Risque veineux en post-partum
Florence Bretelle, Dominique Arnoux, Cécile Chau, Nathalie Lavigne, C D’Ercole, Léon
Boubli.
Gynépole, AP-HM, Faculté de médecine, Université Aix-Marseille, chemin des Bourelly,
13915 Marseille cedex.
La grossesse est une situation à risque d’accident thrombo-embolique (ATE). Ce risque
est augmenté à chaque trimestre de la grossesse et lors de la période du post-partum
pendant 6 à 8 semaines. Ainsi si une patiente est identifiée à risque d’ATE ou à risque de
récidive, elle le sera tout au long de sa grossesse.
La maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) est rare chez la femme enceinte et
concerne une grossesse pour 1 000 environ. Cependant la grossesse est une situation à
risque de MTEV qui est environ 5 fois plus fréquente chez la femme enceinte que dans la
population générale. Elle est à l’origine de 5 à 10 décès par an en France, dont 1/3 serait
évitable. Certains facteurs de risque sont moins connus, leur cumul peut amener à une
prescription d’un traitement anti-coagulant.
Risque majeur -
Déficit en AT symptomatique
SAPL (clinique et biologique)
Risque élevé
Antécédent de MTEV, sans facteur déclenchant, avec ou sans facteurs biologiques de risque
MTEV familiale : statut hétérozygote pour le déficit en PC ou en PS, statut homozygote pour
le facteur V Leiden, statut homozygote pour l’allèle 20210A du gène du facteur II
anomalies combinées
Risque modéré
Antécédent de MTEV, avec facteur déclenchant et sans facteur biologique de risque
statut hétérozygote pour le facteur V Leidenstatut hétérozygote pour l’allèle 20210A du
gène du facteur II
-Facteurs de risque tirés de la clinique : césarienne (en urgence), âge>35ans, 1 ou plusieurs
facteurs prédisposants cliniques : obésité (IMC > 30 ou poids > 80 kg),
varices, HTA, multiparité 4, pré -éclampsie, alitement
maladie thrombogène sous-jacente (syndrome néphrotique, MICI, infection)
Tableau 1. Facteur de risque d’accident thrombo-embolique
La haute autorité de santé s’est positionnée concernant le contenu du bilan biologique
en fonction des antécédents thrombo-emboliques ou obstétricaux. La recommandation
actuelle récemment publiée par l’ « American Society of CHEST Physician » est de ne pas
de réaliser de bilan de thrombophilie en cas d’antécédent obstétricaux de type
vasculaire comme une prééclampsie, un retard de croissance ou une mort in utero (1).
Cette recommandation est controversée car n’émanant pas de professionnels en charge
du suivi et de la gestion quotidienne des patientes. Ces recommandations font en
revanche un état de lieux exhaustifs de la littérature. En pratique, la tendance est à
pratiquer un bilan de thrombophilie en cas d’accident TE. La HAS avait il y a plusieurs
années recommandé la réalisation d’un bilan en fonction du type d’antécédent
obstétrical, de sa sévérité et récurrence.
Tableau 2. Indication d’un bilan de thrombophilie en fonction de l’antécédent obstétrical
d’après la HAS (2)
De ce fait, le praticien se retrouve face à plusieurs situations :
– Patiente présentant un ATE sans bilan enceinte
– Patiente sans antécédent ATE mais avec une thrombophilie familiale
– Patiente avec antécédent obstétrical et thrombophilie identifiée
– Patiente avec antécédent obstétrical sans thrombophilie ou sans bilan
Face à ces différentes situations et la fréquence des facteurs de risque peu bruyant ou
mal connus, nous avons élaborés un score de risque TE. L’objectif est de pouvoir
reproduire de manière objective la stratégie médicale et de répondre à des situations
diverses. Ce score a été établi en s’inspirant de celui publié par Y Dargaud en 2008 (3).
Certains facteurs de risque en particulier des facteurs de risque reconnus dans les
dernières recommandations n’étaient pas intégrés dans ce score (CHEST 2012).
Dernière limite, ce score ne concernait pas le post-partum et ne prenaient pas en compte
les facteurs de risque apparaissant lors du travail et de l’accouchement (hémorragie de
la délivrance, anémie, ..).
L’idée de ce score est donc d’évaluer les patientes lors de la 1ere consultation, à l’arrivée
en salle de travail et en post-partum. La grossesse est un processus évolutif ou de
nouveaux facteurs de risque peuvent apparaitre. Bien souvent les patientes ne sont pas
réévaluées. Par exemple une patiente présentant deux facteurs de risque tel que l’âge et
une grossesse multiple devrait bénéficier d’un traitement préventif par héparine de bas
poids moléculaire si elle se retrouve alitée. Ce score est appliqué dans le Gynépole à
Marseille depuis septembre 2012 (Figure 1).
Il est important d’évaluer les séquelles veineuses en cas d’antécédent car en particulier
en cas de phlébite distale. Si un facteur de risque était présent qu’il a disparu et qu’il n’y
pas de facteurs de risque sur-ajouté et pas de séquelles en échodoppler, l’indication à
traiter pendant la grossesse n’est pas formelle. Une surveillance devra être mise en place
et un traitement instauré en cas de facteur de risque surajouté.
Patiente présentant un ATE sans bilan, enceinte
Si la patiente est enceinte, une partie des résultats du bilan vont être difficilement
interprétable. En effet certains facteurs de la coagulation sont modifiés pendant la
grossesse. La plupart des facteurs de coagulation augmentent alors que les inhibiteurs
physiologiques et la capacité fibrinolytique diminuent. Il existe donc un état
d’hypercoagulabilité au fur et à mesure que la grossesse progresse (en vu de
l’accouchement et de la délivrance). Pour rappel l’antithrombine n’est pas modifiée par
les hormones ; on observe cependant une baisse modérée de 15 % dans les dernières
semaines de grossesse. La protéine C augmente au 2ème trimestre puis diminue au
3ème pour à nouveau augmenter dans le post-partum. Il y a une diminution progressive
et importante de la protéine S, voisine de 50 % à terme et persistant 2 mois dans le post-
partum. Cependant la majorité du bilan est interprétable et il est primordial de ne pas
méconnaitre une grossesse lorsque l’on interprète un bilan en particulier concernant le
taux de protéine S.
Patiente sans antécédent ATE avec une thrombophilie familiale
Dans cette situation le contexte de découverte de l’anomalie est primordial. En cas d’ATE
familial, le risque thrombotique pour la patiente est important. Le type d’anomalie est
un facteur décisionnel majeur. Les anomalies présentant un risque majeur étant le
déficit en ATIII, les déficits combinés.
D’autres patientes se présentent avec une thrombophilie personnelle découverte dans le
cadre d’antécédent obstétricaux familial sans antécédent thrombo-embolique personnel
ou familial. Dans cette situation, la stratégie est préventive et cible davantage le post-
partum. Toutes ces situations sont identifiées dans notre fiche de score.
Patiente avec antécédent obstétrical et thrombophilie (sans ATCD TE familial ou
personnel)
Le syndrome des antiphospholipides est exclu de ce chapitre. En effet le traitement doit
comprendre de l’acide acétyl salicylique et par mesure de commodité une héparine de
bas poids moléculaire (plutôt que NF).
Les complications obstétricales sont un facteur de risque de mettre en évidence une
thrombophilie (en dehors de tout antécédent thrombotique). Cette notion est remise en
question par les dernières méta-analyses. Il semble que la mutation hétérozygote du
facteur V Leiden du gène de la Prothombine soient identifiées plus fréquemment en cas
de complications obstétricales. Toutes les complications obstétricales n’ont pas le même
poids. Par exemple le risque de mise en évidence d’une mutation du facteur V Leiden
Hétérozygote est 6 fois plus important en cas d’antécédent d’hématome rétroplacentaire
que en cas d’antécédent de prééclampsie (respectivement OR 6.7 , IC 95% [2-21] et OR
1.6, IC95% [ 1.2–2]). Ainsi faire un diagnostic de thrombophilie n’aura pas le même
poids en fonction de la raison, en particulier obstétricale, de la demande. De la même
façon, toutes les complications obstétricales n’ont pas la même valeur : un antécédent
de PE sévère à 25 sa et une PE à terme. Ceci ressort nettement des recommandations de
l’HAS qui stratifient le type de bilan en fonction des complications obstétricales (1,5).
Actuellement on note une augmentation impressionnante des prescriptions de bilan de
thrombophilie en cas de pathologies obstétricales, parfois même hors recommandations. Le
problème qui se pose actuellement est de gérer ces nouvelles grossesses et donc de plus
particulièrement faire le lien entre le type de thrombophilie et le type de complication
obstétricale.
Ceci prend d’autant plus d’importance s’il est rappelé que dans la population générale
une thrombophilie peut être mise en évidence jusque chez 20 % des témoins sains
(variable selon le type). En conséquence dans un certain nombre de cas des patientes
(porteuse d’une association fortuite) n’ayant donc pas besoin de traitement seront
traitées.
En plus des antécédents et de la caractérisation de l’accident obstétrical, l’intérêt de
l’examen placentaire est remis en question par certains auteurs [6]. Toutefois de
nombreuses équipes ont montré un lien étroit entre pathologie placentaire et
complications obstétricales d’origine vasculaire [7].
Enfin concernant le traitement, il faut insister sur la faiblesse méthodologique de la
littérature sur le sujet. Globalement il existe une forte présomption d’efficacité. Mais la
Cochrane Data base ne retient que deux études et conclut à l’absence de preuve de
l’intérêt d’un traitement en cas de perte fœtale tardive ou précoce et notion de
thrombophilie (6). Les recommandations Nord américaines vont également dans ce sens
(1).
Il existe cependant des publications qui mettent en avant l’intérêt d’un traitement. Ces
études sont des études pilotes sans placebo et on sait l’importance de l’effet placebo en
particulier en cas d’ATCD obstétrical. JC Gris a mis en évidence une probable supériorité
des HBPM par rapport à l’aspirine seul dans un groupe de perte fœtale [7]. Cependant,
ce travail regroupe un groupe de thrombophilie hétérogène ( mutation hétérozygote du
V Leiden, déficit en Protéine S, mutation du gène de la Prothrombine) ne permettant pas
de conclure individuellement en fonction du type de thrombophilie sur le bénéfice
obstétrical escompté.
Inversement, il est probable que tous les facteurs prothrombotiques ne sont pas connus
actuellement et que devant une histoire d’antécédents obstétricaux récidivants ou
sévères, des antithrombotiques puissent être prescrits en dépit d’un bilan de
thrombophilie normal.
Cependant si le traitement actuellement préconisé (bien souvent les HBPM) semble peu
iatrogène, aucune évaluation du retentissement maternel (en particulier psychologique)
ni des conséquences obstétricales (par exemple gestion d’un accouchement sous
antithrombotiques) ou du rapport coût-bénéfice n’a été réalisée. Il n’existe aucune
certitude sur la date optimale de début du traitement, ni sur le terme de son arrêt, ni sur
la nécessité et l’éventuelle durée de la poursuite d’un traitement en post-partum.
Ainsi nous pensons que des recommandations sur le type de traitement devraient inclure la
notion de discussion individuelle au sein de réunion multidisciplinaire des dossiers en
fonction de l’histoire obstétricale et des caractéristiques de l’éventements, des antécédents
personnels et familiaux et même éventuellement des résultats de l’examen anatomo-
pathologique placentaire.
Patiente avec antécédent obstétrical sans thrombophilie
En cas d’antécédent de prééclampsie (PE), il n’y a pas d’indication d’autre traitement
que l’aspirine à faible dose. En cas d’antécédent de PE sévère, la NOH-PE trial soulève la
question de l’intérêt d’un traitement dans cette étude le groupe traité par HBPM
présentit 9% de complications versus 25% (8). Une étude française menée par B Hadda
est actuellement en cours pour valider les résultats de cette étude pilote (HEPEPE,
clinicaltrials.gov). L’étude de Rey, autre étude pilote, retrouvait des résultats équivalent
(5% vs 24%) étude menée également sans placebo et interrompu avant la fin des
inclusions(9). Inversement récemment Martinelli ne mettait pas en évidence de
différence significative (population hétérogène d’AVP) (10).
Références :
1. VTE, Thrombophilia, Antithrombotic, Therapy, and Pregnancy, Antithrombotic
Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed: American College of Chest
Physicians. Evidence-Based Clinical Practice Guidelines. Shannon M . Bates; Ian A.
Greer; Saskia Middeldorp, David L. Veenstra; Anne-Marie Prabulos, Per Olav
Vandvik. CHEST 2012; 141(2)(Suppl):e691S–e736S.
2. Thrombophilie et grossesse - Prévention des risques thrombotiques maternels et
placentaires. Conférence de consensus 2003.www.anaes.fr.
3. A risk score for the management of pregnant women with increased risk of
venous thromboembolism: a multicentre prospective study.
4. Dargaud Y, Rugeri L, Vergnes MC, Arnuti B, Miranda P, Negrier C, Bestion A,
Desmurs-Clavel H, Ninet J, Gaucherand P, Rudigoz RC, Berland M, Champion F,
Trzeciak MC. Br J Haematol. 2009 Jun;145(6):825-35.
5. Alfirevic Z, Roberts D, Martlew V. How strong is the association between
maternal thrombophilia and adverse pregnancy outcome? A systematic review.
Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol. 2002 Feb 10;101(1):6-14.
6. Di Nisio M, Peters L, Middeldorp S. Anticoagulants for the treatment of recurrent
pregnancy loss in women without antiphospholipid syndrome. Cochrane
Database Syst Rev. 2005 Apr 18;(2).
7. Gris JC, Mercier E, Quere I, Lavigne-Lissalde G, Cochery-Nouvellon E, Hoffet M,
Ripart-Neveu S, Tailland ML, Dauzat M, Mares P. Low-molecular-weight heparin
versus low-dose aspirin in women with one fetal loss and a constitutional
thrombophilic disorder. Blood. 2004 May 15;103(10):3695-9.
8. Gris JC, Chauleur C, Molinari N, Marès P, Fabbro-Peray P, Quéré I, Lefrant JY,
Haddad B, Dauzat M. Addition of enoxaparin to aspirin for the secondary
prevention of placental vascular complications in women with severe pre-
eclampsia. The pilot randomised controlled NOH-PE trial. Thromb Haemost. 2011
Dec;106(6):1053-61.
9. Rey E, Garneau P, David M, Gauthier R, Leduc L, Michon N, Morin F, Demers C,
Kahn SR, Magee LA, Rodger M. Dalteparin for the prevention of recurrence of
placental-mediated complications of pregnancy in women without
thrombophilia: a pilot randomized controlled trial. J Thromb Haemost. 2009
Jan;7(1):58-64.
10. Martinelli I, Ruggenenti P, Cetin I, Pardi G, Perna A, Vergani P, Acaia B, Facchinetti
F, La Sala GB, Bozzo M, Rampello S, Marozio L, Diadei O, Gherardi G, Carminati S,
Remuzzi G, Mannucci PM; HAPPY Study Group. Blood. Heparin in pregnant
women with previous placenta-mediated pregnancy complications: a
prospective, randomized, multicenter, controlled clinical trial. 2012 Apr
5;119(14):3269-75.
QCMS
En cas d’antécédent thrombo-embolique (TE) chez une femme enceinte :
1. le risque TE est essentiellement présent lors du 3ème trimestre de la grossesse et
le post-partum
2. le bilan de thrombophilie est difficilement interprétable
3. la protéine S est augmentée lors de la grossesse
4. il y a toujours une indication de traitement par HBPM
réponses vraies : 2
En cas d’antécédent TE
1. le Doppler des MI est inutile car un traitement par HBPM est toujours indiqué
2. les ATCD familiaux TE n’entrent pas dans la décision d’un traitement préventif
3. l’aspirine est un traitement efficace préventifs des accidents TE
4. le cumul de 3 facteurs de risque peut indiquer un traitement pendant la grossesse
5. en cas de facteurs de risque une contention veineuse élastique devrait être
préscrite
réponses exactes : 4 et 5
En cas d’antécédent obstétrical (Prééclampsie, hématome rétroplacentaire ou
pertes fœtales à répétition) :
1. Un bilan de thrombophilie devrait être prescrit
2. Dans les FCS à répétition et bilan normal, l’aspirine n’est jamais indiqué
3. en cas d’antécédent de PE, l’aspirine est indiqué
4. il n’y a pas actuellement d’indication formelle de traitement par HBPM lors de
ces complications
réponses exactes : 2,3,4
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