Verlaine- Oueuvres Completes I

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7/17/2019 Verlaine- Oueuvres Completes I http://slidepdf.com/reader/full/verlaine-oueuvres-completes-i 1/228

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  • 1Prologue

    Dans ces temps fabuleux, les limbes de lhistoire,O les fils de Ragh, beaux de fard et de gloire,Vers la Ganga rgnaient leur rgne tincelant,Et, par lintensit de leur vertu, troublantLes Dieux et les Dmons et Bhagavat lui-mme,Augustes, slevaient jusquau nant suprme,Ah ! la terre et la mer et le ciel, purs encorEt jeunes, quarrosait une lumire dorFrmissante, entendaient, apaisant leurs murmuresDe tonnerres, de flots heurts, de moissons mres,Et retenant le vol obstin des essaims,Les Potes sacrs chanter les Guerriers saints,Ce pendant que le ciel et la mer et la terreVoyaient rouges et las de leur travail austre Sincliner, pnitents fauves et timors,Les Guerriers saints devant les Potes sacrs !Une connexit grandiosement calmeLiait le Kchatrya serein au Chanteur calme,Valmiki lexcellent lexcellent Rama :Telles sur un tang deux touffes de padma.

    Et sous tes cieux dors et clairs, Hellas antique,De Sparte la svre la rieuse Attique,Les Ades, Orpheus, Akaos, taientEncore des hros altiers et combattaient,Homros, sil na pas, lui, mani le glaive,Fait retentir, clameur immense qui slve,Vos chos, jamais las, vastes postrits,DHektr, et dOdysseus, et dAkhilleus chants.Les hros leur tour, aprs les luttes vastes,Pieux, sacrifiaient aux neuf Desses chastes,Et non moins que de lart dAres furent prisDe lArt dont une Palme immortelle est le prix,Akhilleus entre tous ! Et le LatiadeDompta, parole dor qui charme et persuade,Les esprits et les curs et les mes toujours,Ainsi quOrpheus domptait les tigres et les ours.

  • 2 Plus tard, vers des climats plus rudes, en des resBarbares, chez les Francs tumultueux, nos pres,Est-ce que le Trouvre hroque neut pasComme le Preux sa part auguste des combats ?Est-ce que, Throldus ayant dit Charlemagne,Et son neveu Roland rest dans la montagneEt le bon Olivier et Turpin au grand cur,En beaux couplets et sur un rythme pre et vainqueur,Est-ce que, cinquante ans aprs, dans les batailles,Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux,De Roland et de ceux qui virent RoncevauxEt furent de lnorme et suprme tuerie,Du temps de lEmpereur la barbe fleurie ?

    Aujourdhui lAction et le Rve ont brisLe pacte primitif par les sicles us,Et plusieurs ont trouv funeste ce divorceDe lharmonie immense et bleue et de la Force.La Force quautrefois le Pote tenaitEn bride, blanc cheval ail qui rayonnait,La force, maintenant, la Force, cest la BteFroce bondissante et folle et toujours prte tout carnage, tout dvastement, toutgorgement dun bout du monde lautre bout !LAction quautrefois rglait le chant des lyres,Trouble, enivre, en proie aux cent mille dliresFuligineux dun sicle en bullition,LAction prsent, piti ! lAction,Cest louragan, cest la tempte, cest la houleMarine dans la nuit sans toiles, qui rouleEt droule parmi des bruits sourds leffroi vertEt rouge des clairs sur le ciel entrouvert !

    Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmesDe la vie et du choc dsordonn des armesMercenaires, voyez, gravissant les hauteursIneffables, voici le groupe des ChanteursVtus de blanc, et des lueurs dapothosesEmpourprent la fiert sereine de leurs poses :Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,

  • 3Et sur leur front le rve inachev des Dieux,Le monde que troublait leur parole profonde,Les exile. leur tour ils exilent le monde !Cest quils ont la fin compris quil ne faut plusMler leur note pure aux cris irrsolusQue va poussant la foule obscne et violente,Et que lisolement sied leur marche lente.Le Pote, lamour du Beau, voil sa foi,LAzur, son tendard, et lIdal, sa loi !Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,O le rayonnement des choses ternellesA mis des visions quil suit avidement,Ne sauraient sabaisser une heure seulementSur le honteux conflit des besognes vulgaires,Et sur vos vanits plates ; et si nagureOn le vit au milieu des hommes, pousantLeurs querelles, pleurant avec eux, les poussantAux guerres, clbrant lorgueil des RpubliquesEt lclat militaire et les splendeurs auliques.Sur la kitare, sur la harpe et sur le luth,Sil honorait parfois le prsent dun salutEt daignait consentir ce rle de prtreDaimer et de bnir, et sil voulait bien treLa voix qui rit ou pleure alors quon pleure ou rit,Sil inclinait vers lme humaine son esprit,Cest quil se mprenait alors sur lme humaine.

    Maintenant, va, mon Livre, o le hasard te mne.

  • 4Melancholia Ernest Boutier

    IRsignation

    Tout enfant, jallais rvant Ko-Hinnor,Somptuosit persane et papale,Hliogabale et Sardanapale !Mon dsir crait sous des toits en or,Parmi les parfums, au son des musiques,Des harems sans fin, paradis physiques !Aujourdhui plus calme et non moins ardent,Mais sachant la vie et quil faut quon plie,Jai d rfrner ma belle folie,Sans me rsigner par trop cependant.Soit ! le grandiose chappe ma dent,Mais fi de laimable et fi de la lie !Et je hais toujours la femme jolie !La rime assonante et lami prudent.

    IINevermore

    Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? LautomneFaisait voler la grive travers lair atone,Et le soleil dardait un rayon monotoneSur le bois jaunissant o la bise dtone.Nous tions seul seule et marchions en rvant,Elle et moi, les cheveux et la pense au vent.Soudain, tournant vers moi son regard mouvant : Quel fut ton plus beau jour ! fit sa voix dor vivant,Sa voix douce et sonore, au frais timbre anglique.Un sourire discret lui donna la rplique,Et je baisai sa main blanche, dvotement.

  • 5 Ah ! les premires fleurs quelles sont parfumesEt quil bruit avec un murmure charmantLe premier oui qui sort de lvres bien-aimes !

    IIIAprs trois ans

    Ayant pouss la porte troite qui chancelle,Je me suis promen dans le petit jardinQuclairait doucement le soleil du matin,Pailletant chaque fleur dune humide tincelle.Rien na chang. Jai tout revu : lhumble tonnelleDe vigne folle avec les chaises de rotinLe jet deau fait toujours son murmure argentinEt le vieux tremble sa plainte sempiternelle.Les roses comme avant palpitent ; comme avant,Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.Chaque alouette qui va et vient mest connue.Mme jai retrouv debout la Vellda,Dont le pltre scaille au bout de lavenue. Grle, parmi lodeur fade du rsda.

    IVVu

    Ah ! les oarystis ! les premires matresses !Lor des cheveux, lazur des yeux, la fleur des chairs,Et puis, parmi lodeur des corps jeunes et chers,La spontanit craintive des caresses !Sont-elles assez loin toutes ces allgressesEt toutes ces candeurs ! Hlas ! toutes deversLe Printemps des regrets ont fui les noirs hiversDe mes ennuis, de mes dgots, de mes dtresses !Si que me voil seul prsent, morne et seul,Morne et dsespr, plus glac quun aeul,Et tel quun orphelin pauvre sans sur ane. la femme lamour clin et rchauffant,Douce, pensive et brune, et jamais tonne,Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant

  • 6VLassitude

    A batallas de amor campo de pluma.GONGORA

    De la douceur, de la douceur, de la douceur !Calme un peu ces transports fbriles, ma charmante.Mme au fort du dduit, parfois, vois-tu, lamanteDoit avoir labandon paisible de la sur.

    Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,Bien gaux tes soupirs et ton regard berceur.Va, ltreinte jalouse et le spasme obsesseurNe valent pas un long baiser, mme qui mente !

    Mais dans ton cher cur dor, me dis-tu, mon enfant,La fauve passion va sonnant loliphantLaisse-la trompeter son aise, la gueuse !

    Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,Et fais-moi des serments que tu rompras demain,Et pleurons jusquau jour, petite fougueuse !

    VIMon rve familier

    Je fais souvent ce rve trange et pntrantDune femme inconnue, et que jaime, et qui maime,Et qui nest, chaque fois, ni tout fait la mmeNi tout fait une autre, et maime et me comprend.

    Car elle me comprend, et mon cur, transparentPour elle seule, hlas ! cesse dtre un problmePour elle seule, et les moiteurs de mon front blme,Elle seule les sait rafrachir, en pleurant.

    Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je lignore.Son nom ? Je me souviens quil est doux et sonore,Comme ceux des aims que la Vie exila.

    Son regard est pareil au regard des statues,Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave ; elle a

  • 7Linflexion des voix chres qui se sont tues.

    VII une femme

    vous ces vers, de par la grce consolanteDe vos grands yeux o rit et pleure un rve doux,De par votre me, pure et toute bonne, vousCes vers du fond de ma dtresse violente.

    Cest quhlas ! le hideux cauchemar qui me hanteNa pas de trve et va furieux, fou, jaloux,Se multipliant comme un cortge de loupsEt se pendant aprs mon sort quil ensanglante.

    Oh ! je souffre, je souffre affreusement, si bienQue le gmissement premier du premier hommeChass dden nest quune glogue au prix du mien !

    Et les soucis que vous pouvez avoir sont commeDes hirondelles sur un ciel daprs-midi, Chre, par un beau jour de septembre attidi.

    VIIILangoisse

    Nature, rien de toi ne mmeut, ni les champsNourriciers, ni lcho vermeil des pastoralesSiciliennes, ni les pompes aurorales,Ni la solennit dolente des couchants.

    Je ris de lArt, je ris de lHomme aussi, des chants,Des vers, des temples grecs et des tours en spiralesQutirent dans le ciel vide les cathdrales,Et je vois du mme il les bons et les mchants

    Je ne crois pas en Dieu, jabjure et je renieToute pense, et quant la vieille ironie,LAmour, je voudrais bien quon ne men parlt plus

    Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareilleAu brick perdu jouet du flux et du reflux,Mon me pour daffreux naufrages appareille.

  • 8Eaux-Fortes Franois Coppe

    ICroquis parisien

    La lune plaquait ses teintes de zincPar angles obtus.Des bouts de fume en forme de cinqSortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

    Le ciel tait gris, la bise pleuraitAinsi quun basson.Au loin, un matou frileux et discretMiaulait dtrange et grle faon.

    Moi, jallais, rvant du divin PlatonEt de Phidias,Et de Salamine et de Marathon,Sous lil clignotant des bleus becs de gaz.

    IICauchemar

    Jai vu passer dans mon rve Tel louragan sur la grve,Dune main tenant un glaiveEt de lautre un sablier,Ce cavalier

    Des ballades dAllemagneQu travers ville et campagne,Et du fleuve la montagne,Et des forts au vallon,Un talon

    Rouge-flamme et noir dbne,Sans bride, ni mors, ni rne,

  • 9Ni hop ! ni cravache, entraneParmi des rlements sourdsToujours ! toujours !

    Un grand feutre longue plumeOmbrait son il qui sallumeEt steint. Tel, dans la brume,clate et meurt lclair bleuDune arme feu.

    Comme laile dune orfraieQuun subit orage effraie,Par lair que la neige raie,Son manteau se soulevantClaquait au vent,

    Et montrait dun air de gloireUn torse dombre et divoire,Tandis que dans la nuit noireLuisaient en des cris stridentsTrente-deux dents.

    IIIMarine

    LOcan sonorePalpite sous lilDe la lune en deuilEt palpite encore,

    Tandis quun clairBrutal et sinistreFend le ciel de bistreDun long zigzag clair,

    Et que chaque lame,En bonds convulsifs,Le long des rcifs,Va, vient, luit et clame,

    Et quau firmament,O louragan erre,Rugit le tonnerreFormidablement.

  • 10

    IVEffet de nuit

    La nuit. La pluie. Un ciel blafard que dchiquetteDe flches et de tours jour la silhouetteDune ville gothique teinte au lointain gris.La plaine. Un gibet plein de pendus rabougrisSecous par le bec avide des corneillesEt dansant dans lair noir des gigues nonpareilles,Tandis que leurs pieds sont la pture des loups.Quelques buissons dpine pars, et quelques houxDressant lhorreur de leur feuillage droite, gauche,Sur le fuligineux fouillis dun fond dbauche.Et puis, autour de trois livides prisonniersQui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniersEn marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,Luisent contresens des lances de laverse.

    VGrotesques

    Leurs jambes pour toutes montures,Pour tous biens lor de leurs regards,Par le chemin des aventuresIls vont haillonneux et hagards.

    Le sage, indign, les harangue ;Le sot plaint ces fous hasardeux ;Les enfants leur tirent la langueEt les filles se moquent deux.

    Cest quodieux et ridicules,Et malfiques en effet,Ils ont lair, sur les crpuscules,Dun mauvais rve que lon fait :

    Cest que, sur leurs aigres guitaresCrispant la main des liberts,Ils nasillent des chants bizarres,Nostalgiques et rvolts ;

    Cest enfin que dans leurs prunellesRit et pleure fastidieux

  • 11

    Lamour des choses ternelles,Des vieux morts et des anciens dieux !

    Donc, allez, vagabonds sans trves,Errez, funestes et maudits,Le long des gouffres et des grves,Sous lil ferm des paradis !

    La nature lhomme salliePour chtier comme il le fautLorgueilleuse mlancolieQui vous fait marcher le front haut.

    Et, vengeant sur vous le blasphmeDes vastes espoirs vhments,Meurtrit votre front anathmeAu choc rude des lments.

    Les juins brlent et les dcembresGlent votre chair jusquaux os,Et la fivre envahit vos membres,Qui se dchirent aux roseaux.

    Tout vous repousse et tout vous navre,Et quand la mort viendra pour vous,Maigre et froide, votre cadavreSera ddaign par les loups !

  • 12

    Paysages tristes Catulle Mends

    ISoleils couchants

    Une aube affaiblieVerse par les champsLa mlancolieDes soleils couchants.La mlancolieBerce de doux chantsMon cur qui soublieAux soleils couchants.Et dtranges rves,Comme des soleilsCouchants, sur les grves,Fantmes vermeils,Dfilent sans trves,Dfilent, pareils des grands soleilsCouchants, sur les grves.

    IICrpuscule du soir mystique

    Le Souvenir avec le CrpusculeRougeoie et tremble lardent horizonDe lEsprance en flamme qui reculeEt sagrandit ainsi quune cloisonMystrieuse o mainte floraison Dahlia, lys, tulipe et renoncule Slance autour dun treillis, et circuleParmi la maladive exhalaisonDe parfums lourds et chauds, dont le poison Dahlia, lys, tulipe et renoncule

  • 13

    Noyant mes sens, mon me et ma raison,Mle, dans une immense pmoison,Le Souvenir avec le Crpuscule.

    IIIPromenade sentimentale

    Le couchant dardait ses rayons suprmesEt le vent berait les nnuphars blmes ;Les grands nnuphars entre les roseaux,Tristement luisaient sur les calmes eaux.Moi jerrais tout seul, promenant ma plaieAu long de ltang, parmi la saulaieO la brume vague voquait un grandFantme laiteux se dsesprantEt pleurant avec la voix des sarcellesQui se rappelaient en battant des ailesParmi la saulaie o jerrais tout seulPromenant ma plaie ; et lpais linceulDes tnbres vint noyer les suprmesRayons du couchant dans ses ondes blmesEt des nnuphars, parmi les roseaux,Des grands nnuphars sur les calmes eaux.

    IVNuit du Walpurgis classique

    Cest plutt le sabbat du second Faust que lautre.Un rythmique sabbat, rythmique, extrmementRythmique. Imaginez un jardin de Lentre,Correct, ridicule et charmant.

    Des ronds-points ; au milieu, des jets deau ; des allesToutes droites ; sylvains de marbre ; dieux marinsDe bronze ; et l, des Vnus tales ;Des quinconces, des boulingrins

    Des chtaigniers ; des plants de fleurs formant la dune ;Ici, des rosiers nains quun got docte effila ;Plus loin, des ifs taills en triangles. La luneDun soir dt sur tout cela.

  • 14

    Minuit sonne, et rveille au fond du parc auliqueUn air mlancolique, un sourd, lent et doux airDe chasse : tel, doux, lent, sourd et mlancolique,Lair de chasse de Tannhauser.

    Des chants voils de cors lointains o la tendresseDes sens treint leffroi de lme en des accordsHarmonieusement dissonants dans livresse ;Et voici qu lappel des cors

    Sentrelacent soudain des formes toutes blanches,Diaphanes, et que le clair de lune faitOpalines parmi lombre verte des branches, Un Watteau rv par Raffet !

    Sentrelacent parmi lombre verte des arbresDun geste alangui, plein dun dsespoir profond ;Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbresTrs lentement dansent en rond.

    Ces spectres agits, sont-ce donc la penseDu pote ivre, ou son regret, ou son remords,Ces spectres agits en tourbe cadence,Ou bien tout simplement des morts ?

    Sont-ce donc ton remords, rvasseur quinviteLhorreur, ou ton regret, ou ta pense, hein ? tousCes spectres quun vertige irrsistible agite,Ou bien des morts qui seraient fous ?

    Nimporte ! ils vont toujours, les fbriles fantmes,Menant leur ronde vaste et morne et tressautantComme dans un rayon de soleil des atomes,Et svaporent linstant

    Humide et blme o laube teint lun aprs lautreLes cors, en sorte quil ne reste absolumentPlus rien absolument quun jardin de Lentre,

    Correct, ridicule et charmant.

    VChanson d'automne

    Les sanglots longsDes violons

  • 15

    De lautomneBlessent mon curDune langueurMonotone.

    Tout suffocantEt blme, quandSonne lheure,Je me souviensDes jours anciensEt je pleure ;

    Et je men vaisAu vent mauvaisQui memporteDe, del,Pareil laFeuille morte.

    VILheure du berger

    La lune est rouge au brumeux horizon ;Dans un brouillard qui danse, la prairieSendort fumeuse, et la grenouille criePar les joncs verts o circule un frisson ;

    Les fleurs des eaux referment leurs corolles,Des peupliers profilent aux lointains,Droits et serrs, leurs spectres incertains ;Vers les buissons errent les lucioles ;

    Les chats-huants sveillent, et sans bruitRament lair noir avec leurs ailes lourdes,Et le znith semplit de lueurs sourdes.Blanche, Vnus merge, et cest la Nuit.

    VIILe rossignol

    Comme un vol criard doiseaux en moi,Tous mes souvenirs sabattent sur moi,

  • 16

    Sabattent parmi le feuillage jauneDe mon cur mirant son tronc pli dauneAu tain violet de leau des Regrets,Qui mlancoliquement coule auprs,Sabattent, et puis la rumeur mauvaiseQuune brise moite en montant apaise,Steint par degrs dans larbre, si bienQuau bout dun instant on nentend plus rien,Plus rien que la voix clbrant lAbsente,Plus rien que la voix, si languissante ! De loiseau qui fut mon Premier Amour,Et qui chante encor comme au premier jour ;Et, dans la splendeur triste dune luneSe levant blafarde et solennelle, uneNuit mlancolique et lourde dt,Pleine de silence et dobscurit,Berce sur lazur quun vent doux effleureLarbre qui frissonne et loiseau qui pleure.

  • 17

    Caprices Henry Winter

    IFemme et chatte

    Elle jouait avec sa chatte ;Et ctait merveille de voirLa main blanche et la blanche patteSbattre dans lombre du soir.Elle cachait la sclrate ! Sous ces mitaines de fil noirSes meurtriers ongles dagate,Coupants et clairs comme un rasoir.Lautre aussi faisait la sucreEt rentrait sa griffe acre,Mais le diable ny perdait rienEt dans le boudoir o, sonore,Tintait son rire arien,Brillaient quatre points de phosphore.

    IIJsuitisme

    Le chagrin qui me tue est ironique, et jointLe sarcasme au supplice, et ne torture pointFranchement, mais picote avec un faux sourireEt transforme en spectacle amusant mon martyre,Et sur la bire o gt mon Rve mi-pourri,Beugle un De profundis sur lair du Traderi.Cest un Tartufe qui, tout en mettant des rosesPompons sur les autels des Madones moroses,Tout en faisant chanter des enfants de chursCes cantiques deau tide o se baigne le cur,Tout en ami donnant ces guimpes amoureusesQui serpentent au cur sacr des Bienheureuses,

  • 18

    Tout en disant voix basse son chapelet,Tout en passant la main sur son petit collet,Tout en parlant avec componction de lme,Nen mdite pas moins ma ruine, linfme !

    IIILa chanson des ingnues

    Nous sommes les IngnuesAux bandeaux plats, lil bleu,Qui vivons, presque inconnues,Dans les romans quon lit peu.

    Nous allons entrelaces,Et le jour nest pas plus purQue le fond de nos penses,Et nos rves sont dazur ;

    Et nous courons par les prsEt rions et babillonsDes aubes jusquaux vespres,Et chassons aux papillons ;

    Et des chapeaux de bergresDfendent notre fracheur,Et nos robes si lgres Sont dune extrme blancheur ;

    Les Richelieux, les CaussadesEt les chevaliers FaublasNous prodiguent les illades,Les saluts et les hlas !

    Mais en vain, et leurs mimiquesSe viennent casser le nezDevant les plis ironiquesDe nos jupons dtourns ;

    Et notre candeur se railleDes imaginationsDe ces raseurs de muraille,Bien que parfois nous sentions

    Battre nos curs sous nos mantes des penses clandestins,

  • 19

    En nous sachant les amantesFutures des libertins.

    IVUne grande dame

    Belle damner les saints , troubler sous laumusseUn vieux juge ! Elle marche imprialement.Elle parle et ses dents font un miroitement Italien, avec un lger accent russe.

    Ses yeux froids o lmail sertit le bleu de PrusseOnt lclat insolent et dur du diamant.Pour la splendeur du sein, pour le rayonnementDe la peau, nulle reine ou courtisane, ft-ce

    Cloptre la lynce ou la chatte Ninon,Ngale sa beaut patricienne, non !Vois, bon Buridan : Cest une grande dame !

    Il faut pas de milieu ! ladorer genoux.Plat, nayant dastre aux cieux que ces lourds cheveux rouxOu bien lui cravacher la face, cette femme !

    VMonsieur Pruhomme

    Il est grave : il est maire et pre de famille.Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux,Dans un rve sans fin, flottent insoucieuxEt le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille.

    Que lui fait lastre dor, que lui fait la charmilleO loiseau chante lombre, et que lui font les cieux,Et les prs verts et les gazons silencieux ?Monsieur Prudhomme songe marier sa fille

    Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu.Il est juste-milieu, botaniste et pansu,Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,

    Ces fainants barbus, mal peigns, il les aPlus en horreur que son ternel coryza,Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles.

  • 20

    Initium

    Les violons mlaient leur rire au chant des fltes,Et le bal tournoyait quand je la vis passerAvec ses cheveux blonds jouant sur les volutesDe son oreille o mon Dsir comme un baiserSlanait et voulait lui parler sans oser.

    Cependant elle allait, et la mazurque lenteLa portait dans son rythme indolent comme un vers, Rime mlodieuse, image tincelante, Et son me denfant rayonnait traversLa sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.

    Et depuis, ma Pense immobile contempleSa Splendeur voque, en adoration,Et, dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,Mon Amour entre, plein de superstition.

    Et je crois que voici venir la Passion.

  • 21

    avitri(MAHA-BRAHATA)

    Pour sauver son poux, avitri fit le vuDe se tenir trois jours entiers, trois nuits entires,Debout, sans remuer jambes, buste ou paupires :Rigide, ainsi que dit Vyaa, comme un pieu.

    Ni, Curya, tes rais cruels, ni la langueurQue Tchandra vient pandre minuit sur les cimesNe firent dfaillir, dans leurs efforts sublimes,La pense et la chair de la femme au grand cur.

    Que nous cerne lOubli, noir et morne assassin,Ou que lEnvie aux traits amers nous ait pour cibles.Ainsi que avitri faisons-nous impassibles,Mais, comme elle, dans lme ayons un haut dessein.

  • 22

    Sub urbe

    Les petits ifs du cimetireFrmissent au vent himal,Dans la glaciale lumire.

    Avec des bruits sourds qui font mal,Les croix de bois des tombes neuvesVibrent sur un ton anormal.

    Silencieux comme les fleuves,Mais gros de pleurs comme eux de flots,Les fils, les mres et les veuves,

    Par les dtours du triste enclos,Scoulent, lente thorie,Au rythme heurt des sanglots.

    Le sol sous les pieds glisse et crie,L-haut de grands nuages torsSchevlent avec furie.

    Pntrant comme le remords,Tombe un froid lourd qui vous cure,Et qui doit filtrer chez les morts,

    Chez les pauvres morts, toute heureSeuls, et sans cesse grelottants, Quon les oublie ou quon les pleure !

    Ah ! vienne vite le Printemps,Et son clair soleil qui caresse,Et ses doux oiseaux caquetants !

    Refleurisse lenchanteresseGloire des jardins et des champsQue lpre hiver tient en dtresse !

    Et que, des levers aux couchants,Lor dilat dun ciel sans bornesBerce de parfums et de chants,

    Chers endormis, vos sommeils mornes !

  • 23

    Srnade

    Comme la voix dun mort qui chanteraitDu fond de sa fosse,

    Matresse, entends monter vers ton retraitMa voix aigre et fausse.

    Ouvre ton me et ton oreille au sonDe la mandoline :

    Pour toi jai fait, pour toi, cette chansonCruelle et cline.

    Je chanterai tes yeux dor et donyxPurs de toutes ombres,

    Puis le Lth de ton sein, puis le StyxDe tes cheveux sombres.

    Comme la voix dun mort qui chanteraitDu fond de sa fosse,

    Matresse, entends monter vers ton retraitMa voix aigre et fausse.

    Puis je louerai beaucoup, comme il convient,Cette chair bnie

    Dont le parfum opulent me revientLes nuits dinsomnie.

    Et pour finir, je dirai le baiserDe ta lvre rouge,

    Et ta douceur me martyriser, Mon Ange ! ma Gouge !

    Ouvre ton me et ton oreille au sonDe ma mandoline :

    Pour toi jai fait, pour toi, cette chansonCruelle et cline.

  • 24

    Un dahlia

    Courtisane au sein dur, lil opaque et brunSouvrant avec lenteur comme celui dun buf,Ton grand torse reluit ainsi quun marbre neuf.

    Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucunArme, et la beaut sereine de ton corpsDroule, mate, ses impeccables accords.

    Tu ne sens mme pas la chair, ce got quau moinsExhalent celles-l qui vont fanant les foins,Et tu trnes, Idole insensible lencens.

    Ainsi le Dahlia, roi vtu de splendeur,lve, sans orgueil, sa tte sans odeur,Irritant au milieu des jasmins agaants !

  • 25

    Nevermore

    Allons, mon pauvre cur, allons, mon vieux complice,Redresse et peins neuf tous tes arcs triomphaux ;Brle un encens ranci sur tes autels dor faux ;Sme de fleurs les bords bants du prcipice ;Allons, mon pauvre cur, allons, mon vieux complice !

    Pousse Dieu ton cantique, chantre rajeuni ;Entonne, orgue enrou, des Te Deum splendides ;Vieillard prmatur, mets du fard sur tes rides :Couvre-toi de tapis mordors, mur jauni ;Pousse Dieu ton cantique, chantre rajeuni.

    Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !Car mon rve impossible a pris corps, et je laiEntre mes bras press : le Bonheur, cet ailVoyageur qui de lHomme vite les approches. Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !

    Le Bonheur a march cte cte avec moi ;Mais la FATALIT ne connat point de trve :Le ver est dans le fruit, le rveil dans le rve,Et le remords est dans lamour : telle est la loi. Le Bonheur a march cte cte avec moi.

  • 26

    Il bacio

    Baiser ! rose trmire au jardin des caresses !Vif accompagnement sur le clavier des dentsDes doux refrains quAmour chante en les curs ardents,Avec sa voix darchange aux langueurs charmeresses !

    Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser !Volupt non pareille, ivresse innarrable !Salut ! Lhomme, pench sur ta coupe adorable,Sy grise dun bonheur quil ne sait puiser.

    Comme le vin du Rhin et comme la musique,Tu consoles et tu berces, et le chagrinExpire avec la moue en ton pli purpurinQuun plus grand, Goethe ou Will, te dresse un vers classique.

    Moi, je ne puis, chtif trouvre de Paris,Toffrir que ce bouquet de strophes enfantines :Sois bnin et, pour prix, sur les lvres mutinesDUne que je connais, Baiser, descends, et ris

  • 27

    Dans les bois

    Dautres, des innocents ou bien des lymphatiques, Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,Souffles frais et parfums tides. Ils sont heureux !Dautres sy sentent pris rveurs deffrois mystiques.

    Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et quun remordspouvantable et vague affole sans relche,Par les forts je tremble la faon dun lcheQui craindrait une embche ou qui verrait des morts.

    Ces grands rameaux jamais apaiss, comme londe.Do tombe un noir silence avec une ombre encorPlus noire, tout ce morne et sinistre dcorMe remplit dune horreur triviale et profonde.

    Surtout les soirs dt : la rougeur du couchantSe fond dans le gris bleu des brumes quelle teinteDincendie et de sang ; et langlus qui tinteAu lointain semble un cri plaintif se rapprochant.

    Le vent se lve chaud et lourd, un frisson passeEt repasse, toujours plus fort, dans lpaisseurToujours plus sombre des hauts chnes, obsesseur,Et sparpille, ainsi quun miasme, dans lespace.

    La nuit vient. Le hibou senvole. Cest linstantO lon songe aux rcits des aeules navesSous un fourr, l-bas, l-bas, des sources vivesFont un bruit dassassins posts se concertant.

  • 28

    Nocturne parisien Edmond Lepelletier

    Roule, roule ton flot indolent, morne Seine, Sur tes ponts quenvironne une vapeur malsaineBien des corps ont pass, morts, horribles, pourris,Dont les mes avaient pour meurtrier Paris.Mais tu nen tranes pas, en tes ondes glaces,Autant que ton aspect minspire de penses !

    Le Tibre a sur ses bords des ruines qui fontMonter le voyageur vers un pass profond,Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangersEt reflte, les soirs, des bolros lgers,Le Pactole a son or, le Bosphore a sa riveO vient faire son kief lodalisque lascive.Le Rhin est un burgrave, et cest un troubadourQue le Lignon, et cest un ruffian que lAdour.Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,Berce de rves doux le sommeil des momies.Le grand Meschascb, fier de ses joncs sacrs,Charrie augustement ses lots mordors,Et soudain, beau dclairs, de fracas et de fastes,Splendidement scroule en Niagaras vastes.LEurotas, o lessaim des cygnes familiersMle sa grce blanche au vert mat des lauriers,Sous son ciel clair que raie un vol de gypate,Rythmique et caressant, chante ainsi quun pote.Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblantsEt les rouges padmas, marche pas fiers et lentsEn appareil royal, tandis quau loin la fouleLe long des temples va, hurlant, vivante houle,Au claquement massif des cymbales de bois,Et quaccroupi, filant ses notes de hautbois,

  • 29

    Du saut de lantilope agile attendant lheure,Le tigre jaune au dos ray stire et pleure.

    Toi, Seine, tu nas rien. Deux quais, et voil tout,Deux quais crasseux, sems de lun lautre boutDaffreux bouquins moisis et dune foule insigneQui fait dans leau des ronds et qui pche la ligne.Oui, mais quand vient le soir, rarfiant enfinLes passants alourdis de sommeil ou de faim,Et que le couchant met au ciel des taches rouges,Quil fait bon aux rveurs descendre de leurs bougesEt, saccoudant au pont de la Cit, devantNotre-Dame, songer, cur et cheveux au vent !Les nuages, chasss par la brise nocturne,Courent, cuivreux et roux, dans lazur taciturne.Sur la tte dun roi du portail, le soleil,Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.LHirondelle senfuit lapproche de lombre.Et lon voit voleter la chauve-souris sombre.Tout bruit sapaise autour. peine un vague sonDit que la ville est l qui chante sa chanson,Qui lche ses tyrans et qui mord ses victimes ;Et cest laube des vols, des amours et des crimes. Puis, tout coup, ainsi quun tnor effarLanant dans lair bruni son cri dsespr,Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,clate en quelque coin lorgue de Barbarie :Il brame un de ces airs, romances ou polkas,Quenfants nous tapotions sur nos harmonicasEt qui font, lents ou vifs, rjouissants ou tristes,Vibrer lme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.Cest corch, cest faux, cest horrible, cest dur,Et donnerait la livre Rossini, pour sr ;Ces rires sont trans, ces plaintes sont haches ;Sur une clef de sol impossible juches,Les notes ont un rhume et les do sont des la,Mais quimporte ! lon pleure en entendant cela !Mais lesprit, transport dans le pays des rves,Sent ces vieux accords couler en lui des sves ;La piti monte au cur et les larmes aux yeux,Et lon voudrait pouvoir goter la paix des cieux,

  • 30

    Et dans une harmonie trange et fantastiqueQui tient de la musique et tient de la plastique,Lme, les inondant de lumire et de chant,Mle les sons de lorgue aux rayons du couchant !

    Et puis lorgue sloigne, et puis cest le silence,Et la nuit terne arrive et Vnus se balanceSur une molle nue au fond des cieux obscurs :On allume les becs de gaz le long des murs.Et lastre et les flambeaux font des zigzags fantasquesDans le fleuve plus noir que le velours des masques ;Et le contemplateur sur le haut garde-fouPar lair et par les ans rouill comme un vieux souSe penche, en proie aux vents nfastes de labme.Pense, espoir serein, ambition sublime,Tout, jusquau souvenir, tout senvole, tout fuit,Et lon est seul avec Paris, lOnde et la Nuit !

    Sinistre trinit De lombre dures portes !Man-Thcel-Phars des illusions mortes !Vous tes toutes trois, Goules de malheur,Si terribles, que lHomme, ivre de la douleurQue lui font en perant sa chair vos doigts de spectre,LHomme, espce dOreste qui manque une lectre,Sous la fatalit de votre regard creuxNe peut rien et va droit au prcipice affreux ;Et vous tes aussi toutes trois si jalousesDe tuer et doffrir au grand Ver des pousesQuon ne sait que choisir entre vos trois horreurs,Et si lon craindrait moins prir par les terreursDes Tnbres que sous lEau sourde, lEau profonde,Ou dans tes bras fards, Paris, reine du monde !

    Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,Tu tranes dans Paris ton cours de vieux serpent,De vieux serpent boueux, emportant vers les havresTes cargaisons de bois, de houille et de cadavres !

  • 31

    Marco

    Quand Marco passait, tous les jeunes hommesSe penchaient pour voir ses yeux, des SodomesO les feux dAmour brlaient sans pitiTa pauvre cahute, froide Amiti ;Tout autour dansaient des parfums mystiquesO lme, en pleurant, sanantissait.Sur ses cheveux roux un charme glissait ;Sa robe rendait dtranges musiques

    Quand Marco passait.

    Quand Marco chantait, ses mains, sur livoire,voquaient souvent la profondeur noireDes airs primitifs que nul na redits,Et sa voix montait dans les paradisDe la symphonie immense des rves,Et lenthousiasme alors transportaitVers des cieux connus quiconque coutaitCe timbre dargent qui vibrait sans trves,

    Quand Marco chantait.

    Quand Marco pleurait, ses terribles larmesDfiaient lclat des plus belles armes ;Ses lvres de sang fonaient leur carminEt son dsespoir navait rien dhumain ;Pareil au foyer que lhuile exaspre,Son courroux croissait, rouge, et lon auraitDit dune lionne lpre fortCommuniquant sa terrible colre,

    Quand Marco pleurait.

    Quand Marco dansait, sa jupe moireAllait et venait comme une mare,Et, tel quun bambou flexible, son flancSe tordait, faisant saillir son sein blanc ;Un clair partait. Sa jambe de marbre,Emphatiquement cynique, haussaitSes mates splendeurs, et cela faisait

  • 32

    Le bruit du vent de la nuit dans un arbre,Quand Marco dansait.

    Quand Marco dormait, oh ! quels parfums dambreEt de chair mls opprimaient la chambre !Sous les draps la ligne exquise du dosOndulait, et dans lombre des rideauxLhaleine montait, rythmique et lgre ;Un sommeil heureux et calme fermaitSes yeux, et ce doux mystre charmaitLes vagues objets parmi ltagre,

    Quand Marco dormait.

    Mais quand elle aimait, des flots de luxureDbordaient, ainsi que dune blessureSort un sang vermeil qui fume et qui bout,De ce corps cruel que son crime absout :Le torrent rompait les digues de lme,Noyait la pense, et bouleversaitTout sur son passage, et rebondissaitSouple et dvorant comme de la flamme,

    Et puis se glaait.

  • 33

    Csar BorgiaPORTRAIT EN PIED

    Sur fond sombre noyant un riche vestibuleO le buste dHorace et celui de TibulleLointain et de profil rvent en marbre blanc,La main gauche au poignard et la main droite au flanc,Tandis quun rire doux redresse la moustache,Le duc CESAR, en grand costume, se dtache.Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noirVont contrastant, parmi lor somptueux dun soir,Avec la pleur mate et belle du visageVu de trois quarts et trs ombr, suivant lusageDes Espagnols ainsi que des Vnitiens,Dans les portraits de rois et de praticiens.Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,Est mince, et lon dirait que la tenture bougeAu souffle vhment qui doit sen exhaler.Et le regard errant avec laisser-aller,Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures,Fourmille de penses normes daventures.Et le front, large et pur, sillonn dun grand pli,Sans doute de projets formidables rempli,Mdite sous la toque o frissonne une plumeSlanant hors dun nud de rubis qui sallume.

  • 34

    La mort de Philippe II Louis-Xavier de Ricard

    Le coucher dun soleil de septembre ensanglanteLa plaine morne et lpre arte des sierrasEt de la brume au loin linstallation lente.Le Guadarrama pousse entre les sables rasSon flot htif qui va rflchissant par placesQuelques oliviers nains tordant leurs maigres bras.Le grand vol anguleux des perviers rapacesRaye louest le ciel mat et rouge qui brunit,Et leur cri rauque grince travers les espaces.Despotique, et dressant au-devant du znithLentassement brutal de ses tours octogones,LEscurial tend son orgueil de granit.Les murs carrs, percs de vitraux monotones,Montent droits, blancs et nus, sans autres ornementsQue quelques grils sculpts qualternent des couronnes.Avec des bruits pareils aux rudes hurlementsDun ours que des bergers navrent de coups de piochesEt dont lcho redit les rles alarmants,Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,Et puis svaporant en de murmures longs,Sinistrement dans lair, du soir, tintent les cloches.Par les cours du palais, o lombre met ses plombs,Circule tortueux serpent hiratique Une procession de moines aux frocs blondsQui marchent un par un, suivant lordre asctique,Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,Ululent dune voix formidable un cantique. Qui donc ici se meurt ? Pour qui sur le cheminCette paille pandue et ces croix long-voilesSelon le rituel catholique romain ?

  • 35

    La chambre est haute, vaste et sombre. Nielles,Les portes dacajou massif tournent sans bruit,Leurs serrures tant, comme leurs gonds, huiles.Une vague rougeur plus triste que la nuitFiltre rais indcis par les plis des tentures travers les vitraux o le couchant reluit,Et fait papilloter sur les architectures, langle des objets, dans lombre du plafond,Ce halo singulier quon voit dans les peintures.Parmi le clair-obscur transparent et profondSagitent effars des hommes et des femmes pas furtifs, ainsi que les hynes font.Riches, les vtements des seigneurs et des damesVelours panne, satin soie, hermine et brocart,Chantent lode du luxe en chatoyantes gammes,Et, trouant par clairs distancs avec artLopaque demi-jour, les cuirasses de cuivreDes gardes aligns scintillent de trois quartUn homme en robe noire, visage de guivre,Se penche, en caressant de la main ses fmurs.Sur un lit, comme lon se penche sur un livre.Des rideaux de drap dor roides comme des mursTombent dun dais de bois dbne en droite ligne,Dardant temps gaux lil des diamants durs.Dans le lit, un vieillard dune maigreur insignegrne un chapelet, quil baise par moment,Entre ses doigts crochus comme des brins de vigneSes lvres font ce sourd et long marmottement,Dernier signe de vie et premier dagonie, Et son haleine pue pouvantablement.Dans sa barbe couleur damarante ternie,Parmi ses cheveux blancs o luisent des tons rouxSous son linge bord de dentelle jaunie,Avides, empresss, fourmillants, et jalouxDe pomper tout le sang malsain du mourant fauve,En bataillons serrs vont et viennent les poux.

  • 36

    Cest le Roi, ce mourant quassiste un mire chauve,Le Roi Philippe Deux dEspagne, Saluez !Et laigle autrichien seffare dans lalcve,

    Et de grands cussons, aux murailles clous,Brillent, et maints drapeaux o loiseau noir stalePendent de del, vaguement remus !

    La porte souvre. Un flot de lumire brutaleJaillit soudain, dferle et bientt stablitPar lampleur de la chambre en nappe horizontale :

    Porteurs de torches, roux, et que lextase emplit,Entrent dix capucins qui restent en prire :Un dentre eux se dtache et marche droit au lit.

    Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,Et les lancements farouches de la FoiRayonnent travers les cils de sa paupire ;

    Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,Sonne sur les tapis, rgulier, emphatique ;Les yeux baisss en terre, il marche droit au Roi.

    Et tous sur son trajet dans un geste extatiqueSagenouillent, frappant trois fois du poing leur sein,Car il porte avec lui le sacr Viatique.

    Du lit scarte avec respect le matassin,Le mdecin du corps, en pareille occurrence,Devant cder la place, me, ton mdecin.

    La figure du Roi, qutire la souffrance, lapproche du fray se rassrne un peu.Tant la religion est grosse desprance !

    Le moine, cette fois, ouvrant son il de feu,Tout brillant de pardons mls des reproches,Sarrte, messager des justices de Dieu.

    Sinistrement dans lair du soir tintent les cloches.

    Et la Confession commence. Sur le flancSe retournant, le roi, dun ton sourd, bas et grle,Parle de feux, de juifs, de bchers et de sang.

  • 37

    Vous repentiriez-vous par hasard de ce zle ?Brler des juifs, mais cest une dilection !Vous ftes, ce faisant, orthodoxe et fidle. Et, se ptrifiant dans lexaltation,Le Rvrend, les bras croiss en croix, tte dresse,Semble lesprit sculpt de lInquisition.Ayant repris haleine, et dune voix casse,Pniblement, et comme arrachant par lambeauxUn remords douloureux du fond de sa pense,Le Roi, dont la lueur tragique des flambeauxclaire le visage osseux et le front blme,Prononce ces mots : Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux. Les Flamands, rvolts contre lglise mme,Furent trs justement punis, votre los,Et je mtonne, Roi, de ce doute suprme. Poursuivez. Et le roi parla de don Carlos.Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa jouePalpitante et colle affreusement los. Vous dplorez cet acte, et moi je vous en loue !LInfant, certes, tait coupable au dernier point,Ayant voulu tirer lEspagne dans la boue De lhrsie anglaise, et de plus nayant pointFrmi de conspirer ruses abhorres ! Et contre un Pre, et contre un Matre, et contre un Oint ! Le moine ensuite dit les formules sacresPar quoi tous nos pchs nous sont remis, et puis,Prenant lHostie avec ses deux mains timores,Sur la langue du Roi la dposa. Tous bruitsSe sont tus, et la Cour, pliant dans la dtresse,Pria, muette et ple, et nul na su depuisSi sa prire fut sincre ou bien tratresse. Qui dira les penses obscures que protgeaCe silence, brouillard complice qui se dresse ? Ayant communi, le Roi se replongeaDans lampleur des coussins, et la batitudeDe lAbsolution reue ouvrant dj

  • 38

    Lil de son me au jour clair de la certitude,panouit ses traits en un sourire exquisQui tenait de la fivre et de la quitude.

    Et tandis qualentour ducs, comtes et marquis,Pleins dangoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine.Lme du Roi montait aux cieux conquis.

    Puis le rle des morts hurla dans la poitrineDe lauguste malade avec des sursauts fous :Tel louragan passe travers une ruine.

    Et puis, plus rien ; et puis, sortant par mille trous,Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,Sur le corps froid les vers se mlrent aux poux.

    Philippe Deux tait la droite du Pre.

  • 39

    pilogue

    ILe soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.Balancs par un vent automnal et berceur,Les rosiers du jardin sinclinent en cadence.Latmosphre ambiante a des baisers de sur,

    La Nature a quitt pour cette fois son trneDe splendeur, dironie et de srnit :Clmente, elle descend, par lampleur de lair jaune,Vers lhomme, son sujet pervers et rvolt.

    Du pan de son manteau que labme constelle,Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts,Et son me ternelle et sa forme immortelleDonnent calme et vigueur nos curs mous et prompts.

    Le frais balancement des ramures chenues,Lhorizon largi plein de vagues chansons,Tout, jusquau vol joyeux des oiseaux et des nues,Tout aujourdhui console et dlivre. Pensons.

    IIDonc, cen est fait. Ce livre est clos. Chres IdesQui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feuDont le vent caressait mes tempes obsdes,Vous pouvez revoler devers lInfini bleu !

    Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore,Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, dlicieuxRessouvenirs, et vous, Rves, et vous encore,Images quvoquaient mes dsirs anxieux,

    Il faut nous sparer. Jusquaux jours plus propicesO nous runira lArt, notre matre, adieu,Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices !Vous pouvez revoler devers lInfini bleu.

  • 40

    Aussi bien, nous avons fourni notre carrireEt le jeune talon de notre bon plaisir,Tout affol quil est de sa course premire,A besoin dun peu dombre et de quelque loisir.

    Car toujours nous tavons fixe, Posie,Notre astre unique et notre unique passion,Tayant seule pour guide et compagne choisie,Mre, et nous mfiant de lInspiration.

    IIIAh ! lInspiration superbe et souveraine,Lgrie aux regards lumineux et profonds,Le Genium commode et lErato soudaine,LAnge des vieux tableaux avec des ors au fond,

    La Muse, dont la voix est puissante sans doute,Puisquelle fait dun coup dans les premiers cerveaux,Comme ces pissenlits dont smaille la route,Pousser tout un jardin de pomes nouveaux,

    La Colombe, le Saint-Esprit, le saint dlire,Les Troubles opportuns, les Transports complaisants,Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre,Ah ! lInspiration, on linvoque seize ans !

    Ce quil nous faut nous, les Suprmes PotesQui vnrons les Dieux et qui ny croyons pas, nous dont nul rayon naurola les ttes,Dont nulle Batrix na dirig les pas,

    nous qui ciselons les mots comme des coupesEt qui faisons des vers mus trs froidement, nous quon ne voit point les soirs aller par groupesHarmonieux au bord des lacs et nous pmant,

    Ce quil nous faut, nous, cest, aux lueurs des lampes,La science conquise et le sommeil dompt,Cest le front dans les mains du vieux Faust des estampes,Cest lObstination et cest la Volont !

    Cest la Volont sainte absolue, ternelle,Cramponne au projet comme un noble condor

  • 41

    Aux flancs fumants de peur dun buffle, et dun coup daileEmportant son trophe travers les cieux dor !

    Ce quil nous faut nous, cest ltude sans trve,Cest leffort inou, le combat non pareil,Cest la nuit, lpre nuit du travail, do se lveLentement, lentement, luvre, ainsi quun soleil !

    Libre nos Inspirs, curs quune illade enflamme.Dabandonner leur tre aux vents comme un bouleau :Pauvres gens ! lArt nest pas dparpiller son me :Est-elle en marbre, ou non, la Vnus de Milo ?

    Nous donc, sculptons avec le ciseau des PensesLe bloc vierge du Beau, Paros immacul,Et faisons-en surgir sous nos mains empressesQuelque pure statue au pplos toil,

    Afin quun jour, frappant de rayons gris et rosesLe chef-duvre serein, comme un nouveau MemnonLAube-Postrit, fille des Temps moroses,Fasse dans lair futur retentir notre nom !

  • 42

    Ftes galantes

  • 43

    Clair de lune

    Votre me est un paysage choisiQue vont charmants masques et bergamasques,Jouant du luth et dansant et quasiTristes sous leurs dguisements fantasques.

    Tout en chantant sur le mode mineurLamour vainqueur et la vie opportune,Ils nont pas lair de croire leur bonheurEt leur chanson se mle au clair de lune,

    Au calme clair de lune triste et beau,Qui fait rver les oiseaux dans les arbresEt sangloter dextase les jets deau,Les grands jets deau sveltes parmi les marbres.

  • 44

    Pantomime

    Pierrot, qui na rien dun Clitandre,Vide un flacon sans plus attendre,Et, pratique, entame un pt.

    Cassandre, au fond de lavenue,Verse une larme mconnueSur son neveu dshrit.

    Ce faquin dArlequin combineLenlvement de ColombineEt pirouette quatre fois.

    Colombine rve, surpriseDe sentir un cur dans la briseEt dentendre en son cur des voix.

  • 45

    Sur lherbe

    Labb divague. Et toi, marquis,Tu mets de travers ta perruque. Ce vieux vin de Chypre est exquisMoins, Camargo, que votre nuque.

    Ma flamme Do, mi, sol, la, si. Labb, ta noirceur se dvoile. Que je meure, Mesdames, siJe ne vous dcroche une toile.

    Je voudrais tre petit chien ! Embrassons nos bergres, luneAprs lautre. Messieurs, eh bien ? Do, mi, sol. Eh ! bonsoir la Lune !

  • 46

    Lalle

    Farde et peinte comme au temps des bergeries,Frle parmi les nuds normes de rubans,Elle passe, sous les ramures assombries,Dans lalle o verdit la mousse des vieux bancs,Avec mille faons et mille affteriesQuon garde dordinaire aux perruches chries.Sa longue robe queue est bleue, et lventailQuelle froisse en ses doigts fluets aux larges baguesSgaie en des sujets rotiques, si vaguesQuelle sourit, tout en rvant, maint dtail. Blonde en somme. Le nez mignon avec la boucheIncarnadine, grasse, et divine dorgueilInconscient. Dailleurs plus fine que la moucheQui ravive lclat un peu niais de lil.

  • 47

    la promenade

    Le ciel si ple et les arbres si grlesSemblent sourire nos costumes clairsQui vont flottant lgers avec des airsDe nonchalance et des mouvements dailes.

    Et le vent doux ride lhumble bassin,Et la lueur du soleil quattnueLombre des bas tilleuls de lavenueNous parvient bleue et mourante dessein.

    Trompeurs exquis et coquettes charmantesCurs tendres mais affranchis du sermentNous devisons dlicieusement,Et les amants lutinent les amantes

    De qui la main imperceptible saitParfois donner un soufflet quon changeContre un baiser sur lextrme phalangeDu petit doigt, et comme la chose est

    Immensment excessive et farouche,On est puni par un regard trs sec,Lequel contraste, au demeurant, avecLa moue assez clmente de la bouche.

  • 48

    Dans la grotte

    L, je me tue vos genoux ! Car ma dtresse est infinie,

    Et la tigresse pouvantable dHyrcanieEst une agnelle au prix de vous.

    Oui, cans, cruelle Clymne,Ce glaive qui, dans maints combats,

    Mit tant de Scipions et de Cyrus bas,Va finir ma vie et ma peine !

    Ai-je mme besoin de lui Pour descendre aux Champs-lyses ?

    Amour pera-t-il pas de flches aiguises Mon cur, ds que votre il met lui ?

  • 49

    Les ingnus

    Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,En sorte que, selon le terrain et le vent,Parfois luisaient des bas de jambe, trop souventIntercepts ! et nous aimions ce jeu de dupes.

    Parfois aussi le dard dun insecte jalouxInquitait le col des belles, sous les branches,Et ctait des clairs soudains de nuques blanchesEt ce rgal comblait nos jeunes yeux de fous.

    Le soir tombait, un soir quivoque dautomne :Les belles, se pendant rveuses nos bras,Dirent alors des mots si spcieux, tout bas,Que notre me depuis ce temps tremble et stonne.

  • 50

    Cortge

    Un singe en veste de brocartTrotte et gambade devant elleQui froisse un mouchoir de dentelleDans sa main gante avec art,

    Tandis quun ngrillon tout rougeMaintient tour de bras les pansDe sa lourde robe en suspens,Attentif tout pli qui bouge ;

    Le singe ne perd pas des yeuxLa gorge blanche de la dame.Opulent trsor que rclameLe torse nu de lun des dieux ;

    Le ngrillon parfois soulvePlus haut quil ne faut, laigrefin,Son fardeau somptueux, afinDe voir ce dont la nuit il rve ;

    Elle va par les escaliers,Et ne parat pas davantageSensible linsolent suffrageDe ses animaux familiers.

  • 51

    Les coquillages

    Chaque coquillage incrustDans la grotte o nous nous aimmesA sa particularit

    Lun a la pourpre de nos mesDrobe au sang de nos cursQuand je brle et que tu tenflammes ;

    Cet autre affecte tes langueursEt tes pleurs alors que, lasse,Tu men veux de mes yeux moqueurs ;

    Celui-ci contrefait la grceDe ton oreille, et celui-lTa nuque rose, courte et grasse ;

    Mais un, entre autres, me troubla.

  • 52

    En patinant

    Nous fmes dupes, vous et moi,De manigances mutuelles,Madame, cause de lmoiDont lt frut nos cervelles.

    Le Printemps avait bien un peuContribu, si ma mmoireEst bonne, brouiller notre jeu,Mais que dune faon moins noire !

    Car au printemps lair est si fraisQuen somme les roses naissantes,QuAmour semble entrouvrir exprs,Ont des senteurs presque innocentes ;

    Et mme les lilas ont beauPousser leur haleine poivre,Dans lardeur du soleil nouveau,Cet excitant au plus rcre,

    Tant le zphir souffle, moqueur,Dispersant laphrodisiaqueEffluve, en sorte que le curChme et que mme lesprit vaque,

    Et qumoustills, les cinq sensSe mettent alors de la fte,Mais seuls, tout seuls, bien seuls et sansQue la crise monte la tte.

    Ce fut le temps, sous de clairs ciels(Vous en souvenez-vous, Madame ?),Des baisers superficielsEt des sentiments fleur dme,

    Exempts de folles passions,Pleins dune bienveillance amne.Comme tous deux nous jouissionsSans enthousiasme et sans peine !

  • 53

    Heureux instants ! mais vint lt :Adieu, rafrachissantes brises ?Un vent de lourde voluptInvestit nos mes surprises.

    Des fleurs aux calices vermeilsNous lancrent leurs odeurs mres,Et partout les mauvais conseilsTombrent sur nous des ramures

    Nous cdmes tout cela,Et ce fut un bien ridiculeVertigo qui nous affolaTant que dura la canicule.

    Rires oiseux, pleurs sans raisons,Mains indfiniment presses,Tristesses moites, pmoisons,Et quel vague dans les penses !

    Lautomne heureusement, avecSon jour froid et ses bises rudes,Vint nous corriger, bref et sec,De nos mauvaises habitudes,

    Et nous induisit brusquementEn llgance rclameDe tout irrprochable amantComme de toute digne aime

    Or cet Hiver, Madame, et nosParieurs tremblent pour leur bourse,Et dj les autres traneauxOsent nous disputer la course.

    Les deux mains dans votre manchon,Tenez-vous bien sur la banquetteEt filons ! et bientt FanchonNous fleurira quoiquon caquette !

  • 54

    Fantoches

    Scaramouche et Pulcinella,Quun mauvais dessein rassembla,Gesticulent, noirs sur la lune.

    Cependant lexcellent docteurBolonais cueille avec lenteurDes simples parmi lherbe brune.

    Lors sa fille, piquant minois,Sous la charmille en tapinoisSe glisse demi-nue, en qute

    De son beau pirate espagnol,Dont un langoureux rossignolClame la dtresse tue-tte.

  • 55

    Cythre

    Un pavillon claires-voiesAbrite doucement nos joiesQuventent des rosiers amis ;

    Lodeur des roses, faible, grceAu vent lger dt qui passe,Se mle aux parfums quelle a mis ;

    Comme ses yeux lavaient promis,Son courage est grand et sa lvreCommunique une exquise fivre ;

    Et lAmour comblant tout, hormisLa Faim, sorbets et confituresNous prservent des courbatures.

  • 56

    En bateau

    Ltoile du berger trembloteDans leau plus noire et le piloteCherche un briquet dans sa culotte.

    Cest linstant, Messieurs, ou jamais,Dtre audacieux, et je metsMes deux mains partout dsormais !

    Le chevalier Atys qui gratteSa guitare, Chloris lingrateLance une illade sclrate.

    Labb confesse bas gl,Et ce vicomte drglDes champs donne son cur la cl.

    Cependant la lune se lveEt lesquif en sa course brveFile gament sur leau qui rve.

  • 57

    Le faune

    Un vieux faune de terre cuiteRit au centre des boulingrins,Prsageant sans doute une suiteMauvaise ces instants sereins

    Qui mont conduit et tont conduite,Mlancoliques plerins,Jusqu cette heure dont la fuiteTournoie au son des tambourins.

  • 58

    Mandoline

    Les donneurs de srnadesEt les belles couteuseschangent des propos fadesSous les ramures chanteuses.

    Cest Tircis et cest Aminte,Et cest lternel Clitandre,Et cest Damis qui pour mainteCruelle fait maint vers tendre.

    Leurs courtes vestes de soie,Leurs longues robes queues,Leur lgance, leur joieEt leurs molles ombres bleues,

    Tourbillonnent dans lextaseDune lune rose et grise,Et la mandoline jaseParmi les frissons de brise.

  • 59

    Clymne

    Mystiques barcarolles,Romances sans paroles,Chre, puisque tes yeux,

    Couleur des cieux,

    Puisque ta voix, trangeVision qui drangeEt trouble lhorizon

    De ma raison,

    Puisque larome insigneDe ta pleur de cygneEt puisque la candeur

    De ton odeur,

    Ah ! puisque tout ton tre,Musique qui pntre,Nimbes danges dfunts,

    Tons et parfums.

    A sur dalmes cadencesEn ses correspondances,Induit mon cur subtil,

    Ainsi soit-il !

  • 60

    Lettre

    loign de vos yeux, Madame, par des soinsImprieux (jen prends tous les dieux tmoins),Je languis et je meurs, comme cest ma coutumeEn pareil cas, et vais, le cur plein damertume, travers des soucis o votre ombre me suit,Le jour dans mes penses, dans mes rves la nuit.Et la nuit et le jour adorable, Madame !Si bien quenfin, mon corps faisant place mon me,Je deviendrai fantme mon tour aussi, moi,Et qualors, et parmi le lamentable moiDes enlacements vains et des dsirs sans nombre,Mon ombre se fondra jamais en notre ombre.

    En attendant, je suis, trs chre, ton valet.

    Tout se comporte-t-il l-bas comme il te plat,Ta perruche, ton chat, ton chien ? La compagnieEst-elle toujours belle, et cette SilvanieDont jeusse aim lil noir si le tien ntait bleu,Et qui parfois me fit des signes, palsambleu !Te sert-elle toujours de douce confidente ?

    Or, Madame, un projet impatient me hanteDe conqurir le monde et tous ses trsors pourMettre vos pieds ce gage indigne dun amourgal toutes les flammes les plus clbresQui des grands curs aient fait resplendir les tnbres.Cloptre fut moins aime, oui, sur ma foi !Par Marc-Antoine et par Csar que vous par moi,Nen doutez pas, Madame, et je saurai combattreComme Csar pour un sourire, Cloptre,

    Et comme Antoine fuir au seul prix dun baiser.

    Sur ce, trs chre, adieu. Car voil trop causerEt le temps que lon perd lire une missiveNaura jamais valu la peine quon lcrive.

  • 61

    Les indolents

    Bah ! malgr les destins jaloux,Mourons ensemble, voulez-vous ? La proposition est rare.

    Le rare est le bon. Donc mouronsComme dans les Dcamrons. Hi ! hi ! hi ! quel amant bizarre !

    Bizarre, je ne sais. AmantIrrprochable, assurment.Si vous voulez, mourons ensemble ?

    Monsieur, vous raillez mieux encorQue vous naimez, et parlez dor ;Mais taisons-nous, si bon vous semble ?

    Si bien que ce soir-l TircisEt Dorimne, deux assisNon loin de deux silvains hilares,

    Eurent linexpiable tortDajourner une exquise mort.Hi ! hi ! hi ! les amants bizarres !

  • 62

    Colombine

    Landre le sot,Pierrot qui dun saut

    De puceFranchit le buisson,Cassandre sous son

    Capuce,

    Arlequin aussi,Cet aigrefin si

    FantasqueAux costumes fous,Ses yeux luisants sous

    Son masque,

    Do, mi, sol, mi, fa, Tout ce monde va,

    Rit, chanteEt danse devantUne belle enfant

    Mchante

    Dont les yeux perversComme les yeux verts

    Des chattesGardent ses appasEt disent : bas

    Les pattes !

    Eux ils vont toujours !Fatidique cours

    Des astres,Oh ! dis-moi vers quelsMornes ou cruels

    Dsastres

    Limplacable enfant,Preste et relevant

    Ses jupes,

  • 63

    La rose au chapeau,Conduit son troupeau

    De dupes ?

  • 64

    Lamour par terre

    Le vent de lautre nuit a jet bas lAmourQui, dans le coin le plus mystrieux du parc,Souriait en bandant malignement son arc,Et dont laspect nous fit tant songer tout un jour !

    Le vent de lautre nuit la jet bas ! Le marbreAu souffle du matin tournoie, pars. Cest tristeDe voir le pidestal, o le nom de lartisteSe lit pniblement parmi lombre dun arbre.

    Oh ! cest triste de voir debout le pidestalTout seul ! et des penses mlancoliques vontEt viennent dans mon rve o le chagrin profondvoque un avenir solitaire et fatal.

    Oh ! cest triste ! Et toi-mme, est-ce pas ? es toucheDun si dolent tableau, bien que ton il frivoleSamuse au papillon de pourpre et dor qui voleAu-dessus des dbris dont lalle est jonche.

  • 65

    En sourdine

    Calmes dans le demi-jourQue les branches hautes font,Pntrons bien notre amourDe ce silence profond.

    Fondons nos mes, nos cursEt nos sens extasis,Parmi les vagues langueursDes pins et des arbousiers.

    Ferme tes yeux demi,Croise tes bras sur ton sein,Et de ton cur endormiChasse jamais tout dessein.

    Laissons-nous persuaderAu souffle berceur et douxQui vient tes pieds riderLes ondes de gazon roux.

    Et quand, solennel, le soirDes chnes noirs tombera,Voix de notre dsespoir,Le rossignol chantera.

  • 66

    Colloque sentimental

    Dans le vieux parc solitaire et glacDeux formes ont tout lheure pass.

    Leurs yeux sont morts et leurs lvres sont molles,Et lon entend peine leurs paroles.

    Dans le vieux parc solitaire et glacDeux spectres ont voqu le pass.

    Te souvient-il de notre extase ancienne ? Pourquoi voulez-vous donc quil men souvienne ?

    Ton cur bat-il toujours mon seul nom ?Toujours vois-tu mon me en rve ? Non.

    Ah ! les beaux jours de bonheur indicibleO nous joignions nos bouches ! Cest possible.

    Quil tait bleu, le ciel, et grand lespoir ! Lespoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.

    Tels ils marchaient dans les avoines folles,Et la nuit seule entendit leurs paroles.

  • 67

    La bonne chanson

    ILe soleil du matin doucement chauffe et dore.Les seigles et les bls tout humides encore,Et lazur a gard sa fracheur de la nuit.Lon sort sans autre but que de sortir ; on suit,Le long de la rivire aux vagues herbes jaunes,Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.Lair est vif. Par moments un oiseau vole avecQuelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,Et son reflet dans leau survit son passage.Cest tout.

    Mais le songeur aime ce paysageDont la claire douceur a soudain caressSon rve de bonheur adorable, et bercLe souvenir charmant de cette jeune fille,Blanche apparition qui chante et qui scintille,Dont rve le pote et que lhomme chrit,voquant en ses vux dont peut-tre on souritLa Compagne quenfin il a trouve, et lmeQue son me depuis toujours pleure et rclame.

    IIToute grce et toutes nuancesDans lclat doux de ses seize ans,Elle a la candeur des enfancesEt les manges innocents.

    Ses yeux qui sont les yeux dun ange,Savent pourtant, sans y penser,veiller le dsir trangeDun immatriel baiser.

    Et sa main, ce point petiteQuun oiseau-mouche ny tiendrait,Captive, sans espoir de fuite,Le cur pris par elle en secret.

  • 68

    Lintelligence vient chez elleEn aide lme noble ; elle estPure autant que spirituelle :Ce quelle a dit, il le fallait !Et si la sottise lamuseEt la fait rire sans piti,Elle serait, tant la muse,Clmente jusqu lamiti.Jusqu lamour qui sait ? peut-tre, lgard dun pote prisQui mendierait sous sa fentre,Laudacieux ! un digne prixDe sa chanson bonne ou mauvaise !Mais tmoignant sincrement,Sans fausse note et sans fadaise,Du doux mal quon souffre en aimant.

    IIIEn robe grise et verte avec des ruches,Un jour de juin que jtais soucieux,Elle apparut souriante mes yeuxQui ladmiraient sans redouter dembchesElle alla, vint, revint, sassit, parla,Lgre et grave, ironique, attendrie :Et je sentais en mon me assombrieComme un joyeux reflet de tout cela ;Sa voix, tant de la musique fine,Accompagnait dlicieusementLesprit sans fiel de son babil charmantO la gaiet dun cur bon se devine.Aussi soudain fus-je, aprs le semblantDune rvolte aussitt touffe,Au plein pouvoir de la petite FeQue depuis lors je supplie en tremblant.

    IVPuisque laube grandit, puisque voici laurore,Puisque, aprs mavoir fui longtemps, lespoir veut bien

  • 69

    Revoler devers moi qui lappelle et limplore,Puisque tout ce bonheur veut bien tre le mien,

    Cen est fait prsent des funestes penses,Cen est fait des mauvais rves, ah ! cen est faitSurtout de lironie et des lvres pincesEt des mots o lesprit sans lme triomphait.

    Arrire aussi les poings crisps et la colre propos des mchants et des sots rencontrs ;Arrire la rancune abominable ! arrireLoubli quon cherche en des breuvages excrs !

    Car je veux, maintenant quun tre de lumireA dans ma nuit profonde mis cette clartDune amour la fois immortelle et premire,De par la grce, le sourire et la bont,

    Je veux, guid par vous, beaux yeux aux flammes douces,Par toi conduit, main o tremblera ma main,Marcher droit, que ce soit par des sentiers de moussesOu que rocs et cailloux encombrent le chemin ;

    Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,Vers le but o le sort dirigera mes pas,Sans violence, sans remords et sans envie.Ce sera le devoir heureux aux gais combats.

    Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,Je chanterai des airs ingnus, je me disQuelle mcoutera sans dplaisir sans doute ;Et vraiment je ne veux pas dautre Paradis.

    VAvant que tu ne ten ailles,Ple toile du matin, Mille caillesChantent, chantent dans le thym.

    Tourne devers le pote,Dont les yeux sont pleins damour, LalouetteMonte au ciel avec le jour.

  • 70

    Tourne ton regard que noieLaurore dans son azur ; Quelle joieParmi les champs de bl mr !

    Puis fais luire ma penseL-bas, bien loin, oh ! bien loin ! La roseGament brille sur le foin.

    Dans le doux rve o sagiteMa vie endormie encor Vite, vite,Car voici le soleil dor.

    VILa lune blancheLuit dans les bois ;De chaque branchePart une voixSous la rame

    bien-aime.

    Ltang reflte,Profond miroir,La silhouetteDu saule noirO le vent pleure

    Rvons, cest lheure.

    Un vaste et tendreApaisementSemble descendreDu firmamentQue lastre irise

    Cest lheure exquise.

    VIILe paysage dans le cadre des portiresCourt furieusement, et des plaines entires

  • 71

    Avec de leau, des bls, des arbres et du cielVont sengouffrant parmi le tourbillon cruelO tombent les poteaux minces du tlgrapheDont les fils ont lallure trange dun paraphe.

    Une odeur de charbon qui brle et deau qui bout,Tout le bruit que feraient mille chanes au boutDesquelles hurleraient mille gants quon fouette ;Et tout coup des cris prolongs de chouette.

    Que me fait tout cela, puisque jai dans les yeuxLa blanche vision qui fait mon cur joyeux,Puisque la douce voix pour moi murmure encore,Puisque le Nom si beau, si noble et si sonoreSe mle, pur pivot de tout ce tournoiement,Au rythme du wagon brutal, suavement.

    VIIIUne Sainte en son aurole,Une Chtelaine en sa tour,Tout ce que contient la paroleHumaine de grce et damour ;

    La note dor que fait entendreUn cor dans le lointain des bois,Marie la fiert tendreDes nobles Dames dautrefois !

    Avec cela le charme insigneDun frais sourire triomphantclos dans des candeurs de cygneEt des rougeurs de femme-enfant ;

    Des aspects nacrs, blancs et roses,Un doux accord patricien.Je vois, jentends toutes ces chosesDans son nom Carlovingien.

    IXSon bras droit, dans un geste aimable de douceur,Repose autour du cou de la petite sur,

  • 72

    Et son bras gauche suit le rythme de la jupe. coup sr une ide agrable loccupe,Car ses yeux si francs, car sa bouche qui sourit,Tmoignent dune joie intime avec esprit.Oh ! sa pense exquise et fine, quelle est-elle ?Toute mignonne, tout aimable, et toute belle,Pour ce portrait, son got infaillible a choisiLa pose la plus simple et la meilleure aussi :Debout, le regard droit, en cheveux ; et sa robeEst longue juste assez pour quelle ne drobeQu moiti sous ses plis jaloux le bout charmantDun pied malicieux imperceptiblement.

    XQuinze longs jours encore et plus de six semainesDj ! Certes, parmi les angoisses humainesLa plus dolente angoisse est celle dtre loin.

    On scrit, on se dit comme on saime ; on a soinLvoquer chaque jour la voix, les yeux, le gesteDe ltre en qui lon mit son bonheur, et lon resteDes heures causer tout seul avec labsent.Mais tout ce que lon pense et tout ce que lon sent,Et tout ce dont on parle avec labsent, persiste demeurer blafard et fidlement triste.

    Oh ! labsence le moins clment de tous les maux !Se consoler avec des phrases et des mots,Puiser dans linfini morose des pensesDe quoi vous rafrachir, esprances lasses,Et nen rien remonter que de fade et damer !Puis voici, pntrant et froid comme le fer,

    Plus rapide que les oiseaux et que les ballesEt que le vent du sud en mer et ses rafalesEt portant sur sa pointe aigu un fin poison,Voici venir, pareil aux flches, le souponDcoch par le Doute impur et lamentable.

    Est-ce bien vrai ? tandis quaccoud sur ma tableJe lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,Sa lettre, o stale un aveu dlicieux,

  • 73

    Nest-elle pas alors distraite en dautres choses ?Qui sait ? Pendant quici, pour moi, lents et morosesCoulent les jours, ainsi quun fleuve au bord fltri,Peut-tre que sa lvre innocente a souri ?Peut-tre quelle est trs joyeuse et quelle oublie ?

    Et je relis sa lettre avec mlancolie.

    XILa dure preuve va finir :Mon cur, souris lavenir.

    Ils sont passs les jours dalarmesO jtais triste jusquaux larmes.

    Ne suppute plus les instants,Mon me, encore un peu de temps.

    Jai tu les paroles amresEt banni les sombres chimres.

    Mes yeux exils de la voirDe par un douloureux devoir,

    Mon oreille avide dentendreLes notes dor de sa voix tendre,

    Tout mon tre et tout mon amourAcclament le bienheureux jour

    O, seul rve et seule pense,Me reviendra la fiance !

    XIIVa, chanson, tire-daileAu-devant delle, et dis-luiBien que dans mon cur fidleUn rayon joyeux a lui,

    Dissipant, lumire sainte,Ces tnbres de lamour :Mfiance, doute, crainte,Et que voici le grand jour !

  • 74

    Longtemps craintive et muette,Entendez-vous ? la gaietComme une vive alouetteDans le ciel clair a chant.

    Va donc, chanson ingnue,Et que, sans nul regret vain,Elle soit la bienvenueCelle qui revient enfin.

    XIIIHier, on parlait de choses et dautres,Et mes yeux allaient recherchant les vtres,

    Et votre regard recherchait le mienTandis que courait toujours lentretien.

    Sous le sens banal des phrases pesesMon amour errait aprs vos penses ;

    Et quand vous parliez, dessein distraitJe prtais loreille votre secret :

    Car la voix, ainsi que les yeux de CelleQui vous fait joyeux et triste dcle,

    Malgr tout effort morose et rieur,Et met en plein jour ltre intrieur.

    Or, hier, je suis parti plein divresse :Est-ce un espoir vain que mon cur caresse,

    Un vain espoir, faux et doux compagnon ?Oh ! non ! nest-ce pas ? nest-ce pas que non ?

    XIVLe foyer, la lueur troite de la lampe ;La rverie avec le doigt contre la tempeEt les yeux se perdant parmi les yeux aims ;Lheure du th fumant et des livres ferms ;La douceur de sentir la fin de la soire ;La fatigue charmante et lattente adoreDe lombre nuptiale et de la douce nuit,Oh ! tout cela, mon rve attendri le poursuit

  • 75

    Sans relche, travers toutes remises vaines,Impatient des mois, furieux des semaines !

    XVJai presque peur, en vrit,Tant je sens ma vie enlace la radieuse penseQui ma pris lme lautre t,

    Tant votre image, jamais chre,Habite en cur tout vous,Mon cur uniquement jalouxDe vous aimer et de vous plaire ;

    Et je tremble, pardonnez-moiDaussi franchement vous le dire, penser quun mot, un sourireDe vous est dsormais ma loi,

    Et quil vous suffirait dun geste,Dune parole ou dun clin dil,Pour mettre tout mon tre en deuilDe son illusion cleste.

    Mais plutt je ne veux vous voir,Lavenir dt-il mtre sombreEt fcond en peines sans nombre,Qu travers un immense espoir,

    Plong dans ce bonheur suprmeDe me dire encore et toujours,En dpit des mornes retours,Que je vous aime, que je taime !

    XVILe bruit des cabarets, la fange des trottoirs,Les platanes dchus seffeuillant dans lair noir,Lomnibus, ouragan de ferraille et de boues,Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,Et roule ses yeux verts et rouges lentement,Les ouvriers allant au club, tout en fumantLeur brle-gueule au nez des agents de police,

  • 76

    Toits qui dgouttent, murs suintants, pav qui glisse,Bitume dfonc, ruisseaux comblant lgout,Voil ma route avec le paradis au bout.

    XVIINest-ce pas ? en dpit des sots et des mchantsQui ne manqueront pas denvier notre joie,Nous serons fiers parfois et toujours indulgents

    Nest-ce pas ? nous irons, gais et lents, dans la voieModeste que nous montre en souriant lEspoir,Peu soucieux quon nous ignore ou quon nous voie.

    Isols dans lamour ainsi quen un bois noir,Nos deux curs, exhalant leur tendresse paisible,Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.

    Quant au Monde, quil soit envers nous irascibleOu doux, que nous feront ses gestes ? Il peut bienSil veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.

    Unis par le plus fort et le plus cher lien,Et dailleurs, possdant larmure adamantine,Nous sourirons tous et naurons peur de rien.

    Sans nous proccuper de ce que nous destineLe Sort, nous marcherons pourtant du mme pas,Et la main dans la main, avec lme enfantine

    De ceux qui saiment sans mlange, nest-ce pas ?

    XVIIINous sommes en des temps infmesO le mariage des mesDoit sceller lunion des curs ; cette heure daffreux orages,Ce nest pas trop de deux couragesPour vivre sous de tels vainqueurs.

    En face de ce que lon oseIl nous sirait, sur toute chose,De nous dresser, couple raviDans lextase austre du juste

  • 77

    Et proclamant, dun geste augusteNotre amour fier, comme un dfi !Mais quel besoin de te le dire ?Toi la bont, toi le sourire,Nes-tu pas le conseil aussi,Le bon conseil loyal et brave,Enfant rieuse au pense grave, qui tout mon cur dit : merci !

    XIXDonc, ce sera par un clair jour dt :Le grand soleil, complice de ma joie,Fera, parmi le satin et la soie,Plus belle encore votre chre beaut ;Le ciel tout bleu, comme une haute tente,Frissonnera somptueux longs plisSur nos deux fronts heureux quauront plisLmotion du bonheur et lattente ;Et quand le soir viendra, lair sera douxQui se jouera, caressant, dans vos voiles,Et les regards paisibles des toilesBienveillamment souriront aux poux.

    XXJallais par des chemins perfides,Douloureusement incertain.Vos chres mains furent mes guides.Si ple lhorizon lointainLuisait un faible espoir daurore ;Votre regard fut le matin.Nul bruit, sinon son pas sonore,Nencourageait le voyageur.Votre voix me dit : Marche encore !Mon cur craintif, mon sombre curPleurait, seul, sur la triste voie ;Lamour, dlicieux vainqueur,Nous a runi dans la joie.

  • 78

    XXILhiver a cess : la lumire est tideEt danse, du sol au firmament clair.Il faut que le cur le plus triste cde limmense joie parse dans lair.

    Mme ce Paris maussade et maladeSemble faire accueil aux jeunes soleilsEt, comme pour une immense accolade,Tend les mille bras de ses toits vermeils.

    Jai depuis un an le printemps dans lmeEt le vert retour du doux floral,Ainsi quune flamme entoure une flamme,Met de lidal sur mon idal.

    Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronneLimmuable azur o rit mon amour.La saison est belle et ma part est bonne,Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.

    Que vienne lt ! que viennent encoreLautomne et lhiver ! Et chaque saisonMe sera charmante, Toi que dcoreCette fantaisie et cette raison !

  • 79

    Romances sans parole

    ILe vent dans la plaineSuspend son haleine.

    FAVART

    Cest lextase langoureuse,Cest la fatigue amoureuse,Cest tous les frissons des boisParmi ltreinte des brises,Cest, vers les ramures grises,Le chur des petites voix.

    le frle et frais murmure !Cela gazouille et susurre,Cela ressemble au cri douxQue lherbe agite expireTu dirais, sous leau qui vire,Le roulis sourd des cailloux.

    Cette me qui se lamenteEn cette plainte dormante,Cest la ntre, nest-ce pas ?La mienne, dis, et la tienne,Dont sexhale lhumble antiennePar ce tide soir, tout bas ?

    IIJe devine, travers un murmure,Le contour subtil des voix anciennesEt dans les lueurs musiciennes,Amour ple, une aurore future !

    Et mon me et mon cur en dliresNe sont plus quune espce dil doubleO tremblote travers un jour troubleLariette, hlas ! de toutes lyres !

  • 80

    mourir de cette mort seuletteQue sen vont, cher amour qui tpeuresBalanant jeunes et vieilles heures ! mourir de cette escarpolette !

    IIIIl pleut doucement sur la ville.

    ARTHUR RIMBAUD

    Il pleure dans mon curComme il pleut sur la ville,Quelle est cette langueurQui pntre mon cur ?

    bruit doux de la pluiePar terre et sur les toits !Pour un cur qui sennuie, le chant de la pluie !

    Il pleure sans raisonDans ce cur qui scure.Quoi ! nulle trahison ?Ce deuil est sans raison.

    Cest bien la pire peineDe ne savoir pourquoi,Sans amour et sans haine,Mon cur a tant de peine !

    IVIl faut, voyez-vous, nous pardonner les choses.De cette faon nous serons bien heureuses,Et si notre vie a des instants moroses,Du moins nous serons, nest-ce pas ? deux pleureuses.

    que nous mlions, mes surs que nous sommes, nos vux confus la douceur purileDe cheminer loin des femmes et des hommes,Dans le frais oubli de ce qui nous exile.

    Soyons deux enfants, soyons deux jeunes fillesprises de rien et de tout tonnes,

  • 81

    Qui sen vont plir sous les chastes charmillesSans mme savoir quelles sont pardonnes.

    VSon joyeux, importun dun clavecin sonore.

    PTRUS BOREL

    Le piano que baise une main frleLuit dans le soir rose et gris vaguement,Tandis quavec un trs lger bruit daileUn air bien vieux, bien faible et bien charmant,Rde discret, peur quasiment,Par le boudoir longtemps parfum dElle.

    Quest-ce que cest que ce berceau soudainQui lentement dorlote mon pauvre tre ?Que voudrais-tu de moi, doux chant badin ?Quas-tu voulu, fin refrain incertainQui va tantt mourir vers la fentreOuverte un peu sur le petit jardin ?

    VICest le chien de Jean de NivelleQui mord sous lil mme du guetLe chat de la mre Michel ;Franois-les-bas-bleus sen gaie.

    La lune lcrivain publicDispense sa lumire obscureO Mdor avec AngliqueVerdissent sur le pauvre mur.

    Et voici venir La RameSacrant en bon soldat du Roi.Sous son habit blanc mal famSon cur ne se tient pas de joie !

    Car la boulangre Elle ? Oui dame !Bernant Lustucru, son vieil homme,A tantt couronn sa flammeEnfants, Dominus vobiscum !

  • 82

    Place ! en sa longue robe bleueToute en satin qui fait frou-frou,Cest une impure, palsembleu !Dans sa chaise quil faut quon loue,

    Ft-on philosophe ou grigou,Car tant dor sy relve en bosse,Que ce luxe insolent bafoueTout le papier de monsieur Loss !

    Arrire, robin crott ! place,Petit courtaud, petit abb,Petit pote jamais lasDe la rime non attrape !

    Voici que la nuit vraie arriveCependant jamais fatiguDtre inattentif et naf ?Franois-les-bas-bleus sen gaie.

    VII triste, triste tait mon me cause, cause dune femme.

    Je ne me suis pas consolBien que mon cur sen soit all,

    Bien que mon cur, bien que mon meEussent fui loin de cette femme.

    Je ne me suis pas consolBien que mon cur sen soit all.

    Et mon cur, mon cur trop sensibleDit mon me : Est-il possible,

    Est-il possible, le ft-il, Ce fier exil, ce triste exil ?

    Mon me dit mon cur : Sais-jeMoi-mme, que nous veut ce pige

    Dtre prsents bien quexils,Encore que loin en alls ?

  • 83

    VIIDans linterminableEnnui de la plaine,La neige incertaineLuit comme du sable.

    Le ciel est de cuivreSans lueur aucune,On croirait voir vivreEt mourir la lune.

    Comme des nuesFlottent gris les chnesDes forts prochainesParmi les bues.

    Le ciel est de cuivreSans lueur aucune.On croirait voir vivreEt mourir la lune.

    Corneille poussiveEt vous les loups maigres,Par ces bises aigresQuoi donc vous arrive ?

    Dans linterminableEnnui de la plaine,La neige incertaineLuit comme du sable.

    IXLe rossignol, qui du haut dune branche se regarde dedans,croit tre tomb dans la rivire. Il est au sommet dun chne

    et toutefois il a peur de se noyer.CYRANO DE BERGERAC

    Lombre des arbres dans la rivire embrumeMeurt comme de la fume,

    Tandis quen lair, parmi les ramures relles,Se plaignent les tourterelles.

  • 84

    Combien, voyageur, ce paysage blmeTe mira blme toi-mme,

    Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillesTes esprances noyes ?

    Mai, juin 1872.

  • 85

    Paysages belges Conquestes du Roy.

    (Vieilles estampes)

    WalcourtBriques et tuiles, les charmantsPetits asilesPour les amants !

    Houblons et vignes,Feuilles et fleurs,Tentes insignesDes francs buveurs !

    Guinguettes claires,Bires, clameurs,Servantes chres tous fumeurs

    Gares prochaines,Gais chemins grandsQuelles aubaines,Bons juifs errants !

    Juillet 1873.

    CharleroiDans lherbe noireLes Kobolds vont.Le vent profondPleure, on veut croire.

    Quoi donc se sent ?Lavoine siffle.Un buisson gifleLil au passant.

  • 86

    Plutt des bougesQue des maisons.Quels horizonsDe forges rouges !

    On sent donc quoi ?Des gares tonnent,Les yeux stonnent,O Charleroi ?

    Parfums sinistres ?Quest-ce que cest ?Quoi bruissaitComme des sistres ?

    Sites brutaux !Oh ! votre haleine,Sueur humaine,Cris des mtaux !

    Dans lherbe noireLes Kobolds vont.Le vent profondPleure, on veut croire.

    Bruxelles simples fresquesI

    La fuite est verdtre et roseDes collines et des rampes,Dans un demi-jour de lampesQui vient brouiller toute chose.

    Lor sur les humbles abmes,Tout doucement sensanglante,Des petits arbres sans cimes,O quelque oiseau faible chante.

    Triste peine tant seffacentCes apparences dautomne.Toutes mes langueurs rvassent,Que berce lair monotone.

  • 87

    II

    Lalle est sans finSous le ciel, divinDtre ple ainsi !Sais-tu quon seraitBien sous le secretDe ces arbres-ci ?

    Des messieurs bien mis,Sans nul doute amisDes Royers-Collards,Vont vers le chteau.Jestimerais beauDtre ces vieillards.

    Le chteau, tout blancAvec, son flanc,Le soleil couch.Les champs lentourOh ! que notre amourNest-il l nich !

    Estaminet du Jeune Renard, aot 1872.

    BRUXELLES CHEVAUX DE BOISPar Saint-Gille,Viens-nous-en,

    Mon agileAlezan.

    V. HUGO

    Tournez, tournez, bons chevaux de bois,Tournez cent tours, tournez mille tours,Tournez souvent et tournez toujours,Tournez, tournez au son des hautbois.

    Le gros soldat, la plus grosse bonneSont sur vos dos comme dans leur chambre ;Car, en ce jour, au bois de la Cambre,Les matres sont tous deux en personne.

  • 88

    Tournez, tournez, chevaux de leur cur,Tandis quautour de tous vos tournoisClignote lil du filou sournois,Tournez au son du piston vainqueur.Cest ravissant comme a vous soleDaller ainsi dans ce cirque bte !Bien dans le ventre et mal dans la tte,Du mal en masse et du bien en foule.Tournez, tournez, sans quil soit besoinDuser jamais de nuls perons,Pour commander vos galops ronds,Tournez, tournez, sans espoir de foin.Et dpchez, chevaux de leur me,Dj, voici que la nuit qui tombeVa runir pigeon et colombe,Loin de la foire et loin de madame.Tournez, tournez ! le ciel en veloursDastres en or se vt lentement.Voici partir lamante et lamant.Tournez au son joyeux des tambours.

    Champ de foire de Saint-Gilles, aot 1872.

    MalinesVers les prs le vent cherche noiseAux girouettes, dtail finDu chteau de quelque chevin,Rouge de brique et bleu dardoise,Vers les prs clairs, les prs sans finComme les arbres des feriesDes frnes, vagues frondaisons,chelonnent mille horizons ce Sahara de prairies,Trfle, luzerne et blancs gazons,Les wagons filent en silenceParmi ces sites apaiss.Dormez, les vaches ! Reposez,Doux taureaux de la plaine immense,Sous vos cieux peine iriss !

  • 89

    Le train glisse sans un murmure,Chaque wagon est un salonO lon cause bas et do lonAime loisir cette natureFaite souhait pour Fnelon.

    Aot, 1872.

    Birds in the nightVous navez pas eu toute patience,Cela se comprend par malheur, de reste.Vous tes si jeune ! et linsouciance,Cest le lot amer de lge cleste !

    Vous navez pas eu toute la douceur,Cela par malheur dailleurs se comprend ;Vous tes si jeune, ma froide sur,Que votre cur doit tre indiffrent !

    Aussi me voici plein de pardons chastes,Non certes ! joyeux, mais trs calme, en somme,Bien que je dplore, en ces mois nfastes,Dtre, grce vous, le moins heureux homme.

    Et vous voyez bien que javais raisonQuand je vous disais, dans mes moments noirs,Que vos yeux, foyer de mes vieux espoirs,Ne couvaient plus rien que la trahison.

    Vous juriez alors que ctait mensongeEt votre regard qui mentait lui-mmeFlambait comme un feu mourant quon prolonge,Et de votre voix vous disiez : Je taime !

    Hlas ! on se prend toujours au dsirQuon a dtre heureux malgr la saisonMais ce fut un jour plein damer plaisir,Quand je maperus que javais raison !

    ** *

    Aussi bien pourquoi me mettrai-je geindre ?Vous ne maimez pas, laffaire est conclue,

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    Et, ne voulant pas quon ose se plaindre,Je souffrirai dune me rsolue.

    Oui, je souffrirai, car je vous aimais !Mais je souffrirai comme un bon soldatBless, qui sen va dormir jamais,Plein damour pour quelque pays ingrat.

    Vous qui ftes ma Belle, ma Chrie,Encor que de vous vienne ma souffrance,Ntes-vous donc pas toujours ma Patrie,Aussi jeune, aussi folle que la France ?

    ** *

    Or, je ne veux pas, le puis-je dabord ?Plonger dans ceci mes regards mouills.Pourtant mon amour que vous croyez mortA peut-tre enfin les yeux dessills.

    Mon amour qui nest que ressouvenance,Quoique sous vos coups il saigne et quil pleureEncore et quil doive, ce que je pense,Souffrir longtemps jusqu ce quil en meure,

    Peut-tre a raison de croire entrevoirEn vous un remords qui nest pas banal.Et dentendre dire, en son dsespoir, votre mmoire : ah ! fi que cest mal !

    ** *

    Je vous vois encor. Jentrouvris la porte.Vous tiez au lit comme fatigue.Mais, corps lger que lamour emporte,Vous bondtes nue, plore et gaie.

    quels baisers, quels enlacements fous !Jen riais moi-mme travers mes pleurs.Certes, ces instants seront entre tousMes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.

  • 91

    Je ne veux revoir de votre sourireEt de vos bons yeux en cette occurrenceEt de vous, enfin, quil faudrait maudire,Et du pige exquis, rien que lapparence

    Je vous vois encor ! En robe dtBlanche et jaune avec des fleurs de rideaux.Mais vous naviez plus lhumide gaietDu plus dlirant de tous nos tantts,

    La petite pouse et la fille anetait reparue avec la toilette,Et ctait dj notre destineQui me regardait sous votre voilette.

    Soyez pardonne ! Et cest pour celaQue je garde, hlas ! avec quelque orgueil,En mon souvenir qui vous cajola,Lclair de ct que coulait votre il.

    Par instants, je suis le pauvre navireQui court dmt parmi la tempte,Et ne voyant pas Notre-Dame luirePour lengouffrement en priant sapprte.

    Par instants, je meurs la mort du pcheurQui se sait damn sil nest confess,Et, perdant lespoir de nul confesseur,Se tord dans lEnfer quil a devanc.

    mais ! par instants, jai lextase rougeDu premier chrtien, sous la dent rapace,Qui rit Jsus tmoin, sans que bougeUn poil de sa chair, un nerf de sa face !

    Bruxelles-Londres. Septembre-octobre 1872.

    Aquarelles greenVoici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,Et puis voici mon cur, qui ne bat que pour vous.Ne le dchirez pas avec vos deux mains blanchesEt qu vos yeux si beaux lhumble prsent soit doux.

    Jarrive tout couvert encore de roseQue le vent du matin vient glacer mon front.

  • 92

    Souffrez que ma fatigue, vos pieds repose,Rve des chers instants qui la dlasseront.

    Sur votre jeune sein laissez rouler ma tteToute sonore encore de vos derniers baisers ;Laissez l sapaiser de la bonne tempte,Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

    SpleenLes roses taient toutes rouges,Et les lierres taient tout noirs.

    Chre, pour peu que tu te bouges,Renaissent tous mes dsespoirs.

    Le ciel tait trop bleu, trop tendre,La mer trop verte et lair trop doux.

    Je crains toujours, ce quest dattendreQuelque fuite atroce de vous.

    Du houx la feuille vernieEt du luisant buis je suis las,

    Et de la campagne infinieEt de tout, fors de vous, hlas !

    StreetsI

    Dansons la gigue !Jaimais surtout ses jolis yeux,Plus clairs que ltoile des cieux,Jaimais ses yeux malicieux.

    Dansons la gigue !

    Elle avait des faons vraimentDe dsoler un pauvre amant,Que cen tait vraiment charmant !

    Dansons la gigue !

  • 93

    Mais je trouve encor meilleurLe baiser de sa bouche en fleur,Depuis quelle est morte mon cur.

    Dansons la gigue !Je me souviens, je me souviensDes heures et des entretiens,Et cest le meilleur de mes biens.

    Dansons la gigue !SOHO.

    II

    la rivire dans la rue !Fantastiquement apparueDerrire un mur haut de cinq pieds,Elle roule sans un murmureSans onde opaque et pourtant pure,Par les faubourgs pacifis.La chausse est trs large, en sorteQue leau jaune comme une morteDvale ample et sans nuls espoirsDe rien reflter que la brume,Mme alors que laurore allumeLes cottages jaunes et noirs.

    PADDINGTON.

    Child wifeVous navez rien compris ma simplicit,