Jeanne Aptekman
Juin 2003
Analyse sémantique du « si » conditionnel en
français.
Relations avec la logique et la pragmatique
Mémoire de DEA de sciences cognitives
EHESS - Paris 6 – École Polytechnique – ENS
sous la direction de D. Andler et B. Victorri
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Remerciements: Je tiens à adresser mes remerciements tout d’abord à mes deux directeurs, D. Andler,
dont la lecture de l’article Logique, raisonnement et psychologie a donné la première impulsion de ce travail, et B. Victorri, pour son bon sens et sa confiance, mais aussi à J. Dubucs, pour m’avoir permis de m’éloigner de la philosophie des mathématiques et m’avoir donné envie de travailler, à F. Rivenc pour avoir attiré mon attention sur les logiques de la pertinence, et m’avoir donné de précieux outils de travail, à M. Charolles pour m’avoir introduit dans le monde des linguistes, à Guy Politzer, pour sa disponibilité et ses conseils, à D. Sperber, qui a accepté de discuter avec moi de sa compréhension de la tâche de sélection.
Enfin, je voudrais remercier Bastien Guerry pour sa présence quotidienne au DEC et ses cigarettes, Cédric, parfois plus désespéré encore que moi, Laure, Raphaël et ma mère pour leurs ordinateurs, Hector pour la Bretagne, Les Anges Pressés pour les mardis soirs, Paul pour les nuits de travail, Mikaël pour sa bonne humeur, Rémi et Louis pour leur enthousiasme, et tous ceux qui, dans mon entourage, ont, avec plus ou moins de succès, essayé de s’intéresser à mon sujet…
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INTRODUCTION................................................................................................................................. 6
PREMIERE PARTIE. LE PROBLEME DES CONDITIONNELS................................................. 7
I) REFLEXIONS PHILOSOPHICO-LOGIQUES SUR LES CONDITIONNELS .................................................. 7 1) Présentation du problème et des principales solutions envisagées............................................ 7 2) Différence entre conditions de vérité et conditions d’énonciabilité......................................... 12 3) Comment mettre en place une théorie des conditionnels pertinents ? ..................................... 14
II) LES REPONSES LOGIQUES ............................................................................................................. 15 1) Logiques de la pertinence. Repenser l’implication .................................................................. 15 2) Logique pertinente ; une présentation axiomatique................................................................. 16 3) Les limites de la logique pour exprimer la locution « si » ....................................................... 17
III) LOGIQUE ET RAISONNEMENT ...................................................................................................... 18 1) La psychologie du raisonnement : tester les capacités logiques des sujets ............................. 18 2) The selection task. Exemple paradigmatique du rapport de la psychologie du raisonnement à la logique. Problèmes et solution de Sperber, Cara, et Girotto ................................................... 19 3) Bilan des problèmes posés par les conditionnels et des solutions envisagées ......................... 22
DEUXIEME PARTIE. ANALYSE LINGUISTIQUE DU MOT « SI » ......................................... 24
I) QUESTIONS D’ORDRE METHODOLOGIQUE ..................................................................................... 24 1) La technique des paraphrases.................................................................................................. 24 2) Le choix du corpus ................................................................................................................... 26 3) Application de la méthode des paraphrases, calcul de fréquences.......................................... 27
II) DIFFERENTES VALEURS DU « SI ». POLYSEMIE ET CONTINUITE. .................................................. 31 1) Définition des axes............................................................................................................... 33 2) Valeurs typiques et valeur primaire..................................................................................... 34
III) LA QUESTION DES NOYAUX DE SENS........................................................................................... 50 1) le « si » comme une unité lexicale, et la question des « noyaux de sens » ............................... 50 2) Noyau de sens........................................................................................................................... 50
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES. ........................................................................................... 53
BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE ................................................................................................. 56
1) SUR LES RAPPORTS DE LA LOGIQUE ET DU RAISONNEMENT ..................................................... 56 2) SUR L’APPROCHE PHILOSOPHICO-LOGIQUE DU PROBLEME DES CONDITIONNELS .................... 56 3) LOGIQUES DE LA PERTINENCE .................................................................................................. 58 4) LINGUISTIQUE........................................................................................................................... 59 5) PSYCHOLOGIE DU RAISONNEMENT ........................................................................................... 59
ANNEXES............................................................................................................................................ 60
I) EXTRAITS DU CORPUS.................................................................................................................... 61 1) premier corpus..................................................................................................................... 61 2) deuxième corpus.................................................................................................................. 64
II) TABLEAU DE FREQUENCES ........................................................................................................... 66 1) Premier corpus « si …, alors » (576 phrases retenues) .................................................... 66 2) Deuxième corpus « si », 1990-2000, 233 phrases retenues : ............................................. 70
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Introduction
Il s’agit pour nous d’aborder dans ce mémoire la question des conditionnels. Cette question a été
l’objet de très nombreuses discussions. En effet, l’implication est considérée à la fois comme le cœur
même du raisonnement, en tant qu’elle rend compte de la notion d’inférence, et comme l’articulation
centrale de la logique1, puisque le théorème de la déduction2 la rend équivalente à la notion méta-
logique de déduction.
La question était dès lors pour nous de savoir comment aborder cette question sans devoir affronter
toutes les discussions, tant philosophiques que logiques, qui avaient déjà eu lieu. Nous voulions
pouvoir reprendre à notre compte un certain nombre de constats, sans tomber dans le piège d’un
catalogue des discussions ayant déjà eu lieu. Il nous semblait que c’était dans l’assimilation de
l’implication logique au « si » de la langue que résidait le problème, et notre idée était dès lors
d’aller chercher dans la langue elle-même une partie des réponses aux questions que nous nous
posions.
Notre travail se divise donc en deux grandes parties. La première rend compte de la façon dont nous
en sommes arrivés à nous poser ces questions, et des différents éléments qui avaient tout d’abord
attiré notre attention. Nous y reprenons donc une partie des discussions sur les conditionnels, sans
prétendre à l’exhaustivité, mais en montrant comment elles ont délimité pour nous un sujet de
recherche à la frontière entre la logique, la philosophie, la linguistique et la psychologie du
raisonnement. Il s’agit donc tant d’approches philosophiques ou logiques, qui correspondent à notre
formation initiale et qui sont donc les premières auxquelles nous nous sommes intéressés, que
psychologiques. Si nous nous en sommes souvent inspirés, nous avons aussi voulu nous en
démarquer, dans les questions qui pour nous étaient centrales comme dans les méthodes employées.
La deuxième partie présente la façon dont nous avons essayé de travailler sur le mot « si » dans la
langue, les techniques que nous avons utilisées, et les résultats auxquels nous sommes parvenus. Elle
constitue la partie « expérimentale » de notre travail, et présente une analyse du « si » tel qu’il est
effectivement employé dans la langue, et qui devrait permettre de mieux comprendre les résultats de
psychologie du raisonnement que nous avons présentés en première partie. Notre approche se veut
sémantico-pragmatique, et tente d’insister sur la notion de continuité du sens, en proposant le recours
à des « pointeurs » syntaxico-temporels ou pragmatiques pour indiquer la région du sens de « si »
auxquels se réfèrent ses usages en contexte.
1 Cf. Anderson et Belnap, cité in Braine, « A theory of if : A lexical entry, reasoning program, and pragmatic principles », 1990 2 Le théorème de la déduction, qui s’énonce ainsi : p � q si et seulement si p├ q, pose une équivalence entre l’implication et la déduction, entre langage et métalangage.
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Première partie. Le problème des conditionnels
Nous l’avons dit dans l’introduction, les discussions sur le thème de l’implication et des
conditionnels sont nombreuses, et appartiennent à différents domaines, en raison du caractère
central de l’implication pour le raisonnement, qui lui-même se trouve au point de rencontre
de diverses disciplines. C’est pourquoi nous avons choisi de ne les présenter, de façon
parcellaire, que dans la mesure où elles ont influencé nos choix, et nous ont amenés à nous
poser le problème de l’implication comme nous nous le posons aujourd’hui.
I) Réflexions philosophico-logiques sur les conditionnels
1) Présentation du problème et des principales solutions envisagées
Le problème posé par la signification des énoncés conditionnels a suscité de nombreuses
réactions. La question était de comprendre quel sens attribuer au connecteur logique qui y
correspondait, en tenant compte de sa proximité avec le mot « si » (ou « if » en anglais3).
Puisqu’il s’agissait de déterminer le sens à attribuer à un connecteur logique, l’idée première
fût de poser ses conditions de vérités, de déterminer dans quelle mesure on reconnaissait un
énoncé le contenant comme vrai, de manière à satisfaire certaines règles souhaitées (la
transitivité, la contraposition), et à correspondre à sa transcription la plus évidente en langage
naturel, à savoir le mot « si ». Par ailleurs, ce qu’on attend de l’implication c’est qu’elle
préserve la vérité. Ainsi, par Modus Ponens, elle permet de passer d’une proposition vraie à
une autre proposition vraie. Le parti pris consistait à considérer que connaître (établir) la
table de vérité d’un connecteur revenait à connaître (établir) sa signification
a) L’approche compositionnelle
Plusieurs approches ont donc été proposées. La première consiste à établir les conditions de
vérité d’un énoncé conditionnel à partir des valeurs de vérité de ses composants. Dans cette
voie, deux branches s’opposent, et attribuent des conditions de vérité différentes à
l’implication, que nous présentons sous forme de tableaux4 :
3 Nous reviendrons plus loin (II, 1) sur cette assimilation qui ne va pas de soi. 4 Ces tableaux sont tirés de Edgington, Dorothy, "Conditionals", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Fall 2001 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = <http://plato.stanford.edu/archives/fall2001/entries/conditionals/>.
8
Interprétation véri-fonctionnelle interprétation non véri-fonctionnelle
Nous notons différemment les implications correspondant à chacune de ces tables de vérité
pour éviter toute confusion. Le symbole ⊃ correspond à l’implication matérielle classique.
On constate donc des différences importantes entre ces deux distributions de valeurs de
vérités, et chacune des deux a ses avantages et ses défauts. La première approche satisfait aux
exigences de transitivité et de contraposition. En effet, si v (A ⊃ B)=V et v (B ⊃ C)=V, alors,
selon cette approche, v (A ⊃ C)=V. De même, si v (A ⊃ B)=V, alors v (non B ⊃ non A)= V,
ce qui satisfait la loi de contraposition. Cependant elle pose d’autres problèmes. Parmi les
reproches les plus courants qui lui ont été faits, le premier concerne le fait qu’il suffit que A
soit une proposition vraie, pour que l’énoncé (B ⊃ A) soit vrai, quel que soit le B en question.
Or ceci est loin d’aller de soi. Prenons en effet la proposition :
(a) « Si je vais aux Baléares, je croise Jean. »
Il semble que le fait que le conséquent soit vrai (à savoir le fait que je croise effectivement
Jean) n’entraîne pas pour autant notre adhésion à cet énoncé.
Le deuxième reproche concerne le fait que la fausseté du conséquent entraîne nécessairement
la vérité de la proposition. Ainsi la proposition « si tu croises un dragon, tu te transformeras
en troll » doit être considérée comme vraie du seul fait que son antécédent ne sera jamais
vérifié. Or, il semble là aussi peu intuitif de considérer cette proposition comme vraie ; nous
la considérons généralement comme simplement absurde. L’idée naît alors de se demander si
ce qui manque à ces approches n’est pas la possibilité de prendre en compte une telle
différenciation, qui apparaîtrait comme la seule capable d’appréhender des propositions telles
que « si je mange des œufs, alors je suis blonde », c’est-à-dire des propositions pour
lesquelles ce n’est pas la question de la vérité qui semble être première.
La seconde branche tente de pallier ces défauts, en refusant d’accorder systématiquement la
valeur « vrai » aux propositions dont l’antécédent est faux et à celles dont le conséquent est
vrai. Mais alors elle est confrontée à un autre problème, celui de déterminer dans quel cas
A B A ⊃B
1. V V V
2. V F F
3. F V V
4. F F V
A B A �B
1. V V V
2. V F F
3. F V V/F
4. F F V/F
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notre énoncé conditionnel prendra la valeur « vrai », et dans quel cas il prendra la valeur
« faux ». Enfin, en continuant de ne vouloir déterminer les conditions de vérité d’un
conditionnel qu’à partir des conditions de vérité de ses composants, elle échoue à nous
expliquer pourquoi une proposition telle que « si John vit à Londres, il vit en Écosse »5 nous
semble fausse alors même que l’on ne se prononce pas sur le lieu où John vit effectivement.
Aucune de ces deux approches ne semble donc réellement satisfaisante, et l’on peut se
demander si ce qui pose problème n’est pas l’absence d’une réflexion sur l’implication elle-
même, éclipsée par la perspective compositionnelle adoptée, qui ne s’intéresse qu’aux seules
valeurs de vérité, sans penser le lien créé entre l’antécédent et le conséquent par le recours à
l’implication.
b) L’approche en termes de mondes possibles
Une seconde approche est alors possible, qui ne cherche pas à établir de manière fonctionnelle
la valeur de vérité de la proposition à partir de celles de ses composants. Il s’agit de
l’approche en termes de mondes possibles, proposée par Ramsey6, et développée
essentiellement par Lewis7 et Stalnaker8. Il s’agit alors d’observer ce qui se passerait si
l’antécédent de mon énoncé était vrai, en partant du principe que le processus cognitif à
l’œuvre dans la compréhension d’un énoncé conditionnel consiste justement à rendre vrai son
antécédent et à examiner les conséquences qui en découleraient. On arrive alors à poser que
« si A alors B » est vrai dans le monde actuel si et seulement si de tous les mondes possibles
où A est vrai, les plus proches et les plus similaires au nôtre sont ceux dans lesquels B l’est
aussi. Mais on est alors confronté à la notion de « monde plus ou moins similaire », qui se
laisse difficilement formaliser. Cette approche a pour elle son caractère intuitif : elle semble
en effet correspondre à la manière dont nous raisonnons effectivement, en envisageant
d’abord la possibilité de A, et en déduisant si elle rend possible B. Mais les obstacles que
cette voie comporte semblent difficilement surmontables, puisqu’elle ne spécifie pas de
critères précis pour déterminer ce qui fait qu’un monde est plus ou moins similaire au nôtre.
Dans le cadre du raisonnement naturel, nous n’examinons pas tous les mondes possibles, ni
toutes les choses dont nous considérons qu’elles méritent d’être tenues pour vraies. Ce qu’il
manque à cette approche semble donc être quelque chose comme un critère de pertinence
pour établir les mondes possibles que nous retenons comme candidats sérieux. Or un tel
critère semble extrêmement difficile à établir. En effet, non seulement les propositions qui
définissent un monde sont en nombre infini, mais il faut supposer qu’elles ne sont pas toutes
5 Cité par F. Jackson, in Conditionals, ed. by F. Jackson, 1991, Introduction 6 cf. Ramsey, F. P. 1929: "General Propositions and Causality" in Philosophical Papers ed. by D. H. Mellor. Cambridge University Press pp. 145-63. 7 Lewis, David 1973: Counterfactuals. Oxford: Basil Blackwell, et « counterfactual dependance and time arrow » in Conditionals, ed. by F. Jackson, 1991
10
d’égale importance. Ainsi, le fait que Monsieur X porte une chemise rouge à une date Y
semble moins contraignant pour le monde que le fait que Jacques Chirac soit actuellement
président de la France.
c) L’approche probabiliste
Il existe enfin une troisième approche, dite probabiliste. Cette approche nous permet d’éviter
certains des problèmes que nous avons soulevés, en sortant du cadre d’une bivalence stricte
entre vérité et fausseté. Ceci permet donc de pallier certains défauts, comme l’indécision
laissée par l’approche compositionnelle non véri-fonctionnelle quant à certains énoncés.
Cependant, elle pose d’autres problèmes. En effet, si la probabilité de l’un des membres de
l’implication est nulle, alors, la probabilité totale de l’énoncé l’est aussi. Ainsi, cette approche
échoue elle aussi à évaluer le lien qui existe entre l’antécédent et le conséquent et qui apparaît
de plus en plus central à mesure que l’on réfléchit à l’implication.
Quels problèmes demeurent ?
Aucune de ces approches ne peut donc nous satisfaire entièrement, même si l’une d’entre
elles, l’approche en termes de mondes possibles, nous semble avoir pour elle, à défaut des
conditions d’une formalisation rigoureuse, un avantage intuitif fort. Peut-être aussi faut-il
pour comprendre ces différentes théories considérer qu’elles n’ont pas toutes les mêmes
ambitions. Si la première, descendante des réflexions de Frege se voulait au départ appartenir
au cadre du raisonnement formel, policé, certain, les deux autres, et tout particulièrement la
troisième qui manipule des notions probables, sortent de ce cadre strict. La question est donc
de savoir ce qui nous intéresse en étudiant l’implication, si c’est son usage idéal, dans le cadre
des mathématiques, qui préserve la vérité, ou si c’est son usage relâché, dans le cadre du
raisonnement dit naturel. En effet, les problèmes que nous avons à penser l’implication
logique apparaissent dès lors que nous nous intéressons à des propositions absurdes ou sans
lien entre le conséquent et l’antécédent. On peut en effet considérer que ce problème n’a pas
de conséquences en mathématiques, où on ne fait pas appel à des propositions qui « ne parlent
pas de la même chose » que ce dont on part, en tant qu’il s’agit de démontrer, contrairement
au raisonnement naturel, où l’on fait souvent appel à des propositions qui ne parlent pas
explicitement de la même chose. Cependant, un problème similaire intervient en
mathématiques lorsque l’on a recours à des propositions qui n’apparaissent pas dans le corps
de la démonstration. C’est ce problème auquel vont s’attacher les logiques dites de la
pertinence, sur lesquelles nous reviendrons dans la sous partie suivante. Une autre différence
de taille intervient entre les mathématiques et le raisonnement ordinaire. En mathématiques, si
j’asserte un A faux, j’introduis de l’incohérence dans mon système, et je peux alors tout
8 Stalnaker, « A theory of conditionals » in Conditionals, ed. by F. Jackson, 1991
11
déduire : ma théorie devient absurde. Ce n’est pas forcément le cas dans le raisonnement
ordinaire : quelqu’un peut tout à fait être persuadé de la vérité d’un énoncé faux
(particulièrement s’il concerne l’avenir : « les démocrates vont gagner » énoncé en 1999 aux
Etats-Unis, mais pas uniquement – ainsi le fait que je sois persuadée que M. X, que j’ai à
peine croisé, porte aujourd’hui 12 mars 2003, une chemise rouge, alors qu’il porte une
chemise verte, et que j’asserte dès lors la proposition : « M. X porte aujourd’hui 12 mars 2003
une chemise rouge », ne suffira pas à rendre mon système de pensée incohérent, et ne
discréditera mes raisonnements passés ou futurs. L’implication matérielle pose deux
problèmes : en un certain sens, elle ne rend pas assez de choses vraies, mais d’un autre point
de vue, elle rend trop de choses vraies. Selon les règles de l’implication matérielle, il est trop
facile pour un conditionnel d’être vrai.
La plupart des problèmes viennent avec le recours au langage ordinaire, et l’adaptation de
l’implication au cadre du raisonnement naturel, qui n’est pas un cadre de pure vérité. La
question se pose alors de savoir s’il reste légitime d’aborder le problème des conditionnels
sous l’angle de la vérité, y compris dans ce cadre relâché. À ce sujet une nouvelle distinction
semble donc pouvoir nous être utile, inspirée notamment des travaux de Grice9. Elle
concernerait la différence entre vérité et énonciabilité. En effet, il semblerait que ce à quoi
nous nous intéressons lorsque nous parlons des conditionnels soit plus leur pertinence que
leur vérité. Ce que nous nous demandons lorsque nous sommes confrontés à un énoncé
conditionnel c’est si son énonciation est pertinente, et ceci de deux manières : si l’information
transmise ne constitue pas un affaiblissement par rapport à ce que l’on sait déjà (ce qui est
reconnu comme connaissance commune par les interlocuteurs), si elle est pertinente avec le
contexte d’énonciation, et surtout, si le conséquent est pertinent par rapport à l’antécédent.
Ainsi, avant même que d’être évalué comme éventuellement vrai ou faux, un conditionnel
peut donc nous frapper par son absurdité.
Un autre problème auquel les théories de l’implication sont confrontées concerne la
distinction entre des énoncés implicatifs exprimés au mode conditionnel, et ceux exprimés au
mode indicatif10. Une telle distinction, continuellement à l’œuvre dans le langage naturel,
semble difficile à appréhender pour la formalisation.
9 cf. Grice, « Logic and conversation », repris dans Conditionals, ed. by F. Jackson, 1991 10 la question a cependant été abordée, notamment par Adams. L’exemple le plus classique pour rendre compte de la différence dans les valeurs de vérité d’un conditionnel exprimé soit à l’indicatif, soit au conditionnel est le suivant : « si Oswald n’a pas tué Kennedy, alors quelqu’un d’autre l’a tué », qui apparaît indubitablement comme vrai, et « Si Oswald n’avait pas tué Kennedy, alors quelqu’un d’autre l’aurait fait », qui apparaît nettement moins certain !
12
2) Différence entre conditions de vérité et conditions d’énonciabilité.
On peut donc avec F. Jackson affirmer que la propriété immédiate évidente d’un conditionnel
tel que « si John vit à Londres, alors il vit en Écosse » n’est pas sa fausseté mais ce qu’il
appelle son « high unassertability », ce qui n’est pas incompatible avec le fait qu’il puisse être
vrai (dans le cas où John ne vit pas à Londres) pour la logique classique. L’idée que nous
allons développer consiste donc à mettre en place une théorie des conditions d’énonciabilité11
d’un énoncé, qui ne coïncideraient pas avec ses conditions de vérité. Ces idées ont été
élaborées essentiellement par Grice12, et reprise par Jackson13, Lewis14 et Stalnaker15. Il s’agit
de reprendre notre intuition selon laquelle on aborde spontanément les énoncés conditionnels
en tant que pertinents ou non, et non en tant que vrais ou faux. Ceci semble particulièrement
vrai lorsqu’il s’agit des contrefactuels. Ceci permet aussi de poser une différence entre les
contrefactuels dont l’antécédent est faux de manière évidente et ceux dans lesquels la fausseté
de l’antécédent ne va pas de soi. Ainsi, sans doute ne doit-on pas comprendre de la même
façon le conditionnel :
(a) « si Berlin est la capitale de la France, alors les poules ont des dents»
(énoncé en 2003, par un Français), et
(b) « si Jean habite dans le 11ème arrondissement, alors nous sommes voisins »,
En supposant qu’il y ait en effet un doute sur l’adresse de Jean, qui se révèlera habiter dans le
19ème arrondissement. Or le seul recours aux valeurs de vérité ne nous permet pas de saisir
cette différence pas plus qu’elle nous permet de saisir la distinction entre (a) et :
(c) « si Berlin est la capitale de la France, alors Brest est en Bretagne »
Si (a) et (c) ont même valeur de vérité, elles ne semblent pas énonciables au même titre, et
finalement, la première proposition, qui met en relation deux propositions fausses nous
semblent plus énonciable que la proposition (c).
De même, énoncer (b) en condition d’incertitude, ne revient pas à la même chose qu’énoncer
(a) ou (c). Le fait qu’il y ait un doute sur la vérité de l’antécédent différencie radicalement cet
énoncé des deux autres. En effet, si l’on reprend la distinction frégéenne entre assertion et
énonciation16, alors, il semble qu’en énonçant (a), nous tendions à asserter du même coup la
fausseté de son antécédent, reconnu comme faux, ce qui n’est pas le cas dans l’énonciation de
(b), qui ne comporte aucune assertion, ni de son antécédent, ni de la négation de celui-ci.. De
11 In Jackson, 1991, introduction. Nous préférons parler d’ « énonciabilité », en tant que ce terme nous apparaît moins ambiguë que celui d’ « assertabilité », qui présuppose généralement la vérité. Or ce qui nous intéresse ici est de déterminer dans quels cas un énoncé est énonciable, « fait sens ». 12 idem 13 idem 14 idem 15 idem 16 cf. « Concept et objet », et « Pensée et jugement », repris dans Ecrits logiques et philosophiques, Seuil, 1991
13
même, l’assertion, que nous qualifierons d’implicite, de la négation de l’antécédent dans (c)
n’aboutit pas selon nous au même traitement cognitif que celui à l’œuvre dans (a). En effet,
dans (a), la fausseté de l’antécédent nous semble aller naturellement de pair avec celle du
conséquent. Au contraire, dans la proposition (c), la disparité des valeurs de vérité de
l’antécédent et du conséquent crée un sentiment inconfortable, de doute sur la vérité du
conséquent, pourtant a priori considéré comme vrai, et le conditionnel nous semble absurde.
C’est donc, à travers la notion d’énonciabilité, celle d’absurdité que nous voulons saisir. Si
nous pouvons imaginer pour (a) et (b) des contextes d’énonciation dans lesquels ils seraient
pertinents, ceci nous semble plus difficile pour (c). En dépit d’une valeur de vérité commune
(ils sont tous les trois vrais selon la logique classique), ces énoncés semblent avoir des
conditions d’énonciabilité différentes. Ce qui manque évidemment à l’approche en terme de
conditions de vérité, c’est une dimension de sens, qui nous permettent de saisir cet aspect du
problème. Ici encore, nous serions tentés de faire référence à Frege17, qui postule une
différence entre sens et valeur de vérité, comme rendant possible la distinction entre deux
énoncés d’identité (a=b) et (a=a), l’une allant de soi, et l’autre pouvant être le fruit de
recherches extrêmement ardues, et déboucher sur une réelle découverte. Ainsi parvenir à une
valeur de vérité commune ne suffit pas à rendre uniformes les énoncés que nous avons
proposés, et notre théorie doit prendre en compte ce problème. Il y a une dimension
d’information, de fertilité que nous ne pouvons pas négliger.
Enfin, nous voudrions trouver un moyen de différencier des propositions telles que :
(a) S’il pleut, alors nous ne pourrons pas manger dehors, et
(b) S’il pleut, alors les dromadaires ont une seule bosse
Ce qui distingue ces deux propositions est là aussi leur pertinence, comprise ici comme la
possibilité de reconstruire un contexte dans lequel leur énonciation serait pertinente. Si cela
semble relativement aisé dans le premier cas, le second pose plus de difficultés. En effet, il le
lien entre l’antécédent et le conséquent qui nous semble présent dans le premier est absent
dans le second. Cependant, comment formaliser ce lien ? Comment en rendre compte ? Il
semble en effet difficile d’espérer en rendre compte au niveau lexical. La solution la plus
économique consiste sans doute à postuler une certaine cohérence avec nos connaissances du
monde, qui font dépendre la possibilité de déjeuner en extérieur avec le beau temps.
Cependant, si cette solution est économique, elle n’en demeure pas moins assez rétive à la
formalisation.
17 Cf. « Sens et dénotation », repris dans Ecrits logiques et philosophiques, Seuil, 1991
14
3) Comment mettre en place une théorie des conditionnels pertinents ?
Il y a ainsi des propositions, auxquels nous avons quotidiennement recours, dont on a du mal
à définir ce qui fait leur énonciabilité. L’exemple paradigmatique est constitué de la
proposition : « si tu as soif, il y a de la bière dans le réfrigérateur ». Nous ne voyons aucun
lien « implicatif » entre l’antécédent et le conséquent, et pourtant cette phrase est
pragmatiquement acceptable. Il s’agit donc de déterminer une théorie qui rende compte de ces
usages, et permette de différencier plusieurs niveaux d’énonciabilité, en accordant par
exemple un niveau plus élevé à la proposition « si Berlin est la capitale de la France, alors les
poules ont des dents» qu’à la proposition « si Berlin est la capitale de la France, alors Brest
est en Bretagne », de même qu’il semblerait naturel d’accorder un plus haut degré
d’énonciabilité à s’il pleut, alors nous ne pourrons pas manger dehors » qu’à « s’il pleut, alors
les dromadaires ont une seule bosse ».
Maintenant que nous avons présenté les problèmes généraux liés aux énoncés conditionnels,
nous nous proposons de présenter l’une des réponses logiques apportées à ce problème, sous
le nom de logique de la pertinence, et qui se propose de mettre en place les conditions de
formalisation d’un lien entre antécédent et conséquent (ou plutôt, au niveau déductif, entre
hypothèses et conclusions d’une déduction), afin de pouvoir réfléchir aux conditions d’une
telle formalisation.
15
II) Les réponses logiques
Les problèmes posés par les conditionnels ont entraîné des réformes de la logique, qui, nous
l’avons vu, cherchaient à se débarrasser de ce que l’on a appelé les paradoxes de
l’implication. Celles-ci n’étaient pas les premières réformes que la logique opposait à la
logique classique. La réforme la plus ancienne, qui a donné naissance à la logique non
classique la plus célèbre a été une réforme constructiviste, l’intuitionnisme, qui, en refusant le
tiers-exclu et l’équivalence entre ¬¬A et A, pose les bases d’une logique au sein de laquelle
on ne devrait pouvoir parvenir à une proposition qu’en la « construisant », et non en niant sa
négation. Cette logique, définit dans son ambition même un statut nouveau pour la logique,
qui n’est plus la norme absolue du raisonnement, mais est sujette à des réformes qui
s’inspirent de réflexions sur le raisonnement. Une telle attitude va aller s’amplifiant, et dans
un mouvement de retour vers le psychologisme dont la logique classique avait voulu se
départir pour se construire, il va s’agir de s’inspirer du raisonnement lui-même pour en tenir
compte, et en quelque sorte le modéliser.
1) Logiques de la pertinence. Repenser l’implication
Une logique non classique va donc apparaître en réponse aux problèmes posés par les énoncés
conditionnels, et qui, contrairement aux exemples que nous avons donnés précédemment,
constitue un réel système, et pose le problème du lien entre antécédent et conséquent, en
mettant au cœur de ses réformes l’idée de formaliser au niveau de la syntaxe ce lien. Il s’agit
pour nous de présenter brièvement ce système. Plusieurs formalisations existent pour ces
logiques de la pertinence, qui divergent en certains points. Nous commencerons donc par
expliquer leur point de départ, puis nous présenterons une sémantique et une syntaxe pour ces
systèmes.
Le constat dont partent les logiques de la pertinence est le suivant. Les paradoxes de
l’implication peuvent se résumer ainsi :
1) (p & ¬ p) � q
2) p � (q � q)
3) p � (q V ¬ q)
Selon les logiques de la pertinence, ces trois propositions ont en commun le fait que
l’antécédent soit non pertinent par rapport au conséquent. La proposition (1) est valide selon
la logique classique du fait de l’absurdité de (p & ¬ p). Les propositions (2) et (3), du fait de
la validité de (q � q) et de (q V ¬ q), et non en raison d’un lien éventuel entre l’antécédent et
le conséquent. Ce que se proposent de mettre en œuvre les logiques de la pertinence, c’est un
moyen d’indexer les hypothèses, afin qu’on puisse établir que le conséquent a été obtenu à
16
partir de ces hypothèses. On observe donc un glissement de la notion logique d’implication au
concept méta logique de déduction. Nous nous proposons donc de présenter une version de la
logique de la pertinence, dans une formulation axiomatique.
2) Logique pertinente ; une présentation axiomatique18
Le point de départ des logiques de la pertinence est donc une réforme de l’implication. Nous
présentons ici une version axiomatique du fragment purement implicatif de la logique, noté
R����‘. Ce système est une adaptation (équivalente) de la présentation de Church en 1951 «The
weak theory of implication » par Anderson et Belnap, pour un langage objet contenant une
suite infinie de variables propositionnelles.
Celle-ci comprend quatre règles :
R����’1 : A � A Préfixe
R����’2 : (A�B)� ((B�C)� (A�C)) Transitivité
R����’3 : (A�(B� C))� (B� (A�C)) Permutation
R����’4 : (A� (B�C))� ((A� B)�(A�C)) Auto distribution
On dispose par ailleurs d’une seule règle de déduction, le Modus Ponens.
On peut formuler ce système en déduction naturelle, en reprenant l’idée fondamentale
défendue par Anderson et Belnap19 selon laquelle une formule A est pertinente pour B si elle
est utilisée dans une déduction de B (à partir de A). On instaure donc un système de
numérotation des hypothèses, qui permet de garder une trace du moment où elles sont
utilisées, et une hypothèse ne peut être déchargée que si elle est réellement utilisée au cours de
la déduction, par exemple par application du Modus Ponens.
On dispose de 5 règles pour ce système de déduction naturelle :
1) une nouvelle hypothèse peut être introduite en tête d’une « sous-preuve », avec un
indice {k}, où k est nouveau à chaque fois, et appartient à un ensemble fini d’entiers.
2) Aa peut être répété à l’intérieur d’une preuve en gardant son indice a
3) Aa peut être réitéré, c’est-à-dire importé d’une preuve dans une preuve subordonnée,
en gardant son indice a
4) ���� Elimination : de Aa et (A�B)b, on infère BaUb
18nous nous appuyons pour cette présentation sur diverses sources, l’article de l’encyclopédie de philosophie de Stanford sur les logique pertinentes(Mares, Edwin, "Relevance Logic", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Summer 1998 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL= <http://plato.stanford.edu/archives/sum1998/entries/logic-relevance/>), l’article de Dunn dans le handbook of philosophical logic, les articles d’Anderson et Belnap, et les notes du cours de maîtrise de logique de F. Rivenc, 19 Anderson, A.R. and N.D. Belnap, Jr. (1975) Entailment: The Logic of Relevance and Necessity, Princeton, Princeton University Press, Volume I et Anderson, A.R. N.D. Belnap, Jr. and J.M. Dunn (1992) Entailment, Volume II.
17
5) ���� Introduction : d’une preuve de Ba sous l’hypothèse A{k}, on infère (A�B)a-{k}, à
condition que k figure dans l’indice a de B. Cette restriction assure qu’on ne décharge
A que si A a été utilisé dans la preuve de B, ce dont témoigne le fait que l’indice de A
figure dans celui de B.
Avant d’en dire plus sur les limites de la logique pour exprimer le « si », il nous faut préciser
que ces logiques aboutissent généralement à des systèmes para-consistants, ce qui les place
sur un terrain différent par exemple de la logique classique, et bien loin de ses ambitions
normatives.
3) Les limites de la logique pour exprimer la locution « si »
Les logiques de la pertinence partent donc du constat d’un divorce entre l’implication logique
et son expression langagière, pour proposer une théorie logique qui parviendrait à rendre
compte d’un lien entre l’antécédent et le conséquent d’un énoncé conditionnel, en essayant de
formaliser ce lien dans la syntaxe, sans jamais finalement trouver de sémantique appropriée,
par un système d'indices, et en posant comme principe que l'antécédent et le conséquent
doivent avoir au moins une variable commune. Il y a donc deux idées développées par les
logiques de la pertinence pour exprimer le fait qu’ antécédent et conséquent « parlent de la
même chose ». La première repose sur ce système d’indices mis en place pour s’assurer de
l’utilisation d’une formule dans une déduction. La seconde, qui consiste à exiger que
l’antécédent et le conséquent doivent aient au moins une variable commune, permet de
s’assurer que ceux-ci portent sur le même objet.
Le problème est qu’un tel lien, dont on peut considérer que les logiques de la pertinence
arrivent à rendre compte dans un cadre déductif, ne se limite pas à des cas aussi simples :
comme nous l’avons vu, il existe bon nombre d’énoncés tels que « si tu as soif, il y a de la
bière dans le réfrigérateur », qui n’ont rien de déductif, et qui portant ne nous semblent pas
absurdes : on perçoit un lien, non déductif, non causal, mais réel, entre l’antécédent et le
conséquent. Celui-ci ne nous semble pas sans rapport avec son antécédent, et leur mise en
relation au sein d’un énoncé implicatif ne nous pose aucun problème cognitif. La prise en
compte d’un tel lien pour des usages du « si », en un sens implicatif, mais non forcément
déductif, n’est donc nullement assurée par un tel système, dont les ambitions se situent plutôt
en théorie de la démonstration que dans une perspective de formalisation du raisonnement ou
du langage. La question qui se pose désormais à nous est double. Nous voyons apparaître des
usages non déductifs de l’implication (par exemple : « si tu as soif, il y a de la bière dans le
frigo », où le fait qu’il y ait de la bière dans le frigo ne semble nullement déduit du fait que
notre interlocuteur ait soif ; mais aussi, des usages tels que « s’il aime la grande littérature,
18
moi, je n’ai jamais lu que des polars »), et il s’agit donc de préciser la nature du lien
(« implicatif ») qui est à l’œuvre dans de telles propositions. Par ailleurs, il s’agit de
déterminer plus précisément la compréhension qu’ont les sujets de l’implication, et de son
expression linguistique à travers le mot « si ». Pour répondre à ces deux questions, qui nous
semblent intimement liées, il va s’agir pour nous de nous pencher sur les expériences de
psychologie du raisonnement, dont nous espérons qu’elles vont mettre en lumière le
fonctionnement de l’implication chez les sujets non-logiciens, et nous permettre ainsi de
préciser les usages non déductifs de l’implication.
III) Logique et raisonnement
1) La psychologie du raisonnement : tester les capacités logiques des sujets
L’idée sous-jacente à la psychologie du raisonnement est de déterminer les rapports de la
logique au raisonnement en testant les capacités de raisonnement des sujets. Il s’agit de
trancher entre l’hypothèse d’une logique mentale et les autres thèses. Dès lors la logique n’est
plus norme du raisonnement mais une caractéristique (ou non) du raisonnement des sujets.
Les expériences menées en psychologie du raisonnement sur les connecteurs logiques sont
nombreuses, et les performances des sujets sont souvent en désaccord avec ce que l’on
attendrait en se fiant aux règles de la logique. Il en est ainsi pour la disjonction et pour la
conjonction20. Par exemple, il est difficile pour les sujets de penser comme vraie la
proposition « la table est verte ou la table est bleue », quand bien même ils reconnaissent que
la table est bleue (ou qu’elle est verte). Les conditions de vérité de la logique classique pour la
disjonction ne coïncident donc pas avec l’intuition des sujets. Sans doute peut-on expliquer
cela en reprenant la distinction entre vérité et énonciabilité. En effet, il est probable que les
sujets seraient d’accord pour reconnaître, ayant sous les yeux une table bleue, qu’elle est soit
bleue, soit verte. Mais ayant à leur disposition une information précise (« la table est bleue »),
la proposition, plus faible, selon laquelle « la table est bleue ou verte », leur apparaît comme
non pertinente, non assertable : elle ne reflète pas leur état de connaissance actuel.
20 Cf. G. Politzer, logique mentale et raisonnement naturel, inANDLER, D., JACOB, P., PROUST, J., RÉCANATI, F., SPERBER, D., (éds), Epistémologie et cognition. Madraga, Bruxelles. (1992)
19
2) The selection task. Exemple paradigmatique du rapport de la psychologie du raisonnement
à la logique. Problèmes et solution de Sperber, Cara, et Girotto
L’une des expériences les plus connues (essentiellement parce qu’on s’est aperçu qu’elle ne
testait pas ce qu’on voulait, et qu’elle a donné lieu à de très nombreuses versions
modifiées) est ce que l’on a appelé la tâche de sélection21.
Présentation de la tâche22
En 1966, P. Wason propose une tâche composée :
(a) D’une introduction (parfois sous forme narrative)
(b) D’un énoncé conditionnel, de la forme « si P alors Q », présentée comme la règle.
(c) De quatre cartes, telles que l’information concernant la satisfaction de P est cachée au
regard dans deux d’entre elles, tandis que l’information concernant la satisfaction de P
est cachée au regard sur les deux autres
(d) D’une instruction consistant à demander aux sujets quelles cartes il est nécessaire et
suffisant de retourner pour déterminer si la règle est vraie.
La version paradigmatique est la suivante. Quatre cartes sont présentées, chacune à
double face (dont une seule est visible). On sait que sur chaque carte figure d’un côté une
lettre et de l’autre un chiffre. On lit sur les cartes les inscriptions A, G, 7, et 8. il s’agit
d’indiquer quelles cartes le sujet doit retourner pour dire si la règle : « s’il y a un A d’un
côté, il y a un 7 de l’autre ». Généralement les sujets choisissent la carte sur laquelle figure
un A, mais ne pensent pas à retourner la carte sur laquelle est inscrit un 8, alors que la
présence d’un A au dos falsifierait la règle.
Les résultats à cette expérience ont été désastreux, 90% des sujets échouant à sélectionner
les deux cartes qui étaient attendues, et l’attention portée à cette expérience a tout d’abord
eu comme ambition d’expliquer les raisons d’un tel échec. Il s’est alors agi d’en proposer
des versions moins abstraites, ou plus familières. On s’est aperçu que ce qui influait
n’était pas la familiarité des règles, mais leur caractère déontique23. Cependant, les
versions déontiques étaient logiquement différentes de la première version, en tant qu’il ne
s’agit plus d’établir la vérité ou la fausseté de la règle, qui apparaît comme
axiomatiquement vraie. Finalement, le constat auquel aboutit Evans24 est que les sujets
retournent la carte qui leur semble pertinente, sans pour autant développer de théorie
explicite de cette notion de pertinence. Ceci pourrait rejoindre l’idée selon laquelle la
tâche de sélection de Wason n’est pas une tâche de raisonnement conditionnel, mais bien
21 cf D.Andler, « Logique, raisonnement et psychologie », in Méthodes logiques pour les sciences cognitives. 22 nous reprenons ici dans ses grandes lignes la présentation qui en a été faites par Sperber, Cara et Girotto, dans leur article de 1995, « Relevance Theory explains the selection task » paru dans Cognition, 57, p.31-95 23 Cf. Cheng et Holyoak, 1985 et 1989, et Cosmides, 1989 24 Cf. Evans 1984, 1989
20
une tâche consistant à sélectionner une carte qui constituerait une preuve potentiellement
pertinente, et c’est en effet ce que font les sujets. Ils appliquent la règle, en retournant la
carte sur laquelle figure un A, pour voir si la règle est effective. Loin de considérer la
tâche comme une tâche de raisonnement, ils se fient à leur intuition sans avoir recours à
un raisonnement particulier – qui leur permettrait de répondre correctement. L’analyse de
Sperber, Cara et Girotto consiste alors à étudier de quelle manière la pertinence guide la
sélection, en posant cinq hypothèses :
(i) Les sujets comprennent la tâche comme consistant à sélectionner une preuve
potentiellement pertinente pour évaluer la vérité de la règle.
(ii) Les sujets envisagent cette évaluation de la seule manière possible, c’est-à-dire
indirectement, à travers ses conséquences observationnellement testables.
(iii) On infère spontanément certaines conséquences d’un énoncé, comme une partie
des processus de compréhension, de manière à parvenir à une conclusion
« relevant-as-expected ».
(iv) Les sujets font confiance à leurs intuitions, c’est-à-dire à l’output de leurs
capacités inférentielles spontanées, et choisissent les conséquences directement
testables qu’ils ont inférées en comprenant la règle comme correspondant aux
conséquences observables au travers desquelles la règle peut être testée.
(v) Les sujets sélectionnent les cartes dont l’observation peut directement tester leurs
conséquences spontanément dérivées.
En appliquant ces principes, il semble naturel de retourner la seule carte marquée d’un A.
En partant de ces principes, Sperber, Cara et Girotto se proposent donc de mettre en place des
expérimentations faciles, respectant les règles générales de la tâche de sélection, et auxquels
les sujets pourraient répondre avec succès. En mettant en avant les principes théoriques qu’ils
ont dégagés, ils parviennent à mettre en place des expériences qui restent des tâches de
sélection, mais auxquels les sujets répondent facilement en obtenant de bons résultats.
Cependant la règle de la tâche de sélection est formulée sous la forme d’un énoncé
conditionnel (« Si P, alors Q »), qui est généralement compris comme coïncidant avec
l’implication matérielle. Ce que nous disent Sperber et ses collègues, c’est que cette tâche
n’est pas une tâche qui teste la capacité à comprendre et appliquer des énoncés conditionnels,
et en effet, les principes qu’ils dégagent – et qui correspondent aux résultats effectifs des
sujets – ne mettent pas en œuvre la totalité des principes visant à falsifier un énoncé
conditionnel. Quand on s’en tient aux principes qui sont associés aux conditionnels, et si l’on
pense que ce sont ces principes que nous voulons tester, les résultats sont pour le moins
décevants.
21
La question est alors de savoir comment comprendre ces résultats – et cela vaut aussi
lorsqu’il s’agit de tester les compétences des sujets concernant les autres connecteurs
logiques, à travers des expérimentations telles que celles que nous avons présentées
précédemment, c’est-à-dire de déterminer quelles conséquences nous devons en tirer sur les
capacités logiques des sujets. Deux voies se dégagent donc. On peut soit refuser toute
compétence logique au sujet, soit postuler un écart entre ce que cherche l’expérimentateur et
ce qu’il teste effectivement (c’est la perspective dans laquelle se situe l’article de Sperber,
Cara et Girotto). La première voie semble difficilement tenable : la vie quotidienne prend le
contre-pied des expériences pour nous montrer que les sujets, même « logiquement naïfs »,
sont capables de mener à bien un grand nombre de raisonnements logiquement satisfaisants. Il
semble donc plus fructueux d’embrasser la seconde perspective, et de se demander ce qui fait
que les résultats obtenus lors de telles expérimentations sont si mauvais, et ceci en
contradiction avec les capacités logiques des sujets que la vie quotidienne nous permet
d’observer. La démarche adoptée par Sperber consiste alors à examiner ce qui est
effectivement testé ; est-ce vraiment la capacité à appliquer et comprendre des énoncés
conditionnels ? La réponse est non, et ce bien que la règle sur laquelle porte le test comporte
l’expression « si … alors ». En effet, comme nous l’avons dit, les sujets ne comprennent eux-
mêmes pas cette tâche comme une tâche de raisonnement, et se fient à leur seule intuition
pour résoudre le problème qui leur est posé. Ce que doit nous inspirer cet écart – entre ce que
les expérimentateurs, se fiant à la forme conditionnelle de la règle, pensaient tester, et ce
qu’ils testaient effectivement – c’est la possibilité d’un malentendu concernant l’expression
« si … alors » elle-même. En effet, elle a été assimilée à l’implication matérielle. Or les sujets
ne ressentent pas le besoin de faire appel à leurs capacités déductives. Il semble que ce que
voudraient tester les expérimentateurs, c’est la capacité des sujets à retrouver la table de vérité
de l’implication matérielle, en recourant à sa transcription la plus évidente dans le langage
naturel. Mais le présupposé sur lequel se fonde cette expérience, c’est que l’implication
matérielle et sa traduction en langage naturel coïncident. Or cela, nous l’avons vu, ne va pas
de soi. Notre idée est donc simple : le sens du « si » dans la langue n’est pas celui de
l’implication ; il est beaucoup plus large en un sens (certains usages pragmatiques échappent
à la formalisation logique, que ce soit à travers l’implication matérielle, ou à ses réformes) et
beaucoup plus restreint en un autre sens (en tant qu’il refuse, en posant l’idée d’un lien entre
conséquent et antécédent, des propositions absurdes). Certains usages échappent donc à la
formalisation. A partir de ce constat, nous devons donc dresser un bilan des problèmes liés à
l’implication qui demeurent, et réfléchir à la façon dont nous pourrions aborder ce divorce.
22
3) Bilan des problèmes posés par les conditionnels et des solutions envisagées
Nous avons vu que le problème des conditionnels était un problème repris tant par les
logiciens que par les philosophes et par les psychologues. Chacun y va de sa théorie de
l’implication, ou de sa théorie du « si », mais nous n’avons trouvé aucune approche
consistant, pour poser les bases d’une réflexion, à développer une étude systématique de
l’usage du mot « si » dans la langue afin d’en déterminer le sens usuel. Les auteurs se
contentent généralement d’affirmer qu’au mot « si » est associée telle ou telle idée. Nous nous
proposons donc d’aller chercher directement dans la langue une partie des réponses aux
questions qui se posent au sujet des conditionnels. Ce qui nous semble manquer aux
approches logiques, c’est une position claire quant au rapport qu’elles souhaitent entretenir
avec le raisonnement naturel. Or, depuis que la logique classique n’est plus la seule logique
envisagée, cette question semble cruciale, et dès lors qu’on en propose une réforme, il
apparaît important d’en déterminer les ambitions. Les logiques de la pertinence, qui partent de
la question des conditionnels, abordent la question du lien antécédent / conséquent du point de
vue des preuves ; il s’agit donc de mettre en place un système rigoureux de déduction.
Cependant, elles aboutissent à des systèmes para-consistants, ce qui les différencie
radicalement de la logique classique. S’il s’agit de mettre en place les fondements d’une
formalisation du raisonnement naturel, il semble légitime de partir de ce raisonnement, et, dès
lors, de son expression langagière. De même, seule une compréhension réelle de la façon dont
on utilise effectivement les mots qui nous servent à exprimer les connecteurs logiques pourrait
nous permettre de mettre en place des protocoles expérimentaux rigoureux. Ainsi, nous
sortons du cadre d’une problématique qui cherche à déterminer les conditions de vérités des
conditionnels, ou à les approcher par le biais de la théorie des mondes possibles, pour nous
pencher sur le sens particulier que ces propositions véhiculent. Il ne s’agit plus pour nous
d’établir en premier lieu ce qui fait qu’on considère un énoncé conditionnel comme vrai, mais
ce qui le rend énonçable, la façon dont il fait sens, en supposant qu’une part de la réponse à
cette question peut nous être apportée par une étude sémantique. Nous devrons donc étudier
comment fonctionne le « si » dans la langue, afin d’en dégager des usages « typiques », et
éventuellement un noyau de sens, compris par le schéma activé par toute énonciation du mot
Il s’agit alors de déterminer un noyau de sens sémantique, un modèle de fonctionnement du
« si », qui pourra nous servir, même si ce n’est pas l’objet direct de ce travail, à le comparer
aux approches logiques des conditionnels. Cela devrait nous permettre de répondre aux
questions que nous nous posions quant à la compréhension des sujets de l’implication et à ses
usages non déductifs, ainsi qu’à poser les bases d’expérimentations dont nous pourrions dire
avec plus d’assurance ce qu’elles testent.
23
Une idée assez répandue et développée notamment par Braine25 consiste à dire que le
sens d’une composante logique est composée de son sens sémantique, et « des processus de
compréhension pragmatique qui amènent, couplés à l’entrée lexicale, le sens construit en
contexte ». Ce que nous allons donc essayer de mettre en place, c’est une théorie générale du
si, en montrant comment ces processus sont déterminés par le mot lui-même, et en essayant de
déterminer le processus cognitif qui s’effectue lorsque nous rencontrons ou utilisons ce mot.
L’idée est que ces processus appartiennent au sens même du mot, et peuvent être caractérisés
au sein d’une théorie sémantique.
25 « A theory of if : A lexical entry, reasoning program, and pragmatic principles », 1990.
24
Deuxième partie. Analyse linguistique du mot « si »
Nous avons parlé en première partie (I, II, 1) de l’importance d’une distinction entre
conditions de vérité et conditions d’énonciabilité. Cependant de telles conditions nous
semblaient extrêmement difficiles à mettre en place. Cette difficulté nous semble pouvoir
naître du problème suivant. Etant donné une phrase, à peu près bien formée, quoique cela ne
soit pas forcément nécessaire, il est toujours possible de trouver a posteriori un contexte dans
lequel elle fait sens, et est donc énonciable. Ceci est particulièrement vrai des phrases que
nous avons présentées comme absurdes. En effet, une phrase telle que « si je mange des œufs,
alors je suis blonde » peut faire sens énoncée par une fille brune qui a horreur des œufs. C’est
un cas particulier, certes, mais il manifeste comment la reconstruction a posteriori d’un
contexte nous permet généralement d’accorder un degré minimal d’énonciabilité à une
proposition donnée. Nous avons donc choisi d’aller chercher dans la langue des occurrences
de phrases comportant le mot « si » (sous certaines restrictions, que nous présenterons en II, I,
2), afin de voir quel pouvait être son fonctionnement. Une telle approche présuppose que nous
pensons trouver un modèle do fonctionnement unique pour tous ces usages. C’est un tel
modèle que nous tâcherons de présenter en II, 3. En attendant, il s’agit de présenter nos
méthodes de travail et les résultats obtenus, en essayant de dégager des emplois
paradigmatiques du « si » à l’œuvre dans la langue, ce que nous appellerons ses valeurs
typiques.
I) Questions d’ordre méthodologique
1) La technique des paraphrases
La technique que nous avons utilisée, et que nous appellerons « technique des paraphrases »
repose sur plusieurs postulats, que nous allons présenter. La première distinction à l’œuvre
concerne les « énoncés-occurrence » et les « énoncés-type ». Un énoncé-occurrence doit être
compris comme « un énoncé proféré à tel moment dans tel endroit »26, tandis qu’un énoncé-
type est « l’ensemble ordonné des marques linguistiques d’un énoncé-occurrence »27
(correspondant, dans le cas d’un énoncé écrit, à la suite de caractères, signes de ponctuation
compris, dont il se compose). Nous avons donc d’une part un événement observable,
l’énoncé-occurence, et d’autre part une notion abstraite, l’énoncé-type. Affirmer l’existence
26 B. Victorri, La polysémie, construction dynamique du sens, Hermès, 1996, p. 26
25
du sens des énoncés-types apparaît dès lors de l’ordre d’un véritable postulat. Si tant est que
l’on accepte ce postulat, on peut penser le sens d’un énoncé-type comme la contribution
constante du matériau linguistique dont il est constitué au sens de toute occurrence de cet
énoncé »28. On suppose alors que l’énoncé-type possède une qualité intrinsèque, qui ne
dépend que de sa forme, et qui explique sa capacité à produire, dans un contexte donné, un
sens pour l’occurrence correspondante de l’énoncé en question, fonctionnant comme un
potentiel de sens en contexte29. Notre seul accès à l’énoncé-type consiste dans les occurrences
de cet énoncé. Il va donc s’agir de réfléchir au sens des énoncés en contexte. Pour cela, nous
aurons recours à différents types de jugements dont on postule la légitimité.
Tout d’abord, nous admettons que l’on peut juger si deux énoncés sont en relation de
paraphrase sans avoir à le démontrer par des considérations sur les sens possibles de leurs
diverses occurrences. « C’est un véritable postulat méthodologique que de supposer la
possibilité de porter ce type de jugements, que nous appellerons des jugements de
paraphrases, même si, au fond, il s’agit d’une activité très commune en linguistique »30. Nous
supposons que n’importe quel individu doué d’une compétence linguistique minimale est
capable de faire de tels jugements, qui permettent de dire si un énoncé est une paraphrase
acceptable d’un autre énoncé, ou une expression, d’une autre expression donnée. Ceci
constitue un postulat généralement admis chez les sémanticiens, qui travaillent massivement
avec cet outil.
Nous ajoutons à ce postulat celui de la possibilité d’autres jugements, qui vont nous permettre
de considérer les valeurs obtenues au sein d’un espace que nous voulons continu. Nous
pensons que le mot « si » est une unité polysémique de la langue. Cependant, en tant que c’est
bien selon nous une seule et même unité linguistique, il nous faut pouvoir concevoir son sens
comme un espace fait de régions qui se chevauchent, et non comme un ensemble disjoint de
points. Nous aurons donc recours, dans la phase d’observation des occurrences du mot que
nous aurons recueillies, à trois autres types de jugements, qui nous permettront d’exprimer
divers degrés de proximité des sens auxquels nous serons confrontés, et de procéder par
comparaisons successives. Ces jugements sont les suivants :
- Jugements de proximité. Postuler un tel type de jugements revient à postuler « que
l’on peut effectivement dire si des sens d’une expression sont plus ou moins voisins
les uns des autres »31
27 idem 28 idem, p. 30 29 idem, p. 30 30 idem, p. 35 31 idem, p. 106.
26
- Jugements de repérage. Ceux-ci doivent nous permettre de structurer davantage
l’espace sémantique obtenu, en nous rendant capables de déterminer si le sens d’un
mot dans un énoncé E1 est intermédiaire entre son sens dans un énoncé E2 et un
énoncé E332. Nous devrions être ainsi capables de structurer notre espace sémantique
en un espace multidimensionnel, puisque chacune de ces gradations fera varier un
paramètre donné. De tels paramètres devraient nous permettre de déterminer les axes
pertinents pour notre espace sémantique. Le choix de ces axes comporte évidemment
une part d’arbitraire, mais ils devraient servir à distinguer tous les sens répertoriés
selon les critères que nous aurons choisis, de la manière la plus économique possible.
- Jugements de recoupement. Ils correspondent à notre volonté de modéliser les sens par
des régions et non par des points, et peuvent se formuler ainsi : « le sens de
l’expression dans l’énoncé E2 recoupe le sens que l’on observe pour cette expression
dans l’énoncé E1 »33
Il s’agit désormais de constituer un corpus de phrases dans lesquelles le mot « si » apparaît,
afin d’y appliquer la méthode déterminée par le postulat de la possibilité de tels jugements
2) Le choix du corpus
Selon cette méthode, il nous fallait donc établir un corpus de textes sur lequel nous
allions travailler. Nous avions plusieurs possibilités à notre disposition. La première consistait
à avoir recours à un corpus construit (automatiquement selon un modèle syntaxique donné).
Cette solution aurait dû permettre de « tester systématiquement l’effet de la variation de
divers paramètres co-textuels, en engendrant systématiquement, à l’aide de l’ordinateur, une
série de phrases de même structure syntaxique »34. Cependant, cette méthode, expérimentée il
y a quelques années par les linguistes du Lattice, s’est avérée décevante, en tant qu’un « grand
nombre de phrases engendrées de cette manière sont inanalysables, sans être pour autant
sémantiquement déviantes »35, soit qu’il soit difficile de leur accorder un sens sans pour
autant pouvoir les exclure puisqu’il est souvent possible d’imaginer un contexte dans lequel
elles feraient sens, soit qu’au contraire elles aient trop de sens possibles. Nous avons donc
décidé d’avoir recours à un corpus « établi », constitué de phrases extraites d’ouvrages parus.
Nous avons utilisé pour cela un logiciel, nommé frantext, qui permet de trouver des phrases
dans une base de données, répondant à un certain nombre de critères. Le mot « si » étant un
mot très courant, il s’agissait avant tout pour nous de limiter l’étendue des recherches, en
trouvant des instructions adéquates. Nous avons alors mis en place un premier corpus, assez
32 Idem, p.107. 33 idem, p. 108. 34 Cf. B. Victorri, La Polysémie ; construction dynamique du sens, Hermès, 1996, p. 109 35 idem
27
restrictif par les instructions données, mais en revanche très étalé dans le temps, puisqu’il
comporte des œuvres du 19è siècle. L’instruction consistait à demander au logiciel de
sélectionner des phrases contenant un « si » qui soit une conjonction de subordination, et suivi
dans la même phrase, à une distance maximale de 30 mots, de la séquence « , alors ». Nous
voulions ainsi cibler au maximum les usages de « si » que nous allions rencontrer, en évitant
les usages adverbiaux et interrogatifs indirects. De plus, la mention du « alors » nous
garantissait que nous étions en présence d’une transcription habituelle de l’implication
logique en langage naturel. Nous avons ainsi obtenu un premier corpus de 813 phrases, sur
lesquels nous avons dû en éliminer un certain nombre, le plus souvent parce qu’elles ne
correspondaient pas à notre requête selon laquelle le « si » devait être une conjonction de
subordination. Nous avons finalement obtenu un corpus de 576 phrases.
L’un des postulats forts du Lattice sur la polysémie consiste à penser une réelle unité de sens,
qu’il s’agit de mettre au jour entre les différents usages d’un mot dits « polysémiques ». C’est
pourquoi nous aurions aimé travailler aussi sur ces usages que nous avons exclus. Notre
travail sur cette portion des usages du « si » ne doit donc être vu que comme une première
étape. Cependant, si nous voulions éviter les deux types d’usages (adverbiaux et interrogatifs
indirects) du « si », nous voulions pour les usages restants essayer d’obtenir la plus grande
diversité possible. Nous avons donc mis en place un second corpus, cette fois-ci avec comme
seule exigence que les phrases contiennent le mot « si », en tant que conjonction de
subordination. Nous avons alors dû restreindre dans le temps la portée de la sélection, afin de
conserver au corpus des dimensions telles qu’il nous serait possible de l’analyser. Nous avons
donc choisi comme période l’intervalle entre 1990 et 2000. Nous avons cette fois obtenu un
corpus de 384 phrases, sur lesquelles nous en avons conservé 233. Nous souhaitions, en
enlevant certaines des restrictions que nous avions appliquées au choix du premier corpus,
découvrir des usages du mot qui nous aurait échappé.
Ayant ainsi déterminé nos deux corpus, nous avions un total de 809 phrases36. Nous allons
désormais présenter la façon dont nous avons travaillé sur ces corpus, en appliquant la
technique des paraphrases.
3) Application de la méthode des paraphrases, calcul de fréquences
Une fois notre corpus constitué, nous avons, pour chaque phrase, donné une ou plusieurs
paraphrases possibles du « si », et s’il y avait lieu du « alors », et indiqué les éventuels
changements dans le temps et le mode du verbe que le remplacement par la paraphrase
36 nous mettons une partie de ces phrases dans nos Annexes.
28
impliquait37. Nous sommes ainsi parvenus à un total de 9 unités paraphrastiques pour le
premier corpus, et 16, pour le second38. Ces paraphrases sont les suivantes :
Premier corpus :
- « à supposer que » (« et si, au coup de sonnette, l' on tarde un peu à venir, alors, ce
sont des reproches, des colères, des scènes. », O. Mirbeau, journal d’une femme de
chambre, « Si elle hésite, alors un peu de violence, ils y sont résolus », P. Loti,
Ramuntcho)
- « à condition que » (« Dans quelques mois, fixe une date... si la maladie ne m' a pas
emporté, alors tu reviendras », P. Bourget, André Cornélius, « si le ciel est d'azur et la
terre frémissante, si les cloches parlent, alors de là vous admirerez une de ces féeries
éloquentes que l'imagination n'oublie jamais », H. De Balzac, La femme de trente ans,
« Puis si l' on patiente une heure ou deux, alors devant une gare raboteuse, on peut
tremper sa main tiède dans l' exquise fraîcheur d' un bouton de corozo », R. Queneau,
Exercices de style)
- « dans le cas où » (A. Camus, Les possédés adaptation « Si tu n' y crois pas et que tu
te refuses à conclure qu' il faut tout raser, alors tu diras encore des sornettes », C.
Simon, L’herbe, « Nous aurons au moins appris cela : que si endurer l'Histoire (pas s'y
résigner : l'endurer), c'est la faire, alors la terne existence d'une vieille dame, c'est
l'Histoire elle-même, la matière même de l'Histoire)
- « quand » (M. Proust, La prisonnière, « Mais le soir, si je parvenais à m'endormir,
alors c' était comme si le souvenir d' Albertine avait été le médicament qui m'avait
procuré le sommeil », E. Psichari, Le voyage du centurion, « Mais si l' on passe du
côté du sud, alors il faut fermer les yeux dans l' éblouissement : au pied même de la
muraille, commence la plaine »)
- « bien que » (J. Genet, Miracle de la rose, « Si je ne me les rappelle plus aujourd'hui,
alors je distinguais très bien la douceur et la beauté de son visage »)
- « dès lors que » (A. Camus, Les possédés adaptation, « Si Dieu est un mensonge, alors
nous sommes seuls et libres », S. De Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée,
« Si Jacques n' était pas fait pour moi, alors personne ne l' était, et il fallait en revenir à
une solitude que je trouvais bien amère »)
37 Nous avons présenté cela sous la forme d’un tableau Excel contenant ces données, que nous ne pouvons mettre intégralement en annexe en raison de sa taille (une version lisible avoisine les 400 pages !), mais dont nous donnons quelques extraits à titre indicatif. 38 Nous avons nous-mêmes déterminé quelles étaient les paraphrase, en nous appuyant sur le postulat selon lequel toute personne douée d’une compétence linguistique minimale était capable de faire de tels jugements de parpahrase
29
- « puisque » (M. Pagnol, Fanny, « Si tu me forces à me marier, alors, je préfère
Panisse », P. Claudel, Le soulier de satin, « Si vous voulez m' empêcher d' aller à lui,
alors du moins liez- moi, ne me laissez pas cette cruelle liberté ! »)
- « à peine » (S. Weil, La pesanteur et la grâce, « Si elle se laisse arracher, ne fût-ce que
la durée d' un éclair, un consentement pur et entier, alors Dieu en fait la conquête »)
- « il suffit que » (A. De Saint-Exupéry, La citadelle, « Mais si vous rompez le contact
une seule fois de génération en génération, alors meurt cet amour »)
À ces 9 paraphrases obtenues pour le premier corpus s’ajoutent 8 autres pour le deuxième
corpus (dans lequel n’apparaît pas la paraphrase « il suffit que ») :
Deuxième corpus :
- « quand bien même » (J. Kristeva, Les samouraïs, « si nous ne sommes pas au pays
des merveilles au moins sommes-nous au pays des miroirs »)
- « la raison pour laquelle » (A. Makine, Le testament français, « Oui, si je pleurais
c'était devant leur résignation silencieuse », « si je vous prends ce n'est pas pour vos
beaux yeux »)
- « aussi bien que » (A. Makine, Le testament français, « si nul ne pouvait entrer dans
Menzalé personne n'était en mesure d'en sortir »)
- « si seulement » (E. Orsenna, Le grand amour, « Mais, Gabriel, si tu pouvais changer
de métier aussi », J. Lanzmann, La horde d’or, « si tu pouvais changer les paroles
imbéciles de La Marseillaise dit Lucienne »)
- « de la même façon que » (J. Lanzmann, La horde d’or, « si cette huile miraculeuse en
requinqua quelques- uns elle en acheva quelques autres »)
- « alors que » (P. Roze, Le chasseur Zéro, « et moi, si je savais bien souffrir je ne
savais pas parler », G. Bienne, La nuit, « Mais, voyez-vous, poursuit la brocanteuse, si
pour le particulier la poupée est interchangeable pour le gosse elle est unique »)
- « comme » (J. D’Ormesson, La douane de mer, « si tu veux murmurai-je à bout de
souffle »)
- « même si » (J. Kristeva, Les samouraïs, « si vous ne respectez pas une reine proscrite
respectez une mère malheureuse », J. D’Ormesson, La douane de mer, « si c'est vous
qui marchez ce n'est pas vous qui tracez votre route »)
Notre premier constat fut qu’il était rare qu’une seule paraphrase soit possible pour un énoncé
donné39. Souvent, au moins trois paraphrases sont acceptables. Nous avons donc recensé les
cas où plusieurs paraphrases revenaient conjointement, pour constituer des classes de
39 voir les exemples tirés du corpus en Annexes, où nous mettons les paraphrases alternatives possibles.
30
paraphrases, dont nous avons calculé leurs fréquences, en supposant qu’elles constituaient des
régions de sens de notre unité.40
Dans les deux corpus, les trois unités paraphrastiques qui reviennent le plus souvent dans les
classes sont « dans le cas où », « à supposer que », et « dès lors que », avec un avantage pour
la première.
Dans le premier corpus, la classe formée par ces trois unités paraphrastiques – c’est-à-dire les
cas où ces trois paraphrases sont possibles en même temps – revient dans 29, 34 % des cas.
Elles apparaissent conjointement dans 47,05% des classes de paraphrases. De plus, « dans le
cas où » apparaît dans 23 des 34 classes de paraphrases obtenues, « à supposer que », dans 19
cas sur 34, et « dès lors que », dans 16 sur 34.
Dans le second corpus, la classe « dans le cas où, à supposer que, dès lors que » est moins
fréquente (12,4% des cas), mais la classe « dans le cas où, à supposer que » revient dans
36,9% des cas, et l’unité « dans le cas où » apparaît dans 83,26% des classes de paraphrases,
tandis que « à supposer que » revient dans 75,54% des cas, et « dès lors que », dans 27,47%
des cas.
Le deuxième constat concerne le fait que certaines des paraphrases auxquelles nous
aboutissons semblent incompatibles entre elles. En effet, dans certains énoncés, le « si » est
paraphrasable par « puisque », tandis que dans d’autres énoncés il est paraphrasable par
« alors que » ou « bien que ».
Ainsi, dans la phrase : « si c’est comme ça, va-t-en ! », On est tenté de considérer « puisque »
comme l’une des paraphrases possibles, tandis que dans la phrase : « Si j’aimais la littérature,
il avait toujours montré un désintérêt total pour les livres », cela semble impossible.
De la même façon, nous avons été frappés par la différence entre des usages causaux du « si »
(« si je mets ma main sur une flamme, je me brûle »), et des usages qui apparaissaient comme
strictement temporels (« si je ralentissais, il ralentissait lui aussi »).
Nous avons donc voulu partir de ces constats, pour examiner quels paramètres nous pouvions
faire varier pour passer graduellement d’un sens du « si » proche du « puisque », à un sens du
« si » proche du « bien que », ou ce qui déterminait des usages temporels ou causaux. Enfin,
la présence massive des paraphrases par « dans le cas où », « à supposer que », « ou dès lors
que » nous laissait entrevoir que ces paraphrases devraient s’appliquer à ce que nous
choisirions comme valeur « primaire », qui constituerait l’usage à la fois le plus courant et le
plus neutre par rapport aux axes choisis du mot « si ».
40 Nous joignons en annexes tous les calculs de fréquences
31
II) Différentes valeurs du « si ». Polysémie et continuité.
Le recours aux paraphrases nous a permis de saisir des incompatibilités entre différentes
valeurs du « si ». Ainsi, il nous est apparu qu’une phrase dans laquelle le « si » pouvait être
paraphrasée par « puisque » devrait se trouver distinguées d’une phrase dans laquelle le « si »
est paraphrasable en « quand » ou en « à supposer que ». Mais l’analyse du corpus nous a
aussi fait comprendre, de manière intuitive, qu’il nous fallait penser une réelle continuité du
sens, à travers le recoupement de paraphrases possibles pour deux propositions aux valeurs
distinctes, qui nous permettent de nous déplacer d’un usage à l’autre. C’est ainsi que l’on
constate un certain continuum au sein même des paraphrases. Pour illustrer cette idée, nous
donnerons ici un exemple de ce recoupement des paraphrases possibles, et de la manière dont
il nous fait passer d'un sens à un autre, quand bien même ces sens apparaîtraient très éloignés.
Nous partirons pour cela d’une valeur où la protase semble assertée, pour parvenir à une
valeur où celle-ci n’est pas prise en charge (ni positivement, ni négativement) en passant par
des valeurs très différentes.
(1) « Si c’est comme ça, va-t-en ! »
Ici les paraphrases possibles sont : « dans le cas où », mais surtout « comme » ou
« puisque » : « Puisque c’est comme ça, va-t-en ! ». « Si tu es pressé, passe par là ».
Ici encore, une paraphrase en « puisque » est acceptable ; cependant, on lui préfèrera souvent
des paraphrases en « à supposer que », « dans le cas où », ou « dès lors que » : « Dans le cas
où tu es pressé, passe par là », en tant qu’on ne se prononce pas forcément sur le fait que la
personne à laquelle on s’adresse soit ou non pressée.
(2) « si tu as l’occasion, va voir cette pièce »
Ici, la neutralité par rapport à la protase semble encore plus claire ; une paraphrase en
« puisque » semble exclue, et l’on imagine plus facilement une paraphrase du type « à
supposer que tu en aies l’occasion, va voir cette pièce »
(3) « s’il fait beau nous irons nous promener »
On a ici une valeur purement prospective du « si », aussi paraphrasable par « à supposer
que », ou « dans le cas où ».
(4) « si je mets ma main sur le feu, je me brûle »
Le « si » peut alors être compris soit comme prospectif, soit comme exprimant une régularité.
On peut le paraphraser par « à supposer que », « dans le cas où », mais aussi par « dès lors
que » ou « quand »
(5) « si je m’arrêtais, il s’arrêtait aussi »
32
On est désormais dans un usage aspectuel d’habituel, qui est paraphrasable uniquement
par des expressions du type « dès lors que », « quand », « à chaque fois que ».
Nous avons donc l’exemple d’une gradation du sens de « si », jouant sur les paramètres de
prise en charge de la protase et de modalité. On a tout d’abord fait varier le premier
paramètre, puis le second, partant de l’expression d’une modalité (phrases 3 et 4), passant par
un usage neutre (phrase 5), et enfin parvenant à une expression de l’habitude (phrase 6).
Nous nous sommes donc inspirés de ces constats tirés de notre étude de corpus pour penser le
sens de « si ».
Il s’agit donc dans cette partie de présenter les résultats auxquels nous sommes
parvenus sous la forme d’un espace sémantique, organisé autour d’axes que nous aurons
déterminés en fonction de ce qui nous semble varier d’un usage du « si » à l’autre. Cet espace
sémantique associé à « si » nous permettra d’avoir une représentation globale du sens de
« si ». Nous y situerons les valeurs qui nous ont semblé « typiques », en tant qu’elles
consistent dans des usages facilement qualifiables, en fonction de la façon dont elles se
placent sur les axes que nous aurons définis. Il existe cependant certaines valeurs, présentes
dans le corpus, qui ne sauraient être qualifiées de « typiques », et qu’il nous faut être capables
de prendre en charge dans notre espace sémantique. Cela est rendu possible par notre postulat
de continuité du sens, qui nous permet de faire varier la valeur accordée pour un paramètre
afin d’accéder à des points de l’espace qui ne représentent pas des valeurs typiques. On
obtient donc un certain continuum entre les valeurs typiques, en passant par des usages moins
« purs ». Il reste aussi des régions de l’espace sémantique auxquelles nous ne pouvons faire
correspondre aucun usage de « si ». Il nous faudra alors être capables d’expliquer cela.
Ainsi, si nous utilisons une technique massivement utilisée par les sémanticiens, à savoir le
recours à une étude de corpus, auquel on applique la technique des paraphrases, nous nous
situons cependant dans une optique légèrement différente, en postulant avec Bernard Victorri
une continuité du sens au travers des différentes valeurs du « si » obtenues.
Nous aimerions donc obtenir un espace sémantique dont nous voudrions :
- qu’il permette, grâce au choix des paramètres qui serviront d’axes de rendre compte de
toutes les valeurs du « si » qui nous seront apparues comme typiques après notre étude
de corpus ;
- qu’il rende compte des cas d’ambiguïtés, tout comme des cas de recoupement ;
- qu’il soit possible de faire varier le sens du « si », à travers des propositions dans
lequel son usage apparaît intermédiaire, pour passer d’une valeur à l’autre ;
- qu’il nous soit possible d’expliquer les raisons des vides subsistant dans cet espace.
33
Pour la présentation de cet espace, nous commencerons donc par définir les axes qui nous ont
semblé pertinents rendre compte des variations à l’œuvre dans les valeurs de « si », puis nous
présenterons les valeurs typiques que nous avons dégagées, et distingueront parmi celles-ci
une valeur que nous qualifierons de « typique », en raison de sa présence massive et de sa
neutralité. Nous devrons alors pouvoir rendre compte de cette neutralité dans notre espace
sémantique.
1) Définition des axes
les trois axes que nous avons définis sont les suivants :
- Axe horizontal. Il concerne le degré de prise en charge de la protase41 par le locuteur,
qui peut soit être refusée (« s’il avait travaillé, il aurait eu son bac », « s’il vient ce
soir, je veux bien être pendu »), soit se situer en dehors de toute prise en charge par le
locuteur (« si ABC est un triangle rectangle, alors le carré de son hypoténuse est égal à
la somme des carrés de ses deux autres côtés »), soit assertée par le locuteur, et
paraphrasable en « puisque » (« si c’est comme ça, va-t-en ! », « si tu insistes, mieux
vaut t’en aller »)
- Axe de profondeur. Il concerne la modalité aspectuelle, et va d’une valeur itérative
(présente dans l’énoncé « si je ralentissais, il ralentissait lui aussi »), à une valeur de
modalité hypothétique (« si je travaille, j’aurai une bonne note »), en passant par une
valeur neutre, qui correspond aux usages qui expriment une régularité (« si je mets du
chocolat au soleil, il fond »)
- Axe vertical. Ce troisième axe correspond au degré d’adéquation entre les faits et le
raisonnement, et à la façon dont l’énoncé semble avoir été obtenu. Ainsi une valeur
positive sur cet axe rend compte d’un énoncé obtenu par le raisonnement, sans
s’appuyer sur les faits ; la valeur neutre rend compte d’un constat, qui manifeste une
adéquation entre les faits et le raisonnement (« si je mange trop, j’ai envie de faire une
sieste »). La valeur négative, quant à elle, exprime une certaine surprise face aux faits,
qui vont à l’encontre de nos prévisions (« s’il danse le jerk (contre toute attente) il
déchaîne les passions »)
41 nous utiliserons désormais les mots de « protase » et « d’apodose » et non plus ceux de « prémisse » et de « conclusion », qui semblent trop rattachés à un usage déductif auquel nous ne voulons pas nous restreindre, tout particulièrement dans cette partie linguistique
34
2) Valeurs typiques et valeur primaire
Il s’agit donc ici de dégager du corpus des valeurs typiques reprenant les différents usages du
« si » auxquels nous avons été confrontés, en essayant de balayer tous ces usages. Ces valeurs
correspondent à des sens « purs » du mot, qui ne sont pas forcément les plus couramment
utilisés. En effet, dans la langue, les sens usages souvent moins facilement distinguables, plus
mélangés. Un doute subsiste souvent sur la valeur à attribuer au « si » dans une proposition
donnée.
Nous allons donc essayer de dégager les valeurs typiques qui nous sont apparues lors de notre
étude sur corpus, de les présenter, ainsi que leurs recoupements partiels, et de montrer
comment les trois axes que nous avons déterminés permettent de les différencier. Ainsi le fait
qu’aucune des valeurs que nous dégagerons ne puisse se situer au même niveau, sur ces trois
axes, qu’une autre valeur, nous permettra de défendre la pertinence de ces paramètres.
Les classes que nous avons dégagées, au nombre de dix, sont les suivantes :
1) valeur primaire constative atemporelle
Cette classe doit permettre de rendre compte de la notion de règle, comprise non comme une
démonstration, mais comme un constat. Le « si » exprime qu’à chaque fois que la protase est
réalisée, l’apodose l’est aussi. Il a donc valeur d’itératif. Elle est aussi, tout comme la valeur
suivante, généralement caractérisée par le fait que le même temps est employé dans les deux
parties de la phrase. Contrairement à la valeur suivante, qui exprimera le caractère de loi de la
règle, il s’agit plus ici de constater une succession itérée. C’est pourquoi, dans de nombreux
énoncés, le « si » pourra être compris comme appartenant soit à cette classe, soit à la suivante.
Cette valeur est également proche de la valeur aspectuelle d’habituel (valeur 9), qui constate
elle aussi une régularité, mais implique plus fortement la notion d’habitude.
L’identité des temps utilisés dans la protase et l’apodose, avec une préférence pour le présent,
peut nous orienter vers cette valeur, même si elle n’est pas la seule (c’est le cas aussi pour la
valeur logique, avec le présent, et la valeur aspectuelle d’habituel, généralement avec
l’imparfait). Le fait qu’elle soit difficilement distinguable de ces deux valeurs n’est selon nous
pas un problème, en tant qu’elles expriment toutes trois une régularité, soit par itération, soit
constatée, soit déduite rationnellement.
Les paraphrases habituelles sont « dans le cas où », « à supposer que », « dès lors que ».
exemples : « si elle reste trop longtemps au soleil, elle n’a plus envie de travailler », « si je
mets du chocolat au soleil, il fond ».
Il ne s’agit pas alors de se référer à une loi de la physique, mais juste à un constat de la vie
quotidienne.
35
Nous considérons que cette valeur est la valeur primaire ; elle correspond en effet aux
paraphrases les plus représentées, et prend la valeur neutre sur chacun des trois axes que nous
avons dégagés. La neutralité sur l’axe fait / raisonnement s’explique en considérant que cette
valeur s’appuie sur un constat, mais en fait malgré tout dériver (par induction) une loi
générale.
2) valeur déductive atemporelle
Cette valeur reprendrait la notion de règle mais dans son aspect démonstratif et abstrait, en
dehors de tout constat. Elle correspondrait selon nous à la valeur du « si » logique. Elle a une
valeur démonstrative, déductive, qui ne passe pas par le constat. C’est ici un lien d’ordre
déductif qui agit. On est dans le cadre d’un raisonnement pur, qui n’a lieu qu’en
mathématiques ou en logique.
Les paraphrases possibles sont « dans le cas où », « à supposer que », « dès lors que », et
« quand ». Nous lui attribuons une valeur neutre sur l’axe rendant compte de la prise en
charge de la protase (le locuteur ne se prononce pas sur une réalisation de celle-ci), tout
comme sur l’axe de la modalité aspectuelle (il n’y est exprimé ni la notion d’habitude, ni la
présence d’une modalité). En revanche, nous lui attribuons une valeur positive sur l’axe faits /
raisonnement en tant qu’elle se situe résolument du côté de l’obtention de l’apodose à partir
de la protase par des voies déductives, et non par observation de faits.
Les paraphrases habituelles sont : « implique », « dans le cas où », « à supposer que », « dès
lors que », « quand »
exemple : « si ABC est un triangle rectangle, alors le carré de son hypoténuse est égal à la
somme du carré de ses autres cotés»
Le recours à cette valeur est généralement reconnaissable par une construction au présent qui
a valeur d’atemporel. Elle est cependant très proche de la valeur primaire, dont on peut
considérer qu’elle se distingue de la même façon que la déduction se distingue de l’induction.
3) valeur causale
Elle doit exprimer une causalité, dans laquelle la protase se trouve assertée.
Nous lui attribuons une valeur positive sur l’axe rendant compte de la prise en charge de la
protase (la protase est assertée), neutre sur l’axe de la modalité aspectuelle, en tant que celle-
ci ne joue aucun rôle ici, ni dans sa valeur d’hypothétique ni dans une valeur d’habituel, et
une valeur positive sur l’axe qui prend en compte les rapports d’adéquation éventuelle entre
faits et raisonnement (l’apodose est obtenue de façon causale).
Les paraphrases sont : « puisque », « comme ».
exemples : « si c’est comme ça, va-t-en », « si tu insistes mieux vaut ne pas se voir ».
Les critères pour déterminer que c’est à cette valeur que nous sommes confrontés sont
essentiellement d’ordre pragmatique : il s’agit d’être capable de reconnaître la validité de la
36
protase, qui doit avoir valeur de constat, pour que cet usage du « si » se différencie de la
valeur primaire dégagée.
4) valeur réfutative
Elle consiste à associer à la protase un conséquent évidemment absurde, afin de mettre en
doute celle-ci. On postule que dans le cadre constitué par la protase ne peut qu’apparaître un
autre cadre contenant lui-même une absurdité. Le lien est de nouveau un lien de conséquence.
On fait appel à des notions sémantiques (l’absurdité du conséquent) pour déterminer la valeur
du « si » .
Nous lui attribuons une valeur négative sur l’axe rendant compte de la prise en charge de la
protase (puisqu’il s’agit de la réfuter), neutre sur l’axe de la modalité aspectuelle, et une
valeur positive sur l’axe « faits / raisonnement », en tant que si l’on nie la protase, on peut
difficilement pour ce faire s’appuyer sur des faits ; c’est donc bien au raisonnement qu’il est
ici fait appel. On peut la paraphraser par : « à supposer que », « dans le cas où », « dès lors
que ».
exemples : « s’il est là à l’heure, je veux bien être pendu / c’est qu’il y a eu une révolution /
… ». L’apodose est sans importance du moment qu’il est présenté comme absurde.
Ici aussi les critères de reconnaissance de cette valeur sont essentiellement pragmatiques,
puisqu’il s’agit de reconnaître l’absurdité du conséquent.
5) valeur hypothético-prospective
Il s’agit ici de rendre compte des usages du « si » qui ont une valeur hypothétique, tout en se
distinguant des usages prospectifs, en tant que la protase est niée. On constate que la voie de
la protase n’a pas été empruntée, mais on indique que dans le cadre qu’elle forme, se trouve
comme conséquence l’apodose. Ils se caractérisent par le fait que la protase est au plus-que-
parfait, et l’apodose au conditionnel.
Nous lui attribuons une valeur négative sur l’axe rendant compte de la prise en charge de la
protase (la protase est rejetée), et positive sur les deux autres axes (elle exprime une modalité,
et on suppose un rapport de causalité, qui a donc à voir avec le raisonnement).
Les paraphrases sont : « si seulement », « à condition que »
Exemples : « si (seulement) il avait travaillé, il aurait eu son bac », « S’il avait fait beau, nous
aurions pu faire du bateau »
6) valeur prospective
Cette valeur représente la valeur qui énoncé une supposition, et dont l’apodose est
généralement au futur (elle peut aussi être au présent, et avoir valeur de futur : « s’il pleut, on
va au cinéma »). Elle permet d’envisager un cas dans le futur, et d’imaginer ce qui pourrait en
découler.
37
Nous lui attribuons une valeur neutre sur l’axe rendant compte de la prise en charge de la
protase (le locuteur ne se prononce pas sur une réalisation de celle-ci, qui porte sur le futur),
positive sur l’axe de la modalité aspectuelle (il ne s’agit pas d’exprimer une répétition, mais
bien une modalité), et également sur l’axe de « faits / raisonnement ». En effet, l’idée d’un
lien de causalité entre la protase et l’apodose, rationnellement supposé, est rendue sensible
lorsqu’on s’intéresse à la négation de telles propositions ; ainsi, quand on dit : « même s’il
pleut, nous n’irons pas au cinéma », on suppose que le fait qu’il pleuve aurait pu entraîner le
fait qu’on décide d’aller au cinéma )
Ces paraphrases habituelles sont : « à supposer que », « dans le cas où », « dès lors que ».
exemples : « s’il pleut, nous irons au cinéma », « si tout se passe bien, il devrait avoir son
bac », à condition que les professeurs l’y autorisent, il aura son bac ».
7) Valeur concessive :
Cette valeur doit rendre compte de l’idée selon laquelle même dans le cadre défini par la
protase, il y a (contre toute attente) de la place pour l’apodose. Elle repose sur la non-évidence
de l’implication, en postulant que le raisonnement peut être contredit par les faits.
On peut la paraphraser par : « bien que », « même si », « alors que », « quand bien même »
Elle prend une valeur positive sur l’axe rendant compte de la prise en charge de la protase
(celle-ci apparaît en effet comme assertée), neutre sur l’axe de la modalité aspectuelle, et
négative sur l’axe « faits / raisonnement » (il ne s’agit en effet pas ici d’un raisonnement, mais
d’un constat de l’apodose en présence de la protase assertée, qui provoque une certaine
surprise, exprime un décalage)
Exemples : « s’il aime la littérature française, moi je préfère les polars », « si ses pieds ne
quittent pas le sol, toutefois, elle s'étire, mains au ciel, phalanges à plat sur demi-pointes »,
« Je ne suis que ce que j'étais en naissant, et si je préfère la montée à la descente j'ignore la
stabilité satisfaite des sommets »
Certains marqueurs peuvent intervenir, quoique leur présence ne soit nullement obligatoire
pour nous orienter vers cette valeur : « quant à moi / lui / elle / toi / eux, …», « en revanche »,
« cependant », etc.
8) valeur comparative non concessive (contrastive)
Nous voulons ici rendre compte des usages comparatifs du « si » qui ne spécifient aucune
opposition. La protase est ici constatée, et on pose l’apodose dans un rapport d’analogie avec
la protase. Nous lui attribuons une valeur positive sur l’axe rendant compte de la prise en
charge de la protase qui est assertée, neutre sur l’axe de la modalité aspectuelle, et neutre
également sur l’axe faits / raisonnement (ici, l’attente rationnelle n’est ni confirmée, ni
infirmée par les faits).
Les paraphrases habituelles sont : « de la même façon que », « aussi bien que »
38
Exemples : « si nul ne pouvait entrer dans Menzalé personne n'était en mesure d'en sortir »
9) valeur aspectuelle d'habituel :
Cette classe doit permettre de rendre compte des usages tels que « si je ralentissais, il
ralentissait lui aussi », ou « s’il pleuvait nous allions au cinéma », qui insistent sur une valeur
de répétition, et peuvent être paraphrasés par « quand », « dès que », « à chaque fois que », « à
peine ». Le « si » exprime qu’à chaque fois que la protase est réalisée, l’apodose l’est aussi. Il
a donc valeur d’itératif. Cette valeur se caractérise généralement par le fait que le même
temps soit utilisé dans la protase et dans l’apodose. Nous lui attribuons une valeur neutre sur
l’axe rendant compte de la protase (le locuteur ne se prononce pas sur une réalisation de
celle-ci dans le présent), négative sur l’axe de la modalité aspectuelle (c’est-à-dire que nous
lui accordons une forte valeur d’habitude, et pas de valeur de modalité aspectuelle), et une
valeur neutre sur l’axe faits / raisonnement (aucun raisonnement particulier n’est en jeu). Ce
temps est généralement l’imparfait, mais peut aussi être le présent ; si c’est un présent, on
peut facilement la confondre avec la valeur primaire, voire avec la valeur logique. Présent ou
imparfait, le temps utilisé est toujours un imperfectif.
10) valeur informative
Il s’agit ici de rendre compte du sens du « si » dans les conditionnels dits « pragmatiques ».
La protase pose un cadre au sein duquel l’apodose fournit une information pertinente
Nous lui attribuons une valeur neutre sur l’axe rendant compte de la prise en charge de la
protase (le locuteur ne se prononce pas sur sa réalisation), positive sur l’axe de la modalité
aspectuelle (il y a bien une valeur modale), et une valeur neutre sur l’axe faits / raisonnement
(aucune attente causale n’a son rôle ici).
Les paraphrases sont : « à supposer que », « dans le cas où », « dès lors que ».
Exemples : « si tu as soif, il y a de la bière dans le réfrigérateur », « si tu veux, on peut aller se
promener »
Le locuteur pose un cadre, qui rend compte d’un état mental ou physique de son auditeur ou
du sujet du discours. Il affirme alors une information, sans lien causal avec la protase, mais
qui n’est pertinente que si la protase est réalisée
Les pointeurs dont nous disposons sont généralement d’ordres lexicaux : la protase se réfère à
un état mental ou physique, bien qu’on puisse trouver des exceptions (« s’il veut bien venir
avec nous, je veux bien être pendu! », « S’il a encore faim, je suis prêt à vendre ma propre
mère ! »). On trouvera cependant généralement cette valeur dans les cas où la protase
comporte un verbe exprimant un souhait.
Nous pouvons résumer cela à l’aide d’un tableau synthétique (figure 1).
39
figure 1
N° Valeurs typiques de "si"
Prise en
charge de
la protase
modalité
aspectuelle
Adéquation
par rapport à
l'attente/
causalité
Paraphrases
possibles Commentaires
1
Valeur primaire constative
atemporelle (valeur primaire
neutre) 0 0 0
Dans le cas où, à
supposer que, dès
lors que Ici règle comme régularité
2
Valeur déductive
atemporelle (valeur logique) 0 0 +
implique, dans le
cas où, à supposer
que, dès lors que,
quand Règle comme loi
3 Valeur causale + 0 + puisque, comme
Déduire une conséquence
d’une prémisse assertée
4 Valeur réfutative - 0 +
Dans le cas où, à
supposer que, dès
lors que
Réfuter la protase en
exhibant une conséquence
absurde
5 Hypothético-prospective - + +
si seulement, à
condition que
Exhiber une conséquence
d’une protase niée
6 Valeur prospective 0 + +
A supposer que, à
condition que, dans
le cas où
Exhiber une possibilité
découlant d’une protase sur
la réalisation de laquelle on
ne se prononce pas
7 Valeur concessive + 0 -
bien que, même si,
alors que, quand
bien même
« sil aime la littérature, je ne
lis quant à moi que des
polars »
8
Comparative non concessive
(contrastive) + 0 0
De la même façon
que, aussi bien que
« si nul ne pouvait entrer
dans Menzalé personne
n'était en mesure d'en
sortir »
9
Valeur aspectuelle
d’habituelle (itérative) 0 - 0
Dans le cas où, à
supposer que, dès
lors que
« si tu as soif, il y a de la
bière dans le réfrigérateur »
10 valeur informative (cadre) 0 + 0
Dans le cas où, à
supposer que, dès
lors que
« si tu as soif, il y a de la
bière dans le réfrigérateur »
40
Nous obtenons ainsi l’espace sémantique suivant (figure 2) : Figure 2 Hypothético-prospective prospective 14 Réfutative causale 15 16 11
17 informative 18 19 contrastive 20 21 itérative 23 22 24 25 Concessive 26 27 13
12
primaire
logique
41
4) analyse de l’espace sémantique et continuité du sens
En premier lieu, nous voudrions préciser la valeur à accorder à cette notion de typicité. En
effet, nous avons qualifié de « typiques » des valeurs qui nous apparaissaient comme
saillantes, avec des propriétés marquées, et correspondant à des usages paradigmatiques du
« si ».
Cependant, de tels usages « typiques » sont bien loin de constituer la majorité des usages de
« si ». En effet, bien des usages sont difficilement reconnaissables comme se rangeant sous
une valeur typique. Au contraire, il existe de nombreux cas de recoupements, ainsi que des
cas d’ambiguïtés.
Nous voudrions donc insister sur quatre points. Le premier concerne la possibilité de cas de
recoupements, et de cas d’ambiguïté. Si les premiers indiquent un usage du « si » qui semble
pouvoir se ranger sous deux valeurs typiques proches, sans que ce flottement gêne la
compréhension de la proposition, les seconds en revanche rendent difficile la compréhension
de l’énoncé. Le deuxième point concerne l’existence de valeurs, que nous qualifierons de
« limites », et qui correspondent à des usages possibles, mais non typiques de « si ». Le
troisième a pour but d’expliquer la présence de points sur notre espace sémantique auxquels
aucune valeur ne correspond. Enfin, le quatrième concerne la possibilité de parcourir notre
espace sémantique d’une valeur à l’autre par le recours à des valeurs intermédiaires, et ainsi
de penser une réelle continuité du sens.
- recoupements et ambiguïtés
a) quelques exemples de recoupements
(a) « Si je mets du chocolat au soleil, il fond ».
Ici, le « si » peut être compris soit en tant qu’ayant sa valeur primaire, soit comme exprimant
une règle scientifique. Cela dépend de la façon dont elle est manifestée ; si on la présente
comme le résultat d’une analyse physique du chocolat, alors on lui accordera la valeur du
« si » logique, mais s’il s’agit d’un constat, d’une induction à partir de notre quotidien, alors,
on lui accordera plus volontiers la valeur primaire constative atemporelle. Nous ne sommes
pas ici dans un cas d’ambiguïté ; en effet, la confusion qui peut exister ne saurait gêner la
compréhension générale de l’énoncé. Ceci est bien rendu par notre espace sémantique, dans
lequel ces valeurs sont très proches, et ne diffèrent que sur un paramètre. Elles diffèrent en
effet sur deux axes : celui du rapport des faits au raisonnement, sur lequel la valeur
prospective est positive, tandis que la valeur itérative est neutre, et sur l’axe de la modalité
aspectuelle, pour lequel la valeur prospective est positive, et la valeur aspectuelle d’habituel
est neutre.
42
(b) « si elle ne jugeait pas nécessaire de m'affranchir, je trouvais malséant de la
questionner »
Ici, on peut penser être confronté soit à une valeur causale (« puisqu’elle ne jugeait pas
nécessaire de m'affranchir, je trouvais malséant de la questionner »), soit à une valeur
contrastive du « si » (« de la même façon qu’elle ne jugeait pas nécessaire de m'affranchir, je
trouvais malséant de la questionner ») du « si ». Ce n’est cependant pas un cas d’ambiguïté,
en tant que le choix de l’une ou l’autre valeur pour le « si » ne gêne pas la compréhension de
l’énoncé. Et de nouveau, notre espace sémantique, sur lequel ces valeurs ne diffèrent que pour
un paramètre (celui du rapport entre faits et raisonnement), rend compte de cette proximité.
b) quelques exemples d’ambiguïtés
(c) « S’il pleut, on va au cinéma ».
Cette phrase peut être comprise comme exprimant soit une régularité (valeur aspectuelle
d’habituel), dans un récit qui se situe dans le passé du type « s’il pleuvait, on allait au
cinéma », soit une valeur prospective (le présent exprime alors un futur : « s’il pleut, on ira au
cinéma »). Un autre usage apparaît comme possible, dans le cadre de la description des
habitudes de vie d’un groupe de personnes (« s’il pleut, ils vont au cinéma »). Nous rangerons
cependant ce cas comme reprenant la valeur aspectuelle d’habituel.
Cet exemple constitue un cas d’ambiguïté et non de recoupement ; en effet, les deux
compréhensions sont très éloignées, et notre interlocuteur, s’il ne dispose pas du contexte, est
en droit de demander des explications quant au sens de notre proposition. Il s’agit en effet de
faire un choix quant à la valeur du « si » à laquelle nous faisons allusion. Ceci semble exprimé
au sein de notre espace sémantique par la distance qui sépare ces deux valeurs. En effet, leur
éloignement rend bien compte du fait que nous ne nous situons pas dans un cas de
recoupement.
(d) « si les syndicats font n’importe quoi, le gouvernement aussi »
On peut ici comprendre le « si » soit comme concessif (« bien que les syndicats fassent
n’importe quoi, le gouvernement aussi »), soit comme ayant une valeur aspectuelle d’habituel
(« dès lors que les syndicats font n’importe quoi, le gouvernement aussi »), ou primaire. Une
fois de plus on est confronté à un cas d’ambiguïté, et non de proximité de sens et de
recoupement. En effet, le choix d’attribuer l’une ou l’autre de ces valeurs au « si » entraîne
une compréhension radicalement différente de l’énoncé. On retrouve cela sur notre espace
sémantique, puisque la valeur concessive diffère de la valeur primaire sur deux des axes (les
axes exprimant le rapport des faits au raisonnement la prise en charge de la prémisse), et de la
valeur aspectuelle d’habituel sur les trois axes.
43
- valeurs « limites »
Comme nous l’avons dit, aux valeurs typiques que nous avons présentées s’ajoutent des
valeurs que nous n’avons pas considérées comme typiques mais qui constituent des usages
possibles. Elles forment donc des valeurs que nous appellerons « limites » et correspondent
aux points 11, 12 et 13 de notre schéma. (voir figure 3)
Figure 3
Ainsi, une proposition dans laquelle l’usage du « si » se situerait au point 11, devrait selon nos
axes avoir un rapport neutre à la protase, être obtenue par le raisonnement, et une valeur
itérative. On peut donc imaginer une proposition du type : « si l’on mange bien, on grossit »,
ou « s’il y a une révolution, elle est suivie d’une période de terreur » qui implique plus de
raisonnement qu’une proposition renvoyant à la valeur aspectuelle d’habituel, telle que : « S’il
pleuvait, nous allions au cinéma ».
Pour qu’une proposition renvoie au point 12, elle ne doit pas prendre en charge la protase,
avoir une valeur neutre pour la modalité aspectuelle, et exprimer une certaine surprise par
rapport à une attente rationnelle. On peut donc imaginer une proposition telle que : « si je
mélange de l’eau et du vin, (contre toute attente), j’obtiens un liquide de couleur verte ».
La valeur correspondant au point 13 de notre espace sémantique doit se différencier de la
précédente par une valeur plus itérative. On y classera des propositions comme : « s’il danse
le jerk (contre toute attente) il déchaîne les passions ».
Les valeurs typiques associées à celles représentées par les points 11, 12 et 13 ne constituent
pas cependant toutes les valeurs du « si ».
11
12
13
44
En effet, de nombreux usages du « si » se situent dans des régions intermédiaires entre ces
points qui constituent des usages paradigmatiques du mot. Nous allons donc donner des
exemples de telles valeurs intermédiaires, qui permettent de mettre en avant un certain
continuum entre ces valeurs.
- valeurs impossibles
Nous devons désormais expliquer le fait qu’à certains points auxquels nous devrions a priori
faire correspondre des valeurs typiques ou limites, en tant qu’ils se situent à une intersection,
ne correspondent aucune valeur. Il nous faut justifier cette absence. Celle-ci s’explique par
des incompatibilités logiques ou de sens commun
Ainsi, il est selon nous impossible que le mot ait à la fois une valeur négative sur l’axe qui
exprime le rapport des faits au raisonnement (qu’il ait donc une valeur de « surprise » par
rapport au raisonnement), et une forte valeur de modalité aspectuelle
Ceci exclut donc les points 22, 23 et 24.
De plus, il nous semble que le refus de la prémisse implique nécessairement le recours au
raisonnement. Ceci exclut donc les points 17, 19, 20, (22), 25 et 26.
On refuse de même qu’une valeur négative pour la prise en charge de la prémisse puisse
s’accompagner d’une forte valeur d’habitude. Nous excluons donc, outre les points 20 et 26
déjà éliminés, le point 15.
Enfin, l’assertion de la prémisse interdit aussi bien une valeur positive sur l’axe de la modalité
aspectuelle, qu’une valeur négative exprimant l’itération. on exclut donc, outre le point 24
déjà exclu, les points 14, 18, 16, 21 et 27. (voir figure 4)
figure 4
26
14
15 16 18
17
19
20 21
22 23 24 25 27
45
Une fois éliminés ces points, il nous faut montrer comment on peut parcourir toutes les
valeurs acceptables (typiques et limites). Nous présenterons donc des « chemins » entre les
valeurs, afin de montrer comment l’on peut circuler entre ces points.
- continuité du sens et parcours de l’espace sémantique
Le premier chemin va nous faire passer de la valeur prospective au point 13, en passant par
les valeurs logique, causale, concessive et contrastive, et par le point 12. (voir figure 5)
Figure 5
- Valeur prospective : « s’il fait beau, nous irons nous promener »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier la modalité aspectuelle, pour arriver à une valeur
neutre sur cet axe) :
« s’il travaille, il aura son bac »
« s’il travaille, il aura de meilleures notes »
« si on travaille, on a de meilleures notes »
- Valeur logique : « si ABC est un triangle rectangle, le carré de son hypoténuse est égal à la
somme des carrés de ses deux autres côtés »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier la prise en charge de la protase, pour atteindre une
valeur positive) :
« si ABC est bien un triangle rectangle, le carré de son hypoténuse est égal à la somme des
carrés de ses deux autres côtés »
Prospective
Logique causale
Contrastive concessive
12
13
46
« Si nous trichons tous, à quoi bon continuer à jouer ? »
« si tu le fais pour toi, c’est que ça t’amuse »
- Valeur causale : « si c’est comme ça, va-t-en ! »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier le rapport du raisonnement aux faits, pour arriver à une
valeur de constat) :
« si tu insistes, il vaut mieux que tu t’en ailles »
« si tu insistes, moi je préfère me taire »
« si tu as des idées pour ton avenir, moi je suis un peu perdue »
- Valeur contrastive : « si nul n’entrait dans Menzalé, nul ne pouvait en sortir »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier le rapport du raisonnement aux faits, pour arriver à une
valeur de surprise par rapport au raisonnement) :
« si j’aime le vin blanc, j’aime aussi le vin rouge »
« si je ne l’ai pas appelé, lui non plus ne m’a pas appelée »
« si tu persistes, je persiste aussi »
« si tu tiens à ta position, tu n’es pas la seule »
- Valeur concessive : « s’il aime la grande littérature, moi je ne lis que des polars »
Valeurs intermédiaires (on fait varier la prise en charge de la protase, pour arriver à une valeur
neutre sur cet axe) :
« s’il danse bien, il a pourtant l’air un peu guindé »
« si on danse bien, on marche maladroitement »
« si on ajoute la grâce à la grâce, on obtient la disgrâce »
- Point 12 : « si je mélange de l’eau et du vin, (contre toute attente), j’obtiens un liquide de
couleur verte »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier la modalité aspectuelle, pour parvenir à une valeur
itérative) :
« si on va toujours tout droit, on se retrouve à notre point de départ »
« alors qu’habituellement il bégaye, s’il parle en public, il fait un grand orateur »
- Point 13 : « s’il danse le jerk (contre toute attente) il déchaîne les passions ».
Le deuxième chemin fait une boucle à partir de la valeur primaire, en passant par les valeurs
logique, réfutative, hypothético-prospective, prospective, et informative.
47
- Valeur primaire : « si elle reste trop longtemps au soleil, elle n’a plus envie de travailler »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier le rapport du raisonnement aux faits pour arriver à une
valeur positive sur cet axe) :
« si le temps est clair, nous verrons Vénus »
« si le temps est clair, on peut voir Vénus »
- Valeur logique : « si ABC est un triangle rectangle, le carré de son hypoténuse est égal à la
somme des carrés de ses deux autres côtés »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier prise en charge de la protase, pour arriver à une valeur
de refus) :
« si c’est un triangle, ce n’est pas un cercle »
« Si c’est un triangle, alors 2+2=5 ! »
- Valeur réfutative : « s’il vient ce soir, je veux bien être pendue ! »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier la modalité aspectuelle, pour arriver à une valeur
positive sur cet axe) :
« s’il était arrivé à l’heure, j’aurais bien voulu être pendue »
« s’il était venu dîner, nous aurions pu en parler »
- Valeur hypothético-prospective : « s’il avait travaillé, il aurait eu son bac »
Hypothético-prospective prospective Réfutative Logique Informative primaire
48
- Valeurs intermédiaires (on fait varier la prise en charge de la prémisse, pour parvenir à une
valeur neutre sur cet axe) :
« s’il travaillait plus, il aurait de bonnes notes »
« s’il faisait très beau, nous irions nous promener »
- Valeur prospective : « sil fait beau, nous irons nous promener »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier le rapport entre faits et raisonnement, pour aboutir à
une valeur de constat) :
« si elle a envie, on ira se promener »
« si tu as soif, on peut faire monter de la bière »
- Valeur informative : « si tu as soif, il y a de la bière dans le réfrigérateur
- Valeurs intermédiaires (on fait varier la modalité aspectuelle, pour arriver à une valeur
neutre sur cet axe) :
« si tu as soif, la bière désaltère »
« si on a soif, boire une bière désaltère »
- Valeur primaire : « si elle reste trop longtemps au soleil, elle n’a plus envie de travailler »
Enfin, pour avoir relié tous les points, nous pouvons circuler selon un troisième chemin, qui
va de valeur logique à la valeur représentée par le point 13, en passant par le point 11, et par
la valeur aspectuelle d’habituel.
logique 11 pectuelle
49
- Valeur logique : « si ABC est un triangle rectangle, le carré de son hypoténuse est égal à la
somme des carrés de ses deux autres côtés »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier la modalité aspectuelle, pour arriver à une valeur
itérative sur cet axe) :
« si ABC est un triangle, la somme de ses angles est égale à 180° »
« si deux plaques terrestres se rencontrent, il y a un tremblement de terre »
- Valeur représentée par le point 11 : « s’il y a une révolution, elle est suivie d’une période de
terreur »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier le rapport du raisonnement aux faits, pour arriver à une
valeur neutre sur cet axe) :
« s’il y avait une révolution, elle était suivie d’une période de terreur »
- Valeur aspectuelle d’habituel : « si je ralentissais, il ralentissait »
- Valeurs intermédiaires (on fait varier le rapport du raisonnement aux faits, pour arriver à une
valeur négative sur cet axe) :
« si je mangeais des fraises, j’avais des boutons »
Valeur représentée par le point 13 : « s’il danse le jerk, (contre toute attente) il déchaîne les
passions »
On peut donc obtenir des valeurs intermédiaires entre les valeurs typiques et les valeurs
« limites » 11, 12 et 13, de manière à parcourir l’ensemble de notre espace sémantique sur
l’ensemble des valeurs « acceptables ».
Nous avons donc constitué un espace sémantique qui semble répondre aux exigences que
nous avions formulées. En effet, il permet de rendre compte de toutes les valeurs qui sont
apparues comme typiques lors de l’étude du corpus, d’expliquer tant les recoupements de
valeurs que les ambiguïtés, et nous permet de « circuler » d’une valeur à une autre. Enfin, les
espaces vides de cet espace le sont pour des raisons d’incompatibilité de valeurs sur les trois
axes. Ces quatre paramètres semblent donc le valider.
50
III) La question des noyaux de sens.
1) le « si » comme une unité lexicale, et la question des « noyaux de sens »
La mise en évidence d’une telle continuité dans le sens du « si » nous pousse à l’envisager
comme une seule et même unité, et nous serions donc tentés d’en dégager un « noyau de
sens », un schéma général qui serait toujours à l’œuvre dès lors que l’on aurait recours à ce
mot.
Nous avons dit que la continuité du sens de « si » justifiait selon nous de la considérer comme
une unité lexicale à part entière (en excluant pour l’instant, comme nous l’avons précisé en
II.I.2, ses usages adverbiaux, ainsi que les usages dans lesquels il vient compléter un verbe,
comme dans le cas de « savoir si », « se demander si », etc.). Pour justifier cette affirmation, il
nous faudrait déterminer un noyau de sens du mot, un modèle qui rendrait compte de tous les
usages que nous avons présentés. Nous n’espérons pas pouvoir construire ici un réel modèle
du mot « si », mais essayerons de fournir certains éléments pour sa réalisation. En plus de
l’intérêt théorique que pourrait présenter un tel modèle, il nous semble important pour des
travaux en cours en traitement automatique de la langue42. En effet, la prise en compte du sens
de « si » apparaît crucial lorsque l’on s’intéresse par exemple aux résumés automatiques. La
machine devra être capable de reconnaître si elle est confrontée à un mot dit « cadratif », en
tant qu’il pose un cadre de discours. En effet, des mots tels que « selon » ou « dans », par
exemple, ont un usage cadratif évident : ils introduisent un point de vue, ou un lieu du
discours. De même, les valeurs « prospectives » du « si » devront pouvoir être différenciées
de ses valeurs « causales » par exemple. Il s’agit donc idéalement de présenter un schéma sur
lequel différents éléments joueraient le rôle de « pointeurs » pour indiquer à quel usage du
« si » la phrase réfère. A défaut de pouvoir en présenter une version achevée, nous en
présenterons divers éléments.
2) Noyau de sens
Nous voulons pour notre noyau de sens rendre compte d’une valeur extrêmement générale du
mot, afin que les trois paramètres que nous avons pris comme axes de l’espace sémantique
associé à « si » puisse y prendre les différentes valeurs que nous leur accordons. Il nous
semble que la façon la plus neutre de rendre compte du sens de « si » est de considérer qu’il
42 Un groupe de recherche du laboratoire Lattice, lancé par M. Charolles, travaille actuellement dans ce sens, et nous tenons à le remercier pour les indications bibliographiques en linguistiques qu’il nous a fournies, et qui, si elles n’apparaissent pas dans ce mémoire, nous ont pourtant permis de nous faire une idée du travail mené par les linguistes sur ce sujet.
51
active un schéma d’embranchement, en tant qu’il pose toujours l’hypothèse d’une protase, qui
peut être réalisée ou non, prise en charge par le locuteur ou non. Celui-ci permettrait de situer
le moment de l’énonciation par rapport à l’embranchement. Si le locuteur se situe avant, on
aura une position de neutralité par rapport à la protase. Cette position peut généralement être
déduite de la construction temporelle : les protases au perfectif indiqueront que nous avons
déjà dépassé l’embranchement (« si nous avions été… », « s’il avait plu… », etc).
La question reste alors de pouvoir rendre compte de la diversité des liens que peut activer le
« si », puisque nous avons vu qu’ils n’étaient pas forcément déductifs.
Pour reprendre les termes utilisés par Bernard Victorri, il s’agit d’introduire grâce à la protase
une scène verbale, un cadre, dans lequel l’apodose a sa place. Au sein de la scène verbale
représentant la protase de l’énoncé, la valeur prise par le « si » va indiquer la place qui est
réservée à l’apodose.
Nous donnons donc à titre indicatif le schéma suivant (figure 6) :
Figure 6
Si la protase est réalisée, elle fournit un cadre, dans lequel l’apodose vient se placer. Le sens
du « si » définit alors les rapports entretenus entre la protase et l’apodose.
Constructions aspectuo-syntaxiques
Contexte pragmatique
Pointent sur un endroit du cadre
« si »
Pointent sur un moment d’énonciation
52
Il semble alors pertinent de considérer que l’apport du « si » comporte toujours trois
éléments : l’indication d’un embranchement, dont l’une des branches est constituée du cadre
fourni par la protase, la position du locuteur par rapport à la voie qui a été suivie et enfin,
l’affirmation de la place de l’apodose au sein du cadre mis en place par la protase. Il nous
faut désormais vérifier que toutes les valeurs que nous avons définies peuvent être comprises
dans ce cadre théorique, et réfléchir à la façon dont certaines constructions pourraient jouer le
rôle de pointeurs que nous avons mentionné plus haut.
Les indications d’ordre syntaxico-aspectuel, de même que les indications sémantico-
pragmatiques que nous avons données pour définir les valeurs typiques permettent
généralement de déterminer à quelle valeur nous sommes confrontés.
Il semble donc qu’on puisse comprendre les différents usages du mot « si » à travers ce
schéma sommaire. Il reste encore de nombreux points à préciser pour le rendre opérationnel.
Cependant, si l’on restait avec un modèle de ce type, cela permettrait une vision relativement
unifiée des valeurs que nous avons présentées, et qui s’appuieraient sur un système de
pointeurs linguistiques qui, dans un nombre de cas, permettraient de déterminer à quelle
région du sens nous sommes confrontés. Par ailleurs, le fait de dégager, d’une manière que
nous espérons rendre la plus automatique possible, quel type de rapport doit être à l’œuvre
entre protase et conclusion selon l’usage du « si » auquel il est fait référence devrait
permettre de répondre en partie à la question laissée en suspens à la fin de la première partie,
à savoir celle de distinguer différents degrés d’énonciabilité. En effet, la spécification de
l’usage du « si » au sein d’un énoncé permet de déterminer au moins partiellement dans quelle
relation se trouvent les deux parties de la phrase. Dès lors, si l’on est capable de reconnaître,
grâce à des pointeurs linguistiques spécifiés, que dans la proposition : « s’il pleut, alors les
dromadaires ont une bosse » (où l’apodose est vraie, ce qui nous permet de déterminer que le
« si » n’a pas ici une valeur réfutative), le « si » prend une valeur déductive atemporelle,
constative atemporelle ou aspectuelle d'habituel, valeurs dans lesquelles la causalité ou la
succession régulière devraient avoir un rôle à jouer, alors cette proposition nous semble peu
pertinente, et dès lors avoir un faible degré d’énonciabilité.
Cependant cette perspective ne peut faire l’économie d’une approche pragmatique. Ce sont en
effet des effets pragmatiques, et non directement sémantiques. En effet, pour déterminer la
valeur réfutative par exemple, nous avons eu recours à l’absurdité de l’apodose, ce qui ne
saurait être établi au niveau proprement sémantique. Un tel recours pose des problèmes pour
une éventuelle utilisation en traitement automatique du langage, puisqu’il semble difficile de
penser une automatisation du traitement de tels paramètres. Il n’en reste pas moins qu’il nous
*semble impossible de faire l’économie d’un tel passage par la pragmatique.
53
Conclusions et perspectives. Maintenant que nous avons présenté notre étude du mot « si », nous voudrions revenir sur les
questions qui étaient au point de départ de notre recherche, à savoir celles du rapport entre
logique et raisonnement. Pour cela, nous nous proposons de revenir sur la distinction que nous
avons opérée entre la valeur primaire du « si » et sa valeur « logique », à travers une relecture
de la tâche de sélection, ainsi que sur les rapports que nous avons entretenus tout au long de
ce travail avec la pragmatique.
En effet, un résultat semble corroborer nos hypothèses de départ, et nous voudrions pour
l’expliquer revenir sur la valeur que nous avons considérée comme primaire, en tant à la fois
qu’elle prend la valeur neutre sur les trois axes que nous avons déterminés, et qu’elle est la
plus massivement représentée dans notre corpus. Nous l’avons distinguée de la valeur que
nous avons qualifiée de « logique ». En effet, si l’une – la valeur primaire – manifeste une
régularité constatée, l’autre fait appel au raisonnement, et rend compte d’un lien déductif entre
la protase et l’apodose.
Le fait que la valeur primaire « constative » soit la plus fréquemment utilisée nous permet de
revenir sur la présentation que nous avons faite de la tâche de sélection. Celle-ci, nous l’avons
vu, a longtemps été considérée comme une tâche paradigmatique pour tester les capacités
« implicatives » des sujets, et les résultats obtenus étaient désespérément mauvais. L’analyse
proposée par Sperber, Cara et Girotto consistait à remettre en cause l’idée selon laquelle cette
tâche permettait d’évaluer les capacités des sujets à comprendre une règle implicative, pour en
proposer une explication posant qu’il s’agissait pour les sujets de déterminer quelle carte il
leur fallait retourner pour vérifier que l’information qui leur était fournie par la règle, c’est-à-
dire en vérifiant, dans le cas où ils sont confrontés à un A, qu’il y a bien un 7 au dos. Les
sujets ne considéraient dès lors pas la tâche comme une tâche de raisonnement, mais faisaient
appel à leur intuition, et s’y fiaient. Il fallait pour obtenir de meilleurs résultats, leur présenter
des tâches dans lesquelles ils étaient amenés à chercher un contre-exemple. L’attitude des
sujets semble plus facilement explicable avec l’analyse du « si » que nous proposons, puisque
c’est bien finalement sur leur capacité à manifester leur compréhension des énoncés dans
lesquels apparaissait un « si » conditionnel qu’ils semblent testés.
En effet, ayant déterminé comme nous l’avons fait la valeur primaire du « si », les résultats à
cette tâche n’ont plus rien de surprenants. Les sujets sont testés sur leur compréhension d’un
énoncé comportant l’expression « si… alors », et ils se réfèrent pour exécuter la tâche à la
valeur primaire du « si », à laquelle la présence du « alors » les incite à recourir. Il s’agit donc
54
pour eux de constater une régularité, et c’est bien ce qu’ils font, en retournant la carte sur
laquelle est inscrite un A.
La distinction que nous opérons permet donc de comprendre comment fonctionne
effectivement cette tâche, et les résultats observés chez les sujets nous semblent aller dans le
sens d’une compréhension du « si » comme prenant comme valeur primaire cette valeur
constative atemporelle que nous avons dégagée. Ils justifieraient par ailleurs l’hypothèse d’un
usage neutre du « si » qui se distinguerait, bien que dans de nombreux énoncés, la valeur à
donner au « si » puisse être soit constative, soit logique. On est donc confronté à la distinction
entre démontrer et constater.
Il semble donc que les résultats obtenus grâce à notre étude sur corpus, et à la mise en place
d’un espace sémantique associé à « si », permettent de saisir l’usage effectif du mot.
Nous avons donc ici un résultat qui vient conforter le résultat obtenu par Sperber, Cara et
Girotto, en partant d’un point de départ très différent. Ceci nous amène à penser un rapport de
la pragmatique à la sémantique, non pas comme des champs qui doivent s’opposer, comme ils
sont souvent présentés, mais comme deux domaines qui se complètent. En effet, il nous
semble qu’une bonne analyse sémantique doit faire de la place à une approche pragmatique, et
ne pas sous-estimer les effets de contextes. Nous avons d’ailleurs eu recours à des effets
pragmatiques, en définissant certaines valeurs du « si », qui ne nous semblaient pas pouvoir se
laisser comprendre s’y l’on se refusait à un tel élargissement. En effet, il apparaît impossible
de faire l’économie d’un recours à la pragmatique pour déterminer la valeur réfutative (« s’il
vient dîner ce soir, je veux bien être pendue ! »), qui repose sur l’absurdité de l’apodose.
De la même façon, nous pensons qu’une bonne analyse pragmatique ne saurait se passer de la
supposition d’un niveau de sens proprement sémantique. Ainsi, une analyse satisfaisante d’un
mot d’un point de vue sémantique ne devrait pas se trouver en contradiction avec son analyse
d’un point de vue pragmatique, mais bien au contraire, l’une nous semble devoir corroborer
l’autre. Il nous semble donc particulièrement intéressant que notre analyse sémantique du
« si » permettent de confirmer les conclusions de Sperber, Cara et Girotto quant à la tâche de
sélection.
Enfin, nous voudrions présenter quelques perspectives que les résultats que nous avons
obtenus, et le fait que notre espace sémantique satisfasse les critères que nous avions posés,
nous semblent ouvrir. La première, nous l’avons vu, concerne la mise en place d’un modèle
général du sens de « si », qui, s’il apparaît difficile à adapter à un éventuel traitement
automatique, n’en apparaît pas moins réalisable.
55
De plus, la détermination de nos paramètres semble laisser entrevoir la possibilité d’un
traitement de l’implication en termes modaux. En effet, on peut lire ces axes comme
exprimant chacun un rapport spécifique du monde auquel on se réfère au monde réel. Ainsi,
l’axe qui traite du rapport entre les faits et le raisonnement pourrait apparaître comme allant
d’une valeur où l’on révise nos croyances en déplaçant le monde réel pour faire primer les
faits – pour la valeur négative – à une valeur où l’on envisage des mondes conditionnels ou
contrefactuels, en passant par un scénario normal, à proximité du monde réel. L’axe de la
modalité aspectuelle nous ferait, quant à lui, nous déplacer d’une valeur d’occurrences de
mondes réels à des mondes possibles. Enfin, l’axe de prise en charge de la protase
manifesterait le fait que l’on se situe soit dans un monde reconnu comme irréel, soit dans un
monde asserté comme réel. En suivant cette voie, il semblerait éventuellement possible de
mettre en place des systèmes logiques adaptés à la formalisation du « si » conditionnel.
Enfin, il nous semble qu’une telle analyse linguistique, à l’écoute tant des discussions
philosophico-logiques que des expérimentations en psychologie du raisonnement devrait
permettre de faire le lien entre ces deux domaines qui s’ignorent trop souvent, et d’éclaircir ce
qui est effectivement testé par les psychologues qui s’attaquent au problème des
conditionnels.
56
Bibliographie thématique
1) sur les rapports de la logique et du raisonnement
- ANDLER, D., « Logique raisonnement et psychologie », in DUBUCS, J., LEPAGE,
F. (éds), Méthodes logiques pour les sciences cognitives, Hermès, Paris, 1995. Fait le
point sur les rapports entre ces disciplines, et propose une présentation de plusieurs
approches de la tâche de sélection.
- ARNAULD, A., NICOLE P., La logique ou l’art de penser ( 1662), réimpression,
PUF, paris, 1965. Intéressant pour comprendre le caractère normatif associé à la
logique, comprise comme norme du raisonnement. Ainsi, dans le premier discours, il
est dit que la « principale application [de ce traité] » devrait être de « former son
jugement, et de le rendre aussi exact qu’il peut être ».
- FREGE Écrits logico-philosophiques, Éditions du Seuil, 1971. Fondateur pour la
logique contemporaine, propose une approche anti-psychologiste.
- LEPAGE, F., DUBUCS, J., La logique et son histoire. Très intéressant pour replacer
l’apparition des logiques non classiques
- MACNAMARA, J., A border dispute. The place of psychology in logic, MIT Press,
1986. Une étude intéressante des rapports entre le raisonnement, la logique et la
psychologie, par un psychologue
2) sur l’approche philosophico-logique du problème des conditionnels
- ADAMS, E. W. "A Logic of Conditionals". Inquiry, 8, pp. 166-97. (1965)
- ADAMS, E. W. "Probability and the Logic of Conditionals", in Hintikka, J. and
Suppes, P. éds., Aspects of Inductive Logic. Amsterdam: North Holland, pp. 256-316.
(1966)
- ADAMS, E. W. "Subjunctive and Indicative Conditionals". Foundations of Language,
6, pp. 89-94. (1970)
- ADAMS, E. W. 1975: The Logic of Conditionals. Dordrecht: Reidel. (1675)
57
- ADAMS, E. W. 1998: A Primer of Probability Logic. Stanford: CLSI Publications.
Appiah, A. 1985: Assertion and Conditionals. Cambridge: Cambridge University
Press. (1998)
- BARWISE J., « The Situation in Logic ». Number 17 in CSLI Lecture Notes. Center
for the Study of Language and Information, Stanford, CA, (1987)
- BRAINE, « A theory of if : A lexical entry, reasoning program, and pragmatic
principles », 1990
- EDGINGTON, D. “On conditionals”, in Conditionals, éd. F. Jackson. Oxford U.P.
(1991)
- GRICE, P., “Logic and conversation, in Conditionals, éd. F. JACKSON. Oxford U.P.
(1991)
- GRICE, H. P. Studies in the Way of Words. Cambridge MA: Harvard University Press.
(1989)
- HARPER, W. L., STALNAKER, R. AND PEARCE, G. éds. Conditionals, belief,
Decision, Chance and Time, Dordrecht, Holland, D. Reidel (1981. ).
- JACKSON, F. "On Assertion and Indicative Conditionals". Philosophical Review, 88,
pp. 565-589. (1979)
- JACKSON, F. "Conditionals and Possibilia". Proceedings of the Aristotelian Society
81, pp. 125-137. (1981)
- JACKSON, F., (éd) Conditionals, Oxford U.P. (1991)
- JACKSON, F., "Classifying Conditionals I", Analysis, 50, pp. 134-47, repris dans
JACKSON 1998. (1990)
- JACKSON, F., Mind, Method and Conditionals. London: Routledge. (1998)
- LEWIS, D, . Counterfactuals. Oxford (U.P.). (1973)
- LEWIS, D. 1976: "Probabilities of Conditionals and Conditional Probabilities".
Philosophical Review, 85, pp. 297-315. Repris dans LEWIS (1986).
- LEWIS, D., Philosophical Papers Volume 2. Oxford: Oxford University Press. (1986)
- RAMSEY, F.P., Philosophical Papers, D.H. Mellor, éd., Cambridge University Press.
(1990)
- RAMSEY, F. P., Truth and Probability in Ramsey 1990 pp. 52-94. (1926). Repris
dans RAMSEY 1990
- RAMSEY, F. P., “General Propositions and Causality" (1929) in RAMSEY 1990 pp.
145-63.
- RESCHER, N., éd., Studies in logical theory, number 2 in American philosophical
quarterly monograph series. Blackwell, Oxford. , pp.98-112. (1968)
58
- STALNAKER, R. "A Theory of Conditionals" in Studies in Logical Theory, American
Philosophical Quarterly Monograph Series, 2. Oxford: Blackwell, pp. 98-112. (1968).
Repris dans JACKSON, F., (éd) Conditionals, Oxford U.P. (1991)
- STALNAKER, R., "Probability and Conditionals". Philosophy of Science, 37, pp. 64-
80. Repris dans IFS; Conditionals, belief, Decision, Chance and Time, HARPER, W.
L., STALNAKER, R. AND PEARCE, G. éds. (1981. )
- STALNAKER, R. “Indicative Conditionals”, in Conditionals, éd. F. JACKSON.
Oxford U.P. (1991)
- STALNAKER, R., Inquiry. Cambridge MA MIT Press. (1984)
- STALNAKER, R., “A theory of conditionals”. In RESCHER, N., éd., Studies in
logical theory, number 2 in American philosophical quarterly monograph series.
Blackwell, Oxford. , pp.98-112. (1968)
- STALNAKER, R. , “Presuppositions”, in Journal of Philosophical Logic 2, pp.447-
457. 1973
- THOMSON, J., In Defense of . Journal of Philosophy, 87, pp. 56-70. 1990
- ressource électronique :
- Edgington, Dorothy, "Conditionals", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Fall
2001 Edition), Edward N. Zalta (éd.), URL =
<http://plato.stanford.edu/archives/fall2001/entries/conditionals/>.
3) Logiques de la pertinence
- ANDERSON, A.R., BELNAP, Jr, Entailment: The Logic of Relevance and Necessity,
Princeton, Princeton University Press, Volumes I. (1975)
- ANDERSON, A.R., BELNAP, Jr, Entailment: The Logic of Relevance and Necessity,
Princeton, Princeton University Press, Volume II. (1975)
- DUNN, "Relevance Logic and Entailment" in GUENTHNER F., GABBAY D.(éds.),
Handbook of Philosophical Logic, Volume 3, Dordrecht: Reidel pp 117—224. (1986)
- Ressource électronique :
- Mares, Edwin, "Relevance Logic", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Summer
1998 Edition), Edward N. Zalta (éd.), URL =
<http://plato.stanford.edu/archives/sum1998/entries/logic-relevance/>.
59
4) Linguistique
- CARON, J. Précis de psycholinguistique, Paris, PUF. (1992 )
- CORNULIER B., Effets de sens, Paris, Seuil. (1985 )
- DUCROT O., "L'expression, en français, de la notion de condition suffisante", Langue
Française, 12, 60-67 (1971)
- DUCROT O., Dire et ne pas dire, Paris, Hermann.(1972)
- GOSSELIN, L., Temporalité et modalité. De la représentation comme dispositif
sémantique (à paraître)
- KLEIBER, G., Problèmes de sémantique, Septentrion. (1999)
- VICTORRI, B., FUCHS, C., La polysémie - Construction dynamique du sens,
Hermès. (1996)
5) Psychologie du raisonnement
- CHENG, P. N., & HOLYOAK, K. J., « Pragmatic reasoning schemas ». Cognitive
Psychology, 17, 391-416. (1985)
- COSMIDES, L. « The logic of social exchange: has natural selection shaped how
humans reason? Studies with the Wason selection task ». Cognition, 31, 187-276.
(1989)
- GEORGE, C., Polymorphisme du raisonnement humain, PUF, Paris. (1997)
- POLITZER, G, BOURMAUD, G., « Deductive reasoning from uncertain
conditionals », British journal of Psychology, (2002), 93, 345-381.
- POLITZER, G, « Logique mentale et raisonnement naturel », in ANDLER, D.,
JACOB, P., PROUST, J., RÉCANATI, F., SPERBER, D., (éds), Epistémologie et
cognition. Madraga, Bruxelles. (1992)
- SPERBER, D., CARA, F. & GIROTTO, V., « Relevance theory explains the
selection task », Cognition n° 57 (1995)
- VAN DER HENST, J.-B., POLITZER, G., SPERBER, D. « When is a conclusion
worth deriving? A relevance-based analysis of indeterminate relational problems ».
Thinking & Reasoning 8(1):1-20. (2002)
60
Annexes Il s’agit de donner une idée, grâce à ces annexes, de la façon dont nous avons travaillé sur les
corpus constitués que nous avons mis en place. Nous présentons donc un extrait de ces
corpus, ainsi que les paraphrases du « si » - et éventuellement, pour le premier corpus, du
« alors » - que nous avons déterminées, de même que les temps et modes utilisés, et leurs
éventuels changements induits par le recours à certaines paraphrases.
Nous présentons ensuite les calculs de fréquence que nous avons effectués à partir de ces
données.
Abréviations pour les temps :
Prt = présent
Fut = futur
Subj = Subjonctif
Ipft = imparfait
Pc = passé composé
Ps = passé simple
Cond = conditionnel
Abréviations pour les paraphrases :
qbm = quand bien même
dlmfq = de la même façon que
asq = à supposer que
acq = à condition que
dco = dans le cas où
dlq = dès lors que
qd = quand
bq = bien que
acq = à condition que
dlmfq = de la même façon que
61
I) Extraits du corpus
Nous donnons volontairement assez peu d’extraits du corpus, qui contient plus de 800
phrases, et uniquement à titre indicatif, afin de rendre compte de la façon dont nous l’avons
abordé. Nous nous sommes efforcés de reprendre ici les exemples cités dans le corps du texte.
1) premier corpus auteur/ouvrage phrase temps Para-
phrase si
Para- phrase alors
changement de temps
"con- texte"
paraphrases alternatives
L365/ MIRBEAU.O /JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE/1900
... et si, au coup de sonnette, l' on tarde un peu à venir, alors, ce sont des reproches, des colères, des scènes.
prt prt asq 0 subj théatre qd, dco, asq
R636/ LOTI.P /RAMUNTCHO/1897
Si elle hésite, alors un peu de violence, ils y sont résolus, oh !
prt prt asq 0 subj fiction qd, dlq, dco
R735/ BOURGET.P /LA GEOLE/1923
« Si elle m' aime assez pour passer outre, alors...»
prt rien asq 0 subj fiction dco, dlq
R598/ BOURGET.P /ANDRE CORNELIS/1887
... Dans quelques mois, fixe une date... si la maladie ne m' a pas emporté, alors tu reviendras... Mais je serai mort... Elle me pleurera, sans l' horreur de cette idée que j' aie devancé mon heure, elle si pieuse!
pc fut acq 0 fiction
R707/ BALZAC.H DE /LA FEMME DE TRENTE ANS/1842
si le ciel est d'azur et la terre frémissante, si les cloches parlent, alors de là vous admirerez une de ces féeries éloquentes que l'imagination n'oublie jamais, dont vous serez idolâtre, affolé comme d'un merveilleux aspect de Naples, de Stamboul ou des Florides.
prt fut acq 0 subj fiction dco, asq
62
L238/ QUENEAU.R /EXERCICES DE STYLE/1947
Puis si l' on patiente une heure ou deux, alors devant une gare raboteuse, on peut tremper sa main tiède dans l' exquise fraîcheur d' un bouton de corozo qui n' est pas à sa place.
prt prt acq 0 subj poésie qd, asq
S364/ SIMON.C /L'HERBE/1958
Nous aurons au moins appris cela : que si endurer l'Histoire (pas s'y résigner : l'endurer), c'est la faire, alors la terne existence d'une vieille dame, c'est l'Histoire elle-même, la matière même de l'Histoire.
prt prt dco 0 cond fiction dlq, asq
K623/ CAMUS.A /LES POSSEDES ADAPTATION/1959
Si tu n' y crois pas et que tu te refuses à conclure qu' il faut tout raser, alors tu diras encore des sornettes.
prt fut dco 0 cond fiction asq
K633/ GIONO.J /REGAIN/1930
Si on dit non, alors, il attrape l' homme par l' épaule et lui crie : -va le voir que de ta vie tu en verras.
prt prt dco 0 0 fiction qd, asq, dlq
K528/ PROUST.M /LA RECHERCHE 19 LA FUGITIVE/1922
Mais le soir, si je parvenais à m' endormir, alors c' était comme si le souvenir d' Albertine avait été le médicament qui m' avait procuré le sommeil, et dont l' influence, en cessant, m' éveillerait.
ipft ipft qd 0 0 fiction dco, asq
L264/ PSICHARI.E /LE VOYAGE DU CENTURION/1914
Mais si l' on passe du côté du sud, alors il faut fermer les yeux dans l' éblouissement : au pied même de la muraille, commence la plaine.
prt prt qd 0 0 fiction dco, asq
S382/ GENET.JEAN /MIRACLE DE LA ROSE/1947
Si je ne me les rappelle plus aujourd'hui, alors je distinguais très bien la douceur et la beauté de son visage.
prt ipft bq acm subj fiction
L693/ BEAUVOIR.S DE /MEMOIRES JEUNE FILLE RANGEE/1958
Si Jacques n' était pas fait pour moi, alors personne ne l' était, et il fallait en revenir à une solitude que je trouvais bien amère.
ipft ipft dlq 0 0 mémoires
asq, dco
K623/ CAMUS.A /LES POSSEDES ADAPTATION/1959
Si Dieu est un mensonge, alors nous sommes seuls et libres.
prt prt dlq 0 0 fiction asq, dco
63
K623/ CAMUS.A /LES POSSEDES ADAPTATION/1959
Si les lois de la nature n' ont même pas épargné un tel homme, si elles l' ont obligé à vivre dans le mensonge et à mourir pour un mensonge, alors toute cette planète n' est qu' un mensonge.
pc prt dlq 0 0 fiction dco, asq, puisque
K559/ CLAUDEL.P /LE SOULIER DE SATIN/1929
Si vous voulez m' empêcher d' aller à lui, alors du moins liez- moi, ne me laissez pas cette cruelle liberté !
prt imp puisque 0 0 poésie asq, dco
K593/ PAGNOL.M /FANNY/1932
Si tu me forces à me marier, alors, je préfère Panisse.
prt prt puisque 0 0 fiction dco, dlq
L738/ WEIL.S /LA PESANTEUR ET LA GRACE/1943
Si elle se laisse arracher, ne fût-ce que la durée d' un éclair, un consentement pur et entier, alors Dieu en fait la conquête.
prt prt à peine 0 0 essai (philo- sophie)
dco, dlq
K286/ SAINT-EXUPERY.A DE /LE PETIT PRINCE/1943
Mais si vous leur dites : " la planète d' où il venait est l' astéroïde b 612 " , alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions.
prt fut il suffit que
0 subj fiction asq, dco
K287/ SAINT-EXUPERY.A DE /CITADELLE/1944
Mais si vous rompez le contact une seule fois de génération en génération, alors meurt cet amour.
prt prt il suffit que
pour que
subj fiction dlq, asq, qd, dco
K287/ SAINT-EXUPERY.A DE /CITADELLE/1944
Et si vous rompez une fois le contact entre les aînés et les cadets dans votre armée, alorsvotre armée n' est plus que façade d' une maison vide et s' éboulera au premier coup, et si vous rompez le contact entre le meunier et son fils, alors vous y perdrez le plus précieux du moulin et sa morale et sa ferveur et les mille coups de mains qui ne s' expriment pas
prt prt il suffit que
pour que
subj fiction dlq, asq, qd, dco
64
2) deuxième corpus auteur/ouvrage phrase temps Para-
phrase si changement de temps
"contexte"
paraphrases alternatives
S325/ KRISTEVA.J /LES SAMOURAIS/1990
Nous nous y retrouverons tous : si ce n'est pas dans les cerisiers ce sera dans la mort
prt fut qbm? cond roman asq, dco
S325/ KRISTEVA.J /LES SAMOURAIS/1990
si nous ne sommes pas au pays des merveilles au moins sommes-nous au pays des miroirs
prt prt qbm? 0 roman 0
S246/ ORMESSON.J D' /LA DOUANE DE MER/1993
si j'ai accepté de te servir de guide c'était avec l'espoir secret de retourner à Symi
pc ipft la raison pour laquelle
roman qd
S246/ ORMESSON.J D' /LA DOUANE DE MER/1993
si je te donne ces détails c'est pour te fixer les idées
prt prt la raison pour laquelle
roman
S314/ BRISAC.G /WEEK-END DE CHASSE A LA MERE/1996 Page 52 /
Et si je suis assise en face d'elle c'est que je la crois
prt prt la raison pour laquelle
roman puisque
S009/ SOLLERS.P /LE SECRET/1993
J'aurais pu répondre à Gail que si elle s'était intéressée à moi c'était précisément à cause de mes intentions
ipft ipft
la raison pour laquelle
roman
S269/ LANZMANN.J /LA HORDE D'OR/1994
Regarde-le plutôt, n'est-il pas déjà muet comme carpe et blanc comme neige... C'est alors que Nathan intervint : - ô tyran sanguinaire, si je suis blanc comme neige et muet comme carpe ce n'est point de peur mais d'amour
prt prt la raison pour laquelle
roman
S312/ BOUDARD.A /MOURIR D'ENFANCE/1995 Page 208 /
si je détaille cette journée c'est qu'elle m'est restée coincée dans les replis de la mémoire
prt pc la raison pour laquelle
roman
S229/ MAKINE.A /LE TESTAMENT FRANCAIS/1995 Page 95 /
Je remarquai aussi qu'on ne le racontait jamais lorsque le fils de Charlotte, mon oncle Sergueï, était parmi les invités... En fait, si j'espionnais ces confidences nocturnes c'était surtout pour explorer le passé français de ma grand- mère
ipft ipft
la raison pour laquelle
roman qd
S229/ MAKINE.A /LE TESTAMENT FRANCAIS/1995 Page 183 /
Oui, si je pleurais c'était devant leur résignation silencieuse
ipft ipft
la raison pour laquelle
roman qd
S229/ MAKINE.A /LE TESTAMENT FRANCAIS/1995 Page 87 /
si je vous prends ce n'est pas pour vos beaux yeux
prt prt la raison pour laquelle
roman
S269/ LANZMANN.J /LA HORDE D'OR/1994
si nul ne pouvait entrer dans Menzalé personne n'était en mesure d'en sortir
ipft ipft
aussi bien que roman de la même façon que
S269/ LANZMANN.J /LA HORDE D'OR/1994
si cette huile miraculeuse en requinqua quelques- uns elle en acheva quelques autres
ps ps aussi bien que roman
65
S037/ ORSENNA.E /GRAND AMOUR/1993
Mais, Gabriel, si tu pouvais changer de métier aussi
ipft si seulement? roman
S037/ ORSENNA.E /GRAND AMOUR/1993
Ah si tu pouvais changer les paroles imbéciles de La Marseillaise dit Lucienne
ipft si seulement? roman asq
S307/ BIANCIOTTI.H /LE PAS SI LENT DE L'AMOUR/1995
J'inclinerais moi-même à me taxer de snobisme si je n'étais pas convaincu que ma réaction ils sont nombreux à la partager
ipft cond
si seulement? roman asq, acq, dco
S269/ LANZMANN.J /LA HORDE D'OR/1994
si nul ne pouvait entrer dans Menzalé personne n'était en mesure d'en sortir
ipft ipft
de la même façon que
roman aussi bien que
S269/ LANZMANN.J /LA HORDE D'OR/1994
si cette huile miraculeuse en requinqua quelques- uns elle en acheva quelques autres
ps ps de la même façon que
roman
R968/ BIENNE.G /LES JOUETS DE LA NUIT/1990
- Mais, voyez-vous, poursuit la brocanteuse, si pour le particulier la poupée est interchangeable pour le gosse elle est unique
prt prt alors que 0 roman 0
S305/ ROZE.P /LE CHASSEUR ZERO/1996
Et moi, si je savais bien souffrir je ne savais pas parler
ipft ipft
alors que roman bq
S246/ ORMESSON.J D' /LA DOUANE DE MER/1993
si tu veux murmurai-je à bout de souffle
prt comme roman puisque, dco, acq
S325/ KRISTEVA.J /LES SAMOURAIS/1990
un jeune garçon cramponné à sa taille, elle implore d'un écriteau qui lui sert de socle : si vous ne respectez pas une reine proscrite respectez une mère malheureuse
prt imp
même si roman dco, asq
S325/ KRISTEVA.J /LES SAMOURAIS/1990
un jeune garçon cramponné à sa taille, elle implore d'un écriteau qui lui sert de socle : si vous ne respectez pas une reine proscrite respectez une mère malheureuse
prt imp
même si roman dco, asq
S009/ SOLLERS.P /LE SECRET/1993
si tu insistes mieux vaut ne pas se voir
prt prt puisque roman comme
S009/ SOLLERS.P /LE SECRET/1993
Faire de l'action une série de combats individuels, voilà l'idéal... Dans la guerre irrégulière, si deux hommes sont ensemble l'un d'eux est gaspillé
prt prt qd roman dlq, dco, asq
S312/ BOUDARD.A /MOURIR D'ENFANCE/1995 Page 111 /
si elle vous domine ça devient la vérole le virus mortel
prt prt qd roman asq, dco
R760/ SEGUIN.F /L'ARME A GAUCHE/1990
D'abord si j'écris pas comme je parle les idées me viennent plus je sèche blanc
prt prt dlq roman qd
S250/ ROUAUD.J /LES CHAMPS D'HONNEUR/1990
Elle nous arrachait le bulletin des mains, horrifiée, trépignait en réajustant ses lunettes à monture dorée : si c'était pour lui donner deux fois plus de travail elle préférait se débrouiller toute seule
ipft ipft
dco roman asq, puisque
66
II) tableau de frequences
1) Premier corpus « si …, alors » (576 phrases retenues)
Unités paraphrastiques : 9 ; classes de paraphrases :34
asq = à supposer que
dco = dans le cas où
dlq = dès lors que
qd = quand
bq = bien que
acq = à condition que
unités paraphrastiques A supposer que Acq Dans le cas où Qd Bq Dès lors que puisque À peine il suffit que Classes de paraphrases : acq+dco 2 asq 16 2,78% asq+acq+dco 2 asq+acq+dco+dès lors que 2 asq+acq+qd 1 asq+dco 128 22,22% asq+dco+dlq 169 29,34% asq+dco+dlq+puisque 28 4,86% asq+dco+dlq+quand 70 12,15% asq+dco+dlq+qd+il suffit que 2 asq+dco+il suffit que 1 asq+dco+puisque 4 asq+dco+qd 11 asq+dlq 15 asq+dlq+puisque 1 asq+dlq+qd 3 asq+qd 1
67
bq 1 dco 29 5,03% dco+dlq 23 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 13 dco+dlq+quand 18 dco+puisque 10 dco+qd 11 dlq+puisque 3 dlq+quand 3 Puisque 2 qbm+asq+dco 1 qd 5 dco présent dans 23 cas sur 34 67,65% des
classes de paraphrases
asq présent dans 19 cas sur 34 55,88% dlq présent dans 16 cas sur 34 47,05% asq, dans le cas où, dlq et plus: 271 47,05% asq+acq+dco+dlq 2 asq+dans le cas où+dlq 169 29,34% asq+dans le cas où+dlq+puisque 28 asq+dans le cas où+dlq+qd 70 12,15% asq+dans le cas où+dlq+qd+il suffit que 2 dco présent 525 91,14% asq+dans le cas où+dlq 169 29,34% asq+dans le cas où+dlq+puisque 28 asq+dans le cas où+dlq+qd 70 12,15% asq+dans le cas où+dlq+qd+il suffit que 2 qbm+asq+dco 1 dco+qd 11 dco 29 5,03% dco+dlq 23 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 13 dco+dlq+qd 18 dco+puisque 10 asq+dco+il suffit que 1 asq+dco+puisque 4 asq+dco+qd 11 asq+dco 128 22,22% acq+dco 2 asq+acq+dco 2 asq+acq+dco+dlq 2 asq présent 439 76,21% asq+acq+dco 2 asq+acq+dco+dlq 2 asq+acq+qd 1
68
asq+dco 128 22,22% asq+dco+dlq 169 29,34% asq+dco+dlq+puisque 28 asq+dco+dlq+qd 70 12,15% asq+dco+dlq+qd+il suffit que 2 asq+dco+il suffit que 1 asq+dco+puisque 4 asq+dco+qd 11 asq+dlq 15 asq+dlq+puisque 1 asq+dlq+qd 3 asq+qd 1 qbm+asq+dco 1 dlq présent 351 60,94% asq+acq+dco+dlq 2 asq+dco+dlq 169 29,34% asq+dco+dlq+puisque 28 asq+dco+dlq+qd 70 12,15% asq+dco+dlq+qd+il suffit que 2 asq+dlq 15 asq+dlq+puisque 1 asq+dlq+qd 3 dco+dlq 23 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 13 dco+dlq+qd 18 dlq+puisque 3 dlq+qd 3 cas où dco, asq, dlq sont présents mais pas ensemble 297 51,56% acq+dco 2 asq 16 2,78% asq+acq+dco 2 asq+acq+qd 1 asq+dco 128 22,22% asq+dco+il suffit que 1 asq+dco+puisque 4 asq+dco+qd 11 asq+dlq 15 asq+dlq+puisque 1 asq+dlq+qd 3 asq+qd 1 dco 29 5,03% dco+dlq 23 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 13 dco+dlq+qd 18 dco+puisque 10 dco+qd 11 dlq+puisque 3 dlq+qd 3
69
qbm+asq+dco 1 paraphrases contenant dco asq et dlq ensemble ou non 568 98,61% paraphrases incompatibles: quand et puisque paraphrases contenant puisque 61 10,59% asq+dco+dlq+puisque 28 asq+dco+puisque 4 asq+dlq+puisque 1 dco+dlq+puisque 6 dco+dlq+puisque? 7 dco+puisque 10 dlq+puisque 3 puisque 2 paraphrases contenant quand 125 21,70% asq+acq+qd 1 asq+dco+dlq+qd 70 12,15% asq+dco+dlq+qd+il suffit que 2 asq+dco+qd 11 asq+dlq+qd 3 asq+qd 1 dco+dlq+qd 18 dco+qd 11 dlq+qd 3 qd 5 asq+ dco présents 420 72,92% acq+dco 2 asq+acq+dco 2 asq+acq+dco+dlq 2 asq+dco 128 22,22% asq+dco+dlq 169 29,34% asq+dco+dlq+puisque 28 asq+dco+dlq+qd 70 12,15% asq+dco+dlq+qd+il suffit que 2 asq+dco+il suffit que 1 asq+dco+puisque 4 asq+dco+qd 11 qbm+asq+dco 1 asq+ dlq présents 290 50,35% asq+acq+dco+dlq 2 asq+dco+dlq 169 29,34% asq+dco+dlq+puisque 28 asq+dco+dlq+qd 70 12,15% asq+dco+dlq+qd+il suffit que 2 asq+dlq 15 asq+dlq+puisque 1 asq+dlq+qd 3
70
dlq +dco 326 56,60% asq+acq+dco+dlq 2 asq+dco+dlq 169 29,34% asq+dco+dlq+puisque 28 asq+dco+dlq+qd 70 12,15% asq+dco+dlq+qd+il suffit que 2 dco+dlq 23 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 13 dco+dlq+qd 18
2) Deuxième corpus « si », 1990-2000, 233 phrases retenues :
16 unités paraphrastiques possibles, et 45 classes de parpahrases :
qbm = quand bien même
dlmfq = de la même façon que
unités paraphrastiques : 1 : bq 2 : qbm 3 : à supposer que 4 : acq 5 : dans le cas où 6 : dès lors que 7 : qd 8 : puisque 9 : à peine 10 : la raison pour laquelle 11 : aussi bien que 12 : si seulement 13 : dlmfq 14 : alors que 15 : comme 16 : même si
71
Classes de paraphrases : alors que 1 si seulement 1 Puisque 2 la raison pour laquelle 6 dco 8 Asq 4 qbm 1 bq 2 aussi bien que+dlmfq 2 puisque+comme 2 puisque+la raison pour laquelle 1 qd+la raison pour laquelle 3 dlq+qd 2 dco+comme 1 dco+puisque 3 dco+puisque+comme 1 dco+qd 2 dco+dlq 2 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 2 dco+dlq+qd 4 acq+dans le cas où 2 acq+dco+puisque+comme 1 acq+dco+dlq+puisque 1 asq+si seulement 1 asq+dlq 1 asq+dlq+qd 1 asq+dco 86 36,9
asq+dco+meme si 1 asq+dco+comme 1 asq+dco+puisque 1 asq+dco+qd 15 6,43
asq+dco+qd+puisque 2 asq+dco+dlq 29 12,4
asq+dco+dlq+puisque 2 asq+dco+dlq+qd 14 6 asq+acq 1 asq+acq+dès lors que 2 asq+acq+dco 9 asq+acq+dco+si seulement 1 asq+acq+dco+qd 1 asq+acq+dco+dlq 3 bq+meme si 4 bq+alors que 1 bq+dco+meme si 1
72
dco présent 194 83,26
Dco 8 Dco+comme 1 Dco+puisque 3 Dco+puisque+comme 1 Dco+qd 2 Dco+dlq 2 Dco+dlq+à peine 1 Dco+dlq+puisque 2 Dco+dlq+qd 4 Acq+dans le cas où 2 Acq+dco+puisque+comme 1 Acq+dco+dlq+puisque 1 Asq+dco 86 36,9
Asq+dco+meme si 1 Asq+dco+comme 1 Asq+dco+puisque 1 Asq+dco+qd 15 6,43
Asq+dco+qd+puisque 2 Asq+dco+dlq 29 12,4
Asq+dco+dlq+puisque 2 Asq+dco+dlq+qd 14 6 Asq+acq+dco 9 Asq+acq+dco+si seulement 1 Asq+acq+dco+qd 1 Asq+acq+dco+dlq 3 Bq+dco+meme si 1 Asq présent 176 75,54
A supposer que 4 Acq+dco+puisque+comme 1 Asq+si seulement 1 Asq+dlq 1 Asq+dlq+qd 1 Asq+dco 86 36,9
Asq+dco+meme si 1 Asq+dco+comme 1 Asq+dco+puisque 1 Asq+dco+qd 15 6,43
Asq+dco+qd+puisque 2 Asq+dco+dlq 29 12,4
Asq+dco+dlq+puisque 2 Asq+dco+dlq+qd 14 6 Asq+acq 1 Asq+acq+dlq 2
73
Asq+acq+dco 9 Asq+acq+dco+si seulement 1 Asq+acq+dco+qd 1 Asq+acq+dco+dlq 3 dlq présent 64 27,47
dlq+qd 2 dco+dlq 2 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 2 dco+dlq+qd 4 acq+dco+dlq+puisque 1 asq+dlq 1 asq+dlq+qd 1 asq+dco+dlq 29 12,4
asq+dco+dlq+puisque 2
asq+dco+dlq+qd 14 6
asq+acq+dlq 2 asq+acq+dco+dlq 3
asq ou dans le cas où ou dlq présents 206 88,41
dco 8 asq 4
dlq+qd 2 dco+comme 1 dco+puisque 3 dco+puisque+comme 1 dco+qd 2 dco+dlq 2 dco+dlq+à peine 1 dco+dlq+puisque 2 dco+dlq+qd 4 acq+dco 2 acq+dco+puisque+comme 1 acq+dco+dlq+puisque 1 asq+si seulement 1
asq+dlq 1
asq+dlq+qd 1
asq+dco 86 36,9
asq+dco+meme si 1 asq+dco+comme 1 asq+dco+puisque 1 asq+dco+qd 15 6,43
asq+dco+qd+puisque 2 asq+dco+dlq 29 12,4
74
asq+dco+dlq+puisque 2 asq+dco+dlq+qd 14 6 asq+acq 1 asq+acq+dlq 2 asq+acq+dco 9 asq+acq+dco+si seulement 1 asq+acq+dco+qd 1 asq+acq+dco+dlq 3 bq+dco+meme si 1 dco+asq présents 165 70,81%
asq+dco 86 36,9%
asq+dco+meme si 1 asq+dco+comme 1 asq+dco+puisque 1 asq+dco+qd 15 6,43
asq+dco+qd+puisque 2 asq+dco+dlq 29 12,4
asq+dco+dlq+puisque 2 asq+dco+dlq+qd 14 6 asq+acq+dco 9 asq+acq+dco+si seulement 1 asq+acq+dco+qd 1 asq+acq+dco+dlq 3 acq présent 19 8,15
acq+dco 2 asq+acq 1 asq+acq+dlq 2 asq+acq+dco 9 asq+acq+dco+si seulement 1 asq+acq+dco+qd 1 asq+acq+dco+dlq 3 quand présent 44 18,88
qd+la raison pour laquelle 3 dlq+qd 2 dco+qd 2 dco+dlq+qd 4 asq+dlq+qd 1 asq+dco+qd 15 6,43
asq+dco+qd+puisque 2 asq+dco+dlq+qd 14 6
asq+acq+dco+qd 1
75
puisque présent 16 6,87
puisque 2 puisque+la raison pour laquelle 1 dco+puisque 3 dco+puisque+comme 1 dco+dlq+puisque 2 acq+dco+puisque+comme 1 acq+dco+dlq+puisque 1 asq+dco+puisque 1 asq+dco+qd+puisque 2 asq+dco+dlq+puisque 2 comme présent 8 3,43
puisque+comme 2 dco+puisque 3 dco+puisque+comme 1 acq+dco+puisque+comme 1 asq+dco+comme 1 la raison pour laquelle présent 10 4,29
la raison pour laquelle 6 puisque+la raison pour laquelle 1 qd+la raison pour laquelle 3
Dco présent dans 27 cas sur 45 60%
Asq présent dans 20 cas sur 45 44,44%
Dlq présent dans 13 cas sur 45 28,88%
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