationale du droit et de la morale humanitaire.
70
comme le texte fondateur de ce nouveau droit international humanitaire. Il est conçu comme
un cadre devant fixer les limites de ce nouvel ordre humanitaire international. Les résolutions
du 8 décembre 1988 complètent la première en apportant quelques précisons. L’intérêt est
porté sur la promotion de la coopération internationale dans le domaine de l’humanitaire, ainsi
que sur l’assistance humanitaire aux victimes de catastrophes et de situations d’urgence du
même ordre. Pourtant une ambigüité demeure. Alors que l’ONU s’attèle à définir le droit
humanitaire en le légitimant et surtout en le légalisant, elle continue à réaffirmer le principe
de souveraineté étatique qui restreint les domaines d’intervention de l’humanitaire. Le conseil
de sécurité a également participé à l’élaboration du « droit de New York ». Les résolutions
adoptées en 1991111
concernant la répression des populations civiles irakiennes, et
l’autorisation du recours à la force pour l’acheminement de l’aide humanitaire en Bosnie-
Herzégovine, sont d’ailleurs, supérieures à celles de l’assemblée générale. En effet, les
résolutions du conseil de sécurité ont valeur de décisions, tandis que celles de l’assemblée
sont des avis.
Les organisations intergouvernementales ont-elles aussi participé à l’effort de
codification de l’humanitaire. L’Union Européenne, l’OEA112
, ou encore l’OSCE113
ont
rédigé des textes qui servent à alimenter le corpus de textes juridiques propres à l’humanitaire.
Le droit classique doit en grande partie sa rédaction au CICR. Le droit moderne doit,
quant à lui beaucoup aux ONG, qui ont particulièrement travaillé à son élaboration. La
seconde génération d’ONG, constituée d’organisations à vocation juridique et d’organisations
sanitaires et médicales, participe activement à la construction du droit humanitaire moderne.
L’apport des ONG permet d’élargir les réflexions des OI et de démocratiser la pensée sur le
droit international humanitaire. Ainsi l’institut de droit international a adopté à Zagreb, le 3
septembre 1971 une résolution sur les conditions d’application des règles humanitaires
relatives aux conflits armés dans lesquels les forces des Nations unies peuvent être engagées.
Il s’agit du premier texte international prévoyant des règles détaillées sur cette question. En
outre, l’Académie internationale des droits de l’Homme a adopté, à Copenhague, le 31 août
1986, une résolution sur le droit à l’assistance humanitaire. L’institut international de San
Remo, quant à lui, a statué en 1993, sur les principes directeurs concernant le droit à
l’assistance humanitaire. En somme, les ONG à vocation juridique participent à l’exercice de
111
Résolutions 688 et 770 112
L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe 113
L’Organisation des Etats américains
71
synthèse entre le droit classique et le droit moderne institué en parallèle à New York. Parce
qu’elles ne veulent pas appliquer les dispositions du droit classique issues de Genève, les
nouvelles ONG médicales et sanitaires, s’activent à affirmer le nouveau droit comme
supérieur à celui de Genève. Ainsi, la Conférence réunie à Paris le 28 janvier 1987 sur le droit
et la morale humanitaire, a permis l’adoption d’une résolution sur la reconnaissance du devoir
d’assistance humanitaire, et du droit à cette assistance. Ce texte affirme le droit des victimes à
l’assistance humanitaire, mais aussi le devoir des Etats d’assistance humanitaire.
Pour que les textes s’appliquent, il faut des institutions qui les fassent respecter.
L’ONU dispose de plusieurs organes à vocation humanitaire. Ils ont pour objectif de veiller à
la respectabilité des principes et droits humanitaires. Qu’ils s’agissent du Conseil des droits de
l’Homme, du Comité des droits de l’Homme ou du bureau de la coordination des affaires
humanitaires, tous travaillent à garantir un cadre légal à l’action humanitaire. Les agences
humanitaires onusiennes ont les mêmes fonctions mais agissent sur le terrain de l’action.
Ainsi le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés tout comme le Programme
alimentaire mondial, servent les intérêts des victimes en promouvant le droit international
humanitaire. L’Union européenne est progressivement devenue le principal contributeur
mondial en matière d’aide humanitaire notamment en tant que bailleur institutionnel en faveur
des ONG. Forte de sa contribution à l’action humanitaire internationale, elle se doit de faire
respecter le droit humanitaire en vigueur.
Le droit humanitaire met en vigueur des règles juridiques au caractère fonctionnel. Il
est avant tout un droit opératoire qui se développe dans trois directions principales :
l’adoption d’un statut des missions humanitaires internationales, la création de structures, et le
renforcement des activités. Au cause des risques encourus, par les acteurs de l’humanitaire,
une reconnaissance de la personnalité juridique des ONG. Celle-ci n’est admise qu’en 1986
par le Conseil de l’Europe. Le droit humanitaire s’est chargé de la question de la protection
spécifique du personnel humanitaire. Dès 1984, sous l’égide de Mario Bettati, qui représente
un collectif d’ONG, un projet de charte concernant la protection juridique du personnel
humanitaire, au Conseil de l’Europe. Parallèlement, l’ONU prend ses dispositions pour
garantir la sécurité de son personnel. Le 9 décembre 1994114
, est adoptée une résolution sur la
sécurité du personnel des Nations unies. Il fallait également que l’humanitaire s’assure de
zones d’intervention sures. Le « droit de New York » reprend les idées de zones ou d’enclaves
114
Résolution 49/59.
72
de protection. L’effort est porté sur la conceptualisation de ce concept, s’orientant vers la
formulation de la notion d’ « espaces humanitaires ». Dans ces zones de sécurité toute activité
est alors bannie. La sécurité est garantie par les « gardes bleus » qui agissent sous le contrôle
de l’ONU. Installés dans les centres humanitaires, ils doivent en assurer la quiétude de ces
espaces.
Le droit international humanitaire a donc pour objectif de rendre l’action humanitaire
performante. En lui permettant d’intervenir, il sert les intérêts des victimes, en définissant les
droits fondamentaux à protéger. Il affaiblit le principe de non ingérence dans l’optique que
l’interventionnisme humanitaire puisse devenir une réalité incontestée. Cette avancée sert la
modernité de l’action humanitaire. La médiation joue un rôle quasi similaire auprès des
opinions publiques, qui rapidement perçoivent l’humanitaire comme une évolution moderne
des sociétés.
2. Du bénévolat à la professionnalisation
L’humanitaire, après la guerre du Biafra s’apparente aux notions de l’engagement et du
bénévolat. En effet, les French doctors véhiculent l’image d’un humanitaire médical
d’urgence, rapide, non institutionnel, mobilisant des bénévoles et non des salariés. Ils créent
ainsi l’âge héroïque de l’humanitaire dont la fondation reposait sur des petites structures
associatives composées de médecins militants et bénévoles partant pour des missions courtes.
Parallèlement, face aux nécessités de s’adapter aux réalités internationales, un processus
inévitable de professionnalisation s’enclenche dès les années 80, dans l’idée de rendre le
secteur plus performant. Elle constitue la décennie de l’urgence, celle où l’humanitaire a été
mis à rude épreuve, des expériences qui ont fait naître progressivement l’idée que le secteur
devait se professionnaliser. Afin de devenir un véritable pilier de la sphère international, les
acteurs de l’humanitaire comprennent qu’ils doivent s’entourer de professionnels.
73
A) Les enjeux de la professionnalisation
Les ONG sont considérées comme des associations composées d’individus qui se
regroupent volontairement pour poursuivre des engagements communs.115
Dans ses principes
fondateurs, l’humanitaire repose sur une conception non lucrative de son action, portée par
des bénévoles, qui la différentie naturellement d’une entreprise regroupant des professionnels.
Déclarant une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir, les ONG sont des associations de
citoyens œuvrant au mouvement civique116
, qui se présentent comme le contrepoids des
institutions publiques. Cependant, un lien économique s’initie entre les bailleurs de fonds
publics et les ONG. Née du besoin de financements perpétuels, cette dépendance,
progressivement établie, traduit l’un des enjeux principaux de la professionnalisation de
l’humanitaire. En effet, en contrepartie de financements de plus en plus importants, les
bailleurs augmentent le niveau d’exigence qu’ils attendent des missions d’urgence des ONG.
Dès lors, pour s’aligner sur leurs exigences, les ONG doivent montrer un visage plus
professionnel et rendre leur action plus efficace. Dès les années 70, les ONG recrutent comme
volontaires des logisticiens et des administrateurs chargés de la gestion technique et financière
des missions, ainsi que du suivi de certaines d’entre elles sur le terrain. La première étape de
la professionnalisation est le volontariat. Le volontaire se situe entre le bénévole et le salarié.
Il est nourri, logé, blanchi, garanti d’une couverture sociale et l’ONG lui reverse des
indemnités, non assimilées à un salaire, comprises entre 4000 et 6000 francs117
, versées sur un
compte en France. Les ONG ont compris que leur principal domaine de défaillance demeurait
l’organisation et la coordination de l’urgence. Pour le reste, elle était composée de
professionnels, engagés en tant que bénévoles, qui déployaient leur savoir-faire sur les lieux
de l’urgence. En effet, les médecins, infirmiers, ambulanciers, qui s’activent pour faire face
aux besoins des populations victimes d’un traumatisme, le sont de formation. Leur action
résulte d’un engagement. De ce côte là, l’humanitaire n’a pas besoin d’être plus professionnel.
Sa principale zone d’ombre résulte de son incapacité à gérer, à évaluer, à organiser, et à
s’organiser.
Progressivement, la participation des ONG à l’effort de solidarité s’accentue. Dans
l’optique d’être plus performants, les présidents d’associations comprennent qu’un processus
115
Frey Jean, La solidarité internationale, une profession ? Ambivalence et ambigüités de la professionnalisation ? , Tiers Monde, 2004, tome 45 n° 180 pp. 735-772 p.738 116
Ibid. p.739 117 Siméant Johanna, Urgence et développement, professionnalisation et militantisme dans l'humanitaire, Les
Mots, Mars 2001, N°65. pp. 28-50. p.32.
74
de modernisation doit les amener jusqu’à la professionnalisation des organisations d’urgence.
En effet, afin de s’insérer dans le jeu international et y être reconnues comme des acteurs à
part entière, les ONG se professionnalisent. Trois questions principales accompagnent les
réflexions sur ce bouleversement structurel des organisations. D’une part, la question des
savoirs et des connaissances à privilégier pour améliorer les interventions de solidarité,
émerge. Puis se pose la question de la structure du pouvoir et la nature des relations entre les
différentes catégories professionnelles, regroupées au sein de l’ONG. Enfin, la question de la
légitimité à faire prévaloir dans le domaine de la solidarité, des organisations nouvellement
professionnelles, soulève le débat au sein de la sphère humanitaire. Le processus de
professionnalisation se met néanmoins en place, et se structure autour d’avancées modernes :
- Une gestion administrative performante
- Une stratégie financière
- Une technicité pointue
- Une salarisation croissante du personnel
- Une politique de recrutement sur définition des postes et des profils
- Une gestion rationnelle du temps de travail
- Une stratégie d’alliance et de regroupement face à la concurrence
- Un développement de liens avec les médias et les réseaux de marketing
Le caractère initialement associatif des ONG semble désormais loin. Les organisations
se rapprochent maintenant, plus d’entreprises que d’associations. Le « marché de la
solidarité »118
est devenu très compétitif, tant pour le recueil de dons privés que dans celui de
fonds publics. Ainsi les départements financiers des ONG prennent rapidement de
l’importance. Ils sont désormais composés de véritables spécialistes de la question
commerciale, issus des écoles de commerce. Les départements de communication suivent la
même logique d’évolution. Avec le développement rapide des médias, les interventions
humanitaires sont filmées ou retranscrites, et soumises à l’évolution des sociétés civiles. De
fait, pour gagner la confiance des opinions, et justifier de l’utilité des dons, les organisations
se doivent d’être efficaces et performantes. Les tâches bureaucratiques, de gestion,
d’organisation deviennent également plus lourdes à supporter pour des bénévoles. Ces
derniers s’engagent généralement pour des missions de courte durée, ce qui rend plus difficile,
la compréhension du contexte d’intervention, la maîtrise des outils et de la culture de
118
Ibid. p.34.
75
l’association. L’humanitaire pour s’inscrire dans le long terme comprend qu’une remise en
cause des principes fondateurs doit s’effectuer. Dès lors, la salarisation s’accentue. Des
fonctions très spécialisées sont créées et réservées aux détenteurs d’un diplôme spécifique à
l’humanitaire. Preuve du phénomène de salarisation des organisations de solidarité, des écoles
se spécialisent dans la formation de cadre de l’humanitaire. On pense désormais à faire
carrière dans l’humanitaire. Ou plutôt on peut maintenant faire carrière dans l’humanitaire.
B) Les ONG : de nouvelles entreprises ?
Le terme d’ « entreprise » renvoie à la définition de Max Weber qui entend qu’il
s’agit d’une « sociation comportant une direction administrative à caractère continu, agissant
en finalité »119
. Suivant cette définition, les organisations humanitaires sont des entreprises.
En effet, les ONG professionnelles s’apparentent à des entreprises au regard de leur gestion
interne et externe. Ainsi sur le terrain, le fonctionnement de l’organisation évolue pour se
structurer autour de salariés professionnels devenus incontournables. Le chef de mission
définit la politique générale et assure les relations avec les autorités et le siège, localisé en
occident, l’administrateur s’occupe du suivi financier et juridique de la mission, tandis que le
logisticien supervise les aspects techniques des programmes. La filiation entre les ONG et les
entreprises se résume à une rationalité gestionnaire quasi similaire120
. Les objectifs des deux
parties diffèrent certes, tout comme leurs attentes de résultats, néanmoins les moyens utilisés
pour parvenir à leurs fins respectives, se ressemblent. Afin de s’assurer de la concrétisation
d’objectifs clairement définis, l’humanitaire se dote d’une logistique, censée par son
efficacité, rendre imparable la réalisation sur le moyen et le long terme de divers projets. Dès
lors les taches bureaucratiques deviennent de plus en plus importantes. La responsabilité de
ces fonctions incombe à un personnel qui ressemble à peu de chose près à celui d’entreprise.
On retrouve désormais au sein d’ONG : des techniciens, administrateurs, logisticiens,
comptables, et financiers, agents enquêteurs et des gestionnaires de ressources humaines, qui
se sont imposés comme indispensables au bon fonctionnement des organisations. Le marché
du travail de la solidarité s’ouvre pour recruter des professionnels du management, de la
finance, et de l’administration, habituellement convoités par des entreprises. L’ONG mobilise
dans chacun des domaines utilises à son fonctionnement, des personnes aux compétences
119 Le Naëlou Anne, ONG : les pièges de la professionnalisation, Tiers-Monde. 2004, tome 45 n°180. pp. 727-
734. P.728. 120
Ibid. p.730
76
reconnues sur le marché du travail. Les organisations de solidarité ne regroupent plus
beaucoup en leur sein, de dévoués à la cause humanitaire, qui consacrent leur temps libre à
aider. L’humanitaire représentait au temps des bénévoles, un réel engagement qui répondait à
des idéaux. Désormais, il est question de professionnels qui délivrent leurs savoirs à des
organisations. Pourtant, il demeure essentiel, que la plupart des salariés d’ONG, ne
conçoivent pas leur travail comme le simple accomplissement d’une fonction pour laquelle, il
gagne un salaire, mais comme un investissement personnel dans la sphère de la solidarité
internationale. En effet, malgré la professionnalisation, on ne fait pas de l’humanitaire par
hasard. Si chère aux fondateurs de l’humanitaire d’après 1968, malgré l’effort de
modernisation, la notion d’engagement reste très forte dans le lexique de l’action humanitaire,
notion moins marquée dans le domaine des entreprises. Du bénévole solidaire, le secteur se
repose désormais en grande partie sur des experts solidaires. De là, nait principalement l’un
des seuls points distinctifs entre une ONG et une entreprise. Les niveaux de rémunération des
salariés de l’humanitaire sont de plus en plus proches de ceux proposés par les entreprises.
Malgré cette professionnalisation croissante, qui ne s’inscrit pas dans la logique fondatrice des
acteurs de l’humanitaire, le critère d’appréciation de la solidarité de ses membres demeure
primordial pour le maintien des idéaux humanitaires. En effet, sans cette dimension, les ONG
seraient des entreprises comme les autres, agissant dans un domaine particulier. Cependant
d’autres aspects plus concrets de la gestion des ONG renvoient directement à l’idée
d’entreprise. En effet, pour être efficace, l’action se doit d’aborder une coordination
professionnelle des différents secteurs qui constituent l’ONG. Pour que la cohérence
organisationnelle de l’organisation soit pertinente, elle soit s’appuyer sur des valeurs
professionnelles. Un processus de gouvernance d’entreprise s’institue donc en parallèle de
celui de la professionnalisation. Ces facteurs amènent la communauté humanitaire à se
déchirer au sein de débats parfois virulents, tant les enjeux sur l’idéologie de l’action sont
importants.
C) Une évolution aux débats virulents
La professionnalisation, inévitable pour certains afin de renforcer l’efficacité des
opérations menées, entraine une véritable mutation de la nature des ONG et de son
positionnement dans la société. Cette situation est à l’origine des véritables critiques au sein
77
de la sphère humanitaire. Johanna Siément121
a mis en forme les arguments tenus par les
défenseurs et les accusateurs de ce mouvement de modernisation. Grâce à deux cents
entretiens accordés par les acteurs de la solidarité aux chercheurs du CAHIER, elle a réalisé
une étude comparative sur des tenants et aboutissants des débats. A la base, l’humanitaire est
un engagement qui résulte d’une certaine conception de la solidarité. Or la salarisation permet
d’appréhender l’action de solidarité comme un métier dans lequel une carrière est
envisageable. Pour certains membre d’ONG, notamment sans frontièriste, c’est l’âme de
l’humanitaire qui se perd au travers de la professionnalisation, car il ne doit pas être autre
chose qu’un regroupement de personnes, qui font de l’altruisme, un mode de vie. En effet, ces
acteurs, qui pour la plupart ont connu le Biafra, et font partie de la première génération de
l’humanitaire moderne, celle qui le conçoit uniquement comme un engagement et un
dévouement. De fait, ils perçoivent cette évolution comme dangereuse pour l’avenir de la
solidarité. Dans leurs esprits, la professionnalisation et la salarisation vont attirer des salariés
plus préoccupés par leurs intérêts propres, par la justification de leur utilité, et par leurs
carrières, que par l’avenir des bénéficiaires de l’aide humanitaire. Au final, c’est la dimension
militante du mouvement d’entraide qui disparaît. Pourtant, les défenseurs de la
professionnalisation avancent des arguments bien différents. Ainsi, l’humanitaire, pour eux,
est un métier, une vocation, qu’il faut favoriser par une salarisation croissante du personnel.
Pour recruter les personnes plus performantes, dans chacun des domaines associés aux ONG,
les organisations doivent s’aligner sur les prétentions des entreprises. De plus, il s’agit de
bénéficier du savoir-faire de spécialistes de la finance, du management, de la gestion, de la
logistique, plutôt que de s’accommoder des bonnes volontés de bénévoles, certes motivés,
mais souvent peu qualifiés dans ces domaines. Parmi les partisans de la professionnalisation,
l’efficacité demeure un argument récurent pour s’assurer de l’efficience de l’action.
L’affaiblissement progressif de la gouvernance associative au profit d’une gouvernance
managériale devient inévitable, mais cette évolution suscite des querelles au sein de la
communauté humanitaire.
Les exigences progressivement plus importantes des bailleurs de fonds sont à l’origine
de la professionnalisation, mais également des débats. Pour les détracteurs de cette évolution,
cela signifie la fin de l’humanitaire « à la française » caractérisé sans indépendance vis-à-vis
des institutions publiques. L’assujettissement, possible, des ONG à la politique pose alors le
121 Siméant Johanna, Urgence et développement, professionnalisation et militantisme dans l'humanitaire, Les
Mots, Mars 2001, N°65. pp. 28-50. p.32.
78
problème de l’étique humanitaire. L’indépendance revendiquée par rapport aux autorités
publiques, nationales, ou internationales s’estompe rapidement face aux nécessités
financières. Les ONG ne peuvent vivre que de l’aide privée, et doivent pouvoir compter sur
les bailleurs de fonds publics. Lorsque que ces derniers ont demandé des garanties plus
contraignantes aux organisations, qui incluaient la professionnalisation, ces dernières n’ont pu
que satisfaire leurs attentes. Parallèlement, c’est l’augmentation progressive des fonds publics
qui a permis la professionnalisation, les ONG ayant désormais les moyens d’employer de
véritables professionnels. Les défenseurs du processus ne se posent pas véritablement la
question qui demanderait si s’accorder sur les revendications des instances publiques,
équivaut à perdre l’indépendance vis-à-vis de celles-ci. Ils se demandent au contraire si les
fonds privés récoltés grâce à l’émotion médiatique sont plus légitimes ? L’évolution est
source de crises et de débats qui durant la décennie 90 et jusqu’aux années 2000 constituent
un véritable point de déchirement dans la sphère humanitaire. Les ONG sont écartelées entre
l’engagement associatif qui est par nature, leur raison d’être, et les besoins d’efficacité induits
par la professionnalisation. Le malaise du personnel des ONG renvoie à la question du sens
du projet associatif. La mise en place de la logique administrative et gestionnaire rencontre de
nombreux obstacles car elle parle d’efficacité, de rentabilité, de compétence, là où les mots de
militance et d’engagement prédominaient jusqu’alors. Les arguments en faveur de la
professionnalisation sont nombreux mais abordent généralement les mêmes thèmes. Ceux de
la meilleure qualité apportée aux bénéficiaires et de la plus grande crédibilité à l’égard des
bailleurs de fonds et du public. Les bavures de certaines associations composées de bénévoles,
desservent la communauté humanitaire dans sa totalité et peuvent avoir des conséquences
dramatiques sur les financements. Etre constituées de professionnels, permet aux
organisations de limiter ces faux pas. Enfin, s’ils reconnaissent que la professionnalisation va
à l’encontre des principes fondateurs, ils conçoivent également qu’il faille bouleverser les
traditions, si cela rend service à l’action.
Malgré les débats, le processus déclenché à la fin des années 80 mène à un
changement radical des fondements des ONG. Devenues professionnelles, elles tendent à
maximiser les effets de leur action. Néanmoins, les bénévolats et volontaires n’ont pas
totalement disparu et s’emploient toujours activement sur le terrain. Si l’organisation, la
gestion ou encore la coordination sont désormais l’apanage de spécialistes de la question, les
exécutants demeurent bénévoles ou volontaires. Mobilisés pour des missions de courtes
durées, ils se différencient des salariés employés sur le long terme par les ONG pour
79
pérenniser les effets de l’action. L’effort de professionnalisation a porté ses fruits : en 2005 on
recense près de 40800 associations caritatives et humanitaires à travers le monde employant
l’équivalent de 40500 salariés à plein temps.122
3. Les médias, avantages ou inconvénients pour l’humanitaire ?
L’évolution technique des médias et la multiplication des crises humanitaires depuis
les années 70 ont mené à la création d’une interdépendance entre les médias et l’humanitaire.
Très vite les acteurs de la solidarité ont compris qu’ils avaient besoin d’un support médiatique
pour éveiller les consciences populaires. De même les médias, pour remplir parfaitement leur
mission d’information ont recherché à transcrire le témoignage d’humanitaires qui
s’efforçaient à répondre aux besoins des populations. Pourtant les ONG ont également
rapidement intégré le fait que les médias pouvaient faire ou défaire leurs réputations. Dès lors
des liaisons parfois dangereuses se sont tissées entre les deux parties.
A) L’émotion au cœur des relations
La croissance exponentielle de la télévision amène une nouvelle conception des
relations entre les médias et l’humanitaire. Les liens établis avec d’autres sources
d’informations telles que la presse écrite ou la radio n’ont jamais atteint l’intensité des
relations entre télévision et humanitaire. L’apport de la télévision vise à faire naître l’émotion
des opinions. Pour beaucoup d’humanitaires, la relation qu’entretient ce média avec eux ne
repose que sur cette dimension. Ainsi, la télévision fait prévaloir l’instantanéité de l’image
plutôt que l’analyse de l’action. L’humanitaire est montré comme une « information-
spectacle » où la scénarisation de l’action individuelle est mise en avant. Cette position est
abordée par Pierre Bourdieu qui prétend de le traitement de l’humanitaire par la télévision est
dénué de sens. Il montre les événements sans se soucier du contenu, au fil des crises il
réapparait sur les écrans des sociétés civiles comme : « une succession d’histoires en
apparence absurdes qui finissent par toutes se ressembler… suites d’événements qui, apparus
sans explication, disparaîtront sans solution, aujourd’hui le Zaïre, hier le Biafra, et demain le
Congo, et qui, ainsi dépouillés de toute nécessité politique, ne peuvent au mieux susciter
122
Le Coconier. M.L, Pommier. B, L’action humanitaire, Presses universitaires de France, Paris, 2009, p. 51.
80
qu’une vague d’intérêt humanitaire123
». Certains accusent les médias de ne parler de
l’humanitaire qu’en temps de crises, lors que l’action se déploie et crée dans les foyers
occidentaux, un sentiment de compassion vis-à-vis des victimes de troubles. Néanmoins, cette
médiatisation permet aux ONG de récolter une partie de fonds nécessaires à la continuité de
l’action. Parce qu’elle voit des images qui l’affecte, la société est plus généreuse.
Les humanitaires savent également se servir des médias. Rappelons-nous du Biafra.
Sous l’impulsion de Bernard Kouchner, les engagés de la Croix Rouge n’avaient pas hésité à
témoigner publiquement grâce aux médias, des réalités du terrain. Ces témoignages
sciemment livrés avaient pour objectif de sensibiliser l’opinion publique aux souffrances de
populations civiles. Plus tard Bernard Kouchner a théorisé cette démarche qu’il qualifia de
« loi du tapage médiatique » qui a pour maxime « sans image, pas d’indignation ».124
En
1991, il est allé plus loin dans sa réflexion sur les médias en écrivant que « la troïka du
mouvement humanitaire regroupera les volontaires, les journalistes et les politiques »125
.
L’histoire de l’humanitaire subit une évolution considérable depuis que les médias
interviennent pour porter sur les écrans les images de son action. La relation qui s’établit entre
l’humanitaire et les médias apparaît rapidement comme ambigüe : entre coopération,
complémentarité, dépendance voire indépendance, où même instrumentalisation réciproque,
leur rapport est complexe. Progressivement, grâce au progrès de la transmission des images,
la victime semble plus proche de l’occidental, qui assiste impuissant aux malheurs du monde.
Les images s’accompagnent d’appels au don. L’humanitaire prend alors appui sur les médias
pour récolter des fonds. Il lui attribue la mission de la levée des dons. Les médias doivent
faire comprendre à la population que le financement est indispensable pour la réalisation de
projets humanitaires. Ils choisissent le sentimentalisme et l’émotion pour fait naître chez le
téléspectateur ou le lecteur, une émotion qui doit les amener à répondre à l’appel au don. Si
les médias remplissent correctement cette mission, l’humanitaire peut alors être moins
dépendant envers les institutions publiques. Cette recherche d’indépendance passe par un
financement privé, qui doit le décharger de la pression des bailleurs publics. Dans l’esprit des
sans frontièristes qui initient cette théorie, moins ils demandent au secteur public plus ils
seront libres de leur action. Dès lors, pour toucher une audience qui se veut de plus en plus
large, ils doivent médiatiser leur action. Une sorte « d’humanitaire spectacle » envahit alors
les écrans de télévisions. S’il permet d’augmenter considérablement les recettes des ONG, il a
123
Bourdieu Pierre, Contre-Feux, Liber-Raisons d’agir, Paris, 1998, p.83. 124
Kouchner Bernard, Le malheur des autres, Editions Odile Jacob, Paris, 1991, p.194. 125
Ibid p.196.
81
pourtant ses limites. L’attention est portée sur le moment précis de la crise. Ni la situation
antérieure, ni postérieure ne sont abordées par les médias. De fait, ils servent à l’action
d’urgence mais délaisse l’humanitaire de développement. Il faut nourrir les affamés, soigner
les blessés, accueillir les réfugiés mais les médias ne s’intéressent aux actions portées sur
l’avenir de ces population. Non traité par ces images, le développement ne peut pas accéder
aux mêmes sources de financement que l’ONG d’urgence. L’émotion est au cœur de la
relation humanitaire-médias. Cette réalité est critiquée par certains acteurs de l’humanitaire et
dénoncent : « la substitution récurrente de l’émotion à l’explication, de l’apitoiement à la
compassion, de la pitié à l’exigence de justice, de la communication à l’information, de la
sensation au sens »126
. L’idée de faire appel à l’émotion et non à la raison, de banaliser et de
réduire la complexité de l’action, d’ignorer le contexte politico-historique afin de mobiliser la
levée des fonds, est très critiquée dans la sphère humanitaire. On reproche aux images
d’entrainer l’émotion et la compassion mais de ne pas donner les clés de l’explication et de la
compréhension. Si certains le désolent, d’autres au contraire s’en satisfont. Pour les premiers,
le fait qu’on ne parle de l’humanitaire qu’en période de crise, les mène à penser qu’on occulte
toute l’éthique de l’assistance. En somme, il s’agit de parler de la forme en occultant le fond.
Pour les seconds en revanche, l’émotion suscitée par les images permet de rendre l’action plus
performante, au travers du financement et du détachement des institutions publiques. En tout
cas, les médias ont joué un rôle tout de premier ordre dans la démocratisation des ONG.
B) ONG et médias
Le personnel des ONG est au cœur de la politique de collecte d’informations des
médias. En effet, dans les zones les plus reculées, les humanitaires alimentent les journalistes
en informations. Ils sont des témoins de choix pour les médias. Ils contribuent à leur apporter
tous types d’informations permettant l’élaboration de sujets d’actualité en faisant circuler des
témoignages ou des données. Les médias ont permis de montrer les actions de différentes
ONG. La présence récurrente sur le terrain, fait qu’elles sont devenues des figures habituelles
du paysage audiovisuel. Progressivement, la société lui accorde sa confiance. Le dévouement
des humanitaires est souvent mis en avant par les médias, tout comme leur courage. Ils sont
même arrivés à les ériger en héros, des héros modernes, qui quittent leur confort occidental
pour apporter leur assistance aux plus démunis. Un mouvement visant à inviter les
126
Backman R, Brauman R, Les médias et l’humanitaire, Editions CFPJ, p.64
82
journalistes dans les campements des ONG émerge à partir des années 90. Grâce à un matériel
de plus en plus perfectionné, les journalistes peuvent capter de mieux en mieux les images
d’humanitaires délivrant des soins ou de la nourriture. Directement présents dans les camps,
les journalistes font alors la promotion des ONG. Ces derniers ne restent que très peu de
temps sur le terrain. Les rédactions leur confient des sujets allant de 90 secondes à 4 minutes,
ils doivent dans ce laps de temps, définir le pays, les causes de la catastrophes, les victimes et
les humanitaires qui s’attèle à leurs soins. En raison du peu de temps dont ils disposent, les
journalistes s’appuient en grande partie sur le discours des humanitaires, sur leur témoignage,
sur leur action pour fabriquer leur sujet. Très vite, l’humanitaire se retrouve au cœur des
éditions. Dès lors, les ONG deviennent pour le public les représentants de la morale
internationale. Pourtant comme nous avons pu le voir dans le chapitre précédent,
l’humanitaire fait des erreurs. Lorsque les journalistes et les caméras sont présents, certaines
de ces bévues sont retransmises sur les écrans de télévisons. Dans cette situation, c’est la
réputation et l’avenir des ONG qui sont en jeu. Sans financement, elles ne peuvent pérenniser
leur action.
L’humanitaire moderne a confié à ses acteurs la mission de témoigner. Là où avant le
Biafra, les humanitaires soigner sans parler, désormais ils ont l’obligation de raconter. Pour
mobiliser la communauté internationale, ils doivent dire ce qu’ils voient, ce qu’il se passe là
où ils sont. Les médias leur permettent de remplir cette mission. En effet, il n’y a pas de
meilleure audience que celle réunit tous les soirs à 20 heures devant son poste de télévision.
Les ONG cherchent à faire parler, à être connues afin que puisse parvenir les dons nécessaires
à son action. Elles jouent avec les donateurs la carte de la transparence, en mettant en scène
l’utilisation des dons reçus. Rony Brauman127
explique que quatre facteurs sont
indispensables à la médiatisation des crises : « le robinet à images, la non-concurrence,
l’innocence de la victime, et la médiation »128
. Le « robinet à images » consiste à alimenter
quotidiennement en images le spectateur. Elle doit être également la seule crise médiatisée à
ce moment là, afin de ne pas engendrer de concurrence de la douleur. Pour que la crise ait un
résultat positif sur la société, elle doit avoir le monopole de la compassion. Sans cela, elle
risquerait de ne pas assez mobiliser les consciences collectives. Les médias mettent également
en avant, la figure de la victime innocente, représentée généralement par un enfant, ou une
femme. Cette victime doit être accompagnée d’une personne venant à son secours, lui
127
Backman R, Brauman R, Les médias et l’humanitaire, Editions CFPJ, p.75. 128
Ibid.
83
apportant, soins et nourriture. Cette personne est le médiateur, elle est généralement un
personnel d’ONG qui porte les attributs de l’organisation pour laquelle il travaille. Montrer la
victime ne suffit pas au spectacle que souhaite mettre en scène les médias, il faut un
humanitaire à son chevet pour que le tableau soit complet. Cette situation est née de la volonté
de rendre l’information la plus accessible possible. Afin de toucher les esprits de plus grand
nombre de téléspectateurs, les sujets proposés sont parfois d’une simplicité déconcertante.
C) Le tsunami de 2004 où l’apogée de la médiatisation des crises humanitaires
Le 26 décembre 2004, les télévisions sont envahies par les images montrant un
tsunami d’une ampleur sans précédents en Asie du Sud Est. Parce que cela constitue l’un de
champ d’action, l’humanitaire déploie très rapidement une assistance visant à venir en aide
aux populations, victimes de ce ras de marée. Les équipes d’évaluations sont les premières à
arriver sur le terrain afin d’analyser les besoins humanitaires des populations. Si les images
sont d’une rare violence, les besoins sont moindres que ce que pense l’opinion publique. En
effet, il y a beaucoup de morts mais peu de blessés et les équipes chargées de l’évaluation de
la situation assurent qu’il n’y aucun risque d’épidémie possible dans ce cas précis. C’est la
raison qui pousse MSF à expliquer que l’organisation n’a plus besoin d’argent pour aider les
populations d’Asie du Sud Est. Alors que les médias appellent aux dons, cette décision est très
mal perçues à la fois par les acteurs de l’humanitaire mais aussi par la population française.
En effet, elle est vécue comme un frein à l’élan de solidarité. L’opinion n’a pas compris la
position de MSF. Pour elle, c’est l’ensemble de la communauté humanitaire française qui
n’avait plus besoin de dons, alors que MSF ne parlait que de sa propre organisation.
Sur les écrans de télévision un véritable show caritatif se met en place. Le 3 janvier
2005 TF1 consacre un prime time à la solidarité en faveur des victimes. Les présidents de
plusieurs organisations humanitaires sont présents ainsi que Bernard Kouchner. Tous
s’accordent pour dire comme il y a eu un avant et un après Biafra, il y aura un avant et un
après tsunami. Jamais jusqu’à présent on n’avait vu la quasi-totalité des médias audiovisuels
se convertir en agents de collecte de fonds. Il était impossible d’allumer la radio ou la
télévision sans se voir sommé de donner. L’action humanitaire ne s’est pas modifiée après cet
événement, en revanche le traitement d’une telle situation à quant à lui, radicalement était
bouleversé. Le sentimentalisme et l’émotion ont été exacerbés par les médias. Le tsunami est
intervenu en pleine période de Noël, les médias ont largement axé le politique d’information
84
sur le contraste entre le français qui fêtait le Noël en famille, et l’asiatique qui cherchait sous
les décombres les membres de la sienne. Cette position a éveillé les consciences et amené les
français à donner aux ONG. Les français ont donné près de 330 millions d’euros répartis entre
32 ONG. L’ampleur de ce chiffres équivaut à celui des morts, puisque les associations et
autorités locales font état de près de 225 000 morts. C’est la médiatisation de l’événement qui
doit être étudiée de plus près. Rony Brauman explique que tout était rassemblé : «pour porter
à son paroxysme l’émotion et la réaction sociale : la pureté victimaire, le côté hollywoodien,
les caméras amateur, l’îlot paradisiaque qui fascinent et bouleversent »129
. Par la
médiatisation, l’ampleur des dons est considérable. Franck Hourdeau, directeur de la
communication et du développement d’Action contre la Faim, nous apporte des chiffres
permettant une comparaison : « C’est tout simplement du jamais vu. Pour vous donner une
idée avant la catastrophe nous recevions 500 dons par an via le net. 30 000 euros étaient ainsi
récoltés. Le 31 décembre, nous avons eu un pic de connections sur notre site avec plus de
4000 dons en ligne et 380 000 euros collectés. En un jour »130
. Les français ont massivement
donné. L’originalité de la collecte de don résulte de la manière de donner. Alors que les
chèques envoyés aux associations étaient l’usage commun, pour le tsunami de nouvelles
façons de participer à l’effort de solidarité ont émergé : internet et les SMS. Les trois grands
opérateurs français ont lancé une collecte de dons, un SMS envoyé à un numéro payant
équivalait à un euro reversé aux associations. Ainsi plus de trois millions de SMS ont été reçu.
Dès lors, le don devient un acte simple. A l’heure de l’explosion technologique, l’humanitaire
semble prendre le virage de la modernité. Les médias ont accentué l’émergence d’une
conscience éthique des sociétés. En montrant les images, de populations en souffrance, de
cadavres, d’humanitaires en action sur le terrain, les médias ont amené la population française
à la réflexion. Néanmoins, le show médiatique élaboré par les grandes chaines de télévision a
quelque peu occulté le fond du problème pour se focaliser sur la forme. Le choix des médias a
été porté sur le spectaculaire. Une concurrence s’établit entre les chaines de télévisions. C’est
à celle qui montrera le plus d’atrocités. Le spectaculaire doit engendrer le compassionnel, et le
compassionnel, le don. Les médias ont crée une couverture médiatique superficielle, en ne
montrant que des images-choc. La recherche du sensationnel s’avère très efficace pour la
levée des dons et bénéfique pour l’image de l’ONG, que l’on voit s’activer auprès des
victimes. Pour beaucoup comme Bernard Kouchner, cet élan de solidarité consacre « la
129
Backman R, Brauman R, Les médias et l’humanitaire, Editions CFPJ, p.86 130
Zsuzsa Anna Ferenczy, Les ONG humanitaires, leurs financements et les médias, http://www.iehei.org/bibliotheque/memoires/FERENCZY.pdf
85
mondialisation de la fraternité »131
. L’exemple du Tsunami montre l’avenir de l’humanitaire.
Porté sur les nouvelles technologies en terme de collectes de dons, fondé sur l’apport des
médias, sur la coopération international au nom de la fraternité et de l’humanité, l’humanitaire
connaît avec cette crise sa forme la plus aboutie. Marquée par des avancées qui la mène sur la
voie d’une modernisation croissante, l’action humanitaire exposée en Asie du Sud Est se voir
qualifié de nouvelle forme de l’humanitaire. Le Biafra avait amorcé l’entrée de l’humanitaire
dans sa seconde ère. Il est donc plausible de dire que le tsunami l’a peut être emmené vers sa
troisième ère.
131
Backman R, Brauman R, Les médias et l’humanitaire, Editions CFPJ, Paris, 2006, p.88.
86
CONCLUSION
L’humanitaire s’engage depuis la guerre du Biafra sur la voie de la modernité. Née après le
refus de se taire face aux atrocités observées sur le territoire nigérian, l’action rompt en partie
avec ses fondements les plus radicaux. Entre la professionnalisation, la médiatisation et la
codification d’un droit plus moderne, le mouvement de solidarité cherche à se rapprocher des
évolutions sociétales. Comprenant qu’il ne peut se satisfaire de ses principes de base,
l’humanitaire tend à changer le positionnement de son action. Ainsi, le monopole du CICR
s’amenuise au profit de l’émergence d’ONG qui renouvellent l’assistance. Passés du statut
d’amateur à celui de professionnels, les acteurs mettent leur expérience au profit de
l’efficacité de l’action. Progressivement, les erreurs d’antan permettent d’améliorer,
l’organisation, la coordination et la gestion des interventions. S’écartant du postulat qui
avançait que les humanitaires devaient agir sans chercher à comprendre les motifs de
l’apparition de crises, ils empruntent à partir de la fin des années 1980, la voie de la
dénonciation. Parler et agir, comprendre pour intervenir, deviennent les principes moraux de
cette nouvelle conception moderne. Si les ONG affichent la volonté de s’affranchir de la
tutelle politique, elles ne peuvent pas réellement tourner le dos aux organisations
internationales. Dépendantes financières, elles comprennent que l’idéal d’un humanitaire
apolitique n’est qu’illusoire. En effet, les Etats sont présents sur la scène de l’altruisme.
D’abord en tant que bailleurs de fonds, puis en tant qu’acteurs à part entière. Face à la
croissance exponentielle des besoins humains de nombreux pays, subissant troubles et crises,
les Etats, majoritairement occidentaux, décident d’intervenir. L’Organisation des Nations
Unies joue également un rôle non négligeable dans la constitution d’une action humanitaire
performante. Elle a pour fonction, au nom de son essence pacifiste, de coordonner l’action de
solidarité internationale. Grâce à ses agences, elle s’impose comme un acteur particulièrement
actif de l’assistance. ONG, Etats et Organisations internationales, constituent alors le paysage
humanitaire moderne. Cette juxtaposition des acteurs est permise grâce à l’émerge du droit
international humanitaire, censé s’adapter à la modernisation que connait alors l’action de
solidarité. Il élabore un cadre pertinent qui doit définir le contexte d’intervention de chacune
des parties. L’humanitaire poursuit son processus de démocratisation. Considéré comme
l’apanage de quelques personnalités à la fin des années 1960, il devient une réalité sociétale,
qui accapare les questionnements et réflexions modernes. L’action humanitaire s’installe
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comme un pilier des sociétés actuelles. Elles lui accordent du crédit, car elles perçoivent en lui
toutes les facultés nécessaires, pour s’imposer comme le garant de la morale internationale.
Cette image est particulièrement véhiculée par les médias. Ils sont une donnée incontournable
de la démocratisation, auprès des opinions publiques, de l’activité. Passé de l’amateur qui
vadrouille pour secourir des populations en danger, l’humanitaire devient un expert de la
coordination et de l’action qui tend à se rendre plus professionnel qu’auparavant. Les médias
traduisent sur les écrans de télévisions, les progrès qui s’affirment. L’explosion de la
médiatisation atteint son paroxysme en 2004, en mettant en place un véritable show caritatif,
destiné à récolter les fonds nécessaires au secours des populations d’Asie du Sud Est. Un tel
tapage médiatique n’étonne que peu les observateurs, tant le processus de médiatisation des
crises et des actions s’est rapidement mis en place. Peut-on, dès lors penser qu’une troisième
ère de l’humanitaire pourrait s’ouvrit reposant, quasi essentiellement sur l’apport de la
télévision, de la radio ou de la presse écrite. Solferino avait ouvert la voie du premier siècle de
l’humanitaire, le Biafra l’avait emmené sur le chemin de la modernité, le tsunami peut dès
lors, se présenter comme le tournant d’une action de solidarité mondialisée fondant son
existence sur son rapport avec les médias.
L’histoire de l’humanitaire moderne s’inscrit dans le champ d’étude de l’histoire du temps
présent. Défini par la présence d’acteurs de cette période pouvant témoigner, le temps présent
s’intéresse au contemporain voire au très contemporain. Pourtant, la communauté historique
ne s’est pas encore réellement penchée sur la question de l’émergence de l’humanitaire
moderne. Les seuls historiques retraçant les étapes successives de l’institutionnalisation de
l’action de solidarité, sont à mettre sur le compte d’humanitaires désireux de témoigner. Afin
de comprendre les réalités actuelles, ils ont décidé de raconter comment l’action se mit
progressivement en place. Si le fond est véridique, la forme, quant à elle, n’est pas conforme à
la démarche historique. Un véritable champ de recherche s’ouvre aux historiens. Pouvant
s’appuyer sur les témoignages oraux, sur les archives d’ONG ou d’organisations
internationales, ces derniers ont matière à travailler. Face à l’oubli des chercheurs de la
discipline historique, c’est principalement, les politologues, sociologues et autres ethnologues
qui se sont chargés de combler les attentes de la société. La méconnaissance étant la pire des
juges, ils leur fallait expliquer le processus de mise en place de l’action humanitaire, afin que
l’opinion publique puisse l’apprécier dans son intégralité. On ne peut pas affirmer que les
historiens ont délaissé totalement l’étude de l’humanitaire. Certains d’entre eux se sont
intéressés à l’histoire du « premier siècle de l’humanitaire », mais peu ont passé en revue les
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divers aspects de l’humanitaire moderne. Notre travail ici n’applique qu’en partie le processus
de réflexion historique. S’il est conforme avec la méthodologie de cette discipline, le fond
demande tout de même à être approfondi. La volonté clairement affichée dès le départ, était
de s’atteler à l’élaboration d’une genèse de l’humanitaire moderne. En regroupant les travaux
de ceux qui ont pensé l’action de solidarité, nous avons pu récolter les données primordiales à
la construction d’un travail qui tente de mettre en avant tous les aspects inévitables de
l’émergence et de l’institutionnalisation de l’humanitaire moderne de 1968 à nos jours.
Pourtant, pour être un véritable travail de recherche historique ce mémoire doit être complété
par l’apport de sources provenant à la fois des fonds d’archives de l’humanitaire privé et
public. Ce champ d’étude est une problématique qui doit progressivement s’installer dans les
laboratoires de recherches historiques français.
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