Vers Un Traitment Personalise Du Cancer Colorectal

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Vers un traitement personnalisé du cancer colorectal : facteurs pronostiques et prédictifs A. Lièvre 1,2 1 Service dhépatogastroentérologie et oncologie digestive, hôpital Ambroise-Paré, APHP, F-92104 Boulogne-Billancourt, France 2 Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 23, rue du Refuge, F-78000 Versailles, France Correspondance : [email protected] Reçu le 10 mai 2010 ; accepté le 8 septembre 2010 Toward a personalized treatment of colorectal cancer: prognostic and predictive factors Abstract: Colorectal cancer (CRC) remains a major public health pro- blem despite the advent of several conventional chemotherapies and targeted therapies. The identifica- tion of prognostic factors, and also factors that can predict response to different treatments and their toxicity, has become a major issue in order to optimize and perso- nalize treatment of CRC patients. Although few molecular factors are validated in the field of CRC prognosis where the TNM classifi- cation is the main parameter used in clinical practice, the fact is not true for molecular predictive factors. Several of them are now validated for predicting response to certain treatments (KRAS muta- tions and anti-EGFR antibodies) and their toxicity (dihydropyrimi- dine déshydrogenase [DPD] for 5-fluorouracil [5-FU], UDP- glucuronosyltransferase 1A1 [UGT 1A1] polymorphism for irinotecan) and open up the way of personali- zed treatment of CRC. To cite this journal: Oncologie 12 (2010). Keywords: Colorectal cancer Prognostic Chemotherapy Anti-EGFR antibodies KRAS Résumé : Le cancer colorectal (CCR) reste un problème majeur de santé publique malgré lavènement de plusieurs chimio- thérapies et thérapies ciblées. Lidentification de facteurs pro- nostiques, mais aussi de facteurs prédictifs de la réponse à ces diffé- rents traitements et de leur toxicité est devenue un enjeu majeur afin doptimiser et de personnaliser le traitement du CCR. Si peu de facteurs moléculaires sont validés dans le domaine du pronostic des CCR où la classification TNM reste le principal paramètre utilisé en pratique clinique, il nen est pas de même des facteurs molécu- laires prédictifs. Plusieurs dentre eux sont désormais validés pour la prédiction de la réponse à certains traitements (mutations de KRAS et anticorps anti-EGFR) ou à leur toxicité (dihydropyri- midine déshydrogénase [DPD] et 5-fluorouracile [5-FU], polymor- phismes de lUDP-glucuronosyl- transférase 1A1 [UGT 1A1] et irinotécan) et ouvrent la voie dun traitement personnalisé du CCR. Pour citer cette revue : Oncologie 12 (2010). Mots clés : Cancer colorectal Pronostic Chimiothérapie Anticorps anti-EGFR KRAS Introduction Malgré des progrès remarquables dans sa prise en charge ces 20 der- nières années, le cancer colorectal (CCR) reste un véritable problème de santé publique en France où son incidence annuelle sélève désormais à plus de 37 000 nou- veaux cas et sa mortalité à 17 000 décès. Daprès les récentes don- nées publiées par lInstitut national du cancer, la survie à cinq ans tous stades confondus est de 56 % en France et en Europe. Un nombre encore important de CCR (26 %) sont diagnostiqués à un stade métastatique et seuls 25 % le sont à un stade peu avancé (stade I) [13]. Par ailleurs, la classification TNM, qui représente la seule classi- fication pronostique actuellement validée et utilisée en pratique, reste imparfaite, notamment pour ce qui concerne les tumeurs locali- sées opérées de stades II et III qui constituent un groupe très hétéro- gène sur le plan du pronostic et du bénéfice de la chimiothérapie adjuvante à base de 5-fluorouracile (5-FU) ± oxaliplatine. En effet, cette chimiothérapie nest indiquée de façon systématique et consensuelle quen cas de tumeur de stade III où son bénéfice a clairement été démontré. En cas de tumeur de stade II, ce bénéfice reste, en revan- che, débattu. Or, il est désormais admis que certaines tumeurs de stade II ont un mauvais pronostic et sont dites à « haut risque » de récidive en présence de facteurs anatomocliniques péjoratifs pou- vant rendre la chimiothérapie adju- vante utile dans ce cas. En situation métastatique, larsenal thérapeu- tique sest considérablement étoffé ces dernières années avec larrivée, en plus des fluoropyrimidines, de loxaliplatine et de lirinotécan, de thérapies ciblant lEGFR (cetuxi- mab, panitumumab) ou le VEGF (bévacizumab). Cependant, force est de constater une réelle hétéro- généité interindividuelle dans la ONCOLOGIE Oncologie (2010) 12: 584592 © Springer-Verlag France 2010 DOI 10.1007/s10269-010-1952-1 Les cancers digestifs 584

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tratamentul personalizat al cancerului colorectal

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Page 1: Vers Un Traitment Personalise Du Cancer Colorectal

Vers un traitement personnalisé du cancer colorectal :facteurs pronostiques et prédictifs

A. Lièvre1,2

1Service d’hépatogastroentérologie et oncologie digestive, hôpital Ambroise-Paré, AP–HP,

F-92104 Boulogne-Billancourt, France2Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 23, rue du Refuge, F-78000 Versailles, France

Correspondance : [email protected]

Reçu le 10 mai 2010 ; accepté le 8 septembre 2010

Toward a personalized treatment

of colorectal cancer: prognostic

and predictive factors

Abstract: Colorectal cancer (CRC)

remains a major public health pro-

blem despite the advent of several

conventional chemotherapies and

targeted therapies. The identifica-

tion of prognostic factors, and also

factors that can predict response

to different treatments and their

toxicity, has become amajor issue

in order to optimize and perso-

nalize treatment of CRC patients.

Although few molecular factors

are validated in the field of CRC

prognosis where the TNM classifi-

cation is the main parameter used

in clinical practice, the fact is not

true for molecular predictive

factors. Several of them are now

validated for predicting response

to certain treatments (KRAS muta-

tions and anti-EGFR antibodies)

and their toxicity (dihydropyrimi-

dine déshydrogenase [DPD] for

5-fluorouracil [5-FU], UDP-

glucuronosyltransferase 1A1 [UGT

1A1] polymorphism for irinotecan)

and open up the way of personali-

zed treatment of CRC. To cite thisjournal: Oncologie 12 (2010).

Keywords: Colorectal cancer –

Prognostic – Chemotherapy –

Anti-EGFR antibodies – KRAS

Résumé : Le cancer colorectal

(CCR) reste un problème majeur

de santé publique malgré

l’avènement de plusieurs chimio-

thérapies et thérapies ciblées.

L’identification de facteurs pro-

nostiques, mais aussi de facteurs

prédictifs de la réponse à ces diffé-

rents traitements et de leur toxicité

est devenue un enjeu majeur afin

d’optimiser et de personnaliser

le traitement du CCR. Si peu de

facteurs moléculaires sont validés

dans le domaine du pronostic des

CCR où la classification TNM reste

le principal paramètre utilisé en

pratique clinique, il n’en est pas

de même des facteurs molécu-

laires prédictifs. Plusieurs d’entre

eux sont désormais validés pour

la prédiction de la réponse à

certains traitements (mutations

de KRAS et anticorps anti-EGFR)

ou à leur toxicité (dihydropyri-

midine déshydrogénase [DPD] et

5-fluorouracile [5-FU], polymor-

phismes de l’UDP-glucuronosyl-

transférase 1A1 [UGT 1A1] et

irinotécan) et ouvrent la voie d’un

traitement personnalisé du CCR.

Pour citer cette revue : Oncologie12 (2010).

Mots clés : Cancer colorectal –

Pronostic – Chimiothérapie –

Anticorps anti-EGFR – KRAS

Introduction

Malgré des progrès remarquables

dans sa prise en charge ces 20 der-

nières années, le cancer colorectal

(CCR) reste un véritable problème

de santé publique en France où

son incidence annuelle s’élève

désormais à plus de 37 000 nou-

veaux cas et sa mortalité à 17 000

décès. D’après les récentes don-

nées publiées par l’Institut national

du cancer, la survie à cinq ans tous

stades confondus est de 56 % en

France et en Europe. Un nombre

encore important de CCR (26 %)

sont diagnostiqués à un stade

métastatique et seuls 25 % le sont

à un stade peu avancé (stade I) [13].

Par ailleurs, la classification TNM,

qui représente la seule classi-

fication pronostique actuellement

validée et utilisée en pratique,

reste imparfaite, notamment pour

ce qui concerne les tumeurs locali-

sées opérées de stades II et III qui

constituent un groupe très hétéro-

gène sur le plan du pronostic et

du bénéfice de la chimiothérapie

adjuvante à base de 5-fluorouracile

(5-FU) ± oxaliplatine. En effet, cette

chimiothérapie n’est indiquée de

façon systématique et consensuelle

qu’en cas de tumeur de stade III où

son bénéfice a clairement été

démontré. En cas de tumeur de

stade II, ce bénéfice reste, en revan-

che, débattu. Or, il est désormais

admis que certaines tumeurs de

stade II ont un mauvais pronostic

et sont dites à « haut risque » de

récidive en présence de facteurs

anatomocliniques péjoratifs pou-

vant rendre la chimiothérapie adju-

vante utile dans ce cas. En situation

métastatique, l’arsenal thérapeu-

tique s’est considérablement étoffé

ces dernières années avec l’arrivée,

en plus des fluoropyrimidines, de

l’oxaliplatine et de l’irinotécan, de

thérapies ciblant l’EGFR (cetuxi-

mab, panitumumab) ou le VEGF

(bévacizumab). Cependant, force

est de constater une réelle hétéro-

généité interindividuelle dans la

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Oncologie (2010) 12: 584–592© Springer-Verlag France 2010DOI 10.1007/s10269-010-1952-1

Les cancers digestifs584

Page 2: Vers Un Traitment Personalise Du Cancer Colorectal

réponse à ces différents traitements

(en termes de réponse tumorale,

mais aussi de survie sans progres-

sion et de survie globale), ainsi

qu’en ce qui concerne leur toxicité

(effets secondaires plus ou moins

sévères en fonction des individus).

L’identification de facteurs pronos-

tiques, mais aussi de facteurs pré-

dictifs de la réponse et de la toxicité

des traitements est donc un enjeu

actuel majeur, dont l’objectif est de

pouvoir proposer un traitement

« personnalisé » du CCR.

Facteurs pronostiques du CCR

Stade TNM et autres paramètres

anatomopathologiques

Concernant les CCR localisés

opérés, la classification TNM, basée

sur l’analyse anatomopathologique

de la pièce opératoire et requérant

l’examen d’au moins 12 ganglions,

est actuellement la seule classifica-

tion pronostique validée et utilisée

pour prédire le risque de récidive

tumorale après chirurgie et poser

l’indication d’une chimiothérapie

adjuvante dont le standard, après

avoir longtemps été le 5-FU, est

désormais l’association 5-FU +

oxaliplatine dans les stades III [2].

Le bénéfice d’une telle chimio-

thérapie dans les stades II, considé-

rés de meilleur pronostic, est plus

controversé, si bien qu’elle ne

constitue pas un standard. Cepen-

dant, cette classification TNM reste

imparfaite, car il existe une hétéro-

généité manifeste au sein des CCR

de stades II et III. En pratique, outre

le stade T4ou l’analyse demoins de

12 ganglions, d’autres paramètres

anatomopathologiques ont une

valeur pronostique péjorative

comme la présence d’emboles vas-

culaires, périnerveux ou lymphati-

ques, le caractère peu différencié

ou indifférencié de la tumeur et la

présence d’une perforation [48]. La

présence d’un de ces critères en cas

de stade II peut alors faire discuter

l’indication d’une chimiothérapie

adjuvante dont les modalités (5-FU

seul ou associé à l’oxaliplatine)

ne sont pas établies à ce jour. À

l’inverse, certaines tumeurs de

stade III sont probablement de bon

pronostic et pourraient ne pas rele-

ver d’une chimiothérapie adjuvante

potentiellement toxique pour le

patient, mais aucune recommanda-

tion dans ce sens n’a actuellement

vu le jour.

L’hétérogénéité du pronostic

au sein des CCR localisés a été, de

nouveau, bien mise en lumière par

l’étude pronostique de la cohorte

américaine SEER (Surveillance

Epidemiology and End Results)

récemment publiée [11,12] et ayant

conduit à l’établissement de la

septième édition de la classification

de l’AJCC (AmericanJointCommit-

tee on Cancer) (Tableaux 1, 2).

Dans cette étude, entre autres, le

pronostic des stades T1-2N1 était

proche de celui des stades T3N0

et celui des stades T1-2N2 proche

de celui des stades T4N0 ou T3N1

(Tableau 2). Une évaluation plus

fine du nombre de ganglionsméta-

statiques (N1a : n = 1 ; N1b : n= 2-3 ;

N2a : n = 4–6 ; N2b : n ≥ 7) ainsi

qu’une distinction pour les stades

T4, entre les tumeurs perforant le

péritoine viscéral (T4a) et les

tumeurs adhérant ou envahissant

les organes de voisinage (T4b),

avaient également un impact pro-

nostiquesignificatif pour lamajorité

des combinaisons TN (Tableau 2).

Outre le nombre de ganglions

envahis, la valeur pronostique du

nombre total de ganglions exami-

nés et du ratio nombre deganglions

envahis/nombre de ganglions

examinés est désormais également

bien documentée.

Instabilité microsatellite

Schématiquement, il existe au

moins deux mécanismes molé-

culaires différents à l’origine de la

transformationmalignedes cellules

épithéliales coliques. Le premier

mécanisme est caractérisé par la

présence d’une instabilité des loci

microsatellites liée à un défaut de

réparation des mésappariements

de l’ADN. Les tumeurs appartenant

à ce groupe ont un phénotype dit

MSI (microsatellite instability) et

représentent 15 % des CCR spora-

diques. Les microsatellites sont des

séquences mono- à tétranucléotidi-

ques répétées du génome humain,

particulièrement sujettes à des

erreurs d’appariement (mésappa-

riements) de nucléotides survenant

de façon physiologique au cours de

la réplication de l’ADN et normale-

ment réparées par les protéines du

système de réparation des mésap-

pariements de l’ADN MMR (mis-

match repair). En cas de déficience

de ce système de réparation, par

mutation, délétion ou méthylation

de la région promotrice, il existe

une accumulation de mutations

secondaires au niveau de ces

séquences répétées dont les consé-

quences peuvent être délétères si

ces dernières se situent au niveau

de régions codantes de l’ADN.

Ainsi, toute une série de gènes

Tableau 1. Nouvelle classification AJCC des cancers colorectaux (7e édition)

T1 T2 T3 T4a T4b

N0 T1N0 (I) T2N0 (I) T3N0 (IIA) T4aN0 (IIB) T4bN0 (IIC)N1a T1N1a (IIIA) T2 N1a (IIIA) T3 N1a (IIIB) T4a N1a (IIIB) T4b N1a (IIIC)N1b T1N1b (IIIA) T2 N1b (IIIA) T3 N1b (IIIB) T4a N1b (IIIB) T4b N1b (IIIC)N2a T1N2a (IIIA) T2 N2a (IIIB) T3 N2a (IIIB) T4a N2a (IIIC) T4b N2a (IIIC)N2b T1N2b (IIIB) T2 N2b (IIIB) T3 N2b (IIIC) T4a N2b (IIIC) T4b N2b (IIIC)

T4a : perforation de la séreuse ; T4b : adhésion ou invasion d’un organe de voisinage.N1a = un ganglion métastatique ; N1b = deux ou trois ganglions métastatiques ; N2a = quatre à six ganglions métastatiques ;N2b ≥ 7 ganglions métastatiques.

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impliqués dans des voies de

contrôle du cycle cellulaire, la proli-

fération cellulaire ou l’apoptose et

de la réparation de l’ADN est inacti-

vée par la survenue de mutations

dansdes régions codantes répétées

(gène du récepteur de type II du

TGFβ, le gène proapoptique BAX,

les facteurs de transcription TCF-4

ou E2F4). Le phénotype MSI est

caractérisé par la présence d’allèles

supplémentaires après amplifica-

tion par PCR (polymerase chain

reaction) de marqueurs microsatel-

lites à partir de l’ADN extrait des

cellules tumorales par rapport à

celui extrait des cellules coliques

normales. Les tumeurs colorectales

MSI sont classiquement diploïdes

et comportent très peu de muta-

tions des gènes suppresseurs de

tumeur TP53 et APC (Tableau 3).

Plusieurs études ontmontré que

le phénotype MSI était un facteur

indépendant de bon pronostic

dans les CCR sporadiques, quel

que soit le stade tumoral [5]. Une

analyse poolée de 32 études,

regroupant un total de 7 642 CCR,

retrouve un risque relatif de décès

en cas de tumeur MSI de 0,65

(IC 95 % : 0,59–0,71) par rapport

aux tumeurs de phénotype micro-

satellite stable (MSS). Ce risque

relatif était de 0,67 (IC 95 % : 0,58–

0,78) lorsque l’analyse était limitée

aux stades II–III [35]. Une autre

étude a montré que le phénotype

MSI, défini par la perte d’expression

des protéines MSH2 ouMLH1, était

un facteur indépendant de bon

pronostic chez des patients ayant

un CCR de stade II et T3 [33]. Enfin,

une récente étude ayant poolé plus

de 1 000 patients inclus dans cinq

essais évaluant l’intérêt d’une

chimiothérapie adjuvante par 5-FU

versus chirurgie seule a confirmé la

valeur pronostique du statut MSI

puisque, chez les patients non

traités par 5-FU, le phénotype MSI

était associé à une survie sans

maladie significativementmeilleure

(HR = 0,51 ; IC 95 % : 0,29–0,89 ;

p = 0,009), de même que la survie

globale (HR : 0,47 ; IC 95 % : 0,26–

0,83 ; p = 0,004) [38]. Même si toutes

les études ne retrouvent pas cette

valeur pronostique du statut MSI

[3,19], la majorité d’entre elles sont

en faveur, ce qui en pratique,

peut conduire à recommander

l’absence de prescription d’une

chimiothérapie adjuvante en cas

de cancer colique de stade II et

MSI comme cela est proposé dans

le Thésaurus national de cancéro-

logie digestive [14].

Instabilité chromosomique :

pertes alléliques et aneuploïdie

Le second mécanisme moléculaire

de carcinogenèse colorectale et

également le plus fréquent, puis-

qu’il rend compte de 80 à 85 % des

CCR sporadiques, est l’instabilité

chromosomique. Il est caractérisé

par la survenue de pertes alléliques

(pertes de fragments chromoso-

miques ou pertes d’hétérozygotie)

sur le bras court des chromosomes

17 et 8 (17p et 8p) et sur le bras long

des chromosomes 18, 5 et 22 (18q,

5q et 22q), d’où leur phénotype dit

LOH (loss of heterozygosity). Ces

pertes alléliques sont associées à

des mutations fréquentes des

gènes suppresseurs de tumeurs

TP53 et APC respectivement locali-

sées en 17q et 5q (Tableau 3).

L’association de ces deux événe-

ments génétiques, pertes alléliques

etmutations, conduità l’inactivation

biallélique de ces gènes suppres-

seurs de tumeur, favorisant ainsi la

prolifération tumorale.

Plusieurs anomalies moléculai-

res qui sont le reflet d’une instabilité

chromosomique peuvent être ana-

lysées dans les CCR. Les premières

sont les pertes alléliques précitées

et la deuxième est une anomalie du

contenu en ADN (aneuploïdie),

conséquence des multiples altéra-

tions chromosomiques structurales

et numériques présentes en cas

d’instabilité chromosomique.

Parmi les pertes alléliques, la

perte en 18q a été la plus étudiée.

Les gènes suppresseurs de

tumeurs connus localisés sur ce

bras sont le gène DCC (deleted in

colon cancer) et les gènes SMAD2

Tableau 2. Survie en fonction de la nouvelle classification AJCC selon Gundersonet al. [5]

Stade UICC Classification TNMcorrespondante

Taux de survieà cinq ans (%)

Stade I pT1N0 97,4pT2N0 96,8

Stade IIIIA pT3N0 87,5IIB pT4aN0 79,6IIC pT4bN0 58,4Stade IIIIIIA pT1N1a 90,6

pT1N1b 81pT1N2a 68,5pT2N1a 90,4pT2N1b 83,7

IIIB pT1N2b 68,4pT2N2a 81,7pT2N2b 60,3pT3N1a 74,2pT3N1b 65,3pT3N2a 53,4pT4aN1a 67,6pT4aN1b 54

IIIC pT3N2b 37,3pT4aN2a 40,9pT4aN2b 21,8pT4bN1a 38,5pT4bN1b 31,2pT4bN2a 23,3pT4bN2b 15,7

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Page 4: Vers Un Traitment Personalise Du Cancer Colorectal

etSMAD4 impliquésdans la voiedu

TGF-β. La plupart des études mon-

trent une valeur prédictive péjora-

tive indépendante de la LOH en

18q sur la survie globale et la survie

sans récidive des CCR de stades

II–III [16,21,32] avec des résultats

très significatifs pour les tumeurs

de stade II (survie à cinq ans : 93 et

54 % pour les tumeurs LOH

18q-négatives et positives respecti-

vement) [16]. Les résultats d’une

méta-analyse regroupant les

études évaluant la LOH en 18q et/

ou la perte d’expression de DCC

vont dans le même sens avec un

hazard ratio à 2 (IC 95 % : 1,5–2,7)

en présence d’un de ces deux para-

mètres, tous stades confondus, et

de 1,69 (IC95 %: 1,1–2,5) pour les

tumeurs de stades II–III [34]. Cepen-

dant, une large étude prospective

récente remet en cause le pronostic

péjoratif des tumeurs LOH 18q-

positives et suggère qu’il pourrait,

en fait, s’expliquer par une plus

grande fréquence du phénotype

MSI, de meilleur pronostic, parmi

les tumeurs [31]. D’autres pertes

alléliques ont montré une valeur

pronostique péjorative, comme la

perte allélique en 8 ou en 17p [8,47].

Beaucoup d’études rapportent

l’aneuploïdie, présente dans 50 à

70 % des CCR, comme un facteur

demauvais pronostic qui n’apparaît

toutefois pas toujours indépendant

du stade et du grade tumoral et a

fait l’objet de résultats discordants.

Une méta-analyse regroupant

10 126 CCR retrouve cette valeur

pronostique péjorative de l’instabi-

lité chromosomique, tous stades

confondus ou dans le sous-groupe

de tumeurs de stades II–III [45], et

plusieurs études ont montré que

l’aneuploïdie était corrélée au

risque de récidive et de métastase

dans les CCR de stade II [20].

Même si de nombreuses études

rétrospectivesmontrent que l’insta-

bilité chromosomique, et en parti-

culier la perte d’hétérozygotie en

18q, est un facteur de mauvais pro-

nostic, cela reste à valider de façon

prospective et ne peut être utilisé en

pratique clinique actuellement.

Autres altérations génétiques :

mutations de KRAS et de TP53

D’autres altérations génétiques

impliquées dans la carcinogenèse

colorectale ont été évaluées.

Concernant les mutations de

KRAS, leur valeur pronostique

reste controversée. Plusieurs

études ont rapporté un mauvais

pronostic, indépendamment du

stade tumoral, en présence de ces

mutations, notamment au niveau

des codons 12 et 13, mais d’autres

études ne le retrouvent pas [7].

S’agissant des mutations du gène

TP53, les résultats sont également

discordants. Ces marqueurs molé-

culaires ne sont pas des facteurs

pronostiques fiables et leur recher-

che n’est, par conséquent, pas

recommandée en pratique clinique

par les sociétés ou groupes experts

américains et européens [9,27].

Facteurs prédictifs

de la réponse aux traitements

du CCR ou de leur toxicité

5-FU

Thymidylate synthase (TS)

La principale cible du 5-FUest la TS,

enzyme clef de la synthèse de

l’ADN. Il existe, dans le promoteur

du gène de la TS, un polymor-

phisme au niveau d’une séquence

nucléotidique de 28 pb qui peut

être répétée de 2 (TSER*2) à

9 (TSER*9) fois, les allèles les plus

fréquents étant TSER*2 et TSER*3.

Il existe une relation génotype–

phénotype, l’allèle TSER*3 étant

associé à une activité transcription-

nelle plus élevée de TS que celle de

l’allèle TSER*2. Ainsi, des taux

d’ARNm intratumoraux de la TS

en moyenne quatre fois supérieurs

sont observés chez des patients

homozygotes TSER*3/TSER*3 par

rapport aux patients homozygotes

TSER*2/TSER*2, le génotype

TSER*2/TSER*3 était associé à des

taux intermédiaires. Plusieurs

études chez des patients traités par

5-FU pour un CCR ont montré que

ce polymorphisme de TS était un

facteur prédictif de l’effet du 5-FU,

à la fois en termes d’efficacité et

de tolérance, les patients homo-

zygotes TSER*2/TSER*2 ayant un

taux de réponse au 5-FU supérieur

à celui des patients homozygotes

TSER*3/TSER*3 dans ces études

[10,36], ainsi qu’un risque accru de

toxicité au 5-FU [27]. Toutefois, il est

apparu que certains patients homo-

zygotes TSER*3/TSER*3 pouvaient

bénéficier d’une chimiothérapie par

5-FU [15] et qu’environ 25% d’entre

eux exprimaient de faibles taux

Tableau 3. Caractéristiques moléculaires des cancers colorectaux de phénotypeMSI et LOH

Tumeur LOH Tumeur MSI

Hyperploïde DiploïdePertes alléliques sur 17p, 5q,

18q, 8p 22qPeu ou pas de pertes alléliques

Perte de la fonction de APCprécoce

Perte de la fidélité de la réplication de l’ADN

Mutations fréquentesdes gènes suppresseursde tumeurs TP53, APC

Mutations rares des gènes suppresseursde tumeurs APC, TP53

Mutations fréquentesde l’oncogène KRAS

Mutations fréquentes de l’oncogène BRAF

Altérations des gènes de la réparationdes mésappariements de l’ADN (hMSH2,hMLH1, hMSH6) par mutation,délétion ou hyperméthylation du promoteur

Mutations des gènes TGFRII, BAX, TCF4,β-caténine

Localisation colique distaleprépondérante

Localisation colique proximale prépondérante

Instabilité chromosomique Instabilité génétique

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d’expressiondeTS, ce qui fait poser

la question d’autres facteurs capa-

bles demoduler cette expression et

rend ce polymorphisme inutilisable

en pratique clinique.

Dihydropyrimidine déshydrogénase

La dihydropyrimidine déshydro-

génase (DPD) est l’enzyme clé du

catabolisme du 5-FU, capable

d’inactiver plus de 80 % de cette

substance au niveau hépatique.

Les sujets présentant un déficit en

DPD ont un risque accru de toxicité

hématologique et/ou digestive

sévère, voire létale au 5-FU en

raison d’une biodisponibilité

accrue du médicament dans cette

situation. Plus d’une vingtaine de

polymorphismesdugènede laDPD

(présents dans 3 % à l’état hétéro-

zygote et 0,1% à l’état homozygote)

sont associés à une diminution de

l’activité de cette enzyme, dont le

plus fréquent est l’allèle DPYD*2A

(IVS14 + 1G > A) puisqu’il explique

40 à 50 % des cas de déficit en DPD

[46]. Une étude a montré que la

présence d’au moins un des trois

polymorphismes de la DPD sui-

vants, IVS14 + 1G > A, 2 846 A > T

ou 1679 T > G (présents au moins à

l’état hétérozygote dans 1,4, 1,6 et

0,16 % des cas respectivement

dans cette étude), était particulière-

ment importante puisqu’elle per-

mettait d’identifier les patients à

risque de faire une toxicité de gra-

des 3–4 au 5-FU avec une sensibilité

et une spécificité de 31 et 98 % res-

pectivement (60, 60 et 100 % versus

0, 5,5 et 15 % de toxicité de grades

3–4 en présence de chacun de ces

polymorphismes respectivement)

[29]. La recherche, par différentes

techniques de détection, d’un défi-

cit enDPD, si elle n’est actuellement

pas réalisée systématiquement

avantmise en route d’un traitement

par fluoropyrimidine, est cependant

facilement accessible et est

fortement recommandée en cas de

toxicité sévère même s’il en existe

des limites, notamment en ce qui

concerne la poursuite du 5-FU et

de sa dose en cas de déficit avéré.

En effet, tous les patients porteurs

d’un des polymorphismes réperto-

riés de la DPD ne font pas systé-

matiquement une toxicité sévère

au 5-FU et vice versa [37].

Instabilité microsatellite

L’influence du statut MSI sur le

bénéfice d’une chimiothérapie

adjuvante par 5-FU a été largement

étudiée dans la littérature. Hormis

une première étude ayant rapporté

des résultats contraires, les nom-

breuses autres études publiées

ensuite ontmontré l’absence d’effet

bénéfique, voire un effet délétère,

d’une chimiothérapie adjuvante par

5-FU chez des patients opérés d’un

CCR de stades II–III en cas de

phénotype MSI [5]. Cela a été de

nouveau bien démontré dans la

récente analyse poolée d’essais

comparant une chimiothérapie

adjuvanteàbasede5-FUversuschi-

rurgie seule rapportée par Sargent

et al. et déjà citée plus haut [38].

Cette étude confirme l’absence de

bénéfice de la chimiothérapie adju-

vante par 5-FU en cas de phénotype

MSI, que la tumeur soit de stade III

(HR = 1,01 ; IC 95 % : 0,41–2,51 ;

p = 0,98) ou de stade II (HR = 2,3 ;

IC 95 % : 0,85–6,24 ; p = 0,09). Ce

bénéfice était, en revanche, bien

retrouvé chez les patients ayant

une tumeur MSS de stade III

(HR = 0,64 ; p = 0,001), mais pas en

cas de tumeur MSS de stade II. Ces

données, couplées au bon pronos-

tic des tumeurs MSI, incitent à ne

pas recommander de chimio-

thérapie par 5-FU en cas de cancer

colique de stade II de phénotype

MSI [14].

Irinotécan

L’UDP-glucuronosyltransférase1A1 (UGT 1A1)

L’UGT 1A1 est une enzyme clé du

catabolisme du SN-38, métabolite

actif de l’irinotécan, dont elle assure

l’inactivation par glucuronidation

au niveau hépatique. Il existe une

grande variabilité interindividuelle

de l’activité de l’UGT 1A1, en

grande partie génétiquement

déterminée par la présence d’un

polymorphisme dans le promoteur

du gène, au niveau d’une répétition

d’un dinucléotide (TA) [l’allèle sau-

vage = UGT 1A1*1 correspondant à

six répétitions et l’allèlemuté =UGT

1A1*28 à sept répétitions]. L’allèle

UGT 1A1*28 est associé à un déficit

de l’activité de l’UGT 1A1 corres-

pondant, sous sa forme homo-

zygote, à la maladie de Gilbert

(10 % de la population). Le déficit

de la glucuronidation du SN-38 en

présence de cet allèle à l’état homo-

zygote, mais aussi hétérozygote à

un moindre degré, est associé à un

risque accru de toxicité sévère

hématologique (neutropénie) et

digestive (diarrhée) [30]. En pra-

tique, ces données ont conduit à la

mise en place, dans de nombreux

centres, du dépistage systématique

du polymorphisme de l’UGT 1A1

chez tout patient devant recevoir

une chimiothérapieà based’irinoté-

can et à recommander une diminu-

tion de dose, en cas d’homozygotie

UGT 1A1*28/UGT 1A1*28.

Oxaliplatine

Famille excision repaircross-complementary (ERCC)

L’oxaliplatine, comme les autres

sels de platine, exerce ses fonctions

cytotoxiques en formant des

adduits à l’ADN qui inhibent la

synthèse de l’ADN et interfèrent

avec les mécanismes de réparation

de l’ADN. Le principal système de

réparation de ces lésions de l’ADN

est le système NER (nucleotide

excision repair), en particulier les

enzymes de réparation de la famille

ERCC. Une faible expression du

gène ERCC1 est associée à une

meilleure sensibilité des cellules

tumorales colorectales à l’oxali-

platine in vitro et à une meilleure

survie des patients traités par

5-FU/oxaliplatine pour un CCR

métastatique [39]. Différents poly-

morphismes fonctionnels des

gènes ERCC ont été rapportés

comme associés à l’efficacité

d’une chimiothérapie à base

d’oxaliplatine dans le CCR, comme

le polymorphisme C118T du gène

ERCC1 ou le polymorphisme

A751C du gène ERCC2, avec

toutefois des résultats parfois

contradictoires [22,23,44] et, plus

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588

Page 6: Vers Un Traitment Personalise Du Cancer Colorectal

récemment, non retrouvés dans

une étude prospective, randomisée

et à larges effectifs [28], ce qui les

rend, à l’heure actuelle, inexploi-

tables en pratique clinique.

Glutathion S-transférases (GST)

L’oxaliplatine est, en partie, déto-

xiqué par des GST, notamment les

isoformes GSTP1 et GSTM1. Ainsi,

il a été montré que le polymor-

phisme A313G du gène GSTP1

était associé à une faible activité

enzymatique, ainsi qu’à une meil-

leure survie des patients traités par

5-FU/oxaliplatine pour CCR [41] et à

une neurotoxicité plus importante

[24], mais ces données n’ont pas

toujours été confirmées, notam-

ment dans la récente étude pros-

pective de pharmacogénétique de

McLeod et al. [28] où, en revanche,

c’est le polymorphisme GSTP1

I105V (génotype GSTP1 I105V T/T)

qui s’est avéré être associé à un

risque plus important d’inter-

rompre l’oxaliplatine en raison

d’une neurotoxicité chez les

patients traités par FOLFOX (24 vs

10 %, p = 0,01) et à un risque de

neurotoxicité de grade 3 chez les

patients traités par IROX (irinoté-

can + oxaliplatine) [18,6 vs 0 %,

p = 0,003]. De plus, le polymor-

phisme correspondant à la délétion

GSTM1*0, observé à l’état homozy-

gote chez 47 % des patients, était

associé à un risque plus élevé de

neutropénie de grade 4 chez les

patients traités par FOLFOX (28 vs

16 %, p = 0,02). Le caractère trop

disparate de ces données ne per-

met pas leur utilisation en pratique

clinique.

Anticorps anti-EGFR

(cetuximab et panitumumab)

Mutations somatiques du gène KRAS

Récemment, deux anticorps mono-

clonaux ont vu le jour dans le

Raf

p21 GSK3

P

Ligand

EGFR

P PIP3

AKT1/2

mTOR

PIP2

PDK1/2

eIF4E

4EBP1

p70S6K

TraductionSynthèse protéique

BAD

Survie cellulaire

VEGF

Angiogenèse

p27

Prolifération cellulaire

Grb

hSOS

MEK1

MEK2

ERK1/2

Voie PI3K/AKT

VoieRas/MAPK

transcriptionSurvie cellulaire

ProliférationAngiogenèse

Migration

PI3K

Ras

Facteurs detranscription

ADN

PTEN

dimérisationEGF, TGF αamphirégulineépiiréguline…

Cetuximab, Panitumumab

Mutation KRAS30-40%

activation

membrane

Fig. 1.

EGFR et voies de signalisation intracellulaire RAS/MAPK et PI3K/AKT, mécanisme d’action des anticorps anti-EGFR et mécanismede résistance aux anticorps anti-EGFR des mutations de KRASL’EGFR et les voies RAS/MAPK et PI3K/AKT sont activées au cours de la carcinogenèse colorectale suite à la fixation du ligand à la partieextramembranaire de l’EGFR. Les anticorps monoclonaux anti-EGFR (cetuximab et panitumumab) exercent leur action antitumorale en sefixant à cette partie extramembranaire de l’EGFR, ce qui empêche la fixation du ligand sur le récepteur et ainsi la dimérisation et l’activationde ce dernier ainsi que des voies de signalisation RAS/MAPK et PI3K/AKT situées en aval. Les mutations du gène KRAS, lorsqu’elles sontprésentes au niveau tumoral (30–40 % des cas), entraînent une activation constitutive de la voie RAS/MAPK, mais aussi de la voie PI3K/AKT,ce qui rend inefficace les anticorps agissant en amont.

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Page 7: Vers Un Traitment Personalise Du Cancer Colorectal

traitement du CCR métastatique :

le cetuximab (Erbitux®), anticorps

chimérique de type IgG1, et le pani-

tumumab (Vectibix®), anticorps

totalement humain de type IgG2.

Ces deux anticorps possèdent le

mêmemécanismed’action. Ils vien-

nent se fixer sur la partie extracellu-

laire de l’EGFR, empêchant ainsi

que leurs ligands ne s’y fixent

(Fig. 1). Il en résulte une inhibition

de la dimérisation et de l’activation

de l’EGFR et, par conséquent, des

voies de signalisation intracellulaire

contribuant au processus tumoral

et situées en aval de ce récepteur

(voies RAS/MAPK et PI3K/AKT prin-

cipalement) (Fig. 1). Le cetuximab a

été le premier anticorps anti-EGFR à

avoir montré son efficacité dans le

traitement du CCRmétastatique, en

monothérapie ou associé à l’irinoté-

can chez des patients ayant une

tumeur résistante à une chimio-

thérapieàbased’irinotécan,puisaux

autres chimiothérapies convention-

nelles du CCR [6,17,40]. Le panitu-

mumab a ensuite également

montré sa supériorité en mono-

thérapie par rapport à des soins

de confort chez des patients chimio-

résistants [43]. Cette efficacité

restait cependant modeste (taux

de réponse : 8 à 23 %), d’où l’intérêt

d’identifier des facteurs permettant

de mieux sélectionner les patients

susceptibles de bénéficier au mieux

de ces thérapies ciblant l’EGFR.

Compte tenu, d’une part, du

mécanisme d’action des anticorps

anti-EGFR au niveau de la partie

extramembranaire de la cellule

tumorale et, d’autre part, de la pré-

sence dans 35–40 % des CCR de

mutations du gène KRAS respon-

sables d’une activation de la voie

RAS/MAPK en aval de l’EGFR, il a

été émis l’hypothèse selon laquelle

ces mutations pouvaient conférer

aux cellules tumorales une résis-

tance aux anticorps anti-EGFR

(Fig. 1). Cette hypothèse a été rapi-

dement confirmée dans des études

rétrospectives puis randomisées où

les patients ayant une tumeurKRAS

mutée ne tiraient aucun bénéfice

d’un traitement par anticorps

anti-EGFR en termes de réponse

tumorale et de survie, contraire-

ment aux patients avec tumeur

non mutée [1,18,25] (Tableau 4). La

valeur prédictive des mutations de

KRAS a plus récemment été confir-

mée en première ligne théra-

peutique où le bénéfice de l’ajout

du cetuximab à une chimiothérapie

conventionnelle (FOLFOX ou

FOLFIRI) était uniquement observé

chez les patients ayant une tumeur

non mutée pour KRAS, chez les-

quels il existait un gain significatif

en termes de réponse tumorale et

de survie par rapport à ceux traités

par chimiothérapie seule [4,42], ce

qui n’était pas le cas des patients

avec tumeur mutée.

Ces résultats ont conduit l’AMM

à restreindre l’utilisation du cetuxi-

mab et du panitumumab aux

patients dont la tumeur colorectale

ne comporte pas de mutation du

gène KRAS.

Autres facteurs prédictifs pertinentsen cours d’évaluation

Cependant, ces mutations du gène

KRAS n’expliquent pas, à l’heure

actuelle, toutes les résistances aux

anticorps anti-EGFR observées. En

effet, s’il n’existe pratiquement

aucune réponse à ces thérapies

ciblées en cas de mutation de

KRAS, seulement 50 % des patients

ayant une tumeur non mutée en

bénéficient en termes de réponse

objective et de survie, ce qui sug-

gère l’existence d’autres facteurs

capables de moduler la réponse

aux anticorps anti-EGFR. Parmi ces

facteurs, les plus pertinents et en

cours d’évaluation sont, au niveau

tumoral, les mutations somatiques

du gène BRAF ou du gène de la

PI3K, la perte d’expression de

PTEN, le nombre de copies du

gène EGFR et l’expression de

ligands de l’EGFR (amphiréguline,

épiréguline) [26]. D’autres facteurs,

non plus somatiquesmais constitu-

tionnels, semblent également

intéressants. Il s’agit de polymor-

phismes génétiques au niveau des

gènes de l’EGF ou de l’EGFR, mais

aussi au niveau de gènes codant

pour les récepteurs de la portion

Fc des IgG (FCGR3A et FCGR2A)

qui sont impliqués dans la cytotoxi-

cité anticorps-dépendante ouADCC

(antibody dependant cell mediated

cytotoxicity) par l’intermédiaire

de laquelle le cetuximab peut

également exercer son activité

antitumorale [22].

Tableau 4. Essais contrôlés randomisés ayant évalué la valeur prédictive des mutations de KRAS sur la réponse aux anticorpsanti-EGFR dans les cancers colorectaux métastatiques

Référence Traitement Nombredepatients

Réponse objective, % (n/N) Survie sans progression Survie globale

MT WT MT WT MT WT

AmadoJ Clin Oncol2008

PanitumumabSoinsde confort

208219

0 (0/84)–

17 (21/124)–

7,4 sem7,3 sem

12,3 sem (p < 0,0001)7,3 sem

KarapetisN Engl J Med2008

CetuximabSoinsde confort

198196

1,2 (1/81)0 (0/83)

12,8 (15/117)0 (0/113)

1,8 mois1,8 mois

3,7 mois (p < 0,001)1,9 mois

4,5 mois4,6 mois

9,5 mois (p < 0,001)4,8 mois

Van CutsemN Eng J Med2009

Cetuximab +FOLFIRI FOLFIRI

630533

31,3 (67/214)36,1 (66/183)(p = 0,34)

57,3 (181/316)39,7 (143/360)(p < 0,0001)

7,4 mois7,7 mois(p = 0,26)

9,9 mois8,4 mois(p = 0,0012)

16,2 mois16,7 mois(p = 0,75)

23,5 mois20,0 mois(p = 0,0094)

BokemeyerJ Clin Oncol2009

Cetuximab +FOLFOXFOLFOX

159166

33,8 (27/77)52,5 (31/59)(p = 0,029)

57,3 (47/82)34 (33/97)(p = 0,0027)

5,5 mois8,6 mois(p = 0,015)

8,3 mois7,2 mois(p = 0,0064)

13,4 mois17,5 mois(p = 0,20)

22,8 mois18,5 mois(p = 0,38)

MT : KRAS muté, WT : KRAS wild-type (sauvage), sem : semaine.

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Page 8: Vers Un Traitment Personalise Du Cancer Colorectal

Conclusion

Si des avancées importantes ont

été réalisées dans le domaine de

la biologie moléculaire du CCR,

permettant d’identifier des facteurs

capables de prédire la réponse

à certains traitements ou à leur

toxicité, d’énormes efforts restent

encore à fournir pour combler les

nombreuses zones d’ombre qui

persistent dans le domaine de la

prédiction des effets théra-

peutiques et celui du pronostic. Le

traitement personnalisé du CCR

est un idéal que l’on ne touche

que du bout des doigts…

Déclaration de conflit d’intérêt :

l’auteur déclare ne pas avoir de

conflit d’intérêt.

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