Faculté de droit et de science politique
Le juge administratif et l’hospitalisation sans consentement
Présenté et soutenu publiquement par : Sandra MONOD
Sous la direction de :
Madame le Professeur Marie-Laure MOQUET-ANGER
Suffragant :
Monsieur le Professeur Francis CHAUVIN
Master II (recherche) de droit public 4 juillet 2008
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Je remercie tout particulièrement Madame le Professeur Marie-Laure
MOQUET-ANGER pour m’avoir proposé ce sujet qui m’a passionné, et surtout pour sa disponibilité, ses précieux conseils et ses encouragements.
Je suis reconnaissante à Madame Stéphanie RENARD, docteur en droit, pour ses suggestions de lectures et les discussions juridiques et amicales que j’ai eu le plaisir d’avoir avec elle durant l'année universitaire.
Je remercie les personnes qui m'ont aimablement fait partager les fruits de leur expérience professionnelle : Madame Moque, IASS à la DRASS de Bretagne ; Monsieur Rouault de la Vigne, attaché d'administration hospitalière, responsable du bureau des entrées au Centre Hospitalier Guillaume Regnier (CHGR) ; Monsieur Michelin, médecin médiateur au CHGR ; Madame Cadiou, responsable qualité du CHGR ; Monsieur SCATTON, conseiller au Tribunal administratif de Rennes.
Je tiens également à remercier Madame Dupuis-Bélaire, conseillère
technique en travail social à la DRASS de Bretagne pour m'avoir accueilli en septembre 2007 dans le cadre d’un stage au cours duquel j'ai pu rassembler des informations relatives à la santé mentale. Je lui suis grée de m'avoir conviée à la journée "Santé mentale et précarité" qu’elle a organisé le 29 novembre dernier.
Enfin, je remercie chaleureusement mes parents pour le soutien et l'aide qu'ils m'ont apportés tout au long de cette année.
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LA FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE DE L’UNIVERSITÉ DE RENNES I N’ENTEND CONFÉRER NI APPROBATION NI IMPROBATION AU CONTENU DU PRÉSENT MÉMOIRE, LES OPINIONS ÉMISES DEVANT ÊTRE CONSIDÉRÉES COMME PROPRES À LEUR AUTEUR.
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AJDA : Actualité juridique de droit administratif ANAES : Agence nationale d’accréditation et d’évaluation des établissements de santé Art. : article CA : Cour d’appel CAA : Cour administrative d’appel CADA : Commission d'accès aux documents administratifs Cass : Cour de cassation CC : Conseil constitutionnel CDHP : Commission départementale des hospitalisations psychiatriques CE : Conseil d’État CE Ass : Conseil d’État réuni en assemblée CE Sect. : Conseil d’État réuni en section CEDH : Cour européenne des droits de l’homme CH : centre hospitalier CHS : centre hospitalier spécialisé Conv. EDH : Convention européenne des droits de l'homme CSP : Code de la santé publique D : Recueil Dalloz DA : Droit administratif DGS : Direction Générale de la Santé Éd. : édition HAS : Haute autorité de santé HDT : hospitalisation à la demande d'un tiers HO : hospitalisation d'office JCP : Jurisclasseur périodique (La semaine juridique) JO : Journal Officiel de la République Française RDP : Revue de droit public et de science politique Rec. : Recueil des arrêts du Conseil d’État (Lebon) Req : Requête RFDA : Revue française de droit administratif TA : tribunal administratif UMD : unité pour malades difficiles
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Première partie - La décision d’hospitalisation sans consentement
Chapitre 1 – La source du rôle créatif du juge : le nécessaire équilibre initié par la loi
Section 1 – La recherche d'équilibre dans le contrôle des conditions formelles de la mesure
Section 2 – La recherche d'équilibre dans le contrôle indirect du bien fondé de la mesure
Chapitre 2 – Entre sécurité et liberté, la force créatrice du juge administratif
Section 1 – La création du Droit dans le contrôle des formes
Section 2 – La création de droits dans la mise en œuvre du droit à l'information de l'intéressé
Deuxième partie : L'hospitalisation sans consentement
Chapitre 1 – La protection de la personne contre elle-même
Section 1 : La dignité humaine, fondement et limite des soins sous contrainte
Section 2 : La contrainte aux soins et la contrainte dans le soin
Chapitre 2 : La protection de la personne contre l'enfermement
Section 1 – La protection des droits de la personne face à l'institution psychiatrique
Section 2 – La protection de la personne face à la stigmatisation sociale
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"Mais peut-être considéraient-ils que les arrêts ne font jamais que déclarer une vérité
virtuellement contenue dans la légalité préexistante, si bien que la jurisprudence pourrait être
ramenée à n'être qu'une transparence de la loi. C'était, tout de même, prendre à contre-pied
les théories modernes qui insistent sur le rôle créateur des juges et voient dans la
jurisprudence - celle de la Cour de cassation aussi bien que du Conseil d'État -, une source
autonome du droit", écrivait Jean Carbonnier dans son ouvrage "Droit et passion du Droit"1.
Simple "exécution" ou création de droit (s), évaluer l'apport de la jurisprudence administrative
vis-à-vis de la loi n'est pas toujours aisé ; c'est pourtant ce que nous nous proposons
d'accomplir dans le domaine de l'hospitalisation psychiatrique.
En matière d'hospitalisation sous contrainte, comme pour toutes les questions relevant
de la liberté individuelle, le juge judiciaire détient une compétence de principe. Dès lors,
s'interroger sur le juge administratif et l'hospitalisation sans consentement peut surprendre.
C'est justement l'objet de ce travail d'essayer de dépasser l'apparente relégation du juge
administratif au second plan en ce qui concerne le contentieux de l'hospitalisation sans
consentement. Il s'agit, en quelque sorte, de relever le "défi" consistant à montrer que son
intervention, vue sous l'angle de sa production jurisprudentielle loin d'être anecdotique,
participe à la création du droit en ce domaine. Nous nous intéresserons à la jurisprudence
issue de l'ensemble des juridictions de l'ordre administratif en mettant l'accent sur la
jurisprudence du Conseil d'État du fait de sa vocation à unifier la position des juges du fond.
L'hospitalisation sans consentement consiste à contraindre une personne à recevoir des
soins dans un hôpital et s'oppose à l'hospitalisation dite "libre". Elle ne peut être prononcée
qu'en matière de santé mentale sur le fondement d'une législation spécifique, la loi n° 90-527
du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de
troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation. Les dispositions de cette loi ont été
intégrées dans le livre du Code de la santé publique dédié à la « Lutte contre les maladies
mentales » (art. L. 3211-1 à L. 3223-3 CSP). Alors que dans la plupart des pays européens, la
décision d'hospitaliser une personne sans recueillir son accord relève de la compétence du
juge, le législateur de 1990 a maintenu la "spécificité française" du régime médico-
administratif. En France, la décision est donc prise par l'administration sur avis de la
communauté médicale. La loi du 27 juin a repris la distinction entre deux modalités
1 CARBONNIER Jean, Droit et passion du Droit, Flammarion, 1996, réédition Poche 2006, p. 27 et 28.
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d'hospitalisation forcée, qui existait déjà sous l'empire de la législation antérieure2 :
l'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) dont la mise en œuvre revient au directeur de
l'hôpital psychiatrique sur l'initiative d'une tierce personne et l'hospitalisation d'office (HO)
pour laquelle le préfet est compétent. Dans les deux hypothèses, la décision est fondée sur des
documents attestant que l'état de santé de la personne rend nécessaires des soins. L'HDT n'est
prononcée par le directeur que si la demande est accompagnée "de deux certificats médicaux
datant de moins de quinze jours et circonstanciés"3 sauf l'hypothèse de l'urgence qui autorise
l'hospitalisation sur le fondement d'un seul certificat4. L'HO est décidée par le préfet "au vu
d'un certificat médical circonstancié" qui "ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans
l'établissement accueillant le malade"5 sachant qu'une procédure d'urgence a également été
prévue par l'article L. 3213-2 du Code de la santé publique et permet au maire d'ordonner
provisoirement une hospitalisation6.
L'hospitalisation forcée revêt un caractère exceptionnel. La politique de sectorisation
psychiatrique ayant permis de développer des alternatives à la prise en charge en milieu
hospitalier, le nombre d'hospitalisations sous contrainte a diminué d'environ 40 % de 1970
(122 000) à 1987 (75 000). En 1992, plus de la moitié des malades suivis par la psychiatrie
l'était hors de l'hôpital7. De plus, exception à l'hospitalisation libre des malades mentaux,
l'hospitalisation sans consentement n'a qu'un caractère résiduel par rapport à l'ensemble des
hospitalisations réalisées dans le domaine psychiatrique. Ainsi, au moment du vote de la loi,
74,1 % des hospitalisations étaient libres, 22,5 % étaient réalisées sous le mode du placement
dit "volontaire" et 3,4 % sous le placement d'office soit moins de 26 % d'hospitalisations
forcées8. C'est pourquoi M. Vandendriessche pouvait écrire, dès 1992 : "la psychiatrie
publique ne porte qu'une atteinte somme toute relative et nécessaire à la liberté individuelle".
2 La loi du 30 juin 1938 qui distinguait placement dit "volontaire" et placement d'office. 3 Article L. 3212-1 alinéa 4 CSP. 4 Article L. 3212-3 CSP : "À titre exceptionnel et en cas de péril imminent pour la santé du malade dûment constaté par le médecin, le directeur de l'établissement peut prononcer l'admission au vu d'un seul certificat médical émanant éventuellement d'un médecin exerçant dans l'établissement d'accueil". 5 Article L. 3213-1 alinéa 1 CSP. 6 Article L. 3213-2 CSP : "En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'hospitalisation d'office dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures". 7 VANDENDRIESSCHE Xavier, "Le droit des hospitalisations psychiatriques : derniers développements", RDSS, n° 28 (1), janv.-mars 1992, p. 2. 8 Article précité p. 2.
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Néanmoins, le constat de la marginalité de l'hospitalisation sous contrainte doit être
doublement nuancé. D'une part, depuis 1990, le nombre de mesures d'hospitalisation sans le
consentement du malade n'a cessé d'augmenter. En 2001, 72 519 hospitalisations de ce type
ont été décidées soit un accroissement de 20 % depuis 1997 comme le souligne un rapport
officiel datant de 20059. Ce document explique que cet accroissement concerne davantage les
hospitalisations à la demande d'un tiers que les hospitalisations d'office : entre 1992 et 2001,
le nombre d'HDT a doublé, passant de 32 058 à 62 894 alors qu'il n'a progressé que de 37 %
pour les HO, passant de 7 026 à 962510. Ce contexte d'inflation du nombre d'hospitalisations
non consenties rend le contrôle juridictionnel d'autant plus nécessaire. D'autre part, au-delà de
l'aspect quantitatif de la menace portée à la liberté individuelle par une décision
d'hospitalisation sous contrainte, c'est bien plus la gravité de l'atteinte et donc l'aspect
qualitatif qui importe. Car comme l'affirmait Clemenceau au début du vingtième siècle :
"L'idée qu'un de nos semblables peut être indûment retenu dans un établissement d'aliénés est
intolérable à la conscience humaine : il n'en est point qui soulève dans l'esprit public de plus
vive et plus juste émotion. Sans aucun doute, les appréhensions de l'opinion publique sont le
plus souvent mal fondées, et si de telles séquestrations se sont produites, leur nombre ne peut
être que très minime : mais n'y eût-il, dans tous les établissements privés et publics de France
qu'une personne saine, et par abus ou erreur, soumise à ce régime, que le devoir s'imposerait
à nous, impérieusement, de faire cesser d'urgence un tel scandale"11. Or, malgré les efforts du
Législateur pour empêcher qu'une telle situation survienne en encadrant minutieusement la
décision d'hospitalisation sans consentement par des conditions de fond et de forme, une
jurisprudence récente prouve que l'hypothèse de l'hospitalisation abusive12 n'est pas un
mythe13.
Le contrôle juridictionnel de la décision d'hospitalisation sans consentement revêt
donc une importance cruciale. Or, cette décision recouvre une double réalité : elle est à la fois
9 Ce rapport réalisé par l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des services judiciaires, intitulé "Propositions de réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation" est le fruit d'une mission "initiée dans un contexte caractérisé par la progression du nombre de mesures d'hospitalisation sou contrainte, et le recours toujours plus important aux procédures d'urgence" (p. 1). Les chiffres proviennent de la DGS. Ils montrent une augmentation de 55% du nombre d'hospitalisations sous contrainte entre 1992 et 1997 (p. 17). 10 Le rapport précise que le nombre de réadmissions n'étant pas connu, on ne peut connaître le nombre de personnes concernées par ces mesures. 11 Circulaire de 1906 citée par VANDENDRIESSCHE Xavier, article précité, p. 2. 12 Pour une précision sur cette notion voir note n° 18.
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acte administratif et décision privative de liberté. Par conséquent, elle se situe à la confluence
de deux principes fondamentaux qui organisent le partage des compétences entre les ordres de
juridictions14. Comme tout acte pris dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, la
décision d'hospitalisation forcée ne peut être annulée et réformée que par la juridiction
administrative15. En tant que mesure privative de liberté, ses conditions de mise en œuvre
doivent être encadrées par le juge judiciaire, garant de la liberté selon l'article 66 de la
Constitution du 4 octobre 195816. Le partage du contentieux relatif à l'hospitalisation sous
contrainte est donc une manifestation du dualisme juridictionnel qui trouve sa source dans la
loi du 16 et 24 août 178917 et le Décret du 26 fructidor an III (2 septembre 1795)18. Notre
démarche semble s'inscrire à rebours de la position majoritaire qui consiste à espérer que le
législateur crée un bloc de compétence en faveur du juge judiciaire. L'unification du
contentieux au profit de l'ordre judiciaire répondrait, notamment, au problème de la longueur
de la procédure tendant à obtenir réparation du fait d'un internement abusif ou irrégulier19 ; la
France ayant été plusieurs fois condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme du
fait de la durée excessive de celle-ci. Nous ne détaillerons pas l'histoire ni la justification du
dualisme en matière d'hospitalisation sans consentement puisque cela a déjà été
remarquablement fait par M. Touchard20. Cependant, nous ne perdrons pas totalement de vue
cette problématique car notre travail consiste à chercher quelle a été et qu'elle est l'action du
juge de l'ordre administratif en ce domaine afin de savoir si elle est efficace ; l’efficacité étant
un facteur déterminant afin de savoir si son intervention doit être maintenue. Fonder et tracer
les contours actuels de sa compétence est un préalable nécessaire à notre étude.
13 TGI Créteil, ord. JLD, 6 janvier 2005, V-F c/ Préfecture ; JCPG, 2005, II, 10073, p. 1071. Exemples anciens : CA Lyon, 1er décembre 1988, Consorts Mathieu c. Hôpital psychothérapique de l'Ain et TGI 5 décembre 1988, Mme Ledrut c. Trésor public et autres, D. 1990, p. 268. 14 NICOLAS Guylène, "L'altération des capacités mentales et le juge administratif" in "La détérioration mentale. Droit, histoire, médecine et pharmacie", Actes du colloque interdisciplinaire d'Aix-en-Provence du 7 au 8 juin 2000. p. 269. 15 Conseil constitutionnel, n° 86-224 du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, RJC, I-303. 16 "Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi". 17 L’article 13 énonce que "les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions". 18 Il précise que "défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration, de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit". 19 Il faut distinguer internement arbitraire (s'il y a intention criminelle), internement abusif (s'il y a faute civile ouvrant droit à réparation), internement injustifié (lorsqu'il y a erreur sur la nécessité de la mesure ce qui donne lieu à la sortie immédiate) et internement irrégulier (lorsque l'illégalité conduit à l'annulation de la mesure). PROTHAIS Alain, "La loi de 1838 à l'aune du droit pénal", D. 1951, p. 26. 20 Vincent Touchard, mémoire en vue de l'obtention du Master 2 de droit public, Le dualisme juridictionnel en matière d'hospitalisation d'office, sous la direction de M. le professeur Pacteau, 2005.
10
Initialement, le Conseil d'État considérait la juridiction administrative comme
incompétente pour connaître du contentieux relatif à la décision d'hospitalisation forcée21 puis
il nuança sa position22. Son évolution jurisprudentielle fut entérinée par le Tribunal des
Conflits par l'arrêt Sieur Machinot c/ Préfet de police de Paris selon lequel : "s'il appartient à
la juridiction administrative de connaître de la régularité de la décision administrative par
laquelle l'autorité préfectorale ordonne un internement dans un établissement d'aliénés,
l'autorité judiciaire est seule compétente […] pour apprécier la nécessité de cette mesure et
les conséquences qui peuvent en résulter"23. Cette distinction, largement critiquée par la
doctrine car elle a l'inconvénient de "dissocier ce qui constitue un tout"24, est basée sur la
distinction entre nécessité (ou bien-fondé) et régularité. Le contrôle de la nécessité consiste à
vérifier la réunion des conditions de fond présidant à la mesure (nécessité des soins,
protection de la santé ou protection de l'ordre public), conditions qui doivent être réunies pour
que la mesure soit légitime c'est-à-dire qu'elle porte légalement atteinte à la liberté de la
personne. Ce contrôle est porté devant le juge judiciaire en tant que protecteur naturel des
droits fondamentaux mais aussi car la loi de police spéciale des malades mentaux a toujours
désigné le juge judiciaire comme seul compétent pour ordonner la sortie de la personne25.
Quant à la régularité, elle relève du contentieux de l'excès de pouvoir qui porte sur
l'observation des règles formelles d'adoption de l'acte (compétence, forme et procédure) et
relève naturellement du juge administratif, garant de la légalité de l'action administrative.
En 1990, le Législateur a repoussé l'idée de la judiciarisation de la procédure
d'internement psychiatrique en considérant que le fait de confier ce contentieux au juge
chargé des délinquants représentait une régression dans la voie de la lutte contre la
stigmatisation des personnes atteintes de troubles mentaux. À cet égard, il faut préciser que
bien qu'isolée, la position de la France n'est pas contraire à l'article 5 § 4 de la Convention
européenne des droits de l'homme (Conv. EDH)26 et qu'elle utilise la marge de manœuvre
laissée aux États par les recommandations du Conseil de l'Europe. La loi ne s'est pas
21 CE, 16 décembre 1881, Département de la Sarthe, rec. 980. 22 NICOLAS Guylène, "L'altération des capacités mentales et le juge administratif" in "La détérioration mentale. Droit, histoire, médecine et pharmacie", Actes du colloque interdisciplinaire d'Aix-en-Provence du 7 au 8 juin 2000. p. 271. 23TC, 6 avril 1946, Sieur Machinot c/Préfet de police, rec. 326. 24 CHAPUS René, Droit administratif général, Tome I, n° 935. 25 Conclusions M. Jerry de Sainte-Rose sous T. Conflit., 17 févr. 1997, n°3045 ; Préfet de la région Île-de-France, Préfet de Paris, JCPG 1997, II, 22883.
11
prononcée sur le partage entre les deux ordres de juridictions. En 1995, le Tribunal des
Conflits s'opposa à la volonté du juge judiciaire d'accaparer l'ensemble du contentieux et
précisa sa jurisprudence affirmant que la juridiction administrative était compétente pour
apprécier "la régularité de la décision qui ordonne le placement et, le cas échéant, les
conséquences dommageables de son défaut de notification ainsi que des fautes du service
public qui auraient pu être commises à cet égard"27. Il revint sur cette position deux ans plus
tard, dans l'affaire Menvielle. Par un arrêt du 17 février 1997, il préserva la compétence
administrative pour statuer sur la régularité de l'acte d'internement, mais confia au juge
judiciaire seul, la réparation du préjudice subi en cas d'illégalité28. Cette décision marque
l'apparition d'un nouveau critère de répartition du contentieux : celui de la distinction entre
légalité et responsabilité. Jusqu'à aujourd'hui, la solution dégagée par la décision "Préfet de la
région Île-de-France" a été maintenue. Le contentieux de la légalité est réparti entre les deux
ordres selon l'ancien critère nécessité/ régularité (s'il s'agit du bien-fondé de la mesure alors
l'ordre judiciaire est compétent ; le contrôle de la légalité formelle relevant de l'ordre
administratif) alors que l'ensemble du contentieux relatif à la responsabilité est confié au juge
judiciaire. Par deux fois en 2004, le tribunal répartiteur eut l'occasion de confirmer sa
jurisprudence. Sa décision du 22 mars reprend le considérant de principe de 199729 et celle du
24 mai nie l'existence d'un conflit négatif30. Le Conseil d'État a enregistré la position
désormais bien établie du Tribunal des Conflits comme l'atteste l'arrêt Mlle L. du 1er avril
200531. La Haute juridiction administrative a précisé que la législation sur les recours en
26 Article 5 § 4 de la Conv.EDH : "toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention, a le droit d'introduire un recours devant le tribunal afin qu'il statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention est illégale". 27 TC, 27 novembre 1995, Préfet de Paris c/ Mlle Boucheras, JCPG, 1996, IV, 637. 28 T. Conflit., 17 févr. 1997, n° 3045 ; Préfet de la région Île-de-France, Préfet de Paris, Gaz. Pal., 20 décembre 1997, p. 726 : "il appartient à la juridiction administrative d'apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement […] lorsque cette dernière s'est prononcée sur ce point, l'autorité judiciaire est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d'office". 29 T. Confl., 22 mars 2004, n° C3341, M. Deshayes c/ Centre hospitalier spécialisé de la Sarthe. JCPG 2004, II, n° 10 082, note Marie-Christine Rouault. Cette décision a permis donner la définition de la notion de décision qui n'est "plus susceptible de recours" en précisant que l'obligation de renvoi au Tribunal des conflits en prévention de conflit négatif existe même si la décision en cause peut encore faire ou a fait l'objet d'un pourvoi en cassation. 30 TC, 24 mai 2004, n° C3403. Le TC considère que le juge administratif a eu raison de se déclarer incompétent puisque le juge judiciaire avait déjà condamné l'établissement en réparation des fautes de service tendant à la fois à l'irrégularité de la procédure de placement et à son absence de justification médicale. 31 CE, Sect, 1er avril 2005, Mme L., n°264627, AJDA 2005, chronique p. 1231 : "s'il appartient à la juridiction administrative d'apprécier la régularité de la décision administrative ordonnant l'hospitalisation d'office, en application, à la date de l'hospitalisation litigieuse, des dispositions de l'article L. 342 du code de la santé publique, reprises à l'article L. 3212 CSP, l'autorité judiciaire est seule compétente tant pour apprécier la nécessité d'une mesure d'hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique que, lorsque la juridiction administrative s'est prononcée sur la régularité de la décision administrative d'hospitalisation, pour statuer sur
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référé n'a pas modifié les critères de répartition qui sont par ailleurs applicables à la décision
de transfert d'une personne d'un établissement à un autre (en général vers une unité pour
malade difficile, UMD)32.
Nous pourrions donc hâtivement déduire que la compétence de l'ordre administratif en
matière d'hospitalisation sans consentement, limitée au contrôle de la régularité formelle de la
décision d'hospitalisation, est une compétence résiduelle au regard de celle de l'ordre
judiciaire. Mais cette affirmation peut être nuancée au regard de la réalité du contrôle effectué
par le juge judiciaire. D'une part, en ce qui concerne le bien-fondé de la mesure, sa marge de
manœuvre est limitée car il s'en remettra le plus souvent aux conclusions expertales. D'autre
part, en ce qui concerne la régularité de la mesure, il ne fera que tirer les conséquences de
l'irrégularité constatée par le juge administratif. Mais surtout, cette affirmation présente trois
écueils. Premièrement, elle ne prend pas en compte la compétence du juge administratif pour
apprécier le bien-fondé de la décision administrative d'abstention de prendre une décision
d'HO ou de la décision de mainlevée d'une telle mesure33. Ensuite, elle occulte l'importance
des règles de forme dans la protection des droits fondamentaux et l'impact potentiel de la
jurisprudence administrative sur les pratiques de l'administration. C'est donc moins en termes
de quantité de contentieux traité ou en termes de hiérarchie fond/ forme qu'il faut aborder la
jurisprudence administrative en matière d'hospitalisation sans consentement que sous l'angle
de son efficacité dans la protection des droits des personnes hospitalisées sous contrainte.
Enfin, le troisième écueil consiste à oublier que le juge administratif est compétent pour
contrôler la qualité du fonctionnement des établissements sanitaires et sociaux du secteur
public (au sens large de leur organisation et des pratiques médicales qui y ont cours). Or, du
fait de la sectorisation, la majorité des établissements habilités à accueillir des personnes sous
la contrainte sont des établissements publics. Il s'ensuit que l'intervention du juge
administratif en ce domaine ne se limite pas au contrôle de la décision d'hospitalisation mais
l'ensemble des compétences dommageables de cette décision, y compris celles qui découlent de son irrégularité". Un exemple d'application de cette répartition par les juges du fond : CAA Nantes, 16 déc. 2005, req. n° 05NT00144 : "il n'appartient qu'à l'autorité judiciaire de se prononcer sur la contestation du bien-fondé d'une hospitalisation d'une personne sans son consentement à la demande d'un tiers et sur les conséquences qui peuvent en résulter". La répartition est donc valable qu'il s'agisse d'une HO ou d'une HDT. 32 CE, juge des référés, 14 octobre 2004, Mario Arre, req. n° 273047 : "la contestation de l'acte par lequel le préfet décide qu'une personne atteinte de troubles mentaux, qui a fait l'objet d'un placement d'office dans un établissement d'hospitalisation spécialisé, doit être transférée dans un autre établissement, est soumise à des règles de répartition des compétences entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, identiques à celles applicables au régime du placement d'office, dans la mesure où le transfert est le corollaire d'un tel placement". Position déjà adoptée par les juges du fond : CAA Nantes, 30 déc. 1997, req. n° 96NT01599. 33 Compétence que se reconnaissait le Conseil d'État et confirmée par le TC le 26 juin 2006 (n° C3513).
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qu'il s'étend, dans une certaine mesure, au contrôle du déroulement de l'hospitalisation sans
consentement.
Or, les conditions de prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ont
considérablement évolué tant et si bien que l'histoire de la psychiatrie se résume à celle de la
reconnaissance du malade mental comme une personne humaine à part entière. La Loi
Esquirol du 30 juin 1838 mit un terme à la situation dramatique des "aliénés" qui consistait à
les enfermer sur décision du Ministre de l'Intérieur ou des préfets "en l'absence de toute
garanties"34. Ainsi, selon M. Machelon, la loi de 1838 réagit contre les abus et
l'inorganisation passée en consacrant "une nouvelle conception de l'aliénation et de son
traitement, en ménageant une place à première vue équilibrée aux droits de l'individu et à la
défense de la société"35. Néanmoins, si cette loi était bien "une loi d'assistance", elle n'en était
pas moins prioritairement, "une loi de police" qui ne protégeait pas suffisamment les droits et
libertés des personnes hospitalisées contre leur gré36. C'est pourquoi les critiques succédèrent
rapidement aux éloges et la contestation, d'abord journalistique, nourrit de nombreuses
propositions de réforme37. L'absence d'intérêt politique suffisant, la technicité de la matière et
le moindre intérêt pratique du fait de la diminution du nombre d'hospitalisations non
consenties, expliquent la singulière longévité de la loi Esquirol38. Si bien qu'au cours du
vingtième siècle marqué par les avancées de la psychiatrie et la reconnaissance progressive
des droits des patients, cette législation, fondée sur deux postulats, le caractère incurable des
maladies mentales et sa conséquence, l'enfermement comme unique "remède" à la folie,
devint tout à fait anachronique. Une réforme s'avérait nécessaire.
La loi du 27 juin 1990 est cette législation tant espérée. Pourtant, elle ne reçut qu'un
accueil mitigé de la part de la doctrine et des professionnels du soin, qui n'y virent qu'une
simple mise en adéquation du droit avec les données de la science et l'évolution des
mentalités39. Gildas Nicolau explique même qu'au moment de sa réforme, la loi de 1838 est
plutôt apparue comme une "bonne loi". Il résume bien le ressenti général lors des discussions
34 AUBY Jean-Marie, "La loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation", JCPG 1990, I, 3463, § 1. Voir dans le même sens DAUCHY José-Manuel, " Le contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme des décisions administratives d'internement psychiatrique", RDSS 2001, n° 3, p. 478 et 479. 35 MACHELON Jean-Pierre, "La loi de 1838 sur les aliénés : la résistance au changement", RDP 1984, p. 1006. 36 Article précité p. 1007. 37 Article précité p. 1012. 38 Troisième partie de l'article précité : "les raisons de la résistance aux changements", p. 1021. 39 Elle permet aussi "une mise à niveau" par rapport au droit international qui avait été précurseur en la matière par l'intermédiaire de la Conv.EDH et plus spécifiquement par l'adoption de la "Déclaration des droits du déficient mental" par l'Assemblée générale de l'ONU le 20 décembre 1971.
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parlementaires en écrivant : "la loi tant décriée recouvre des qualités inattendues qui limitent
considérablement la portée de la réforme" et "sa résistance au changement n'en-est-elle pas
la preuve ? Elle fut seulement parfois mal appliquée". Ainsi, la loi de 1838 "avait su s'effacer
devant la progression des substituts thérapeutiques en faveur du placement libre"40. Bien sûr,
la réforme de 1990 marque une étape essentielle dans la consécration des droits des personnes
affectées par des troubles psychiques surtout car, au-delà du renforcement des garanties au
moment de la décision initiale d'hospitalisation, la législation organise un contrôle périodique
médical et administratif de la nécessité de la mesure. Ce contrôle fut également amélioré par
la création d'institutions indépendantes, les commissions départementales des hospitalisations
psychiatriques (CDHP, article L. 3223-1 et suiv. CSP). Les autres apports essentiels de la loi
résident dans la consécration de l'hospitalisation libre et la définition des droits des malades
hospitalisés sans leur consentement. Il reste que les auteurs sont unanimes sur le fait qu'on
aurait pu attendre du législateur qu'il aille plus loin.
La mise en évidence de l'évolution considérable du droit de l'hospitalisation sous
contrainte et des droits des personnes hospitalisées sans leur consentement nous incite à nous
interroger sur le rôle qu'a pu jouer le juge administratif dans la naissance et l'expansion de ce
mouvement : a-t-il seulement accompagné ce processus ou a-t-il été un acteur du changement
par une jurisprudence innovante ? Ce constat nous invite également à nous pencher plus
particulièrement sur le travail de ce juge au cours de l'hospitalisation forcée : participe-t-il
activement à la protection des droits et libertés de personnes vulnérables au sein des
établissements psychiatriques ? Pour résumer, le contrôle du juge administratif sur la décision
d'hospitalisation sans consentement et sur les conditions de prise en charge d'une personne
hospitalisée sous contrainte a-t-il été et est-il créateur du Droit et de droits (au profit de la
personne concernée par la mesure ou en faveur des tiers) en cette matière ? Participe-t-il à la
protection de l'ordre public et dans l'affirmative de quelle manière ?
Pour répondre à ces questions revenons sur le contenu même de la loi. Elle aménage
deux procédures et donne compétence à deux autorités distinctes ce qui s'explique par la
différence tenant aux conditions de fond de ces deux modalités d'hospitalisation forcée ;
différence elle-même due à la poursuite de buts a priori bien distincts. Alors que l'HDT vise
en premier lieu à protéger la santé de la personne souffrant de troubles psychiques, l'HO est
40 NICOLAU Gilda, "L'héritière", D. 1991, chronique p. 29.
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une mesure de police administrative spéciale, celle dite "des malades mentaux" (expression
qui a avantageusement remplacé celle de "police des aliénés"41) ; elle a donc pour but de
protéger l'ordre public. Il revient au juge administratif, comme pour l'ensemble des mesures
de police, de vérifier que l'équilibre entre ordre public et liberté individuelle est respecté.
L'ordre public est une notion extrêment vague42, très difficile à manier tant elle renvoie à des
réalités diverses, tant elle dépend des mœurs socialement admises dans une société donnée, à
une époque donnée. Ne pouvant définir le "substrat" de l'ordre public, nous nous contentons
de préciser que ce concept renvoie traditionnellement à la trilogie43 de la sécurité, la
tranquillité et la salubrité. Or, si le but de l'HDT est la protection de la santé, cette mesure,
souvent adoptée face aux tendances suicidaires du malade, vise finalement à assurer sa
sécurité. Il s'ensuit que le contrôle de la mesure d'HDT par le juge administratif reflète,
comme pour l'HO, la recherche d'équilibre entre sécurité et liberté individuelle au sens du
droit de n'être ni arrêté ni détenu arbitrairement (droit à la sûreté). C'est la limitation de
l'atteinte à la liberté individuelle (liberté forcément remise en cause par la décision
d'hospitalisation sous contrainte) que le juge administratif essaye de faire prévaloir dans sa
jurisprudence portant sur la période d'hospitalisation non consentie. Dans la deuxième partie
de notre étude, nous envisagerons cette liberté au sens large celui qui couvre, en plus de la
sûreté, le droit d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée44.
Nous avons donc choisi de diviser notre travail suivant un ordre chronologique. En ce
qui concerne la décision d'hospitaliser une personne sans son consentement, c'est en cherchant
à établir un équilibre entre sécurité et liberté que le juge administratif, dans le cadre défini par
la loi, fait œuvre de création de Droit et parfois même de droits (Première partie) et, en ce qui
concerne le déroulement de l'hospitalisation sous contrainte, c'est en faisant respecter les
droits reconnus à toute personne hospitalisée que la jurisprudence administrative se révèle
parfois force créatrice (Deuxième partie).
41 Même si cet intitulé est encore discutable : on lui préfèrerait celui de police des personnes atteintes de troubles mentaux, la lourdeur de cette expression justifie le fait de conserver celle de "malades mentaux". 42 Gonggryp Thibault, « Ordre public et hospitalisation d'office : la légitimité de l'action préfectorale », Revue générale de droit médicale, n° 26, 2008, p. 67. L'auteur reprend les métaphores de nombreux juristes de renom qui montrent que cette notion ne reçoit aucune définition satisfaisante mais que, pour autant, elle demeure incontournable. Par exemple, Monsieur Malaurie qui parle de "cheval sauvage et indiscipliné de Camargue" alors que le doyen Carbonnier la qualifie de "rocher qui nous sauve, rocher indestructible dont on ne peut se passer, un rocher qui existera toujours et sur lequel on construit une société solide". 43 L'article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales opte pour une quadrilogie en visant "le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique", il nous semble que sûreté et sécurité se recouvrent largement alors que le bon ordre englobe la tranquilité. 44 WACHSMANN Patrick, Libertés publiques, 5e édition, 2005, p. 442.
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Première partie - La décision
d’hospitalisation sans consentement
L'hospitalisation sans consentement est une mesure qui vise à assurer la sécurité. Cet
objectif doit être concilié avec la liberté individuelle, protégée par la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen du 26 août 1789 notamment dans ses articles 4, 5 et 745. C'est pourquoi
la loi encadre le recours à cette mesure au niveau des formes et du fond. C'est également ce
qui rend le contrôle juridictionnel si précieux. Celui exercé par le juge administratif porte
principalement sur les conditions formelles de la décision mais il porte aussi, bien que de
manière marginale, sur son bien-fondé. Nous aurons l'occasion de détailler les conditions
formelles tout au long de cette première partie. La légitimité de la décision d'hospitalisation
sans consentement s'appuie sur des critères différents selon le mode d'hospitalisation. Quant à
la mesure d'HDT, l'article L.3212-1 du Code de la santé publique prévoit que “Une personne
atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement sur demande
d'un tiers que si : 1° Ses troubles rendent impossibles son consentement ; 2° Son état impose
des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier". En ce qui
concerne l'HO, l'article L. 3213-1 du Code de la santé publique affirme : "À Paris, le préfet de
police et, dans les départements, les représentants de l'État prononcent par arrêté, au vu d'un
certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à
l'article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et
compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public".
Reflet de la loi du 27 juin 1990 qui oscille entre objectif sécuritaire et visée protectrice des
droits et libertés individuels46, le contrôle du juge administratif sur la décision même
d'hospitalisation tente d'établir un équilibre entre protection de la sécurité et protection de la
liberté (chapitre 1) et c'est dans ce travail d'interprétation de la loi que réside la force créatrice
du juge administratif (chapitre 2).
45 Ce dernier article porte sur l'aspect de la liberté individuelle auquel nous nous attachons dans cette partie, le droit à la sûreté : "Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi". 46 L'hésitation législative entre ordre public, liberté individuelle et protection de la santé existait déjà dans la loi de 1838 comme l'atteste l'arrêt CE, ass., 23 janv. 1931, Dame et demoiselle Garcin c. Ministre de l'Intérieur dans lequel le juge reconnaît que la demande gracieuse en indemnité adressée au ministre de l'intérieur aurait pu être soumise au ministre "chargé de l'Assistance et de l'Hygiène publiques, dans la mesure où elle pouvait rentrer dans les attributions de celui-ci relatives à l'application de la loi du 30 juin 1838".
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Chapitre 1 – La source du rôle créatif du juge : le
nécessaire équilibre initié par la loi
Bien que l'hôpital ne soit pas une prison et que l'hospitalisation sans consentement ait
une finalité sanitaire (HO et HDT concernent des personnes souffrant de troubles
psychiatriques qui nécessitent des soins47), cette mesure relève tout de même du maintien de
l'ordre public. La visée "sécuritaire" de l'HO ne fait aucun doute : elle vise à mettre "hors
d'état de nuire" un citoyen qui, à cause d'un délire passager ou chronique, représente un
danger pour autrui ou pour les biens48. Si l'HDT a, comme première finalité, de protéger la
santé de la personne qui en fait l'objet, lorsqu'une personne est hospitalisée en raison de
menaces suicidaires, au-delà de sa santé, c'est sa propre sécurité, au sens de sa survie, que l'on
protège. L'HDT poursuit alors certains objectifs de la police administrative : la sécurité des
personnes et la sauvegarde de la tranquillité publique lorsque la personne menace, par
exemple, de passer à l'acte en se jetant d'un immeuble. Assurant la sécurité aussi bien
publique (protection des tiers vis-à-vis de la personne malade) qu'individuelle (protection de
la vie de la personne souffrante), l'hospitalisation forcée atteint de manière grave à la sûreté.
La réforme de 1990 eut précisément pour objet de renforcer les garanties de la sûreté. Le
législateur posa des conditions de fond à la mesure d'HDT alors qu'aucune n'était exigée
auparavant ce qui avait pu en faire un "instrument de tyrannie familiale". Il limita le recours à
l'HO en imposant que le comportement de l'intéressé compromette actuellement l'ordre public
alors que la rédaction de la loi de 1838 permettait une intervention en amont de l'atteinte49.
C'est surtout par un encadrement plus strict des formes que le législateur a entendu éviter des
internements abusifs. Aussi bien lors du contrôle des conditions formelles de l'hospitalisation
sans consentement (section 1) que dans celui du bien-fondé de la mesure (section 2), le juge,
interprétant la loi, tente de réaliser l'équilibre entre sécurité et liberté initié par le texte.
47 La finalité sanitaire de l'hospitalisation sans consentement est visible dans l'art. L. 3212-1 CSP relatif à l'HDT qui exige que "Son état impose des soins immédiats assortis d'une surveillance constante en milieu hospitalier" et dans l'art. L. 3213-1 CSP qui ne prévoit d'HO que pour "des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins". Cette dernière expression n'a été ajoutée que récemment, par la loi L n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des patients. 48 L'objectif de protection de l'ordre public est rappelé dans un jugement du TA de Paris du 30 octobre 2002 (n° 0006413/4, Groupe Information Asiles). Il rejette la requête présentée par le GIA tendant à obtenir la fermeture de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (IPPP) à Paris. Selon le juge, la rétention provisoire est nécessaire "pour prévenir les troubles à l'ordre public, et pour permettre au préfet de police d'apprécier la nécessité d'une éventuelle mesure d'internement d'office en milieu hospitalier". Aucun texte n'exige que cette rétention provisoire n'intervienne en milieu hospitalier. 49 L'utilisation du conditionnel "compromettrait" conférait à l'administration le pouvoir d'agir alors même que le danger n'était que potentiel.
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Section 1 – La recherche d'équilibre dans le contrôle des
conditions formelles de la mesure
Afin de protéger la liberté individuelle, le législateur de 1990 a renforcé les garanties
procédurales (délais à respecter sous peine de levée de la mesure) et les garanties concernant
la décision elle-même (exigence de la production d'un certificat pour fonder une HO, de deux
pour une HDT) au point que certains y ont vu un formalisme excessif50. Comme le souligne
Thierry Fossier, "s'agissant d'une action administrative engagée sans débat, le contrôle
formel de l'exercice de la prérogative préfectorale prend une importance cruciale"51. Cette
remarque est également valable pour l'HDT. Voilà pourquoi tant dans le cadre de
l'hospitalisation d'office (§ 1) que dans celui de l'hospitalisation à la demande d'un tiers (§ 2),
il est essentiel que le juge administratif tente d'établir un équilibre entre sécurité (publique ou
individuelle) et liberté relativement aux conditions formelles.
§ 1 Dans le cadre de l’hospitalisation d’office
Le fait que, dans le cadre de l'hospitalisation d'office, le juge administratif donne, sous
certains aspects, priorité à l'ordre public, est tout d'abord une conséquence de l'équilibre
organisé par la loi. En effet, "le juge administratif ne saurait remettre en cause le contenu
même des mesures prévues sauf dans le cadre d'une éventuelle exception d'inconventionnalité
de la loi"52. Ainsi, en 1976, le tribunal administratif de Paris a considéré que la loi n'ayant pas
prévu que l'autorité administrative entende l'intéressé avant de prendre sa décision, l'arrêté
était légal53. Aujourd'hui, le juge pourrait-il maintenir une telle position ? Il est vrai que le
législateur de 1990 a repris la structure de la procédure médico-administrative issue de la loi
de 1838 et n'a pas modifié la législation quant au caractère contradictoire de la procédure. Il
reste que cette exigence pourrait découler de la Convention européenne des droits de l'homme
et des libertés fondamentales et de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 sur les droits des
50 AUBY Jean-Marie, "La loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation", JCPG 1990, I, 3463. 51 FOSSIER Thierry, "Contrôle de légalité et responsabilité en matière d'internement des aliénés : le désordre des deux ordres ?", RDSS 2005, n° 3, p. 450. 52 FRIER Pierre-Laurent, PETIT Jacques, Précis de droit administratif, 4e édition, 2006, n° 431. 53 TA Paris, 14 octobre 1976, D. 1977, p. 286, note de Richard Moulin.
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citoyens dans leur relation avec l'administration54. Si le juge administratif tente d'établir un
équilibre entre les impératifs de sécurité et de liberté c'est parce qu'il est soucieux de
l'efficacité de l'action administrative (A) et du respect des droits des administrés, en
particulier celui d'être informé des décisions administratives les concernant. Son refus de
sanctionner le défaut de notification de la mesure à l'intéressé peut s'analyser comme la
preuve qu'il donnerait priorité à l'ordre public. Cette analyse doit être nuancée (B).
A – La recherche de l'efficacité de l'action administrative
Certains arrêts montrent clairement le souci du juge de laisser une marge de manœuvre
suffisante à l'administration afin que, tout en respectant la loi, son action soit efficace. Ainsi,
le juge administratif affirme que "les circonstances dans lesquelles cette personne a été
appréhendée en vue de son hospitalisation sont dépourvues d'incidence sur la régularité de la
décision préfectorale prise à cet effet."55. Dans un même souci d'efficience, il considère que le
Code de la santé publique ne s'oppose pas à ce que l'avis d'un médecin soit directement requis
par les forces de police qui ont appréhendé la personne intéressée56. De même, suivant une
jurisprudence constante selon laquelle les omissions ou les erreurs dans les visas sont sans
conséquence sur la légalité d'un acte administratif57, le juge ne censure pas l'arrêté d'un maire
dont le visa était erroné58. Dans l'optique de reconnaître à l'administration les moyens d'être
efficace, le juge a admis que le préfet délègue sa compétence59 mais, comme toute délégation
de signature, elle ne le dessaisit pas de ses pouvoirs en la matière. La cour administrative
d’appel de Paris a précisé que "le préfet compétent pour prononcer l'hospitalisation d'office
des personnes atteintes de troubles mentaux est celui du département où se trouve
54 Dauchy José-Manuel, Le contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme des décisions administratives d'internement psychiatrique, RDSS 2001, n° 3, p. 474. L'auteur montre en quoi la convention a eu une influence manifeste sur la rédaction de la loi du 27 juin 1990 mais il insiste également sur la "perfectibilité de la loi française". 55 CAA Bordeaux, 3e ch. , 2 octobre 1997, req. n° 07BX00337. 56 CAA Lyon, 4 oct. 1999, n°98LY00550, Mlle Fayard. Dans ce même arrêt la cour affirme que "l'erreur purement matérielle commise par l'auteur de la décision attaquée, qui a omis de rayer les mentions du formulaire constituant le support de la décision et relatives à une demande d'avis médical dont il était déjà en possession, est sans influence sur la légalité de la décision attaquée" admettant ainsi que l'arrêté du maire prenne la forme d'un formulaire pré-imprimé. 57 CE, 5 nov. 1984, Tollari : Dr. Adm 1984, n° 497 ou CE, 25 mars 1994, Zahmouli : RDP 1995, p. 553 58 CE, 1re sous-sect., 11 mars 1996, n°164453 ; Commune de Saint Herblain et TA Paris, 9 décembre 1994, n° 9005619, M. B. 59 CE, 18 mars 1970, Bila, rec. 195, AJDA 1971, II, 57 : "aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit au préfet de déléguer sa signature en la matière". En l'espèce le préfet s'était déchargé en faveur du sous-préfet.
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l'établissement d'accueil de la personne hospitalisée"60. Cette position déjà ancienne61
n'empêche pas que l'arrêté produise des effets dans un autre département dans le cas où la
personne concernée aurait fugué et se trouverait désormais sur le territoire d'un département
autre que celui visé par l'arrêté62. Si l'arrêté municipal ne constitue pas un préalable nécessaire
à la mesure d'hospitalisation d'office63, force est de constater que, dans la majorité des cas, le
préfet ne statue qu'après que des mesures provisoires aient été prises. Il est loisible au préfet
de fonder sa décision sur le même certificat médical que celui qui a permis de prendre la
mesure provisoire64. Cette solution est à tempérer : en général, pour se prononcer, le préfet
examine surtout le certificat des vingt-quatre heures qui revêt ainsi une importance toute
particulière65. Le maire, autorité compétente en cas d'urgence, prend sa décision sur un
fondement et selon une procédure différente de celle du préfet66. En effet, l'arrêté du maire n'a
pas pour objet d'ordonner le placement d'office mais de prendre des mesures provisoires67. La
conséquence essentielle de la distinction entre les deux types de mesures est que l'annulation
de l'arrêté du maire par le juge administratif n'a pas d'influence sur la légalité des arrêtés
préfectoraux pris postérieurement68. À l'instar du préfet, le maire peut déléguer son pouvoir à
un adjoint69 et s'il n'a pas signé de délégation avant que les circonstances rendent nécessaires
l'adoption d'une mesure, c'est un adjoint qui prend les dispositions exigées par les
circonstances70.
Toujours dans son optique de ne pas paralyser l'action administrative, le juge
administratif se considère parfois incompétent pour apprécier la condition tenant à
l'imminence du danger. C'est ce qui apparaît dans un jugement du tribunal administratif de
60 CAA Paris, 21 novembre 2000, n° 98PA04433 et n° 98PA04514. 61 TA Toulouse, 14 novembre 1990, n° 88/398 ; 88/399 : "aucun texte de loi ou de règlement n'autorise le préfet à prescrire un internement dans un établissement autre que celui qui se trouve dans son département" 62 CAA Paris, plénière, 7 juillet 1998, M. Ballestra, n°96PA01545. En l'espèce, l'arrêté, pris par le préfet du Val-de-Marne autorisait le directeur d'un établissement du Var à admettre la personne dès lors qu'elle ne restait dans cet établissement que le temps nécessaire à son transfert dans son établissement d'origine. 63 CAA Lyon, 4 oct. 1999, req. n°98LY00550, Mlle Fayard ; TA Melun, 5 décembre 2003, Mme Sapia Moraglia : le préfet tient de l'article L. 3213-1 CSP un pouvoir autonome pour prononcer une hospitalisation d'office. 64 TA Pau, 21 septembre 2004, Mme Couillard Maugery. 65 Notre entretien avec M. Rouault de la Vigne nous a convaincu que le préfet s'appuie réellement sur ce certificat pour statuer. Sur le problème d'une retranscription fidèle des éléments du certificat dans l'arrêté préfectoral voir : GISELMANN A., AMEUR A., PINOIT J-M, MORIZOT S., FRANCOIS I.,BESSE P., "Utilisation particulière du certificat médical dit des 24 heures dans l'hospitalisation d'office", Journal de Médecine Légale Droit Médical 1997, vol 40, p. 427-435. 66 TA Lyon, 5 novembre 1996, M. Aubert. 67 CE, 25 mai 1994, n°143702 143949, Maire de la commune de Saint-Chamond. 68 CE, 16 octobre 1996, n° 132785, M. Perou. 69 CAA Lyon, 4 oct. 1999, req. n° 98LY00550 ; CAA Paris, 21 novembre 2000, req. n° 98PA04433 et n° 98PA04514 ; CAA Marseille, 29 mars 2004, req. n° 00MA01467. 70 CAA Douai, 12 juillet 2001, 1ère ch., req. n° 98DA00428.
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Paris qui énonce que "le moyen tiré de ce qu'il n'y avait pas danger imminent au sens des
dispositions de l'article L. 344 du code de la santé publique, et que l'état d'aliénation de M. B.
n'était pas prouvé, ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative". Ce
jugement montre le caractère parfois artificiel et surtout partiel du contrôle exercé par le juge
administratif : s'il vérifie que la notoriété publique est matériellement établie, il est réticent à
s'aventurer sur le champ de l'imminence du danger ce qui est logique car cela relève du fond
de la mesure. Et lorsque le Conseil d'État se permet de se prononcer sur celle-ci, il affirme une
sorte de présomption de son existence en se reportant au certificat médical ou même à la
fameuse notoriété publique71. Une autre manifestation de la tendance des magistrats de l'ordre
administratif à faire primer les exigences liées à la sécurité sur la liberté individuelle tient
dans leur refus de sanctionner le défaut de notification.
B – Le refus de sanctionner le défaut de notification
Le principe de sécurité juridique exige que, pour qu'un acte administratif soit
opposable à ses destinataires, il soit porté à leur connaissance. La notification, moyen
d’informer la personne sur l’existence d’un acte administratif la concernant est une condition
d'opposabilité des mesures individuelles. Elle n’est pas une condition de la légalité intrinsèque
de l’acte, même en matière d'hospitalisation sans consentement et ce, malgré les tentatives des
juges du fond de faire évoluer la jurisprudence. La loi du 27 juin 1990 ne mentionne pas
l'obligation d'informer le patient des motifs qui ont conduit à la décision d'hospitalisation sans
consentement comme le relevait Louis Dubouis qui souhaitait "que l'information donnée sur
la situation juridique s'étende aux raisons qui ont motivé la décision d'hospitalisation"72.
Pourtant, une telle information semble indispensable pour que la personne hospitalisée puisse
exercer son droit à un recours juridictionnel contre la décision d'hospitalisation consacré par
l'article 5 § 4 Conv. EDH73. Prenant appui sur cette convention et sur le Pacte international de
71 CE, 31 juill. 1996, req. n° 120736, Mme M. L. : "la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'existence d'un danger imminent n'était pas attestée par un certificat médical ou par la notoriété publique, ni en tout état de cause que la décision des services de police du 11 novembre 1974 relative à son placement en observation à l'hôpital Saint-Louis n'était pas motivée". 72 DUBOUIS Louis, "La loi du 27 juin 1990 assure-t-elle une protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux conforme au droit européen ?", in Études offertes à Jean-Marie AUBY, 1992, p. 727. 73 article 5 Conv. EDH : "1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de liberté sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : … e) s'il s'agit de la détention régulière d'un aliéné… ; 2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle".
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New York relatif aux droits civils et politiques74 qui exigent qu'une personne arrêtée soit
informée des raisons de sa détention, ainsi que sur la loi du 11 juillet 1979 qui oblige
l'administration à informer sans délai l'administré d'une décision défavorable qui le concerne,
certains juges du fond ont sanctionné l'absence de notification de l'arrêté de placement. Une
première voie consistait à considérer que le défaut de notification entachait l'acte attaqué
d'illégalité, l'autorité administrative n'ayant pas respecté la procédure légale nécessaire à sa
validité75. L'autre voie, proposée par la cour administrative de Paris76, consistait à annuler
l'arrêté pour défaut de base légale car cet acte ne prévoyait pas les moyens par l'intermédiaire
desquels il serait porté à la connaissance de l'intéressé. Mireille Heers voulait que soit
sanctionnée "l'absence légale d'information préalable ou quasi concomitante de l'internement
d'office"77. La cour la suivit : elle annula l'arrêté en arguant du fait que, si le Code de la santé
publique n'obligeait pas l'administration à notifier l'acte en cause, il appartenait à l'autorité
administrative, pour satisfaire à l'obligation d'information, "de recourir aux moyens
appropriés à l'état de la personne concernée" et "qu'ainsi, en s'abstenant, dans son arrêté […]
d'imposer que les motifs de la mesure qu'il prescrivait à l'encontre de M. A. B. fussent portés
à la connaissance de ce dernier, le préfet a entaché l'arrêté d'un vice qui, eu égard aux termes
des conventions internationales précitées, est de nature à entraîner son annulation".
Concrètement, il s'agissait de communiquer l'arrêté ou le certificat ayant servi à le motiver au
médecin qui en rendrait compte au malade lors d'un entretien. Réaliste, Madame Heers
précisait qu'il "conviendrait de réserver l'extrême urgence, pour une démence violente,
présentant un danger immédiat pour l'intéressé ou son entourage, et n'exiger cette
explicitation des motifs que dès que l'état de la personne le permettra78".
Les tentatives des juges du fond n'eurent qu'un écho limité auprès du Conseil d'État
qui, de manière constante, refuse d'annuler un arrêté du fait de l'absence de notification ou de
toute autre mesure tenant à l'information. La haute juridiction administrative maintient la
jurisprudence selon laquelle la notification d'un acte reste sans influence sur sa légalité, elle
74 article 9 Conv. EDH : "Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l'objet d'une arrestation ou d'une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi. Tout individu arrêté, sera informé au moment de son arrestation des raisons de son arrestation…". 75 TA Dijon, 5 janvvier 1993, Grare, n° 88-944 et 88-953 ; TA Marseille 23 février 1993, Mme X, TA Paris 5 janvier 1994, Nollet ; CAA Paris, 25 mai 1999, Gaudel, n° 96PA02212. 76 CAA Paris, plénière, 7 juillet 1998, M. A. Ballestra. req. n°96PA01545, AJDA 1998, p. 947 et note p. 891 77 HEERS Mireille, "Compatibilité de l'hospitalisation d'office avec la Convention européenne des droits de l'homme", conclusions sur CAA Paris, 7 juillet 1998, M. A. B., RDSS 1999, p. 112.
23
ne concerne que son exécution. Elle a censuré la jurisprudence dissidente des juges du fond79
et précisé que le directeur de l'établissement d'accueil ne commet pas de faute en admettant
une personne en hospitalisation d'office alors même que l'arrêté ne lui avait pas encore été
notifié80. Cette position a été justifiée par Sophie Boissard dans ses conclusions sous l'arrêt de
section du Conseil d'État du 28 juillet 2000, M. E. A. Elle montre la faiblesse de la solution
dégagée par la cour administrative d’appel de Paris. Cette dernière "revient à offrir aux
intéressés une garantie purement formelle" puisqu'il "suffira que les préfets incluent, dans
chacun de leurs arrêtés, une formule indiquant que les motifs de la mesure seront portés à la
connaissance de l'intéressé, dès que son état le permettra, par le médecin responsable de son
suivi. Le juge de l'excès de pouvoir n'aura, pas plus que par le passé, les moyens de
sanctionner la méconnaissance de cette obligation". Mme Boissard n'était pas plus favorable
à la première voie empruntée par les juges du fond. Elle lui semblait peu réaliste ("il est
impossible d'enserrer l'accomplissement de cette formalité, directement liée à l'évolution de
l'état du malade dans des délais impératifs") et cette formalité risquait même de se retourner
contre le justiciable en incitant l'autorité administrative à notifier coûte que coûte la mesure
alors même que son destinataire serait incapable d'en saisir le contenu. L'arrêt M. E. A.
confirma que le défaut de notification "qui se rapporte à l'exécution de la mesure de
placement d'office, ne peut être sanctionné par ce juge", mais, suivant son commissaire du
gouvernement, il ajouta qu'il "appartient à l'intéressé de demander au juge judiciaire, […],la
réparation de la faute commise par l'administration en ne satisfaisant pas à cette obligation
d'information postérieure au placement d'office". La seule conséquence de "l'appel" lancé par
les juridictions du fond réside donc dans la réaffirmation de l'obligation d'informer l'intéressé
sur les motifs de son hospitalisation et le risque d'engagement de la responsabilité de
l'administration si cette obligation n'est pas respectée81. Le Conseil d'État a ainsi étendu la
solution qui était appliquée aux arrêtés de fin de placement82. Cette jurisprudence, réaffirmée
78 CAA Paris, 24 sept. 1998, Mme L., req. n° 95PA03798. Le caractère provisoire de la mesure et l'urgence justifient que l'information de l'intéressé soit "allégée". 79 CE, 3 novembre 1997, M. Granata, n° 146447 : "qu'aux termes de l'article 8 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 : "… une décision individuelle (expresse) prise au nom de l'Etat… n'est opposable à la personne qui en fait l'objet que si cette décision lui a été préalablement notifiée" ; que, "si l'omission d'une telle formalité permet à l'intéressé de contester sans condition de délai la décision en cause, elle n'affecte pas, par elle-même, la légalité de cette dernière". 80 CE, 11 juin 1997, M. A.B., req n° 126050 81 Par exemple : CA Paris, 1re ch. B, 10 juin 2004, Mlle W c/ Agent judiciaire du Trésor et Centre hospitalier X, Gazette du palais, 18 sept. 2004, p. 25, note Henri Vray : "il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné d'une part, le préfet à raison du défaut de notification de l'arrêté de placement d'office, d'autre part, le CHS qui ne l'a pas informée des voies de recours ouvertes aux malades, à lui payer des dommages et intérêts" et CA Paris, 7 juillet 1994, Gaz. Pal. 1996, 2, Somm. p. 496. 82 CE, 22 octobre 1986, Mme Doursoux, rec. p. 242.
24
par la haute juridiction administrative83, est régulièrement appliquée par les juges du fond84.
Elle a eu des conséquences importantes : les arrêtés sont désormais systématiquement notifiés
et les médecins, en transmettant l'information qu'ils contiennent, créent déjà une relation de
confiance propice à la mise en œuvre du traitement. Finalement, devant le juge de l'excès de
pouvoir, la conséquence essentielle de l'absence de notification de l'arrêté à son destinataire
est le non-déclenchement du délai de recours contre la mesure85. En ce sens il faut bien avouer
que l'absence de notification de la mesure était plutôt favorable à l'intéressé.
L'article L. 3213-9 du CSP prévoit que "le représentant de l'Etat dans le département
avise dans les vingt-quatre heures le procureur de la République près le tribunal de grande
instance dans le ressort duquel est situé l'établissement, le maire du domicile et la famille de
la personne hospitalisée, de toute hospitalisation d'office, de tout renouvellement et de toute
sortie". Le juge administratif a démontré l'intérêt de cette information concernant l'autorité
judiciaire et la CDHP (volonté de permettre un contrôle d'office de la mesure car la CDHP
peut proposer la levée d'une HO) et la famille de l'intéressé86. Par contre, l'information des
maires a des effets néfastes dans les petites communes. Il semble qu'au mépris de leur
obligation de respecter la vie privée de leurs concitoyens, les maires divulguent cette
information ce qui a pour conséquence la "stigmatisation" de la personne87. C'est pour cette
raison que l'information du maire d'une admission en HDT a été supprimée. Nous pensons
que le principe du respect de la vie privée devrait inciter le législateur à revoir la loi sur ce
point concernant l'HO. Néanmoins, seul le patient reçoit l'arrêté. Les autres destinataires
(autorités publiques précitées) ne reçoivent cette information que par simple lettre.
83 CE, Sect. 1er avril 2005, Mme L., n°264627, rec. 134 : "l'autorité administrative, lorsqu'elle prend un arrêté d'hospitalisation d'office, doit,[…] une fois la décision prise, informer le plus rapidement possible de ces motifs la personne intéressée, d'une manière appropriée à son état" mais ajoute "la Cour n'a pas méconnu l'étendue de la compétence administrative en jugeant que l'absence de notification à Mme X… de l'arrêté du 9 janvier 1997 ne pouvait conduire le juge de l'excès de pouvoir à annuler cet arrêté". 84 CAA Paris, 2 juin 2005, req n° 04PA03714 ; CAA Paris, 21 fév. 2006, req. n° 02PA02087 ; CAA Bordeaux, 26 déc. 2006, req. n° 04BX01278 85 TA Nîmes, 5 octobre 2007, req. n° 0505508 et req n° 0505509, Mme Monette C. : l’absence de notification empêche le préfet d’opposer la fin de non-recevoir pour tardièveté de la requête. TA Marseille, 3 mai 2007, req. n° 0608317, M. G. : le délai de recours contre une décision d'HDT ne court pas à partir du jour où l’intéressé a eu connaissance de la mesure mais bien à partir du jour de sa notification. 86 CAA Bordeaux, 28 mai 2002, req. n°99BX01892, Mme SAULNIER. : "si elle avait été informée de ce que son frère avait été hospitalisé d'office, aurait pris les mesures pour éviter que ce dernier demeure dans l'abandon le plus total". 87 Entretien avec M. Rouault de la Vigne le 26 mars 2008.
25
§ 2 Dans le cadre de l’hospitalisation à la demande d’un
tiers
L'article L. 3212-1 du CSP dispose que la demande d'admission "doit être manuscrite
et signée par la personne qui la formule. Si cette dernière ne sait pas écrire, la demande est
reçue par le maire, le commissaire de police ou le directeur de l'établissement qui en donne
acte. Elle comporte les noms, prénoms, profession, âge et domicile tant de la personne qui
demande l'hospitalisation que de celle dont l'hospitalisation est demandée…". L'alinéa
suivant précise : "La demande d'admission est accompagnée de deux certificats médicaux
datant de moins de quinze jours et circonstanciés, attestant que les conditions prévues par les
deuxième et troisième alinéa sont remplies". Il revient au directeur de l'établissement d'accueil
de ne prononcer l'admission qu'après avoir vérifié que l'ensemble de ces dispositions est
respecté (article L. 3212-2 CSP). Surtout, la loi a prévu un contrôle médical régulier
permettant de confirmer ou d'infirmer la nécessité de la mesure. Le juge administratif vérifie
la qualité de ce contrôle en sanctionnant le caractère circonstancié des certificats de maintien.
Bien qu'ayant été renforcées par le législateur, les conditions formelles de l'HDT ne
permettent au juge administratif que d'exercer un contrôle limité sur la demande elle-même
(A) ainsi que sur les certificats qui doivent l'accompagner (B).
A – Le contrôle limité de la demande du tiers
Le juge administratif n'exerce qu'un contrôle limité sur les conditions de forme exigées
pour la demande réalisée par une tierce personne : il en vérifie l'existence et le caractère
manuscrit, mais n'exige pas qu'elle soit motivée. La vérification de l'existence de la demande
ainsi que du caractère manuscrit va de soi dans la mesure où ce sont des conditions posées par
la loi. Dès les premiers mois d'application de ce texte, le juge eut l'occasion de le rappeler88.
Ce n'est donc pas lors de ce contrôle que le juge administratif peut déployer ses talents de
jurislateur. Néanmoins, l'intérêt de la vérification du respect de ces conditions formelles
apparaît au travers d'un arrêt relativement récent de la cour administrative de Marseille89.
Dans cette affaire, M. Donnadieu, demandait à ce que la décision du directeur de la clinique
88 TA Paris, 4 juillet 1990, Mme Laidin. 89 CAA Marseille, 27 juin 2002, req. n° 99MA00198, M. Jean-Pierre Donnadieu.
26
Esquirol l'ayant admis en hospitalisation libre soit annulée. Le requérant soutenait qu'il n'avait
pas consenti à l'hospitalisation et qu'il avait fait l'objet d'une demande de placement volontaire
"mais sur un imprimé, alors qu'une telle demande doit être normalement rédigée de façon
manuscrite". En première instance, les conseillers du tribunal avaient rejeté sa requête en
considérant que l'existence d'une décision de placement volontaire n'était pas établie. Au
contraire, la Cour relève que “il ressort des pièces déposées en appel, que le père du
requérant a rempli et signé un imprimé de demande d'admission à titre gratuit le concernant ;
qu'une telle demande doit être regardée comme tenant lieu de demande de placement
volontaire". Les magistrats constatent que la demande, en plus d'avoir été réalisée sur un
papier pré-imprimé, n'était pas accompagnée du certificat médical exigé par la loi (il n'en
fallait qu'un seul à l'époque). Ils annulent donc la décision d'admission comme entachée
d'irrégularité et "par voie de conséquence", celle de maintien. Outre l'utilité d'exiger le
caractère manuscrit d'une demande d'HDT pour bien différencier ce mode d'hospitalisation de
l'hospitalisation dite "libre", cet arrêt met en exergue l'importance de l’accès au dossier
médical puisque c'est dans ce dernier que la demande du père avait été consignée.
La loi n'exige pas que le tiers demandeur motive sa sollicitation en consignant par écrit
les raisons qui le conduisent à agir. C'est ce qui explique que le juge administratif ne contrôle
pas l'existence d'une telle motivation. Peut-être aurions-nous pu espérer qu'utilisant ses
pouvoirs d'interprétation de la loi, le juge rende obligatoire une telle motivation. Mais le
législateur avait de bonnes raisons de ne pas entourer l'atteinte à la liberté individuelle que
représente l'HDT d'une garantie formelle de plus. En effet, l'un des problèmes majeur
relativement à ce mode d'hospitalisation réside précisément dans la réticence des tiers
potentiels à formuler la demande. L'absence légale d'exigence de motivation s'analyse comme
la volonté de ne pas décourager les tiers d'agir et donc de ne pas rendre encore plus difficile
l'administration de soins à une personne qui souffre mais ne représente pas de danger pour
l'ordre public. L'absence d'exigence formelle de motivation ne signifie pas que le tiers peut
solliciter l'hospitalisation sans raisons valables. Le contrôle des motifs de la demande relève
du contrôle du bien-fondé de l'hospitalisation donc de la compétence du juge judiciaire. Celui-
ci affirme que la responsabilité du tiers pour défaut de motifs peut être engagée pour abus
c'est-à-dire si le tiers a agi dans l'intention de nuire et sans avoir de motifs sérieux de formuler
la demande90. Au bilan, le juge administratif n'exerce qu'un contrôle restreint sur les
conditions formelles de la demande d'hospitalisation. Ce constat de "démission" du juge
27
administratif doit être nuancé, en particulier du fait de sa jurisprudence relative à la notion de
tiers, véritable création de Droit. Nous développerons ce point dans le chapitre suivant.
B – Le contrôle limité des certificats médicaux
Le juge administratif contrôle l'existence, le caractère circonstancié des deux
certificats médicaux qui accompagnent la demande du tiers ainsi que la qualité de leur auteur,
autant de garanties de la légitimité de la demande. Tout d'abord, le juge vérifie l'existence des
deux certificats exigés par l'article L. 3212-1 du CSP ; condition à laquelle il ne peut être
dérogé "qu'à titre exceptionnel et en cas de péril imminent pour la santé du malade dûment
constaté par le médecin". L'article L. 3212-3 CSP prévoit alors que "le directeur de
l'établissement peut prononcer l'admission au vu d'un seul certificat médical émanant
éventuellement d'un médecin exerçant dans l'établissement d'accueil". Il s'agit d'une
procédure allégée réservée à l'urgence, condition (de fond) que seul le juge judiciaire est
compétent pour apprécier. Les magistrats administratifs peuvent néanmoins sanctionner le
recours à cette procédure lors de leur contrôle sur la motivation de l'unique certificat produit.
Si ce dernier ne constate pas le péril imminent, ils considèrent que la mesure doit être annulée
car prise selon une procédure irrégulière. Plusieurs arrêts récents illustrent cette jurisprudence
administrative protectrice de la liberté individuelle91. Un jugement du tribunal administratif de
Marseille met en évidence le phénomène d'annulation d'actes administratifs en cascade :
l'annulation de la décision d'admission en HDT réalisée au vu d'un seul certificat alors que le
péril imminent n'était pas caractérisé entraîne celle de la décision de maintien en HDT92.
S'agissant de la même personne mais pour des faits antérieurs, un autre arrêt93 permet de
comprendre ce que le juge entend par certificat circonstancié. Les conseillers du tribunal
concluent à la régularité de la mesure puisque le premier certificat "établi par un médecin
extérieur à l'établissement ayant examiné Mme Sauze" précise que "cette dernière souffrait
90 Chambéry, 25 juin 1907, DP 1907, 2, 379. 91 TA de Cergy-Pontoise, 16 novembre 2006, Mme Azzopardi, req. n° 043391, 043393 : "en l'absence de constatation par le médecin d'une situation de péril imminent et en l'absence de décision motivée du directeur de l'établissement spécialisé d'accueil, il n'est pas établi que son hospitalisation aurait été justifiée pour cause de péril imminent". TA Nice, 6 mars 2007, req. n° 0603392, Mme C. J. : "qu’en ne précisant pas notamment les particularités de sa maladie et en ne justifiant pas l’imminence du péril…ledit certificat n’a pas le caractère circonstancié " requis par le CSP. Autrement dit, le certificat qui prétend fonder à lui seul l’HDT doit absolument énoncer les faits qui constituent le péril imminent. 92 TA Marseille, 11 janvier 2007, req. n° 0600415, 0600414, 0000417, Mme Sauze. 93 TA Marseille, 11 janvier 2007, req. n° 0600411, 0600409, 0600410, Mme Sauze.
28
alors de "confusion, état délirant, hallucinations, troubles de la persécution, décompensation
psychotique", que le fait qu'il soit établi sur un formulaire pré-imprimé ne l'entache pas
d'irrégularité et que le second certificat, "après avoir précisément décrit le comportement et
l'état de la patiente, caractérisé par un sentiment de persécution, mentionne également la
nécessité de la faire hospitaliser sans son consentement". Par contre, ils annulent la décision
de maintien. Ils expliquent que le certificat de quinzaine doit préciser "notamment la nature et
l'évolution des troubles" et indiquer "clairement si les conditions de l'hospitalisation sont ou
non réunies". Selon eux, "la seule lecture du certificat médical dit de quinzaine, doit éclairer
pleinement tant sur l'existence de troubles rendant impossible le consentement, que sur le
point de savoir si l'état du patient implique des soins immédiats et une surveillance constante
en milieu hospitalier". En l'espèce, le certificat de maintien n'était pas conforme à l'obligation
de motivation94. Nous avons trouvé plusieurs arrêts qui annulent une décision d'HDT du fait
de l'insuffisante motivation des certificats initiaux de quinzaine ou mensuels95. Par contre, il
n'entre pas dans les pouvoirs d'un juge administratif d'annuler un certificat médical96.
Ensuite, le juge administratif contrôle la qualité de l'auteur des certificats. La loi a
voulu éviter les risques de "collusion" entre médecin, tiers et même directeur en prohibant le
fait que le médecin certificateur fasse partie de la famille de l'intéressé ou de celle du directeur
au sens large97. Le juge a précisé que le certificat pouvait être établi par le médecin traitant de
la personne malade98. Dans ce même arrêt, le Conseil d'État rappelle une autre prohibition
légale : le premier certificat ne peut être rédigé par un médecin de l'établissement. Enfin, seul
94 TA Marseille, 11 janvier 2007, req. n° 0600411, 0600409, 0600410, Mme Sauze : "qu'il ressort des pièces du dossier que le certificat médical établi le 21 avril 1999 par un psychiatre du centre hospitalier spécialisé Edouard Toulouse rappelle notamment la persistance chez la patiente d'éléments délirants de type paranoïaque et relève un contexte anxiodépressif pour conclure au maintien de l'hospitalisation "afin de poursuivre le traitement" ; que s'il en résultait, dans l'esprit de son auteur, que les conditions de l'hospitalisation étaient toujours réunies, le certificat ne se prononce pas, de façon explicite, sur le point de savoir si la nature des troubles dont Mme Sauze continuait à souffrir faisait obstacle à son consentement, pas plus que sur la nécessité de lui prodiguer des soins immédiats et une surveillance constante en milieu hospitalier". Mme Sauze était donc "fondée à demander l'annulation de la décision la maintenant en hospitalisation sur demande d'un tiers postérieurement au 21 avril 1999". 95 CAA Lyon, 18 mars 2004, req. n° 01LY00908. CAA Douai, 8 juillet 2004, req. n°02DA00776. Selon la cour : "les deux certificats médicaux en date du 31 août 1994, rédigés en termes rigoureusement identiques, qui accompagnaient la demande d'admission de M. Jean-Marie X à l'établissement public de santé mentale des Flandres sans son consentement ne permettaient pas de connaître de l'état mental de l'intéressé et les particularités de sa maladie, ni les motifs justifiant l'hospitalisation sans consentement de ce dernier sans son consentement ; que les certificats médicaux n'étaient pas circonstanciés […] la décision d'HDT doit donc être annulée". 96 TA Melun, 7 janvier 2005, M. Peter. 97 Article L. 3212-1 CSP al. 5 : "Les deux médecins ne peuvent être parents ou alliés, au quatrième degré inclusivement, ni entre eux, ni des directeurs d'établissement… ni de la personne ayant demandé l'hospitalisation ou de la personne hospitalisée".
29
un psychiatre peut établir le certificat des vingt-quatre heures (les deux premiers certificats
pouvant émaner de médecins non-spécialistes)99.
Selon l’article L. 3212-2 du CSP, avant d'admettre une personne en HDT le directeur
doit vérifier "que la demande a été établie conformément aux dispositions de l'article L. 3212-
1 du CSP". Bien que le juge administratif considère que l'admission est une décision qui fait
grief100, il admet qu'elle soit orale101 et donc qu'elle ne soit pas motivée102. La circulaire de
1991 permet que l'admission soit prononcée alors que le dossier n'est pas encore complet si le
délai de régularisation reste "raisonnable". Selon ce texte, des vérifications postérieures à
l'admission s'avèreront dans certains cas nécessaires. M. Vandendriessche s'interroge sur "les
conséquences éventuelles de cette vérification ultérieure. Par exemple, si elle démontre que
les conditions relatives aux liens de parenté n'ont pas été respectées, le directeur de
l'établissement sera-t-il conduit à prononcer immédiatement la sortie du malade ? Dans
l'affirmative, quelle sera l'attitude du juge si, une fois sorti, le malade intente une action en
responsabilité contre l'établissement ? Dans le cas contraire, doit-on considérer que s'ouvre
un nouveau délai "raisonnable" de régularisation ?". La jurisprudence administrative a
partiellement répondu à ces questions via la théorie de la voie de fait que nous évoquerons
ultérieurement. Le juge répressif est éventuellement conduit à intervenir puisque de lourdes
sanctions pénales sont prévues si le directeur ne respecte pas ses obligations. Malgré le fait
que la loi règle de manière minutieuse les conditions formelles de la mesure d'hospitalisation
sans consentement le juge administratif, interprétant le texte légal, aménage un équilibre entre
sécurité et liberté. La souplesse dans la mise en œuvre du texte est plus étendue lors du
contrôle de la légitimité de la mesure qui fait intervenir des notions vagues, fonctionnelles
telles que celle d'ordre public. Mais il faut admettre que pour évaluer cette nécessité le juge,
comme l'autorité administrative, s'en remet pour une large part à l’avis des experts médicaux.
98 CE, juge des référés, 26 juillet 2004, req. n° 270302. 99 TA de Nancy, 10 octobre 2006, req. n° 0600491, M. Pierre Lavall. 100 TA Pau, 18 décembre 1984, req. n° 6779/6780, centre hospitalier spécialisé Saint-Anne de Mont-de-Marsan : "qu'il appartient en conséquence à cette autorité de vérifier la régularité des documents qui lui sont présentés ; que, par suite, en rejetant la demande qui lui est faite ou en accueillant celle-ci, ladite autorité prend une décision de nature administrative susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir". 101 CE, 25 mai 1994, Waksman c/Santé req. n°132281 ; CE, 26 juillet 1996, CHS Sainte-Marie-de-Cayssiol ; CAA Douai, 8 juillet 2004, req. n°02DA00776. 102 TA Marseille, 11 janvier 2007, req. n° 0600411, 0600409, 0600410, Mme Sauze : "la décision d'admission que le directeur de l'établissement auquel est présentée une demande d'hospitalisation ou de prolongation d'hospitalisation sur demande d'un tiers est tenu de prendre, après avoir vérifié la présence de toutes les pièces visées à l'article L. 333 du code de la santé publique … n'a pas à être formalisée par écrit ni, par suite, à être motivée".
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Section 2 – La recherche d'équilibre dans le contrôle
indirect du bien fondé de la mesure
Comme nous l'avons dit en introduction, en principe, le juge administratif ne statue
que sur la régularité de la mesure. Néanmoins, dans certaines hypothèses qui ne concernent
que l'hospitalisation d'office il contrôle son bien fondé. Nous qualifions ce contrôle d'indirect
car ce n'est pas à propos d'une décision "positive" d'hospitalisation sous contrainte que le juge
administratif connaît de la nécessité de la mesure mais lorsqu'il y a décision "négative". En
effet, il ne se prononce sur la légitimité de la décision du préfet que dans deux cas : d'une part,
lorsque l'administration s'est abstenue de prendre une décision d'hospitalisation d'office (§ 1),
d'autre part, lorsqu'une personne "récemment libérée" commet des dommages (§ 2).
§ 1 La responsabilité de l’Etat ou de l'établissement
pour abstention fautive
Spontanément, le thème de l'hospitalisation sans consentement fait d'abord songer aux
lettres de cachet et autres procédés arbitraires. Effectivement, l'un des risques en matière de
maintien de l'ordre réside dans un usage excessif, par la puissance publique, des moyens
juridiques et matériels dont elle dispose. Mais, si l'administration doit veiller à n'agir qu'en cas
de nécessité et à ne prendre que des mesures strictement proportionnées aux atteintes
potentielles103 à l'ordre public (puisque la police administrative vise à éviter les troubles à
l'ordre public et non à les réprimer ce qui relève de la police judiciaire), sa mission de
maintien de l'ordre l'oblige à agir en cas de menace. "La mission qui incombe aux autorités de
police n'est pas une mission facultative mais, au moins en partie, une compétence liée"104.
Autrement dit, si le maintien de l'ordre public permet à l'administration d'agir, quitte à
restreindre certaines libertés, cette faculté se transforme en réalité en obligation, ne laissant
aux autorités de police que le choix des moyens pour parvenir à l'objectif de bon ordre. Ce
passage entre faculté et obligation d'intervention de l'administration renvoie à la dualité et
donc à l'ambiguïté de la notion d'ordre public mise en lumière par E. Picard :"L'ordre public
103 CE, ass. 1933, Benjamin, rec. 541, GAJA 16e édition p. 295, S. 1934.3.1 et D. 1933.3.354. 104 Dupuis Georges, Guédon Marie-José, Chrétien Patrice, Droit administratif, 10e édition, 2007, p. 516.
31
comporte deux faces représentant l'une et l'autre de ses fonctions étroitement
complémentaires : en premier lieu, l'ordre public régit le comportement des sujets de droits
que nous sommes, dans la mesure où c'est bien l'ordre public qu'invoquent les autorités
publiques, lorsqu'elles veulent fonder les limitations qu'elles infligent, jusqu'à un certain
point, à nos droits et libertés ; mais, dans ces conditions, l'ordre public remplit également une
seconde fonction : il habilite précisément les autorités publiques à restreindre ces droits, mais
il leur interdit de dépasser un certain degré dans la restriction, en outre, à partir d'un certain
degré de gravité dans le désordre déploré, il impose d'intervenir positivement pour protéger
nos droits, car ceux-ci, pour pouvoir s'exercer effectivement, ont réellement besoin d'un
certain état d'ordre"105. Ainsi nous comprenons que le juge administratif puisse reprocher aux
autorités publiques de n'avoir pas fait hospitaliser une personne lorsque son comportement
menaçait gravement l'ordre public. Le reproche peut s'adresser à la puissance publique lorsque
c'est le préfet ou le maire qui n'ont pas rempli correctement leurs fonctions (A) mais il peut
également être dirigé contre l'établissement d'accueil (B).
A – La responsabilité de la puissance publique
L'Etat est responsable de la sauvegarde de l'ordre public, mission que le Conseil
constitutionnel a qualifié d'objectif à valeur constitutionnelle106. L'engagement de la
responsabilité de l'Etat pour abstention fautive dans le domaine de la police administrative
n'est donc pas spécifique à la matière de l'hospitalisation d'office. La loi du 27 juin 1990 ne
fait aucun doute quant au caractère obligatoire de l'intervention du préfet lorsque les
conditions d'hospitalisation sous contrainte sont réunies (c'est le présent de l'indicatif qui est
utilisé107). Or, cette question ne peut recevoir qu'une réponse circonstanciée : il s'agit pour le
préfet (ou le maire) de déterminer si, en l'espèce, les conditions de l'hospitalisation d'office
(ou d'adoption de mesures provisoires) sont ou non réunies. Le juge judiciaire est amené à
contrôler l'appréciation de l'autorité lorsque cette dernière a pris une mesure privative de
liberté alors que c'est sur le caractère adapté de l'absence de mesure ou même du refus de
prendre une mesure que le juge administratif peut être saisi.
105 Cité par Gonggryp Thibault, article précité p. 70, extrait de M. Picard, "Ordre public ou ordres publics ? Ordre public et droits fondamentaux", actes du colloque de Caen des 11 et 12 mai 2000, Bruxelles, 2001, Éd. Bruylant, p. 30-31. 106 CC n° 82-241 du 27 juillet 1982, Recueil des décisions p. 48 107 Article L. 3213-1 CSP : "prononcent" ; article L. 3213-2 CSP : les maires "arrêtent".
32
Pour répondre à cette obligation "principale" d'intervention, l'autorité doit avoir été
informée du risque de trouble à l'ordre public. Ainsi, une obligation "secondaire" consiste à
recueillir des informations. C'est ce qu'a rappelé la haute juridiction administrative il y
plusieurs années108. À cet égard, les directions départementales des affaires sanitaires et
sociales (DDASS) jouent un rôle déterminant. Pour savoir si la responsabilité étatique ou
communale doit être engagée, le juge administratif se demande, en premier lieu, si l'autorité
était correctement informée de la situation. Dans un deuxième temps, il recherche si, compte
tenu des informations dont elle disposait, l'autorité de police devait ou non prendre une
mesure. C'est ce qu'il fit dans l'affaire Dame et demoiselle Garcin c. Ministre de l'Intérieur109.
Cet arrêt engagea la responsabilité étatique du fait de la carence de "l'administration
préfectorale" en exigeant que cette carence soit constitutive d'une faute lourde110. Par contre,
le juge refusa d'engager la responsabilité étatique lorsque la gendarmerie (et donc le préfet),
n'avait pas été informée des agissements d'une personne sur des enfants et n'avait donc pu
éviter une ultime agression111. Les magistrats de l'ordre administratif réalisent un contrôle
maximum sur l'abstention ou le refus du préfet de prendre un arrêté. Lorsqu'ils constatent que
le préfet était informé mais qu'il ne résultait pas de l'étude du dossier que les personnes visées
étaient atteintes "d'une aliénation mentale de nature à compromettre l'ordre public et la
sécurité des personnes", ils affirment que "c'est légalement que le préfet de police, par le
silence gardé plus de quatre mois sur la demande de Sieur A…., a rejeté ladite demande
108 CE, 26 janv. 1979, n° 99511, M. et Mme. Z. : "qu'il appartient aux autorités de la police des malades mentaux de recueillir toutes les informations utiles sur les personnes dont l'état mental risque de menacer l'ordre public et plus particulièrement sur celles qui ont fait l'objet de placements d'office à la suite d'actes de violence et de tirer toutes les conséquences utiles, pour la protection de la population, des informations ainsi recueillies". Le juge précise que les informations relatives aux personnes atteintes de troubles mentaux ne peuvent être utilisées que "pour la protection de la population". 109 CE, ass., 23 janv. 1931, Dame et demoiselle Garcin c. Ministre de l'Intérieur, DP 1931, 3, 17. Le préfet, bien qu' avisé par plusieurs personnes (le procureur de la République, deux maires, deux autres personnes) de l'attitude menaçante de M. Jérôme n'avait pas cru bon de prendre un arrêté d'HO. C'est pourquoi : "il résulte de l'instruction qu'en négligeant d'user de ses pouvoirs pour sauvegarder la sûreté des personnes, comme l'article précité lui en faisait une obligation, à la suite des instances répétées, par lesquelles il avait été mis en demeure de prendre d'urgence les mesures nécessaires, le préfet des Basses-Alpes a commis une faute lourde, engageant la responsabilité de l'Etat". 110Le juge administratif retient une faute lourde lorsque le préfet "avait à l'époque, été averti par le rapport d'une assistante sociale que ce malade ne se rendait pas aux convocations qui lui étaient adressées par le dispensaire d'hygiène mentale, d'autre part, qu'il a ensuite reçu le procès-verbal de la brigade de gendarmerie de Château-Neuf-sur-Charente en date du 31 juillet 1971 relatant la saisi d'une arme à feu sur la personne du malade, présenté par les gendarmes comme un "individu dangereux" dont ils rappelaient les antécédents et l'agressivité"110. "Par suite, les dommages causés par ce malade en ouvrant le feu sur la foule dans un magasin engagent la responsabilité de l'Etat". CE, 26 janv. 1979, n° 99511, M. et Mme. Z. et deux décisions semblables du même jour : Consorts Scheid, 99881 et Consorts Lavaud et autres, 99910. 111 CE, 10 avril 1974, n° 91409, Ministre de l'intérieur c/ époux Jeangrand, rec. 1158.
33
tendant au placement d'office des Dames B…, et Y… en hôpital psychiatrique"112. Constat
soulageant : les accusations mal fondées d'un administré sont balayées par le juge.
Alors qu'en 1968113 et en 1986114, le juge exigeait encore la faute lourde pour engager
la responsabilité de la puissance publique, le Conseil d'État a abandonné cette exigence,
comme dans beaucoup d'autres pans de la responsabilité de l'Etat (en particulier de sa
responsabilité du fait de la police administrative115), par l'arrêt "Société AGF" du 14 avril
1999116. Cette évolution, favorablement accueillie par la doctrine117, marqua le passage
généralisé à un régime de la faute simple en matière d'activité juridique de la police
administrative118. La jurisprudence du Conseil d'Etat a récemment été appliquée par la cour
administrative de Marseille119 qui, après avoir énoncé "qu'il appartient aux autorités chargées
de la police des malades mentaux de recueillir toutes les informations utiles sur les personnes
dont l'état mental risque de menacer l'ordre public et de tirer toutes les conséquences utiles,
pour la protection de la population, des informations ainsi recueillies", renonce à engager la
responsabilité du préfet qui n'avait, selon elle, pas "été averti par les autorités médicales, par
les services de police ou par la famille de M. X que celui-ci présentait les caractéristiques
d'un individu dangereux pour la sécurité d'autrui" et qu'ainsi, il "n'a commis aucune faute de
nature à engager la responsabilité de l'État". Il est logique que les magistrats n'aient pas
admis la requête qui émanait de la famille de celui qui, en état de démence, avait tué sa propre
mère : si les membres de la famille considéraient que l'un des leurs était dangereux, ils étaient
les premiers à pouvoir avertir les services sociaux ou le maire de leur commune. Le fait que
112 CE, 13 janv. 1971, n° 80251, Sieur Planchon. On observe la compétence du juge administratif pour connaître du refus opposé par le préfet à une demande tendant au placement d'office d'un tiers en hôpital psychiatrique. 113 CE, 13 juillet 1968, Époux Hugonneau, rec. p. 447 pour l'engagement de la responsabilité communale. 114 TA Rennes, 19 fév. 1986, pour l'engagement de la responsabilité étatique. 115 Abandon de la faute lourde pour les opérations de secours en mer (CE Section, 13 mars 1998, Améon, rec. 82), pour les actions des services d'incendie (CE 29 avril 1998, Commune de Hannapes, rec. 185) et en ce qui concerne la police du bruit (CE, 28 nov. 2003, Commune de Moissy-Crayamel). 116 CE, 14 avril 1999, Sté AGF : Dr. Adm. 1999, comm. N° 180 ; JCP 2000, I, 213, chron. J. Petit et C. Boiteau. La haute juridiction administrative énonce "qu'en rejetant cette demande au motif que la responsabilité de la Commune était subordonnée à l'existence d'une faute lourde commise par l'autorité municipale qui n'avait pas pris de mesure provisoire d'hospitalisation d'office à l'encontre du responsable de l'incendie, la Cour administrative d’appel de Nantes a entaché sa décision d'erreur de droit" et, en l'espèce, "l'autorité municipale, en s'abstenant de faire usage des pouvoirs qu'elle tenait des dispositions précitées de l'article L. 343 du Code de la santé publique et alors même qu'elle était informée du comportement de M. Varin, ne saurait être regardée comme ayant commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune". 117 M. Petit et Mme Boiteau écrivent : "On ne voit pas quelle objection opposer à la généralisation de cette solution : les difficultés que peut présenter la détermination des décisions réglementaires ou individuelles de police qui doivent être édictées afin de sauvegarder l'ordre public ne semblent pas susceptibles de justifier, aux yeux du juge administratif, l'exigence d'une faute lourde". 118 Ce passage signait ainsi l'abandon du critère de la difficulté de l'activité adopté par la jurisprudence Marabout c/ Ville de Paris (CE, ass. 20 déc. 1972, rec. 664).
34
nous n'ayons trouvé aucune autre décision récente nous laisse croire que, malgré l'abandon de
la faute lourde, la responsabilité de l'Etat dans cette matière est rarement engagée. Nous
faisons l'hypothèse que, dans le contexte actuel d'une politique pour le moins "incisive" en
matière de sécurité, les préfets, prévenus d'éventuels dangers, ne courent aucun risque
d'abstention fautive et prennent systématiquement un arrêté quitte à ce que la personne soit
"libérée" dans les vingt-quatre heures. Dans ce domaine, l'opinion est très sensible aux
éventuelles carences de l'autorité publique. L'on peut d'ailleurs supposer que l'affaire des
infirmières de Pau et l'agitation médiatique qui s'en ait suivie n'a pas été sans conséquence sur
l'attitude des préfets et de leurs services dans les mois qui suivirent120.
Si la responsabilité de l'État du fait de l'inaction du préfet peut être engagée, il semble
a priori impossible que celle de l'établissement d'accueil le soit puisque le directeur ne fait
qu'exécuter la décision du préfet. Le juge administratif a affirmé à de nombreuses reprises que
lorsque le directeur de l'établissement "admet ou maintient un malade en hospitalisation
d'office, il se borne à exécuter des ordres et ne prend pas lui-même une nouvelle décision
susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, que les mesures ainsi prises
par le directeur ne perdent pas son caractère d'acte ne faisant pas grief, alors même que
postérieurement à la date de son intervention, l'arrêté de placement d'office et de maintien de
cette mesure, a été annulé par le tribunal administratif"121. Le directeur doit assurer
l'exécution de l'arrêté sous peine de se voir reprocher une faute de service ou d'être
pénalement poursuivi122. Ne faisant que son devoir, il n'engage pas la responsabilité de
l'établissement qu'il dirige en admettant une personne ayant fait l'objet d'un arrêté d'HO123.
Dès lors, il s'agit de se demander si la responsabilité de l'établissement pourrait être engagée
pour n'avoir pas permis une hospitalisation à la demande d'un tiers. Néanmoins, il pourrait lui
être reproché une forme de carence relativement à l'absence d'hospitalisation d'office.
119 CAA Marseille, 22 mai 2006, req. n° 04MA02099. 120 Entretien avec Maud Moque, IASS à la DDASS du Val de Marne à cette époque. 121 CE, 5 juin 1996, M.P. c/ Centre hospitalier spécialisé de Lehon. Cet arrêt reprenait la jurisprudence antérieure (CE, 17 juin 1991, Mlle Marlouiset et Centre hospitalier spécialisé d'Yzeure, rec. p. 1084) qui fut confirmée plusieurs fois, de façon marquée en 1997 (CE, 1er et 4e sous-sect., 17 nov. 1997, req. n° 155196, Granata ; CE, 11 juin 1997, M. A.B., n° 126050) et CAA Paris, 4 décembre 2001, n° 96PA00717, M. André X. 122 L’art. R. 610-5 du NCP sanctionne la violation des "obligations édictées par les décrets et les arrêtés de police". 123 CAA Paris, 8 nov. 2006, n° 04PA00834, M. Giovanni X. : la décision d'admission en HO du directeur n'a pas le caractère d'acte faisant grief. La cour explique qu'il n'y a pas de contradiction entre le refus du Conseil d'Etat d'annuler la décision d'admission du directeur dans le cadre d'une HO et la condamnation solidaire de l'établissement, du médecin de famille et du maire par le juge judiciaire "du fait de la compétence exclusive de ces juridictions pour indemniser, comme elles l'ont fait en l'espèce, les conséquences de toute hospitalisation d'office non nécessaire.".
35
B – La responsabilité de l'établissement
Après avoir compris pourquoi la responsabilité de l'établissement psychiatrique
pourrait être engagée lorsqu'il n'y a pas eu d'hospitalisation sous contrainte, nous verrons que
le juge administratif, avec le pragmatisme qui le caractérise, reconnaît aux établissements le
droit de retenir une personne alors même qu'aucune décision d'hospitalisation sans
consentement n'a été légalement prise.
Alors que l'admission d'une personne sous le régime de l'hospitalisation d'office n'est
pas une décision qui fait grief, la décision du directeur de l'établissement d'accueillir une
personne à la demande d'un tiers, est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de
pouvoir124. La responsabilité de l'établissement pourrait-elle être engagée si le directeur ayant
refusé d'admettre la personne, celle-ci avait mis fin ou tenté de mettre fin à ses jours ? Pour
répondre à cette interrogation, il faut revenir sur les obligations qui incombent au directeur
dans le cadre d'une HDT. En réalité, si l'ensemble des conditions formelles est réuni alors le
directeur n'a pas le choix, il est en situation de compétence liée : s'il ne procède pas à
l'admission de la personne, le juge administratif pourrait engager sa responsabilité125. C'est
donc par un autre biais que la responsabilité de l'établissement est susceptible d'être engagée
lorsqu'il n'y a pas eu d'hospitalisation.
L'arrêt du 4 septembre 2007 de la cour administrative d’appel de Bordeaux126 montre
que si un établissement a un doute sur la dangerosité de l'un de ses patients, il doit
l'hospitaliser (s'il s'agit d'un établissement non spécialisé, il doit transférer le patient dans un
établissement psychiatrique), à charge pour lui d'initier l'une des procédures d'hospitalisation
sans consentement. En l'espèce, l'hôpital n'avait pas cru nécessaire d'hospitaliser M. Y. qui,
après avoir été reçu par un médecin, avait égorgé Mme X. Le juge relève "qu'il ne résulte pas
de l'instruction qu'il [le psychiatre de garde] aurait été en possession d'éléments pouvant faire
présumer la dangerosité de M. Y alors d'ailleurs que le médecin assurant le suivi de ce
dernier avait informé le service des urgences qu'il n'y avait pas lieu de l'hospitaliser,
124 TA Pau, 18 décembre 1984, 6779/6780, Centre hospitalier spécialisé Saint-Anne de Mont-de-Marsan : "en rejetant la demande qui lui est faite ou en accueillant celle-ci, ladite autorité prend une décision de nature administrative susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir". 125 Nous n'avons pas trouvé de jurisprudence pour illustrer notre propos : il paraît absolument exclu qu'un directeur s'oppose à l'hospitalisation d'une personne lorsque les conditions légales d'HDT sont réunies ! 126 CAA Bordeaux, 4 septembre 2007, n° 04BX01852, Fonds de garantie des victimes de terrorisme et d'autres infractions.
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l'intéressé étant placé sous traitement médicamenteux, ayant été visité par un infirmier le
matin même et pouvant être reçu en consultation psychiatrique le lendemain". La cour déduit
que "l'absence d'hospitalisation de M. Y motivée par l'absence de nécessité du placement de
l'intéressé en établissement psychiatrique, n'est pas susceptible d'engager la responsabilité du
centre hospitalier Charles Perrens sur le terrain du risque." Elle ajoute que "l'absence
d'hospitalisation de M.Y par le centre hospitalier Charles Perrens ne saurait être regardée
comme constitutive d'une faute médicale ou d'une faute dans l'organisation ou le
fonctionnement du service ou encore d'un manquement aux obligations légales lui incombant
en matière d'hospitalisation des malades mentaux dont l'état constitue un danger imminent
pour la sûreté des personnes." La motivation de l'arrêt souligne l'absence d'élément
permettant de faire présumer le risque, ce qui nous laisse entendre a contrario que, si un
établissement (général ou spécialisé) était en mesure de détecter un danger pour la personne
elle-même ou pour autrui, il devrait la garder entre ses murs, même sans son consentement.
Cette interprétation est corroborée par la jurisprudence administrative qui a reconnu aux
établissements le droit de retenir une personne le temps de mettre en place une mesure
d'hospitalisation sous contrainte. L'on peut imaginer que si l'établissement n'utilisait pas ce
pouvoir, il pourrait lui être reproché une faute. Cette jurisprudence doit être mise en relation
avec l'article L. 3222-2 du Code de la santé publique qui prévoit que lorsqu'un malade, dont la
pathologie relève d'une hospitalisation forcée, est hospitalisé dans un établissement de santé
non habilité par le préfet à recevoir des malades hospitalisés sans consentement, alors "le
Directeur de l'établissement doit prendre, dans les quarante-huit heures, toutes les mesures
nécessaires à la mise en œuvre de l'une des procédures prévues aux articles L. 3212-1, L.
3213-1 ou L. 3213-2". Bien sûr, la responsabilité personnelle du médecin pourrait être
engagée sur le fondement de la non-assistance à personne en danger (si la personne avait des
tendances suicidaires) mais l'on peut également penser que l'établissement doit, si l'analyse
médicale révèle la nécessité des soins, tenter d'obtenir une décision préfectorale ou la
demande d'un tiers.
Les magistrats de l'ordre administratif ont affirmé que si une personne nécessite des
soins alors même que son état l’empêche de consentir à ceux-ci, l’établissement peut la retenir
pendant la durée strictement nécessaire pour que l’une des mesures d’hospitalisation sans
consentement soit adoptée. Fort heureusement, cette jurisprudence a posé des limites à la
rétention réalisée par l’établissement : elle ne peut avoir lieu que "le temps strictement
nécessaire à la mise en œuvre des mesures d'internement d'office ou de placement
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volontaire". Au-delà, le juge sanctionnera une voie de fait. C'est ce qu'il fit, il y a vingt ans
dans l'affaire Mme Brousse127. Le juge affirma que “une personne majeure présentant des
signes de maladie mentale, ne peut être retenue contre son gré dans un établissement
d'hospitalisation que pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre des mesures
d'internement d'office ou de placement volontaire". Appliquant cette jurisprudence, le tribunal
administratif de Paris, en 1994128, refusa de qualifier de voie de fait la décision du directeur
d'un centre hospitalier spécialisé de recevoir provisoirement une personne soumise à un arrêté
d'HO qui désignait un autre établissement comme établissement d'accueil. L'intéressé s'était
enfui de son établissement d'origine et le directeur du second établissement avait eu raison de
l'hospitaliser avant son transfert dans l'établissement visé par l'arrêté. Quelques années plus
tard, dans un arrêt remarqué, la haute juridiction administrative affina sa position : une
"personne majeure présentant des signes de maladie mentale et dont le comportement paraît
présenter un danger imminent pour sa propre sécurité, ou pour celle d'autrui, peut être
retenue contre son gré dans un établissement, général ou spécialisé, que pendant le temps
strictement nécessaire à la mise en œuvre des mesures d'internement d'office ou de placement
volontaire prévues par le code de la santé publique"129. Les précisions concernent l'état de la
personne : au-delà de la maladie mentale, c'est bien la dangerosité potentielle et imminente de
l'individu qui justifie cette exception au principe de l'hospitalisation fondée sur un titre légal.
De plus, le juge dit explicitement que le danger peut être dirigé contre autrui ou contre la
personne elle-même. Une telle rétention pourra donc aussi bien être suivie d'une
hospitalisation d'office que d'une hospitalisation à la demande d'un tiers130. Cette solution met
en lumière le pragmatisme du juge administratif et l'importance de son intervention dans cette
matière. Très souvent, toutes les conditions formelles de mise en œuvre de la mesure ne sont
pas encore réunies lorsque la personne est hospitalisée. Les établissements psychiatriques
s'appuient sur la jurisprudence du Conseil d'Etat pour maintenir la personne dans l'enceinte de
127 CE, 18 oct. 1989, n° 75096, Mme Brousse. 128 TA Paris, 9 décembre 1994, req. n° 9005619, M. B. : "une personne majeure présentant des signes de maladie mentale, ne peut être retenue contre son gré dans un établissement général ou spécialisé que pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre des mesures prévues par le code de la santé publique" donc "M. B. n'est pas fondé à soutenir que l'acte par lequel le directeur du centre hospitalier spécialisé de Pierrefeu-du-Var l'a admis et l'a maintenu dans son établissement a constitué une voie de fait". 129 CE, 17 nov. 1997, n° 155196, M. G.Granata. 130 En l'espèce, M. Granata, considéré comme dangereux par le médecin appelé par son épouse, avait donc été conduit par les services de police au CHS "vers 20h30" où il avait été hospitalisé contre son gré "le soir même". Le lendemain, le maire avait pris un arrêté de placement provisoire. Le Conseil d'Etat considère "que l'intéressé doit, dans ces conditions et compte tenu de l'urgence, être regardé comme n'ayant été maintenu contre son gré dans cet établissement hospitalier que pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre d'une mesure de placement d'office".
38
l'hôpital quand bien même aucune mesure n'a été prononcée131. Nous constatons que
l'établissement est en quelque sorte "pris en tenaille" entre des obligations divergentes : s'il lui
est interdit de retenir une personne contre son gré sans titre légal l'y autorisant, l'obligation de
protection de la santé de la personne et de la sécurité d'autrui l'autorise, exceptionnellement, à
retenir quelques heures un individu sans qu'une décision respectant toutes les formes légales
soit intervenue. Cette faculté trouve une limite dans la voie de fait. Le juge administratif est
juge de l'opportunité de l'abstention d'intervention ; il l’est également de la levée d'une mesure
d'HO.
§ 2 L’évaluation lors de la levée de la mesure
d’hospitalisation d’office
La levée d'une mesure d'hospitalisation d'office peut intervenir selon cinq modalités.
La plus classique consiste dans la décision du préfet "saisi" par le directeur de l'établissement
qui l'informe qu'un psychiatre a déclaré que la sortie pouvait être ordonnée132. Ensuite, le
préfet peut, à tout moment, décider de la levée de la mesure soit sur simple avis d'un
psychiatre, soit sur proposition de la commission départementale des hospitalisations
psychiatriques133. La troisième possibilité réside dans le recours devant le juge des libertés et
de la détention (JLD) qui peut se saisir d'office134. La quatrième modalité, et c'est une
131 C'est le cas lorsque deux médecins d'un hôpital général ont rédigé les certificats nécessaires à la mise en place d'une HDT mais qu'il manque la demande du tiers. Le personnel de l'établissement spécialisé prend contact avec la famille, le tuteur, les amis. Si aucune personne n'accepte d'endosser le rôle de demandeur alors l'hôpital envisagera la mise en œuvre d'une HO. Cette mesure peut sembler abusive au sens où la personne ne représente pas un danger pour l'ordre public, mais la Cour de cassation admet que le risque suicidaire justifie une hospitalisation d'office (Cass. 22 nov. 1995). L'objectif est alors de protéger cette personne contre elle-même. Nous retrouvons toute l'ambiguïté des termes de la loi qui mélange protection de la santé de la personne, protection de l'ordre et liberté individuelle. 132 Art. L. 3216-5 du Code de la santé publique : "Si un psychiatre déclare sur un certificat médical ou sur le registre tenu en exécution des articles L. 3212-11 et L. 3213-1 que la sortie peut être ordonnée, le directeur de l'établissement est tenu d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'Etat dans le département qui statue sans délai". 133 Art. L. 3213-4 alinéa 3 CSP. 134 Art. L. 3211-12 CSP qui concerne les deux modalités d'hospitalisation forcée : "Une personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit, public ou privé, qui accueille des malades soignés pour troubles mentaux, son tuteur si elle est mineure, son tuteur ou son curateur si, majeure, elle a été mise sous tutelle ou en curatelle, son conjoint, son concubin, un parent ou une personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade et éventuellement du curateur à la personne peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir sur simple requête devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance du lieu de la situation de l'établissement qui, statuant en la forme des référés après débat contradictoire et après les vérifications nécessaires, ordonne, s'il y a lieu, la sortie immédiate. Une personne qui a demandé l'hospitalisation ou le procureur de la République, d'office, peut se pourvoir aux mêmes fins. Le juge des libertés et de la détention peut également se saisir d'office, à tout moment, pour ordonner qu'il soit mis fin à
39
innovation notable de la loi du 27 juin 1990, repose sur l'inertie administrative. En effet,
l'article L. 3213-4 du Code de la santé publique prévoit un contrôle administratif périodique
de la mesure qui impose que le préfet confirme régulièrement la nécessité d'hospitaliser la
personne135. Le deuxième alinéa de cet article dispose que "Faute de décision du représentant
de l'Etat à l'issue de chacun des délais prévus à l'alinéa précédent, la mainlevée de
l'hospitalisation est acquise". Cette nouvelle forme de mainlevée est fortement protectrice de
la liberté individuelle : elle empêche le maintien d'une mesure inutile du seul fait de l'inaction
de l'administration. Enfin, une procédure spéciale concerne les personnes qui ont été
hospitalisées à la suite d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement136 : leur sortie ne peut
être décidée par le préfet que si deux décisions "résultant de deux examens séparés et
concordants" ont établi que "l'intéressé n'est plus dangereux ni pour lui-même ni pour
autrui"137. Nous constatons que, sauf décision du juge de la liberté et de la détention, le
pouvoir de lever la mesure d'HO n'appartient qu'au préfet (ce qui est conforme au principe de
parallélisme des procédures). Évidemment, le préfet n'agit pas sans avoir consulté les autorités
médicales. C'est ce qui justifie qu'aussi bien la responsabilité de l'Etat (A) que celle de
l'établissement (B) puisse être engagée lorsque la levée de la mesure s'est révélée mal fondée.
A – La responsabilité de l'Etat
C'est le juge administratif qui est compétent pour apprécier le bien fondé de la décision
préfectorale de mainlevée d’une hospitalisation d'office et pour engager la responsabilité de
l'Etat si cette décision se révélait fautive comme l'a confirmé138 le Tribunal des Conflits dans
une décision du 26 juin 2006. Cela peut paraître étonnant dans la mesure où c'est le juge
judiciaire qui contrôle l'opportunité de la décision d'hospitalisation. Le juge répartiteur de
compétence justifie cette attribution de compétence par le fait que la décision de mainlevée
l'hospitalisation sans consentement. À cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu'elle estime utiles sur la situation d'un malade hospitalisé." Cette innovation de la loi du 27 juin 1990 est particulièrement protectrice de la liberté individuelle puisque le procureur a forcément connaissance de la mise en place d'une hospitalisation à la demande d'un tiers (voir les articles L. 3212-5 CSP). 135 Art. L. 3213-4 du CSP : "Dans les trois jours précédant l'expiration du premier mois d'hospitalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer, après avis motivé d'un psychiatre, le maintien de l'hospitalisation d'office pour une nouvelle durée de trois mois. Au-delà de cette durée, l'hospitalisation peut être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département pour des périodes de six mois maximum renouvelables selon les mêmes modalités". 136 Art. L. 3213-7 CSP. 137 Art. L. 3213-8 CSP. 138 Dans un arrêt ancien le juge administratif se considérait compétent : CE, section, 31 déc. 1976, Hôpital psychiatrique de Saint-Égrève Isère, n° 97517, rec. 584.
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n'est pas attentatoire à la liberté individuelle : étant une mesure de police administrative, son
contrôle revient au juge de l'ordre administratif139. En 2001 la cour administrative d’appel de
Marseille140 a eu l'occasion d'affirmer que l'arrêté prononçant la fin de l'hospitalisation
d'office "ne fait pas grief, par lui-même à l'intéressé". Déterminer la qualité du requérant
permet de savoir si la décision préfectorale fait grief ou non et donc si la requête est
recevable. La décision de mainlevée fait grief à un tiers victime d'un dommage réalisé par
l'individu dont la sortie a été ordonnée par le préfet peu de temps avant les faits.
Comme pour toute mesure de police administrative, le juge évalue la nécessité et la
proportionnalité de la décision préfectorale de lever d'une HO. Si le contrôle révèle que la
mainlevée n'était pas la mesure adéquate, la responsabilité de l'État peut être engagée. Nous
n'avons trouvé qu'un seul arrêt engageant cette responsabilité et il date d'une quarantaine
d'années141 ! La faible probabilité d'engagement de la responsabilité étatique s'explique au
moins pour partie par l'étroite marge de manœuvre dont dispose le préfet dans le choix de
lever ou non une mesure d'HO. Dans l'arrêt "Hôpital psychiatrique de Saint-Égrève Isère", la
haute juridiction administrative a donné une sorte de "mode d'emploi" de la répartition de la
responsabilité entre le préfet et l'établissement s'agissant de la mainlevée d'une hospitalisation
d'office. Selon le Conseil d'Etat : "la décision prescrivant la libération d'une personne
internée dans un hôpital psychiatrique est prise, en vertu de l'article 348 du code de la santé
publique, par le préfet agissant en qualité de représentant de l'État et engage éventuellement
la responsabilité de l'État, les conditions dans lesquelles les services d'un hôpital
psychiatrique ont amené le préfet à prendre cette mesure peuvent, lorsqu'elles révèlent une
faute lourde de leur part, engager la responsabilité de cet établissement". En l'espèce le juge
estime que le médecin avait commis une faute lourde "en proposant la libération immédiate
de ce malade sans attendre les résultats de la contre-expertise mentale qu'il avait sollicitée,
en vue de voir confirmer son diagnostic" mais il considère également "qu'en ordonnant la
139 TC, 26 juin 2006, n° C3513 : "La décision par laquelle le préfet met fin à une hospitalisation d'office a le caractère d'une mesure de police administrative qui ne porte pas atteinte à la liberté individuelle, dont il appartient à la juridiction administrative d'apprécier tant la régularité que le bien fondé". 140 CAA Marseille, 8 fév. 2001, req. n° 98MA00776. L'intéressé invoquait le préjudice né de l'intitulé de cet arrêté qui portait "levée d'hospitalisation d'office d'un malade mental". La cour admit implicitement que cette expression n'était pas appropriée mais a considéré que la décision ne faisait t pas grief : "en admettant même que la mention malade mental puisse être regardée comme abusive, la demande de M. X… tendant à l'annulation de cette mention n'est pas recevable".Dans un souci constant de non-discrimination, il serait souhaitable que l'administration évite d'utiliser ce vocabulaire, peu respectueux de la personne malade. Ce changement irait dans le sens de la Charte de l'usager en santé mentale (adoptée par la FNAPSY et la CNPCMECH le 8 décembre 2000) selon laquelle "L'usager en santé mentale est une personne qui ne se réduit pas à une maladie, mais qui souffre de maladie".
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libération immédiate du Sieur X… en l'état de ces informations, le préfet de l'Isère a lui aussi
commis une faute lourde, laquelle est également à l'origine du dommage subi par la dame
veuve Y…". Les conséquences dommageables du meurtre furent donc pour moitié mises à
charge de l'établissement psychiatrique et pour moitié à charge de l'État. Le Conseil revenait
ainsi sur la solution adoptée par les juges du fond qui consistait à déclarer l'établissement
entièrement responsable arguant du fait que le certificat établi par le médecin était clairement
favorable à la sortie de l'intéressé142. L'arrêt de cassation souligne l'indépendance du préfet
pour ordonner la sortie et surtout le fait qu'il aurait dû maintenir l'intéressé enfermé tant
qu'aucune expertise n'avait confirmé son absence de dangerosité. Que dire de l'actualité de
cette jurisprudence ? Aujourd'hui les conseillers d'État n'exigeraient pas que les fautes de
l'établissement et du préfet soient lourdes143. Par contre, le juge administratif rechercherait
probablement les responsabilités respectives du préfet et de l'établissement. Intéressons-nous
davantage à cette seconde faute et au partage de responsabilité entre autorité administrative et
autorité médicale.
B – La responsabilité de l'établissement
La jurisprudence "Hôpital psychiatrique de Saint-Égrève Isère" est claire : la décision
par laquelle le préfet met fin à une mesure d'hospitalisation d'office est susceptible d'engager
la responsabilité de l'établissement d'accueil si la proposition de sortie constituait une faute
médicale. Cette position soulève plusieurs difficultés. La première consiste dans le partage de
responsabilité entre le préfet et l'établissement psychiatrique. Ce partage pose la question du
caractère lié ou non de la compétence du préfet pour décider de la mainlevée d'une HO. Si, en
droit, le préfet est seul décideur, la reconnaissance jurisprudentielle de cette co-responsabilité
met en lumière le fait que, pour élaborer sa décision, l'autorité préfectorale s'en remet à l'avis
du corps médical. Remettant en cause "la réalité du pouvoir de décision de l'autorité
administrative"144 en ce qui concerne la décision initiale d'HO, Sophie Overney estime que le
141 CE, section, 31 déc. 1976, Hôpital psychiatrique de Saint-Égrève Isère, n° 97517, rec. 584 142 TA Grenoble, 2 octobre 1974, Dame veuve Mugnier c. Hôpital psychiatrique de Saint-Égrève et Etat français, D. 1975, p. 204, note Franck Moderne. 143 CE, 14 avril 1999, Société AGF, Dr. Adm 1999, n° 180 : abandon de la faute lourde pour l'abstention du préfet et CE, ass, 10 avril 1992, Epoux V., rec. p. 171. : abandon de la faute lourde en matière d'actes médicaux. 144 OVERNEY Sophie "L'expert, coauteur des décisions d'hospitalisation d'office des malades mentaux", DA, juin 2002, p. 12 : "seule l'autorité administrative, dépositaire de l'intérêt général, peut, par sa puissance,
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médecin est co-auteur de cette décision, constat qui devrait aboutir à un partage de
responsabilité. Elle admet, à la fin de son article, que la volonté de protéger le plus faible
conduit à reconnaître l'État, débiteur solvable, comme seul responsable des décisions
d'internement abusif. Son raisonnement est construit autour de la décision d'hospitalisation et
non de son maintien ou de sa levée, mais, à l'évidence, dans les deux cas, l'expert demeure "un
rouage déterminant dans la prise de décision de l'instance administrative, voire dans
l'engagement de la responsabilité de la puissance publique"145. La jurisprudence
administrative prend acte de la réalité du partage des pouvoirs, réalité qui met le préfet sinon
en situation de compétence liée146 du moins en situation d'avis conforme. Autrement dit, le
préfet ne décide pas de manière autonome, il choisit selon l'opinion de l'expert. Pour résumer,
nous pensons que le préfet n'osera pas prononcer la sortie d'un malade contre l'avis du corps
médical. Sa liberté réside alors dans sa faculté de refuser de lever une mesure que les
médecins ne jugeraient plus nécessaire. Mais alors son arrêté de maintien sera soumis à la
censure du juge judiciaire qui pourra l'annuler pour internement abusif. Enfin, il est une
hypothèse dans laquelle le préfet est légalement tenu par l'opinion de l'autorité médicale :
l'article L. 3213-8 CSP n'autorise la sortie des personnes hospitalisées à la suite d'un non-lieu,
d'une relaxe ou d'un acquittement que si deux experts ont émis des avis concordants concluant
à l'absence de dangerosité de l'intéressé. La rédaction de l'article est d'ailleurs ambiguë : le
terme "décisions" pour désigner les conclusions des examens ne signifie pas que la levée de la
mesure est automatiquement acquise lorsque les deux avis concordants sont réunis.
L'intervention préfectorale est toujours requise. Pour conclure sur ce point, le partage de
responsabilité nous paraît opportun : il traduit la "coaction" du préfet et des médecins.
Autre difficulté soulevée par l'engagement de la responsabilité de l'établissement :
celle relative à l'appréciation de la faute médicale. La jurisprudence administrative n'exige
plus une faute lourde en matière d'actes médicaux147. L'évaluation de la dangerosité d'une
personne hospitalisée d'office étant un acte médical, une faute simple dans cette évaluation
imposer l'hospitalisation d'office, acte attentatoire aux libertés ; pourtant, la décision trouve sa consistance dans l'expertise d'un médecin". 145 Article précité p. 11. 146 Selon les instructions ministérielles, "il ne s'agit pas d'un pouvoir lié" car le préfet "peut, sur avis favorable et concordants des experts désignés, prendre une décision de levée de l'hospitalisation et conserve, pour ce faire, toute liberté d'appréciation". Thibault Gonggryp considère que "le préfet peut estimer que les conditions d'hospitalisation d'office ne sont pas réunies, alors qu'il dispose de certificats la rendant possible". Cette position qui se fonde sur le droit n'est pas, à notre sens, conforme aux faits : un préfet ne courra ni le risque de voir sanctionner une abstention fautive ni celui de lever de manière anticipée une HO (article précité p. 73). 147 CE, ass., 10 avril 1992, Epoux V., rec. p. 171.
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suffirait à engager la responsabilité de l'établissement. Il reste que le juge n'est pas insensible
à la difficulté de l'exercice d'une activité et par le biais de l'expression "faute de nature à", il
pourra tout à fait exiger une faute un peu plus "caractérisée" que la faute dite "simple".
Après avoir identifié la faute, le juge devra répondre à une question cruciale : celle du
lien de causalité et de son évolution dans le temps. À partir de quand le préjudice n'est-il plus
dû à la libération d'un individu dangereux mais tout simplement à sa pathologie ? En 1976 le
juge a engagé la responsabilité de l'État et de l'établissement alors que le dommage avait eu
lieu deux mois après la sortie de l'intéressé. En 1978 le Conseil d'État n'a pas hésité à engager
la responsabilité d'un établissement pour des faits qui eurent lieu plus de deux mois après la
sortie d'un malade non pas sur le fondement de la décision même de libération mais sur le
défaut d'information de l'employeur par l'ex-établissement d'accueil sur les tendances
pyromaniaques de l'employé148.
Enfin, l'engagement de ces responsabilités pose le problème de la carence d'experts en
la matière. Déjà, en 1976, l'établissement avait libéré l'individu sans avoir pu obtenir
d'expertise complémentaire. La démographie médicale étant loin de s'être améliorée, il est tout
à fait possible que les préfets, ne pouvant obtenir d'expertise et craignant de voir leur
responsabilité engagée, décident de maintenir des personnes à l'hôpital alors même que leur
état ne justifie plus qu'elles y restent. Ce problème est particulièrement aigu pour les
hospitalisations prononcées dans le cadre de l'article L. 3213-8 du Code de la santé publique.
Hormis ces hypothèses qui, comme nous avons pu le relever, sont exceptionnelles, le
juge administratif ne contrôle que les conditions formelles de l’hospitalisation sans
consentement. En effet, la répartition des compétences avec le juge judiciaire a été maintenue
après la loi du 30 juin 2000149 même si les ordonnances en référé révèlent souvent l'ambiguïté
148 CE, sect, 30 juin 1978, req. n° 9894004985, Centre psychothérapique départemental de la Nièvre c/ Consorts Courtoux, rec. 287 : "la responsabilité du centre psychothérapique, avec lequel le sieur Y… n'avait plus de lien à la date de l'incendie, n'est engagée envers le sieur X… que si une faute peut être relevée à la charge de cet établissement. Que, s'il n'est pas établi que les médecins du centre aient commis une faute lourde en estimant en mars 1969 que la sortie définitive du sieur Y … pouvait être ordonnée, les services du centre psychothérapique ont, en revanche, commis une faute de nature à engager la responsabilité de celui-ci en proposant au sieur X d'embaucher le sieur Y sans lui signaler que cet ancien interné avait, à deux reprises, en 1967 et 1968, provoqué volontairement des incendies…". 149 CAA Bordeaux, 17 mai 2005, req. n°01BX01503 : "le pouvoir conféré par la loi au juge administratif de prononcer à l'égard des personnes morales de droit public des injonctions ne l'autorise pas à s'affranchir des règles de répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction … le juge administratif n'est pas compétent, quand bien même il annule la décision de placement d'office ou de maintien en hôpital psychiatrique
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de la distinction entre légalité interne et légalité formelle. Il est étonnant de voir que
l'immense majorité des arrêts du juge administratif contiennent un considérant qui rappelle les
règles de répartition des compétences. Comment se fait-il que les plaideurs ignorent une
jurisprudence désormais bien établie ? Tentent-ils d'inciter le juge administratif à se
considérer comme compétent pour créer un conflit permettant au juge répartiteur de modifier
la règle ? En tous les cas, les magistrats de l'ordre administratif semblent se refuser tout écart
hors de leur champ de compétence et à l'intérieur de celle-ci ils ont déjà su innover.
Nous avons montré en quoi le contrôle exercé par le juge administratif sur la décision
d'hospitalisation sans consentement est mu par sa recherche d'équilibre entre sécurité et
liberté, deux impératifs parfois difficiles à concilier. L'une des particularités du droit
administratif réside dans la place déterminante de la jurisprudence au regard des autres
sources de droit. En ce sens, le juge administratif est, depuis son apparition, et quasiment par
définition, créateur de droit. L'on aurait pu imaginer que, dans une matière forcément régie
par une législation spécifique puisqu'il s'agit d'une police administrative spéciale, le juge ait
une marge de manœuvre réduite et donc que sa jurisprudence ne soit pas créatrice de droit.
L'étude de certains pans de la jurisprudence relative à l'hospitalisation sous contrainte révèle
que dans sa quête d'équilibre, et au gré des évolutions sociales, le juge fait preuve de
créativité.
de l'intéressé en raison de son irrégularité, pour enjoindre au préfet de la Gironde et au centre hospitalier spécialisé de Cadillac de laisser sortir M.X ; qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, relatives à la procédure d'urgence devant le juge des référés, ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de se substituer aux règles de répartition des compétences susmentionnées ; qu'enfin, lesdites règles, en tant qu'elles ne font nullement obstacle à la saisine du juge compétent en matière de mainlevée du placement en hospitalisation, ne peuvent être regardées comme méconnaissant les stipulations du §1 e) et §4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme".
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Chapitre 2 – Entre sécurité et liberté, la force
créatrice du juge administratif
La capacité du juge administratif à créer du droit lorsqu'il contrôle le respect des
formes entourant la décision d'hospitaliser une personne sans son accord est particulièrement
manifeste concernant la motivation des arrêtés préfectoraux et la notion de tiers demandeur
(section 1), et elle se transforme en aptitude à créer des droits lorsqu'il s'agit de mettre en
œuvre le droit du malade d'être informé sur la décision d'hospitalisation dont il a fait l'objet
(section 2).
Section 1 – La création du Droit dans le contrôle des
formes
Violation la plus manifeste des formes de l'hospitalisation sous contrainte, la voie de
fait150 peut être caractérisée par le juge administratif ou par le juge judiciaire151. Bien que
n'étant pas une hypothèse d'école, et bien que n'ayant pas été altérée par l'adoption de la loi du
30 juin 2000152, la voie de fait est une théorie rarement utilisée par le juge de l'administration
en matière d'hospitalisation psychiatrique. De plus, lorsqu'il y a recours c'est que sa
caractérisation était "inévitable" ce qui rend sa jurisprudence peu novatrice en la matière.
C'est pourquoi nous nous contenterons de signaler quelques arrêts reconnaissant l'existence
d'une voie de fait153 en précisant que même récents, ils portent sur des faits remontant aux
150 Pour une tentative de définition de cette notion voir l'article de messieurs Renaud Denoix de Saint Marc, Danielle Labetoulle et Jean-François Lachaume, "La voie de fait aujourd'hui", RFDA 1997, p. 514. 151 Lorsque la voie de fait résulte d'une décision (et non d'un agissement), elle peut être caractérisée par les deux juges. TC, 27 juin 1966, Guigon, rec. p. 830. 152 "La loi du 30 juin 2000 n'a pas de conséquence sur la jurisprudence sur la voie de fait", Chronique de Mattias Guyomar et Pierre Collin, AJDA 2001, p. 143. 153 CE,18 oct. 1989, n°75096, Mme Brousse : "En tardant pendant 20 jours à se prononcer sur le cas de M. X…qui, du fait de la décision prise par le maire se trouvait interné dans l'attente de la décision préfectorale, le préfet de la Vienne a commis une faute lourde". Arrêts cités par Philippe Bernardet, Thomas Douraki et Corinne Vaillant dans leur ouvrage Psychiatrie, droits de l'homme et défense des usagers en Europe : TA Versailles, 30 mai 1996, Mme Rose-Marie Leuch c/CHS de Perray Vaucluse ; TA Versailles, 10 octobre 1996 Mme Ledrut et 26 septembre 1996 Mme Arlette V.D. ; TA Nantes, 23 février 1993, Deshayes c/ CHS Sarthe. Autres exemples : TA, Lyon, 6 octobre 1992, CAA Paris, 20 novembre 2001, n° 96PA00717, M. Bitton ; CAA Paris, 23 mars 2005, req. n° OIPA02667, M. B. ; CAA Versailles, 7 juillet 2005, req. n° 03VE01344, M. B. Pour un refus du juge de caractériser la voie de fait : TA Paris, 16 décembre 1994, n° 9008534/4, Mlle Paulette D. et CAA
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années quatre-vingt. Autre aspect de la jurisprudence que nous ne ferons qu'effleurer : le
problème du respect du délai de quarante-huit heures entre la mesure provisoire du maire et
l'arrêté préfectoral d'HO. La fixation de ce délai en 1990 est une réelle avancée par rapport à
la loi de 1838 qui ne posait aucune limite temporelle. Ce point mériterait d'être approfondi
mais les limites matérielles à notre étude ne nous le permettent pas. Nous indiquons
seulement que, sous le régime antérieur, le juge administratif avait fait œuvre créatrice en
engageant la responsabilité étatique pour faute lourde du fait de l'écoulement d'un délai
excessif entre les deux actes154. Sous le régime actuel, il a qualifié de voie de fait le maintien
de l'intéressé contre son gré dans le service psychiatrique en l'absence de tout titre légal entre
le jour où l'arrêté municipal est devenu caduque et le jour de l'adoption de l'arrêté
préfectoral155. Nous centrerons donc notre étude sur des questions auxquelles la jurisprudence
a donné des réponses variables au cours du temps, prouvant ainsi que le juge administratif,
interprète du texte législatif de 1990, crée parfois du droit. Les jurisprudences renforçant les
exigences concernant la motivation des arrêtés d'hospitalisation d'office (§1) et encadrant la
notion de tiers (§2) montrent la force créatrice du juge administratif lors de son contrôle sur
les formes de la décision d'hospitalisation.
§ 1 Le renforcement des exigences concernant la
motivation des arrêtés d’hospitalisation d’office
Outre l'information de la CDHP156, principale garantie lors de la mise en place de la
mesure, la protection de la liberté d'une personne admise en HO réside dans le contrôle
régulier de la nécessité de la mesure. Ce contrôle, à la fois médical et administratif, se traduit
par l'obligation de produire périodiquement des certificats médicaux157 et de les envoyer au
représentant de l'État pour que celui-ci renouvelle la décision d'hospitalisation par arrêté. Le
préfet doit se prononcer sur le maintien de la mesure "dans les trois jours précédant
l'expiration du premier mois d'hospitalisation" puis au bout d'une période de trois mois et
Bordeaux, 20 juin 2006, req. n° 04BX01907 et n° 04BX01909 : à notre sens il y a voie de fait mais étonnamment le juge administratif s'estime incompétent. 154 CE, 22 déc. 1982, n°26557, Bissery, rec. 438 ; CE, 10 février 1984, n° 32794 et n° 39 790, Mme Dufour, AJDA 1984, p. 403. 155 TA Lyon, 6 octobre 1992, Mme Fayard. 156 Art. L. 3213-1 alinéa 2 du CSP. Transmission du certificat des vingt-quatre heures par le directeur du CH. 157 Le certificat des vingt-quatre heures est exigé par l'article L. 3213-1 CSP. L'article L. 3213-3 CSP exige qu'un certificat soit établi dans les quinze jours suivant l'admission, à l'issue du premier mois puis tous les mois.
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ensuite tous les six mois158. Ces arrêtés préfectoraux sont la condition sine qua non du
maintien de la mesure puisque l'article L. 3213-4 CSP dispose que :"Faute de décision du
représentant de l'État à l'issue de chacun des délais prévus à l'alinéa précédent, la mainlevée
de l'hospitalisation est acquise". Or, l'article L. 3213-1 CSP précise que "les arrêtés
préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu
l'hospitalisation nécessaire". La motivation des arrêtés, au sens de l'expression formelle des
motifs qui fondent ces actes159, apparaît ainsi comme une condition de leur validité. Le
contrôle du juge administratif sur la qualité de cette motivation revêt une importance cruciale.
En effet, s'ils considèrent la motivation comme insuffisante, les magistrats annulent l'arrêté ce
qui ôte toute base légale à la mesure d'HO. Le juge judiciaire ne peut alors qu'engager la
responsabilité de l'État (et même celle de l'établissement) pour atteinte à la liberté individuelle
quand bien même aurait-elle été médicalement justifiée160. La force créatrice du juge se
caractérise par un renforcement de l'obligation de motivation. En effet, par un arrêt
"Deslandes", le Conseil d'État a interdit la motivation par simple référence (A) ; les
conséquences importantes de cette jurisprudence expliquent qu'elle ait été vécue comme une
petite révolution de l'hospitalisation forcée (B).
A – De la motivation par simple référence à l’arrêt Deslandes
Pendant plus d'un siècle et demi, en admettant la motivation de l'arrêté d'HO par
simple référence à un certificat médical, le juge administratif n'a consacré qu'une obligation
de motivation "au rabais". Heureusement, un arrêt du début du millénaire, l'arrêt Deslandes, a
mis fin à cette pratique ce qui a eu le mérite de renforcer la protection de la sûreté. Déjà sous
le régime défini par la loi de 1838, les préfets étaient tenus de motiver leurs arrêtés d'HO.
158 Art. L. 3213-4 al. 1er : la fréquence des arrêts préfectoraux n'est donc pas la même que celle des certificats. 159 Nous soulignons la distinction entre les motifs d'un acte et sa motivation : tout acte a des motifs, ce sont les raisons de faits qui poussent l'administrateur à l'adopter ; par contre, la motivation, expression écrite de ces motifs n'est pas toujours exigée. FRIER Pierre-Laurent, PETIT Jacques, Précis de droit administratif, 4e édition, 2006, n° 504. 160 CA Paris, 1re ch. A, 20 oct. 2004, Centre hospitalier spécialisé de Lannemezan c/ Menvielle, JCPG n° 26, juin 2005, p. 1237 : "l'annulation des décisions administratives est suffisante à consacrer… et sans qu'il y ait lieu de rechercher si la mesure de placement d'office était médicalement justifiée, l'atteinte à la liberté individuelle, étant ici de surcroît observé que toute description, par un médecin, de l'état mental et psychiatrique de l'intéressé postérieurement à la mesure de placement d'office est sans influence sur la validité de cette mesure". CA Agen, 5 oct. 2005, n°ct0018 : "indépendamment de l'appréciation du bien fondé médical de cette mesure, il est incontestable que l'annulation de l'arrêté précité prive de tout fondement légal l'internement de Martial X… ; qu'il appartient en conséquence à l'Etat d'assumer les conséquences dommageables d'une telle irrégularité " et elle ajoute que "s'il n'appartient pas à un établissement d'accueil de se substituer à une juridiction en appréciant la régularité d'un acte présentant toutes les apparences de la légalité, il lui appartient néanmoins de s'assurer
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Néanmoins, cette exception au principe du caractère facultatif de la motivation d'un acte
administratif161 n'était que faiblement protectrice de la liberté individuelle. En effet, le Conseil
d'État avait validé la pratique de la motivation par référence. Cette dernière consiste à
"permettre à l'autorité administrative, dans la mesure où elle est obligée de motiver ses actes,
de ne pas faire figurer les motifs de sa décision dans l'acte lui-même, mais de lui laisser la
possibilité de se référer à un autre document, émanant d'elle-même ou d'un tiers, qui expose
les circonstances l'ayant amené à prendre sa décision"162. Relativement à l'HO, cela revenait
à permettre au préfet de motiver son arrêté par référence à un certificat médical à condition
que celui-ci décrive de manière suffisamment précise les raisons médicales justifiant
l'internement163. Soulignons que le préfet n'était alors pas légalement tenu de fonder son arrêté
sur un certificat médical mais, dans les faits, il décidait systématiquement à la vue d'un tel
document164. La jurisprudence du Conseil d'État avait donc le mérite d'être plus protectrice de
la liberté individuelle que la loi en obligeant implicitement que l'arrêté s'appuie sur un
certificat165 mais elle ne protégeait pas de manière satisfaisante la sûreté. D'une part, car le
simple renvoi à un certificat médical ne permettait pas de savoir si l'autorité administrative
avait mené sa réflexion propre. D'autre part, car cela supposait que l'arrêté ne contienne pas
les motifs tenant à l'atteinte à la sécurité publique alors même que l'HO n'est légitime que si la
personne malade trouble l'ordre public. Enfin, car une personne pouvait être enfermée sans
savoir pourquoi.
La haute juridiction administrative sanctionna les dérives de la motivation par
référence en exigeant que le document de renvoi ne soit pas motivé de manière stéréotypée166
mais elle confirma la possibilité d'utiliser cette technique sous l'empire de la loi de 1990167.
Or, entre temps, la volonté de rendre l'activité de l'administration plus transparente s'était
que cet acte répond aux exigences de forme imposées par la loi ou les règlements, et à défaut de prendre toute mesure de nature à éviter un internement arbitraire". 161 CE, 30 avril 1880, Harouel et Morin c/ Min. de la guerre, rec. 419. Principe selon lequel l'auteur d'une décision administrative n'est pas obligé d'en porter les motifs à la connaissance du ou de ses destinataires. 162 BERNARD Elisabeth-Anne et BERNARDET Philippe, "La motivation par référence des décisions d'hospitalisation d'office, ou le juge administratif aliéné par son fou", RDSS 1997 n° 33, vol 3, p. 489. 163 CE, 21 juilet 1911, Dame veuve Fervel et fils Fervel, rec. 844. 164 Jacques Prévault, note sous CA Lyon, 1er décembre 1988, Consorts Mathieu c. Hôpital psychothérapique de l'Ain et TGI 5 décembre 1988, Mme Ledrut c. Trésor public et autres, D. 1990, p. 268. Jacques Prévault écrit : "En fait le préfet de police ne prend pas d'arrêté sans ce certificat. Mais son arrêté doit être motivé. En pratique les motifs ne sont souvent que de pure forme". 165 Interprétation de la jurisprudence du CE en particulier de l'arrêt Léoni du 16 nov. 1984, rec. 477. 166 CE, 18 oct. 1989, Fransisco, n° 55821 : le certificat doit décrire de manière précise l'état mental de l'intéressé. 167 CE, 31 mars 1989, Lambert. Mme Bernard et M. Bernardet parlent à son égard de "démission de l'administration devant le technicien". Article précité p. 493. Confirmations ultérieures : CE, 1re ss-sect., 11 mars
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concrétisée par l'adoption de la loi du 11 juillet 1979168 qui avait rendu obligatoire la
motivation de certaines décisions défavorables en particulier celles "qui restreignent
l'exercice des libertés publiques ou, d'une manière générale, constituent une mesure de
police" en excluant, en principe, la motivation par référence. La jurisprudence donnait ainsi
l'impression paradoxale d'être moins exigeante concernant la motivation d'actes
particulièrement graves pour les administrés que sont les arrêtés d'HO que la loi de 1979 avec
le reste des actes de l'administration. De plus, le contrôle juridictionnel était rendu très
compliqué du fait du secret couvrant le certificat médical. Le tribunal administratif de Caen169
proposa une procédure reprise par le Conseil d'État170 : un médecin désigné par le requérant
devait transmettre le certificat à ce dernier qui choisirait de faire part au juge des informations
nécessaires pour que celui-ci statue sur le caractère suffisant de la motivation. Outre la
lourdeur qu'elle impliquait, cette procédure transformait la procédure inquisitoire en
procédure accusatoire. La jurisprudence administrative fut donc lourdement critiquée par la
doctrine171. Dès 2000 le juge administratif s'est montré plus exigent relativement au contenu
de l'arrêté172. Mais il a réellement mis fin à la motivation par référence avec l'arrêt Deslandes
du 9 novembre 2001173. Cet arrêt affirme que "l'autorité administrative, lorsqu'elle prononce
ou maintient l'hospitalisation d'office d'un aliéné, doit indiquer dans sa décision les éléments
de droits et de faits qui justifient cette mesure ; que si elle peut satisfaire à cette exigence de
motivation en se référant au certificat médical circonstancié qui doit être nécessairement
établi avant la décision préfectorale, c'est à la condition de s'en approprier le contenu et de
1996, n° 164453 ; CE, 11 juin 1997, M. A.B., n° 126050. L'arrêté n'était censuré que lorsque les certificats n'étaient pas assez précis. Pour exemple : CAA Douai, 12 juillet 2001, 1ère ch., req. n° 98DA00428. 168 L. n° 79-587, 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public modifiée par la loi L. n° 2000-321, 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. 169 TA Caen, 9 oct. 1990, 4 fév. 1992 et 20 oct. 1992, Locard req. n° 86-1162. 170 CE, sect., 25 mai 1994, req. n° 140157 et 140158, G.G. et autres. CE, 3 mars 1995, Ministre de l'Intérieur c/ M.F.D: extension de cette solution pour accéder au certificat fondant une décision d'HDT. 171 Article de Mme Bernard et M. Bernardet précité ; NICOLAS Guylène, "L'altération des capacités mentales et le juge administratif" in "La détérioration mentale, Droit, histoire, médecine et pharmacie", Actes du colloque interdisciplinaire d'Aix-en-provence du 7 au 8 juin 2000, Presses universitaires d'Aix-Marseille 2002, p. 269 : "la motivation est nécessairement dictée par l'avis médical" ; DAUCHY José-Manuel, "Le contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme des décisions administratives d'internement psychiatrique", RDSS 2001, n° 3, p. 485 : "L'on peut toutefois se demander si l'affirmation par le Conseil d'État de la conventionnalité de la motivation par référence trouverait un écho favorable auprès de la CEDH". 172 CE, 28 juill. 2000, n° 151068, M. E.A. L'obligation de motivation est respectée malgré le fait que l'expertise n'a pas été annexée pourtant, selon l'auteur de la note "Hospitalisation psychiatrique d'office : motivation, référé-suspension", dans Dr. Adm., avril 2002, p. 30, la motivation par référence est déjà abandonnée puisque "l'autorité administrative,lorsqu'elle prend à l'égard d'un aliéné une mesure de placement d'office, doit, d'une part, indiquer dans sa décision les considérations de droit et les circonstances de fait qui justifient cette mesure, d'autre part, une fois la décision prise, … informer le plus rapidement possible de ces motifs l'intéressé, d'une manière appropriée à son état". 173 CE, 9 nov. 2001, M. Deslandes, n°235247, publié rec. 547 ; JCPG 2002, IV, p. 1111, n° 1963.
50
joindre ce certificat à la décision". Ce revirement de jurisprudence a bouleversé les pratiques
administratives.
B – La "révolution Deslandes"
La portée de la jurisprudence Deslandes se déduit de la circulaire de la Direction
Générale de la Santé du 10 décembre 2001174 qui indique que la pratique antérieure ne peut
être maintenue sous peine d'annulation. Elle précise que l'arrêté préfectoral d'HO peut être
motivé de deux manières : soit l'administration décide de faire reposer la motivation
uniquement sur le contenu de l'arrêté, cela suppose qu'elle reproduise, dans celui-ci, les
termes des certificats médicaux sur lesquels elle s'est appuyée ; soit elle continue de motiver
ses arrêtés par référence à un certificat dans ce cas, elle doit dorénavant notifier à la fois
l'arrêté et le certificat médical à la personne concernée. Par conséquent, les juridictions
administratives s'assurent d'abord de la motivation figurant dans le corps même de l'arrêté175.
Si cette motivation directe apparaît insuffisante, elles vérifient la régularité de l'éventuelle
motivation par référence en vérifiant, premièrement, que le certificat médical fondant la
décision est annexée à celle-ci, deuxièmement, que l'arrêté mentionne l'appropriation de la
motivation contenue dans le certificat et troisièmement, que le certificat en cause est
suffisamment détaillé176. Ainsi, l'expression "s'en approprier le contenu" ne signifie pas
reprendre l'ensemble du certificat dans l'arrêté (il ne s'agirait alors plus de motivation par
référence) mais seulement de signaler que l'arrêté entend faire sienne la motivation comprise
dans le certificat.
Les juridictions du fond ont fréquemment appliqué la nouvelle jurisprudence177,
confirmée par le Conseil d'État, en particulier concernant les arrêtés de reconduction de la
mesure alors même que la loi ne prévoit pas explicitement l'obligation de les motiver178. La
haute juridiction administrative a étendu la solution Deslandes aux arrêtés provisoires des
174 Circulaire n°DGS/SD6C/2001/603 du 10 décembre 2001 relative à la motivation des arrêtés préfectoraux d'hospitalisation d'office. 175 CAA Paris, 8 nov. 2006, req. n°04PA00834. Motivation suffisante de l'arrêté préfectoral sans préciser si l'expertise médicale avait été jointe car cet arrêté "a suffisamment précisé les circonstances de fait rendant nécessaires selon le préfet l'hospitalisation d'office de Mme X". 176 BERNARDET Philippe et GULERIA Aymeric, "Psychiatrie : la motivation par référence des décisions d'hospitalisation d'office et les nouvelles exigences d'information du patient", article trouvé sur le site internet du Groupe Information Asile (www.groupeinfoasiles.org), 2004, p. 12. 177 Pour des exemples dès 2002, se reporter à l'article précité p. 11. CAA Marseille, 29 mars 2004, req. n° 00MA01467, note G. Chavrier, "Le renforcement des obligations de motivation des arrêtés d'hospitalisation d'office et celles relatives au respect de la vie privée", JCPA, p. 1027-1029 ; CAA Douai, 24 juin 2004, req. n° 02DA00311 ; CAA Versailles, 25 nov. 2004, req. n° 03VE04417 ; TA Cergy-Pontoise, 19 janvier 2006, n° 0503233, Mme ADOM ; CAA Bordeaux, 20 juin 2006, req. n° 04BX01907 et n° 04BX01909.
51
maires en admettant une dérogation dans l'hypothèse, très restrictive, de l'urgence absolue179.
Certains arrêts apportent des précisions intéressantes et montrent la rupture avec la
jurisprudence antérieure. Le tribunal ne peut demander au requérant de produire le certificat
pour statuer180. Le secret médical ne peut justifier le défaut de motivation de l'arrêté
d'hospitalisation181. Le préfet ne peut pas non plus se retrancher derrière la communication
ultérieure de son dossier médical à l'intéressé pour motiver l'arrêté par simple référence182.
L'arrêté (ou le certificat sur lequel il se base) doit préciser la date des troubles183. Par contre,
la cour administrative d’appel de Paris a considéré que “aucune disposition n'interdit au
préfet de se fonder, pour décider du placement d'office, sur le certificat médical antérieur à
l'admission provisoire et qui a déjà été pris en compte pour décider de celle-ci, certificat
datant en l'espèce de trois jours"184. Est sanctionné l'arrêté provisoire qui ne mentionne aucun
trouble mental manifeste susceptible de fonder la notoriété publique et l'arrêté définitif auquel
n'est pas joint le certificat médical185. Est également censuré l'HO provisoire décidée par le
commissaire de police malgré le fait que le rapport de l’unité de police soit joint car les
conclusions du médecin-conseil n’étaient pas jointes et que la situation décrite par les voisins
de palier de l'intéressé se bornait à indiquer un « comportement dangereux pour elle-même et
pour autrui de cette personne » et le « caractère potentiellement imminent de ce danger »186.
L'arrêté préfectoral ne saurait se fonder sur le déni des troubles car le Code de la santé
publique conditionne "le placement d’office au caractère actuel et certain du danger que doit
représenter le patient pour l’ordre public ou la sécurité des personnes, et non à l’opinion que
le patient se fait de lui-même »187. Lorsque l'arrêté initial du préfet est insuffisamment motivé,
178 CE, 11 juin 2003, 1ère et 2ème sous-sections réunies, M. Pouzin, n°249086. 179 CE, 12 oct. 2005, n° 270046, Mlle Fahiza A. : "l'autorité administrative, lorsqu'elle prononce une mesure d'hospitalisation d'office à titre provisoire, doit indiquer dans sa décision les éléments de droit et de fait qui justifient cette mesure, sauf lorsque l'urgence absolue a empêché qu'une telle décision soit motivée ; que si elle peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant à un avis médical, c'est à la condition de s'en approprier le contenu et de joindre cet avis à la décision". Dans le même sens : TA de Nancy, 10 octobre 2006, req. n° 060090, M. Pierre Lavalle. 180 CAA Nancy, 24 mai 2003 : "c'est à tort, … que le tribunal lui a demandé de produire le certificat médical du docteur Gouni dès lors que l'absence même de ce certificat équivalait à une motivation insuffisante dont le tribunal devait tirer toutes les conséquences de droit, et que la production du certificat, qui n'était pas nécessaire à la solution du litige, revêtait un caractère frustratoire pour l'intéressé". 181 CAA Douai, 18 nov. 2004, req. n° 03DA00575. 182 CAA Douai, 29 décembre 2006, Préfet du Pas-de-Calais c/ Mme M. F-R, req. n° 06DA00461. 183 CAA Paris, 14 décembre 2005, M. Fançois B. 184 CAA Paris, 8 nov. 2006, req. n°04PA00834. 185 TA Paris, 20 décembre 2006, req. n° 0515520/3/2, M. A. 186 TA Paris, 17 janvier 2007, n° 0520079/3/2, 0520080/3/2 et 050081/3/2, Mme P. Rigou. 187 CAA Paris, 17 avril 2007, req. n° 06PA01431.
52
c'est l'ensemble de la procédure qui est entachée d'irrégularité : l'annulation du premier arrêté
justifie l'annulation des autres "en cascade"188.
C'est devant le juge des référés que la jurisprudence Deslandes produit ses effets les
plus remarquables. En l'application des articles L. 511-1, L. 521-1 et L. 521-2 du code de
justice administrative, le juge peut suspendre l'exécution de l'arrêté ordonnant ou confirmant
l'HO. En effet, l'insuffisance de motivation peut faire naître un doute sérieux quant à la
légalité de la décision attaquée189 et la condition d'urgence est parfois remplie190. Le juge de
l'ordre administratif ne peut lui-même prononcer la sortie immédiate de l'intéressé ; le JLD se
chargera de tirer toutes les conséquences de cette suspension. C'est ce qui ressort de l'affaire
M. D. c/ préfet des Yvelines dans laquelle le TGI de Versailles a ordonné la mainlevée de
l'hospitalisation de l'intéressé après l'avoir qualifiée d'irrégulière et de voie de fait ;
qualification qui découlait de l'insuffisante motivation de l'arrêté initial et du défaut d'arrêté de
maintien au bout du délai légal191. D'autres jugements ont suspendu l'exécution de l'arrêté
pour défaut de motivation192 même lorsque cette exécution était déjà terminée193 car
l'intéressé a toujours intérêt à agir dans la perspective d'une indemnisation par le juge
judiciaire194. Nous n'avons trouvé aucun arrêt du Conseil d'État statuant au référé qui
suspendait l'exécution d'une HO et il s'est refusé à censurer un arrêté de HO dans le cadre d'un
référé liberté195.
Au-delà de la mainlevée de la mesure et de l'indemnisation du préjudice subi, une
personne qui a obtenu l'annulation de l'arrêté d'HO la concernant peut demander à l'autorité
administrative de détruire son dossier. En effet, une mesure annulée est censée n'avoir jamais
existée quand bien même le juge judiciaire, pour sa part, aurait considéré la mesure justifiée.
L'administration n'est tenue de "supprimer ou de détruire toute trace d'une décision annulée"
188 Par exemple : TA Versailles, 10 mai 2006, M. Franck Tobiana, n° 0509551 et 0510735. 189 TA Versailles, réf, 30 sept 2002, req. n° 023086, Ravin c/Préfet des Yvelines et, par une lecture a contrario de CE, 19 juillet 2002, juge des référés, n°248798. 190 Dans l’arrêt Deslandes cette condition n’était pas remplie : "il n'apparaît pas en l'état de l'instruction, que l'urgence justifie la suspension de l'arrêté du 23 mai 2001 prescrivant le maintien de l'HO". Cela s’expliquait par le fait que M. D. bénéficiait d'une sortie d'essai. 191 TA Versailles, ord. Réf., 23 juin 2004, M. Jean-Pierre D. req. n° 042912 et TGI Versailles, 25 juin 2004, req. n° 04/00069, JCPG n° 5, 10 015, note J-H STARK et Ph. Bernardet. 192 TA Versailles, référé, 28 novembre 2005, req. N° 059541 et n° 059542, Mme X c/ préfet des Hauts de Seine. 193 TA Versailles, référé, 28 novembre 2005, req. N° 059547, M. Franck Tobiana c/ préfet des Hauts de Seine. 194 TA Nîmes, 5 octobre 2007, req. N° 0505508 et 0505509, Mme Monette C. 195 CE, 19 avril 2006, n°292496.
53
que si elle est saisie d'une demande en ce sens196. Le refus de l'administration de faire droit à
cette sollicitation et de mettre fin à la surveillance policière est illégal et "de nature à engager
la responsabilité de l'Etat"197.
Bien que le juge judiciaire demeure le protecteur privilégié des personnes hospitalisées
pour troubles mentaux (le juge administratif intervient a posteriori et le JLD est seul à même
de faire immédiatement libérer une personne), l'incompétence du juge administratif pour
trancher sur le bien fondé de la mesure ne signifie pas qu'il n'a pas les moyens de protéger
efficacement la liberté individuelle. Sa capacité à créer du droit relativement à l'obligation de
motivation des arrêtés d'HO prouve que son contrôle a posteriori n'est pas dénué d'intérêt. Il
joue un rôle préventif, indiquant à l'administration dans quelles limites précises son action est
légale. La capacité du juge administratif à créer du droit s'est exprimée s'agissant de
l'hospitalisation à la demande d'un tiers par un "rappel à l'ordre" des établissements de santé.
§ 2 L'encadrement de la notion de tiers
Les principales garanties qui entourent l'hospitalisation à la demande d'un tiers
résident dans l'information de certaines autorités de la mise en œuvre d'une telle mesure (le
préfet mis au courant par le chef d'établissement198 prévient à son tour l'autorité judiciaire199)
et surtout dans l'intervention périodique des autorités médicales au cours de l'hospitalisation.
Une autre garantie importante de la sûreté est l'encadrement de la notion de tiers demandeur.
La législation antérieure permettait quasiment à toute personne de formuler la demande. La
seule obligation consistait à indiquer le degré de parenté avec l'intéressé ou, à défaut, la nature
des relations entretenues. La loi de 1990 définit la tierce personne de manière floue si bien
que dans la pratique des "dérives" purent être constatées (reconnaissance de la qualité de tiers
à certains professionnels). C'est dans ce contexte que la haute juridiction administrative
intervint afin de préciser la définition légale du tiers demandeur. Une jurisprudence qui au-
delà d'un simple rappel de la loi (A) a restreint le nombre de personnes susceptibles d'agir
dans l'intérêt du malade ce qui a bouleversé les pratiques (B).
196 TA Melun, 20 mars 2000, req. n° 001034 ; TA Melun, 30 avril 2002, req. n° 1034, M. Seidel ; TA Melun, 2 juillet 2004, M. Seidel : cette destruction ne s'applique pas aux pièces ayant trait à l'HO et qui sont conservées par le centre hospitalier. 197 CAA Paris, 15 décembre 2005, req. n° 04PA01363, M. Denis Buican : seul le préjudice moral lié à la surveillance policière est indemnisé à hauteur de 150 euros. 198 Art. L. 3212-4 du CSP. Le représentant de l'État est présenté comme une voie de recours. 199 Art. L. 3212-5 CSP. Les procureurs de la république du ressort de l'établissement et du domicile du patient.
54
A – La restriction de la définition du tiers par la haute juridiction
administrative
L'article L. 3212-1 du CSP dispose que : "La demande d'admission est présentée soit
par un membre de la famille du malade, soit par une personne susceptible d'agir dans
l'intérêt de celui-ci, à l'exclusion des personnels soignants dès lors qu'ils exercent dans
l'établissement d'accueil". Les travaux parlementaires font apparaître que la demande doit
émaner d'un proche, même s'il n'est pas membre de la famille, ou d'une personne qui connaît
déjà le malade (amis, voisins, voire personnels sociaux qui ont une relation personnelle avec
le malade, qu'elle soit d'ordre privé ou d'ordre professionnel). Les fiches d'information
relatives à l'application de la loi200 précisent qu'un "maire peut éventuellement signer une
demande à titre personnel". Le tuteur ou le curateur, peuvent signer la demande d'HDT tout
comme le directeur d'une petite structure sociale (maison de retraite) ou médico-sociale dans
la mesure où il connaîtrait bien le pensionnaire concerné. Par contre, les fiches indiquent que
"Le directeur de l'établissement ou le personnel de direction de garde, ne peuvent signer la
demande puisqu'ils prononcent l'admission".
L'imprécision de l'expression "personne susceptible d'agir dans l'intérêt" du malade a
favorisé le développement de pratiques contestables, de "dérives". Des agents administratifs
des établissements de santé, des médecins généralistes, des policiers, des cadres des services
d'urgence, ont été assimilés à des personnes susceptibles d'apprécier l'intérêt du patient à être
hospitalisé201. Le juge administratif est donc intervenu à plusieurs reprises pour encadrer la
notion de tiers. Il a d'abord rappelé l'exigence légale d'indiquer le degré de parenté ou, à
défaut, la nature des relations existant entre l'intéressé et l'auteur de cette demande202. Puis, a
exclu la possibilité que la secrétaire de l'établissement203 puisse jouer le rôle de tiers même si
la famille du patient et l'assistante sociale de secteur sont défaillantes. Selon le commentateur,
"la cour a heureusement fait fi de l'argumentation du centre hospitalier qui soulignait que,
200 Fiches d'information relatives à l'application de la loi du 27 juin 1990, circulaire du 13 mai 1991. 201 Ségui S., Ne faudrait-il pas réformer le régime de l'hospitalisation à la demande d'un tiers ? Gestions hospitalières, mars 2004, p. 234 et HADLEY STARK Jasna, "L'hospitalisation psychiatrique sous contrainte dans la jurisprudence contemporaine", JCPG 2005, n° 29, p. 1392. 202 Par exemple : TA Paris, 4 juill. 1990, Mme Laidin ; CE, 31 juillet 1996, n° 120736, Mme L.c/ Centre Hospitalier spécialisé de Ville-Evrard concernant une demande formulée par le directeur de garde du CHS. 203 CAA Nantes, 30 déc. 1999, req. n° 97NT01930, C.H.S. de Pontorson, AJDA 2000, p. 274 et note p. 230. Les magistrats considèrent que "sa fonction d'agent de l'établissement d'accueil ne pouvait, à elle seule, permettre de regarder Mlle Harnois comme ayant qualité de personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade".
55
formellement, le personnel administratif de l'établissement d'accueil n'était pas exclu par
l'article L. 333" (actuel art. L. 3212-1 CSP). L'auteur souligne que : "la circonstance que
seule l'exclusion des personnels soignants soit explicite dans cet article n'implique pas que le
personnel administratif de l'établissement puisse intervenir, dès lors qu'il n'y a pas de lien
familial ou de lien personnel avec la personne hospitalisée permettant de le regarder comme
susceptible d'agir dans l'intérêt de celle-ci". En effet, rien dans la loi "autorise à penser que le
personnel administratif d'un établissement hospitalier spécialisé pourrait de sa seule
initiative faire enfermer un individu qui n'appartient pas à sa famille et avec lequel il
n'entretient aucun lien personnel". L'interdiction jurisprudentielle vient ainsi au "renfort" du
texte de loi pour que soit respectée la volonté du législateur d'organiser une répartition des
rôles entre les différents acteurs afin de protéger la sûreté204. Par contre, le juge administratif a
admis que le chef d'établissement puisse prendre une nouvelle décision d'admission en HDT,
sollicitée par l'assistante sociale de secteur, car la première ne précisait pas que le demandeur
était le concubin de la personne hospitalisée205. Cet arrêt érige l'assistante sociale en tiers
susceptible d'agir dans l'intérêt d'un malade mais dans des conditions strictement déterminées
par le juge qui, s'inspirant fortement de la circulaire du 13 mai 1991, fait de l'indépendance
d'une personne la qualité essentielle pour qu'elle agisse en tant que tiers206.
Mais c'est surtout dans l'affaire "C.H.S. de Caen" que le juge a montré sa force
créatrice de Droit en rappelant de manière forte le cadre posé par la loi et surtout les limites
exactes que lui, juge de l'administration, entendait donner à ce cadre. En première instance et
204 Cette prohibition est aussi une expression de l'interdiction générale d'être à la fois juge et partie à un litige. Plus particulièrement, elle vise à éviter qu'une hospitalisation sans consentement soit demandée pour de simples motifs de police interne à un hôpital général qui aurait des difficultés à "gérer" un malade "agité". 205 CAA Lyon, 20 juin 2002, Mlle Prevost. Le juge explique "qu'après avoir constaté, le même jour, que la demande rédigée par M. X. ne précisait pas qu'il était son concubin et que le certificat du docteur Chalumeau ne faisait pas référence aux dispositions susmentionnées, le directeur du centre hospitalier a pris une nouvelle décision d'admission ; que cette décision a implicitement mais nécessairement retiré la décision précédente qui avait été prise dans des conditions irrégulières". Il ajoute que “une assistante sociale de secteur psychiatrique, salariée de l'hôpital, qui ne saurait être regardée comme faisant partie du personnel soignant de l'établissement d'accueil, est une personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade au sens des dispositions précitées de l'article L. 333 du code de la santé publique" mais il précise que "toutefois, sa demande d'hospitalisation ne peut être prise en compte que si elle est établie en toute indépendance à l'égard tant du personnel soignant que du directeur de l'établissement". En l'espèce le magistrat de l'ordre administratif constate que Mlle Bièvre, assistante de secteur psychiatrique, avait qualité de personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade, il relève "qu'elle a eu un entretien avec Mlle Prévost en présence d'un médecin et d'infirmiers pour régulariser la demande établie par M. X. ; que, par suite, cette nouvelle demande ne pouvait être regardée comme ayant été formulée indépendamment de tout lien de subordination ; que, dès lors, la décision d'admission de Mlle Prévost en hospitalisation qui a été prise au vu d'une telle demande était entachée d'illégalité et doit être annulée". 206 Déjà en 1992, M. Vandendriessche pensait que la restriction relative au personnel soignant ne concernait pas l'assistante sociale de l'établissement qui n'est pas soignante au sens juridique du terme. Il ajoutait que sa
56
en appel, les juges du fond avaient annulé la demande d'HDT réalisée par un infirmier général
sur des motivations légèrement différentes207. Dans un arrêt du 3 décembre 2003, le Conseil
d'État confirma cette position en considérant que "la décision d'hospitalisation sans son
consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être prise sur demande
d'un tiers que si celui-ci, à défaut de pouvoir faire état d'un lien de parenté avec le malade,
est en mesure de justifier de l'existence de relations antérieures à la demande en lui donnant
qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci".208. Cette jurisprudence, loin d'être un simple
rappel de la définition légale du tiers, restreint le nombre de personnes comprises dans
l'expression "personne susceptible d'agir dans l'intérêt" de l'intéressé. Elle fut reçue comme
un véritable "rappel à l'ordre" lancé en direction des hôpitaux psychiatriques.
B – Les bouleversements pratiques dus à la définition restrictive
de la notion de tiers demandeur
Suite à la jurisprudence de 2003, le président de l'Association des Établissements
gérant des secteurs de Santé Mentale (AESM) écrivit à ses collègues : "Cette problématique
nous conforte dans notre position de réclamer une révision de la loi"209. Cette réaction permet
d'évaluer la portée considérable de la jurisprudence du Conseil d'État sur la pratique des
centres hospitaliers. En effet, le tiers doit désormais pouvoir faire état de relations antérieures
préalables avec la personne dont il demande l'hospitalisation. S'il admet implicitement que ces
relations puissent avoir pour origine un contexte professionnel, le juge exige que ces relations
soient "suffisamment anciennes, établies et démontrables"210. En fait, la jurisprudence
demande ne serait valide qu'à condition que sa démarche soit personnelle c'est-à-dire soustraite de tout lien de subordination au médecin ou à son directeur. 207 TA Caen, 13 mars 2001 : "qu'une telle demande ne peut émaner que d'une personne, à l'exclusion des personnes soignantes de l'établissement d'admission, qui justifie d'un lien familial ou d'un lien personnel avec la personne hospitalisée permettant de la regarder comme agissant dans l'intérêt de celui-ci ; qu'il est constant que l'infirmier général n'a fait état ni de l'un ni de l'autre lien dans sa demande d'admission…". CAA Nantes, 7 février 2002, n° 01NT00836, C.H.S. de Caen : "la demande d'admission de Mlle Z. au centre hospitalier spécialisé de Caen n'indique pas le degré de parenté ou à défaut la nature des relations existant entre l'intéressée et l'auteur de cette demande ; qu'ainsi elle ne satisfait pas aux exigences des dispositions précitées ; que la circonstance qu'elle a été présentée par un infirmier général du centre hospitalier de Lisieux, qui aurait été compétent pour apprécier les mesures à prendre dans l'intérêt de Mlle Z…, ne saurait par elle-même permettre une dérogation aux exigences légales sus-indiquées ; que, par suite, la décision d'admission qui a été prise au vu d'une telle demande est entachée d'illégalité". 208 CE, 3 déc. 2003, n°244867, "C.H.S. de Caen" : la circonstance que la demande "émanât de l'infirmier général représentant du directeur du centre hospitalier de Lisieux, dans lequel Mlle venait d'être admise", ne pouvait "suffire à justifier, par elle-même, de l'existence de relations lui donnant qualité pour agir". 209 B. Raynal, lettre du 23 septembre 2004. 210 Lettre précitée p.2.
57
administrative rend impossible le maintien des pratiques antérieures en particulier celle qui
consistait, lorsque aucun proche était susceptible de signer la demande, à laisser un personnel
de l'hôpital général ou spécialisé le faire. Pour certains auteurs, cet "alourdissement
jurisprudentiel" est "un signe annonciateur de la fin de ce mode d'internement"211. Sans
souscrire à cette interprétation extrême, il paraît clair que le juge a entendu limiter le recours à
l'HDT.
La restriction du nombre de personnes ayant qualité à agir comme tiers peut être
apprécié de deux manières : comme une diminution de la protection de la personne mentale
qui n’est pas apte à consentir aux soins ou comme une revalorisation de la liberté individuelle
et de l’autonomie de la personne, même atteinte de troubles mentaux. D'un côté, certains
professionnels regrettent l'évolution jurisprudentielle sur la notion de tiers qui, "au prétexte de
toujours mieux garantir les libertés individuelles, a contribué en supprimant la notion de lien
personnel à ôter au personnel non-soignant des établissements de santé tout rôle altruiste,
solidaire et humanitaire à l'égard des malades mentaux"212. D'un autre, le critère du lien
parental ou, du moins, celui d'une relation antérieure avec l'intéressé garantit un minimum de
légitimité à une mesure attentatoire à la sûreté. C'est l'idée qu'exprima le Directeur général de
la Santé face à l'attitude des juges du fond dans l'affaire du C.H.S de Caen : "J'ai bien
conscience des difficultés pratiques que cette position peut, dans l'immédiat, entraîner sur le
terrain. Toutefois, s'agissant de restrictions apportées aux libertés individuelles, il est
légitime que de strictes garanties quant au fondement de ces mesures d'HDT soient mises en
place. Tel me semble être le sens des arrêtés précités"213. La jurisprudence administrative qui
soulève des difficultés pratiques non négligeables214 a conduit l'AESM à demander
explicitement au ministère de modifier la législation pour admettre que, dans des hypothèses
bien déterminées, la demande soit réalisée à titre personnel par le directeur de garde.
211 COELHO José, "Hospitalisations psychiatriques sous contrainte : plaidoyer pour une réforme", RDSS 2006, vol 2, p. 256. 212 GISELMANN A., PINOIT J-M, SALVE A., BONIN B., "Evolution de la jurisprudence pour certaines hospitalisations sans consentement : conséquences pratiques", Journal de Médecine Légale Droit Médical, 2004, vol. 47, n°1, p. 46-51. 213 Lettre du 20 mars 2002, ministère de l'Emploi et de la Solidarité, Direction Générale de la Santé (DGS/SDC6-n°107) citée par M. Raynal. 214 GISELMANN A., PINOIT J-M, SALVE A., BONIN B., article précité. Les auteurs concluent : "le zèle administratif à dépister la non conformité contraint le psychiatre d'un établissement de santé agréé à choisir entre deux fautes, l'internement abusif et la non assistance à personne(s) en danger".
58
Les juridictions du fond ont fidèlement appliqué la jurisprudence "C.H.S de Caen".
Elles ont censuré la décision d’un directeur fondée sur une demande d'HDT réalisée par un
maire adjoint qui "s'est limité à indiquer, dans le formulaire d'admission, sa qualité de maire
adjoint de la commune de Villeneuve d'Ascq sans satisfaire à l'obligation prévue par l'article
L. 3212-1 du CSP de préciser la nature des liens le rattachant à l'intéressé"215. Elles ont
également annulé les demandes émanant de directeurs d'hôpitaux généraux tendant à ce qu’un
patient soit pris en charge sans son consentement dans un établissement spécialisé216 et plus
généralement celles émanant de cadres supérieurs de santé217. Seule la cour administrative de
Bordeaux a apporté une nuance à ce tableau218. Elle le fit dans des circonstances très
particulières : l'HDT concernait un enfant dont la garde avait été confiée au directeur de la
prévention et du développement social du département de l'Indre. Cela explique qu'une HDT
ait été prononcée pour un mineur : normalement ce sont les parents qui sollicitent les soins.
Le juge a accepté que l'urgence justifie que la demande ait été réalisée par un praticien
hospitalier sachant que l'accord du tuteur légal a été obtenu le lendemain.
Finalement, la jurisprudence sur la notion de tiers illustre la capacité du juge
administratif à créer du droit en matière d'hospitalisation sans consentement. L'œuvre
créatrice du juge est particulièrement visible à la lecture de l'article de M. Auby qui
considérait que "la demande peut être présentée par n'importe quelle personne susceptible
d'agir dans l'intérêt du malade. Il ne semble pas qu'il y ait là une condition de validité de la
demande"219. La jurisprudence administrative lui a donné tort. Reste à savoir si elle est
protectrice des personnes souffrant de troubles mentaux. Sur ce point, l'équilibre entre sécurité
et liberté est très fragile : l'on peut craindre qu'à défaut de trouver un tiers rentrant dans le
215 CAA Douai, 8 nov. 2006, req. n° 06DA00052. Le tiers, sans être forcément un membre de la famille du malade doit être "en mesure de justifier de l'existence de relations antérieures à la demande en lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celui-ci". 216 TA Melun, 22 février 2007, req. n° 06-7247/2 et n° 06-7248/2 : « si l’article L. 3222-1 du CSP autorise le directeur d’un établissement hospitalier ne pouvant accueillir des malades atteints de troubles mentaux à prendre les mesures nécessaires pour la mise en œuvre des procédures prévues à l’article L. 3212-1, cette disposition ne l’autorise pas à demander lui-même l’hospitalisation de l’intéressé ». Cet arrêt montre les limites des pouvoirs du directeur dans le cadre de l'article L. 3222-1 dont nous avons parlé à propos de mise en jeu de la responsabilité de l'établissement en cas d'abstention. TA Versailles, juge des référés, 30 juin 2006, Mme Catherine K. c/ préfet des hauts de seine : « il est constant que cet agent administratif n'entretenait aucune relation avec Mme Catherine K. avant de la rencontrer peu avant la demande litigieuse ; que dans ces conditions, et quels que soient les motifs qui ont amené ledit agent à agir de la sorte en conscience, ce dernier ne pouvait être regardé comme susceptible d'agir dans l'intérêt de la requérante ». Le juge des référés ordonne donc la suspension de l'exécution des décisions contestées (la décision initiale et la décision de maintien). 217 TA Marseille, 3 mai 2007, req. n° 0608317, M. G. 218 CAA Bordeaux, 25 avril 2006, n° 03BX01685. 219 AUBY Jean-Marie, "La loi n°90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation", JCPG 1990, I, 3463, p. 39.
59
cadre défini par le juge, les professionnels du soin envisagent une HO alors même qu'aucun
trouble à l'ordre public n'est à déplorer. Créateur de droit, le juge administratif l'est également
lorsqu'il se prononce sur la mise en œuvre du droit à l'information de l'intéressé. S'agissant du
droit subjectif reconnu à toute personne d'être informée des raisons de sa détention, nous
parlerons de la création de "droits" par les juridictions administratives afin de la distinguer de
la création du droit objectif précédemment étudiée.
Section 2 – La création de droits dans la mise en œuvre
du droit à l'information de l'intéressé
Il peut sembler étonnant de traiter du droit à l'information de la personne hospitalisée
dans la partie de notre étude consacrée à la décision d'hospitalisation alors que ce droit
s'exerce pendant l'hospitalisation ou même après. Notre approche se base sur une vision
fonctionnelle de l'information délivrée à la personne malade. Nous opérons une distinction
selon le but poursuivi par le patient qui veut accéder à des informations médicales,
administratives et éventuellement sociales. Dans le cadre de la première partie de notre étude,
la question de l'information de la personne hospitalisée se rapproche de celle de la
notification. Il s'agit de déterminer quelles sont les modalités d'accès aux informations qui
pourraient permettre à l'intéressé de contester soit la régularité, soit le bien fondé de la
décision. Alors que dans la deuxième partie de notre travail, le droit d'être informé permettra
éventuellement au malade d'exercer son droit au refus de soin ou de contester, a posteriori, le
caractère adapté du traitement reçu. L'accès aux documents administratifs qui contiennent les
informations relatives à l'hospitalisation sans consentement de la personne est régi par la loi (§
1). Mais la législation laisse une marge d'appréciation aux professionnels sur l'étendue du
droit d'accès aux informations tant en ce qui concerne leur contenu qu'en ce qui a trait au
caractère direct ou non de cet accès si bien qu'il faut se reporter aux avis de la Commission
d'accès aux documents administratifs (CADA) et à la jurisprudence administrative qui s'en
inspire, pour connaître le régime d'accès à ces documents dans le cadre spécifique de
l'hospitalisation sans consentement (§ 2).
60
§ 1 Les documents administratifs relatifs à
l'hospitalisation sous contrainte
Les deux principaux documents qui contiennent les informations concernant la
décision d'hospitalisation sont le dossier médical et le registre de la loi (A) dont les conditions
d'accès, déterminées par le législateur, ont été assouplies il y a quelques années (B).
A – Les documents contenant les informations concernant la
décision d'hospitalisation
La tenue d'un dossier médical pour chaque patient hospitalisé est une obligation
valable quel que soit le mode d'hospitalisation220 alors que le registre de la loi est spécifique à
l'hospitalisation sans consentement.
Le dossier médical est constitué de trois volets : soignant, médical et administratif.
Seuls les deux premiers sont communicables221. L'intérêt de ce document est de retracer
l'historique de l'état de santé du patient pour que ce dernier puisse faire valoir ses droits et
plus particulièrement, qu'il puisse apporter des preuves au soutien d'une requête tendant à
faire reconnaître son hospitalisation comme irrégulière (irrespectueuse des règles
procédurales) ou injustifiée (non-fondée). L'accès à ce document correspond à une
manifestation du droit à l'information du patient reconnu par le Code de déontologie médicale
(article 35) et surtout consacré par l'article 11 de la loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner222.
Ce droit est invocable en amont de l'acte de soin (nous en reparlerons dans la deuxième partie)
mais également en aval. La reconnaissance d'un droit d'accès direct à ce dossier par la loi
relative aux droits des malades a pu faire douter sur le contenu de ce document : devait-il
comporter les notes personnelles des médecins ? Ces derniers étaient partagés sur la question :
dans un contexte de judiciarisation de la relation médecin-malade, ils craignaient que le
220 Aux termes de l'article R. 1112-2 du Code de la Santé Publique : "Un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public ou privé". 221 CADA, Rapport d'activité pour l'année 2003, disponible sur Internet : www.cada.fr//fr/rapport/center.htm. 222 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
61
dossier médical ne devienne une arme judiciaire223. Dans un arrêt du 30 septembre 2004, la
cour administrative d'appel de Paris a refusé que l'établissement de santé se limite à
communiquer un résumé du dossier médical. Elle a précisé que "les notes manuscrites du
médecin traitant qui ont contribué à l'élaboration et au suivi du diagnostic de l'intéressé […]
et qui ont été conservées par l'hôpital font partie du dossier médical" donc devront être
transmises. Cette jurisprudence, conforme à l'avis de la CADA favorable à la communication
des notes manuscrites qui "ont contribué à l'établissement du diagnostic"224, rejoint l'approche
fonctionnelle défendue par François Vialla concernant les informations visées par l'article L.
1111-7 du CSP. Selon cet auteur, il s'agit moins de s'attacher à la forme de l'information qu'à
sa finalité pour déterminer si elle doit être insérée dans le dossier. Seront transmis les
documents traduisant la démarche de diagnostic. Par contre, "les informations recueillies
auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tel
tiers" ne seront pas communiquées comme le prévoit expressément la loi (art. L. 1111-7 al. 1er
CSP).
Dans un arrêt de 2003, le Conseil d'État a rappelé que l'obligation de créer un dossier
médical n'a de sens que si "tous les éléments composant le dossier médical de chaque patient
(sont) conservés ensemble dans l'établissement, sous la responsabilité du médecin qui a
constitué ce dossier". Il a confirmé la sanction infligée par le Conseil National de l'Ordre des
médecins à un chirurgien, car "les dossiers médicaux des patients de M. X ne contenaient pas
les comptes-rendus opératoires établis par ce chirurgien et qu'il conservait par-devers lui"225.
Le juge administratif avait déjà eu l'occasion de condamner une clinique pour avoir égaré un
dossier226. Pour des faits similaires (perte d'un dossier) dans le cadre d'une hospitalisation
forcée, un tribunal a récemment obligé un établissement à indemniser le requérant à hauteur
de 5 000 euros en réparation du « préjudice matériel et moral certain du fait de la non-
communication du dossier médical à laquelle il avait droit ». Ce préjudice consiste en la perte
de chance d'obtenir réparation des conséquences dommageables des « traitements
neurologiques qui lui ont été administrés contre son gré » puisqu’il n’a pas les données pour
« déterminer l’exacte étendue de son préjudice » devant le juge judiciaire227.
223 VIALLA François, "La communication des informations "personnelles" au regard des dispositions de l'article L. 1111-7 du Code de la santé publique", RGDM 2005, n° 16, p. 196. 224 CADA, avis n° 200441645. 225 CE, 28 avril 2003, n° 238181, M. André X : la sanction est une interdiction d'exercice. 226 CAA Toulouse, 17 avril 2001, req. n° 2000/01819.
62
Le deuxième document qui comporte des informations relatives à l'hospitalisation du
malade est le registre de la loi. C’est une institution commune aux deux types
d'hospitalisations sous contrainte. L'article L. 3212-11 du CSP dispose que "dans chaque
établissement est tenu un registre sur lequel sont transcrits dans les vingt-quatre heures : 1°
Les noms, prénoms, profession, âge et domicile des personnes hospitalisées ; 2° La date de
l'hospitalisation ; 3° Les noms, prénoms, profession et domicile de la personne ayant
demandé l'hospitalisation ; 4° Les certificats médicaux joints à la demande d'admission ; 5°
Le cas échéant, la mention de la décision de mise sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de
justice ; 6° Les certificats que le directeur de l'établissement doit adresser aux autorités
administratives en application des articles L 3212-4, L 3212-7 et L3212-11 ; 8° Les levées
d'hospitalisation ; 9° Les décès. Ce registre est soumis aux personnes qui, en application des
articles L. 3222-4 et L. 3223-1 visitent les établissements : ces dernières apposent, à l'issue de
la visite, leur visa, leur signature et s'il y a lieu, leurs observations". Le registre de la loi
apparaît ainsi comme un instrument de contrôle de l'activité des établissements
psychiatriques. Le juge administratif est attentif à la tenue du registre comme l'illustre un
jugement du tribunal administratif de Lille qui, constatant la falsification du registre en lien
avec la disparition de certaines pièces justificatives, annule cinq arrêtés du préfet228.
L'établissement d'accueil doit conserver le registre sans limites de temps. En ce qui concerne
les hospitalisations d'office, le préfet doit lui-même tenir une collection des arrêtés et la
DDASS garde les dossiers-papier pendant une période de 5 à 10 ans229.
Dossier médical et registre de la loi sont des documents administratifs dont l'accès a
été facilité par des législations au début du millénaire.
B – Le régime législatif concernant l'accès à ces documents
Tant la loi du 12 avril 2000 applicable à l'ensemble des documents administratifs (et
donc au registre de la loi) que celle du 4 mars 2002 qui réglemente l'accès au dossier médical
ont entendu rendre plus aisé l'accès à ces documents par les administrés.
227 TA Marseille, 10 avril 2007, n° 0503487, M. A. E. : faute dans l'organisation et le fonctionnement du service. 228 TA de Lille, ordonnance en référé, 17 janvier 2006, Maryvonne Ferez c. Préfet du Pas-de-Calais, req. n° 0506338, 0506339, 0506340, 0506341, 0505342 et 0506343.
63
La loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration230 a
poursuivi l'effort de "démocratisation de l'activité administrative" initié par la loi de 1978231
en faisant reculer le culte du secret qui favorisait une relation inégalitaire entre administrés et
administrateurs232. Depuis la fin des années soixante-dix, tout administré peut demander à
accéder à l'ensemble des documents administratifs non nominatifs (avis, rapports, circulaires,
notes) et nominatifs si les conclusions de ces documents lui sont opposables. En cas de refus
de l'administration (valable dans de rares exceptions comme le secret défense), le demandeur
peut saisir la CADA. La commission a, par exemple, émis un avis favorable à la
communication du registre des délibérations du conseil d'administration d'un centre
hospitalier233. La loi du 12 avril 2000 a eu pour objet de simplifier les démarches des
administrés. À titre d'exemple, son article 20 oblige l'autorité administrative incompétente
pour répondre à la demande de communication, à transmettre cette sollicitation à l'autorité
administrative compétente qui doit en aviser l'intéressé. Cet impératif a été rappelé dans un
jugement concernant l'accès à un dossier médical qui est un document administratif234.
Relativement au dossier médical, c'est la loi du 4 mars 2002 qui a réalisé l'avancée
majeure des dix dernières années en consacrant le droit du patient à accéder directement à ce
document. À cet effet, l'article L 1111-7 CSP dispose que : "Toute personne a accès à
l'ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et
établissements de santé, qui sont formalisées et ont contribué à l'élaboration et au suivi
diagnostic et du traitement ou d'une action de prévention, ou ont fait l'objet d'échanges écrits
entre professionnels de santé… Elle peut accéder à ces informations directement ou par
l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne". Ainsi, depuis 2002, c'est l'accès direct qui
prévaut et la médiation d'un médecin est l'exception alors qu'auparavant, le dossier n'était
accessible que par l'intermédiaire d'un médecin censé fournir les explications utiles à la
compréhension des informations qu'il contient. Cette inversion constitue une "véritable
révolution culturelle dans la relation praticien-patient"235. Le principe de l'accès direct fut
rapidement appliqué par la CADA qui précisa le contour des exceptions : ce sont les titulaires
229 Lettre de principe DGS/SP3 n° 449 du 31 mars 1995 relative au suivi des hospitalisations sans consentement. 230 Loi n° 200-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration. 231 Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 relative à l'amélioration des relations entre les administrations et le public. 232 FRIER Pierre-Laurent, PETIT Jacques, Précis de droit administratif, 4e édition, 2006, n° 492. 233 Avis de la CADA du 20 janvier 2000. 234 TA Versailles, 15 mai 2006, n° 0506392, Mlle Danielle Schnitzer : "alors que la transmission de la demande au service compétent n'avait pas été effectuée, la Caisse Nationale d'Assurance Maladie ne peut se fonder sur l'inexistence de documents demandés pour refuser de communiquer son dossier médical à Mlle Schnitzer". 235 VIALLA François, article précité p. 196.
64
de l'autorité parentale qui exercent ce droit au nom du mineur et, pour un majeur protégé, le
tuteur légal qui réalise la demande236.
En reconnaissant au malade un droit d'accès direct aux données relatives à sa santé, la
loi du 4 mars 2002 a répondu à l'une des revendications les plus fortes des associations
d'usagers du système de santé. Cependant, alors que la législation de 1990 s'était fait un point
d'honneur à "despécifier" le droit de la psychiatrie, celle de 2002 distingue d'emblée le cas des
hospitalisations sous contrainte. Elle prévoit un régime dérogatoire : "À titre exceptionnel, la
consultation des informations recueillies, dans le cadre d'une hospitalisation sur demande
d'un tiers ou d'une hospitalisation d'office, peut être subordonnée à la présence d'un médecin
désigné par le demandeur en cas de risques d'une gravité particulière. En cas de refus du
demandeur, la commission départementale des hospitalisations psychiatriques est saisie. Son
avis s'impose au détenteur des informations comme au demandeur"237. Intéressons nous à
l'application qui a été faite des textes législatifs successifs en étudiant les avis de la CADA et
la jurisprudence administrative, sachant que les avis des CDHP ne sont pas accessibles.
§ 2 L'accès aux documents concernant l'hospitalisation
sans consentement
En prévoyant que « à titre exceptionnel », les informations ne seront communiquées
que par l'intermédiaire d'un médecin, le législateur a fait preuve de réalisme. Dans le cadre de
certaines pathologies, l'accès direct aux informations peut être néfaste. La réception
d'informations "brutes", non expliquées, non "interprétées" peut être difficile à "digérer" pour
la personne qui souffre et remettre en cause son processus de guérison. Elle est également
susceptible de générer une incompréhension source de violence "auto" ou hétéronome.
Protection des personnes qui assurent la prise en charge, protection des tiers ou de la personne
malade contre elle-même, multiples sont les raisons de médiatiser l'accès au dossier médical
ou au registre de la loi. Mais ces considérations doivent être nuancées car elles supposent la
personne réellement malade. Si tel n'est pas le cas, pour s'élever contre une hospitalisation
mal fondée, l'intéressé doit pouvoir accéder à ces informations. Le premier argument qui
236 CADA, avis du 7 nov. 2002, n° 20024431 et CADA, avis du 19 septembre 2002, n° 20023857.
65
s'oppose à l'accès indirect est donc le risque de voir les données médicales déformées par le
professionnel qui essayerait d'occulter une erreur dans la prise en charge ou même une
hospitalisation abusive. La protection des personnes (malade ou tiers) doit donc être appréciée
à l'aune des droits de la défense. Le problème complexe de l'accès aux informations médicales
et administratives relatives à une hospitalisation forcée a nourri une jurisprudence tout en
nuance. Aujourd'hui encore, l'inévitable interprétation des termes de la loi devrait permettre
au juge d'être créateur de droits. Pourtant, il semble renâcler à exercer un contrôle in concreto
sur l'existence "de risques d'une gravité particulière" (A) et la question de l'accessibilité à la
demande manuscrite du tiers reçoit, pour l'heure, une réponse négative (B).
A – L'accès aux informations médicales et administratives : une
jurisprudence tout en nuance
Par un avis du 14 mars 2002, la CADA a mis en lumière la distinction qui prévalait
avant la loi du 4 mars 2002 relativement à l'accès aux informations médicales et
administratives. Le patient pouvait directement accéder aux certificats transcrits sur le registre
de la loi. Par contre, l'accès aux autres documents à caractère médical (c'est-à-dire ceux qui
sont contenus dans son dossier médical) ne pouvait être réalisé que par l'intermédiaire d'un
médecin. Ainsi s'exprime la commission : "l'ensemble des actes concourrant à
l'hospitalisation sans son consentement d'un malade ou la prolongation d'une telle mesure
sont des actes administratifs et, comme tels, communicables directement à l'intéressé, sans
que l'intervention d'un médecin ne soit nécessaire. Cette règle s'étend aux certificats
médicaux retranscrits dans le registre prévu par l'article L. 3212-11 du code de la santé
publique, accompagnant les arrêtés préfectoraux de placement, de renouvellement ou de
levée de l'hospitalisation d'office, lorsque le contenu de ces certificats est nécessaire à la
motivation de ces arrêtés. La commission a précisé qu'en application de l'article 6-II de la loi
du 17 juillet 1978 modifiée par celle du 12 avril 2000, les autres certificats, notamment ceux
qui sont établis périodiquement pour faire le point sur la situation du patient, lui étaient
également communicables, mais par l'intermédiaire d'un médecin"238. La commission
rappelle l'état du droit antérieur. En 1997, elle avait déjà considéré que : "le registre
237 Article L. 1111-7 CSP al. 4. 238 CADA, avis du 14 mars 2002, n° 20021079.
66
d'établissement est un document administratif dont les extraits sont communicables sans
l'intermédiaire d'un médecin pour les certificats médicaux qui y sont reportés"239. Dans le
même sens, elle se montrait favorable à la communication du certificat médical établi à
l'appui d'une demande d'HDT240. Alors que concernant le dossier médical, le juge avait, en
appliquant l'article 6 bis de la loi du 17 juillet 1978 qui imposait que "les informations à
caractère médical ne peuvent être communiquées à l'intéressé que par l'intermédiaire d'un
médecin qu'il désigne à cet effet", confirmé la décision du directeur d'un CH de ne transmettre
lesdits certificats qu'après que l'intéressé ait désigné un médecin servant d'intermédiaire241. De
plus, il exigeait que la communication de documents n'ait lieu que s'ils étaient susceptibles
d'être utiles à l'intéressé242. L'on peut inférer de la première partie de cet avis que la loi du 12
avril 2000 n'a rien changé au paysage de l'hospitalisation psychiatrique.
C'est lorsque la loi du 4 mars 2002 est entrée en scène que tout a été bouleversé. Selon
la CADA, "en application de la nouvelle rédaction de ces dispositions issues du dernier
alinéa de l'article 14 de la loi du 4 mars 2002, les informations à caractère médical, au
nombre desquelles figurent l'ensemble des certificats retranscrits sur le registre de la loi, sont
désormais communiquées directement à l'intéressé qui le souhaite, dans le respect des
dispositions de l'article L. 1111-7 du CSP"243. Désormais, le principe de l'accès direct à
l'ensemble des informations de nature médicale qu'elles soient consignées dans le registre ou
dans le dossier prévaut. La commission en infert "que vous ne pouvez vous opposer à la
communication directe à l'intéressé de l'intégralité du registre de la loi, s'il maintient son
souhait d'en avoir connaissance sans l'intermédiaire d'un médecin, qu'à titre exceptionnel, en
cas de risques d'une gravité particulière et sous réserve que la commission départementale
des hospitalisations psychiatriques rende un avis conforme". La loi du 4 mars 2002
permettrait, en cas de risques, de revenir sur le caractère direct de l'accès au registre de la loi !
L'on s'interroge sur la portée de la législation de 2002 en matière d'hospitalisation sous
contrainte. Les établissements ne vont-ils pas, comme ils le faisaient antérieurement,
conditionner l'accès au dossier médical et même au registre, à la présence d'un médecin en
invoquant, de manière systématique, l'existence d'un danger ? Au-delà, ne seront-ils pas tentés
239 CADA avis du 29 mai 1997. 240 CADA, avis du 19 octobre 2000, n° 20003907 : il "ne constitue pas un document portant une appréciation sur une personne. Il s'agit d'un document relatif à la vie privée d'une personne qui doit lui être communiqué". 241 CAA Nantes, 3ème ch., 7 oct. 1999, req. n° 96NT01287, D. 2001, II,p. 275, commentaire Marc Joyau. 242 CAA Lyon, 4 oct. 1999, req. n° 98LY00550 relativement à une HO.
67
de maintenir les pratiques que la CADA avait entérinées comme celle qui consiste à occulter
l'identité des médecins signataires des certificats transcrits dans le registre ou contenus dans le
dossier médical ?244 Le juge administratif a d'ailleurs affirmé que le préfet n'a pas l'obligation
de mentionner dans l'arrêté le nom du médecin auteur du certificat circonstancié au vu duquel
il décide l'HO245. Ce qui pose la question de la possibilité pour l'intéressé de soulever
l'incompatibilité des fonctions du médecin avec la rédaction du certificat… Un arrêt de 2004,
qui applique l'article L. 1111-7 CSP à un placement volontaire (ex-HDT), sans préciser quels
"risques d'une gravité particulière" justifiaient la médiation du médecin, nous laisse à penser
que cette médiation est systématique dans la pratique246. Il est regrettable que le juge n'ait pas
saisi l'opportunité de préciser ce qu'il faut entendre par cette expression, laissant son
interprétation à la discrétion du personnel médical.
Enfin, un apport important de la loi Kouchner correspond au fait que seul le patient est
titulaire du droit d'accès à son dossier médical sauf s'il est mineur ou fait l'objet d'une mesure
de tutelle ou de curatelle. C'est ce que rappelle un avis de la CADA au sujet d'un patient
"dément ou temporairement inconscient" en affirmant que "le dossier médical d'un patient ne
peut être communiqué sans l'accord de ce dernier à ses proches même lorsque son état de
santé lui interdit d'exprimer sa volonté. Si cet état tend à se prolonger, la famille n'a d'autre
solution que d'introduire une action pour faire ouvrir la tutelle ou la curatelle"247.
L'exclusivité de l'accès à son dossier par la personne malade pourrait-elle se retourner contre
elle en empêchant la famille de jouer son rôle de protecteur ? Les familiers ne peuvent
endosser un tel rôle que dans le cadre d'une HDT ; or l'article L. 3212-9 du CSP, qui habilite
certains membres à requérir la levée d'une HDT, n'exige pas qu'ils appuient leur requête sur
des données de nature médicale. Le droit d'accès reconnu exclusivement au patient n'est donc
a priori pas un obstacle à l'action familiale. En ce qui concerne les HDT, une autre question se
pose : la personne peut-elle accéder à la demande manuscrite du tiers ? Elle soulève une
243 CADA, avis du mars 2002, n° 20021079. 244CADA, avis du 26 août 1999, n° 19992764 : "s'agissant d'une personne susceptible de se montrer agressive à l'encontre des médecins ou responsables qui se sont prononcés en faveur de son hospitalisation d'office, il est possible et souhaitable d'occulter les noms, qualités et signatures de ces médecins ou responsables sur les pièces du dossier qui sera communiqué (certificats médicaux, décisions relatives au placement et à son suivi)". La commission précise que : "la circonstance que le médecin désigné par le demandeur ait un lien de famille avec celui-ci n'est pas de nature à faire obstacle à la communication des pièces du dossier médical, aucune disposition légale ou réglementaire ne prohibant un tel lien". 245 CAA Paris, 8 nov. 2006, req. n° 04PA00834. 246 CAA Douai, 27 mai 2004, req. n° 03DA01007. 247 CADA, avis du 7 novembre 2002, n° 20024431.
68
difficulté analogue : celle de la conciliation entre protection du tiers et exercice des droits de
la défense, condition de la protection de la sûreté.
B – L'accès éventuel à la demande d'HDT elle-même
Comme nous l'avons constaté en étudiant l'évolution de la jurisprudence portant sur la
notion de tiers demandeur, le fait que la personne auteur de la demande n'ait pas qualité pour
agir dans l'intérêt du malade est un moyen invocable à l'appui d'une requête tendant à
l'annulation de la décision d'admission par le juge de l'excès de pouvoir. L'identité du
demandeur est donc une information essentielle à l'exercice du droit au recours reconnu au
malade. C'est ce que souligne le guide des instructions ministérielles en précisant toutefois
que "cette communication n'exclut pas toute précaution utile dans un domaine aussi sensible
que celui de la protection de la sécurité du tiers demandeur", "c'est la raison pour laquelle, il
serait souhaitable que la révélation du nom du tiers ne se fasse pas de façon brutale"248.
Un arrêt de la cour administrative de Nantes du 7 octobre 1999 refuse une telle
communication en se fondant sur la loi du 12 avril 2000. Il affirme que "le directeur était
légalement tenu de refuser la communication de tout élément permettant l'identification de
l'auteur de la demande de placement volontaire"249. Cette solution se justifie par le fait que le
tiers a droit de ne pas voir porté à la connaissance d'autrui des informations qui lui sont
relatives. Elle a l'intérêt de protéger des tiers déjà souvent réticents à signer la demande. Cette
position s'applique aux hospitalisations à la demande d'un tiers qui ont succédé aux
placements dits "volontaires", comme le suggèrent deux avis de la CADA datant de 2000.
Dans le premier, la commission estime que "cette demande d'hospitalisation constitue un
document administratif, incluant des mentions identifiantes, dont la communication doit être
réservée à son auteur en application du II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978, modifiée
par celle du 12 avril 2000". Cet article dispose qu'un document qui fait apparaître le
comportement d'une personne ne peut être communiqué qu'à cette dernière "dès lors que la
divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice". La CADA précise que : "Si,
comme dans l'espèce, le document est manuscrit et permet d'identifier son auteur même après
248 Guide des réponses à apporter aux questions portant sur les droits des patients en psychiatrie, p. 12. 249 CAA Nantes, 3ème ch., 7 oct. 1999, req. n° 96NT01287, D. 2001, II,p. 275, commentaire Marc Joyau. Dans le même sens un arrêt refusant de communiquer l'identité du tiers : TA Caen, 3 avril 1996, Mlle Clémente c/ Centre hospitalier de Vive, req. n° 96-213.
69
occultation de l'identité de son signataire et des mentions identifiantes, c'est alors l'intégralité
du document qui ne doit pas être communiqué"250. Le second avis expose que : "la
commission estime de manière constante qu'une demande d'hospitalisation faite par un tiers
doit être considérée, par rapport à son auteur, comme un document dans lequel est portée
une appréciation sur une personne dont la communication pourrait lui porter préjudice
(article 6-II de la loi du 17 juillet 1978, modifiée par celle du 12 avril 2000). En conséquence,
le document n'est pas communicable à la personne hospitalisée"251.
Néanmoins, l'avis du 25 mai 2000 suggère que la demande d'HDT pourrait être
communiquée à l'intéressé sur le fondement de la loi de 1990 : "Le conseil de la commission
ne préjuge pas de la communicabilité de ce document en application des dispositions de la loi
du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées, sur
lesquelles il n'appartient pas à la commission de se prononcer, celle-ci n'étant compétente
que sur le fondement de la loi précitée du 17 juillet 1978"252. Quelle disposition de la loi de
1990 permettrait d'invoquer un droit à la communication du dossier médical ? L'article 3211-3
du CSP protégeant le droit d'être informé de "sa situation juridique et de ses droits" ne semble
pas recouvrir l'information contenue dans le registre ou le dossier médical.
En 2005, la HAS a préconisé que "si le patient souhaite connaître l'identité ou
l'adresse du tiers, il est recommandé que ce soit le psychiatre qui suit le patient pendant son
hospitalisation qui apprécie au cas par cas le rapport bénéfices-risques de cette divulgation".
ajoutant qu'en cas de doute, il est souhaitable de solliciter l'avis de la CDHP253. Le médecin
semble seul apte à évaluer quel intérêt doit primer (sécurité du tiers, santé du patient, défense
de ses droits) et apparaît comme le protecteur privilégié du patient alors même que l'objet des
lois de 1990 et 2002 était d'en finir avec le "paternalisme médical". Un arrêt du Conseil d'État
condamnant la puissance publique à indemniser le préjudice moral né du délai excessif d'une
procédure visant à obtenir communication de la note d'une assistante sociale concernant une
HO montre que le droit d'accès à l'information pourrait être renforcé par la voie inaugurée par
la jurisprudence Magiera254.
250 CADA, avis du 25 mai 2000, n° 20002123. 251 CADA, avis du 19 octobre 2000, n° 20003907. 252 CADA, avis du 25 mai 2000, n° 2000212. 253 HAS, Recommandations d'avril 2005, "Modalités de prise de décision concernant l'indication en urgence d'une hospitalisation sans consentement d'une personne présentant des troubles mentaux", p. 15.
70
In fine, concernant l'accès à l'information relative à la décision d'hospitalisation, ne
précisant pas la notion de "risques d'une gravité particulière" et refusant la divulgation de
l'identité du tiers demandeur, le juge administratif ne remplit que de manière mitigée son rôle
d'interprète de la loi et limite sa création de droits au profit des administrés.
La mise en parallèle de ce constat avec les évolutions jurisprudentielles soulignées
dans la première section de ce chapitre traduit que, relativement à la décision d'hospitalisation
sans consentement, le juge est davantage créateur du droit que de droits.
La première partie de notre travail atteste le souci du juge administratif de concilier les
intérêts de la personne souffrante avec ceux de l'administration et des tiers. Or, cette recherche
d'équilibre entre sécurité et liberté est déjà présente dans le texte législatif. Par conséquent, le
juge ne crée pas l'équilibre : il s'appuie sur la loi pour élaborer sa jurisprudence qui, à son tour
précise les conditions de réalisation de cet équilibre et en quelque sorte, "soutient" la loi.
Ainsi, en créant du droit, le juge vient au renfort de la loi. La créativité du juge, loin de
"concurrencer" le législateur, complète son œuvre. Cette créativité s'exprime-t-elle pendant la
période même de l'hospitalisation ?
L'élaboration de la loi du 27 juin 1990 répond à la volonté de développer les garanties
en faveur de la sûreté au moment de décider d'une mesure d'hospitalisation sans consentement
et à celle d'améliorer la protection des droits et libertés des patients pendant l'hospitalisation.
Même si certains auteurs pensent que "la loi nouvelle aurait pu aller plus loin"255, elle peut
être saluée comme ayant conféré une valeur légale aux droits de la personne atteinte de
troubles mentaux, antérieurement reconnus par le droit extra-national. Le juge administratif
joue-t-il le rôle de "gardien" de ces droits ? En contrôle-t-il le respect ? Pour répondre par
l'affirmative, encore faudrait-il établir sa compétence pour connaître du contentieux relatif aux
conditions de prise en charge des malades hospitalisés contre leur gré. Cela ne va pas toujours
de soi, comme nous aurons l'occasion de l'expliquer. Néanmoins, le fait même que nous ayons
trouvé un certain nombre d'arrêts portant sur les conditions de prise en charge des personnes
hospitalisées sans leur accord, révèle que le juge de l'ordre administratif peut être l'un des
protecteurs des personnes "doublement affaiblies" : par la maladie et par la perte d'autonomie.
254 CE, 19 oct. 2007, n° 296529, M. François A.
71
Deuxième partie : L'hospitalisation sans
consentement
La seconde partie de notre travail cherche à répondre à deux interrogations. Quels sont
les droits et libertés protégés par le juge administratif ? En assure-t-il une protection effective
? La jurisprudence met en évidence le caractère inachevé de la protection de la personne
hospitalisée sous contrainte. Cette incomplétude n'empêche pas de discerner les "lignes
directrices" de l'intervention du juge, ses finalités. Protéger la personne malade consiste
d'abord à la protéger contre elle-même en assurant sa sécurité et en lui administrant un
traitement pour améliorer son état de santé. Cela correspond à la mise en œuvre du droit
fondamental de chacun à la protection de sa santé256 et de sa dignité257. La poursuite de ces
objectifs se traduit presque automatiquement par une limitation de la liberté de circulation au
sein de l'hôpital ainsi qu'une contrainte au soin. Ces atteintes aux droits fondamentaux de la
personne humaine (liberté individuelle et droit à l'intégrité physique) étant réalisées dans le
cadre d'une prise en charge par le système public hospitalier, le juge administratif peut se
prononcer sur leur légitimité et leur proportionnalité. Par ailleurs, l'hospitalisation en milieu
psychiatrique enferme doublement la personne. D'abord physique, l'enfermement prend une
dimension immatérielle. Ce second type d'enfermement résulte d'une part, de la vie collective
en institution psychiatrique, réglée par des normes fixées de manière unilatérale par
l'établissement et, d'autre part, du regard souvent stigmatisant que la société pose sur les
personnes qui souffrent de troubles psychiques, et hospitalisées pour cette raison. Le juge
administratif peut limiter ce double enfermement notamment en encadrant les dérogations
apportées aux droits et libertés des personnes hospitalisées. Au nom de la protection de la
personne contre elle-même, le juge accepte certaines dérogations aux droits fondamentaux
mais il les encadre (chapitre 1). Il protège les personnes hospitalisées contre "l'enfermement
immatériel", même si nous verrons que cette seconde protection est insuffisante (chapitre 2).
255 NICOLAU Gilda, "L'héritière", D. 1991, chronique p. 29. Selon cet auteur, il s'agit d'une "loi de compromis" : "Entérinant l'œuvre édificatrice de la jurisprudence, elle modifie l'équilibre qui s'était opéré grâce au temps, entre le principe de l'enfermement devenu exception et le respect des libertés". 256 Art. L. 1110-1 CSP : "Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles au bénéfice de toute personne." Droit déjà reconnu par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : "La Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé". 257 Art. L. 1110-2 CSP : "La personne malade a droit au respect de sa dignité".
72
Chapitre 1 – La protection de la personne contre
elle-même
"Désapproprié, l'homme dans la démence nous convie à une humanité sans qualité qui
ne se confonde pas avec ses masques, ni ne les confonde avec le réel, ou avec la parole"258. Et
"L'humanité, écrit Madame Delmas-Marty, reste en grande partie à inventer"259.
Notre appartenance à l'humanité nous permet-elle de protéger une personne contre
elle-même et si oui, à quelles conditions ? Cette interrogation dépasse largement notre travail
tout en en constituant la réflexion centrale et, bien que posant des questions d'ordre éthique,
elle est susceptible de faire son apparition dans le droit notamment au travers d'un principe,
celui de dignité de la personne humaine. Notre sujet d'étude ne nous invitait pas directement à
aborder la question du recours tantôt encensé, tantôt vivement critiqué, à la notion de dignité.
Un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille qui s'appuie sur le principe de dignité
afin de limiter l'usage de la contrainte (fut-elle mise en œuvre dans un cadre thérapeutique) a
éveillé des interrogations (dans notre esprit) à l'égard des contours (pour le moins flous) et de
la mise en œuvre (pour le moins discutée) du concept de dignité. Un article de Diane Roman
nous a ouvert les yeux sur le rôle ambivalent que la dignité humaine joue en droit de manière
générale et particulièrement en droit de la santé260. Alors qu'elle nous était apparue jusque-là
comme une limite aux soins sous contrainte, elle s'avérait être la valeur fondatrice d'un certain
nombre de mesures visant à défendre une personne contre elle-même et donc, un fondement
potentiel à l'administration de soins forcés. La dignité humaine, fondement potentiel des soins
sous contrainte, est paradoxalement brandie par le juge administratif comme une limite à
l'usage de la contrainte dans le soin (section 1). Le juge a régulièrement donné son
approbation à l'usage de la contrainte lorsqu'elle était justifiée par le soin, tout en l'encadrant,
mais ne s'est encore jamais prononcé sur le principe même de l'administration de soins sous
contrainte dans le domaine psychiatrique (section 2).
258 Robert-William Higgings, L'homme désapproprié, in Déments séniles, croire à une communication, Cahiers Laennec, °3-4 printemps 1987, cité par PAILLET Elisabeth, "La dignité de la personne majeure protégée", in Mélanges Christian Bolze, Éthique, droit et dignité de la personne humaine, p. 298. 259 Mireille Delmas-Marty, "Vers un droit commun de l'humanité. Conversations pour demain", ed. Textuel, p. 72, cité dans l'article de Mme Paillet p. 299. 260 ROMAN Diane, "À corps défendant. La protection de l'individu contre lui-même", D. 2007, n° 19, chron. p. 1284.
73
Section 1 : La dignité humaine, fondement et limite des
soins sous contrainte
Consacrée à la fin de la seconde guerre mondiale dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme du 10 décembre 1948261 afin de conjurer les horreurs commises par les
nazis, la dignité de la personne humaine a été érigée comme principe indérogeable dans
plusieurs instruments internationaux262. En droit interne français, c'est à partir de sa promotion
au rang de principe à valeur constitutionnelle que la dignité a pris son essor263. Elle a fait une
entrée remarquée en droit administratif comme quatrième composante de l'ordre public avec
les arrêts du Conseil d'État du 27 novembre 1995264. Aujourd'hui, le recours trop systématique
au concept de dignité par les juges est regretté par certains. Ils y voient une sorte de "principe
joker" qui "permet d'adopter un peu toutes les postures normatives"265. Avec Stéphanie
Hennette-Vauchez266, nous retiendrons trois significations juridiques de la dignité humaine.
Historiquement la notion de "dignitas" renvoie à la qualité attachée à un rang ou une fonction
officiel. La dignité peut aussi "nommer de manière globale ce qui est perçu comme le
fondement d'un certain nombre de droits et/ou de règles juridiques que la personne peut
opposer aux tiers". Enfin, la dignité "recouvre une série d'obligations incombant à tout
individu en tant qu'il appartient au genre humain". Elle est alors une "qualité opposable par
des tiers à l'homme". En étudiant le principe de dignité sous ces différentes facettes, il peut
apparaître comme fondement des soins sous contrainte en hospitalisation forcée (§ 1) mais
également comme limite dans l'administration de ces soins. C'est dans ce second sens qu'il a
récemment été invoqué par le juge administratif (§ 2).
261 Préambule : "Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde". L'article 1 pose : "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité". 262 Par exemple, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 dans son article 10 qui dispose que "Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la nature humaine". 263 Décision du Conseil Constitutionnel, n° 94-343-344 DC du 27 juillet 1994, GAJC n° 43 p. 731 : il ressort du préambule de la constitution de 1946 que "la sauvegarde de la dignité humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle". 264 Parmi les nombreux commentaires suscités par les arrêts "Commune de Morsang-sur-Orge et Ville d'Aix-en-Provence" nous signalons celui de Sébastien Guillen qui met bien en lumière les évolutions induites par la jurisprudence dite "du lancer de nain" : "Dignité de la personne humaine et police administrative, Essai sur l'ambivalence d'un standard", Mélanges Christian BOLZE, p. 175-204. 265 BRUGUIÈRE Jean-Michel, "La dignité schizophrène ?", D. 2005, tribune p. 1169 et dans le même sens, MATHIEU Bertrand, "De quelques moyens d'évacuer la dignité humaine de l'ordre juridique", D. 2005, p. 1649. 266 HENNETTE-VAUCHEZ Stéphanie, "Kant contre Jéhovah ? Refus de soins et dignité de la personne humaine", D. 2004, chron. p. 3159.
74
§ 1 La dignité, fondement des soins sous contrainte ?
Le concept de dignité de la personne humaine constitue, à nos yeux, un fondement aux
soins sous contrainte c'est-à-dire une valeur qui irrigue notre système social, une notion, qui
permet à la collectivité de justifier juridiquement, mais peut être davantage d'un point de vue
éthique, que l'on impose à une personne de se soigner. Si la dignité fonde potentiellement les
soins prodigués sous contrainte (A), l'utilisation de ce concept afin d'administrer des soins en
passant outre l'éventuelle opposition de l'intéressé, est discutable et discutée (B).
A – La dignité de la personne humaine, fondement potentiel des
soins sous contrainte
La dignité, selon Bertrand Mathieu, "c'est l'interdiction de tout acte inhumain, c'est-à-
dire de tout acte qui tend à méconnaître en tout homme, en tout être humain, une personne
humaine". "En ce sens, poursuit-il, non pas la prise en compte des différences, mais la
discrimination qui tend à considérer qu'il y a des hommes moins homme que les autres, des
sous-hommes, est radicalement inacceptable"267. Derrière cette définition "consensuelle" de la
dignité, se cache des significations bien distinctes ou, tout du moins, des utilisations fort
différentes de ce concept. Soulignant "l'ambivalence de la notion", Diane Roman explique
que, "pour les uns, …la dignité est avant tout une prérogative de la personne, un rempart de
l'individu face à toute immixtion, qui réunit trois caractéristiques humaines : la rationalité, la
perfectibilité - c'est-à-dire la faculté de l'homme de faire des choix de vie permettant son
amélioration - et l'autonomie"268. Ainsi comprise, "la dignité rejoint les principes de liberté et
de responsabilité" et requiert que "devant l'action de l'individu s'étende un espace libre des
contraintes venues d'en haut, de l'autorité ou de la société". L'auteur d'en déduire : "respecter
la dignité de l'être humain suppose avant tout la garantie de sa liberté individuelle, tant celle-
ci est intrinsèque à l'homme". Elle met ensuite en lumière le second sens de la notion de
dignité : "Pour les autres, au contraire, la dignité n'est pas un droit de l'homme, c'est un droit
de l'humanité que tout homme incarne et symbolise et auquel il ne saurait renoncer". Cette
seconde acception est notamment défendue par Monsieur Edelman selon lequel "la dignité
267 MATHIEU Bertrand, "La dignité de la personne humaine : quel droit ? quel titulaire ?", D. 1996, chron. p. 285.
75
désigne non pas d'ailleurs l'être de l'homme mais l'humanité de l'homme". L'auteur infert que
"si la liberté est l'essence des droits de l'homme, la dignité est l'essence de l'humanité"269. La
distinction opérée par Diane Roman recoupe celle réalisée par Madame Hennette-Vauchez : la
dignité peut tantôt être invoquée par un homme pour se protéger d'actes de tiers qui pourraient
l'atteindre dans sa qualité d'humain, tantôt permettre à des tiers d'imposer des devoirs ou des
interdictions à un homme en arguant de son appartenance au genre humain par exemple en
interdisant à une personne atteinte de nanisme de gagner sa vie en étant "utilisée" comme
projectile. Madame Roman montre que les hypothèses dans lesquelles "la règle juridique
proscrit un comportement qui, même sans répercussion pour les tiers est de nature à porter
atteinte à la vie ou à la santé de son auteur" se multiplient et, elle affirme que "la protection
de la personne contre elle-même devient chose courante"270. À notre avis, les soins imposés
aux personnes hospitalisées sans leur consentement constituent une de ces hypothèses dans
lesquelles la dignité prime sur la liberté et permet de protéger l'individu malgré lui.
Pour admettre que la dignité fonde les soins sous contrainte, nous devons revenir aux
conditions qui président à la décision d'hospitalisation forcée. Dans la première partie de notre
étude, tout en considérant que l'HDT comme l'HO vise à assurer la sécurité des personnes,
nous avons relevé que, depuis 2002, la loi impose expressément qu'une mesure
d'hospitalisation sans consentement ne soit indiquée que si la personne nécessite des soins.
Cette condition semble indiquer qu'au-delà de la poursuite de la sécurité, une valeur justifie,
"fonde", les soins sous contrainte en milieu hospitalier. La dignité pourrait être ce fondement.
Pour parvenir à cette conclusion, nous postulons que l'hospitalisation sans consentement
implique, par définition, l'administration de soins sous contrainte. Dans le cadre d'une
hospitalisation à la demande d'un tiers, la dignité, prise dans son sens de qualité du genre
humain, permet que soient administrés des soins à une personne alors même que son refus
d'être soigné n'a, à première vue au moins (avec les nuances introduites en première partie),
pas d'effets néfastes sur les tiers. Pour expliquer en quoi la dignité fonde les soins sous
contrainte dans le cadre de l'hospitalisation d'office, il nous suffit de relever que, si cette
mesure visait uniquement à protéger l'ordre public, le législateur se contenterait d'enfermer les
personnes qui, du fait de leur maladie mentale, ont des comportements dangereux. Nous
pensons que c'est, pour partie, la dignité qui impose aux tiers que ces personnes soient, non
268 Article précité, V. note n° 260. 269 EDELMAN Bernard, "La dignité de la personne humaine, un concept nouveau", D. 1997, n° 23, chron. p. 186.
76
pas conduites en prison, mais prises en charge médicalement271. Dans ce cas, ce n'est plus en
tant que qualité du genre humain opposable à un individu par les tiers que la dignité joue,
mais bien comme essence de l'homme que chacun doit respecter. Si notre société refuse de
considérer les personnes atteintes de troubles mentaux comme des "délinquants en puissance"
qu'il faudrait "neutraliser", c'est parce que ces personnes sont, avant tout, des êtres humains,
dont la souffrance demande à être soulagée. Enfermer une personne malade sans la soigner,
seulement pour protéger les tiers, ce serait "refuser d'admettre son égale dignité" selon les
termes de Monsieur Delage qui s'insurge des projets d'hôpitaux-prisons et de création d'une
"peine de sûreté" y décelant "l'éclipse de la dignité"272. Pour autant, il ne faudrait pas déduire
de cette analyse succincte que la dignité est le fondement idyllique des soins sous contrainte.
Certains auteurs mettent en garde contre l'utilisation de ce concept en droit.
B - La dignité de la personne humaine, fondement discutable
des soins imposés
La dignité humaine gagnerait à être utilisée avec précaution du fait de l'incertitude
quant à ses contours. Tour à tour véhicule "de bons sentiments"273 pouvant fonder un "droit au
logement"274 puis limite à l'autonomie de la personne pouvant justifier que lui soit interdite
telle activité jugée dégradante pour elle (par exemple la prostitution), la dignité est souvent
invoquée "faute d'une autre voie de droit"275. Le juge applique alors un concept qui semble, à
certains égards, plus moral que juridique. Si la doctrine met en garde de manière unanime
contre des références par trop systématiques à la notion de dignité, tous les auteurs ne
partagent pas l'idée qu'il faudrait la bannir de notre système juridique. Car, comme l'écrit M.
Mathieu, "le principe de dignité représente le seul obstacle à la mise sur le marché de
l'humain".
270 Article précité, p. 1286. 271 La première raison est que la personne n'a pas forcément commis d'acte délictueux. Si c'est le cas, le principe d'irresponsabilité pénale des malades mentaux qui découle du principe d'imputabilité interdit que les personnes qui ont commis un délit alors qu'elles manquaient de discernement soient condamnées pénalement. 272 DELAGE Pierre-Jérôme, "La dangerosité comme éclipse de l'imputabilité et de la dignité", RGDM, n° 26, 2008, p. 42 : "la dangerosité et les utilisations qu'il est proposé d'en faire portent en elles le péril de consommer deux ruptures : la première avec l'imputabilité, fondement de la responsabilité pénale, la seconde avec la dignité, essence des droits de l'homme". 273 Article précité note n° 267, p. 286. 274 Décision 94-359 DC du 19 janv. 1995 : le droit à un logement décent est un objectif constitutionnel. 275 NEIRINCK Claire, "La dignité ou le mauvais usage juridique d'une notion philosophique", in mélanges en l'honneur de Christian BOLZE, Éthique, droit et dignité de la personne humaine, Economica 1999, p. 46.
77
Le juge administratif ne s'est jamais prononcé sur l'usage de la dignité comme
fondement des soins sous contrainte en matière d'hospitalisation psychiatrique. D'ailleurs, seul
le législateur peut décider, de la liberté ou de la dignité, quelle valeur doit primer. Pourtant, le
juge y a implicitement eu recours dans les affaires de refus de soins avec la jurisprudence dite
Senanayake-Feuillatey276. Madame Hennette-Vauchez a vivement critiqué la définition de la
dignité retenue par les juges (influencés par la voix de Madame Heers) qui, sous couvert d'une
interprétation (erronée) des écrits de Kant, aboutit à concevoir la dignité comme "porteuse
d'obligations de chaque individu envers l'humanité en tant qu'entité abstraite en général, et
envers l'humanité qui est en lui en particulier". L'auteur soutient qu'en "préconisant de
refuser de donner du poids à la parole du témoin de Jéhovah majeur et sain d'esprit qui
refuse une transfusion, elle préconise bien de faire primer un respect de la vie érigé en valeur
cardinale de l'humanité sur la volonté individuelle"277. Autrement dit, ramenée à un fait
biologique - l'appartenance au genre humain - la dignité conduit à imposer au sujet d'agir en
fonction d'une représentation de l'humanité qui s'impose à lui. Le problème est alors que cette
notion, présentée comme universelle, est concrètement interprétée de manière très divergente.
Elle a par exemple été invoquée en Suède afin d'interdire les combats de boxe professionnelle.
La dignité risque de "servir de paravent au retour de la morale" c'est pourquoi elle "doit
rester au service de la liberté pour garantir l'inviolabilité de la personne contre autrui. Pour
le reste, d'autres principes peuvent venir au renfort de la réflexion"278. Madame Roman lui
préfère le principe de fraternité qui "permet de justifier l'ordre public de protection de la
personne contre les tentations nées de la misère et les déchéances auxquelles elle conduit"279.
Relativement à l'hospitalisation non consentie, la fraternité fonderait l'obligation de soins à la
charge de l'État en faveur d'une personne privée de son discernement du fait de sa maladie et
donc incapable de consentir aux soins.
Le législateur ne s'étant pas expressément positionné à ce sujet et le juge administratif
ne pouvant le faire, l'incertitude demeure quant à savoir si la dignité est, ou non, le fondement
de l'obligation de soins imposée aux personnes hospitalisées sous contrainte. Par contre, la loi
érige explicitement la dignité comme standard de comportement à l'égard de la personne
hospitalisée. C'est en ce sens que le juge administratif a eu recours au principe de dignité.
276 CE, arrêt du 26 octobre 2001 et ordonnance en référé du 16 août 2002. 277Article précité, V. note n° 266. 278 ROMAN Diane, "À corps défendant. La protection de l'individu contre lui-même", D. 2007, n° 19, chron. p. 1292. 279 Article précité p. 1293.
78
§ 2 Le principe de dignité, limite à l'usage de la
contrainte dans les soins
Mettons de côté la dignité comme qualité à laquelle chaque homme ne pourrait
renoncer, pour nous intéresser au principe de dignité comme obligeant chacun de nous à
respecter l'humanité qui réside en tout membre de l'espèce humaine. Vu sous cet angle, ce
principe encadre les soins administrés "de force". C'est une limite reconnue par la loi et par le
juge qui a récemment invoqué la notion de dignité humaine afin d'encadrer le recours à la
contrainte dans les soins (A) mais qui, ce faisant, a également admis que la contention
physique soit utilisée ; ce qui fait de la dignité une limite franchissable (B).
A – Une limite reconnue
Depuis plusieurs années, la dignité s'érige comme limite légale et jurisprudentielle à
respecter dans l'administration de soins. Sa consécration dans la déclaration universelle des
droits de l'homme avait d'ailleurs vocation à empêcher que ne réapparaissent des
expérimentations médicales similaires à celles réalisées par les nazis dans les camps de
concentration. Peut-être en réaction aux horreurs subies par les Juifs et les personnes atteintes
de troubles mentaux, peut-être par volonté de protéger les personnes rendues vulnérables par
leur maladie ou tout simplement désireux de satisfaire aux recommandations du Conseil de
l'Europe, le législateur de 1990 a affirmé que « en toutes circonstances, la dignité de la
personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée »280. Il a précisé que
« un protocole thérapeutique pratiqué en psychiatrie ne peut être mis en œuvre que dans le
strict respect des règles déontologiques et éthiques en vigueur »281. Parmi celles-ci figure le
principe de dignité282. La dignité humaine est également reconnue par le juge administratif. Il
l'a implicitement utilisée pour certifier que "les principes déontologiques fondamentaux
relatifs au respect de la personne humaine, qui s'imposent au médecin dans ses rapports avec
son patient ne cessent pas de s'appliquer avec la mort de celui-ci"283. L'article 3 de la loi du 4
280 Art. L. 3211-3 CSP alinéa 1er qui retranscrit l'article 10 de la recommandation n° R (83) 2 sur la protection juridique des personnes atteintes de troubles mentaux et placés comme patients involontaires adoptée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe du 22 février 1983 qui dispose que "Dans toutes circonstances, la dignité du patient doit être respectée et des mesures appropriées doivent être prises pour protéger sa santé". 281 Art. L. 3211-4. CSP. 282 Articles 2 et 38 du code de déontologie médicale adopté par le décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995. 283 CE, ass, 2 juill. 1993, M. Milhaud.
79
mars 2002 a rappelé que "La personne malade a droit au respect de sa dignité". Ce droit
s'insère dans le Code de la santé publique (art. L. 1110-2) juste après le droit fondamental à la
protection de la santé (art. L. 1110-1).
Dans un arrêt en date du 25 février 2007, la cour administrative d’appel de Marseille a
fait appel à la notion de dignité afin de limiter l'usage de la contrainte dans le soin ; une
utilisation à notre sens inédite du principe de dignité284. Revenons brièvement sur les faits. M.
X placé en chambre d'isolement, tombe lourdement, en reculant vers la porte, le dos et la tête
contre le chambranle de la porte. Cette chute, vraisemblablement volontaire, engendre son
décès. Sa mère assure qu'il « aurait dû faire l'objet d'une surveillance médicale rapprochée
compte tenu de son extrême fragilité » et soutient que l'hôpital a commis une faute en plaçant
son enfant en chambre d'isolement sans prendre de mesure pour l'entraver. Selon elle, « seule
une décision de contention aurait été de nature à empêcher toute nouvelle tentative de suicide
sans que l'on puisse opposer le respect de la dignité ». Les juges répondent qu'en plaçant un
malade suicidaire dans une chambre d'isolement sans prendre de mesure de contention,
l'hôpital n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité. Ils affirment qu'il n'y
a pas eu défaut de surveillance puis démontrent qu'aucune erreur médicale n'a été commise :
du fait de la nécessité de contenir l'agressivité de M. X, et du danger que représentait, pour
lui, la contention chimique285, la mise en chambre d'isolement était le traitement le plus
adapté. De plus, l'usage de la contention physique était risqué du fait de l'état de santé du
patient286. Placement et non-usage de la contention étaient donc médicalement justifiés.
L'arrêt ne s'en tient pas à ces arguments médicaux pour rejeter le recours à la contention : les
juges se placent aussi sur le terrain des droits fondamentaux des patients en invoquant le droit
au respect de leur dignité. Selon la Cour, « il était légitime de ne pas réaliser de contention
physique, eu égard à la forte corpulence du malade et à la nécessité d'une sédation
médicamenteuse ; qu'en tout état de cause, la contention physique des malades qui consiste à
les maintenir alités membres supérieurs et inférieurs attachés par des sangles n'est utilisée,
du fait de l'atteinte à la dignité du patient, qu'en dernier recours après que le personnel
soignant ait d'abord usé des pouvoirs de la parole, de la pharmacopée à doses suffisantes et
des chambres d'isolement ».
284 CAA Marseille, 25 janvier 2007, André X, n° 05MA01245, note de Karine MOREL "De l'opportunité du recours à la contention sur un malade psychiatrique suicidaire", Revue Droit et Santé, n° 18, juillet 2007, p. 568. 285 L'usage des psychotropes sédatifs aurait pu être préjudiciable à sa santé en raison de sa pathologie pulmonaire et de son obésité. 286 « eu égard à la forte corpulence du malade et à la nécessité d'une sédation médicamenteuse ».
80
Ainsi, le personnel soignant a eu raison de placer le malade sans l'entraver car, avant
d'administrer une mesure de contention, il devait tenter de calmer la personne par des
méthodes non (ou moins ?) attentatoires à sa dignité. L'utilisation du présent « n'est utilisée »
signifierait que la cour ne fait qu'avaliser une pratique existente. Selon nous, le juge ne fait
pas qu'un rappel : il pose des limites à l'utilisation de la contention au-delà desquelles il y a
abus de la part du personnel soignant, il crée une sorte de « guide » d'usage de la contention.
La dignité est donc une limite à l'usage de la contrainte dans le soin. Néanmoins, en admettant
que la contention physique soit utilisée "en dernier recours", le juge fait de la dignité un
obstacle franchissable.
B – Une limite franchissable ?
À notre connaissance c'est la première fois que le juge administratif énonce aussi
clairement que la contention physique, autrement dit, le fait de priver une personne de ses
mouvements en l'attachant à un lit, est une mesure attentatoire à la dignité. Cette qualification
ne va pas de soi. La contention physique ne remet pas en cause l'intégrité corporelle de la
personne au sens où il n'y a pas d'intrusion dans sa chair. Ainsi, elle ne porterait pas atteinte
au principe du respect de l'intégrité du corps humain qui découle du principe de dignité. Les
magistrats considèrent-ils qu'il y a atteinte à l'inviolabilité du corps humain par le seul fait que
celui-ci soit privé de sa mobilité ? L'on imagine plutôt que le juge y voit une atteinte à
l'intégrité psychologique du patient. Sans relever du traitement inhumain, la contention
physique semble être une forme d'humiliation, prohibée par le principe de dignité. La cour
crée une gradation entre les mesures de contrainte : la contention chimique est préférée à la
mise en chambre d'isolement (MCI) et cette dernière à la contention physique. Cette
classification est discutable : en Allemagne, la contention physique est considérée comme
moins attentatoire à la liberté du malade car elle ne l'empêche pas d'être en relation avec
d'autres personnes, contrairement à la chambre d'isolement. Et pourquoi la contrainte
physique serait-elle plus attentatoire à la dignité humaine que la contention pharmacologique
? L'arrêt nous semble néanmoins devoir être approuvé en ce qu'il s'inscrit dans un mouvement
qui vise à encadrer le recours à toute forme de contention c'est-à-dire à "la limitation, par
toute espèce de procédure, de l'autonomie de ses mouvements corporels"287. En effet, "cette
287 PALAZZOLO Jérôme, Chambre d'isolement et contentions en psychiatrie, 2002, p. 30 Selon l'auteur, "l'isolement est apparenté à la contention en ce qu'il est une restriction significative de la liberté d'une personne, imposée à lui par une autre".
81
méthode - explique M. Palazzolo - est souvent mal perçue par les différents individus qu'elle
implique, qu'ils aient à l'exercer, la subir ou l'observer" ; même si, selon cet auteur, "l'acte de
contention en milieu de soins ne constitue donc pas l'exercice d'une violence
institutionnalisée, mais bien une méthode thérapeutique à part entière qui suppose une
réflexion préalable, une éventuelle médication associée, l'existence et le respect d'un
protocole, ainsi qu'une transparence à tous les échelons et tous les niveaux de décision"288.
La communauté soignante est partagée sur le fait de savoir si le processus d'isolement est un
acte thérapeutique en soi et même l'ANAES s'interroge à ce sujet289. Thérapeutique ou non, la
contrainte est parfois nécessaire pour assurer la sécurité. Pragmatique, le juge administratif
admet qu'en dernier recours, la protection d'autrui ou du patient prévale sur son droit à la
dignité.
La cour administrative n'affirme pas qu'un usage précis de la contention physique
respecterait la dignité du patient : tout usage porte atteinte à la dignité, mais il est "légal" dans
la mesure où aucun autre traitement moins attentatoire à la dignité n'est suffisant pour faire
face à l'état du malade. En admettant le recours à une mesure attentatoire à la dignité, les
magistrats semblent remettre en cause le caractère absolu de ce principe et contrevenir à la
loi290. En réalité, si le principe de dignité humaine a une valeur absolue, sa portée est relative
car les droits et obligations qui en découlent "ne bénéficient pas du même caractère
absolu"291. Ainsi, les quatre "principes sentinelles" engendrés par la dignité ne sont pas des
"impératifs catégoriques", ils peuvent être limités par une conciliation avec d'autres droits et
obligations engendrés par des principes de valeur constitutionnelle292. Par exemple, l'impératif
de sécurité justifie que, dans le cadre d'une enquête criminelle, et au détriment du principe
d'inviolabilité du corps humain, un prélèvement d'office de cheveu ou de salive soit réalisé.
Autrement dit, si la dignité humaine est "indérogeable"293, au sens où personne ne peut la
perdre, l'on admet que "des principes dérivés soient mis en concurrence afin de réaliser
l'équilibre… propre à assurer le respect le plus adéquat du principe de dignité"294. Ainsi, la
288 Article précité p. 32. 289 "L'audit clinique appliqué à l'utilisation des chambres d'isolement en psychiatrie", juin 1998, p. 13. 290 Art. L. 3211-3 : "En toutes circonstances, la dignité de la personne hospitalisée doit être respectée". 291 Article précité note n° 267, p. 284. 292 GDCC, 14e édition, n° 43 p. 744. Les quatre principes sont : la primauté de la personne humaine ; le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ; l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain et l'intégrité de l'espèce humaine. 293 N. Lenoir, cité par MEYER-HEINE Anne, "La liberté de pensée, de conscience et de religion et la protection de la santé : deux aspects de la dignité de la personne protégés par le droit européen et parfois contradictoires", mélanges Christian BOLZE, p. 315. 294 B. Matthieu, cité dans l'article de Madame MEYER-HEINE, p. 315.
82
mise en œuvre d'un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte à la dignité et la nécessité du
traitement est assez "classique" et ne relativise pas le droit à la dignité. L'arrêt ne précisant pas
que l'intéressé était hospitalisé sans son consentement, on peut déduire que ce n'était pas le
cas. Néanmoins, l'introduction de la dignité dans le contrôle du juge administratif nous paraît
pouvoir (devoir ?) être étendue à l'usage de la contention en cas d'hospitalisation forcée.
Finalement, cet arrêt (dont l'impact ne doit pas être surestimé vu qu'il provient d'une
cour d'appel) fait du principe de dignité un outil supplémentaire à disposition du juge dans le
contrôle qu'il exerce sur le recours à la contrainte dans le soin. Pragmatique, le juge
administratif avait déjà admis que la contrainte soit parfois justifiée par le soin ou, plus
modestement, par l'impératif de sécurité qui pèse sur les établissements sanitaires. Nous allons
examiner plus précisément la jurisprudence administrative à ce sujet. Auparavant, nous
revenons sur l'obligation de soin, "la contrainte au soin", qui heurte de plein fouet le droit au
consentement du patient et son corollaire, le droit à l'information. Deux droits qui découlent
des principes d'intégrité et d'inviolabilité du corps humain, issus du principe de dignité.
Section 2 : La contrainte aux soins et la contrainte dans le
soin
Ce jeu de mots vise à mettre en relief les réalités hétérogènes que recouvre la
contrainte en psychiatrie. D'un côté, la contrainte se manifeste dans l'obligation de soins qui
accompagne l'hospitalisation sans consentement. Nous désignons cette obligation par
l'expression "contrainte aux soins". Dit encore autrement, il s'agit du "soin sous contrainte".
D'un autre côté, la contrainte peut être incluse dans la notion de soin ou l'accompagner en tant
que mesure de sécurité. C'est ce que nous signifions par l'expression "contrainte dans le soin".
Le terme "contrainte" désigne alors toutes les mesures qui restreignent la liberté de
mouvement de la personne hospitalisée : aussi bien l'interdiction de sortir du bâtiment dans
lequel elle séjourne que la contention physique telle que nous l'avons rencontrée (le fait d'être
attaché à un lit) en passant par la chambre d'isolement. Le juge administratif n'exerce aucun
contrôle sur le principe même de la contrainte aux soins (§ 1) ; par contre, une jurisprudence
abondante éclaire les conditions du recours à la contrainte dans le soin (§ 2).
83
§ 1 L'absence de contrôle du juge sur la contrainte aux
soins
Le juge administratif ne contrôle pas le principe même de l'administration de soins
sous contrainte car l'obligation de soins découle directement de la décision d'hospitalisation
forcée. Par conséquent, remettre en cause la contrainte aux soins revient à contester la
légitimité de la mesure ; légitimité que seul le juge judiciaire est compétent pour apprécier.
L'absence de contrôle du juge administratif sur le principe même de la contrainte aux soins
(A) n'est peut-être pas exclusive d'un exercice, au moins partiel, du droit à l'information du
patient, que le juge administratif est susceptible de faire respecter (B).
A – L'absence de contrôle sur le principe même de la contrainte
aux soins
L'hospitalisation forcée remet en cause deux consentements : le consentement à
l'hospitalisation elle-même (le fait d'être pris en charge dans une structure hospitalière) et le
consentement aux soins. La loi ne distingue pas "placement involontaire" et "traitement
involontaire" à l'inverse de la recommandation du Conseil de l'Europe du 24 septembre
2004295. Un arrêt du Conseil d'État du 3 mars 2003 confirme le lien irréductible entre
hospitalisation sans consentement et contrainte aux soins. Saisie d'une demande de suspension
des traitements ordonnés sous contrainte et des restrictions au droit de visite de la famille, la
haute juridiction administrative répond que “il n'appartient qu'au juge judiciaire, qui a
d'ailleurs été saisi par les intéressés, de connaître de la contestation soulevée par les
requérants, qui porte sur le bien-fondé du régime auquel est soumis M. Y, au regard de son
état mental, à la suite de son hospitalisation d'office"296. Cela ne signifie pas que juge
administratif se désiste, au profit du juge judiciaire, de tout contrôle sur le traitement
295 Rec(2004) 10 relative à la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux qui s'inspire du Livre blanc issu des réflexions du groupe de travail sur la psychiatrie et les droits de l'homme mis en place en 1994. 296 CE, 3 mars 2003, Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines, n° 254625. Dans le même sens, CAA Versailles, 7 juillet 2005, n° 03VE1344, M. André Bitton. La situation est qualifiée de voie de fait. Le juge judiciaire est seul compétent pour réparer le préjudice "résultant de la privation de liberté du fait du maintien contre son gré" du requérant à l'hôpital et les "dommages qui résulteraient du traitement qui lui a été administré durant son hospitalisation".
84
administré, mais que seul le juge judiciaire est compétent pour se prononcer sur le principe
même de l'obligation aux soins qui accompagne automatiquement l'hospitalisation forcée.
Autrement dit, remettre en cause la contrainte aux soins revient à contester le bien-fondé de la
mesure ce qui ne peut être fait que devant le juge de l'ordre judiciaire. Cela n'empêche pas le
juge administratif de censurer indirectement le non-respect d'une des conditions de fond de la
mesure d'HDT qui consiste en l'impossibilité de consentir aux soins297.
Le fait que la loi associe implicitement l'obligation de soins à toute hospitalisation sans
consentement pourrait être critiqué comme remettant en cause de manière trop systématique
le droit au consentement du patient consacré par l'article L.1111-4 CSP298. Il est pourtant
"souhaitable" que l'hospitalisation forcée éclipse l'exercice de ce droit, aussi fondamental soit-
il299. Car si les personnes hospitalisées contre leur gré pouvaient refuser d'être soignées, cela
tendrait à assimiler l'hôpital à un lieu de rétention300. C'est pourquoi le juge européen estime
que "la finalité thérapeutique s'oppose à ce que le traitement médical, à lui seul, recouvre
l'une des qualifications de l'article 3" de la Conv. EDH qui prohibe tout traitement inhumain
ou dégradant·. De son côté, l'hospitalisation psychiatrique dite "libre" préserve le droit au
consentement même si, en pratique, son exercice pose de nombreux problèmes. En effet, si
pour le juriste et selon la loi, il y a ou il n'y a pas consentement, pour les psychiatres, le
consentement des personnes souffrant de troubles mentaux recouvre des réalités très diverses
qui lui confèrent une valeur relative. "L'expérience nous a appris, affirme Jean-Jacques Kress,
que le consentement de la relation médicale s'étend tout au long d'un spectre d'attitudes :
depuis la contrainte, en passant par l'assujettissement, la soumission, l'influence, la
dépendance, la complaisance, l'assentiment, l'autorisation ou la permission, l'approbation ou
l'accord et enfin l'engagement… Que d'attitudes variées !"301.
297 TA Marseille, 11 janvier 2007, req. n° 0600411, 0600409, 0600410, Mme Sauze : annulation de l'arrêté de reconduction d'une HDT pris sur le certificat de quinzaine car ce dernier ne mentionne pas que l'état de la patiente rendait son consentement aux soins impossible. 298 "Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix… Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment…". 299 D'abord obligation éthique à la charge du médecin (serment d'Hippocrate), le consentement préalable à tout soin a été proclamé comme droit du patient par la jurisprudence en 1936, inscrit dans le code de déontologie (article 36) puis mis en frontispice du Code de la santé publique par le législateur en 1999. 300 CORDIER J-C, POUYOLLON F., "Soins sans consentement", L'information psychiatrique, n° 7, 2001, p. 703. 301 Cité par HORASSIUS M. et N., "Droits des malades : information, consentement… dignité", L'information psychiatrique, n° 7, sept. 2001, p. 677 et 678.
85
Le placement psychiatrique n'est pas l'unique hypothèse d'injonction thérapeutique.
Les toxicomanes et les délinquants sexuels peuvent se voir imposer des soins302. De plus, le
respect de la volonté du malade est à plusieurs égards une "obligation limitée"303. Ainsi, le
juge administratif a accepté que le médecin passe outre le refus de la personne afin de mettre
en œuvre un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état304. Il reste que le fait
d'imposer des soins, même dans le cadre de l'hospitalisation sans consentement qui suppose
cette obligation, porte atteinte de manière grave aux principes d'inviolabilité et d'intégrité du
corps humain. C'est pourquoi on peut se demander si l'absence de contrôle du juge
administratif sur le principe même de la contrainte aux soins pourrait être "contrebalancée" ou
"atténuée", par le contrôle du respect du droit à l'information.
B – L'éventuel contrôle du juge administratif sur le respect du
droit à l'information sur les soins imposés
Nous avons déjà expliqué que la personne devait être informée des raisons ayant
présidé à son hospitalisation et nous verrons qu'elle doit être informée de son statut juridique
et de ses droits. Plus délicat est le dévoilement de son état de santé et des soins qu'elle reçoit.
L'absence d'exercice du droit au consentement aux soins exclut-elle forcément l'exercice de
son corollaire, le droit à l'information ? Nous ne le pensons pas. Même si l'information est
normalement délivrée afin de permettre la formation d'une volonté libre et éclairée, préalable
à tout consentement, les juristes comme les soignants s'accordent à penser que la personne
hospitalisée sans son consentement doit recevoir une information adaptée à ses facultés de
discernement notamment afin que s'établisse une relation de confiance avec l'équipe
soignante, propice à l'amélioration de son état de santé. "Les droits du malade - écrit Thierry
Fossier - une fois qu'est prise la décision de soigner, reposent presque entièrement sur l'idée
d'information". Malgré les "limites particulières, qui valent face à un malade mental", l'auteur
302 Leur droit de refuser est relativisé par les conséquences d'une acceptation : l'article. L. 3423-1 et suiv. CSP prévoit que "l'action publique n'est pas exercée à l'égard des personnes qui se conforment au traitement médical qui leur est prescrit et le suivent jusqu'à son terme". 303 ROMAN Diane, "Le respect de la volonté du malade : une obligation limitée ?", RDSS, mai-juin 2005, n° 3, p. 423. 304 CE, sect. 26 oct. 2001, Sénanayaké, RFDA 2002. 146, concl. D. Chavaux et CE, ord. 16 août 2002, JCP 2002. II. 10184, note P. mistrettal. Le juge avait déjà admis que le médecin puisse passer outre le refus en cas de danger immédiat pour la vie ou la santé du patient.CE, sect., 27 janv. 1982, Benhamou, D. 1982. IR. 276, obs. J. Penneau.
86
souligne qu'il "ne faudrait pas déduire qu'il existe en psychiatrie une sorte de présomption
d'impossibilité de consentir, qui dispenserait le psychiatre de tout effort informatif"305. Le
problème consiste à déterminer ce que doit recouvrir l'information. De nombreux praticiens
sont réticents à ce que le champ matériel du droit à l'information soit identique à celui prévu
pour les affections autres que psychiatriques. En principe, le patient doit recevoir une
information "claire, loyale et appropriée" sur les risques graves, y compris exceptionnels,
aussi bien concomitants que postérieurs au traitement, sauf s'il veut être tenu dans l'ignorance.
Le malade a, de plus, la faculté de consulter directement son dossier médical. Certains
psychiatres critiquent vivement cette possibilité pour le patient soigné en psychiatrie à l'instar
de Madame Pascal qui regrette : "Cet accès direct, sans l'intermédiaire transitionnel du
médecin choisi pour guide dans ce passage difficile de la question à la réponse, contredit
toutes les dispositions prises pour l'accompagnement des patients dans l'information sur leur
maladie". Elle poursuit : "Vouloir tout savoir de soi malade et savoir si peu de soi expose au
risque d'être débordé et conduit à appréhender ce qu'en fait on ne voulait pas (ne devrait pas
?) connaître"306.
Ainsi, entre secret et recherche d'une transparence absolue, ouvrir une troisième voie
est souhaitable. Le législateur pourrait s'inspirer de l'exercice du droit à l'information par le
majeur protégé. Cela supposerait que chaque personne hospitalisée contre son gré puisse
désigner une personne qui jouerait le rôle du tuteur. Quoi qu'il en soit, il faut souligner que le
juge administratif ne sanctionne le défaut d'information que lorsqu'il a entraîné la perte de
chance de se soustraire à un traitement à l'origine d'un préjudice ou lorsqu'il a contribué à
l'apparition d'une autre pathologie307. L'existence d'une alternative qui aurait permis d'éviter
les effets néfastes n'est pas aisée à démontrer. Le contrôle du juge administratif sur le respect
du droit à l'information, même pleinement reconnu en faveur de la personne hospitalisée sans
consentement, n'aurait peut-être pas les effets escomptés.
305 FOSSIER Thierry, "La relation entre psychiatre et malade : aspects juridiques", L'information psychiatrique, n° 7, sept. 2001, p. 684. 306 PASCAL J.-Ch, "Si peu savoir de soi mais vouloir tout savoir de soi malade", L'information psychiatrique, n° 7, sept. 2001, p. 690. 307 CAA Nantes, 9 mars 2000, req. n° 95NT00896 et n° 98NT00395. Dans le cadre d’une hospitalisation consentie la cour affirme que "les dysfonctionnements fautifs de la relation entre l'hôpital et le patient révèlent le défaut prolongé de soins psychiatriques et l'absence d'information sur les conditions d'opérations subies ont très largement contribué à l'apparition chez M. X… d'une pathologie psychiatrique et ont entraîné un renforcement de celle-ci en névrose sévère à caractère invalidant, à la limite de la désorganisation psychotique ; que nonobstant l'amélioration de son état strictement physique, le requérant souffre ainsi d'une incapacité permanente partielle imputable pour l'essentiel aux fautes du centre hospitalier".
87
In fine, dans le cadre spécifique de l’hospitalisation forcée, le juge administratif ne
peut qu’admettre la dérogation au droit au consentement. À l’heure d’aujourd’hui, son
contrôle sur le droit à l'information ne s’avère pas très efficace. Toutefois, l'absence de
contrôle sur le principe même de l’obligation aux soins n'interdit pas aux magistrats de l'ordre
administratif d'exercer un certain contrôle sur le "contenu" du traitement. Le fait que la
contrainte soit parfois perçue comme un soin et l'importance du contentieux relatif à la
surveillance nous incitent à centrer notre étude du contrôle juridictionnel concernant le
traitement médical sur l'intervention du juge relativement aux mesures contraignantes308.
§ 2 Le contrôle juridictionnel sur le recours à la
contrainte dans le soin
La majorité de la jurisprudence concernant l'hospitalisation elle-même porte sur
l'éventuel engagement de la responsabilité de l'hôpital en cas de non-respect de son obligation
de surveillance envers les personnes accueillies. Cette obligation, incluse dans celle plus
générale d'assurer la sécurité tant des soignants que des soignés, implique, dans des
proportions variables, le recours à la contrainte. Le juge admet le principe du recours à la
contrainte "diffuse", avec la limitation de la liberté de circulation à l'intérieur des unités de
soins (A) ou "marquée", avec la contention physique et la chambre d'isolement (B) mais
s'appuyant sur la loi, il encadre les conditions de son utilisation.
A – Le contrôle sur la liberté de circulation à l'hôpital
Dans le milieu des années soixante-dix, la plupart des hôpitaux psychiatriques se sont
inscrits dans une dynamique d'ouverture des portes de leurs services. Néanmoins, dans
l'imaginaire populaire et donc aussi pour les soignants, l'équation hôpital psychiatrique/
enfermement persiste. Pourtant, Anne-Marie Leyreloup et Emmanuel Digonnet soulignent
que la loi de 1990 ne lie pas directement hospitalisation psychiatrique et service fermé ni
308 Pour des précisions sur cette compétence, voir infra p. 95.
88
même hospitalisation forcée et fermeture du service309. Le seul texte qui aborde la question de
la liberté de circulation à l'intérieur de l'hôpital psychiatrique est la circulaire Veil qui réalise
une distinction importante entre les personnes hospitalisées librement et celles admises sans
leur consentement310. Les premières bénéficient de l'ensemble des droits reconnus aux
malades hospitalisés pour des affections autres que psychiatriques, parmi lesquels figure celui
d'aller et venir librement à l'intérieur de l'établissement où ils sont soignés311. La circulaire
ministérielle conclut que "cette liberté fondamentale ne peut donc pas être remise en cause" à
leur égard tout en précisant que "les règlements intérieurs peuvent prévoir des modalités
particulières de fonctionnement d'un service, mais ces modalités, dont le malade doit être
informé, ne sauraient remettre en cause ce principe". Elle admet qu'en cas d'urgence, il soit
possible d'isoler un malade "pendant quelques heures", "pour des raisons tenant à sa
sécurité", "en attendant, soit la résolution de la situation d'urgence, soit la transformation de
son régime d'hospitalisation en un régime d'hospitalisation sous contrainte". Ce régime
permet que la liberté de circulation du patient soit limitée. Et encore, cette limitation doit être
encadrée conformément à l'article L. 3211-3 CSP qui dispose que "Lorsqu'une personne
atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement …, les restrictions à
l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de
santé et la mise en œuvre de son traitement". La direction de la santé en déduit que "si le
placement d'un patient au sein d'une unité fermée peut se révéler indispensable dans certaines
circonstances, ces circonstances doivent être exactement appréciées et la durée du placement
limitée à ce qui est médicalement justifié". La circulaire poursuit en affirmant que
l'hébergement d'un malade dans une unité fermée doit répondre à "une indication posée par
un médecin et non pas relever d'une simple commodité de service" et "il doit pouvoir être
remis en cause à tout moment en fonction de l'évolution de l'état de santé du patient". La
référence à la nécessité médicale explique que nous abordions le problème de la restriction de
la liberté de circulation dans un développement consacré au contrôle juridictionnel sur le
traitement prodigué à la personne hospitalisée contre son gré.
309 LEYRELOUP Anne-Marie et DIGONNET Emmanuel, "La liberté de circulation : portes ouvertes, portes fermées ?", conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir tenue en 2005, intervention disponible sur www. serpsy.org. 310 Circulaire DGS/SP 3 n° 48 du 19 juillet 1993 portant sur le rappel des principes relatifs à l'accueil et aux modalités de séjours des malades hospitalisés pour troubles mentaux. 311 Art. L. 3211-2 CSP : "Une personne hospitalisée avec son consentement pour des troubles mentaux est dite en hospitalisation libre. Elle dispose des mêmes droits liés à l'exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour une autre cause".
89
Force est de constater que les hôpitaux psychiatriques rencontrent des difficultés pour
concilier le respect de ce "principe de liberté" avec l'obligation de surveillance qui pèse sur
eux, comme sur tout établissement de soins, envers les personnes qu'ils accueillent. En effet,
les juridictions administratives peuvent qualifier le fait d'avoir laisser un patient circuler
librement dans l'hôpital de défaut de surveillance, lorsque cette liberté a permis la survenue de
dommages soit envers des tiers (notamment si cette liberté a permis une fugue), soit envers le
patient lui-même s'il a "concrétisé" ses intentions suicidaires. La responsabilité des
établissements est susceptible d'être mise en jeu même dans le cadre d'une hospitalisation
psychiatrique "libre"312. La fermeture de l'ensemble des services serait-elle la seule manière
d'éviter l'engagement de responsabilité ? Non, si l'on en croit le Conseil d'État qui a reconnu
la spécificité de la psychiatrie en déclarant qu'il ne "saurait être reproché aux médecins de
l'hôpital psychiatrique d'avoir laissé l'intéressé bénéficier d'une certaine liberté à l'intérieur
de l'établissement"313. Quoi qu'il en soit, une personne hospitalisée sous contrainte ne doit
jamais quitter l'établissement sans autorisation médicale et une décision administrative en cas
d'HO. De plus, l'une des conditions légales de l'HDT est la nécessité de bénéficier "des soins
immédiats assortis d'une surveillance constante"314. Ce terme ne doit cependant pas être
entendu comme exigeant une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre de la personne
mais, selon le juge judiciaire, qu'une équipe soignante engagée dans un projet thérapeutique
est à tout moment susceptible d'intervenir en cas de besoin315.
En réalité, l'engagement de la responsabilité pour défaut de surveillance est
conditionné par l'existence d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service qui
consiste, en général, à ne pas avoir exercé de "surveillance particulière" alors que le risque de
violence auto ou hétéronome était connu ou "décelable"316. C'est ce que démontrent plusieurs
arrêts qui portent sur des personnes hospitalisées librement dans des hôpitaux généraux317.
312 TA Rennes, 12 oct. 2006, n° 03528, Mme Tardiff ; CAA Nantes, 29 avril 1992, Hôpital psychiatrique du Bon Sauveur, n° 90NT00595. 313 CE, 12 mai 1972, Dame veuve Immoula, n° 80283. 314 Art. L. 3212-1 CSP. 315 Cass., 1er chb civile, 13 oct. 1999, n° 97-16216. 316 Ces critères sont semblables à ceux utilisés pour l'engagement de la responsabilité de l'État du fait du suicide d'un détenu. CE, 9 juillet 2007, M. D., n° 281205, AJDA 2007, p. 2094, note Hervé Arbousset. 317 CAA Bordeaux, 8 mars 1999, n° 96BX00957, Consorts Jonata : le juge retient la faute du centre hospitalier général de Guéret qui n'avait pas mis en place une surveillance renforcée alors que “il connaissait, de par les indications fournies par le médecin traitant, les antécédents d'épilepsie et de confusion mentale" du malade "qui avait manifesté dans l'après-midi de sa disparition des signes inquiétants d'agitation et un désir répété de quitter l'établissement de soins" et qui avait été laissé libre de circuler dans les couloirs alors que le calmant qu'il venait de recevoir n'avait pas encore produit ses effets. CAA Marseille, 21 déc. 2006, req. n° 05MA00975. La cour refuse d'engager la responsabilité d'un hôpital général qui, ne connaissant pas les antécédents psychiatriques
90
Pourtant, les magistrats engagent la responsabilité d'un centre spécialisé en psychiatrie
qui n'avait pas exercé une telle surveillance, ''alors même que le patient aurait reçu les soins
médicaux rendus nécessaires par son état et que le service hospitalier n'aurait pas eu
connaissance des tentatives de suicide du patient"318. Cette apparente "exception" n'en est pas
une : la cour relève que le médecin avait mentionné que toute sortie était interdite et que
l'intéressé était dans un état mental qui aurait justifié son placement d'office. Au moins dans le
cadre des hospitalisations libres, c'est donc le régime de faute prouvée qui prévaut319.
Christiane Ott estime qu'il existe une présomption de faute de l'établissement lorsque
la personne qui s'est enfuie ou a mis fin à ses jours, était hospitalisée sous un régime
d'hospitalisation sans consentement320. Deux arrêts engageant la responsabilité d'hôpitaux qui
hébergeaient des personnes hospitalisées d'office suggèrent que le juge administratif ne
présume pas de faute puisqu'il prend soin de relever le caractère prévisible du comportement
du malade c'est-à-dire la connaissance d'un risque suicidaire ou de violence 321. Pour conclure,
le juge administratif semble maintenir une simple obligation de moyen concernant la sécurité
du malade ainsi que le soutient Louis Dubouis322.
Selon l'article L. 3211-4 du CSP conforté par l'article 8 de la Recommandation n° R
(2004) 10 du Conseil de l'Europe qui définit également un "principe de restriction
d'une patiente, n'était pas tenu d'exercer une surveillance particulière. CAA Bordeaux, 29 mai 1995, req. n° 93BX00824 : "le médecin qui a examiné M. X… lors de son arrivée a été informé par les agents du SAMU qui avaient pris en charge le patient de sa tentative de suicide à l'origine de ces blessures et de son état… M. X… n'a fait l'objet d'aucun examen psychiatrique ; qu'il a été placé dans une chambre du rez-de-chaussée du service de neurochirurgie sans bénéficier d'une surveillance renforcée ; que ces faits constituent une faute dans l'organisation du service hospitalier de nature à entraîner l'entière responsabilité du Centre hospitalier régional de Montpellier" pour la défenestration du patient. 318 CAA Paris, 11 juillet 1997, n° 96PA00943 et n° 96PA01213, M. Bourguignon. 319 Si l'on considère que la surveillance est (au moins en psychiatrie) un acte de soin comme le conçoit Mme Ott, alors ce régime est conforme à l'article L. 1142-1 CSP qui prévoit que les établissements de santé « ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ». 320 Christiane OTT "Hospitalisation sous contrainte, un difficile équilibre entre sécurité et libertés", Droit, déontologie et soin, juillet 2007, vol. 7, n° 2, p. 233 - 234. 321 CAA Paris, 8 juin 2005, req. n° 01PA02522 : "les circonstances du suicide révèlent un mauvais fonctionnement du service constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement". M. X avait été laissé libre de se déplacer dans l'étage sans être soumis à une surveillance particulière alors qu'il avait évoqué le désir de mettre fin à ses jours quatre jours auparavant. CE, 20 janvier 1989, req. n° 6797867979 : responsabilité de l'hôpital car le malade, connu pour ses tendances pyrommaniaques, soumis à l'interdiction de sortir de l'enceinte de l'établissement, a pu quitter l'établissement et provoquer un incendie. 322 DUBOUIS Louis, "Le principe de précaution appliqué aux services de psychiatrie publique : vers une obligation générale de sécurité ?", Revue psy-cause n° 31-32.
91
minimale"323, la contention physique et la chambre d'isolement devraient, comme les
restrictions apportées à la liberté de circulation, rester exceptionnelles ou du moins être
soumises à un critère de nécessité strictement défini, et ce, même dans le cadre des
hospitalisations sans consentement. Ainsi, la chambre d'isolement ne devrait pas être utilisée
pour faire face au risque de fuite. Pourtant, M. Maviel soutient qu'un trop grand nombre
"d'évasions" conduit parfois le préfet à rappeler à l'ordre l'hôpital qui réagira éventuellement
en plaçant systématiquement en chambre d'isolement les entrants sous HO qui contestent la
mesure324. Le juge est amené à contrôler les conditions d'utilisation de cette technique de
contrainte comme de la contention physique.
B – Le contrôle sur l'usage de la contention physique et de la
chambre d'isolement
Nous avons déjà abordé la problématique du recours à la contention physique et à la
chambre d'isolement au travers de l'arrêt André X. sous l'angle du droit de toute personne au
respect de sa dignité. Nous voudrions mettre en perspective cet arrêt avec d'autres solutions
relatives à la contrainte en insistant sur celle dégagées dans le cadre de l'hospitalisation sans
consentement, afin de montrer que, si le juge administratif sanctionne les établissements
lorsqu'ils n'ont pas mis en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des tiers et
des malades, il n'avalise pas pour autant un usage "débridé" des mesures contraignantes.
Le juge admet que la chambre d'isolement et la contention physique soit utilisée pour
neutraliser la violence d'un patient dirigée vers les tiers ou, plus fréquemment si on se fie à
l'importance du contentieux relatif aux suicides, vers lui-même. Cette faculté est reconnue aux
établissements non spécialisés en psychiatrie en vertu de leur obligation de surveillance.
Ainsi, un hôpital général est sanctionné pour le suicide d'une patiente agitée qui avait été
laissée "sans aucune précaution dans une salle située au troisième étage et dont la fenêtre
était dépourvue de dispositif de sécurité" et sans traitement sédatif325. L'établissement
d'accueil est tenu d'une obligation de surveillance renforcée du fait des "signes d'agitation ou
323 "les personne atteintes de troubles mentaux devraient avoir le droit d'être soignées dans l'environnement disponible le moins restrictif possible et de bénéficier du traitement disponible le moins restrictif possible ou en impliquant la moindre intrusion, tout en tenant compte des exigences liées à leur santé et à la sécurité d'autrui". 324 MAVIEL Jean, "Risques éthiques en psychiatrie publique contemporaine", Revue psy-cause n° 31-32, disponible sur le site Internet www.psy-cause.fr.st.
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de déséquilibre" d'un malade comme l'a rappelé la cour administrative d’appel de Lyon en
engageant la responsabilité d'un hôpital pour la défenestration d'un patient, alors même que ce
dernier avait été sanglé dans son lit. La cour affirma que l'hôpital aurait du prescrire "des
mesures de surveillance particulières", "même si le malade n'avait pas exprimé d'idées de
suicide", du seul fait de son état d'agitation. La contention physique n'était pas suffisante aux
yeux de la cour : le malade aurait dû faire l'objet d'une "contention
pharmaceutique"326. Connaissance des tendances suicidaires ou/et état d'excitation sont aussi
les deux circonstances principales qui autorisent le recours à la contrainte dans les
établissements psychiatriques.
L'attitude du juge face à l'usage de la contrainte peut varier autour de quatre types de
positions, valables dans le cadre d'une hospitalisation qu'elle soit ou non réalisée avec l'accord
de l'intéressé. Premièrement, il peut considérer que l'absence de mesure de contention ou de
placement en chambre d'isolement constitue une faute dans l'organisation ou le
fonctionnement du service. Ainsi, un arrêt relatif à un patient admis en HDT, à rebours des
conclusions expertales, affirme le caractère adapté de la thérapeutique psychotrope
administrée et sous-entend que le patient aurait dû être placé dans une chambre d'isolement327.
Deuxièmement, il peut, au contraire, considérer que l'absence de mesure ne peut être
reprochée notamment si le risque suicidaire n'était pas connu (n'apparaissant pas dans le
dossier médical du patient) et si le patient n'était pas accueilli dans un service qui laissait
supposer l'existence de ce trouble328. Cette solution n'est évidemment pas transposable telle
325 CAA Nancy, 2 août 2007, req. n° 06NC00989, Mlle Y. 326 CAA Lyon, 22 juin 1999, req. n° 97LY20753 : "si M. Thierry Silvestre avait été, compte tenu de l'agitation dans laquelle il se trouvait, sanglé dans son lit, lequel avait d'ailleurs été muni de barrières, ces mesures, compte tenu de l'état d'agitation extrême dans lequel il se trouvait, au point que l'aide-soignante du service avait constaté vers 19h00 qu'il "faisait des bonds dans son lit", ne peuvent être regardées comme suffisantes au regard de la mission de surveillance qui incombait à l'établissement, l'intéressé ayant été laissé plusieurs dizaines de minutes seul dans sa chambre sans même que lui ait été prodigué un produit calmant". 327 CAA Douai, 17 mai 2005, req. n° 04DA00820 : "le fait que M. B…, après moins d'un jour d'observation, ait été placé dans une chambre simple, porte fermée, sans surveillance particulière, constitue une faute dans l'organisation du service, en relation directe avec son décès consécutif à sa pendaison aux rideaux de la fenêtre de sa chambre". 328 CAA Nantes, 18 octobre 2001, req. n° 98NC00211. La cour souligne "outre l'intervention régulière du personnel nécessitée par le traitement de son diabète, M. X faisait l'objet depuis la veille d'une surveillance particulière due à son état d'agitation, qui n'était toutefois pas d'une intensité telle qu'il nécessitait la contention de l'intéressé" et elle conclut "eu égard à la vocation du service dans lequel il séjournait, approprié aux soins nécessités par l'état ayant motivé son hospitalisation, ni la présence ni la longueur du cordon placé en tête du lit ne sont constitutives d'un défaut d'organisation du service public hospitalier". Dans le même sens, CAA Douai, 21 décembre 2000, req. n° 97DA12505. La cour prend en compte le calme que manifestait l'intéressé ce jour-là et les "moyens dont disposait le centre hospitalier de Rouen" qui avait envisagé un transfert vers un CHS pour conclure que "ni l'absence de mesures de contention à l'égard de l'intéressé, ni la brève absence de l'agent
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quelle à l'hospitalisation sous contrainte qui découle de l'existence de troubles mentaux en
particulier de tendances suicidaires. Néanmoins, même dans le cadre d'une hospitalisation
pour des troubles psychiatriques, l'absence de recours à la chambre d'isolement n'est pas
systématiquement sanctionnée par le juge329, ni l'absence de contention comme nous l'a appris
l'arrêt André X330.
Cet arrêt, en reconnaissant la nécessité du placement en chambre d'isolement, illustre
en même temps la troisième posture que le juge est susceptible d'adopter, celle qui consiste à
valider l'usage d'une mesure de contrainte comme étant adaptée à l'état du patient. Le juge
considère alors que l'obligation de surveillance a été respectée par le recours à la contrainte
mais également par les soins qui l'ont accompagnée331.
Quatrièmement, le juge peut sanctionner un abus dans le recours à la contrainte par
exemple un maintien excessif en chambre d'isolement332. Nous relevons qu'en l'espèce, le
caractère excessif du maintien en "chambre de soins intensifs" n'est pas en lui-même à
l'origine de l'engagement de la responsabilité de l'établissement mais qu'il apparaît comme
une faute subsidiaire à la faute principale (de nature à engager cette responsabilité) qui
consistait dans l'injection d'un neuroleptique alors même que le praticien, constatant que le
malade était "figé et tremblant" avait, "pour pallier le risque d'apparition de syndrome malin
des neuroleptiques", prescrit l'arrêt des psychotropes. Cet arrêt illustre l'obligation pour tout
médecin de ne prescrire que les soins strictement nécessaires au traitement comme le prévoit
hospitalier, ni enfin les conditions d'aménagement du service ne sauraient être regardées comme constitutives d'une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitaliser universitaire". 329 CAA Douai, 13 mars 2001, req. n° 98DA12622 : "au contraire, la configuration en chambre d'isolement avait été considérée comme inadaptée à son état ; que dans ces conditions et eu égard aux méthodes thérapeutiques mises en œuvre vis-à-vis des malades accueillis en service libre, nonobstant la circonstance que MmeX…, aurait été laissée seule une heure et demie, il ne peut être reproché au service hospitalier ni une insuffisante surveillance de la part des infirmières de garde, ni d'avoir laissé la fenêtre de la chambre munie de la clenche à laquelle Mme X… s'est pendue ; que dès lors qu'il n'est pas établi que le suicide de Mme X… serait imputable à une négligence ou une carence du centre hospitalier". 330 CAA Marseille, 25 janvier 2007, André X, req. n° 05MA01245. 331 CAA Paris, 23 mai 2000, req. n° 97PA03276. Concernant un homme hospitalisé à la demande de son épouse, la cour estime qu'il "présentait un état d'agitation qui nécessitait son placement en chambre d'isolement ; qu'il n'est pas établi ni même allégué par M. X… qu'il n'ait pas fait l'objet de soins appropriés à son état et que, notamment, il n'ait pas été régulièrement visité par le personnel infirmier et médical". 332 CAA Nantes, 28 juin 2004, Centre hospitalier spécialisé de Pontorson, req. n° 01NT01862 : "que, dans ces conditions, l'injection d'un neuroleptique très puissant, le 5 avril 1995, doit être regardée comme une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier et directement à l'origine du syndrome apparu chez M. X dont les conséquences ont été aggravées par le défaut de surveillance étroite que justifiait son état au cours de son maintien, pour une durée excessive, en chambre d'isolement ; qu'ainsi, le centre hospitalier spécialisé de
94
l'article 8 du code de déontologie médical ; soins qui doivent en outre être "dévoués et fondés
sur les données acquises de la science" (art. 32 du code de déontologie). En l'espèce, la "non-
prescription" décidée par le praticien n'a pas été respectée. Il montre aussi que la chambre
d'isolement est susceptible d'être utilisée de manière excessive soit dans sa durée, soit dans sa
fréquence, contrevenant au cadre légal posé à liberté thérapeutique dans le domaine
psychiatrique par la loi du 27 juin 1990 qui prévoit que "Un protocole thérapeutique pratiqué
en psychiatrie ne peut être mis en œuvre que dans le strict respect des règles déontologiques
et éthiques en vigueur"333 au nombre desquels figure le caractère nécessaire du soin
envisagé334. Cette interprétation de l'arrêt postule que la mise en chambre d'isolement (MCI)
constitue un soin, ce qui n'est pas prouvé335. Cependant, même considérée comme une mesure
de sécurité, la chambre d'isolement doit être utilisée conformément à l'article L. 3211-3 CSP
(précité p. 83).
Pour conclure, c'est une jurisprudence tout en nuance qui se dessine autour de la
contrainte dans le soin : articulée autour d'un contrôle de proportionnalité entre l'atteinte à la
liberté individuelle et le risque encouru, elle se base forcément sur une étude minutieuse des
circonstances de l'espèce. Reste que, devant les juridictions administratives, c'est le plus
souvent le non-usage de la contrainte qui est reproché à l'établissement, plutôt qu'un usage
excessif. Ainsi, le contrôle de la mise en œuvre de mesures contraignantes est pour une large
part, réalisé par les soignants eux-mêmes qui se basent notamment sur les protocoles réalisés
dans le cadre des démarches de qualité et sur le renouvellement continuel de la réflexion
quant à l'aspect thérapeutique ou non de l'isolement.
Nous le voyons, la possibilité offerte par la loi de défendre la personne contre elle-
même pose de multiples questions auxquelles le juge administratif répond occasionnellement.
Si ponctuelle soit-elle, son intervention participe à la définition de "bonnes pratiques"
hospitalières. L'arrêt André X. est à cet égard exemplaire : il encadre la liberté thérapeutique
Pontorson n'est pas fondé à soutenir que M. X a seulement été privé d'une chance d'éviter les complications associées au syndrome dont il a été victime". 333 Art. L. 3211-4 du CSP. 334 HENNION-JACQUET Patricia, "Le paradigme de la nécessité médicale", RDSS nov-déc. 2007, n° 6, p. 1038. 335 ANAES, "L'audit clinique appliquée à l'utilisation des chambres d'isolement en psychiatrie", juin 1998, p. 9 : "l'efficacité et l'efficience n'ont pu être incluses dans la définition de la qualité en raison du manque d'études portant sur l'évaluation du résultat et de son coût. De ce fait, et parce que des interrogations subsistent quant à la légitimité de cette pratique, une politique de diminution continue de l'isolement doit être conduite afin de réduire au minimum les isolements inappropriés".
95
puisque les soignants sont invités à évaluer la nécessité de la contention à l'aune du droit au
respect de la dignité. Le juge peut donc poser des limites à la protection de la personne contre
elle-même. Encore faut-il qu'il soit saisi en ce sens. La rareté des recours formés sur le
fondement de l'article 3 Conv. EDH n'est pas forcément le signe du caractère irréprochable de
la prise en charge médicale, c'est peut-être davantage la preuve de la "difficulté de cette
personne qu'est l'interné à pouvoir se faire entendre de la justice des hommes"336.
Cette difficulté peut se lire comme une expression de l'enfermement qui s'ajoute à la
fermeture des portes et qui résulte de la restriction des libertés de la personne "internée". Le
juge administratif dispose de quelques moyens pour la protéger d'excessives restrictions qui
l'empêcheraient de faire valoir ses droits ou tout simplement d'exprimer son individualité.
336 La seule requête que nous ayons rencontré portant sur des traitements psychiatriques abusifs, des privations de soins et de nourriture fut rejetée car l'intéressé n'apportait aucune preuve à ses allégations. TA Marseille, 11 mars 2004, req. n° 00MA001631.
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Chapitre 2 : La protection de la personne contre
l'enfermement
"Mais qui sont les jardiniers de la folie ? C'est vous, c'est moi. Ce sont tous ceux, familles, psychiatres,
soignants qui, à leur corps défendant, contribuent à pérenniser la folie"337.
Sans participer à la caricature antipsychiatrique selon laquelle "l'hôpital rend fou",
nous adhérons à la vision développée par Robert Castel qui décrit l'enfermement dans un
hôpital psychiatrique comme une double coupure : "La première se définit par le monde
extérieur. L'isolement écologique et humain de l'hôpital le constitue en microcosme social au
sein duquel l'existence est vécue en négatif par rapport à la vie normale, dans une durée de
vide encadrée par la rupture de l'avant, de l'après, de l'admission et de la sortie". La seconde,
est celle qui caractérise la relation "entre les soignants et les soignés qui reprendrait le pôle
dedans/ dehors, avec le personnel qui porterait les normes et pouvoirs de la vie normale et
surtout de l'existence libre… alors que le malade serait dans un temps figé sans initiative
personnelle"338. C'est autour de cette image que nous souhaitons organiser notre réflexion sur
la protection de la personne contre l'enfermement, assurée par le juge administratif. Ce dernier
est d'un côté conduit à protéger la personne contre ce qui a pu (et peut ?) apparaître comme la
"toute puissance" du corps médical et de l'autorité administrative. D'un autre côté, il peut
protéger la personne "contre" la société en accompagnant sa réinsertion. Charles Amourous
compare les services fermés à des "malîles" au sein desquelles règnent une "violence
débridée" mais où le psychosociologue arrive à déceler l'émergence d'une "matrice sociale
native"339. Par quels moyens ces services peuvent-ils devenir des lieux de vie à l'abri des
"carcans" et des "caïdats" ? La loi du 27 juin 1990 offre deux propositions de réponse : elle
reconnaît un certain nombre de droits aux personnes hospitalisées et elle légalise les sorties
d'essai. Voyons comment le juge administratif, utilisant les moyens fournis par la loi, peut
remplir une double mission : protéger les droits de la personne hospitalisée face à l'institution
psychiatrique (section 1) et la protéger contre une certaine stigmatisation sociale (section 2).
337 E. Zarifian, Les jardiniers de la folie, O. Jacob, 1988. 338 Cité par LEYRELOUP Anne-Marie et DIGONNET Emmanuel, "La liberté de circulation : portes ouvertes, portes fermées ?", conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir tenue en 2005, intervention disponible sur www. serpsy.org. 339 AMOUROUS Charles, "Vivre en milieu fermé", Informations Sociales n° 82, dossier spécial "Enfermements", p. 24.
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Section 1 – La protection des droits de la personne face à
l'institution psychiatrique
La loi Esquirol ne s'était guère prononcée sur l'étendue des droits du patient à
l'intérieur de l'enceinte hospitalière ; constat peu surprenant dans la mesure où l'idée même de
droits spécifiques aux malades n'a germé que dans les années mille neuf cent cinquante.
Jusqu'à cette période récente, le médecin était perçu comme le protecteur privilégié de "ses"
patients qui ne trouvaient de garanties du respect de leur personne que dans les devoirs du
professionnel à leur égard. La volonté du législateur de 1990 de mettre en place des
institutions protectrices extérieures à l'hôpital, y compris de poser des limites au corps
médical, est une manifestation du changement des mentalités à l'égard de la figure du
médecin. C'est une expression du passage du "paternalisme médical" à la reconnaissance du
"patient-acteur" de sa santé340 et même à une certaine défiance vis-à-vis de la communauté
des "savants". Cette évolution progressive s'est concrétisée dans les années quatre-vingt-dix
avec l'adoption de la charte du patient hospitalisé341 et s'est prolongée très récemment, entre
autres avec la charte de la personne hospitalisée342. C'est grâce à la loi du 27 juin 1990 que le
mouvement de reconnaissance des droits des personnes malades s'est propagé aux personnes
atteintes de troubles mentaux. Désormais, les personnes hospitalisées en psychiatrie avec leur
consentement bénéficient des mêmes droits que ceux reconnus aux malades hospitalisés pour
une autre cause (art. L. 3211-2 CSP). Surtout, l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique
consacre des "droits minimums" qui doivent être assurés quel que soit le mode de prise en
charge. Nous les nommons "droits – libertés" puisqu'à première vue au moins, leur réalisation
n'exige pas de prestation particulière de la part de l'hôpital. Le rôle, somme toute limité, du
juge administratif dans la protection de ces "droits-libertés" pourrait être substantiellement
renforcé par une jurisprudence récente (§ 1). Dans tous les cas, leur exercice suppose que la
prise en charge, aussi bien matérielle qu'humaine, soit de qualité ; qualité sur laquelle le juge
administratif exerce un certain contrôle (§ 2).
340 MOQUET-ANGER Marie-Laure, "Le droit des personnes hospitalisées", RDSS 2002, n° 4, p. 657. 341 Circulaire DGS/DH n° 95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une charte du patient hospitalisé. 342 Circulaire DHOS n° 2006-90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée.
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§ 1 La protection des "droits-libertés"
L'article L. 3211-3 CSP protège un certain nombre de droits en faveur de toute
personne hospitalisée pour trouble mental. Certains peuvent être regroupés sous l'intitulé de
"droits de la défense" : droit d'être informé sur sa situation juridique et sur ses droits, de
communiquer avec les autorités de contrôle, de saisir la CDHP, de prendre conseil auprès d'un
avocat ou d'un médecin de son choix, de consulter le règlement intérieur. D'autres sont
qualifiables de "fondamentaux" : droit de communiquer par courrier, de voter, de se livrer à
des activités religieuses ou philosophiques343. Sous le qualificatif "droits-libertés", nous
incluons également d'autres facultés susceptibles d'être remises en cause dans un hôpital
psychiatrique tel que le droit de visite. Jusqu'à très récemment, le juge administratif protégeait
partiellement ces droits se considérant incompétent pour indemniser les conséquences
préjudiciables des restrictions qui leur étaient apportées (A). Un arrêt rendu par le Conseil
d'État le 6 avril 2007 annonce une extension de l'intervention des juridictions administratives,
source d'un renforcement de la garantie accordée à ces "droits-libertés" (B).
A – Une protection partielle
Le juge administratif contrôle les conditions de prise en charge des patients dans les
établissements publics et la majorité des établissements habilités à accueillir des malades
hospitalisés sous contrainte appartiennent au secteur public ; les magistrats de l'ordre
administratif devraient logiquement être habilités à indemniser l'irrespect, à l'égard des
personnes hospitalisées contre leur gré, des "droits-libertés" susmentionnés. Toutefois, cette
compétence est remise en cause par des arrêts qui étendent la distinction opérée par le tribunal
des conflits en 1997, concernant la décision d'hospitalisation, aux litiges nés de la restriction
343 "Lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux est hospitalisée sans son consentement… ou est transportée en vue de cette hospitalisation, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par son état de santé et la mise en œuvre de son traitement. … Elle doit être informée dès l'admission et par la suite, à sa demande, de sa situation juridique et de ses droits. En tout état de cause, elle dispose du droit : 1° De communiquer avec les autorités mentionnées à l'article L. 3222-4 ; 2° De saisir la commission prévue à l'article L. 3222-5 ; 3° De prendre conseil d'un médecin ou d'un avocat de son choix ; 4° D'émettre ou de recevoir des courriers ; 5° De consulter le règlement intérieur de l'établissement tel que défini à l'article L. 3222-3 et de recevoir les explications qui s'y rapportent ; 6° D'exercer son droit de vote ; 7° De se livrer aux activités religieuses ou philosophiques de son choix. Ces droits, à l'exception de ceux mentionnés aux 4°, 6° et 7°, peuvent être exercés à leur demande par les parents ou les personnes susceptibles d'agir dans l'intérêt du malade".
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de droits et libertés pendant la période d'hospitalisation. Ainsi, la cour administrative d'appel
de Paris rejeta une requête portant sur la restriction des communications téléphoniques d'une
patiente admise en HDT affirmant qu'il n'appartenait qu'à l'autorité judiciaire d'apprécier le
bien fondé d'une décision d'hospitalisation sous contrainte "et les conséquences qui peuvent
en résulter, notamment en ce qui concerne les restrictions à l'exercice de ses libertés
individuelles qui peuvent être décidées sur le fondement de l'article L. 3211-3 CSP"344. La
même cour, saisie d'une demande tendant à obtenir réparation du défaut d'information de
l'intéressée sur son droit à être transférée dans un établissement psychiatrique suisse et sur ses
droits en matière sociale, se déclara incompétente au motif que la juridiction judiciaire était
"seule compétente pour statuer sur l'ensemble des conséquences dommageables de l'ensemble
des irrégularités commises à l'occasion ou à la suite d'une mesure de placement d'office
décidée par l'autorité administrative"345. La cour administrative d'appel de Douai affirma
pour sa part que les préjudices qui pourraient résulter des éventuelles carences dans le
contrôle des établissements "ne sont pas détachables du préjudice dont une personne internée
pourrait rechercher la réparation auprès du juge judiciaire du fait d'une détention
abusive"346. Le juge administratif estime donc que le critère du service public, fondement
potentiel de sa compétence pour trancher un contentieux de nature indemnitaire concernant un
litige né pendant l'hospitalisation (relativement à la restriction d'une liberté), doit être écarté
au profit du critère de l'atteinte à la liberté individuelle qui justifie la compétence du juge
judiciaire. Cette "thèse" est confirmée par un jugement sanctionnant un établissement à verser
une indemnité à un oncle qui n'avait pu rendre visite à son neveu hospitalisé librement347.
Le "désistement" du juge administratif au profit du juge judiciaire concernant la
protection des "droits-libertés" n'est pas total puisqu'il conserve sa compétence en tant que
juge de l'excès de pouvoir. Le Conseil d'État a accepté que le directeur exerce son pouvoir de
police générale pour subordonner, pour des motifs de sécurité, la visite rendue par un médecin
généraliste extérieur à l'établissement à l'un de ses patients placé d'office, à la présence d'un
infirmier derrière une porte vitrée348. En tant que juge des référés, il a rejeté une requête
formée sur le fondement de l'atteinte au droit à la vie familiale protégé par la Conv. EDH
contre un transfert dans une UMD d'un patient hospitalisé d'office, non pas du fait de son
344 CAA Paris, 19 mai 2005, req. n°03PA01855, Bernardet. 345 CAA Paris, 21 fév. 2006, req. n°02PA02087. 346 CAA Douai, 12 juillet 2001, 1ère ch., req. n° 98DA00428. 347 TA Versailles, 12 mars 1998, Seidel, RDSS 1998, p. 4831obs. J.-M. de Forges. 348 CE, 17 nov. 1997, CHS de Rennes, n° 168606.
100
incompétence, mais car il n'était pas possible d'apprécier si cette atteinte était "manifestement
disproportionnée au regard des impératifs de sécurité retenus par l'administration"349. Il a
enjoint le préfet de police de Paris à modifier la charte d'accueil de l'infirmerie psychiatrique
de la préfecture de police pour y inscrire "le droit d'accès à un avocat" quand bien même cette
institution n'accueille que des personnes en vertu de mesures provisoires et qu'en pratique
l'assistance d'un avocat pouvait déjà être sollicitée350. Concernant le droit de visite, il a
qualifié d'illégale une limitation fondée sur un règlement intérieur parce que ce dernier n'avait
pas été adopté par le conseil d'administration. Il a cependant avalisé le refus d'un praticien de
réaliser ses entretiens en présence de la mère de la patiente hospitalisée d'office pourtant
désignée personne de confiance351. Il a finalement renoncé à intervenir dans les litiges relatifs
au droit de visite par l'arrêt "Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines" en soutenant que
“il n'appartient qu'au juge judiciaire, qui a d'ailleurs été saisi par les intéressés, de connaître
de la contestation soulevée par les requérants, qui porte sur le bien-fondé du régime auquel
est soumis M. Y, au regard de son état mental, à la suite de son hospitalisation d'office"352.
Cette solution fut confirmée quelques mois plus tard par le juge des référés sur le fondement
de l'article 8 Conv. EDH353.
Cette "quasi-démission" est regrettable. Elle met sur le même plan toutes les mesures
restreignant la liberté. Les mesures restrictives des libertés individuelles à l'intérieur de
l'hôpital sont perçues comme des mesures "subsidiaires" à la mesure "principale" : la décision
d'hospitalisation, privative de la liberté individuelle au sens de la sûreté. De plus, la
distinction de régimes juridiques entre les personnes hospitalisées avec leur consentement et
celles hospitalisées sans leur accord, ne gagne pas à être accrue par l'instauration de juges
distincts pour la protection des mêmes droits, fussent-ils reconnus dans des proportions
différentes. C'est pourquoi nous approuvons l'arrêt du 6 avril 2007354. Il accroît la protection
juridictionnelle de l’ordre administratif en faveur des personnes hospitalisées sous contrainte.
349 CE, juge des référés, 14 octobre 2004, n° 273047. 350 TA, 25 oct. 2006, req. n° 0308931/3, Association Groupe information asiles confirmé par CAA Paris, 21 décembre 2007, req. n° 07PA00168 avec une substitution de motif : les mesures d'urgence ne sauraient constituées des mesures d'hospitalisation d'office du seul fait qu'elles ont pour effet de priver les intéressés de liberté sans qu'ils y aient consenti ; mais, en dépit de leur courte durée et quel qu'en soit leur statut, ces mesures ouvrent droit, dès l'admission de l'intéressé, à l'information prévue par l'article L. 3211-3 CSP. 351 TA Marseille, 2 oct. 2002, req. n° 02-4260, Joëlle D. 352 CE, 3 mars 2003, n° 254625, Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines. 353 CE, 27 nov. 2003, n° 261947, Association française contre l'abus psychiatrique : incompétence du juge administratif pour enjoindre le directeur de l'hôpital de rétablir le droit de visite de son représentant à un malade hospitalisé d'office. 354 CE, 6 avril 2007, M. Bernardet, n° 280494, sera mentionné aux tables, AJDA 2008, p. 47, note Hervé Rihal
101
B – Une protection accrue
Dans cette affaire, M. B., interné d'office, souhaitait correspondre avec M. Bernardet
afin que celui-ci introduise en son nom un recours devant la CEDH. L'administration du
centre hospitalier aurait pris une "mesure éducative" consistant à exiger que son courrier
transite par deux avocats. M. Bernardet forma un recours afin d'être indemnisé des dommages
qu'il estimait avoir subi du fait de cette mesure. Le juge devait donc déterminer si un
préjudice pouvait résulter, pour un tiers, de la limitation du droit d'une personne hospitalisée
sous contrainte d'émettre et de recevoir des courriers. Il répondit par l'affirmative.
Cela supposait d'abord qu'il soit compétent. Selon la commissaire du gouvernement,
Claire Landais, les conclusions indemnitaires présentées par M. Bernardet n'entrent pas dans
le bloc de compétence érigé en 1997 au profit du juge judiciaire : "La décision du Tribunal
des conflits précise en effet qu'il appartient au seul juge judiciaire de statuer non pas sur
l'ensemble des conséquences dommageables d'une décision d'hospitalisation d'office mais
"sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure de
placement d'office"355. Elle rappelle que le Conseil d'État a jugé en 1967 "que la demande de
réparation des conséquences dommageables d'un manque de soins pendant une HO soulevait
un litige distinct de celui de la réparation de l'atteinte à la liberté individuelle que représente
l'internement lui-même"356. C'est d'ailleurs suivant cette distinction, rappelée en 2001 par la
cour administrative d'appel de Douai357, que les magistrats de l'ordre administratif
indemnisent le suicide d'un patient qui résulte de l'inadéquation du traitement à l'état de santé
de l'intéressé ou à une faute de surveillance. L'incompétence du juge administratif qui
prévalait jusqu'à cet arrêt pour indemniser la restriction "illégitime" d'une liberté suppose une
distinction entre les restrictions découlant du droit aux soins et à la sécurité de celles qui
touchent les "droits-libertés" identifiés précédemment ; différenciation peu favorable à la
protection effective des droits des personnes hospitalisées contre leur gré. Madame Landais
estime que le juge judiciaire ne peut tirer sa compétence de l'article 66 de la Constitution ni de
l'article 136 du code de procédure pénale car "la liberté individuelle au sens de ces deux
355 Claire Landais, conclusions sous CE, 6 avril 2007, M. Bernardet, n°280494, AJDA 2008, p. 416. 356 CE, 4 oct. 1967, Hittler, rec. 735, cité par Claire Landais p. 416. 357 CAA Douai, 12 juillet 2001, 1ère ch., req. n° 98DA00428 : le juge judiciaire est compétent pour connaître des dommages relatifs "aux conditions même de son hospitalisation" (celles relatives à la décision d'hospitaliser) ; par contre le juge administratif l'est pour les "préjudices distincts qui résulteraient de fautes médicales ou de fautes dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier".
102
articles renvoie essentiellement à l'idée de protection contre l'arrestation ou la détention
arbitraires et non aux libertés personnelles comme la liberté de correspondance en cause ici".
Enfin, elle exclut le recours à la voie de fait : la question de l'existence d'un pouvoir de
restriction du droit de correspondance n'étant pas évidente à trancher358. L'interprétation de
Monsieur Rihal selon laquelle "le juge administratif eût été incompétent pour réparer le
préjudice moral subi par le malade"359 est infirmée par la lecture des conclusions qui estiment
le juge administratif compétent pour connaître des recours de plein contentieux relatifs aux
limitations des "droits-libertés" des personnes hospitalisées sous contrainte, sans distinguer la
qualité de la personne ayant subi le préjudice360.
Au-delà de la reconnaissance de cette compétence, l'intérêt de l'arrêt Bernardet réside
dans la réaffirmation de la liberté de correspondance des personnes hospitalisées sous
contrainte. Car même si en l'espèce c'est le correspondant de la personne hospitalisée qui est
indemnisé, son préjudice moral réside dans l'illégalité de la restriction du droit de la personne
hospitalisée d'émettre des courriers. Appliquant fidèlement la loi361, le Conseil estime que la
liberté de correspondance ne souffre aucune restriction. En effet, les droits consacrés par
l'article L. 3211-3 CSP sont "indérogeables" puisque la personne en dispose "en tout état de
cause" ; tandis que les droits non-inscrits sur cette liste sont relatifs (par exemple, les
communications téléphoniques sont susceptibles d'être limitées). Certains praticiens pensent
que même les droits "listés" devraient pouvoir être restreints pour des motifs thérapeutiques.
Il est vrai que leur exercice peut être préjudiciable comme le serait l'envoi d'une lettre de
démission hâtivement rédigée. Quant à la consécration de la liberté religieuse, pour Monsieur
Vandendriessche, elle est "parfaitement utopique"362. Le juge l'encadre : son exercice doit
s'adapter aux "exigences du service public hospitalier ainsi qu'aux possibilités dont celui-ci
358 Selon elle, il n'est pas possible qu'une telle restriction soit regardée "comme manifestement, c'est-à-dire évidemment, insusceptible d'être rattaché à un pouvoir appartenant à l'administration". 359 p. 49 de la note précitée. 360 "Nous ne croyons donc pas qu'une mesure de restriction du droit de correspondance d'une personne internée d'office pourrait être regardée comme manifestement, c'est-à-dire évidemment, insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'administration". Conclusions précitées p. 417. 361 Le juge tranche au visa de l'article 8 dela Conv.EDH (droit à la vie privée), rappelant implicitement l'applicabilité de la convention aux personnes hospitalisées involontairement pour troubles mentaux comme le prévoit la jurisprudence européenne (CEDH, 24 sept. 1992, série A n° 244, Hercsegfalvy c/ Antriche). 362 VANDENDRIESSCHE Xavier, article précité p. 22 : "Il s'agit en réalité d'une pétition de principe qui ne recevra aucune application dès lors qu'elle oublie la dimension de souffrance du malade". À ses yeux, "l'essentiel consiste à garantir le principe de neutralité du service public qui suppose notamment de respecter les confessions religieuses des malades".
103
dispose"363. La mise en œuvre de ces droits peut se révéler difficile comme le souligne Jean
Maviel concernant le droit à l'information. Il écrit que le paradoxe quotidien des soignants
consiste à "soigner une personne qui ne se reconnaît pas malade et l'informer de ses droits,
alors même qu'elle vit l'hospitalisation comme un emprisonnement arbitraire et qu'elle se sent
le plus souvent dépossédée de ses affaires, de ses convictions, voire d'elle-même"364. Certains
professionnels suggèrent que la mise en valeur de ces droits fait parfois oublier que l'usager
du service public de santé est aussi soumis à des devoirs365 qu'il s'agirait de réaffirmer afin de
pallier le caractère "inachevé" de notre "démocratie sanitaire"366.
Quoi qu'il en soit, l'arrêt Bernardet a le mérite de distinguer "nettement la liberté de
correspondance du patient hospitalisé sous contrainte de celle du détenu"367 dont le courrier,
envoyé ou reçu, est presque systématiquement ouvert et ce, même si la CEDH a précisé que
l'ingérence créée par le contrôle de la correspondance ne devait pas excéder les exigences du
but légitime poursuivi368. Dans le cas des détenus, ce but peut être lié à l'ordre public tandis
que les patients hospitalisés contre leur volonté ne peuvent voir leurs libertés restreintes que
pour des raisons liées à leur état de santé (art. L. 3211-3 al. 1er CSP). Madame Landais précise
tout de même que l'administration aurait la faculté d'ouvrir des lettres faisant suite à une
plainte dans le cadre de son instruction369. Certains auteurs regrettent le manque de précision
de la loi sur les conditions de limitation de l'exercice de ces droits. Les recommandations du
Conseil de l'Europe pourraient-elles servir de guide à l'adaptation de la législation aux
spécificités de la psychiatrie ?370 Cette indétermination sur le régime d'exercice de ces droits
renforce l'importance du contrôle juridictionnel. Justement, cet arrêt revalorise le rôle du juge
administratif dans la protection des droits des personnes hospitalisées sous contrainte ; cette
363 CE, 28 janv., 1955, Me Aubrun et autres c/ Groupe hospitalier de Villejuif, rec. 50. Limite susceptible d'encadrer les exigences des personnes souffrant de délires mystiques ou de paranoïa… 364 MAVIEL Jean, "Risques éthiques en psychiatrie publique contemporaine", Revue psy-cause n° 31-32, disponible sur le site internet www.psy-cause.fr.st. 365 Notre entretien avec Mme Cadiou et M. Michelin au CHGR. 366 MOQUET-ANGER Marie-Laure, "Le droit des personnes hospitalisées", RDSS 2002, n° 4, p. 670. 367 Distinction réalisée antérieurement dans le contentieux de l'excès de pouvoir : CE, 12 mars 1980, Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines, rec. 141. 368 CEDH 25 fév. 1992, Pleiffer et Planck c/ Autriche. Pour une appréciation de l'arrêt Bernardet en particulier à l'aune du droit européen : BOUTEILLE Magali, "Liberté de correspondance et hospitalisation sous contrainte", Revue droit et santé, n° 18, juillet 2007, p. 572. 369 Conclusions précitées p. 418. 370 Selon l'article 23 de la Recommandation n° R (2004) 10 adoptée le 22 septembre 2004, le droit "de communiquer avec son avocat, son représentant ou toute autre autorité appropriée ne devrait pas être restreint" alors que le droit "de communiquer avec la personne de confiance qu'elle a désignée ou avec d'autres personnes ne devrait pas être limité de façon disproportionnée" et qu'enfin le droit "de recevoir des visites ne devrait pas être limité de façon déraisonnable, tout en tenant compte de la nécessité de protéger les personnes vulnérables ou les mineurs placés ou en visite dans un établissement psychiatrique".
104
protection devrait s'en trouver accrue. L’effectivité de cette protection passe également par un
contrôle juridictionnel sur la qualité de la prise en charge aussi bien matérielle qu'humaine
(compétence professionnelle des soignants).
§ 2 La qualité de la prise en charge
Condition sine qua non du respect des droits et libertés des personnes hospitalisées, la
qualité de la prise en charge dans sa dimension matérielle (A) et "personnelle" (B) est
contrôlée par le juge administratif.
A – La prise en charge matérielle
Rappelons tout d'abord que seuls certains établissements, spécialement habilités par le
préfet, peuvent accueillir des malades n'ayant pas consenti à leur hospitalisation371. Le juge
administratif annulera un arrêté qui impose l'accueil d'une personne hospitalisée d'office à un
centre hospitalier régional et universitaire qui, en tant que tel, n'a pas reçu cet agrément et
donc ne répond pas aux conditions de sécurité372. En conséquence, la transformation de
l'hospitalisation libre en hospitalisation forcée suppose parfois le transfert de la personne vers
l'un de ces établissements spécialement "agréés". La liberté du patient de choisir
l'établissement (et donc son médecin) est donc relativisée ou même écartée373.
Par ailleurs, les juges de l'ordre administratif sanctionnent l'irrespect des règles
d'hygiène et de sécurité applicables aux établissements qui reçoivent des personnes souffrant
de troubles psychiques. La cour administrative d’appel de Paris a par exemple engagé la
371 Art. L. 3222-1 CSP. 372 TA Clermont-Ferrand, 20 nov. 1979, req. n° 49-05-01, 61-02-01 : "Seuls les établissements, qui disposent d'aménagements propres à empêcher le malade mental reconnu dangereux de mettre ne péril l'ordre public ou la sûreté des personnes, sont visés par l'article L. 326-2 du code de la santé publique (actuel art. L. 3222-1 CSP) qui prescrit que chaque département est tenu d'avoir un établissement public, spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés". 373 Cette liberté est éventuellement exercée par le tiers qui est incité à choisir l'établissement le plus proche du domicile du patient. C'est l'autorité préfectorale qui choisit dans l'hypothèse de l'HO (CE, 25 mai 1994, M.G.G. c/ préfet de la Creuse, n° 149072). La situation du malade hospitalisé sous contrainte est à cet égard bien distincte de celle du malade hospitalisé avec son consentement dont le libre choix ne peut être que suspendu jusqu'à ce que la situation d'urgence ne fasse plus obstacle à son exercice comme l'a jugé le Conseil d'État dans un arrêt rendu le 21 oct. 1998, Union nationale des établissements psychiatriques d'hospitalisation privée (UNEP), req. n° 189285.
105
responsabilité d'un centre hospitalier pour la faute dans l'organisation et le fonctionnement de
son service ayant consisté à placer un patient hospitalisé à la demande d'un tiers dans une
chambre d'isolement qui "présentait un réel état d'insalubrité du fait notamment de conditions
d'hygiène manifestement insuffisantes". La cour condamne l'hôpital à verser une indemnité à
l'intéressé après avoir précisé que la faute ne résidait ni dans le placement lui-même ni dans
un défaut de soins. C'étaient donc bien les conditions matérielles de la prise en charge
médicale qui avaient causé au malade un préjudice essentiellement moral374. Cet arrêt pose
une fois de plus le problème de la mise en chambre de soins intensifs. Au regard de la
description qu'en fait le praticien hospitalier Jean Maviel, on peut s’interroger sur la
classification réalisée par le juge dans l'arrêt André X. L’utilisation de la chambre
d’isolement, qui n’assure aucune intimité au malade, porterait-elle également atteinte au droit
à la dignité ?375 En tout état de cause, l'arrêt rendu par la cour de Paris tend à nous faire
adhérer à l'idée émise par Monsieur Horassius. Selon ce praticien, "l'expérience des CDHP
démontre que ce n'est pas, principalement, le respect de la liberté des patients hospitalisés
qui est en jeu mais celui de leur dignité qui ne reçoit pas le respect qui leur est dû"376.
Toujours relativement à la chambre d'isolement, la sanction par le juge nantais de la
non-conformité de ce lieu aux normes incendies, illustre le contrôle effectué par les
juridictions administratives sur les conditions de sécurité dans la prise en charge des
personnes hospitalisées sous contrainte. Dans cette affaire, Mme Y, placée en chambre
d'isolement, a volontairement déclenché un incendie provoquant la mort de cinq patients. La
cour estime que l'incendie est " imputable à la fois à l'action de Mme Y, qui a volontairement
mis le feu à son matelas pour obtenir l'ouverture de la porte de la chambre d'isolement où elle
avait été placée et à l'absence de consignes et d'exercices pratiques concernant les problèmes
d'incendie et de prise en charge spécifique des malades devant être isolés en secteur
psychiatrique ainsi qu'à l'absence d'une installation centralisée de détection des incendies ;
374 CAA Paris, 23 mai 2000, req. n° 97PA03276. L'absence de faute médicale ("il n'est pas établi, ni même allégué par M. X…, qu'il n'ait pas fait l'objet de soins appropriés à son état et que, notamment, il n'ait pas été régulièrement visité par le personnel infirmier et médical") ne doit pas occulter la faute dans l'organisation du service qui justifie que soient indemnisés les "troubles de toute nature". 375 "c'est une pièce de 10 mètres carrés, au milieu de laquelle un lit est fixé au sol, face à une porte "renforcée", munie d'un oculus permettant la surveillance. La sécurité exige qu'aucun meuble ne soit introduit dans la chambre pas plus que "les petites affaires" de la personne, isolée de fait en pyjama, voire nue quelquefois. Le seau hygiénique est autorisé. Une fenêtre à barreaux assure l'éclairage de la pièce la journée… Seule la sonnette relie le patient isolé au monde extérieur". Il se demande si les recommandations de l'ANAES (devenue la HAS) peuvent rendre la chambre d'isolement plus supportable et plus humaine… MAVIEL Jean, "Risques éthiques en psychiatrie publique contemporaine", Revue psy-cause n° 31-32, disponible sur le site Internet www.psy-cause.fr.st.
106
que ces faits ont été aggravés par l'absence de fouille de Mme Y, qui a été laissée en
possession de son briquet"377. L'ensemble de ces manquements révélait une faute de service
dont la réparation fut mise à la charge de l'État puisqu'il s'agissait d'un centre hospitalier des
armées. La motivation de l'arrêt met en évidence les carences du personnel de l'établissement.
Le médecin-chef et l'officier de sécurité furent condamnés pour homicide involontaire par le
juge judiciaire qui ne retint pas de faute personnelle détachable du service378.
L'incompétence du juge administratif pour connaître de telles fautes personnelles ne
lui ôte pas toute faculté pour se prononcer sur les comportements des soignants considérés
individuellement, abstraction faite de l'organisation globale du service. Il le fait notamment
lorsqu'il se prononce sur la responsabilité de type disciplinaire.
B – La prise en charge par le personnel
La qualité de la prise en charge par le personnel repose notamment sur le respect par
les soignants de leurs obligations professionnelles. En contrôlant les sanctions de l'irrespect de
ces obligations, le juge administratif protège les droits des personnes hospitalisées.
Parmi ces obligations figure celle de secret professionnel379. Elle constitue le corollaire
du droit du patient au respect de sa vie privée et à la confidentialité des informations le
concernant380. L'obligation de secret concernant les données médicales s'impose pendant la
procédure intentée contre la décision d'hospitalisation forcée381. Par un arrêt rendu le 24
février 2005, la cour administrative d'appel de Nancy a validé la sanction disciplinaire infligée
par un directeur d'établissement à l'encontre d'une infirmière qui avait divulgué des
informations sur la pathologie dont souffrait son voisin soigné dans une unité psychiatrique de
376 HORASSIUS M. et N., "Droits des malades : information, consentement… dignité", L'information psychiatrique, n° 7, septembre 2001, p. 674 - 679. 377 CAA Nantes, 28 décembre 2006, req. n° 06NT00991. 378 Les demandes de dommages et intérêts présentées par les ayants-droits des victimes n'ayant pu être satisfaites. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et autres infractions leur alloua des indemnités. Par la suite, il saisit le juge administratif afin que l'État rembourse une partie des indemnités versées. 379 Art. L. 1110-4 al. 2 CSP. Il s'impose aux établissements eux-mêmes : art. L. 1112-1 CSP. 380 Art. L. 1110-4 al. 1er CSP qui reprend l'obligation déontologique instituée par l'art. 4 du code de déontologie. Le respect du droit à la vie privée est également consacré par l'article 12 DUDH, l'art. 17 du PIDCP, l'art. 8 Conv.EDH et l'art. 9 du code civil. 381 CAA Marseille, 29 mars 2004, req. n° 00MA01467. Le juge ordonne la suppression de certaines parties de la requête de la commune qui reprenait des parties des certificats médicaux.
107
l'établissement dans lequel elle exerçait382. L'arrêt relève que la faute consistait moins dans le
fait d'avoir pris contact avec un collègue pour récolter ces informations que de les avoir
rendues publiques383 rappelant implicitement que l'obligation légale de secret professionnel
couvre "l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du
professionnel"384. Le juge n'exerce qu'un contrôle normal sur la décision du directeur puisqu'il
ne vérifie pas l'adéquation de la mesure prise (un blâme), avec la gravité de la faute commise
par l'agent public. Le directeur avait également entendu sanctionner un manquement au devoir
de réserve. Ce dernier vise à limiter la liberté d'expression des agents publics en leur
interdisant d'émettre publiquement des opinions "fautives" à l'encontre de l'hôpital, c'est-à-
dire des propos outranciers susceptibles de nuire au bon fonctionnement du service. Les
mêmes reproches (irrespect des obligations de secret et de réserve) furent adressés à un
infirmier ayant fourni des informations concernant une personne hospitalisée d'office au
réalisateur d'un court-métrage consacré à l'art-thérapie385. Le Conseil d'État donne une
interprétation très stricte de l'obligation de secret en en inférant un droit à l'anonymat. Il
précise qu'elle s'imposait "même si la malade bénéficiait de sorties d'essai". Cette obligation
légale ne souffre que des dérogations de même valeur. Le principal aménagement consiste à
admettre que l'information soit "partagée" entre les membres de l'équipe médicale pour
permettre que la prise en charge, concertée, soit de meilleure qualité386.
Toujours saisi dans le cadre de la responsabilité disciplinaire, les juges administratifs
ont confirmé la révocation prononcée à l'encontre d'un infirmier travaillant dans le secteur
psychiatrique pour maltraitance envers des patients dont il avait la charge, et pour non-respect
du protocole de contention à l'égard d'un patient en fin de vie (il ne l'avait pas retiré,
contrairement aux prescriptions du médecin de garde)387. Si, dans cette affaire, le
comportement de l'agent traduisait manifestement sa volonté de nuire, nous pensons que, le
plus souvent, le non-respect des bonnes pratiques est d'abord dû au manque de formation
notamment sur les façons de gérer la violence engendrée par la maladie et accrue par la vie
382 CAA Nancy, 24 février 2005, req. n° 00NC00430. 383 "si elle conteste avoir cherché à obtenir des informations sur ce patient, il est constant que la pétition rédigée par son compagnon faisait état d'informations circonstanciées sur la pathologie dont souffrait leur voisin". 384 Art. L. 1110-4 al. 2 CSP. 385 CE, 1er juillet 1994, CHS Le Valmont, n° 150870. 386 Art. L. 1110-4 al 3 CSP. 387 CAA Bordeaux, 19 mars 2007, req. n° 04BX02075 : "eu égard à la gravité particulière des fautes ainsi commises par M. X et à la nature de ses fonctions au service des personnes âgées atteintes de troubles mentaux, le directeur du CH Esquirol n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, entaché sa décision de le révoquer d'erreur manifeste d'appréciation".
108
dans un milieu fermé. Le Conseil de l'Europe recommande d'ailleurs que le personnel soit
formé à "la protection de la dignité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales des
personnes atteintes de troubles mentaux ; compréhension, prévention et contrôle de la
violence ; mesures qui permettent d'éviter le recours à la contention ou à l'isolement"388.
Enfin, et sans lier systématiquement les déficiences professionnelles avec les conditions
matérielles de prise en charge, il faut admettre que le manque cruel de moyens octroyés à la
santé mentale peut expliquer certaines pratiques critiquables389.
En statuant sur les conditions de prise en charge matérielle et humaine, le juge
administratif protège les droits de la personne hospitalisée notamment son droit à la sécurité, à
la dignité, au respect de sa vie privée et à recevoir des soins de qualité. Son intervention
s'inscrit donc bien dans la défense des droits de la personne dans l'institution psychiatrique.
Pour résumer, le juge administratif admet le recours à la contrainte dans un but
thérapeutique ou "sécuritaire" en essayant de modérer l'atteinte à la liberté de se déplacer à
l'intérieur de l'hôpital et à la dignité. Il s'agit alors de protéger la personne contre elle-même et
contre l'enfermement matériel (contention et MCI). Nous venons de voir qu’il défend
également la personne contre un enfermement plus "discret", l'isolement qui découle de la
limitation des "droits –libertés". Cette défense « face », ou plus modérément au sein de
l'institution psychiatrique, s'appuie sur deux piliers : un contrôle (accru) sur les restrictions
apportées à ces droits et un regard sur la qualité de la prise en charge matérielle et humaine.
Cet enfermement immatériel découle aussi (surtout ?) de la stigmatisation sociale dont les
personnes "internées" font encore l'objet. Le juge administratif a activement participé au
mouvement d'ouverture des hôpitaux psychiatriques qui visait à permettre à ces personnes de
(re)trouver une place au sein de la société.
388 Article 11 de la Recommandation n° R (2004) 10 adoptée le 22 septembre 2004 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe relative à la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux : "1. Les professionnels des services de santé mentale devraient avoir les qualifications et la formation appropriées pour pouvoir remplir leur fonction au sein des services conformément aux obligations et normes professionnelles. 2. En particulier, le personnel devrait être formé de façon appropriée dans les domaines suivants : protection de la dignité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales des personnes atteintes de troubles mentaux ; compréhension, prévention et contrôle de la violence ; mesures qui permettent d'éviter le recours à la contention ou à l'isolement ; circonstances limitées dans lesquelles les différentes méthodes de contention ou d'isolement peuvent être justifiées, compte tenu des bénéfices et des risques éventuels, et application correcte de telles mesures". 389 HORASSIUS M. et N., "Droits des malades : information, consentement… dignité", L'information psychiatrique, n° 7, sept. 2001, p. 679 : "certains secteurs ne disposent que de deux, voire même d'une seule unité d'hospitalisation où se mélangent tous les malades, aigus, vieux délirants chroniques, jeunes, sujets
109
Section 2 – La protection de la personne face à la
stigmatisation sociale
"Si le patient n'a plus comme seul interlocuteur que des soignants,
il n'a plus comme seul rôle obligé que celui de malade"390
"Enfermer n'est pas clore" assène Frédéric Gros, "d'autres murs semblent aussi
puissants que les prisons de pierre. Ils se nomment stigmatisation, isolement social et
culturel, mise à l'écart"391. Ce auquel la loi répond : "En toutes circonstances, la dignité de la
personne hospitalisée doit être respectée et sa réinsertion recherchée". M. Vandendriessche
estime que "si le législateur met tout en œuvre pour assurer une sortie aussi rapide que
possible des établissements, c'est qu'en définitive il s'en méfie parce qu'il les connaît mal, les
considérant encore comme les "asiles d'aliénés" du temps d'Esquirol ou de Pinel. Or, les
thérapeutiques psychiatriques ont évolué, la conception strictement asilaire a laissé la place
à une réelle dynamique de soins dans le cadre d'une ouverture des établissements sur
l'extérieur". Cette ouverture, qui n'est possible que dans la mesure où la société accepte une
certaine dose de risque dans la mise en œuvre des soins, a pris la forme des autorisations
temporaires de sortie. Au travers d'une jurisprudence audacieuse, le juge administratif a
contribué à cette "libéralisation" des pratiques (§ 1) qui révèle le passage du soin par
l'enfermement au soin par l'intégration sociale (§ 2).
§1 – Le juge administratif promoteur de méthodes thérapeutiques libérales En engageant la responsabilité sans faute des établissements de santé pour les
dommages survenus pendant une sortie d'essai, le juge administratif a indirectement promu ce
genre de thérapeutique qualifiable de "libérale" (A) en permettant que les intérêts des tiers
soient efficacement protégés face au risque spécial ainsi créé (B).
dépendants, psychopathes, oligophrènes, etc dans une promiscuité incompatible avec une véritable prise en charge". 390 Jean Hassler, cité par BERNARDET Philippe dans "Les conditions du consentement au traitement de la personne souffrant de troubles mentaux", Revue de sciences humaines et sociales, n° 104, 2005, p. 52.
110
A – L'encouragement des sorties d'essai
Par un arrêt du 13 juillet 1967, le Conseil d'État a indirectement reconnu la licéité de la
pratique déjà courante des sorties d'essai392. En considérant que la responsabilité d'un hôpital
psychiatrique était engagée, sans faute, pour les dommages commis par une personne
hospitalisée sous contrainte au cours de la période de probation dont elle bénéficiait, le juge
administratif admettait la licéité de ce type de sortie. Jurisprudence au caractère précurseur
lorsque l'on sait que la légalisation des sorties d'essai ne fut réalisée qu'avec la loi du 27 juin
1990. À l'époque des faits, la seule sortie prévue légalement (sous le régime de la loi Esquirol)
était la sortie définitive. Nonobstant, dans la pratique, la sortie d'essai était apparue, selon des
modalités variables, dès la fin du XIXe siècle. Cet état de fait fut "enregistré" par une
circulaire du 4 juin 1957 qui, sans modifier les textes issus de la loi de 1838, précise que la
sortie, lors d'un "placement volontaire", est décidée par le médecin, le bulletin de sortie devant
être visé par le directeur et transmis au préfet. La sortie d'essai en "placement obligatoire" ne
pouvait avoir lieu sans l'autorisation délivrée par le préfet. Les services préfectoraux n'étaient
évidemment pas enthousiastes à l'idée de généraliser cette formule craignant que leur
responsabilité ne soit engagée en cas de dommages. Ils préféraient l'abrogation de la décision
d'hospitalisation d'office accompagnée de la mise en place de permissions dans le cadre d'une
hospitalisation "volontaire" (ex-HDT) ou consentie393.
Pourtant, dans l'arrêt "Département de la Moselle", c'est bien la responsabilité de
l'établissement qui est retenue sur le fondement du risque spécial créé par cette "méthode
thérapeutique" pour les dommages "qui sont en relation directe avec l'application de cette
méthode". En l'espèce, la personne qui bénéficiait d'une sortie d'essai dans le cadre de son
"placement volontaire" avait allumé un incendie dans les locaux de son employeur. Ce dernier
se retourna contre l'établissement pour exiger la réparation des dommages. M. Imbert souligne
que l'employeur n'avait pas à se préoccuper de la situation administrative de l'intéressé à
l'égard de l'hôpital ni à tenir les autorités hospitalières informées de l'évolution du malade
qu'il hébergeait. En effet, l'engagement souscrit avec l'établissement départemental précisait
391 GROS Frédéric, "Enfermer n'est pas clore", Informations Sociales n° 82, dossier spécial "Enfermements", p. 4. 392 CE, sect, 13 juillet 1967, Département de la Moselle, rec. 341. Voir notamment : D. 1967 p. 675, note Moderne et RDSS 1968, p. 108, note Imbert. 393 MASSÉ Gérard, ZWINENBERGER M., "Les sorties d'essai : évolution et perspectives", L'information psychiatrique, vol. 82, n° 6, juin-juillet 2006, p. 483.
111
que le préfet lèverait la mesure en février. En mars, lorsque les préjudices furent commis, il
pouvait donc penser que l'intéressé ne faisait l'objet d'aucune mesure de placement. Son
attitude n'était pas susceptible de dégager ni même d'atténuer la responsabilité du département
(qui détenait l'établissement).
La théorie du risque spécial pour les tiers avait déjà été utilisée par le tribunal
administratif de Pau trois ans auparavant394. L'arrêt de section du Conseil d'État entérine cette
position. Le juge, conscient des enjeux liés à la "réadaptation" progressive des personnes
souffrant de troubles psychiques à la vie "hors les murs" de l'hôpital ainsi que de la difficulté
du législateur à braver « l'opinion publique » relativisa de manière audacieuse le "principe de
défense sociale" qui avait présidé à l'adoption de la loi du 30 juin 1838395. Sans doute le
contexte, qui faisait la part belle à "l'anti-psychiatrie" favorable à l'ouverture des
établissements spécialisés, incita le Conseil à ne pas sanctionner la mise en place d'une
sortie396. Une partie au moins de la société était encline à admettre la prise de risque inhérente
à certaines thérapeutiques397. D'autres décisions jurisprudentielles prouvent que le juge de
l'administration était convaincu du bien fondé des sorties d'essai afin de s'assurer de
l'amélioration de l'état de santé de la personne et donc du fait qu'elle ne compromettrait pas
l'ordre public, autant que de permettre une réinsertion "en douceur", garantie d'un moindre
risque de "rechute". Par exemple, un jugement relève, avant d'engager la responsabilité d'un
hôpital pour les dommages commis par une personne hospitalisée d'office, juste après sa
sortie définitive, que cette dernière n'avait effectué "aucune sortie d'essai préalable". Il sous-
entend que seule une telle mesure était susceptible de donner un aperçu objectif de la capacité
de la personne à reprendre une "vie normale"398. Ils mettaient en évidence un intérêt
supplémentaire à ce type de sortie : éviter les ruptures de soins et leurs effets néfastes.
394 TA Pau, 18 mars 1964. 395 DESCHAMPS Jean-Louis, "Le rôle des juges quant à la liberté et à la protection des malades mentaux", Information psychiatrique 2002, vol. 78, n° 6, p. 162. 396 "On retenait de Goffman et de Foucault l'idée de l'enfermement aliénant, de l'institution totalisante et totalitaire, et on en déduisait un rêve : désenfermer, c'est désaliéner ; libérer, c'est soigner" explique Frédéric GROS dans "Enfermer n'est pas clore", Informations Sociales n° 82, dossier spécial "Enfermements", p. 6. 397 Pour Patrick BATMAN, "le thérapeute élabore avec chacun des patients et souvent son entourage un espace de dialogue où la question posée par la loi et la sécurité s'associe à celle d'un "risque calculé" basé sur l'échange et le dialogue" extrait de "La liberté d'aller et venir en psychiatrie. Entre l'exigence de la loi, l'éthique et la réalité des pratiques", conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir tenue en 2005, intervention disponible sur www. serpsy.org. 398 TA Grenoble, 2 octobre 1974, Dame veuve Mugnier c. Hôpital psychiatrique de Saint-Égrève et Etat français : "la libération de Ferrandini a été proposée sans aucune des précautions que nécessitaient la particulière gravité de sa santé mentale ainsi que ses multiples récidives antérieures et notamment sans examen du malade par un ou plusieurs autres médecins psychiatres, sans aucune sortie d'essai préalable à la sortie définitive, ni
112
Ouvert aux thérapeutiques nouvelles, le juge ne s'en montra pas moins soucieux de
préserver les intérêts des tiers : il choisit de faciliter leur indemnisation par l'application d'un
régime de responsabilité sans faute.
B – La protection des tiers En 1967, le Conseil d'État expliqua bien que les sorties d'essai créaient un risque
spécial justifiant que la responsabilité de l'hôpital soit engagée sans qu'une faute de sa part ne
soit caractérisée. Cette solution a pu sembler se heurter à la loi du 3 janvier 1968 portant
réforme du droit des incapables majeurs qui introduisit l'article 489-2 code civil au terme
duquel : "Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'emprise d'un trouble
mental n'est pas moins obligé à réparation". La décision d'hospitalisation sans consentement
n'étant pas systématiquement accompagnée d'une mesure de protection civile, les tiers étaient
susceptibles de se retourner contre la personne malade. Mais les victimes ne s'y trompèrent
pas : en mettant en cause les établissements, elles étaient sûres de trouver un patrimoine
solvable… Ce sont donc les juridictions administratives qu'elles sollicitèrent afin d'être
indemnisées des dommages commis par une personne hospitalisée librement en sortie d'essai.
Les magistrats refusèrent de faire jouer la théorie du risque dans cette hypothèse, précisément
car son applicabilité exige qu'un risque spécial et anormal soit pris, condition inexistente aux
yeux des juges dans le cadre d'une hospitalisation acceptée399. Cette solution montre que le
Conseil d'État reconnaissait l'hospitalisation libre avant même qu'elle ne soit consacrée
légalement400. Les conditions d'anormalité et de spécialité du risque qui doivent être réunies
pour appliquer toute responsabilité sans faute fondée sur le risque401 se justifient par le souci
de protéger les deniers publics. Cette préoccupation explique aussi que seuls les préjudices
graves, anormaux et spéciaux soient indemnisés.
sans que soit prescrit un traitement à domicile de nature à prolonger les effets de celui qui avait été dispensé à l'hôpital". D. 1975, p. 204, note Franck Moderne. 399 CE, section, 30 juin 1978, n° 9951401582, Hôpital psychiatrique départemental de Rennes c/ Dame Clotault, rec. 289. Le conseil retient la faute de l'établissement pour avoir laissé une totale circulation à l'intéressé même s'il était en hospitalisation libre car "l'intéressé n'avait aucune occupation professionnelle et que son agressivité était connue". 400 Elle était uniquement prévue par les circulaires du 1er mars 1949 et du 28 février 1951. 401 Conditions déjà exigées par l'arrêt fondateur de cette théorie : CE, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers, rec. 139.
113
Car, l'objectif de cette jurisprudence est bien d'indemniser les victimes d'actes
préjudiciables commis par une personne en sortie d'essai sans pour autant condamner une
pratique médicale considérée comme novatrice. C'est ce que prouvent les arrêts ultérieurs qui
n'accordèrent les bénéfices de la théorie du risque social ni aux malades ni à leurs familles402.
Le juge considère que ces derniers, bénéficiant du régime de sortie ne peuvent se plaindre des
éventuelles conséquences préjudiciables qui en résulteraient à leur égard. Le Conseil d'État a
d'ailleurs affirmé que l'autorisation de sortie d'essai est une mesure qui relève du traitement du
malade hospitalisé et n'est pas une décision susceptible de recours pour excès de pouvoir403. Il
a aussi admis qu'une autorisation de sortie entraîne une obligation de surveillance "allégée" à
l'égard de la personne qui en profite lorsqu'elle se trouve dans l'établissement (hospitalisation
partielle). En effet, l'absence de mesures de surveillance particulières ne caractérise pas une
faute de surveillance relativement à un patient qui bénéficiait d'un "régime comportant
l'autorisation de se rendre les samedis et dimanches dans son foyer" et s'est suicidé pendant la
semaine404.
La jurisprudence sur le risque spécial a par contre été étendue aux "placements
familiaux surveillés" en 1981405. Certains auteurs considèrent que cette théorie devrait être
appliquée plus largement. À leur avis, elle devrait recouvrir tous les dommages causés à des
tiers à la suite de n'importe quelle activité se rattachant à un protocole de prise en charge
psychiatrique. Mais ceci créerait une charge financière qui conduirait certainement les
établissements à ne plus accorder de telles sorties.
Par des solutions mesurées, le juge administratif joue donc un rôle de médiation entre
la société et la psychiatrie. En admettant la parfaite légalité des sorties d'essai et de l'accueil
familial, modes de prise en charge non prévus par la loi, il a montré sa capacité à adapter le
droit à l'évolution thérapeutique caractérisée par le dépassement de la thèse de l'enfermement
comme seul "remède" à la folie. Depuis une cinquantaine d'années, l'intégration au sein de la
société est perçue comme élément de guérison ou au moins comme une (la ?) finalité du soin.
402 TA Rennes, 7 décembre 1977, req. n° 60-01-02-01 publié au recueil Lebon : "Si un régime d'hospitalisation des malades mentaux est de nature à engager la responsabilité de l'établissement qui le pratique vis-à-vis des tiers sur le fondement d'un risque social, cette responsabilité n'est engagée vis-à-vis des malades ou de leurs familles, qui bénéficient des avantages de cette pratique libérale, que si une faute, appréciée en fonction des modalités modernes d'hospitalisation des malades mentaux, est établie à l'encontre du service". 403 CE, 17 nov. 1997, CHS Erstein, Dr. Adm. 1998, n° 128. Dans le même sens, CAA Douai, 12 juillet 2001, 1ère ch., req. n° 98DA00428 : l'arrêté préfectoral ayant autorisé les deux sorties provisoires ne fait pas grief. 404 CE, 24 février 1982, req. n° 23946. 405 CE, 20 mars 1981, Thomas, RDP 1982, p. 218 et CE, 13 mai 1987, Dame Piollet et M. Anson, rec. 172.
114
§2 –Du soin par l'enfermement au soin par l'intégration sociale
L'article premier de la loi du 27 juin 1990 dispose : "La lutte contre les maladies
mentales comporte des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de
réinsertion sociale". Est-ce l'affirmation d'une évidence ? Cette disposition a le mérite de
traduire l'évolution de l'appréhension de la maladie mentale, issue d'une meilleure
compréhension des affections psychiques, de la découverte de nouveaux médicaments et
finalement de l'idée que la personne atteinte de troubles mentaux n'est pas condamnée à être
enfermée406. Il est désormais admis que la majorité des personnes hospitalisées sans leur
consentement le sont de manière temporaire. Il s'agit donc de préparer "l'après". Nous ne
partageons pas l'avis de Monsieur Debène qui qualifie cet article de "pétition de principe".
Selon lui, la loi ne prévoit pas les moyens de ces actions. Pourtant, les sorties d'essai font
partie des mesures à visée de réinsertion organisées par le texte (A), qui pourraient être
complétées par la création d'une mesure d'obligation aux soins en médecine ambulatoire (B).
A – Le développement des mesures à visée de réinsertion
L'objectif de réinsertion des personnes hospitalisées sous contrainte fut affiché au
niveau international par la déclaration des droits du déficient mental407 et beaucoup plus
récemment par la recommandation du Conseil de l'Europe. Cette dernière indique que "des
mesures de réadaptation professionnelle visant à faciliter l'insertion de ces personnes dans la
société devraient également être proposées" et que "les États membres devraient s'efforcer de
réduire au minimum, chaque fois que cela est possible, la durée du placement involontaire,
au moyen de services post-cure appropriés"408. Au plan national, la volonté de permettre à la
406 "La schizophrénie, une maladie qui se soigne", Ouest France, 25 mars 2008 : "La schizophrénie, c'était la folie. Ils évitaient de prononcer le mot, refusaient de révéler le diagnostique", explique Mme Letrouit qui poursuit, "nous n'en sommes plus tout à fait là. Mais des faits divers, comme le meurtre des infirmières de Pau, en 2005, font croire que les schizophrènes sont tous dangereux. C'est faux. Cette tragédie est due, avant tout, à un scandaleux mauvais accès aux soins. Voilà tout le but de notre association : faire reconnaître la schizophrénie comme une vraie maladie, qui se soigne". 407 "Ayant à l'esprit la nécessité d'aider les déficients mentaux à développer leurs aptitudes dans les domaines d'activités les plus divers et de favoriser, autant que possible, leur intégration à une vie sociale normale" Quatrième alinéa de la déclaration des droits du déficient mental, adoptée par l'assemblée générale de l'ONU le 20 décembre 1971. 408 Art. 9 § 1 et Art. 24 § 4 de la recommandation n° R (2004) 10 adoptée le 22 septembre 2004 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe relative à la protection des droits de l'homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux.
115
personne ayant fait l'objet d'une mesure d'hospitalisation forcée de trouver une place dans la
société s'est concrétisée par le développement des structures extra-hospitalières (permettant le
suivi post-hospitalier)409. Elle s’est aussi manifestée par la légalisation des sorties malgré les
relatives désillusions des années quatre-vingt sur leurs bienfaits (comme sur les diverses
mesures qui accompagnèrent l'ouverture des hôpitaux psychiatriques410).
Les sorties d’essai sont prévues par l'article L. 3211-11 CSP qui différencie la
procédure selon que la personne est hospitalisée à la demande d'un tiers ou d'office : dans le
premier cas, la sortie est décidée par le psychiatre de l'établissement, ce dernier devant
informer le tiers ; dans le second, c'est le préfet qui octroie l'autorisation, sur proposition
écrite et motivée du psychiatre. La seule précision apportée par le texte de loi par rapport aux
pratiques qui avaient court auparavant concerne la durée de la sortie : en principe d'au moins
un mois, elle ne peut excéder trois mois mais peut être renouvelée. M. Debène souligne
l'insuffisance de ces dispositions : "rien n'est dit sur la personne qui peut être appelée à
prendre en charge le malade en sortie d'essai ; le silence est gardé sur la question de la
responsabilité du fait des dommages qui peuvent résulter de l'utilisation de cette méthode
libérale". Il conclut : "Belle marque de confiance dans la jurisprudence du Conseil d'État
!"411. Le silence du législateur met effectivement en lumière l'importance de la jurisprudence
administrative dans cette matière, et si ce n'est pas la marque d'une confiance aveugle dans le
droit créé par le Conseil, alors cela dénote l'approbation par le législateur de la position
adoptée par le juge.
Le tribunal des conflits a rappelé que seul le préfet a la faculté d'autoriser la sortie d'un
patient hospitalisé d'office, à l'exclusion du président du tribunal de grande instance412. On
peut se demander pourquoi, s'agissant finalement d'une décision préfectorale, ce n'est pas
l'État qui est responsable d'éventuels dommages causés pendant la sortie. Le lien étroit
théoriquement maintenu entre le patient et l'établissement explique que ce dernier soit
éventuellement reconnu responsable. En effet, pendant tout le temps de la sortie, le secteur
psychiatrique compétent doit assurer une surveillance médicale. Parfois, une hospitalisation
partielle est mise en place. Le calendrier des certificats médicaux et des arrêtés de
renouvellement est maintenu car le malade reste sous le statut juridique qui était le sien lors
409 Réalisé notamment grâce à la sectorisation issue d'une la circulaire du 15 mars 1960. 410 Article précité note n° 392, p. 6. 411 DEBÈNE Marc, "La modernisation de la loi de 1838 sur les aliénés", AJDA 1990, p. 875.
116
de son hospitalisation. Le patient peut être réhospitalisé sans qu'il soit besoin de reprendre la
procédure de décision d'hospitalisation forcée. Il n'est donc pas nécessaire de solliciter le
préfet413. En ce sens, les sorties d'essai sont "confortables" pour le corps médical qui détient
une faculté de réintégration immédiate. L'effet pervers largement décrié est celui du
renouvellement pour des périodes très longues, parfois plusieurs années.
L'objectif de réadaptation est d'autre part poursuivi avec les sorties de courte durée,
pratique ancienne encadrée par la loi du 4 mars 2002. L'alourdissement des formalités par ce
texte semble conduire à une moindre utilisation de cet aménagement à l'hospitalisation414.
L'article L. 3211-11-1 du CSP prévoit qu'accordées pour une durée de douze heures
maximum, elles doivent se fonder sur un motif thérapeutique (des soins somatiques non
prodigués dans le centre hospitalier comme des soins dentaires) ou être destinées à permettre
d'effectuer des "démarches extérieures". Le texte précise que la personne doit être
accompagnée "d'un ou plusieurs membres du personnel de l'établissement pendant toute la
durée de la sortie". Accordées par le directeur pour les personnes en HDT, elles ne le sont,
dans le cadre de l’HO, que si le préfet ne manifeste pas son désaccord dans les quarante-huit
heures qui suivent la sollicitation du directeur, transmise avec l'avis d'un psychiatre415. Cette
reconnaissance légale n'a pas remis en cause les sorties de courte durée non accompagnées de
malades hospitalisés sous contrainte : ce sont des sorties d'essai très brèves permises par
l'article L. 3211-11 du CSP qui ne prévoit pas de durée minimale pour ce type de mesure416.
Le côté rassurant de la réintégration sans formalité pendant les sorties d'essai a
l'avantage d'éviter l'alternative binaire entre hospitalisation et sortie définitive. Toutefois,
certains renouvellements, quasi illimités, maintiennent de fait une obligation de soins
contraire à l'esprit de la loi417. C'est l'argument principal en faveur de la création (et donc
l’encadrement légal) d’une obligation de soins en ambulatoire. Bien que d'aucuns voient, dans
ce qui serait un troisième régime de soins sous contrainte, l'avenir de la psychiatrie, la
proposition d'instituer des soins ambulatoires forcés ne fait pas l'unanimité.
412 T. Confl., 30 mars 1992, Préfet d'Îlle-et-Vilaine c/ Saulnier n° 02691. 413 Propositions de réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation, rapport IGAS et IGSJ n° 2005 064, p. 10. 414 Rapport précité, p. 11. 415 Art. L. 3211-11-1 al. 3 CSP. 416 Lettre ministérielle DGS/SD 6 C du 4 avril 2003 relative aux sorties de courte durée de malades. 417 La personne est soignée, pendant plusieurs mois voire plusieurs années, contre son gré, par le centre médico-psychologique de secteur, parfois à domicile, sans aucun encadrement légal.
117
B – Les soins ambulatoires sous contrainte : l'avenir de la psychiatrie moderne ?
La prolongation des sorties d'essai pose le problème de la divergence fondamentale
entre les conditions qui justifient le maintien de la décision d'hospitalisation sous contrainte et
celles qui président à l'autorisation de réaliser une "période de probation". 418 Il n'est pas
logique de maintenir indéfiniment une personne sous le régime d'hospitalisation d'office en
invoquant sa dangerosité tout en lui permettant de sortir librement de l'établissement ! De
même, il est contradictoire d'invoquer la nécessité de soins "assortis d'une surveillance
constante" dans le cadre d'une hospitalisation à la demande d'un tiers et d'admettre que la
personne se soigne chez elle ! C'est pourquoi de nombreux professionnels avancent l'idée
d'une mesure d'injonction de soin mise en œuvre hors les murs de l'hôpital. La proposition
n'est pas nouvelle : le rapport Piel-Roelandt de 2001 y fait déjà référence. Elle présente
l'avantage d'encadrer en droit ce qui existe en fait. Mais elle rencontre des opposants. Certains
praticiens pensent qu'il n'est pas possible de contraindre une personne à se soigner
uniquement dans le système ambulatoire. Il est vrai que les sorties d'essai constituent parfois
une sorte de "contrainte psychologique" : la personne sait qu'elle doit suivre son traitement
sous peine d’être réhospitalisée, donc elle s'y plie. Mais si la mesure d'obligation de soins
prévoyait qu'en cas de soustraction au traitement la personne serait hospitalisée, l'effet
incitateur serait le même. Si le principe de l'existence d'une telle mesure était admis, quelle
serait l'autorité habilitée à décider ? Le magistrat de l'ordre judiciaire ? Le préfet ? Cette
seconde hypothèse ne passerait sans doute pas l'épreuve de la Cour de Strasbourg. Si elle était
décidée par un magistrat, les psychiatres coopéreraient-ils avec lui alors qu'ils sont
globalement réticents à lui confier des informations d'ordre privé, même lorsqu'il s'agit de
mettre en place une mesure de protection judiciaire419 ? Quel serait alors le rôle du juge
administratif ? À première vue, il n'aurait pas à intervenir dans le cadre d'une mesure prise par
un magistrat de l'ordre juridictionnel concurrent. Sauf à imaginer que la responsabilité de
l'établissement puisse être engagée pour avoir proposé une telle sortie alors que l'état de santé
de la personne ne permettait visiblement pas qu'elle se déroule correctement. Il aurait de
nouveau à trancher la question de la prise de risque…
418 À ce propos voir notamment : SENON Jean-Louis, "Soins ambulatoires sous contrainte : une mise en place indispensable pour préserver une psychiatrie publique moderne", L'information psychiatrique, vol. 81, septembre 2005, p. 627-634 ; ZWINENBERGER M., "Les sorties d'essai : évolution et perspectives", L'information psychiatrique, vol. 82, n° 6, juin-juillet 2006, p. 481-493 notamment la page 484. 419 Entretien avec M. Michelin, médecin médiateur au CH Guillaume Regnier de Rennes.
118
Une question qu'il a jusqu'à nos jours habilement tranchée, comme le démontre la
jurisprudence rendue au sujet des sorties d'essai. L'option de la responsabilité sans faute face à
une thérapeutique qui, bien que nécessaire, n'en était pas moins source de risque, illustre
comment le juge administratif, en accompagnant le développement de méthodes de soin
"libérales", participe activement à la protection des personnes hospitalisées sous contrainte
contre "l'enfermement symbolique" de la stigmatisation sociale.
Les intitulés de ce chapitre suggèrent que la protection de la personne hospitalisée sans
son accord se réalise "contre" l'institution psychiatrique ou "contre" la société définie a priori
comme étant peu tolérante "au différent". Ces expressions ne doivent pas tromper sur notre
perception du problème de l'accueil de "l'anormal" ou de manière plus neutre "du distinct" par
la communauté. L'abandon du « paternalisme médical » et la volonté de rendre effectifs les
droits des patients ne devraient pas déboucher sur une suspicion permanente à l'égard des
activités menées par les centres hospitaliers spécialisés. Le juge administratif, avec le
pragmatisme qui le caractérise, peut participer à une défense mesurée des droits
fondamentaux de la personne fragilisée par sa maladie. Tout simplement car il a en charge de
concilier les droits subjectifs des administrés avec les intérêts de l'administration. De plus,
l'étude du contentieux montre que ce sont moins les abus dans l'usage de la contrainte ou de la
pharmacopée qui sont reprochés devant les tribunaux, que l'absence de recours à la contrainte.
Manifestement, le juge crée du droit à l’occasion du contentieux né pendant
l'hospitalisation sous contrainte. Si le plus souvent cette création s'adosse au texte de loi ainsi
que le montre la jurisprudence au sujet de la contrainte, de la protection des "droits-libertés",
et du respect de la dignité, son œuvre créatrice peut parfois pallier le silence des textes pour
ne pas dire le retard ou la carence du législateur en la matière. L'arrêt Bernardet qui à
première vue n'est qu'une application fidèle du texte législatif, signe tout de même l'intention
du Conseil d'État d'accroître ou, tout du moins, de renouveler son intervention afin de
protéger les personnes au sein de l'hôpital. Il est loisible d'imaginer que dans la suite de cet
arrêt, le juge administratif revienne sur sa position concernant le droit de visite en se
considérant compétent. Cette solution paraîtrait logique au regard du paysage actuel de la
distribution des compétences entre les deux ordres pendant l'hospitalisation forcée : le juge
administratif serait alors compétent pour toutes les questions autres que le bien-fondé de la
mesure. Il retrouverait sa place de protecteur de l'ensemble des personnes hospitalisées dans le
secteur public.
119
"Devenir pour le peuple une garantie. N'est-ce pas en quelques mots tout le raccourci
de l'histoire de notre droit public, inséparable de celle du Conseil lui-même ?" s'interrogeait
René Mayer, garde des sceaux, lors de la commémoration du centième anniversaire du
Conseil d'État420.
Il est généralement admis que le Conseil d'État ou de manière globale le juge
administratif, n’est pas le garant des droits des administrés, face au pouvoir de
l'administration d'hospitaliser une personne sans son consentement. Le droit de
l’hospitalisation forcée s’inscrirait donc à rebours du mouvement historique décrit par
Monsieur Mayer. L’analyse de la jurisprudence administrative relative à cette matière permet
de mettre en doute l’objectivité de ces affirmations. Essentiellement fondée sur la répartition
des compétences entre les deux ordres de juridictions relativement à la décision
d’hospitalisation, l’image du juge de l’ordre judiciaire comme unique garant des droits de la
personne hospitalisée contre son gré ne rend pas compte de la réalité. Tout d’abord, elle sous-
estime la capacité du juge administratif à créer du droit lors du contrôle de la légalité externe
de la mesure. Ensuite, la présentation classique de la répartition du contentieux omet souvent
de préciser que le juge de l’administration est compétent pour contrôler le bien-fondé d’une
abstention ou d’un refus du préfet de prendre un arrêté d’HO. De plus, elle occulte le rôle
potentiel du juge administratif sur une question « annexe » à la décision d’hospitalisation :
l'accès aux documents concernant la mesure d'internement. Enfin, ce juge est susceptible
d’être saisi afin de résoudre les multiples problèmes qui surgissent pendant l’hospitalisation.
À l’occasion de l’examen des diverses questions qui lui sont soumises, le juge de
l’administration crée du droit ; non pas ex nihilo, mais à partir des « compromis » légaux. En
effet, le législateur a essayé d’élaborer un équilibre entre les impératifs de sécurité et de
liberté aussi bien lors de la prise de décision, que lors du déroulement de la mesure. La
création jurisprudentielle détermine les conditions concrètes de la réalisation de cet équilibre.
En quelque sorte, le juge affine le texte de loi, lui donne son « épaisseur ».
420 Discours de René Mayer, garde des sceaux, « Le Conseil d'État », livre jubilaire pour commémorer son centième anniversaire, Sirey, Paris, 1952, p. 22 cité par Sophie Mathon-Péchillon dans sa thèse sur « La contribution du Conseil d'État à la protection de la personne humaine », Rennes, 2000.
120
Par le truchement de cette création, le juge administratif est susceptible d’accroître les
garanties offertes aux administrés comme l’illustrent le renforcement des exigences
relativement à la motivation des arrêtés préfectoraux, l’acception restrictive de la notion de
tiers, les limites posées à l’usage de la contrainte, l’affirmation de l’obligation de toujours
respecter le droit de correspondance. Néanmoins, ces garanties trouvent leurs limites dans la
protection des tiers comme l'atteste la jurisprudence relative à l’accès aux informations
relatives au placement. Ici, c'est par un silence que le juge administratif participe à la création
du droit421. De la même manière, il a choisi d’appliquer un régime de responsabilité sans faute
afin d’indemniser les victimes d’actes commis par un malade bénéficiant d’une sortie d’essai.
Par les positions qu’il adopte, le juge influe sur les pratiques administratives. À cet
égard, on peut émettre l’idée que le contentieux de l'hospitalisation sous contrainte illustre une
évolution de la fonction du juge administratif caractérisée par un renforcement de son rôle de
conseiller de l'administration active. Rôle dont il ne s’est jamais départi (le Conseil d’État
examine certains décrets), mais qui s’amplifie dans le cadre de sa fonction contentieuse. En
effet, ses "censures" (par exemple l’annulation d’une décision d'HDT prise sur des certificats
non-circonstanciés) ont une dimension "pédagogique" : la motivation des arrêts permet aux
services préfectoraux et aux établissements de santé de savoir de quelle manière ils auraient
dû agir pour se conformer à la loi. Ainsi, par ses effets sur le long terme, l'action du juge de
l'ordre administratif s’avère protectrice des droits des administrés. Est-elle efficace à court
terme ? La réponse est indéniablement positive pour le contentieux indemnitaire relatif à la
période d’hospitalisation. Elle est plus nuancée pour ce qui est du contrôle de la décision
d’hospitalisation : c’est le juge judiciaire qui répond à l'intérêt immédiat du justiciable en
sanctionnant l'illégalité par la décision de mainlevée et l’octroi de dommages et intérêts422.
Il ne s’agit donc pas de prendre le contre-pied de l’idée exposée auparavant en
présentant le juge de l’ordre administratif comme l’unique protecteur des droits des personnes
hospitalisées sans leur consentement. Quant à la décision d’hospitalisation, l’image d’une
certaine complémentarité des deux ordres de juridictions est peut-être plus fidèle à la réalité.
421 Cette observation s'inscrit dans les propos de Sophie Mathon-Péchillon selon laquelle la contribution du juge administratif à la protection de la personne humaine est tantôt positive tantôt négative au sens où un silence ou un refus implicite de se prononcer sur une règle protectrice contribue également à créer du droit. Voir : MATHON-PECHILLON Sophie, La contribution du Conseil d'État à la protection de la personne humaine, Rennes, 2000, introduction.
121
Le juge judiciaire est susceptible d'encadrer les pratiques administratives423 et le juge de
l’ordre administratif peut agir rapidement grâce au référé. D’ailleurs, l’organisation même
d’une répartition du contentieux ne saurait aboutir à une situation de « concurrence » au sens
propre du terme. Le problème majeur est donc celui de l'aménagement des interventions
consécutives des juges. Le risque réside dans la violation du principe du délai raisonnable
protégé par l'article 6 § 1 de la Conv. EDH424. Par contre, il nous semble que la protection de
la personne au sein de l’hôpital psychiatrique devrait ressortir de la compétence exclusive du
juge administratif. Reste que celui-ci n’a pas résolu tous les problèmes engendrés par la
protection de la personne contre elle-même.
Certaines questions soulevées par l'obligation de soins demeurent. Intrinsèquement
liée à la décision d'hospitalisation, cette obligation ne peut être remise en cause que par le
juge judiciaire. Toutefois, le juge administratif pourrait, en affinant son contrôle sur
l'obligation d'information, introduire des distinctions entre les soins prodigués. Ces derniers
ne doivent pas seulement "neutraliser" la personne mais la soulager durablement. L'on
pourrait ainsi envisager que le consentement aux soins, totalement exclu pour les actes visant
la sédation du malade "agité", soit recherché pour les actes curatifs. Une autre distinction,
entre les soins psychiatriques et les soins somatiques, permettrait d'exiger le consentement de
la personne concernant ces derniers, en réservant le cas de l'urgence. L'étude de
l'hospitalisation sans consentement pourrait donc utilement être poursuivie suivant deux axes
d'investigation : un approfondissement sur le travail du juge judiciaire et un questionnement
sur les conditions de l'obligation de soins. Car, comme l’écrit Monsieur Bernardet, « dans
une démocratie, la logique du soin ne peut être opposée à la logique des droits de l’homme,
tant il est évident que, notamment en psychiatrie, on ne saurait soigner quiconque au mépris
de la personne et, par conséquent, au mépris des droits de l’homme les plus élémentaires »425.
422 Par exemple, Cass. Civ, 16 mars 2004, n° 01-15538 : condamnation solidaire du médecin de famille, du centre hospitalier, de la commune d'Aix-en-provence et de l'Etat à verser une indemnité de 300 000F à M. Giovanni en réparation des préjudices que lui a causés son internement du 15 au 21 mai 1990. 423 CA Paris, 1re ch. B, 17 juin 2004, V. c/ Préfecture des Hauts de Seine, JCPG, n°39, p. 1641, note Thierry Fossier. Le préfet a invoqué à tort le principe de précaution car "le risque de récidive sans lien direct établi avec l'état mental de la personne concernée par une mesure d'hospitalisation d'office, ne peut justifier le maintien de cette mesure, qui doit s'apprécier seulement en fonction de l'état psychiatrique de cette personne". 424 La France est déjà régulièrement sanctionnée même lorsque un seul juge est intervenu. CEDH, 16 janvier 2007, n° 97/03, Menvielle c/ France : délai excessif devant le juge judiciaire ; arrêt commenté par Gilles DEVERS, "Hospitalisation d'office, la France mauvais élève de l'Europe", Droit, déontologie, soin, vol. 7, n° 4, déc. 2007, p. 497 ; CEDH, 28 août 2007, req. n° 23101/03, Aiouaz c/ France : durée excessive d'une procédure de contestation d'une HO devant les juridictions administratives. 425 Phrase reprise par Christiane Ott à la page 237 de son article précité, V. note n° 321.
122
I – Manuels et ouvrages généraux
- DUPONT Marc, ESPER Claudine, PAIRE Christian, Droit hospitalier, Dalloz, 5e éd.,
2005.
- DUPUIS Georges, GUÉDON Marie-José, CHRÉTIEN Patrice, Droit administratif, Sirey,
10e éd., 2007.
- FRIER Pierre-Laurent, PETIT Jacques, Précis de droit administratif, Montchrestien, 4e
éd., 2006.
- LAUDE Anne, MATHIEU Bertrand, TABUTEAU Didier, Droit de la santé, PUF, 1ère
éd., 2007.
- WACHSMANN Patrick, Libertés publiques, Dalloz, 5e éd., 2005.
II - Manuels et ouvrages spéciaux
- CORMIER Maxime, DE CREVOISIER Anne, WELNIARZ Bertrand, La prise en charge
des mineurs en psychiatrie, Éditions de L'entreprise médicale, 2006.
- PALAZZOLO Jérôme, Chambre d'isolement et contentions en psychiatrie, 2002.
- FRIARD Dominique, La chambre d'isolement en psychiatrie, séquestration ou soins ?,
Éditions Hospitalières, Paris, 1998. Résumé sur l’Internet : www.serpsy.org.
III – Thèses et mémoires
- BOUMAZA Assia, Hospitalisation psychiatrique et droits de l'homme : la protection de
la personne malade mentale hospitalisée, volume I et II, Editions du CNTERHI, 2002.
- MATHON-PECHILLON Sophie, La contribution du Conseil d'État à la protection de la
personne humaine, sous la direction de Madame le professeur Moquet-Anger, Rennes,
2000.
- TOUCHARD Vincent, mémoire en vue de l'obtention du Master 2 de droit public, Le
dualisme juridictionnel en matière d'hospitalisation d'office, sous la direction de Monsieur
le professeur Pacteau, Bordeaux, 2005.
123
IV - Documents officiels
- Propositions de réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des
personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions
d'hospitalisation, rapport IGAS et IGSJ n° 2005 064 présenté par le Docteur Alain
LOPEZ, Izabelle YENI, Martine VALDES-BOULOUQUE et Fabrice CASTOLDI, mai
2005.
- Recommandation n° R (83) 2 adoptée le 22 février 1983 par le Comité des ministres du
Conseil de l'Europe sur la protection juridique des personnes atteintes de troubles mentaux
et placées comme patients involontaires.
- Recommandation n° R (2004) 10 adoptée le 22 septembre 2004 par le Comité des
ministres du Conseil de l'Europe relative à la protection des droits de l'homme et de la
dignité des personnes atteintes de troubles mentaux.
V – Mélanges
- Éthique, droit et dignité de la personne humaine, mélanges en l'honneur de Christian
BOLZE, sous la direction de Philippe PEDROT, Economica, 1999 :
- BORELLA François, "Le concept de dignité de la personne humaine", p. 30 – 38.
- MEYER-HEINE Anne, "La liberté de pensée, de conscience et de religion et la
protection de la santé : deux aspects de la dignité de la personne, protégés par le
droit européen et parfois contradictoires", p. 301 - 315
- NEIRINCK Claire, "La dignité ou le mauvais usage juridique d'une notion
philosophique” p. 39
- PAILLET Elisabeth, "La dignité de la personne majeure protégée", p. 283 – 299
- Études offertes à Jean-Marie AUBY, Dalloz, 1992 :
- DUBOUIS Louis, "La loi du 27 juin 1990 assure-t-elle une protection des
personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux conforme au droit européen
?", in Études offertes à Jean-Marie AUBY 1992, p. 727
124
VI – Articles
- AMOUROUS Charles, "Vivre en milieu fermé", Informations Sociales n° 82, dossier
spécial "Enfermements", p. 24.
- AUBY Jean-Marie, "La loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection
des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions
d'hospitalisation", JCPG 1990, I, 3463, p. 34.
- BATMAN Patrick, "La liberté d'aller et venir en psychiatrie. Entre l'exigence de la loi,
l'éthique et la réalité des pratiques", Conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir,
2005, intervention disponible sur l’Internet : www. serpsy.org.
- BERNARDET Philippe et GULERIA Aymeric, "Psychiatrie : la motivation par référence
des décisions d'hospitalisation d'office et les nouvelles exigences d'information du
patient", article disponible sur l’Internet : www.groupeinfoasiles.org.
- BERNARDET Philippe, "Les conditions du consentement au traitement de la personne
souffrant de troubles mentaux", Revue de sciences humaines et sociales 2005, n° 104, p.
35.
- BOISSARD Sophie, conclusions sur CE, section, 28 juillet 2000, RFDA 2001, p. 1239.
- BOUTEILLE Magali, "Liberté de correspondance et hospitalisation sous contrainte",
Revue droit et santé 2007, n° 18, p. 569.
- BRUGUIÈRE Jean-Michel, "La dignité schizophrène ?", D. 2005, tribune, p. 1169.
- COELHO José, "Hospitalisations psychiatriques sous contrainte : plaidoyer pour une
réforme", RDSS 2006, vol. 2, p. 249.
- CORDIER J-C, POUYOLLON F., "Soins sans consentement", L'information
psychiatrique 2001, n° 7, p. 699.
- DAUCHY José-Manuel, " Le contrôle de la Cour européenne des droits de l'homme des
décisions administratives d'internement psychiatrique", RDSS 2001, n° 3, p. 474.
- DEBÈNE Marc, "La modernisation de la loi de 1838 sur les aliénés", AJDA 1990, p.871.
- DELAGE Pierre-Jérôme, "La dangerosité comme éclipse de l'imputabilité et de la
dignité", RGDM 2008, n° 26, p. 39.
- DESCHAMPS Jean-Louis, "Le rôle des juges quant à la liberté et à la protection des
malades mentaux", L’information psychiatrique 2002, vol. 78, n° 6, p. 162
- DEVERS Gilles, "Hospitalisation d'office, la France mauvais élève de l'Europe", Droit,
déontologie, soin 2007, vol. 7, n° 4, p. 497
125
- DUBOUIS Louis, "Le principe de précaution appliqué aux services de psychiatrie
publique : vers une obligation générale de sécurité ?", Revue psy-cause n° 31-32,
disponible sur l’Internet : www.psycause.fr.st.
- EDELMAN Bernard, "La dignité de la personne humaine, un concept nouveau", D. 1997,
n° 23, chron. p. 185.
- FOSSIER Thierry, "La relation entre psychiatre et malade : aspects juridiques",
L'information psychiatrique 2001, n° 7, p. 680.
- FOSSIER Thierry, "Contrôle de légalité et responsabilité en matière d'internement des
aliénés : le désordre des deux ordres ?", RDSS 2005, n° 3, p. 450.
- GERSON G., GOMBAULT N., "Qu'en est-il de la responsabilité en psychiatrie ?",
L'information psychiatrique 2001, n° 7, p.710.
- GISELMANN A., AMEUR A., PINOIT J-M, MORIZOT S., FRANCOIS I., BESSE P.,
"Utilisation particulière du certificat médical dit des 24 heures dans l'hospitalisation
d'office", Journal de Médecine Légale Droit Médical 1997, vol. 40, p. 427.
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pour certaines hospitalisations sans consentement : conséquences pratiques", Journal de
Médecine Légale Droit Médical 2004, vol. 47, n°1, p.46.
- GRABOY-GROBESCO Alexandre, "Les séjours psychiatriques sous contrainte et
l'évolution des droits des malades", AJDA 2004, p. 65.
- GROS Frédéric, "Enfermer n'est pas clore", Informations Sociales n° 82, dossier spécial
"Enfermements", p. 4.
- HADLEY STARK Jasna, "L'hospitalisation psychiatrique sous contrainte dans la
jurisprudence contemporaine", JCPG 2005, n° 29, p. 1389.
- HADLEY STARK Jasna et BERNARDET Philippe, "Les pouvoirs du juge de l'urgence
en matière d'internement psychiatrique d'office", JCPG 2005, n° 5, J. n° 10 015.
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européenne des droits de l'homme", RDSS 1998, p. 112.
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la personne humaine", D. 2004, chron. p. 3154.
- HENNION-JACQUET Patricia, "Le paradigme de la nécessité médicale", RDSS 2007, n°
6, p. 1038.
- HORASSIUS M. et N., "Droits des malades : information, consentement… dignité",
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- LEYRELOUP Anne-Marie et DIGONNET Emmanuel, "La liberté de circulation : portes
ouvertes, portes fermées ?", Conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir, 2005,
intervention disponible sur l’Internet : www. serpsy.org.
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- MASSÉ G., ZWINENBERGER M., "Les sorties d'essai : évolution et perspectives",
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juridique", D. 2005, p. 1649.
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cause n° 31-32, disponible sur l’Internet : www.psycause.fr.st.
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suicidaire", Revue Droit et Santé 2007, n° 18, p. 568.
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détérioration mentale, Droit, histoire, médecine et pharmacie", Actes du colloque
interdisciplinaire d'Aix-en-provence du 7 au 8 juin 2000, Presses universitaires d'Aix-
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- NICOLAU Gilda, "L'héritière", D. 1991, chronique p. 29.
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- OVERNEY Sophie "L'expert, coauteur des décisions d'hospitalisation d'office des
malades mentaux", DA 2002, p. 12.
- PASCAL J -Ch., "Si peu savoir de soi mais vouloir tout savoir de soi malade",
L'information psychiatrique, 2001, n° 7, p.688.
- PROTHAIS Alain, "La loi de 1838 à l'aune du droit pénal", D. 1951, p. 26.
- ROMAN Diane, "Le respect de la volonté du malade : une obligation limitée ?", RDSS
2005, n° 3, p. 423.
127
- ROMAN Diane, "À corps défendant. La protection de l'individu contre lui-même", D.
2007, n° 19, chronique p. 1284.
- SENON Jean-Louis, "Soins ambulatoires sous contrainte : une mise en place
indispensable pour préserver une psychiatrie publique moderne", L'information
psychiatrique 2005, vol. 81, p. 627.
- SPINOSI Germaine et LE ROLLAND Nadia, "Règlement intérieur et libertés
individuelles : quelles évolutions ?", Conférence de consensus sur la liberté d'aller et
venir, 2005, intervention disponible sur l’Internet : www. serpsy.org.
- VANDENDRIESSCHE Xavier, "Le droit des hospitalisations psychiatriques : derniers
développements", RDSS 1992, n° 28 (1), p. 1.
- VIALLA François, "La communication des informations "personnelles" au regard des
dispositions de l'article L. 1111-7 du Code de la santé publique", RGDM 2005, n° 16,
p.195.
VII – Sites Internet
- Groupe Information Asile : www.groupeinfoasiles.org
- Haute Autorité de Santé : www.has-sante.fr
- Légifrance : www.legifrance.gouv.fr
- Ministère de la santé : www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr
- Revue Psy-cause : www. psycause.fr.st
- Soin Étude et Recherche en Psychiatrie : www. serpsy.org
128
Introduction _____________________________________________6
Première partie - La décision d’hospitalisation sans consentement 16
Chapitre 1 – La source du rôle créatif du juge : le nécessaire équilibre initié par la loi_______________________________________________________________________ 17
Section 1 – La recherche d'équilibre dans le contrôle des conditions formelles de la mesure _______________________________________________________________ 18
§ 1 Dans le cadre de l’hospitalisation d’office ___________________________________________ 18
A – La recherche de l'efficacité de l'action administrative________________________________ 19
B – Le refus de sanctionner le défaut de notification____________________________________ 21
§ 2 Dans le cadre de l’hospitalisation à la demande d’un tiers _______________________________ 25
A – Le contrôle limité de la demande du tiers _________________________________________ 25
B – Le contrôle limité des certificats médicaux ________________________________________ 27
Section 2 – La recherche d'équilibre dans le contrôle indirect du bien fondé de la mesure_____________________________________________________________________ 30
§ 1 La responsabilité de l’Etat ou de l'établissement pour abstention fautive____________________ 30
A – La responsabilité de la puissance publique ________________________________________ 31
B – La responsabilité de l'établissement _____________________________________________ 35
§ 2 L’évaluation lors de la levée de la mesure d’hospitalisation d’office _______________________ 38
A – La responsabilité de l'Etat _____________________________________________________ 39
B – La responsabilité de l'établissement _____________________________________________ 41
Chapitre 2 – Entre sécurité et liberté, la force créatrice du juge administratif _____ 45
Section 1 – La création du Droit dans le contrôle des formes_____________________ 45 § 1 Le renforcement des exigences concernant la motivation des arrêtés d’hospitalisation d’office __ 46
A – De la motivation par simple référence à l’arrêt Deslandes ____________________________ 47
B – La "révolution Deslandes"_____________________________________________________ 50
§ 2 L'encadrement de la notion de tiers_________________________________________________ 53
A – La restriction de la définition du tiers par la haute juridiction administrative______________ 54
B – Les bouleversements pratiques dus à la définition restrictive de la notion de tiers demandeur_ 56
Section 2 – La création de droits dans la mise en œuvre du droit à l'information de l'intéressé _____________________________________________________________ 59
§ 1 Les documents administratifs relatifs à l'hospitalisation sous contrainte ____________________ 60
A – Les documents contenant les informations concernant la décision d'hospitalisation ________ 60
B – Le régime législatif concernant l'accès à ces documents______________________________ 62
§ 2 L'accès aux documents concernant l'hospitalisation sans consentement_____________________ 64
A – L'accès aux informations médicales et administratives : une jurisprudence tout en nuance ___ 65
B – L'accès éventuel à la demande d'HDT elle-même ___________________________________ 68
129
Deuxième partie : L'hospitalisation sans consentement _________71 Chapitre 1 – La protection de la personne contre elle-même ____________________ 72
Section 1 : La dignité humaine, fondement et limite des soins sous contrainte _______ 73 § 1 La dignité, fondement des soins sous contrainte ? _____________________________________ 74
A – La dignité de la personne humaine, fondement potentiel des soins sous contrainte _________ 74
B - La dignité de la personne humaine, fondement discutable des soins imposés ______________ 76
§ 2 Le principe de dignité, limite à l'usage de la contrainte dans les soins ______________________ 78
A – Une limite reconnue _________________________________________________________ 78
B – Une limite franchissable ? _____________________________________________________ 80
Section 2 : La contrainte aux soins et la contrainte dans le soin___________________ 82 § 1 L'absence de contrôle du juge sur la contrainte aux soins________________________________ 83
A – L'absence de contrôle sur le principe même de la contrainte aux soins __________________ 83
B – L'éventuel contrôle du juge administratif sur le respect du droit à l'information sur les soins imposés ______________________________________________________________________ 85
§ 2 Le contrôle juridictionnel sur le recours à la contrainte dans le soin _______________________ 87
A – Le contrôle sur la liberté de circulation à l'hôpital __________________________________ 87
B – Le contrôle sur l'usage de la contention physique et sur la chambre d'isolement ___________ 91
Chapitre 2 : La protection de la personne contre l'enfermement_________________ 96
Section 1 – La protection des droits de la personne face à l'institution psychiatrique __ 97 § 1 La protection des "droits-libertés" _________________________________________________ 98
A – Une protection partielle_______________________________________________________ 98
B – Une protection accrue _______________________________________________________ 101
§ 2 La qualité de la prise en charge___________________________________________________ 104
A – La prise en charge matérielle__________________________________________________ 104
B – La prise en charge par le personnel _____________________________________________ 106
Section 2 – La protection de la personne face à la stigmatisation sociale___________ 109 §1 – Le juge administratif promoteur de méthodes thérapeutiques libérales ___________________ 109
A – L'encouragement des sorties d'essai ____________________________________________ 110
B – La protection des tiers _______________________________________________________ 112
§2 –Du soin par l'enfermement au soin par l'intégration sociale_____________________________ 114
A – Le développement des mesures à visée de réinsertion ______________________________ 114
B – Les soins ambulatoires sous contrainte : l'avenir de la psychiatrie moderne ? ____________ 117
Conclusion 119 Bibliographie 122 Table des matières 128
130
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