Wilden - L'Écriture Et Le Bruit Dans La Morphogenèse Du Système Ouvert

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Anthony Wilden L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert In: Communications, 18, 1972. pp. 48-71. Citer ce document / Cite this document : Wilden Anthony. L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert. In: Communications, 18, 1972. pp. 48-71. doi : 10.3406/comm.1972.1258 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_18_1_1258

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Sistemas abertos

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Anthony Wilden

L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvertIn: Communications, 18, 1972. pp. 48-71.

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Wilden Anthony. L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert. In: Communications, 18, 1972. pp. 48-71.

doi : 10.3406/comm.1972.1258

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_18_1_1258

Anthony Wilden

L'écriture et le bruit dans

la morphogenèse du système ouvert i

Information and its utilization are inseparable, constituting one single process. J. Konorski, cité par Von Foerster (36).

1. La sélection et la combinaison

L'analyse que fait Roman Jakobson des deux pôles du langage, la métaphore et la métonymie, est trop connue pour être retracée ici (1). Mais en employant ainsi les principes lockéens de l'association des « idées » par similarité et par contiguïté, pour distinguer le pôle métaphorique' (paradigmatique, sélectif, substitutif, concurrent) d'avec le pôle métonymique (syntagmatique, combina- toire, contextuel, concaténé), Jakobson restreint son analyse au langage seul.

Or la métaphore et la métonymie ne sont pas primordialement des processus linguistiques : ce sont des processus communicationnels. Le processus de la sélection du code et celui de la combinaison dans le message opèrent sans exception dans tout système de communication, que ce soit le code génétique de la molécule d' A.D.N., que ce soit l'organisme, que ce soit les processus vitaux des bactéries, ou que ce soit un système social. Ce qui distingue ces processus de sélection et de combinaison dans différents systèmes, c'est la liberté sémiotique relative des modes selon lesquels ils sont utilisés. Par liberté sémiotique on entend la liberté relative d'un système par rapport à la contrainte. Ainsi, l'étendue relative du code et les possibilités logiques de la combinaison dans le message contrôlent les possibilités informationnelles du système, et donc son organisation. Dans de tels systèmes, on trouve deux modes de communication fondamentaux : le digital et l'analogue 2. La communication digitale, qui dépend de la combinaison d'éléments discrets et discontinus qui peuvent être conçus en général comme des signes arbitraires, relève d'une complexité logique plus grande — mais d'une richesse sémantique moindre — que la communication analogue. La communica-

1. Cet article complète mon « Epistemology and the Biosocial Crisis » (28). Une version plus complète forme les chapitres xn et xm de mon System and Structure (29). J'utilise le terme de morphogenèse, dans un sens voisin de celui où l'emploie René Thom (19), comme synonyme de « restructuration dialectique » dans un écosystème « ultrastable » (26). Les chiffres entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d'article.

2. Analogue pour traduire analog (^ analogie). (N.D.L.R.).

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tion analogue peut être décrite comme un spectre continu de différences — l'information est une différence qui fait une différence (Bateson) — dont les signaux et les signes renvoient, de façon concrète ou iconique aux markers qui véhiculent l'information.

C'est dire que toute communication peut être méthodologiquement divisée, par forme et/ou par fonction, en un rapport entre la communication analogue et la communication digitale. Dans sa forme l'analogue est continu, positif, concret, iconique, nécessaire. Dans l'analogue il n'y a ni zéro, ni temps, ni négation, ni dénomination. C'est le domaine de la similarité et de la différence, du signal et du signe. Le digital, par contre, est discontinu, positif et négatif, abstrait, arbitraire, combinatoire. C'est le domaine du signal, du signe, et du signifiant, de l'élément discret, de la distinction, de l'opposition et de l'identité. Par rapport au digital, l'analogue manque de syntaxe; par rapport à l'analogue, le digital manque de sémantique. La fonction de l'analogue est d'établir et de maintenir les rapports entre l'émetteur et le récepteur, tandis que la fonction du digital est la dénotation et l'échange d'information, d'idées ou de concepts (ou leurs équivalents) entre eux. Toute communication dans la nature semble être soumise à la fonction analogue. Que ce soit dans le corps humain, dans la communication animale, ou dans un système social, on trouve toujours un rapport quelconque entre la communication analogue et la communication digitale. A un niveau ou à un autre, la digitalisation semble toujours être l'instrument des fins analogues du système total. Le langage est, par fonction, et analogue et digital, même si, dans notre culture, la forme du digital semble l'avoir emporté sur la jonction de l'analogue. Toute communication digitale a pour contexte la communication analogue, car il est impossible de ne pas communiquer dans l'analogue. Dans la communication humaine, pourtant, l'analogue peut avoir un contexte digital. Tout code dans sa totalité est un analogue (c'est la carte d'un territoire quelconque). On distinguerait un code analogue d'avec un code digital en constatant que le code analogue est le rapport entre émetteur et récepteur (rapport qui doit être maintenu à des fins de longue échéance si le système doit survivre), alors que le code digital médiatise le rapport analogue.

Il est vrai que Jakobson décrit la métaphore dans les termes d'une référence au code, et la métonymie dans les termes d'une référence et au code et au message. Mais il écrivait à une époque où la théorie de l'information dont ces termes sont dérivés était comprise comme une discipline purement mécanique et statistique, utilisée sans distinction dans la science physique, à certains niveaux dans la biologie, dans la théorie des ordinateurs, et dans la logistique de la Bell Telephone Company. Jakobson a critiqué la théorie de l'information de ce point de vue1. Depuis cette époque, pourtant, certains développements théoriques ont

1. Sa critique se base sur un article de 1952 de D. M. MacKay, sur les travaux postérieurs duquel je base ma propre conception de la sémantique-pragmatique de la communication et de l'échange (25, p. 95-6). Comme beaucoup de théoriciens de l'information et comme beaucoup de linguistes (surtout les linguistes structuraux et génératifs), Jakobson s'intéresse à la syntaxe (règles, contraintes) plutôt qu'à la sémantique et à la pragmatique (buts, fins). Ainsi, à l'instar de beaucoup de structuralistes (Barthes, par exemple), il s'occupe seulement de la signification (communication digitale) et non du sens (communication analogue), ni de la problématique de la traduction de l'un en l'autre. Comme tous ceux qui confondent langage et communication, la plupart des « structuralistes » tendent à confondre l'analogue et le digital (ainsi que l'information

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invalidé la position restrictive prise par Jakobson par rapport à la théorie de l'information (21, p. 95). Ces développements comprennent : le développement soutenu d'une sémiotique qui soit non-logocentrique (ce qui implique une linguistique non-phallocentrique), celui d'une biologie communicationnelle qui soit non-bioénergétique, celui d'une théorie « structuralo-systémique » qui soit non- morphostatique, et celui d'une cybernétique qui soit non-mécaniste 1.

Toute communication dans les systèmes de communication — écosystèmes — implique un axe de sélection et un axe de combinaison. Nous utiliserons les termes de métaphore et de métonymie pour désigner en général ces deux axes. Nous allons montrer plus loin pourquoi le modèle « linguistique » est inadéquat pour décrire les processus diachroniques d'histoire et d'évolution. Notre intérêt pour l'essai de Jakobson provient également de ce que noux examinons la problématique de la projection de la combinaison dans Vaxe des sélections (1, p. 69), qui décrit l'essence des processus dialectiques de YAufhebung.

2. Système et métasystème

De l'axiome évident que tout comportement est communication, on peut tirer que tout symptôme (toute idéologie, toute superstructure) est une métaphore,

et l'énergie), modelant le premier sur le second, et ainsi renversant leur typologie logique.

Il faut bien se rendre compte du fait que l'analyse de Shannon et Weaver implique un système clos d'information dans lequel l'information est conservée.

1. Pour fournir au lecteur quelques brèves définitions : Le logocentrisme se définit par rapport à la primauté des modèles phonétiques sur des

modèles grammatiques dans l'épistémologie occidentale : la primauté de la parole sur l'écriture (Jacques Derrida). (Voir plus loin, les sections 9 et 10).

Le phallocentrisme signifie tout point de vue qui fait du phallus le signifiant des signifiants, et donc l'agent de l'exploitation, c'est-à-dire tout point de vue qui fait du phallus la mesure de toute. chose.

La cybernétique signifie la communication d'information dans un système quelconque, pour que l'énergie dont il dispose et l'organisation dont il relève, soient contrôlées. Le système peut être un écosystème naturel, un organisme, un système socio-économique, les processus biologiques de reproduction, etc. C'est un système non-entropique qui est ouvert et à l'information et à l'énergie.

La bioénergétique décrit tous les points de vue, explicites ou implicites, qui séparent « organisme » et a environnement » et qui dépendent de modèles cherchant à expliquer le comportement des systèmes organiques ou symboliques à partir d'une perspective thermodynamique mécanique, ou qui utilisent l'énergie et l'entité (ou de pareilles métaphores) comme principe de base dans leurs explications (4, 28, 29). L'épistémologie bio énergétique est une épistémologie analytique du « ou bien/ou bien », remplie de « forces », d' « attractions », d' « instincts », de « drives » de « dérives », à' inhibitory response mechanisms, à' innate releasing mechanisms, et ainsi de suite (5). Elle dérive de la causalité linéaire et efficace de la physique classique, telle qu'on la retrouve également en biologie, en psychologie, en sociologie (par exemple chez Freud, Piaget, Pareto, Parsons, Monod). Cette épistémologie ne s'oppose pas, pourtant, à l'épistémologie communicationnelle et dialectique, car la dialectique est un discours d'un type logique plus élevé (voir les propos curieux de Monod à ce sujet, 6, p. 92-4, 125).

Système est utilisé ici ou bien comme synonyme d' « écosystème », ou bien pour désigner un sous-sytème à l'intérieur d'un écosystème. (Tout sous-système est d'ailleurs un écosystème à un autre niveau d'analyse.)

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métaphore dérivée des rapports métonymiques du système par rapport auquel elle se pose dans un rapport de métalangage à langage-objet (Carnap). Mais je n'emploierai pas ici le terme positiviste de Carnap, « langage-objet », car ce terme n'implique pas un niveau de langage qui soit en quelque sorte le « but » des métapro- positions dans le métalangage. Pour Carnap, le langage-objet est un niveau quasi-autonome de langage qui ne parlerait que d'objets, d'événements et ainsi de suite. J'utiliserai le terme « langage-référent » pour parler du langage, et « communication-référent » pour parler de la communication. C'est une distinction purement méthodologique, car toute proposition dans un « langage-référent » est aussi une proposition dans un métalangage, et vice-versa (de même pour la communication et la métacommunication).

L'emploi du terme de réfèrent — dans le sens de ce à quoi se réfère la méta- proposition ou la métacommunication — a deux implications. Tout message doit avoir un réfèrent, et ne manque pas de l'avoir en effet. La communication intransitive est en dehors de toute possibilité réelle, car toute communication est gouvernée, en fin de compte, par la pragmatique, autrement dit, par la praxis des buts de la communication (cf. 36). Un système de communication dans ce sens est à concevoir méthodologiquement comme un système ouvert, que nous définissons provisoirement comme un système impliquant ou simulant la vie ou l'esprit (28). Il n'y a pas de processus ouvert qui ne soit téléonomique ou intentionnel (goal seeking) / il n'y a pas de signifiant pour l'homme qui n'intention- nalise (meinen) pas « quelque chose ». Sans signifier nécessairement une « chose », chaque signal, chaque signe, chaque signifiant, chaque symbole se rapportent, dans le message, à un « réfèrent » quelconque. Avant qu'ils ne soient sens ou signification, le signal, le signe, le signifiant, et le symbole sont de Y information. La fonction de toute information est le contrôle ou le déclenchement. L'information n'est transmise que pour organiser, pour contrôler, pour déclencher la matière-énergie dont le système dispose, et ceci toujours par rapport au travail qu'il y a à faire. Au sens plus large, donc, ce travail implique sans exception que le « système » ou « l'organisme » — mais ceci n'est pas une perspective « organi- ciste » — doit « s'apparier », à travers la symétrie, ou « s'ajuster », à travers la complémentarité, à un « environnement » quelconque, ou à un niveau quelconque, symbolique, imaginaire, ou réel, de l'environnement général. Une partie de ce processus d'ajustement ou d'appariement dans les systèmes humains — qui comprennent aussi des rapports de pseudo-symétrie, etc. — implique le commentaire métacommunicatif du texte de la communication, processus qui doit nécessairement impliquer une métacommunication au sujet du rapport impliqué dans la communication.

3. Homéostase, homéorhèse et morphogenèse

On peut offrir les trois définitions provisoires suivantes : 1. Perspective synchronique : Un symptôme, une idéologie, une superstructure

et tout autre niveau de communication dans un écosystème est une communication surdéterminée au sujet d'un rapport (surdéterminé) quelconque à un autre niveau quelconque. C'est une métacommunication synchronique au sujet d'une communication-référent. Les processus d'état stable (steady state) qui y sont impliqués seront décrits par le terme d'homéostase.

2. Perspective diachronique (A) : La maturation ou l'apprentissage à travers le temps selon les possibilités contenues dans les « instructions » ou le « pro-

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gramme » d'un sous-système (par exemple, les gènes) impliquent une série continue et temporelle de métacommunications au sujet des états antérieurs du système. Il s'agit d'un processus de sélection et de combinaison à l'intérieur des normes données du système, un processus qui peut très bien comprendre des sauts quantiques dans l'organisation des normes — l'apprentissage du langage, par exemple, ou la maturation sexuelle, ou l'émergence des monopoles dans la compétition économique — mais ne comprend ni changement de normes ni recodage essentiel. J'appellerai ce processus l'homéorhèse, suivant la conception de C. H. Waddington du chréode (« la voie du désir ou de la nécessité ») : la « trajectoire de développement » du système ou du sous-système (10, p. 12-13).

3. Perspective diachronique (B) : L'évolution et les processus de changement dans l'histoire peuvent être conçus comme la transition répétée des processus métonymiques de l'homéostase et de l'homéorhèse à de nouveaux niveaux d'organisation (restructuration). Ceci se définira comme un processus métaphorique d'émergence. Un tel saut discontinu entre niveaux d'organisation implique ainsi la capacité non seulement de chercher à atteindre des buts, mais aussi de changer de buts. Le système émergent est une métaphore au second degré, le produit d'un recodage essentiel. Comme pour le processus d'homéorhèse, mais à un autre niveau, le système émergent est une métacommunication au sujet des états antérieurs du processus diachronique. J'essayerai de montrer que ce processus d'Aufhebung est le résultat de la projection du processus métonymique de combinaison dans le processus métaphorique de sélection à un deuxième niveau, un événement duquel on peut dire qu'un message à origine métonymique sera devenu une métaphore dans le (nouveau) code. Cet événement résulterait, en dernière analyse, de l'effet combiné de trois autres processus : le processus par lequel certaines différences ont été transformées par la digitalisation en oppositions (« contradictions »), le feedback positif (« intensification des contradictions »), et le bruit (des perturbations par définition aléatoires, mais intérieures à l'écosystème). Ce type d'événement est décrit ici comme la morphogénèse: l'élaboration de nouvelles structures résultant des activités systémiques.

Et l'homéostase et l'homéorhèse, par contre, sont des exemples de la morpho- stase: le maintien de la structure, ou l'élaboration par rapport à son environnement de structures qui sont « programmées » dans les « instructions » du système.

4. Le système en tant qu'écosystème soumis à des contraintes non~holono- miques

Aucun de ces trois types de processus en marche, l'homéostase, l'homéorhèse, la morphogenèse, ne peut être attribué seulement au comportement du système en tant que tel. Ils impliquent nécessairement un rapport à un environnement : le système qu'on étudie est toujours aussi un écosystème (28; 19, p. 219). La question du rapport nécessaire à un environnement est capitale. Beaucoup de biologistes — et parfois Waddington lui-même — tendent à assumer un vocabulaire cybernétique ou informationnel mais seulement pour tenter de l'intégrer à une épistémologie pré-existante de la causalité linéaire, laquelle contredit, en fait, la perspective cybernétique. Ainsi les termes de « programme » ou d' « instruction » peuvent très bien devenir des synonymes de « causalité efficace ». Mais la description de « l'organisme » du point de vue de l'écosystème doit comprendre des caractéristiques similaires à la conception des contraintes

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non-holonomiques dans la physique classique (cf. 20). H. H. Pattee décrit cette caractéristique ainsi (19, p. 76) :

« Le concept même de mémoire dans un système héréditaire implique l'existence de plus de liberté [sémiotique] dans la description de son état stable que dans le mouvement du système, puisque le système doit être contraint afin de ne propager que ce caractère particulier qui est inscrit dans l'emmagasinage mnémonique ». Autrement dit, une description du comportement possible de « l'organisme »

seul n'est adéquate que si on y inclut une description des contraintes exercées sur ses possibilités par « l'environnement 1 ». Dans la terminologie de Bateson, l'explication cybernétique est d'un type logique différent de l'explication causale : il ne s'agit plus de savoir « pourquoi quelque chose s'est produit », mais de savoir quelles contraintes ont opéré de telle façon que « n'importe quoi » ne se soit pas produit (20).

Comme la substitution et la combinaison, comme la métaphore et la métonymie, la notion de métacommunication recouvre donc deux processus corrélatifs et indissolubles : l'aspect synchronique ou paradigmatique qui décrit chaque niveau d'organisation dans un système comme un commentaire sur le texte d'un autre niveau, et l'aspect diachronique ou syntagmatique qui décrit et la trajectoire de développement et le passage évolutif ou historique d'un système ou niveau d'organisation à un autre.

5. L'entropie négative et V entropie neutre

Les processus décrits sont soumis à la loi de l'entropie. Cependant, pour définir cet usage du terme d'entropie, il faudra distinguer l'entropie positive des systèmes clos de l'entropie neutre ou négative des systèmes ouverts, ce qui nécessitera une explication de la distinction méthodologique entre le système clos et le système ouvert.

Les processus de l'évolution naturelle semblent comporter un but; ce but est en apparence l'augmentation d'une variété ou d'un niveau d'organisation, associée à une viabilité grandissante (augmentation des limites d'adaptation) et à une augmentation de la complexité de la transmission d'information (augmentation de la liberté sémiotique du système). Cette conception d'une complexité croissante dans certaines lignées évolutives n'a rien à voir avec la « complication structurelle » des organismes, qui peut très bien être à l'opposé d'une complexité sémiotique. Le processus décrit ne comporte aucune notion de « progrès », ni ne contredit les évidences des arrêts, des stagnations et des dégradations dans l'évolution (23, p. 217-237). Ce qui peut apparaître comme une tendance finaliste vers l'augmentation de la complexité ne relève pas d'un processus téléolo- gique, équivalent aux caractéristiques intentionnelles ou téléonomiques des systèmes vivants. Le processus de l'augmentation de niveaux de complexité visible dans l'évolution est en dernière analyse le résultat de la variation aléa-

1. Étant donné que les « organismes » choisissent des « environnements » et vice- versa, les termes « organisme » et « environnement » ne se réfèrent pas à des entités, mais à un rapport. Il y a un « environnement » ou niveau de l'environnement qui est spécifique à chaque c organisme » ou niveau de l'organisme.

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toire et du bruit1. Tout ce qui est nécessaire pour donner à ce processus son caractère en apparence téléologique, c'est que les sous-systèmes qui en fent partie soient ouverts, intentionnels, et adaptatifs, et qu'ils existent dans un contexte de sélection naturelle. Conformément à la définition de l'information comme la constitution improbable d'organisation, on peut correctement qualifier ce processus de néguentropique.

L'homéorhèse, qui concerne le développement plutôt que l'évolution, comprend des augmentations de niveaux de complexité. Dans ce sens, la maturation d'un « organisme » est néguentropique. L'énergie prise dans un univers qui est positivement entropique est utilisée pour alimenter la transmission de l'information dans l'organisme. L'homéostase, par contre, fait état de l'entropie neutre : l'organisation n'évolue ni ne se dégrade ; elle est tout simplement maintenue entre certaines limites. Ainsi, de même qu'il devient nécessaire de distinguer deux niveaux ou deux ordres de diachronie — l'homéorhèse et la morphogenèse — il faut aussi distinguer deux ordres de néguentropie; dans la morphostase et dans la morphogenèse.

Mais la néguentropie de l'homéorhèse est en effet programmée dans les instructions du système et contrôlée par des contraintes, des inhibiteurs, et des « horloges » biologiques. Qui plus est, bien qu'il meure (inexplicablement), l'organisme mûr montre que, dans la biologie, la fin de l'homéorhèse est l'homéostase. La morphogenèse, par contre, ne fait état ni d'un programme ni d'une fin absolue, car ici la question ne réside pas dans le programme, mais dans les changements (imprévisibles) du programme. Avant qu'un système n'ait un processus de transmission héréditaire qui soit capable de faire des erreurs ou d'être modifié, tel l'A.D.N., la morphogenèse est impossible. En termes humains, l'apprentissage en tant que maturation est homéorhétique, mais le learning en tant que

1. Voir plus loin, la section 8. L'existence de contradictions dans les sociétés dialectiques résulte de la tension nécessairement engendrée par les processus d'organisation (10, 24). Cette tension sera intensifiée dans tout processus d'organisation allant à contre-pied de la valeur de survivance à longue échéance du système. Tous les systèmes contrôlés par le feedback négatif sont oscillatoires, par inhérence; lorsque leurs oscillations ne peuvent plus être maintenues entre des limites par les effets « amortissants » du système (damping), le système commencera à a pomper » (hunt), ce qui est une des façons possibles d'engendrer le feedback positif (cf. 28).

En ce qui concerne l'écosystème industriel capitaliste (y compris son environnement « nutritif » principal : le Tiers Monde), on voit que les deux sortes de a contradictions » décelées par Marx, et reprises en termes de structure par Godelier (31), sont d'une typologie logique différente l'une de l'autre. En ceci, elles s'appliquent parfaitement au modèle esquissé ici. La « contradiction » entre travail et capital décrit le comportement d'un système oscillatoire contrôlé par le feedback négatif de premier degré. (Voilà pourquoi on peut la considérer comme insurmontable tant qu'il y aura un manque — de travail, c'est-à-dire, une forme de chômage — dans le système.) La deuxième contradiction, par contre — entre les buts exponentiels du système capitaliste-technologique et ses ressources productives (engendrant nécessairement un abaissement des taux du profit : Capital, vol. III) — décrit le comportement d'un système sous l'emprise de processus malthusiens (quoi que Marx ait dit au sujet de Malthus) : le feedback positif. Ces processus de runaway seront nécessairement contrôlés, en fin de compte, par le feedback négatif de deuxième degré. Cette deuxième « contradiction » est donc un paradoxe (28; 29; 2, Appendice) engendrant des oscillations menant à la morphogénèse — tant que l'entropie positive n'y reprend pas ses droits.

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processus de libération politique et psychologique peut très bien être qualifié de morphogénique.

6. Le système ouvert et le système clos

Quels que soient le degré, Vétendue ou la portée de la complexité d'un système donné, ou d'un niveau donné de tel ou tel système, son degré de complexité doit être distingué méthodologiquement d'avec d'autres niveaux, d'avec d'autres systèmes et d'avec ses propres états antérieurs par son ordre de complexité. Cette conception s'associe naturellement à celle de niveau de type logique (Russell) : le type logique de [l'infrastructure est plus élevé que celui de la superstructure, et plus le type logique est élevé, moins le niveau d'organisation est élevé (7). "L'étendue d'un système de communication peut être conçue comme s' augmentant par les processus de multiplication et de fractionnement <jue sont la substitution et la combinaison métaphoro-métonymiques, mais son ordre de complexité s'augmente par un processus de substitution métaphorique à un deuxième niveau : une renormalisation, une restructuration, un changement de code essentiel. Dans le premier sens, la substitution est un processus; dans le second sens, par contre, elle fait état de Yémergence, elle est un événement métaphorique.

Or, à un certain point, entre l'ordre inférieur de complexité systémique et énergétique dans le système formé par deux billes de billard qui s'entrechoquent, et l'ordre supérieur de complexité informationnelle quand les êtres, les nations, ou les idées se heurtent les uns les autres, nous passons du champ des systèmes clos à celui des systèmes ouverts, de l'inorganique à l'organique. Et, dans le domaine de l'organique, à la frontière des sciences de la vie et des sciences sociales, nous passons de la nature à la culture, de l'être biologique à l'être discursif et socioculturel.

On peut définir un système clos ainsi : un sous-système qui, en réalité ou par définition, n'est pas dans un rapport essentiel de réciprocité (interaction) à un environnement. Tout rapport de feedback entre les variables du système est strictement interne au système, ou bien cette rétroaction (par exemple, le rapport entre la vitesse acquise d'un obus et la gravité) n'a rien à faire avec l'adaptation — le processus d'ajustement ou d'appariement — du système à l'environnement ou de l'environnement au système. On peut appeler cette sorte de feedback un « pseudo-feedback ». Un système auto-régulateur, cependant — comme le thermostat lié à un appareil de chauffage — relève d'un feedback qui sert à maintenir un but prédéterminé. Feedback veut dire contrôle ou commande; pour l'obus il y a commande (il tombe à terre) mais c'est une commande rigide. A partir de certaines données, on peut prédire exactement la course de l'obus sans se référer à un environnement, car l'obus et l'environnement sont tous deux les parties d'un même système essentiellement clos. Pour l'engin auto-guidé et adaptatif, par contre, qui cherche une cible mouvante qui essaie de s'échapper, il y a un rapport de feedback entre engin (système) et cible (environnement). L'engin atteindra sans doute son but, mais prédire sa course est impossible. Les règles de commande ne sont plus rigides. Mais un tel système autorégulateur à boucle de retour ne manifeste pas toutes les caractéristiques d'un système tout à fait ouvert. L'exemple le plus commun qu'on donne d'un système cybernétique est le thermostat. Mais le thermostat et l'engin auto-guidé sont tous les deux des exemples de systèmes mécaniques à feedback dans lesquels le feedback

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dépend d'une boucle de retour fermée. Ils ne simulent qu'une partie du comportement du système ouvert, qui n'est ni mécanique ni nécessairement soumis au feedback à boucle de retour fermée. A la différence du thermostat et de l'engin auto-guidé, le système ouvert peut être capable de changer de buts (que ce soit par accident ou à dessein), et ces changements sont reproductibles.

La caractéristique essentielle d'un système ouvert est son organisation. L'organisation est contrôlée par l'information et alimentée par l'énergie. Ainsi, bien que tous les processus dans l'univers obéissent à la deuxième loi de la thermodynamique, l'existence de l'organisation biologique et sociale — c'est-à-dire l'existence de la complexité organisée, à la différence de la complexité inorganisée de la thermodynamique — peut être décrite comme une manifestation de « paquets » localisés d'entropie neutre ou négative, c'est-à-dire de l'ordre dans un univers tendant au désordre. Comme Brillouin le disait, l'information est la néguentro- pie. Tandis que le système clos peut être expliqué en termes énergétiques, le système ouvert doit être décrit en termes informationnels. Car, alors que la formule probabiliste de la deuxième loi décrit une tendance vers la désorganisation, l'état synchronique d'un organisme et les processus diachroniques de maturation et d'évolution font état d'un maintien ou d'une augmentation d'organisation, contrôlés par la transmission d'information.

Différents niveaux de la réalité exigent différents niveaux d'explication. Ainsi, sans qu'on puisse définir entièrement la différence, la conception biologique d'ordre ou d'organisation (pattern) n'est pas tout à fait la même que la conception physique. En physique, la probabilité qui concerne l'ordre statistique peut être définie comme la probabilité que les « micro-états » d'un agrégat donné d'éléments homogènes correspondront au « macro-état » du système total. Ainsi, un corps dont le macro-état correspondrait à un seul micro-état aurait une organisation ou un ordre internes qui seraient les plus élevés possibles, et relèverait donc de l'ordre le plus improbable. L'entropie, le logarithme de la probabilité thermodynamique, est en effet un indice du chaos moléculaire. En physique, l'ordre se réfère directement à l'énergie libre, le désordre à l'énergie liée (manque de gradient). En biologie, cependant, à l'instar du point de vue économique de Freud sur les processus primaire et secondaire (2, 24), le rapport est inverse. Alors que pour le physicien la formation d'un cristal comporte une déperdition d'énergie libre (diminution de gradient), et donc, par définition, une augmentation d'entropie — car le cristal aurait fait du « travail » — pour le biologiste, le changement de la solution en cristal signifie une augmentation de patterning, et donc, une augmentation d'entropie négative (J. Needham, cité dans 9, p. 80). Autrement dit, alors que le manque d'un gradient énergétique à partir duquel on, puisse obtenir du travail est représenté en physique par l'énergie liée, l'énergie liée du biologiste n'indique pas une distribution aléatoire de potentiel, mais se rapporte au processus de la liaison (binding) de V énergie par V information 1.

La référence à la néguentropie dans l'histoire et dans l'évolution montre clairement pourquoi le modèle purement linguistique n'est adéquat que pour des applications limitées, à moins qu'on ne confonde langage et communication,

1. Pour Freud, des « signaux » partant du « moi » lient ou contrôlent 1' « énergie » du « ça ». C'est-à-dire que la Bindung (liaison) du processus secondaire apporte à la signification une Vorstellung (représentation) du «ens du processus primaire (analogue), par le moyen de la digitalisation.

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linguistique et sémiotique. Bien que le terme de diachronie dans la linguistique se rapporte souvent au processus linéaire du syntagme, il se rapporte aussi à l'histoire d'une langue ou à celle d'une famille de langues ou à l'évolution phonologique. Troubetzkoy, par exemple, décrit le niveau d'articulation phonémique d'une langue comme un système intentionnel, caractérisé par une tendance vers un but. Mandelbrot a remarqué que, le système phonémique étant discontinu par rapport à la continuité des fréquences dont il dépend, le système digital phonémique marche toujours à contre-phase par rapport à l'analogue, et doit donc changer (7). Mais alors que dans l'évolution et dans l'histoire on peut retrouver un processus d'organisation croissante, aucun processus semblable n'est évident dans l'évolution des langues. Toute langue est adéquate à sa réalité, mais il n'y a pas de corrélation entre la complexité de l'organisation linguistique et la complexité de l'organisation sociale. Le passage du latin au français, par exemple, comprend bien un changement de code, mais on ne peut détecter aucun changement de complexité (sinon une diminution). Les langues, donc, sont essentiellement caractérisées par l'entropie neutre, ou la morphostase, et c'est contre les préjugés homéostatiques ou morphostatiques de beaucoup de linguistes, de biologistes (1, 6, 8) et d'autres que le présent essai est orienté.

Il y a donc une troisième perspective diachronique (C) : le simple changement de code, le remplacement d'un état synchronique par un autre état synchro- nique auquel ne s'applique aucune valeur de développement dialectique. Il faut forger un terme pour cette sorte de changement, qui n'est ni répétition ni histoire; je l'appellerai l'homéo genèse.

On voit donc très bien pourquoi le modèle dit « linguistique » s'applique si aisément aux sociétés supposées sans histoire, qui changent très lentement tant qu'elles demeurent à l'abri de l'intervention extérieure, et dans lesquelles l'écriture au sens usuel n'a pas été inventée (voir 29, ch. xu, pour un examen plus détaillé de cette problématique par rapport aux thèses d'Emmanuel Ter- ray).

Le système ouvert est ouvert à son environnement, sans lequel il ne peut pas survivre et duquel il dépend pour les aspects de son développement qui ne sont pas contrôlés par les règles et les contraintes internes associées à l' auto-différenciation. Plus un système est complexe, plus il dispose de liberté sémiotique, plus il sera ouvert à des niveaux différents de l'environnement général. Beaucoup de systèmes cybernétiques non-organiques ne sont ouverts qu'à un seul niveau de l'environnement général (par exemple, le thermostat, qui n'est ouvert qu'à des différences de température), et beaucoup de systèmes organiques ne sont ouverts qu'à un environnement restreint (la tique commune, par exemple, qui n'est sensible qu'à la présence de certains composés chimiques dans la transpiration des mammifères). Tous les organismes sont des systèmes ouverts. Mais même les processus d'auto-différenciation (contraintes internes), qui sont en apparence autonomes, exigent une analyse en termes de système ouvert, par exemple le rapport entre les gènes et leur environnement à l'intérieur de l'organisme.

Une autre distinction significative entre le système clos et le système ouvert se trouve dans le fait que le clos consiste en un agrégat de ce qu'on suppose être des éléments homogènes, tandis que l'ouvert consiste en une organisation de ce qu'on sait être des éléments hétérogènes. Dans le système ouvert, donc; on ne peut chercher l'homogénéité que dans les rapports du système. Parce que l'infor-

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mation elle-même n'est qu'un rapport, l'étude des systèmes ouverts doit comprendre la dialectique de leurs rapports multiplicatifs et informationnels, alors que le système clos se prête toujours à l'analyse dans les termes additifs de l'énergie et des entités.

En étudiant un système clos, on peut donc suivre la démarche expérimentale des sciences physiques classiques : isoler une seule variable ou faire varier les variables à tour de rôle afin d'expérimenter le système, sans s'occuper de son contexte. On emploiera le causa aequat effectum, que Mittasch appelle « la causalité de la conservation » (Erhaltungskausalitât), pour arriver à des prédictions généralisées. Pour le système ouvert, par contre, ce même processus aura des résultats inexplicables. Faire varier les variables du système provoquera des variations dans le contexte qui influenceront à leur tour le comportement du système étudié. Si on parle ici de causalité, ce sera de « la causalité du déclenchement » (Anstosshausalitât). Autrement dit, pour le système ouvert, les informations de «l'entrée » (input) reçues par le système de son environnement seront employées pour modifier les informations de « la sortie » (output) que le système lui communique. Ensuite, l'environnement réagira en fonction de ces informations de sortie pour communiquer des informations d'entrée modifiées, et ainsi de suite.

Presque partout dans la nature et toujours dans les mécanismes autorégulateurs le feedback est négatif. Il tend à réduire les déviations à l'intérieur de l'écosystème, donc à réduire la différence entre les informations d'entrée et les informations de sortie. Le feedback négatif est donc un processus de contrôle tendant à la constance, à la stabilité, ou au steady state. Mais le feedback positif se trouve aussi dans la nature, feedback qui tend au déséquilibre, à la démesure, au changement, et souvent à la destruction : tels un incendie, une explosion, un supernova, la croissance des bactéries dans un milieu nutritif. Néanmoins, le feedback positif est toujours contrôlé par un processus de feedback négatif à un second degré : que ce soit par la mort de l'organisme, par l'épuisement de l'environnement qui alimente la réaction tendant à l'infini (runaway), ou par la destruction du système, ou encore — 'et ceci est capital pour notre sujet — par le passage du système à un autre niveau d'organisation (émergence, Aufhebung).

7. Le modèle morphostatique

Le système auto-régulateur et le système auto-différenciant sont homéosta- tiques ou homéorhétiques du point de vue du processus et morphostatiques du point de vue de la structure. L'un maintient un état stable, l'autre se restreint à un comportement et à un développement qui s'accordent à des règles structurales dont la violation entraînerait la destruction du système. La distinction entre la morphostase de l'organisme individuel et la morphogenèse de l'évolution naturelle ou des systèmes complexes tels que les sociétés, réside dans leur ordre de comportement adaptatif. L'organisme individuel ne s'adapte et ne se développe qu'entre des limites restreintes — car toute croissance est un processus de feedback positif qu'il faut inhiber — alors que le système morphogénique est capable de s'adapter en changeant de structure.

L'homéostase, qui n'a pas d'orientation temporelle, peut être représentée par la figure 1.

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L'écriture et le bruit dans la morpho genèse du système ouvert

PLATEAU HOMEOSTATIQUE

Figure 1

L'homéorhèse, qui est orientée temporellement, peut être représentée par la figure 2.

Contrainte /

t Contrainte

Figure 2

ORGANISATION CROISSANTE

Ainsi, « l'adaptation » dans l'homéostase est un produit essentiel du « bruit » dans le rapport système-environnement. La « croissance » dans l'homéorhèse est, par contre, le produit du rapport entre le programme « interne » du système, qui suit sa chréode, et les contraintes « externes » contrôlant le feedback positif qui est engendré par le programme « interne ».

Le rapport entre le bruit et la contrainte est essentiel pour la perspective morphogénique et sera élaboré plus loin. Pour le moment, cependant, il est utile de combiner la représentation de ces rapports morphostatiques dans la figure 3.

Tout rapport système-environnement qui sort du plateau homéostatique engendre la destruction du système — à moins qu'il ne s'adapte en changeant de structure afin de survivre. Biologiquement, une telle adaptivité morphogénique dépasse les capacités d'un organisme individuel, mais la morphogenèse peut opérer à l'intérieur de l'histoire d'une espèce. Toutefois les seuls systèmes morphogéniques de nature — à cause de leur ordre élevé de complexité, à cause de leur liberté sémiotique et à cause de la nature de leur mémoire — sont les systèmes sociaux et les théories qui y sont associées, car les théories, elles aussi, obéissent à des lois systémiques (cf. 10).

La figure 3 représente le comportement de tous les systèmes morphostatiques et de toutes les théories de systèmes morphostatiques. Elle représente, par exemple, les rapports de proie et de prédateur dans la nature, la « main invisible » d'Adam Smith, la théorie malthusienne, la théorie de Ricardo du soi-disant prix « naturel » du travail, et la théorie de la constance dans la métapsychologie freudienne.

Ce que cette figure ne peut pas proprement représenter, ce sont les processus réels de l'évolution et de l'histoire. La théorie de l'économie politique, par exem-

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x Axe des codifications; y Axe des sélections; z Axe des combinaisons; a La mort : limite supérieure du feedback positif; P La mort : limite inférieure du feedback positif; Y Trajectoire homéorhétique (chréode); S Plateau homéostatique (feedback négatif); e Bruit/Contrainte; a et p représentent aussi le feedback négatif à un deuxième niveau.

Figure 3

pie, a été récemment influencée par un modèle plus simple, mais semblable : le modèle cybernétique des rapports de feedback négatif à boucle de retour fermée. L'erreur dans le modèle économique résulte en partie de la conception, d'un simplisme extraordinaire, qu'on se fait de la « compétition libre », équivalent au modèle darwinien de la « survivance du plus apte ». Il n'est pas du tout surprenant que ce modèle supposé « naturel » (sens ricardien) n'opère d'une façon adéquate que lorsqu'il décrit la création des monopoles dans le capitalisme du laissez- faire. Dans le présupposé implicite de ces économistes que la compétition est en quelque sorte « pure » — projection des valeurs idéologiques dans la nature — réside une contradiction logique : si la théorie était vraie, il n'y aurait qu'une seule espèce ou qu'un seul producteur dans telle ou telle niche écologique donnée, et ainsi il n'y aurait pas d'environnement dans lequel l'espèce pourrait « survivre ». Cette même erreur logique — c'est-à-dire analytique — se retrouve aussi dans la théorie microbienne des maladies, théorie qui dépend pareillement de la supposition d'une causalité linéaire et non-contextuelle. Si la théorie microbienne était adéquate, il n'y aurait pas de survivants pour la concevoir. L'organisme humain est parfaitement capable de nourrir des souches assez virulentes de bactéries sans qu'il succombe à la maladie. L'émergence d'une maladie exige un facteur quelconque qui fasse état d'une valeur de déclenchement (11), ce que nous pouvons définir provisoirement comme une « intrusion » dé l'environnement. Autrement

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L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert

dit, seule une théorie écosystémique peut rendre compte des maladies organiques. Cette « intrusion » de l'environnement peut être conçue comme un message qui, s'il est reçu comme information, déclenche les contradictions « pré-existantes » dans l'écosystème. On l'appellera le bruit.

8. Le modèle morphogénique

A partir du modèle de la diachronie linguistique, on a vu que la conception d'un simple recodage n'est pas suffisante pour décrire la renormalisation — c'est-à-dire, la restructuration — impliquée dans le phénomène d'émergence morphogénétique.

Si nous posons, de façon circulaire, que tout système produit par une forme quelconque de l'évolution proprement dite, est (1) reproductif (capable de reduplication avec ou sans erreurs) et (2) adaptatif (doté de mémoire et donc capable d'apprendre à un ou à plusieurs niveaux), nous serons amenés à poser ainsi les caractéristiques fondamentales d'un système adaptatif et intentionnel1 :

1. Auto-différenciation, ou « Croissance ». 2. Réponse caractéristique : Une réponse ou un ensemble de possibilités

de réponse contraints par la liberté sémiotique relative du système. Cette réponse sera modifiable au niveau de « l'apprendre à apprendre » et sera également modifiée par l'évolution.

3. Sélectivité : La capacité de distinguer les stimuli, de distinguer « l'information » du « bruit », la « figure » du « fond ».

4. Apprentissage : La capacité de learning est la capacité de modifier la réponse caractéristique. Le learning comprend des niveaux et synchroniques et diachroniques. A des niveaux inférieurs de complexité, on trouve la simple réaction aux stimuli : la réception de l'information sélectionnée. A un niveau plus élevé, on rencontre la recodification combinatoire : la modification de la réponse caractéristique par la médiation d'une forme quelconque de mémoire {learning de premier ordre). A un autre niveau, on trouve la renormalisation ou la restructuration sélective : une modification des « instructions » ou du « programme », ce qui est équivalent au learning de second ordre, c'est-à-dire, équivalent à « l'apprendre à apprendre » (2, Appendice).

5. Homéostase : La stabilité synchronique entre des limites. 6. Homéorhèse : La stabilité diachronique de premier ordre, également entre

des limites. 7. Redondance : La protection du système contre les perturbations aléa

toires (ce qui est impliqué par 5 et 6). 8. Mémoire : Le sine qua non de la communication, dépendante de la trace 2. 9. Simulation : Une forme quelconque de comportement médiatisée par la

mémoire : l'application, la réduction, la sémiotique, le langage^ y compris la capacité de se reproduire.

Cette enumeration n'entend pas être entièrement complète ni établir un ordre de priorité entre les caractéristiques mentionnées. Mais elle démontre que les processus (métonymiques) en marche dans le système sont gouvernés par les

1. Ce qui suit modifie les critères établis par Marney et Smith (12). 2. Voir à ce sujet Von Foerster sur les trois processus indissolubles de ce qu'il appelle

la « cognition » : perception, mémoire, inference (36, p. 10).

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possibilités sélectives à l'intérieur d'un contexte de normes et par un feedback négatif de premier ordre. Lorsque le système est soumis à des perturbations qui dépassent un certain seuil, la stabilité du système ne peut plus être maintenue à l'intérieur de son contexte de normes données. Il doit donc se maintenir en évoluant.

Ces perturbations peuvent être le résultat de l'apprentissage, de la mutation, de la dissolution imminente de l'environnement, des perturbations dans l'environnement, d'une collision avec un autre système, de la refente (spaltung) du système, ou d'autres facteurs semblables. Tous les systèmes ouverts en eux- mêmes sont primordialement des conservateurs de structure; la nécessité de changer de structure pour que l'écosystème puisse survivre ne peut donc être le résultat d'une loi déterministe du développement évolutif. S'il y a de la détermination dans un système ouvert, il est déterminé par une lutte pour rester le même. Ce n'est que lorsque le système entre dans un processus de feedback positif que ce déterminisme sera transformé. Dans la nature, sinon dans l'histoire, la perte de contrôle représentée par l'entrée dans le processus de feedback positif est le résultat d'un certain aléatoire. Ce processus ne peut être déclenché que par les processus gouvernants du système adaptatif lui-même. Il n'y a donc aucune « loi d'émergence » téléologique dans l'évolution à Yorigine de l'histoire. Mais une fois que le feedback positif est déclenché, des lois de type malthusien — qui contrôlent la croissance exponentielle (et transforment les courbes en J en courbes en S) — entrent pleinement en jeu et déterminent en effet l'avenir de l'écosystème1 (28).

Le feedback négatif de second ordre, dans la forme de l'émergence, implique donc un recodage ou une renormalisation, au sens de restructuration. On peu* donc s'attendre à trouver dans le métasystème émergent la plupart des propriétés suivantes, sinon toutes ces propriétés :

Une portée adaptative augmentée (increased adaptative range). Une viabilité augmentée. Une variété (complexité) augmentée. Des innovations structurales. Un nouvel ordre d'organisation. L'engendrement de sous-systèmes modifiés (après coup). Une sélectivité élargie. Des changements dans l'ordre d'adaptivité et de learning. Un emmagasinage mnémonique augmenté. Des possibilités plus variées de simulation. Des possibilités augmentées de changer de buts. Une augmentation de la sensibilité du système au « bruit ». J'essaie de résumer ce processus dans la figure 4 (dans laquelle l'homéorhèse

de la figure 3 est supposée mais non représentée).

1. Dans l'histoire des sociétés « chaudes », par contre, le bruit peut très bien être aléatoire sans pour autant être « accidentel ». Dans de tels systèmes le bruit est engendré par les « contradictions » internes à l'organisation de l'écosystème socio-économique (voir la note 5). Mais pour les sociétés dont l'organisation socio-économique est telle qu'elles n'auraient pas dû évoluer, on ne peut pas ne pas prêter un rôle important au hasard (collision avec un autre système envahissant leur niche écologique pour des raisons démographiques ou climatiques, par exemple). De même, dans tout système, le hasard relève d'une fonction de déclenchement.

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Vécriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert

ORDRE (CROISSANT) DE COMPLEXITÉ (NEGUENTROPIE)

DEGRÉ DE COMPLEXITÉ.

MÉTASYSTÈME (PROCESSUS)

ÉTENDUE DE .COMPLEXITÉ

ÉMERGENCE (ÉVÉNEMENT) B

Plans horizontaux : Plans verticaux : A (Métasystème) : B (Émergence) :

G (Système-référent)

axes synchroniques (morphostase, entropie neutre), axes diachroniques (morphogénèse, entropie négative). Processus de messages (métaphoro-métonymiques). Événement : Changement de code (métaphorique) au sens de restructuration. (1) Système diachroniquement antérieur au métasystème émerg

ent. (2) Système d'un autre niveau de complexité ou d'organisation

coexistant synchroniquement au métasystème. 1 (3) Texte dont le métasystème est le commentaire (métacom-

munication). , Diagramme modifié de celui de Marney et Smith (12).

Figure 4

Comment se rendre pleinement compte de VAufhebung représentée par l'émergence?

Dans la plupart des théories structurales et dans beaucoup de modèles cybernétiques, un tel changement violent est impossible. Ces modèles ne se rendent pas compte des « sauts quantiques » qui sont rétrospectivement évidents dans l'histoire et dans l'évolution. Bien que l'évolution soit un processus continu, elle recouvre une étendue temporelle telle que nous pouvons (et devons) l'expliquer en ponctuant ce processus par des étapes discrètes. De même pour l'histoire, bien qu'ici l'intentionnalisation du passé transforme et le passé et l'avenir. Cette

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problématique implique tous les paradoxes de la représentation de l'analogue par le digital (7).

Si le « bruit » et le feedback positif non-contrôlé (runaway) ne sont pas possibles dans la plupart des théories structurales, la variation aléatoire y est également hors la loi. Parce que la génétique et la dynamique diachronique des théories structurales se fondent en général sur le modèle de la morphostase des changements linguistiques, ou sur celui de l'apprentissage, ou sur celui de la maturation de l'individu, mais négligent celui de l'évolution des espèces, aucune conception dialectique du changement n'y est possible. La plupart de ces théories conçoivent la probabilité dans le sens « plat » de la thermodynamique (un arc sans étapes discrètes) : la tendance vers un certain état. Mais telle n'est pas la probabilité qu'il faut appliquer à l'écosystème. Prenons l'exemple de l' A.D.N. : bien que les recombinaisons aléatoires des chaînes d'A.D.N. — des erreurs dans le code — ou les erreurs qui sont possibles dans la transmission de l'information par l'A.R.N., puissent théoriquement se prêter toutes les deux à une description en termes probabilistes, aucune théorie concevable de probabilité ne pourrait prédire les possibilités de survivance des « mutations » qui résultent (parfois) de ces erreurs dans les instructions gouvernant la reproduction. (Cette possibilité de survivance serait en tout cas tellement minuscule qu'elle se tiendrait sans doute en deçà des limites de la mesure). Tout dans l'A.D.N. tend vers la reproduction invariante, mais l'erreur et le hasard peuvent entrer dans son jeu. Et parce que la survivance de l'erreur implique un rapport avec un autre ensemble de variables interdépendantes, réciproques et imprévisibles — l'environnement — on peut sans doute constater que la probabilité de la survivance d'une nouvelle variation est nulle — jusqu'à ce qu'elle survive, bien entendu, ce qui relève d'une probabilité de survivance égale à un.

L'explication la plus satisfaisante de ce qui arriverait dans l'évolution est que la variation aléatoire — qui résulterait peut-être de la radiation mais aussi et plus probablement des recombinaisons ou des reponctuations aléatoires dans le code génétique — produit de nouvelles organisations ou structures. Ces nouvelles structures peuvent être conçues comme le résultat de l'interférence du bruit dans la transmission de l'information génétique. Si la sélection naturelle permet à la variation de survivre, elle incorpore en effet ce bruit dans son code de reproduction comme un ensemble d'unités d'information. Le bruit devient donc trace. Nous avons vu qu'une structure ou un système peuvent maintenir leur viabilité en face du bruit de deux manières. Le système peut se protéger par une redondance massive, ce qui réduit le bruit à l'insignifiance et empêche le changement, ou il peut se maintenir en changeant. Le premier cas correspond à un principe de morphostase; le deuxième, à un principe de sensibilité au bruit, un principe d'évolution permanente. On peut dire que l'organisme individuel exemplifie la redondance, et que les systèmes sociaux technologiques exemplifient l'évolution permanente (cf. la présentation d'Edgar Morin). La rétention du bruit comme trace (Er-innerung) dans des systèmes qui transcrivent leur mémoire engendre une adaptivité par rapport au bruit dans la relation entre système et environnement. Cette adaptivité augmente la sensibilité du système au bruit, ainsi son évolution présente engendre une évolution des possibilités d'évolution future.

9. L'écriture et la trace du bruit

II n'est pas possible, dans les courtes limites de cet essai, d'élaborer en détail

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L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert

le rapport entre « bruit » et « événement ». Je résumerai ce que j'ai dit ailleurs (2, 29) : aucun modèle phonétique, phonologique ou logocentrique du comportement ou de la communication ne peut rendre compte du bruit et de l'événement, car ce rapport se centre intimement sur la trace mnémonique. Ce n'est qu'en développant un modèle de V écriture, du gramme — dans le sens précis que Jacques Derrida (15) donne à ce terme dans sa critique du logocentrisme de l'épis- témologie occidentale — qu'on peut construire un modèle de l'évolution et de l'histoire qui combinerait la conception marxienne de la contradiction avec la notion biologique de la variation aléatoire. Car toute dialectique qui se fonde sur les « forces » et les « mécanismes » ou sur des systèmes clos dépourvus de mémoire et donc de la capacité de se reproduire, ne serait qu'une nouvelle version « dynamique » de l'épistémologie bioénergétique ou analytique.

L'accent que met Derrida sur la trace est d'autant plus significatif que sa conception n'est pas dérivée de la biologie ni de la théorie de la communication. Les développements les plus récents dans l'étude du code génétique, dans la zoosémiotique de la communication animale et dans la neurophysiologie confirment la primauté de la trace sur celle de l'énoncé. Waddington a suggéré par exemple, que l' A.D.N., étant un ensemble d'instructions qui sont codifiées ou inscrites dans des formes très résistantes à la modification dans la molécule qui les porte, est à regarder comme un texte. En effet, me disait-il, pourquoi ne pas concevoir l' A.D.N. comme étant la Bible, le messager A.R.N. comme étant le prêtre, et les protéines comme étant les fidèles prêts à mettre en œuvre le Verbe? Thomas Sebeok a examiné les signes chimiques qu'emploient les animaux et les insectes pour se remémorer par la trace les pistes, les limites et les messages (y compris les fameuses abeilles) (16). Et, d'un autre point de vue, tout en faisant remarquer qu'on ne sait presque rien au sujet de la neurophysiologie de la mémoire et du learning, Karl Pribram suggère que les bandes d'interférence (interference patterns) de l'hologramme produit par le laser peuvent former le modèle le plus fécond de la mémoire depuis le modèle « inscription » de Freud (17).

La trace primaire dont parle Derrida est une inscription analogue, et ce que Derrida dit de la conception freudienne des niveaux de signes dans le réseau psychique est très pénétrant : « La trace deviendra le gramme; et le milieu du frayage deviendra un espacement chiffré » (14, p. 15). Pour Derrida la notion de la trace (mnémonique) est intimement corrélative au concept de la différence (comme elle l'est pour Bateson), mais plus particulièrement à son homonyme de différance (différer, nachtrâglich, Abzug). La différence, c'est l'après-coup d'un post-scriptum.

Ainsi Derrida peut insister sur le fait que l'écriture, au sens large de graphe, de trace, de gramme, est logiquement antérieure à la parole. En ceci il a certainement raison, car la parole dépend de la trace mnémonique : sans une forme d'inscription qui lui sert de mémoire, nul organisme ne peut communiquer quoi que ce soit. C'est précisément ce qui différencie la « communication » de l'énergie de la communication proprement dite. Pour la théorie de l'information, un spectrographe est de l'information en soi; pour la théorie de la communication, par contre, le spectrographe ne devient information que parce que le récepteur est un organisme communicant, se remémorant, et non une machine. C'est à partir de l'incorporation réelle et matérielle de la trace « dans » l'organisme — la transmission différée, l'émission différée, de la différence — que, selon Derrida, le sens surgit. (Je dirais plutôt qu'il s'agit du surgissement de la signification — digitale — à partir de la trace analogue).

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Anthony Wilden

Dans un langage qui est très voisin de la conception de Bateson selon laquelle l'information est « la différence qui fait la différence » (que nous pouvons maintenant traduire : « la différence qui laisse son post-scriptum après coup »), Derrida montre que l'illusion positiviste de l'origine pleine n'est qu'une version de la quête illusoire du paradis perdu, de l'objet perdu, de l'u-topie : la quête de « l'être » ou de la « substance » ou du « sujet » ou de la « plénitude » ou de la « présence » ou de l'essence à l'origine de la vie : « La vie doit être conçue comme trace avant que l'être ne soit déterminé comme présence ». « L'essence » de la vie (qui n'est aucune essence, mais plutôt l'a-chose, no-thing), c'est la différence. J'interprète ce terme subtil comme « intentionnalité » ou comme « recherche des buts », dans le sens où et les origines et les buts sont des illusions imaginaires; c'est le processus de quérir, et non le but, qui est à l'origine de la condition humaine :

... « L'apparaître et le fonctionnement de la différence supposent une synthèse originaire qu'aucune simplicité absolue ne précède. Telle serait donc la trace originaire. Sans une rétention dans l'unité minimale de l'expérience temporelle, sans une trace retenant l'autre comme autre dans le même, aucune différence ne ferait son œuvre et aucun sens n'apparaîtrait. Il ne s'agit donc pas ici d'une différence constituée mais, avant toute détermination de contenu, du mouvement pur qui produit la différence. La trace (pure) est la différance. »

... « La différance est donc la formation de la forme. »

... « La trace est en effet V origine absolue du sens en général [mais la trace n'est nulle part]. Ce qui revient à dire... qu'il n'y a pas d'origine absolue du sens en général. La trace est la différance qui ouvre l'apparaître et la signification » (15, p. 91-95).

(Je dirais plutôt que la trace est la différance qui ouvre l'apparaître à la signification. La différence, comme l'information, c'est une relation; donc elle n'est pas localisable; la différance est l'information de la forme.) Derrida ne distingue pas l'analogue du digital, bien entendu, ni ne fait de distinction entre le sens et la signification, entre l'information et le sens, entre l'énergie et l'information. Mais peu importe à ce niveau. L'aspect synchronique de l'intraduisible unit of mind de Bateson (33), dont je traite dans (28), c'est la trace de la différence, du message-en-circuit, c'est un cercle de différence. Ce qui brise le circuit homéos- tatique et permet l'émergence ou la morphogenèse, ce n'est pas la « contradiction interne » seule, dans le sens classique des conceptions bioénergétiques et assez mécanistes de Lénine (voir la note 1 p. 15). C'est plutôt le rapport entre contradiction et bruit. Le bruit comme Bateson le dit (20), c'est la seule source possible de nouveaux patterns. Le bruit déclenche et augmente, en effet, l'essor ou le feedback positif de contradictions pré-existantes. Or, dans un écosystème, le bruit, même quand il est engendré à l'intérieur, est par définition, une « intrusion de l'environnement ». Mais le bruit ne subsiste pas longtemps comme bruit. Et du moment que la capacité adaptative du système incorpore le bruit comme trace, le bruit devient événement... et il devient reproductible.

Il faut distinguer l'information aléatoire des niveaux d'énergie aléatoires. La distribution aléatoire des niveaux d'énergie dont parle la deuxième loi de la thermodynamique n'est pas un ensemble d'accidents improbables, à la façon dont une erreur dans le code génétique (hautement redondant) d'un organisme est un fait du hasard. Cette distribution est plutôt du domaine de la nécessité, c'est-à-dire, du domaine de la probabilité, ce qui n'est qu'une autre façon de dire

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L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert

que l'information aléatoire (le bruit) est épistémologiquement distincte de la matière-énergie aléatoire. (Dans un autre sens, elles sont équivalentes, car tout ce qui n'est pas information pour un système de communication ne peut être que la matière-énergie. Et ce qui est information pour tel ou tel système, peut très bien être énergie pour un autre. Il ne s'agit pas de la nature de l'énergie ou de l'information, mais plutôt de leur fonction, et donc de leurs effets.) Le bruit, par contre, est une mesure de la perturbation réelle de l'organisation, ce qui explique pourquoi le bruit peut devenir événement; ce n'est pas, comme l'entropie, une mesure d'une tendance quelconque.

Le système qui évolue se re-mémore (er-innern) le bruit. La « trace originaire » dont parle Derrida, c'est le bruit, car la vie est un accident improbable. Mais l'homme se crée par le travail. Le concept est le sens, l'information, qui organise le travail à faire, et nous pouvons interpréter le travail humain non-aliéné — la transformation du donné, la production de Y artefact — dans les termes du « travail » de l'organisme bu de l'espèce (transformation, adaptation, reproduction, évolution) par rapport à son environnement. Le travail change ou reproduit l'organisation de la matière-énergie. La trace que laisse « l'organisme » sur (ou dans) « l'environnement », et la trace que laisse « l'environnement » sur (ou dans) « l'organisme », c'est précisément l'écriture dans le sens que donne Derrida au gramme. Lorsque dans l'évolution, le « travail » en vient à impliquer la production de valeurs d'échange (la production au sens propre) plutôt que la production de valeurs d'usage seules, la matière-énergie impliquée se trouve transformée d'énergie en information, d'entité en « signe » (e. g., de mâle en « frère », de pénis en « phallus »). C'est à l'époque (mythique) de la création de « l'objet symbolique » que l'information « transitoire » ou « non-incorporée » ou « non-inscrite » — la parole — peut en venir à contrôler la communication et l'échange non-naturels et non-biologiques du système, permettant plus tard l'invention (par accident) de l'écriture en tant que telle.

10. Synchronie redondante et évolution permanente

Or, si la trace est la rétention, afin qu'elle puisse se transmettre plus tard, de la différence, et si les patterns analogues de cette rétention représentent la mémoire, l'extension de la catégorie de l'écriture que suggère Derrida pourra éclaircir la fonction de l'écriture en tant que telle dans les sociétés « diachroniques », comme la nôtre, par opposition à la synchronie relative des sociétés dites « primitives » ou « archaïques » (et que nous appellerons : « civilisations froides »).

En termes biologiques, plus un organisme est simple, ou moins le niveau d'organisation d'un système est complexe, plus on verra une prépondérance de la structure et de la reproduction sur le système et sur l'évolution. Et plus un écosystème est complexe, plus il est ce technologiquement » efficace (c'est-à-dire, moins il dépend de la redondance pour éviter l'effet des erreurs), plus il sera sensible à l'erreur.

Dans la « civilisation froide » à laquelle manque l'écriture en tant que telle, le passé de la culture — sa mémoire, son ensemble d'instructions, son texte sacré — est incarné littéralement dans chaque domicile, dans chaque personne qui représente un terme de parenté, ou qui exemplifie un rituel, ou qui se remémore un mythe. La mémoire objective d'une telle culture — le plan du village, les outils, les objets culturels — est relativement petite. Ce réseau mnémonique contribue à la survivance de l'organisation de la culture de génération en génération, mais,

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pour la plupart, les distinctions signifiantes d'une telle culture doivent être maintenues, reconstruites, représentées — en un mot : ré-inventées — dans la chair même de chaque génération. La distinction entre code et message dans un tel système doit être minimale; le système semble incarner langue et parole dans le même lieu. Autrement dit, le texte (« A.D.N. ») et les passagers (« A.R.N. ») sont presque les mêmes, le génotype est presque le phénotype. Chaque membre vivant du système est en même temps un message dans le code et un message qui maintient le code, un message qui retient une partie du code.

Mais une société dans laquelle ont été inventées des formes de mémoire objective, telle l'écriture en tant que telle, cette société sera nécessairement plus ouverte à la complexité. Une telle société a beaucoup moins besoin que la société « froide » de demander aux participants d'incarner le code culturel et l'histoire de la société, car le code de la société « chaude » est aussi inscrit autre part. Le code culturel de la société chaude est en quelque sorte extérieur à l'individu; le fait que l'individu l'intériorise et le représente par sa « socialisation » a moins d'effet sur le statut du code que ce n'est le cas dans la culture froide. On pourrait l'exprimer ainsi : la culture chaude s'inscrit par l'écriture et par une technique « avancée » sur le monde à l'extérieur d'elle-même — sur la nature, sur la pierre, sur le papier, dans le film, dans les monuments, sur la bande enregistrée — alors que la civilisation froide est en quelque sorte inscrite sur elle-même. Celle-ci est à la fois elle-même et sa propre mémoire, ses propres « instructions ». Par rapport au codage digital et efficace des patterns de mémoire dans la culture chaude la culture froide est plutôt analogue : elle est une iconographie dont la plupart des icônes mnémoniques sont en effet des personnes.

Avec tant de « dictionnaires culturels » disponibles, la culture « grammatique » sera nécessairement plus efficace. On sait, par exemple, que l'invention du dictionnaire et de l'encyclopédie dans la culture occidentale, comme le montrait Jacques Ellul, fut une innovation technique visant à l'efficacité. Alors que l'unité de la communication dans la civilisation froide, c'est la personne, celle de la culture chaude est plutôt le « rôle » ou le « métier » ou la « pièce détachée standardisée », quelque chose de digitalisé, de spécialisé, d'alphabétisé, qu'on peut localiser, retrouver, classer à volonté.

Dans le sens où la stabilité de la société froide semble relever de l'homéostase ou de la morphostase, il est clair que la redondance joue un rôle relativement grand dans la transmission et la rétention du code culturel. Les répétitions, dans le mythe et le rituel, du mythe et du rituel ; les préparatifs compliqués et la ritua- lisation interminable de la vie journalière; les rites de passage : tous contribuent à réduire l'accidentel au probable, le nouveau à ce qui a été convenu et l'événement au processus. Tout est arrangé pour minimiser l'effet du bruit sur le code. Il y a des effets similaires dans notre culture, bien entendu, mais c'est la fonction relative du temps — et donc de l'utilisation de l'énergie dont le système dispose — qui les distingue. L'information « emmagasinée » d'une culture chaude fournit au système une mémoire instantanée, tandis que retrouver une pareille quantité d'information dans la mémoire d'une civilisation froide peut prendre une semaine ou une année de processus rituels. La dépense d'énergie et de temps nécessaire à cette remémoration est beaucoup plus grande dans la culture froide par rapport à la totalité de l'énergie dont elle dispose.

Dans la culture chaude, c'est la façon dont la mémoire culturelle est emmagasinée qui implique une assez grande redondance, alors que pour la culture froide ce qui est si redondant, c'est la façon dont la mémoire culturelle est utilisée.

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L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert

Du point de vue de la relation inverse de la redondance à l'efficacité, par rapport à l'utilisation de l'énergie, la civilisation chaude se souvient d'une façon plus efficace que ne le peut la civilisation froide. La seule lecture du journal le matin, par exemple, l'assimilation journalière de la publicité, le coup d'oeil à la télévision, sont autant de remémorations et de renforcements — efficaces, répétés, subliminaux — du code total de la culture, au moyen de la trace extérieure qui s'intériorise à chaque moment.

Plus l'utilisation de la matière-énergie nécessaire à la transmission de l'information dans le système est efficace, moins la transmission de l'information sera redondante. (Je parle de l'information essentielle, car nous ne nous occupons pas ici de la redondance dans le sens de gaspillage.) Le système sera plus complexe et, à longue échéance, plus fragile. Il sera donc plus sensible au bruit, et pour prendre en compte le bruit (qui augmente avec la complexité), le système efficace sera morphogénique. Et si le discours scientifique de la culture froide n'utilise qu'une série d'événements aléatoires (son mythe des origines) pour expliquer tout événement, le discours scientifique de la culture supposée « civilisée » refoule l'événement au niveau macroscopique et n'y représente que la trace de l'équilibre et de l'harmonie (newtonienne), ou bien celle de la « nature » de l'homme, celle de la « structure élémentaire ».

Pour le membre de la société froide, cependant, l'improbable est l'attendu, et, parce que lui, l'être, est lui-même la trace, l'événement en tant qu'événement ne devient histoire que rarement. Dans la vie matérielle du système en évolution rapide, par contre, l'événement est retenu et enregistré dans la trace ; ainsi peut- il passer du message au code (métaphore). L'événement dans le système froid tend à rester au niveau (métonymique) du message. Si, pour Derrida, la science occidentale a toujours refoulé la trace, le mythe de 1' « autre » civilisation a toujours, et nécessairement, désavoué l'événement. Autrement dit, chacun des deux systèmes, pris dans ce qui paraît être une contradiction entre la synchronie et la diachronie, a répondu de façon différente au même problème. Les soucis statistiques et mécaniques de la science occidentale ont engendré, jusqu'à une époque assez récente, le mythe archaïque d'un code métaphorique qui ne change pas (structure, équilibre, inertie, déterminisme) — et pour lequel tout changement est la dégradation entropique — pour expliquer par dénégation la signification réelle de l'événement interne ou intériorisé dans un système qui est très sensible à l'événement unique. C'est un système dont la stabilité ne dépend pas du maintien d'un Age d'Or mythique, mais dont la stabilité dépend plutôt de l'adaptati- vité dans le sens de sauts quantiques dans l'évolution (système, auto-différenciation, perturbation, improbabilité).

Les soucis écologiques et symbiotiques du mythe du soi-disant primitif, par contre, engendrent une science de l'événement (l'origine absolue et accidentelle, le « il y avait une fois ») dans la forme d'un seul message des ancêtres ou des dieux, ce qui explique le retour éternel — et donc le manque de signification — de ces « actes de Dieu ». Le mythe des origines établit ainsi l'événement originaire comme la métaphore de la conduite du système et explique le manque d'intériorisation des événements subséquents, le manque de la trace, dans le système, de l'événement subséquent. Car, si pour la société froide tout est catastrophe, il n'y a pas de catastrophe.

La fonction idéologique de l'épistémologie imaginaire du discours scientifique de notre culture, s'équilibrant sur l'opposition et l'identité (2, 28), n'a rien de surprenant. Car le bruit, qui est engendré à l'intérieur de l'écosystème social,

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est une forme de violence. Mais pour l'idéologie et le scientisme dominants, surtout dans les sciences de l'homme, toute violence est nécessairement le fait des agitateurs et des enragés venant de l'extérieur, au hasard, pour perturber l'harmonie pré-établie du système (social) clos, qui ne se souviendrait pas, qui n'apprendrait rien...

Anthony Wilden

Department of Communications University of California at San Diego

La Jolla, California, USA

RÉFÉRENCES

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édition, comprenant 1' « Épilogue, 1958 ». 4. Anthony Wilden, « Structuralism, Communication and Evolution » (Critique du

Structuralisme de Jean Piaget), Semiotica (à paraître). 5. Gregory Bateson, a Metalogue: What is an Instinct », in T. A. Sebeok, éd., Approaches to Animal Communication, s'Gravenhage, Mouton, 1969, p. 11-30.

6. Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, Paris, Le Seuil, 1970. 7. Anthony Wilden, « Analog and Digital Communication: On Negation, Significa

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L'écriture et le bruit dans la morphogenèse du système ouvert

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30. Louis Althusser et al., Lire Le Capital, Paris, Maspero, 1965. Deux volumes. 31. Maurice Godelier, Rationalité et irrationalité en économie, Paris, Maspero, 1968. 32. Emmanuel Terra y, Le Marxisme devant les sociétés « primitives », Paris, Maspero,

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