Présentation.
Lors de la lecture de textes bibliques, J-M Martin propose souvent d'entendre le texte
en tenant compte des structures grammaticales de l'hébreu. Sur le blog de la Christité
(www.lachristite.eu) un premier message est paru sur la causalité (parce que, afin
que…)1, celui-ci porte sur les verbes en général. Le verbe être (dont l'usage en hébreu
est différent du nôtre) et le verbe avoir (qui n'existe pas en hébreu) feront l'objet d'un
autre message. Une table des matières figure en dernière page.
Le I traite du temps des verbes hébreux (et un peu des verbes grecs), et le II traite
des différents modes des verbes hébreux. Le but n'est pas d'apprendre l'hébreu mais
de comprendre comment il fonctionne et d'en tenir compte pour la traduction du
Nouveau Testament, il y a quelques extraits d'interventions de J-M Martin en ce sens.
La plus grande partie de ce qui est dit vient d'ailleurs. J'ai récolté diverses choses !
Christiane Marmèche
Les verbes en hébreu
et le problème de la traduction
I – Temps et aspects des verbes bibliques
1) Le temps des verbes en hébreu et en grec, première approche.
a) Temps et aspects des verbes hébreux (ce que dit J-M Martin).
L'hébreu ne connaît pas les temps (passé, présent, futur) mais connaît des aspects c'est-à-dire
la différence entre ce qu'on appelle "l'accompli" (parfois "le parfait") et "l'inaccompli" :
– l'accompli peut correspondre à un présent qui garde la mémoire d'un passé et qui a de quoi
perdurer ; il correspond un peu au "parfait" grec qui indique un état accompli avec une sorte de
permanence ;
– l'inaccompli peut désigner quelque chose qui a commencé, quelque chose qui commence,
quelque chose qui est en voie de venir ou de finir, et donc il peut se traduire aussi bien par un
passé que par un imparfait, un présent ou un futur.
C'est l'extrême difficulté de la traduction qui est patente quand on veut traduire des verbes des
psaumes hébreux par exemple.
Le Nouveau Testament est écrit en grec, mais ce n'est pas le grec classique, c'est un grec
populaire, le grec hellénistique comme on dit, la koïnè, et en plus il est écrit par des gens qui
ont des structures de pensée hébraïque, d'où l'extrême difficulté de traduire.
Je vous fais part de ces difficultés et je ne dis pas que vous allez d'emblée sauter dans une
pensée par mode d'aspects plutôt que de temporalité, c'est très clair. Il faudrait cependant que
nous trouvions des équivalences au niveau de la traduction.
1 Cf Syntaxe hébraïque : y a-t-il de la causalité en notre sens ? Conséquences pour la lecture du NT.
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 2
b) Temps et aspects des verbes grecs (extraits de livres).
D'après Joëlle Bertrand2 « Le grec connaît la distinction entre passé (qu'expriment l'imparfait
et l'aoriste de l'indicatif), présent et futur. Mais il est davantage intéressé par la notion d'aspect
que par la notion de temps à proprement parler. L'aspect définit l'acte non par référence au
moment où se situe l'acte de parole, mais par rapport à l'action elle-même : ce qui compte alors,
c'est de savoir si l'action est sur le point de s'accomplir, est à son début, est en cours
d'accomplissement, se termine, est définitivement terminée…Tous les détours du français pour
traduire ces aspects : je vais manger, je commence à manger, je finis de manger… sont
contenus dans ce qu'on appelle grammaticalement les temps du grec… Le français (héritier du
latin) est très sensible à l'idée d'antériorité, mais pas le grec : rien, dans les temps du grec, ne
dit qu'une action est antérieure à une autre. Il faut toujours s'interroger sur la direction à
prendre quand on traduit… »
D'après Jean Humbert3. « Le futur se présente en grec dans des conditions particulières. À
date ancienne il n'a pas d'aspect propre et est beaucoup plus proche d'un mode que d'un temps.
À la différence du latin ou du français, le futur grec n'est pas une réalité future comme le
présent ou le passé sont des réalités présentes ou passées : il ne représente qu'une virtualité qui
tend à se réaliser dans le présent. Il ne fait aucune distinction entre un futur s'appliquant à un
cas unique et celui qui comporte une répétition. »
c) Quelques traductions du grec revues par J-M Martin4 :
● Traduction de futurs grecs.
Dans la phrase. « Un peu et vous ne me constatez plus, et à rebours un peu et vous me verrez
(opsesthé). » (Jn 16, 16) le verbe voir est mis au futur en grec, mais il n'y a pas de futur ni de
présent dans ces choses, il y a de l'accompli et de l'inaccompli dans la pensée d'origine
sémitique qui est sous-jacente. Or l'inaccompli en hébreu, sauf exceptions, peut se traduire par
un futur ou par « je commence à ». D'où ma traduction : « Un peu et vous ne me constatez plus,
et à rebours un peu et vous commencez à me voir. »
De même « je le ressusciterai dans le dernier jour » (Jn 6, 39) peut se traduire par « je
commence à le ressusciter dans le dernier jour » car le dernier jour c'est le jour dans lequel
nous sommes5.
● Traduction d'aoristes et de parfait grecs.
Voici deux traductions de Jn 20, 19 :
– « Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des
Juifs, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se
tint au milieu d'eux et il leur dit: “La paix soit avec vous” » (TOB).
– « 19
Le soir venu, ce jour-là, le premier de la semaine, les portes fermées où étaient les
disciples par crainte des Juifs, Jésus vient, il se tient au milieu et leur dit : “ Paix à vous.” »
(Sœur Jeanne d'Arc)6
2 Joëlle Bertrand, Nouvelle grammaire grecque, Ellipse 2000, p.244-245.
3 Jean Humbert, Syntaxe grecque, éd KLINCKSIECK 1972 p. 136.
4 Ce n'est pas un exposé, mais des extraits de sessions différentes.
5 Cf Jn 5, 17-21: le shabbat en débat. Les 7 jours et les 2 œuvres de Dieu (Gn 1) .
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 3
Sœur Jeanne d'Arc met les verbes au présent, or, en grec, ces verbes (êlthen et estê) sont à
l'aoriste. La traduction au présent est excellente, c'est l'indice qu'on a conscience de ne pas
pouvoir se fier aux temps grecs, parce que c'est dit par saint Jean en grec mais c'est pensé en
hébreu, langue qui n'a pas la distinction des temps que nous connaissons, elle a simplement la
distinction de l'accompli et de l'inaccompli, d'où l'indécision sur la manière dont il est
préférable de traduire qui ne vient pas des traducteurs mais du texte lui-même7.
Dans un texte au passé, l'emploi du présent désannecdotise le texte. En français, il est loisible
de réciter un événement passé à l'imparfait ou au passé simple, ou également dans ce qu'on
appelle le présent historique : « Napoléon arrive, il déploie son armée », c'est une façon de
raconter. Le présent est d'autant plus plausible ici que la véritable différence est moins, chez les
Grecs (comme chez les Hébreux), une différence de temps qu'une différence par rapport à
l'action elle-même. D'autre part le texte même de Jean peut commencer par un passé simple
dans le texte grec et passer au présent sans problème.
Par ailleurs le parfait – c'est vrai surtout pour l'hébreu qui est toujours sous-jacent à ces textes
– dit quelque chose qui est pleinement accompli ou quelque chose qui est en train de
s'accomplir. Ainsi Paul dit : « Celui que vous avez mis à mort, Dieu l'a ressuscité le troisième
jour selon ce qui est écrit dans le Psaume 2 : “Tu es mon fils, aujourd'hui je t'engendre
(gégennêka)” » (Ac 13, 33), le verbe est au parfait mais je le traduis par un présent : ressusciter
c'est être engendré aujourd'hui, dans l'aujourd'hui de Dieu.
Cette indécision sur la traduction pourrait être l'occasion de mettre en question notre
représentation temporelle de passé, présent et futur. Et pour l'instant nous sommes avertis qu'il
ne faut pas attribuer une importance décisive aux temps des différentes traductions. Nous
gardons un certain flou dans l'usage des verbes, quitte à nous poser chaque fois la question :
dans le cas présent, qu'est-ce qui est le plus opportun ?
● Deux autres exemples de traduction d'un parfait grec.
« Jusqu'ici vous n'avez rien demandé dans mon nom Demandez et vous recevrez en sorte que
votre joie soit pleinement accomplie (péplêrôménê). » (Jn 16, 24). L'expression "joie" est
accompagnée du verbe accomplir au parfait (du point de vue grammatical), c'est pourquoi je
traduis "pleinement accomplie", "définitivement accomplie".
« Jésus leur répondit : “Maintenant croyez. Voici que vient (erkhétaï) l'heure et elle est venue
définitivement (elêluthen)”… » (Jn 16, 31-32). Il y a deux rapports au temps (présent et
parfait) qui seraient ici à méditer.
d) Entendre « celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1, 4) par J-M Martin
Pour vous donner un autre exemple, nous traduisons dans l'Apocalypse « ho ôn kaï ho ên kaï
erkhoménos » par « celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1, 4 et 8), le verbe être étant au
présent, puis à l'imparfait, et "qui vient" étant un futur car en grec le futur se dit "les choses qui
viennent" (ta erkhomena), expression qui se trouve fréquemment dans notre N T.
6 Cf http://www.4evangiles.fr/comparateur/Jean/20 .
7 Il n'y a pas éventuellement nécessité de recourir à l'hébreu sous-jacent pour traduire l'aoriste par un présent
puisque pour les spécialistes du grec c'est tout à fait possible : « l'aspect peut prendre une importance telle que,
malgré la présence des caractéristiques secondaires, l'aoriste s'applique, non plus au passé, mais au présent… »
(Jacques Humbert, op. cité p. 144).
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 4
Mais il y a une certaine ambiguïté parce que, dans le plus archaïque, le premier terme n'était
sans doute pas un présent mais un parfait. Ainsi on a dans un livre qui date sans doute du début
du IIe siècle8 : « O estôs, stas, stêsomenos (celui qui se tient debout, qui a commencé à se tenir
debout, qui se tiendra debout ». On a donc le verbe istémi (se tenir debout) sous trois formes :
la premier est un parfait (qui correspond à l'accompli hébraïque), et les deux autres sont deux
modes de l'inaccompli : on regarde du côté de ce qui a commencé mais qui n'est pas achevé, ou
au contraire de ce qui est à venir.
Revenons à l'expression de l'Apocalypse : « Le Dieu qui est, qui était et qui vient ». On a une
énumération ternaire qui semble conforme à nos conjugaisons avec du passé, du présent et du
futur, mais c'est le présent qui vient en premier à la différence de notre usage de la même
formule (nous dirions : "qui était, qui est, qui sera"), donc au point de vue de l'ordre il y a une
modification. Nous entendons ainsi ces trois termes comme trois moments successifs, mais en
réalité, il n’y a pas trois moments, il y en a deux car c'est le présent qui vient en premier à la
différence de notre usage du temps. De plus les racines des verbes ne sont pas les mêmes : "qui
est", "qui était" sont du verbe "être" en grec, et "qui vient" du verbe "venir", mais c'est employé
la façon grecque de dire le futur9. Par exemple en Jn 6, 4 on a : « Jésus, sachant “tout ce qui
vient sur lui” » ; on traduit habituellement par “ce qui allait lui arriver” mais il ne faut pas
oublier que “ce qui vient sur nous”, c'est la façon grecque de dire le futur, ta erkhoména (les
choses qui viennent) est une façon de dire l'avenir.
Est-ce que dans l'expression de l'Apocalypse nous aurions une division ternaire finalement ? Je
ne crois pas parce que si je regarde le premier verbe : d'une part "est" n'est pas une traduction
très pertinente de l'accompli, et d'autre part, comme il vient en premier, il n'est pas pris dans le
découlement du temps, dans une succession. J'aurais pour ma part une division binaire :
en 1ère
partie on aurait "est" qui n'est pas notre présent mais la présence nouvelle, la
nouveauté christique ;
en 2ème
partie on aurait était et vient qui correspondraient à l'accompli et à
l'inaccompli.
Le présent « qui est » (« qui est » définitivement) s’oppose aux deux autres qui sont la
fluctuance de l’accompli du côté du passé et de l’inaccompli du côté du futur.
2) L'accompli et l'inaccompli en hébreu, approfondissement.
a) Trois présentations faites par des spécialistes d'hébreu10.
« Le système verbal de l'hébreu, et du reste des langues sémitiques, est fondé non sur
l'expression du temps situé par rapport au locuteur, mais sur l'aspect intrinsèque de la notion. Il
vise donc à exprimer non l'antériorité ou la postériorité, mais la valeur aspectuelle (accompli ou
inaccompli) du procès envisagé. Toute action dont on n'a pas besoin de spécifier qu'elle est
accomplie sera exprimée par l'inaccompli.» (Mireille Hadas Lebel, L'hébreu biblique pré-
exilique)
8 Cette formule est dans Philosophumena un livre du IIIe siècle qui est attribué à Hippolyte de Rome, mais on
n'est pas sûr qu'il en soit bien l'auteur. On désigne couramment ce livre sous le nom d'Elenchos. Une partie de ce
livre est le résumé d'un ouvrage qui s'appelle l'Apophasis Megalè (la Grande Révélation) qui date du IIe siècle. 9 Avenir, du latin adventus, désigne ce qui vient vers nous, ce qui nous arrive
10 Les aspects ne sont pas toujours désignés par ces termes (accompli et inaccompli), certains disent parfait et
imparfait par exemple.
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 5
« La langue juive, par ses racines concrètes, aide à capter la pulpe, la moelle, la saveur de
l'être. Elle n'est pas sensible à la différence, si usuelle en Occident, du passé, du présent et du
futur. Elle se fixe sur le mouvement qui est le ressort de l'action. Elle se demande si l'acte
s'achève ou ne s'achève pas. D'où un sentiment congénital de la durée ouverte à l'avenir. La
langue d'Abraham évoque le flux du temps, et non ses étapes. Pour elle, en elle, le passé n'est
jamais aboli. Le futur n'est jamais lointain. Tout consiste en un présent qui se reprend et qui se
réitère » (Jean Guitton, Les années obscures de Jésus11
).
« Pour l'hébreu, le temps n'est pas conçu comme une abstraction. Il le mesure et l'exprime par
rapport au concret, au vécu de l'homme en deux temps majeurs, l'accompli et l'inaccompli.
Tous deux se conjuguent... en fonction de l'expérience concrète de l'homme, de ce que son
regard voit ou ne voit pas devant lui.
L'accompli est ce qui est devant l'homme, ce qu'il voit ou a vu ; lephanim, devant mes
faces, veut dire curieusement le passé, et désigne ce qui est accompli.
Tandis que l'avenir est ce qui est derrière moi, ce que je ne peux pas voir parce que
c'est inaccompli. Le futur est ainsi ce qui est derrière moi, a'harith12
. Paul Valéry l'a
bien dit : "L'homme entre dans l'avenir à reculons."
(André Chouraqui, Traduire la Bible, dans L'écrit du temps, éd. de Minuit, p. 24).
● Deux exemples de verbes à l'accompli :
– En Gn 1, 1 le verbe « créer » est à l’accompli, cela signifie donc : « Dieu créa les cieux et la
terre » aussi bien que : « Dieu crée… », c'est-à-dire continue de créer aujourd’hui.
– Quand Dieu lui donne un fils, Samuel, Anne dit : « Mon cœur exulte (verbe à l'accompli)
dans le Seigneur… car je me réjouis (à l'accompli) de ton salut » (1S 2, 1), sa joie ne cesse pas.
● Exemples pour l'inaccompli :
L'inaccompli hébreu, c'est plutôt un duratif : il peut exprimer une action future tout autant
qu'une action en cours, parfois une habitude, même ancienne, voire une répétition. On peut
appliquer cela à l'eschatologie : le royaume vient, et le royaume est déjà venu. La fin des
temps se situe dans un lointain avenir, et pourtant elle a déjà commencé.
b) Comment entendre "Tu ne tueras pas" et "Tu ne mangeras pas" ?
● Comment entendre "Tu ne tueras pas" ? (d'après Manitou)
À propos des 10 paroles (commandements) : « On les entend comme des impératifs mais ils
sont toujours donnés au futur même dans les exceptions apparentes. Ce qu’on croit être une
exception c’est aussi un futur… Je prends un exemple : « lo tirtsa’h (tu ne tueras pas) » (Ex 20,
13). Il n’y a pas al tirstsa’h (ne tues pas). Cela veut dire, lorsque la Torah s’adresse à la
collectivité : si tu es Israël, Je te promets : voici ce que sera ton profil d’identité : « Tu ne tueras
pas !» C’est une promesse. Voilà ce que tu seras, ce n’est pas un commandement d’être, c’est
une promesse sur l’être. »13
11
À propos d'un livre de Robert Aaron, dans le Figaro littéraire du 5 novembre 1960. 12
Le passé se situe devant et l’avenir derrière ! Cette façon de voir les choses n’est pas si bête, puisque, de fait,
on peut voir le passé mais pas l’avenir ! 13
Extrait de http://manitou.over-blog.com/article-34645439.html .
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 6
● Comment entendre "Tu ne mangeras pas" (Gn 2) ? (d'après J-M Martin)
Le « Tu ne mangeras pas » c'est compris en général comme un ordre assorti d'une sanction :
« je t'ordonne de ne pas manger sinon tu mourras ». Mais, en soi, la parole de Dieu est une
parole donnante, œuvrante. L'archétype de la parole œuvrante, c'est « Fiat lux » : « "Lumière
soit"… Lumière est ». C'est la question se pose Paul en Rm 7 : comment expliquer que la parole
de Dieu qui est donnante soit une parole qui, en Gn 3, est désœuvrée, une parole qui
n'accomplit pas l'œuvre ? La parole de Dieu est inopérante quand il dit à Adam : « Tu ne
mangeras pas » car il la reçoit falsifiée par la reprise qu'en fait le serpent.
Alors, comment entendre cette parole ? C'est un « Tu ne mangeras pas » donnant : « je te
donne la capacité de tenir devant toi le point ultime, le point secret auquel tu n'accèdes pas, je te
donne cela. »
C'est cela qui ouvre la grande problématique paulinienne de la "justification de l'homme", ou
plus exactement du "réajustement de l'homme"14
, non pas à partir de l'observance de la loi – car
l'observance de la loi ne justifie pas l'homme –, mais à partir de la donation de Dieu.
c) Emplois de l'accompli pour un futur ; le parfait prophétique.
● Un fait accompli dans la sphère du futur.
L'accompli concerne en général le passé mais il peut aussi être employé dans la sphère du
»futur, pour une action antérieure à une autre action, c'est le contexte qui dit ce qu'il en est.
Ex. Dt 8, 10 : « Et tu béniras YHWH ton Dieu pour le bon pays qu'il t'aura donné (natan) »
● Un exemple d'accompli : le "parfait prophétique".
Pour bien saisir dans sa tonalité exacte le message des grands prophètes, il faut savoir que, si
l'accompli peut être l'équivalent de notre passé, on le trouve couramment employé dans les
prophéties pour parler du futur. Par exemple en Is 21,9 le prophète écrit : « elle est tombée, elle
est tombée, Babylone ! » (v. 9).
Ex. Is 9, 5 : « Un enfant nous est né, un fils nous est donné (natan) » (verbes à l'accompli
alors que le fils n'est pas encore né). Les interprétations sont diverses : pour certains le prophète
traduit sa vision d'un événement qui ne se produira que plus tard mais dont il est certain ; pour
d'autres le prophète présente cet événement futur comme s'accomplissant immédiatement.
d) Extraits de La signification du temps dans l'A T (R. Martin-Achard)15
.
« Pour Vollborn16
… la pensée hébraïque tend à actualiser l'événement ; le passé comme
l'avenir sont ramenés au présent. L'Ancien Testament ne voit pas les événements dans leur suite
chronologique, comme s'ils se succédaient sur une ligne continue, il ne mesure pas, par les
distances qui les séparent, le passé, le présent et le futur, il les voit ensemble.
14
L'ajustement (dikaïosunê) voilà un autre mot aussi important que le mot de salut, qu'on traduit par justification,
justice. En effet le terme a-dikos, le désajusté, est le contraire du dikaios (le bien ajusté). Cela ne se réduit pas au
champ de la morale, c'est un terme beaucoup plus vaste et beaucoup plus vague. 15
Paru dans Revue de Théologie et de Philosophie (1954) p. 137-140, sur internet : La signification du temps
dans l'Ancien Testament - Retro .... 16
Le livre de Vollborn est Studien zum Zeitverständnis des A. T. (Göttingen, 1951).
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 7
– C'est ainsi que l'élection d'Israël, la sortie d'Égypte ne sont pas des faits du passé, mais du
présent, chaque génération participe directement à ces événements, elle est la génération
mosaïque, comme le montre particulièrement le livre du Deutéronome, ainsi que le professeur
G. von Rad l'a souligné. Les grands faits de l'histoire du peuple de Dieu ne sont pas considérés
objectivement, par rapport à leur place respective, mais subjectivement, par rapport à la
génération présente.
– C'est ainsi également que l'avenir est déjà un fait actuel, comme l'indiquent les prophètes,
par leurs paroles et leurs actions symboliques, comme en témoigne cette forme caractéristique
du verbe hébreu qui est appelée « le parfait prophétique ». Passé et avenir sont ainsi actualisés,
présents dans l'instant qui est en train d'être vécu, et qui prend une importance décisive : c'est
ici et maintenant, dans le moment présent, que se joue toute la destinée du peuple élu et le sort
de l'individu…
(…) Le temps n'est ni linéaire, ni cyclique, il est « rythmique », c'est-à-dire il a des rythmes
particuliers ; on pourrait aussi parler de durées, au sens bergsonien, ou de tonalités différentes.
Le temps, en effet, s'identifie à son contenu, il est défini par la qualité et non par la quantité, il
n'est pas observé du dehors, il est vécu du dedans, il n'a pas de sens en soi, il n'en prend que par
rapport au sujet qui l'appréhende concrètement.
(…) Nous attirons l'attention sur l'ouvrage d'un philosophe français : Cl. Tresmontant, Essai
sur la pensée hébraïque (Paris, 1953, 169 p.), dans lequel l'auteur compare, avec beaucoup de
talent, la pensée grecque, plus particulièrement néoplatonicienne à la pensée biblique et à
certains aspects de la philosophie de Bergson. Si le temps est, pour le Grec, dégradation,
écoulement, chute, il est pour l'Hébreu, maturation, invention, enrichissement, création.
L'éternité n'est pas absence du temps, comme dans la conception hellénique, elle coexiste avec
un temps qui est genèse perpétuelle. « Dans la métaphysique biblique, Dieu crée gratuitement.
Le temps c'est la création en train de se faire ; l'éternité c'est le point de vue du créateur ; leur
coexistence c'est celle de l'action créatrice de Dieu et de sa suffisance, c'est le paradoxe de la
gratuité de la création » (p. 42).
Si nous essayons de conclure, nous dirons que si le problème du temps biblique n'est pas
résolu par les divers travaux que nous avons mentionnés, le résultat de ces recherches est loin
d'être négligeable :
1/ Il nous semble d'abord établi que les Hébreux n'ont pas une conception abstraite du temps,
le temps leur est donné dans l'événement qui prend sa place dans la nature et dans l'histoire, il
est toujours saisi par un sujet qui le vit dans le présent.
2/ Il nous paraît ensuite qu'il faut éviter de définir l'éternité en termes métaphysiques et de
l'opposer radicalement au temps. Celui-ci n'est pas un mal en soi et celle-là ne consiste pas dans
l'intemporalité. L'éternité, selon l'Écriture, semble plutôt fonder, maintenir et racheter sans
cesse le temps. Entre l'un et l'autre, les relations ne sont pas a priori négatives.
3/ Enfin, la conception d'un temps biblique qui serait avant tout linéaire nous paraît contestée
par les diverses études que nous avons citées : le temps n'est pas essentiellement une ligne, et
l'éternité une ligne qui se poursuit indéfiniment ; il est surtout rythme, durée, il a des "accents"
différents, il ne peut être fixé objectivement sur une droite, il est vécu, subjectivement, hic et
nunc. »
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 8
II – Les différentes modalités d'un verbe hébreu
NB : Dans les exemples, pour simplifier, l'accompli (ou le parfait) est traduit par un passé et l'inaccompli par un présent progressif ou un futur, même si ce n'est pas exact. On va parler des modes et des formes des verbes mais il n'y a pas de terminologie fixe, les termes varient d'un auteur à l'autre. Le 2°) reprend le 1°) en l'approfondissant au niveau texhnique
1) Première approche.
a) La racine d'un verbe : sa forme la plus simple.
« Le verbe est l’élément principal de la langue hébraïque. Nos conjugaisons commencent par
je, puis tu, ensuite il au présent. Curieusement en hébreu la forme la plus simple du verbe est la
3ème
personne au masculin singulier de l'accompli, les conjugaisons commencent donc par "il".»
(J-M Martin)
La racine d'un verbe est donc la 3ème
personne au masculin singulier de l'accompli, on
l'appelle “radical ” du verbe. Pour la plupart des verbes c'est la forme qu'on trouve dans les
dictionnaires.
Le verbe de référence est qâṭal [לטק] qui signifie "il a tué" : cette racine est utilisée comme
paradigme du verbe fort à l'accompli.
b) Les aspects : accompli / inaccompli (parfois nommés parfait / imparfait).
L'accompli est donc désigné par le qâṭal [לטק] (tuer, 3è pers. masc. singulier de l'accompli)
l'inaccompli par le yiqṭol [טק טלק .(tuer, 3è pers. masc. singulier de l'inaccompli) [ל
Si on regarde seulement les consonnes on passe de qâṭal [לטק], l'accompli, à yiqṭol [טק טלק ,[ל
l'inaccompli, en ajoutant un yod, la plus petite des lettres17
. De façon générale l’accompli est
marqué par l’adjonction de terminaisons, et l’inaccompli a en plus des préfixes.
c) Formes de base et sens éventuels de l'accompli (ou de l'inaccompli).
À partir du radical de base sont formés d'autres radicaux (qu'on appelle en général des
"modes") par l’addition de préfixes, le doublement de certaines lettres et le changement de
voyelles. Ce sont des modalités du verbe qui traduisent une action simple ou intensive, directe
ou indirecte, active, passive ou réfléchie...
► Les 4 formes de base à la voix active : simple, tolérative, intensive, causative
Les formes de base sont données à la voix active. Il y en a 4 au maximum.
Par exemple il y en a 3 pour le verbe tuer :
la forme normale (qal) : qatal = tuer.
la forme intensive (pi'el) : qittel = massacrer (tuer beaucoup).
la forme causative (hif'il) : hiqtil = faire tuer.
La 4ème
forme est le tolératif, voir la remarque à propos du nif'al un peu plus loin avant les
exemples de J-M Martin.
17
On peut penser que Jésus fait allusion au yod quand il dit : « Je vous le dis en vérité : avant que ne passent le
ciel et la terre, pas un seul iota pas un seul tiret ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. » Matthieu 5,18.
Les verbes en hébreu. www.lachristite.eu 9
► Les modes.
Nous venons de voir les formes de base à l'actif, mais elles peuvent être aussi au passif et au
réfléchi d'où des modes comme le passif simple, le causatif actif…. On reconnaît les différents
modes d'un verbe grâce à ce qui change par rapport au radical : préfixe, suffixe, redoublement
éventuel d'une lettre, ainsi qu'aux voyelles.
Un mode correspond donc à :
– une des quatre formes : simple, tolérative, intensive, causative ;
– et une des trois voix : active, passive, réfléchie.
Les dictionnaires donnent les sens pour chaque verbe. (voir plus loin le tableau indicatif).
● Exemple avec le verbe 'âman (supporter, soutenir, élever) qui donne amen :
– au passif simple (nif'al), ce verbe signifie être solide (être enraciné, être stable), d'où être
fidèle, être vrai.
– au causatif actif (hifʿil) il signifie « rendre stable, tenir ferme », d'où avoir confiance, croire
avec assurance18. « Il (Abraham) eut foi en Yhwh, qui le considéra comme devenant juste. »
(Gn 15, 6).
On trouve les deux modes précédents dans une phrase que Joseph Pierron19 aimait citer : « Si
vous n'avez pas la foi – au sens de "si vous ne tenez pas à moi" – vous ne serez pas soutenus –
vous ne tiendrez pas » 20 (Is 7, 9). Dans cette phrase on a deux fois le verbe ’aman, la première
fois au hif'il et la deuxième fois au nif'al.
Remarque : On a vu qu'un mode correspond à une forme et une voix, mais le nif'al dont J-M
Martin parle parfois est un peu une exception car il correspond en fait à plusieurs modes. Par
exemple la Grammaire hébraïque de Paul Joüon précise que ce mode nif'al est un réfléchi de
l'action plutôt qu'un passif, un tolératif : le sujet laisse faire sur lui ou pour lui, l'action signifiée,
ou encore accepte d'être engagé dans l'état indiqué par le verbe21
.
● Exemples donnés par J-M Martin à propos de traductions d'aoristes passifs grecs :
Le verbe ôphtê intervient en Mt 17, 3 et aussi dans le texte de Paul (1 Cor 15 v. 5, 6, 7, 8), est
un mot très intéressant. C'est le verbe voir à l'aoriste (il désigne quelque chose d'accompli), et il
est au passif. Il correspond au nif'al, un mode hébraïque qui peut être considéré dans certain
cas comme causatif (ce n'est pas "voir" mais "faire voir") avec une signification réflexive : « se
faire voir ». Et ce "se faire voir" ici doit se traduire par "se donner à voir"22.
En Ep 3, 3 le verbe égnôristhê moï est à l'aoriste passif et correspond probablement à un
nif'al : "il m'a été donné de connaître", le verbe donner étant un adjuvant pour traduire la forme
passive.
18
Le français ne dispose que du verbe croire pour traduire deux notions que l'anglais distingue : to believe (croire
que quelque chose est vrai) et to trust (croire en quelqu’un, mettre sa confiance en lui) ; le second verbe est celui
qui est le plus proche de l’hébreu. 19
Cf Qui est Joseph Pierron ? Présentation suivie d'un psaume et de deux prières pour Noël. 20
Verset souvent traduit par « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas » Mais il ne suffit pas de “croire
que c’est vrai ”, pour être sauvé, il faut s'appuyer sur Dieu. 21
D'après Marguerite Harl p.12 d'un article sur "componction" dans la Septante,
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/1215/8. 22
Ce paragraphe est extrait de la session du Prologue : § "Dieu se donne à voir" ch II, I 4 d Prologue de Jean.
Chapitre II : Théophanies et structure du Prologue. L'exemple d'Ep 3, 3 vient du groupe de lecture de saint Paul.
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d) Les formes inversées (dites aussi consécutives).
J-M Martin fait souvent allusion au vayyomer (et il dit) de Gn 1, 9. À première vue vayyomer
est un inaccompli précédé du vaw qui est la conjonction "et", pourtant on le considère comme
un "inaccompli inversé", au lieu de le traduire par "et il commence à dire", on le traduit par "et
il dit" (au sens passé) :
'âmar = il a dit ; yomèr = il commence à dire ; en Gn 1, 9 vayyomèr = et il a dit ;
même chose pour les verbes suivants : vayyar' = et il vit ; vayyiqra = et il appela.
Dans une narration les verbes sont liés ensemble dans une chaîne et le préfixe vaw ajouté à un
verbe indique une relation spécifique avec le(s) précédent(s) verbe(s). En général un accompli
devient un inaccompli et vice versa. Le contexte plus large est toujours la clé pour comprendre
la chaîne de verbes.
En Gn 1, 3 l'expression yehi or (Que la lumière soit) est marquée d'abord à l'inaccompli, et
juste après, on a vayyehi or (Et la lumière fut) : la phrase est maintenant à l'accompli.
Ainsi, les deux aspects (accompli et inaccompli) sont doublés grâce à cette particule
vaw « consécutif » qui transforme l'accompli en inaccompli et l'inaccompli en accompli (la
langue moderne n’a pas conservé ces formes inversées).
qâṭal : accompli
vayyiqṭol : accompli consécutif (ou inversif)
yiqṭol : inaccompli.
veqâṭal : inaccompli consécutif (ou inversif)
« Le « temps » qui est le plus utilisé dans les écrits bibliques est l’inaccompli ponctuel
(inaccompli consécutif). C’est le temps habituel du récit. Il y eut ceci, puis, il y eut cela… Ainsi,
le très fréquent « il dit » est un tel inaccompli consécutif, normalement traduit par un passé
simple français (ponctuel du passé). Le français (comme d’autres langues néo-latines) a
d’ailleurs conservé une distinction entre un passé ponctuel (passé simple) et un passé duratif
(imparfait). Tel n’est pas le cas des langues germaniques. » Jacques Chopineau23
2) Aspects plus techniques : Les 4 formes et les 7 modes.
● Quelques remarques sur la "racine" d'un verbe et sa vocalisation.
En français nous citons un verbe par son infinitif, et en hébreu c'est par la 3ème
personne du
masculin de l'inaccompli, ce qu'on appelle sa racine. Par exemple dans le dictionnaire on écrit
"qâṭal (tuer)", alors que qâṭal signifie "il a tué".
Les racines sont en général composées de 3 consonnes24
, et on parle de racines trilitères. Les
consonnes ´âlêph (א lettre muette) et `ayîn (ע)25
se translittèrent par des apostrophes dans un
sens ou dans l'autre mais ne sont pas toujours indiquées. Voici 3 exemples :
– shâma‘ (écouter) est trilitère (racine = עמע), la 3ème
lettre étant un `ayîn noté ‘;
– shâmar (garder) est trilitère (רמש) ;
– ’âmar (dire) : (רמש) la première lettre étant un ´âlêph (א) noté ’.
23
Tiré de http://www.espritdavant.com/DetailElement.aspx?numStructure=79255&numElement=47580&print=ok il y a
ensuite des exemples. 24
Certains sont bilitères ou sont d’une construction différente et se confondent avec l’adjectif dérivé. 25
Souvent on ne prononce pas le `ayîn; pour le prononcer, il faut faire appel à un son venant du fond de la gorge.
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La vocalisation de la racine (excepté verbes dont la 2ème
lettre est yod ou vaw). Il y a trois
types de vocalisation de la 2ème
syllabe : A, E, O. Les verbes en E et O sont des verbes d'état et
sont rares, alors que les verbes en A sont des verbes d'action ou de mouvement : qâtal (tuer),
dâbar (parler), yâdah (louer), yâda‘ (connaître)… kâved (être lourd), shâlem (être complet, être
en paix), qâton (être petit), qâdosh (il est saint), ….
Quand la 2ème
lettre est un vaw, ces verbes sont désignés non par l'inaccompli mais par
l'infinitif construit qui met mieux en valeur la 2ème
lettre : shûv [עוש] (revenir); qûm [לוק] (se
lever) (le "û" se prononce "ou")
● Remarque sur la translittération.
Il n'y a pas de règle universelle. Par exemple la plupart des commentateurs ne signalent pas le
redoublement des lettres. Souvent on écrit wayomer (et il a dit) mais comme la 2ème
consonne
est redoublée il serait plus normal d'écrire vayyomer. Certaines consonnes sont translittérées de
plusieurs façons : par exemple hif'il, hifil, hiphil peuvent correspondre au même mot.
a) Quatre formes et trois sens, d'où le mode d'un verbe (exemple avec "faire").
Les modes des verbes hébreux dépendent de deux choses (exemple avec le verbe "faire") :
– Il y a quatre formes principales,
Simple. Signification de base : faire (על (pâʿal פ
Tolératif. Laisser faire (נפעל nifʿal)
Intensif / factitif. Faire quelque chose intensément / faire exister quelque chose
(engendrement de l'état indiqué par la forme de base).
Causatif: faire faire quelque chose à quelqu'un
Les intensifs et les causatifs ont souvent des sens très voisins.
– Il y a trois voix pour chaque forme (ou presque) : active (faire), passive (être fait) et
réfléchie (se faire quelque chose).
– La combinaison d'une forme et d'une voix donne un mode : par exemple le mode piʿel
correspond à la forme intensive et à la voix active. (Pour le nif'al voir la fin du 1°). C'est
évidemment un peu plus subtil que cela !
Repérer le mode peut permettre de corriger des traductions. Par exemple à propos des autres
dieux, on traduit habituellement le verbe ʿabad (servir) qui est à l'inaccompli par un actif : « Tu
ne les serviras pas » (Ex 20, 5). C’est en réalité un passif (hofʿal) ; litt : « Tu ne seras pas
asservi à eux ».
b) Les éléments de l'analyse d'une forme verbale assez simple.
Quand on analyse une forme verbale en hébreu, il faut regarder plusieurs éléments :
1/ Trouver la racine qui en général comporte 3 lettres (mais quelquefois il y en a une qui a
disparu). Il y a parfois beaucoup de préfixes ou de suffixes à supprimer pour la voir…
2/ Déterminer l'aspect du verbe (action accomplie ou inaccomplie), et s'il y a un vaw en
préfixe, analyser le contexte pour savoir s'il est inversif (exemple vayyomer) ou si c'est
simplement la conjonction "et".
3/ Déterminer le mode (voir la liste au paragraphe suivant).
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4/ Déterminer la personne et le genre qui sont marqués ensemble : la personne (je, tu, il ou
elle, nous, vous, ils ou elles), le genre (masculin ou féminin), il n'y a pas de neutre.
Ex à l'inaccompli : j'ai écrit (kâtavtî) ; tu as écrit (masc. kâtavtâ) (fém. kâtavt) ; il a écrit
(kâtav) ; elle a écrit (kâtvâh) ; nous avons écrit (kâtavnou) vous avez écrit (masc. kâtavtèm)
(fém. kâtavtèn) ; ils ou elles ont écrit (kâtavou) ;
En plus la forme verbale peut contenir des pronoms personnels compléments, des
prépositions... Exemple dans kâtavtîkâ (je t’ai écrit) est conjoint le pronom de seconde
personne (kâ).
c) Les sept modes les plus usités classés par formes et voix.
Le tableau ci-dessous donne les modes qu'on trouve le plus fréquemment, avec ce que cela
donne pour le verbe "voir". On trouve rarement toutes les formes appliquées à un même verbe.
En réalité, ces formes fonctionnent conjointement dans un contexte et ne doivent pas être
isolées les unes des autres
Les noms des modes : le premier mode, qal, signifie léger. Le nom des autres modes est celui
du verbe faire (על pâʿal) à la 3 פème
personne du singulier du masculin à l'accompli (forme est la
plus simple), car chez les premiers grammairiens ce verbe servait de paradigme (par exemple :
piʿèl [לעעק] signifie "il fait intensément" ; hifʿil [עעק ע .("signifie "il fait faire [ל
Maintenant c'est le verbe tuer (qâtal) qui est donné en exemple pour l'apprentissage car il est
régulier alors que faire (paʿal) ne l'est pas, mais les noms des modes restent en général ceux du
verbe faire.
Les sept modes (binyânim) les plus usités des verbes hébreux
Forme simple Simple/Tolératif Intensif /factitif Causatif
Voix Active Passive
Réfléchie
active passive réfléchie active passive
Mode
(nom classique)
Qal Nifʿal Piʿel Puʿal Hitpaʿel Hifʿil Hofʿal
Exemple
ra'ah
Voir
Être vu
Se laisser voir
Apparaître
Se faire voir
Observer,
contempler
Être
observé
S'observer
mutuellement
Montrer
(faire
voir)
Être
montré
(se faire
voir)
paradigme Qâtal Niqetal Quittel Quttal hit
eqattel hiq
etîl hoq
etal
Pour
l'apprentissage
tuer Être tué
Se faire tuer
massacrer Être
massacré
S'entre
massacrer
Faire
tuer
Se faire
tuer
Rq 1/. À la base, le nif'al est un tolératif (se laisser voir). Mais en hébreu classique, on le
trouve souvent pour exprimer le passif du Qal (être vu) ou comme réflexif (se faire voir).
Rq 2/ Factitif du verbe voir : engendrer quelque chose qui se voit, donc dessiner
Remarque. Lors de la traduction on ne peut pas construire de manière absolue les divers sens
des verbes, en général on consulte le dictionnaire.
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d) Infinitif ; impératif, cohortatif, jussif ; participes actif et passif.
Aux sept modes s'ajoutent :
– l'infinitif (absolu ou construit, deux formes différentes)
– les trois formes volitives : impératif, jussif, cohortatif
– Les participes actif et passif.
► L'infinitif est souvent un substantif verbal.
L'infinitif construit correspond en gros à notre infinitif français.
L'infinitif absolu, peu fréquent, a un usage propre, celui d'accusatif interne : placé avant, ou
plus souvent après un verbe de même racine à un mode personnel, il en renforce le sens :
Exemple "écoutez écouter", c'est-à-dire "écoutez bien" ; "mourir tu mourras".
► Les trois formes volitives (impératif, cohortatif, jussif) :
– l’impératif (2e personne). C'est la forme verbale la plus courte. L'impératif ressemble à
l'inaccompli sans les préfixes.
Ex. hillel est la forme intensive active (pi'el) de halal (louer), il donne à l'impératif pluriel
hallelû. C'est l'origine de alléluia : hallelû-Yah « Louez le Seigneur ! »
– le cohortatif (première personne), et le jussif (3e personne) se conjuguent de la même
manière que l'inaccompli. Ils correspondent au subjonctif.
Ex. de cohortatif : « Faisons l'homme à notre image » J-M Martin désigne cela comme
"délibération jussive". En effet, comme le pluriel de majesté n'existe pas en hébreu, cela
indique un sujet pluriel.
– Le jussif s'emploie pour exprimer les nuances de volonté : d'un supérieur à un inférieur :
commandement, exhortation, conseil, invitation, permission ; d'un inférieur à un supérieur :
souhait, prière, demande de permission etc.; en 2 Sam 19, 38 « Qu'il passe » (demande de
permission) et 2 Sam 19, 39 « Qu'il passe » (permission accordée).
Les prescriptions foisonnent et prennent la forme d’un appel à être (« Que soit lumière ») et,
pour les êtres vivants, à donner la vie (« fructifiez et multipliez »). Par exemple en Gn 1 « Que
la lumière soit »26
► Les deux participes.
En hébreu biblique les participes n'ont pas de valeur temporelle, et s'inscrivent dans la sphère
temporelle du contexte.
le participe actif (po’el ou qottel) exprime en général une action ou bien sert de nom.
le participe passif (pa’ul ou qattul) s'utilise un peu comme un adjectif.
Exemple 1. « Et le jeune Samuel servait le Seigneur » (1 Sam 3, 1) ; littéralement : « Et le
garçon Samuel servant (meshârêṯ) le Seigneur » où meshârêṯ est un participe actif.
Exemple 2. En Gn 4, 2 on a le verbe être : « Abel était berger et Caïn cultivateur »,
littéralement « Et était (vayehî) Abel paissant (rô‘êh) le petit bétail, et Caïn était (hâyah)
26
Dans le message suivant Les verbes être et avoir dans la Bible, en hébreu, grec et français figure une
interprétation de Joseph Pierron sur cette première parole.
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travaillant (ôḇêḏ) la terre » Par exemple rô‘êh est le participe actif de râ‘ah qui signifie "faire
paître", mais il fonctionne comme un vrai nom de métier. En fait beaucoup de noms sont des
formes verbales.
« Dans les langues telles que le français, les noms sont les maîtres et les verbes sont leurs
servants, avec des adjectifs et des formes associées qui dansent tout autour pour les servir. En
hébreu, ce sont les verbes qui dominent. Grand, petit, sage, insensé, roi, prêtre, œil, oreille –
tout cela sonne comme des choses, mais en hébreu ce sont des formes de verbes. (…). Tout est
un événement, un processus, perpétuellement dynamique. » (Tzvi Freeman).
En guise de conclusion :
Entendre la tonalité d'une phrase (par J-M Martin)27
.
Chez saint Paul nous avons des impératifs : « Offrez-vous à Dieu… et présentez vos membres
comme armes de justice.. » (Rm 6, 13) qui ne sont pas impérieux, mais qui ne sont pas non plus
parénétiques comme on dit, c'est-à-dire des conseils, et là, justement, je crois que c'est la pire
des remarques.
En effet « Christ est ressuscité » n'est pas un indicatif qui constate un fait, et « Vivez selon la
justice » n'est pas un impératif qui donne une loi. La recherche que nous faisons pour entendre
le propre de la parole qui n'est pas une parole de loi - thèse essentielle de Paul ici - doit nous
conduire à la tonalité qui nous permette d'entendre le rapport entre ce qu'un grammairien
appelle par ailleurs indicatif ou impératif.
Nous avions déjà eu le même problème chez saint Jean dans 1ère
lettre où quelque chose qui
nous apparaissait être un commandement « Aimez-vous les uns les autres » était appelé une
annonce (1 Jn 3, 11), alors que ce qui paraissait être une nouvelle, une annonce, « la lumière est
en train de venir et la ténèbre s'en va » (d'après 1 Jn 2, 8), était appelé entolê, mot qu'on traduit
par "précepte" ordinairement28
, ce qui veut dire que ce qui est au cœur, ce qui est à chercher ici,
est complètement effacé. Car c'est ça : quelle est la qualité propre de la parole d'Évangile si je
ne la pense pas comme parole de loi ou comme parole d'histoire sur un fait ? L'Évangile est
l'ouverture d'un espace de don et la parole est donnante. La parole de Dieu n'est pas une parole
qui dit : « tu dois », c'est une parole qui donne que je fasse.
« Christ est ressuscité » n'est pas un indicatif dans mon usage usuel d'indicatif, et « Aimez-
vous les uns les autres » n'est pas un impératif : ils disent la même chose !
Il faut se méfier des déterminations que les grammairiens donnent. Par exemple tout ce qu'ils
appellent impératif n'est pas nécessairement impératif et impérieux. Impératif peut être tout à
fait invocatif suivant la tonalité. Simplement les grammairiens l'ont appelé impératif. Il ne faut
pas être dupe des langages qui se spécialisent, d'ailleurs légitimement.
27
Extrait de la lecture de l'épître aux Romains le 3 mai 1995 à Saint-Bernard-de-Montparnasse. 28
De ce fait J-M Martin traduit entolê par "disposition : « Nous savons que le salut ne vient pas par l'observance
de préceptes, que la Parole de Dieu n'est pas essentiellement précepte, qu'en faire un précepte, c'est déjà la
falsifier. Donc je traduis par “disposition”.» « Une disposition, c'est la donation de notre avoir à être, ce qui est
déterminé pour nous, ce qui détermine notre être. L'agapê (Aimez-vous les uns les autres) est donc la détermination
fondamentale de l'avoir à être de l'homme. »
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TABLE DES MATIÈRES
I – Temps et aspects des verbes bibliques 1
1) Le temps des verbes en hébreu et en grec, première approche. 1
a) Temps et aspects des verbes hébreux (ce que dit J-M Martin). 1
b) Temps et aspects des verbes grecs (extraits de livres). 2
c) Quelques traductions du grec revues par J-M Martin. 2
d) Entendre « celui qui est, qui était et qui vient » (Ap 1, 4) par J-M Martin. 3
2) L'accompli et l'inaccompli en hébreu, approfondissement. 4
a) Trois présentations faites par des spécialistes d'hébreu. 4
b) Entendre "Tu ne tueras pas", "Tu ne mangeras pas" (Manitou, J-M Martin). 5
c) Emplois de l'accompli pour un futur ; le parfait prophétique. 6
d) Extraits de "La signification du temps dans l'A. T." (R. Martin-Achard). 6
II – Les différentes modalités d'un verbe hébreu 8
1) Première approche. 8
a) La racine d'un verbe : sa forme la plus simple (J-M Martin). 8
b) Les aspects : accompli / inaccompli (parfois nommés parfait / imparfait). 8
c) Quatre formes d'où 7 modes éventuels de l'accompli (ou de l'inaccompli). 8
d) Les formes inversées (dites aussi consécutives). 10
2) Aspects plus techniques : Les 4 formes et les 7 modes. 10
Remarques sur la "racine" d'un verbe et sa vocalisation ; sur la translittération 10
a) Quatre formes et trois sens, d'où le mode d'un verbe (exemple avec "faire"). 11
b) Les éléments de l'analyse d'une forme verbale assez simple. 11
c) Les sept modes les plus usités classés par formes et voix. 12
d) Infinitif ; impératif, cohortatif, jussif ; participes actif et passif. 13
En guise de conclusion : entendre la tonalité d'une phrase (par J-M Martin) 14
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