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© Jimmy Van der Plas

Jean Lerusse (1939-2013) (b, tp, flh) a vécu une double vie : gynécologue professionnel et musicien de jazz amateur. Il aimait nous faire croire qu’il aurait beaucoup aimé inverser ces rôles ! Cinquante ans après ses débuts, en un temps où les souvenirs remplacent les aspirations et les initiatives, Jean Lerusse s’est penché sur les éléments constitutifs de la musique de jazz. N’a-t-on pas tendance à oublier l’un ou l’autre ? Quels en sont les canons ? Sont-ils encore respectés ?

A travers cet essai, l’auteur nous emmène pas à pas vers une meilleure perception du Jazz. Son œuvre n’est pas à proprement parler un traité, mais bien un guide simple pour comprendre, aimer et jouer le jazz.

Jean-Marie Hacquier < Jazz Hot>

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Jean Lerusse

Le Jazz pour Tous le comprendre, l’aimer, le jouer

Préfaces de

Jean-Marie Hacquier

Jean-Marie Peterken

LDH Editions www.leslundisdhortense.be

www.jazzinbelgium.com

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Photo de couverture : collection de l’auteur Toutes les photos de ce livre proviennent de la collection de Jean Lerusse, avec l’aimable autorisation de l’auteur Tous droits de reproduction, par quelque procédé que ce soit, d’adaptation ou de traduction, réservés pour tous pays.

LEXIQUE INSTRUMENTAL

arr………………..…………….arrangement as………………………………….…sax-alto b………………………………...contrebasse com…………………………….compositeur dm………………………….drums / batterie eb………………………... basse électrique fl………………………….………….…..flûte flh………………………..flugelhorn / bugle g………………………………………guitare kb……………………..…keyboard / clavier lead……….leader / directeur (d’orchestre) org............................... .orgue (Hammond) p……………………….….piano acoustique perc………………………….…percussions sax…………….....saxophone (en général) ss…………………………….…sax-soprano tb…………………….………….…trombone tp……………………..……….…...trompette ts…………………………………..sax-ténor vib……………………………….vibraphone voc…………………………….vocal / chant

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SOMMAIRE

CITATIONS ……………………………………………………………………………………………………. 8 PREFACES …………………………………………………………………………………………………….. 9 Jean-Marie Hacquier, Jean-Marie Peterken INTRODUCTION ………………………………………………………………………………………………10 Section 1 : Qui suis-je et qui ne suis-je pas ? Ce que ce livre n’est pas Section 2 : Pourquoi ce livre ? Ce que ce livre veut être Section 3 : Esquisse de l’idiome du Jazz Section 4 : Survol à Mach 3 de l’évolution et de l’audience du jazz Section 5 : Ce qui est requis et ce qui ne l’est pas toujours CHAPITRE 1 : UN PEU (SI PEU) DE PHYSIQUE ………………………………………………… ......... 18 Section 1 : Fréquence du son Section 2 : Intensité du son Section 3 : Timbre du son CHAPITRE 2 : DU SON À LA NOTE ……………………………………………………………………….. 21 Section 1 : Du son à la note Section 2 : Intervalles entre les notes Section 3 : Altérations des notes CHAPITRE 3 : DE LA NOTE AUX GAMMES ET AUX INTERVALLES ………………………………… 27 Section 1 : Dénomination et ordre des notes dans les gammes Section 2 : La règle des intervalles dans les gammes Section 3 : Les blue notes Section 4 : Les gammes mineures et leurs intervalles CHAPITRE 4 : ACCORDS (= CHORDS) ET HARMONIES ……………………………………………….38 Section 1 : Généralités Section 2 : Accord parfait – arpège (triad) Section 3 : Equivalence des notes sur plusieurs octaves successives Section 4 : Renversements des accords Section 5 : Modifications – coloriage des accords (« altérations ») Section 6 : Petites subtilités et un piège Section 7 : Accords issus du jazz modal – modes dits grecs – accords de quartes et autres accords. Section 8 : Enchaînements harmoniques d’un thème (grilles d’accords) et formes des thèmes CHAPITRE 5 : RYTHME – SWING – TEMPO ……………………………………………………………..76 Section 1 : Généralités Section 2 : Le swing Section 3 : Autres rythmes Section 4 : Le tempo CONCLUSION………………………………………………………………………………………………….86 ANNEXE 1 : Evolution du Jazz Modal………………………………………………………………………. 87 ANNEXE 2 : Compagnons de route ou d’un soir ANNEXE 3 : Thèmes cités dans ce livre ANNEXE 4 : Thèmes faciles pour débuter ANNEXE 5 : Abrégé des signes de partitions ANNEXE 6 : Glossaire REMERCIEMENTS…………………………………………………………………………………….………94

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Quelques « Papes » de la critique de jazz :

de g. à dr. : Robert Goffin, Boris Vian, Mlle. X, Carlos de Radzitzky - © courtesy of Marc Danval

arrivée de Django Reinhardt à Bruxelles en 1942 (Gare du Nord, Saint-Josse-ten-Noode)

by courtesy of Julot Verbeeck

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Chet Baker

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CITATIONS Pas besoin de jouer beaucoup de notes, mais de jouer les bonnes notes.

Miles Davis. People act as they’re supposed to be hip, but Hipness is not a state of mind, but a fact of life. Les gens se comportent de manière à paraître hip, mais être hip n’est pas un état d’esprit, mais un fait de la vie.

Julian « Cannonball » Adderley It don’t mean a thing if it ain’t got that swing. Cela ne signifie rien si cela ne swingue pas.

Duke Ellington.

Sans musique la vie serait une erreur.

Nietzsche Si la musique n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Voltaire Les plus désespérés sont les chants les plus beaux Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.»

La nuit de Mai – Alfred de Musset. N.B. : Les interprétations sont de l’auteur.

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PREFACES

J’ai rencontré Jean pour la première fois en 1959 à l’occasion du festival de jazz de Comblain-la-Tour. J’avais seize ans et je venais de gagner une entrée gratuite au concours hebdomadaire de « Jazz pour Tous », l’émission animée par Nicolas Dor et Jean-Marie Peterken. Jean Lerusse, de quatre ans mon aîné, poursuivait ses études de médecine avec brio. J’admirais son aisance comme contrebassiste ;; j’ignorais ses dons comme trompettiste.

Je l’ai retrouvé quelquefois dans la cave du « Candide », rue Chéravoie à Liège (B), en 1961. Contre un billet de 20 francs belges, on pouvait assister le vendredi soir, serrés comme des sardines, aux jam sessions qui réunissaient tous les musiciens liégeois amateurs et professionnels autour de Jacques Pelzer (as, fl) et René Thomas (g). Je peux citer de mémoire : Jo Verthé (g), Robert Grahame (g), Gustave « Zamoth » Smeets (g), Jean Linsman (tp, b), Georges Leclerc (b), José Bedeur (b), Jean-Marie Troisfontaine (p), Léo Fléchet (p), Robert Jeanne (ts), Milou Struvay (tp), Tony Liégeois (dm), José Bourguignon (dm), Félix Simtaine (dm). Un matin qui prolongeait le festival de Comblain, on y a même vu quelques grands noms comme Sam Jones (b). J’étais en rhétorique, je rentrais toujours plus tard que l’heure prescrite par ma mère et, le lendemain matin, au cours de religion, j’aurais bien eu besoin de bois d’allumettes pour soutenir mes paupières lourdes.

Après mon service militaire, j’ai retrouvé Jean, en 1964, au « Jazz Inn », dans le « Carré » (Liège). Au Jazz Inn, quelques jams de plus en plus improbables commençaient fort (trop) tard le soir. Jacques Pelzer nous amenait ses hôtes, dont Chet Baker (tp). Jean n’y venait pas très souvent, absorbé par sa spécialisation en gynéco-obstétrique.

De 65 à 69, lors de mon séjour rémois, nous nous sommes mieux connus. J’ai souvent eu le plaisir de l’inviter à jouer en concerts pour le Jelly Roll Jazz Club que je présidais. Nous partions ensemble en tournées avec le quartet de Robert Jeanne et des invités comme René Thomas ou J.R. Monterose, Nous sillonnions les routes du Nord–Est de la France, de Charleville à Metz (Cat-4 Club) en passant par Sedan et Châlons-en-Champagne (à cette époque, on disait : Châlons-sur-Marne). J’ai gardé vivace le jour où il est arrivé de Liège en 2CV pour un concert à l’Hermitage de Cernay-lez-Reims. Le concert terminé, il est reparti aussitôt vers Liège pour assister l’accouchement d’une patiente.

De retour à Liège fin 69, j’ai continué à organiser des concerts, à La Pierre Levée, à la Cave 22 et dans mon Jazzland (74-76). Jean Lerusse (b) y accompagna de nombreux artistes à leur entière satisfaction.

Après 1982, nos rencontres se sont espacées, ne nous croisant plus que dans le couloir d’un festival ou sur le parvis d’une église pour saluer un ami commun (Léo Fléchet † 2004). En 2010, Jean m’a confié la diffusion de ces conseils essentiels en guise de testament musical. Le 9 août 2013, c’est lui qui nous quittait au terme d’une longue maladie.

Très heureux de t’avoir rencontré, Old Cat ! Keep swinging in Heaven!

Jean-Marie Hacquier <Jazz Hot>

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à propos du titre :

JAZZ POUR TOUS … c’est aussi l’histoire du jazz liégeois

Le jazz, musique universellement reconnue et interprétée, souffre en Belgique d’un terrible handicap pour son expansion : le désintérêt quasi-total de la part des médias. C’est assurément pour le côté jugé marginal dépourvu de toute pédagogie organisée là où elle devrait exister que cette forme musicale est si peu présente dans la grande actualité. Peut-être cet ouvrage va-t-il y remédier ? Après avoir subi l’ouragan commercial du rock et de ses satellites, d’ aucuns ont même prédit la mort du jazz. Heureusement, il reste bien présent avec l’arrivée de nouvelles générations de jeunes musiciens de talent.

Dans les années 50’ le jazz était très présent en presse écrite et en radio. A l’initiative du Directeur Régional Liégeois de la RTB de l’époque ; Robert Georgin, Nicolas Dor et moi-même furent chargés de produire et d’animer une émission hebdomadaire de quatre-vingt-huit minutes émise à 21 heures, le mardi. La première fut diffusée le 2 avril 1956. Elle demeura à l’antenne pendant…treize ans ! C’était un peu une première en Belgique avec deux commentateurs au micro. Ils n’eurent d’ailleurs aucune honte à reconnaître qu’ils s’étaient largement inspirés du quotidien d’Europe 1 de Frank Ténot et Daniel Filipacchi : « Pour ceux qui aiment le jazz ».

« Jazz pour tous » fut le nom de cette émission devenue rapidement célèbre. Il est vrai que le monopole des ondes était sans partage et que la télévision nourrissait ses programmes en direct de Paris. Le titre, Jazz pour tous, fut choisi par la volonté des producteurs qui était de présenter une programmation éclectique à une époque où la guerre des styles était encore vive.

« Jazz pour tous » a joué un rôle capital dans l’histoire du jazz liégeois. Par exemple : sans elle, le célèbre festival de Comblain-la-Tour n’aurait jamais existé. Et l’actuel « Jazz à Liège » non plus, puisque sa création voulue en 1991 fut initiée avec au cœur et à l’esprit le sentimental souvenir du passage des grands jazzmen dans la légendaire prairie de 1959 à 1966.

« Jazz pour tous » eut aussi sa version télé pendant six ans. Deux événements ont marqué son existence : l’enregistrement inédit d’un quintet européen exceptionnel avec Bobby Jaspar (ts, fl), René Thomas (g), Benoît Quersin (b), Amedeo Tomasi (p) et Daniel Humair (dm). Autre miracle : l’enregistrement télé dans un studio radio du Palais des Congrès de Liège du grand Charlie Mingus (b) ! Vous avez dit « histoire » ?

Jean-Marie Peterken Directeur Honoraire de RTBF-Liège

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INTRODUCTION Section 1 : Qui suis-je et qui ne suis-je pas ? Ce que ce livre n’est pas

Je suis né en 1939 et, dès l’âge de 5 ans, pendant la guerre, j’ai appris le piano et le solfège avec une espèce d’Hitler féminin qui me donnait de grands coups de règle sur les doigts. Ça a duré deux ans, puis j’ai soigné mes doigts en abandonnant ce piano plus large que mes deux bras étendus. J’ai grandi, réconforté de savoir que j’avais une bonne oreille musicale et que j’étais doué, puisque « Hitler » me l’avait dit entre deux coups de règle. Tout s’est arrêté grâce au débarquement, pourrait-on dire. Mes doigts et moi, nous avons oublié le piano, mais je n’ai jamais oublié « mes libérateurs américains ».

En 1953, je me suis à nouveau intéressé à la musique en écoutant par hasard à la radio : « Ecaroh » : une composition d’Horace Silver jouée par les Jazz Messengers d’Art Blakey. Le son était plus mat que les orchestres qu’on entendait chez nous avec des trompettes ferraillant désagréablement. Quelle musique attachante, me suis-je dit à l’époque ! Puis, en 1956, René Thomas (g) donna un concert au café Le Vénitien, à Liège (Martial Solal (p) en était la vedette américaine). Ce fut le déclic ! Plus jamais je n’ai cessé d’écouter et de jouer du Jazz.

J’ai appris la trompette en 1956, la contrebasse un an plus tard. J’ai fait une carrière musicale en amateur, puis en semi-professionnel, de 1957 à 1961 à la trompette, de 1960 à 1980 à la contrebasse, puis, de 1985 à 1996 : au bugle.

J’ai joué avec des amateurs et des professionnels, parfois même de grands professionnels (liste en annexe). En ce temps-là, on apprenait sur le tas. Petit à petit, j’ai acquis le sens du tempo, de l’harmonie, de l’idiome du Jazz, de la façon de le jouer. J’ai appris ce qu’il faut faire et ne pas faire ;; ce qu’il faut jouer et ne pas jouer. Tout se passa bien, sauf avec Slide Hampton, un étrange bonhomme qui se fâche quand on joue à la basse autre chose que la fondamentale ou la quinte. C’est le seul musicien international avec qui j’ai rencontré des problèmes sur scène.

Slide Hampton - © Jacky Lepage

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Je ne suis pas un musicien diplômé du conservatoire, ni un musicologue. Je n’ai pas étudié l’harmonie de façon traditionnelle. Je ne suis pas plus historien du Jazz que sociologue du monde de cette musique. Je suis encore moins professeur de technique instrumentale et, dès lors, ce livre ne sera pas un traité de technique de la guitare, du piano ou du saxophone. Il y a d’autres bouquins et de bons professeurs tout à fait aptes à vous apprendre à jouer de votre instrument.

Vous ne trouverez pas de partitions complètes de thèmes de Jazz dans ce livre. Vous en trouverez facilement ailleurs. Par exemple : dans les Real Books, bien qu’ils contiennent quelques erreurs, ou, en téléchargeant sur le Net, contre pesetas.

Section 2 : Pourquoi ce livre ? Ce que ce livre veut être

Eh bien, pour vous aider ! Je pourrais dire que je suis un grand altruiste, un philanthrope, protecteur des Arts et Lettres… (Arrêtez de vous marrer comme des baleines !).

Non, mais, à force d’entendre des amis me dire « mais comment comprendre cette musique, ce que les musiciens jouent ;; quelles sont les règles, comment s’y retrouvent-ils ; comment font-ils pour swinguer la musique de la sorte, pourquoi n’ont-ils pas de partitions, etc. ? », à force d’entendre de jeunes musiciens débutants, des musiciens bloqués par leur formation d’interprètes livresques ou des rockers voulant passer au Jazz me demander comment, sur quelles bases et avec quelles règles jouer et improviser en Jazz, je me suis dit que, tout compte fait, ce serait trop bête de garder ce que je sais pour moi. Mon expérience de quasi autodidacte vaut ce qu’elle vaut, mais elle m’a permis de faire une carrière musicale qui m’a rendu très heureux, très fatigué et même (hé hé !) très fier de moi. Je pense donc pouvoir vraiment vous aider. Mais à ma façon… qui ne sera pas académique.

Les différents ouvrages que j’ai lus sur le sujet sont d’un abord complexe ; ils développent des notions classiques peu adaptées et peu utiles en pratique, alors que d’autres données capitales sont à peine effleurées, voire manquantes. J’ai voulu faire un livre contenant des enseignements simples et adaptés à cette musique qui exige avant tout : écoute et entraînement. Je vous dirai ce que moi je pense du Jazz, de son idiome, de son essence, de son évolution et comment je conçois celle-ci.

C’est donc à vous, curieux, non-musiciens, musiciens débutants ou non habitués au Jazz que je m’adresse et non pas aux puristes et aux musicologues, critiques musicaux ou historiens du Jazz. Ils hurleraient sans doute en lisant ce livre qui, pour eux, contient des erreurs ou des simplifications drastiques. Mon seul but tend vers une pédagogie efficace.

Mes explications excluront tout un fatras de données superflues afin d’être le plus compréhensible possible pour le débutant ; de le rendre apte à jouer quelques thèmes (piece, tune en jazz) avec quelques copains musiciens. Jouer seul est d’un ennui mortel. De manière simple, puis de manière un peu plus complexe, je vous expliquerai comment vous en tirer dans les harmonies et le tempo.

Idéalement, il vous faut un bassiste pour l’harmonie et le tempo, un batteur pour le tempo et les accentuations et un instrument harmonique comme le piano et la guitare, pour l’accompagnement, l’harmonie et les accentuations. Restera l’improvisation. Mais ça, ça ne s’apprend pas dans un livre ! Nous y viendrons.

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Ce livre ne sera pas un traité, mais plutôt un dialogue au coin du feu. Le langage sera parfois cru, comme le Jazz. J’espère que vous vous en fichez. Le style sera plus conversationnel que littéraire. Tout cela sied mieux aussi à cette musique qui, au début du vingtième siècle, faisait bon ménage non seulement avec l’Eglise, mais aussi avec les bars à filles de la Nouvelle Orléans, l’alcool, le tabac et autres joyeusetés. Le Jazz n’est pas une musique d’enfants de chœur ;; cela m’apparaît évident !

Nous irons pas à pas, de zéro jusqu’aux bases puis aux règles du Jazz et de l’improvisation. J’essaierai de vous refiler les trucs et les tuyaux, les annotations et les signes à connaître, de la dénomination classique à la dénomination internationale que les Jazzmen utilisent. C’est cette notation internationale qui permet que George Coleman (ts) débarque des States seul avec son sax ténor et joue avec notre trio (Jazzland, Liège, 1975) ! Cela s’est terminé à 4 heures du matin par une petite bouffe au « Carré », où, médusés, nous avons contemplé notre « idole » engouffrer ensemble : des rondelles de tomates vinaigrette et une crème au chocolat . L’Amérique nous étonnera toujours !

Bien sûr, ce livre ne fera pas de vous un Herbie Hancock (p). Pour cela il faudra poursuivre l’aventure sans moi. Mais ne désespérons pas et n’oublions pas que René Thomas (g), avec qui j’ai beaucoup joué, ne lisait pas une seule note de musique ! Alors, si nous allons déjà jusqu’à ressembler à René Thomas, ce sera formidable ! Les complexes : aux orties ! Osons !

A propos, si vous avez chez vous un clavier de piano, de synthé, d’harmonium ou même seulement un jouet d’enfant comprenant au moins deux octaves, ce sera bien utile

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Jean Lerusse (b) et Jacques Pelzer (fl), Liège, Thiers-à-Liège, 60’ – © collection de l’auteur

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Section 3 : Esquisse de l’idiome du Jazz

Voici une des sections les plus ardues de ce livre car, contrairement aux particularités et règles techniques du Jazz, l’idiome du Jazz est difficile à décrire.

S’il y a beaucoup à entendre et sentir, il n’y a rien ou presque de spécifique. Si je vous dis que le Jazz est une musique riche, belle, grave, solennelle, sérieuse et même parfois triste, ou encore fataliste, rageuse, virile, à jouer avec ferveur et lyrisme, il n’y a là rien d’unique. D’autres musiques possèdent cet ensemble de qualités.

Il n’empêche que, tel un Français qui s’adresse à un Anglais dans la langue de celui-ci et s’entend répondre : je vous comprends mais ce que vous dites ne se dit pas comme ça, il y a des mélodies, des harmonies et des rythmes qui ne se jouent pas comme ça. Musicalement corrects, ils sortent de l’idiome du Jazz.

Ecoutez des pianistes classiques qui se frottent au Jazz : André Prévin ou Friedrich Gulda, par exemple. Leur musique n’a rien à voir avec celle d’Horace Silver (p), de McCoy Tyner (p), de Keith Jarrett (p) ou d’Herbie Hancock (p). Elle est correcte, mais elle sonne « blanc » et l’idiome ne s’y trouve guère.

Apprendre cet idiome est difficile pour nous, Européens, car les musiciens Noirs Américains, ceux qui ont fait le Jazz, ont une histoire qui leur est propre. Leurs modes et conditions de vie (esclavage, ségrégation) ont influencé leur mind et le style de leur musique. Ces conditions, nos parents ne les ont pas connues. Nous ne pouvons les appréhender que difficilement. Alors, approchons-les ensemble ! Approchons-nous de leur musique. Il faut écouter assidûment, écouter et écouter encore les disques des musiciens Noirs Américains. Aller les voir en concert le plus souvent possible, séjourner aux USA, vivre un bout de leur vie, fréquenter leurs clubs, discuter avec eux, comprendre qui ils sont, ce qu’ils pensent. Nous devons comprendre la vie de ce peuple et ce n’est pas facile pour nous.

Section 4 : Survol à Mach 3 de l’évolution et de l’audience du jazz

Tant qu’il a été assimilé à une musique faite pour la danse, pendant l’époque du Swing et du Mainstream (surnommé en France Middle Jazz), le Jazz a connu un franc succès d’audience. Le public confondait Buck Clayton (tp) avec Harry James (tp) et mettait dans le même sac : Glenn Miller (tb), Benny Goodman (cl) et Duke Ellington (p) ! Ne jetons pas la pierre à ce public ni à ces musiciens borderline entre Jazz et musique de danse plus ou moins jazzisante ; ils ont largement contribué à la découverte du Jazz par des gens qui sont ensuite devenus des amateurs avertis.

Vint la guerre 40-45, disette musicale européenne pendant laquelle le Be-bop est né aux Etats-Unis. On dit que quelques musiciens, Charlie Parker (as), Dizzy Gillespie (tp), Bud Powell et Thelonious Monk, (p) ont créé ce style dans le but de le rendre injouable par les musiciens de danse (les fakers) qui, pour en jeter aimaient copier les traits d’improvisations de bons musiciens pour les rejouer au bal du lendemain. Je ne crois pas que ce soit la seule raison de l’éclosion du Be-bop. Il fallait surtout renouveler rythmes, harmonies et mélodies pour redonner une nouvelle inspiration à l’improvisation Jazz.

Après la libération, il y eut en Europe un grand engouement pour l’American Way of Life et pour la musique Noire Américaine. A côté des valses et des rumbas, les orchestres de danse jouaient jazzy avec un certain talent et rencontraient un franc succès populaire. On a même dansé sur le be-bop dans les caves de Saint-Germain-des-Prés aux temps heureux des existentialistes et des « Zazous ». La pratique a subsisté au Caveau de la Huchette, sur la rive gauche de la Seine.

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Au début des années 50, le Jazz s’est intellectualisé, complexifié et il est apparu tel qu’il est aujourd’hui : un Art Musical à écouter avec attention, en s’abstenant de danser dessus ou de l’écouter distraitement, en toile de fond, en épluchant les patates dans la cuisine. Immanquablement, il a progressivement perdu l’audience de ceux qui voulaient simplement s’éclater, faire les fous et danser. La retombée de l’enthousiasme de la Libération a fait le reste, de sorte qu’à la fin des années 50’, on ne dansait pratiquement plus sur le Jazz. Pour le grand public, il était passé de mode, comme d’autres musiques. Qui écoute encore Perez Prado et sait danser le Mambo ? Ce public s’est tourné vers le boogie-woogie, puis le rock, le twist, le yé-yé et autres musiquettes devenues à la mode au milieu des années 50’ et dans les sixties.

Depuis les années 50’, le Jazz n’a cessé de perdre de l’audience, mettant des musiciens en difficultés financières ou au chômage. Il semblerait néanmoins que, depuis une dizaine d’années, on assiste à une stabilisation des pertes. L’audience est maintenant constituée de vrais amateurs qui écoutent sérieusement cette musique. Mais je ne suis pas très sûr de l’intérêt que les teenagers actuels peuvent porter au Jazz qui reste souvent jugé trop compliqué, voire abstrait.

A mon avis, la dégradation de l’audience n’est hélas pas uniquement due à la disparition d’un effet de mode. Reconnaissons qu’à plusieurs moments de son évolution, le Jazz s’est tiré dans le pied et a fait fuir les gens. Et là, ce sont les vrais amateurs qui ont abandonné le navire. Laissons de côté la perte des amateurs réactionnaires de New Orleans et autres Dixieland. Ils restent dans leur coin depuis la guerre et l’avènement du Bop. Ils y resteront en écoutant Kid Ory (tb), ne s’intéressant jamais aux formes plus évoluées du Jazz.

Au début des années 50’, en réaction au caractère échevelé, zigzaguant et parfois énervant du Be-bop des Noirs, est né un style blanc : le Cool Jazz ou West Coast Jazz (en raison de son origine). Le style est soporifique, sans envolée. Avec Bud Shank (fl,as) ou Brew Moore (ts), il a endormi une nouvelle fraction d’amateurs. La réaction des Noirs ne s’est pas fait trop attendre. Avec le Hard Bop, plus structuré, moins gesticulant que le Be-bop, l’intérêt pour le Jazz Noir fut relancé. Ce fut l’âge d’or des années 55-65 avec les Jazz Messengers, Clifford Brown (tp) et Max Roach (dm), les groupes de Miles Davis (tp), de Wes Montgomery (g), le Modern Jazz Quartet, John Coltrane (ts,ss), Cannonball Adderley (as), Jimmy Smith (org), etc. Tout était beau et inspiré. Les idées et les styles diversifiés jaillissaient de partout. Un peu plus tard, le Jazz Modal, né en 1965 avec « Milestones » puis « Kind of Blue » (Miles Davis, 1967) tint aussi ses promesses ! (voir Chap. IV et Annexe 1 de ce livre). Ces deux derniers styles ont fécondé les tendances actuelles.

Dans les années 60’, le Free Jazz émergea aussi. Cette musique de fous ou d’incapables (selon les musiciens qui l’ont jouée) supprimait les règles d’harmonie et de tempo, ouvrait la scène à n’importe quel zouave jouant n’importe quoi. Hormis quelques rares figures de grande valeur qui ont tâté du Free et compris la quête de John Coltrane (ts,ss), c’était vraiment le b… et cela fit fuir ceux qui ne pouvaient entendre l’inaudible. Ils furent nombreux. (Voir annexe 1 relative au Jazz modal, à lire de préférence après avoir lu les Chapitres IV et V de ce livre). Heureusement, ces tendances, branches latérales et mortes, n’ont pas empêché la poussée du tronc principal qui est resté sain. Le Jazz est toujours bien vivant !

Ce besoin de renouvellement, propre à tous les Arts, amena d’autres tendances : le Jazz Fusion mêlant Jazz et Rock, puis, toutes les musiques du monde qui vinrent influencer, s’imbriquer et souvent dénaturer l’essence même du jazz. A côté de belles œuvres, comme les bossa novas, nos oreilles ont dû souffrir de choses pseudo-exotiques dans lesquelles n’importe quel souffleur ou gratteur nous débitait des phrases et des sons qui n’avaient aucun rapport avec l’idiome premier du Jazz ni avec le swing. Mais que ne ferait-on pas pour monter sur scène dans un soi-disant festival de Jazz ? (Voir Chap. V- Section 3).

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Enfin, plusieurs productions actuelles, raffinées, me font penser que certains musiciens qui jouent avec leur cœur et leur cerveau, ont un peu oublié que le Jazz se joue aussi avec deux petits organes qu’il ne faut jamais laisser traîner en route. Attention, on va se rendormir ! Ce ne sont ni Diana Krall ou Melody Gardot qui nous réveilleront. Comment peut-on prétendre que ce sont des chanteuses de Jazz ? Avons-nous oublié le disque « Ella in Berlin » ?

Bien sûr, tout le Jazz d’avant-garde exige une décantation. (Voir Chap. V- Sect. 3). Mais comment ne pas préférer le vivifiant Keith Jarrett Trio. Comment ne pas se dire en l’écoutant : « Enfin, de l’air ! » ?

En conclusion : les défections d’audience sont liées au public, mais également à l’évolution de la musique elle-même. Quant à nous, les rescapés, nous resterons entre-nous, entre vrais amateurs, entre gens de même compagnie. Mais, attention ! Trop d’ésotérisme conduit à l’hermétisme, ce qui ne peut que nuire à la musique et aux musiciens. Certaines périodes de l’évolution du Jazz me rappellent l’exhortation du patron de presse, directeur du « Temps » (précurseur du « Monde ») à ses journalistes : Pour paraître sérieux, faites emmerdant, Messieurs, faites emmerdant !

Je crois qu’au cours de son histoire, le Jazz a un peu trop souvent fait emmerdant. Pire, je pense que depuis quelques années, il stagne un peu, à court d’idées nouvelles. Et comme tout art qui n’évolue pas, le Jazz est en danger. Il se cherche du sang neuf, de nouvelles divas, mais comme dit mon ami Francis Vaesen : ce musicien a le tort d’être arrivé après Coltrane ! Cela dit bien ce que ça veut dire.

Alors, tout aurait-il été dit ? Chi lo sa !

Section 5 : Ce qui est requis et ce qui ne l’est pas toujours

A moins de vouloir faire une carrière professionnelle et jouer à un haut niveau, ce qui nécessitera des connaissances supplémentaires (lecture, solfège, clefs etc.), jouer du Jazz à un niveau moyen n’exige pas de connaître toutes les techniques musicales classiques, avec lecture et interprétation parfaites des œuvres écrites. C’est normal puisqu’en Jazz la partie principale d’une œuvre (piece, tune) est improvisée. Il n’y a donc rien à lire ou si peu. Par contre, improviser requiert d’autres qualités. D’abord : une excellente oreille musicale ; il faut entendre les valeurs des intervalles entre les notes et les harmonies (accords). Il faut sentir le tempo et le tenir sans l’accélérer ni le ralentir, et, last but not least : il faut des idées créatrices et être inventif et inspiré. Ca ne s’apprend pas dans les livres. Ca se sent, ça s’entend et je pense même qu’il y a une partie d’inné.

Le but est donc d’improviser, d’inventer une mélodie qui soit « juste » avec les harmonies et le tempo fournis au soliste par la section rythmique (qui est aussi une section harmonique) et, de surcroît, en s’approchant au mieux d’un certain idiome qui n’est pas le nôtre. C’est un vaste programme, pas facile à appréhender. Il s’apprend par l’écoute, la pratique et par les contacts avec le Jazz et ses musiciens. Quant à nous, nous allons voir dans ces pages ce qui peut s’apprendre dans un livre avant de monter sur une scène pour votre baptême du feu devant un public d’auditeurs.

Petit post-scriptum : NON, nous ne parlerons pas des rythmes en cinq temps, ni de Dave Brubeck (p), ni de Tom Scott (sax). Il est infécond et anti-physiologique d’improviser sur des mesures à cinq temps. Oubliez cela ainsi que les deux susnommés. NON, je ne vous abreuverai pas de solfège, je vais même essayer d’en mettre le moins possible dans ce livre. Confidentiellement, je n’aime pas le solfège non plus ; Hé, hé !… Néanmoins, il en faudra un minimum ; le strict nécessaire.

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Avant de nous embarquer, pensez que le Jazz est un Art. Exercer un art : c’est le vivre et cela ne laisse pas indemne. Il y aura des moments exaltants et des moments de… blues, Vivre le jazz, c’est une manière plus souple, plus détendue, plus zen (on disait : hip) de concevoir la vie et ses vicissitudes. Lorsque vous aurez cessé de jouer, il vous restera de merveilleux souvenirs et… beaucoup de nostalgie. Mais je ne vous dis pas la joie d’avoir communiqué avec un public réceptif et celle de votre sortie de scène après un concert réussi. Bon ! Décidé ? Alors…

NOW’S THE TIME. LET’S PLAY, MAN !

Quelques grands maîtres de la guitare de jazz (fin des années 50’) de gauche à droite (premier plan) : Jimmy Gourley, René Thomas, Sacha Distel, Jimmy Raney - © collection Sean Gourley

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I – UN PEU (SI PEU) DE PHYSIQUE

Section 1 : Fréquence du son

Par un beau dimanche ensoleillé, vous allez à la pêche. De votre barque immobile au beau milieu du lac, vous voyez la surface de l’eau, parfaitement lisse puisqu’il n’y a pas de vent. Vous voyez aussi votre flotteur, immobile à quatre mètres de votre embarcation. Hélas, le poisson ne mord pas et vous vous ennuyez un brin. Alors vous laissez tomber un caillou dans l’onde pure, juste devant vous, vous faites des ronds dans l’eau, et vous voyez des petites ondulations concentriques s’éloigner, dépasser votre flotteur et disparaître.

Pour passer le temps et comme vous êtes curieux, vous jetez un autre caillou. Vous déclenchez la trotteuse de votre montre pour compter combien d’ondulations concentriques ont dépassé votre flotteur en une seconde. Supposons qu’il y en ait eu trois.

Rentrant bredouille chez vous, vous décidez de faire un diagramme, un graphique des ondulations observées tout à l’heure. Sur l’axe horizontal, vous mettez le temps (1 seconde) et sur l’axe vertical, les ondulations (3).

Vous obtenez ceci : FIG.1

Cette notion de trois ondulations par seconde s’appelle la fréquence. On dit trois cycles par seconde ou 3 hertz (Hz). Une ondulation par seconde vaut donc 1 hertz (1 Hz).

Si maintenant, content de votre dessin, vous prenez votre trompette et que vous faites un beau Do ; en fait, vous faites onduler (on dit vibrer) non plus de l’eau – vous ne soufflez pas dans votre baignoire – mais de l’air qui va vibrer à une certaine fréquence, à un certain nombre de cycles par seconde, un certain nombre de hertz (Hz) ; exactement 264 Hz pour votre Do. Sur le même graphique, il faudrait donc dessiner 264 ondulations pendant la seconde écoulée. Bien sûr vous ne verrez pas vibrer l’air puisqu’il est invisible, mais, grosso modo, il s’agit du même phénomène ondulatoire ou vibratoire qui arrivera jusqu’aux oreilles de votre petite copine admirative, couchée dans le divan à quatre mètres de vous.

Encouragé et content de votre Do, vous jouez le Sol immédiatement supérieur. Vous allez faire vibrer l’air à une fréquence de 396 Hz (croyez-moi sur parole et ne retenez surtout pas ces fréquences). Par rapport aux 264 Hz du Do, nous sommes à une fréquence plus grande en jouant une note plus haute. D’où la notion capitale :

La hauteur du son (de la note) dépend de la fréquence de la vibration sonore. Plus la fréquence (F) est élevée, plus le son est aigu (haut), plus la fréquence est basse, plus le son est grave (bas). L’unité de fréquence est le hertz (Hz) qui correspond à un cycle/sec.

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L’oreille humaine saine et jeune entend un « spectre sonore » allant de 20 à 20.000 Hz (de 20 Hz à 20 kHz/kilohertz). Un chien entend des sons de fréquences plus élevées qui nous sont inaudibles : les ultrasons (ceux des sifflets à ultrasons qu’on utilise pour les rappeler). Les baleines communiquent par des sons de fréquences plus basses, inaudibles également pour nous : les infrasons.

Une oreille âgée perd progressivement l’audition des fréquences aiguës (= presbyacousie).

Section 2 : Intensité du son

Un son ne se caractérise pas seulement par sa hauteur (sa fréquence en hertz) mais aussi par sa force (on dit : son intensité). Reprenez votre trompette et jouez un même Do doucement, pendant une seconde, puis très fort à nouveau pendant une seconde. Ce n’est pas la fréquence des vibrations qui sera différente, ce sera leur amplitude. Ce qui nous donnera le graphique suivant :

FIG. 2

Et la règle suivante :

L’intensité du son dépend de l’amplitude des vibrations. Un son intense est de forte amplitude, un son d’intensité faible est de faible amplitude.

L’amplitude se mesure en décibels (dB)

La violence, la force, l’intensité excessive d’un son – amplitude trop forte – peut être dangereuse pour l’oreille humaine. A 120 dB on atteint le seuil de douleur et des lésions peuvent apparaître. L’exposition chronique ou répétée à des amplitudes exagérées rend sourd (musiciens de groupes de hard rock, ouvriers au marteau piqueur, fréquentation assidue des boîtes de nuit, mais aussi batteurs de Jazz, trompettistes, etc.).

Section 3 : Timbre du son

Enfin, un son se caractérise par son timbre. Un Sol de sax alto ne sonne pas comme le même sol joué à la trompette. Deux personnes différentes chantant la même note (même fréquence) avec la même force (même intensité) n’auront pas la même voix, le même TIMBRE.

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Sans entrer dans les détails, cela est dû au fait que d’autres fréquences sonores viennent se superposer à la fréquence « pure » du Sol dans notre exemple. Ces fréquences différentes superposées à la note sont propres à chaque instrument de musique et donnent à cet instrument une coloration particulière du son émis, coloration venant enrichir et embellir le son principal (le Sol). Ces fréquences s’appellent les harmoniques. Elles permettent de reconnaître les voix (chant et parole) et de savoir par quel instrument telle note est jouée.

Un musicien qui travaille sa sonorité développe ces harmoniques. Il a bien raison d’ailleurs car une belle sonorité fera que l’on écoutera ses solos (ses chorus). La sonorité, le timbre, est encore plus importante que la technique même de l’instrument. Vous pouvez jouer une improvisation de trompette avec une technique étourdissante et de bonnes idées, mais si votre son est moche, vous ennuierez votre monde en lui cassant les oreilles.

Jean Lerusse (tp) au festival « Jazz à Liège », 1991 © M. Lerusse

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II - DU SON à LA NOTE

Section 1 : du son à la note

Depuis qu’il est sur terre, l’homme, comme beaucoup d’animaux, émet des sons de certaines fréquences et dans certains buts. Quand le but est de communiquer, ces sons sont la plupart du temps devenus des langages parlés. Depuis la plus haute antiquité, l’homme s’est amusé avec sa voix. Les différents peuples ont chanté certaines fréquences sonores qui leur plaisaient. Ensuite, ils ont affiné leurs voix. Puis ils ont créé des instruments émettant des sons. Au fil du temps, ces sons sélectionnés - de différentes fréquences « préférées » et donc, de différentes hauteurs - on les a appelés des notes.

Selon les différentes sensibilités acoustiques des peuples, ces notes ont été groupées, assemblées les unes à la suite des autres selon la hauteur du son. Ces suites de notes préférées, sonnant bien à leurs oreilles, ont été appelées gammes. Et comme les peuples sont nombreux, il existe de nombreuses espèces de gammes.

Restons en Europe Occidentale ou aux Etats-Unis et oublions les gammes hindoues, arabes et autres. C’est du Jazz que nous voulons jouer et pas du sitar indien. Heureusement, car la gamme indienne comprend 72 notes !

La gamme la plus simple, que vous connaissez tous, compte sept notes ; on dit aussi « sept tons ». Elle est « heptatonique ». Commençant par DO, c’est la gamme de DO. Par ordre de fréquence croissante, donc de hauteur croissante de note ou de ton, nous avons (à lire de bas en haut) :

FIG. 3

Nom de la note Fréquence en Hz

DO supérieur 528 SI 495 LA 440

SOL 396 FA 352 MI 330 RÉ 297

DO medium 264

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Dans cette gamme, on appelle Do medium celui qui se situe au milieu d‘un clavier de piano. Nous avons ajouté en haut, le Do supérieur, qui est de fréquence exactement double du Do moyen. Les fréquences des notes intermédiaires entre ces deux Do sont évidemment intermédiaires entre ces deux fréquences de Do et vont en croissant puisque la hauteur du son monte. Ne retenez surtout pas les valeurs de ces fréquences qui ne sont là qu’à titre indicatif. Nous allons d’ailleurs bientôt abandonner ces notions de fréquence et d’hertz.

Par contre, au fil de ce livre, nous allons adopter progressivement l’écriture internationale de ces notes. Les anglo-saxons les nomment par des lettres en capitales d’impression et en commençant, non pas au Do, mais à partir de la note qui donne le ton servant à accorder les instruments, à savoir la note La du diapason. Le La est donc un A. Somme toute, c’est logique.

Voici donc le tableau des correspondances - notes européennes/notes internationales. Cette notation est celle utilisée dans le Jazz :

FIG.4

DO RÉ MI FA SOL LA SI C D E F G A B

A retenir et à savoir par cœur ! Nous allons bientôt les utiliser.

Section 2 : Intervalles entre les notes

Nous avons vu qu’entre deux notes il y avait une différence de fréquence, de hauteur de son. D’après le tableau de la FIG. 3 précédente, on voit, par exemple qu’entre le La de fréquence 440 Hz et le Sol de fréquence 396 Hz, il y a une différence de (440 Hz – 396 Hz = 44 Hz). Cette différence de 44 Hz s’appelle l’intervalle entre deux notes.

Comme ces différences en Hz sont difficiles à manipuler, les musiciens ont choisi une autre unité pour définir, évaluer et mesurer les intervalles entre les notes. C’est le TON, unité qui se divise en deux DEMI-TONS, ayant chacun – vous l’avez deviné – la valeur de la moitié d’un ton. Un intervalle d’un ton est donc évidemment plus grand qu’un intervalle d’un demi-ton et plus petit qu’un intervalle de deux tons ou de trois tons et demi.

A noter qu’il n’y a pas de quart de ton, du moins dans la musique occidentale et le Jazz. Adieu donc les analyseurs de fréquences, les oscilloscopes et les hertz. Allons courageusement à la pêche… au ton.

Commencez à lire la FIG 5 suivante de bas en haut. A gauche, vous avez les notes de notre gamme de DO (C) et entre elles, à droite, les intervalles entre les notes exprimés en tons. Ceci est à retenir et à graver par cœur dans votre mémoire : les intervalles entre deux notes successives ne sont pas toujours d’un ton : dans cette gamme de DO, Mi-Fa et Si-Do ne sont séparés que par un demi-ton. A savoir, à savoir !

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FIG. 5

DO supérieur Intervalle : ½ TON

SI Intervalle : 1 TON

LA Intervalle : 1 TON

SOL Intervalle : 1 TON

FA Intervalle : ½ TON

MI Intervalle : 1 TON

RÉ Intervalle : 1 TON

DO medium

Parlons maintenant de notes non successives, par exemple Do et Mi. L’intervalle entre Do et Ré étant d’un ton, l’intervalle entre Ré et Mi étant d’un ton, l’intervalle entre Do et Mi sera donc de 1 ton + 1 ton = 2 tons.

Règle générale : Il faut additionner les tons et demi-tons rencontrés entre deux notes pour connaître l’intervalle entre celles-ci.

Aidez-vous de la FIG 5 ! Pas trop difficile, hein ?

Ce qui nous amène à la conclusion que l’intervalle entre deux notes de la gamme sera d’autant plus grand que ces deux notes seront plus distantes l’une de l’autre dans la gamme.

Ex. : DO-MI : 2 tons DO-FA : 2 tons ½ DO-LA : 4 tons ½ Etc.

Pour le drill, entraînez-vous à compter le nombre de tons et de demi-tons entre deux notes que vous choisissez. Mais surtout, chantez, oui, chantez Do-Ré, Do-Mi, Do-Fa, Do-Sol, Do-La, Do-Si, Do-Do supérieur : vous devez absolument entendre et sentir les intervalles.

Nous reviendrons sur les intervalles au chapitre des gammes, puis des accords, mais restons-en là pour l’instant.

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Section 3 : Altérations des notes

Si vous avez devant vous un clavier (de piano par exemple), vous remarquerez que les notes dont nous avons parlé jusqu’ici se suivent et sont toutes des touches blanches. C’est parce que Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si et le Do supérieur sont des notes dites naturelles (« natural » en dénomination internationale anglaise), par opposition aux notes altérées que nous allons étudier et qui sont les touches noires du clavier.

Exemple : Un Ré naturel est appelé chez eux D natural (un thème de Wes Montgomery s’intitule d’ailleurs « D natural blues ») ou plus simplement D tout court. En effet, quand la note est « natural », il n’est pas nécessaire de le signaler.

Sur votre clavier, vous voyez donc également des touches noires, moins nombreuses et plus irrégulièrement disposées. Ce sont les notes altérées. De quoi s’agit-il ?

Explication : Entre Do et Ré, il y a un intervalle d’un ton ou de deux demi-tons. OK ?

Donc, au milieu de l’intervalle Do-Ré, il y a une place pour une note intermédiaire qui serait plus haute que Do d’un demi-ton et plus basse que Ré d’un demi-ton aussi. Toujours OK ?

Cette note intermédiaire est la touche noire que vous voyez sur le clavier entre Do et Ré. Comment se nomme-t-elle ? On a le choix : soit on l’apparente au DO immédiatement inférieur et l’on dit : DO DIÈSE (Do#), soit on l’apparente au Ré immédiatement supérieur et l’on dit RÉ BÉMOL (Reb).

Dièse se dit donc d’une note qui est plus haute d’un demi-ton que la note naturelle immédiatement inférieure. Do# (C#) dièse est plus haut d’un demi-ton que Do (C) naturel. En anglais, dièse se dit « sharp ». On a donc ici la note « C sharp ». Le signe dièse est #.

En Jazz, on dit donc que C sharp (C#) est plus haut d’un demi-ton que C natural .

A l’inverse, bémol se dit d’une note plus basse d’un demi-ton que la note naturelle immédiatement supérieure. Ré bémol (Db) est plus bas d’un demi-ton que Ré (D) naturel. En anglais, bémol se dit « flat ». On a donc ici la note « D flat ». Le signe bémol est b.

D flat (Db) est donc plus bas d’un demi-ton que D natural.

Mais remarquez bien que C sharp ou D flat sont deux désignations de LA MÊME NOTE.

Sur votre clavier, entraînez-vous à nommer les autres notes altérées (noires).

Remarquons que le terme note « altérée » est bien ingrat pour des notes nécessaires aux gammes et qui embellissent les accords. Nous allons venir sur ces sujets, mais d’abord…

UNE PETITE PAUSE POUR LAISSER HURLER LES PURISTES, MUSICOLOGUES ET AUTRES ESPRITS POINTILLEUX POILDECUTEURS ! … Mais oui, Messieurs, je connais l’existence des commas ! Mais de toute façon, c’est Jean-Sébastien Bach qui a décrété cette égalité entre dièses et bémols, alors, basta !

Petite question de bon sens : pourquoi y a-t-il moins de touches noires (notes altérées) que de touches blanches (notes naturelles) sur le clavier ?

Réponse : Parce qu’entre les notes natural Mi-Fa et Si-Do, il n’y a qu’un demi-ton de différence, et donc pas de place pour une note intermédiaire entre elles. Par conséquent, Si dièse (ou B sharp) équivaut à Do (ou C), Mi dièse (ou E sharp) à Fa (ou F). De la même manière, Do bémol (ou C flat) équivaut à Si (ou B) et Fa bémol (ou F flat) à Mi (ou E).

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Si l’on met ensemble et successivement, par ordre croissant de hauteur de son, les notes naturelles et les notes altérées, on obtient douze notes séparées ici chaque fois par un demi-ton et constituant ce qu’on appelle la gamme chromatique de DO. Lisez la FIG. 6 ci-dessous de bas en haut, dénomination européenne à gauche et dénomination internationale à droite (entraînez-vous à les dire en international).

FIG. 6 SI B LA dièse ou SI bémol A sharp or B flat LA A SOL dièse ou LA bémol G sharp or A flat SOL G FA dièse ou SOL bémol F sharp or G flat FA F MI E RE dièse ou MI bémol D sharp or E flat RE D DO dièse ou RE bémol C sharp or D flat DO C

La gamme chromatique de DO comprend donc douze demi-tons du Do au Si, sans compter le Do supérieur. En grec, douze se dit Dodeka, c’est donc une gamme dodécatonique, alors que notre gamme de tout à l’heure, appelée gamme diatonique de DO, comprend, nous l’avons vu, sept tons, et est donc heptatonique.

Il y a d’autres gammes que celle de DO : par exemple de SOL, de FA, de RE etc…qui commencent respectivement sur les notes SOL, FA ou RE. Il existe également des gammes de F#, de B, de E, de C#, Bb, Eb etc…

Petite remarque répétitive : en notation internationale, « natural » s’élude : on dit, par exemple D (tout court) pour D natural (Ré naturel), et D sharp ou D flat respectivement pour Ré dièse et Ré bémol.

Autre petite remarque : « diminuer d’un demi-ton » peut se dire « bémoliser », même si la note est déjà bémol ;; c’est l’usage. Par exemple :

un Sol naturel (G) bémolisé devient Sol bémol (G flat) un Mi bémol bémolisé devient Ré

De la même manière, le terme « diéser » s’utilise pour dire « augmenter d’un demi-ton ».

un Sol (G) diésé devient Sol dièse (G sharp).

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Jack Van Poll (p) - © eddywestveer.com

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III - DE LA NOTE AUX GAMMES ET AUX INTERVALLES

Section 1 : Dénomination et ordre des notes dans les gammes

Pour rappel : les notes, choisies, car préférées par les peuples, ont été groupées et classées dans un ordre croissant de hauteur de son (Do-Ré-Mi-Fa-Sol-La-Si-Do = gamme ascendante) ou décroissant (Do-Si-La-Sol-Fa-Mi-Ré-Do = gamme descendante). Nous savons aussi que les différentes notes composant une gamme sont séparées par des intervalles d’un ton ou d’un demi-ton, ce dernier étant, comme dirait la Palice, la moitié d’un intervalle d’un ton. L’intervalle d’un ton contient donc deux intervalles d’un demi-ton. Tout cela, vous le savez.

Les notes composant une gamme sont toutes affublées d’un :

Nom européen : Fa, La… Nom international (à retenir absolument) : F, A… Numéro d’ordre par rapport à la première note de la gamme : ce numéro est variable

suivant la gamme. Prenons par exemple la note Do, présente dans diverses gammes. Dans une gamme de Do : Do est évidemment « 1 » et Fa est « 4 » ; dans une gamme de Sol : Sol est « 1 » et Do est « 4 » ; dans une gamme de Fa : Fa est « 1 » et Do est « 5 ».

Autres noms : tonique, seconde, tierce, quarte, quinte, sixte, septième.

Enfin, elles occupent une position sur une portée, sorte de grille horizontale de cinq lignes, que j’ai essayé de vous éviter jusqu’ici, mais qui devient nécessaire, car, rien à faire, c’est le langage des musiciens. Même les batteurs n’y échappent pas s’ils doivent jouer des arrangements musicaux élaborés.

A noter : contrairement à ce que certains comiques essaient de faire croire, une partition de batteur, ce n’est pas « boum, tching, badaboum, trrr, tching ». Squares, va ! Nous avons d’excellents batteurs qui ont aussi des notes sur des portées. Simplement, chaque note correspond à un élément de la batterie (cymbale, caisse claire, tom, grosse caisse, etc…).

La figure qui suit vous donne – de haut en bas – la portée sur laquelle sont positionnées des notes, le nom européen de la note, le nom international de la note, son numéro d’ordre et enfin, les autres noms de la note. Les deux dernières données ne sont pas « scotchées » à la note, tout dépend de la gamme envisagée.

Par exemple : dans la gamme de Do, Do est la tonique, le 1. Dans la gamme de Fa, c’est Fa qui portera ce nom.

Le tableau suivant (FIG.7) résume toutes ces données. Mémorisez-le car c’est un des tableaux les plus importants de ce livre.

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FIG. 7 : Gamme de Do (C)

On voit que la première note de la gamme (la tonique, la 1) donne son nom à la gamme. Nous avons donc ici la gamme de Do (C) (notre gamme de base, c’est Do majeur) mais il y a des gammes pour toutes les notes existantes, même pour les notes « altérées » : gamme de Ré, gamme de Fa, gamme de Mi bémol, gamme de Do dièse, etc. Seule la gamme de Do Majeur (C Major Scale) ne comprend QUE des notes « natural », les touches blanches du clavier. Toutes les autres gammes comprennent une ou plusieurs notes altérées. Pourquoi ? C’est ce que nous verrons plus loin mais d’abord, revenons aux intervalles.

Section 2 : La règle des intervalles dans les gammes

Il y a une règle intangible, absolue et valable pour toutes nos gammes diatoniques majeures occidentales – appelons-la : « la règle des intervalles » – que je vous explique maintenant :

Prenons un exemple et revenons à la gamme de C (Do) majeur : les intervalles entre deux notes voisines ne sont pas toujours les mêmes, vous le savez déjà. Rappelons-nous la FIG.5 et voyons la FIG.8 :

Dans cette gamme de DO (C) majeur, comme dans toutes nos autres gammes majeures d’ailleurs, les notes sont séparées par un intervalle d’un ton (= 2 demi-tons), SAUF entre la 3 et la 4 (ici MI et FA) et entre la 7 et la 8 (ici SI et DO), qui ne sont séparés que par l’intervalle d’un demi-ton.

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Cette règle des intervalles est absolue et constante quelle que soit la gamme majeure, quelle que soit la 1, la tonique. D’où le tableau de la FIG. 9 applicable à toutes les gammes majeurs et à connaître par cœur. Lisez-le cette fois de haut en bas.

FIG.9. : Exemple de la gamme de Do (C) majeur

INTERVALLE ENTRE : TONS 1 et 2 (ex : Do et Ré) 1 TON 2 et 3 (ex : Ré et Mi) 1 TON 3 et 4 (ex : Mi et Fa) ½ TON 4 et 5 (ex : Fa et Sol) 1 TON 5 et 6 (ex : Sol et La) 1 TON 6 et 7 (ex : La et Si) 1 TON 7 et 8 (8 = la 1 sup.) ½ TON

Il faut retenir la succession, la séquence des intervalles des gammes diatoniques majeures occidentales. La voici : 1-1-½-1-1-1-½

Pour nous entraîner, construisons la gamme de F (c’est là que les notes altérées se pointent) ! Appliquons la séquence des intervalles :

La tonique, la note 1 est donc F. Note suivante, la 2 : 1 ton plus haut que la précédente, donc G. Note suivante, la 3 : 1 ton plus haut que la précédente, donc A. Note suivante, la 4 : ½ ton plus haut que la précédente, donc A sharp ou B flat. OK ?

(NB : comme une même gamme ne contient qu’une seule note de même nom, on n’utilisera pas ici A # après A, mais Bb, de manière à ce que toutes les notes se succèdent dans l’alphabet, sans doublon et sans interruption).

Note suivante, la 5 : 1 ton plus haut que B flat, donc C natural. Note suivante, la 6 : 1 ton plus haut que C, donc D. Note suivante, la 7 : 1 ton plus haut que D, donc E Et pour arriver au F supérieur (l’octave), la 8 : un demi-ton plus haut que E, donc le F

supérieur.

Dans le cas de notes de gamme écrites sur une portée, sachez que les signes d’altération d’une note, les dièses ou les bémols s’inscrivent avec, avant la note, le petit signe dièse, #, (sharp) ou bémol, b, (flat), ce qui donne ceci pour cette gamme de F :

FIG. 10 :

Entraînez-vous à écrire sur une portée les gammes majeures de chaque note, en respectant toujours cette règle des intervalles ainsi que la succession continue des notes de l’alphabet, sans doublon et sans omission.

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Ci dessous, un autre exemple, la gamme de La (A) majeur :

FIG. 11 :

Envisageons maintenant sur une portée la gamme chromatique en reprenant comme exemple la bonne vieille gamme de C. Voici comment s’écrivent et se ch iffrent les 12 notes séparées chacune, rappelons-le : par des demi-tons. Les numéros d’ordre sont valables pour toutes les gammes (par exemple, dans une gamme de G, G est 1 et la flat six de cette gamme est le E flat) OK, vous suivez toujours ? Allons-y pour la FIG. 12 : gamme chromatique de Do (C).

Lisez ce tableau (FIG. 12) de haut en bas et de gauche à droite.

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FIG. 12 : Gamme chromatique de Do

Vous voyez qu’en matière de notes, quand on utilise leurs chiffres, les dièses (sharp) s’écrivent par un petit + après le chiffre, et les bémols (flat) s’écrivent avec un petit – après le chiffre. Exemple : 4+, 6- etc…C’est différent du cas où la note est inscrite sur une portée (l’altération, dièse ou bémol, est alors placée avant la note).

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Rappelons qu’entre 3 et 4 (Mi et Fa dans l’exemple de la gamme de Do) et 7 et 8 (Si et Do octave dans l’exemple de la gamme de Do), il n’y a qu’un demi-ton. Je me répète, je sais !

Section 3 : Les blue notes

A l’origine, dans leurs chants et leur musique, les Noirs exprimaient leur désespérance par la diminution quasi systématique d’un demi-ton de la 3 (dans la gamme de Do, donc le Mi) et surtout de la 7 (dans la gamme de Do, donc le Si). On appela cela les blue notes.

La tierce (3) « bémolisée » s’appelle la tierce mineure (Minor third). La 3– constitue la base du mode mineur et de la gamme mineure, par opposition au mode majeur et à la gamme majeure que nous venons de voir, et où la 3 (Mi dans la gamme de Do) est « natural ». L’intervalle de 2 tons (entre 1 et 3) correspond à une tierce majeure. Enlevez ½ ton, et vous obtenez une tierce mineure (1 ton ½). Voyez la section suivante.

La septième (7) « bémolisée » s’appelle la septième mineure (Minor seventh). Pour la 7–, (le Si bémol dans notre exemple de la gamme de Do), c’est un peu plus compliqué sur le plan de l’écriture : en théorie, si on bémolise la 7, on devrait l’écrire 7– et l’appeler « flat seven ». En pratique, l’habitude des Noirs leur fait depuis toujours écrire cette 7 bémol : « 7 » tout court et l’appeler « seventh » tout court. Particularité du Jazz à retenir !

Se pose alors le problème de l’écriture de la seven « natural », qui se trouve dans la gamme majeure, et par ailleurs, n’est pas une blue note. On la nomme septième majeure (parfois surnommée sensible, car proche de l’octave d’un ½ ton). Comment la différencier de la 7ème mineure ? Le problème a été résolu par une convention d’écriture largement répandue dans les milieux du jazz : l’addition d’un petit triangle pointant vers le haut à droite du 7 (voir FIG. 12), tandis que cette note est appelée « major seventh » (septième majeure). On a même souvent supprimé le chiffre 7 : si vous ne voyez qu’un triangle, jouez la major seventh (donc le Si naturel dans notre exemple de la gamme de Do).

En résumé :

Septième mineure = 1 ton sous l’octave, symbole : 7

Septième majeure = ½ ton sous l’octave, symbole : triangle.

Section 4 : Les gammes mineures et leurs intervalles

Reprenons et jouons notre gamme de C (majeur) : Do-Ré-Mi-Fa-Sol-La-Si-Do : toutes notes naturelles (les touches blanches du piano). Quand on la joue, c’est équilibré, serein et presque gai. C’est la gamme majeure de Do. On joue en mode majeur.

Jouons à nouveau cette gamme, mais en jouant un Mi bémol (E flat ou 3–) au lieu du Mi natural (E ou 3) : cela devient tristounet et même funèbre. C’est cela la gamme mineure et le mode mineur. Retenez que la caractéristique de toutes les gammes mineures est que la tierce (3) est diminuée d’un demi-ton.

La séquence des intervalles change donc et devient en mineur : 1 – ½ - 1 – 1 – 1 – 1 – ½.

Le choix entre majeur et mineur dépend du sentiment que l’on veut exprimer en jouant.

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Pour faire drôle, vous connaissez sûrement la petite musique du célébrissime « Muppet Show » : c’est du majeur. Vous n’iriez pas jouer cela derrière un corbillard ! Voilà tout… ou presque.

En fait, en ne modifiant que la tierce dans la gamme majeurre, nous obtenons une gamme mineure dite « mineure mélodique ». Retenez surtout celle-là, mais il y a d’autres gammes mineures. Nous verrons cela au chapitre 4 lorsque nous étudierons les modes et la musique modale.

Le résumé de tout cela se trouve dans la FIG. 13

Et maintenant, sommes-nous prêts pour attaquer les accords (« chords ») in English natürlich ?

Presque ! Il y a encore une petite question, comme disait Columbo : les gammes pentatoniques ou mieux dites, « pentaphoniques ». Nous y venons, ce sera court.

Certains peuples (Afrique, Asie,…) ont utilisé ou utilisent encore des gammes ne comprenant que cinq tons appelées « gammes pentatoniques », alors que vous savez que notre gamme en comprend sept et est nommée heptatonique.

Gardons l’exemple d’une gamme de C.

Dans une gamme de C pentatonique en mode majeur (C pentatonique majeur), la 4 (ici F) et la 7 (ici B) ne sont pas utilisées.

Une gamme de C pentatonique en mode mineur (C pentatonique mineur) voit, bien sûr la 3 diminuée d’un demi-ton comme dans toutes les gammes mineures, mais aussi l’absence de la 2 (ici D) et de la 6 (ici A) et la bémolisation de la 7 (B flat).

Voici ces deux gammes en C en FIG. 14.

La penta majeure est relativement peu utilisée, tandis que la penta mineure l’est beaucoup plus. En jazz, Coltrane a fait un thème ne comprenant que les notes penta mineures (« Toon Gee » ou « Tunji »).

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FIG.14

Bon, maintenant, on y va ! Après un petit coup d’œil sur le tableau annexe qui vous montre les gammes les plus fréquemment utilisées en Jazz (FIG 15).

Pourquoi les plus fréquemment utilisées ? Parce que les musiciens de Jazz jouent rarement et les compositeurs (« composers ») composent rarement dans certains tons sur lesquels l’improvisation serait malaisée et peu riche en idées. Vous ne trouverez pratiquement pas de thèmes composés dans des tons « impossibles » comme F sharp (F#).

Les gammes illustrées dans la FIG 15 sont les gammes majeures naturelles, dites aussi diatoniques, par opposition aux gammes chromatiques par demi-tons. Rappelez-vous la règle des intervalles entre les notes (Chapitre 2).

Si vous les voulez en mineur, diminuez d’un demi-ton les notes 3. Le reste ne change pas.

Un petit conseil : entraînez-vous à écrire ces gammes ainsi que les gammes chromatiques des différents tons.

La FIG. 15 se trouve à la page suivants pour une vue d’ensemble. Qu’est-ce que je vous gâte quand-même !

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FIG. 15

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Jean Lerusse au Jazzland, Liège 1975 - © Jacques Joris

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Dave Pike (vbs) 1986 - © Jacky Lepage

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IV - ACCORDS (= CHORDS) ET HARMONIES

Section 1 : Généralités

Bien qu’utile, un cours complet d’harmonie n’est pas envisageable dans le cadre de ce livre. Il ne correspondrait d’ailleurs pas aux buts fixés. De plus, certaines règles d’harmonie classique s’appliquent mal au Jazz (dissonances, résolutions, chiffrages). Je vais donc vous montrer – à ma façon – ce qu’il faut savoir pour comprendre et jouer le Jazz d’une manière tout à fait honnête.

Après les successions ordonnées de notes que sont les gammes, on a très vite trouvé beau de jouer certaines notes ensemble : attention, pas n’importe lesquelles, sinon nous aurions une belle cacophonie. La voix d’un seul homme et les instruments dits mélodiques (trompette, saxes), ne jouent qu’une note à la fois. Les instruments harmoniques tels que piano, guitare, vibraphone, etc. et les chorales peuvent jouer plusieurs notes ensemble. Ils jouent alors un accord. Un accord est donc l’exécution simultanée ou presque simultanée d’un groupe de notes choisies et appartenant à une gamme. Un accord comprend un minimum de trois notes. Il peut en contenir plus mais deux notes seulement ensemble ne méritent pas encore le nom d’accord. Faut pas pousser !

Nous disions « notes choisies », donc pas n’importe quelles notes ! C’est là tout l’art d’en regrouper certaines pour que cela sonne bien, gai, triste, bizarre, grave ou que cela provoque une certaine coloration, une atmosphère ou une tension dans la musique. Bref, pour que cela exprime les intentions artistiques du « composer ». Il existe donc des règles d’harmonie, règles qui diffèrent selon les musiques. C’est la raison pour laquelle un accord de Jazz pourra paraître dissonant et même vilain à une oreille habituée aux harmonies classiques et, à l’inverse, les accords des grands classiques d’il y a 200 ans paraîtront parfois fades et insipides aux Jazzmen qui ne commenceront à tendre l’oreille qu’à partir d’un Debussy ou d’un Ravel.

Il y a donc une question d’habituation de l’oreille, d’éducation musicale à tel idiome.

Un accord dépend d’une gamme et, tout comme une gamme porte le nom de sa note tonique, la 1, (ex. : F pour une gamme de F majeur), l’accord est nommé et chiffré par sa tonique (accord de F dans notre exemple). Mais revenons à notre bonne vieille gamme de C.

Dans un accord de C, la tonique, la 1, sera donc C. On l’appelle aussi « la fondamentale ». Les autres notes se joueront soit en même temps que C (accord plaqué) ou l’une plus ou moins rapidement à la suite de l’autre en « tenant » toutes les notes pour les faire sonner ensemble (accord legato ou brisé, déroulé).

Comment écrit-on l’accord sur une portée ? En y superposant les notes verticalement à leur place sur la portée, comme à la FIG. 16 à gauche. Pour faciliter la lecture, nous écrirons les accords sur la portée en arpèges de notes consécutives (FIG. 16 milieu) : c’est plus clair pour lire les notes, surtout s’il y a des altérations. Prenez progressivement l’habitude de voir les notes par leur numéro.

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Section 2 : Accord parfait (triad)

Venons-en à l’accord le plus simple de tous, l’accord de C en mode majeur : on l’appelle accord parfait (major triad en anglais). Les notes à jouer sont C (1), E (3), G (5) et, pour finir, répétons si nous le voulons le C (8) à l’octave. Chiffrage : C (tout court).

En anglais : C ou C Major.

FIG. 16

Pour rappel, en chiffrage, le mode majeur ne se spécifie pas. C majeur se chiffre C (tout court).

En mode mineur par contre, la 3 est abaissée d’un demi-ton (bémolisée), comme vous le savez depuis le chapitre relatif aux gammes, et le chiffrage devient C avec un signe – à sa droite, comme à la FIG. 17 suivante. Notez bien que, quand il s’agit d’un accord, le signe – qui se place à droite de la lettre désignant la tonique de l’accord, et donc l’accord lui-même, signifie que cet accord est mineur (et non pas bémol comme pour les notes isolées chiffrées).

N.B. : la notation des accords chiffrés « à l’américaine » n’étant pas universelle, vous rencontrerez aussi pour C - : Cm, Cmin.

Dans tous les cas, en anglais, on parlera de C minor.

FIG. 17 : Accord de C minor (remarquez le bémol devant la 3 et le – après le C)

Si vous voulez chiffrer un accord dont la tonique est altérée, diésée (sharp) ou bémolisée (flat), il faut placer les signes # (dièse) ou b (bémol) à droite et au pied de la lettre désignant la tonique en question et donc l’accord.

Exemple :

Un accord de F sharp s’écrit avec le signe # à droite et au pied du F : F# Un accord de F sharp minor s’écrira : F #–

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Voilà définies les deux grandes familles d’accords avec leurs chiffrages, les accords majeurs et les accords mineurs venant des deux grands modes occidentaux modernes, mode majeur et mode mineur (voir annexe sur les évolutions du Jazz modal).

Arrêtons-nous un court instant pour vous démontrer que l’accord chiffré est plus facile et plus rapide à lire que l’accord fait de notes empilées les unes sur les autres sur une portée. Supposez que vous deviez lire et jouer deux mesures en Do majeur puis deux en Do mineur : comparez à la FIG. 18. Cela prend son importance en tempo rapide et avec des accords changeant beaucoup pendant que les mesures défilent à toute vitesse.

FIG. 18

Je vous le répète : n’oubliez pas qu’en chiffrage, à la différence des accords, quand il s’agit d’une simple note désignée par son numéro, le signe – placé après (ex. : 3–) signifie ici flat, comme le signe + placé après la note signifie sharp. C’est donc différent du signe – placé à la droite de la lettre désignant un accord et qui veut dire mineur. Enfin, quand la note est écrite sur une portée, comme sur la première portée de la FIG. 18 à droite, les signes # et b se mettent avant la note (ici la 3–, E bémol). J’enfonce le clou, je sais !

Pour nous entraîner, interro ! Penez une feuille et chiffrez les 9 accords suivants :

1) A (major et natural, mais dans ce cas, ça ne se précise pas, rappelez-vous) 2) A flat 3) B flat minor 4) C sharp 5) E flat minor 6) F sharp 7) C flat 8) B minor 9) A sharp minor

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Avant de commencer, souvenez-vous qu’il faut respecter la logique alphabétique : pas de doublons, pas d’omissions : 1, 3, 5 peut être D F# A (on saute une lettre sur 2), mais pas D Gb A (G et A sont consécutifs), pas D F F# (doublons de lettres).

Voici les réponses chiffrées, puis les accords sur la portée. (FIG 19) :

Les accords sur portée sont les suivants (FIG.20) :

Les notes de ces accords sont les suivantes, toujours 1, 3, 5 (8) en majeur et 1, 3–, 5, (8) en mineur :

1) A (1), C# (3), E (5) et ajoutons le A de l’octave (8) 2) Ab (1), C (3), Eb (5), Ab (8) 3) Bb (1), Db (3–), F (5), Bb (8) 4) C# (1), E# cad F (3), G# (5), C# (8) 5) Eb (1), Gb (3–), Bb (5), Eb (8) 6) F# (1), A# (3), C# (5), F# (8) 7) Cb cad B (1), Eb (3), Gb (8), Cb (8) 8) B (1), D (3-), F# (5), B (8) 9) A# (1), C# (3–), E# cad F (5), A# (8), mais, vous disais-je, j’entends mieux comme en 9 bis : 9bis) Bb (1), Db (3–), F (5), Bb (8). Je préfère ceci. Comme ce sont les mêmes notes, nommées autrement, on parle d’enharmonies.

Trois remarques :

La première est technique : vous voyez que quand il s’agit de la note d’un accord sur une portée, le signe sharp ou flat s’écrit devant cette note. Je l’ai déjà dit, je sais !

La deuxième est évidente : lire les accords chiffrés est plus facile et plus rapide. Imaginez encore une fois un pianiste ou un guitariste accompagnant un soliste en tempo rapide !

La troisième est une question d’oreille : l’accord n° 9 de l’exercice précédent est un accord de A sharp minor, or nous savons que la note A sharp est la même note que B flat (cf. Chapitre 2, Section 3).

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L’accord de A# minor sera donc aussi le même que l’accord de Bb minor et comprendra les mêmes notes, exprimées en sharp pour le premier accord ou en flat pour le second. On parle d’enharmonies, cad les mêmes notes, nommées autrement.

Essayez ! Ecrivez sur une portée les notes d’un accord Bb minor et celles d’un A# minor : vous entendrez, sentirez peut-être mieux les notes du Bb minor que celles de l’A# minor tout en constatant qu’elles sont les mêmes.

- N’oubliez pas de respecter la logique alphabétique, les exemples 4 et 9 sont « corrects » à cet égard. Pas de notes manquantes. 1,3,5, c’est nécessairement C,E,G ou D,F,A, ou E,G,B, etc…(avec les dièses et bémols appropriés).

Concluons : Certaines notes et accords sont mieux entendus ou « sentis » en dièse, d’autres mieux en bémol ;; ça doit dépendre des gens. Moi, j’aime et j’entends mieux Fa# que Solb, et mieux Sib que La#, les accords de F# et Bb me chantent mieux dans la tête que leurs jumeaux, respectivement Gb et A#. Allez savoir pourquoi, mon bon Monsieur…

Section 3 : Equivalence des notes sur plusieurs octaves successives

Regardons la portée de la FIG. 21 : deux octaves successives sont représentées avec noms et numéros des notes. Jouons les toutes avec sept doigts : nous jouons un accord de C sur deux octaves successives.

FIG. 21

Les notes 1, 8, et 15 sont des C. La 10 est un E, donc équivalente à la 3. La 12, un G, est équivalente à la 5. Nous restons donc dans l’accord de C en jouant toutes ces notes à la fois.

Retenez les numéros des notes supérieures à la 8 comme la portée suivante de la FIG. 21bis vous l’indique : beaucoup d’accords les utilisent aussi. Notez aussi qu’il suffit d’ajouter 7 au numéro d’une note pour avoir la même note et son numéro une octave plus haut (voir plus loin).

FIG. 21 bis

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Section 4 : Renversements des accords

Il n’est pas obligatoire de jouer un accord en partant de la fondamentale (la 1) et en alignant les notes suivantes de l’accord parfait.

Pour illustrer cela, prenons un accord de C que nous allons jouer sur deux octaves successives, comme dans la FIG. 21 plus haut.

Si l’on décide de ne pas jouer la 1 (le C inférieur), mais de « partir » de la 3 (donc du E inférieur), en jouant le reste des notes de la portée ci dessus, cela donne E-G-C(-E-G-C), avec les numéros 3-5-8(-10-12-15) : c’est toujours un accord de C. On appelle cela le premier renversement de l’accord de C. (FIG. 22).

FIG. 22

Plus, si l’on décide de ne pas jouer la 1 (C), ni la 3 (E) inférieures et de démarrer l’accord sur la 5 (G), en jouant les autres notes restantes, on a G-C-E(-G-C), correspondant à 5-8-10(-12-15) et c’est toujours un accord de C. On l’appelle le deuxième renversement de l’accord de C. (FIG. 23).

FIG. 23

En prenant même le nombre minimum de notes pour faire un accord (c’est-à-dire trois) et en restant dans l’accord de C, on peut avoir, en montant : C-E-G ou E-G-C ou encore G-C-E : ce sont trois accords de C soit, respectivement, C, C premier renversement et C deuxième renversement.

Pour résumer en français : Do-Mi-Sol-Do ou Mi-Sol-Do-Mi ou Sol-Do-Mi-Sol (FIG. 24), c’est le même truc, c’est du Do majeur. Fermez le ban !

FIG. 24

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Section 5 : Modifications – coloriage des accords (« altérations »)

L’accord parfait a une beauté classique. Mais les accords, c’est comme les femmes. A une beauté classique on en préfère souvent une qui a un peu de « chien », de « peps » ou qui « en jette », dit-on aujourd’hui.

Alors, on modifie – peu ou beaucoup – l’accord parfait. Comment ? soit par modifications de notes, qui deviennent dièses ou bémols, soit par remplacement de notes par d’autres, soit par ajout de notes pour en arriver usuellement à un maximum de 6, voire 7 notes.

Vous trouverez ci-après une liste des principaux accords « altérés » (je hais ce mot !) utilisés par les Jazzmen. Ces accords colorient l’accord parfait. Bien sûr la liste n’est pas limitative et le Jazz a progressé et progressera encore par une évolution des harmonies et des enchaînements harmoniques. Au-delà de ces altérations, certains musiciens inventent leurs propres systèmes d’accords. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un Bill Evans ou un Mac Coy Tyner sont reconnaissables entre mille (s’il n’y avait pas d’imitateurs parfois doués). Mais n’allons pas « here and now » décortiquer les accords super complexes d’un Herbie Hancock et revenons sur terre pour… commencer par le commencement.

Cette liste (voir FIG. 25) prend en exemple l’accord de C et se présente sous forme d’un tableau dont je vous explique ici la lecture. Sur une ligne horizontale, on peut lire, de gauche à droite :

un numéro commençant à 1 et qui n’est qu’un numéro de référence sans rapport avec la musique

la désignation des notes modifiées de l’accord parfait de C figurant au numéro 1 une portée montrant les notes de l’accord et indiquant les modifications qu’il a subi un petit commentaire sur l’accord modifié en question le chiffrage de l’accord tel que vous le verrez sur une grille d’accords ou sur une

partition avec accords chiffrés (et non développés sur une portée pour pianistes) et enfin la dernière case à droite de la ligne horizontale est un rappel de petites

subtilités harmoniques : certains accords sans être identiques, sont un peu cousins. Pour ne pas se tromper dans le chiffrage, il faut en tenir compte et bien se souvenir du ton de l’accord, donc bien revenir à sa tonique, sa fondamentale

Les descriptions de la FIG. 25 concernent les accords de C. En vous basant sur les gammes, de la FIG. 15, sur les numéros des notes et sur la règle des intervalles, vous devriez pouvoir déduire quelles sont les notes des mêmes accords que ceux décrits ici, mais dans des tons autres que C.

Par exemple, prenons l’accord n° 8 du tableau de FIG. 25 ci-après, le C7 5- , cher aux boppers. Si nous voulons jouer un accord de F7 5–, les notes à jouer seront F, A, B, E–. Soit F, A, B, Eb.

Jouons un accord de Bflat7 5 - : les notes à jouer seront B–, D, E, A–. Soit Bb, D, E, Ab. OK ?

Regardez le tableau et n’oubliez pas que l’aspirine est dans l’armoire à pharmacie.

Les accords décrits sont en MAJEUR. Ensuite nous parlerons du mode MINEUR et de quelques particularités de certains accords mineurs.

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FIG. 25 : Les accords majeurs de C

Suite page suivante.

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FIG. 25 (suite) : Les accords majeurs de C

Comment prononcer les noms de ces accords pour être compris des musiciens américains ?

On prononce dans l’ordre (en partant de la fondamentale, vers le haut, étage par étage) :

1- Le nom de la fondamentale, la tonique de l’accord. Exemple : D

2- L’altération éventuelle de l’accord : Sharp ou flat

3- Le mode s’il est mineur : Minor (en mode majeur on élude le terme major)

4- Eventuellement les notes altérées de l’accord : 5- : flat five ; 11+ : sharp eleven

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La FIG. 26 vous détaille cela :

FIG. 26

Numéro Chiffrage Nom de l’accord 1 C C 2 C' C major seven 3 C7 C seven 4 C6 C six 5 C6– C flat six 6 C5+ C sharp five 7 C5– C flat five 8 C7 5– C seven flat five 9 C'5+ C major seven sharp five

10 C'5– C major seven flat five 11 C7 sus 4 C seven sus four 12 C penta C pentatonic 13 C'9 C major seven nine 14 C'9 11+ C major seven nine, sharp eleven 15 C7 9 ou C9 C nine (seldom : C seven nine) 16 C7 9 11 C nine eleven

LES ACCORDS MINEURS DE C Rappelons que le mode mineur (minor mode) se différencie du majeur par la diminution d’un demi-ton (bémolisation) de la 3, dans les gammes, comme dans les accords. La tierce devient mineure (1 ton ½ au-dessus de la tonique). La lettre désignant l’accord prend alors un signe – à sa droite, pour indiquer la qualité mineure. Par exemple, l’accord n° 3 du tableau de la FIG. 25 (C7) deviendra C–7, et ainsi de suite.

Il y a cependant quelques particularités et quelques accords propres au mode mineur.

a) L’accord n° 11, C7 sus 4, n’est pas transposable en mineur.

b) L’accord n° 12, C penta, passant en mineur, se chiffrera donc C– penta et comprendra les notes de la gamme pentatonique mineure, soit C, E–, F, G, B–, C ou 1,3–, 4, 5, 7–, 8. Sur une portée, cela donnera

FIG.27 :

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c) Il existe un accord, toujours mineur, où les notes sont toutes séparées par un ton et demi, ce qui donne : C, E–, G–, A, C ou 1, 3–, 5–, 6, 8. Il se chiffre C o et se nomme C diminué. Sur la portée, cela donne

FIG. 28 :

Pour nommer ces accords mineurs, on ajoute « minor » juste après la lettre désignant l’accord et après le dièse ou le bémol. Par exemple, C# –7 se dit C sharp minor seven.

Entraînez-vous à jouer et nommer tous ces accords, en majeur et en mineur, d’abord en C puis dans les autres tons habituels du Jazz, que vous connaissez par les gammes de la FIG. 15. Aidez-vous du tableau des gammes de la FIG.15 ou 29 suivante pour trouver les notes et leurs numéros. Pensez les accords en lettres et les notes en numéros. Ecrivez sur des portées notes et altérations de tel ou tel accord, bref, en un mot comme en cent : entraînez-vous !

Voyez si ces accords vous plaisent, voyez ce qu’ils vous disent, vous inspirent. Pensez-les comme une palette de diverses couleurs dont vous allez vous servir pour faire votre tableau musical. Ce sera la base sur laquelle vous improviserez. C’est moins salissant que la palette de l’artiste – peintre ! Non ?

Et comme l’a très bien dit Jean Lerusse (ben, c’est moi ça !) : la dissonance, c’est le sel de l’harmonie !

de gauche à droite : Jean Lerusse (b), Louis Mac Connell (ts, fl), Félix Simtaine (dm) - Lou Mac Connell Trio

© coll. de l’auteur

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FIG. 29

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Section 6 : Petites subtilités et un piège

DEPLACEMENT D’UNE NOTE DANS UN ACCORD Un petit exemple avec un accord de A flat major 7, normal à gauche et modifié à droite :

FIG. 30

Que s’est-il passé ? La G, note supérieure à gauche, est descendue d’une octave pour venir flirter outrageusement avec la A– qui est la 1 de l’accord, ce qui donne un intervalle d’un demi-ton entre ces deux notes. Aïe aïe aïe ! Gare à la dissonance inacceptable, et pourtant essayez, cela reste un accord de A flat major seven. Je trouve que cela sonne bien. Je crois que ce petit truc a été trouvé par Bill Evans.

En fait, c’est une application sur 4 notes de la technique des renversements, expliquée plus hait.

Enfin, pour terminer, nous en avons déjà parlé , je voudrais vous montrer un piège à éviter dans le chiffrement des accords.

Voyez cet accord-ci :

FIG. 31

C’est un accord de E, c’est même l’accord parfait (1, 3, 5, 8) de E.

Voyons maintenant l’accord suivant qui, lui aussi, démarre aussi sur E :

FIG. 32

La 3 a diminué d’un demi-ton : serait-ce donc E– ? Et la 5 s’est élevée d’un demi-ton : serait-ce donc E– 5+ ? Un chiffrage bien compliqué pour ce qui est en fait…un C en premier renversement.

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Voyez FIG. 33

Do-Mi-Sol-Do-Mi : Supprimez le Do inférieur et commencez sur Mi inférieur : vous avez votre accord mystérieux.

• Pour bien chiffrer un accord, pensez à la fondamentale, la tonique, la 1 d’où cet accord provient.

Greg Hutchinson (dm) aux Dinant Jazz Nights 2010 - © Jacky Lepage

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Section 7 : Accords issus du jazz modal – modes dits grecs – accords de quartes et autres accords.

Pour les définitions, origines et évolutions du Jazz modal, qui, de technique d’improvisation et d’accords d’accompagnement (les modes) est devenu un style à part entière, je vous renvoie à l’annexe de ce livre traitant du jazz modal (modal Jazz). Remarquez que depuis 1956, le Jazz modal a coexisté et coexiste toujours avec des formes plus traditionnelles de jeu du Jazz moderne, il ne les a pas étouffées comme l’ont été le Cool et la West Coast par le Hard Bop dans les années 50.

Nous envisagerons ici la technique et le moyen d’obtenir des accords modaux. En fin d’explications, nous alignerons tous ces modes (de Do par exemple) sur des portées.

Pour l’explication des modes, je reprendrai la dénomination européenne des notes, ce sera moins ardu à expliquer car c’est déjà assez compliqué comme ça. En fait, l’amateur peu averti pourrait allègrement passer cette section pour y revenir une fois plus aguerri.

MODES DITS GRECS

En quelques mots, au moyen-âge, les modes étaient des façons de jouer la mélodie et les accords afin d’exprimer des sentiments ou des états d’âme variés, gais, joyeux, tristes désespérés etc. Les musiciens choisissaient le mode adapté à l’événement célébré en accordant leurs instruments de diverses façons. De cette époque, la musique européenne a gardé le mode majeur et un mode mineur. Puis, au début du siècle, ont été remis « à la mode » si j’ose dire, les modes suivants, erronément dits « grecs ». Ces modes portent des noms étranges de peuples antiques de Grèce ou d’Asie Mineure car on croyait au Moyen Âge qu’ils provenaient de là–bas et de cette époque. C’est faux et l’erreur date du Moyen Âge, mais l’usage les a finalement consacrés, du moins en Jazz. Nous allons nous servir de ces noms de peuples et de régions pour vous expliquer cela de manière aussi claire, simple et amusante que possible. Ce n’est pas gagné !

Hors donc en ce temps-là de l’antiquité existaient :

l’IONIE, peuplée d’IONIENS et située en Asie Mineure (Turquie actuelle) la PHRYGIE, peuplée de PHRYGIENS, en Asie Mineure la LYDIE, peuplée de LYDIENS, en Asie Mineure l’AEOLIE ou EOLIE, peuplée d’AEOLIENS ou EOLIENS (non, leurs femmes n’étaient

pas des Eoliennes !), en Asie Mineure également la LOCRIE, peuplée de LOCRIENS dans le Nord du Péloponnèse enfin, la DORIE qui n’existe pas en tant que telle, mais la Grèce entière a subi l’invasion

des DORIENS.

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Voici un embryon de carte géographique pour illustrer tout cela : les régions et peuplades sont indiquées sur la carte

FIG. 34.

Pour l’explication technique de ces accords et modes, imaginons donc ces peuples comme des voleurs qui convoitent et capturent effectivement… certaines notes de la gamme de Do majeur, représentée sur deux octaves successives en A sur la FIG. 35 qui suit. Dans cette gamme de Do, vous le savez, Do est la tonique, la fondamentale, la 1 : ce n’est pas nouveau.

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Commençons par le MODE DORIEN

Occupons nous des « brigands doriens » qui, au cours d’une incursion, réussissent à « capturer » certaines notes de notre bien honnête gamme de Do, à savoir les notes allant du Ré au Ré supérieur. Cela est représenté par la « capture dorienne » (portée A )

FIG. 35

Ces « bandits » ramènent ces mêmes notes, gardées dans leur ordre, chez eux et décident d’en faire une gamme, sans rien changer aux notes : Ré-Mi-Fa-Sol-La-Si-Do-Ré naturels.

Cette gamme, fruit de leurs rapines, ils l’appellent la gamme dorienne ou le mode dorien. Gamme bizarre toutefois, par rapport à la gamme de Do majeur. Comparez la portée B à la gamme de DO sur la portée A. Regardez bien la différence :

« Leur » gamme commence sur le Ré et ils en font leur tonique, leur 1. Ils n’ont rien changé aux autres notes de la gamme de DO. Mais alors « leur » tierce dans « leur » gamme est le Fa naturel qui se trouve seulement un ton et demi plus haut que leur tonique, Ré. C’est donc une tierce mineure, qui fait de ce mode un mode mineur. Pour rappel, dans une gamme de Do, la tierce est Mi située deux tons plus haut que Do : tierce majeure. Ca vous le savez.

Dans une ultime tentative de négociation, la brave gamme de Do majeur rencontre les Doriens ; cela donne le petit dialogue théâtral, genre dialogue de sourds, que voici :

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ACTE V SCÈNE 5 (se reporter à FIG. 35)

Gamme de Do : Rendez-moi mes notes, bandits ! Les Doriens : Elles sont à nous et nous avons nommé RE la 1, la Tonique. C’est

notre gamme Dorienne à présent ! Gamme de Do : Vous n’avez pas fait de mal aux autres notes captives, j’espère ! Les Doriens : On n’y a pas touché, on n’a rien changé et elles sont dans l’ordre. Gamme de Do : Mais votre tonique, votre Ré est un ton plus haut que ma tonique, Do Les Doriens : On s’en fout. C’est notre gamme, elle est ainsi. Gamme de Do : (ironique)

Si Ré est votre tonique, votre 1, où est votre 3, votre tierce ? Les Doriens : (qui réfléchissent) Ben… ben… euh… notre 3 c’est (ils comptent sur leurs doigts) … Ré,

Mi, Fa). Ben… c’est Fa. Gamme de Do : Moi, ma tonique, ma 1, c’est Do et ma tierce, ma 3, c’est Mi. Les Doriens : Et alors ? (in petto) Qu’est-ce qu’elle mijote pour nous rouler ? Gamme de Do : Combien de tons entre ma 1, Do et ma 3, Mi ? Deux tons, donc tierce

majeure. Les Doriens : Et nous, entre notre 1 Ré et notre 3 Fa on a… (ils comptent) Ré-Mi :

un ton, Mi-Fa : un demi-ton, ben un ton et demi… mais alors, par Zeus, notre tierce est… est…

Gamme de Do : … tierce mineure bande d’idiots ! Vous avez fait de ma gamme majeure une gamme mineure ! C’est malin !...

Les Doriens : Eh ben on s’en fout, elle sera mineure mais on la garde, na ! Gamme de Do : Mais ce n’est même pas une gamme mineure classique, une mineure

« mélodique » de RE ! Regardez votre 7, le Do volé ! (le souffleur : voir la FIG. 35 et comparer portées B et D). C’est un 7 bémolisé (une septième mineure) !

Les Doriens : Et bien tant mieux, on a une nouvelle gamme mineure. Vive la gamme dorienne ! Ha ha ha !

Gamme de Do : Oh, et puis zut. Allez vous faire foutre ! Que Zeus vous foudroie ! RI - DO

Après cette petite facétie, concluons ! La gamme, le mode et l’accord Ré dorien utilise les notes inchangées de la gamme majeure de DO situé un ton plus bas que RE. C’est un mode mineur puisqu’il n’y a qu’un ton et demi et non deux entre sa tonique Ré (1) et sa tierce FA (3) (donc une tierce mineure).

Généralisons à toutes les notes. Le mode, la gamme ou l’accord dorien, mode toujours mineur quelle que soit la tonalité du moment+, utilise les notes d’une gamme majeure dont la tonique, la 1, est située un ton plus bas.

Exemples Sol dorien notes de la gamme de Fa majeur à commencer sur la tonique de l’accord de Sol dorien, Sol. Donc les notes seront Sol-La-Si bémol-Do-Ré-Mi-Fa-Sol.

Fa dorien notes de la gamme de Mi bémol majeur, à commencer sur Fa. Donc les notes seront : Fa-Sol-La bémol-Si bémol-Do-Ré-Mi bémol-Fa.

Etc.

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Passons maintenant aux mode, gamme et accord PHRYGIEN

Gardons le concept de capture de notes et voyons le schéma de la FIG. 36.

La gamme, le mode et l’accord de Mi phrygien capturent donc les notes allant du Mi au Mi supérieur de la gamme de Do majeur. Les notes capturées sont inchangées. La tonique (1) devient donc Mi et, par rapport à Mi, Do est situé deux tons plus bas. La FIG. 36 montre, sur la portée A, la « capture phrygienne » et sur la portée B, la gamme de Mi phrygien. Les gammes de Mi majeur et Mi mineur mélodique sont en C et D et sont différentes de B.

Mi étant la tonique (1) de cette gamme, la 3, la tierce est Sol. Entre Mi et Sol, il y a un intervalle d’un ton et demi, c’est donc une tierce mineure et la gamme, le mode et l’accord phrygiens, sont mineurs comme les doriens vus plus haut.

En généralisant, en mode phrygien, on utilise les notes de la gamme majeure située deux tons plus bas (une tierce majeure plus bas, si vous préférez).

Exemples Accord de Sol phrygien

notes de la gamme de Mi bémol majeur, à commencer sur la tonique Sol. Donc les notes seront : Sol-Lab-Sib-Do-Ré-Mib-Fa-Sol.

Accord de Do phrygien notes de la gamme de La bémol majeur, à commencer sur la tonique Do. Donc les notes seront : Do-Réb-Mib-Fa-Sol-Lab-Sib-Do.

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Mode triste aussi, mais différent de l’accord mineur mélodique et du mode dorien. Le faible écart d’un demi-ton entre la 1 et la 2 dans le mode phrygien est caractéristique de ce mode, (ce qui lui donne une couleur plutôt « espagnole »). Mais évidemment, il faut jouer ces accords pour entendre, sentir la différence entre ces trois modes mineurs.

Un peu plus simple, le MODE IONIEN, pour nous détendre un petit moment.

Il « capture » les notes de Do au Do supérieur de la gamme de Do majeur. La tonique de Do ionien est donc Do, les notes du Do au Do supérieur sont celles de la gamme de Do majeur. Quant à la tierce, c’est Mi ;; c’est une tierce majeure puisqu’il y a deux tons entre Do et Mi.

Le mode ionien est donc un mode majeur (enfin un mode majeur ; il y en aura un autre après). Mais me direz-vous, où est la différence entre ce mode et la gamme pure et simple de Do majeur ? Eh bien il n’y en a pas. Je vous l’avais dit qu’on se détendait ici ! En bref, le mode ionien est un coup de sabre dans l’eau de la mer Egée !

Généralisons : Un accord en mode ionien est identique à l’accord majeur de la même note.

Ensuite attaquons le MODE LYDIEN La capture des notes de la gamme de Do majeur par ces crapules de Lydiens porte ici du Fa au Fa supérieur, donc Fa-Sol-La-Si naturel !-Do-Ré-Mi-Fa. La tonique DO de la gamme de DO majeur se trouve 2 tons et demi plus bas que la tonique FA de la gamme lydienne qui « vole » ses notes à la gamme de DO. Ainsi la tonique est devenue FA et la tierce LA, deux tons plus haut que la tonique Fa, soit une tierce majeure. Le mode Lydien est donc un mode majeur.

Le mode, l’accord Fa lydien diffère bien évidemment du Fa mineur puisqu’il est majeur (voir la tierce). La Palice l’aurait bien dit.

Il diffère aussi de l’accord de Fa majeur traditionnel au niveau de la quarte (4) (Si) située un ton entier plus haut que la tierce (3) (La). La quarte lydienne est donc un Si naturel. C’est différent de la gamme ou de l’accord de Fa majeur traditionnel où, comme dans toute gamme majeure traditionnelle, la quarte (4) n’est située qu’un demi ton plus haut que la tierce (La) ; la quarte est donc dans ce dernier cas un SI bémol : rappelez-vous et revoyez les données fondamentales des FIG. 5 à 9 : un demi-ton entre 3 et 4, toujours.

Les accords lydiens font penser aux accords traditionnels de 5- (ou 4+).

Exemple : C lydien = C 5- ou C 4+, comme on préfère.

Généralisons : Un accord lydien utilise les notes d’une gamme majeure dont la tonique est située deux tons et demi plus bas que lui (une quarte plus bas si vous préférez).

Donc Un Do lydien notes de la gamme Sol majeur, soit les notes Do-Ré-Mi-Fa#-Sol-La-Si-Do.

Un La bémol lydien notes de la gamme de Mi bémol majeur, soit les notes Lab-Sib-Do-Ré-Mib-Fa-Sol-Lab.

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Avant d’aborder le plus dur, encore un mode facile : LE MODE MYXOLYDIEN. Le mode myxolydien emprunte à la gamme de Do majeur les notes de Sol au Sol supérieur, toujours inchangées et naturelles, comme d’hab.

La tonique élue est donc Sol et les notes sont Sol-La-Si-Do-Ré-Mi-Fa naturel-Sol.

La tonique Do de la gamme de Do majeur est donc située trois tons et demi plus bas que la tonique SOL de la gamme Myxolydienne qui « vole » ses notes à la gamme de DO.

Ici aussi le mode est majeur puisque il y a deux tons entre la tonique myxolydienne (1) (Sol) et sa tierce (3) (Si) : tierce majeure.

Jouer un accord de Sol myxolydien revient à jouer la gamme majeure dont la tonique est située trois tons et demi plus bas, soit Do, et cette dernière gamme contient un Fa naturel. C’est par cette note que la gamme ou l’accord de Sol myxolydien diffère du Sol majeur traditionnel, dont la gamme, elle, contient un Fa#.

Généralisons : Le mode, la gamme, l’accord myxolydiens sont majeurs et utilisent les notes de la gamme majeure dont la tonique est située trois tons et demi plus bas (une quinte plus bas si vous préférez). Ou deux tons et demi (une quarte) plus haut si c’est plus facile pour vous.

En fait le mode myxolydien ressemble aux accords Jazz de septième : C Mixolydien = C 7.

Exemples Ré myxolydien notes de la gamme de Sol majeur, en démarrant sur Ré. Donc les notes seront : Ré-Mi-Fa#-Sol-La-Si-Do natural-Ré, soit les notes d’un accord de Ré7 (D7).

Mi bémol myxolydien notes de la gamme de La bémol majeur, à commencer sur la tonique Do. Donc les notes seront : Mib-Fa-Sol-Lab-Sib-Do-Réb-Mib, soit un Eb7.

Fini de rire, voici le MODE AEOLIEN Et là je vous réécris mes schémas de gammes et de capture, ce sera plus clair (FIG. 37).

La gamme, le mode et l’accord de La aeolien capturent les notes du La au La supérieur de la gamme de Do majeur, sans les changer. La tonique devient La et, par rapport à La, Do, la tonique de la gamme de Do est située quatre tons et demi plus bas (ou un ton ½ plus haut, cad une tierce mineure plus haut).

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FIG. 37

La étant la tonique de cette gamme de La aeolien, la tierce (3) est Do (voyez la portée B de la FIG. 37). Entre La et Do, il y a un intervalle de un ton et demi, c’est donc une tierce mineure et le mode, la gamme ou l’accord aeolien est donc mineur et même désespérément triste.

En généralisant : En éolien, mode, gamme et accords mineurs, on utilise les notes de la gamme majeure dont la tonique sera située quatre tons et demi plus bas. Ou un ton et demi (cad une tierce mineure) plus haut, c’est plus facile à compter et ce sera la même note tonique. On parlera aussi pour ce mode de mineur naturel ou antique.

Exemples Accord de Sol éolien notes de la gamme de Si bémol majeur, à démarrer sur Sol. La tonique de l’accord est Sol aeolien. Donc les notes seront : Sol-La-Sib-Do-Ré-Mib-Fa-Sol.

Si bémol éolien notes de la gamme de Ré bémol majeur, à démarrer sur Si bémol, la tonique de l’accord à jouer. Donc les notes seront : Sib-Do-Réb-Mib-Fa-Solb-Lab-Sib.

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Enfin le MODE LOCRIEN dont vous trouverez le schéma ci-dessous.

FIG. 38

Sur la portée A de la figure ci-dessus, on voit que la gamme, le mode et l’accord de Si locrien capturent les notes, inchangées, de la gamme de Do majeur du Si au Si supérieur. Sur la portée B, on voit la gamme ainsi formée : la tonique (1) du Si locrien devient donc Si et la tonique Do de la gamme de Do majeur lui est inférieure de cinq tons et demi, …ou supérieure d’un demi ton si l’on choisit le Do supérieur (c’est peut-être plus facile à compter).

Cette gamme de Si locrien vue sur la portée B est différente des gammes en C et D.

Sur la portée B, on voit aussi que la tierce de cette gamme locrienne est un Ré, avec une différence d’un ton et demi avec la tonique Si : c’est donc une tierce mineure et le mode, la gamme et l’accord locrien sont mineurs, très mineurs et tellement déprimants que, tiens, je n’ai même plus le courage de continuer ce livre…Ben, non, je blague, hein !

Généralisons : Le mode, la gamme ou l’accord locrien est mineur et emprunte les notes d’une gamme majeure dont la tonique se trouve cinq tons et demi plus bas, ou encore un demi-ton plus haut comme vous voulez, ce sera de toute façon la même note.

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Exemples Accord de Mi locrien notes de la gamme de Fa majeur, commençant sur le Mi qui est la tonique du Mi locrien. Donc les notes seront : Mi-Fa-Sol-La-Sib-Do-Ré-Mi.

Accord de La locrien notes de la gamme de Si bémol majeur, commençant sur le La qui est la tonique du La locrien. Donc les notes seront : La-Sib-Do-Ré-Mib-Fa-Sol-La.

Résumons-nous et jouons nos différents accords de Do (C) dans les différents modes

Jouant un C ionien, vous jouez en mode majeur (mode IONIEN) Jouant un C lydien, vous jouez en mode majeur (mode LYDYEN) Jouant un C myxolydien, vous jouez en mode majeur (mode MYXOLYDIEN) Jouant un C dorien, vous jouez en mode mineur (mode DORIEN) Jouant un C phrygien, vous jouez en mode mineur (mode PHRYGIEN) Jouant un C aeolien, vous jouez en mode mineur (mode AEOLIEN) Jouant un C locrien, vous jouez en mode mineur (mode LOCRIEN).

A ces modes, dits erronément « grecs », ajoutons les deux modes de la musique occidentale, que nous avons gardés du Moyen Âge : majeur et mineur mélodique.

Jouant un C, nous jouons en mode majeur.

Jouant un C–, nous jouons en mode mineur. Notre mode mineur « occidental » porte un nom, c’est la gamme ou l’accord de Do en mode mineur mélodique ; ce mode figure sur la portée D dans les dernières figures (34 à 37).

Ajoutons enfin les gammes pentatoniques, qui sont également considérées comme des modes :

Jouant un C pentatonique, vous jouez en mode majeur. Les notes sont Do-Ré-Mi-Sol-La-Do

Enfin, jouant un C– pentatonique, vous jouez en mode mineur. Les notes sont Do-Mib-Fa-Sol-Sib-Do.

Nous disposons donc au total de 4 MODES MAJEURS :

(1) Le MODE MAJEUR OCCIDENTAL CLASSIQUE, identique au mode IONIEN (2) Le mode PENTATONIQUE majeur (3) Le mode LYDIEN (très semblable aux accords majeurs 5– ou 4+) (Ex. : C5–) (4) Le mode MYXOLYDIEN (très semblable aux accords Jazz de 7ème) (Ex. : F7)

Nous disposons par contre au total de 6 MODES MINEURS : (1) Le MODE MINEUR MÉLODIQUE (bien de chez nous) (2) Le MODE DORIEN (très semblable aux accords mineurs 7 (Ex. : G–7). (3) Le MODE PENTATONIQUE MINEUR (qui fut cher à Coltrane) (4) Le MODE PHRYGIEN (5) Le MODE AEOLIEN (AUSSI DÉNOMMÉ MINEUR NATUREL, OU ANTIQUE) (6) Le MODE LOCRIEN.

Six contre quatre, ceci prouve bien que l’homme est plus enclin à exprimer sa tristesse que sa joie !

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Ces accords, issus de la musique modale remise au goût du jour au début du XXe siècle, ne concernent pas que celle-ci : on peut les rencontrer dans des enchaînements harmoniques (voir plus loin) et dans une grille d’accords (voir plus loin) de Jazz classique (accords tonals versus modaux). Ils peuvent aussi subir une altération au niveau de telle ou telle note. Par exemple C 7 lydien : Do-Ré-Mi-Fa#-Sol-La-Sib où le Fa# est lydien et le Sib est le 7. Maintenant vous pourrez toujours me dire qu’on peut aussi le chiffrer C 7 5– en accord traditionnel !

Pour information, d’autres musiques d’autres contrées utilisent d’autres modes que les nôtres mais nous ne les décrirons pas ici car ils ne concernent pas (ou si peu) le Jazz. Citons les modes oriental, andalou, tzigane, les modes indiens, etc. Certains Jazzmen, en quête de sources d’inspiration, ont quelque peu exploré ces modes. On se rappellera les rencontres Coltrane-Ravi Shankar par exemple. Epiphénomènes transitoires.

Avant de passer aux accords de quartes, voici un tableau (FIG. 39) reprenant les modes et accords de C,

excepté le C ionien, identique à l’accord traditionel moderne C, excepté le C lydien, identique à l’accord traditionel moderne C 5–, excepté le C myxolydien, égal à l’accord traditionel moderne C7,

que vous retrouvez dans le tableau de la FIG 25.

Rhoda Scott (org) et Toots Thielemans (hca), Dinant Jazz Nights 2008 - © Jacky Lepage

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FIG. 39

La fléchette pointant sur le Mi bémol indique un mode mineur.

Ici il faut jouer ces gammes et accords dans tous les tons, entendre comment cela « sonne » et s’en imprégner.

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ACCORDS DE QUARTES ET AUTRES ACCORDS CRÉÉS AVEC LE JAZZ MODAL Ici nous seront brefs car nous nous éloignons des accords habituels et nous abordons des préférences et constructions personnelles de musiciens ayant recherché dans des modifications d’harmonies un nouveau climat méditatif et mystérieux afin de mieux coller au Jazz modal naissant.

Accords de quartes (Bill Evans et Mac Coy Tyner)

Les notes sont séparées par des quartes, donc par intervalles de deux demi-tons.

Pour construire un accord de quartes de C, on démarre sur sa tierce, donc E, et on monte par quartes jusqu’à rencontrer C supérieur, qui est la tonique placée « en haut » de l’accord.

FIG 39bis

Certains « voicings » (constructions d’accords) incluent une tierce dans l’assemblage de quartes, ce qui leur garde malgré tout la couleur d’accords en quartes. Ex. : C, F, Bb, Eb, G (pour évoquer C-7).

Accords dérivés de la gamme par tons Ces gammes de 6 notes sont construites avec un ton entre chaque note, par exemple accord de C par tons (whole tone en anglais). Un héritage de Debussy et Ravel. Superposition possible de triades augmentées. Il existe 2 gammes de ce type, leur transposition étant limitée (on retombe sur une gamme existante dès la 3ème).

FIG. 40

Accords dérivés des gammes dites « symétriques diminuées » (octotoniques) Ces gammes de 8 notes, chères à Olivier Messiaen, ont été largement adoptées par les musiciens de jazz. Elles sont constituées d’un enchaînement régulier de ½ ton, ton, ½ ton, ton, etc…ou l’inverse. Il n’existe que 3 gammes de ce type, leur transposition étant limitée. Elles sont utilisées pour des accords diminués ou de septième et diverses triades et structures peuvent en être extraites.

Accords enigma Où l’on ne retrouve pratiquement plus la tonique. Ils conviennent à toute improvisation.

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FIG. 41

Munis de tous ces accords, nous voilà prêts à envisager comment se déroule un morceau de Jazz, comprenant en général - bien que pas toujours - et dans sa structure la plus simple : un thème, puis une partie improvisée, à laquelle prennent part un ou plusieurs solistes, puis le thème réexposé en fin d’exécution.

Section 8 : Enchainements harmoniques d’un thème (grilles d’accords) et formes des thèmes

Lorsqu’un soliste joue la mélodie d’un thème donné, qu’un compositeur/composer a créé, il joue une suite connue de notes pendant un certain nombre précis de mesures. Celles-ci sont un découpage, en parties égales, de la durée de cette mélodie. Le thème, c’est « l’air connu » du morceau, c’est lui qu’on retient. Un thème dure donc un nombre x de mesures et pas une de plus ou de moins. Il s’appuie sur un canevas, une forme précise. Après avoir joué le thème, notre soliste improvisera en respectant certaines règles.

Pendant le défilement de ces mesures et le déroulement de la mélodie, un ou plusieurs instruments harmoniques accompagnent le soliste en jouant, mesure par mesure, les accords composés pour ce thème. Ces accords changeront plus ou moins souvent au fil des mesures.

L’écriture de la mélodie du thème et des accords, avec leur découpage mesure par mesure, constitue une partition. Les partitions de Jazz peuvent revêtir plusieurs formes.

La partition d’un soliste - par exemple, celle d’un trompettiste - jouant la mélodie comprendra une portée pour les notes et mesures de la mélodie, tandis que les accords seront très généralement chiffrés en regard des mesures correspondantes. Voici un exemple de portée comprenant ici trois mesures séparées comme toujours par des barres verticales avec une ligne mélodique inscrite sur la portée du soliste et les accords à jouer sur ces mesures, inscrits (chiffrés) au-dessus d’elle.

FIG. 42

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Le rôle des accords inscrits ici est d’indiquer au trompettiste sur quels accords il devra improviser pour maintenir la justesse avec le pianiste qui, lui, les jouera en accompagnement du trompettiste dans l’exposé du thème et les répétera dans la même séquence (le canvas qui a servi au thème) autant de fois qu’il faudra pendant son improvisation sur ce thème.

Il y a parfois deux accords par mesure. Il peut y en avoir plus, parfois quatre, un accord par temps d’une mesure à quatre temps par exemple.

La partition de l’instrument d’accompagnement (piano) contiendra la mélodie du thème, les mesures et leurs accords et peut-être le moment de la mesure auquel l’accord doit être plaqué. Il faut donc une partition complète comprenant trois portées superposées : de haut en bas, une portée pour la mélodie du thème, jouée par le soliste mais que le pianiste doit voir, puis deux portées (pour les deux mains) pour l’accompagnement pianistique, les notes des accords étant inscrites dessus au moment de la mesure où l’accord doit être joué. Donc, en plus de la FIG. 42, nous aurons aussi la FIG. 43 pour le piano.

FIG. 43

Tout cela est valable tant pour les grandes formations (big bands) que pour les petites, du moment qu’il y ait des arrangements précis à jouer tels qu’ils sont écrits.

Mais le Jazz, c’est fondamentalement la musique de la liberté, surtout en petite formation.

Dès lors, en pratique et d’une manière générale, mais pas toujours, bien sûr, l’accompagnateur placera ses accords dans la mesure au moment où il le sentira bon, donc dans ce cas, pas besoin des notes écrites sur portée, mais simplement des accords chiffrés. Quant au soliste, il aura besoin des accords et de la ligne mélodique mais, en général, il connaîtra tout cela par cœur car il aura répété le thème, et n’aura souvent besoin de rien ou simplement des accords, pour s’en souvenir pendant son improvisation, « au cas où ».

Dans ce cas, les partitions se résumeront à ce qui suit, à savoir une suite d’accords chiffrés inscrits dans un certain nombre de mesures.

Prenons l’exemple d’un très beau thème d’un grand guitariste liégeois, le regretté René Thomas, pour lui faire honneur. Ce thème s’appelle « Meeting » et je vous le commenterai ensuite.

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FIG. 44 : « Meeting »

A part le titre du thème et le compositeur/composer, que voyons-nous sur cette partition ? En haut à gauche, pour quel instrument elle convient. Ici piano et contrebasse. Elle pourrait convenir aussi à une guitare, mais pas à une trompette ni un saxe, pour des raisons techniques liées à l’instrument. (ex. : trompette en Si bémol : son Do est Si bémol : il faudrait monter d’un ton tous les accords).

En haut à droite, D b : c’est le ton du morceau (il se joue donc en Ré bémol). 4/4 veut dire que l’on joue en quatre temps. Swing ou bien walk signifie que la basse doit jouer tous les temps et non un temps sur deux (two beat) et Medium concerne la cadence, le tempo : c’est donc un morceau de cadence moyenne, pas lent mais pas d’un train d’enfer non plus. De toute façon, le tempo sera donné au groupe avant de commencer par le soliste, le Leader.

Ensuite, à gauche, pour des raisons didactiques, j’ai écrit A, B, A au début de groupes de huit mesures séparées comme toujours par les barres verticales. C’est la forme du thème.

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Le premier « A » de 8 mesures va être joué deux fois : une première fois avec la 8ème mesure sous le crochet marqué 1 et la seconde fois avec la 8ème mesure sous le crochet marqué 2. Cela nous fait donc 16 mesures à jouer. Ensuite on passe au « B », lui aussi de 8 mesures, et enfin au dernier A, lui aussi de 8 mesures. Le thème comprend donc un total de 32 mesures. La mélodie est la même dans les A ; elle change dans le B ainsi que les accords, les harmonies.

Dans chaque mesure, vous voyez les accords chiffrés à jouer pendant cette mesure-là. Il y a parfois deux accords par mesure (aux 4ème et 6ème mesures du A). La mesure est alors surmontée de barres obliques indiquant combien de temps jouer l’accord situé en dessous (ici chaque fois deux temps de la mesure en quatre temps).

Pourquoi des parties A et des parties B ? Parce que – nous l’avons dit – la mélodie du thème change en B, tout comme les accords. Nous avons donc une structure du thème (la « forme ») en « A-A-B-A », une mélodie jouée pendant 8 mesures (le premier A) puis répétée (le deuxième A ), puis un autre motif mélodique joué en B (on appelle cela le Bridge ou le pont, le middle-part) et enfin, on revient à la mélodie jouée en A. Cette structure A-A-B-A de 32 mesures est extrêmement répandue, d’innombrables thèmes « standards » du Jazz sont construits sur cette structure.

Que fait le soliste après avoir joué le thème ? Il démarre une improvisation sur ce thème. Il va donc inventer une ligne mélodique libre et non écrite, MAIS qui devra être juste avec les accords du thème que le pianiste va rejouer derrière son improvisation, juste avec le tempo, la cadence, donnée au départ et respectueusement « tenue » par le bassiste (bass player) et le batteur (drummer) et enfin, juste avec le canevas, cad la forme et le nombre de mesures du thème, ici AABA de 32 mesures. Nous sommes donc très loin du « n’importe quoi » : il y a des règles rigoureuses et précises à respecter absolument. Le contraste entre celles-ci et l’apparence de grande liberté de l’improvisation est frappant. Quand un groupe de Jazz joue devant vous, dites-vous bien qu’à côté d’un semblant de liberté, il y a toujours comme une montre suisse qui tourne !

Ayant improvisé un cycle de ces 32 mesures, on dit que le soliste a pris un chorus. Que peut-il faire ensuite ? Soit s’arrêter, soit rejouer un chorus ou encore un autre chorus, donc 32 mesures x 1, x 2, x 3. Lorsqu’il s’arrêtera, après avoir joué (on dit « pris ») le nombre de chorus que son inspiration lui aura suggéré, ce sera au pianiste ou au bassiste d’improviser en suivant les mêmes règles. Le batteur peut même prendre un chorus. Bien qu’il ne soit pas tenu, lui, aux règles des accords, il doit absolument respecter le tempo (voir chapitre traitant du rythme) et jouer 32 mesures ou 2 x 32 ou 3 x 32 (prendre 1 ou 2 ou 3 chorus). En tout cas, aucun musicien ne peut s’arrêter au beau milieu de son chorus, par exemple à la 25ème mesure d’un canevas de 32.

En résumé, le tempo doit être tenu, les harmonies respectées, ainsi que la forme du morceau.

La partition d’accords montrée plus haut (FIG. 43) peut être mise sous forme de grilles d’accords très pratiques. Il s’agit d’un tableau de carrés (système très utilisé en France par le passé), chaque carré valant une mesure et contenant l’accord ou les accords ad hoc. Les grilles se lisent évidemment de gauche à droite et de haut en bas, on n’est pas en Arabie. Voici celle de « Meeting » (FIG.45).

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FIG. 45 : « Meeting »

Ces grilles prennent peu de place. Vous remarquez que l’on ne réécrit pas le deuxième A, sauf la mesure n° 16 qui est différente de la 8. Par contre, il est d’usage de réécrire le dernier A après le Bridge (le B). Voyez également comment les mesures comprenant deux accords sont « coupées » par une barre oblique séparant les deux accords (mesures 4, 6 et 8 du premier A).

On appelle enchaînements harmoniques les successions d’accords joués au fur et à mesure que les mesures défilent. L’ensemble des accords du morceau s’appellent les harmonies. Vous connaissez donc maintenant les harmonies de « Meeting » mises soit en partition, soit en grille d’accords. Vous venez également d’apprendre une première forme de thème.

LE BLUES

A côté de la forme A-A-B-A, nous allons voir à présent les harmonies et la forme d’une expression musicale d’une importance capitale et propre au Jazz, du moins au début : le BLUES.

Avant d’être une forme, le Blues est d’abord un idiome et un climat reflétant l’âme noire et ses sentiments depuis la naissance du Jazz. Ce parfum du Blues, nous devons l’apprendre, le humer, le reconnaître dans la musique ; il faut donc écouter, écouter les grands jouer le Blues… et s’en imprégner.

C’est aussi une forme (en mesures) et des harmonies particulières. Voyons cela.

La forme du Blues est de 12 mesures, souvent en 4 temps. Les thèmes dureront donc toujours 12 mesures et les chorus 12 ou un multiple de 12 si le soliste « prend » plusieurs chorus.

A

Eb–7 Ab

7 Db' B–7

E7

A' Eb

–7 Ab

7 Db' Db

' Bb

7

A … … … …

… … … Db

B Ab–7 Db

7 A–7 D7

Bb–7 Eb

7 Eb–7 Ab

7

A Eb

7 Ab7 Db

' B–7 E7

A' Eb

–7 Ab

7 Db' Db

'

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Quant aux harmonies il faut distinguer celles des origines, du blues pur et dur, puis celles des innombrables variantes que les musiciens ont introduites dans les enchaînements harmoniques de ces 12 mesures sans pour autant faire disparaître l’essence du Blues.

Voyons donc la forme traditionnelle d’un Blues (en C par exemple, voir FIG 46). Nous avons :

Quatre premières mesures centrées sur l’accord du ton dans lequel on joue (ici C) soit 4 mesures en C, très souvent voire toujours affublées de la blue note, donc un C 7.

Deux mesures suivantes passant à l’accord de la quarte (4) supérieure, donc Fa dans notre exemple (rappelez-vous : Do la 1, Ré la 2, Mi la 3 ou tierce, et Fa la 4 ou quarte). Ici aussi, la blue note règne, comme partout : donc F 7.

Deux mesures suivantes où l’on est revenu à l’accord de tonique (donc C 7). Cela nous fait 8 mesures jusqu’ici.

La 9ème mesure est un accord sur la quinte, 5, donc accord de Sol dans notre exemple : G 7.

La 10ème mesure redescend à l’accord sur la quarte, 4 ; donc F 7. Les deux dernières mesures reviennent à l’accord de tonique, donc C 7.

A noter que souvent, à la deuxième mesure on joue la quarte, la 4 ; donc F 7 au lieu de la tonique, pour revenir sur la tonique à la troisième mesure.

Remarquons encore que :

Il y a des blues joués en mode majeur et d’autres joués en mineur (tierce majeure ou mineure dans l’accord de tonique ou même dans tous les accords, c’est selon). L’existence de blues majeurs prouve que la blue note n’est pas tellement la tierce mineure, mais bien plus la septième bémolisée (septième mineure) appelée « septième » en Jazz. Je me répète, je sais. On ajoutera parfois une troisième « blue note », la note 5bémol.

Il existe des thèmes de blues en trois temps, surtout depuis 1950. Par exemple : « Gemini », « West Coast Blues » et « All Blues » sont tous les trois des « three/four » (Jazz Walz) comptant dans ce cas presque toujours un dédoublement en 2 x 12 = 24 mesures.

Il existe des blues dans tous les tempos, du plus lent au plus rapide.

Donc, le caractère « Blues » n’est conditionné ni par le mode (majeur ou mineur), ni par la cadence (4 ou 3 temps), ni par le tempo (lent ou rapide) mais uniquement par le nombre de mesures (12) et l’enchaînement harmonique typique décrit ci-dessus. Evidemment l’idiome blues doit être présent également : « Rock around the Clock » est un Blues techniquement parlant mais ce morceau, dans son interprétation et l’atmosphère qu’il dégage, n’a rien à voir avec le Blues !

Un musicien Noir Américain a dit que « Le Jazz : c’est le Blues ». C’est peut-être un peu exagéré mais il est vrai que tout morceau joué par un bon musicien Noir Américain dégage un parfum de blues et que le même morceau joué sans gravité, sans ferveur ne dégagera pas cette atmosphère. Ce sera du Jazz techniquement correct mais superficiel, comme trop de blancs l’ont joué. Ils sont tombés dans l’oubli, ne les nommons pas.

La figure suivante montre les grilles d’accords du blues traditionnel et de quelques unes des nombreuses variantes de ce canevas.

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FIG. 46

C7 C7 C7 C7

F7 F7 C7 C7

G7 F7 C7 C7

Some other blues (Coltrane)

C7 Bb7 C7 C7 5–

F7 Bb7 Eb7 Ab7

G7 F7 C7 C7

C B–7 E7 A–7 G–7

C7

F' F–7

Bb7 Eb' Eb

–7 Ab7

Db

' D–7 G7 C7 G7

G–9 Ab–9 G–9 Gb7

F7 F–7

Bb7 E–1 Eb–7

Ab7

D–7 D–7

G7 E–7

Eb–7

D–7 G7 5–

Une autre forme fréquente des thèmes de Jazz est le « seize mesures ». « Minority » (Gigi Gryce) ou « Third Plane » (Ron Carter) ou encore « The Preacher » (Horace Silver) sont construits sous cette forme. Voici la grille de « Minority » en F minor.

FIG. 47: « Minority » de Gigi Gryce (in F–) 4/4 Fast

F–9 D–5– G–95– G o C7

F–9 D–5– C–9 F7

Bb–9 Eb7 Ab

–7 Db7

F#–9 B7 G–9 C79–

C7

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Et celle de « Third Plane » de Ron Carter - FIG. 48

Bb' Bb

' Bb' Bb

'

A–7 5– D7 G–7 C7 F7

B' B' B' B∆ Bb

7 Eb7

E o D–7

G7 C7

F7 Bb

Il existe de nombreuses autres formes moins courantes. Par exemple (voir FIG. 49), « Like Sonny » est un 24 mesures, 8-8-8 de forme A-B-A.

FIG. 49 : « Like Sonny » (Coltrane)

D–7 D–7 F–7 F–7

Ab–7 Ab

–7 Bb7 Eb

' Eb'

A–9 A–9 F–7 F–7

Db–7 Db

–7 Gb7 B' B'

D–7 D–7 F–7 F–7

Ab–7 Ab

–7 Bb7 Eb

' Eb'

« This Here » de Bobby Timmons est « bluesy » mais ce n’est pas un blues : il comprend 32 mesures et n’a pas non plus la forme A-A-B-A.

« 64 Bars On Wilshire » de Barny Kessel comprend 64 mesures (bars) et sa forme peut se définir comme A-B-C-D-E-F-C-D, chaque partie comprenant 8 mesures.

« Scotch and Water » de Joe Zawinul a bien la forme d’un A-A-B-A mais les « A » sont des blues de 12 mesures et le Bridge « B » ne comprend que 8 mesures.

« Shoulders » joué par Eastern Rebellion, le groupe créé par Cedar Walton, est d’une forme A-A-B et comprend curieusement 13-13-8 mesures. Remarquons que 13 mesures pour le A est assez inhabituel. Le Jazz est plus « symétrique » et « pair » : 2 mesures, 4 mesures, 8, 16 ou 32. Si le blues comprend 12 mesures, il s’agit aussi d’un chiffre pair. On dit que le Jazzman a « le sens du carré ».

Avant d’aborder les grilles d’accords du Jazz modal, qui sont particulières, encore un mot des enchaînements harmoniques.

Dans les grilles ci-dessus, vous voyez que les accords se succèdent, l’un faisant place au suivant pour les besoins de l’accompagnement de la ligne mélodique du soliste.

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Il y a des successions d’accords que l’on rencontre plus souvent que d’autres. Le plus connu est celui-ci, par exemple dans un thème joué en Do (C) majeur, donc avec l’accord de la tonique Do. La succession d’accords donne C (1) – A- (6) – D-7 (2) – G7 (5). Les numéros sont les numéros des notes dans l’accord de Do : La est la 6, Ré est la 2 et Sol est la 5. La suite C / A-7 / D-7 / G7, qui peut être répétée, s’appelle donc la « one-six-two-five » et est à la base d’une multitude incroyable de thèmes y compris dans d’autres musiques que le Jazz, dans la chanson par exemple. Cette suite peut être répétée dans un thème. Et une partie B est généralement ajoutée au milieu de la forme, ce qui a donné de multiples variantes connues sous le nom de « Rhythm Changes » - car inspirées de « I Got Rhythm » de George Gershwin-, ou sous le nom bizarre d’Anatole, en France),

De nombreux musiciens ont cherché – avec succès – à s’affranchir de cet enchaînement harmonique, utilisé et usé jusqu’à la corde.

JAZZ MODAL

Les grilles du Jazz modal diffèrent de celles du Jazz traditionnel, be-bop ou hard-bop, par les accords qu’elles contiennent. Tout d’abord, ceux-ci changent moins souvent au fil des mesures, ce qui permet au soliste d’improviser plus longuement sur un même accord et d’exploiter plus profondément celui-ci (ce mode) dans son jeu.

Ensuite, il est fait appel aux accords modaux décrits plus haut (grecs, quartes, clusters de notes compactes, etc.).

En matière de moindre changement d’accords, observez les deux grilles su ivantes : parfois il n’y a que deux accords différents, comme dans « So What » (Miles Davis), qui a inspiré la grille de « Impressions » (Coltrane). La forme est un A-A-B-A classique, que vous connaissez maintenant.

FIG. 50 : Grille d’accord de « So what » (Miles Davis) ou de « Impressions » (John Coltrane) 4/4, 32 mesures (en D), forme A-A-B-A

D–9 D–9 D–9 D–9

D–9 D–9 D–9 D–9

D–9 D–9 D–9 D–9

D–9 D–9 D–9 D–9

Eb–9 Eb

–9 Eb–9 Eb

–9

Eb–9 Eb

–9 Eb–9 Eb

–9

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D–9 D–9 D–9 D–9

D–9 D–9 D–9 D–9 A–7

La comparaison avec la grille d’accords de « Meeting » (FIG. 45) est très parlante. Ici l’improvisateur peut disserter sur 16 mesures de D–9, puis sur 8 de E bémol mineur 9, puis sur 8 de D–9, un « boulevard » pour les improvisateurs… à condition qu’ils soient inventifs et féconds, sinon, gare à la monotonie !

Autre exemple de grille de Jazz modal : « Flamenco Sketches » de Miles Davis.

FIG. 51 : « Flamenco Sketches » (Miles Davis) (4/4 – slow)

En examinant les mesures, on pense à des lignes, des plages horizontales. La première comprend 4 mesures en C major seven, puis une seconde ligne de 4 en Ab 7 sus 4, puis une troisième ligne de 4 mesures en Bb major seven, puis une quatrième ligne de 8 mesures cette fois en D (couleur espagnole) et enfin une cinquième ligne de 4 mesures en G–7. Dans les chorus, l’improvisateur joue successivement sur chaque ligne et s’attarde parfois sur l’une d’elles.

Dans la version originale (« Kind of Blue » de Miles Davis), Coltrane choisit de jouer une fois la première ligne de C, tandis qu’Adderley et Evans la jouent deux fois. La répétition des mêmes accords introduit une atmosphère, une ambiance (mood) de grande sérénité. C’est du Jazz modal à n’en point douter. Remarquez qu’aucune de ces « lignes » ou « plages » n’est prédominante et qu’il serait difficile de dire dans quel ton ce thème est joué : une des caractéristiques du modal est l’effacement de la tonique du thème.

En résumé comparatif : L’esthétique du Jazz traditionnel réside en une succession variée, sinueuse et séduisante d’accords sur lesquels le soliste improvise. Il est satisfaisant d’entendre la mélodie improvisée que le soliste joue sur ces accords et en même temps d’entendre défiler ces mêmes harmonies derrière lui. En Jazz modal, les accords sont plus monocordes mais génèrent une atmosphère mystérieuse avec, entre autres, l’introduction des modes grecs ou d’accords spéciaux propres à certains inventeurs (Bill Evans, Mac Coy Tyner, Herbie Hancock…). Comme l’accompagnement est plus monocorde, l’harmonie plus statique, la place de la mélodie du soliste prend plus d’importance et ces musiciens doivent être de grand talent.

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En annexe, vous pourrez lire quelques propos relatifs aux évolutions du Jazz modal. Ces remarques complètent le survol historique du Jazz, traité en début de livre. Ils ont été placés volontairement en annexe et en fin de livre car leur compréhension nécessite la lecture préalable des chapitres traitant de l’harmonie et du rythme.

de g. à dr : René Thomas (g), Jean Lerusse (b), José Bourguignon (dm), Jacques Pelzer (as) Blue Note (Bruxelles 1967) - © collection de l’auteur

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V - RYTHME – SWING – TEMPO

Section 1 : Généralités

Sauf convention préalable orale ou écrite, la totalité du thème et des chorus doit être jouée en suivant un seul et même tempo (cadence), plus ou moins rapide ou lente, donnée au départ par le leader du groupe. La musique est donc rythmée dans son déroulement.

Nous avons vu qu’il existe des instruments mélodiques et des instruments harmoniques d’accompagnement. Il existe également des instruments destinés à fournir le rythme, les instruments rythmiques, dont l’archétype est la batterie (les drums).

Mais en fait, le rythme est l’affaire de tous les musiciens : tous le marquent. Le soliste imprime un rythme dans ses phrases musicales, le pianiste (ou le guitariste) accompagnateur le marque aussi lors de la frappe des accords ; les notes du bassiste marquent également le rythme en même temps qu’elles assurent l’harmonie. Il est donc important que les musiciens s’entendent, s’écoutent afin de fournir un rythme parfaitement régulier, stable et homogène. Dieu nous préserve d’ailleurs des bassistes ou des batteurs qui, trop fébriles ou trop poussifs, accélèrent ou ralentissent le rythme du morceau pendant que défilent les mesures !

Le soutien rythmique est fourni au soliste par ce que l’on appelle une section rythmique qui comprend le plus souvent piano-basse-batterie ou guitare-basse-batterie. D’autres combinaisons sont possibles mais plus rares (orgue-drums) (vibraphone-basse-drums).

Section 2 : Le swing

La définition de ce mot est délicate car il s’agit d’une sensation. Dans le dictionnaire, swing veut dire balancement, oscillation rythmique. C’est vrai, mais c’est un peu court.

En musique, on pourrait ajouter « une certaine souplesse d’exécution » obtenue par certains moyens techniques et qui induit chez l’auditeur une sensation de balancement répétitif régulier, oscillatoire, fluide, souple et agréable, qui entraîne et qui berce à la fois.

Le swing est produit par la musique et les musiciens. Pour être mieux approché, il peut être également défini par les impressions qu’il suscite chez l’auditeur.Celui-ci me parle souvent d’une balle qui rebondit, ou d’un ballon que le basketteur fait rebondir régulièrement et souplement du sol à sa main et vice-versa, ou encore d’un ressort qui se tend et se détend régulièrement et rythmiquement, ou enfin d’une pulsion régulière et élastique. Bref, le swing se ressent naturellement, il suffit d’ailleurs de voir bouger les pieds des auditeurs dans une salle de concert ou dans un Jazz - Club pour s’en rendre compte.

Les moyens de production du swing sont tout aussi difficiles à expliquer sèchement d’une manière technique. Ici encore et toujours, l’écoute des musiciens et groupes qui swinguent est importante. Essayons tout de même d’approcher ces moyens.

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1- Rôle de l’accentuation des temps de la mesure.

En Jazz, l’accentuation des temps de la mesure est différente de la musique classique. Les temps accentués ne sont pas les temps 1 et 3 d’une mesure à 4 temps – que l’on appelle temps forts –, mais bien les temps pairs 2 et 4 – que l’on apppelle les temps faibles -. Cela s’appelle l’afterbeat. De même, en jazz, dans une mesure en 3 temps, c’est le temps 2 en non le 1 qui sera accentué.

En écoutant de la musique, essayez de repérer le premier temps de la mesure et de claquer des mains sur l’afterbeat. On claque trop souvent sur les temps 1 et 3 : claquez sur 2 et 4.

2- Rôle du bassiste – Positionnement de sa note En général, le bassiste joue une note par temps de la mesure sur un tempo parfaitement régulier, donc une noire par temps, tout en marquant l’afterbeat en accentuant légèrement les notes des temps pairs (2 et 4). Mais il nous faut entrer dans le détail et décortiquer un peu les temps des mesures et la notion de durée de chaque temps de la mesure.

En effet, lorsqu’un chef d’orchestre bat la mesure, on le voit marquer de manière très sèche et brève les 1er, 2ème, 3ème et 4ème temps. On a l’impression qu’il ne se passe rien entre le marquage des temps et pourtant, entre le marquage des temps d’une mesure, il s’écoule… du temps, une durée plus ou moins longue ou courte selon le tempo, la rapidité d’exécution du morceau. Bref, dans la mesure, chaque temps dure…un certain temps.

Schématisons les durées des quatre temps d’une mesure par quatre rectangles horizontaux mis bout à bout et dont les bords gauches fléchés (1, 2, 3, 4) constituent le point d’attaque du temps et donc le moment de production de la note de basse. La longueur de chaque rectangle schématise une durée plus ou moins grande de chaque temps.

FIG. 52

Le positionnement de la note par rapport au temps est important. Si vous jouez très ou trop « à la pointe », « au faîte » du temps, vous créerez une tension dans la section rythmique qui fera que les autres (drums et piano) voudront « vous rattraper », ce qui donnera une impression de fébrilité dans la section rythmique, voire même une réelle accélération du tempo. Tout cela annihilera le swing.

A l’inverse, si la note de basse est positionnée un peu en arrière du temps, un peu tard dans le temps, la rythmique sera poussive voire même ralentira le tempo : plus de swing non plus.

En conclusion, jouez votre note de basse juste sur le temps.

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D’autre part, la façon de « penser » sa note est importante. Pour le bassiste, un bon moyen de penser sa note est de l’envisager non comme une noire mais comme une liaison croche pointée-double croche, comme sur le schéma de la FIG. 53. Cela se passe dans sa tête, mais ça joue un rôle.

FIG. 53

Enfin, la durée de la note et l’atténuation du son au cours du temps de la mesure sont capitaux. Représentons-la depuis l’attaque de la note par une ligne courbe descendante dans chaque rectangle des temps, indiquant que l’intensité du son diminue pendant que défile la durée des premier, deuxième, troisième et quatrième temps.

FIG. 54

La note émise va s’atténuer, mais il faut qu’elle dure et qu’on l’entende encore nettement lorsque la note suivante sera attaquée. Cela provoque une sorte de rebondissement élastique auditif propice au swing (« pow-pow-pow-pow »).

Par contre, ne jouez surtout pas vos notes de basse comme représenté sur le schéma suivant.

FIG. 55

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On voit que la note s’éteint, s’étouffe à la moitié du temps ;; il n’y a donc plus de son en fin de temps. Cela donne à l’audition une sensation de « ploum…, ploum…, ploum… » anti-swing par excellence ! C’est parfois le fait d’une mauvaise contrebasse, parfois d’un mauvais bassiste. Solution : acheter une bonne contrebasse ou virer le bassiste ou lui dire d’écouter Ron Carter, Gary Peacock, Paul Chambers… et encore Ron Carter, dans des trios surtout.

l’auteur dans son rôle de contrebassiste (Waremme, 1979) - © coll. J. Lerusse

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3- Rôle du batteur (drummer) Outre les accentuations sur les différentes caisses (caisse claire, grosse caisse ou toms), laissées à son appréciation et intervenant bien sûr dans la genèse du swing, le batteur assure le tempo et le swing via le jeu des cymbales : il fournit un coup de cymbale régulier à l’attaque de chaque temps des mesures, en accentuant l’afterbeat comme le bassiste. Il ne marque plus tous les temps de la mesure sur la grosse caisse : c’est le rôle des cymbales et du bassiste.

A propos du jeu des cymbales, on peut formuler exactement les mêmes remarques que pour le jeu de la basse quant au positionnement du coup de cymbale, de la durée du son et de son atténuation. Les coups de cymbales doivent être clairement audibles et individualisés et non pas noyés dans une marée continue de réverbérations et résonnances cymbalesques.

Vous ne sauriez croire comme il est peu fréquent de rencontrer cela. Il est vrai qu’une bonne cymbale, ce n’est pas donné. (Ecoutez Roy Haynes en trio avec Chick Corea).

Bannissez surtout les cymbales cloutées : il nous faut donc ici de bonnes « pinging cymbals », de bonnes baguettes et un bon batteur qui écoute Roy Haynes, Philly Joe Jones, Jack de Johnette. Au début, qu’il laisse Elvin Jones de côté car c’est un sacré monstre polyrythmique à n’apprivoiser qu’une fois déjà bien armé !

Outre le coup de cymbale sur chaque temps, le jeu de cymbales est un peu plus compliqué que les notes de basses, qui sont, rappelez-vous des noires.

Inutile de dire que la synchronisation entre les notes (noires) du bassiste et les noires et croches pointées du batteur doit être on ne peut plus parfaite. Cela doit faire penser à « un moteur qui tourne rond ».

Dré Pallemaerts (dm) – L’F Jazz Club, Dinant 2010 - © Jacky Lepage

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Petite anecdote à ce propos. Le samedi après-midi, j’allais souvent avec ma basse chez mon ami Félix Simtaine, batteur, qui possédait un cinéma à Verviers. Dans les combles, il avait aménagé un petit studio où nous jouions à deux, sans piano ni soliste. On choisissait un tempo et on s’entraînait à jouer bien ensemble pour obtenir une cohérence parfaite. On appelait ces exercices « faire tourner le moteur », et en effet, le couple basse-batterie, c’est bien cela le « moteur » de la section rythmique, la « swing machine ».

Après cela, on buvait une bière, ou deux… quand nous étions très contents de nous.

La figure 56 représente le jeu classique de la cymbale sur une mesure en 4 temps puis, à la ligne suivante, sur 4 mesures.

FIG. 56

Outre le jeu sur la cymbale, le batteur actionne du pied la cymbale « hi-hat » (cymbale charleston) qui vient renforcer l’accentuation de l’afterbeat (temps 2 et 4) sur les croches pointées de ci-dessus. S’il vous plaît, Messieurs les Drummers, pas trop fort avec la hi-hat ! L’afterbeat peut aussi être accentué par un coup sur la caisse claire sur les temps pairs 2 et 4, comme le faisait volontiers Art Blakey.

Dans les pieces en three time (Jazz Walz), le jeu de la cymbale devient :

FIG. 57 : 4 mesures.

La hi-hat vient accentuer l’afterbeat (ici, seulement le second temps, la croche pointée).

Un coup sur la caisse claire vient parfois également accentuer l’afterbeat (Louis Hayes dans « This Here »).

Enfin, le jeu des balais sur la caisse claire peut remplacer le marquage du tempo et de l’afterbeat sur les cymbales dans les pièces discrètes, les ballades en slow tempos, les solos de basse, …

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4- Rôle du pianiste En Jazz moderne, le rôle du pianiste n’est plus tellement d’assurer le tempo, quoique bien sûr il doive le suivre parfaitement. Par contre, il contribue au swing de manière importante, par le choix du positionnement, du placage de ses accords dans la mesure.

Explication : Si son jeu se résume à plaquer un accord durant le premier temps de chaque mesure, ce sera monotone et cela ne swinguera pas parce qu’il sera constamment en dehors de l’afterbeat.

Voici un exemple, parmi d’autres, d’accompagnement piano qui swingue bien : accord plaqué sur la double croche des temps pairs avec une durée d’une double croche ou maintenue sur la mesure suivante (chaque note représentant un accord du piano).

FIG. 58

Les autres possibilités sont nombreuses. Il faut en user et varier le positionnement des accords… et beaucoup écouter le swingman Wynton Kelly dans les groupes de Miles.

jam session sur la scène du Gent Jazz Festival 2010 – de g. à dr : Hiromi, Chick Corea, Vijay Iyer (p) © Patrick Audoux

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Section 3 : Autres rythmes

On rencontre dans le Jazz d’autres formes de rythmes, mais ceux-ci ne lui sont pas propres à l’origine. A partir de l’ère du Bop, ils ont été empruntés à d’autres peuples et à d’autres idiomes, en particulier antillais et africains (Afro Cuban Jazz de Dizzy Gillespie) et brésiliens (Bossa Nova explorée par Stan Getz), (Jazz Samba de Chick Corea avec son groupe « Return to forever »). Ces incursions dans d’autres idiomes musicaux vont s’accentuer dans les années 70’.

Dans l’autre sens, les autochtones « propriétaires », car créateurs de ces rythmes ont quelque peu jazzifié leur musique originelle, souvent avec succès (Flora Purim-Airto Moreira en Jazz Samba, Mungo Santamaria en Salsa, Manu Dibango etc…).

D’une alliance des rythmes de Jazz et de Rock est née, vers 1967 la Jazz-Fusion ou Jazz-Rock. De grandes vedettes, toujours en quête d’innovation, participent à ce mouvement : Miles Davis (tp), Herbie Hancock (p), Wayne Shorter (ss) et Joe Zawinul (kb) avec « Weather Report ». Et comme c’est le musicien qui fait la musique, nous avons assisté à du bon, du meilleur, du pire, et du très facile, frisant actuellement la musique de bars à cocktails.

Définissons ces rythmes :

Quatre caractéristiques s’affirment jusqu’à nos jours dans cette évolution hybride du Jazz :

1) La perte progressive des conceptions traditionnelles de swing du Hard Bop. 2) La simplification et plus tard la quasi disparition de l’improvisation et la diminution de

l’importance du soliste au profit de la confection d’une œuvre musicale collective émanant du groupe où chaque musicien a la même importance.

3) L’apparition de percussions produisant des rythmes étrangers nouveaux, issus du Rhythm and Blues, d’Amérique Centrale et du Sud, d’Afrique et même d’Inde. Le drummer se voit ainsi affublé d’un ou plusieurs autres percussionnistes pour l’épauler. La rythmique fournit un Beat original, souvent avec Gimmicks, mais régulier et souvent répétitif, dont l’écueil, la monotonie, n’est fatalement pas toujours exclue.

4) L’apparition progressivement croissante de l’électronique avec émission de sons différents et artificiels. On assiste à l’électrification des claviers, synthétiseurs, guitares, basses, et même d’instruments mélodiques comme trompettes et saxes. La montée en importance des guitares révèle d’excellents guitaristes : John Mac Laughlin, Pat Metheny, etc…

A partir des années 90’, la musique devient de plus en plus arrangée, de moins en moins improvisée et donc plus simple à jouer. En effet, majoritairement il n’y a plus qu’à lire et retenir une partition. Ces productions musicales moins hermétiques ont le mérite de ramener une audience, notamment de danseurs (mais quelles danses !?) et de servir de vache à lait aux maisons de disques, tout en donnant du travail aux musiciens. Mais ce n’est plus le même Jazz et les critiques ne manquent pas de fuser. « Il n’y a plus de swing, ni d’improvisation… Est-ce encore du Jazz ?… Musique de la facilité... Médiocrité… etc … »

Enfin, une vache ne retrouverait pas son veau dans le nombre incroyable d’étiquettes données à ces différentes musiques de Jazz-Fusion à partir des années 90, ce qui témoigne bien qu’il s’agit davantage de façons différentes d’amalgamer ces tendances en suivant la mode que de naissances de styles nouveaux, originaux et durables. Sans porter de jugement de valeur, citons pêle-mêle et entre autres :

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Le Soul Jazz Le Funky Jazz Le Groove Jazz Le Latin Jazz L’Acid Jazz Le Smooth Jazz Le World Jazz Le NU-Jazz (et ce n’est pas ici une question de vêtements de scène !) L’European Jazz Le Jazz manouche (Django Reinhard et suiveurs), produit européen et même français,

au rythme typique, souvent ignoré aux States : on n’en joue pas au « Village Vanguard ».

A écouter ces différentes tendances, on constate certes des différences, parfois très ténues, de rythmes et de musiques. L’écoute n’est pas toujours désagréable, quoique pendant toute une soirée … ? Certains « styles », comme le Latin Jazz, la Jazz Salsa et le Groove Jazz (Maceo Parker) sont entraînants, percutants et plaisants. Par contre, d’autres sont monotones et ennuyeux comme la pluie, voire inaudibles. L’histoire décantera ces tendances encore trop récentes pour porter sur elles un jugement de valeur définitif et leur prédire un avenir.

Mais lorsque, cela mis à part, vous entendez Keith Jarrett, Gary Peacock et Jack de Johnette improviser et swinguer en trio, c’est réellement un tout autre monde.

de g. à dr. : Jean Lerusse (b), Léo Fléchet (p), Félix Simtaine (dm), Robert Jeanne (ts) - Robert Jeanne Quartet © Art et Photo (Alain Hankart)

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Section 4 : Le tempo

Nous avons déjà évoqué le tempo (cadence) à propos du swing. Il n’y a que peu de choses à ajouter. Il peut être lent, médium ou rapide ; il est décidé et donné par le leader du groupe avant de débuter la piece et doit être maintenu constant, « métronomique » pendant toute l’exécution, sauf conventions préalables comme le doublement du tempo au second chorus de chaque soliste par exemple. Il est évident que la régularité du tempo est une condition nécessaire au swing et que des irrégularités de tempo le détruisent.

Il peut être difficile de « tenir » un tempo très rapide ou à l’opposé, très lent. Exemples :

Dans la version de Coltrane de « Impressions », la dépense physique des musiciens est considérable. Coltrane se déchaîne et prend des libertés avec les harmonies sur un tempo d’enfer mais parfaitement tenu. Si vous faites abstraction de Coltrane et que vous tendez l’oreille vers la rythmique, vous entendrez les coups de cymbale d’Elvin Jones, parfaitement en tempo. Un coup d’œil sur la musculature des batteurs et les doigts des bassistes explique tout.

A l’inverse, dans les tempos très lents, on a parfois aussi du mal à garder la régularité. J’avais pour cela un petit truc : découper en pensée chaque temps en 4 double croches et les compter mentalement pour « sortir » la note de basse régulièrement sur la première double croche de chaque temps. Essayez.

Fats Sadi (Vb) et Phil Abraham (tb) – Inauguration de la Jazz Station Saint-Josse-ten-Noode 30 septembre 2005 © Jos L. Knaepen

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CONCLUSION

Le Jazz, musique difficile parfois appelée « musique pour musiciens », exige de ceux-ci des qualités différentes ou plus développées que celles d’un musicien interprète. Citons : une oreille comme une feuille de bananier, un grand sens de l’harmonie, des intervalles et du rythme, une capacité d’improvisation avec inventivité et inspiration, et surtout l’acquisition, pour les musiciens européens blancs, de l’idiome de ce genre musical qui leur est étranger. Il nécessite une écoute approfondie et répétée, ainsi que travail de la technique et du son de l’instrument. Tout cela exige du temps. Tout cela doit « maturer ». Le souci de la virtuosité technique ou de la performance, problème de jeunes, doit progressivement laisser la place à la quête de la beauté émanant du son, de la mélodie, de l’harmonie, du rythme et de la mise en place.

Il est impossible de vous apprendre à improviser : vous êtes libre de jouer ce que vous voulez dans les règles que vous connaissez maintenant.

Il vous reste à trouver ou former un groupe et à vous entraîner jusqu’au premier engagement sur scène (gig) devant un public qui vous écoutera certainement. Les auditeurs sont là pour cela ; les autres ont largement déserté le Jazz.

Je vous souhaite très sincèrement… qu’ils vous écoutent encore dans vingt ans…, que vos musiciens (s’ils sont bons) ne vous quittent pas, et… que votre petite compagne soit une des rares femmes qui aiment le Jazz, sinon attendez-vous à rester seul avec votre musique et votre biniou. Consolation : cela vous aidera à mieux appréhender « the meaning of the Blues ».

Matériellement, il est difficile sinon impossible de vivre de son art en matière de Jazz, ici ou même aux States. Côté finances : assurez vos arrières, cela vaudra mieux pour vous. Nous effleurons ici la question du choix entre amateurisme et professionnalisme. Chaque état a ses avantages et ses inconvénients. Faites en sorte au moins que le Jazz n’aille pas vous faire dormir sous les ponts.

Je vous l’ai déjà dit, le Jazz n’est pas qu’une musique ; il vous marquera, il vous changera et laissera en vous des traces dans tous les sens, bons et mauvais. Mais, croyez-moi, ce n’est certainement pas une raison de reculer devant l’aventure si elle vous tente. Alors, il me reste à vous dire : bonne chance dans votre vie musicale, et surtout, faites de la beauté !

Rédiger ce livre pour vous a réveillé en moi des souvenirs, alors maintenant… foutez-moi le camp…

Avant que je ne me mette à chialer.

Barchon, le 2 février 2010

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ANNEXES

ANNEXE 1 : ÉVOLUTIONS DU JAZZ MODAL

Le Jazz modal se caractérise par des accords particuliers, en demi-teinte, chargés d’introduire une certaine ambiance, une certaine atmosphère, bref une certaine « mood ». Il se distingue aussi du Jazz préexistant par la rareté des variations harmoniques d’un morceau. Dans un morceau de 32 mesures par exemple, au lieu de rencontrer une multitude de chords différents, parfois deux par mesure, (voir grilles FIG. 44, 46, 47, 48), on est frappé par l’uniformité des accords/chords : parfois seulement deux comme dans « So what » ou « Impressions » (voir grille FIG. 49, 50), parfois à la limite un seul accord ou un seul pattern répété (« In a silent Way »). En modal, on remarque également la perte d’importance, l’effacement relatif de la tonique, de la fondamentale.

Libéré de la grille sinueuse d’accords successifs auxquels l’improvisateur devait se plier, le « bon » musicien s’épanouit alors dans une plus grande liberté et de multiples variations mélodiques sur un chord, un mode longuement répété au fil de plages harmoniques uniformes, durant plusieurs mesures et à la base d’une atmosphère méditative et mystérieuse (ex. : Dans « So what », on joue en D– pendant les 16 premières mesures !). Mais seuls les musiciens inventifs et inspirés peuvent rendre ce Jazz attachant. Et de fait, à partir de 1956, nous eûmes et avons droit à de merveilleuses pages de modal Jazz (Kind of Blue – 1958), coexistant avec les façons plus conventionnelles de jouer.

Hélas il y eut un revers à cette médaille ! La facilité apparente des grilles d’accords du modal Jazz, avec leurs harmonies peu variées voire uniques ouvrit aussi la porte à des musiciens médiocres incapables de « suivre » les sinuosités des différents accords d’une grille traditionnelle. De leur part, nous eûmes droit à des paraphrases insipides et monocordes, puisque jouées sur un seul accord : la monotonie fut au rendez-vous. La barrière des enchaînements harmoniques, abattue, ne fut malheureusement pas la dernière à tomber.

Une étape ultérieure vit l’utilisation des accords spéciaux de plus en plus énigmatiques (ex. : C enigma) du modal, où il était difficile voire impossible de retrouver une tonique, une fondamentale. L’improvisateur médiocre pouvait dès lors jouer à peu près n’importe quoi sur ces accords « permissifs » sans jouer « faux ». Et ce fut une porte ouverte de plus aux mauvais musiciens qui avaient des problèmes de justesse avec les harmonies habituelles tonales aux accords trop changeants.

Ensuite, puisque les accords étaient les mêmes ou presque tout au long de la grille, pourquoi garder un canevas contraignant de 32 mesures, pourquoi ne pas jouer et s’arrêter quand on le veut ? Une aubaine de plus pour les musiciens « fâchés avec la notion de chorus » et incapables de s’arrêter à la 32ème mesure d’une grille d’accords traditionnelle de 32 mesures (A-A-B-A). Encore une barrière renversée.

Accords incolores, grilles inutiles et possibilité de jouer n’importe quoi pendant un temps indéfini : parfait. Il restait cependant encore un point ennuyeux pour nos « gugusses » comme disait le regretté Nicolas Dor : le tempo à respecter. Qu’à cela ne tienne, les « nouveaux » batteurs et bassistes allaient cesser de tenir un tempo pour jouer des marées de sons plus ou moins calmes, plus ou moins échevelées, créant des moments de tension et de détente en phase avec les « solistes ». Et ce fut le solo de batterie et de contrebasse permanent derrière ces derniers.

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Résumons-nous. Des harmonies permettant tout, une absence de tempo, des solistes pouvant jouer exactement n’importe quoi : ce fut la liberté totale, mais aussi, hélas, le paradis des médiocres qui envahirent les scènes avec ce style que l’on appela le Free Jazz, le « Jazz de la liberté ».

Mwouais… Ce fut plutôt un aboutissement déviant et stérile d’une branche sans avenir du Jazz modal poussé bien malgré lui dans ses dernières extrémités.

Certes de grands musiciens ont poussé leur art jusqu’à l’exploration du Free Jazz, mais ce style, rempart du médiocre, n’eut pas son pareil pour faire fuir les auditeurs et bientôt l’on vit davantage de musiciens sur scène que de public dans les salles. Le Free Jazz mourut bientôt de sa belle mort tandis que le Jazz modal de qualité continua d’évoluer. Tant pis et tant mieux. A part quelques bons musiciens « free » dont on se souviendra (Bobby Hutcherson, Pharoah Sanders…) et qui ont fait leur conversion et continué une carrière plus équilibrée, qui se souvient encore de Milford Graves, Sunny Murray, Albert Ayler, … ? Ne les regrettons pas.

Michel Herr (comp, arr, p, dir) au festival Saint-Jazz-ten-Noode en 2010 - © Kervin Willow

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ANNEXE 2 : COMPAGNONS DE ROUTE DURABLES OU D’UN SOIR

BATTEURS TENOR-SAXES Art Taylor George Coleman Micheline Pelzer Nathan Davis Charles Bellonzi Louis Mac Connell Félix Simtaine Barney Wilen Billy Brooks Klaus Doldinger Frédéric Jacqmin Enzo Scoppa Tony Liégeois Robert Woolf Renaud Person Eddie Busnello Robert Jeanne GUITARISTES Bib Monville René Thomas John Thomas TROMPETTISTES Franco Cerri Dizzy Reece Wim Overgauw Cicci Santucci Jo Verthé TROMBONISTES PIANISTES Slide Hampton Michel Herr Léo Fléchet Vibraphonistes Charles Loos Dave Pike Jean-Marie Troisfontaine Guy Cabay Claudio Lo Cascio Maurice Simon BASSISTES François Mathus Jack Van Poll

Salvatore La Rocca

Philippe Borlée ALTO-SAXES Charles Petitjean Pony Poindexter Georges Leclercq Jacques Pelzer José Bedeur Bengt Jaedig Lennart Johnson CHANTEUSES Anita O’Day Ella Woods

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ANNEXE 3 : THÈMES CITÉS DANS CE LIVRE

THÈMES TITRE DE L’ENREGISTREMENT (Original ou remasterisé)

ALL (the) BLUES Kind of Blue (Miles Davis) BLUE IN GREEN Kind of Blue ( Miles Davis ) ECAROH The Jazz Messengers (Art Blakey + Don Byrd) FLAMENCO SKETCHES GEMINI

Kind of Blue (Miles Davis) Cannonball Adderley Sextet in New York

IMPRESSIONS Impressions (John Coltrane) LIKE SONNY Coltrane Jazz (John Coltrane) MEETING Meeting Mister Thomas (René Thomas) MINORITY Everybody digs Bill Evans SCOTCH AND WATER Cannonball Adderley Sextet In New York SHOULDERS Eastern Rebellion (Cedar Walton) SO WHAT Kind of Blue (Miles Davis) THIRD PLANE Third Plane (Herbie Hancock) THIS HERE Cannonball Adderley Quintet in San Francisco TUNJI Coltrane (John Coltrane) WEST COAST BLUES The Incredible Jazz Guitar of Wes Montgomery

J.M.Hacquier et Roy Hargrove – Théâtre 140, Bruxelles 2000 © Nathalie Hacquier

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ANNEXE 4 : THÈMES FACILES POUR DÉBUTER

Softly as in a morning sunrise (AABA)

Broadway (AABA)

Good bait (AABA)

Third Plane (16 MES)

BLUES

Sonnymoon for two

C Jam Blues

Now’s the time

Bag’s groove

Two degrees East, three degrees West

KC Blues (blues) (Parker)

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ANNEXE 5 : ABRÉGÉ DES SIGNES DES PARTITIONS

A part l’écriture simplifiée dont vous trouverez un exemple et qui montre que c’est au musicien de Jazz expérimenté d’interpréter l’écriture dans le sens du swing, ce petit abrégé n’a rien de différent des signes rencontrés dans une partition classique et au solfège. Soyons donc schématiques et brefs.

FIG.59

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ANNEXE 6 : GLOSSAIRE

Afterbeat : Accentuation des temps pairs de la mesure

Bar : Mesure

Bass : Contrebasse

Bass player : Contrebassiste

Bridge : Partie B d’un thème de forme AABA durant en général 8 mesures (= Middle Part)

Composer : Compositeur

Dig : Comprendre, approuver, apprécier

Drums : Ensemble des tambours et cymbales de la batterie

Drummer : Batteur

Flat : Bémol. Abaissement d’un demi ton d’une note. On dit bémolisation de la note.

Four Beat : Quatre temps. Se dit au bassiste afin qu’il joue une noire par temps de la mesure.

Gig : Engagement d’un musicien en club ou pour un concert.

Gimmick : Motif répétitif, mélodique et/ou rythmique captant l’attention de l’auditeur.

Hip : « Dans le coup », branché, qui vit sa vie avec souplesse d’esprit…

Natural : Naturel, non altéré. Une note naturelle : notes « blanches » du clavier de piano.

Piece : Morceau de musique, thème.

Sharp : Dièse. Elévation d’une note d’un demi-ton.

Speaker : ou loudspeaker : Haut-Parleur lié à un ampli.

Square : Antonyme de Hip. Mesquin. Esprit « carré » sans souplesse ni humour. Gauche.

Swing : Balancement (voir définition au chapitre 5 de ce livre).

Three/Four : morceau avec mesures en 3 temps.

Two Beat : Jouer une noire sur les temps 1 et 3 d’une mesure en 4 temps (bassiste).

Walk : Voir Four Beat : le bassiste joue une noire sur tous les temps de la mesure en 4 temps.

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REMERCIEMENTS

Jamais de ma vie je n’avais écrit de livre ! Par bonheur, j’ai reçu pour ce faire aide et assistance charitables.

Mes remerciements vont en premier lieu à Kathleen, ma femme, qui, loin de me décourager dans cette entreprise risquée et un peu folle, a supporté pendant un an mes « absences », mes cogitations silencieuses, mes réveils et mes travaux nocturnes exigés par le jaillissement soudain d’une idée à une heure saugrenue où dorment les honnêtes gens. Je lui promets de revenir désormais à une vie conjugale plus… normale, avec l’image et le son.

Sa sœur, Martine Le Paige, a droit à ma plus profonde gratitude : je me rends parfaitement compte que la correction et la mise en page d’un tel livre est une tâche exigeante , parfois fastidieuse. Elle a mené tout cela tambour battant là où mon désordre m’aurait fait me planter lamentablement. ? Je dois encore remercier Jean-Marie Hacquier qui a repris le travail de Martine pour y joindre quelques photos et y introduire signes et conventions éditoriales. A propos quel est l’illuminé qui a dit qu’un beau désordre était un effet de l’art ?

Merci aussi à Jean-Marie Peterken, producteur, organisateur et spectateur attentif de mon cheminement artistique.

Je pense également, et ici avec une grande émotion, à tous les musiciens, vivants ou disparus, que j’ai côtoyés dans ce domaine de ma vie. Par osmose, ils m’ont tout appris, tout montré, tout donné et ma gratitude envers eux reste immense. Comment ne pas être sensible au bonheur qu’ils m’ont apporté pendant quarante ans ?

Je désire enfin mentionner spécialement le talentueux pianiste, compositeur et arrangeur, mon ami Michel Herr. Je n’ai jamais autant appris en harmonie qu’en jouant régulièrement avec lui de 1976 à 1980, en accompagnant Louis Mac Connell puis John Thomas. D’autre part et pour la petite histoire, il m’a fait récupérer les droits d’auteur d’un de mes thèmes joué par Chet Baker qui avait « oublié » mon nom sur ses enregistrements. Cher Michel, salut et merci pour tout !

Le but de ce livre est de transmettre à mon ami lecteur l’expérience accumulée grâce à mes contacts musicaux : ma propre expérience du Jazz de la seconde moitié du XXe siècle.

Jean LERUSSE 10 mars 2010

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Affiche du concert organisé au Tennis Club de Waremme en 1979 - © courtesy by Jean-Pierre Goffin

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