1
6. L’équilibre sur le marché du travail
6.1. L’équilibre en concurrence parfaite
Détermination de l’équilibre
Confrontation des courbes d’offre et de demande de travail agrégées
détermine les quantités échangées et le salaire.
Hypothèses :
Le travail est un bien homogène.
Atomicité de la demande et de l’offre de travail.
Information parfaite.
Mobilité parfaite des travailleurs.
2
Représentation graphique :
WE E
W’
L’O L’D LE
L
W
D O
3
Déplacement de l’équilibre
i) Choc sur la demande de travail
Exemple : organisation des Jeux olympiques en Belgique
E’
LE’
D’
E
WE’
LE
WE
L
W
D O
4
ii) Choc sur l’offre de travail
Exemple : âge légal de la retraite passe de 65 à 70 ans.
WE’
LE’
E’
E
LE
WE
L
W
D O
O’
5
6.2. Les imperfection du marché : les écarts à la concurrence
i) Imperfections directes :
Ecarts à la concurrence qui agissent directement sur le marche du travail.
Exemple : l’existence d’un salaire minimum.
ii) Imperfections indirectes ou répercutées :
Ecarts à la concurrence qui agissent sur d’autres marchés (ex. : marché des produits)
et qui se répercutent sur le marché du travail.
Exemple : le partage de la rente (« rent-sharing »).
6
Trois sources d’imperfections directes :
Relâchement de l’hypothèse d’atomicité des agents.
Equilibre « transformé ».
Comportements ou calculs d’agents qui n’obéissent pas aux critères habituels de
maximisation du profit (employeurs) ou de l’utilité (travailleurs).
Equilibre « déplacé ».
Interventions d’agents économiques extérieurs (l’Etat) qui modifient le
fonctionnement du marché.
Equilibre « suspendu ».
7
6.2.1. L’équilibre « déplacé »
i) Eléments théoriques
La discrimination
En raison de préjugés, certains employeurs refusent d’embaucher certaines
catégories de travailleurs (ex. les jeunes, les femmes, les immigrés) même lorsque
leurs capacités productives sont identiques à celles des autres.
Deux marchés du travail différents, avec des équilibres distincts.
Hypothèse de mobilité parfaite des travailleurs n’est plus vérifiée.
8
Situation de référence Marché avec discrimination Marché sans discrimination
Pour qu’il y ait de la discrimination salariale entre hommes et femmes, il faut qu’au salaire
d’équilibre WE, le nombre de femmes disposées à travailler soit supérieur au nombre d’emplois à
pourvoir sur le marché « sans » discrimination.
WF
W(H+F)
WF
WH
L
WH
WE
D(H+F)
L
D1
O(H+F)
OH
L
D2
OF
9
Scénario de référence : pas de discrimination
250
8
D
O
W (en EUR)
L
10
Marché avec discrimination Marché sans discrimination
Au salaire de 8 EUR, la demande de travail atteint respectivement 100 et 150 unités sur le
marché « avec » et « sans » discrimination.
150
8
L
W (en EUR)
100
8
D
W (en EUR)
L
D
11
Scénario A : au salaire de 8 EUR, 150 ♀ et 100 ♂ désirent travailler
Marché avec discrimination Marché sans discrimination
Pas de discrimination salariale.
OF OH
150
8
LF
WF (en EUR)
100
8
DH
WH (en EUR)
LH
DF
12
Scénario B : au salaire de 8 EUR, 200 ♀ et 50 ♂ désirent travailler
Marché avec discrimination Marché sans discrimination
Discrimination salariale : (10 – 6) EUR = 4 EUR, « Crowding effect ».
6
175 200
E*
E
OF’
80
E*
E
50
10
OH’ OF
OH
150
8
LF
WF (en EUR)
100
8
DH
WH (en EUR)
LH
DF
13
Scénario C : au salaire de 8 EUR, 100 ♀ et 150 ♂ désirent travailler
Marché avec discrimination Marché sans discrimination
Pas de discrimination salariale.
O(F+H) OH
150
8
L(F+H)
W(F+H) (en EUR)
100
8
DH
WH (en EUR)
LH
D(F+H)
14
ii) Eléments empiriques
L’écart salarial entre hommes et femmes
La mesure de base :
f
fh
W
WW
Information intéressante mais insuffisante.
Décomposition de l’écart salarial.
15
Equation de gains
ii
J
jijji YXW
1,)ln(
où
Wi : le salaire de l’individu i (i = 1,…,N)
Xi : le vecteur des caractéristiques de l’individu i
Yi : une variable binaire relative au genre
i : un terme d’erreur
16
Equation avec une variable binaire
iii YW
où
Wi : le salaire de l’individu i (i = 1,..,N)
Yi : une variable binaire relative au genre (Yi=1 si homme, Yi=0 sinon)
i : un terme d’erreur
Salaire moyen des femmes : )0( ii YWE
Salaire moyen des hommes : )1( ii YWE
L’écart salarial moyen entre hommes et femmes vaut .
17
Graphiquement :
Hommes Femmes
Wi
18
Equation avec une variable binaire et une variable quantitative
iiii YXW
où
Wi : le salaire de l’individu i (i = 1,..,N)
Yi : une variable binaire relative au genre (Yi=1 si homme, Yi=0 sinon)
Xi : le nombre d’années d’expérience d’un individu
i : un terme d’erreur
Salaire moyen des femmes : iiii XYXWE )0( ,
Salaire moyen des hommes : iiii XYXWE )()1( ,
19
Graphiquement :
mesure l’écart salarial entre hommes et femmes « toutes autres choses
étant égales pas ailleurs »
Hypothèse : la valeur du paramètre est identique pour les hommes
et les femmes.
Hommes
ˆˆ
Wi
Femmes
Xi (années d’expérience)
20
Résultats à partir du SES
Période /
Variables explicatives : 1995 2002 2004 2005
Constante 5.524** 2.239**
Expérience générale
Simple 0.016** 0.020**
Au carré/102 -0.036** -0.056** Spécification légèrement
différente que pour
1995 et 2002a
Au cube/104 0.022** 0.054**
Ancienneté dans l’entreprise
Simple 0.016** 0.022**
Au carré/102 -0.017** -0.029**
Sexe
Homme Référence Référence Référence Référence
Femme -0.116** -0.114** -0.120** -0.103**
R² ajusté 0.713 0.637 0.657 0.618
F-test 11792** 821** 510** 443**
Nombre d’observations 67023 98023 94909 95930 Variable dépendante : ln (salaire horaire brut en BEF et en EUR). Ce tableau est extrait de régressions contenant un nombre plus
important de variables explicatives (dont le niveau d’enseignement, le contrat de travail, le temps de travail, la profession, le secteur
d’activité, la taille de la firme et la région). a Utilisation de variables catégorielles pour l’âge et l’ancienneté.
*,
** : coefficients significatifs à 5 et 1%, respectivement. Sources : Rycx (2001), Rycx et al. (2008), Du Caju et al. (2010).
21
Décomposition de Oaxaca – Blinder
*)()ˆ*(*)ˆ()ln()ln( fhffhhfh XXXXWW
où
- Indices h et f désignent respectivement les hommes et les femmes
- Terme de gauche mesure l’écart entre le salaire moyen de hommes et des
femmes
- X : vecteur des valeurs moyennes des variables explicatives.
- Les bêtas sont obtenus à partir des régressions suivantes :
iihhih XW ,, )(ln
iiffif XW ,, )(ln
22
*)()ˆ*(*)ˆ()ln()ln( fhffhhfh XXXXWW
En somme, les termes de droite mesurent respectivement :
- L’avantage dont bénéficient les hommes.
- La perte subie par les femmes.
- La proportion de l’écart salarial qui résulte de la diversité des
caractéristiques individuelles.
Hypothèse : h ˆ*
hfhfhffh XXXWW ˆ)()ˆˆ()(ln)(ln
23
Décomposition de l’écart salarial de genre :
Salaire de base (hors primes et boni annuels, avantages en natures, 13ème mois, etc.),
données provenant du SES belge 2009
Ecart salarial annuel brut = 22% (car incidence du temps partiel plus importante parmi les
femmes).
Ecart salarial horaire brut = 9% (ou 2,42 euros/heure, après contrôle pour différences dans
le temps de travail). Part "expliquée" = 51,7%, part inexpliquée = 48,3%.
Source : Institut pour l’Egalité entre les Hommes et les Femmes, "L’écart salarial entre
les hommes et les femmes en Belgique : Rapport 2012", Bruxelles.
24
Décomposition de la partie "expliquée" :
Source : Ibidem. Données provenant du SES 2009.
25
La prudence est de rigueur :
a) L’écart non expliqué (attribué à de la discrimination) pourrait découler de l’omission
de variables explicatives importantes.
Exemples : filière des études, interruptions de carrière, formation professionnelle.
b) Il peut y avoir de la discrimination endogène. Ecart expliqué écart justifié.
Exemple : temps de travail.
26
6.2.2. L’équilibre « suspendu »
i) Eléments théoriques
Le salaire minimum
E’
Chômage
WMin
E
L’O L’D LE
WE
L
W
D O
Arbitrage entre taux de chômage et « working poor »
27
L’équilibre « suspendu » découle de tout mécanisme qui entrave
la flexibilité des salaires à la baisse.
Exemples :
a) Existence d’un salaire minimum.
b) Présence d’organisations syndicales.
c) Système d’indemnisation du chômage.
d) …
28
ii) Eléments empiriques : « Le salaire minimum »
Une contrainte plus ou moins forte selon les pays
Des salaires planchers (explicites ou implicites) existent dans tous les pays de
l’UE et, plus généralement dans un grand nombre de pays de la zone OCDE.
Les législations sont très diverses.
Salaire minimum :
- Régional (EU, Can, Jap.), national (Fra, P-B, R-U), sectoriel (All, Bel,Irl,
Port) ou selon la qualification professionnelle (Lux.).
- Modulé selon l’âge du bénéficiaire (Bel, Fra, P-B).
- Fixé par les pouvoirs publics ou négocié entre partenaires sociaux.
- Revalorisé en fonction de l’inflation (Bel) ou de l’évolution du salaire moyen
(Fra, Jap, Esp).
Pour les comparaisons internationales : indice de « Kaitz ».
Il mesure le rapport entre le salaire minimum et le salaire moyen.
29
Tab. 6 : Salaires minima mensuels nationauxa
EUR
Evolution
entre 2008
et 2017
(en %)
Standard de
pouvoir
d’achat,
en 2017
Salaire min en % de la
rémunération médiane
mensuelle brute, 2014
(Kaitz index) b
Proportion de salariés
gagnant moins de 105%
du salaire minimum
mensuel, 2010
En 2008 En 2017 2010 2014
Bulgarie 112 235 109 501 57 3,4 8,8
Roumanie 139 275 99 551 50 4,4 14,3
Hongrie 272 353 51 723 54 4,4 5,6
Pologne 313 412 45 881 52 9,9 11,5
Portugal 497 650 31 793 64 3,1 3,6
Grèce 794 684 -14 805 50 d 2,0
n.d.
Espagne 700 826 18 910 45 0,2 0,2
Etats-Unis 689 1.192 73 1.033 30 d
n.d. n.d.
Royaume-Uni 1.242 1.397 13 1.236 49 3,8 4,4
France 1.280 1.480 16 1.415 62 9,2 9,5
Allemagne c
1.498 c 1.493 53
e
c
c
Irlande 1.462 1.563 7 1.280 45 9,2 4,1
Belgique 1.310 1.532 17 1.453 52 n.d. n.d.
Pays-Bas 1.335 1.552 16 1.433 56 3,7 3,4
Luxembourg 1.570 1.999 27 1.659 56 10,2 6,1 Note: Danemark, Italie, Chypre, Finlande et Suède : pas de salaire minimum national.
a Dans certains pays le salaire minimum national n’est pas fixé sur une base mensuelle mais sur
une base horaire ou hebdomadaire. Pour ces pays les salaires minima horaires et hebdomadaires sont convertis en salaires mensuels. Le salaire minimum national est fixé par la loi,
souvent après consultation des partenaires sociaux, ou directement par accord intersectoriel national (comme c’est le cas en Belgique ou en Grèce). Le salaire minimum national
s’applique généralement à tous les salariés, ou au moins à une grande majorité des salariés du pays. Les salaires minima sont des montants bruts, càd. avant déduction de l’impôt sur
le revenu et des cotisations de sécurité sociale. Ces déductions varient d’un pays à l’autre. b En % des gains mensuels moyens dans l’industrie et les services (hors agriculture, chasse
et sylviculture), càd. codes NACE B à S, à l’exception de la section O, travaillant dans les entreprises comptant 10 salariés et plus, à l’exception des apprentis. c Pas de salaire
minimum national avant 2015. d En % de la rémunération moyenne.
e 2015 au lieu de 2014 pour le salaire minimum. n.d. : non disponible. Source: Eurostat (base de données
"Marché du travail (y compris EFT/LFS)").
30
Le salaire minimum et l’emploi
D’après la théorie économique :
Lorsque le niveau initial du salaire minimum est relativement bas, un
revalorisation de ce dernier n’est pas nécessairement défavorable pour
l’emploi (Elle peut même être favorable dans des conditions
monopsonistiques).
Lorsque le niveau initial du salaire minimum est relativement élevé, toute
nouvelle hausse de ce dernier exercera un effet négatif sur les embauches.
D’après les études empiriques, l’impact du salaire minimum sur l’emploi est
généralement négligeable, sauf éventuellement pour l’emploi des jeunes.
Exemples
OCDE (1998) : 9 pays industrialisés, 1975-1996. Hausse de 10% du salaire
minimum entraîne une baisse de l’emploi des moins de 20 ans comprise
entre 2 et 4%. Impact négatif mais proche de zéro pour les 20-24 ans. Aucun
effet pour les plus de 25 ans.
Dolado et al. (1996) : Union européenne, résultats similaires.
31
iii) Eléments empiriques : « Les indemnités de chômage »
Au niveau théorique, l’existence d’un système d’indemnisation du chômage
constitue un frein à l’ajustement des salaires à la baisse car il incite les individus à
revoir leurs prétentions salariales à la hausse.
Résultats des études macro-économiques :
Hausse de 10 points de % du ratio de replacement (rapport entre les allocations de
chômage et la rémunération moyenne) augmente le taux de chômage de 17%
(Nickell et al., 1991), 13% (Scarpetta, 1996) et 11% (Nickell, 1997).
Exemple (sur base des résultats de Nickell, 1997) :
Si ratio de remplacement passe de 60 à 70%, taux de chômage (si niveau initial
est de 5%) passe à 5,55%.
Hausse des allocations de chômage accroît le niveau du chômage.
Cependant, la taille de l’impact est relativement modeste (sauf peut-être pour
certains segments de la population active : les jeunes, les chômeurs de longue
durée, etc.).
32
6.2.3. L’équilibre « transformé »
Absence d’atomicité des agents économiques :
a) Existence de syndicats d’employés et d’employeurs qui décident conjointement,
par le biais de négociations collectives, des salaires et des conditions de travail qui
s’appliquent à leurs membres.
b) Une entreprise se trouve en situation de « monopsone ». Elle est la seule à acheter
du travail dans un bassin d’emploi (ex. : région).
Le pouvoir de monopsone peut aussi être l’apanage d’une entreprise dominant une
profession qui requiert une qualification particulière qui est difficilement valorisable
dans d’autres activités.
33
Le monopsone
Le modèle du monopsone suppose :
- Mobilité limitée des travailleurs.
- Existence de coûts d’entrée qui permettent à l’entreprise
en place de ne pas être concurrencée.
34
Rappel : Equilibre d’une entreprise en concurrence parfaite
E
LE
D
WE
W
L
O
35
En concurrence parfaite :
- La demande de travail représente la productivité marginale du travail.
- L’offre de travail pour une firme est parfaitement élastique.
- L’offre de travail représente le coût moyen et marginal du travail.
- Le coût marginal du travail est constant et égal au salaire de marché.
- A l’équilibre, l’offre et la demande de travail s’égalisent.
Le coût marginal du travail égalise la productivité marginale du travail.
36
L’équilibre monopsonistique :
C
B
W2
W’
CMaT’
A
L2 L1
W1
W
D O
L
37
Exemple :
1) Entreprise monopsonistique engage 1 travailleur pour un salaire de 1 EUR
CMoyT = CMargT = 1 EUR.
2) Entreprise monopsonistique engage un 2ème travailleur pour un salaire de 1,5 EUR
CMoyT = 1,5 EUR (car les deux travailleurs gagnent la même chose)
CMargT = 1,5 EUR (prix à payer pour pouvoir engager le 2ème travailleur)
+
0,5 EUR (répercussion du coût supplémentaire sur le 1er travailleur)
= 2 EUR.
CMargT > CMoyT ( = 0,5 EUR)
38
3) Entreprise monopsonistique engage un 3ème travailleur pour un salaire de 2 EUR
CMoyT = 2 EUR (car les trois travailleurs gagnent la même chose)
CMargT = 2 EUR (prix à payer pour pouvoir engager le 3ème travailleur)
+
0,5 EUR (répercussion du coût suppl. sur le 1er travailleur)
+
0,5 EUR (répercussion du coût suppl. sur le 2ème travailleur)
= 3 EUR.
CMargT > CMoyT ( = 1 EUR)
Et ainsi de suite…
39
Représentation graphique :
1
1
2
CMargT
3
2 3
1,5
W (EUR)
L
Offre = CMoyT
40
L’influence du salaire minimum sur l’emploi
(dans un contexte monopsonistique) : Card et Krueger (1994), "Minimum wages and employment : A case study of the fast-food
industry in New Jersey and Pennsylvania", AER, 84, pp.772-793.
Objectif : Analyser les conséquences de l’augmentation (de 19%) du salaire minimum sur
l’emploi dans l’Etat du New Jersey en 1992.
Méthodologie : Comparaison de l’évolution de l’emploi dans les fast-foods au New Jersey et
en Pennsylvanie (Etat où le salaire minimum n’a pas changé au cours de la période, "groupe
témoin").
Anticipation : Comme le secteur de la restauration rapide emploi généralement une main-
d’œuvre peu qualifiée, habituellement rémunérée au salaire minimum, on s’attend à ce que
l’augmentation du salaire minimum dans le New Jersey ait conduit à des pertes d’emploi dans
ce secteur.
Conclusion : Les résultats montrent que la hausse du salaire minimum n’a eu aucun effet
négatif sur l’embauche dans le secteur des fast-foods au New Jersey.
Les réplications de l’étude de Card et Krueger (1994) à d’autres états américains ayant
augmenté le salaire minimum dans les années 1990 ont abouti aux mêmes conclusions (cf. Card
et Krueger, 1995, 2000 ; Dolado et al., 1996 ; Neumark and Wascher, 2000).
41
Les syndicats : une perspective micro-économique
i) Le modèle du « monopole syndical »
Dunlop (1944).
Monopole bilatéral où les syndicats fixent unilatéralement le salaire et où les
entreprises déterminent l’emploi en prenant le salaire comme donné.
Les syndicats choisissent unilatéralement le salaire, sous contrainte de la
demande de travail provenant des entreprises (c’est-à-dire en sachant qu’à
l’étape suivante les entreprises maximiseront leurs profits étant donné le
salaire).
La solution se situe sur la droite de demande de travail à l’équilibre, il y a
une relation inverse entre le salaire et l’emploi.
Préférences des syndicats en matière d’emploi et de salaire sont représentées
par une fonction d’utilité collective courbes d’indifférences (non sécantes,
convexes et ordonnées par rapport à l’origine).
42
Représentation graphique :
. C
B W’
A
L2 L1
W1
W PMargT
D
O
L
U’’
U’
U
W’’
43
ii) Le modèle du « droit à gérer »
Nickell et Andrews (1983). Généralise le modèle de Dunlop (1944).
Les entreprises choisissent unilatéralement l’emploi tandis que le salaire fait
l’objet d’une négociation entre la firme et le syndicat.
L’équilibre se situe sur la droite de demande de travail (productivité
marginale du travail est égale au coût marginal du travail).
Le pouvoir relatif de négociation des syndicats lors des négociations
salariales est représenté par le paramètre є [0,1].
Si = 0 : pt. A, solution en concurrence parfaite (salaire min., emploi max.).
Si = 1: pt. B, solution du monopole syndical (salaire max., emploi min.).
44
Représentation graphique :
W1
U’
= 0
= 1
W’ B
A
L2 L1
W
D
O
D L
0 1
45
Toute modification du rapport de force () en faveur du syndicat entraîne une
augmentation salariale et une détérioration de l’emploi.
Solutions du modèle du « droit à gérer » ne sont pas optimales au sens de Pareto.
Autrement dit, il existe des solutions alternatives qui améliorent le bien-être (profit
ou utilité) d’un des deux protagonistes sans détériorer celui de l’autre.
46
Pareto et le modèle du droit à gérer :
(Situation de départ : point B, monopole syndical)
Z
Y W’ B
A
L2 L1
W1
W
D
O
L
U’’
U’
P’
P’’
47
L’ensemble des points de tangence entre les courbes d’indifférence du syndicat et d’iso-
profit de la firme, à l’intérieur de l’espace formé par les courbes P’ et U’, sont préférés au
sens de Pareto.
Courbe des contrats = ensemble des points de tangence entre les courbes d’indifférence du
syndicat et d’iso-profit de la firme, à l’intérieur de l’espace formé par les courbes P’ et U’.
Léontief (1946) a démontré que les allocations optimales au sens de Pareto, qui se trouvent
sur la courbe des contrats, peuvent être obtenues lorsque le champ de la négociation est
étendu à l’emploi.
Modèle du « contrat efficace ».
48
iii) Le modèle du « contrat efficace »
McDonald et Solow (1981).
La firme et le syndicat négocient simultanément l’emploi et le salaire.
L’équilibre se situe sur la courbe des contrats (CC). Il est optimal au sens de
Pareto : il n’est pas possible d’améliorer le bien-être d’un des protagonistes
sans réduire celui de l’autre.
Pente de la courbe des contrats dépend des caractéristiques de la fonction
d’utilité des syndicats. Si syndicat a de l’aversion au risque (courbe d’utilité
concave), la courbe des contrats est à pente positive.
représente le pouvoir relatif de négociation des syndicats lors des
négociations collectives portant sur le salaire et l’emploi.
49
Représentation graphique :
Lorsque la pente de la CC est positive, le syndicat exerce
une influence positive sur le salaire et l’emploi.
H
P’
Y
A
L1
W1
W
D
L
U’
U
P’’
P
U’’
CC
= 1
> 0
= 0
50
iv) Le modèle de la « négociation globale »
Manning (1987).
Le modèle se déroule en deux étapes. La négociation porte d’abord sur le
salaire et ensuite sur l’emploi.
Contrairement au modèle du contrat efficace, le pouvoir de négociation des
syndicats n’est pas forcément identique à chaque étape de la négociation.
L’influence des syndicats sur l’emploi n’est pas forcément négative. Une
augmentation de l’influence des syndicats sur le salaire (l’emploi) réduit
(augmente) le volume de l’emploi.
1 (2) mesure le pouvoir relatif de négociation des syndicats sur le salaire
(l’emploi). 1 et 2 є [0,1].
Si 1 = 1 et 2 = 0 : modèle du « monopole syndical » (point M).
Si 1 1 et 2 = 0 : modèle du « droit à gérer » (segment 0M).
Si 1 = 2 : modèle du « contrat efficace » (bissectrice 0R)
51
Représentation graphique :
Ensemble des solutions du modèle de Manning (1987) : 0MRQ.
Englobe modèles usuels de négociation (MDG et MCE) et
identifie une nouvelle famille de formalisations.
M = 1 0
R Q = 1
2
1
R
Sur le segment OR : 1 = 2
(1 = 1, 2 = 0)
(1 < 1, 2 = 0)
(1 = 0, 2 = 1)
52
v) Résultats empiriques
Généralement, l’analyse se cantonne aux modèles usuels de négociation
(MDG et MCE).
2 options :
Déterminer si la solution des négociations se situe sur la droite de
demande de travail. Productivité marginale du travail égale au salaire ? Si
oui, modèle du droit à gérer est le plus approprié les syndicats ont une
influence négative sur l’emploi.
Vérifier si l’équilibre se situe sur la courbe des contrats. Si oui, les
syndicats exercent une influence positive sur l’emploi (si CC à pente
positive).
Résultats empiriques souvent contradictoires, ils ne permettent pas de tirer de
conclusion claire quant au modèle de négociation le plus pertinent. Relation
entre le pouvoir syndical et l’emploi sans doute plus complexe que celle
suggérée par les modèles usuels de négociation.
53
Les syndicats : une perspective macro-économique
Quelle est l’influence des syndicats sur les performances des pays
industrialisés en matière d’emploi et de chômage ?
Quelques statistiques pour 2007 (& 2016)
UE(15) vs. Etats-Unis :
- Taux de chômage : 6,7 vs. 4,6% (8,5 vs. 4,9%)
- Proportion de chômeurs de longue durée (12 mois et plus) : 33,1 vs. 10%
(40,3 vs. 9,4%)
- Début des années ’80 et ce jusqu’en 2008, et à nouveau depuis 2012 : taux de
chômage UE(15) > USA.
- Taux d’emploi : 66,9 vs. 71,8% (67,2 vs. 69,4%)
Source : OCDE (2017), Perspectives de l’emploi, Paris. Note : Moyennes non pondérées pour UE(15).
54
Question
Pourquoi des économies, confrontées à des changements économiques
similaires (chocs pétroliers, progrès technologique, concurrence des pays à bas
salaire) et ayant des capacités productives comparables, enregistrent-elles des
écarts aussi importants en termes d’emploi et de chômage ?
De nombreux observateurs critiquent les caractéristiques institutionnelles du
marché du travail en Europe et en particulier les relations collectives de
travail.
Argument : à cause des syndicats les salaires sont trop élevés et trop rigides
chômage.
Partisans des syndicats soulignent que :
Les syndicats sont un « contre-pouvoir » utile pour défendre les
travailleurs contre les abus des employeurs.
Exemple : pouvoir de monopsone des entreprises.
Les syndicats améliorent les conditions de travail, réduisent le taux de
rotation de la main-d’œuvre et améliorent la productivité.
55
Résultats empiriques
Articulation entre les relations collectives de travail et les performances économiques
des pays industrialisés est nettement plus complexe.
Pas très étonnant vu :
a) Hétérogénéité des relations collectives de travail en Europe.
b) Multiplicité des caractéristiques qui peuvent influencer le résultat des négociations
collectives.
56
Diversité des systèmes de négociation
Niveau privilégié de négociation :
a) National : p.ex. Finlande et Norvège.
b) Sectoriel : p.ex. Allemagne, Belgique, France, Italie et Pays-Bas.
c) Entreprise : p.ex. Etats-Unis, R.-U., Canada, Nouvelle-Zélande et Japon.
Degré de coordination* des partenaires sociaux :
a) Forte coordination n’implique pas nécessairement forte centralisation.
Exemples : Allemagne, Belgique, Japon.
b) Forte centralisation n’implique pas nécessairement forte coordination.
La dérive salariale...
(*) Aptitude des signataires d’accords collectifs à coordonner leurs décisions
horizontalement (au sein d’un même niveau de négociation) et verticalement
(entre les différents niveaux de négociation).
Pour plus de détails voir par exemple Visser J. (2016), “What happened to collective bargaining
during the great Recession”, IZA Journal of Labor Policy, 5 :9.
57
Fig. : Taux de syndicalisation et taux de couverture conventionnelle en 2013
AllAus
Aut
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Can
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JapNZ
Nor
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00
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201
3 (
%)
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100Coverage rates of collective bargaining agreements in 2013 (%)
Remarques : Taux de syndicalisation sur axe vertical en 2013= % de travailleurs affilés à une organisation
syndicale ; Taux de couverture conventionnelle sur axe horizontal en 2013= % de travailleurs couverts par une
convention collective de travail.
Source : OECD (2016), Réformes économiques 2016: Objectif croissance rapport intermédiaire, Paris.
58
Hypothèse corporatiste
Intuition : Degré élevé de corporatisme (et en particulier de coordination) pousse les
partenaires sociaux à internaliser les externalités négatives de leurs accords salariaux.
Exemples : McCallum (1983, 1986), Cameron (1984), Bruno et Sachs (1985),
Tarantelli (1986), Bean et al. (1986), Newell and Symons (1987), Golden (1993).
Chômage
Degré de corporatisme
59
Hypothèse d’une relation en forme de « cloche »
Intuition : Négociation sectorielles sont inefficientes car :
a) Contrairement au niveau national, la coordination des décisions y est insuffisante.
b) La concurrence (l’élasticité emploi-salaire) y est plus faible qu’au niveau des
firmes individuelles.
Exemples : Calmfors et Driffill (1988), Freeman (1988), Rowthorn (1992).
Chômage
Degré de centralisation
Firme Secteur National
60
Coordonner ou décentraliser les négociations
Résultats récents :
Ils soulignent l’importance du degré de coordination des partenaires sociaux en
matière d’emploi et de chômage et ce indépendamment du niveau formel de la
négociation.
L’obtention de bonnes performances en matière d’emploi et de chômage dans les
pays (relativement) centralisés semble dépendre du degré de "gouvernabilité" des
négociations collectives, c’est-à-dire de l’existence de mécanismes juridiques
générant une forte coordination entre les différents niveaux de négociation.
Exemples : Nickell (1997), Flanagan (1999), Traxler et Kittel (2000), Traxler and
Brandl (2012), Lesueur et Sabatier (2008).
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