Planète verte numéro 1, Novembre 2008 2008
DOSSIER La génétique humaine aborde de
vastes domaines.
La diversité du génome,
entre les populations et entre les
individus, les effets avantageux ou
délétères des mutations au cours
de l’évolution, l’adaptation de
l’homme aux environnements
pathogéniques rencontrés au cours
des migrations, les territoires
inconnus du génome.
Parallèlement, des scientifiques se
penchent sur l’évolution du
système immunitaire face aux
agents infectieux et
réciproquement.
BONUS
Planète verte numéro 1, Novembre 2008 2008
À
LES GÈNES
côté de l’évolution de notre génome pendant des millénaires
et des conséquences de cette évolution sur notre santé actuelle, les
chercheurs explorent l’ensemble de la variabilité du génome humain.
Par exemple, pour mettre en évidence des variations génétiques
associées à différentes prédispositions aux infections. D’autres
chercheurs se penchent sur la reproduction, normale ou
pathologique, sur le chromosome Y,
sur les stratifications des populations en Inde où vit près de
17 % de la population humaine.
Une autre équipe est pionnière dans les surdités héréditaires ;
ses travaux ont été évoqués dans le premier numéro de Pasteur
Le Mag’.
Sinon, plusieurs équipes travaillent sur la génétique
de la souris, par exemple, en explorant des
processus fondamentaux ou en
étudiant des modèles de maladies humaines.
Mais ceci est une autre histoire…
BONUS
T
LES GÈNES
DOSSIER
La génétique évolutive humaine explore la diversité du génome au bénéfice
de la Santé et de l‟Histoire de l‟homme
Les généticiens
s’intéressent à la
diversité du génome,
en particulier aux
mutations, et au
polymorphisme, aux
différentes formes
d’un même gène dans
une même espèce.
Pour cela,
le séquençage du
génome humain
a fourni toutes les
indications sur la
localisation des gènes
et leur structure.
Une étape majeure
mais aussi le début
d’une grande
aventure…
outes les informations obtenues
lors du séquençage du génome
humain ont alimenté les travaux aussi
bien en génétique médicale qu‟en géné-
tique évolutive et génétique des popu-
lations. « Toutefois, le séquençage du géno-
me humain ne nous a que très peu renseignés
sur sa diversité, insiste Luis Quintana-
Murci, chef de l‟unité de Génétique évo-
lutive humaine (CNRS URA 3012).
Pour cela il aurait fallu séquencer plusieurs
génomes humains, de plusieurs individus,
dans plusieurs populations, et c’est plutôt la
variabilité du génome au sens large qui est
l’outil de base de tout généticien. »
Peu après le séquençage du génome
humain, plusieurs consortiums interna-
tionaux se sont fixé pour objectif de
caractériser cette diversité. En particu-
lier, le projet HapMap a réuni des indi-
vidus de quatre populations d‟origines
ethniques et géographiques différentes
afin de cataloguer les variations géné-
tiques les plus fréquentes chez l‟homme
: « Le projet international HapMap décrit
la nature des variants, leur emplacement
dans la séquence d’ADN et leur distribution
au sein d’une population et entre les popu-
lations dans différentes parties du monde. Il
n’utilise pas l’information recueillie pour
établir des corrélations entre des variants
précis et des maladies. Il vise plutôt à four-
nir aux chercheurs tous les outils génétiques
nécessaires pour ensuite essayer d’établir des
liens entre les variations génétiques et les
maladies ».
Les débuts de l’étude
de la diversité du génome humain
sont prometteurs
Il y a très peu de différences génétiques
entre les individus ou les populations
et, en tout cas, pas de différences
majeures entre groupes ethniques. Si
l‟on prend deux individus au hasard
dans la population mondiale, quelle
que soit leur origine géographique ou
ethnique, il n‟y aura en moyenne que
0,1 % de différences. « Nous sommes
une espèce très jeune au regard de l’histoi-
re du vivant, âgée seulement de près
200 000 ans, précise Lluis Quintana-
Murci. Pour cette raison, nous n’avons
pas eu le temps d’accumuler beaucoup de
différences. La plus grande diversité que
l’on trouve existe entre les individus en
général, et non pas entre les groupes eth-
niques. Ainsi, la génétique a complètement
aboli le concept de race. »
Ce 0,1 % de différences est un matériau
précieux pour les généticiens. Surtout
pour ceux qui travaillent dans la géné-
tique de l‟évolution et celle des popula-
tions. Ce pourcentage peut sembler infi-
me, mais correspond à 3 millions de
différences entre deux individus.
Bien qu‟il n‟y ait pas vraiment de dif-
férences entre les populations, il exis-
te cependant des tendances. Telle ou
telle mutation peut s‟avérer plus fré-
quente en Europe ou en Asie ou en
Afrique. Cela témoigne soit du hasard
associé à l‟histoire démographique des
1
“
7
La génétique a complètement aboli le concept de race. La plus grande diversité est celle qui existe entre les individus.
”
populations (la “dérive géné-
tique”) soit de l‟adaptation des
différentes populations aux diffé-
rents environnements.
« Imaginons qu’une mutation appa-
raisse en Afrique par exemple et
qu’elle confère une meilleure protec-
tion contre le paludisme. Les indivi-
dus porteurs de cette mutation béné-
ficieront d’un meilleur taux de survie
dans un environnement où le palu-
disme sévit et la fréquence de cette
mutation avantageuse augmentera
au fil de l’évolution, par un mécanis-
me de sélection naturelle. » •••
La plupart des variations génétiques
(mutations ou polymorphismes) dans
le génome humain n’ont pas d’effets
phénotypiques.
En revanche, une partie de cette
variabilité peut expliquer nos
différences phénotypiques bénignes,
comme les différences physiques
entre individus ou groupes ethniques,
mais également les différences dans
le métabolisme de certains aliments
comme le lait ou l’alcool ou de
certains médicaments
(pharmacogénétique), dans
l’efficacité de la vaccination, ainsi
que nos différentes sensibilités
à l’infection.
Naturellement peu
de différences génétiques
Par “phénotype”, on entend l’ensemble de
caractères résultant du “génotype”, qu’ils soient
physiques, physiologiques, métaboliques, etc.
2
Trans
ARN
RN
gè
nes
MO
DE
D
’EM
PL
OI
LES GÈNES
DOSSIER
••• La génétique humaine
a trois visages
Trois grandes approches sont sui-
vies en génétique humaine.
1. LA GÉNÉTIQUE DES
MALADIES MENDÉLIENNES
Dans la génétique des maladies
dites “mendéliennes”, l‟influence
de notre environnement sur le
développement d‟une maladie est
faible, voire inexistante. Ici, une
mutation dans un gène va entraî-
ner un phénotype donné (carac-
tères physiques, physiologiques,
métaboliques…) ou une maladie.
Une relation directe est établie
entre une cause - une mutation -
et un effet - une maladie.
La mucoviscidose est un exemple
classique de maladie monogénique
à hérédité mendélienne ; des muta-
tions dans le gène dit “CFTR” sont
directement associées à la maladie.
Les maladies monogéniques sont
les maladies génétiques les plus
simples à analyser. Dans certaines
familles, une mutation donnée
dans un gène donné peut favoriser
le développement de certaines
maladies. De telles mutations sont
très peu fréquentes au niveau de la
population.
Les gènes sont à la fois donneurs d’ordres et contrôleurs des chantiers
cellulaires. Ils commandent et régulent la fabrication des protéines.
activateur promoteur gène
facteurs de transcription
Transcription
cription
Transcription
A
L‟ADN (acide désoxyribonucléique) porte des
signaux qui permettent sa transcription en
ARN (acide ribonucléique) messager puis sa
traduction en protéines. Les activateurs vont
augmenter l‟efficacité de la transcription qui va
débuter à partir des promoteurs. Une enzyme
indispensable à la transcription de l‟ADN en
ARN, l‟ARN polymérase, a besoin de l‟aide de
protéines intracellulaires qui vont pénétrer le
noyau, ce sont les facteurs de transcription.
Ils permettent à la double hélice de l‟ADN de
s‟ouvrir et de constituer avec l‟ARN polymérase
un complexe de transcription.
Chez l‟homme, l‟ADN est essentiellement
présent dans le noyau des cellules et forme
ce que l‟on appelle “la chromatine”. Au moment
de la division cellulaire, il est condensé et porté
par les chromosomes (lire page 23), chacun
étant constitué d‟une molécule d‟ADN et de
protéines associées.
On dénombre actuellement près de 25 000 gènes humains…
qui représentent moins de 30 % de la totalité de l’ADN.
1 Les gènes sont constitués de molécules d‟ADN
(acide désoxyribonucléique). L‟ADN renferme
l‟ensemble des “plans” nécessaire à la machinerie
cellulaire pour fabriquer des protéines à partir de
commandes exprimées par les gènes.
En s‟exprimant, les gènes “codent les protéines”.
Des mécanismes complexes de régulation génique
vont faire que, selon les conditions, certains gènes
vont s‟exprimer et d‟autres non.
2 Schématiquement, le “langage” génétique, s‟écrit
avec un “alphabet” à 4 lettres correspondant à 4
bases - adénine (A), guanine (G), cytosine (C), thymin
(T) – liées entre elles deux à deux, de façon
complémentaire, sur les deux brins que constitue la
double hélice de l‟ADN. L‟ADN du génome humain
comprend près de 3 milliards de bases.
3
2. LA GÉNÉTIQUE DES
MALADIES COMPLEXES
À côté des maladies dans les-
quelles une mutation favorise une
maladie, des généticiens se pen-
chent également sur les maladies
à hérédité complexe, comme l‟au-
tisme ou les maladies infectieuses.
« La plupart des maladies fréquentes
dans le monde, comme le paludisme,
cette catégorie, ajoute Lluis
Quintana-Murci. Elles sont multi-
factorielles, polygéniques, avec une
forte composante environnementale.
Il est évident qu’un habitant de
Nancy, par exemple, quel que soit son
“fond” génétique, court moins de
risque de développer un paludisme
que s’il vivait à Ouagadougou, car il
n’est pas exposé à l’agent infectieux.
ment exposé à l’infection, parmi les
habitants de Ouagadougou, certains
vont développer le paludisme et
d’autres non, et les formes développées
de la maladie pourront varier d’un
individu à l’autre. » La génétique
des maladies complexes vise plu-
tôt à comprendre quel fond géné-
tique, quels ensembles de gènes,
dans un environnement donné,
la tuberculose et le sida entrent dans Toutefois, dans un même environne- vont faire que cet individu •••
3 Lorsqu‟un gène s‟exprime, les commandes
génétiques de l‟ADN sont “photocopiées”
en négatif par l‟ARN (acide ribonucléique) ;
dans l‟ARN la thymine (T) est remplacée
par l‟uracile (U).
C‟est la transcription.
4 Dans la traduction du langage génétique,
les quatre lettres sont groupées 3 par 3 et
forment les « mots » du langage génétique.
Ce sont les codons. Les protéines sont de
grosses molécules constituées d‟enchaînements
d‟acides aminés (il en existe 20). Chaque acide
aminé est spécifié par 1 à 6 codons, mais
toujours les mêmes et toujours pour le même
acide aminé.
>Transcription
adénine
guanine
thymine
cytosine
uracile
>L’ADN, en double hélice
A C C A U G G G C U C C >Brin d’ADN
G
GG codon ACC codon AUG codon GGC codon UCC
CCC
Thréonine Méthionine Glycine Sérine TTT
AAA
Les gènes commandent, les protéines exécutent.
Les protéines sont fonctionnelles en ce sens qu’elles assurent
les fonctions majeures du vivant. Elles peuvent être :
• Des enzymes, pour la majorité d‟entre elles, qui participent aux synthèses ou aux dégradations.
>Brin d’ARN messager
• Des constituants majeurs des membranes cellulaires, des fibres musculaires, des tissus de soutien.
• Des anticorps qui entrent en jeu dans les défenses immunitaires de l‟organisme.
e • Des hormones, des “messagers chimiques”.
• Des transporteurs, comme l‟hémoglobine qui véhicule l‟oxygène dans le sang.
• Des récepteurs à la surface des cellules.
• Des régulateurs de fonctions cellulaires, y compris des déclencheurs pour la traduction de l‟ADN
(des facteurs de transcription)…
4
LES GÈNES
DOSSIER
••• ou cette population seront plus ou
moins susceptibles de développer
une maladie. Dans ces cas, une
mutation donnée dans un gène
donné peut être associée à une
prédisposition plus importante à
développer la maladie, ce qui ne
veut pas dire que tous les indivi-
dus porteurs de cette mutation
vont la développer. Il ne s‟agit
généralement pas d‟une relation
de cause à effet directe. En
revanche, ces mutations entraî-
nant une prédisposition différen-
te à développer une maladie, peu-
vent être fréquemment présentes
dans la population générale.
3. LA GÉNÉTIQUE ÉVOLUTIVE
Tout au long de l'évolution
humaine, le rapport de force entre
homme et pathogènes a claire-
ment laissé des traces dans notre
génome. « Notre équipe s’efforce de
mettre en lumière ce que la Nature
a déjà fait pour nous, résume Lluis
Quintana-Murci. La sélection natu-
relle, plus particulièrement, a favori-
sé des variants génétiques qui nous
ont permis de mieux combattre les
agents infectieux et de survivre au
cours des générations. Nous sommes,
en grande partie, les descendants des
survivants d’épidémies qui ont rava-
gé les populations du passé : peste, cho-
léra, typhus, tuberculose, variole… »
Ce potentiel est en quelque sorte
enregistré dans nos gènes. Mais
la sélection naturelle aurait égale-
ment éliminé les variants géné-
tiques qui étaient délétères pour
nos ancêtres, surtout celles tou-
chant des gènes essentiels pour la
survie, des gènes qui auraient été
conservés intacts parce que leur
modification aurait pu s‟avérer
mortelle. Ces gènes sont de par-
faits candidats pour jouer un rôle
dans des maladies plutôt mendé-
liennes, où une mutation pourrait
être responsable directe d‟une
maladie.
« Nous voulons aussi savoir comment
d’autres gènes ont bénéficié d’une
variabilité particulière, utile à l’or-
ganisme. C’est le cas du complexe
majeur d’histocompatibilité, dont la
variabilité, très élevée, témoigne
d’une flexibilité importante pour faire
face aux divers agents pathogéniques.
Nous étudions la diversité des popu-
lations actuelles, pour essayer de voir
comment la sélection naturelle agit
sur certaines régions du génome. Nos
travaux portent notamment sur l’ex-
ploration des familles de gènes et des
voies de signalisation impliquées dans
l’immunité. Il arrive d’ailleurs que
certains gènes se comportent d’une
façon parfaitement neutre ; cela sou-
tient plutôt l’hypothèse que la diver-
sité génétique dans ces gènes n’a pas
joué un rôle majeur dans la défense
de l’hôte contre les pathogènes. Dans
ce cas, la génétique évolutive permet
de mieux comprendre l’importance
biologique de certains gènes impliqués
dans l’immunité. Bien sûr, il faut
intégrer nos données à celles obtenues
par les immunologistes. Plus on étu-
die une même problématique sous des
angles variés, plus on s’approche de la
réalité biologique et non d’une réali-
té liée uniquement à une approche
expérimentale. »
En explorant l‟influence de l‟évo-
lution et de la sélection naturelle
sur nos gènes, les scientifiques
ciblent ceux qui sont des acteurs
principaux dans nos défenses
contre les pathogènes. Ceux-là
même qui pourraient intervenir
aujourd‟hui dans les sensibilités
différentielles, entre individus et
entre populations, face aux mala-
dies infectieuses.
Nous sommes,
en grande partie,
les descendants
des survivants
d’épidémies
qui ont ravagé
les populations
du passé.
5
“
La diversité que l‟on observe hors d‟Afrique est un sous-ensemble de celle observée en Afrique. Cette observation est l‟un des arguments en faveur de l‟origine africaine de l‟Homme,
il y a environ 200 000 ans.
” Nous sommes tous des
Africains… de lointaine origine
Outre son intérêt médical, la géné-
tique évolutive poursuit également
un but culturel et historique. Ceci
grâce à l‟étude des régions non
codantes de l‟ADN, qui consti-
tuent cependant la majorité de
notre génome. L‟étude de la diver-
sité génétique de ces régions, pour
la plupart non soumises aux effets
de la sélection naturelle, entre
individus et populations, apporte
un témoignage de l‟histoire démo-
graphique de notre espèce. En
général, la diversité génétique
des régions non codantes du géno-
me est plus importante dans les
populations africaines et moindre
hors de ce continent. En outre,
la diversité que l‟on observe hors
d‟Afrique est un sous-ensemble de
celle observée en Afrique. Cette
L’homme aurait quitté l’Afrique il
y a environ 60 000 - 80 000 ans
pour coloniser le reste du monde.
observation est l‟un des arguments
en faveur de l‟origine africaine de
l‟Homme, il y a environ 200 000
ans. Elle est confirmée à la fois par
l‟archéologie, la paléoanthropolo-
gie et la génétique.
Travailler sur les régions non
codantes, c‟est également s‟infor-
mer sur les migrations et coloni-
sations géographiques de l‟hom-
me, quand il aurait, en une ou
plusieuPrsievrraegTuieolsl,aiqs uitté l‟Afrique
pour coelnon
1i9s7e8r l‟Asie, l‟Europe, le
Comment peut-on apprécier ces
déplacements à l‟échelle de l‟hu-
manité ? En comparant la diver-
sité génétique des différentes
populations. La phylogéographie,
notamment, essaye d‟identifier
des lignées typiques de certaines
populations. Comme il n‟existe
pas de différences majeures entre
elles, il faut en rechercher de sub-
tiles pour détecter la distribution
des marqueurs génétiques, et les
dater, afin d‟estimer quand ces
pour gagner les autres continents.
On sait aujourd‟hui que l‟Homme
aurait quitté l‟Afrique il y a envi-
ron 60 000 - 80 000 ans pour colo-
niser le reste du monde. Mais ce
ne fut pas un voyage… facile. Il a
dû s‟adapter à différents climats,
ressources nutritionnelles et envi-
ronnements pathogéniques.
Grâce à la sélection naturelle, qui
a favorisé les mutations bénéfiques
ou éliminé les mutations délétères,
l‟homme a pu s‟adapter aux diffé-
Pacifique… populations ont quitté l‟Afrique rents environnements qu‟il ••• 6
“
GE
NO
GR
AP
HIC
LES GÈNES
DOSSIER
••• a rencontrés au cours de ce périple.
« La génétique des populations seule
ne doitpas être considérée comme une
science absolue. Elle ne donnerait
qu’une vision partielle, une « histoi-
re génétique » de l’homme. Lorsque
cette histoire-là coïncide avec ce que
trouvent les archéologues, les prima-
tologues, les paléoanthropologues,
alors on s’approche vraiment de
l’Histoire de l’humanité » affirme
Notre objectif ? Savoir dans quelle
mesure la sélection naturelle a agi
sur les gènes impliqués dans la
défense immunitaire de l‟homme contre
les pathogènes
”
Lluis Quintana-Murci.
L’exploration d’une double
diversité du génome
« L’histoire de l’homme n’est pas seu-
lement l’histoire de ses migrations,
c’est également celle de son adaptation
aux différentes niches écologiques qu’il
a rencontrées alors. Nous étudions la
diversité génétique des populations
humaines sous deux angles différents
mais complémentaires. La caractéri-
sation de la diversité génétique dans
les régions non codantes (dites
neutres) du génome nous renseigne
sur notre passé démographique, tan-
dis que l’étude de la diversité dans les
régions codantes (les gènes) nous per-
met de comprendre comment nous
nous sommes adaptés aux différents
environnements, notamment patho-
géniques. »
L‟unité de Génétique évolutive
humaine est ainsi impliquée dans
plusieurs projets sur l‟étude de la
diversité du génome et la démo-
graphie humaine, comme celui
du National Geographic, appelé
Genographic, un consortium asso-
ciant dix laboratoires (voir ci-
dessous).
D‟autre part, l‟unité travaille sur
les effets de la sélection naturelle
sur les gènes impliqués dans la
réponse immunitaire humaine
et, plus généralement, dans les
relations entre l‟homme et les
pathogènes : par exemple, sur dif-
férentes familles de gènes interve-
nant dans l‟immunité innée, la
première ligne de défense de
l‟homme. L‟équipe s‟efforce
ainsi de distinguer quels ont été
les gènes, les familles de gènes,
ou les voies de signalisation
cruciaux pour notre survie face
aux microbes. L‟objectif consiste
à comprendre comment la
présence des agents pathogènes,
les facteurs environ- nementaux,
et même les maladies auto-
immunes, ont façonné le
génome, pour éventuellement en
isoler les acteurs majeurs de la
défense immunitaire contre les
pathogènes. Les études en géné-
tique évolutive humaine nous
apprennent également que les
populations, et donc les individus,
s'adaptent d'une façon différente
La National Geographic Society, associée à IBM, a en effet entrepris un programme destiné à retracer l'épopée migratoire
de l'espèce humaine : « Le projet Genographic va recourir à des analyses
scientifiques et informatiques sophistiquées, auxquelles vont contribuer
des dizaines de milliers d'individus de différentes populations du monde.
Pour moi, l’intérêt principal de ce projet est qu’il correspond pour
la première fois à un regroupementde 100 000 individus provenant des
populations ethnologiquement bien renseignées, qui seront tous analysées
de manière identique et poussée. Le même niveau de résolution
moléculaireet les mêmes analyses statistiques seront réalisés ».
@ Source : communiqué de presse www.ngcfrance.tv/explore/genographic/index.aspx
7
“
aux environnements pathogé-
niques, qui peuvent varier dans
l'espace et dans le temps. Par
conséquent, tous les individus ne
vont pas réagir de la même façon
face aux agents infectieux.
Aller plus loin
« Nous essayons également de com-
prendre dans quelle mesure la qualité
et la quantité de protéines codées par
les gènes ont été des facteurs importants
dans notre évolution et nos défenses
immunitaires, complète Lluis
Quintana-Murci. Pour la qualité des
protéines, la question est de savoir quels
gènes ont connu des mutationschan-
geant la traduction en acides aminés
(lire page 11) et si cela s’est avéré
avantageux ou désavantageux. »
Lluis Quintana-Murci veut égale-
ment répondre à une autre ques-
tion majeure qui aurait été laissée
de côté jusqu‟à maintenant. Dans
quelle mesure la quantité de pro-
téines produites, et non pas seu-
lement les changements qualita-
tifs, a été déterminante au cours
de notre évolution et pour notre
adaptation face aux pathogènes ?
Est-ce que certaines mutations
modifiant l‟expression du gène
ont été plus ou moins avanta-
geuses pour notre survie ?
« Pendant les 20 dernières années, les
scientifiques se sont focalisés plutôt sur
les mutations liées à la qualité des
protéines. Selon moi, dans les années
à venir, à tous les niveaux – évolutif,
clinique, épidémiologique – nous
allons nous apercevoir que la quanti-
té de proPtiéeirnreee sTpiorloladiusites a aussi été -
et demeuerne1-9u7n8
facteur essentiel dans
notre relation à la maladie. Le
“réglage” est fondamental ! Au labo-
ratoire, une de mes collaboratrices
travaille sur les niveaux de conserva-
tion ou flexibilité génétique des micro-
ARN au sein de notre espèce. On étu-
die la variabilité génétique de ces
petits ARN, qui interviennent dans
la régulation de l’expression génique,
comme modèle pour mieux com-
prendre dans quelle mesure la sélec-
tion naturelle a ciblé le réglage quan-
titatif de l’expression des gènes. »
Ne pas s’alarmer mais être
vigilant
Pour le public, souvent, la géné-
tique suscite des craintes et a
parfois même des connotations
quasi diaboliques : crainte du clo-
nage humain pour changer l‟hu-
manité, ou de l‟eugénisme, par
exemple. « Les empreintes géné-
tiques, les fichiers d’ADN, inquiè-
tent aussi, ajoute Lluis Quintana-
Murci. En principe, il ne s’agirait
que d’un affichage génétique, d’une
identification personnelle à des fins
judiciaires, guère plus que les
empreintes digitales. En revanche,
lorsqu’on saura déterminer, pour des
raisons médicales, des profils géné-
tiques individuels, avec des suscepti-
bilités éventuelles à telle ou telle mala-
die, la vigilance s’imposera. Il faudra
éviter les dérives.
Que se passerait-il si ces données
étaient utilisées pour des assurances
voire… des embauches ? »
« Je refuse une telle société, insiste
Lluis Quintana-Murci. De plus,
des liens génétiques de cause à
effet aussi directs sont extrême-
ment rares. Bien sûr qu‟il y a des
différences génétiques entre nous,
mais ça ne doit pas mettre en
cause le principe universel d‟éga-
lités sociale et humaine. Et il
conclut : « Je voudrais souligner que
la génétique au sens large est égale-
ment une science sociale, une science
humaine. Elle aide à la connaissan-
ce de notre histoire, de notre espèce, des
relations entre les populations
humaines. Surtout elle a montré ce
dont on devrait tous tirer leçon : le
racisme n’a aucune justification scien-
tifique ». n
Lorsqu‟on saura
déterminer des
profils
génétiques
individuels, avec
des susceptibilités
éventuelles à telle
ou telle maladie, la
vigilance
s‟imposera.
”
8
L
LES GÈNES
DOSSIER
ÉVOLUTION
Des avantages acquis
>Luis Barreiro.
Les agents infectieux et notre système immunitaire suivent
une co-évolution permanente. D‟un côté, le pathogène va
essayer de développer des mécanismes d‟adaptation au sys-
tème immunitaire de l„hôte pour y échapper. De l‟autre, le
système immunitaire humain va s‟efforcer de se réadapter
à ces changements, afin de pouvoir neutraliser le microbe.
C‟est un champ d‟exploration pour la génétique évolutive.
uis Barreiro, dans l‟unité diri-
gée par Lluis Quintana-
l‟adaptation de l‟homme à son envi-
ronnement pathogénique consiste à
Murci, prépare sa thèse sur la
diversité des gènes impliqués dans
la réponse immunitaire innée, la
première ligne de défense et d‟in-
teraction entre l‟homme et les
pathogènes. Ces gènes codent des
récepteurs qui sont surtout expri-
més au niveau des cellules phagocy-
taires, capables d‟ingérer et de
digérer des agents pathogènes,
comme les macrophages ou les cel-
lules dendritiques. Ces récepteurs
reconnaissent des composés (des
sucres, des lipides, des acides
nucléiques, etc.) qui sont partagés
par divers groupes de microbes.
Cette première barrière de recon-
naissance joue ensuite un rôle
majeur dans le déclenchement de la
réponse adaptative, avec notam-
ment la production d‟anticorps spé-
cifiques.
Les TLR (pour Toll-like receptors)
représentent une famille particuliè-
rement importante de récepteurs de
l‟immunité innée. Un même TLR
est capable de reconnaître un spectre
important d‟agents pathogènes mais
pas d‟identifier précisément telle ou
telle bactérie ou virus. Il en existe 10
chez l‟homme. Une façon de com-
prendre leur rôle biologique dans
étudier leur diversité génétique à
travers le séquençage de ces gènes
dans différentes populations
humaines, provenant d‟Afrique,
d‟Asie et d‟Europe.
« La diversité que nous retrouvons dans
ces gènes témoigne de leur histoire évo-
lutive, explique Luis Barreiro. Nous
pouvons y retrouver la signature de la
sélection naturelle exercée par les agents
pathogènes. Ces études ne mettent pas
en évidence des variations de la réponse
immunitaire qui seraient propres à une
population plutôt qu’une autre. En
revanche, nous découvrons des adapta-
tions locales aux pressions dues à des
agents infectieux sévissant dans telle ou
telle région. Il existerait une évolution
génétique due à un environnement
pathogénique particulier. Nous la détec-
tons, au moins pour certains TLR. Par
exemple, l’ensemble des gènes TLR 1-
6-10, qui sont localisés sur le même
chromosome, présente une variabilité
génétique en Europe et en Asie bien plus
importante que celle observée en
Afrique. C’est le résultat d’un phéno-
mène de sélection naturelle favorisant
certains allèles hors d’Afrique, qui
auraient été avantageux pour la survie
de ces populations face aux pathogènes.
Cette observation est totalement inat-
>Les gènes codant les récepteurs TLRs qui
reconnaissent les virus sont très conservés aussi bien
chez les humains que chez les primates non-humains.
tendue. De plus, on sait maintenant que
les individus porteurs de ces polymor-
phismes sont plus résistants, par
exemple, contre l’agent de la lèpre,
Mycobacterium lepræ. »
Autre observation intéressante, si
l‟on compare les TLR chez
l‟homme avec ceux des primates
non-humains, on constate que tous
ceux qui reconnaissent les virus sont
largement les plus conservés.
Luis Barreiro fait part de son hypo-
thèse : « Nos résultats suggèrent que
les TLR qui reconnaissent des virus ne
peuvent pas se permettre de muter ! Il
faut qu’ils soient beaucoup plus conser-
vés que ceux qui reconnaissent les bac-
téries. Nous supposons que, pendant
l’évolution de l’homme, les infections
virales auraient exercé une pression
sélective beaucoup plus forte que les
infections bactériennes. »
L‟approche suivie par le groupe est
évolutive, un regard sur le passé
pour mieux comprendre le pré-
sent… et pourquoi pas, mieux envi-
sager le futur. n
9
PL
US
IEU
RS
FO
RM
ES
PO
UR
DE
UX
MA
LA
DIE
S
Génétique et infections
Défenses et prédispositions
Le laboratoire Génétique de la réponse aux infections chez l‟homme, dirigé par
Anavaj Sakuntabhai, travaille sur le rôle joué par l‟homme lui-même dans la survenue
d‟une infec- tion par la dengue ou le paludisme. Il explore l‟ensemble du génome
humain pour mettre en évidence les modifications génétiques correspondant à
l‟expression des différents contextes infectieux. La variation génétique de la
réponse immunitaire face à ces infections présente d‟autant plus d‟intérêt que
l‟objectif à long terme est de développer des moyens d‟intervention comme
l‟immunothérapie.
>Hervé Blanc,
La dengue et le paludisme sont deux maladies infectieuses, l’une
d’origine virale, l’autre due essen-
tiellement au parasite Plasmodium
falciparum. Bien que d’origine tota-
lement différente, toutes deux pré-
sentent des similitudes.
D‟une part l‟infection peut ne pas
être accompagnée de symptômes.
D‟autre part, la maladie propre-
ment dite se déclare sous diffé-
rentes formes. Ces particularités
sont corrélées à des profils géné-
tiques de l‟hôte.
La première attente de l‟explo-
ration du génome humain pour
déceler ces caractéristiques géné-
tiques est évidente : mettre au
point des diagnostics prédictifs.
En d‟autres termes, arriver à défi-
nir, chez tel ou tel individu, s‟il
est prédisposé ou non à l‟une des
deux infections et, s‟il déclarait
la maladie, sous quelle forme (lire
encadré). Pourtant, l‟organisme
humain n‟est ni passif ni inva-
riable face à l‟infection. Qu‟est-ce
qui va faire que certains vont
“tolérer” ou non l‟infection ?
Qu‟est-ce qui va faire que ceux
qui subissent l‟infection vont
développer la maladie ou non ?
•••
technicien
supérieur de
recherche
et Anavaj
Sakuntabhai
DENGUE PALUDISME
La dengue sévit dans l'ensemble de la zone
intertropicale. Dans sa forme habituelle, elle
se manifeste brutalement après 2 à 7 jours
d'incubation, en particulier par l'apparition
d'une forte fièvre. En quelques jours, une brève
rémission est observée, puis les symptômes
s'intensifient avant de régresser au bout
d'une semaine.
Sous cette forme, la dengue n’est pas
dangereuse, au contraire de la forme
hémorragique, qui représente environ 1%
des cas dans le monde. Dans ce cas, la fièvre
persiste et des hémorragies multiples
surviennent souvent. Elle peut s’avérer mortelle…
ou la guérison peut être rapide et sans séquelles.
Le paludisme déclaré débute par une
fièvre 8 à 30 jours après l'infection,
accompagnée ou non de divers
symptômes. Des cycles alternant fièvre,
tremblements avec sueurs froides et
transpiration intense, peuvent survenir :
c'est “l'accès palustre” dont la périodicité
dépend de l'espèce de parasite en cause.
Elle coïncide avec la multiplication des
parasites et l'éclatement des globules
rouges, qui conduit également à l'anémie.
Non traité, le paludisme à P. falciparum
peut être fatal, notamment le
neuropaludisme.
10
•••
LES GÈNES
DOSSIER
>Au village de Ndiop à Dakar
C‟est ce qu‟expose Anavaj Sakun-
tabhai : «Nous voulons savoir com-
ment l’organisme humain répond
aux infections auxquelles nous nous
intéressons, en suivant des approches
génétiques. Pour nous, il s’agit de
relier les causes génétiques aux
manifestations cliniques. Dans les
deux cas, dengue et paludisme, il est
donc important de différencier l’in-
fection de la maladie déclarée. Les
réponses immunitaires varient parce
que les commandes génétiques dif-
fèrent ». Plusieurs équipes pas-
teuriennes ont développé des
collaborations avec des équipes
cliniques sur le terrain, y com-
pris afin d‟établir le lien entre
manifestations cliniques et causes
génétiques. Des études ont été
menées dans les villages sénéga-
lais de Dielmo et Ndiop, situés
en zones d‟endémie palustre :
études épidémiologiques, cli-
niques et immunologiques,
depuis le début des années 90.
Cette collaboration englobe
l‟Institut Pasteur de Dakar et
l‟Institut de recherche pour le
développement (IRD) à Dakar.
Depuis plusieurs années, des
ADN et des phénotypes
pa lu s t r e s de plusieurs
centaines de per- sonnes ont
été collectés et des arbres
généalogiques de la popu- lation
établis. Avec le Centre national
de Génotypage d‟Evry, le
laboratoire dirigé par Anavaj
Sakuntabhai participe au
criblage des génomes de ces
populations, complété par
l‟étude de gènes candidats. Les
scientifiques effec- tuent un
“balayage” de l‟en- semble du
génome humain en traquant les
points de mutation, mais
sans a
priori. Y a-t-il
des associations,
n‟importe où sur
le génome, liées
à l‟instauration
de la maladie ou
non ?
C‟est par cette
recherche systé-
matique que
sont trouvées
des corrélations.
Des études simi-
laires sont égale-
ment menées en Thaïlande, à
Suanphung sur le paludisme et
à Bangkok et Khon Kaen sur la
dengue.
« Étayer le diagnostic par la géné-
tique permettra à long terme de
mettre en place des moyens préven-
tifs ou thérapeutiques. L’un de nos
objectifs est de mettre au point des
tests génétiques pour dépister la
prédisposition à développer telle ou
telle for me de la dengue ou du
paludisme, pour prédire la proba-
bilité et la sévérité de l’infection
chez tel ou tel individu.
« L’autre volet important de nos
travaux pourrait ouvrir des hori-
zons thérapeutiques à long terme,
ajoute Anavaj Sakuntabhai. Il
s’agit d’analyser, grâce à la géné-
tique, les voies spécifiques des
réponses immunitaires suivant les
stades de l’infection. Une fois mises
en évidence, il deviendrait possible
d’envisager de nouveaux traite-
ments , ciblés , r eposant , par
exemple, sur l’immunothérapie
pour renforcer les réponses à telle
ou telle étape de l’évolution de la
maladie.» n
11
Le nom de l‟unité dirigée par Kenneth McElreavey en définit les axes de
recherche : “reproduction, fertilité et populations”. Trois domaines
qui se recoupent souvent. C‟est notamment en partant de travaux sur
l‟infertilité* que l‟équipe a été amenée à s‟intéresser à la génétique de
populations en Inde. C‟est en travaillant sur certains aspects de la
reproduction, des altérations de la qualité spermique, qu‟elle a entrepris
d‟examiner des régions inconnues de l‟ADN.
>Chromosomes sexuels masculins (X, à gauche et Y, à droite).
Chez la femme, les chromosomes sexuels sont XX. DR
D’une région du génome à l’autre, X Y en passant par le chromosome Y,
de l’ Inde à Paris, en passant par le Kazakhstan
La reproduction recouvre un vaste
ensemble : chromosomes sexuels (X
et Y) et déterminisme génétique du
sexe, développement des gonades et
des cellules germinales (spermato-
zoïdes et ovocytes). Toutes ces
étapes peuvent être sujettes à des
dysfonctionnements et aboutir en
particulier à des pathologies de réver-
sion sexuelle.
Les études principales de l‟unité pas-
teurienne por tent sur des maladies
affectant le développement des gonades
et sur certaines pathologies rares en
collaboration avec des équipes médi-
cales en Inde. L'équipe utilise la tech-
nologie des puces à ADN qui permet
une analyse du génome entier des
patients pour rechercher l'explication
génétique de ces maladies. Ils peuvent
ainsi identifier des duplications ou des
délétions dans le génome entier avec
une résolution extrêmement fine : de
l'ordre de quelques centaines de paires
de bases sur plus de trois milliards !
Au fil des ans l‟unité a acquis des…
pétences particulières sur le chromo-
some Y (chromosome sexuel masculin),
sa structure, ses variants génétiques
ainsi que les pathologies associées à ce
chromosome, en particulier l‟infertilité
masculine d‟origine génétique.
Depuis plusieurs années, l‟équipe se
sert également du chromosome Y pour
retracer l‟histoire de migrations de popu-
lations, particulièrement en Inde. ••• *L‟infertilité est l‟incapacité à procréer.
Définitive, elle devient stérilité.
XY XX
XY XY XX XX
12
LES GÈNES
DOSSIER
••• « In i tia lement , nous avions
répondu à des demandes
d’études concernant les pro-
blèmes de fertilité touchant des
tribus, raconte Ken McElreavey.
Nous avons rapidement démon-
tré que les causes de l’infertilité
n’étaient pas d’origine génétique
mais plus probablement d’origine
infectieuse ou sanitaire. Nous
avons alors entrepris un travail
global sur les origines de ces
groupes, en collaboration avec
plusieurs anthropologues. »
Le groupe de Ken McElreavey
poursuit des études de popula-
tion similaires au Kazakhstan.
« Nous avons été sollicités à
cause de la fréquence élevée
d’anomalies congénitales obser-
vées dans ce pays. Alors qu’il fai-
sait encore par tie de l’Union
soviétique, certaines populations
ont été exposées à des radiations
nucléaires à la fin des années
quarante et au début des années
cinquante. Nous recherchons
actuellement, chez ces popula-
tions, une modification génétique
liée à cette exposition. Ces études
sont menées sur le génome
entier mais en particulier sur le
chromosome Y, parce c’est à la
fois un bon marqueur pour l’étude
des populations et pour celle de
l’instabilité génétique. » Pour com-
prendre les changements dans
les chromosomes, les généticiens
ont besoin de connaître leur his-
toire, de savoir d‟où ils viennent,
leur évolution, et d‟interpréter leur
structure par rapport à l‟origine
ancestrale des individus.
D'autre part, l‟équipe recherche
des causes d'infertilité masculine
dont l'origine pourrait être géné-
tique ou encore environnemen-
tale. « Des années d’expérience
nous ont montré que le nombre
d’individus présentant des pro-
blèmes d’infertilité d’origine géné-
tique était faible. En même temps,
des études montrent que dans
la population générale , par
exemple ici, à Paris, la quantité de
sperme diminue chaque année
de 2,1 % par rapport à l’année
de naissance de l’individu. Depuis
L’Inde est une
mine d’informations
pour les spécialistes
en génétique humaine :
près de 17 % de la
population de l’humanité,
extrêmement stratifiée,
avec des clans, des
castes, une endogamie
importante…
et un creuset d’ethnies. les trente dernières années, on
note donc une atteinte de plu-
sieurs paramètres spermatiques,
avec une diminution du nombre
des spermatozoïdes mais égale-
ment une altération de leur mor-
phologie. Pour être aussi rapide
et pour toucher autant de monde,
ce processus n’est clairement
pas un problème relevant des
gènes. Un facteur environnemen-
tal a pu modifier le génome sans
modifier la séquence de l'ADN
spécifiquement dans le sperme.
Des études ont fait état de ce
phénomène chez les rats avec
certains pesticides ».
L'équipe est une des seules à étu-
dier les anomalies épigénétiques*
des spermatozoïdes. « Chez cer-
tains individus, nous suspectons
une association entre des pro-
blèmes de méthylation de l’ADN
des spermatozoïdes et l’inferti-
lité », annonce Ken McElreavey.
À l‟Institut Pasteur, l‟équipe éla-
bore un projet pour étudier ces
phénomènes en utilisant des
puces à ADN qui analysent le pro-
fil de méthylation de 15 000
gènes. Il s'agit d'analyser l‟ADN
du sperme et de comparer les
données obtenues à partir d‟indi-
vidus fertiles et infertiles afin de
dépister les éventuels impacts
environnementaux sur la quantité
et la qualité des spermatozoïdes.
« Des études épidémiologiques
chez l'homme et des expériences
chez les rongeurs suggèrent que
des facteurs environnementaux
influencent la production des cel-
lules germinales pendant une
fenêtre précise du développement
de fœtus mâle. Ces effets se
manifestent chez l'adulte par une
infertilité. Nous travaillons sur
l’ADN des individus présentant
une faible quantité des spermato-
zoïdes. Nous poursuivons des
études génétiques et maintenant
des études épigénétiques sur les
modifications de l’ADN pour éva-
luer les conséquences de ce qu’il
s’est passé il y a une vingtaine
ou une trentaine d’années aupa-
ravant. »
Un enjeu pour les générations à
venir… ou pour leur permettre
de voir le jour. n
* Anomalie épigénétique : Anomalie qui
ne modifie pas la séquence du gène
mais l'organisationde la chromatine,
comme par exemple la méthylation de
certaines régions d'ADN.
13
Autisme La part de gènes
LE CHAMP DE L’AUTISME
Typiquement, dans l‟autisme se trouvent associés des
troubles de la communication sociale, des troubles du
langage et des comportements répétitifs, stéréotypés,
avec des intérêts restreints. Il existe également des
formes atténuées, comme le syndrome d‟Asperger, avec
un développement normal de l‟intelligence et du langage,
voire même un vocabulaire supérieur à la moyenne, mais
où l‟on retrouve néanmoins des problèmes d‟interaction
sociale et de communication.
Un enfant sur 1 000 dans la population est
atteint d‟autisme typique, avec un risque plus
élevé pour les garçons. Un enfant sur 200
présente des “troubles du spectre autistique”,
apparaissant avant l‟âge de trois ans, allant de l‟autisme
à des perturbations du langage et de la communication.
En fait, ce chiffre vient de l‟élargissement depuis une
quinzaine d‟années du spectre de l‟autisme au syndrome
d‟Asperger, forme atténuée, aux formes atypiques et aux
troubles envahissants du développement non spécifiques.
Dans tous les cas, les éléments de diagnostic ne
peuvent être appréciés que par des médecins.
Avant 2003, les scientifiques
connaissaient des syndromes génétiques
associés à l‟autisme. Par exemple,
le syndrome de l‟X fragile - le
chromosome X - dans lequel le gène
incriminé avait été identifié. Ces
patients, des garçons, présentent plus
de risques d‟être atteints d‟autisme
que la population générale. D‟autres
maladies, la sclérose tubéreuse de
Bourneville ou la neurofibromatose,
affections dermatologiques d‟origine
génétique, sont souvent associées à un
autisme. Les gènes responsables sont
spécifiques de ces pathologies mais pas
particulièrement de l‟autisme isolé, que
l‟on appelle “autisme idiopathique”.
Dans la grande majorité des cas,
les circonstances à l‟origine de l‟autisme
demeurent inconnues. Plusieurs
recherches effectuées suggèrent
néanmoins des susceptibilités génétiques.
14
E
LES GÈNES
DOSSIER
Une protéine tronquée
n 2003, c’est à l’Institut Pasteur qu’est mise en évi-
et NLGN4. Ces gènes codent des pro-
téines, les neuroligines, qui jouent un
dence pour la première fois une composante génétique dans l’au-
tisme idiopathique.
Thomas Bourgeron, professeur à
l‟université Paris VII dirige le
groupe Génétique humaine et
fonctions cognitives (CNRS URA
2182). Il évoque cette première
découverte. « Chacune des deux
familles étudiées comprenait un gar-
çon avec autisme typique et son frère
avec un syndrome d’Asperger. Dans
ces deux familles, nous avons trouvé
des mutations de gènes situés sur le
chromosome X et appelés NLGN3
rôle important dans la formation des
synapses, les zones de communication
entre les neurones. Il s’agit de pro-
téines membranaires situées au niveau
post-synaptique des synapses. La
mutation affectant le gène NLGN4
est une mutation “stop”, située au
milieu de la partie codante du gène,
elle tronque la traduction de l’ARN
messager du gène sous forme d’une
protéine [lire page 11]. D’où une
protéine beaucoup plus courte que la
protéine normale. Cette protéine de
la membrane devient incapable de
gagner sa localisation. »
>Les chromosomes
renferment une
molécule d’ADN
associée à des
protéines.
>Caryotype
masculin :
la 23e paire de
chromosomes,
les chromosomes
sexuels,
sont ici XY.
15
“
Les chromosomes servent de support à l’information génétique.
Ils ne sont visibles qu’au moment
des divisions cellulaires, période
pendant laquelle l’ADN est
“condensé” et il n’y a pas de
transcription génétique.
Les 46 chromosomes humains
vont par paire, en parallèle avec
Les mutations des gènes NLGN3 et NLGN4 ont été repérées dans deux familles.
leur homologue : 22 paires dites
“autosomes” et une dernière paire,
“gonosomes”, correspondant aux
deux chromosomes sexuels.
Les chromosomes humains sont
numérotés de 1 à 22, du plus
long au plus court, et les deux
chromosomes sexuels sont
nommés X et Y.
La paire de chromosomes sexuels
est XX pour la femme et XY pour
l’homme.
La mitose est la division cellulaire
d’une “cellule mère” en deux
“cellules filles”. A l’issue de la
mitose, chaque cellule fille contient
46 chromosomes.
La méiose est la division dite
“sexuée” ; elle se déroule
pendant l’élaboration des gamètes,
c’est-à-dire les cellules
reproductrices, spermatozoïdes
pour l’homme et ovocytes pour la
femme. La mitose transmet la
totalité des chromosomes aux
cellules filles, tandis que la méiose
ne transmet que la moitié du
patrimoine génétique aux cellules
filles, et permet l'augmentation de
la diversité du patrimoine génétique
par le phénomène de
recombinaison génétique.
Après la mitose, chaque cellule
issue de la division contient les
46 chromosomes. À l’issue de la
méiose, les spermatozoïdes, pour
l’homme, et les ovocytes, pour la
femme, n’en contiennent que 23.
C’est la clef du brassage génétique
lors de la fécondation.
Quant à la mutation affectant le gène NLGN3, elle conduit au chan-
gement de la traduction d‟un acide
aminé : l‟arginine est remplacée par
la cystéine (lire page 11), d‟où une
détérioration de la protéine
NLGN3.
Lorsque les gènes NLGN3 et
NLGN4 sont surexprimés dans un
neurone, les protéines qu‟ils codent
augmentent les contacts entre neu-
rones. Même lorsqu‟on fait se
surexprimer ces gènes dans des cel-
lules de rein, par exemple, et qu‟on
les cultive en laboratoire avec des
neurones, des synapses vont se
développer entre les cellules non-
neuronales (les cellules de rein) et
les cellules neuronales.
Toutefois, ces mutations n‟ont été
retrouvées que dans deux familles
sur 150 testées à l‟époque. D‟autres
gènes sont donc probablement
impliqués dans l‟autisme idiopa-
thique.
« La mutation du gène NLGN4 sem-
blait être une piste particulièrement
importante, indique Thomas Bour-
geron. D’abord parce que cette muta-
tion “stop” avait un effet drastique.
Ensuite, parce que la mère, qui porte
cette mutation, l’a reçue du chromo-
some X de son père. Il avait eu trois
filles mais une seule porte cette muta-
tion, sur l’un de ses deux chromosomes
X. La mutation s’est probablement pro-
duite pendant la spermatogenèse, qui
renouvelle les spermatozoïdes. Jusqu’à présent, même si des mères peuvent por-
ter les mutations incriminées, on n’a
observé que des garçons atteints d’au-
tisme idiopathique avec cette mutation. »
D‟autres groupes de chercheurs se
sont intéressés aux résultats obte-
nus à l‟Institut Pasteur. L‟un d‟entre
eux, étudiant sur plusieurs généra-
tions une famille dans laquelle on
retrouvait des autistes, a identifié
13 personnes atteintes, à chaque
fois des garçons. 10 avec retard
mental léger, 2 avec autisme et 1
avec trouble envahissant du déve-
loppement. Tous étaient porteurs
de la mutation stop NLGN4. Un
argument pour avancer que la
mutation d‟origine 4 était à l‟ori-
gine d‟un trouble, cognitif ou socio-
cognitif. Certains garçons ne
présentaient qu‟un retard mental
léger, isolé, sans autisme.
Les travaux poursuivis dans le
monde n‟ont pas permis de retrou-
ver ces mutations. Elles sont donc
rares. Et conduisent-elles inélucta-
blement à l‟autisme ? Ce n‟est pas
évident pour les scientifiques. « On
pourrait le croire, mais on connaît
maintenant un cas publié d’une per-
sonne qui a perdu un gène NLGN4
mais qui ne souffre pas d’importants
troubles cognitifs », fait observer Tho-
mas Bourgeron.
La recherche d‟autres gènes s‟est
poursuivie à l‟Institut Pasteur. •••
Bourgeron
16
E
LES GÈNES
DOSSIER
Un échafaudage bancal
n 2006, un nouveau cap est franchi. Une mutation
est découver te sur un autr e
gène, appelé SHANK3 , un
par tenair e des neur oligines.
SHANK3 est une pr otéine
d’échafaudage, située sous la
synapse. Elle s’accroche à la
neuroligine et sert littéralement
de support aux protéines mem-
branaires.
Le gène qui code cette protéine
est situé sur le chromosome 22.
Il existe d‟autres partenaires des
neuroligines, alors, pourquoi avoir
testé celui-ci ? Parce que beaucoup
d‟enfants ayant perdu la région du
chromosome 22 où est situé
SHANK3 - plus de 100 dans la lit-
térature scientifique – souffrent
d‟importants troubles tels qu‟une
absence de langage, un retard
mental et, dans certains cas, un
autisme. Tout le monde soupçon-
nait donc que la perte du gène
SHANK3 était importante.
Dans l‟équipe de Thomas Bour-
geron, c‟est Christelle Durand (lire
le “Portrait”, page 32), lors de la
préparation de sa thèse, qui a mis
en évidence le dysfonctionnement
génétique. La mutation qu‟elle a
découverte montre l‟implication
du gène SHANK3 dans l‟autisme.
Chez deux enfants avec autisme
sévère, il y a insertion d‟une gua-
nine supplémentaire (G) dans la
partie codante. Cela donne un
décalage de lecture lors de la tra-
duction qui aboutit à une cassure
de la protéine d‟échafaudage. Ces
deux enfants portent la mutation.
>Synapse
La mère, saine, porte sans doute
la mutation dans les cellules germi-
nales (ovocytes) et transmet la
mutation à ses enfants ; elle ne la
porte ni dans les cellules sanguines
ni dans les cellules buccales. Autre
observation importante dans ce
travail : ces enfants ont perdu une
seule copie du gène et présentent
cependant des troubles sévères du
langage. « La finesse de ce dosage est
également mise en évidence dans une
autre étude de ce travail, explique
Thomas Bourgeron. Il s’agit d’une
famille dont le fils présente un syn-
drome d’Asperger avec un langage
développé et très précoce alors que sa
sœur présente un autisme et une
absence de langage. Le garçon possède
trois copies du gène et sa sœur une
seule. »
Outr e les neuroligines et
SHANK3, une publication très
récente de l‟ Autism Genome
Project, un grand consortium inter-
national qui regroupe de nom-
breux chercheurs, a fait état d‟une
mutation trouvée dans les neu-
rexines, autres gènes partenaires
des neuroligines.
Les scientifiquescontinuent de tra-
quer des gènes dont des mutations
seraient elles aussi liées à l‟autisme
idiopathique.
17
D
Déficit en mélatonine : la cause génétique en lumière
eux groupes dans le monde avaient mis en évidence des
taux bas de mélatonine dans le
sang des enfants autistes. Jusqu‟à
deux fois moins que la moyenne
chez 60 % de ces enfants, selon
une étude publiée en 2005.
L‟équipe de Thomas Bourgeron
explorait une région des chromo-
somes X et Y, plus particulière-
ment celle ou est localisé le gène
codant l‟enzyme qui permet la syn-
thèse de la mélatonine, le gène
ASMT. Cette étude a abouti en
2007 à la découverte d‟une muta-
tion du gène étudié qui s‟accompa-
gnait d‟un taux très bras de
mélatonine chez les patients
autistes.
Il semble que le déficit en méla-
tonine, déjà observé, mais plus fai-
blement, chez les parents, est dû
à une déficience de l‟enzyme codée
par le gène étudié. Le déficit se
situe en amont. Si un taux bas de
mélatonine n‟est pas obligatoire-
ment associé à l‟autisme, il est
important de rechercher quel va
être le rôle de ce déficit en mélato-
nine. A-t-il des répercussions sur le
sommeil ou directement sur la
modulation des réseaux neuronaux
via cette hormone, voire sur les
deux ? « C’est un sujet passionnant
car beaucoup d’articles scientifiques
ont porté sur le sommeil dans l’au-
tisme, s‟enthousiasme Thomas
Bourgeron. Nous voulons avancer
dans la connaissance de la composante
génétique de cet aspect. »
L‟autisme recèle encore beaucoup
de mystères pour la recherche. Il
est probable que plusieurs gènes
sont impliqués et qu'en outre les
gènes responsables varient d'une
famille à l'autre. Pour les scienti-
fiques qui consacrent leurs efforts
à avancer dans la connaissance de
l‟autisme, la participation des
familles est fondamentale. n
La mélatonine est une neuro-
hormone sécrétée principalement
dans la glande pinéale, une petite
glande conique attachée à la partie
postérieure du troisième ventricule
dans le cerveau.
Elle est exprimée très fortement la nuit
et très faiblement le jour. La lumière
inhiberait la production de mélatonine.
En fait, le mécanisme d’action de la
mélatonine est peu connu si ce n’est
qu’elle indiquerait probablement à
l’organisme s’il fait nuit
ou jour. Les scientifiques n’ont pas
encore d’informations sur les
conséquences de pertes de
mélatonine.
.
UN ARGUMENT STATISTIQUE, PAS UNE PREUVE
La récurrence de syndromes autistiques chez les familles est d’environ 5 %. Soit 50 fois plus
de risque d’avoir un deuxième enfant autiste que pour la population générale d’en avoir un.
D’autres études de génétique formelle portent sur les jumeaux. Quand on compare des jumeaux :
• les jumeaux monozygotes (issus du même œuf et qui ont donc le même génome)
se ressemblent énormément pour les traits autistiques (60 à 90 %) ;
• pour les jumeaux dizygotes (issus d’œufs différents, avec un génome
différent), il n’y a pratiquement pas de ressemblance (0 à 5 %).
C’est un argument mais pas une preuve formelle de la part unique des gènes dans l’autisme.
18
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