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HÉRALDIQUE BOURGUIGNONNE :

QUELQUES UTILISATIONSEN ARCHÉOLOGIE

par M. le Chanoine Jean MAKILIER

LE CHATEAU DE CHAILLY-SUK-ARMANÇON

Ce château du xvie siècle est l'œuvre de la famille des Loges, quiposséda la seigneurie de 1425 à 1595 x et, selon toute vraisemblance,de Hugues II des Loges, seigneur de la Boulaye et de Chailly,bailli d'Autim de 1527 à 1531, date de sa mort2. L'étude denombreuxblasons, souvent martelés d'ailleurs, qui ornent les bandeauxsculptés de la façade et une cheminée intérieure permettent quelquesprécisions.

Un peu partout se lit l'écu des Loges : « d'or au sautoir d'azur »,mais il y en a d'autres.

Hugues épousa en premières noces Claude de Rabutin, quimourut très peu avant 1525. Les armes des Rabutin ne se rencontrentnulle part dans la décoration du château3. Hugues II se remaria,au plus tard, à cette date avec Charlotte du Mesnil-Simon, d'unefamille du Vexin 4, qui portait « d'argent à six mains dextres, lesdoigts en bas, de gueules ». Ces armoiries sont sculptées à plusieursfois sur une cheminée du premier étage, soit plaines, soit partiesde Loges. Hugues décédant en 1531, c'est donc entre 1525 et cettedate que le château fut commencé. Devenue veuve, Charlotte resta

1. F. VIONIKH, Dictionnaire des châteaux de France, Bourgogne-Nivernais,p. 80.

2. Généalogie dressée d'après le Recueil de Pcincedé aux archives de laCôte-d'Or, Palliot (Dijon, Bibl. mua., manuscrit 919) et les registres du bailliaged'Autun aux Archives de la Côte-d'Or.

.'(. « Cinq points équipollcs à quatre de gueules ».4. Père ANSIÎI.IIU, Histoire généalogique de la Maison de France, VII, p. 7.

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dame de Chailly avec les deux enfants de son mari, .non majeurs :Louis II et Simon II de Loges. Elle, fit sûrement bâtir la partieouest du premier étage où ses armoiries propres se rencontrentsur la façade, non juxtaposées à celles de son défunt mari.

Louis II, qui mourut vers 1566, devenu seigneur de Chailly àsa majorité, se maria deux fois ; il épousa d'abord en 1544 Gabriellede Bourges, puis à une date inconnue, Catherine d'Armes, qui,elle, mourut en 1561. Or les armoiries des Bourges (« d'argentau dragon d'azur ») se lisent encore, bien que martelées, vers lemilieu du bandeau supérieur de la façade. Il faut donc attribuerà Louis II, au temps de son union, probablement courte, avec Gabri-elle de Bourges, l'achèvement du château dans sa partie supérieureorientale, soit entre 1544 et 1550 environ. Les armoiries de la fa-mille d'Armes n'apparaissent nulle part6.

LE CHŒUR DE L'ÉGLISE DE VIC-SOUS-THIL

Ce chœur, de style gothique flamboyant, est couvert d'une voûted'arêtes, de trois travées de plan barlong. Les trois clefs de voûtesont armoriées. La première travée à l'entrée (ouest) a une clefsculptée d'un écu à trois lions ; il s'agit des armes de la seigneuriede Thil dont Vie relevait.

A l'autre extrémité, la troisième travée montre à sa clef la bandevivrée des La Baume-Montrevel. La clef centrale possède un écucompliqué et peu lisible depuis le sol. La photographie rapprochéepermet de lire : « écartelé, aux 1 et 4 de Châteauvillain, aux 2 et 3de Bar » ; sur le tout un écu parti de Thil et de Grancey. Ces armoiriessont exactement celles qu'attribue le Père Anselme à Bernard deChâteauvillain, seigneur de Châteauvillain, Thil, Grancey et autreslieux (f 1452) 8. Elles ont été conservées par les sires de Château-villain pour leur seigneurie de Thil. Son arrière-petite fille, Annede Châteauvillain dame de Thil depuis 1508, les portait. Anne épousa

5. « De gueules à deux «liées d'argent garnies d'or, posées en chevron etaccompagnées d'une rosé d'or, à la bordure engrêlée aussi d'or ».

6. P. ANSELME, Histoire yénéaloyique de. la Maison de. France, VIII, p. 428.« Avant la mort de son frère aîné [Bernard] ecartela pour brisure les armesdes Châteauvillain de celles de Bar, mettant sur le tout l'écusson de Thil, d'orà trois lions de gueules, parti de celui de Grancey ». Châteauvillain : de gueulessemé de billettes d'or au lion de même brochant sur le. tout. Bar : d'azur seméde croix recroisetées au pied fiché d'or, à deux bars adossés du infime brochantsur le tout. Grancey [-le-Château] : d'or au lion armé, lampassé et: couronnéde gueules.

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en secondes noces, l'année suivante Marc de la Baume qui fut, dèslors, du fait de sa femme, seigneur de Thil ; il le restera jusqu'àsa mort en 1526.

Veuve cette année-là, Anne redevint seule propriétaire de laseigneurie jusqu'en 1534, date à laquelle elle donne Thil à son fils.Joachim de la Baume, comte de Châteauvillain, lors de son mariageavec .Jeanne de Mouhy. L'absence des armes des Mouhy7 exclut,pour la construction du chœur, le temps de la seigneurie de Joachim.Il nous semble que la présence d'écus séparés et non partis rapportel'époque de cette construction au temps du veuvage d'Anne deChâteauvillain, entre 1526 et 1534, peut-être après un début d'édi-fication par son mari. Si l'on n'accepte pas cette interprétation,on ne peut sortir de la période 1508-1534.

LE PORTAIL CENTRAL DE L'ÉGLISE DE SEMUR-EN-AUXOIS

On attribuait généralement8 ce portail au xive siècle. Cependantle trumeau de la porte principale est orné sur ses faces latéralesde losanges sculptés en relief peu prononcé. Quelques-uns furentévidés à une époque assez récente, sans doute lors de la Révolutionparce qu'ils montraient des « signes de la féodalité » proscrits par lesdécrets de 1790 et supprimés surtout en 1793. Les agents révolution-naires y avaient reconnu des armoiries et, sans doute aucun, desHeurs de lys. Les autres losanges sont aussi des écus et l'on peut y voirles trois tours de Castille, le bandé des ducs de Bourgogne, les raisde Navarre et les armes de Champagne ancienne qui portaientune bande accostée de deux cotices. Nous reconnaîtrons dans lesfleurs de lys la Maison de France pour Agnès de France, fille du roiLouis IX et épouse du duc Robert. II de Bourgogne, et pour la même,Castille que portait sa grand'mère Blanche. Les armes de Champagne-Navarre ne peuvent être que celles de Béatrice de Champagne,fille de Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre, elle-même seconde épouse d'Hugues IV, duc de Bourgogne et belle-mère de Robert II né d'un premier lit.

Comme Robert II et sa belle-mère vivaient en mauvaise intelli-gence, jusque vers la fin de la vie de cette dernière n, nous pensons

7. Mouhy : de gueules fretté d'or.8. En dernier lieu, B. JAUGEY, La Collégiale Notre-Dame, flans « Semur-en-

Auxois, guide », éd. de Civry, 1980, p. 22. Sur les lois révolutionnaires pros-crivant les armoiries, Rémi MATTHIEU, Le système héraldique français, p. 243-240.

9. K. PETIT, Histoire des dues de Bourgogne de la race, capétienne, tome V,p. 112-124 et surtout 117.

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qu'il faut attribuer le portail de Semur à une libéralité testamentairede Béatrice de Champagne (f 1295) et son exécution sur l'ordrede son beau-fils le duc Robert II et d'Agnès de France. Robert IImourut en 1306. Le portail serait ainsi daté des dernières annéesdu xme siècle ou du tout début du xive.

LES CHANDELIERS ÉMAILLÉS DES MUSÉES DE DIJON

Les musées de Dijon possèdent deux paires de chandeliers (pique-cierges) ; l'une appartient au Musée des Beaux-Arts, l'autre auMusée archéologique.

Au Musée des Beaux-Arls10.

Ces pique-cierges, qui sont peut-être des objets de voyage, se com-posent d'une tige de cuivre verticale ornée de trois nœuds torsadés,celui du milieu étant plus important. Elle est soutenue par troispieds mobiles pouvant se replier les uns sur les autres ; ils ont leprofil d'une doucine renversée et portent chacun trois écus armoriésqui se lisent ainsi, de haut en bas :France, Bourgogne ancien, Bar.Bar, Castille, Bar,Bar, Castille, Bar.

Il s'agit donc de chandeliers ayant un rapport avec les maisonsde Bar et de Bourgogne, après le mariaga du duc Robert II avecAgnès de France, fille du roi Louis IX (1271). Il n'y a qu'une seulesolution possible : le fait du mariage de Marie, dernière fille deRobert II, née en 1298, avec le comte de Bar, Edouard, filsd'Henri III, comte de Bar, et par sa mère Éléonore d'Angleterre,petit-fils d'Eléonore de Castille, épouse d'Edouard I d'Angleterre.Le mariage aurait eu lieu le 11 février 1310 à Montbard " . Edouardmourut en 1337.

Peut-être est-il convenable de voir en cette paire de chandeliersun cadeau de mariage au jeune couple. Nous sommes loin de la date(xne siècle) attribuée à ces objets par le Catalogue du Musée deDijon de 1883. On n'expliquera pas toutefois pourquoi, si les familles

10. Musée de Dijon, Catalogue de JSS3, Collection Trhnolet entrée en 1X78,n° 1248. « Chandelier en cuivre chainplevé et émaillé. Travail de Limoges,xn e siècle ». Hauteur : 0,30 m.

11. E. PETIT, Histoire, des ducs de Bourgogne de la race capétienne, IX, tableaugénéalogique. Cependant, à celle dale, le jeune comte Edouard était prisonnierdu duc de Lorraine (de 1309 à 1314) (Art de vérifier les dates, Paris, 1770, p. 642).

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de France et de Castille sont évoquées, cslle d'Angleterre ne l'estpas.

Au Musée, archéologique12.

Les chandeliers de ce Musée, aussi en cuivre émaillé, se composentd'une pointe hexagonale supportée par une base en forme de pyra-mide tronquée à six faces légèrement incurvées ; chaque face porteun écu, successivement France ; parti de Bourgogne ancien et deSavoie ; écartelé de Bretagne et de Savoie. Cette succession serépète.

Il n'y a aucun doute ici : cas objets ont trait au mariage de Jeannede Savoie avec le comte Jean III de Bretagnî, mariagî célébréle 21 mars 1329 à Chartres 13. Jeanne était la fille d'Edouard, comtede Savoie et de Blanche de Bourgogne. Cette dernière était filledu duc de Bourgogne Robert II et d'Agnès de France (donc sœurde Marie citée ci-dessus).

Oserions-nous aller plus avant ? Par le fait que l'écu de Franceest plain, sans partition, alors que l'on pourrait penser légiti-mement à un parti de Bourgogne et de France, veut-on rappelerà la mariée qu'elle compte le saint roi Louis parmi ses ancêtres,ou, bien plus encore peut-on supposer que ces chandeliers étaientun don de sa mère Blanche (sa grand-mère Agnès étant morteen 1325, quatre ans avant ce mariage), ou bien était-il inconvenantde partir les armes de Francs de celles de l'un de ses vassaux,fût-il grand feudataire ?

LE DONATEUR DU TABLEAU DE LA CIRCONCISION,PAR PHILIPPE QUANTIN, au MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE DIJON.

Ce tableau, en forme de tryptique, provenant du couvent des Jaco-bins de Dijon, signé et daté de 1635, est l'un des chefs-d'œuvredu peintre dijonnais Philippe Quantin (f 1636)14.

12. Catalogue du Musée archéologique, 1894, n° 1380. Daté : Limoges,xm" s., auteur : 0,21 et 0,20. La date de 1329 marque l'extrême fin de l'émail-lerie limousine en champlevé. Peut-être cet objet est-il parisien.

13. S. GUICHENON, Histoire généalogique île la Maison de Savoye, I (Lyon1660 et Turin, 1778), p. 380-382. Jeanne de Savoie et sa mère Blanche deBourgogne furent inhumées aux Cordeliers de Dijon (f 1344 et 1348). Ledessin de leur tombe est dans Guichenon.

14. Musée de Dijon, Catalogue des peintures françaises, 1968, n° 101 etplanche XV où cet écu est lisible sur le bord de la nappe.

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Un écu parti, à moitié effacé sur sa partie gauche (à. dextre selonle langage héraldique) montre à droits un dessin bien lisible :« d'azur à la fasce d'argent chargée d'un croissant de gueules etaccompagnée de trois trèfles d'or ». Eugène Fyot l'avait attribuéaux Bourrelier, famille de Franche-Comté, en admettant unebrisure : le croissant sur la fasce, et il glosait sur l'erreur commisepar le peintre Io, car les Bourrelier portaient d'azur à une fasced'or accompagnée de trois trèfles d'argent. L'erreur n'était pasadmissible, car la famille des donateurs l'aurait faite rectifier.Il faut trouver autre chose. Fyot a bien vu qu'il s'agissait des armoi-ries de l'épouse du personnage dont les armes sont encore cachées(probablement par les soins de Devosge pour éviter, après 1790,une détérioration du tableau par les révolutionnaires zélés pourla destruction des « signes de la féodalité » 18. L'examen attentifde la partie dextre, aidé par la photographie à l'infrarouge (laradiographie serait plus convaincante), laisse apercevoir un vased'où sort une tige fleurie de lys au naturel, probablement au nombrede trois. Il n'y a guère qu'une seule famille du duché qui puissemontrer de telles armoiries, celle des Poligny (jadis Pouligny) quiportait : « d'azur à un vase d'or rempli de trois fleurs de. lys aunaturel d'argent ».

L'ancêtre de la famille, Jean I de Pouligny (f avant 1538)était marchand à Dijon ; son fils Jean II, bourgeois de Dijon (f entre1571 et 1573) épousa Anne Malyon, dont le frère fut receveurdu taillon en Bourgogne. Anne Malyon acquit la seigneurie deDrambon et plusieurs autres terres. Les époux avaient eu pourenfants, Bernarde épouse d'Olivier de Pontailler, seigneur deBressey, dont la fdle se maria avec Ponthus de Chanlecy, baronde Pluvault ; Jeanne qui maria en 1573 Pierre Bouhier, Conseillerau Parlement, sans enfants ; Jean III, aussi Conseiller au Parlement,marié en 1601 à Anne Gonthier et Anne, dame de Layer, deuxfois mariée sans descendance.

Jean III de Poligny n'eut qu'un fils mort en sa jeunesse (1611-avant 1630) et quatre filles, dont Anne épouse de Michel Millière,Conseiller au Parlement et Louise, femme de Jean Bouhier, tigedes seigneurs de Lantenay 17.

15. E. FYOT, « Le peintre Quantin », dans Revue de Bourgogne, 1912, p. 156-161. I.e Catalogue du musée reprend l'identification Bourrelier, sans toutefoisl'appliquer à l'épouse du donateur, comme le fit Fyot.

16. Cas bien connu sur plusieurs tableaux de G. Revel (ex. : Musée de Dijon,Catalogue... 1!>(>8, n° 110 et 111, après leur récente restauration, et plusieursautres provenant de l'Ecole de Droit).

17. PEINCEDE, Recueil, passini ; archives de la Côte-d'Or, E 102, 103, 741,2165/5,2186, 2214, etc. Etat-civil de Dijon, paroisse Notre-Dame (archives muni-cipales). Sur Jean de Poligny, P. PALLIOT, Le Parlement de Bourgogne, p. 264.

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Or Jean III de Poligny, ses sœurs Jeanne, Bernarde et Annerenouvellent en 1620 une donation faite aux Jacobins pour lerepos de l'âme de leur mère Anne Malyon, fondation faite d'aborden 1613, date probable de la mort de celle-ci18. Cette fondationfut encore renouvelée avec desmodiiications en 1629, et finalementen 1635, date à laquelle se retrouvent seulement Jean de Polignyet Arthus de Chanlecy. Il nous paraît certain, que le tableau dePhilippe Quantin a été commandé par Jean de Poligny, qui y afait peindre les armoiries de sa mère, parties au premier de Poligny,au second de Malyon. On notera toutefois que les armes des Malyonne se sont retrouvées jusqu'ici sur aucun autre monument.

18. Archives de hi Côtc-d'Or, H. 934. Le premier contrat fut reçu leH novembre 1613 par Gelyot, notaire à Dijon. Jeanne de Poligny, épouse dePierre Bouhicr, avait commandé en 1626 à Philippe Quantin des cartons detapisserie (E. FYOT, op. cit., p. 136).