Évolution des modes de vie et qualité de vie

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direction régionale de l’Équipement d’Ile de France Réflexions sur l’avenir de l’Ile-de-France Rapport du groupe de travail sur Évolution des modes de vie et qualité de vie élaboré sous la responsabilité de Marion SEGAUD Professeur à l’Université du Littoral Côte d’Opale Président du groupe de travail novembre 2004

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direction régionale de l’Équipement d’Ile de France

Réflexions sur l’avenir de l’Ile-de-France

Rapport du groupe de travail sur

Évolution des modes de vie et qualité de vie élaboré sous la responsabilité de Marion SEGAUD Professeur à l’Université du Littoral Côte d’Opale Président du groupe de travail novembre 2004

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Réflexions sur l’avenir de l’Ile-de-France

Rapport du groupe de travail sur

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Avertissement aux lecteurs

La planification d’ensemble du développement et de l’aménagement de la région Île-de-France a été initiée avec le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne de 1965 ; ce schéma s’inscrivait dans la vaste réforme des institutions de la région capitale menée par Paul Delouvrier. Le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de l’Île-de-France en 1976 et le schéma directeur de l’Île-de-France approuvé en 1994 ont assuré la continuité et l’adaptation de cet outil de mise en cohérence dans le temps et dans l'espace des politiques publiques qui contribuent au développement solidaire et à l’attractivité de l’espace régional.

La compétence d’élaboration du schéma directeur régional a été transférée au Conseil régional d’Île-de-France par la loi d’orientation et d’aménagement du territoire du 4 février 1995. Le code de l’urbanisme prévoit l’association de l’État et l’approbation par décret en Conseil d’Etat du schéma.

Sans préjuger de l'opportunité, de la date et des modalités d'éventuelles décisions de mise en révision

du schéma directeur qui relèvent donc aujourd’hui du Conseil régional d’Île-de-France, la Direction régionale de l’équipement a engagé à la demande du préfet de région une démarche prospective sur des thèmes clés pour l’avenir de l’Île-de-France. Les dix thèmes ci-dessous ont été examinés par des groupes de travail réunissant des spécialistes invités intuitu personae, sous la présidence de personnalités pour l’essentiel extérieures à l’administration de l’État en Île-de-France.

Il a semblé utile d’assurer une diffusion appropriée de ces analyses et propositions techniques. Ces travaux réunissent chacun les réflexions d’un groupe d’experts et ne constituent, bien sûr, pas une prise de position de l’État. Ils sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs, à savoir les présidents des groupes de travail.

• Les nouvelles formes de planification de l’Île-de-France – président : Gérard MARCOU, professeur de droit public à l’université de Paris I

• La place de la région dans le monde et en Europe – président : Régis BAUDOIN, directeur général de l’Agence régionale de développement

• La politique d'aménagement multipolaire du territoire régional – président : Daniel SENE, ingénieur général des ponts et chaussées

• Les espaces périurbains et ruraux du schéma directeur – président : Alain DASSONVILLE, ingénieur général du Génie rural, des eaux et des forêts

• Le développement économique à long terme de la région – président : Jean-Pierre MONNOT, directeur régional de la Banque de France

• L’évolution des modes de vie et qualité de vie – présidente : Marion SEGAUD, professeur de sociologie à l’Université du Littoral

• Les solidarités urbaines – président : Éric SCHMIEDER, inspecteur général des affaires sanitaires et sociales

• La mobilité – président : François-Régis ORIZET, directeur délégué de la Direction Régionale de l’Équipement d’Île-de-France

• La prise en compte dans la planification régionale de la gestion des ressources, des déchets, des nuisances, des risques et des crises – président : Victor CONVERT, préfet, président du Conseil d’administration de l’Institut National des Études de Sécurité Civile

• La zone dense – président : Christian BOUVIER, directeur général de l’Établissement Public pour l’Aménagement de la Défense

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Ce rapport a été élaboré par un groupe de travail présidé par Marion SEGAUD, Professeur à l’Université du Littoral Côte d’Opale et dont les membres étaient : Richard GRIMAL, rapporteur, chargé d’études à la Direction régionale de l’équipement d’Ile-de-France Jacques THEYS, responsable du Centre de Prospective et de Veille Scientifique au Ministère de l’Equipement, du Logement et des Transports Carine BURRICAND, chef de la division « Démographie-conditions de vie » de l’INSEE Ile-de-France Edmond PRETECEILLE, chercheur à l’Institut de Recherche sur les Sociétés Contemporaines Catherine BONVALET, de l’Institut National d’Etudes Démographiques Gérard LACOSTE, de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France Bruno MARESCA, du Centre de Recherche et d’Observation des Conditions de vie Mai HUYNH, chargée de mission au Plan Urbanisme Construction Architecture François GRAILLE, chargé d’études à la Direction Régionale de l’Equipement d’Ile-de-France Frédérique BENIZE, chargée d’études à la Direction Régionale de l’Equipement d’Ile-de-France Paul RIUS, chargé d’études à la Direction Régionale de l’Equipement d’Ile-de-France Nicolas MOURLON, chargé de mission au Ministère de l’Agriculture avec les contributions de : Philippe LOUCHART, de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France Catherine BONVALET, de l’Institut National d’Etudes Démographiques Pascale LEROY, de l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile-de-France Michel FORSE, chercheur à l’Institut de Recherche sur les Sociétés Contemporaines Pierre BRECHON, directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble Jean-Yves BOULIN, professeur d’université à Paris Dauphine Marie-Christine COVACSHAZY, chargée de la prospective au Commissariat au Plan Sébastien ROCHE, directeur de recherche à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble Frédéric OCQUETEAU, chargé de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique Jacques FRESNAIS, Plan Urbanisme Construction Architecture Daniel PINSON, professeur des universités, directeur de l’Institut d’Aménagement Régional de l’Université d’Aix-Marseille III Christian ROLLOY, Président Directeur Général de PROMOGIM Pierre CARLI, Directeur Général du Logement Français Philippe DARD, Directeur de Recherche au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment Dominique BOUCHET, Professor, Department of Marketing and Communication, University of Southern Denmark, Odense Yves LASFARGUE, chercheur et consultant, directeur de l’Observatoire des Conditions de Travail et de l’Ergostressie, expert auprès du Comité Economique et Social des Communautés Européennes La publication du rapport a été assurée à la Direction régionale de l’équipement d’Ile-de-France par Yannis Imbert

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Sommaire 1. Valeurs des Français : liberté dans la sphère privée, ordre dans la sphère publique............11

2. Des aspirations à la qualité de vie ..............................................................................................13

3. Choix de vie et environnement urbain........................................................................................19 3.1 Des conditions de logement moins attrayantes pour les franciliens ......................................19 3.2 Des modes de vie plus « urbains » en Ile-de-France ............................................................21 3.3 Les franciliens compensent une qualité de vie médiocre par des séjours alternés en province ou à l’étranger ......................................................................................................................22 3.4 Des modes de vie liés aux spécificités de la population francilienne .....................................23 3.5 Le desserrement de la population francilienne se poursuit au profit de la grande couronne et des départements limitrophes.........................................................................................................24 3.6 Des choix de vie diversifiés ...................................................................................................25 3.7 Des territoires socialement contrastés...................................................................................26

4. L’essor d’une économie du temps libre (loisirs-culture-consommation), avec cependant des contrastes sociaux et territoriaux ................................................................................................33

4.1 L’évolution des temps sociaux : plus de temps libre, de nouveaux usages du temps ; individualisation, désynchronisation, brouillage des frontières. L’Ile-de-France hyperactive...............33

4.1.1 diminution du temps travaillé et du temps domestique, extension du temps libre, due essentiellement à l’accroissement de la part des inactifs et des chômeurs ....................................33 4.1.2 ce sont aujourd’hui les plus diplômés et les cadres qui travaillent le plus .........................34 4.1.3 un recul progressif des écarts entre hommes et femmes sur la répartition du travail professionnel et du travail domestique ...........................................................................................34 4.1.4 Les usages du temps : une opposition entre les « hyperactifs » et les « casaniers » .......35 4.1.5 une diversification croissante des temporalités, avec une capacité inégale à maîtriser son temps en toute autonomie .......................................................................................................36 4.1.6 L’Ile-de-France : une région hyperactive ...........................................................................37 4.1.7 les opinions des salariés à l’égard de la réduction du temps de travail .............................38 4.1.8 l’impact de la RTT sur le temps de travail, le temps libre, les comportements de loisir.....38

4.2 Loisirs, culture et consommation : le développement d’une économie du temps libre, du bien-être et de l’information ................................................................................................................39

4.2.1 Une forte croissance des besoins liés à la santé qui devrait se poursuivre.......................40 4.2.2 Essor des loisirs, de la culture et du sport.........................................................................41 4.2.3 L’explosion des technologies de l’information et de la communication..............................42 4.2.4 L’affaissement du poids relatif des consommations matérielles prises dans leur ensemble: se loger, se nourrir, se déplacer, s’habiller ....................................................................43 4.2.5 Le poids du logement et de l’automobile demeurent très significatifs................................44 4.2.6 L’extension du tourisme ....................................................................................................45

5. La féminisation du travail transforme les modes de vie ...........................................................49

6. Famille, fécondité .........................................................................................................................55 6.1 baisse tendancielle de la fécondité depuis 1965, amorce de reprise depuis 1995, recul de l’âge de la maternité ...........................................................................................................................55 6.2 Diversification des comportements matrimoniaux et conjugaux : L’évolution des comportements matrimoniaux et conjugaux se traduit par la baisse tendancielle des mariages, la montée des formes d’union alternatives (union libre, PACS…), les mariages plus tadifs, le développement des mariages mixtes, la hausse des naissances hors mariage, l’accroissement

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des divorces, la multiplication des couples sans enfants, les personnes isolées et les familles monoparentales et recomposées........................................................................................................55 6.3 des ménages de plus en plus nombreux et petits : plus de ménages de une ou deux personnes, recul des ménages de plus de cinq personnes ................................................................56 6.4 Mutations de la parenté : un noyau familial plus restreint, une importance accrue de la relation mère/fille, accroissement des parentèles de plusieurs générations, un cadre protecteur. .....57 6.5 Les évolutions des cycles de vie : des étapes retardées et plus irrégulières.........................58 6.6 Démographie et famille en Ile-de-France: une fécondité plus élevée, plus de personnes seules et de familles monoparentales, moins de couples, des couples plus souvent bi-actifs............58 6.7 répercussions sur la structure urbaine et la demande résidentielle .......................................60

7. Sentiment d’insécurité, délinquance, recherche de l’entre soi ................................................61

8. Le vieillissement de la population...............................................................................................65 8.1 Mesurer le vieillissement : définitions de la vieillesse, besoins en maisons de retraite, soins, aides au maintien à domicile. ...................................................................................................65 8.2 des retraités plus riches, en meilleure santé et plus mobiles que par le passé, ayant un accès croissant aux loisirs et à la consommation ...............................................................................68

8.2.1 une mobilité qui décroît avec l’âge mais les nouvelles générations de seniors sont plus mobiles que les précédentes ..........................................................................................................69

8.3 Le vieillissement en Ile-de-France .........................................................................................71 8.3.1 Une croissance ralentie par affaissement graduel de l’excédent naturel, sauf dans les régions du sud ................................................................................................................................71 8.3.2 -Une jeunesse relative de la région qui devrait perdurer… ...............................................72 8.3.3 …Mais l’Ile-de-France vieillira quand même. ....................................................................73 8.3.4 Des variantes de ce scénario : solde migratoire accru avec l’étranger, ralentissement des migrations de retraite. ..............................................................................................................73 8.3.5 Des incertitudes économiques ..........................................................................................73 8.3.6 Des incertitudes sur la mortalité et l’espérance de vie ......................................................74 8.3.7 Des incertitudes sur les comportements résidentiels : diffusion des résidences secondaires, des doubles résidences, des migrations saisonnières, moindre propension au départ des retraités, mieux logés, plus souvent natifs de l’Ile-de-France, plus souvent propriétaires ou habitant en maison individuelle .............................................................................74 8.3.8 La territorialisation du vieillissement en Ile-de-France : des situations locales beaucoup plus contrastées que les évolutions à l’échelle régionale................................................................77

9. La mobilité quotidienne évolue qualitativement : progression de la voiture individuelle, des déplacements plus lointains, plus souvent en dehors des heures de pointe, de banlieue à banlieue, pour des motifs non professionnels. La demande porte désormais sur le développement du réseau de banlieue et la qualité de service. .......................................................79

10. Technologies de l’information et de la communication et aménagement du territoire .....85 10.1 Une définition des « nouvelles technologies ».......................................................................85 10.2 Les relations entre « nouvelles technologies » et modes de vie - aspects généraux.............85

10.2.1 Des relations complexes, inséparables de la dynamique d’ensemble des sociétés contemporaines ..............................................................................................................................85 10.2.2 Un modèle par induction : les nouvelles technologies ne se substituent pas aux anciennes mais induisent des besoins nouveaux ...........................................................................86

10.3 Impacts sociaux des nouvelles technologies .........................................................................86 10.3.1 Usages des nouvelles technologies..............................................................................86

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10.3.2 Les bénéfices généraux du progrès technique : une productivité élevée, l’émergence de la société de l’information, la croissance des services et du temps libre, une moindre pénibilité physique du travail, la création de nouveaux métiers….....................................87 10.3.3 …mais avec des coûts économiques et sociaux élevés : accroissement du chômage, compétition salariale accrue, stress ...............................................................................87 10.3.4 Vers un déplacement des frontières entre vie publique et vie privée ? .........................88

10.4 La fin des illusions technologiques ........................................................................................88 10.4.1 Les nouvelles technologies devaient accroître le temps libre, l’autonomie, améliorer les conditions de travail ..................................................................................................................88 10.4.2 Les nouvelles technologies devaient permettre un aménagement du territoire plus harmonieux, notamment grâce au télétravail. .................................................................................89

11. Une progression ralentie des conditions de vie depuis le début des années 1990 mais aussi des laissés-pour-compte............................................................................................................91

11.1 Une progression du niveau de vie qui se poursuit à un rythme ralenti, avec une recrudescence des inégalités sur la période récente ..........................................................................91 11.2 La pauvreté s’est transformée : elle touche moins désormais les retraités et le monde rural que les jeunes urbains................................................................................................................92 11.3 Inégalité des conditions de vie...............................................................................................94

12. Conclusion ...............................................................................................................................97 12.1 Une société globalement plus riche, plus intégrée, plus individualisée et plus hédoniste, une attente de qualité et de services ..................................................................................................97 12.2 Un progrès ambivalent, engendrant de fortes ruptures sociales et générationnelles, des ségrégations et une spécialisation des espaces.................................................................................99 12.3 Le rôle de l’aménagement du territoire et de la gouvernance régionale : réconcilier le processus d’individualisation avec la ville, l’environnement et l’équité, assurer la solidarité et la cohérence territoriale ........................................................................................................................101

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1. Valeurs des Français : liberté dans la sphère privée, ordre dans la sphère publique

L’enquête sur les valeurs des français vise à apprécier périodiquement l’évolution des valeurs en moyenne. Les trois dernières enquêtes ont été réalisées en 1981, 1990 et 1999. La dernière enquête a été réalisée selon la méthode des quotas auprès d’un échantillon national de 1615 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, avec un sur-échantillonnage de 206 jeunes de 18 à 29 ans, soit au total 1821 personnes. La plupart des questions posées aux enquêtés figurent sous la forme de classements sur une échelle de ce qui paraît important, bon, ou, a contrario, regrettable voire condamnable. Les interprétations généralement admises1 des tableaux ainsi obtenus semblent indiquer la prolongation de tendances antérieures dans le sens d’une individualisation de la société: distanciation à l’égard de la religion ou de la politique, liberté individuelle dans la sphère privée, tolérance et respect. Il y a cependant une rupture par rapport aux périodes précédentes avec une demande d’autorité de l’Etat en vue de faire respecter l’ordre public, une demande de sécurité, une moindre tolérance à l’égard des manquements à l’ordre public ainsi qu’une préoccupation sanitaire (cigarette, alcoolisme, insécurité routière…). Par rapport aux résultats de l’enquête européenne sur les valeurs, des spécificités françaises apparaissent : laïcité, solidarité et sécurité sociale. La distanciation des jeunes générations à l’égard de la vie professionnelle et l’importance accrue de l’épanouissement dans la vie privée est une tendance nouvelle semblant s’accorder avec la logique globale de montée de l’individualisme et indique aussi un souci pour la qualité de vie. D’autre part, le travail est lui-même davantage considéré comme devant être un facteur d’épanouissement, à travers les gratifications matérielles (salaires, promotions, horaires de travail…) ou symboliques (reconnaissance, intérêt du travail, ambiance…) qu’il apporte. Il est également observé le recul du sentiment d’identification religieuse, qui affecte essentiellement le catholicisme, principale religion en France. On peut cependant s’interroger sur la représentativité et la structure de l’échantillon qui fait apparaître un si faible pourcentage de musulmans, alors qu’ils représentent la deuxième religion de France, loin devant les protestants.

1 « Les Français sont de plus en plus attachés à la liberté privée et à l’ordre public », Pierre BRECHON, Etienne SCHWEISGUTH. « Les valeurs des français, évolution de 1980 à 2000 », sous la direction de Pierre BRECHON, Armand Colin

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2. Des aspirations à la qualité de vie

Les représentations de la qualité de vie sont diversifiées. La pondération des différents paramètres qui la constituent dépendent de la position dans le cycle de vie, du niveau d’éducation, de la catégorie socio-professionnelle, de l’âge et de la génération d’appartenance. Le BIPE a réalisé une étude destinée à mieux connaître les choix de vie, les motifs et les intentions de mobilité résidentielle des franciliens et des provinciaux, ainsi que leurs répercussions sur les projections démographiques par région, la consommation, les marchés immobiliers et la demande de services. L’étude s’appuie sur une enquête réalisée auprès de 1 267 ménages, dont divisés en deux groupes sensibles pour l’Ile-de-France, les « jeunes actifs » (25-39 ans) et les « seniors » (55-64 ans), en raison des déficits migratoires constatés à ces âges. L’accentuation du déficit migratoire des enfants a conduit à émettre l’hypothèse de l’accélération des départs vers la province des jeunes familles qui se constituent en Ile-de-France. Les jeunes actifs ont donc été interrogés sur leurs choix de vie, et en premier lieu sur les critères qui prévalaient dans leur appréciation de la qualité de vie. Par ailleurs, la retraite est généralement une étape importante du cycle de vie qui s’accompagne de décisions de migration résidentielle, notamment le « retour au pays ». Il en ressort que les jeunes actifs privilégient la vie privée sur la vie professionnelle et se montrent soucieux de leur cadre de vie: ils montrent un faible attachement à l’entreprise, sont peu disposés à s’investir dans le travail au détriment des activités extra-professionnelles ou à supporter des temps de transport élevés, sont prêts à gagner moins d’argent pour avoir un cadre de vie agréable, souhaitent vivre près de la nature, en maison individuelle et fuir le stress des grandes agglomérations. Nous verrons au moment d’étudier les intentions de mobilité que ces critères jouent clairement en défaveur de l’Ile-de-France pour laquelle l’appréciation des ménages est globalement négative, à l’exception des opportunités professionnelles et de l’offre culturelle et de loisirs. Les visions de la qualité de vie diffèrent cependant selon l’âge des ménages, leur position dans le cycle de vie et la catégorie socio-professionnelle. Ainsi, les couples avec enfants et les catégories socio-professionnelles inférieures font davantage prévaloir la vie privée sur le travail que les personnes seules, les couples sans enfants, les catégories professionnelles supérieures qui accordent une importance particulière à la réussite professionnelle. Une orientation de vie plus axée sur le travail, spécifique de l’Ile-de-France, conduit à envisager plus aisément une mobilité professionnelle, y compris internationale, si elle est perçue comme un facteur de réussite sociale. Les familles privilégient aussi davantage la proximité de la nature et un environnement calme, ainsi que le fait d’habiter en maison individuelle. A contrario, les personnes seules manifestent une propension plus élevée à la mobilité professionnelle si elle permet de s’épanouir dans son travail. Dans tous les cas, une recherche d’accomplissement individuel dans le travail ou dans le couple est jugée prioritaire. La question du logement, reflet d’un désir de « nidification », occupe de ce fait une place prépondérante dans les préoccupations des jeunes actifs, dont nous verrons qu’elle est également mentionnée parmi les principales motivations pour quitter l’Ile-de-France. La qualité de vie en Ile-de-France est décriée. Sont notamment incriminés les coûts du logement, la difficulté de se loger, la congestion des transports, l’insécurité, la rareté des espaces verts, les obstacles à la vie familiale. Ainsi, à titre d’exemple, et pour citer les publications de la presse, dans le classement réalisé par Le Point du 11 Janvier 2002 à

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partir de 67 indicateurs sur une centaine de villes françaises, Paris n’arrive qu’à la 36e position. Encore ne doit-elle cette place qu’aux indicateurs favorables sur l’emploi , le niveau des revenus et la culture. Dans ce classement, Paris se situe à la cinquième place pour le niveau de richesse, et à la première place pour l’offre culturelle et de loisirs, mais à la 62e place pour les résultats scolaires, la 96e place pour le coût du logement, la dernière place pour les facilités de logement, la 63e place pour l’agrément de l’environnement. Pour citer des publications utilisant des concepts plus objectifs, dans l’article « Mesurer la qualité de vie dans les grandes agglomérations », Insee première, n°868, Octobre 2002, il s’avère que « la part de ménages exposés à des nuisances fréquentes est la plus élevée dans l’agglomération parisienne (23%) ». Sont notamment mis en cause le bruit (32% des ménages éprouvent une nuisance), la pollution (14%), l’inconfort ou le vandalisme. La crise du logement2 inquiète la presse et les entreprises dont les salariés ont de plus en plus de mal à se loger. L’offre est insuffisamment diversifiée pour accueillir l’ensemble des catégories de salariés : en particulier, l’offre en logements locatifs intermédiaires, pour les classes moyennes, est déficitaire. Comparativement, la qualité de vie dans certaines régions et villes de province jouit d’une image plus favorable. Il faut dès lors se demander si les difficultés de vivre en Ile-de-France ne contribuent pas au moins en partie, outre des conditions économiques moins favorables que par le passé, à la dégradation du solde migratoire de l’Ile-de-France avec la province: accentuation des départs de jeunes familles avec enfants autour de 35 ans, entraînant un déficit migratoire élevé à cet âge, ralentissement des arrivées de jeunes entre 25 et 30 ans. Les classements réalisés par la presse sont de fait confirmés par les données d’enquête. Taux de ménages envisageant de quitter leur région dans les cinq années à venir, « jeunes actifs » et « seniors » (%) Ile-de-France Province Jeunes actifs 54 40 Seniors 27 21 Source : enquête « Intentions de mobilité et migrations résidentielles » ; BIPE L’enquête réalisée auprès du BIPE auprès d’un échantillon de ménages franciliens et provinciaux sur leurs intentions et motifs de mobilité résidentielle révèle que 54 % des jeunes actifs (25-39 ans) franciliens souhaitent quitter l’Ile-de-France dans les cinq années à venir, dont 10 % pour partir à l’étranger, alors que seulement 40 % des jeunes actifs installés en province envisagent de quitter leur région. Le désir de mobilité est moins élevé chez les « seniors » (55-64 ans), pour qui les intentions de mobilité inter-régionale ne sont guère plus importantes en Ile-de-France qu’en province (27 % des seniors franciliens envisagent une mobilité s’accompagnant d’un changement de région dans les cinq années à venir, contre 21 % pour les seniors provinciaux). Toutefois, parmi les seniors qui ont eu une mobilité résidentielle au cours des cinq dernières années, 37,9 % de ceux qui habitent aujourd’hui en Ile-de-France le regrettent, alors que ce taux n’est que de 4,8 % en province. D’une façon générale, les seniors se déclarent davantage satisfaits de leur cadre de vie3 que les plus jeunes. Vivant plus souvent en zone rurale ou dans une petite ville, ils sont moins touchés par l’insécurité et sont de par leurs modes de vie à l’abri du vandalisme

2 « La pénurie de logements sociaux s’aggrave en Ile-de-France », « Les étudiants sont confrontés à une grave pénurie de logements », « Recherche appartement… », Le Monde du 11 Mars 2003, 15 Octobre 2002, 24 Novembre 2002 3 « Le cadre de vie des plus de soixante ans », Hélène Michaudon, INSEE première, n°760, Février 2001

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dans les transports en commun, la rue ou l’école. L’insatisfaction porte souvent sur le manque de commerces ou de transports en commun. Cependant, ceux qui vivent dans l’agglomération parisienne portent un regard moins favorable sur leur cadre de vie. Ils sont notamment plus sensibles au bruit, à la pollution et au vandalisme. La proportion de seniors qui ne sont préoccupés par aucun problème lié à leur environnement n’est que de 25 % en Ile-de-France, contre 39 % dans les villes de province ou en zone rurale. Les raisons invoquées par les jeunes actifs qui souhaitent quitter l’Ile-de-France sont principalement les difficultés à se loger, dans l’absolu ou relativement au souhait de vivre en maison individuelle, les nuisances (bruit et pollution), le coût de la vie, le rythme de vie (temps de transport, stress…), la vie familiale (difficulté d’élever ses enfants en Ile-de-France). A contrario, une partie des ménages enquêtés considèrent encore que le fait de résider en Ile-de-France est un facteur supplémentaire d’opportunités professionnelles. L’insécurité ne paraît pas être une préoccupation majeure des jeunes actifs qui souhaitent partir, sauf auprès des familles. Les jeunes actifs franciliens sont davantage libérés de leurs attaches que les provinciaux. L’attachement sentimental à leur région d’origine et l’éloignement de la famille ou des amis sont moins déterminants pour eux que l’agrément du cadre de vie qui est évalué par des séjours préalables dans la région envisagée pour une mobilité future. Plus généralement, des facteurs qui pourraient a priori s’opposer à une mobilité résidentielle (activité du conjoint, changement de situation pour les enfants, finances…) ne semblent pas être des freins dans l’esprit des enquêtés. Par contre, 76 % des jeunes actifs qui envisagent de quitter l’Ile-de-France souhaiteraient habiter en maison individuelle ou devenir propriétaires. A contrario, les jeunes actifs franciliens qui n’envisagent pas de quitter la région mettent en avant des raisons professionnelles, la richesse de la vie culturelle et l’offre sanitaire. Ce dernier motif est plus particulièrement avancé par les ménages avec enfants, qui soulignent la qualité de l’offre hospitalière en Ile-de-France, bien que les mêmes estiment que la naissance d’un enfant peut les conduire à changer de région. Pour plus d’un quart des jeunes couples actifs, aucun des deux conjoints n’est satisfait de sa situation en Ile-de-France. Cependant, plus de 60 % des jeunes actifs franciliens qui n’envisagent pas de partir estiment ne pas avoir d’autre choix professionnel. La situation en Ile-de-France est donc davantage vécue comme subie que choisie, et dictée par la réussite professionnelle plutôt que par le cadre de vie, ce qui est cohérent avec le fait que les franciliens font davantage prévaloir la vie professionnelle sur la vie privée. Les motifs qui poussent les jeunes actifs provinciaux à quitter leur région ou à y rester sont opposés. L’agrément du cadre de vie incite à rester dans sa région, mais les provinciaux sont aussi davantage enracinés. Ainsi, une forte proportion d’entre eux n’a jamais quitté sa région et ils recherchent la proximité de la famille ou des amis. A contrario, les jeunes actifs provinciaux qui souhaitent quitter leur région soulignent le manque d’opportunités professionnelles. Cependant, il semble que la perception des avantages relatifs de l’Ile-de-France tende à s’éroder. Ainsi, outre les conditions de logement, les loisirs, l’offre culturelle et l’emploi de leur région sont aussi plébiscités par une grande partie des provinciaux.

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Opinion des ménages sur leurs conditions de logement en Ile-de-France et en France métropolitaine Conditions de logement Satisfaisantes ou très

satisfaisantes (en %) Insuffisantes ou très insuffisantes (en %)

Ile-de-France 67,5 9 France entière 73 6 Source : ENL 1996 Nous avons vu que le logement occupait une place particulièrement importante parmi les préoccupations des jeunes actifs et les motifs qui les conduisaient à envisager de quitter l’Ile-de-France. En attendant les résultats plus récents de l’exploitation de l’Enquête Nationale Logement (ENL) 2001, l’ENL 1996 apporte déjà quelques éclairages sur l’opinion des ménages franciliens à l’égard de leurs conditions de logement. Au niveau national, les ménages jugeaient alors leurs conditions de logement plus satisfaisantes qu’en Ile-de-France4. Ainsi, 73 % des ménages français se disaient satisfaits ou très satisfaits de leur logement en 1996, contre 67,5 % des franciliens. Inversement, 9 % des ménages franciliens estimaient leurs conditions de logements insuffisantes voire très insuffisantes, contre 6 % des ménages français. Le niveau de confort, la taille du logement en relation avec la taille du ménage (suroccupation ou sous-occupation), le statut d’occupation, la localisation, influent sur le degré de satisfaction des ménages. Ainsi, en 1996, 81 % des propriétaires étaient-ils satisfaits, contre 55 % des locataires, et 48 % des bénéficiaires de statuts « marginaux » (meublés, sous-location, loi de 1948…). Les deux-tiers des ménages habitant à Paris ou en petite couronne étaient satisfaits, contre les trois quarts en grande couronne. Les ménages satisfaits disposent de 46 m2 par personne en moyenne, les ménages mécontents de 12 m2. Parmi les autres raisons qui contribuent à un moindre degré de satisfaction des franciliens à l’égard de leurs conditions de logement, figure la qualité de l’insonorisation, jugée bonne par seulement 38 % des franciliens, et 33 % des parisiens, alors que ce taux est de 49 % pour la France métropolitaine. La circulation routière est le principal motif de gêne sonore évoqué. L’insécurité conduit également à dégrader la perception de la qualité de vie. 8 % des franciliens interrogés dans l’ENL 96 déclaraient avoir subi une agression au cours des douze derniers mois, et 27 % des franciliens habitant en collectif des dégradations matérielles dans leur immeuble (45 % dans le secteur HLM), contre respectivement 5,7 % et 23,7 % à l’échelon national.5 Les motifs d’insatisfaction à l’égard des conditions de logement, plus fréquemment invoqués en Ile-de-France, conduisent une part plus significative des ménages à envisager un déménagement. 27 % des franciliens enquêtés dans l’ENL 96 exprimaient ce souhait, contre 18,4 % des ménages au niveau national. Ce taux était de 42 % pour les ménages disposant d’un logement sans confort, de 68 % pour les ménages en situation de surpeuplement accentué, de 45 % pour les ménages estimant leur loyer ou leurs charges de remboursement trop élevées. Les « seniors » qui n’envisagent pas de quitter leur région mettent en avant le travail, les habitudes, la proximité de la nature, les services de santé, le sentiment de sécurité. Ces 4 « Les conditions de logement en Ile-de-France en 1996 », INSEE-IAURIF-DREIF. 5 Tous ces résultats sont à réactualiser avec l’exploitation de l’ENL 2002.

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deux dernières motivations sont véritablement spécifiques aux seniors et entrent peu dans les préoccupations des jeunes actifs. En Ile-de-France, ceux qui souhaitent demeurer dans la région sont attachés aux avantages d’habiter dans une grande ville, à la proximité des enfants, et au sentiment de sécurité. Ce sentiment n’est cependant pas unanimement partagé, et si le taux de ménages qui souhaitent changer de région n’est pas sensiblement supérieur à la province, en revanche, les intentions de mobilité interne à la région sont très fortes : 19,7 % des seniors franciliens envisagent une mobilité interne à la région, pour seulement 4,7 % des provinciaux. La forte hétérogénéité de la région dont résultent des écarts de qualité de vie sensibles contribue sans doute à ce désir de mobilité, certains territoires étant attractifs et d’autres jouant le rôle de « repoussoir ». Ce phénomène contribue à la survalorisation immobilière des « bonnes » localisations. En province, s’ajoutent à ces motifs la proximité de la nature et du climat, tandis que le fait d’habiter dans une grande ville n’est pas perçu comme un avantage particulier. Les seniors qui souhaitent quitter leur région sont clairement motivés par l’amélioration de leur qualité de vie. Ils souhaitent se rapprocher de la nature, trouver un climat plus agréable, fuir les nuisances de la grande ville. Contrairement aux jeunes actifs, les motivations professionnelles ne jouent plus qu’un rôle marginal. L’enracinement (souhait de « retour au pays ») n’est pas non plus très déterminant. Un motif spécifique aux seniors, se rapprocher de sa résidence secondaire, est lié aux stratégies résidentielles élaborées durant leur vie active. Ce motif joue un rôle particulièrement fort en Ile-de-France. La propriété ou l’achat envisagé d’une résidence secondaire peuvent constituer une compensation à une qualité de vie jugée insuffisante par les franciliens. Traditionnellement, et notamment en lien avec la structure de son parc immobilier, Paris attire les jeunes ménages, en particulier des personnes seules, tandis que les couples, qui ne peuvent trouver de logements de plus grande taille à un prix abordable, tendent à quitter Paris après la naissance d’un enfant. En dehors de la taille des logements, les facteurs pouvant influer les choix résidentiels des familles sont aussi l’agrément du cadre de vie, l’offre scolaire, de crèches ou de services de garde et d’accompagnement d’enfants. C’est pourquoi, en dépit d’un solde naturel positif de 12 000/an, avec près de 30 000 naissances annuelles, Paris perd 3 000 personnes/an, en raison d’un déficit migratoire de 15000 personnes6. Les arrivées à Paris sont nettement plus nombreuses que les départs entre 12 et 28 ans, mais les départs dépassent les arrivées autour de 30 ans (familles) et autour de 60 ans (retraités).

6 « L’évolution de la population de Paris – perspectives 2000-2020 », APUR, Avril 2002.

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3. Choix de vie et environnement urbain

3.1 Des conditions de logement moins attrayantes pour les franciliens

Amélioration des conditions de vie, aspirations au confort, à l’espace, à la propriété, à la maison individuelle, mais un ralentissement sur la période récente… Lente progression des conditions de logement en France depuis vingt ans 1984 2002 Surface des logements 82 m2 90 m2

Nombre de pièces 3,8 4 Surface par personne 31 m2 37 m2

Surface des maisons individuelles 96 m2 108 m2

Proportion des maisons individuelles 54 % 56,6 % Source : enquêtes logement, INSEE Signe de l’amélioration continue des conditions de vie matérielles, la taille des logements poursuit sa progression quoique de manière ralentie7. Elle est ainsi passée de 82 m2 en 1984 à 90 m2 en 2002 et de 3,8 à 4 pièces. La surface par personne s’est également élevée de 31 à 37 m2. Toutefois cette progression concerne uniquement les maisons individuelles dont la surface s’est élevée de 96 à 108 m2 et de 4,4 à 4,8 pièces. En revanche, la taille des appartements a stagné, demeurant à 65 m2 pour 3 pièces en moyenne. La taille des appartements construits depuis 1982 a même diminué, pour se stabiliser à 60 m2 depuis 19938. La proportion de maisons individuelles a légèrement progressé, de 54 à 56,6 %, car elles représentent une part plus substantielle de la construction depuis 1997 (62,2 %). L’importance relative du flux de construction de maisons individuelles a fortement varié selon l’époque de construction. Très important avant 1948, il a fortement baissé entre 1948 et 1974 où la priorité était donnée à la construction de logements collectifs, pour se stabiliser autour de 60 % de la construction depuis 1975, retrouvant son poids relatif d’avant-guerre. L’augmentation de la taille des logements s’est poursuivie bien que la taille des ménages ait diminué linéairement, de 3,19 en 1954 à 2,4 en 1999. Toutefois, en dépit de cette amélioration globale, et outre le fait que la taille des appartements construits récemment diminue, la proportion de logements suroccupés reste stable, autour de 10 % en 2002. Cette proportion est beaucoup plus élevée dans l’habitat collectif, où elle atteint 20 %, et pour les jeunes ménages (18-29 ans), pour lesquels elle est de 28,7%9. Il demeure quelques logements inconfortables essentiellement construits avant 1948.

7 Enquêtes Logement, INSEE, in « De plus en plus de maisons individuelles », Alain Jacquot, INSEE première, n°885, Février 2003. 8 C’était aussi ce que soulignait l’intervention de Christian ROLLOY, PROMOGIM, au séminaire « Modes de vie et habitat » co-organisé par la DREIF et la DRAST en Janvier 2003. Il est frappant de constater un double mouvement inverse de progression continue de la taille des maisons individuelles et de diminution de la taille des appartements depuis 1982, ce qui constitue une inversion de tendance. 9 La définition de la suroccupation utilisée par l’INSEE inclut toutefois les personnes seules logées dans un studio. La véritable suroccupation concerne surtout les familles nombreuses (5 personnes et plus) dont une partie, à Paris notamment, est logée dans de petits logements, en raison du niveau élevé des loyers privés et de l’insuffisance d’un parc adapté dans le logement social.

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Progression de la propriété chez les plus âgés, régression chez les plus jeunes Age de la personne de référence Part des ménages propriétaires (%)

1982 1990 1999 Moins de 30 ans 16,2 15,3 10,5 De 30 à 39 ans 45,3 46,2 39,8 De 40 à 49 ans 58,8 61,4 58,5 De 50 à 59 ans 62,2 66,7 66,7 De 60 à 74 ans 62,1 68,8 72,8 75 ans ou plus 54 59,2 64,8 ENSEMBLE 50,7 54,4 54,7 Source : INSEE, RGP 1982-90-99 La diffusion de l’accession à la propriété s’est poursuivie à un rythme ralenti10. Après avoir progressé de 50,7 % en 1982 à 54,4 % en 1990, le taux de propriétaires s’est stabilisé (54,7 % en 1999). Il a poursuivi sa progression parmi les générations plus âgées (de 62 à 73 % pour les ménages dont la personne de référence a entre 60 et 75 ans) et a diminué parmi les jeunes générations (de 16,2 à 10,5 % pour les moins de 30 ans, de 45,3 à 39,8 % pour les ménages entre trente et quarante ans). De plus, l’accession à la propriété devient plus sélective : ainsi, l’apport personnel des accédants de 1993 à 1996 représentait 40 % du montant de l’acquisition, contre 30 % huit ans auparavant11. Les facteurs pouvant contribuer au ralentissement de l’accession à la propriété sont notamment un accroissement des incertitudes diminuant l’horizon de visibilité à long terme et pouvant dissuader l’engagement dans un projet immobilier, liées à une stabilisation professionnelle plus tardive, un environnement économique plus incertain induisant un marché du travail plus précaire, des ruptures conjugales plus fréquentes et plus précoces, mais aussi une transmission plus tardive des patrimoines familiaux en raison de l’accroissement de l’espérance de vie, qui peuvent entraîner l’apparition de nouveaux modes de vie, plus « nomades », axés sur la recherche de flexibilité et qui se traduisent par une préférence pour la location. Enfin, dernier signe de l’amélioration des conditions de logement, il y avait en 1999 plus de 2,9 millions de résidences secondaires. L’amélioration des conditions de logement correspond aux aspirations des ménages, ainsi que l’accession à la propriété. Ainsi, 61 % des candidats au déménagement souhaitent avoir un logement plus grand, 42 % de ceux qui résident en appartement vivre en maison individuelle, et 41 % des locataires devenir propriétaires. Le souhait d’être propriétaire s’est renforcé depuis 1996, où il concernait 32 % seulement des locataires12.

10 Portrait de la France, recensement de 1999, INSEE. 11 « Accession à la propriété : le régime de croisière ? », n° 718, juin 2000. 12 On avance généralement différentes explications à cette évolution, comme la difficulté de se loger dans des conditions acceptables et à un prix accessible dans le parc locatif (hausse des loyers privés, forte demande, difficultés d’accès au parc social, rejet de certains quartiers…) ou le souhait de se constituer un patrimoine de précaution (défiance à l’égard de la Bourse entraînant un repli sur la pierre, craintes pour les retraites…).

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Satisfaction à l’égard des conditions de logement selon le statut d’occupation et le type de logement

Propriétaire Locataire en logement social

Individuel Collectif

Taux de satisfaction (%)

85 56 81 66

Source : ENL 2002 Ces aspirations se reflètent dans le degré de satisfaction des ménages à l’égard de leurs conditions de logement. 81 % des occupants de maison individuelle et 85 % des propriétaires sont satisfaits de leur logement en 2002, contre 66 % des occupants de logements collectifs et 56 % des locataires en logement social, par exemple. …mais des modes de vie plus urbains en Ile-de-France… Ile-de-France France métropolitaine Taux de logements de moins de deux pièces 34,3 % 21,9 % Taux de logements de cinq pièces ou plus 18,7 % 28,6 % Taux de logements collectifs 73 % 44 % Taux de locataires 51 % 40,7 % Taux de mobilité intercensitaire 54 % 50 % Taux de résidences secondaires 1,7 % 9,2 % Source : RGP 1999

3.2 Des modes de vie plus « urbains » en Ile-de-France

L’Ile-de-France se caractérise par des modes de vie plus urbains, qui se reflètent notamment dans la structure du parc immobilier. Ainsi, les logements sont de plus petite taille : 34,3 % des logements ont moins de deux pièces, contre 21,9 % en France métropolitaine, et 18,7 % seulement des logements ont cinq pièces ou plus, contre 28,6 % en France métropolitaine. L’habitat est majoritairement collectif (73 % des logements contre 44 % pour l’ensemble de la France). Le taux de locataires (51 %) est nettement plus élevé qu’en France entière (40,7 %). Le taux de résidences secondaires y est nettement plus faible qu’en France : 86 633 résidences secondaires, soit 1,7 % du parc de logements, contre 9,2 % du parc pour la France entière. Les franciliens sont aussi plus mobiles : 54 % de la population francilienne a déménagé au moins une fois entre les deux derniers recensements, contre 50 % en France13. Ce niveau plus élevé de mobilité est lié à la jeunesse relative de la population francilienne ainsi qu’au rôle prépondérant du parc locatif. La mobilité résidentielle diminue en effet avec l’âge. 93 % des ménages de moins de 30 ans ont changé de logement entre 1990 et 1999, contre 44 % pour les 40-60 ans, et 15 % pour les ménages de plus de 75 ans. De même, les locataires sont plus mobiles que les propriétaires : 63 % des locataires en 1999 ont changé de logement entre 1990 et 1999, contre 38 % pour les propriétaires. L’Ile-de-France accueille une population mobile importante de jeunes, de cadres et de célibataires. En considérant les seuls emménagés récents14, on constate que 56 % des

13 INSEE Ile-de-France, Regards, Les déménagements en Ile-de-France, n°51, Juin 2001 14 Personnes emménagées depuis moins d’un an au moment du recensement.

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ménages mobiles franciliens sont célibataires, alors que ces derniers ne représentent que 31 % des ménages franciliens. Ils ont en moyenne 36 ans. Le parc locatif privé de petite taille du centre de l’agglomération (Paris et communes limitrophes) joue un rôle d’accueil spécifique pour les nouveaux arrivants dans la région. Le parc privé accueille ainsi 52 % des ménages mobiles, alors qu’il ne représente que 28 % du parc francilien de résidences principales. En raison de la structure de son parc, Paris capte plus de 30 % de la mobilité régionale, le taux de mobilité s’y élevant à 17 %. Il ne faudrait pas croire toutefois à une mobilité quasi-généralisée. La proximité de la famille joue un rôle décisif dans les comportements résidentiels en début de cycle de vie. Une enquête15 réalisée auprès de jeunes franciliens d’origine au sujet de leur premier logement autonome révèle ainsi que 32 % d’entre eux se sont installés dans la même commune que leurs parents, et 65 % d’entre eux à moins de 10 kilomètres. D’autre part, le suivi des individus du Panel Européen des ménages16 (1994-96), qui fournit des indications sur les motivations ex post des déménagements, met en évidence une opposition entre les mobilités de longue distance, pour lesquelles les raisons professionnelles prévalent, et les mobilités de courtes distances, où les arguments liés au logement, aux évènements familiaux et au cadre de vie l’emportent. Trois quarts des ménages ayant déménagé au sein de la même commune invoquent des raisons liées au logement, contre seulement un tiers de ceux qui ont changé de commune. Le fait d’être propriétaire de sa résidence principale réduit la mobilité, ce qui peut induire une limitation des perspectives professionnelles et la constitution de marchés locaux de l’emploi. Le taux de migration annuel s’élevait ainsi à 1,4 % pour les propriétaires en 1995-96, pour 9,1 % pour les locataires d’un logement privé. De même, le niveau de diplôme et la dynamique de la situation financière constituent des facteurs très favorables à la mobilité résidentielle, qui permettent de comprendre pourquoi le niveau de mobilité est plus élevé en Ile-de-France, compte tenu de la structure de sa population.

3.3 Les franciliens compensent une qualité de vie médiocre par des séjours alternés en province ou à l’étranger

Ile-de-France France entière Taux de seniors franciliens détenteurs d’une résidence secondaire 40 % 17 %

Taux de départs en congés 77 % 62 % La faiblesse des résidences secondaires situées en Ile-de-France est cependant compensée par la propriété ou la jouissance de résidences secondaires en province, en particulier chez les seniors. Ainsi, selon l’enquête du BIPE sur les intentions de mobilité des ménages, 40 % des seniors (55-64 ans) franciliens sont propriétaires d’une résidence secondaire, contre seulement 17 % des seniors de province. De plus, 14 % des seniors franciliens envisagent d’en acheter une dans les cinq années à venir. 45% d’entre eux envisagent soit de partager leur temps entre les deux résidences, soit de s’y installer définitivement. Ces données d’enquête révèlent l’importance spécifique de la bi-résidentialité en Ile-de-France.

15 Enquête réalisée par l’IAURIF en 1994 auprès de 2365 franciliens âgés de 25 à 34 ans, in « Histoire familiale et proximité résidentielle », Habitat n° 26, Février 2000. 16 « Emploi, logement et mobilité résidentielle », Economie et Statistique n° 349-350, 2001

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Plus généralement, les franciliens tendent à compenser une qualité de vie jugée médiocre en Ile-de-France par des séjours alternés en province, en attendant pour certains d’entre eux une migration définitive. Ainsi, 77 % des franciliens ont pris des congés hors domicile en 1999, contre 62 % pour la France métropolitaine17. Le taux de départs en congés paraît lié au degré d’urbanisation (67 % des habitants des agglomérations de plus de 100 000 habitants partent en congés, contre 51 % des habitants des communes rurales), mais aussi à la catégorie sociale (87% des cadres et professions intellectuelles supérieures sont partis en congés au moins une fois dans l’année, contre 45 % des ouvriers). Or, la population francilienne est à la fois la région la plus urbanisée et celle qui comporte la plus forte proportion de cadres.

3.4 Des modes de vie liés aux spécificités de la population francilienne

Des modes de vie liés à la spécificité de la population francilienne Ile-de-France France entière Taux de plus de 60 ans 16,6 % 21,3 % Taux de personnes seules 34,6 % 31 % Taux de cadres 21,3 % 12,1 % Taux de retraités 14,1 % 18,2 % Taux d’étrangers 11,8 % 5,6 % Les modes de vie plus urbains en Ile-de-France s’expliquent en partie par la structure de la population. La population francilienne est ainsi un peu plus jeune que celle de France métropolitaine (40,3 % de personnes de moins de 30 ans, pour 38,1 % en France métropolitaine, mais surtout 16,6 % de plus de 60 ans, pour 21,3 % en France métropolitaine), avec plus de personnes seules et moins de couples (respectivement 34,6 et 27,9 % des ménages en Ile-de-France, contre 31 et 31,1 % en France entière), et davantage de catégories socio-professionnelles élevées: les cadres représentent en Ile-de-France 21,3 % de la population active ayant un emploi, pour seulement 12,1 % en France métropolitaine. La population francilienne est aussi plus active (seulement 14,1 % de retraités contre 18,2 % en France entière). C’est aussi la porte d’entrée de l’immigration en France. Ainsi, 11,8 % de la population francilienne est étrangère, contre 5,6 % de la population française. Les arrivées en provenance des DOM-TOM et de l’étranger ont représenté 473 129 personnes entre 1990 et 1999. Toutefois, les particularités de la population francilienne sont moins marquées que les spécificités urbaines (prédominance du collectif, de la location, des petits appartements…). Les conditions de vie, plus difficiles en Ile-de-France, incitent un grand nombre de ménages à quitter la région dès lors que se forme une famille et qu’il devient impossible ou difficile de pourvoir aux besoins en logements plus grands qui en résultent. L’attractivité de la région tient essentiellement aux opportunités d’emploi permises par un marché du travail très vaste, mais ne parvient pas à retenir ses habitants par la qualité de vie. Il résulte de ces particularités régionales des échanges migratoires de grande ampleur : entre les deux derniers recensements, il y a eu 871 285 entrées, soit 8,1 % de la population régionale en 1990, et 1 438 546 sorties, soit 13,5 % de la population francilienne de 1990. La structure de ces échanges, combinée au niveau élevé de l’excédent naturel francilien (785714 naissances de plus que les décès), contribue à entretenir la jeunesse relative de la

17 Enquête permanente sur les conditions de vie, 1999, in « Chaque année, quatre français sur dix ne partent pas en vacances », INSEE première, n°734, Août 2000

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population. La plus grande partie des arrivées dans la région se situe en effet entre 25 et 35 ans, tandis que les départs se situent surtout entre 30 et 40 ans, ainsi qu’entre 60 et 70 ans. Les naissances qui ont lieu en Ile-de-France compensent pour l’instant les départs de familles vers la province, mais le solde migratoire se dégrade nettement quand la conjoncture économique francilienne est morose.

3.5 Le desserrement de la population francilienne se poursuit au profit de la grande couronne et des départements limitrophes.

Les aspirations à des logements plus grands, à la maison individuelle, à la propriété, se reflètent dans le mouvement continu d’expansion urbaine et de desserrement de la population, avec une spécialisation croissante des espaces entre le centre et la périphérie en fonction des étapes du cycle de vie. Evolution de la population de 1968 à 1999, par couronnes concentriques autour de Paris 1968 1982 1999 Paris 2 590 771 2 176 243 2 125 246 Petite couronne 3 832 544 3 904 995 4 038 992 Grande couronne 2 825 316 3 991 821 4 787 773 Départements limitrophes (Eure, Eure-et-Loir, Loiret, Oise)

1 657 066 2 022 517 2 333 286

Source : RGP 1968, 82, 99 Ainsi, entre 1968 et 1999, la population de Paris a reculé de 2,6 à 2,1 millions d’habitants, tandis que celle de la grande couronne s’est accrue de 2,8 à 4,8 millions d’habitants, la population de proche couronne restant relativement stable. Sur la période récente, toutefois, cette tendance au desserrement s’est ralentie. Ainsi, entre 1982 et 1999, la population de Paris n’a diminué que d’environ 50000 habitants, tandis que celle de grande couronne n’a augmenté que de 800 000 habitants environ, absorbant toutefois la quasi-totalité de la croissance régionale. La croissance urbaine s’effectue aux franges de l’agglomération, essentiellement à l’est et au sud18. Le desserrement s’étend également aux départements limitrophes (Oise, Eure, Loiret, Eure-et-Loir). Ainsi, la population de l’Eure est passée de 460 000 à 540 000 habitants de 1982 à 1999, soit +17 %, celle de l’Eure-et-Loir de 360 000 à 408 000, soit +12,4 %, celle du Loiret de 535 000 à 620 000, soit +15,4 %, celle de l’Oise de 660 000 à 770 000, soit +15,8 %. Le desserrement a été rendu possible par l’extension du réseau de grandes infrastructures (RER, trains de banlieue, TGV, autoroutes…) qui permettent un éloignement accru entre le lieu de domicile et le lieu de travail19. Le desserrement de la population s’accompagne du phénomène des migrations alternantes, dans la mesure où l’emploi reste beaucoup plus concentré sur le territoire que l’habitat. En France métropolitaine, la distance moyenne entre le domicile et le travail est ainsi passée de 13,1 à

18 Population-Emploi, évolutions longues, éléments de suivi du SDRIF, DREIF, Mai 2002. 19 Selon la « conjecture de Zahavi », les budgets-temps de déplacements restent constants en moyenne à l’échelle d’une agglomération urbaine, mais les distances entre domicile et travail s’accroissent avec l’augmentation des vitesses résultant de la modernisation des moyens de transports.

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15,1 km entre 1982 et 199920. Les migrations alternantes entre la commune de résidence et la commune du lieu de travail concernaient ainsi 60,9 % des actifs en 1999, contre 46,1 % en 1982. Ces déplacements quotidiens concernaient tout particulièrement les habitants des communes périurbaines : 79,1 % d’entre eux, contre 31,7 % des habitants des villes-centres. C’est en Ile-de-France que les migrations quotidiennes sont les plus répandues: 69,5 % des actifs franciliens effectuent des migrations alternantes. En moyenne, en raison de la densité de la région, les franciliens soumis aux migrations alternantes effectuent des trajets un peu moins longs qu’en province. Cependant, la distance moyenne parcourue par les actifs de la couronne périurbaine de Paris est beaucoup plus élevée qu’en province : de 23,8 kilomètres, contre 16,6 kilomètres en moyenne. Conséquence du desserrement du bassin d’habitat francilien au-delà des limites de la région, les régions voisines de l’Ile-de-France sont aussi celles où les distances moyennes parcourues par les actifs sont les plus élevées : entre 17 et 21 km.

3.6 Des choix de vie diversifiés

En dépit de ces aspirations générales, les modes de vie restent diversifiés et les choix résidentiels sont assez fortement liés aux étapes du cycle de vie : décohabitation, mise en couple, naissance d’un enfant, divorce, départ des enfants du nid familial, retraite. Il en résulte une distribution inégale des populations dans l’espace : à Paris, 52,4 % des ménages sont des personnes seules, tandis qu’en Seine-et-Marne, 67 % des ménages sont des couples avec ou sans enfants. Indépendamment des contraintes liées à la structure de l’habitat, le fait d’habiter à Paris ou en grande banlieue, d’être locataire ou propriétaire, par exemple, peut aussi correspondre à des choix de vie affirmés21 manifestant des rapports individuels contrastés au logement et à la ville. Les ménages qui disposent de marges de manœuvre financières satisfaisantes sont en effet amenés à faire des choix résidentiels : ne pouvant toutefois satisfaire l’ensemble de leurs exigences simultanément, ils en viennent à définir des priorités qui reflètent des choix de vie. Certains ménages, essentiellement les familles, optent pour la maison individuelle en périurbain qui leur permet de satisfaire leurs aspirations à avoir une chambre par enfant, un jardin, à être au calme, à fuir la pollution, tout en constituant un patrimoine familial, au prix il est vrai de temps de transport souvent plus élevés. D’autres au contraire choisissent d’habiter à Paris ou en proche banlieue car ils souhaitent minimiser les temps de transports, diminuer le stress lié aux déplacements quotidiens, avoir la possibilité de sortir le soir en ne rentrant pas trop tard, d’accéder plus facilement à une grande diversité de services et d’équipements ou de bénéficier des avantages culturels de Paris. Le choix d’un mode de vie urbain correspond aussi à une recherche de liberté et de mobilité, qui se traduit par la décision de rester locataire, afin de ne pas s’engager à long terme. C’est notamment le cas des jeunes cadres célibataires, très nombreux à Paris. On observe aussi des phénomènes de « retour au centre »22 de couples dont les enfants ont grandi, et qui souhaitent retrouver le mode de vie dont ils bénéficiaient avant de partir en banlieue.

20 « Les déplacements domicile-travail : de plus en plus d’actifs travaillent loin de chez eux », INSEE première n°767, avril 2001 21 « Paris ou la banlieue, le choix d’un mode de vie ? », Jacques BRUN, Jeanne FAGNANI. Cette étude met en évidence la diversité des arbitrages résidentiels des couples de cadres et professions intellectuelles supérieures, s’interrogeant notamment sur la flambée immobilière qui a eu son point culminant en 1990. 22 L’agglomération parisienne est polycentrique et cette notion doit donc s’entendre plus largement qu’un simple retour à Paris. Il s’agit plutôt de l’idée d’un retour vers les quartiers possédant une certaine « urbanité ».

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Le retour au centre correspond aussi à la demande de couples ou de personnes seules dont les enfants ou le conjoint ont quitté le domicile familial, et qui jouissent d’un logement devenu trop grand. En vieillissant, ils peuvent alors souhaiter intégrer un logement plus petit en revendant la maison individuelle, mais dans une position plus urbaine, qui leur permette de bénéficier de la proximité des commerces, des services de soins, des transports collectifs. Le vieillissement de la population est susceptible d’avoir des répercussions sur cette demande dans les zones urbaines denses, qu’elle soit locative ou en accession. D’autres mécanismes liés aux modes de vie influent sur les choix résidentiels et les dynamiques urbaines. Le développement de la bi-activité au sein des couples a ainsi favorisé l’essor des banlieues pavillonnaires et du périurbain, de la maison individuelle et de l’accession à la propriété, en renforçant les capacités financières d’une partie des ménages. Au sein des couples où les deux conjoints travaillent, la répartition des tâches domestiques et parentales entre l’homme et la femme conduit à une proximité plus grande du domicile et du travail de la femme, l’homme privilégiant la vie professionnelle, et acceptant en contrepartie des temps de transports plus élevés. D’autre part, la biactivité conduit à rechercher des localisations permettant d’optimiser les temps de déplacement des deux conjoints, ce qui joue cette fois en faveur de Paris et des communes limitrophes. Paris se signale par l’importance relative des jeunes, des cadres et des célibataires, qui définissent par leur mobilité et leur activité extérieure au domicile un mode de vie spécifique. La population parisienne comprenait ainsi 393 883 cadres et professions intellectuelles supérieures en 1999, soit 18,5 % de la population totale et 35,3 % de la population active occupée. 54,3 % des parisiens avaient moins de 40 ans.

3.7 Des territoires socialement contrastés

A ces choix de vie contrastés correspond une spécialisation des espaces résidentiels: les espaces où vivent les familles, avec ou sans enfants, tendent à s’opposer à ceux où vivent les personnes seules. Les taux de personnes seules sont en effet nettement plus élevés à l’intérieur de l’agglomération. Les ménages de deux personnes, qui correspondent dans l’ensemble aux couples sans enfants, sont sous-représentés dans le cœur de la zone agglomérée, notamment en petite couronne, et surreprésentés en grande couronne, notamment à l’extérieur de la zone agglomérée. A cet effet concentrique se superpose pour ce type de ménages un effet de quadrant : les ménages sans enfants sont sous-représentés dans les territoires socialement plus défavorisés du nord-est de la région et sur-représentés dans les territoires plus riches du sud-ouest. Les taux de familles avec enfants sont faibles dans l’ensemble de la zone agglomérée et plus élevés dans les franges extérieures de la zone agglomérée qui accueille généralement des ménages avec 1 ou 2 enfants. La population de ces territoires ainsi que la forme urbaine est relativement homogène, caractérisée par une prépondérance de la maison individuelle. Enfin, les familles nombreuses sont surtout concentrées dans les villes nouvelles et les territoires anciennement industrialisés, ainsi que dans le périurbain éloigné et l’est rural de la Seine-et-Marne, où il s’agit cependant d’effectifs très réduits. Comment cette répartition a-t-elle évolué au cours du temps ? Entre les deux précédents recensements, le nombre de ménages a augmenté de plus de 277 000 en Ile-de-France. La croissance des ménages est très concentrée sur la zone agglomérée et seuls les arrondissements centraux de Paris ainsi que quelques communes limitrophes de Paris perdent des ménages. L’essentiel de cette croissance provient des personnes seules qui

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sont, avec les ménages de deux et de quatre personnes, les seules catégories de ménages en expansion dans la région (respectivement + 220 000, + 87 000 et + 7 495), tandis que le nombre de familles avec enfants diminue légèrement. A l’exception des villes nouvelles, la croissance du nombre des personnes seules est très concentrée sur le cœur de la zone agglomérée, Paris y compris. Le nombre de ménages de deux personnes, qui peuvent à peu près être identifiés aux couples sans enfants, diminue à Paris et dans certaines communes voisines de petite couronne et augmentent dans le reste de la zone agglomérée, à l’exception des communes moins valorisées du nord-est de la région. Les ménages de trois personnes qui comprennent essentiellement les familles avec un enfant diminuent sur l’ensemble de la zone agglomérée, à l’exception des villes nouvelles et des franges. Enfin, le mouvement est moins net pour les familles avec deux enfants, catégorie dont le bilan est globalement positif pour la période, qui s’accroissent fortement en villes nouvelles ainsi que dans les communes de la ceinture de Paris, ce qui pourrait indiquer l’amorce d’un mouvement de retour vers le centre des familles aisées. Il pourrait y avoir une transformation qualitative des modes de vie, une partie des familles acceptant moins que par le passé de subir des temps de transports élevés, et disposant de suffisamment de moyens financiers pour acquérir un appartement dans la banlieue proche, participant de ce fait à la requalification de la proche banlieue parisienne. Le taux de personnes seules s’est donc fortement accru sur l’ensemble de l’agglomération, à l’exception des arrondissements de l’ouest de Paris où il a diminué, ainsi que dans le périurbain éloigné et les communes rurales. Il a évolué moins fortement à la hausse dans l’est de Paris et la proche banlieue ouest que dans le reste de la banlieue où il a nettement progressé. Le taux de ménages de deux personnes diminue dans le cœur de la zone agglomérée, en particulier au nord-est, et s’accroît fortement aux franges de la zone agglomérée, notamment au sud-ouest. Les couples sans enfants tendent donc à s’éloigner de la zone dense. Pour les familles avec enfants, l’évolution est plus surprenante. On constate en effet un recul du poids relatif des familles dans la zone agglomérée et une stabilisation ou une hausse dans les territoires périurbains, à l’exception de Paris et de quelques communes limitrophes en proche couronne où le poids des familles tend à se stabiliser voire à légèrement augmenter. Ces données révèlent que la zone agglomérée, et plus particulièrement la partie centrale de la zone agglomérée, subissent une forte pression de la demande de logements résultant de l’accroissement du nombre de personnes seules, qui n’est sans doute que partiellement satisfaite par l’accroissement du parc de résidences principales. Elles laissent d’autre part présager un mouvement de gentrification résultant d’une reconquête du cœur de la zone centrale par les familles les plus aisées. D’autres indices semblent témoigner de ce mouvement de fond, comme l’envolée des prix immobiliers des grands appartements situés dans les quartiers résidentiels réputés. Différents facteurs précités, liés aux modes de vie, contribuent à entretenir une demande élevée et très solvable pour les territoires urbains valorisés, qui se traduit, indépendamment des effets de cycle, par un renchérissement immobilier des « bonnes » localisations et une « gentrification » des centres urbains. Par exemple, à Paris, le nombre de cadres est passé de 245 852 à 393 883 entre 1982 et 1999, alors même que la population totale diminuait. La proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures en activité vivant à Paris est ainsi passée de 11,3 % à 18,5 %. On peut aussi voir la « gentrification » au travers de la localisation des cadres supérieurs et chefs d’entreprise, en relation avec l’implantation des emplois supérieurs.

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La correspondance relative entre les lieux de résidence des cadres et chefs d’entreprise, d’une part, les localisations des emplois supérieurs, d’autre part, entretient une forte polarisation sociale de l’espace régional, qui tend à s’accentuer, dans le sens d’une concentration à l’ouest des activités économiques supérieures, du potentiel fiscal et des catégories sociales aisées. Les territoires tendent donc à se spécialiser davantage dans les populations qu’ils accueillent. Paris et les communes voisines de petite couronne, ainsi que l’ouest francilien, vont sans doute poursuivre leur gentrification. A terme, l’ensemble de la petite couronne sera le lieu d’accueil privilégié des célibataires, des cadres et des familles avec enfants les plus aisées. La majorité des familles, avec ou sans enfants, qui tendent à se raréfier, seront quant à elles de plus en plus souvent localisées en grande couronne où elles recherchent notamment des maisons individuelles ou des logements plus grands. Les espaces à l’extérieur de la zone agglomérée seront de plus en plus homogènes du point de vue de la composition des ménages. Le mode de vie familial tend cependant à devenir de plus en plus marginal puisque personnes seules et couples sans enfants représentent déjà à eux seuls 62 % des ménages.

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4. L’essor d’une économie du temps libre (loisirs-culture-consommation), avec cependant des contrastes sociaux et territoriaux

4.1 L’évolution des temps sociaux : plus de temps libre, de nouveaux usages du temps ; individualisation, désynchronisation, brouillage des frontières. L’Ile-de-France hyperactive

Les enquêtes Emploi du temps permettent d’approcher l’évolution des temps sociaux, ainsi que la transformation des pratiques sociales, culturelles, associatives. Elles comportent d’une part un carnet quotidien dans lequel les personnes décrivent leurs activités au cours d’une période de 24 heures, divisée en segments de 10 minutes, d’autre part une description des activités réalisées au cours d’une semaine, qui permet d’obtenir des informations sur les pratiques plus occasionnelles telles que les sorties culturelles. La dernière enquête Emploi du temps a été réalisée en 1998-99. Les principaux constats qui peuvent en être tirés sont les suivants :

4.1.1 diminution du temps travaillé et du temps domestique, extension du temps libre, due essentiellement à l’accroissement de la part des inactifs et des chômeurs

Accroissement du temps libre hebdomadaire de la population urbaine de 18 à 64 ans 1974 1998 Temps de travail (h) 32,4 29 Temps de loisirs 23,1 29,7 Temps de travail domestique 25,1 22,7 Source : enquêtes Emploi du Temps Le temps consacré au travail par l’ensemble de la population a légèrement diminué23. Il est ainsi passé de 32,4 à 29 heures en moyenne pour l’ensemble des individus vivant en zone urbaine âgés de 18 à 64 ans et ayant fourni un carnet, entre 1974 et 1998. Cette diminution s’est effectuée entre 1974 et 1986 (de 32,4 à 28,7 h), le temps travaillé est ensuite resté stable jusqu’en 1998, avant la mise en place de l’ARTT. Elle s’effectue au profit du temps de loisirs, qui augmente de 23 h 06 à 29 h 42 au cours de la même période. Cette tendance s’est cependant ralentie entre 1986 et 1999. Parallèlement, le temps consacré au travail domestique diminue également de 25,1 à 22,7 heures. Ces données d’ensemble recouvrent cependant des évolutions contrastées, car la population enquêtée est hétérogène, elle comprend à la fois des actifs occupés à temps plein ou à temps partiel, des chômeurs, des femmes au foyer, des étudiants, des retraités. Cette évolution s’explique d’abord par une diminution de la participation à l’emploi.

23 On s’appuie ici sur l’article « Une pause dans la marche vers la civilisation des loisirs », Alain Chenu et Nicolas Herpin, Economie et Statistique n°352-353, 2002. L’auteur prend le contrepied de la thèse soutenue par le sociologue Joffre Dumazedier au début des années 60 concernant l’avènement d’une « civilisation des loisirs ».

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Les facteurs de la diminution du temps travaillé 1974 1998 Part des chômeurs parmi la population enquêtée 2 % 10 %

Part des étudiants 4,5 % 10 % Part des retraités et pré-retraités 4 % 7 % Taux de participation à l’emploi 70 % 61,5 % Part des emplois à temps partiel 5,2 % 16,6 % Temps de travail des actifs à temps plein 44 h 24 mn 42 h 36 mn Source : enquêtes Emploi du temps Ainsi, le taux des 18-64 ans au chômage est passé de 2 à 10 % entre 1974 et 1998, celui des étudiants de 4,5 à 10 %. D’autre part, les retraités et les pré-retraités sont passés de 4 à 7 % de la population, de sorte que la population en emploi à l’âge actif est passée de 70 à 61,5 % au cours de la période. Le développement du temps partiel contribue aussi à l’accroissement de la part du temps non travaillé, puisqu’il s’est élevé de 5,2 à 16,6 % des emplois. Par contre, le temps de travail des actifs occupés à temps plein, après avoir diminué de 44 h 24 à 41 h 24 entre 1974 et 1986, a de nouveau augmenté depuis pour atteindre 42 h 36 en 1998. Le temps de loisirs des personnes en emploi a ainsi assez peu augmenté (de 21 à 25 h) et s’est effectué uniquement au cours de la première période. Par contre, il a très fortement augmenté parmi les autres catégories. Les personnes hors emploi disposaient ainsi de 37,5 h de loisir en 1998, les chômeurs de 43 h. Du fait de l’accroissement du chômage, de l’élévation du niveau des études et de l’extension de la couverture du risque retraite, le travail semble en fait s’être concentré sur une tranche d’âge de plus en plus resserrée, d’une durée d’environ 30 ans. Ainsi, la population active de 15-24 ans a diminué de 4,4 à 2,3 millions entre 1968 et 2002, la population active de plus de 55 ans de 4,1 à 2,6 millions, tandis que celle entre 25 et 55 ans s’élevait de 12,9 à 21,7 millions.

4.1.2 ce sont aujourd’hui les plus diplômés et les cadres qui travaillent le plus

Il y a d’autre part une inversion des différences socio-professionnelles. Parmi les actifs occupés à temps plein, ce sont à présent les plus diplômés qui travaillent le plus. Le temps de travail des personnes titulaires d’un bac ou davantage a ainsi augmenté, de 40,8 à 42,7 h, alors que celui des personnes non diplômées a diminué de 42,9 à 38,7 h. Le temps de travail hebdomadaire était même évalué à plus de 46 h en 1998 pour les cadres du secteur privé, et à 45,1 h pour l’ensemble des cadres. A mesure que les niveaux de qualification s’élèvent, on assiste en même temps à une intensification de la charge de travail qui incombe aux plus diplômés. Le temps de loisirs a ainsi augmenté de dix heures chez les sans diplômes ou titulaires du seul certificat d’études, ainsi que parmi les ménages à bas revenus. Cette augmentation est essentiellement imputable au chômage, qui touche aujourd’hui 25 % des sans diplôme ou certificats d’études primaires.

4.1.3 un recul progressif des écarts entre hommes et femmes sur la répartition du travail professionnel et du travail domestique

Les évolutions ont été très contrastées entre les hommes et les femmes. Les hommes disposent de plus de temps de loisirs que les femmes, 32 h contre 27 h. Le temps libre a toutefois progressé, pour les hommes comme pour les femmes. Pour les femmes, cela s’explique par une diminution très forte du temps de travail domestique, de 37 à 29 h,

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tandis que celui des hommes s’élève de 12 à 15 h. Un rééquilibrage entre hommes et femmes sur le temps de travail domestique est donc constaté, même si les écarts restent encore importants (environ 2 h/jour). La proportion des actifs occupés a reculé parmi les hommes, de 86 à 69 %, sous l’effet de l’extension du chômage, de l’allongement de la scolarité et du développement des retraites et pré-retraites. A contrario, la proportion de femmes actives occupées est restée stable, autour de 55 %, les mêmes effets étant compensés par la féminisation du travail, la part des femmes parmi les actifs occupés s’étant élevée de 40 à 45 %. La féminisation du travail s’accompagne d’une progression de la part du travail à temps partiel, 30 % des femmes actives en 1998. Au total, le temps de travail professionnel des hommes a nettement diminué, de 42 à 35 h au cours de la période, tandis que celui des femmes est resté stable, autour de 23 h. Toutefois, si l’on considère les seuls actifs occupés à temps plein, le temps de travail professionnel des hommes est nettement supérieur à celui des femmes (44 h contre 39 h).

4.1.4 Les usages du temps : une opposition entre les « hyperactifs » et les « casaniers »

Les utilisations du temps libéré diffèrent selon les groupes sociaux, le capital culturel, le sexe, le degré d’urbanisation: plus d’activités extérieures et de loisirs du temps long chez les cadres, les habitants des grandes villes, les diplômés, plus de temps passé devant la télévision ou consacré aux activités de la maison, de loisirs quotidiens chez les moins diplômés, les ménages avec de jeunes enfants. Le temps libre des moins diplômés est davantage orienté vers les activités intérieures : la télévision, le bricolage, le jardinage, la cuisine, les travaux domestiques. En 1998, le temps passé devant la télévision était de 1 h 10 pour les diplômés de l’enseignement supérieur, contre 2h02 pour les ménages sans diplôme ou titulaires d’un certificat d’études primaires. A l’inverse, les diplômés de l’enseignement supérieur participent davantage à la vie associative et consomment davantage de spectacles (trois fois plus que les sans diplôme) et de loisirs culturels coûteux (musées, cinémas, théâtre…), pratiquent davantage le sport. Ils ont tendance à cumuler plusieurs activités24. Les pratiques de loisirs différenciées selon les catégories socio-professionnelles sont aussi discriminées selon qu’elles s’inscrivent dans un agenda quotidien ou qu’elles sont pratiquées sur le temps long, nécessitant une planification dans les périodes de repos ou de congés25. Ces loisirs du temps long, dont les loisirs culturels, sont davantage l’apanage des cadres et professions intermédiaires, des diplômés du supérieur, que celui des ouvriers et agriculteurs, et des non-diplômés. Elles dépendent donc à la fois des ressources financières et de la dotation en capital culturel. Mais elles sont aussi plus souvent pratiquées par les jeunes et les habitants des grandes agglomérations, en particulier Paris, où la densité de l’offre culturelle est déterminante. La présence de jeunes enfants influe négativement sur les loisirs du temps long, tandis que les femmes ont une propension aux loisirs culturels plus affirmée que les hommes. A l’inverse, la fréquence des loisirs quotidiens est étroitement dépendante de l’ampleur du temps contraint (temps professionnel et temps de travail domestique), ce qui donne aux catégories populaires un avantage sur les cadres sous ce rapport. Les catégories aisées et diplômées, qui disposent de peu de temps libre quotidien, tendent à planifier davantage leurs activités. D’autre part, les loisirs quotidiens sont souvent des activités d’intérieur et non culturelles, tandis que les loisirs du temps long sont plus souvent des activités extérieures et culturelles, au sens de la « culture cultivée ». De même, la participation associative est fortement déterminée par le sexe (c’est une pratique majoritairement

24 Les usages du temps, cumul d’activités et rythmes de vie », Economie et Statistique, n°352-353, 2002 25 « Les loisirs des actifs, un reflet de la stratification sociale », Economie et Statistique, n°352-353, 2002

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masculine), le niveau social (surreprésentation des catégories aisées) et le capital culturel26. Cette opposition entre des loisirs plus intensifs, multiples, tournés vers l’extérieur, des plus diplômés, et des loisirs « passifs », moins denses, centrés sur le foyer, des moins diplômés, est renforcée par l’homogamie des couples. Les couples biactifs, où les deux conjoints attribuent une importance prépondérante à leur vie professionnelle, tendent à avoir une activité très intense et tournée vers l’extérieur, compensée par l’usage de services domestiques et le recours à une aide extérieure pour les enfants, lorsqu’ils en ont la capacité financière.

4.1.5 une diversification croissante des temporalités, avec une capacité inégale à maîtriser son temps en toute autonomie

Conséquence de l’accroissement de la flexibilité et de la précarité, l’organisation du temps de travail est de plus en plus diversifiée. La flexibilité se manifeste en partie par l’extension des « formes particulières d’emploi »27 : contrats à durée déterminée (de 1,7 à 4,7 % de l’emploi salarié entre 1982 et 2000), intérim (de 0,7 à 2,6 %), temps partiel (de 8,2 à 17,6 %). Extension des formes particulières d’emploi Part des formes particulières d’emploi dans l’emploi salarié total (%)

1982 2000

CDD 1,7 % 4,7 % Intérim 0,7 % 2,6 % Temps partiel 8,2 % 17,6 % L’extension du temps partiel semble reliée à la féminisation du travail dans le secteur tertiaire: ainsi, 90 % des emplois à temps partiel à durée indéterminée sont occupés par des femmes. Les titulaires d’emplois à durée déterminée sont moins diplômés et qualifiés. Les intérimaires sont majoritairement de jeunes hommes célibataires peu qualifiés, principalement des ouvriers travaillant dans le secteur industriel28. La précarité de l’emploi peut s’accompagner de durées du travail plus courtes. Ainsi, la durée moyenne des CDI à temps partiel est de 25,7 h, celle des CDD à temps partiel de 23,7 h. Mais la flexibilité se manifeste aussi par l’irrégularité et la grande diversité des horaires de travail chez les actifs occupés à temps plein29. Ainsi, les entrepreneurs individuels ont des horaires tardifs et leur travail empiète sur le week-end. Les experts, managers et gestionnaires, ainsi que les cadres, travaillent beaucoup en fin de journée. A l’inverse, les ouvriers et les salariés non diplômés commencent plus tôt le matin. Les policiers, militaires, infirmières travaillent plus souvent la nuit. Une opposition se dessine entre les actifs disposant d’une forte autonomie, d’une capacité à maîtriser leur temps, que ce soit dans la sphère professionnelle, dans la sphère domestique ou dans celle des loisirs, et ceux qui subissent leur emploi du temps, n’ayant pas réellement la possibilité de maîtriser leur temps de travail ou de faire fructifier le temps 26 « La participation associative au regard des temps sociaux », Economie et Statistique n°352-353, 2002. Le taux de participation associative s’élève à 22 % pour les personnes sans diplôme et à 48 % pour les personnes ayant un diplôme au moins égal à Bac +2. 27 Source : enquêtes Emploi, INSEE 28 « Le temps de travail des formes particulières d’emploi », Economie et Statistique n°352-353, 2002 29 « Les horaires et l’organisation du temps de travail », Economie et Statistique, n°352-353

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libéré en vue de leur épanouissement personnel. Ce sentiment d’autonomie reste cependant subjectif : il n’est pas relié, en particulier, à l’intensité et à la durée du travail, ni à la fréquence des horaires atypiques. Ainsi, les salariés des formes particulières d’emploi, et plus particulièrement des intérimaires n’ont pas le sentiment de maîtriser leurs horaires de travail: 48 % d’entre eux déclarent ne pas avoir des horaires identiques d’un mois sur l’autre, contre 28 % des CDI à temps complet, et 30 % d’entre eux déclarent une mauvaise prévisibilité de leurs horaires. Ce n’est pas le cas, par contre, des salariés à temps partiel dont une partie choisit son emploi du temps pour des raisons familiales, domestiques ou pour convenance personnelle30. Les personnes concernées par les formes particulières d’emploi peuvent aussi être astreintes au travail de nuit ou le week-end, qui peuvent rendre l’organisation de la vie sociale plus complexe. A l’inverse, les cadres, experts et chefs d’entreprise ont un fort sentiment d’autonomie dans l’organisation de leur temps de travail, dont la contrepartie réside dans un débordement de la sphère professionnelle sur la sphère domestique, et dans le sentiment d’être débordé par leur travail et de manquer de temps31. Ce débordement est rendu possible par l’essor individuel des technologies de communication (micro-ordinateur, Internet, fax, téléphone mobile…).

4.1.6 L’Ile-de-France : une région hyperactive

Comparaison des temps sociaux en Ile-de-France et en province Ile-de-France France entière Temps de travail quotidien des actifs occupés 6 h 20 5 h 39

Temps de loisirs 2 h 28 2 h 53 Temps domestique 2 h 27 2 h 42 Source : enquêtes Emploi du temps Les actifs occupés franciliens travaillent plus que les provinciaux32 : 6 h 20 en Ile-de-France et 5 h 39 en province. Une partie de la différence provient des temps de transport plus élevés (46 mn au lieu de 31 mn) en Ile-de-France, une autre de la moindre importance relative du travail à temps partiel (13,1 % contre 18,4 %). Le temps de loisirs et le temps de travail domestique s’en trouvent condensés : respectivement 2 h 28 et 2 h 27 pour l’ensemble des actifs occupés en Ile-de-France, 2 h 53 et 2 h 42 en province. Par contre, le temps de travail des actifs occupés à temps plein est le même en Ile-de-France et en province (environ 8 h 30), hors trajet domicile-travail, en dépit de la différence de structure socio-professionnelle, marquée par une plus forte proportion de cadres en Ile-de-France. En effet, la plus forte proportion de cadres est compensée par une proportion moins élevée d’agriculteurs, de commerçants et d’artisans, dont le temps de travail est nettement plus élevé que celui de l’ensemble des actifs, de sorte que le temps de travail moyen d’une journée travaillée est voisin en Ile-de-France de ce qu’il est pour l’ensemble de la France. Une simulation du temps de travail moyen des actifs occupés à temps plein à partir des temps de travail moyens des différentes catégories socio-professionnelles en France donne pour l’Ile-de-France des résultats très voisins de ce qui est observé. Le temps de travail moyen au niveau régional s’explique donc presque entièrement par la structure socio-professionnelle.

30 C’est le cas de 50 % des CDI à temps partiel. 31 « Les horaires et l’organisation du temps de travail », Economie et Statistique, n°352-353, 2002 32 « La place du temps de travail dans la journée des franciliens », Insee Ile-de-France, Regards, n°48, Juin 2000. Le temps de travail se comprend temps de formation et temps de transport inclus

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Les différences entre hommes et femmes au niveau de la répartition des tâches domestiques sont moins sensibles qu’en province. Ainsi, le temps consacré aux activités domestiques par les femmes actives occupées franciliennes dépasse de 1 h 30 celui des hommes, contre 2 h en province. Malgré tout, les différences restent substantielles : les franciliens disposent en moyenne de 37 minutes de temps libre de plus que les franciliennes. L’hyperactivité relative de l’Ile-de-France tend à s’accroître. Ainsi, le temps professionnel francilien quotidien des actifs occupés a légèrement augmenté entre 1986 et 1999, de 6 h 17 à 6 h 20 (temps de transport inclus et calcul effectué sur une semaine, incluant donc les week-ends), alors qu’il a nettement diminué en province, de 5 h 51 à 5 h 39. Le temps de travail professionnel quotidien proprement dit s’est accru de 11 min pour les franciliens. Elle est encore plus forte pour les salariés occupés à temps complet. Cette hausse s’explique en partie par une hausse très sensible de la part des cadres parmi les actifs franciliens occupés à temps plein (de 17,1 à 23,9 %), qui compense les effets de l’extension du travail à temps partiel, tandis qu’en province l’accroissement du travail à temps partiel est plus fort, et la hausse du temps de travail des salariés à temps complet est de plus faible ampleur, notamment en raison du moindre accroissement de la part des cadres. Le temps libre diminue de 4 min. Mais les inactifs disposent de beaucoup plus de temps libre quotidien que les actifs : 5 h 30 contre 3 h.

4.1.7 les opinions des salariés à l’égard de la réduction du temps de travail

Préalablement à la mise en œuvre de la réduction du temps de travail, des enquêtes réalisées auprès des salariés avaient permis d’évaluer leur opinion à cet égard. Il en ressortait que les arbitrages entre le temps professionnel et le temps libre sont liés d’une part, au niveau de vie des ménages, d’autre part, au sens qu’ils accordent à leur position professionnelle. 78 % des salariés à temps complet souhaitaient une réduction de leur temps de travail33. Cependant, 48 % des salariés à temps complet considéraient que la baisse de la durée du travail ne devait pas s’accompagner d’une diminution de salaire. Ce choix était plus souvent exprimé par les salariés les moins rémunérés, tandis que les salariés les mieux rémunérés ou les cadres étaient davantage disposés à accepter une baisse de revenus en contrepartie d’un accroissement du temps libre (un tiers des salariés du quartile de niveau de vie le plus élevé). Les femmes souhaitaient également davantage que les hommes une baisse de leur temps de travail, notamment pour concilier vie personnelle et vie professionnelle. Il semble également que l’autonomie dans le travail ou l’appartenance à une position d’encadrement, minimise la propension à vouloir diminuer la durée du travail.

4.1.8 l’impact de la RTT34 sur le temps de travail, le temps libre, les comportements de loisir.

Ces résultats d’enquêtes correspondent cependant à une période qui précédait la mise en œuvre de l’ARTT. L’enquête RTT et Modes de vie, réalisée par la DARES fin 2000, avant la mise en œuvre de la loi Aubry II, auprès d’un échantillon de 1 618 salariés passés à 35 heures depuis plus d’un an, apporte un éclairage complémentaire sur les changements induits par la RTT sur les usages du temps chez les ménages qui en bénéficiaient. La RTT n’a pas entraîné de raccourcissement de la durée de travail quotidienne mais plutôt 33 « Les opinions des salariés sur la réduction de leur temps de travail », Economie et Statistique n° 321-322, 1999. Exploitation de l’enquête permanente sur les conditions de vie, 1997. 34 Economie et Statistique n° 352-353, 2002

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l’attribution de demi-journées ou de journées de congés supplémentaires, à la semaine ou à l’année. Elle a même entraîné un surcroît de travail pour 14 % des personnes enquêtées et 42 % des cadres. Par ailleurs, le travail s’est intensifié : ainsi, quatre salariés sur dix affirment disposer de moins de temps pour réaliser le même travail. Les hommes affirment participer davantage aux tâches domestiques, notamment chez les cadres et parmi les salariés les plus qualifiés. 42 % des salariés affirment utiliser le temps dégagé par la RTT pour réaliser une partie des tâches domestiques, en dehors des week-ends, ce qui permet aux parents de passer davantage de temps avec leurs enfants. La RTT a surtout profité aux activités d’intérieur : bricolage, jardinage, repos. Chez une partie des salariés, la RTT se traduit par des départs en congés plus fréquents35. Il apparaît toutefois que parmi les salariés bénéficiaires des 35 h, ceux qui consacrent le temps libéré aux départs en congés sont minoritaires (16 %). Les salariés affirment avoir surtout augmenté le temps consacré au repos (47%), au bricolage et au jardinage (41%), à la famille et aux enfants (45%), aux courses et à la télévision. 20 % seulement des bénéficiaires disent avoir profité de vacances plus longues, et 12 % de départs en week-end supplémentaires. Il est possible que les contraintes financières des ménages aient limité leur capacité à tirer parti du temps libéré en vue d’usages coûteux. Les salariés disposant de meilleurs revenus ont utilisé la RTT pour partir davantage en vacances. C’est le cas de 30 % des cadres bénéficiant de la RTT et de 31 % des franciliens, contre seulement 14 % des non-cadres. Les mêmes écarts entre catégories socio-professionnelles ou entre régions s’observent pour les départs en week-ends ou à la journée. La RTT tend donc à accroître les écarts existants en matière de départs en vacances. Elle a également entraîné des modifications des comportements de départs : plus de départs non planifiés, au dernier moment (16%), plus de départs et d’arrivées décalés (14%), une utilisation accrue d’Internet (10%). Il reste que dans l’ensemble, en raison des contraintes financières des ménages, la RTT bénéficie surtout aux pratiques de proximité (visite à la famille ou aux amis, visites culturelles, etc.).

4.2 Loisirs, culture et consommation : le développement d’une économie du temps libre, du bien-être et de l’information

Les enquêtes Budget des familles permettent de retracer les principales évolutions en structure de la consommation des ménages. Les résultats attestent la montée progressive d’une économie du temps libre, fondée sur les consommations immatérielles. Pour autant, certains postes des consommations matérielles (logement, transports) directement liés aux politiques d’aménagement du territoire, restent très lourds dans le budget des ménages, et conservent par ailleurs un impact déterminant sur les modes de vie, avec des variations conjoncturelles sur le court terme. Coefficients budgétaires : essor des consommations immatérielles de 1980 à 1995 1980 1995 Coefficient budgétaire de la santé 8,1 % 11 % 35 « Les comportements de départ des français : premières incidences de l’ARTT », Direction du Tourisme, d’après l’étude du CREDOC sur les conditions de vie et les aspirations des français, Décembre 2002

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Coefficient budgétaire des loisirs 11,3 % 12 % Coefficient budgétaire de l’alimentation 22,3 % 19,2 % Coefficient budgétaire de l’habillement 11,7 % 9,3 % Coefficient budgétaire des consommations matérielles (se loger, se nourrir, se déplacer, s’habiller, équiper son logement)

61 % 52 %

Coefficient budgétaire de l’automobile 8 % 14 % Source : enquêtes Budget des familles, INSEE La croissance de la consommation des ménages se poursuit lentement, à raison de 1 % par an entre 1979 et 199736, mais sa structure se déforme. Les besoins en biens matériels étant globalement mieux satisfaits que par le passé, la demande s’oriente davantage vers des biens immatériels. Cette tendance, reflétant l’évolution des modes de vie, accompagne l’essor continu des services et la tertiarisation de l’emploi. Pour mémoire, par opposition au budget des ménages, on appellera consommation effective l’ensemble de la consommation des ménages, y compris lorsqu’elle correspond à des dépenses prises en charge par la collectivité, et coefficient budgétaire la part spécifique du budget des familles affectée à un type spécifique de dépenses. La socialisation d’une grande partie des dépenses liées à l’émergence d’une économie des biens immatériels, prises en charge par les dispositifs d’assurance collective (santé) ou les services publics (santé, culture, loisirs, transports…) conduit en effet à sous-estimer la progression de ces postes de consommation, telle qu’elle ressort de l’examen des seules dépenses individuelles des ménages. La consommation de biens publics était ainsi évaluée à 25 % de la consommation individuelle des ménages en 1995, selon la Comptabilité Nationale. La part des biens socialisés dans la consommation des ménages tend en effet à augmenter : ils représentaient 20,4 % de la consommation effective des ménages en 2000, contre seulement 11,3 % en 1960. Consommation effective : progression des biens socialisés et recul des consommations matérielles de 1960 à 2000, à l’exception du logement et de l’automobile 1960 2000 Part des biens socialisés dans la consommation effective des ménages 11,3 % 20,4 %

Part des dépenses alimentaires dans la consommation effective 30 % 15 %

Part de l’habillement dans la consommation effective 10 % 4 % Logement dans la consommation effective 10,7 % 19,1 % Transports individuels dans la consommation effective 5,5 % 6,7 % Poids des dépenses de santé dans la consommation effective 5,6 % 12,6 %

Source : enquêtes Budget des familles, INSEE

4.2.1 Une forte croissance des besoins liés à la santé qui devrait se poursuivre

Ainsi, la consommation des soins et biens médicaux, mais aussi de médicaments, représente une part croissante du PIB mais aussi du budget des ménages : le coefficient

36 « Consommation : un lent bouleversement de 1979 à 1997 », Economie et Statistique n° 324-325, 1999

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budgétaire de la santé a augmenté de 8,1 à 11% du budget des ménages entre 1980 et 1995. Bien entendu, le coût global de la santé et son poids global dans l’économie nationale sont plus élevés, puisqu’il faut ajouter aux dépenses individuelles des ménages, mesurées par les coefficients budgétaires, l’ensemble de la consommation socialisée de biens et services de santé, fournie par les administrations publiques, notamment les hôpitaux. La part de l’ensemble des dépenses de santé dans la consommation effective des ménages a ainsi progressé de 5,6 à 12,6 %. Cette progression témoigne d’une attention accrue au bien-être physique et psychique, et d’un souci de préserver la jeunesse du corps. Elle s’explique sans doute aussi en partie par les coûts sanitaires du chômage et du mal-être professionnel, personnel ou familial dont les effets seraient à mieux évaluer. On peut penser que la part de la consommation des ménages consacrée à la santé devrait continuer à s’accroître dans les décennies qui viennent sous l’effet de la poursuite du vieillissement de la population et de l’accroissement continu de l’espérance de vie. Cet essor repose assez largement sur l’extension et la généralisation de la couverture sociale des dépenses de santé, qui contribuent aussi à une modification des comportements. Par ailleurs, les soins spécialisés requièrent des équipements de plus en plus coûteux. Enfin, la médicalisation s’est accrue et la médecine dite « de confort » s’est développée. L’évolution des dépenses de santé dépendra aussi de l’évolution des niveaux et conditions de financement des besoins liés à la santé, à travers l’assurance-maladie et le système hospitalier qui est de plus en plus engorgé.

4.2.2 Essor des loisirs, de la culture et du sport

L’extension du temps libre favorise le développement des loisirs et des vacances qui mobilisent une part en légère croissance du budget des ménages. Le coefficient budgétaire des loisirs et de l’équipement de loisirs progresse ainsi de 11,3 à 12 % de la consommation des ménages entre 1980 et 1995. Au sein de ce poste, les dépenses de sports représentaient 8% du budget des ménages en 1995. Ces pratiques sont fortement liées à l’existence d’équipements fournis par la collectivité, notamment culturels et sportifs, et donc une partie de la consommation de biens et services de loisirs est socialisée. Les pratiques culturelles se sont diffusées de plus en plus largement au sein du grand public37. Ainsi, en 2000, quatre personnes sur cinq ont pratiqué au moins une activité culturelle au cours de l’année précédente. Ces pratiques se diffusent cependant de manière inégale. Le cinéma, la lecture et la fréquentation des musées sont aujourd’hui très courants : ainsi, 58 % des personnes enquêtées ont lu au moins un livre dans l’année, 50 % sont allées au moins une fois au cinéma, 45 % ont visité un musée ou une exposition. A l’inverse, les activités artistiques en amateur restent encore peu répandues (14 % des personnes interrogées), ainsi que la fréquentation du théâtre ou des concerts (29 %). La fréquentation des cinémas a reculé entre 1960 et le début des années 199038, sous l’effet de la concurrence suscitée par la diffusion de la télévision, du magnétoscope et des cassettes enregistrées, mais est repartie à la hausse depuis 1992. Il bénéficie de l’essor des multiplexes, qui sont passés de 2 à 80 entre 1980 et 2000. Les multiplexes réalisaient 35 % des entrées en 2000, contre 11 % en 1996. Ces équipements de grande taille, installés à la périphérie des agglomérations, à proximité des rocades urbaines, se sont adaptés à l’évolution des modes de vie : ils bénéficient de la périurbanisation, en captant une

37 Enquêtes sur les pratiques culturelles des français, Ministère de la Culture 38 « 40 ans de cinéma : âge d’or, crise et renouveau », INSEE première n°841, avril 2002

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clientèle dont la situation géographique excentrée était jusque-là peu propice à une fréquentation régulière des cinémas localisés en ville. Les pratiques culturelles sont inégalement répandues selon les groupes sociaux. Elles sont davantage le fait des cadres, des plus diplômés, des jeunes, des habitants des grandes villes. Ainsi, 89 % des 15-24 ans sont allés au moins une fois au cinéma, contre seulement 23 % des plus de 55 ans. 71 % des habitants de l’unité urbaine de Paris ont lu au moins un livre, contre 48 % des habitants des communes rurales, 57 % des diplômés du supérieur sont allés au théâtre ou à un concert, contre 12 % des personnes sans diplôme, 76 % des cadres et professions libérales sont allés visiter un musée ou une exposition, contre 27 % des ouvriers. Enfin, les filles tendent à lire davantage que les garçons. Le milieu socio-culturel et les habitudes acquises pendant l’enfance jouent un rôle déterminant dans l’intensité et la nature des pratiques culturelles39. Il en est de même des pratiques sportives qui se sont largement diffusées au sein de la population. En 2000, 36 millions de français âgés de 15 à 75 ans, soit 83 % de cette population, déclaraient avoir des activités physiques et sportives40. 23 % des français âgés de 15 à 75 ans pratiquent une activité en club ou association. Les activités les plus fréquentes sont la marche, la natation et le vélo. La pratique sportive répond de plusieurs manières aux aspirations nouvelles : préoccupation accrue pour la santé et le bien-être, attrait des loisirs résultant de l’extension du temps libéré, goût de la compétition et de la performance. La forte croissance des pratiques culturelles et sportives a suscité l’émergence de nouveaux secteurs de l’activité économique, ou a obligé des secteurs plus traditionnels (comme le textile) à se réorganiser en fonction de l’évolution des modes de vie et des aspirations individuelles. Les enjeux économiques associés à la culture ou au sport ont pris une importance considérable. La demande, de plus en plus volatile, est attirée par l’innovation et le spectacle. En réponse aux progrès d’une culture de l’évènementiel et de l’éphémère, les très grandes métropoles tendent aujourd’hui, dans une logique de marketing urbain, à promouvoir leur image par l’organisation de grands évènements culturels, sportifs ou festifs, de dimension régionale, nationale ou internationale, dont Paris a donné maints exemples : mondial de football, championnats du monde d’athlétisme, candidature aux JO 2012, Paris plage, nuit blanche.

4.2.3 L’explosion des technologies de l’information et de la communication

Soutenue par l’individualisation, la mobilité, la généralisation de la consommation culturelle et des pratiques sportives ou artistiques, la diffusion des technologies de l’information et de la communication s’accélère parmi les ménages, pour des usages domestiques. Ce poste comprend à la fois des services immatériels de stockage ou de transmission de l’information (télécommunications, Internet) et des équipements de loisirs qui leur servent de support (micro-ordinateur personnel, téléphone mobile, fax, télévision, magnétoscope, DVD, appareil photo numérique…). On peut aussi y inclure tout le secteur audiovisuel dont l’explosion participe à la construction d’une société de l’information et de 39 Enquête « transmissions familiales », partie variable de l’enquête permanente sur les conditions de vie, Octobre 2000, in « Les pratiques culturelles : le rôle des habitudes prises dans l’enfance », INSEE première, n°883, Février 2003 40 Enquête sur les pratiques sportives en 2000, Ministère de la Jeunesse et des Sports, Institut National du Sport et de l’Education Physique.

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la communication. Les dépenses consacrées aux technologies de l’information et de la communication ont progressé de 11,6 % par an entre 1960 et 2000, représentant même 30 % de la progression de la consommation entre 1990 et 2000. Les équipements et services de l’information et de la communication ont connu une diffusion considérable, facilitée par les baisses de prix. En 2000, presque tous les ménages disposaient d’un ou plusieurs téléviseurs, deux tiers des ménages disposaient d’un magnétoscope, 60 % d’une chaîne hi-fi, 25 % d’un micro-ordinateur. Les DVD, téléphones mobiles et connexions Internet à haut débit sont d’une diffusion plus récente parmi le grand public français, mais se sont répandus très rapidement. Entre 1998 et 1999, la part des ménages connectés à Internet depuis leur domicile s’est accrue de 2 à 7 %, la part des ménages disposant d’un téléphone mobile de 15 à 28 % entre 1997 et 199941. Les dépenses audiovisuelles des ménages ont explosé depuis le début des années 1980, en particulier les dépenses liées à la télévision, qui se sont élevées de 700 millions à 5 milliards d’euros entre 1980 et 2000, avec le développement des chaînes cablées ou par satellite et des abonnements payants. Les nouveaux équipements tendent à se diffuser au sein du grand public de plus en plus rapidement. Comme pour l’automobile, l’extension du marché est soutenue par la tendance au multi-équipement des ménages, lui-même lié au processus d’individualisation de la société. Diffusion inégale des technologies de l’information et de la communication selon les CSP Equipements Cadres Ouvriers Ordinateur au travail et au domicile 50 % 13 % Téléphone mobile 44 % 22 % Chaîne hi-fi 82 % 57 % Magnétoscope 75 % 67 % Source : enquête permanente sur les conditions de vie, 1999 Les catégories socio-professionnelles supérieures tendent à adopter les produits et comportements innovants en premier, tandis que les autres catégories socio-professionnelles leur emboîtent le pas avec un temps de retard. Ainsi, en 1999, 50 % des cadres étaient équipés d’un ordinateur au travail et au bureau, 44 % d’un téléphone mobile, 82 % d’une chaîne hi-fi, 75 % d’un magnétoscope, contre respectivement 13 %, 22 %, 57 %, 67 % pour les ouvriers. S’y ajoute un effet de génération qui correspond à la chronologie de diffusion des nouveaux produits et services, les individus contractant des habitudes de consommation et d’usage pendant leur enfance, leur adolescence et leur jeunesse, où ils sont plus réceptifs aux innovations, qui évoluent ensuite plus lentement avec l’avancée en âge. C’est pourquoi la conquête des consommateurs jeunes est devenue stratégique pour les innovations de la mode ou de la technologie.

4.2.4 L’affaissement du poids relatif des consommations matérielles prises dans leur ensemble: se loger, se nourrir, se déplacer, s’habiller

Globalement, les postes liés aux consommations matérielles reculent en part relative. Les dépenses consacrées à se nourrir, se loger, s’habiller, se déplacer et équiper son logement ont ainsi reculé de 61 à 52 % de la consommation des ménages entre 1960 et 200042. Hors

41 Enquête permanente sur les conditions de vie, INSEE, in « La percée du téléphone portable et d’Internet », INSEE première n°700, Février 2000 42 « La consommation des ménages depuis 40 ans », INSEE première n°832, Février 2002

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logement, la part des consommations consacrées aux fonctions matérielles de base a reculé de 51 à 33 %. Il s’agit notamment de l’alimentation, qui recule de 22,3 à 19,2 % du budget des ménages entre 1980 et 1995, et de l’habillement, qui régresse de 11,7 à 9,3 % au cours de la même période. En part de la consommation effective, incluant les dépenses incombant à l’Etat, à la sécurité sociale et aux administrations, le recul est encore plus net : les dépenses alimentaires ont chuté de 30 à 15 % de la consommation des ménages, les dépenses d’habillement de 10 à 4 %, entre 1960 et 2000.

4.2.5 Le poids du logement et de l’automobile demeurent très significatifs

Ce n’est pas le cas toutefois de l’ensemble des consommations matérielles. En dépit de l’amélioration en moyenne des conditions de vie matérielles qui dégage globalement des ressources pour les usages du temps libre, les ménages consacrent toujours de plus en plus d’argent à se loger et à se déplacer. Le logement est un poste budgétaire de plus en plus lourd43. Il est vrai que, contrairement à la santé ou à l’éducation, le logement est une dépense ne donnant pas lieu aujourd’hui à d’importants financements de la collectivité. Les dépenses courantes de logement représentaient ainsi 23 % de la consommation des ménages en 1996, contre 19,7 % en 1990, en dépit de l’éclatement de la bulle immobilière qui s’est produit entre les deux dates. Entre 1960 et 2000, la part du logement (chauffage et éclairage compris) dans la consommation effective est passée de 10,7 à 19,1 % de la dépense des ménages. Au sein de ces dépenses, on observe une progression de la part des loyers, qui représentaient 71 % des dépenses courantes de logement en 1996, contre 61 % en 1984. La progression des loyers est cependant irrégulière, et dépend des cycles immobiliers qui donnent lieu à des élévations de loyers plus ou moins importantes lors des relocations (10 % en 1992, au sommet du cycle, 2,3 % en 1996, au creux du cycle). Une nouvelle phase ascendante du cycle immobilier s’est déroulée de 1996 à 2004, donnant lieu à une nouvelle envolée des loyers et prix immobiliers. La progression des prix des logements anciens au m2 a été particulièrement forte depuis 1998. Selon l’indicateur FNAIM, elle a été de 3,7% en 1998, 9% en 1999, 10% en 2000, 6,5% en 2001, 9,2% en 2002, soit environ 45% en 4 ans. Les prix de l’Ile-de-France sont de 38% supérieurs à la moyenne nationale. Selon la FNPC, la hausse du prix des logements neufs était encore de 8 à 10% en 2003 par rapport à 2002. A Paris, selon l’indice Notaires-INSEE, la hausse du prix des appartements anciens vendus libres était de 10% en 2001, et 7,2% en 2002. Cette hausse est continue depuis 1997. Le marché parisien semble suivre le marché londonien avec environ 3 ans de retard. Or, à Londres, la hausse du prix des logements est constante depuis 10 ans44. La hausse des prix parisiens pourrait donc se poursuivre sur le court terme. Les conditions d’accès au logement, dans ce contexte, restent difficiles dans un marché très tendu, ainsi que l’attestent l’évolution du taux de vacance45, qui s’élevait à moins de 7 % en 2002, soit le taux le plus bas depuis 30 ans, ou encore l’âge de décohabitation des jeunes qui est passé de 21,5 à 24 ans aujourd’hui46. Cet âge paraît également lié au climat économique. Il s’était ainsi élevé dans les années 30, de même qu’aujourd’hui, avec le niveau élevé de chômage qui persiste depuis 25 ans et frappe en particulier les jeunes. 43 « Les dépenses de logement de 1984 à 1996 », INSEE première n°611, octobre 1998 44 Note de synthèse du SES, Alain SAUVANT, « Y-a-t-il une bulle des prix des logements à Londres et à Paris ?» 45 « La proportion de logements vacants la plus faible depuis 30 ans », INSEE première n°880, janvier 2003 46 Economie et Statistique n° 337-338, 2000, exploitation de l’enquête Jeunes

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De même, le poste automobile constitue un élément de plus en plus lourd au sein du budget des ménages47, étant passé de 8 % en 1960 à 14 % en 2000. Les automobilistes se sont adaptés au renchérissement du coût de l’automobile en achetant des véhicules de gamme inférieure et en investissant le marché de l’occasion à mesure qu’il se développait. Toutefois, le poste budgétaire le plus coûteux est représenté par les dépenses d’entretien et de réparation, soit 35% de la dépense automobile, tandis que les dépenses consacrées aux carburants ont fléchi en dépit d’une fiscalité assez lourde et de l’accroissement des kilométrages, grâce à la diffusion de moteurs et de carburants plus économiques. La diffusion de l’automobile, rendue nécessaire pour les trajets quotidiens par l’étalement urbain et l’éclatement des lieux de vie (consommation, travail, domicile, école, loisirs…) qui en résulte, ainsi que par l’absence de transports en commun performants, a accompagné l’essor de la maison individuelle, de l’accession à la propriété et de la périurbanisation, participant à la construction de ce qu’on a appelé « la ville émergente ». Ainsi, le taux d’équipement automobile des ménages a progressé de 53 % dans les communes rurales, et de seulement 22 % à Paris. Le succès commercial d’équipements tels que l’automobile, la maison individuelle ou le téléphone mobile, témoignent de la force des aspirations à l’autonomie et à la liberté de choix ou de mouvement, qui sous-tendent la dynamique d’individualisation de la société moderne. Huit ménages sur dix possédaient une automobile en 2000, contre trois sur dix en 1960. Par ailleurs, le marché étant saturé, l’individualisation se poursuit à travers la progression rapide du multi-équipement des ménages : le taux de bimotorisation des ménages s’élevait à 29,6 % en 2000, contre 16,5 % en 1980, en se diffusant des catégories socio-professionnelles supérieures vers les couches sociales moins aisées. La voiture individuelle est préférée aux transports collectifs, à l’exception des transports aériens qui bénéficient de la forte croissance du tourisme international. Les dépenses liées aux transports individuels ont ainsi progressé de 5,5 à 6,7 % de la consommation effective des ménages de 1960 à 2000, les dépenses de transports collectifs ont régressé de 2,1 à 1,8 %.

4.2.6 L’extension du tourisme

L’extension des voyages et des départs en vacances, diffusion à des populations nouvelles (agriculteurs, seniors), évolution des pratiques: plus souvent, plus loin, moins longtemps, avec des contrastes sociaux persistants, certains ne partant toujours pas en vacances. L’Ile-de-France, grosse consommatrice de voyages. L’accroissement du niveau de vie et du temps libéré sont des facteurs favorables à la croissance de la mobilité de loisirs. Signe de l’évolution des modes de vie vers une société de plus en plus mobile, les français voyagent de plus en plus48. Le nombre moyen de voyages à plus de 100 kilomètres du domicile réalisé par chaque personne résidant sur le territoire métropolitain, que ce soit pour des motifs personnels ou professionnels, a ainsi évolué de 3,7 à 5,7 entre 1982 et 1994. Le nombre de séjours de vacances de 4 nuits et plus a augmenté de 20 %, de 64 millions à 76 millions entre 1989 et 199949. Les distances parcourues au cours des voyages ont légèrement augmenté, de 800 à 860 kilomètres. Signe des tendances déjà observées vers l’individualisation, la croissance des déplacements de 47 « La consommation automobile depuis 40 ans », INSEE première n°844, mai 2002 48 Enquêtes Transports 1981-1982 et 1993-1994, INSEE, in « Les français prennent de plus en plus goût aux voyages », INSEE première n°565, Janvier 1998 49 Enquête permanente sur les conditions de vie, in « Dix ans de vacances des français », France, portrait social 2002-2003

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longue distance s’effectue principalement au profit de la voiture individuelle : celle-ci représente environ 80 % des déplacements pour motifs personnels en 1982 comme en 1994. Au niveau des transports collectifs, la part du train s’érode (de 12 à 10 % des déplacements pour motifs personnels) au profit de l’avion (de 2 à 4 %). La proportion des voyages de plus de quatre nuits hors du domicile augmente de 34 à 37 % des voyages personnels. Les déplacements de vacances bénéficient majoritairement à l’automobile, qui était le mode de transport utilisé pour 66 % des séjours d’été en 1999. Essor des voyages au profit de la voiture individuelle et des courts séjours 1982 1994 Nombre de voyages à plus de 100 km du domicile 3,7 5,7 Part de la voiture individuelle dans les déplacements pour motifs personnels 80 % 80 %

Part du train 12 % 10 % Part de l’avion 2 % 4 % Part des voyages de plus de quatre nuits hors du domicile 34 % 37 %

Part des courts séjours dans les vacances d’été (moins de quatorze nuits) 44 % 71 %

Source : Enquêtes transports, INSEE Reflétant la diversification et la désynchronisation des modes de vie, les vacances sont de plus en plus fractionnées et de plus en plus courtes. La durée moyenne des séjours de plus de quatre nuitées s’est abaissée de 14,5 à 12 nuitées, et de 17,2 à 13,5 nuitées pour les vacances d’été. La part des courts séjours (moins de quatorze nuits) dans les vacances d’été s’est accrue de 44 à 71 %, celle des courts séjours (moins d’une semaine) dans les vacances d’hiver de 43 à 61 %. Par ailleurs, les séjours se diversifient. Les vacances à la mer reculent en part relative, au profit des circuits, des séjours à la campagne et en ville, ou encore aux sports d’hiver, mais aussi les voyages d’hiver à l’étranger dans des pays ensoleillés. Sur le territoire métropolitain, les séjours estivaux sont à destination des régions littorales atlantiques et méditerranéennes tandis que les séjours d’hiver sont à destination des Alpes et des Pyrénées. La fréquentation régulière de ces régions lors des migrations touristiques saisonnières permet aux habitants des régions urbaines, et particulièrement aux franciliens, d’en découvrir les attraits, ce qui peut contribuer à expliquer leur engouement pour l’achat de résidences secondaires, ou les migrations définitives vers les littoraux atlantique et méditerranéen dont l’ampleur accentue le déficit migratoire francilien. Les voyages se diffusent au sein de catégories socio-professionnelles qui y étaient jusque-là peu accoutumées : c’est notamment le cas des agriculteurs, qui étaient absents de leur domicile 12 jours par an en 1994, contre 4 en 1982. Malgré tout, de forts contrastes sociaux demeurent, voire s’accentuent. Parmi les actifs, les ménages de cadres supérieurs sont ceux qui voyagent le plus : huit voyages par an, 49 jours hors du domicile. La mobilité est plus élevée parmi les ménages à hauts revenus : les ménages dont le revenu est supérieur à 73 282 € par an effectuent 8,5 voyages par an, les ménages dont le revenu est inférieur à 11 450 €, trois voyages par an. D’autre part, 38 % des français ne sont pas partis

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en vacances en 199950. Cette proportion reste stable au cours du temps. Ils invoquent dans la grande majorité des cas des contraintes indépendantes de leur volonté : 50 % pour des raisons financières, 40 % pour des raisons familiales, professionnelles ou de santé. D’autre part, les personnes appartenant au dixième décile de niveau de vie qui sont parties partent plus souvent : elles ont effectué en moyenne 3 séjours de vacances, contre 1,6 pour le premier décile.. De fait, la population de condition modeste part moins en vacances que les couches plus aisées : 58 % des personnes du premier décile de niveau de vie ne sont pas parties en vacances, contre 15 % des personnes du dixième décile. Les ouvriers et les employés partent moins en vacances en 1999 qu’en 1989 : le taux de départs en vacances est passé de 70 à 61 % pour les employés, de 51 à 44 % pour les ouvriers. Ces derniers invoquent le plus souvent des raisons financières. Ces contrastes se reflètent aussi dans le type de séjours ; les ménages du décile le plus élevé partent plus souvent mais moins longtemps : 13 nuitées pour les longs séjours d’été des ménages du décile le plus élevé, 18 nuitées pour le décile le plus faible. Les congés des cadres et cadres supérieurs sont plus fractionnés. Par ailleurs, ils se caractérisent par un détachement plus grand à l’égard de la famille, et des pratiques plus consuméristes (hébergement en hôtel, circuits…): 60 % des séjours à l’étranger des personnes les plus modestes se déroulent dans la famille, 14 % de ceux des personnes les plus aisées. Taux de départ en vacances selon l’âge, la CSP, la zone de résidence 1989 1999 Ensemble 61 % 62 % Ouvriers 51 % 44 % Employés 70 % 61 % Cadres 86 % 86 % 30-50 ans 67 % 63 % 50-60 ans 55 % 63 % 60-70 ans 52 % 57 % Plus de 70 ans 34 % 38 % Ile-de-France 77 % 77 % Unités urbaines de plus de 100 000 habitants 64 % 67 %

Rural 49 % 51 % Source : enquête permanente sur les conditions de vie Certains inactifs voyagent aussi beaucoup : les étudiants effectuent dix voyages par an et passent 69 jours hors du domicile. On observe également un effet d’âge et de génération : les personnes de moins de 25 ans effectuent dix voyages par an, les personnes de plus de 65 ans seulement deux. Cependant, les personnes de plus de 50 ans partent de plus en plus souvent : entre 1989 et 1999, la part des quinquagénaires ne partant pas en vacances a diminué de 45 à 37 %, celle des sexagénaires de 48 à 43 %, celle des septuagénaires de 66 à 62 %. La mobilité croissante des seniors est favorisée par l’accroissement de l’espérance de vie sans incapacité, l’élévation du niveau de vie et l’évolution des comportements de mobilité. La progression des départs en vacances n’est d’ailleurs sensible parmi les seniors que parmi les adultes d’âge actif où la moindre progression des revenus et l’intensification

50 Enquête permanente sur les conditions de vie, in « Départs en vacances : la persistance des inégalités », Economie et Statistique n°345, 2001

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des conditions de travail au cours de la période ont joué en sens inverse: pour les personnes âgées de 30 à 50 ans, le taux de non-départs en vacances a progressé de 33 à 37 %. L’Ile-de-France se caractérise encore par sa très forte mobilité, liée en partie aux revenus plus élevés des franciliens, à la plus forte proportion de cadres et de cadres supérieurs, de jeunes, et au besoin de compenser une qualité de vie jugée médiocre par des évasions ponctuelles vers une résidence secondaire ou une destination de vacances. Seulement 23 % des franciliens n’étaient pas partis en vacances en 1999, contre 45 % des habitants de la zone Sud-Ouest ou Méditerranée, et 49 % des habitants des communes rurales. Un parisien était absent de son domicile en moyenne 61 jours par an en 1994, contre 20 jours par an pour une personne en zone rurale. Lors de leurs vacances, ils partent plus souvent à l’étranger : 21 %, contre 14 % des habitants des communes rurales. Leurs séjours sont plus longs : 31 % de séjours de plus de 15 nuitées, contre 14 % pour les habitants en zone rurale. Les franciliens effectuent également davantage de séjours à la campagne, souvent en résidence secondaire (une fois sur deux contre une fois sur quatre pour l’ensemble des français51). Ils privilégient aussi davantage le train. Toutefois, les écarts tendent à se réduire, en lien notamment avec la rurbanisation : les aires urbaines des villes s’étendent et, consécutivement au développement de la maison individuelle, de la voiture et des réseaux routiers, la population des campagnes n’est plus majoritairement rurale, les différences entre villes et campagnes s’estompent.

51 Les français privilégient toujours les vacances à la mer », INSEE première n°819, décembre 2001

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5. La féminisation du travail transforme les modes de vie

Féminisation du travail 1968 2002 Population active féminine (millions) 7,7 12,1 Population active masculine 13,8 14,5 Part des femmes dans la population active 35,8 % 45,6 % Source : RGP, enquêtes Emploi Un des phénomènes majeurs de la seconde moitié du vingtième siècle est l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. La population active féminine a ainsi augmenté de 7,7 à 12,1 millions entre 1968 et 200252, tandis que la population active masculine a seulement augmenté de 13,8 à 14,5 millions au cours de la même période. La quasi-totalité de l’accroissement de la population active est due à l’entrée des femmes sur le marché du travail, de sorte que la part des femmes dans la population active s’est élevée de 35,8 à 45,6 %. Le taux d’activité des femmes s’est élevé de 51,5 % en 1975 à 62,1 %53 en 2002. Ces tendances sont plus avancées en Ile-de-France, où la parité est presque atteinte : en 1999, 97 parisiennes étaient actives pour 100 parisiens, 94 dans les Hauts-de-Seine et 93 dans le Val-de-Marne54. Femmes et travail à temps partiel 1990 2002 Part des emplois à temps partiel occupés par des femmes 83,8 % 84,2 % Part des femmes actives occupées à temps partiel 23,6 % 27,2 % Source : enquêtes Emploi Toutefois, l’intégration des femmes sur le marché du travail s’effectue souvent dans des conditions moins favorables, par le biais du temps partiel subi, et le taux de chômage des femmes est plus élevé que celui des hommes. Ainsi, en 2002, 84,2 % des emplois à temps partiel étaient occupés par des femmes, contre 83,8 % en 1990. La part des femmes actives occupées à temps partiel s’est élevée de 23,6 à 27,2 % de 1990 à 2002. D’autre part, le taux de chômage des femmes s’élevait à 10,1 % en 2002, contre 7,9 % pour les hommes. Toutefois, les écarts tendent à se réduire rapidement: ainsi, en 1990, l’écart entre le taux de chômage des femmes et celui des hommes était de 5 points, tandis qu’il n’était plus que de 2 points en 2002. L’importance du temps partiel au sein de la population féminine correspond notamment au souhait de concilier vie professionnelle et vie familiale, dans la mesure où la plus grande part du travail et des responsabilités domestiques échoit encore aux femmes, malgré une réduction progressive des écarts entre hommes et femmes (cf enquêtes Emploi du temps). Il apparaît ainsi que 30 % des femmes travaillant à temps partiel vivent en couple avec au moins deux enfants, contre 18 % de l’ensemble des femmes actives occupées55. Les motivations familiales sont invoquées par environ la moitié des femmes en temps partiel 52 Source : INSEE 53 Source : enquêtes emploi, INSEE 54 Recensement de la population, in « 12,2 millions d’actives et 14,3 millions d’actifs », INSEE première n°749, Novembre 2000 55 Panel européen des ménages, in « Le travail à temps partiel féminin et ses déterminants », Economie et Statistique n°349-350, 2001

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choisi. Mais le temps partiel peut aussi refléter des difficultés d’intégration sur le marché du travail à temps plein dont l’accès est plus difficile. D’après l’enquête Emploi, 42,3 % des femmes travaillant à temps partiel souhaiteraient travailler davantage, essentiellement occuper un emploi à temps plein. Cette part s’est accrue depuis 1995, où elle s’élevait à 36,4 %. Le temps partiel peut ainsi être « choisi » ou « subi ». Alors que les femmes en temps partiel choisi sont correctement intégrées sur le marché du travail, les femmes qui ne l’ont pas choisi subissent une précarité plus importante : elles perçoivent un salaire horaire moyen inférieur de 25 % à celui des actives à temps plein, 32 % travaillent en CDD, contre 8 % seulement des actives à temps plein, et 20 % d’entre elles ont connu au moins six mois de chômage au cours des deux années précédant l’enquête Emploi. La croissance du travail féminin accompagne le mouvement continu de tertiarisation de l’emploi, lui-même lié à l’essor des consommations immatérielles. Les effectifs féminins sont ainsi très fortement concentrés dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’action sociale, des administrations, des services aux entreprises et aux particuliers : 64,6 % de la population féminine occupée en 2002, contre 38 % seulement de la population masculine occupée. Les conséquences du travail des femmes en matière de modes de vie et d’aménagement du territoire sont considérables. Du fait de la nécessité pour les femmes de concilier les contraintes de la vie professionnelle et celles de la vie familiale (travail domestique, accompagnement scolaire…), les choix résidentiels des couples pourraient tendre à privilégier une proximité entre le domicile et le lieu de travail de la femme, de façon à réduire les temps de déplacements correspondants. Cette même nécessité peut conduire les femmes à refuser des emplois situés trop loin de leur domicile. Compte tenu de la relative dispersion de l’habitat familial au regard de la concentration urbaine de l’emploi, cela peut représenter une contrainte assez forte limitant les opportunités professionnelles des femmes en couple habitant dans le périurbain. La localisation des services employant des femmes a donc une influence cruciale sur les dynamiques urbaines et l’aménagement du territoire. On observe en tous les cas que, chez les couples avec enfants où la femme est active, la distance entre le domicile et le travail de la femme était de 9,5 km en 199156, contre 12,7 km pour l’homme actif au sein d’un couple. Les contraintes se répartissent donc différemment : conciliation entre vie professionnelle et affaires domestiques pour les femmes, distances de déplacements accrues pour les hommes. A l’appui de cette hypothèse, la distance entre le lieu de travail et le lieu de domicile diminue avec le nombre d’enfants chez les femmes actives : de 10 km pour un enfant à 8,5 km pour trois enfants et plus. A l’inverse, la présence d’enfants ne semble pas avoir d’influence sur le lieu de travail de l’homme, voire joue en sens inverse: la distance entre domicile et travail est de 11,8 km pour les hommes actifs au sein d’un couple avec enfants, de 13,5 km dans les couples avec deux enfants.

56 Exploitation de l’EGT 1991-92, « jour de semaine », in « La mobilité comme révélateur de l’évolution des modes de vie des femmes : vers la convergence des pratiques de mobilité hommes/femmes ? », DREIF, Octobre 2001

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Structure des ménages et activité, de 1982 à 1999 :les conséquences de la féminisation du travail en Ile-de-France 1982 1990 1999 Couples biactifs 1,3 M 1,45 M 1,25 M Taux de couples biactifs parmi les familles avec couple 54,7 % 59,3 % 50,9 %

Couples homme seul actif 0,65 M 0,49 M 0,46 M Taux de couples d’inactifs 14,3 % 16 % 22,3 % Taux de couples homme inactif + femme active 2,9 % 4,3 % 7,9 %

Source :RGP L’accroissement du travail féminin s’est également traduit, jusqu’en 1990, par le développement de la bi-activité et des ménages où la femme seule est active57, et l’homme inactif, au sein des couples : le nombre de couples où l’homme et la femme sont actives s’est élevé de 1,3 à 1,45 million entre 1982 et 1990 en Ile-de-France. Les couples biactifs représentaient ainsi 34,4 % des ménages franciliens en 1990. Leur part est restée stable en dépit du fort accroissement du nombre total de ménages, du fait de l’augmentation des personnes seules et des familles monoparentales. Leur part a par contre progressé au sein des familles avec un couple: 59,3 % des couples en 1990, contre 54,7 % en 1982. Au cours de la même période, le nombre de couples franciliens où l’homme seul est actif s’est abaissé de 651 536 à 494 500, soit -24 %. Cependant, depuis 1990, on observe une rupture de tendance très nette en Ile-de-France: la biactivité recule, car les effets du chômage limitent ceux de la féminisation du travail. En effet, alors que le nombre de couples stagne en dépit de la poursuite de la croissance du nombre de ménages, dû pour l’essentiel aux personnes isolées et aux familles monoparentales, sa structure change radicalement : les couples où les deux conjoints sont actifs ont fortement régressé de 1,45 à 1,25 million en 1999, soit de 59,3 à 50,9 % des familles franciliennes avec un couple, le nombre de couples où l’homme et la femme sont inactifs a explosé, de 395904 en 1990 à 547290 en 1999, soit de 16 à 22,3 %, de même que le nombre de couples où l’homme est inactif et la femme active, de 104852 à 193362, soit de 4,3 à 7,9%. Répartition de la croissance des ménages entre 1982 et 1990 selon le type de ménages Paris Petite couronne Grande couronne Personnes seules 11,2 % 41,5 % 47,2 % Familles monoparentales 20,6 % 40,1 % 39,3 % Couples biactifs 4,2 % 14,4 % 81,4 % Source :RGP L’essor des ménages de deux actifs a favorisé un modèle de développement urbain axé sur l’expansion urbaine, la maison individuelle et l’usage de la voiture individuelle. Ainsi, en Ile-de-France, les couples biactifs représentaient en 1990 42,9 % des ménages de la grande couronne, contre 21,8 % des ménages à Paris. Cette tendance se poursuit entre 1982 et 1990, où 81,4 % de la croissance des ménages biactifs s’est portée sur la grande couronne. Ces derniers contribuaient à hauteur de 53 % à la croissance du nombre de ménages en

57 Source : RGP 82, 90, 99, sondages au 1/4

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grande couronne. A titre de comparaison, la croissance des personnes seules et des familles monoparentales, tout aussi soutenue, était mieux répartie sur le territoire francilien : respectivement 11,2 et 20,6 % de ces augmentations captées par Paris, 41,5 et 40,1 % par la petite couronne, 47,2 et 39,3 % par la grande couronne. Répartition de la croissance des ménages entre 1990 et 1999 selon le type de ménages Paris Petite couronne Grande couronne Personnes seules 16,3 % 37,5 % 46,2 % Familles monoparentales 6,7 % 40,8 % 52,5 % Source : RGP Les effets de l’éclatement des familles se poursuivent entre 1990 et 1999, avec l’augmentation continue des personnes seules et des familles monoparentales. On observe toutefois que, entre 1990 et 1999, une part plus grande de l’accroissement des personnes seules est absorbée par Paris, au détriment de la petite couronne, tandis que les familles monoparentales sont repoussées vers la grande couronne. Selon l’ENL 2002, le taux de couples biactifs est reparti à la hausse : ils représentaient 53,1 % des couples franciliens en 2002, ce qui est cohérent avec la reprise économique constatée entre 1999 et 2001. Ce cycle haussier a cependant été de courte durée. La biactivité est une tendance de long terme liée à l’entrée des femmes sur le marché du travail, qui a cependant atteint son point culminant en 1990. Elle est à la fois sensible aux variations de l’emploi, et à l’évolution des structures familiales. Depuis 1990, les effets combinés de l’éclatement des familles et de la dégradation du marché de l’emploi ont inversé la tendance : le nombre de familles reste globalement stable, mais les biactifs reculent au profit des monoactifs féminins et des couples d’inactifs. Le ralentissement global de l’activité économique et la crise du modèle familial traditionnel remettent en cause la possibilité pour les ménages de réaliser leur projet de maison individuelle et d’accession à la propriété, bien que ces modes de vie restent prééminents dans les représentations et les valeurs. Ces tendances corroborent le ralentissement constaté de l’accession à la propriété et sont susceptibles de freiner l’expansion urbaine. Structure des ménages selon la couronne, et évolution au cours du temps

Territoire Paris (%) Petite couronne (%) Grande couronne (%) Année 1982 1990 1999 1982 1990 1999 1982 1990 1999

Taux de couples biactifs 21,3 21,8 17,5 35,2 34,7 26,8 41,2 42,9 35

Taux de familles monoparentales 4,4 6,9 7,12 5,7 8,9 10,4 4,9 7,5 9,2

Taux de personnes seules 47,9 49,8 52,4 27,5 30,3 33,8 18,4 20,4 24,1

Source : RGP A l’inverse de l’accroissement des familles composées d’actifs qui n’a eu lieu qu’entre 1982 et 1990, les effets de l’éclatement des familles sont répartis sur l’ensemble du territoire : le taux de personnes seules et de familles monoparentales augmente partout. Il en résulte qu’une part plus grande de ses effets se situent en zone agglomérée et dans les territoires centraux denses, ce qui est à relier à la fois à la structure du parc de logements, à la rareté du foncier exploitable et aux règles urbaines contraignantes en zone centrale qui

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ne permettent pas de monter facilement des opérations à un prix accessible susceptibles de répondre aux besoins des familles58. La demande émanant des petits ménages y est donc plus naturellement satisfaite. Le travail des femmes, en diminuant le temps que les femmes peuvent consacrer aux activités domestiques, entraîne également l’expansion des services domestiques monétarisés. Ainsi, plus de 85 % des ménages où vit au moins un enfant non scolarisé, dont la mère est active occupée, ont recours à une aide extérieure pour la garde de leurs enfants, et 67 % d’entre eux font appel à un service payant59, pour environ 30 heures par semaine. Même parmi les ménages dont tous les enfants sont scolarisés, deux tiers d’entre eux ont recours à une aide extérieure en dehors des heures scolaires. Les gardes rémunérées sont particulièrement répandues quand la mère est cadre : 74,2 % contre 40,9 % des ouvrières. L’importance de ces écarts s’explique en fait à la fois par les ressources et le temps de travail plus élevés de cette catégorie socio-professionnelle, facteurs favorables à l’externalisation des tâches domestiques : 75 % des ménages dont le revenu mensuel est supérieur à 2668 euros font appel à une garde rémunérée. Ces aides peuvent être de différentes natures : assistantes-maternelles (45 %), crèches, halte-garderies, garde à domicile. Plus globalement, au plan national, les services domestiques de proximité (aide domestique, aide aux enfants de moins de 11 ans) concernaient 25% des ménages actifs en 1999. 15 % des ménages ont recours à des services domestiques monétarisés, qui représentent actuellement un marché de 6 milliards d’€ et 500 000 emplois équivalent-temps-plein, dont 3 milliards d’€ pour la garde d’enfants60. La proportion de ménages d’âge actif ayant eu recours à un service payant pour la garde des enfants s’est fortement accrue, de 28 % en 1996 à 35 % en 1999, les dépenses correspondantes ont augmenté de 1,2 milliard d’€. Cette pratique est plus répandue en Ile-de-France puisqu’en 1996, 35 % des ménages franciliens ayant des enfants de moins de 11 ans avaient recours à un service de garde rémunérée61. Le recours à une aide rémunérée pour les enfants est beaucoup plus répandu parmi les couples biactifs (47 %) que parmi les autres couples (19 %). La solution de garde la plus répandue après les aides gratuites, qui reposent sur la vitalité des solidarités familiales, est le recours à une assistante maternelle (15 % des ménages d’âge actif) tandis que l’usage des crèches reste encore peu répandu (9 %), en relation avec la faiblesse de l’offre publique. La consommation de services domestiques, résultant du développement de l’activité féminine, est toutefois tributaire de l’évolution des aides publiques, directes (Allocation de garde d’enfants à domicile, Allocation parentale d’éducation, modes de garde collectifs) ou indirectes (défiscalisation). Elle est d’autre part inégale selon les groupes sociaux, les territoires et les conditions de travail. Les familles monoparentales sont celles qui éprouvent le plus de difficultés à concilier leurs responsabilités domestiques avec la nécessité financière d’une intégration professionnelle, dans un contexte de précarisation de l’emploi. Le recours aux crèches est plus répandu parmi les cadres supérieurs (16 %) ou les 58 Ceci rejoint le constat fait précédemment d’une diminution de la taille des appartements construits depuis 1997. 59 Enquête emploi du temps 1998-1999, in « Une analyse du recours aux services de garde d’enfants », Economie et Statistique n°352-353, 2002. 60 « Les services de proximité se développent au profit des enfants », INSEE première, n°704, mars 2000 ; « Faire garder ses enfants : ce que les ménages dépensent », INSEE première, n°481, août 1996. 61 « Faire garder ses enfants : un choix contraint », Ile-de-France à la page, n°176, décembre 1999.

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diplômés du supérieur (19%) et dans les zones urbaines : dans l’agglomération parisienne, 21 % des parents utilisant un service de garde des enfants ont utilisé une crèche, contre 10 % en province. Les crèches, de fait, desservent mieux les zones urbaines que l’habitat périurbain ou rural. A l’inverse, les solidarités familiales sont plus actives chez les ménages moins diplômés ou aisés62. Les modes de garde existants s’avèrent parfois insuffisants, compte tenu des horaires de travail irréguliers ou décalés d’une partie des femmes, travaillant dans les secteurs des services aux personnes et aux entreprises (restauration, nettoyage, secteur hospitalier…), de l’inadaptation des horaires et des fréquences des transports, des heures d’ouverture des commerces. Pour 39 % des femmes ayant cessé de travailler pour pouvoir s’occuper de leur enfant, les horaires de travail étaient incompatibles avec la vie de famille63. De plus, l’accueil des très jeunes enfants est peu pris en charge par les structures collectives. Ces contraintes lourdes dans la gestion de la vie quotidienne peuvent conduire à des arbitrages difficiles entre vie professionnelle et vie familiale. Certaines femmes choisissent de privilégier la vie professionnelle au détriment de leur projet maternel et familial, d’autres renoncent à avoir un emploi pour pouvoir s’occuper de leurs enfants64. C’est le cas de 14 % des femmes65. Cet arbitrage est plus souvent réalisé par des femmes ouvrières ou employées, ou de faible niveau de diplôme (52 % d’entre elles seulement sont titulaires du bac, contre 70 % de celles qui choisissent de poursuivre leur activité)66. Les conditions d’intégration dégradées sur le marché du travail, au travers de contrats précaires ou mal payés, réduisent l’intérêt financier de continuer à travailler pour les personnes n’ayant pas les moyens financiers de recourir à une aide rémunérée. En effet, en restant à leur domicile, les femmes peuvent faire l’économie des frais de garde et de transport, tout en bénéficiant de l’Allocation parentale d’éducation et de la Prime d’accueil du jeune enfant. Ce motif financier est invoqué par 43 % des femmes ayant choisi d’arrêter de travailler. Mais un tiers d’entre elles le regrettent car il est plus difficile ensuite de retrouver du travail.

62 Enquête sur les conditions de vie et les aspirations des français, CREDOC, 1997, in « Les modes d’accueil des jeunes enfants : choix ou nécessité ? » 63 Source : DARES/CREDOC, exploitation de l’enquête Emploi 2002. 64 « Stratégies temporelles », in Diagonal, juillet-août 2001. 65 Source : Ministère des Affaires Sociales. 66 Source : DARES/CREDOC, exploitation de l’enquête Emploi 2002.

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6. Famille, fécondité

6.1 baisse tendancielle de la fécondité depuis 1965, amorce de reprise depuis 1995, recul de l’âge de la maternité

Après la période du baby-boom, la fécondité des françaises est en baisse tendancielle sur le long terme, depuis 1970: l’indicateur conjoncturel de fécondité s’élevait à 2,47 enfants par femme en 1970, pour atteindre 1,82 enfant par femme en 1978, puis 1,66 enfant par femme en 199467. Elle est cependant repartie à la hausse ces dernières années pour atteindre 1,88 enfant par femme en 2002, en parallèle avec la reprise économique temporaire constatée entre 1997 et 2001. Les flux de naissances ont retrouvé à partir de 2000 leur niveau de la fin des années 80 : 770 000 naissances en 2001 contre 726 000 en 1997. Pour disposer d’une vue d’ensemble de la fécondité, l’indicateur conjoncturel de la fécondité doit cependant être complété par d’autres indicateurs, tels que la descendance finale. En effet, l’âge de la maternité a reculé, il était de 29,5 ans en 2002, contre 26,5 en 1977, en liaison avec l’engagement croissant des femmes sur le marché du travail, le chômage et l’allongement de la durée des études, de sorte que les femmes rattrapent parfois leur retard de fécondité apparent dans les âges ultérieurs. Cependant, la descendance finale, mesurée pour les femmes ayant théoriquement achevé leur cycle de fécondité, donne pour l’instant des résultats similaires: 2,63 enfants pour les femmes nées en 1930, 2,08 enfants pour les femmes nées en 1962. Le nombre d’avortements déclarés a fortement augmenté entre 1976 et 1983, où il y a eu plus de 180 000 avortements, puis s’est stabilisé entre 160 000 et 170 000 par an à partir de 1986. Cependant, le taux d’avortements estimés, prenant en compte les avortements non déclarés, est en légère diminution tendancielle depuis 1976, de 34,8 à 30,3 % des naissances vivantes en 1997.

6.2 Diversification des comportements matrimoniaux et conjugaux : L’évolution des comportements matrimoniaux et conjugaux se traduit par la baisse tendancielle des mariages, la montée des formes d’union alternatives (union libre, PACS…), les mariages plus tardifs, le développement des mariages mixtes, la hausse des naissances hors mariage, l’accroissement des divorces, la multiplication des couples sans enfants, les personnes isolées et les familles monoparentales et recomposées..

Les tendances transversales orientées vers l’individidualisation, la diversification et la flexibilité sont aussi à l’œuvre dans le champ de la famille. Le modèle familial traditionnel est en déclin constant depuis le début des années soixante-dix. Le nombre de mariages baisse tendanciellement, malgré des mouvements irréguliers sur le court terme. Il s’est abaissé de 516 000 mariages en 1946 à 293 000 mariages en 1956, puis s’est de nouveau élevé jusqu’à 416 000 en 1972, avant d’entamer une nouvelle chute à 265 000 en 1987. Depuis, il reste globalement stable, variant entre 250 000 et 300 000 selon les années. Le taux de nuptialité suit à présent des mouvements cycliques sur des périodes d’environ quatre ans. Le statut des unions s’est par ailleurs diversifié au profit des mariages mixtes, des unions libres et des PACS. Les mariages mixtes représentaient 13,8

67 Source : INED

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% des mariages en 2002, contre 4,8 % en 1962. Il y a eu 31218 PACS en 2003, soit environ 11 % du volume des mariages. L’union libre est en progrès constant : la part des couples composés de deux célibataires passe de 3 à 12 % entre 1982 et 1999. Par ailleurs, les unions sont de plus en plus tardives, notamment en raison de l’allongement de la durée des études et du chômage pour l’accès au premier emploi, qui différent l’entrée dans la vie adulte. Ainsi, l’âge moyen au premier mariage est passé de 26 à 30 ans pour les hommes entre 1985 et 2000, et de 24 à 28 ans pour les femmes. A 35 ans, 20% des hommes et des femmes sont encore célibataires. Enfin, les unions deviennent aussi plus instables. Le taux de divortialité est tendanciellement en hausse, de 30 % en 1985 à 38 % en 2001. Conséquence de la plus grande précarité des unions, les familles monoparentales68 et recomposées, ainsi que les célibataires, sont de plus en plus nombreux. Le nombre de familles monoparentales a poursuivi sa hausse, de 1 602 000 en 1990 à 1 985 000 en 199969. Après une hausse de 19,3 % au cours de la période, elles représentent donc désormais 12 % des familles, et 7 % de l’ensemble des ménages. Célibataires et familles monoparentales représentent environ un tiers des ménages. Les familles recomposées se multiplient: la part des couples composés de personnes divorcées ou séparées évolue de 3 à 6 %. Mais les tendances orientées vers l’individualisation se manifestent aussi en ce que la vie en couple semble présenter de moins en moins d’attrait : de moins en moins de cohabitations se transforment en mariages, et les divorces sont de moins en moins compensés par les remariages ou les recompositions des familles. Par ailleurs, en lien avec l’érosion de la pratique religieuse, le mariage et la procréation sont de plus en plus dissociés : ainsi, les naissances hors mariage progressent très fortement, de 11,4 à 43,7 % des naissances entre 1980 et 2001. De même, la mise en couple n’entraîne plus automatiquement la fécondité : le nombre de familles sans enfants s’est élevé de 4,3 à 7,5 millions entre 1968 et 1999, soit +72,4 %. La fragilisation des liens conjugaux est un facteur supplémentaire du risque de pauvreté, pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants et qui se trouvent de surcroît en situation d’emploi précaire ou de chômage, mais aussi pour des hommes seuls de plus en plus fragilisés économiquement et psychologiquement. De plus en plus d’enfants se retrouvent ainsi en situation de pauvreté et ne vivent qu’avec un seul parent.

6.3 des ménages de plus en plus nombreux et petits : plus de ménages de une ou deux personnes, recul des ménages de plus de cinq personnes

Les évolutions des modes de vie, orientées vers l’individualisation et une fécondité plus réduite, combinées aux effets du vieillissement de la population (après le départ des enfants et/ou du conjoint, les personnes plus âgées vivent plus souvent seules ou accompagnées du seul conjoint), entraînent une explosion du nombre des ménages et une diminution de leur taille. Chez les personnes âgées, l’amélioration des conditions de santé et des soins autorise une autonomie plus longue à domicile et retarde le départ en institution. Alors que la croissance de la population est désormais très modérée, de 54,3 à 58,5 millions entre 1982 et 1999, soit 7,7 %, le nombre de ménages ne cesse de progresser, de 2,6 millions, soit 10,6 % pour la seule période 1990-99. La taille moyenne des ménages

68 Augmentation de 63 % en 20 ans. Elles sont constituées à 85 % de femmes. 69 13 % des enfants de moins de 15 ans sont élevés dans une famille monoparentale. « Des ménages de plus en plus petits », op cit.

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n’a cessé de diminuer depuis quarante-cinq ans70, de 3,19 en 1954 à 2,4 en 1999. Les petits ménages sont devenus beaucoup plus nombreux. Le nombre de personnes isolées n’a cessé de s’accroître71: 7,4 millions en 1999, soit 31 % des ménages, contre 3,2 millions en 1968, soit une hausse de 130 %. La vie en solitaire est inégalement répandue selon le sexe et l’âge. C’est entre 30 et 50 ans que le taux de personnes seules est le plus faible, autour de 10 %. A cet âge, les hommes vivent plus souvent seuls que les femmes, car les femmes fondent plus tôt un foyer. A contrario, après 50 ans, ce sont les femmes qui vivent de plus en plus souvent seules, car elles survivent à la mort d’un conjoint généralement plus âgé et elles ont plus de mal à retrouver un compagnon. Plus de la moitié des femmes de 80 ans et plus vivent seules. Beaucoup de personnes vivent également seules entre 25 et 30 ans, lorsqu’elles quittent le domicile familial et avant de se mettre en couple : le taux de personnes seules est alors un peu plus élevé chez les hommes, car leur mise en couple est plus tardive. D’autre part, c’est dans les grandes villes et parmi les cadres que la proportion de personnes seules est la plus élevée. 21 % des femmes cadres vivent seules, ainsi que un quart des parisiens, contre un dixième des habitants de la grande couronne. 44 % des personnes seules résident dans les centre-villes des pôles urbains contre 28 % de l’ensemble de la population. Les ménages de deux personnes se sont également accrus en passant de 4,2 à 7,4 millions, soit une progression de 75 %, tandis qu’à l’inverse les ménages de grande taille (5 personnes et plus) ont reculé de 37,5 % au cours de la période. Les couples sont de plus en plus souvent biactifs : ils constituent 57 % des couples avec enfants, et 45 % de l’ensemble des familles avec enfants.

6.4 Mutations de la parenté72 : un noyau familial plus restreint, une importance accrue de la relation mère/fille, accroissement des parentèles de plusieurs générations, un cadre protecteur.

Le nombre de parents proches d’un individu a peu changé depuis vingt-cinq ans. Toutefois la parentèle s’est allongée du fait de l’augmentation de l’espérance de vie. Elle a connu des évolutions qualitatives : importance croissante du lien mère/fille, augmentation des familles recomposées. Du fait d’une fécondité plus basse et de la centration sur la famille restreinte, le nombre de frères et sœurs, mais aussi de cousins, est plus faible. Par contre, aujourd’hui, un individu connaît plus souvent ses grands-parents et garde ses parents plus longtemps, en liaison avec le recul de la mortalité aux âges élevés. Un français sur quatre de 45 à 65 ans appartient ainsi à une parentèle composée de quatre générations. Dans le même temps, la demi-parenté s’étend avec les recompositions familiales. La parentèle de sang est ainsi doublée d’une parentèle d’alliance73, soit que l’enfant vive avec un seul de ses parents, et sa nouvelle compagne ou son nouveau compagnon, soit que l’enfant vive avec ses deux parents mais avec un demi-frère ou une demi-soeur. Cette situation concernait 1,6 million d’enfants en 1999, soit une augmentation de 11 % depuis 1990, et une famille avec enfant sur dix. Le lien mère/fille se renforce avec les familles

70 « Des ménages de plus en plus petits », Marie-France Cristofari et Géraldine LABARTHE, INSEE première n°789, Juillet 2001. 71 « Recensement de la population de 1999 : 7,4 millions de personnes vivent seules en 1999 », Mylène CHALEIX, INSEE première n°788, Juillet 2001. 72 La société française en tendances, 1975-1995, groupe Louis DIRN. 73 « 1,6 million d’enfants vivent dans une famille recomposée », INSEE première, n°901, Juin 2003.

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monoparentales : pour surmonter les contraintes contradictoires de leur métier et de leurs tâches éducatives, les mères célibataires font appel à leur mère pour les aider. Les grands-parents s’impliquent ainsi dans la garde des petits-enfants. La parenté joue un rôle social de plus en plus important. Ainsi, la famille est le cadre de sociabilité où les jeunes se sentent le mieux, aussi les décohabitations des enfants se font-elles généralement à proximité du domicile. Le désir d’autonomie n’a donc pas entamé l’intensité des liens entre générations, notamment les échanges économiques. Avec l’extension du salariat, l’héritage, plus tardif en raison de l’accroissement de l’espérance de vie, n’est plus un préalable à l’installation professionnelle mais continue à jouer un rôle de solidarité et de protection économique. Les aides des plus âgés vers les plus jeunes peuvent aussi prendre d’autres formes : argent de poche, achats d’équipements, achat d’un logement, services divers (bricolage, jardinage, cuisine, garde des enfants…).

6.5 Les évolutions des cycles de vie : des étapes retardées et plus irrégulières

Le cycle de vie, notion familière aux démographes, indique une séquence de vie que signale des évènements (familiaux, professionnels, résidentiels…) tels que la naissance d’un enfant, une mise en couple, la mort du conjoint. Cette notion est utile pour la compréhension des marchés du logement, des trajectoires résidentielles, des migrations locales, régionales ou interrégionales. Elle a d’importantes répercussions sur l’aménagement du territoire, les politiques du logement, les services et équipements. Rigoureusement, il n’y a pas un cycle de vie mais autant de cycles de vie que d’individus. Cependant, on peut identifier des étapes qui se produisent fréquemment et qui permettent de définir un cycle de vie « normal ». C’était vrai en particulier pendant les Trente Glorieuses où les modes de vie étaient relativement homogènes et les étapes de vie assez linéaires. Les comportements autorisaient donc une relative prévision en matière de logements et d’équipements, qui est aujourd’hui plus difficile. Les cycles de vie se sont en effet trouvés affectés par les transformations de la famille, l’évolution du marché de l’emploi, l’accroissement de l’espérance de vie, l’augmentation de la durée des études. En effet, au cours des trente-cinq dernières années, les évènements de la vie sont devenus moins linéaires et plus irréguliers, tant sur le plan du travail que sur celui de la vie personnelle, en raison de l’insécurité croissante du marché de l’emploi (développement de la flexibilité et de la précarité), du caractère plus aléatoire de la promotion professionnelle et de la fragilité croissante des unions. Par ailleurs, des décalages temporels se sont produits dans ces étapes. Ainsi, les étapes de l’accès à l’autonomie (départ de chez les parents, accès au premier emploi, formation d’un couple) sont retardées. La moitié des hommes vivent chez leurs parents jusqu’à l’âge de 24 ans, et la moitié des femmes jusqu’à 21 ans. Sans doute les relations moins conflictuelles entre générations ont-elles aussi une part dans cette évolution. L’âge au mariage et à la maternité se sont élevés, les divorces sont plus fréquents, le vieillissement est plus progressif et implique moins souvent de quitter le domicile familial pour partir en institution.

6.6 Démographie et famille en Ile-de-France: une fécondité plus élevée, plus de personnes seules et de familles monoparentales, moins de couples, des couples plus souvent bi-actifs

L’individualisation des structures familiales est plus avancée en Ile-de-France, en dépit d’une population plus jeune. Ainsi, la proportion de personnes seules s’élevait en 1999 à

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34,6 % des ménages74, contre 30,9 % en France entière. De même, 8,8 % des ménages étaient des familles monoparentales, contre 8 % en France entière. Elles représentaient 14,4 % des familles franciliennes, et seulement 12,3 % des familles de France métropolitaine. A contrario, seulement 54 % des ménages franciliens sont des couples, contre 58,9 % des ménages en France. Mais les couples franciliens sont plus souvent bi-actifs : c’est le cas de 50,9 % d’entre eux, et de seulement 44 % des couples en France métropolitaine. Il est connu que la composition des ménages varie en fonction de l’âge, correspondant aux différents étapes du cycle de vie. On pourrait donc penser en première approche que les différences de composition familiale en Ile-de-France pourraient être expliquées par la structure par âge de la population francilienne, différente de celle de la province. Or, un rapide calcul montre qu’il n’en est rien. Compte tenu de la structure par âge de la population francilienne, en appliquant les ratios nationaux, on trouve que l’Ile-de-France devrait comporter 60 % de couples, 29,5 % de personnes seules et 8,3 % de familles monoparentales, soit des structures familiales très proches de la moyenne nationale. Il semble donc demeurer un effet spécifique lié à « l’urbanité » de la région sur la composition des familles, dont les facteurs restent à interpréter : qualité de vie, hyperactivité et stress, volatilité des relations interpersonnelles, etc. Indicateurs démographiques comparés, Ile-de-France et France entière Ile-de-France France entière % de personnes seules parmi les ménages en 1999 34,6 % 30,9 %

% de familles monoparentales parmi les ménages 8,8 % 8 %

% de familles monoparentales parmi les familles 14,4 % 12,3 %

% de couples 54 % 58,9 % % de couples biactifs parmi les familles 50,9 % 44 %

Taux de natalité en moyenne annuelle pour la période 1990-99

15,3 ‰ 12,76 ‰

% de ménages de moins de 40ans 34,4 % 30,4 %

% de ménages de plus de 60 ans 26,6 % 33,3 %

Source :RGP Cependant, en dépit de structures familiales légèrement plus éclatées qu’en province, l’Ile-de-France est une région très féconde. 2,77 millions de naissances y ont été recensées entre 1982 et 1999, soit 21,7 % des naissances en France métropolitaine au cours de la même période. Le taux de natalité s’élève à 15,3 ‰ depuis 1990, contre 12,76 ‰ en France métropolitaine. L’écart de fécondité entre l’Ile-de-France et la France s’est creusé depuis 1990, avec 22,4 % des naissances au cours de la période. L’Ile-de-France est aussi une région globalement plus jeune: 34,4 % des ménages franciliens ont moins de 40 ans et seulement 26,6 % plus de 60 ans, contre respectivement 30,4 et 33,3 % des ménages métropolitains.

74 Source : RGP 1999.

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6.7 répercussions sur la structure urbaine et la demande résidentielle

L’évolution des structures familiales a des répercussions sur la structure urbaine, la division démographique de l’espace en fonction de la taille des ménages, sur une opposition centre/périphérie, se superposant à la division sociale de l’espace par quadrants. La diminution de la taille des ménages se traduit par une augmentation du nombre de ménages à population constante, mais l’augmentation des ménages ne reflète que la demande résidentielle satisfaite. Les articles et débats faisant état d’une pénurie de logements en zone centrale de l’agglomération parisienne semblent indiquer que l’explosion du nombre des petits ménages engendre une forte demande résidentielle dans les centre-villes, en particulier une demande locative, aujourd’hui en partie insatisfaite. Dans le même temps, l’augmentation des familles monoparentales ou recomposées entraîne une demande de logements plus grands pour pouvoir héberger les enfants ou l’autre parent après une séparation, qui débouche sur une garde alternée ou des visites périodiques. Les difficultés par rapport au logement sont également financières. Ces difficultés financières viennent grever les conditions de vie des ménages modestes. Les petits ménages défavorisés, orientés vers le parc privé par la structure du patrimoine, subissent des taux d’effort plus élevés75. Leur faible solvabilité les exclut en effet du parc locatif social et les oriente vers le parc privé de mauvaise qualité (notamment les logements inconfortables, insalubres ou «indécents»). En Ile-de-France, et notamment à Paris, des familles nombreuses modestes sont contraintes de cohabiter dans des petits logements dans le parc locatif privé, compte tenu du niveau élevé des loyers libres. Cela donne lieu à des situations de suroccupation localisées76, bien qu’en moyenne la quantité d’espace disponible par personne se soit accrue sur longue période.

75 De fortes disparités existent ainsi dans les loyers selon le statut d’occupation dont bénéficie le ménage. En 1996, pour la location d’un logement d’une pièce en Ile-de-France, un ménage payait 226 € dans le secteur HLM pour un logement de 32 mètres carrés, et 366 € dans le secteur libre pour un logement de 26 mètres carrés. La rente différentielle dont bénéficie le ménage logé dans le secteur public va grandissant avec la taille du logement. Pour un logement de cinq pièces ou plus, un ménage payait 373 € en HLM et 1181 € dans le secteur libre. L’aplatissement du spectre des loyers dans le secteur HLM et l’abondance des grands logements explique l’attractivité particulière de ce parc pour les familles modestes. A contrario, la rareté des petits logements dans le secteur HLM freine l’entrée des petits ménages défavorisés qui se sont multipliés, et restent souvent dans le parc privé en payant des loyers plus chers. Or, en Ile-de-France, le taux d’effort net des locataires était en 1996 de 21,9 % en loyer libre pour 12,9 % en HLM (source : ENL 96). 76 Il est à noter que, en 1999, 22 % des ménages du premier quintile de revenu par unité de consommation sont des ménages de cinq personnes et plus, alors qu’ils ne représentent que 10 % du total des ménages.

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7. Sentiment d’insécurité, délinquance, recherche de l’entre soi

Les différentes sources corroborent une progression globale de la délinquance, et une progression plus forte de la délinquance violente, qui reste toutefois minoritaire. Les zones urbanisées, et notamment l’Ile-de-France, sont moins sûres que le milieu rural. L’habitat collectif et les jeunes sont plus souvent touchés. Le sentiment d’insécurité, lié à l’expérience personnelle, est plus étendu que l’insécurité réelle, mesurée sur une année L’évolution de la teneur des débats politiques atteste d’une sensibilité accrue de l’opinion et des pouvoirs publics à la question de « l’insécurité ». Toutefois, cette notion, faussement homogène, recouvre en fait des réalités distinctes, qui ne se recoupent pas entièrement, également complexes et difficiles à appréhender. Il conviendrait à tout le moins de distinguer délinquance et sentiment d’insécurité77. Les évolutions de la délinquance et du sentiment d’insécurité ne sont pas nécessairement liées. En effet, une grande partie des infractions classées comme crimes et délits ne créent pas nécessairement de victimes, et ne participent pas, de ce fait, à la construction du sentiment d’insécurité perçu par les individus. A l’inverse, certains comportements individuels, qualifiés « d’incivilités », peuvent contribuer au sentiment d’insécurité sans pour autant être considérés comme délictueux par la police et donner lieu à des poursuites. Le sentiment d’insécurité peut aussi résulter de la précarité des conditions de vie, qu’elles soient liées à la situation professionnelle, à l’environnement physique et social, ou aux trajectoires personnelles et familiales. La mesure statistique de l’évolution des crimes et délits est aujourd’hui appréhendée par différentes sources, dont les objets, le statut et le sens ne sont pas identiques: les statistiques policières et judiciaires, les enquêtes de victimation de l’INSEE, les autres sources institutionnelles. Les enquêtes de victimation permettent également d’approcher le sentiment d’insécurité. L’évolution des chiffres de la délinquance, publiés par le Ministère de l’Intérieur, reflète en partie l’évolution réelle des crimes et délits, mais aussi la propension des victimes à déposer une plainte, ainsi que l’intensité de l’activité policière, elle-même dépendante des priorités des services. En effet, une grande partie des infractions n’est pas signalée aux services de police. Les statistiques de police et de gendarmerie recensent les « faits constatés » par ces services et transmis à la justice pour traitement, dans un document baptisé « état 4001 ». Données générales sur les crimes et délits : hausse des « faits constatés », en particulier les faits avec violence 1975 2000 Nombre de « faits constatés » (millions) 1,3 3,6 Part des infractions créant des victimes sans violence 87 % 82 %

Part de la délinquance violente 6 % 10 % Source : Etat 4001

77 « Les statistiques de la délinquance », in France, portrait social 2002/2003, INSEE.

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Le nombre total de faits constatés semble indiquer une explosion de la délinquance au cours du dernier quart de siècle : il s’élevait à 3,6 millions en 2000, alors qu’il n’était que de 1,3 million en 1975, soit une multiplication par plus de 2,5 au cours de la période78. Cependant, les évolutions sont contrastées selon le type d’infractions. La plus grande partie des crimes et délits est toujours constituée par les infractions qui créent des victimes mais sans violence, notamment les vols sans violence. Cette part, de 82 % en 2000, tend toutefois à reculer depuis 1975, où elle était de 87 %, au profit de la délinquance violente, qui s’est élevée de 6 à 10 % de l’ensemble des faits constatés au cours de la même période. Sur la période récente, entre 1995 et 2000, le nombre des faits constatés ayant fait des victimes sans violence est resté stable, autour de 3 millions, tandis que le nombre de faits violents s’est élevé de 300 000 à 365 000, soit une progression de 22,1 %. La progression de ce type de délinquance joue sans doute un rôle central dans la perception de l’insécurité. Les enquêtes de victimation79 fournissent depuis 1996 des estimations de la délinquance très supérieures à celles des statistiques policières (environ 6 millions de faits évoqués). Selon l’enquête, des plaintes ne seraient déposées auprès des services de police que pour 28 % des agressions. Ces enquêtes ont toutefois une dimension subjective, liée au sens que les personnes enquêtées attribuent aux vocables qui servent à catégoriser les faits dont elles ont pu être victimes, ainsi qu’à la manière dont elles interprètent les évènements. Cependant, les résultats de ces enquêtes, au cours de la période récente, confirment la tendance générale observée par le moyen des statistiques policières. En 1996, 5 % des adultes de 25 ans et plus déclaraient avoir subi une agression ou des actes de violence au cours de l’année passée80. Les vols sans violence ont reculé de 14 % entre la période 1995-97 et la période 1998-2000, les agressions ont progressé de 35 %. Cependant, cette progression apparente de l’insécurité dissimule elle-même des réalités diverses. Une partie des agressions peut en effet ne consister qu’en menaces ou injures. De plus, l’insécurité ne correspond pas nécessairement à l’image anonyme qui peut en être faite. Ainsi, environ la moitié des victimes d’agressions physiques déclarent en connaître l’auteur. La délinquance ne frappe pas également toutes les catégories de populations. Les populations les plus jeunes sont les plus touchées. Ainsi, en 2000, 9,5 % des personnes âgées de 15 à 19 ans déclaraient avoir subi une agression au cours de l’année passée, contre 0,2 % des personnes âgées de plus de 80 ans. Ces différences tiennent en partie à l’habitat plus urbain des jeunes. En effet, 7,4 % des habitants de cités ou grands ensembles disent avoir subi une agression au cours de l’année, contre 2,7 % des habitants extérieurs à l’agglomération. Les hommes sont également davantage soumis à la violence que les femmes. Par contre, on n’observe pas d’influence de la catégorie sociale sur l’exposition à la violence. Cependant, la nature des risques encourus diffère. Tandis que les plus modestes sont plus exposés à des violences de la part de personnes connues, dans le logement ou sur le lieu de travail, les personnes plus aisées ne connaissent généralement pas leur agresseur, et l’agression intervient plus fréquemment à l’occasion d’une atteinte aux biens.

78 Ce chiffre n’inclut pas les infractions de circulation routière, ni celles constatées par les services spécialisées (douanes, impôts, etc.). Les enquêtes de victimation et les statistiques judiciaires, à l’inverse, n’excluent pas de crimes et délits. Par ailleurs, certaines infractions ne sont pas signalées, et, lorsqu’elles le sont, elles ne donnent pas nécessairement lieu à un signalement judiciaire et ne sont pas, de ce fait, enregistrées dans l’état 4001. 79 Enquête permanente sur les conditions de vie des ménages (EPCV). 80 « Insécurité et sentiment d’insécurité », INSEE première n°501, Décembre 1996.

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Le taux d’agressions est particulièrement élevé à Paris. Ainsi, en 1996, 12 % des parisiens déclaraient avoir été victimes d’une agression au cours de l’année passée, contre 3 % des habitants en zone rurale, et 5 % des habitants de l’agglomération parisienne, hors Paris. Les enquêtes de victimation permettent également d’approcher le sentiment d’insécurité, nettement plus étendu que les agressions réellement subies au cours de l’année. En 1996, 13 % des adultes avaient peur de sortir seuls le soir dans leur quartier. 11 % des adultes éprouvaient un sentiment d’insécurité au domicile. Le sentiment d’insécurité est toutefois fortement corrélé à l’expérience personnelle vécue par les personnes enquêtées. Ainsi, 22 % des personnes victimes d’une agression et 23 % de celles ayant été témoin d’une agression ont peur de sortir seules le soir, contre respectivement 13 et 12 % pour celles qui n’ont pas vécu ces situations. On observe toutefois des écarts notables entre l’appréciation subjective de l’insécurité et l’insécurité réelle, mesurée par la victimation. Le sentiment d’insécurité est plus répandu en milieu urbain, mais c’est dans l’agglomération parisienne, hors Paris, qu’il est le plus élevé (19% des personnes avaient peur de sortir seules le soir en 1996), alors que ce taux n’est que de 14 % à Paris, soit l’équivalent des agglomérations de province, bien que ce soit à Paris que le taux d’agressions est le plus élevé. Le sentiment d’insécurité est également plus fort chez les personnes du premier quartile de revenu (25 %) que chez les personnes du 4e quartile (17 %), bien qu’elles ne subissent pas en moyenne plus d’agressions. On peut y voir un effet indirect de la précarisation sociale, économique et psychologique des couches modestes. L’insécurité objective, ainsi que le sentiment d’insécurité, sont donc plus affirmés en région parisienne que dans les autres régions. L’Ile-de-France est la deuxième région pour la criminalité après PACA, avec un taux de criminalité de 97,1 ‰ en 200181. La délinquance a progressé de 18 % depuis 1990. Les crimes et délits contre les personnes ont doublé au cours de la même période. Paris et les quartiers difficiles sont les plus touchés. Le niveau élevé d’insécurité contribue à une dégradation de la qualité de vie et à un recul de l’attractivité de l’Ile-de-France. Une enquête menée par l’IAURIF sur la victimation et le sentiment d’insécurité des franciliens82 indique que 39 % des enquêtés souhaitaient en 2001 voir l’insécurité placée au 1er rang des préoccupations des pouvoirs publics. En Ile-de-France, les agressions ont davantage lieu dans les transports en commun, et dans la rue le soir. 30 % des franciliens ont peur de sortir dans l’espace public. Insécurité, sentiment d’insécurité et préoccupations pour la sécurité sont plus importants à Paris, notamment en raison de la fréquence des sorties nocturnes, et dans les quartiers en difficulté. Le sentiment d’insécurité est très fort chez les femmes (4,7 fois plus répandu que chez les hommes), qui ont peur de sortir seules, car elles redoutent notamment la possibilité d’une agression sexuelle. Paradoxalement, le sentiment d’insécurité des franciliens grandit aussi avec l’âge, bien que les plus âgés soient les moins exposés à la violence. A l’inverse, les jeunes, beaucoup plus souvent exposés à la violence, notamment en milieu scolaire pour les moins de 20 ans, et dans les transports en commun, pour les 20-24 ans, se disent moins préoccupés par l’insécurité. Cette dernière catégorie de population est aussi très fortement utilisatrice des transports en commun.

81 « Note rapide sur le bilan du SDRIF : aménagement, urbanisme et sécurité », IAURIF, n°314. 82 « Note rapide de l’IAURIF, l’insécurité en Ile-de-France : quelles populations, quels territoires », Février 2002

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Le thème de la sécurité n’était pas réellement abordé par le SDRIF de 1994. Compte tenu de la forte attente exprimée par les citoyens en la matière et des niveaux élevés de délinquance en Ile-de-France, notamment à Paris, ainsi que dans certaines banlieues difficiles, la sécurisation des espaces publics, notamment la rue et les transports en commun, revêt à présent un caractère stratégique qui pourrait mériter d’être intégré dans le futur schéma directeur, à l’instar de Londres ou de Toronto83.

83 « Note rapide sur le bilan du SDRIF, aménagement, urbanisme et sécurité », n°314, IAURIF

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8. Le vieillissement de la population

8.1 Mesurer le vieillissement : définitions de la vieillesse, besoins en maisons de retraite, soins, aides au maintien à domicile.

Lorsqu’on se réfère au « vieillissement » de la population, il est généralement fait allusion à l’accroissement de la part des plus de 60 ans dans l’ensemble de la population. La proportion de personnes de 60 ans ou plus s’est ainsi élevée de 10 % en 1860 à 21 % en 1960 pour les femmes, elle devrait atteindre 30 % en 204084. A contrario, la proportion de jeunes de moins de 20 ans a régressé de 34,2 % en 1966 à 25,8 % en 1998. Cette évolution a d’importantes répercussions économiques, dans la mesure où l’âge de la retraite a peu évolué. Elle se traduit en particulier par un accroissement de la part des inactifs âgés (de 8,4 à 11,9 millions de personnes entre 1970 et 1995, soit de 38 à 45 % du volume de la population active) au sein de la population totale85. Cette part devrait s’élever à 63 % en 2020. Pour être compris, le « vieillissement » de la population doit être resitué dans son contexte historique et démographique. Il exprime principalement la conjonction d’une fécondité durablement faible et d’un progrès continu de l’espérance de vie, dont résulte une déformation vers le haut de la pyramide des âges et un déséquilibre durable du rapport entre la population active et la population inactive. Espérance de vie, évolution au cours du vingtième siècle 1900 1996 Espérance de vie masculine 43,4 74 Espérance de vie féminine 47 82 L’espérance de vie s’est ainsi accrue de 43,4 à 74 ans pour les hommes et de 47 à 82 ans pour les femmes, de 1900 à 199686. Le taux de mortalité féminine à 60 ans a diminué de 79 % depuis 1905 et celui des hommes de 56 %. De ce fait, les générations aujourd’hui à la retraite jouissent de leur retraite plus longtemps. Espérance de vie à 60 ans, projection en 2020 1970 2020 Espérance de vie masculine à 60 ans 16 23 Espérance de vie féminine à 60 ans 21 28 L’espérance de vie à 60 ans s’élèverait en effet de 16 à 23 ans pour les hommes entre 1970 et 2020, de 21 à 28 ans pour les femmes. Ce phénomène est accentué par le volume de la population vieillissante, car les générations nées durant la période de fécondité élevée, dite

84 « Penser le vieillissement de la population dans l’avenir proche », in « Le Défi de l’âge, les conséquences du vieillissement de la population », volume 1, IAURIF, n°121, 1998 85 « Economie : le poids du vieillissement », in « Le défi de l’âge, les conséquences du vieillissement de la population », 1998. 86 « Penser le vieillissement de la population dans l’avenir proche », in « Le Défi de l’âge, les conséquences du vieillissement de la population », volume 1, IAURIF, n°121, 1998

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du « baby-boom », qui s’étend de 1945 à 1975, avancent en âge tandis que leur succèdent des générations beaucoup moins nombreuses. Cette notion d’usage courant ne fait pourtant pas l’unanimité, dans la mesure où les conditions de vie, les ressources, l’état de santé des personnes retraitées d’aujourd’hui ne sont déjà plus comparables à la situation des générations précédentes. La vieillesse est donc une notion relative87, variable dans le temps et dans l’espace. Les générations qui vont arriver à la retraite prochainement ont bénéficié quant à elles d’une amélioration des conditions de vie matérielles, d’un progrès économique et social sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Le fait de retenir un seuil d’âge constant pour juger de l’entrée dans la vieillesse peut donc paraître arbitraire ou superficiel88. Compte tenu de l’accroissement de l’espérance de vie, avoir 60 ans aujourd’hui ou en 2050 ne signifie pas la même chose. En effet, l’ensemble du cycle de vie se trouvant décalé, les personnes retraitées d’aujourd’hui sont en meilleure santé et plus actives que par le passé. Elles peuvent de ce fait rester autonomes et vivre à leur domicile plus longtemps, avant d’être prises en charge par une institution spécialisée dans l’accueil des personnes âgées en fin de vie. Diverses solutions en termes d’habitat, d’hébergement ou de services permettent de soutenir l’autonomie des personnes âgées89. L’âge médian d’entrée « en institution » est ainsi passé de 72 à 80 ans pour les hommes et de 79 à 84 ans pour les femmes, entre 1966 et 198690. Cet âge reste constamment entre les âges auxquels il reste cinq et dix ans d’espérance de vie. Age moyen d’entrée en structure d’hébergement collective, hommes et femmes 1966 1986 Age d’entrée en institution pour les hommes 72 80 Age d’entrée en institution pour les femmes 79 84 Aussi plusieurs chercheurs proposent-ils de renouveler les approches du vieillissement, en s’appuyant sur l’étude des tables de mortalité et de l’apparition des diverses formes d’incapacités liées au grand âge. Il est ainsi possible de prendre comme critère du vieillissement le nombre d’années restant à vivre, sur la base d’une espérance de vie projetée pour une génération. Avec cette définition et un seuil de dix ans restant à vivre, l’âge d’entrée dans la vieillesse serait aujourd’hui de 70 ans pour les hommes, et 77 ans pour les femmes. Mieux, avec cette définition, la proportion de personnes « vieilles » serait restée stable au cours du temps, autour de 10 %, jusqu’en 1985, et baisserait depuis. Selon d’autres auteurs, il conviendrait de considérer un indicateur comme l’espérance de vie sans incapacité91, la principale crainte des retraités étant la perte d’autonomie liée à la dégradation de l’état de santé. C’est aussi à partir du moment où ces incapacités se 87 « Penser le vieillissement de la population dans l’avenir proche », Patrice BOURDELAIS, « L’âge limite de la vieillesse », Andrée MIZRAHI et Arié MIZRAHI, in « Le défi de l’âge, les conséquences du vieillissement de la population », Cahiers de l’IAURIF n°122 88 « La relativité de l’âge », in « Le Défi de l’âge, les conséquences du vieillissement de la population, volume 1 », IAURIF, n°121, 1998 89 « Le maintien des personnes âgées dans leurs lieux de vie : l’exemple des plans locaux « Habitat services » », in op.cit, volume 2 90 « Vieillissement et destin de la population âgée en institution », Agnès Quivet-Catherin, 1996 91 « L’âge limite de la vieillesse », in op cit.

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manifestent que les besoins en matière de santé s’accroissent fortement. Ainsi, l’âge à partir duquel 23,5 % de personnes sont à « validité restreinte » s’est élevé de 65 à 67,5 ans entre 1980 et 199192. Les personnes âgées vivent de moins en moins longtemps en état d’incapacité. Ainsi, entre 1981 et 1991, l’espérance de vie sans incapacité des hommes a progressé de 3 ans, contre 2,5 ans pour l’espérance de vie. Toutefois, si les problèmes liés à la dépendance et à la perte d’autonomie, ainsi que les difficultés en matière de santé, sont retardés, ils s’accroissent tout de même fortement en volume et il importe de les prendre en compte dans une approche prospective. Le nombre de personnes au-delà d’un certain âge s’accroît d’autant plus fortement que l’âge est avancé. A l’heure actuelle, seule une faible part de la population âgée vit en institution : les solidarités familiales sont encore actives, et une partie des personnes âgées peut également bénéficier des aides professionnelles aux personnes dépendantes ou ayant besoin de soins à leur domicile, qui sont en croissance rapide. En 1994, seulement 13 % des personnes âgées de plus de 75 ans et 27 % des plus de 85 ans vivaient dans une structure collective. Extension des services domestiques 1982 1992 Nombre de personnes âgées franciliennes bénéficiant d’une aide ménagère à domicile 390 000 470 000

D’une infirmière à domicile 11 000 45 000 D’autre part, 470 000 personnes âgées franciliennes disposaient d’une aide ménagère à domicile en 1992, contre 390 000 en 1982. 45 000 personnes bénéficiaient d’une infirmière à domicile, contre 11 000 en 1982. Le potentiel d’expansion de ces aides est très élevé, car elles restent aujourd’hui encore relativement limitées. Ces aides permettent cependant à une partie des personnes en situation de dépendance de continuer à vivre à domicile, ce qui constitue d’ailleurs un souhait exprimé par une grande partie d’entre elles93. Si l’âge moyen d’entrée en maison de retraite tend à s’accroître, c’est également le cas du nombre de personnes dépendantes au domicile. Taux d’équipement en structures d’hébergement pour personnes âgées Ile-de-France France entière Taux d’équipement en structures d’hébergement 147 ‰ 174 ‰

Taux d’équipement en places médicalisées 47 ‰ 59 ‰ Malgré l’expansion des solutions alternatives d’aide au maintien à domicile, la fréquentation des structures d’hébergement continue de progresser. La capacité d’accueil était estimée à 645 000 places en 1996, dont 136 000 places médicalisées. L’Ile-de-France apparaissait alors comme une région nettement sous-équipée, avec un taux de 147 places pour 1000 personnes âgées de 75 ans et plus, dont 47 places médicalisées, contre respectivement 174 et 59 places en France entière. En termes prospectifs, les besoins à couvrir dépendront de l’évolution de l’effectif des personnes âgées, que les projections démographiques permettent d’ores et déjà d’anticiper fortement à la hausse, et de l’état de santé des personnes âgées. En Ile-de-France, la hausse

92 Enquête décennale sur la santé et les soins médicaux, in « l’âge limite de la vieillesse », op cit. 93 « La prise en charge des problèmes de santé chez les personnes âgées », in op.cit

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des personnes âgées devrait être très forte en grande couronne. L’état de santé tend quant à lui à s’améliorer sur le long terme. Personnes auxquelles il resterait cinq ou dix ans à vivre en Ile-de-France 1975 2030 2050 5 ans 75 000 110 000 200 000 10 ans 300 000 500 000 700 000 On peut en première approche retenir comme critère la population ayant une espérance de vie de 5 ou 10 ans comme seuils minimum et maximum de l’entrée en institution, pour évaluer les besoins de santé et de prise en charge de la dépendance liés au vieillissement de la population. En Ile-de-France94, la population à laquelle il resterait 5 ans à vivre passerait de 75 000 personnes en 1975 à 110 000 en 2030, puis augmenterait fortement jusqu’en 2050, où elle atteindrait 200 000 personnes. Le nombre de personnes auxquelles il resterait 10 ans à vivre s’élèverait de 300 à 500 000 personnes jusqu’en 2030, puis à 700 000 personnes en 2050. Les besoins supplémentaires à couvrir en Ile-de-France en matière d’aide au maintien à domicile ou de prise en charge de la dépendance par la création de places médicalisées pourraient donc être évalués en première approche à 250 000 personnes d’ici 2030. Cependant, on ne dispose pas réellement de données sur l’état de santé des personnes maintenues à domicile. Ces données restent par ailleurs soumises à des hypothèses qui peuvent se transformer radicalement : conditions sociales, capacité du système de santé à répondre aux besoins, maintien des solidarités intergénérationnelles. En tout état de cause, quelle qu’en soit l’ampleur exacte, l’expansion des besoins liés à la dépendance est certaine et plaide pour un développement simultané et cohérent de l’ensemble des solutions de prise en charge qui peuvent jouer des rôles complémentaires : services et soins à domicile, structures d’hébergement, places médicalisées.

8.2 des retraités plus riches, en meilleure santé et plus mobiles que par le passé, ayant un accès croissant aux loisirs et à la consommation

Evolution des revenus, comparaison actifs et inactifs âgés Inactifs âgés Actifs Progression du revenu en moyenne annuelle 1970-1995 5 % 1,9 %

Progression annuelle du revenu par tête 3,6 % 1,2 % Revenu par tête en 1995 21 900 € 21 200 € Part des revenus du patrimoine dans l’ensemble des revenus 31 % 14 %

Ainsi qu’il a été souligné, la position et le rôle des personnes âgées dans la société s’est profondément transformé. Le partage du revenu national entre les actifs et les retraités s’est déformé au profit des retraités. Entre 1970 et 1995, le revenu des retraités a progressé deux fois et demie plus vite que celui des actifs95. Le revenu des inactifs âgés a progressé de 5 %

94 « Franciliens âgés de demain : entre le boom et l’incertain », Mariette SAGOT, in Cahiers de l’IAURIF, Op cit. 95 « Economie : le poids du vieillissement », in op.cit

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par an en moyenne au cours de la période, contre 1,9 % pour les actifs, de sorte qu’il représentait 32 % du revenu disponible des ménages, et 47 % du revenu des seuls actifs, en 1995, contre respectivement 18 et 22 % en 1970. Le revenu par tête des inactifs a quant à lui progressé de 3,6 % par an, contre 1,2 % pour les actifs, au point de dépasser celui des actifs (21 900 €, contre 21 200 €). Une grande partie du revenu des inactifs âgés est en fait constitué par les revenus du patrimoine (31 % du revenu disponible, contre 14 % pour les actifs). Le poids croissant du revenu des inactifs parmi les revenus distribués 1970 1995 Revenu des inactifs âgés en proportion du revenu disponible des ménages 18 % 32 %

Revenu des inactifs âgés en proportion du revenu des actifs 22 % 47 %

8.2.1 une mobilité qui décroît avec l’âge mais les nouvelles générations de seniors sont plus mobiles que les précédentes

Les personnes âgées, moins mobiles que les actifs, sont pourtant de plus en plus mobiles. En 1991, la mobilité décroissait des âges faibles aux âges élevés, de 4 déplacements par jour à 40 ans, jusqu’à 2 déplacements par jour après 75 ans, en passant par 3 déplacements quotidiens à 60 ans96. Il n’y avait pas, cependant, d’effet de seuil lié au passage à la retraite à 60 ans. Le nombre de déplacements quotidiens tendait même à rester stable au-delà de cet âge. La chute de la mobilité pour des motifs professionnels était compensée par la hausse des mobilités personnelles et de loisirs. Les distances de déplacements diminuaient aussi avec l’avancée en âge. Ainsi, la distance par déplacement s’abaissait de 6 km à 40 ans à 2 km pour les plus de 75 ans. Pour les mêmes âges, la distance parcourue quotidiennement s’abaissait de 23 à 4 km. Le temps consacré aux déplacements s’abaissait également en allant vers les âges élevés. Par ailleurs, les choix de modes se transformaient, au profit des déplacements non motorisés pour les âges élevés, essentiellement la marche, tandis que l’usage de la voiture régressait des plus jeunes vers les plus âgés. D’autre part, au sein des transports collectifs, l’usage des modes ferrés (train et RER) diminuait au profit de l’autobus (de 20 % des déplacements TC pour les 40 ans à 58 % pour les plus de 75 ans). Les comportements de mobilité étaient aussi caractérisés par une érosion forte des pointes matinales après le passage à la retraite. Toutefois, l’effet de l’âge sur la mobilité était nettement moins élevé en Ile-de-France. Ainsi, le nombre de déplacements par personne et par jour ne chutait que de 3,53 à 2,1 entre 45 et 75 ans en Ile-de-France, de 3,3 à 1,3 en France entière. Les personnes âgées y étaient ainsi mobiles plus longtemps. La comparaison des EGT successives permettait de mettre en relief l’évolution des comportements de mobilité des seniors d’une génération à l’autre. Il apparaît que les « seniors » sont de plus en plus mobiles et l’écart avec les personnes d’âge actif tend à se réduire. L’effet d’âge est tempéré par un effet de génération. A un âge donné, le niveau de mobilité des seniors s’accroissait, et plus vite que celui des actifs. De moins en moins de personnes étaient exclues de la mobilité. Ainsi, après 75 ans, le taux de personnes mobiles

96 Source : EGT 1991, in « La mobilité des seniors en Ile-de-France », Le défi de l’âge, volume 2, Cahiers de l’IAURIF. Ces chiffres seront à réactualiser avec l’EGT 2001.

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a progressé de 29 % entre 1983 et 1991. D’autre part, le nombre de déplacements quotidiens par personne s’est élevé de 9 % pour les personnes de 60 ans et de 19 % pour les personnes entre 68 et 71 ans au cours de la même période. La distance quotidienne, enfin, a progressé de 32 % pour les 60-63 ans et de 62 % pour les 68-71 ans, contre 16 % seulement pour les 40-60 ans. La progression de la mobilité d’une génération à l’autre s’effectue surtout au profit de la voiture individuelle (+100 % de déplacements en voiture pour les 68-71 ans, + 85 % pour les 72-75 ans, contre respectivement +22 % et +17% pour les transports publics), pour des motifs personnels ou de loisirs (+48 % pour les motifs de loisirs pour les 72-75 ans). La progression de la voiture individuelle tient à ce que de plus en plus de personnes âgées sont en mesure de l’utiliser. En 1991, 77 % des hommes de 60 à 75 ans disposaient du permis de conduire et d’une voiture, contre 65 % en 198397. De fait, l’arrivée à la retraite de générations nombreuses accoutumées à l’usage de l’automobile transforme les comportements de mobilité des personnes âgées. Hors Paris, où la densité et l’accessibilité des transports collectifs sont exceptionnelles, ce phénomène joue en défaveur des transports collectifs qui bénéficiaient jusque-là d’une clientèle âgée et captive, peu familiarisée avec l’usage de la voiture. La proportion de personnes de plus de 75 ans sans voiture pourrait ainsi chuter de 72 % en 1980 à 40 % en 201098. Le vieillissement de ces générations qui ont contribué à l’étalement urbain, et qui habitent aujourd’hui dans le tissu pavillonnaire de grande couronne, contribue aussi à ce phénomène. Ces territoires étant mal desservis par les transports en commun, la voiture est pour eux le seul moyen véritablement efficace d’accès aux transports et aux services dont ils ont besoin. Le recul de la part des distances parcourues en transport en commun par les personnes de 65 à 74 ans serait ainsi de 54 à 39 % entre 1980 et 2010 pour les personnes habitant à Paris, et de 35 à 19 % pour les personnes habitant en grande couronne. Vis-à-vis des transports collectifs, et principalement du réseau ferré qu’ils délaissent au profit des bus et de la voiture individuelle, les « seniors » expriment par ailleurs des attentes en matière de qualité de service. Ces attentes portent plus particulièrement sur la sécurité (71 % des personnes de plus de 60 ans expriment un sentiment d’insécurité), l’accessibilité, le confort, la convivialité99 et les services connexes au transport, notamment des services d’aide à la mobilité. Ces services doivent prendre en compte la nouvelle image que les seniors ont d’eux-mêmes : ils se sentent jeunes et autonomes. Ils se montrent par ailleurs insatisfaits de la desserte et de la fréquence des liaisons entre banlieues et en dehors des jours ouvrables. En résumé, les évolutions de la mobilité des « seniors » seront caractérisées par un accroissement de la mobilité globale de ces tranches d’âge, la prépondérance de la voiture individuelle dont la part continuera de s’accroître en grande couronne, l’accroissement des déplacements pour motifs personnels ou de loisirs, une érosion de la pointe du soir. Leurs attentes vis-à-vis des transports en commun portent sur la qualité de service et la sécurité, plus que sur la régularité et la fiabilité de la desserte, plus décisive pour les actifs engagés dans la vie professionnelle. Elles sont également d’ordre relationnel. Ces tendances ne sont pas véritablement spécifiques à cette tranche d’âge mais reflètent plutôt les comportements

97 « Equipement et multi-équipement en automobile des ménages franciliens », Catherine MANGENEY, IAURIF, op.cit, volume 2 98 Projections INRETS, in « Les nouveaux captifs de l’automobile », op cit. 99 « L’ensemble de la clientèle profitera à terme des actions engagées par la RATP en direction des seniors », in op.cit, volume 2

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et la demande de la majorité de la clientèle, notamment la génération du baby-boom, la plus nombreuse et aujourd’hui vieillissante. Ces transformations sont défavorables au système de transports collectifs dans la mesure où celui-ci n’est pas organisé pour répondre efficacement à une mobilité diffuse dans l’espace et dans le temps, mais pour acheminer des « navetteurs » entre le lieu de domicile et le lieu de travail. Les problèmes seront donc essentiellement qualitatifs (dispersion des mobilités sur le territoire et étalement dans le temps) et appelleront à une meilleure gestion des réseaux existants, mais aussi localement quantitatifs, car la répartition des trafics sur les réseaux s’en trouvera modifiée avec une poursuite de la croissance des trafics en grande couronne. La pratique de loisirs des 60 ans et plus est pour l’instant moins développée que celle de la moyenne des français100. En 1989, trois quarts des français étaient sortis au moins une fois dans l’année, contre seulement la moitié des plus de 60 ans. Leurs pratiques de loisirs sont davantage centrées sur le domicile : ils font moins de sports, vont moins aux spectacles que la moyenne des français. Par contre, ils passent plus de temps devant la télévision ou à lire, ou encore à bricoler ou jardiner. Cet effet d’âge recouvre cependant en partie un effet de génération. Les générations actuellement les plus anciennes ont vécu dans une société dominée par les valeurs liées au monde du travail tandis que les générations qui arriveront à la retraite prochainement ont connu et ont largement contribué à l’expansion de la société des loisirs et de la consommation. Par ailleurs, la retraite, plus souvent vécue comme le moment privilégié de l’épanouissement personnel, en raison du temps libre qu’elle met soudainement à la disposition des personnes, est propice à la multiplication des activités. Les pratiques culturelles tendent en effet à se répandre parmi les « seniors », en particulier en région parisienne. Le taux d’inscription aux bibliothèques a ainsi triplé chez les hommes de plus de 60 ans entre 1973 et 1988101. On observe également dans cette tranche d’âge une fréquentation croissante des cinémas, des spectacles, des expositions ainsi qu’une accoutumance progressive à l’usage des nouvelles technologies. Les retraités jouent d’autre part un rôle actif dans les solidarités générationnelles. Ainsi, les grands-parents tendent à garder les petits-enfants pendant les vacances des parents, et secondent activement les parents dans les fonctions éducatives. Ils assurent également une solidarité financière lorsque les enfants rencontrent des difficultés.

8.3 Le vieillissement en Ile-de-France

8.3.1 Une croissance ralentie par affaissement graduel de l’excédent naturel, sauf dans les régions du sud

Accroissement démographique, Ile-de-France et France entière 1850-1962 1962-1999 Ile-de-France + 27 % + 26 % France entière + 275 % + 29 % Source : RGP L’évolution de la population française de 1851 à 1999 comporte deux périodes distinctes : de 1851 à 1962, la population française n’a augmenté que de 27 %, alors que, de 1962 à 1999, soit en seulement 37 ans, elle a augmenté de 26 %. La forte croissance de la population française après guerre correspond à l’émergence des générations dites du «

100 « Les loisirs des aînés : effet d’âge ou de génération », in op.cit, volume 2. 101 « L’âge du temps libre », in op.cit, volume 2

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baby-boom », provoquée par une forte hausse de la fécondité après une longue période de dépression démographique. En comparaison, la population francilienne s’est accrue de 275% entre 1850 et 1962, et de seulement 29 % entre 1962 et 1999. La croissance de la région parisienne a donc anticipé celle de la France : après avoir été extrêmement forte dans une période de dépression démographique nationale, sous l’effet d’un exode rural massif, elle s’est accrue pendant la période récente au même rythme que la province, de sorte que le poids démographique de l’Ile-de-France s’est stabilisé autour de 20 %. Cette évolution s’accompagne de fortes disparités régionales : les régions qui ont le plus drainé la croissance démographique entre 1962 et 1999 sont au sud : PACA (+60%), Languedoc-Roussillon (+48%), Rhône-Alpes (+40%). La croissance de la population francilienne ne se maintient aujourd’hui que par un solde naturel élevé, lié à sa jeunesse relative, qui compense légèrement les effets très lourds du déficit migratoire. Les projections de l’INSEE, fondées sur une prolongation des tendances actuelles102, dessinent une perspective de croissance nettement ralentie, de seulement 9% pour les cinquante années à venir, qui résultera de l’effondrement de l’excédent naturel. En effet, les décès s’accroîtront graduellement à mesure que la génération du baby-boom vieillira, tandis que les naissances diminueront sensiblement, en raison des effets cumulés sur longue période d’une fécondité inférieure au seuil de renouvellement des générations. Toutefois, en volume, la croissance de la population francilienne restera tout de même élevée, à hauteur de 1,1 million d’habitants.

8.3.2 -Une jeunesse relative de la région qui devrait perdurer…

Projection de la part des plus de 60 ans dans la population, Ile-de-France et France entière

1999 2050 Ile-de-France 16 % 23,6 % France entière 22 % 33,7 % Selon les mêmes hypothèses, le poids de l’excédent naturel francilien dans l’excédent naturel métropolitain ne devrait cesser de s’accroître. Après être passé de 10 à 42 % de l’excédent national en quarante ans, il en atteindrait 70 % en 2030. Cette évolution, caractéristique des très grandes métropoles103, est liée à la jeunesse relative de la population francilienne, à laquelle contribue la structure des échanges migratoires avec la province et l’étranger, qui entraîne un excédent de personnes en âge de fécondité, mais aussi à un taux de fécondité supérieur à celui de la province. En effet, le solde migratoire est déficitaire à tous âges, sauf entre 20 et 30 ans où il est excédentaire. D’autre part, les apports migratoires en provenance de l’étranger sont généralement jeunes (entre 20 et 40 ans) et entretiennent le niveau de fécondité. De ce fait, le taux de personnes âgées de plus de 60 ans est aujourd’hui de 16 % en Ile-de-France, contre 22 % en France entière. Cette jeunesse relative devrait logiquement se prolonger et même s’accentuer. En 2050, l’écart avec la province serait de 10 points au lieu de 6 actuellement. Le poids de la population de plus de 60 ans en Ile-de-France progresserait de 8,1 points entre 2005 et 2050 pour atteindre 23,6 % en 2050, contre 12,9 points en France, où elle atteindrait 33,7 %. Les migrations de l’Ile-de-France avec la province auraient pour effet de diminuer de 1,25

102 Indicateur conjoncturel de fécondité à 1.8 enfant par femme, solde migratoire de + 50 000 avec l’étranger, conservation des particularités régionales en matière de fécondité, de mortalité et de solde migratoire. 103 Elle est observée également à Londres.

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million de personnes l’accroissement de la population francilienne de plus de 60 ans d’ici 2050.

8.3.3 …Mais l’Ile-de-France vieillira quand même.

Bien que relativement jeune, l’Ile-de-France, comme toutes les autres régions, vieillira. L’effectif des personnes de plus de 60 ans devrait s’élever de 1,7 à 3,3 millions de personnes de 1995 à 2050104. Cette croissance s’accélèrera fortement à partir de 2005. La proportion des plus de 60 ans serait de 24,9 % en 2030. Ce sont les populations aux âges les plus avancés qui progresseront le plus fortement. Ainsi, la population francilienne de plus de 75 ans devrait progresser de 500 000 à 1 500 000 personnes d’ici 2050, et la population de plus de 85 ans de 200 000 à 600 000 personnes. Outre les facteurs précédemment énoncés, la structure des flux migratoires tend à se modifier dans le sens d’un vieillissement. Ainsi, l’intensité des arrivées en Ile-de-France entre 15 et 40 ans a fortement diminué entre les deux derniers recensements, sous l’effet conjoint du développement des universités et des emplois en province, tandis que les départs se sont accrus aux mêmes âges et se sont ralentis autour de 65 ans. Cela s’explique notamment par une baisse de la proportion des natifs de province ainsi que par l’accroissement des personnes installées en Ile-de-France dans le périurbain et déjà propriétaires de leur logement.

8.3.4 Des variantes de ce scénario : solde migratoire accru avec l’étranger, ralentissement des migrations de retraite.

Dans un scénario où le solde migratoire de la France avec l’étranger serait de + 100 000, la croissance atteindrait 14 %. La population francilienne s’élèverait alors à 13,3 millions d’habitants en 2050. Cette croissance resterait malgré tout modeste par rapport à celle des quarante dernières années. Un scénario d’accroissement des flux migratoires provoquerait un rajeunissement de l’Ile-de-France, compte tenu de la structure des arrivées de l’étranger, sans compter les effets induits sur la fécondité. Un second scénario postule une baisse de l’intensité des départs vers la province après 55 ans, s’appuyant sur le constat d’une très nette diminution des départs au moment de la retraite entre les deux derniers recensements. La proportion de plus de 60 ans serait alors beaucoup plus élevée. Compte tenu de l’arrivée à la retraite des générations du baby-boom, ce scénario conduirait à 500 000 personnes de plus en Ile-de-France en 2050. Les projections de population reposent cependant sur un jeu d’hypothèses au plus probables, mais non pas certaines. Si l’on admet que l’avenir n’est pas écrit dans le marbre, il est intéressant de considérer les variables qui entrent en jeu dans ces hypothèses et la sensibilité des projections aux variations possibles de ces paramètres.

8.3.5 Des incertitudes économiques

Les hypothèses migratoires régionales sont issues de la période 1982-99, mixant deux périodes très hétérogènes : de 1982 à 1990, une période de forte croissance économique régionale avec une création d’emplois nette de 37000 par an en Ile-de-France, sur 79000 en France entière, qui s’est traduite par une réduction sensible du déficit migratoire à 38000 personnes par an; a contrario, une période économique défavorable de 1990 à 1999, où les créations d’emplois nettes en Ile-de-France se sont réduites, où le déficit migratoire s’est creusé. Les échanges migratoires de l’Ile-de-France sont donc sensibles aux contextes 104 « Franciliens âgés de demain : entre le boom et l’incertain », op.cit

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économiques respectifs de l’Ile-de-France et de la province. Or, le contexte économique francilien est lui-même beaucoup plus sensible à la conjoncture internationale, et les variations de l’emploi sont de ce fait plus brutales qu’en province. Le scénario retenu correspond à une hypothèse moyenne de croissance molle, la plus vraisemblable compte tenu des périodes contrastées des vingt dernières années. Il peut cependant être utile d’envisager des ruptures radicales. Si l’on envisageait une hypothèse de croissance économique soutenue pendant trente ans, ou inversement une récession durable, l’évolution démographique régionale en serait évidemment bouleversée, sauf à supposer une croissance sans emplois. Ces hypothèses renvoient à des affichages politiques : volonté de développement économique régional, ou rééquilibrage du territoire national. Des facteurs plus structurels peuvent également avoir une influence : à long terme, décentralisation et déconcentration relativisent la prééminence politico-économique de l’Ile-de-France qui tendrait à ne conserver que les fonctions «stratégiques». De même, le développement des universités en province limite les «montées» à Paris pour les études, et incite les entreprises, qui bénéficient désormais de personnel local qualifié, à s’installer en régions. La croissance démographique des régions tend à être davantage liée aux mouvements migratoires, la fécondité se maintenant à un niveau peu dynamique. Or, ces migrations ne sont pas que le fait des retraités mais proviennent également des actifs, plus spécifiquement des jeunes familles avec enfants. D’autre part, traditionnellement, les redémarrages économiques comme les récessions sont plus accentués en Ile-de-France qu’en province. Or, de 1997 à 2001, le redémarrage économique semble avoir été, en termes de créations d’emplois, moins fort que prévu.

8.3.6 Des incertitudes sur la mortalité et l’espérance de vie

Au niveau national, des hypothèses différenciées de mortalité conduisent à une incertitude de 3 millions sur le nombre de personnes de plus de 60 ans, qui se situera entre 21 et 24 millions à l’horizon 2050. La mortalité aux âges avancés est susceptible d’évoluer selon la performance du système de soins ou encore selon les conditions sociales. Ces effets ne jouent pas à court terme, étant pour l’instant recouverts par les effets du vieillissement de la génération du baby-boom, qui a connu des conditions économiques favorables, ainsi qu’une amélioration de la santé et du bien-être. Cependant, les générations suivantes ont subi une dégradation relative du marché du travail qui aura probablement des répercussions sur leur espérance de vie105. Certaines données montrent en effet l’influence des conditions sociales sur l’espérance de vie : ainsi, les ouvriers ont une espérance de vie inférieure à celle des cadres supérieurs, en raison d’une mortalité supérieure aux âges avancés.

8.3.7 Des incertitudes sur les comportements résidentiels : diffusion des résidences secondaires, des doubles résidences, des migrations saisonnières, moindre propension au départ des retraités, mieux logés, plus souvent natifs de l’Ile-de-France, plus souvent propriétaires ou habitant en maison individuelle

La pratique de la migration de retraite des franciliens est ancienne et de grande ampleur. Ainsi, parmi les retraités parisiens de 1972, 25 % avaient quitté Paris trois ans après leur retraite106. Ils sont en cela deux fois plus nombreux à quitter leur ville que les habitants des villes de province. Ce taux de départs est particulièrement élevé chez les couples et parmi 105 « Penser le vieillissement de la population dans l’avenir proche », in « Le défi de l’âge, les conséquences du vieillissement de la population », IAURIF, 1998 106 « Les migrations de retraite des parisiens », Françoise CRIBIER, in op.cit, volume 2

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les classes moyennes. Par ailleurs, les migrations de retraite des parisiens sont à plus longue distance que celles des provinciaux : 340 km en moyenne contre 100 km pour les habitants des unités urbaines de plus de 200 000 habitants, hors Paris. Ils s’installent en particulier dans le littoral ou l’espace rural, dans les régions de l’ouest et du sud de la France ainsi que dans la région Centre et le Bassin parisien. Le tropisme de ces régions tend à se renforcer, indiquant une prééminence accrue de l’attrait de la qualité de vie dans les comportements résidentiels, au détriment de l’attachement à des « racines ». Cependant, le taux de départ des jeunes retraités parisiens recule depuis 1982, en particulier parmi les couches moyennes et supérieures. Les migrations ne diminuent pourtant que de 2,6 % en volume entre 1982 et 1990 en raison de l’arrivée à la retraite de générations plus nombreuses. L’évolution des comportements résidentiels est cependant incertaine. Certains ménages possèdent des résidences secondaires d’origine familiale qui se transforment en résidences principales à la retraite. D’autres personnes âgées, qui ont pu bénéficier dans leur jeunesse de certains avantages résidentiels à Paris (logement en loi de 1948, résidence en HLM, logements de fonction) au moment où la politique du logement leur était favorable ont investi dans des résidences secondaires en province. Mais il est moins nécessaire que par le passé de quitter l’Ile-de-France pour pouvoir bénéficier des avantages de la province. On observe aujourd’hui un développement des résidences secondaires, des doubles résidences, des migrations saisonnières qui permettent de développer des comportements alternatifs à une migration définitive. D’autre part, pour les personnes encore actives, les trente-cinq heures permettent en effet de diversifier les choix entre rester ou partir en y substituant toute une gamme de solutions intermédiaires exploitant le temps libéré. Les comportements résidentiels s’avèrent également reliés à l’évolution des modes de vie en matière de cohabitation conjugale. La vie en couple est de plus en plus répandue parmi les « seniors », mais elle prend des formes de plus en plus diversifiées : cohabitation simple, cohabitation intermittente (alternance entre des périodes de cohabitation et des périodes de vie seule, repérable également chez des ménages plus jeunes), cohabitation alternée (ce sont des couples qui vivent continûment ensemble mais alternativement chez l’un ou l’autre des concubins107). Ces modes de cohabitation correspondent à un souhait accru d’indépendance personnelle et d’autonomie individuelle. Ces comportements nouveaux, tout comme la double résidence, contribuent à diversifier les choix en fournissant des solutions intermédiaires entre rester en Ile-de-France et partir en province, mais aussi à réduire la fluidité du marché du logement. Les personnes âgées sont de plus en plus souvent propriétaires, habitent de plus en plus souvent en maison individuelle, et en grande couronne, où elles bénéficient de la proximité de la nature. En relation avec l’amélioration de leurs conditions de logement, les retraités franciliens expriment de moins en moins souvent le souhait de quitter la région. On constate de fait un recul de la propension au départ des jeunes retraités franciliens (60-68 ans), de 21,8 % pour la période 1975-82 à 19,7 % pour la période 1982-90. Cette tendance semble se poursuivre en 1990-99, où on peut évaluer le taux de départs des jeunes retraités franciliens à 15 ou 16 %108. On peut donc imaginer qu’à l’avenir les retraités resteront probablement davantage en Ile-de-France, en alternant les séjours en

107 « Les « nouveaux » couples âgés : mono-résidence et double résidence », in op.cit, volume 2. 108 « Les migrations internes en France de 1990 à 1999 : l’appel de l’Ouest », Economie et Statistique n°344,2001.

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province. Par ailleurs, nombre de personnes retraitées n’abandonnent pas complètement leur activité mais continuent à exercer des missions, notamment de conseil. Les populations concernées par ce type d’activités sont relativement nombreuses en Ile-de-France. Une autre réserve tient à la pertinence des limites régionales. Il faudrait en effet prendre en considération les ménages qui partent de l’Ile-de-France pour résider à ses franges, dans les départements et régions voisines du Bassin Parisien, par exemple dans l’Oise, l’Eure-et-Loir, ou le Loiret, pour bénéficier d’un habitat de meilleure qualité, et qui travaillent en Ile-de-France. Sans habiter en Ile-de-France, ces personnes font toutefois partie du système urbain métropolitain. Ces personnes sont de plus en plus nombreuses, car la hausse des prix immobiliers et des loyers conduit à se loger de plus en plus loin des centres d’activité. La sphère d’influence de l’Ile-de-France dépasse donc nettement les limites régionales. Les évolutions des modes de vie sont d’autant plus fortes que les populations sont moins captives et disposent de revenus plus élevés. Les comportements résidentiels des personnes âgées, qui seront déterminants, dépendent aussi des réseaux sociaux et familiaux. On peut penser que les personnes âgées chercheront à rester près de leur famille et de leurs amis en Ile-de-France, surtout après 80 ans. De ce point de vue, l’importance de la jeunesse et de la population active franciliennes sont plutôt un facteur tendant à freiner les migrations de retraite. Plus généralement, sous l’effet du vieillissement de la population, la mobilité résidentielle diminuera tendanciellement, ainsi que la fluidité du marché du logement. En effet, la mobilité résidentielle diminue tendanciellement avec l’âge, du fait d’une stabilisation de la situation professionnelle et conjugale et d’une plus grande satisfaction à l’égard des conditions de logement. On observe d’autre part un phénomène de « retour au centre » : la population des centre-villes, après avoir perdu 0,4 % par an entre 1970 et 1982, a de nouveau progressé de 0,5 % par an entre 1982 et 1990109. Certains aspects de la pénurie du logement actuelle peuvent sans doute être reliés à une réduction de la fluidité du marché du logement dans la « zone dense », où la construction s’avère plus difficile, sous l’effet du recul de la mobilité lié au vieillissement. D’un autre côté, l’instabilité familiale et professionnelle croissante conduisent à une hausse de la demande de mobilité aux âges actifs, et la diminution de la taille des ménages à un accroissement des besoins des jeunes professionnels, qui trouvent de moins en moins de solutions viables sur le marché actuel, en particulier en locatif dans la zone centrale. Mais même une partie des couples biactifs sont à nouveau attirés par la ville-centre, correspondant à un choix de mode de vie urbain. La mobilité résidentielle des personnes âgées, qui disposeront à l’avenir d’un pouvoir d’achat supérieur à celui des actifs, est susceptible d’avoir de profondes répercussions économiques sur la localisation des services aux ménages, les marchés de consommation et l’immobilier, et semble de ce fait constituer un enjeu majeur en termes « d’économie résidentielle »110. Elles sont aussi susceptibles de former des communautés locales politiquement puissantes qui oeuvreraient dans le sens d’un certain malthusianisme et risqueraient de constituer un frein pour la mise en œuvre des réponses aux besoins des générations plus jeunes.

109 « Le renouveau du commerce de proximité et le nouveau marketing des seniors », in op.cit, volume 2 110 « La territorialisation des personnes âgées », Laurent DAVEZIES, in op.cit, volume 2

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8.3.8 La territorialisation du vieillissement en Ile-de-France111 : des situations locales beaucoup plus contrastées que les évolutions à l’échelle régionale.

A l’échelle communale, les effets spatiaux du vieillissement en Ile-de-France seront sans doute très contrastés. Il est déjà possible d’observer le processus de vieillissement entre 1962 et 1999. Une partie des communes franciliennes a toujours été « grisonnante ». Ce sont pour l’essentiel des petites communes rurales avec une proportion élevée d’agriculteurs, mais aussi les arrondissements riches de Paris et des communes aisées jouxtant Paris. Dans d’autres communes, le processus de vieillissement est plus récent. Ce sont notamment des communes qui se sont fortement urbanisées dans les années cinquante et soixante, et où une partie de la population vieillit sur place. Dans les communes comportant une part élevée de logements en propriété occupante, l’âge des occupants est relié à l’époque de construction. La mobilité des propriétaires étant moins élevée que celle des locataires, la population de ces communes tend en effet à vieillir sur place. C’est pourquoi les communes urbanisées les premières connaissent un vieillissement précoce. Certaines communes rajeunissent, par exemple les arrondissements de l’est de Paris, mais aussi des communes aux confins de l’Ile-de-France, atteintes par la périurbanisation. Ces communes se caractérisent par un fort taux de construction neuve, notamment des maisons individuelles qui ont entraîné l’installation de jeunes familles avec enfants. Certaines communes d’urbanisation récente sont très jeunes. Il s’agit notamment de communes situées en villes nouvelles. Dans les arrondissements de l’est de Paris, les personnes âgées décèdent, ce qui provoque, compte tenu de la structure du parc (forte proportion de studios et de deux pièces), un rajeunissement de la population. Les communes de banlieue en grande couronne, où ont emménagé les générations du baby-boom, vont vieillir durablement, compte tenu de l’accroissement de l’espérance de vie et du faible renouvellement de la population. Un vieillissement sur place s’observe également dans le parc HLM dû à la captivité des habitants. Le vieillissement de la population aura des conséquences importantes sur l’aménagement de la région parisienne, qui devront faire l’objet de travaux de prévision approfondis. Des comportements de retour vers les centre-villes sont possibles après le départ des enfants du domicile, la mort d’un conjoint, ou encore après une séparation, une maison individuelle devenant alors un habitat inutilement spacieux. L’attrait des centre-villes pour les personnes âgées s’accroît aussi à mesure que leur mobilité décroît et qu’elles deviennent dépendantes de la proximité des commerces, équipements et services. Elles peuvent enfin souhaiter rompre avec l’isolement et se rapprocher de leur famille. Ces tendances risquent à terme d’aggraver la pénurie de logements dans la zone dense, tout en libérant des opportunités en grande couronne pour l’accession à la propriété. Le maintien d’une mobilité et d’une autonomie accrue à des âges avancés devraient cependant retarder partiellement ces effets.

111 « La carte du vieillissement de la population en Ile-de-France », Philippe LOUCHART, op cit.

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9. La mobilité quotidienne évolue qualitativement : progression de la voiture individuelle, des déplacements plus lointains, plus souvent en dehors des heures de pointe, de banlieue à banlieue, pour des motifs non professionnels. La demande porte désormais sur le développement du réseau de banlieue et la qualité de service.

Le nombre de déplacements par jour ouvrable en Ile-de-France a progressé de 31 à 35 millions entre 1991 et 2001112. La croissance de la mobilité globale depuis 1991 résulte essentiellement de l’accroissement de la population francilienne de plus de six ans, évaluée à 6 %. En revanche, la mobilité individuelle a peu varié : le nombre de déplacements réalisés par un francilien un jour de semaine est resté stable, autour de 3,5 déplacements par jour, depuis 1976113. De même, la durée des déplacements quotidiens reste stable, autour de 22 mn en 1976, 24 mn en 2001. Toutefois, la durée des déplacements augmente pour chaque motif de déplacement. Par exemple, la durée des déplacements entre le domicile et le lieu de travail a évolué de 31 mn en 1976 à 36 mn en 2001. La durée moyenne des déplacements reste stable parce que la répartition des déplacements par motifs s’est modifiée au profit des motifs d’ordre personnel. Les déplacements liés au travail ou aux affaires professionnelles reculent ainsi fortement, de 1,38 par francilien en 1976 à 1,14 en 2001, au profit des affaires personnelles ou des autres motifs, qui progressent de 1,62 à 1,82. La répartition des déplacements individuels entre les modes s’est modifiée au profit de la voiture individuelle. Chaque francilien effectuait ainsi 1,54 déplacement quotidien en voiture en 2001, contre 1,13 en 1976, alors que le nombre de déplacements en transports en commun n’a pas changé : 0,68 en 2001, comme en 1976. Les déplacements individuels réalisés à pied ou en deux-roues ont par contre fortement régressé.

112 Source : EGT 1991, 1997, 2001 113 « Plus de la moitié des déplacements des franciliens pour leurs affaires personnelles et leurs loisirs », INSEE Ile-de-France, n°231, décembre 2003.

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Evolution des principales caractéristiques de la mobilité individuelle quotidienne un jour ouvré entre 1976 et 2001 1976 2001 Nombre de déplacements quotidiens 3,5 3,5 Durée moyenne par déplacement quotidien 22 mn 24 mn

Durée des déplacements domicile-travail 31 mn 36 mn Nombre de déplacements liés au travail ou aux affaires professionnelles 1,38 1,14

Nombre de déplacements liés aux affaires personnelles ou autres motifs 1,62 1,82

Nombre de déplacements en voiture 1,13 1,54 Nombre de déplacements en TC 0,68 0,68 Distance moyenne de déplacement (à vol d’oiseau) 3,7 km 5 km

Distance moyenne de déplacement domicile-travail 6,6 km 9,8 km

Source : EGT Grâce à l’accroissement de la vitesse des transports, les déplacements sont aussi de plus en plus lointains114. La distance moyenne des déplacements a ainsi régulièrement augmenté, de 3,7 km en 1976 à 5 km en 2001. Cette progression est particulièrement sensible pour les modes mécanisés individuels (deux-roues et automobile), surtout depuis 1991. Les distances les plus élevées sont celles parcourues pour les déplacements entre le domicile et le lieu de travail, de 6,6 km en 1976 à 9,8 km en 2001. Cette progression des distances entre domicile et activité professionnelle contribue à la dynamique de l’étalement urbain. Structure géographique de la mobilité : une forte croissance des flux entre banlieues 1976 1983 1991 2001 Déplacements internes à la banlieue 61,6 % 64 % 66,7 % 69,2 %

Déplacements internes à Paris 25,4 % 22,8 % 20 % 18,7 %

Déplacements entre Paris et sa banlieue 13 % 13,2 % 13,3 % 12,1 %

Source : EGT (l’enquête 1997, dont les résultats sont sujets à caution, a été volontairement omise de ce tableau) La structure géographique de la mobilité s’est transformée. La croissance de la mobilité globale porte désormais sur les déplacements de banlieue à banlieue, qui ont augmenté de 30 % depuis 1976, pour représenter 69 % de l’ensemble des déplacements en 2001, contre 62 % en 1976. A l’inverse, les liaisons internes à Paris reculent en valeur absolue de près de 15 % entre 1976 et 2001. Les échanges entre Paris et sa banlieue ont augmenté de près de 10 % jusqu’en 1991, puis ont reculé de 4,6 % depuis 1991. Les déplacements entre Paris et la grande couronne ont même reculé de plus de 10 %. Depuis 1991, les progressions les plus fortes concernent les liaisons internes à la petite couronne (+9,2 %) et les liaisons internes à la grande couronne (+11,8 %). Ce phénomène reflète le desserrement 114 Mesurés ici à vol d’oiseau. La distance réellement parcourue est supérieure.

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simultané de l’emploi et de l’habitat vers la grande couronne. Mais seulement 15 % des déplacements de banlieue à banlieue sont des déplacements en transports collectifs. L’accroissement de la part des déplacements de banlieue à banlieue, qui accompagne le mouvement de périurbanisation, profite donc à l’accroissement de la part de la voiture individuelle. Les choix modaux en 2001: transports en commun et marche à pied à Paris, voiture en grande couronne Paris Petite couronne Grande couronne Part modale de la voiture 18 % 41 % 59 % Part modale des transports en commun 32 % 20 % 13 %

Part modale de la marche à pied et des deux-roues 49 % 38 % 28 %

Taux d’équipement automobile des ménages 47 % 72 % 85 %

Nombre moyen de véhicules par ménage 0,54 0,96 1,32

Source : EGT De fait, la part des déplacements effectués en voiture individuelle varie fortement selon le lieu de résidence. A Paris, 49 % des déplacements s’effectuent à pied ou en deux roues, et un tiers en transports en commun, contre seulement 18 % en voiture. A l’inverse, en grande couronne, près de 60 % des déplacements s’effectuent en voiture. L’équipement automobile des ménages est aussi fortement contrasté au sein de la région : alors qu’à Paris, 53 % des ménages ne disposent d’aucune voiture, ce taux n’est que de 15 % en grande couronne. Selon les projections de l’INRETS, ces contrastes devraient s’accentuer. La croissance de la mobilité porte également sur les déplacements locaux, les déplacements en dehors des heures de pointe (heures creuses, la nuit, le week-end) et pour des motifs autres que domicile-travail. Ainsi, les déplacements pour affaires personnelles ou loisirs ont progressé de 12 % entre 1991 et 2001, contre 6 % pour l’ensemble des déplacements, jusqu’à représenter 52 % des déplacements quotidiens en 2001, contre 48 % en 1991. En comparaison, les déplacements entre le domicile et le travail n’ont progressé que de 2,8 %. La mobilité individuelle liée aux études, au travail et aux affaires professionnelles a régressé : de 1,87 déplacement par jour et par personne en 1976 à 1,67 en 2001. Ces évolutions sont liées à plusieurs facteurs : - la généralisation de la mobilité. La mobilité des femmes, des personnes retraitées, des personnes souffrant d’un handicap, s’accroît et tend à s’aligner sur celle des hommes actifs. Ces dernières utilisent de plus en plus la voiture individuelle. La motorisation croissante des femmes est liée à la fois à leur activité professionnelle, aux activités domestiques et parentales qui leur incombe encore davantage qu’aux hommes. - du fait de l’accroissement du temps libre, du vieillissement de la population, de la mise en place des trente-cinq heures, la part de la mobilité non professionnelle s’accroît. La distinction entre mobilité professionnelle et non professionnelle est d’ailleurs rendue plus difficile par le chaînage des activités par les individus qui cherchent à optimiser leur temps.

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- L’étalement urbain contribue à disperser les lieux des activités quotidiennes des individus sur le territoire et à l’accroissement des déplacements de banlieue à banlieue La diversification des déplacements favorise a priori la voiture individuelle. La structure radiale du réseau de transports collectifs, conçu à l’origine pour une fonction de transport entre le domicile et le lieu de travail, nécessaire à l’activité économique de la région, son extrême concentration dans Paris et l’organisation urbaine favorisent de fait l’usage de la voiture individuelle en banlieue, pour les déplacements qui ne concernent pas Paris. Le desserrement de l’emploi et de la population hors de Paris (forte croissance de la population en grande couronne), l’aménagement polycentrique, la construction des grandes rocades routières (A86, francilienne…) et le manque de rocades ferroviaires favorisent de fait la croissance des déplacements de banlieue à banlieue en voiture individuelle. De fait, on constate que l’accroissement de la mobilité se fait principalement au profit des modes motorisés, et au détriment des transports collectifs, jusqu’en 1997. Ainsi, entre 1991 et 1997, le nombre de déplacements en voiture particulière en Ile-de-France a augmenté de 15,5 %, et les déplacements en transports en commun de seulement 2,55 %, de sorte que la part modale de la voiture particulière s’est encore renforcée, avec 44,8 % des déplacements quotidiens, contre 18,5 % pour les transports en commun. La part de la voiture particulière s’est cependant stabilisée depuis 1997, pour s’établir à 44 % des déplacements en 2001. L’équipement automobile des franciliens progresse sensiblement115, de 63 à 71 % des ménages entre 1982 et 2001. La progression du multi-équipement, de 12 à 31,5 % des ménages, est encore plus sensible, en particulier en grande couronne, où il progresse de 20 à 39,3 % des ménages. Ces tendances se sont cependant infléchies depuis 1997. Outre une stagnation de la part modale de l’automobile, les transports en commun se sont également stabilisés depuis 10 ans avec environ 20 % des déplacements, ce qui reflète une progression plus forte des déplacements en transports collectifs (+160 000 depuis 1991). La part modale de la marche à pied et des deux roues est repartie à la hausse pour atteindre 36 % des déplacements en 2001, dont 34 % pour la seule marche à pied. La proportion de personnes vivant dans un ménage sans voiture a ainsi augmenté à Paris depuis le début des années 1990. Les écarts d’équipement et d’usage de l’automobile entre Paris et la grande couronne tendent ainsi à s’accroître, témoignant du choix de modes de vie de plus en plus contrastés. La progression régulière de la part modale de la voiture individuelle, au détriment des transports en commun, à l’exception de la période la plus récente, invite à s’interroger sur les efforts à entreprendre pour améliorer l’attractivité de ces derniers. Selon un sondage réalisé auprès des franciliens par le CSA116, leurs attentes vis-à-vis des transports en commun portent sur la sécurité (pour 43 % des franciliens), la ponctualité (40 %), les liaisons de banlieue à banlieue (36 %), la fréquence (31 %), la desserte (18 %), le confort (14 %). 76 % des franciliens jugent assez mauvais à très mauvais le rapport qualité/prix des transports en commun. Les nouveaux comportements de mobilité et les nouvelles attentes suggèrent quelques pistes pour la politique des transports et des déplacements : ils appellent en effet à une

115 « Equipement et multi-équipement automobile des ménages franciliens », Catherine MANGENEY, IAURIF 116 Sondage réalisé pour l’AMIF auprès d’un échantillon de 500 personnes de 18 ans et plus constitué selon la méthode des quotas.

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réflexion de fond à la fois en termes d’organisation du réseau d’infrastructures, avec le développement d’un réseau de banlieue susceptible de répondre à l’explosion des flux périphériques, et en termes de gestion du réseau : la notion de qualité de service paraît à même de fédérer les réflexions stratégiques d’organisation de l’offre en matière de fréquences et de fiabilité, de sécurité, de confort, d’accessibilité du réseau. Une offre quotidienne plus régulière serait nécessaire pour répondre à l’étalement des déplacements tout au long de la journée, en dehors des heures de pointe. Par ailleurs, en ce qui concerne les actifs, les réflexions peuvent porter aussi bien sur la fiabilité des transports aux heures de pointe, que sur l’organisation des temps de la ville, en particulier les temps professionnels, où des expériences pourraient être négociées entre les décideurs politiques, les transporteurs, les entreprises et les syndicats de salariés, en vue d’aménager les horaires de travail afin de mieux répartir les flux quotidiens au cours de la journée.

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10. Technologies de l’information et de la communication et aménagement du territoire

La diffusion des technologies de l’information et de la communication va se poursuivre, avec des conséquences sur la vie quotidienne (travail, consommation, usages et appropriation, solidarités, modes de vie, dynamiques urbaines…) pour l’instant difficiles à évaluer117.

10.1 Une définition des « nouvelles technologies »

Le concept de « nouvelles technologies » est vaste : il inclut les technologies du vivant, ainsi que les technologies de l’information, qui comprennent les télécommunications, les communications électroniques, la télévision, l’ordinateur personnel, ainsi que les produits et services qui intègrent ces technologies. Les technologies de l’information et de la communication sont les plus susceptibles d’avoir des effets sensibles sur l’aménagement du territoire. Mais elles ne sont en fait plus si nouvelles, qu’il s’agisse de l’ordinateur portable, du téléphone mobile, de la télévision ou même d’Internet. Le téléphone mobile et Internet, les deux seules innovations qui ont rencontré un succès de masse, ne procèdent pas tant d’une révolution technologique que d’une extension de l’usage des télécommunications dans la vie quotidienne. La véritable nouveauté consiste donc dans leur diffusion massive, leur individualisation, leur intégration et leur convergence rapide.

10.2 Les relations entre « nouvelles technologies » et modes de vie - aspects généraux

10.2.1 Des relations complexes, inséparables de la dynamique d’ensemble des sociétés contemporaines

La diffusion des technologies de l’information et de la communication est en relation avec l’évolution des modes de vie, les nouvelles formes de sociabilité, les solidarités, les conditions du vivre-ensemble, le rapport des hommes à l’espace et au temps. Elle a des conséquences dans tous les secteurs de la vie quotidienne (travail, consommation, loisirs…). Ces relations sont toutefois plus complexes qu’une simple relation de déterminisme technologique : les objets et services technologiques sont des outils polyvalents, qui ne déterminent pas par nature l’usage qui en sera fait. C’est pourquoi la diffusion des technologies nouvelles implique une prise en considération des facteurs sociaux, psychologiques et culturels de leur appropriation et de leur usage.

117 Une grande partie de ce chapitre s’appuie sur l’intervention de Jean-Yves LASFARGUE, directeur de l’OBERGO (Observatoire des Conditions de Travail et de l’Ergostressie) à la réunion du groupe Modes de vie du 28/04/2003.

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10.2.2 Un modèle par induction : les nouvelles technologies ne se substituent pas aux anciennes mais induisent des besoins nouveaux118

Différents modèles ont été suggérés pour décrire les effets de l’apparition d’une technologie nouvelle sur une technologie plus ancienne119, par exemple le courrier électronique par rapport au courrier postal, l’impact des télécommunications sur les mobilités, ou encore du commerce électronique sur le commerce traditionnel. On a généralement cru que les nouvelles technologies, en transformant radicalement les modes de vie, allaient se substituer aux anciennes. Par exemple, les technologies permettant le traitement de l’information à distance, en minimisant la nécessité de la proximité physique, contribueraient à réduire les mobilités. C’est notamment sur le fondement de ces idées que le développement du télétravail a pu être envisagé comme un moyen de freiner l’accroissement des mobilités urbaines. En fait, des travaux démentent régulièrement l’hypothèse de substitution en montrant que les nouvelles technologies induisent des demandes nouvelles dans les technologies anciennes. Les télécommunications, en accroissant l’accessibilité de l’information (audio, vidéo, images, textes…) pour le plus grand nombre à un coût de plus en plus réduit, alimentent au contraire la mobilité en lui fournissant des mobiles supplémentaires. Les technologies de transport n’en pâtissent donc pas : on assiste au contraire à une intégration des technologies, à savoir une utilisation des télécommunications dans les transports120, individuelle (téléphone mobile), ou mise en place par le gestionnaire du service (vidéosurveillance, bornes multimédia, plate-formes de services...).

10.3 Impacts sociaux des nouvelles technologies

10.3.1 Usages des nouvelles technologies

Les usages des technologies de l’information et de la communication s’étendent, mais à des rythmes différents selon les générations ou les catégories socio-professionnelles. Le profit qui peut en être tiré dépend du capital culturel121. La diffusion des nouvelles technologies dans le grand public a réellement pris son essor depuis 1998, où les dépenses des ménages consacrées à la téléphonie mobile, à la micro-informatique, à l’Internet, aux DVD ou aux appareils photo numériques ont connu une forte progression. Ce mouvement est cependant inégal selon les catégories socio-professionnelles ou les générations. Ainsi, les jeunes, les cadres, les diplômés de l’enseignement supérieur, les hommes et les personnes vivant dans un milieu aisé sont les plus familiarisés. 76% des cadres ont déjà utilisé Internet, tandis que cette proportion tombe à 13% des ouvriers122. Mais c’est avant tout une question de génération. Neuf adolescents sur dix ont déjà utilisé un ordinateur, contre 7% des septuagénaires. Les usages des nouvelles technologies diffèrent aussi qualitativement : plus utilitaires chez les adultes, 118 Cf notamment « Métapolis », François ASCHER, , Odile JACOB, 1995. Voir aussi, du même auteur, « La troisième étape de la modernité ». On pourra se reporter pour une vision moins grossière, sur la question des relations entre nouvelles technologies, transports et mobilité, aux travaux du groupe « Mobilité ». 119 « Electronique, informatique et modes de vie », Victor SCARDIGLI, in Futuribles, Avril 1983. 120 « L’usage du téléphone au cours des déplacements », Marie-Hélène MASSOT, Recherche Transports-Sécurité n°56, Juillet-Septembre 1997. 121 « Un tiers des adultes ont déjà utilisé Internet », Céline ROUQUETTE, INSEE première, n°850, Juin 2002, « La consommation des ménages en 2000, les « nouvelles technologies » toujours en tête », Elisabeth RIGNOLS, INSEE première, n°782, Juin 2001 122 Ces chiffres sont en évolution rapide.

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plus ludiques et scolaires chez les jeunes, les adolescents et les enfants. Les technologies de l’information et de la communication sont de plus en plus omniprésentes dans la vie quotidienne et ses espaces : au lieu de travail, au domicile, pendant les déplacements, sur les lieux de consommation et de loisirs. L’usage du téléphone mobile au cours des déplacements, en particulier, s’est banalisé au cours des cinq dernières années. La discrimination porterait plutôt sur la compétence à utiliser les technologies de l’information et de la communication dans un sens permettant à l’individu d’accroître ses opportunités, de maîtriser son environnement, ou de s’éduquer, tout en respectant les règles de la vie sociale123, ce qui suppose une aptitude à filtrer les informations pertinentes dans le foisonnement des sources de qualité très inégales rendues disponibles. Or, cette capacité reste fondamentalement liée au niveau éducatif qui dépend de la transmission des savoirs en face-à-face, de maître à élève ou de parent à enfant. En particulier, la diffusion d’Internet favorise la culture de l’écrit124, et accentue donc les inégalités socio-culturelles.

10.3.2 Les bénéfices généraux du progrès technique : une productivité élevée, l’émergence de la société de l’information, la croissance des services et du temps libre, une moindre pénibilité physique du travail, la création de nouveaux métiers…

La multiplication des usages sociaux des applications de la technologie a donné corps à la notion de « société de l’information ». La circulation, le stockage et la production de flux d’informations engendrent de la complexité, renforcent l’interdépendance entre les hommes et transforment la nature du travail : une partie croissante de l’emploi dans les pays avancés consiste dans le traitement d’informations relatives à des objets ou des services avec lesquels les travailleurs n’ont pas de contact direct125. Cette ère informationnelle s’accompagne d’un accroissement de la productivité matérielle, les fonctions agricoles ou industrielles n’occupant plus qu’une fraction réduite de la population active. Une productivité accrue conduit à développer l’appareil économique en amont de la production (recherche, développement, conception) et en aval (marketing, écoute des attentes du client…). D’autre part, sur le long terme, le progrès technique génère du temps libre, lorsqu’il est compensé par des avancées sociales qui permettent d’en redistribuer le bénéfice: accroissement du temps scolaire et universitaire, des congés, réduction du temps de travail hebdomadaire, retraites plus précoces.

10.3.3 …mais avec des coûts économiques et sociaux élevés : accroissement du chômage, compétition salariale accrue, stress

La diffusion des technologies de l’information et de la communication facilite la délocalisation d’industries et de services vers des pays à coût de main d’œuvre inférieur. De plus, le progrès technologique est à l’origine d’une transformation des métiers et des activités, qui requièrent des qualifications et compétences nouvelles. Le rythme soutenu des mutations technologiques et organisationnelles contraint ainsi à des adaptations permanentes qui sont plus ou moins bien négociées selon les groupes sociaux. Il engendre

123 Ainsi, l’usage intempestif du téléphone mobile, en conduisant, à l’école ou dans une salle de cinéma, peut générer des nuisances pour la collectivité, voire perturber l’exercice de certaines fonctions, par exemple celle d’enseignant 124 Jean-Yves LASFARGUE, « Société de l’information et conditions de travail : peut-on éviter l’explosion de la bulle sociale ? ». 125 « Technologies de l’information et évolution sociale », André DANZIN, Futuribles, mars 1986.

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également plus de stress lié à l’intensification des conditions de travail et à l’importance croissante de l’activité intellectuelle126.

10.3.4 Vers un déplacement des frontières entre vie publique et vie privée ?

La liberté revendiquée par les internautes est en grande partie illusoire: toute trajectoire sur le réseau laisse une trace, et la vie privée peut donc être contrôlée. Les nouvelles technologies, qu’il s’agisse d’Internet, de la carte à puce, du porte-monnaie électronique, du téléphone mobile, de la Webcam, tendent à déplacer la frontière entre vie publique et privée, la séparation entre l’intérieur et l’extérieur du domicile. Ce déplacement rendant plus poreuse la limite entre les sphères publique et privée pourrait avoir des effets tant sur les représentations que sur l’aménagement de l’espace.

10.4 La fin des illusions technologiques127

Pour certains, l’utopie technologique fut une nouvelle version du mythe du progrès: elle énonçait que la technologie allait libérer l’homme du travail, accroître son autonomie, le temps libre, ouvrir l’accès au savoir, permettre un aménagement harmonieux du territoire, mettre un terme à la crise économique en faisant émerger de nouveaux marchés, réduire les inégalités sociales et culturelles, généraliser la démocratie électronique128. On a parlé de « nouvelle économie », ou de « capitalisme cognitif ». Le mouvement des technologies nouvelles devait s’inscrire dans la dynamique de la société capitaliste, toujours plus moderne, individualisée et rationalisée. Elle prétendait aussi que Internet et les NTIC permettaient de se libérer des contraintes de temps et d’espace. Examinons comment relier ces assertions aux enjeux de l’aménagement du territoire.

10.4.1 Les nouvelles technologies devaient accroître le temps libre, l’autonomie, améliorer les conditions de travail

En fait, les bouleversements matériels de la vie quotidienne n’ont pas eu lieu. Ni les horaires de travail, ni la localisation des activités et des hommes ne s’en sont trouvés profondément affectés. Contrairement à ce que pronostiquaient les promoteurs des nouvelles technologies, plus le progrès technologique s’accélère, plus les hommes ont le sentiment de manquer de temps129. Le temps, étant inélastique, ne peut être ni gagné ni perdu : seul l’usage qui en est fait diffère. En outre, la technologie est chronophage. Si une technologie maîtrisée permet aux entreprises de resserrer les délais, elle exige en contrepartie du temps de la part des utilisateurs, notamment en raison du manque de fiabilité, mais aussi parce que matériels et logiciels, périodiquement renouvelés, consomment des temps d’apprentissage élevés. A mesure que les utilisateurs alimentent réseaux et bases de données, les volumes d’information croissent plus vite que la puissance des ordinateurs, mobilisant de plus en plus de temps de repérage et de triage, car l’information, par effet de mimétisme, est redondante et pas nécessairement fiable130. De surcroît, les technologies de l’information et de la communication (ordinateur portable,

126 Jean-Yves LASFARGUE, « Société de l’information et conditions de travail : peut-on éviter l’explosion de la bulle sociale ? » 127 Cf Jean-Yves LASFARGUE, « Société de l’information et conditions de travail : peut-on éviter l’explosion de la bulle sociale ? », 28 Avril 2003 128 Jean-Yves LASFARGUE, op cit. 129 Jean-Yves LASFARGUE, op cit. 130 Jean-Yves LASFARGUE, op cit.

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téléphone mobile, fax, modem…) permettent un certain débordement du temps professionnel sur le temps de la vie privée. Les nouvelles technologies devaient aussi améliorer les conditions de travail et en diminuer la pénibilité. Or, si elles tendent bien à accroître le plaisir et le sentiment d’autonomie pour une partie des salariés, elles accroissent la pénibilité et le stress du travail pour une autre partie. « L’ergostressie », c’est-à-dire la combinaison des différents types de fatigue (physique, mentale, stress…) tend à progresser en relation avec la société de l’information131. Le travail, de nature plus abstraite, repose sur une interaction entre l’homme et la machine, ou entre les hommes au travers de réseaux d’équipes virtuelles, ce qui renforce la prééminence de l’écrit sur l’oral, en favorisant ceux qui disposent d’une aptitude élevée à l’abstraction intellectuelle132. Les conditions de travail deviennent donc un indicateur fondamental de la qualité de vie.

10.4.2 Les nouvelles technologies devaient permettre un aménagement du territoire plus harmonieux, notamment grâce au télétravail.133

Le télétravail était supposé réduire la dépendance à l’égard des systèmes de transport, en tirant parti des moyens de communication qui se substitueraient aux déplacements. Il ne se limite pas au travail à domicile, mais inclut aussi des centres de télétravail munis d’équipements et services de communication, pouvant être utilisés par les salariés de plusieurs entreprises134. Du point de vue de l’aménagement du territoire, d’importants espoirs ont été placés dans le télétravail135. Il devait permettre de revitaliser les zones rurales. Il était aussi conçu comme un outil de régulation de la mobilité quotidienne, permettant de réduire les trafics et les nuisances qui en résultent (pollution, bruit, sécurité routière, congestion), de réduire les besoins en infrastructures, tout en améliorant la productivité des entreprises et la qualité de vie des salariés. Pourtant, la diffusion du télétravail impliquait une transformation sociale en profondeur et une révolution culturelle qui n’a pas eu lieu, en l’absence d’une réflexion suffisante sur les conditions d’acceptabilité sociale et d’efficacité économique d’une telle mutation. La décentralisation des activités, une revitalisation relative des zones rurales, l’émergence des grandes métropoles régionales permettant de rééquilibrer l’influence de la région parisienne se sont bien produites en partie, mais elles ont surtout résulté d’une décentralisation des pouvoirs et des institutions, avec un effet d’entraînement sur le reste de l’économie. Ces mécanismes sont également liés à l’évolution des modes de vie: les choix résidentiels des ménages ont privilégié l’accession à la propriété d’une maison individuelle, contribuant au contraire à un accroissement des mobilités. Le télétravail a mis vingt ans à prendre son essor, peut-être pour des raisons de maturité technologique, la généralisation du haut débit offrant aujourd’hui des possibilités de traitement de l’information à distance qui restaient encore artisanales jusqu’à il y a quelques années136. 131 Jean-Yves LASFARGUE, op cit. 132 Jean-Yves LASFARGUE, op cit. 133 Ce chapitre s’appuie notamment sur le dossier réalisé par Marie-Hélène MASSOT (INRETS) à partir d’un rapport du Ministère des Transports des Etats-Unis paru en 1993 : « Transport implications of telecommuting » 134Bureaux de voisinage du CATRAL en Ile-de-France, Centres de services et de ressources partagés, télécentres. 135 « Le télétravail en France », Thierry BRETON, La Documentation Française, 1993. Toutefois, le rapport Breton de 1993 adopte une définition plus restrictive. Sur ce sujet, la DATAR a été motrice en lançant plusieurs appels à projets et en accompagnant les initiatives régionales et locales. 136 Dossier réalisé par Marie-Hélène MASSOT (INRETS) à partir d’un rapport du Ministère des Transports des Etats-Unis paru en 1993 : « Transport Implications of Telecommuting ».

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Une diffusion massive du télétravail se heurte à des difficultés fréquemment sous-estimées, que ce soit en matière de convivialité, d’organisation du travail, d’encadrement, de coordination des tâches ou de partage de l’information. Les échanges directs d’informations, de savoir-faire ou de compétences, restent indispensables au bon fonctionnement d’une entreprise ou d’une collectivité137. Une autonomie croissante avec un effacement du contrôle hiérarchique ne peut conduire à une qualité de service équivalente que dans la mesure d’une autorégulation des salariés, qui auraient préalablement bénéficié d’un niveau élevé de formation et de qualification, ainsi que d’une insertion dans l’entreprise. En outre, le télétravail pourrait accroître l’isolement des travailleurs, et provoquer un recul du droit du travail, les salariés concernés se transformant en employés sous contrat, subissant une précarisation des statuts, une déréglementation des horaires, ainsi qu’un chevauchement accru entre vie professionnelle et vie familiale138. Du point de vue de l’aménagement du territoire, il n’est pas certain que le télétravail ne présente que des aspects vertueux: il réduira les navettes domicile-travail, mais pourrait entraîner une demande compensatoire de mobilité locale liée aux autres activités quotidiennes, en favorisant la dissémination urbaine et la consommation de foncier139, complexifiant l’organisation d’un réseau de transports publics rationnel et rentable. Les effets bénéfiques sur les économies d’énergie et les pollutions seraient alors annulés140, tout en accélérant l’individualisation des modes de vie, la désorganisation urbaine et le report modal sur les déplacements motorisés. Alors qu’aux Etats-Unis, plusieurs millions de salariés sont déjà concernés par le télétravail, il n’a commencé à prendre son essor en France que depuis quatre ans. Parallèlement, le travail nomade a aussi commencé à se diffuser avec l’ordinateur portable et le téléphone mobile (travail à domicile, chez le client, dans le train, à l’hôtel…). Le niveau effectif du télétravail et ses effets sur l’aménagement du territoire dépendront de la desserte en infrastructures de transport des régions concernées ainsi que des mesures de gestion de la mobilité. Il devra également prouver sa capacité à apporter une plus-value réelle en termes d’efficacité économique, de qualité de service et de cohésion sociale141.

137 Jean-Yves LASFARGUE, op cit. 138 « Inforoutes et télétravail : les enjeux », Pierre VIAL. « Informatique et crise du management », Alain BRON et Vincent DE GAULEJAC, Desclée de Brouwer. Dossier réalisé par Marie-Hélène MASSOT à partir d’un rapport du Ministère des Transports des Etats-Unis : « Transport implications of telecommuting » 139 Dossier réalisé par Marie-Hélène MASSOT (INRETS) à partir d’un rapport du Ministère des Transports des Etats-Unis paru en 1993 : « Transport Implications of Telecommuting ». 140 Dossier réalisé par Marie-Hélène MASSOT (INRETS) à partir d’un rapport du Ministère des Transports des Etats-Unis paru en 1993 : « Transport Implications of Telecommuting ». 141 Dossier réalisé par Marie-Hélène MASSOT (INRETS) à partir d’un rapport du Ministère des Transports des Etats-Unis paru en 1993 : « Transport Implications of Telecommuting ».

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11. Une progression ralentie des conditions de vie depuis le début des années 1990 mais aussi des laissés-pour-compte

L’image d’une progression constante et générale des conditions de vie matérielles (hausse des revenus, accès à la maison individuelle, à l’automobile, logements plus spacieux) doit être tempérée par le constat d’un ralentissement dans cette progression qui s’accompagne, depuis le début des années 1990, d’une inflexion, voire du retournement de certaines tendances orientées vers le progrès économique et social, et d’une hausse des inégalités, qui recouvre des effets à la fois sociaux et générationnels.

11.1 Une progression du niveau de vie qui se poursuit à un rythme ralenti, avec une recrudescence des inégalités sur la période récente

Les questions de la richesse, de la pauvreté, ou des inégalités peuvent s’examiner en termes monétaires, ce qui permet de disposer de données tangibles. Les dix dernières années sont marquées par un contexte de désinflation, de ralentissement de la croissance économique, ainsi que de progression ralentie du pouvoir d’achat : après être passé de 760 euros par unité de consommation en 1970 à 1150 euros en 1990, soit une augmentation de 50%, la progression du niveau de vie s’est essoufflée entre 1990 et 1997, pour finalement repartir entre 1997 et 2001142, sous l’effet de la nouvelle économie. Bien que la France se soit enrichie, la part des salaires dans la valeur ajoutée a régressé depuis le début des années 80, expliquant une progression modérée du niveau de vie des salariés, tandis que les actifs financiers des ménages se sont accrus (de 250 % entre 1980 et 1996). De plus, l’évolution des revenus doit être corrigée des effets de structure. Les qualifications des salariés se sont fortement élevées, pour des revenus qui ont peu progressé. La rémunération moyenne, à qualification équivalente et en francs constants, a donc en réalité très peu augmenté, voire régressé dans certains cas. Ainsi, l’augmentation des salaires depuis 1978 s’explique intégralement par l’évolution des qualifications. Le salaire net en francs constants n’a donc pas augmenté en moyenne. La hiérarchie salariale s’est de plus resserrée, un cadre ne gagnant plus que 2,7 fois le salaire d’un ouvrier en 1995. Cependant, dans le même temps, entre 1990 et 1998, les prix à la consommation hors tabac ont peu augmenté (environ 16%), avec cependant de très forts écarts selon les biens et services. Ainsi, les loyers et l’eau ont augmenté deux fois plus vite que la moyenne, les prix du tabac ont doublé143, tandis que les prix des produits manufacturés ont peu évolué, voire ont diminué. Il est donc probable que l’impact en termes de pouvoir d’achat sur les différentes catégories sociales soit hétérogène, car les coefficients budgétaires diffèrent : les ouvriers consacrent une part plus importante de leur revenu au loyer, aux dépenses de transports, au tabac que les ménages plus « aisés ». L’instabilité accrue de l’emploi, la préférence pour l’endettement à court terme et l’investissement financier (assurance-vie) ont aussi entraîné un essoufflement de l’accession à la propriété144. Cette dernière est cependant repartie à la

142 « Le niveau de vie des ménages de 1970 à 1999 », Olivier Guillemin et Valérie Roux, INSEE, Données sociales, 2002-2003, Novembre 2002. Entre 1990 et 1996, le revenu fiscal moyen par ménage recule de 0,1% par an. 143 Insee Première, n°673, septembre 1999. 144 « Accession à la propriété : le régime de croisière ? », François DUBUJET, David LE BLANC, Insee première, n° 718, juin 2000. Le nombre d’accédants à la propriété s’est stabilisé. Il y a de moins en moins d’accédants de moins de 28 ans.

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hausse depuis 1996. Le nombre d’accédants récents s’est ainsi accru de 40 % entre 1996 et 2002145. Les inégalités évoluent selon le contexte économique : mesurées à partir du revenu fiscal, elles se sont rétrécies pendant la croissance économique, jusqu’en 1990, quoiqu’à un rythme de plus en plus ralenti, et ont recommencé à augmenter entre 1990 et 1997146, avec le ralentissement économique, d’autant que la part rétrécie des salaires dans la valeur ajoutée a privilégié les ménages détenteurs de capital. Les revenus de certains ont fortement progressé du fait d’une mobilité sociale ascendante et de la valorisation de leurs actifs immobiliers et financiers147, tandis que les revenus d’une autre partie de la population ont diminué en termes de pouvoir d’achat. Les ménages les plus pauvres ont toutefois bénéficié d’un effort redistributif amortissant la croissance des inégalités, contrairement aux catégories moyennes qui ont connu une faible croissance de leur pouvoir d’achat sans pouvoir prétendre bénéficier de prestations de transfert. Le patrimoine populaire, en particulier la propriété de la résidence principale, a ralenti sa diffusion alors que le patrimoine de rapport, plus sélectif par nature, s’est développé. Le patrimoine est très concentré, de sorte que les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus importantes que les inégalités de revenus: 10% des ménages salariés détenaient 44 % du patrimoine total en 2000, et 70 % des revenus du patrimoine sont alloués aux 10% disposant des revenus les plus élevés148. La répartition de la richesse au sein de la population s’est transformée. Les ménages structurellement détenteurs (catégories aisées et gens âgés) ont distancé les ménages structurellement endettés (familles jeunes et modestes), alors même que le niveau de qualification des jeunes s’est élevé. L’accession à la propriété a régressé parmi les jeunes générations : à partir de 1982, le taux de propriétaires a fortement baissé chez les moins de 35 ans, et s’est accru chez les plus de 55 ans149.

11.2 La pauvreté s’est transformée : elle touche moins désormais les retraités et le monde rural que les jeunes urbains.150

Les constats sur l’évolution de la pauvreté dépendent des indicateurs mobilisés pour la mesurer et des périodes considérées. Si on mesure la pauvreté monétaire relative sur le fondement du revenu disponible151, la pauvreté au sens monétaire a diminué depuis 1970

145 Source : ENL 146 « L’évolution des inégalités de revenus entre 1970 et 1996 », Synthèses n°28, Revenus et Patrimoine des ménages, édition 1999, INSEE. La progression des revenus fiscaux par UC est d’autant plus importante que le décile est élevé. Le revenu fiscal diminue fortement dans le décile le plus bas (-2,7% par an). Les inégalités sont cependant sous-estimées par cet indicateur car le revenu fiscal ne comprend pas les revenus du patrimoine, plus inégalitaires que ceux du travail. 147 C’est notamment le cas des retraités dont le revenu a progressé deux fois plus vite que celui des actifs. 148 « Evolution des inégalités de patrimoine chez les salariés entre 1986 et 2000 », Catherine ROUGERIE, INSEE première, Novembre 2002. 149 Plus globalement, les retraités ont été les principaux bénéficiaires de la progression du niveau de vie (op cit, note 9, p14). 150 « La pauvreté monétaire des ménages de 1970 à 1997 – plus de ménages pauvres parmi les salariés, moins chez les retraités », Jean-Michel HOURRIEZ, Nadine LEGENDRE, Robert LE VERRE, INSEE première, n° 761, mars 2001 151 151 Le revenu disponible est défini comme le revenu déclaré au fisc augmenté des prestations sociales (prestations familiales, aides au logement et minima sociaux) et diminué des impôts directs (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, CSG/RDS). C’est donc un revenu corrigé des effets redistributifs. En outre, la

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jusqu’au milieu des années 80, pour se stabiliser ensuite. Cependant, en raison du chômage de longue durée, de l’extension des « formes particulières d’emploi », de l’émergence des « travailleurs pauvres », la pauvreté s’est étendue à de nouvelles catégories de populations, tandis qu’elle s’est retirée parmi d’autres qui ont vu leurs conditions de vie s’améliorer nettement. Ainsi, les retraités152 et les familles nombreuses sont moins menacés désormais que les deux extrémités de la population active: jeunes et personnes de plus de 50 ans. Globalement, parmi les salariés et les chômeurs, la pauvreté s’est étendue entre 1990 et 1997. La pauvreté s’est nettement développée chez les immigrés âgés et sans diplôme, les hommes en situation de grande précarité, les familles monoparentales153. Il faut aussi prendre en compte, sur la période récente, l’immigration en provenance des pays de l’Est ou du Sud où les contextes économiques et politiques se sont dégradés pour une frange des populations. Le taux de pauvreté des jeunes est très sensible à la conjoncture économique. Après avoir progressé de 9 à 18% entre 1975 et 1995, il a de nouveau régressé entre 1997 et 2001, pour retomber à 9%154. Par contre, le taux de pauvreté s’est accru de manière constante chez les employés et les ouvriers non qualifiés, qui regroupaient 43% des ménages pauvres en 1995. Toujours en conservant cette définition de la pauvreté monétaire, le taux de ménages « qui seraient pauvres » s’ils ne bénéficiaient de prestations de transfert est passé de 10 à 14% parmi les salariés de 1970 à 1997. D’après une étude conduite par la DREES155, l’effet redistributif des transferts sociaux fait diminuer en France le taux de pauvreté de 20 à 9%156, pour un effort financier de 9,5 points de PIB. D’autres analyses, actuellement peu usitées, s’appuyant sur la notion de pauvreté absolue, sont possibles. Elles consistent à comparer les revenus aux coûts d’un certain nombre de produits de référence supposés correspondre, soit à des besoins de l’être humain (logement, alimentation) ou à une norme d’intégration minimale à la dynamique du progrès matériel à un certain niveau de développement économique et social, soit à des articles de consommation courante (le fameux « panier de la ménagère ») dont la nature évolue elle-même selon les usages et le rythme de diffusion des nouveaux produits et services. Les populations pauvres sont extrêmement dépendantes à l’égard des revenus de transfert : ainsi, pour plus d’un foyer à bas revenus sur deux, les prestations constituent plus de 80% des ressources. Quelques chiffres permettent d’illustrer l’étendue de la pauvreté. Les bénéficiaires du RMI, essentiellement constitués de personnes seules157 et de familles monoparentales, dans la grande majorité des cas des femmes seules avec enfants158 , se sont accrus de 15% par

pauvreté est définie de manière relative, les ménages pauvres sont ceux dont le revenu disponible par unité de consommation est inférieur à la demi-médiane des revenus disponibles par unité de consommation. 152 La proportion de retraités pauvres est passée de un sur quatre en 1970 à un sur vingt-cinq en 1997, celle des salariés pauvres de 4 à 7%. 153 40 % des familles monoparentales vivent en-dessous du seuil de pauvreté. 154 La pauvreté des jeunes est toutefois amortie par les aides familiales qui ne sont pas appréhendées par les enquêtes Revenus fiscaux mais qui s’élèvent en moyenne à 18000 francs/an, d’après l’enquête Budget des familles 1994 155 « Pauvreté et transferts sociaux en Europe », Marc Cohen-Solal et Christian LOISY, Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES), Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Juillet 2001. L’étude montre que l’effet des transferts sociaux (hors assurance et maladie) sur la réduction du taux de pauvreté est lié à leur ampleur. La France se situe de ce point de vue dans une situation intermédiaire entre les pays du Nord de l’Europe et ceux du Sud. 156 Sans compter la prestation vieillesse qui a permis de faire baisser la pauvreté parmi les retraités. 157 528 000 personnes seules dont 335 000 hommes seuls. 158 223 000 familles monoparentales dont 209 000 femmes seules avec enfants.

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an entre 1975 et 1995, puis ont reculé de 1997 à 2001 sous l’effet du redémarrage économique temporaire159. Plus d’un million de jeunes étaient concernés par des contrats d’insertion en 1995, et touchaient moins de la moitié du SMIC. Il y avait 643 000 titulaires du minimum vieillesse en 2001, soit environ 6 % des retraités. En Ile-de-France, près d’un ménage sur huit est estimé être en situation de pauvreté monétaire. Il y avait en 2000 172 000 allocataires du RMI, 440 000 allocataires de la CAF à bas revenus.160 Le fait d’être inactif ou au chômage augmente considérablement le risque de pauvreté161. Mais la pauvreté s’est aussi étendue dans le monde du travail en raison des « formes particulières d’emploi », car les durées de travail hebdomadaires ou la précarité des contrats entraînent faiblesse et instabilité des revenus162.

11.3 Inégalité des conditions de vie

En Ile-de-France, se loger est devenu de plus en plus coûteux, en particulier pour les ménages modestes. En 2002, les franciliens consacraient 18,3 % de leur revenu pour se loger163, contre 12,8 % en 1973, en dépit de la progression et de la généralisation progressive des aides au logement pour les ménages modestes. C’est pour les locataires du parc privé que le taux d’effort logement est le plus élevé, soit 20,8 % de leur revenu, et pour les locataires du parc HLM qu’il est le plus faible (13,4 %). Le taux d’effort net des locataires n’a cessé de progresser tandis que celui des accédants est resté stable au fil du temps, autour de 20 % de leur revenu. Pour les ménages modestes164 franciliens, le taux d’effort net s’est élevé de 17,1 % en 1988 à 23,3 % en 2002. Pour les ménages franciliens les plus pauvres165, il s’est élevé de 17,5 % à 26,1 %. La progression du taux d’effort pour les ménages modestes a été nettement plus forte qu’en province, et plus forte également que pour l’ensemble des ménages. Cette différence tient essentiellement à l’effet solvabilisateur moins élevé des aides au logement en Ile-de-France, qui ne prennent pas suffisamment en compte le différentiel des loyers et des prix avec la province. Ainsi, les aides au logement, en 2002, ne diminuaient le taux d’effort que de 13 points pour les ménages franciliens les plus pauvres, contre 25 points en province. Par ailleurs, en raison de la disparition du « parc social de fait » (logements en loi de 1948, hôtels, meublés ou sous-locations…) et des difficultés d’accès au parc social, notamment pour les personnes seules, les ménages les plus pauvres sont de plus en plus souvent logés dans le secteur libre où les loyers sont plus élevés. Le loyer représentait ainsi 51 % du revenu des ménages à bas revenus en 2002 dans le secteur privé, contre 33 % dans le parc social166. Les 159 Pour atteindre finalement 917 000 bénéficiaires en France métropolitaine en 2001. 160 « Recueil statistique relatif à la pauvreté et la précarité en Ile-de-France au 31 Décembre 2001 », Mission d’information sur la pauvreté et l’exclusion sociale en Ile-de-France. 161 « La pauvreté monétaire des ménages de 1970 à 1997 », INSEE première n° 761, mars 2001. 162 C’est le phénomène des « travailleurs pauvres », qui étaient estimés à 1300000 en 1996, soit 6% de la population active occupée. Les prestations sociales représentent plus du tiers de leur revenu (« Les travailleurs pauvres », Christine LAGARENNE et Nadine LEGENDRE, Insee première, n° 745, Octobre 2000). 163 « Le logement : une dépense importante pour les ménages franciliens modestes », INSEE première, n°230, Décembre 2003. 164 Ménages appartenant au quart des ménages franciliens dont le revenu est le plus faible. 165 Ménages dont le revenu est inférieur à la demi-médiane des revenus. 166 « Les conditions de logement des ménages à bas revenus », INSEE première, n°950, Février 2004

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conditions de logement des ménages à bas revenus se sont dégradées entre 1988 et 2002. Ainsi, 35 % seulement des ménages à bas revenus étaient propriétaires ou accédants à la propriété en 2002, contre 48 % en 1988. Plus de 20 % des ménages à bas revenus sont en situation de surpeuplement. Les inégalités concernent aussi le cadre de vie, souvent moins attractif pour les ménages les plus modestes. Ainsi, ils signalent plus souvent des problèmes de confort. Pour 28 % des ménages du premier décile de niveau de vie, leur logement est humide, contre 15 % pour l’ensemble des ménages167. 26 % d’entre eux estiment qu’il est mal chauffé, contre 12 % pour l’ensemble des ménages. Ils sont plus souvent confrontés aux nuisances, notamment le bruit, la pollution et l’insécurité. 32 % d’entre eux se déclarent gênés par le bruit, contre 25 % pour l’ensemble des ménages. Dans les cités et les grands ensembles, la proportion des ménages se déclarant gênés par le bruit est de 36 %. La pollution de l’air est invoquée par 14 % des ménages du premier décile, contre 11 % pour l’ensemble des ménages. 26 % d’entre eux signalent par ailleurs des actes de vandalisme, contre 17 % pour l’ensemble des ménages. Ces nuisances sont encore plus fortement ressenties en région parisienne. Dans l’unité urbaine de Paris, 41 % des ménages les plus pauvres sont gênés par le bruit, 34 % constatent des actes de vandalisme. La « fracture sociale » dans l’ensemble de ses aspects (niveau de vie, logement, accès à la mobilité, environnement et cadre de vie, exclusion économique…) a des répercussions importantes en termes de politiques d’aménagement. En particulier, la polarisation sociale de l’espace ne cesse de s’accroître, en mobilisant toute l’attention des pouvoirs publics, en dépit des efforts de solidarité consentis au titre de la Politique de la Ville, du logement des défavorisés ou des mesures destinées à promouvoir la mixité sociale168, dont les visées peuvent d’ailleurs s’avérer contradictoires.

167 Enquête permanente sur les conditions de vie, partie variable « Vie de quartier », avril-juin 2001, in « Le cadre de vie des ménages les plus pauvres », INSEE première, n°926, Octobre 2003. 168 Ces questions seront traitées plus en détail par le groupe « Solidarités urbaines ».

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12. Conclusion

12.1 Une société globalement plus riche, plus intégrée, plus individualisée et plus hédoniste, une attente de qualité et de services

Sur le long terme, l’évolution des modes de vie s’inscrit dans le cadre d’une amélioration des conditions de vie matérielles et de l’extension de la société de consommation. Les ménages sont de mieux en mieux logés : les logements sont plus grands, plus confortables, il y a de plus en plus de propriétaires. Les ménages sont de plus en plus mobiles : la diffusion de l’automobile se poursuit, les voyages et le tourisme se développent, les objets de consommation se diffusent et se renouvellent de plus en plus vite. Par ailleurs, les modes de vie innovants s’étendent à de nouvelles catégories de consommateurs ou d’usagers, en relation avec les ressources financières et le capital culturel. Ils se diffusent depuis les couches supérieures vers les couches moyennes et populaires de la société, mais aussi vers les personnes âgées, les femmes, les adolescents, entraînant une intégration des comportements. Par exemple, les femmes, davantage associées à la sphère professionnelle, ont un niveau de vie, d’éducation, de participation à l’activité et à la mobilité qui rattrape progressivement celui des hommes. Le progrès des conditions de vie s’accompagne d’une individualisation des modes de vie et des valeurs, qui reflètent des aspirations à l’autonomie, à la liberté de choix, une demande de mobilité et de flexibilité. A une demande de liberté et de tolérance dans la sphère privée fait écho une demande d’ordre et d’autorité dans la sphère publique. Les français font ainsi prévaloir la sécurité, la santé, l’environnement et la qualité de vie au cœur de leurs préoccupations, tandis qu’ils semblent se désengager des grands enjeux collectifs et marquent également leur distance à l’égard de la religion. Dans le champ de l’aménagement du territoire, ce processus est illustré par le succès de la maison individuelle et de l’automobile, dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, par celui du téléphone mobile. La famille et l’activité professionnelle sont envisagés comme des moyens de réalisation personnelle, davantage que comme des devoirs sociaux. Les structures familiales s’individualisent et se diversifient, avec l’essor des familles monoparentales et recomposées, des unions libres, la multiplication des petits ménages, notamment les personnes seules. Le succès de l’habitat individuel, choix des couples et des familles, contribue à l’essor du périurbain et au desserrement des agglomérations, entraînant une spécialisation croissante des espaces entre le centre et la périphérie, opposant les personnes seules aux familles. La dispersion résidentielle qui en résulte favorise la prééminence de l’automobile et entraîne l’accroissement des distances de déplacements moyennes. Toutefois, si la région poursuit son débordement sur les régions limitrophes, dans le même temps les distances de déplacements se réduisent au sein de la proche périphérie parisienne, et les populations cherchent au cours d’une vie à se rapprocher de leur lieu de travail. Par ailleurs, 80 % de l’accroissement des ménages franciliens entre 1990 et 1999 est le fait des personnes vivant seules. Cette hausse du nombre de petits ménages, fortement concentrée dans la zone agglomérée, nourrit une demande soutenue en territoire dense contribuant à la crise du logement actuelle. Cette crise est une crise de l’offre, les instruments actuels de l’intervention foncière, de l’urbanisme et de la politique du logement n’étant pas suffisamment utilisés pour répondre aux ruptures sociologiques, car les politiques actuelles

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facilitent davantage l’extension urbaine aux franges que le renouvellement urbain dans les territoires centraux, qui nécessite une intervention plus forte et structurée des pouvoirs publics. Cependant, la préférence apparente des familles pour la maison individuelle recouvre d’autres motivations, telles que la taille du logement, le goût des espaces verts, la recherche du calme. C’est donc en partie un choix par défaut de s’éloigner de son travail pour accéder au logement de son choix, dicté notamment par les prix immobiliers élevés de la zone dense. La localisation des catégories professionnelles supérieures révèle d’ailleurs un habitat centralisé, coïncidant avec les pôles d’emploi abritant les fonctions métropolitaines supérieures, à Paris et dans l’ouest de la proche couronne, bien que le tissu urbain de ces territoires soit essentiellement constitué d’habitat collectif. De même, l’usage prédominant de la voiture individuelle est motivé par une recherche d’autonomie, de flexibilité, et des attentes insatisfaites à l’égard des transports collectifs concernant le confort, la fiabilité, la desserte et l’accessibilité, le sentiment de sécurité. Il s’explique aussi par le sous-développement du réseau de transports collectifs urbains en banlieue, dont les usagers sont pourtant demandeurs. Plus qu’un rejet de la ville dont certaines aménités sont par ailleurs recherchées (emploi, culture, services et loisirs…), les comportements manifestent en fait une insatisfaction à l’égard des conditions de vie urbaines et un accès sélectif aux territoires attractifs, rendu compétitif par la rareté de l’offre disponible. L’amélioration des conditions de vie s’accompagne de l’émergence d’une société moins centrée sur le travail et la production, qui s’oriente vers le temps libre, les loisirs, le bien-être et l’information. Le temps de travail moyen, professionnel ou domestique, diminue au profit du temps libre. Cependant, cette donnée recouvre des évolutions contrastées. En effet, si le temps de travail moyen diminue bien du fait de l’accroissement de la part des inactifs (étudiants, retraités et chômeurs…) et des emplois à temps partiel, dans le même temps le temps de travail des actifs à temps plein reste stable, voire augmente légèrement pour certaines catégories, les cadres notamment. Cette évolution a d’importante répercussions sur l’aménagement du territoire. L’accroissement du poids des inactifs, ainsi que la diversification des temps sociaux entraîne la juxtaposition de rythmes de vie de plus en plus individualisés. La forte croissance de la population retraitée, et des nouvelles formes de travail exploitant les ressources des technologies de l’information et de la communication autorisent en outre une dissociation accrue entre zones d’emploi et lieux de résidence, qui peuvent être choisis en fonction de la qualité de la vie. L’accroissement du temps libre moyen favorise l’essor des services immatériels, culture, santé, sport, tourisme, information et communication, ainsi que les pratiques correspondantes, qui mobilisent une part croissante du budget des ménages. Les grandes villes l’ont compris et tendent à promouvoir l’image et le rayonnement de leur territoire, en multipliant les évènements et les spectacles (Paris plage, nuit blanche, JO 2012…). Le secteur du tourisme, en croissance continue, se démocratise tout en évoluant en fonction des aspirations nouvelles et de la répartition du temps libre: on voyage plus souvent, plus loin, moins longtemps, les séjours se diversifient, en associant la recherche du dépaysement, du bien-être, de la culture ou de l’activité physique. Ces tendances sont appelées à s’amplifier, sous l’impulsion des nouvelles technologies, qui favorisent un recouvrement entre sphère professionnelle et sphère domestique, du vieillissement de la population, qui accroît la part des inactifs au sein de générations disposant d’un fort pouvoir d’achat et accoutumées à la société de consommation, de la

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réduction du temps de travail et de l’essor des formes d’emploi atypiques, qui accroissent le temps disponible des actifs. L’étalement des déplacements urbains tout au long de la journée, l’allongement des week-ends, entraînent une sollicitation permanente des réseaux de transports urbains et interurbains, et soulèvent de nouveaux problèmes de gestion des réseaux, notamment en matière de fréquences, mais invite aussi à s’interroger sur les horaires d’ouverture des services et l’organisation collective des temps de travail et des déplacements. Les déplacements personnels et de loisirs, qui progressent fortement, rendent nécessaire une meilleure accessibilité aux lieux de vie urbaine et aux services, aujourd’hui très inégale. Le développement aéroportuaire, la planification des grands équipements de l’économie du temps libre (culture, sport, communication…), l’organisation de manifestations de grande ampleur, acquièrent une dimension stratégique pour les grandes métropoles, contribuant à leur rayonnement et à leur attractivité. Le financement des fonctions immatérielles, qui se développent en grande partie par extension des dépenses socialisées, reste par ailleurs problématique. La hausse du pouvoir d’achat, du niveau de qualification et un accès accru à l’information favorisent des attentes plus élevées en matière d’environnement et de qualité, ainsi que des postures plus hédonistes à l’égard de la vie sociale. Par exemple, les jeunes actifs prennent leurs distances à l’égard de la vie professionnelle, au profit de la vie privée et des loisirs. Aussi les jeunes familles tendent-elles à quitter l’Ile-de-France, invoquant les difficultés à se loger, les nuisances urbaines (bruit, pollution…), le rythme de vie et le souhait de pouvoir concilier vie familiale et professionnelle. Quant aux franciliens, ils compensent une qualité de vie jugée médiocre par la détention de résidences secondaires en province et les voyages. L’exigence de qualité concerne aussi les attentes vis-à-vis des transports ou de l’aménagement urbain, qui privilégient désormais l’esthétique, le confort, la sécurité, l’accessibilité, la convivialité, et la fiabilité. Ces dispositions entraînent par ailleurs des postures de refus d’implantation des équipements nécessaires à la vie de la collectivité (logements, infrastructures, traitement des déchets…), regroupées sous le terme de syndrôme NIMBY. Certaines évolutions sociologiques et démographiques (féminisation du travail, vieillissement de la population) entraînent enfin un besoin croissant de services aux personnes. Pour permettre aux ménages de concilier vie familiale et professionnelle, une économie de services domestiques et parentaux s’est développée (crèches, garde d’enfants, assistantes-maternelles, ménages…). Quant au vieillissement de la population, il entraîne des besoins accrus en matière de services de proximité (aides-ménagères, infirmières, livraisons…) mais aussi en matière de santé et de dépendance (hébergement, aides à l’autonomie…).

12.2 Un progrès ambivalent, engendrant de fortes ruptures sociales et générationnelles, des ségrégations et une spécialisation des espaces

Ce mouvement d’ensemble orienté vers le progrès matériel, la liberté de l’individu, la diversité et la qualité, s’accompagne cependant de profondes ruptures, spécialement depuis le début des années 1990. Tout d’abord, la marche vers l’amélioration du niveau de vie s’est nettement ralentie. D’autres indicateurs tels que le taux de logements individuels ou de propriétaires, ont ralenti leur progression depuis 1988. D’autre part, les besoins matériels fondamentaux tels que le logement ne sont pas entièrement résolus, les ménages consacrant toujours une part croissante de leur budget à se loger.

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Ensuite, le processus d’individualisation des modes de vie est ambivalent, et profite inégalement aux différentes catégories socio-professionnelles. Par exemple, dans la sphère professionnelle, s’il permet pour certains (managers, cadres, experts, universitaires…) une plus grande autonomie et un accroissement des opportunités, il est aussi pour d’autres (intérimaires, CDD…) une source de précarité, entraînant un délitement des protections collectives. Le travail tend d’autre part à se concentrer sur les cadres et les diplômés, qui représentent une part croissante de la population active, et sont aussi ceux dont la durée de travail hebdomadaire est la plus élevée. De même, la vie familiale, conjugale et sociale, permet plus de liberté et d’autonomie individuelle, mais engendre aussi plus de précarité économique et affective. Les avantages inégaux tirés de l’individualisation de la société, selon que celle-ci est choisie ou subie, sont sans doute au cœur du débat sur la « fracture sociale » et rendent compte des appréciations divergentes que les individus se font des dynamiques sociales. Dans le domaine des loisirs et des temps sociaux, une opposition de modes de vie se dessine entre d’un côté les « hyperactifs », cadres, urbains, diplômés, jeunes, célibataires, qui voyagent beaucoup, ont une pratique de loisirs extérieurs planifiée et intensive, de l’autre les « pères de famille », périurbains, ouvriers ou employés, peu diplômés, qui pratiquent surtout les loisirs intérieurs quotidiens (bricolage, télévision, cuisine, jardinage…). Les conditions de vie, de logement, et le cadre de vie sont aussi traversés par de fortes inégalités sociales et territoriales, qui s’accentuent depuis le début des années 1990. Si les taux de départs en vacances restent stables chez les cadres, ils régressent parmi les ouvriers et les employés. Les conditions de logement et la solvabilité des ménages modestes se dégradent plus fortement que pour l’ensemble des ménages, notamment en raison de la disparition du parc social de fait. Ainsi, si le taux de propriétaires ou d’accédants poursuit lentement sa progression, il régresse fortement parmi les ménages à bas revenus, en raison de la forte hausse des prix immobiliers. Le taux d’effort logement augmente par ailleurs nettement moins vite pour l’ensemble des ménages que pour les plus modestes, qui sont aussi plus fréquemment exposés aux risques et nuisances urbaines (bruit, pollution, inconfort du logement, insécurité…). Un environnement dégradé pour les plus défavorisés soulève la question des inégalités écologiques, le développement durable appelant en effet à concilier une approche économique, sociale et environnementale. Or, les conséquences de l’accroissement des libertés individuelles et du progrès des conditions de vie, et notamment le syndrôme NIMBY, conduisent à une répartition inéquitable des risques et des nuisances, au détriment des moins favorisés. Mais au-delà des inégalités sociales traditionnelles, un des faits marquants de la période actuelle est sans doute le décrochage entre générations, à travers une nouvelle répartition de la richesse et du patrimoine, de plus en plus favorable aux seniors, au détriment des jeunes actifs, en dépit de la forte hausse des qualifications. Une part croissante de la richesse nationale se concentre chez les inactifs âgés, tandis que la pauvreté s’accroît chez les plus jeunes, en raison des difficultés d’intégration au marché du travail. De même, les conditions de vie ne progressent plus qu’au-delà de 50 ans, tandis qu’elles régressent chez les personnes d’âge actif. Les « seniors » sont aujourd’hui de mieux en mieux logés et équipés, davantage propriétaires de leur logement, de plus en plus mobiles, plus équipés en voitures, voyagent davantage, consomment davantage de loisirs, sont en bonne santé et autonomes plus longtemps. A l’inverse, ces indicateurs régressent parmi les moins de 50 ans.

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Enfin, des ruptures de comportement s’effectuent en opposant des modes de vie de plus en plus contrastés sur des espaces spécialisés. Le nombre de familles diminue fortement dans toute la zone agglomérée et s’accroît dans le périurbain, tandis que le nombre de personnes seules s’accroît fortement sur l’ensemble de la zone agglomérée. Ces types de ménages avec des besoins différents cohabitent ainsi de moins en moins. Les écarts s’accroissent entre Paris et la grande couronne sur l’équipement automobile et les comportements de mobilité, avec des trajectoires désormais divergentes. L’équipement automobile et les déplacements en voiture diminuent à Paris, mais poursuivent leur progression en grande couronne à travers la multi-motorisation des ménages. Le cœur économique de la région, constitué de Paris, des communes limitrophes et de l’ouest de la région, se gentrifie de plus en plus en concentrant une population de cadres et de professions supérieures, tandis que le nord et l’est de la région tendent à poursuivre leur paupérisation. Le niveau d’équipement automobile ne semble ainsi plus être un différenciateur social, les ménages disposant de revenus élevés privilégiant l’accès aux services urbains, quitte à utiliser les transports collectifs, et l’accessibilité au monde pour le tourisme et les loisirs. Compte tenu de l’intense pression foncière en zone urbaine, de la rareté des terrains mobilisables rapidement pour répondre aux besoins, et des fortes contraintes de constructibilité limitant les possibilités de densification, l’envolée des prix fonciers se traduit d’ores et déjà par une diminution de la taille des appartements construits, tandis qu’à l’inverse la taille des maisons individuelles, construites sur un foncier moins cher en périphérie d’agglomération, poursuit sa progression.

12.3 Le rôle de l’aménagement du territoire et de la gouvernance régionale : réconcilier le processus d’individualisation avec la ville, l’environnement et l’équité, assurer la solidarité et la cohérence territoriale

Une lecture rapide des évolutions sociologiques pourrait conduire à une conclusion simpliste, à savoir que le processus d’individualisation de la société invalide la pertinence de toute velléité d’intervention publique, destinée par exemple à maîtriser l’étalement urbain, en matière d’intervention sur le tissu urbain existant ou visant à limiter la place de la voiture individuelle, ces interventions étant jugées contraignantes par rapport aux libertés individuelles, dans une société plus riche et plus autonome. Il n’en est rien. En premier lieu, dans une société plus riche, le niveau d’exigence à l’égard des services collectifs et de l’environnement urbain se trouve accru, ce qui engendre des coûts supplémentaires pour la collectivité et des attentes fortes à l’égard des pouvoirs publics, en matière de qualité de service. L’essentiel de la croissance des services concerne d’ailleurs aujourd’hui des services immatériels socialisés fournis par les administrations publiques. D’autre part, les conséquences de l’individualisation portent moins aujourd’hui sur le périurbain que sur la zone centrale et les territoires plus urbains, où elles se heurtent à une crise de l’offre et à un déficit d’outils au service d’une intervention publique coordonnée. L’impact de ce processus sur les modes de vie et les dynamiques territoriales n’a d’ailleurs rien d’irréversible ou de mécanique. Enquêtes et indicateurs montrent en effet que les choix de vie effectués par les individus et les ménages sont partiellement subis, reflétant une insatisfaction à l’égard de certaines aménités urbaines ou une impossibilité financière d’y accéder, plutôt qu’un rejet de principe de la ville. Aussi l’enjeu porte-t-il sur la capacité de l’ensemble des acteurs de l’aménagement urbain, au premier rang desquels la puissance publique, à offrir un environnement, une qualité urbaine pour tous et un niveau de services répondant aux aspirations de l’ensemble des individus et des ménages.

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L’aménagement pourrait alors avoir comme mission fondamentale de réconcilier le processus d’individualisation avec la ville. Les décrochages sociaux, générationnels et territoriaux qui sont à l’œuvre débouchent sur la juxtaposition de territoires aux modes de vie de plus en plus spécialisés, et conduisent à une dissociation des liens sociaux. Que ce soit en matière d’accès au logement, à la propriété, aux transports et aux services, d’exposition aux risques et aux nuisances, les inégalités s’accroissent à présent au détriment des actifs, des jeunes, des plus modestes. Dans ce contexte, l’aménagement doit aussi avoir pour mission de préserver la solidarité, et d’assurer la cohérence territoriale de la région. Il doit enfin viser à concilier la recherche d’une meilleure qualité de vie avec l’équité sociale.

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