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  • Strauss, Richardj-Der Rosenicavalier. Libre-

    tto. French^Le chevalier a la rose

  • Presented to the

    LIBRARY of the

    UNIVERSITY OF TORONTO

    hy

    MOFFATT ST. ANDREW WOODSIDE

    1970

  • s^\

    V.r.-

    ^'f^.

    Le^ /QicvalkriuRosc\

    *...*

    M^

    Editions Frstner

  • Digitized by the Internet Archive

    in 2010 witii funding fromUniversity of Ottawa

    littp://www.arcliive.org/details/lechevalierlarOOstra

  • Le Chevalier la Rose

  • LE

    CHEVALIER A LA ROSECOMEDIE MUSICALE EN TROIS ACTES DE

    HUGO VON HOFMANNSTHALTRADUCTION FRANAISE DE JEAN CHANTAVOINE

    MUSIQUE DE

    RICHARD STRAUSS

    PROPRIT DE L'DITEUR POUR TOUS PAYS

    ADOLPH FiJRSTNER - BERLIN WReprsentaots Exclusifs pour la France et la Belgique

    yMax E5CHIG & C" - Paris

    TOUS DROITS DE REPRODUCTION, DE TRADUCTION,D'ADAPTATION, DE REPRSENTATION ET D'EXCUTION

    RSERVS POUR TOUS PAYSCopyright I9tt and 1912 by Adolph Frslner, Paris

    A. 5949 F

  • ML

  • PERSONNAGES

    La Marchale, princesse VVerdenberg. . .

    .Soprano.

    Le Baron Ochs de Lerchenau Basse.Octave (lit Bb , jeune homme de grande

    famille Mezza soprano.iM. de Fanineil, riche bourgeois rcemmentanobli T Baryton.

    Sophie, sa fille Soprano.Demoiselle Marianne Leitmetzerin, dugne. Soprano.Valzacchi, intrigant Tnor.Annina, sa compagne Alto.Un exempt Basse.L'intendant de la Marchale Tnor.L'intendant de Faninal Tnor.Un not-aire Basse.Un aubergiste Tnor.Un chanteur Tnor lev.Un fltiste.Un coiffeur.Son aide.Une veuve noble.

    i

    Soprano.

    Mezzo soprano.Alto.

    Une modiste Soprano.Un marchand d'animaux Tnor.^*i ^ ^ ^, j. -^ ^ \ Deux tnors.Quatre laquais de la Marchale ) ^

    ' Deux basses.\ Un tnor.Quatre garons ( Trois basses.

    Un petit ngre, des laquais, des chasseurs, des heiduque,des cuisiniers, des clients, des musiciens, deux gardes, quatrepetits enfants, diverses apparitions suspectes.

    A Vienne, dans les premires annes du rgnede Marie-Thrse

  • DISTRIBUTION

    de la premire reprsentation /'Opra de Paris

    (Direction de M. Jacques Rouch)

    LE JEUDI 10 FEVRIER 1927

    La Marchale, Princesse Werdenberg .

    .

    M^es campredonOctave, dit Quinquin , jeune homme

    de grande famille Germaine LubinSophie, fille de M. de Faninal M"'''' Jane LavalD"e Marianne Leitmetzerin, dugne .

    .

    AmyAnnina, compagn? de Valzacchi LapeyretteUn Fltiste LeroyUne Veuve noble B. KervalOrpheline noble Gots

    ,, Martin ,.

    ,Texier

    Une Modiste L. BartheLe Baron Ochs de Lerchenan MM. HuibertyM. de Faninal, riche bourgeois rcem-ment anobli H. Fabert

    Valzacchi, intrigant WarneryUn exempt NaronL'Intendant de la Marchale MadlenL'Intendant de Faninal GillesUn savant BaronUn chanteur DelbosUn coiffeur FerouelleUn marchand d'animaux GillesUn aubergiste SoriaUn chef de cuisine CuvelierUn domestique Ernst

    Les laquais de Lerchenau :MM. Castel, Bergerioux, Delmont, Charvigny.

    Quatre laquais de la Marchale :MM. Pancotti, Landral, Cottel, Ptcat.

    Un petit ngre Chasseurs Laquais HeiduquesCuisiniers Un mdecin Convives Musiciens

    Deux gardes Diffrents hommes suspects.Quatret petits enfants.

    VOrchestre sous la direction de M. Philippe GAUBERT.

  • PREMIER ACTE

    La chaiabre coucher dei la Marchale. A gauche, dansl'alcve, un. grand lit baldaquin. Prs du lit, un para-vent chinois trois panneaux, derrire lesquels sont leshabits. Puis une petite table et quelques siges. Sur lepetit canap droite est une pe dans son fourreau.A droite, deux grandes portes battants mnemt dansl'antichambre. Au milieu, peine visible, une petite portepratique dans le mur. Pas d'autres portes. Entre l'alcveet la petite porte, une coiffeuse et quelques fauteuilscontre le mur. Les rideaux du lit sont ferms. Par lafentre entr'ouverte rayonne le soleil matinal. On entendles oiseaux chanter dans lei jardin.

    Octave, genoux sur un tabouret devant le lit, tient demi embrasse la Marchale, qui est au lit. On nei voitpas le visage de celle-ci, mais seulement sa trs joliemain et son bras, sur lequel glisse une chemise de den-telles.

    Octave(avec chaleur).

    Ton amour! Ta tendresse, tous l'ignorent, c'estmon secret.

    La March.ale(se dresse au milieu des coussins).

    Faut-il trahir ce mystre, enfant ! Veux-tu qued'autres le sachent?

  • 8

    Octave(avec feu;.

    Ange! Non I c'est mon bonheur d'tre l'objetinconnu de ta tendresse! Tous l'ignorent! C'estmon secret! Toi, toi, toi! Quels mots tranges({ Toi , toi et

  • 9

    Octave.

    Tu ris de moi. Ange!

    La Marchale.Amour, mon jeune amour.

    (La petite sonnerie recommence).

    Ecoute !

    OCTA\'E.A quoi bon.

    La Marchale.Chut ! Ecoute !

    Octave.

    Je ne veux rien entendre. Qu'y a-t-il donc?(La sonnerie se rapproche).

    De.s porteurs de messages et d'hommages, deSaurau de Hartig, de l'envoy du Portugal? Xuln'entrera prs de nous. Je suis le matre ici.

    (LOctave(se glisse derrire le paravent.)

    La Marchale.Ton pe ! L sous le lit !

  • 10

    Octave(se prcipite sur son pe et la cache).

    La Marchale(s'tend aprs avoir ferm les rideaux.)

    (Le petit ngrei pose le plateau sur la petite table qu'ilavance, et il en approche le sofa; il s'incline ensuiteprofondment devant le lit, croisant ses petits hras sut-sa poitrine. Puis il recule en dansant gentiment, levisage toujours tourn vers le lit; arriv la porte il

    s'incline encore une fois et disparat.)

    La Marchale(sort entre les rideaux du lit. Elle a jet sur ses paules

    un manteau lger, bord de fourrure.)

    Octave(sort entre le mur et le paravent.)

    La Marchale.Oh! l'imprudent! la tte folle! Laisser ainsi

    chez une dame traner son pe ! O donc as-tupris de telles habitudes?

    Octave.Si tu m'accuses de n'tre qu'un sot, si tu

    regrettes que je me montre maladroit et naf, alorsje me demande pourquoi je te plais.

    La Marchale(tendrement, sur le sofa.)

    Pas de discours, surtout, trsor et viens ici. Entte tte, djeunons, il en est temps.

    (Octave s'asseoit tout contre elle; ils djeunenttrs tendrement.)

    (Octave pose son visage sur les genoux de la Marchale^elle lui caresse les cheveux. Il lve les yeux vers elle.)

  • 11

    La Marchale.Octave.

    Octave(bas.)

    Marie-Thrse, chre me.

    La Marchale.Chri, mon cur !

    (Ils continuent djeuner.)

    Octave.Trsor !

    (Gament.)

    Le Marchal, mon noble matre et votre pouxchasse l'ours dans les forts de Croatie et moi. jesuis l, le cur content et je chasse aussi...

    (Eclatant.)

    Je suis heureux. Je suis heureux.

    La Marchale(Une ombre passe' sur son visage.)

    Laissons en paix le Marchal, car j'ai rv delui!

    OctaveVraiment, tu as rv de lui ?

    La Marchale.Hlas!

    OctaveCette nuit ?

  • 12

    La Marchale.Puis-je rver mon gr ?

    Octave.

    Quoi! Cette nuit! Rver de ton mari? Cettenuit?

    La Marchale,Xe fais pas de ces yeux-l, je n'y puis rien vrai-

    m.ent. Figure-toi qu'il revenait...

    Octave(bas.)

    Le Marchal?

    La Marchale.Avec ses gens et ses chevaux, il tait l. La

    peur m'a rveille aussitt et vois, vois comme jesuis enfant, tout ce tapage, tout ce bruit en bas,je crois l'entendre encor? N'entends-tu rien, toi;>

    Octave.

    Peut-tre ; oui, j'entends, mais ce n'est pas lui.sans doute! Il est loin de Vienne, au fond desbois, l-bas, derrire Esseg.

    La Marchale.Est-ce vraiment trs loin?

    (Calme.)

    Eh bien c'est quelqu'un d'autre alors, cela vautmieux.

  • 13

    Octave.

    Pourquoi irembler ainsi, Thrse?

    La Marchale,C'est que, vois-tu, pour loia qu'il soit, le Mar-

    chal peut aller si vite! Un jour...(Elle s'arrte.)

    Octave.

    L n jour, dis-tu ?

    La Marchale(distraite, coute.)

    Octave(jaloux.)

    Un jour, dis-tu? un jour... achve! Thrse,Thrse ! Rponds, rponds enfin !

    La Marchale.De o^rce, ami ! je ne dois pas tout dire.

    Octave(Il se jette avec dsespoir sur le canap).

    Ainsi, tu ris de moi! N'as-tu donc nulle piti?

    La Marchale.Calme-toi !

    (Ell-e coute'.)

    Pour sr, c'est lui, c'est mon mari. J'en suiscertaine hlas! Tout autre pa.

  • 14

    chambre; oui, c'est lui-mme, qui veut touteforce entrer et qui bouscule les laquais. O ciel !c'est mon mari.(Octave se prcipite sur son pe et court vers la droite.)

    La Marchale.Par l, c'est l'antichambre et tous mes fournis-

    seurs attendent l parmi les gens de service.(Octave court vers la petite porte.)

    La Marchale.L. Trop tard ! Ils sont dans la chambre voi-

    sine ! Sans plus tarder, va te cacher !(Aprs un instant d'affolement.)

    L.Octave.

    Je lui barre la route. Je reste ici.

    La Marchale.L ! le rideau ! Bonne cachette. Ne bouge pas !

    Octave(hsitant.)

    S'il me surprend ici, c'est fait de toi, Thrse!

    La Marchale(suppliant.)

    Ah ! cache-toi, chre me.

    Octave(prs du paravent.)

    Thrse !

  • 15

    La Marchale(trpignant d'impatience.)

    Mais tais-toi donc.(Les yeux tincelants.)

    Je voudrais voir que l'on ost pntrer ici, quandje suis l. Je ne suis pas femme trembler. Et maplace est l.(Elle marche avec dcision vers la petite porte et. coute.)

    A la bonne heure, ce sont des braves ! Ils lui refu-sent la porte; ils disent que je dors. Ah ! commeils rsistent... .

    (Le bruit devient de plus en plus fort dans la lingerie.)

    La Marchale(coutant.)

    Eh quoi! Mais... ce n'est pas la voix duMarchal I Ils l'appellent

  • _ 16

    V'oix DE l'Intendant(dehors.)

    Que Votre Grce veuille bien attendre dans lagalerie.

    Voix DU Baron(dehors.)

    D'o diable sortez-vous, paltoquets? Le Baronde Lerchenau faire antichambre ?

    La Marchale.Ami que fais-tu donc O donc es-tu ?

    Octave(en habit el corsage de femme, sur les cheveux unmouchoir nou d'un ruban et formant bonnet,

    s'avance et fait la rvrence.)

    Pardon, Excellence, mais y' a encor si peud' temps qu'je suis en service!

    La Marchale.Trsor, un seul baiser. Hlas! j'en voudrais

    mille.

    (Elle l'embrasse vile. Le l)rnit recommence au dehors.)

    Il enfonce la porte, ce maudit cousin. Vite!Va-t-en. En bousculant les laquais tu pourraspasser hardiment ! Et puis tu reviendras en habitsd'homme par cette porte-l, si tu le veux.(Octave se dirige vers la petite porte et veut sortir. Aumme moment la porte s'ouvre et le Baron, vainementretenu par les laquais, entre. La Marchale s'assied,tournant le dos la porte e/t commence boire son

    chocolat lentement et avec gravit.)

  • 17

    Le Baron(avec grandeur aux laquais.)

    Son Altesse me recevra, vous dis-je !

    (Octave qui voulait s'chapper rapidement tte baisse,le heurte; il se colle avec embarras au mur gauchecontre la porte'. Trois laquais sont entrs en mme temps

    que le Baron. Il s'avance; sa gauche les laquai.-cherchent lui barrer le chemin.)

    Le B.arox( Octave avec intrt.)

    Pardon, ma belle enfant.

    (Octave se tourne avec embarras contre le mur.)

    Le B.\rox(avec grce et condescendance.)

    Je dis : Pardon, ma belle enfant.

    (La Marchale regarde par-dessus son paule; elle se lveensuite' ;-t va la rencontre du Baron.)

    Le B.\rox(galamment Octave.)

    Vous ai-je fait trs mal, je suis confus.

    Les Laquais(tirant le Baron.)

    Monseigneur, de grce.

  • - 18

    Le Baron(Il s":ncline derechef.)

    (Aux laquais.)

    Que vous disais-je ? Sa Grce est ravie de mevoir.

    (Le Baron s'avance vers la Marchale; avec une aisanced'homme du monde, il la prend par la main et

    la conduit.)

    Le Baron.

    Et comment ne le seriez-vous pas ? Entre gensbien ns, qu'importe l'heure o l'on vient? N'al-lais-je pas jadis saluer chaque jour la PrincesseBrioche qui daignait me recevoir l'heure mmede son bain, sans rien qu'un paravent lger pourme cacher ses charmes.

    (Regardant avec humeur autour de lui.)

    Et je m'tonne d'tre reu de la sorte.(Octave s'est gliss le long du mur vers l'alcve et, en

    essayant de se rendre aussi invisible que possible,s'occupe aprs le lit.)

    (Sur un geste de la Marchale, les laquais ont avancun petit canap et un fauteuil, puis il se sont retirs.)

    La Marchale.Pardon pour eux; ces gens ont agi d'aprs mes

    ordres. J'avais en me levant la migraine.(Elle s'assied sur le canap aprs avoir offert au Baron

    le fauteuil. Elle se lve et, derechef lui indiquecrmonieusement sa place.)

    Le Baronfil essaye de s'asseoir, extrmement occup par la

    prsence de la jolie chambrire. A part.)

    Quel fin minois! Elle est, ma foi, gentille!

  • 19

    La Marchale.Ma pauvre tte est encore lourde, et mon cousin

    voudra donc peut-tre avoir la grce...

    Le Baron(Il se tourne pour voir Octave.)

    Sans doute.

    La Marchale.Ma camriste, une enfant du village ; sa pr-

    sence va gner peut-tre Votre Grce.

    Le Baron.

    Et pourquoi donc, moi? Mais au contraire,moi ? mais pas du tout.

    (Le Baron fait Octave un signe de la main puis ils'adresse la Marchale.)

    Votre Grce s'tonnera qu'ici malgr mes fian-ailles je cherche encore.

    (Regardant autour de lui.)

    La Marchale.Vos fianailles?

    Le B.^ron.

    Ne vous l'ai-je point annonc l'autre jour dansma lettre ?

    La Marchale(allge, part.)

    La lettre, j'oubliais....

  • 20

    Le Baron.

    Charmante, adorable, quinze ans peine!

    La Marchale.Oui, la lettre. Et qui donc est assez heureuse?

    J'ai son nom sur la langue. Le nom de votrepouse ?

    Le Baron.Hein?

    (Se tournant.)

    Deux beaux yeux! un teint! exquise, ravissante.Sophie Faninal.

    (Avec un peu d'humeur.)

    J'avais eu grand soin de l'crire dans ma lettre!

    La Marchale.C'est vrai ! O donc ai-je la tte ? Et la famille ?

    Ils ne sont pas d'ici.

    Le Baron.

    Mais si, Madame, ils sont bien d'ici; tout juste-ment, il vient d'tre anobli par Sa Majest ; il ala fourniture de l'arme qui fait campagne auxPays-Bas.(Octave s'occupe aprs le plateiau en sorte q'il passe unpeu plus derrire le Baron. Du regard la Marchale

    signifie Octave qu'il ait partir.)

    Le Baron(se mprenant tout fait sur la mine de la Marchale.)

    Je vois que Votre G^rce fronce ses jolis sourcils

  • 21

    sur la msalliance. Pourtant, je dois le dire, unange n'est pas plus joli que cet enfant. Elle sortde son couvent, elle est fille unique.

    (Avec plus de force.)

    Le pre possde bien douze maisons au centrede la ville et sa sant donne fort craindre.

    La Mari'xhale.

    Je crois comprendre merveille ce qui vous asduit.

    iLa Marchale fait signe Octave de se retirer.)

    Le Baron.

    Eh! s'il vous plat, ma cousine, j'ai dans lecorps, je pense, assez de sang pour la famille, etquoi qu'il arrive, on reste toujours ce qu'on est... Je saurai bien faire accorder mon pouse un rangqui lui convienne. Quant aux enfants natre. Vahene Ils se contenteront de possder les clefs defer des douze maisons de leur grand-pre.

    La Marchale.Bien sr. Certainement, cher cousin, vos

    enfants ne seront pas des Don Quichotte.

    (Octave avec le plateau recule vers la porte.)

    Le B.vron.

    Pourquoi remportez-vous ce plateau? Laissez,laissez donc.

    (Octave reste indcis et dtourne le visase.)

  • 11

    La Marchale.C'est bien, va-t-en.

    Le Baron.

    Un moment ! Oserai-je vous l'avouer : je meursquasi de faim, Madame.

    La Marchale(rsigne.)

    Marianne, reviens a et sers Son Excellence.(Octave revient et prsente le plateau; le Baron prend

    une tasse et se sert.)

    Le Baron.

    Je suis jeun, oui, Votre Grce; je suis en ber-line depuis cinq heures.

    (A Octave.)

    Quel aimable minois! Reste l, mon cur, j'aibeaucoup te dire.

    (A la Marchale, haut.)

    Tous mes gens au complet, pages, chasseurs etautres, tous, inclus mon aumnier sont rests enbas.

    La Marchale( Octave).

    Laisse-nous.

    Le Baron( Octave).

    Encore une biscotte, reste donc.

    (Bas.)

    En vrit, c'est un trsor, un ange.

  • 23

    Le Barox( la Marchale).

    A l'auberge du Cheval Blanc nous allons nousrendre jusqu'aprs demain.

    (A demi-voix Octave.)

    Je donnerais beaucoup, sais-tu...

    (A la Marchale, trs haut.)

    Jusqu'aprs demain...(Vite Octave.)

    Pour un moment de causerie.(La Marchale ne peut s'empcher de rire voir Octave

    jouer si hardiment la comdie.)

    Le Baron( la Marchale).

    Puis, nous entrons au palais des Faninal.L'usage veut que d'abord auprs de ma future...

    (Furieux Octave.)

    Veux-tu bien attendre ?...Un garon d'honneur choisi par moi se pr-sente pour porter la rose d'argent selon l'usagedes grandes familles.

    La Marchale.Lequel de nos parents vous rendra ce service?

    A qui reviendra cet honneur?

    Le Baron.

    Je voulais justement vous demander conseil etc'est pourquoi je suis venu si tt, dans ce costume, l'heure de votre lever.

  • 24

    La Marchale.L'n conseil ?

    Le Baron.

    ]\Ia lettre vous avait expos cette requte, j'aidonc tout lieu de croire que sans vous dplaire,je pouvais recourir vos...

    (Se reculant Octave.)

    Je crois eue je perds la tte.

    La Marchale.Mais oui, c'est juste! L^n garon d'honneur

    qui vous prcde auprs de votre fiance. Parminos proches, mais lequel? Le cousin Prevsing?Hein ?

    Le Barox( Octave).

    Ah! tu m'ensorcelles.

    La Marchale.Le cousin Lambert? Je cherche...

    Le Baron.

    Mon sort est trop heureux qui dans vos mainsrepose...

    La Marchale.Fort bien ! Viendriez-vous pas un soir dner

    chez moi? Demain peut-tre j'aurai trouv votreaffaire.

  • 25

    Le Baron.

    \'otre Grce est la complaisance mme.(A demi-voi.)

    Viens prs de moi, sinon, je ne m'en vais pas.

    La Marchale(elle veut se lever;,.

    Pourtant...

    (A part.)

    Oh ! vn : Reste l.lAu Baron.)

    Que puis-je faire encore pour vous, cousin?

    Le Baron.

    J'ai honte en vrit... A son notaire peut-treVotre Grce voudra bien me prsenter, car ils'agit de faire un contrai.

    La Marchale.Mon notaire vient souvent cette heure.Va voir, Marianne, et s'il est dans l'anti-

    chambre, qu'il vienne.

    Le Baron.Pourquoi la camriste? \'otre Grce a besoin

    de ses services. Je vous en prie.(Il la retient.)

    La Marchale.Laissez-la, cousin, elle peut y aller.

  • 26

    Le Baron(avec vivacit).

    Non, je ne veux pas. A vos ordres qu'elle resteici. Quelque autre serviteur, bientt viendra.

    (Berceur.)

    Enfant aimable et douce, se peut-il. Dieux ! qu'ellereste au milieu de laquais.

    (Il la caresse.)

    La Marchale.Votre Grce est trop bonne pour moi.

    (Lntendant entre.)

    Le Baron.Ah l'avais-je pas dit. Par lui, vous saurez si

    votre homme est l.

    La Marchale( l'intendant).

    Struhan, dites, mon notaire est-il dans l'anti-chambre ?

    ' L'Intendant

    Il attend les ordres de Madame. Et le rgis-seur, et le cuisinier, puis, envoys par M. leComte de Silva, un chanteur avec un fltiste.

    (Le Baron a pouss son sige derrire le large dos del'intendant; il saisit la main de la prtendue camriste.)

    L'Intexd.ant(sec.)

    En outre, le bagage ordinaire.

  • 27

    Le Baron( Octave).

    Voudrais-tu faire, avec un gentilhomme, entte tte, un fin souper ?

    (Octave joue l'embarras.)

    Hein ? Tu verrais a ma chre. Veux-tu ?

    Octave'un peu honteux).

    Mais je n'sais point si c'est permis.(La Marchale coutant distraitement l'intendant, les

    regarde tous deux, et ne peut s'empcher de rire.

    L'intendant s'incline et disparat, dgageantle groupe aux yeux de la Marchale.)

    La Marchale(riant, l'intendant).

    Qu'ils attendent.

    (L'intendant sort. Le Baron s'assied aussi l'aiseque possible.)

    La Marchale(riant).

    Mon cousin, je le vois, cherche aventure.

    Le B.^ron(rassur).

    A la bonne heure, on est libre ici, on est sonaise, pas la moindre tiquette,

    (Respirant.)

    et pas de vaines simagres...

    (Il baise la main de la Marchale.)

  • 28

    La Marchale(amuse).

    Que voil donc un fianc fidle.

    Le Baron(se levant moiti et s'approchant d'elle).

    Faut-il pour cela cjue je ferme les yeux?

    (Toujours sur un ton lger, quasi parlando.)

    Ne puis-je pas en bon limier suivre une bonnepiste, courant en cjnte d'une proie de ci. de l?

    La Marchale.L'amour est ,je le vois votre affaire, mon cher

    cousin.(Se levant tout fait.)

    Le Baron,

    On peut m'en croire, sur ma foi. Il n'est pointde passe-temps plus agrable. Combien je regrettequ'en amour vous ne connaissiez jamais, com-ment m'exprimer, que les tristes ncessits de ladfensive. Parole d'honneur! Rien n'est compa-rable aux plaisirs de l'attaque.

    La Marchale(rit).

    Et ces plaisirs, si j'en crois Votre Grce, sontfort divers.

    Le Baron.Il n'est pas dans l'anne un seul jour, dans le

    jour pas une heure...

  • 29

    La Marchale.Une... o vous?

    Le Baron.

    O l'on... o l'on ne puisse prtendre l'amourfaire un petit larcin.

    (Toujours trs vite et distinctement.)

    Faut-il suivre en amour l'exemple des btes?Non, non, l'homme est matre du monde et ducalendrier il n'a pas suivre les ordres! Le jolimois de mai est propice aux affaires d'amour,chacun sait a ; cependant certes, moi je prfreles mois d't; ils ont leurs nuits! L-bas. dansmes domaines, une troupe de belles filles deBohme nous arrive. Et jusqu' l'automne il enreste deux ou trois chez moi et puis je les renvoie;au temps de la moisson, elles reviendront, plusbelles que jamais,

    (Souriant.)

    et puis je les renvoie ! Si vous pouviez voir alors,cousine, dans le pays fleurir l'amour! Celles deBohme et ceux de chez nous s'unissent et .semlent comme au pressoir lorsque l'on fait le vin.De toute part, on voit derrire les grilles des cou-ples glisser en silence, s'tendre dans l'herbe; detoute part on chante, on rit, on se caresse. Ons'aime partout, l'table, au bord de la rivireet jusqu' l'abreuvoir.

    La Marchale(trs amuse). .

    Et vous, cousin, vous rdez en tous lieux?

  • SO-

    LE Baron.je pourrais, comme Jupiter, sous mille formes

    diverses, me montrer aimable.

    La Marchale.Quoi ? Mme en taureau ? Quel got malsant !

    Ne vaudrait-il pas mieux peut-tre s'envoler,nuage, sur le souffle des zphyrs?

    Le Baron(trs gai).

    C'est selon! Cela dpend! Avec les femmes ilest bien des manires de saisir la balle au bond;car, l'une est douce et timide, et l'autre est undmon venu de l'enfer qui, d'un battant de porte,vous assomme. Celle-l minaude, soupire et perdla tte : j'aime cela. Une autre encore a dans lesyeux comme un diable qui vous mduse. Maisl'heure vient o cet il redoutable, o cet ils'abandonne et le diable, jetant des regards dedtresse son vainqueur

    (Avec raffinement.)

    dcjnne un nouveau charme la fte.

    La Marchale.C'est vous le diable, sur ma foi !

    Le Baron.

    D'aventure il en est une que tous ddaignent,qui reste derrire le foyer comme une pauvrecendrillon, quand je sais la prendre au moment

  • 31

    favorable, elle est moi ! tille s'tonne, elle nepeut comprendre, elle a peur, elle tremble. Mais la fin, quelle n'est pas son ivresse, que son sei-gneur, son noble seigneur, sur elle ait seulementdaign jeter les yeux.

    La Marchale.Vous parlez comme un grand savant!

    Le Baron.

    Il en est d'autres qu'il faut traiter doucement,comme un zphyr qui tendrement caresse laplaine. Pour d'autres il faut, comme un loup, seglisser en silence, puis soudain s'lancer, la saisiret l'treindre, la faire choir...

    (Souriant avec complaisance.)

    sur une botte de foin.

    Octave(clate de rire.)

    La Marchale.Non, il est impayable ! Laissez donc cette

    enfant !

    Le Baron( Octave, trs hardiment).

    Je sais trouver des cachettes sans nombre; dansune alcve je sais faire figure. Je saurais prendremille formes pour sduire mille belles. Nulle pourmoi ne serait trop jeunette, ni trop petite ou trophumble ou trop rude. Nulle cachette ne me faithonte. Tout ce qui me plat, je me l'adjuge.

  • 32

    Octave(reprenant aussitt son rle;.

    Xon, chez Monsieur, je n'irai point, je n'o;-eraisjamais. Qu'est c'qui pourrait bien m'arriver!J'aurais trop peur de lui. Je n'sais point tropc'qu'il m'veut, mais ses manires n'disent riend'bon. Qu'est c'qui pourrait bien m'arriver! Jen'ose pas le dire ! Xon, non, avec lui je n'irai pas,je ne saurais que dire; ici, je craindrais pour moiquelque dommage.

    (A la Marchale.)

    Hlas I que j'ai peur de lui! Comme je tremble!

    La Marchale.X'on, il est impayable ! C'est un prodige ! Lais-

    sez donc cette enfant ! C'est ainsi que les hommess'enflamment, et comme lui, j'en connais biend'autres : ce sont les caprices de leur fantaisie, etnous, mon Dieu, nous sommes victimes, on se ritde nous et nous mritons souvent notre sort. Mais,par la sambleu, laissez cette enfant.

    Le Baron(reprenant une attitude pleine de dignit.)

    Que \^otre Grce me donne cette enfant-l pourtre camriste de mon pouse.

    La Marchale.Quoi, Marianne? En vrit, votre fiance a-t-

    elle donc besoin que pour elle vous vous mettiezen qute ?

  • 33

    Le Baron.

    La belle fille, Ventre Saint Gris! Je jureraisqu'elle est de noble sang.

    Octave( part).

    De noble sang !

    La Marchale.Vous avez, cousin, le regard lucide.

    Le Baron.

    Je m'en flatte !

    (Confidentiellement.)

    Trouvant fort bon que les personnes de qualitengagent ainsi quelque btard pour leur service,j'ai prs de moi un enfant de mon sang.

    Oct.ave.

    Est-il possible !

    La Marchale.Quoi? Une fille? J'espre que non!

    Le Baron.Non, un garon.

    Octave.Un garon !

    La Marchale.Un garon

  • 34

    Le Baron.

    Il a l'air de famille dans ses traits, j'en ai faitmon laquais.

    La Marchale(riant)

    .

    C'est son laquais!

    Octave.C'est son laquais !

    Le Baron.Si Votre Grce veut bien accepter que je lui

    confie cette rose d'argent, tout l'heure c'est luiqui va vous la remettre.

    La Marchale.C'est trop d'honneur! mais attendez un peu.

    (Faisant signe Octave.)

    Marianne !Le Baron.

    Donnez-moi cette fille, je n'en veux pas dmor-dre !

    La Marchale.Va, Marianne, et rapporte-moi le mdaillon.

    Octave(bas).

    Thrse, Thrse, prends garde !

    La Marchale(mme jeu).

    Obis ! je sais ce que je fais.

  • 35

    Le Baron(regardant Octave).

    Belle comme une reine !

    (Puis sur un ton de conversation.)

    Je veux, des anctres de ma race, donner mafemme une image, plus une boucle de mon grand-pre qui fonda jadis tant de couvents et fut gou-verneur de Carinthie et de la Marche d'Autriche.

    Octave(apporte le mdaillon).

    La Marchale.

    Votre Grce veut-elle pas que pour garond'honneur, je lui propose ce jeune homme?

    Le Baron.

    D'avance, je vous remercie.

    La Marchale(hsitant un peu).

    Le Comte Octave... il est de mes parents.

    Le Baron.

    C'est un chevalier dont le choix m'honore, etpour lui dj ma gratitude est extrme.

    La Marchale(vite, lui tendant le mdaillon).

    Regardez-le !

  • 36

    Le Baron(regardant tantt le mdaillon, tantt la servante).

    C'est singulier.

    La Marchale.Oui, oui...

    Le Baron.

    Quelle ressemblance !

    La Marchale.

    Cela donne penser, n'est-ce pas?(Montrant le mdaillon.)

    Rofrano, le second frre du marquis.

    Le Baron.

    Octave Rofrano ! L'honneur est grand d'appar-tenir cette maison

    (Faisant allusion la servante.)

    ne ft-ce qu'en serviteur.

    La ]\L\rchale.

    C'est pourquoi j'en fais un cas extrme.

    Le Baron.

    Je pense !

    La Marchale.

    J'aime l'avoir prs de moi.

    Le Baron.Trs bien !

  • 37

    La Marchale.^lais maintenant, Marianne, laisse-nous.

    Le Baron.

    Comment ? Reviendra-t-elle ?

    La Marchale(faisant exprs de ne- pas entendre le Baron.)

    Et fais entrer les gens d'-ct !(Octave va vers la porte de droite.)

    Le Baron(le suit).

    Ma belle enfant !

    Octavel. la porte de droite).

    On peut entrer.(Il court l'autre porte.)

    Le Baron(le suivant).

    Je suis ton .serviteur. Consens m'couter unseul instant

    Octave(fermant la porte au nez du Baron).

    On y va !A ce moment une vieille femme de chambre entre par

    la mme porte. Le Baron recule, du. Deux laquaisentrent par la droite, apportant de l'alcve un paravent.La Marchale se retire derrire le paravent avec sa vieillefemme de chambre. On porte la coiffeuse au milieu de la

  • 38

    scne. Des laquais ouvrent les portes de droite. Entrentle notaire, le chef de cuisine, derrire lui un marmitonportant le livre des menus; puis la marchande de modes,un savant avec un in-folio et le marchand d'animauxavec de mignons petits chiens et un petit singe. Val-zacchi et Annina, se glissant rapidement derrire eux,prennent la premire place gauche. Une mre noble etses trois filles, toutes en deuil, se placent droite.L'intendant amne sur le devant le chanteur et le

    fltiste. Par derrire, le Baron fait signe un laquais,lui donne un ordre et lui indique : l, derrire la portedu fond.

    Les trois OrphelinesTrois pauvres orphelines...

    (La mre noble leur fait signe de ne pas crier si fortet de s'agenouiller.)

    Les trois Orphelines(s"agenouillant).

    Trois pauvres orphelines implorent ici votreappui.

    La Marchande de modes(haut).

    Le chapeau Pamla ! La poudre la reine deGolconde !

    Le Marchand d'animaux

    Votre Altesse veut-elle un singe ou de gentilsoiseaux des Canaries ?

    Les trois Orphelines

    Au champ de l'honneur, notre pre est tombpour l'Empire et notre ambition est de suivre sonsort.

  • 39

    La Marchande de modes

    Le chapeau Pamla ! C'est la merveille dumonde !

    Le Marchand d'animaux

    J'ai encore des perroquets de l'Inde et duCongo... Des petits chiens dj tout dresss.

    (La Marchale s'avance, tous s'inclinent. Le Barona pass gauche, au premier plan.)

    La Marchale(au Baron).

    Je vous prsente le notaire qu'il vous faut.

    (Le notaire, en s'inclinant devant la coiffeuse o s'estassise la Marchale, s'approche du Baron, gauche. LaMarchale fait signe la plus jeune des trois orphelines,prend une bourse des mains de l'Intendant et la lui donneen lui baisant le front. Le savant veut s'avancer pour luiprsenter ses papiers : Valzacchi passe devant lui et le

    repousse ae cte;

    Valzacchi.(tirant un journal bord de noir).

    Le Journal Noir... que Votre Grce y veuillebien jeter les yeux. Il n'est fait que pour lanoblesse : Le Journal Noir!... Un cadavre futtrouv hier dans la chambre basse d'un palais!On raconte aussi que cette nuit, trois heures,par deux amants un mari fut empoisonn!...

    La Marchale.

    Je n'ai cure de ces ragots!

  • 40 -

    Valzacchi.

    De grce ! J'ai la confiance du monde lgant..

    La Marchale.

    Laissez-moi! Vite! Je n'ai cure de ces ragots-^

    (Valzacchi avec une expression de regret fait une rv-rence et recule en sautant. Les trois orphelines et ensuiteleur mre galetnent, ont bais la main de la Marchale.)

    Les trois Orphelines(sui le point de partir, en pleurnichant un peu.)

    Que le ciel avec clmence\'^ous accorde le bonheur;Le respect, la reconnaissanceEmpliront toujours nos curs.

    (Elles sortent avec leur mre.)Le coiffeur s'avance en hte; son aide le suit en faisant

    voler ses basques. Le coiffeur fixe la Marchale; il s'as-sombrit: il recule; il tudi la mine qu'a aujourd'hui laMarchale. Cependant, l'aide dballe, prs de la coiffeuse.Le coiffeur repousse quelques personnes pour se donnerdu champ. Le fltiste s'est avanc : il commence saritournelle. Les laquais ont pris place droite, au pre-mier plan; d'autres se tiennent au fond. Aprs un momentde rflexion, le coiffeur a fait son plan; il s'approche dela Marchale avec dcision et commence la coiffer. Un,chasseur en rose, noir et argent, parat et remet un billet.L'intendant s'lance avec un plateau d'argent qu'il pr-sente la Marchale. Le coiffeur s'arrte pour la laisserlire. L'aide lui tend un nouveau fer. Le coiffeur l'agite :il est trop chaud. Aprs avoir interrog du regard laMarchale, qui consent, l'aide tend le billet au coiffeurqui, en souriant, l'emploie refroidir le fer.Au mme moment le chanteur a pris position ; il tient

    la main sa musique. Le fltiste le regarde par-dessus-l'paule et l'accompagne.

  • 41

    Le Tnor

    Di rigori armato il senoContre amor mi ribellaiMa fui vinto in un balenoIn mirar due vaghi rai.Ahi ! che rsiste poco a stral di fuoco!Cor di gelo di fuoco a stral !

    (Le coiffeur passe le fer son aide et applaudit lechanteur, puis il continue cliafauder les boucles.)

    (Entre temps, un domestique a introduit par la petiteporte le valet de i hambre du Baron, son aumnier et sonchasseur. Ce sont trois personnages d'aspect fcheux. Levalet de chambre est un jeune et grand rustre, l'airbte et insolent. Il porte sous le bras un tui de maroquinrouge. L'aumnier est un grossier vicaire de village, ungnome de trois pieids de haut, mais l'air fort et effront.Le chasseur a di, avant de porter une livre qui lui vamal, mener le fumier. L'aumnier et le valet de chambresemblent se disputer la prsance et se marchent sur les

    pieds. Ils obliquent gauche vers leur matre ets'arrtent prs de lui.)

    Le Baron(assis prs du notaire, qui reste debout devant lui, reoit

    ses indications.)

    Comme douaire, mais dans un article part,avant la dot la chose est bien claire, n'est-cepas? tout Gaunersdorf, chteau et bien, mereviendra, sans servitude et libre aussi de toutehypothque, ainsi que feu mon pre l'a jadis eu.

    Le Notaire(essouffl).

    Pourrais-je Votre Seigneurie faire humble-ment la remarque, que tous nos textes admettent

  • - 42 -

    bien qu'un douaire de la part du mari la femme(respirant profondment.)

    se passe, mais jamais de la femme au mari.

    Le Baron.Cela se peut.

    Le Notaire.

    C'est ainsi.

    Le Baron.

    Pourtant, dans le cas prsent...

    Le Notaire.Les formes qui nous sont prescrites ne font pas

    d'exceptions.(Aprs une assez longue confrence avec l'intendant, la

    Marchale s'occupe de la confiposition du menu etcongdie ensuite le chef.^

    Le Baron(criant)

    .

    On leur en fera bien faire !

    Le Notaire(effray).

    De grce !

    Le Baron(pins doucement, mais avec insistance et une grande

    suffisance.)

    Quand un seip^neur d'aussi noble race condes-cend par bont d'me prendre pour pouse unequasi-roturire, une Faninal... que vous en sem-

  • 43

    ble? Lorsque pour tmoin de cette faveur il aDieu lui-mme et l'il auguste de Sa Majest...

    (Le fltiste recommence prluder.)

    Le Baron.

    Alors, corpo di Bacco, on peut ce me semblereconnatre le prsent qu'il a fait de son sang et,pour tant d'honneur, lui constituer un douaire.

    (Le chanteur fait mine de recommencer; il attend encorejusqu' ce que le Baron se taise.)

    Le Notaire(bas, au Baron.)

    Peut-tre pourrait-on sparment...

    Le Baron(bas.)

    Quel insupportable pdant! C'est un douaireque je rclame !

    Le Notaire(mme jeu).

    Nous le mettrons, si vous voulez, au chef de ladot.

    Le Baron( demi-voix).

    C'est un douaire! On ne peut rien lui faireentendre !

    Le Notaire(mme jeu).

    En donation inter vivos, ou bien,..

  • 44 ~

    Le Baron(frappe furieusement sur la table et crie).

    C'est un douaire !

    Le Tnor(pendant le dialogue prcdent).

    Ma si caro 'I mio tormentoDolce si la piaga mia,Ch' il penare mio contentoE'I sanarmi tirannia.Ahi ! Che rsiste puocoCor....

    (Ici le Baron lve tellement la voix que le chanteurs'arrte net ainsi que le fltiste. Le notaire recule pou-vant dans le coin. La Marchale appelle d'un signe lechanteur et lui donne sa main baiseT. Le chanteur etla flte se retirent avec de profondes rvrences. Le Baronfait comme si de* rien n'tait; il fait un signe amical auchanteur et va ensuite rejoindre ses gens. Il passe lamain sur le front de son laquais pour rejeter en arrireles cheveux de celui-ci, bouriffs la paysanne

    ;puis

    comme s'il cherchait quelqu'un, il va vers la petite porteet l'ouvre; il espionne dehors; il s'irrite, va flairer du ct

    du lit, hoche la tte et revient en avant.)

    La Marchale(s regarde dans le miroir et, demi-voix).

    Hlas ! cher Hippolyte, comme aujourd'huivous m'avez fait un vieux visage!

    (Le coiffeur, constern, se prcipite fivreusement surles boucles de la Marchale et en change l'arrangement r

    le visage de la Marchale reste triste.)

    La Marchale(par-dessus son paule, l'intendant).

    Faites sortir ces gens.

  • 45

    (Les laquais, formant une chane, repoussent jusqu' laporte, qu'ils ferment, les personnes qui attendent. Seulle savant, conduit vers elle par l'intendant, s'entretientencore avec la Marchale jusqu' la fin de l'Intermdeenlie \"azacchi, Annina et le Baron. Valzacchi, suivid'Annina. s'est gliss, derrire le dos de tout le monde,autour (le la scne, et tous deux se prsentent au Baron

    avec un empressement exagr.)

    Valzac( HI(au Baron).

    \"otre Grce a quelque ennui, je crois ; VotreGrce cherche quelque chose... A ses ordres, jeme dvoue...

    Le Baron(reculant).

    Plat-il? Que veux-tu, toi?

    Valzacchi.

    Les traits de Votre Grce parlent sans langue,tout comme un antique...

    Annina.

    ...tout comme un antique...

    Valz.acchi.

    Corne statua di Giove.

    Annina....di Giove.

    Valzacchi et AnninaQue Votre Grce daigne nous attacher sa

    suite !ills tombent genoux.)

  • 46

    Le Baron.Vous?

    Valzacchi.L'oncle et la nice; deux on fait plus d'ou-

    vrage...

    Annina....plus d'ouvrage...

    Valzacchi.Per esempio : Votre Grce prend une jeune

    femme.Le Baron.

    Ah! a, comment diable le savez-vous?

    Valzacchi.vavec zle).

    Un mari parfois devient jaloux : dico per dire !un jour ou l'autre, c'est possible. Affare nostro!Chaque pas que fait Madame, chaque voiturequ'elle prend, chaque lettre qu'elle reoit : je suisl ! Dans les coins, dans la chemine, et sous lelit....

    Annina.

    Dans la commode...

    Valzacchi.Dans les armoires et sous les toits : je suis l I

    Annina.Votre Grce sera contente.

    (Ils tendent la main, esprant de l'argent; 11 fait semblantde ne pas le remarquer.)

  • 47

    Le Baron( demi-voix).

    Hum ! Que ne trouve-t-on pas Vienne ! Ehbien, voyons : connaissez-vous Marianne?

    Annina(mme jeu).

    Marianne?

    Le Baron.

    Qui tait tout l'heure dans cette chambre.

    Valzacchi{bas Annina).

    Sai tu, cosa vuole ?

    Annina(mme jeu).

    Niente !

    Valzacchi(au Baron)

    .

    Bien sr ! bien sr. Je saurai sans plus attendresatisfaire Votre Grce : Je suis l !(La Marchale s'est leve; le coiffeur, aprs une profonde

    rvrence se retire, suivi de son aide.)

    Le Baron(laissant en plan les deux Italiens, la Marchale).

    De votre camriste, en confidence, puis-je vousprsenter, cousine, le pendant ?

    (Avec suffisance.)

    On dit de toute part que c'est mon portrait.(La Marchale fait un signe affirmatif.)

  • 48

    Le Baron.

    Lopold, donne l'crin !

    (Le jeune laquais prsente gauchement l'crin.)

    La Marchale(riant un peu.)

    Je flicite Votre Grce

    Le Baron(prend l'tui des mains du ynron et lui fait signe

    de se retirer.)

    Voulez-vou.s voir la rose d'argent?(Il veut ouvrir l'crin.)

    La Marchale.

    C'est inutile! Il suffira de la laisser l.

    Le B.^ron.

    Ou votre suivante pourrait peut-tre la porter?

    La Marchale.

    Non, mon cousin, elle n'a pas le temps. Sovezsans crainte; le Comte Octave vous conviendra etpar amour pour moi il acceptera trs volontiers,je gage, de porter pour vous la rose d'argent.

    (Ngligemment.)

    Laissez-la donc ici. Et puis, cousin, je vous disadieu; retirez-vous, je vous en prie, je vais l'glise.

    (les laquais ouvrent la porte deux battants.)

  • 49 -

    Le Baron.

    Votre Grce aujourd'hui m'accable en vrit deses bonts.

    (11 fait la rvrence et s'loigne crmonieusement. Surun signe de lui, ses gens le suivent, avec une tenueinsuffisante. Les deux Italiens, sans bruit et adroitement,se joignent eux sans tre aperus. L'intendant se retire;

    les laguais ferment, la porte.)

    La March.ale(seule).

    Il est parti ! Quel homme absurde et vulgaire !Il prend pour femme une fillette aimable et riche.

    (Soupirant.)

    Ouelle misre ! Il s'imagine encore que c'est luiseul qui se .sacrifie! Mais pourcjuoi m'indigner :le monde est ainsi fait, Puis-je donc oublier quemoi-mme, je fus au sortir du couvent au mariagecondamne ?

    (Elle prend son miroir.)

    Est-ce bien moi ? oui;

    (Soupirant.)

    mais o sont les neiges d'antan !(Calme.)

    On dit cela... Mais comment est-il donc possibleque l'enfant que j'tais jadis puisse un jour con-natre la vieillesse ! Etre une vieille ! La vieilleMarchale !

  • DU

    cela? Ce sont l des secrets, de lourds secrets...et nous sommes sur terre pour en souffrir... Pourtre heureux,

    (Soupirant, trs calme.]

    le tout et de savoir souffrir.

    Octave(entre par la droite en costume du maiin, bott.)

    La Marchale(calme, souriant demi).

    Ah ! toi ! Te revoil !

    Octave(tendrement)

    .

    Tu sembls triste !

    La Marchale.

    Non, c'est dj fini. Tu connais mon humeur,tantt joyeuse et tantt triste. Comment changermes penses? Que veux-tu? Je n'y puis rien.

    Octave.

    Je sais d'oii te vient cet moi, cher cur. C'estque tu viens d'avoir si grande crainte. N'est-ilpas vrai ? Avoue-le moi ! Tu as eu peur, chreme, pour moi !

    La Marchale.

    Peut-tre bien... Mais j'ai bientt repris cou-

  • Dl

    rage, je me disais tout bas : Rassure-toi, cen'est rien ! Si je m'tais trompe?

    Octave(gament)

    .

    Ce n'tait pas le Marchal,, mais rien qu'uncousin trs bte. Tu m'appartiens, tu m'appar-tiens !

    La Marchale(l'cartant).

    Octave, ne m'embrasse pas trop : qui trop em-brasse, mal treint...

    Octave(passionnment).

    Dis que tu es moi, dis !

    La Marchale.

    Oh ! sois maintenant, je t'en supplie, docile etdoux.

    (Octave veut rpondre avec vivacit.)

    La Marchale.

    De grce ! Ah ! ne sois pas comme les autres...

    Octave(sursautant avec mfiance).

    Comme les autres?

    La Marchale(se reprenant vite).

    Comme mon mari et le Baron...

  • Thrse !

    52

    Octave(pas rassur)

    La Marchale(avec expression).

    Ah I ne sois pas comme les autres!

    Octave(avec colre).

    J'ignore ce que sont les autres.

    (Soudain radouci.)

    Je sais que je t'adore. Thrse ! Hlas ! ils ontchang ton cur. Thrse, o donc es-tu ?

    La Marchale(calme).

    Mais je suis l, trsor !

    Octave

    Est-ce bien toi? Qu'alors, sans alarmes, je tepresse toujours sur mon cur! Reste dans mesbras, reste, pour que tu .sentes bien que tu es moi. Te .suis toi, tu es moi!

    La Marchale(se dgageant)..

    Sois rai.sonnable, ami. Ne sens-tu pas commetout pa.sse et comme avec le temps tout doit finir?Est-il au fond du cur rien qui pntre, rien quidemeure? A nos dsirs tout se drobe; l'objet denos rves bientt s'envole; tout se dissout et passeet fuit.

  • --))

    Octave.

    Mon Dieu, que dis-tu l! \'eux-tu me fairecroire que tu ne m'aimes plus?

    (Il pleure.)

    La Marchale.

    Sois raisonnable, enfant!(Octave pleure plus fort.)

    La Marchale(calme).

    Faut-il que maintenant je te con.sole de ce queton amour, tt ou tard, mourra sans doute?

    (Elle le caresse.)

    Octave.

    Tt ou tard, que dis-tu ?(Avec violence.)

    Qui donc aujourd'hui te fait dire ces choses,Thrse ?

    La Marchale.

    As-tu si peur des mots? Le temps lui-mme,ami, le temps ne fait rien l'affaire. Le temps estsubtil comme un poison ; on ne le sent pas, tantque l'on aime; mais soudain, un jour, on ne sentplus que lui. Il est autour de nous, il pntre ennous-mme. En nous sans cesse il jlisse; dans lemiroir il coule; il ride nos pauvres visages; mmeentre nous son onde coule encore, sans bruit,silencieuse. Oh ! ami ! Parfois, j'entends sa course

  • 54

    incessante. Alors, dans la nuit, soudain je me lvepour arrter moi-mme les pendules... Pourtant,il ne faut pas le craindre ainsi : le temps est commenous une uvre de ce Dieu qui nous a crs.

    Octave(avec une tendresse calme).

    Mon cher amour, voulez-vous donc toute forcetre triste? Quand je suis l, quand je tiens tamain si douce dans la mienne, quand mes yeuxdans tes yeux se plongent avec ivresse, quand jesuis toi, est-ce l'heure d'tre triste?

    La Marchale(trs srieusement).

    Ce soir mme ou demain peut-tre tu fuiras loinde moi pour en aimer une autre plus jeune,

    (Hsitant un peu.)

    plus belle que moi.

    Octave.

    Tu me repousses par des paroles lorsque tesmains me retiennent!

    La Marchale(calme).

    Ce jour viendra bien vite; oui, ce soir mme oudemain. Octave !

    Octave.

    Non, non, jamais, je t'aime tant! Non, non,jamais! Et si pareil jour devait venir, je ne veux

  • 33

    pas p*^nser ce jour. Ce jour serait ma mort, jene veux pas y croire. Pourquoi, sans cause, nousattrister ?

    La Marchale.

    Va, j'attends l'heure o notre amour se brisera.Non, non, je ne veux pas t'attrister. Je suis sin-cre, aussi bien pour moi que pour toi-mme. Jeveux rendre douce notre peine. L'me lgre, lecur lger , en amour, pour tre heureux, c'estla devise des sages... La vie, hlas! punit lesautres et Dieu de leur misre n'a pas piti.

    Octave.

    Aujourd'hui tu parles comme un prtre ! Est-ce dire que plus jamais je ne doive t'treindre jus-qu' perdre haleine?

    La Marchale(doucement).

    Enfant, il faut partir. Je reste seule. C'estl'heure de la messe. Ensuite, j'irai chez mon vieiloncle. Perclus et malade, il aime tant me voirauprs de lui ! Puis plus tard, vers le soir, quelquemessager, ami, ira te dire si je dois aller au parc.Et si j'y vais, peut-tre bien toi-mme alors vien-dras-tu m'y joindre et chevaucher un moment ma portire. Mais, maintenant, il faut partir.

    Octave(bas).

    Je t 'obis, Thrse.(Il sort. Pause.)

  • 56

    La Marchale(seule, s'lance avec passion).

    Il est parti sans un baiser.

    (Elle sonne violemment; des laquais arrivent par lala droite.)

    Courez aprs le Comte; il faut encore que je luidise un mot.

    'Les laquais disparaissent rapidement.)

    La Marchale.

    Comment hlas! a-t-il pu partir, partir sans unbai.ser I

    (Les quatre laquais reparaissent, hors d'haleine.)

    Premier Laquais

    Monsieur le Comte est dj loin.

    Deuxime Laquais

    Ds la porte il tait en .selle.

    Troisime Laquais

    L'cuyer l'attendait.

    Quatrime L.aouais

    Ds la porte il tait en .selle, comme le vent.

    Premier Laoums

    Il a disparu comme le vent.

  • - 57 -

    Deuxime Laquais

    Nous avons couru

    Troisime Laquais

    Nous avons cri...

    Quatrime Laquais

    C'est en vain.

    Premier Laquais

    Il a disparu comme le vent.

    La Marchale.

    C'est assez, retirez-vous.

    (Les laquais se retirent.)

    La Marchale(appelle).

    Toi, Mohamed !(Le petit- ngre entre en faisant tinter ses clochettes

    et s'mcline.)

    La Marchale.

    Cet crin...

    Le Ngre(prend vite l'crin de maroquin.)

  • 58

    La Marchale.

    Mais tu ne sais pas... Cours vite chez le Comte,dis-lui que c'est l'crin de la rose d'argent. Ilsaura ce qu'il doit faire.

    (Le ngre sort en courant.)

    La Marchale

    fappuie sa tte sur la main et reste ainsi dans uneattitude rveuse, jusqu' la dernire note de l'orchestre.)

    RIDEAL

  • DEUXIME ACTE

    Un salon chez M. de Faninal. Au milieu, une portedonnant dans le vestibule. Portes gauche et droite.A droite galement une grande fentre. Des deux ctsde la porte du milieu, des chaises contre le mur. A chacundes coins arrondis une grande chemine. Le rideau selve.

    Faninal(sur le point de prendre cong de Sophie .

    Quel jour de gloire ! Quel jour heureux I Queljour bni ! Quel jour sacr !

    Sophie(lui baise la man.)

    Marianne Leitmetzerin, La Dugne.

    Venez admirer le superbe carrosse. Les rideauxsont en .-^oie ! Quel quipage, voyez !

    L ' LxTEND.JkNT(non sans familiarit, Faninal).

    Il est grand temps que Votre Grce parte. Lepre du fianc nous l'a bien dit : l'usage veut que

  • 60

    vous soyez parti avant que le garon d'honneursoit l !

    Faninal.

    Je n'y puis croire.

    L'Intendant

    Devant la porte, il ne faut pas qu'il vous ren-contre.

    Faninal.Quand je reviendrai, fillette, j'amnerai ton

    futur par la main.

    Marianne

    es noble etchenau.Le trs noble et trs haut Seigneur de Ler-

    (Faninal part.}

    Sophie(s'avanant, seule).

    Voici donc l'heure solennelle oi^i la grce, mon Dieu trop aimable, au-dessus de moi m'lveet me remet dans les bras sacrs d'un poux.

    Marianne( la fentre).

    Il est mont! Derrire lui grimpent Antoineet Xavier.

    Sophie(elle a grand peine garder contenance).

    ....comme je voudrais humblement t'ofrir moncur.

  • 61

    Marianne.\'oici que le cocher saisit les rnes I Les fentres

    sont pleines.Sophie.

    Hlas ! pour tre humble cette heure, il fau-drait... m'humilier !

    Marianne(trs excite).

    La ville entire est en moi !

    Sophie(elle se recueille avec peine).

    M'humilier et reconnatre mes fautes, mes tortset mes pchs, ma faibles.se et mon trouble !

    Marianne.

    Au sminaire tous les pres sont l ! sur les ter-rasses ! L'n vieux bonhomme juche sur la lan-terne.

    Sophie.

    ;Ma mre en mourant, hlas! m'abandonna. Jesuis seule et sans appui. Mais le mariage est ungrand sacrement.

    (Encore de loin.)

    Trois Chasseurs(en bas dans la rue).

    Rofrano! Rofrano !

    Marianne(comme plus haut).

    C'est lui, c'est lui ! Ses deux carrosses s'avan-cent, superbes; l'un est vide, et dans l'autre, lui-mme il a pris place, le noble chevalier.

  • 62

    Sophie(commei plus haut).

    Je ne dois pas, de ma prochaine gloire, trevaine, me montrer vaine...

    (Les domestiques et les chasseurs suivent la voitured'Octave dans la rue en criant : Rofrano ! Rofrano! }

    Sophie(n'y tenant plus).

    Que disent-ils donc ?

    Marianne.

    Ils clament le nom du chevalier et des cousinsqui demain seront ta nouvelle famille; entends-tu ?Devant lui, tous font la haie;

    (Avec des gestes pleins (Tanimation.)

    sa suite marchent ses laquais.(La voix des trois chasseurs se rapprochant : Rofrano

    Rofrano I )

    Sophie.

    Clameront-ils aussi fort le nom de mon fiancquand vers nous il va venir?

    Marianne(pleine d'enthousiasme).

    Ils ouvrent la portire ! Il descend de brocartd'argent il est tout couvert de pied en cap. Ondirait qu'un ange vient vers nous.

    (Elle ferme vivement la fentre.)

    Sophie.

    Bont divine ! l'orgueil, hlas ! est un vilain

  • 63

    pch, mais j'y cde malgr moi-mme. Je n'ypuis rien. C'est que tout est si beau, si beau !(Deux laquais de Faninal ont ouvert la porte du milieu.)(Octave entre, tout de blanc et d'argent vtu, la tte nue,la rose dargent la main. Derrire lui ses gens, portantsa livre : blanc et vert ple. Les laquais, les heiduques,avec leurs sabres hongrois recourbs, au ct; les chas-seurs en peau de chamois blanche, avec des plumesd'autruche vertes. Juste derrire Octave, un ngre quitient son chapeau et un autre laquais tenant gament desdeux mains l'crin de maroquin de la rose d'argent.Derrire, la livre de Faninal. Octave, tenant la rose danssa main droite, s'avance vers Sophie avec un noblemaintien; mais la timidit altre et rougit son visage

    de jeune garon.)(Sophie, sa vue. est devenue d'une pleur mortelle. Ilsse tiennent l'un devant l'autre. Leur embarras et leur

    beaut accroissent leur trouble rciproque.)

    Octave ,(avec un peu d'hsitation).

    L'honneur insigne m'est chu de prsenter avecl'hommage de mon respect, de la part de moncousin le Baron de Lerchenau, la rose symbo-lique la noble jfance.

    Sophie(prenant la rose).

    J'en suis Votre Grce trs oblige... J'en suis Votre Grce et pour jamais trs oblige.

    (Ils restent un instant troubls.)

    Sophie,

    (sentant la rose).

    Quel doux parfum ! On dirait une rose vri-table !

    Sophie.

    Oui, une goutte d'huile de rose v fut verse.

  • 64

    Sophie.Les roses de la terre n'ont pas ce parfum qui

    vient du Paradis.Octave se penche sur la rose, qu'elle lui tient, puis il

    regarde la bouche de Sophie.)

    SophieC'est un parfum cleste; il est si troublant qu'

    peine je puis le supporter. On dirait qu'il glissecomme un vertige dans le cur :

    (Bas.)

    N'ai-je pas autrefois connu cette ivresse?

    OCT.AVE(comme inconsciemment et plus bas encore).

    X'ai-je pas autrefois connu cette ivresse?

    Sophie(avec expression).

    Je veux goter encore le charme de ce rve,fallt-il en mourir! Mais non, pourquoi mourir,c'est l'heure de vivre. Instant suprme plus beauque l'ternit! J'en veux garder la mmoire jus-qu'au dernier jour.

    OCT.AVE(en mme' temps qu'elle).

    Mais je n'tais qu'un pauvre enfant avant del'avoir vue. Par quels chemins suis-je prs d'ellevenu? Comment vint-elle vers moi? Si je n'taisun homme, je croirais dfaillir. Instant plus beauque l'ternit! J'en veux garder la mmoire jus-qu'au dernier jour.(Cependant les gens d'Octave se sont rangs en arrire.Les serviteurs de Faninal, avec l'intendant, droite. Le

  • 65

    laquais d'Octave donne lcrin Marianne. Sophie,triompliant de son embarras, passe la rose Mariannequi la renferme dans l'crin. Le laquais au chapeaus'approclie derrire Octave ei lui tend son chapeau. Lalivre d'Octave se relire tandis qu'au mme moment lesserviteurs de Faninal apportent au milieu du salon troissiges, deux pour Octave et Sophie, un autre, en arrireet de ct, pour la dugne. En mme temps, l'intendantde Faninal, portant l'crin avec la rose, disparat par laporte de droite. .\ussitt les serviteurs de Faninal se

    retirent aussi par la porte du milieu.)(Sophie et Octave se tiennent l'un en face de* l'autre, enquelque faon revenus sur terre, mais embarrasss. Surun geste de Sophie, tous deux prennent place, la dugnede mme, juste au moment o l'intendant, qu'on ne voit

    plus, ferme du dehors, la porte de droite.)

    Sophie.Dj je vous connais, mon cousin !

    OCT.WE.

    Se peut-il, ma cousine ?

    Sophie.Oui, mon cousin, par le livre d'honneur de la

    haute noblesse; car j'en fais ma lecture tous lessoirs; J'y cherche tous les noms des barons et desprinces dont je serai parente.

    OCT.WE.

    Est-il vrai, ma cousine?

    Sophie.

    Je sais votre ge, mon cher cousin : dix-sept anset deux mois. Et je sais tous vos noms debaptme : Octave, Maria, Honor, Bonaventure,Fernand, Hyacinthe.

  • 66

    Octave.Vous en savez, je crois, plus long que moi.

    Sophie(rougissant).

    Je sais encore...

    Octave.

    Que savez-vous? Dites-le, ma cousine!Sophie

    (sans le regarder).

    Bb...

    Octave(riant)

    .

    Vous savez mon surnom !

    Sophie.Ainsi, n'est-ce pas, vos amis vous nomment, et

    les charmantes dames dont je vous crois fortl'ami.

    (Avec navet.)

    Rien ne vaut le mariage; c'est votre avis aussi?Ou bien par hasard n'y penseriez-vous pas?Pourtant, le clibat est un tat bien mesquin.

    Octave(bas).

    Que de beaut !Sophie.

    Certes, quand on est homme, on peut restergaron; mais pour nous autres il faut bien nousmarier. Aussi pour mon mari, ma gratitude estgrande.

  • 67

    Octave(bas, avec motion).

    Mon Dieu, comme elle est belle, j'en suis toutbloui !

    Sophie.

    Je saurai faire honneur au rang qu'un si noblepoux me donne.

    (Trs \'ivement.)

    Si quelqu'une prtendait m'en remontrer sur lesmanires, les convenances ou les us, je sauraisbien, au besoin par des gifles, faire en sorte qu'onrende hommage mes faons; on peut comptersur moi pour me dfendre contre les affronts.

    Octave(vivement)

    .

    Comment p>ouvez-vous croire que nul jamaisvous veuille faire affront ? Comment ne seriez-vous pas toujours la plus belle?

    Sophie.

    Vous vous mocjuez, mon cousin?

    Octave.

    Oh ! ne le crovez pas

    Sophie.

    Vous pouvez rire, j'y consens. De vous, moncousin, rien ne peut me fcher, car, au monde,jamais personne encore, j'en jure sur mon me,

  • 68

    non jamais ne m*a tant plus que vous... Maisc'est, je crois, mon futur que voici.

    (La porte de derrire s'ouvre. Tous trois se lvent et vontvers la droite. Faninal condmt crmonieusement leBaron vers Sophie en lui cdant le pas. La livre deLerchenau le suii sur ses talons : d'abord l'aumnieravec le fils et le v..let de chambre. Puis le chasseur, avecun lourdaud de sa sorte, portant un empltre sur sonnez dfonc; puis deux autres du mme acabit qui ontrevtu la livre en sortant de leur champ de betteraves.Tous trois portent, comme leur matre, de petits bou-quets de myrthe. Les serviteurs de Faninal restent

    Tarrire-plan.)

    Faninal.

    A \^otre Grce je prsente ma future.

    Le Baron.(fait la rvrence, puis Faninal).

    Dlicieuse ! Je vous fait compliment !

    (Il baise la main de Sophie, comme pour goter.)

    Attaches fines! J'y tiens normment, car, dansla bourgeoisie, c'est une raret.

    OCTA\'E( demi-voix).

    Je suis tout hors de moi.

    Faninal.

    Permettez que je vous prsente dame MarianneLeitmetzerin.

    (Il prsente Marianne qui fait trois fois le plongeon.)

  • 69

    Le Baron(l'cartant avec humeur).

    Laissez cela. Remercions ensemble mon cousinle chevalier.

    (Avec Faninal il s'approche d'Octave en lui faisant dessaluts auxquels Octave rpond. La suite de Lerchenause tient enfin tranquille aprs avoir presque renvers

    Sophie, et recule de quelques pas.)

    Sophie(se tenant droite, avec Marianne, mi-voix).

    Quelles sont ces manires? Est-ce un maqui-gnon et croit-il tre ici pour conclure un march?

    Marianne(mme jeu).

    Un chevalier peut se permettre dans certains casquelque sans-gne. Pense bien son rang, cequ'il fait de toi et ta timidit passera.

    Le Baron( Faninal).

    C'est tonnant comme ce garon ressemble certaine fillette... une btarde et, ma foi, fort gen-tille...

    (Lourdement, familirement.)

    Nul ne l'ignore dans l'aristocratie et la princesseme l'a di^

    (Avec aisance.)

    Mais puisque Faninal va pour ainsi dire tre denos parents, tu me permettras, cousin, de direque c'tait un farceur que ton pre; il est, je le

  • 70

    proclame, en bonne compagnie, cet excellent mar-quis, car je me flatte d'en tre un.

    Sophie

    Bon, il me laisse en plan, le gros lourdaud; etc'est, parat-il, mon futur. Il est tout grl. Quellehorreur ! O mon Dieu !

    Marianne.

    Va, s'il ne te plat pas par devant, petiteingrate, regarde-le de dos et tu verras un signequi te plaira.

    SophieEh I qu'a-t-il donc de si beau dans le dos?

    Marianne(la singeant).

    Eh ! qu'a-t-il donc de si beau dans le dos? Quec'est un chambellan de Sa Majest, que pour mariton saint patron ici te donne.

    Le Baron(en mme temps Faninal).

    Beau-pre, regardez ce grand garon, le blondtout au fond. Je ne puis le montrer du doigt, maisil se fait remarquer par une noble contenance. Cen'est par parce que je suis son pre, mais c'est,je puis le dire, un garon extraordinaire...

    (L'intendant s'approche poliment des gens de Lerchenauet les fait sortir. De mme les serviteurs de Faninalsortent, l'exception de deux, qui restent pour servir

    du vin et des douceurs.)

  • 71

    Fanixal(au Baron).

    Vous plairait-il un peu de ce vin de Tokay?(Octave et le Baron se servent.)

    Le Baron.Bien, Faninal ! On connat le bon ton. Servir

    un vieux vin de Tokay au jour des fianailles ;j'approuve vos manires.

    (A Octave.)

    On doit toujours marquer ces nobles de paco-tille qu'entre eux et nous il y a une distance. Ilfaut montrer avec eux un peu de hauteur.

    Octave(avec malice).

    Votre courtoisie est admirable. C'est tout faitl'air du grand monde. Quel ambassadeur hors-ligne vous pourriez faire !

    Le Baron(avec rudesse).

    Mais la petite nous attend. Je veux causer prsent avec elle, pour savoir ce qu'elle a dans leur.

    (Le Baron passe, prend .Sophie par la main et l'emmneavec lui.)

    Eh bien! bavardons un moment. Dites un peu,ma belle, ce qui pour vous dans le mariage paratle plus sduisant.

    (Le Baron s'assied et veut l'attirer moiti sur sesgenoux.)

  • 72

    Sophie(se dgageant de lui).

    A quoi pensez-vous ?

    -Le Baron(avec aisance).

    Bah ! A quoi je pense ? L, venez tout prs demoi et vous saurez bientt quoi je pense.

    (Mme jeu, Sophie se dgage de lui avec plus de vivacit.)

    Le Baron(avec aisance).

    Serait-il prfrable de nous ennuyer avec descrmonies inutiles : Mille pardons, excusez-moi,Retirez-vous, Eh quoi! Monsieur?

    SophieJ'aimerais cela cent mille fois mieux, certes!

    Le Baron(riant).

    Mais pas moi ! Vo3^ez-vous ! Quelle diffrence Rien ne vaut, mon gr, le sans-faons quand onveut se montrer galant.

    (Il fait mine de l'embrasser, elle s'en dfendnergiquement.)

    Faninal.(aprs avoir offert Octave la seconde chaise, que celui-

    ci refuse, part).

    Quelle fiert! M. de Lerchenau me fait l'hon-neur de caresser ma fille, comme s'ils taient

  • 73

    maris. Je vois chez moi, comme si cela m'taitd, un comte Rofrano, s'il vous plat ! Le frredu grand cuyer de bouche !

    Octave(avec colre, part).

    Le vilain drle ! Si je pouvais le rencontrer aveccet instrument assez loin pour que nul m'entende !Je ne demanderais que a !

    Sophie(au Baron).

    Ah ! laissez-moi, je ne vous connais pas

    Le Baron( Sophie).

    Aurais-tu donc peur du cousin Octave? Enfan-tillages! Sais-tu qu' Paris, qui passe pour l'coledes manires, les poux ne cachent presque riende leurs tendres bats et, pour les voir, parfoisl'usage est d'inviter des amis et jusqu'au roi lui-mme !(Il devient de plus en plus tendre avec elle. Sophie ne

    sait que faire.)

    Faninal( part).

    Si mon palais tait de verre, pour que la troupemisrable des envieux puisse en famille nous voirrunis ici Pour a, je donnerais ma maison laplus belle, oui, ma foi !

  • 74

    Octave(furieux).

    Me faudra-t-il longtemps le voir traiter ainsi lapauvre enfant ?

    Le Baron( Sophie).

    Pourquoi tant d'embarras? N'es-tu donc pas moi ? C'est merveille, c'est parfait, et tout mar-che souhait.

    (Presque part, la cajolant.)

    Bien ma taille... les paules tendres... Maigresencore, qu'importe? mais si blanches, d'un teiclat que j'en suis bloui. C'est une chance dignede moi.

    (Sophie s'arrache lui et trpigne.)

    Le Baron(avec satisfaction).

    Ah ! nous faisons la mauvaise tte.(Il se lve et la suit.)

    Le sang si fort te monte aux joues que ma mains'y brlerait.

    Sophie(rouge et ple de colre).

    Et que fait l votre main ?

    Octave(avec une rage muette crase le verre qu'il tenait .

    la main et en jette par terre les clats.)

  • ~ 75

    La Dugne.(court avec grce vers Octave, ramasse les clats et se

    prcipite vers lui avec ravissement).

    Il est trs familier vraiment, ce cher Baron IIsait pour vous plaire, trouver des propos sigalants !

    Le Baron(tout contre Sophie).

    C'est tout ce que j'aime ! Xi les langueurs ni lestendresses ne sauraient si srement me rendre-heureux.

    Sophie(hardiment, en plein visage).

    Et qui vous dit que ce soit mon dsir ?

    Le Baron{avec bonhomie).

    Bon gr, mal gr, tu finiras par faire mon bon-heur.

    Octave( part, ple de colre).

    Partons, partons et sans un mot ou je ne saispas trop ce qui pourrait bien arriver. Quittons-cette demeure l'instant.

    (Cependant le notaire est entr avec le greffier, conduitpar l'intendant qui l'annonce voix basse M. deFaninal. Faninal se retire vers le notaire, cause avec lui-et parcourt un cahier d'actes que lui prsente le greffier.)

    Sophie(entre les dents).

    Jamais personne ne me tint de pareils propos.

  • 76

    Je voudrais bien savoir ce qui vous prend tQu'tes-vous donc pour moi ?

    Le Baron(avec bonhomie).

    Une nuit suffira pour que tu saches bien ce queje suis pour toi. Comme dans la chanson... \^eux-tu l'entendre? La, la, la, la, la.

    (Avec beaucoup de sentiment.)

    Mon cur sera tout pour ton cur : avec moi,,avec moi, ta chambrette te plaira. Loin de moi,loin de moi, tu languiras tout le jour.

    (Lourd et elTront.)

    Prs de moi, prs de moi, courtes seront tes nuits.

    Octave(sans regarder mais voj^ant tout ce qui se passe).

    Je souffre le martyre ! Je me sens hors de moi !J'expie an un seul moment tous mes plus vieuxpchs.

    SOPIUE(que le Baron serre toujours plus fort contre lui s'arrache

    et le repousse violemment.)

    Marianne(courant vers Sophie).

    Tu vois comme il est familier, ce cher Baron !'Il sait, pour plaire, trouver des propos galants.

    (Elle !ui fait nerveusement la morale.)

    Qu'il a des propos g'alants, ce cher Baron !

  • 77

    Le Baron( part, trs satisfait).

    Ma chance en tous lieux reste digne de moi ! Enamour, il n'est rien qui m'excite et m'enflammeet rajeunisse tout mon sang autant que lesrigueurs.

    (Faninal ei le notaire, suivis du greffier, se sont avancsau premier plan, gauche.)

    Le Baron(ds qui] aperoit le notaire, en hte, Sophie, sans se

    douter de ce qui se passe en elle).

    Mais pensons au contrat : il faut que je m'ex-cuse, on a besoin de moi. Cependant le jeuneOctave vous tiendra compagnie.

    Faninal.

    Voudriez-vous pas entrer pour le contrat?

    Le Baron(avez zle).

    Je suis tout vos ordres.

    (En passant devant Octave qu'il saisit avecfamiliarit.)

    Si a t'amuse, je te permets, la petite, cousin,de faire un brin de cour. Parbleu, c'est un vraihrisson et je serai fort aise qu'on la dgourdisse.C'est ainsi que l'on dresse les jeunes chevaux.Tout l'avantage en somme est pour le malin quisait s'y prendre et de son droit conjugal connatles intrts.

    (Le Baron se dirige vers la gauche, le serviteur qui aintroduit le notaire, a ouvert la porte de gauche. Faninalet le notaire ^e prparent y entrer. Le Baron toise

  • 78

    Faninal et lui signifie d'avoir prendre trois pas de dis-tance. Faninal se retire humblement. Le Baron prend laprsance, s'assure que Faninal garde bien les trois pasde distance et disparat gravement par la porte degauche. Faninal le suit, puis le notaire, puis le greffier.Le domestique ferme la porte de gauche et s'en va, maisen laissant ouverte la porte deux battants du vestibuleLe domestique qui servait est dj parti. Sophie restedebout, droite, trs trouble et honteuse. La dugne, ct d'elle, fait des rvrences la porte jusqu' ce que

    celle-ci se ferme.)

    Octave(jette un regard en arrire pour s'assurer que les autressont partis; il s'approche vite de Sophie, tremblant et

    agit.)

    Allez-vous pouser cet homme, ma cousine?

    Sophie(faisant un pas vers lui, bas).

    Au grand jamais!

    (Jetant un regard sur la dugne.)

    Mon Dieu, si nous tions seuls, je voudrais vousprier... je voudrais vous prier

    Octave( demi-voix, vite).

    De quoi voulez-vous me prier? Parlez vite.

    Sophie(faisant encore un pas vers lui).

    G mon Dieu, de me secourir Mais, non... j'ou-bliais; vous ne voudriez pas desservir un cousin.

  • 79

    Octave(avec vivacit).

    Un cousin de complaisance! Dieu merci, je nele connais gure; pour la premire fois hier jel'ai vu.

    (A travrs le vestibule passent en courant quelques fillesde la maison ayant sur leurs talons les domestiques deLerchenau. Le valet de chambre et celui qui a un empl-tre sur le nez courent aprs une jolie fillette et arrivent,presque sur le seuil du salon, la serrer d'trangement

    prs.)

    L'Intendant de Faninal.(entre en courant, troubl).

    J'en perds la tte! Les gens du Baron sontivres; ils coursent les fillles ! Ils en font plus quedes Turcs ou des Croates !

    Mari.anne.

    Appelez nos domestiques; o donc sont-ils?(Elle sort en courant avec l'intendant, ils arrachent leurproie aux deux domestiques, et l'emmnent; le vestibule

    reste vide.)

    Sophie(d'une voix libre, maintenant qu'elle n'est plus observe.)

    En vous j'ai confiance, mon cousin; en vousvoyant j'ai devin que vous pouviez me secourir,si seulement vous vouliez bien.

    Octave.

    Si vous savez vous dfendre, je vous aiderai.Faites cela pour vous, et puis je paratrai.

  • 80

    Sophie(avec conflancet, presque tendrement).

    Mais qu'est-ce donc que je dois faire?

    Octave(bas).

    Trouvez vous-mme.

    Sophie(sans dtourner de lui les yeux).

    Et vous, cousin, que pouvez-vous pour moi?Dites-le moi ?

    Octave(avec dcision).

    Il faut que pour nous deux vous soyez brave.

    Sophie.

    Quoi? Pour nous deux? L'aimable parole!

    Octave(bas).

    Pour nous deux.

    Sophie(avec un abandon joyeux).

    Jamais encor mot si doux ne me ravit !

    Octave(avei; plus de force).

    Que, pour nous deux votre cur parle et reste...

  • Sophie.Reste ?

    Octave.

    ...Ce qu'il est.

    {Sophie lui prend la main, s'incline sur elle et la baisevite avant qu'elle n'ait eu le temps de la retirer. Il lui

    donne un baiser sur la bouche.)

    Octave(tendrement, la tenant dans ses bras o elle s'abandonne)

    Ses yeux s'emplissent de larmes en me voyant.Sa main cherche ma main. Son front sur monpaule s'incline. Son pauvre cur est pleind'moi. Comment, hlas ! la secourir cetteheure? En vain je cherche, oui. Mais il suffit mon me de te presser ainsi. Rpomds-moi, maisrponds sans rien dire. Est-ce ton cur lui-mmequi se donne ? Dis oui ou non ? Ne rponds pointpar des paroles. Qui t'a conduite moi? Dis?Est-ce le souci ? C'est Dieu lui-mme qui medonne ton cur et tes doux yeux. Dis? N'est-cepas comme un beau rve qui renat et se rveille,un rve d'autrefois? Le sens-tu pas, dis? Le sens-tu pas aussi ? Mon cur, mon me t'appartiennentet te suivront partout. Mon cur et mon met'appartiennent, oui, j'en fais serment, pour tou-jours ils sont toi.

    Sophie.J'ignore quel pouvoir m'entrane

    ;j'ignore

    presque oii je suis. Et lorsque ainsi son bras mepresse, il n'est plus rien que je redoute. Je vou-drais rester l toujours, quoi qu'il puisse arriver

  • - 62

    et comme au fond d'un nid dans les branches,sentir sans cesse qu'il est auprs de moi ! Angoisseet peur devraient m'treindre en ce moment, mais,dans le cur, je ne sens que joie et bonheur. Jene sais comment le dire... Ce que je fais, est-cedonc mal? J'avais si grande peine lorsqu'il aparu ! Quand son visage m'a souri, en voyant sonregard jeune et clair, heureuse et confiante, j'aiconnu mon destin et depuis je ne vois plus que lui.Oh ! reste avec moi ! Oh ! reste ainsi, ami; que tonbras me protge. Tes ordres, je veux les suivre;reste auprs de moi. Ah ! reste auprs de moi.(Par les portes secrtes des coins du fond se glissent etcoutent sans bruit, gauche Valzacchi, droite Annina.Ils s'approchent sans bruit, lentement, sur la pointe despieds. A un moment les deux Italiens sont tout contreOctave et Sophie, en arrire, tapis derrire des fauteuils.

    A leurs derniers mots, les deux Italiens s'lancent.Annina saisit Sophie et Valzacchi, Octave.)

    Valzacchi et Annina(criant ensemble).

    Monsieur de Lerchenau ! Monsieur de Lerche-nau !

    Octave(saute de ct, droite.)

    Valzacchi.(le retenant grand'peine, hors d'haleine, Annina).

    Cours! ramne-le vite! Va! Va vite; moi, jegarde le Monsieur.

    Annina.

    Si je la lche, elle fuira

  • 63

    Tous LES DEUX.

    Monsieur de Lercheniu ! Monsieur de Lerche-nau ! Votre fiance est l au bras d'un jeune cava-lier. Venez vite par ici ! Eccol

    Le Baron(entre par la porte de gauche. Les Italiens lchent leursvictimes, sautent de ct et s'inclinent devant le Baronavec des gestes significatifs. Silence inquitant. Sophiese serre avec angoisse contre Octave. Le Baron, les bras

    croiss sur la poitrine, considre le groupe.)

    Le Baron.Eh bien, Mams'elle ? Qu'avez-vous me dire?

    Sophie(se tait).

    Le Baron.

    Allons, rpondez, j'attends.

    Sophie.Mon Dieu, que puis-je dire, vous ne compren-

    drez pas.

    Le Baron(avec bonhomie).

    C'est ce que nous verrons.

    Octave(faisant un pas vers le Baron).

    Vos affaires, je dois vous le dire, mon cher cou-sin, ont pris en un moment fort mauvais tournure.

  • _ 84

    Le Baron(avec bonhomie).

    Mauvaise? Moi? Bah? Allons donc!

    Octave.Pour vous quelque amre aventure! Sophie...

    Le Baron.Peste, mon jeune ami, vous n'tes pas limide

    avec vos dix-sept ans et je vous flicite.

    Octave.Sophie...

    Le Baron.(presque part).

    N'ai-je pas jadis t de mme? Voyez ce petitgalopin : il nous fait rire.

    Octave.Sophie...

    Le Baron.

    Donc elle est muette et vous a dsign pourprendre sa dfense.

    Octave.Sophie...

    (Il s'arrte de nouveau comme pour laisser parlerSophie.)

    Sophie(avec angoisse).

    Non, non, je ne dis pas un mot. Parlez pourmoi.

  • Sopliie..

    85

    Octave(avec dcision).

    Le Baron(le singeant).

    Sophie... Sophie... Sophie... Sophie... i fautqu'enfin la comdie finisse. Allons, dguerpissezou je vais me fcher.

    Octave(trs dcid).

    Sophie, en un mot, vous dteste.

    Le Baron.

    Pour cela, Dieu merci, j'en ferai mon affaire.

    (Allant vers Sophie.)

    Maintenant, nous allons ici, sans plus tarder,donner les signatures.

    Sophie(reculant).

    Non, non, jamais je ne lui donnerai ma main.Un chevalier peut-il donc tre aussi brutal ?

    Octave(qui est maintenant entre eux deux, gauche, trs

    violemmeni)

    .

    C'est bien compris! Sophie a dcid pour toutde bon que vous resteriez clibataire jusqu' lafin des temps.

  • --. 86

    Le Baron(avec l'air d'un homme qui veut en finir).

    Mancari ! Vains propos! Cela n'a pas le senscommun. Assez parl.

    (Il la prend par la main.)

    Octave(barrant la porte dans toute sa largeur).

    Avez-vous dans les veines une goutte de sang?Alors, ce que j'ai dit vous servira de leon.

    Le Baron(faisant comme s'il ne l'entendait pas, Sophie).

    Je veux bien fermer l'il : c'est par leur gran-deur d'me que se font connatre les vrais gentils-hommes.

    (Il fait mine de passer avec elle devant Octave.)

    Octave(la main sur son pe/).

    De connatre un gentilhomme n'est-il pasd'autres manires?

    .

    Le Baron(sans quitter Sophie et la poussant contre la porte).

    Ah ! moi je n'en sais pas.

    Octave(clatant).

    En ce cas, j'estime que vous ne l'tes pas.

  • 87

    Le Baron(avec grandeur).

    Vraiment, si j'ignorais vos sentiments pourmoi, si nous n'tions parents, j'aurais grand'peine, ici, me... vous... supporter cela.

    (Il fait mine de conduire Sophie, avec une apparenteindiffrence, vers la porte du milieu, aprs que les deuxItaliens, avec force gestes, lui ont fait signe de pre-ndre

    ce chemin).

    Venez! Allons rejoindre votre pre! C'est parl qu'il faut commencer.

    Octave(le suivant, et tout contre lui).

    Pardon ! Venez d'abord avec moi, s'il vousplat, dans ce jardin propice.

    Le Baron(poursuit son chemin en jouant l'indiffrence. Il tientSophie par la main et s'efforce de la conduire dans cette

    direction. Parlant par-dessus l'paule).

    Y pensez-vous? Ce n'en est pas l'instant. Pou-vons-nous oublier le notaire ? Ce serait un affrontpour la fiance.

    Octave(le prenant par la manche)

    .

    Que diable ! Navez-vous donc pas de sang ? Jevous dfends de passer la porte. Je vous le dis haute voix ; vous n'tes qu'un simple filou, uncoureur de dot, un misrable imposteur, un lour-daud ridicule, un coquin sans honneur et sansfoi! Et sur-le-champ, s'il le faut, j'en rendrairaison.

  • Sophie(S'est dgage du Baron et a saut en arrire, derrireOctave. Ils se tiennent gauche, assez prs de la porte.)

    Le Baron(mettant deux doigts dans la bouche, fait entendre un

    violent coup de sifflet!

    Ces galopins de Vienne, dix-sept ans, vousont un toupet infernal I

    ^11 regarde du ct de la porte du milieu.)

    Mais, Dieu merci, on sait dans toute la ville quelhomme est devant vous; j'appartiens la chambrede Sa Majest. Cela peut, je suppose, tenir lieude preuves. Veuillez donc, je vous prie, laisserlibre le chenin.

    (La livre de Lerchenau ,au grand complet, s'est avancepar la porte du milieu. Le Baron s'en assure par un nou-veau regard en arrire. Il ^'avance' maintenant versSophie et Octave, dcid s'emparer de Sophie et

    gagner la sortie.)

    Car j'aurais grand regret d'appeler l'aide...

    Octave(furieux).

    Oserais-tu mler cette affaire des domestiques?C'est un affront ! Dgaine et C[ue Dieu te garde.

    (Il dgaine.)(Les gens de Lerchenau qui s'taient dj avancs (iequelques pas sont un peu dcontenancs cet aspect et

    arrtent leur marche en avant.)

    Le Baron.'fait un pas pour s'emparer de Sophie).

  • 89

    Octave(lui crie).

    A toi Dgaine! ou sinon je t'embroche.

    Le Baron(reculant un peu).

    Chez une dame ! Pouah ! Soyez donc plusgalant.

    (Octave s'lance furieusement sur lui. Le Baron dgaine,se fend maladroitement et reoit aussitt la pointe del'pe d'Octave dans le haut du bras. Les domestiques

    se prcipitent.)

    Le Baron(laissant tomber son pe).

    Au meurtre! Au meurtre! Du sang! A l'aide!Au meurtre! Au meurtre!(Les domestiques se jettent tous ensemble sur Octave.Celui-ci saute droite et les tient en respect en faisantun moulinet rapide avec son pe. L'aumnier, Valzacchiet Annina se jettent au secours du Baron qu'ils soutien-

    nent et font asseoir sur une chaise du milieu.

    Le Baron(entour et dissimul par eux au public).

    J'ai le sang trop ardent ! Il faut qu'on panse laplaie ! L'n mdecin, un commissaire Je vaisperdre mon .sang! Arrtez-le! Un commissaire!Un commissaire !

    Les gens de Lerchenau(marchant sur Octave avec plus d'ostentation que

    de dci.sion).

    Frappons-le ! Frappons-le ! D'ia charpie ! D 'l'a-madou ! Qu'on le d.sarme ! Qu'on le tue l'ins-tant!

  • 90

    (Toute ladomesticil de Faninal, y compris le personnelfminin, les cuisiniers et les garons d'curie, sont

    arrivs en fouie la porte du milieu.)

    Annina{haranguant la domesticit).

    La noble demoiselle et le jeune cavalier s'taienten secret l'un l'autre accords!

    (Valzacclii et l'aumnier tent son habit au Baron qui necesse de gmir.)

    Les gens de Fwinal.L'un d'eux est bless? Qui? Lequel? Le gros

    monsieur? Lequel? Le fianc? Empoignez-lestous les deux! Mais lequel est l'agresseur? Qui?Celui l'habit blanc? Qui? Le jeune chevalier!Et pourquoi donc? C'est pour elle! La fiance!Par jalousie! Il l'a pris, Va. frapp! Haine sau-vage ! Pauvre petite ! Comme elle est ple !

    La Dugne{se fraie un chemin vers le Baron que tous entourent en

    groupes presss).

    L'n si beau seigneur ! L'horrible malheur !Quel coup rigoureux ! Quel dsastre affreux !

    Octave(tenant ses agresseurs en respect).

    Pour qui s'approche, que l'on prie! Je suis detaille me dfendre.

  • )]

    Sophie(au premier plan, gauche).

    Que va-t-il arriver? O ciel! Comme un clairil a fondu sur lui. Mais je sens seulementl'treinte de son bras! Je ne sens nulle peur, jene sens nulle peine, mais la flamme de ses yeuxme pntre le cur.

    Les gens de Lerchenau(ont abandonn Octave et s'en prennent maintenant aux

    filles de service qui sont prs d'eux).

    Apportez de la toile ! Vite, pansez-lui le bras Marchons ! Allons ! que l'on cherche de la toilepour Sa Grce !

    Sophie(appelant dsesprment Octave).

    Chre me !

    Octave(appelant dsesprment Sophie).

    Chre me !(Les gens de Lerchenau font mine de s'emparer des vte-ments des filles les plus jeunes et les plus jolies. On envient aux mains jusqu'aux premiers mots de Fanlnal.La dugne s'est lance et revient peu de temps aprs,hors d'haleine, charge de linges, suivie de deux ser-vantes avec une ponge et une cuvette. Elles entourentle Baron avec un zle empre.ss. Faninal se prcipite parla porte de gauche, suivi du notaire et du greffier qui

    restent effrays dans la porte.)

    Le B.4RON(on entend sa voix sans le voir).

    Je puis voir sans trembler couler du sang,except le mien. Oh ! oh !

    (Il crie aprs la dugne.)

  • 92

    Venez me porter secours; sauvez au moins mavie : Oh oh !(Sophie, en apercevant son pre, a couru vers la droite,

    au premier plan; elle se tient ct d'Octavequi rengaine.)

    Annina( gauche au premier plan s'avance vers Faninal avec

    force rvrences.)

    Le jeune chevalier et la belle paraissent l'unavec l'autre fort bien s'entendre. Nous les avons,pour vous rendre service, surpris tous les deux,pensant vous tre agrables !

    La Dugne(occupe aprs le Baron).

    l'n si beau seigneur! C'est un grand malheur!Quel coup rigoureux, quel dsastre affreux !

    Fanixal(qui d"abord est rest muet, porte les mains sa

    tte et clate).

    Mon gendre ciel! Qu'avez-vous donc? Quevois-je grand Dieu ! Dire qu'en mon palais un telmalheur vous arrive ! Courez chercher un mde-cin ! Qu'on vole, que l'on crve au besoin mes dixchevaux! Comment personne parmi mes laquaisn'a-t-il su s'entremettre? A quoi sert cette trouped'escogriffes, si pareille honte doit m'arriver dansmon nouveau palais?

    (Marchant sur Octave.)

    Je ne pouvais m 'attendre tel esclandre avecvous.

  • 93

    Le Baron(gmissant).

    Oh ! oh !

    Fanlnal(retournant vers lui).

    Faut-il donc voir couler si noble sang. Il rougitmon parquet.

    (Se retournant contre Octave.)

    Ah I pouah ! l'abominable boucherie !

    Le Baron.

    J'ai le sang si jeune et si bouillant qu'il couleencore. Oh !

    Faninalfmarcliant sur Octave, parlant entre le? dents).

    Eh quoi ! Monsieur le Comte; de votre prsenceen ma maison pouvais-je pas attendre autrechose ?

    Octave(poliment)

    .

    Il faut qu'on me pardonne! Je suis vraimentfort afflig de l'aventure, mais j'en suis innocent.Un autre jour, si vous voulez, on pourra vousinstruire de l'affaire que votre fille connat fortbien.

    Faninal(se matrisant avec peine).

    Vous plat-il de me dire?.,.

  • 94

    Sophie(avec dcision).

    Soyez certain, mon pre, que je vais tout vousdire : cet homme, avec moi, eut des faons indi-gnes.

    Faninal.(avec colre).

    Eh ! de qui parlez-vous? Qui voulez-vous dire?Osez-vous insulter ainsi votre futur poux?

    Sophie(calme).

    Il ne l'est plus. Je ne veux plus jamais le voir.

    Faninal.(toujours plus irrit).

    Jamais le voir?

    Sophie.

    Jamais ; vous voudrez bien, mon pre, m'ex-cuser.

    Faninal(il parle d'abord d'une voix sombre, part

    ,puis sa

    rage clate.)

    (( Il ne l'est plus... (( Jamais. Moi, t'excuser?Quand il expire! Tu voudrais... qu'un autre...

    (Il clate.)

    J'enrage. Le mariage est rompu. Tous les envieuxde la ville pourront rire mes dpens. Le n\de-cin ! Qu'on le gurisse.

    (Marchant sur Sophie, au comble- de la rage.)Tu l'pouseras.

  • 95

    (Allant vers Octave: son respect pour le comte de Rofranoramne sa grossiret au ton d'une politesse grimaante.)

    Trs poliment, Monsieur le Comte, puis-je vousprier de vouloir bien prendre la porte l'instantmme et de ne jamais reparatre ?

    (A Sophie.)

    Tu m'entends, tu l'pouseras, et s'il devait icimourir tu l'pouserais quand mme.(Arrive le mdecin, qu'on mne aussitt prs du Baron.Par un geste rassurant, il montre que le bless ne setrouve nullement en danger. Octave cherche son chapeauqui tait tomb aux pieds des domestiques : une servantele lui tend en lui faisant la rvrence. Fanlnal fait Octave un salut d'une politesse exquise, mais auquel onne peut se mprendre. Octave est bien forc de partir,mais il ne votidrait que trop dire un mot Sophie. Ilrpond d'abord l'inclinaison de Faninal par un salut

    galement profond.)

    Sophie(se hte de dire encore ce qui suit pendant qu'Octave

    peut l'entendre).

    Ni mort ni vif je ne l'pouse, non, jamais!Dans ma chambre j'aime mieux m'enfermer.

    (Rvrence.)

    Faninal(avec rage, aprs avoir fait Octave un nouveau salut

    rageur auquel celui-ci a promptement rpondu).Ah ! t'enfermer? Les domestiques sauront bien

    t'emporter en voiture.

    Sophie(avec une nouvelle rvrence).

    Je sauterai par la portire avant d'arriver.

  • 96 -

    Faninal(mme jeu entre lui et Octave qui fait toujours un pasvers la sortie mais qui, ce moment, ne peut se sparer

    de Sophie).

    Ah I par la portire? Bah ! pour te retenir, avectoi je ferai route.

    Sophie(avec une nouvelle rvrence).

    Devant l'autel, je rpondrai non cent fois. Non,vous dis-je I

    (Cependant l'intendant fait sortir les gens. La scne sevide. Seuil?, les domestiques de Lerchenau restent

    derrire leur matre.)

    Faninal(mme jeu).

    Ah vovez un peu : a Non, vous dis-je ! Jet'enferme en un clotre, Stante pede. Marche.Hors de ma vue ! Ds ce soir, le clotre et pourjamais

    Sophie(effraye).

    J'implore mon pardon : je n'ai rien fait de mal !Pour cette fois, soyez moins svre.

    Faninal(se bouchant les oreilles avec rage).

    Et pour jamais! Et pour jamais!

  • 91

    Octave(vite demi-voix).

    \'ous n'avez rien craindre, chre me, je vousdfends.

    (La dugne pousse Octave, pour qu'il s'loigne).

    Faxinal.Oui, pour jamais !

    La Dugne.(entranant Sophie avec elle, vers la droite).

    Xe reste pas ainsi prs de ton pre.

    (Elle l'entrane derrire la porte qu'elle ferme).(Octave a gagn la porte du milieu. Le Baron entour deses domestiques, de la dugne, de deux sers^antes, desItaliens et du mdecin, apparat maintenant tout entier,couch sur un lit de repos improvis avec des siges.)

    Faninal(crie plusieurs fois travers la porte de gauche par

    laquelle Sopliie est partie).

    Oui, pour jamais.(Il se hte de rejoindre le Baron.)

    Ma joie est grande et il faut que... je vous em-brasse !

    Le Baron( qui son bras fait mal pendant l'accolade).

    Oh ! oh ! oh ! oh I Jsus, Marie !

    Faninal(crie vers la droite avec une nouvelle rage'.

    Les coquins! Le clotre, ou le bagne, et pourjamais !

  • 98

    Le Baron.C'est bon, c'est bon ! A boire, je vous en prie.

    Faninal.

    Mais quoi? Du vin? du sirop de gingembre?(Le mdecin fait un mouvement effray de dfense.)

    Faninal(se lamentant).

    Frapper ainsi un noble gentilhomme ! Dansmon nouveau palais! J'avancerai le mariage, jet'en rponds.

    Le Baron(abattu).

    C'est bon ! c'est bon !

    Faninal(va vers la porte de droite, tout bouillant de fureur).

    Je t'en rponds.(Revenant au Baron.)

    Votre indulgence, votre bont m'accablent. Quefaut-il que l'on vous donne? Un mot suffira...

    (Vers la droite.)

    Trop doux est le couvent.(Au Baron.)

    Ras.su rez-vous :

    (.\vec beaucoup d'obsguiosit.)

    Je trouverai la manire de m'acquitter.(Il s'enfuit. La dugne et les servantes font de mme.Les Italiens ont disparu au cours de la scne prcdente.Bientt arrive un domestique avec un flacon ie \an : il

    sert le Baron.)

  • 99

    Le Baron(seail avec sa domesticit et le mdecin.)

    Je suis mort! Faut-il qu'un gentilhomme sevoie ainsi trait au cur de Vienne ! Je me dplaisici ; la maison me parat peu sre. Que ne suis-jechez moi !

    (En voulant boire, il fait un mou