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UNIVERSITE DE PROVENCE AIX MARSEILLE I U.F.R Psychologie - Sciences de l'Education Dpartement des Sciences de l'Education

Prvention du dcrochage en formation par apprentissage : vers une fidlisation des apprentis.Le cas du Centre de Formation dApprentis des Lyces du Pays dArles

Mmoire de Master professionnel 2 Mention Sciences de l'Education 2010/2011

Prsent par Dominique BONELLI

Sous la direction de Jacques AUDRAN, Professeur l'INSA de Strasbourg Jury prsid par Caroline LADAGE, Matre de confrences associe Soutenu le 29 septembre 2011

Je tiens remercier : Monsieur AUDRAN, mon directeur de mmoire, pour la qualit de son enseignement, son implication malgr la distance et sa patience. Madame GINER, mon chef dtablissement, pour sa confiance sans cesse renouvele au cours des trois dernires annes, lautonomie quelle ma toujours accorde et son soutien dans cette dmarche de formation. Elle place la loyaut au cur de sa relation. Jai une pense galement pour tous ceux qui, dans ma vie professionnelle, mont manifest cette confiance tour tour, en particulier Genevive FABRE et Laurent SCORDINO. Mes parents, qui mont inculqu le sens de la relation client : ma mre, Ccile, travers sa cuisine et son sens du service et de laccueil et mon pre, Paul, travers les diffrents sens du mot patient . Je leur dois galement, comme toute ma famille, de tenir pour essentiel le concept de loyaut. Ma famille et mes amis : ils ont su moublier , jen avais besoin pour en faire autant et me concentrer, et ils ont rgulirement propos de maider. Je regrette de navoir pas eu le temps de partager davantage ce travail avec eux. Yti, ce travail doit beaucoup tous nos ts en commun. Mes enfants Laurine et Arthur, ils sont loin de se douter quel point leur ducation mimpose une analyse rflexive permanente. Je veux leur dire que le plus dur ne rside pas dans lanalyse mais dans le changement de pratique quelle doit induire. Ma femme Delphine, last but not least, qui supporte un ternel tudiant depuis bientt 6 ans avec calme et srnit. Merci de croire en moi, ton tour maintenant. Enfin, je noublie pas les plus de trois mille apprentis et leurs employeurs, ainsi que lensemble des professionnels passionns avec lesquels jai travaill en apprentissage.

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Ce sont de tels signes que semploie reprer Bernard Honor : laccent sur les dmarches plutt que sur les savoirs tout faits, lorientation vers lautonomisation des forms, le souci de la qualit du service et du client, autant dindices qui signifient peut-tre que les pratiques de formation ne peuvent plus se rduire larraisonnement technique, quelles sont en chemin vers luvre. (Fabre, 1994, p. 227)

Her [Meg Whitman, CEO of eBay] response was immediate: "Loyalty is the primary ingredient in eBay's secret sauce". (Reichheld, 1996/2001)

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Sommaire1. 2. Introduction : Premiers pas professionnels, du service des clients au service client.......... 5 Problmatique pratique : le dcrochage en apprentissage .................................................. 7 2.1. 2.2. 2.3. Transposition dactions dun CFA lautre................................................................. 7 Quand une dmarche locale rejoint une priorit nationale absolue ........................... 10 Lapprentissage entre rupture et abandon : quel indicateur du dcrochage ? ............ 11 La diffrence entre rupture et abandon ............................................................... 13 Revue de littrature sur les ruptures de contrat .................................................. 14

2.3.1. 2.3.2. 2.4. 3.

Conclusion ................................................................................................................. 18

Problmatique thorique : la fidlisation en formation par apprentissage ....................... 22 3.1. 3.2. 3.3. Le choix dun objet de recherche ............................................................................... 22 Historique de la fidlisation : de la consommation aux sciences humaines .............. 23 Le concept de fidlit du consommateur en marketing ............................................. 26 Ltude du comportement du consommateur ..................................................... 27 Ltude de lattitude du consommateur vis--vis de la marque.......................... 28 De la fidlit discrte et transactionnelle la fidlit continue et relationnelle . 29 Conclusion .......................................................................................................... 31

3.3.1. 3.3.2. 3.3.3. 3.3.4. 3.4. 3.5. 4.

La fidlit : une thorisation sociologique en lien avec la thorie des motions....... 32 La fidlit en formation par apprentissage : proposition de dfinition ...................... 35

Mthodologie .................................................................................................................... 37 4.1. 4.2. Le contexte ................................................................................................................. 38 Le choix dune mthode............................................................................................. 39 De la mesure de la fidlit dun point de vue comportementale .................... 39 la mesure de la composante attitudinale ..................................................... 40

4.2.1. 4.2.2. 4.3. 4.4. 5.

Llaboration du questionnaire : entre thorie et pratique ......................................... 42 Conclusion ................................................................................................................. 47

Rsultats ........................................................................................................................... 48 3

5.1.

Effectifs, abandons, assiduit, poursuite de formation et redoublement ................... 48 Taux dabandon .................................................................................................. 48 Assiduit, poursuite de formation et redoublement ............................................ 55

5.1.1. 5.1.2. 5.2.

Composante attitudinale : lenqute de satisfaction .................................................. 55 Profil des apprentis interrogs et reprsentativit............................................... 56 La question de satisfaction gnrale ................................................................... 58 Limage du CFA ................................................................................................. 59 Lvaluation des services fournis ....................................................................... 60 Les situations dadversit ou pisodes dinsatisfaction .......................... 62 Poursuite de formation et redoublement............................................................. 68 Etude textuelle et questions facultatives............................................................. 68

5.2.1. 5.2.2. 5.2.3. 5.2.4. 5.2.5. 5.2.6. 5.2.7. 5.3. 6. 7. 8. 9. 10. 11.

Conclusion ................................................................................................................. 69

Discussion......................................................................................................................... 72 Conclusion ........................................................................................................................ 75 Bibliographie .................................................................................................................... 78 Sites internet consults ..................................................................................................... 83 Textes lgisltatifs ........................................................................................................... 83 Lexique .......................................................................................................................... 84

ANNEXES ............................................................................................................................... 86

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1. Introduction : Premiers pas professionnels, du service des clients au service clientEt si la prvention du dcrochage en formation par apprentissage relevait dune forme de fidlisation des apprentis ? Cette question est lorigine de ce mmoire. Mais, pour expliquer lmergence de cette interrogation, il faut que je prcise dabord les tonnants et heureux concours de circonstances qui mont conduit dune licence de mathmatiques au poste de coordonnateur pdagogique de Centre de Formation dApprentis (CFA), Marseille tout dabord pendant sept annes, puis Arles depuis 2007. Etudiant en mathmatiques, jai dcouvert le monde professionnel travers la restauration au cours de saisons successives dans un seul et mme restaurant, une pizzeria en Corse du Sud. En lespace de huit saisons je suis pass du poste de serveur celui dassoci avec un leitmotiv inn au dpart puis rflchi : satisfaire les clients. Bien que nayant aucune connaissance dans le domaine du marketing et du commerce, mon associ et moi avons toujours partag cet esprit et le succs a toujours t la cl. Il me serait impossible dtayer ces affirmations par des documents : nous navons jamais pris la peine de raliser la moindre tude de march ou enqute de satisfaction. Notre connaissance des clients et la proximit que nous entretenions avec eux suffisaient. De manire purement empirique je peux affirmer que lorsque cette volont nous a fait dfaut, avec lusure des annes par exemple, cela sest toujours ressenti dans le fonctionnement de ltablissement et dans les chiffres. En 1999, un premier concours de circonstances me conduit au CFA du Lyce Htelier de Marseille pour le remplacement du professeur de Mathmatiques des classes de CAP, BEP et Bac Pro1 en apprentissage2 dans le domaine de la restauration. Ma formation thorique et mon exprience pratique se marient en mme temps que je dcouvre le monde inconnu de lapprentissage. Limage que jen ai alors remonte mes annes de collge : le monde vers

Les abrviations et quelques termes techniques sont recenss dans un lexique en fin de mmoire. Pour une dfinition de lapprentissage et une vision synthtique de son volution au cours des trente dernires annes, on pourra lire utilement Lapprentissage entre formation et insertion professionnelle (Abriac, Rathelot & Sanchez, 2009).2

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lequel [sont] dirigs les lves dont les rsultats scolaires ou le comportement taient jugs incompatibles avec les exigences de la filire gnrale (Maillard, 2005, p. 25, cit par Moreau, 2008, p. 122). De nouveau, au cur de mes proccupations, la satisfaction de mes clients : les apprentis mais galement mon employeur. Mission certainement accomplie puisque la rentre suivante le proviseur me propose un mitemps de coordination pdagogique, rapidement suivi par un autre la vie scolaire. Les russites senchanent mesure que saccrot la satisfaction de mes nouveaux clients : enseignants de lquipe pdagogique, dune part, et employeurs des apprentis, dautre part. Et le cercle vertueux se poursuit : le collgue avec lequel je partage le poste russit le concours de direction et, la rentre 2000, le proviseur me propose doccuper ce poste plein temps, ce que je fais jusquen mars 2006. En me retournant, je maperois du succs de ces dmarches spontanes : Entre 1992 et 2010, le chiffre daffaires du restaurant est pass de quelques centaines de milliers de francs un demi-million deuros, le restaurant qui nouvrait que trois mois par an est dsormais ouvert lanne et les saisonniers ont laiss place une quipe permanente. Entre le 31 dcembre 2000 et le 31 dcembre 2005, le nombre dapprentis du CFA du Lyce htelier de Marseille est pass de 370 420 (+ 14 %). Cette dynamique sest poursuivie aprs mon dpart. Quil sagisse du restaurant ou du CFA, je nai pas la navet de croire que seules mon action et ma volont de satisfaire les clients sont lorigine des progrs constats. Le dveloppement du restaurant a bnfici dune restructuration complte au fil des annes. De mme, laugmentation deffectif du CFA sinscrit dans un mouvement gnral de hausse en France entre 2000 et 2005 (+ 5 % en moyenne - Demongeot & Leprvost, 2008) et il a vcu, lui aussi, de nombreuses transformations (dmnagement, ouverture de section, etc.). Mais les signes sont l. Et les tmoignages dencouragement et de satisfaction sont suffisamment nombreux pour forger ma conviction dtre sur la bonne voie : quel que soit ltablissement, la satisfaction du client, sa fidlit et le succs sont troitement lis. Mais, cest en arrivant Arles que je dcouvre un paramtre ignor jusque-l : en apprentissage les abandons sont particulirement importants. Une politique visant la fidlisation des apprentis peut-elle suffire prvenir leur dcrochage ? 6

2. Problmatique pratique : le dcrochage en apprentissageCette intime conviction que la satisfaction du client doit guider mon travail est toujours au cur de mon action lorsque jentre en fonction au CFA des Lyces du Pays dArles (alors CFA Charles Privat) en septembre 2007 avec pour missions de : 1. rorganiser le fonctionnement administratif et pdagogique du centre ; 2. crer une dynamique dquipe pdagogique ; 3. renouer les relations avec le monde professionnel. A ce stade, quelques prcisions sur le fonctionnement dun CFA et sur son budget en particulier sont indispensables. Le budget dun CFA repose sur deux sources de financement principales : la taxe dapprentissage quil collecte et la subvention dquilibre que lui verse la Rgion dont il dpend. Pour la majorit des CFA de la Rgion Provence Alpes Cte dAzur (PACA), cette subvention reprsente lessentiel du budget global, environ 80% Arles. Or, le montant prvisionnel de cette subvention pour lanne N+1 est troitement li leffectif dapprentis dclar au 31 dcembre de lanne N. Dautre part, lvolution de cet effectif a une incidence directe sur la structure pdagogique c'est--dire le nombre dheures de cours dispenser dans lanne et, par ricochet, sur les quotits horaires des personnels enseignants et donc la stabilit et la prennit des quipes. On le voit, quilibre budgtaire, volution des effectifs et stabilit des emplois sont intimement lis.

2.1. Transposition dactions dun CFA lautreAu cours de ma premire anne dexercice au CFA, il sagit donc de rorganiser le fonctionnement interne de ltablissement dun point de vue pdagogique et administratif pour proposer un service cohrent et de qualit aux usagers, quil sagisse des apprentis et de leurs familles, des entreprises des secteurs concerns, ou des fournisseurs que sont essentiellement les collges. Cette dmarche se traduit surtout par une lutte contre labsentisme. En effet, par manque dimplication dans ce domaine, le C.F.A compte nombre dapprentis qui ne suivent pas rellement la formation ! Avec comme corolaire des entreprises qui inscrivent des jeunes mais ne respectent pas les rgles du contrat, rappelant en cela les heures sombres de lapprentissage lorsqu au dbut des annes 70 encore, prs dun quart des apprentis ayant sign un contrat nest inscrit aucun cours () (Moreau, 2008, p. 120).

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Fin 2008, aprs une anne de travail, le constat est amer : le taux dabandon de formation entre la premire et la deuxime anne dapprentissage slve - 22,8 %3. Mais le travail avec les quipes administratives et pdagogiques pour changer le fonctionnement de ltablissement est engag. En 2008/2009, le travail dquipe sur le projet dtablissement conduit dvelopper la communication externe de ltablissement en mme temps que se mettent en place des actions visant renforcer la validit du choix des jeunes qui se destinent lapprentissage : information des futurs apprentis et de leurs familles ; mini-stages de dcouverte professionnelle au C.F.A. et invitation un stage de 3me dans une entreprise de la filire envisage ; entretiens individualiss en vue dune orientation en apprentissage ds le mois de mai pour un positionnement du jeune et une ventuelle mise en relation avec une entreprise partenaire ; invitation dbuter lapprentissage ds le mois de juillet pour une meilleure intgration au sein de lentreprise et une mise profit de la priode dessai par lapprenti comme par lentreprise. Au cours de la mme anne, les premires actions de soutien sont ralises. Il sagit pour lquipe pdagogique de profiter du jeudi aprs-midi pour sensibiliser les apprentis diverses problmatiques : culturelles, sociales, voire scolaires. Comme pour la plupart des actions listes ci-dessus, cette dmarche avait dj t exprimente Marseille avec un certain succs auprs des quipes et des apprentis. Les formateurs dArles se laissent convaincre de saisir lopportunit de travailler diffremment. Au 31 dcembre 2009, le taux dabandon entre la premire et la deuxime anne dapprentissage a baiss - 18,3 %. Enfin, au cours de lanne 2009/2010, le travail initi se poursuit et sintensifie, notamment travers la mise en uvre de projets pluri et interdisciplinaires qui visent louverture culturelle

Cela signifie que 22,8 % des apprentis de 1re anne prsents au 31 dcembre 2007 ont abandonn leur formation dans lanne qui a suivi et que le CFA a reu leur rupture de contrat dapprentissage avant le 31 dcembre 2008 (cf. chapitre 1.4 pour davantage de prcisions).

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et internationale. Mais la nouveaut de la rentre 2009 rside dans llaboration dune semaine daccueil et dintgration (Annexe C) prconise dans le cadre de la rnovation de la voie professionnelle et voulue par le nouveau proviseur. Dbarrasse de tout enseignement, cette semaine change radicalement la manire daborder la formation et la relation entre les jeunes et leurs familles, les enseignants et les professionnels. Quatre ans aprs ma prise de fonction, lanalyse des chiffres semblent attester dun bilan positif : primtre constant4, leffectif apprenti a augment de 16,8 % ; le taux dabandon entre la premire et la deuxime anne dapprentissage est pass de -22,6 % -9,6 % ; lquipe enseignante est stabilise autour dun noyau denseignants contractuels presque tous temps plein (7 contre 3 en 2007) et les projets interdisciplinaires sont de plus en plus importants et intgrs. Cependant, lindicateur taux dabandon utilis est un clich . Il ne rend pas compte dune succession dabandons postrieurs au 31 dcembre 2010, c'est--dire quelques semaines de lexamen final puisque ces abandons concernent des apprentis de deuxime anne. Cette situation soulve la question de la pertinence de cet indicateur au regard, dune part, de lobjectif principal de lapprentissage qui vise lobtention d'une qualification professionnelle sanctionne par un diplme () (Code du Travail, 2011, article L.6211-1) et, dautre part, de limplication du CFA dans la toute rcente lutte contre le dcrochage des jeunes 5.

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Ce calcul nintgre que les effectifs des formations existantes au 31.12.2007 et toujours prsentes au 31.12.2010. Les effectifs des formations fermes ou cres ne sont pas pris en compte.

Le dcrochage est un processus qui conduit un jeune en formation initiale se dtacher du systme de formation jusqu' le quitter avant d'avoir obtenu un diplme. (Source http://www.eduscol.education.fr/cid48490/analyse-phenomene.html)

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2.2. Quand une dmarche locale rejoint une priorit nationale absolueLes dernires publications du Centre dtudes et de recherche sur les qualifications (Creq) le rappellent : Le diplme reste le meilleur atout pour accder lemploi dans de bonnes conditions. En 2007, prs dun jeune sur six a quitt le systme ducatif sans en avoir obtenu. Ils sont les plus exposs la prcarit et au chmage, dautant plus en priode de crise. (Creq, 2011). Ce constat nest pas nouveau et confirme ce quindiquait dj le Conseil emploi revenus cohsion sociale (CERC) dans son rapport de 2008 : Lurgence est donc dabord de lutter contre lchec au cours de la formation initiale. (p. 7). De fait, dans la continuit des objectifs fixs par lUnion Europenne dans le cadre de la Stratgie Europe 2020, la lutte contre labandon scolaire est devenue une priorit nationale absolue qui se traduit par la cration de plates-formes de suivi et dappui aux dcrocheurs organises dans les dpartements et la mise en uvre du systme interministriel dchange dinformation (SIEI) sur les dcrocheurs. (Ministre de l'ducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative, 2011, p. 15). Il rsulte de ces volutions lgislatives que le dcrochage nest plus uniquement scolaire mais des jeunes et que le curseur de suivi des jeunes se dplace des sans qualification vers les sans diplme. (Centre d'animation et de ressources d'informations sur la formation - Observatoire rgional sur l'emploi et la formation [Carif-Oref], 2009). Paralllement, les enqutes Gnration du Creq conduites depuis 1997 confirment danne en anne qu niveau de formation quivalent, les apprentis sinsrent mieux que les jeunes issus de formations dispenses par voie scolaire. (Creq, 2011). Cest ainsi que lapprentissage, longtemps considr comme une voie de garage , se pare depuis quelques annes de toutes les vertus, notamment dans le domaine de linsertion professionnelle et de la lutte contre le chmage, tel point quil dispose dsormais dune ministre ! Mais lapprentissage fait partie de la formation initiale voque par le CERC (2008) et les abandons, sils ne sont pas scolaires , nen sont pas moins importants, en particulier dans les plus bas niveaux de formation et dans certains secteurs dactivit particuliers comme lhtellerie-restauration (Moreau, 2003). Bien que lobjectif de 500 000 apprentis en 2009, fix par la loi de programmation pour la cohsion sociale du 18 janvier 2005, nait pas t 10

atteint, le nouvel objectif ambitieux mais raliste 6 fix par le prsident de la Rpublique est dun million dapprentis. Dans cette optique, si la question de laccs lapprentissage semble essentielle, celle de la prvention du dcrochage en apprentissage se pose videmment de manire prgnante.

2.3. Lapprentissage entre rupture et abandon : quel indicateur du dcrochage ?Lengouement pour lapprentissage et son dveloppement rcent ces dix dernires annes sest accompagn de plusieurs enqutes et tudes sur les ruptures de contrats dapprentissage. Si la rupture de contrat nest pas toujours synonyme de dcrochage, elle en est gnralement un pralable quasi systmatique. Mais le lien entre les deux est-il aussi vident quil y parait ? La plupart des (trop) rares tudes sur lapprentissage se placent sous langle de la sociologie et nous renseignent sur la typologie des apprentis, leurs motivations, leurs difficults ou sous langle plus gnral de lvolution de lapprentissage du dbut du 20me sicle nos jours (Moreau 2003, 2005). Hormis les tudes du Creq dj cites, on compte deux tudes dimportance : La premire est une tude sociographique ralise sous la direction de Gilles Moreau en Pays de Loire qui porte sur 5 000 apprentis de la rgion (Delavaud, Moreau & Poulain, 2008). Elle permet de raliser un parallle avec celle dj ralise en Pays de Loire en 1992 et dvaluer en quoi les apprentis daujourdhui diffrent ou non de ceux dhier (au moins pour la rgion concerne). Parmi les points souligns on notera, dune part, le reflux des images ngatives associes lapprentissage et, dautre part, que la recherche du matre dapprentissage est dsormais plus ardue et [] les ressources familiales ou de relations personnelles sont de moins en moins efficaces pour trouver une place dapprenti . On peut stonner que le rle des CFA ne soit pas du tout abord dans cette enqute denvergure ;

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Le prsident de la Rpublique invit de lmission Paroles de Franais sur TF1 le 10 fvrier 2011

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La seconde (Observatoire Rgional des Mtiers [ORM], 2004) est une tude longitudinale ralise en rgion Provence Alpes Cte dAzur sur une cohorte de 1 000 apprentis de niveau V ayant dbut leur formation en lan 2000. Ils ont t interrogs trois reprises ensuite entre dbut 2001 et dbut 2003, soit prs dun an aprs leur sortie thorique de lapprentissage. En plus de son caractre sociographique, cette enqute dfinit six thmes prioritaires pour tenter d liminer les difficults identifies, qui peuvent conduire les jeunes un chec la fois dans le domaine scolaire (non-obtention du diplme) et dans le domaine de linsertion

professionnelle , nous retiendrons les quatre en lien potentiel avec la notion dabandon et pour lesquels le CFA est partie prenante (Tableau 1). Si cette tude aborde la notion de rupture de contrat et fait tat de sa complexit, en revanche elle ne dfinit pas la notion dabandon, ni celle de dcrochage. Cette enqute est lune des rares donner le taux de satisfaction des apprentis : Malgr les difficults exprimes, une part importante des apprentis (83 %) sont satisfaits de la formation reue en CFA contre 54% pour les jeunes en rupture de contrat dapprentissage interrogs (p. 22)

Destinataires Temporalit

Apprentis

Apprentis et employeurs La prparation des entreprises lapprentissage, notamment

Linformation En amont de

des

jeunes

quant aux mtiers pouvant tre prpars dans le cadre de lapprentissage et leur

intgrer dans leur organisation du travail des individus qui ne sont plus tout fait des lves, mais qui ne sont pas encore des salaris Les moyens de suivi des relations employeurs/apprentis conditions de travail et des

lapprentissage

prparation lapprentissage

Pendant lapprentissage

Les moyens dencadrement et daccompagnement

Tableau 1 : Thmes prioritaires pour lutter contre lchec des jeunes (ORM, 2004)

Au-del de ces deux grandes tudes, on en recense plus dune dizaine sur le thme des ruptures de contrat et on note une acclration du nombre de publication au cours des dix 12

dernires annes. Quelles soient qualitatives ou quantitatives, chacune propose des pistes daction pour lutter contre les motifs de rupture quelles identifient gnralement selon une logique cartsienne de causalit.

2.3.1. La diffrence entre rupture et abandonAvant daller plus loin dans notre revue de la littrature sur ce sujet, il semble ncessaire dintroduire ici la distinction importante qui existe, selon nous, entre rupture de contrat, dune part, et abandon de la formation, dautre part. La plupart des tudes ralises dans le domaine de lapprentissage se concentrent sur la notion de rupture de contrat dapprentissage et lon aurait tt fait de confondre rupture de contrat et abandon de formation. Pourtant il nexiste aucune rciprocit entre les deux ! En effet, un contrat dapprentissage est un contrat de travail dune nature particulire qui lie un employeur, un apprenti et son responsable lgal sil est mineur (notons au passage que le CFA nest pas partie prenante puisquil ne fait que viser le contrat). Ce contrat ne peut tre rompu quen respectant la procdure suivante (Code du Travail, 2011, article L.6222-18) : Le contrat d'apprentissage peut tre rompu par l'une ou l'autre des parties durant les deux premiers mois de l'apprentissage. Pass ce dlai, la rupture du contrat ne peut intervenir que sur accord crit sign des deux parties. A dfaut, la rupture ne peut tre prononce que par le conseil de prud'hommes en cas de faute grave ou de manquements rpts de l'une des parties ses obligations ou en raison de l'inaptitude de l'apprenti exercer le mtier auquel il voulait se prparer. Sans rentrer dans le dtail du parcours administratif du contrat (et rciproquement de la rupture), les dispositions ci-dessus impliquent des consquences souvent peu voques dans la littrature sur les ruptures de contrat dapprentissage : 1. Les ruptures de contrat dapprentissage pendant la priode dessai sont facilites et par consquent toujours signales et formalises. Durant cette priode, la quasi-totalit des abandons se traduisent par une rupture puisque mme en labsence de lapprenti, lemployeur peut raliser la dmarche administrative officialisant la rupture. En revanche, de nombreuses ruptures qui surviennent dans cette priode ne sont pas des abandons mais le reflet de linadquation entre un jeune et une entreprise. Le jeune change alors dentreprise et poursuit sa formation ; 13

2. Au-del de la priode dessai, les ruptures de contrat sont beaucoup plus compliques et il nest pas rare quun abandon de formation ne soit jamais transform en rupture de contrat dapprentissage, ce qui est totalement pass sous silence dans la majorit des tudes. En effet, lorsquun apprenti disparat du jour au lendemain, lemployeur qui narrive pas obtenir la signature de la rsiliation amiable hsite souvent engager une procdure auprs du tribunal des prudhommes et le contrat va alors son terme faute dune dmarche administrative qui lofficialise. Pourtant lapprenti a abandonn : il nest plus ni en entreprise, ni au CFA ! Abandon nest donc pas synonyme de rupture, cela dpend de la priode o cet abandon survient. De la mme faon, rupture nest pas synonyme dabandon comme lindiquent de nombreux auteurs qui rappellent juste titre que la rupture est parfois ncessaire, voire indispensable, comme mcanisme de rgulation de la formation (cest le cas voqu au 1. ci-dessus). Cette situation est particulirement vraie dans les mtiers o loffre de contrat (de la part des employeurs) est beaucoup plus importante que la demande (des jeunes), comme dans le domaine de la restauration par exemple. En revanche, dans les secteurs professionnels o la demande est plus forte que loffre, comme ceux de la coiffure ou de la mcanique automobile, ce type de rgulation se produit de manire marginale et les ruptures de contrat, parfois subies par les apprentis davantage que choisies, riment gnralement avec abandon de formation. Cette prcision tant faite, nous pouvons maintenant procder une analyse des diffrentes tudes rcentes portant sur les ruptures de contrats dapprentissage.

2.3.2. Revue de littrature sur les ruptures de contratNous tudierons dabord les enqutes que nous qualifierons de classiques , le plus souvent constitues dun volet quantitatif et dun volet qualitatif : Synthse de ltude portant sur les ruptures des contrats dapprentissage en Rgion Nord - Pas de Calais et Contrat dapprentissage, les raisons de la rupture (Cart, B. et al., 2007, 2010) : Cette enqute met en exergue que nombre de ruptures sont inluctables. Les enquteurs soulignent limplication des acteurs de lapprentissage ces dernires annes mais constatent que pour autant, au fur et mesure des 14

diffrentes tudes menes, les motifs de rupture semblent peu voluer (2010, p. 4) Paradoxalement, les auteurs nintroduisent pas la distinction entre rupture et abandon bien quils indiquent, dune part, que lindicateur taux de rupture ne semble pas pertinent pour permettre une valuation de lapprentissage et, dautre part, quil serait opportun de crer une grille de lecture des motifs dabandon [] pour la ralisation denqutes chance rgulire, mais aussi pour lvaluation des diffrents dispositifs mis en place ;

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Analyse des causes de rupture des contrats dapprentissage en rgion Corse (Alkhalfioui & Franois, 2010) : La premire ambition de cette enqute tait dtablir un lien entre absentisme et rupture de contrat (ou abandon). Malheureusement ce but na pu tre atteint faute dune dure dtude suffisamment longue. Pourtant, comme les auteurs, nous avons la conviction que les deux phnomnes sont lis au mme titre que labsentisme scolaire est li au phnomne de dcrochage scolaire : le dcrochage est la manifestation ultime de labsentisme (Chauvet, 2010, p. 5). Lapport principal de cette enqute rside dans la diffrence quelle introduit entre taux de rupture et taux dabandon . Elle dfinit ce dernier par : Nombre de contrats rompus signs sur T Reprises de l apprentissage Nombre total de contrats signs sur T T = une priode prdfinie

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Rupture des contrats en alternance en Franche-Comt (Emploi formation insertion-groupement dintrt public [efigip] franche-comt, 2011) : au-del des informations quelle apporte sur les caractristiques des jeunes en rupture de contrat, le principal intrt de cette enqute rside dans lide qu une rupture se justifie rarement par une raison unique. Cest frquemment sur un terrain propice et un projet fragile que diffrentes causes se cumulent et deviennent alors facteurs de rupture. (p. 23) ;

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Les ruptures de contrats dapprentissage une fatalit ? (Assemble des Chambres Franaises de Commerce et dIndustrie [ACFCI], 2011) : cette tude brosse un portrait de lapprentissage et des causes de rupture au niveau national. Elle innove 15

en rapprochant les motifs de rupture voqus par les employeurs et ceux voqus par les apprentis, posant lhypothse quil sagit des deux faces dune mme cause ; Un tableau de synthse des rsultats de ces enqutes classiques figure en Annexe A. Nous en retiendrons les lments suivants qui font consensus (Tableau 2) : Facteurs de risque de rupture les plus importants lapprenti est jeune ; le niveau de formation est bas ; lapprenti est en restauration ; la taille de lentreprise est petite ; Motifs de ruptures les plus importants les conditions de travail/difficults relationnelles/environnement de travail en entreprise ; les problmes dorientation ;

Tableau 2 : facteurs de risque de rupture et motifs les plus importants

Analysons maintenant trois autres tudes qui, loppos des classiques cites plus haut, proposent quant elles une approche atypique en sintressant aux individus et au rle des motions: Le risque dabandon des apprentis en premire anne de CAP/BEP (Bollini, Ribouleau & Versepuy, 2005) : Ce travail est paradoxalement le seul notre connaissance user de la notion dabandon dans son titre. En ralit cependant, les auteurs font assez peu la distinction entre rupture et abandon ce qui rend difficilement exploitable leurs rsultats. Ces derniers sont toutefois intressants car ils tablissent : dune part limportance du lien entre risque dabandon et estime de soi travers deux facteurs de risque : le rendement scolaire et la confiance en soi ; dautre part que les apprentis expriment une faible estime de soi (susceptible dinduire un abandon) dans le cadre du CFA et non dans celui de lentreprise. Le CFA serait donc un lieu adapt la prvention des abandons/ruptures sous rserve de proposer un cadre qui permette aux apprentis de reprendre confiance en eux.

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Histoire de ruptures (Renaut, 2008) : Il sagit de lune des rares tudes qui recensent des entretiens mens auprs de jeunes ayant vcu une rupture. Elle apporte un angle de vue diffrent en ne se concentrant pas exclusivement sur les causes. La

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conclusion met laccent sur des notions essentielles comme celles de relation ou de construction didentit du jeune en prcisant bien que : Il serait rducteur et illusoire de limiter le problme des ruptures la seule qualit de linteraction relationnelle et pdagogique entre le jeune et lentreprise : la rupture peut advenir aussi lorsque les conditions dune bonne relation sont runies, tout simplement parce que le jeune nest pas encore prt assumer son passage dans le monde professionnel. (p. 85)

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Pratiques de lapprentissage par les entreprises et parcours dapprentis : la constitution dune base de donnes oprationnelle en Languedoc-Roussillon (Bouslimani, 2011) : A partir dune dfinition sensiblement identique celle du taux dabandon dAlkhalfaoui et Franois (2010), Bouslimani dfini un taux de rupture moyen net qui apparat tre un indicateur plus pertinent et qui permet de mesurer une ralit nouvelle. Cependant, on peut dplorer, dune part, que cette dmarche ne soit pas gnralise lensemble du territoire et, dautre part, que lauteur nait pas eu la possibilit de distinguer les cas de reprise 7. En effet, bien que leurs dfinitions soient trs proches, il semble encore difficile de comparer le taux de rupture net dfinit par Bouslimani et le taux dabandon de ltude mene par Alkhalfioui et Franois. Dommage en revanche que Bouslimani nait pas voqu leffet pervers induit par les indemnits compensatrices forfaitaires (ICF) verses aux employeurs sur la typologie des ruptures8. Par exprience il est avr que lobligation faite lemployeur de restituer la prime lembauche en cas de rupture son initiative a conduit nombre dentre eux ngocier avec leur apprenti pour que cette rupture apparaisse linitiative du jeune. Le transfert de la comptence de gestion des ICF de ltat aux rgions presque mis fin cette pratique, en tout cas en rgion PACA o la prime lembauche nexiste plus, mais les habitudes ont la vie dure .

Pour Bouslimani comme pour Alkhalfioui et Franois, la variable reprise de lapprentissage inclus aussi bien les suites de contrat (nouveau contrat avec une autre entreprise dans la mme formation) que les rorientations (signature dun nouveau contrat dans une autre formation) voire les poursuites de formation. 8 Lutilisation des documents ICF est ce qui fait loriginalit de la mthode de Bouslimani par rapport aux autres tudes sur les ruptures qui ne se basent que sur les documents issus des contrats et des ruptures.

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2.4. ConclusionCette revue de littrature confirme que lindicateur taux de rupture de contrat dapprentissage ne peut pas tre retenu pour caractriser le dcrochage en apprentissage. Il en rsulte que pour tre pertinentes en matire de dcrochage, les donnes des tudes sur les ruptures de contrat devraient tre retraites pour extraire les caractristiques des apprentis qui ont abandonn parmi ceux qui ont rompus, tout en y ajoutant des enqutes auprs de ceux qui ont abandonn sans rompreune vritable gageure. Mais, dans ces conditions, que recouvre la notion de dcrochage ? Si lon sen tient la dfinition retranscrite plus haut5 (p. 9) et que nous rappelons ici : Le dcrochage est un processus qui conduit un jeune en formation initiale se dtacher du systme de formation jusqu' le quitter avant d'avoir obtenu un diplme , il semble que lon peut considrer les notions dabandon et de dcrochage comme quivalentes. Pourtant, dun point de vue tout fait rigoureux, il conviendrait en ralit de se pencher sur le devenir de lapprenti qui a abandonn pour savoir sil a repris une autre formation en vue dobtenir un diplme ou non. Ce nest que dans ce dernier cas que lon peut qualifier un jeune de dcrocheur . A ce titre, les variables taux dabandon (Alkhalfaoui & Franois, 2010) et taux de rupture net (Bouslimani, 2011) se rapprochent davantage dune dfinition du taux de dcrochage . Sans latteindre toutefois puisquelles ne comptabilisent pas les jeunes qui reprennent une formation dune autre nature que par apprentissage (retour en formation scolaire, contrat de professionnalisation, formations prives, etc.). La figure reproduite en page 19 permet de mieux visualiser les diffrences entre ces trois situations : rupture, abandon et dcrochage pour ce qui concerne un jeune inscrit en formation initiale sous statut dapprenti. (Figure 1 : lien entre rupture, abandon et dcrochage) On voit bien travers cette figure que les trois populations dcrites sont diffrentes. La dfinition mme du dcrochage et ce quelle implique en matire de suivi des jeunes concerns dpassent largement le cadre de ce mmoire. Aussi, bien quelles soient distinctes, nous assimilerons les notions dabandon et de dcrochage dans la suite de notre travail.

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Figure 1 : lien entre rupture, abandon et dcrochage

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le cercle noir au trait fin reprsente les apprentis qui rompent leur contrat. Parmi ceuxci un tiers environ (1) signent un nouveau contrat dans la mme formation ou non (Bentabet, 2010) ;

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le cercle en pointill reprsente les apprentis qui ont abandonn leur formation. Une partie dentre eux a rompu officiellement son contrat (2) et une partie na pas formalis cette rupture (3) ; le cercle noir au trait gras reprsente les apprentis dcrocheurs potentiels9 parmi lesquels ceux qui ont rompu leur contrat et abandonn leur formation (4) et ceux qui ont abandonn sans formaliser la rupture (5).

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En effet, sils ont enchain sur une autre formation hors apprentissage, ils ne seront plus qualifis ainsi.

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Dans ce contexte, il semble difficile de dterminer si les pistes dactions prconises par les tudes portant sur les motifs de rupture de contrat dapprentissage auraient finalement un impact sur le dcrochage, cest--dire sur les abandons de formation. Si malgr tout nous en faisons lhypothse, il semble important de noter que bon nombre de ces pistes damlioration renvoient vers des notions empruntes la sociologie et souvent appliques dans le domaine de lconomie et du marketing : quil sagisse de linstauration dune relation de confiance , de lindividualisation du parcours ou de la valorisation des comptences (Renaut, 2008, pp. 72-75). Toutes imposent une connaissance fine de lapprenti et donc la mise en uvre de modalits relationnelles particulires ou doutils de gestion de la relation client adapts. Si certaines actions entreprises au CFA des Lyces du Pays dArles se rapprochent de celles prconises par les tudes voques ci-dessus, la plupart avaient surtout pour objectif de proposer un cadre de formation plus attractif aux apprentis. Dailleurs la plupart de ces tudes saccordent pour dire que parmi les ruptures sur lesquelles il est possible dagir [] Les ruptures pour conditions de travail difficiles prdominent nettement [] (Bentabet, 2010). Or, le CFA des Lyces du Pays dArles na engag aucune action spcifique dans ce champ. Il faut ici abandonner le point de vue du chercheur pour reprendre celui du coordonnateur pdagogique afin dexpliquer un parti pris. Bien que nous layons dj voqu plus tt il convient de rappeler que les liens avec le monde professionnel ont t renforcs depuis 2007 (cf. p. 6) mais que la la formation reue en entreprise na pas t au cur des actions engages par le CFA. Ce parti pris peut sembler tonnant si lon considre que lapprentissage est une formation alterne et que lentreprise joue un rle essentiel dans la russite ou non de la formation. Pour un apprenti en CAP ou BP, le temps de prsence thorique au CFA est de 12 semaines de cours par an contre 35 en entreprise. Il pourrait donc sembler vain de sattacher uniquement au point de vue du CFA. Ce fut pourtant le choix opr. Non pas parce que nous considrions quil ny ait rien faire du ct des entreprises, bien au contraire, mais parce que malgr toutes les tudes sur le sujet et tous les projets mens au cours des trente dernires annes pour modifier cet tat de fait, ce dernier subsiste (Cart et al., 2010, p. 4). Il nous semblait donc beaucoup plus intressant de nous concentrer sur ce qui relve de notre 20

champ dinfluence et den optimiser les mcanismes avant, ventuellement, de nous lancer lassaut des moulins . Cette prcision tant faite, nous pouvons reprendre notre posture de chercheur et convenir que les actions entreprises Arles relvent davantage de la volont de trouver des moyens dintresser les apprentis pour les retenir plutt que de lutter contre les causes ventuelles de leur dpart. En ce sens, ces actions sapparentent donc une tentative de fidlisation des apprentis au sens marketing du terme. A travers ce mmoire, nous essaierons de dterminer si lindicateur utilis au CFA est rvlateur ou non dune baisse des abandons, dune part, et, dautre part, nous tenterons dtablir dans quelle mesure les actions engages au CFA relvent ou non du champ de la fidlisation dont il nous faut maintenant donner le sens en formation par apprentissage.

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3. Problmatique thorique : la fidlisation en formation par apprentissageMalgr de nombreuses recherches sur Internet avec les diffrents moteurs existants (SUDOC, Intranet de lUniversit, site du Creq, Google scholar ou non, etc.), lassociation des termes fidlisation et apprentissage (ou formation) ne retourne que des liens concernant lapprentissage de la notion de la fidlisation, c'est--dire de la formation en marketing, mais rien qui concerne lapplication de cette notion dans le champ de la formation. Peut-on ds lors parler de fidlisation en formation par apprentissage ? Pour rpondre cette question, il va falloir se pencher sur la notion de fidlisation sous ses diffrentes acceptions avant de sintresser ce que lon peut retenir pour limporter dans le champ de la formation, et de la formation par apprentissage en particulier, ce qui ncessitera de caractriser lapprenti moderne.

3.1. Le choix dun objet de rechercheLe choix de cet objet de recherche rsulte de la rencontre entre notre exprience professionnelle prive dans la restauration et notre pratique dans le secteur public de la formation. En prenant du recul sur la dmarche mise en uvre dans notre tablissement ces dernires annes, nous avons vu se dessiner un parallle avec celle entreprise en restauration quelques annes auparavant : amlioration des pratiques (procdures et processus) ayant pour objectif de dlivrer un service de qualit et pour consquence la fidlisation des clients (pour le restaurant) ou la stabilisation des effectifs entre la premire et la deuxime anne pour le CFA. Si la littrature sur les ruptures de contrat dapprentissage na cess de crotre au cours de ces dix dernires annes, il est assez tonnant de constater quelle ne sintresse gure la notion de fidlisation alors que dans le mme temps cette dernire a envahi le champ de la vie sociale et professionnelle : fidlisation client en marketing, fidlisation des salaris dans le domaine de la gestion des ressources humaines, fidlisation du public, etc. Pourtant, les jeunes dcrocheurs qui ont entre 16 et 24 ans font partie de la gnration zapping ou gnration Y , notion qui est justement loppose de celle de fidlisation. Mais quest-ce que la fidlisation et quelles sont les thories qui sy rapportent ? 22

3.2. Historique de la fidlisation : de la consommation aux sciences humainesEn premire dfinition, le dictionnaire Le Robert indique que la fidlisation est le fait de rendre fidle une clientle, un auditoire . Le nom fidle vient du latin fidelis sr, loyal issu lui-mme de fides foi, confiance . On retrouve le lien entre fidlit et loyaut dans lutilisation gnrique du terme loyalty en anglais. En franais, la frontire est fine entre fidlit et loyaut et lon ne peut sintresser lun sans sintresser lautre tant le choix dun terme plutt que lautre dpend du contexte : on parlera de fidlit conjugale mais de loyaut envers sa famille ou ses amis, bien que lon dise de quelquun quil est fidle en amiti . Afin dtre relativement exhaustif dans cette revue de littrature, nous nous sommes donc intresss indiffremment celle ayant trait la fidlit et la loyaut. Sils nont pas valeur scientifique, les dictionnaires nous donnent une ide assez juste de lacception dun terme une poque donne. Or le terme fidlisation est absent de la plupart dentre eux ! Pourtant il nous semble particulirement familier aujourdhui tant il fait partie de notre quotidien. En effet, qui na pas particip un programme de fidlisation un jour ou lautre ? Qui na pas accumul des points ? Rpondu des enqutes ? Qui na jamais eu de carte de fidlit ? Ou reu un cadeau publicitaire ? Une petite enqute tymologique fait finalement apparaitre un lien entre fidlisation et fidlit : le client. Une premire dfinition de la fidlisation serait donc l'art de crer une relation durable avec un client, ce dernier traduisant cette relation par la constance de ses sentiments, ses affections, ses habitudes. La fidlisation semble donc tre un phnomne rcent (on ne retrouve pas trace de ce terme dans les dictionnaires plus anciens) qui concerne plutt la sphre conomique dans la civilisation occidentale. Mais quen est-il vraiment ? Pour comprendre lmergence de la notion de fidlisation dans le champ conomique, il faut revenir lvolution de la socit occidentale au cours du demi-sicle pass. A lissue de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis rigent la consommation de masse en modle conomique. Lide est simple : la consommation stimule la production qui engendre des emplois rmunrateurs et des consommateurs prospres qui stimulent leur tour lconomie avec leurs dpenses. A cette poque, la demande est gnralement suprieure loffre et les entreprises de production (de biens essentiellement) fixent les prix partir des cots de fabrication. Il sagit pour lentreprise daccrotre au maximum la base de sa clientle et la 23

recherche de nouveaux clients est la priorit. Dans cette socit de consommation idale, la fidlit est la norme quil sagisse : de fidlit entre employeur (producteur) et employ (consommateur), cest la priode de lemploi vie ; de fidlit de principe, le monde se scinde en deux blocs et la socit de consommation se situe clairement dans celui de lOuest ; de fidlit conjugale ou religieuse puisque le modle de la socit de consommation sappuie sur les deux piliers traditionnels : la famille et lEglise. Le premier choc ptrolier de 1973 correspond sensiblement la fin de ce mode de relations entre producteurs et consommateurs. Le rapport entre offre et demande sinverse et lentreprise doit sadapter aux besoins et aux moyens du consommateur. Avec les crises successives et la mondialisation des changes, la recherche de nouveaux clients saccompagne dornavant dune lutte pour conserver les anciens. En effet, si le march saccroit avec la mondialisation des changes, un certain nombre de secteurs commencent tre saturs avec des taux dquipement trs levs. Cest galement cette priode que se produisent les premires infidlits de la part des employeurs envers leurs employs travers les licenciements. Bruno Berthon, directeur monde de l'offre de services dveloppement durable chez Accenture, le rsume trs bien au cours dune confrence donne lUniversit de Tous Les Savoirs (2000) : il se produit une double trahison dans les annes 80/90, de la part des entreprises tout dabord puis de la part des salaris qui ont cess dapporter des solutions de valeurs susceptibles de crer les conditions de leur licenciement. Infidlit des employs qui se prolonge la fin du XXme sicle dans le comportement des consommateurs que la drgulation des marchs et la libre concurrence incitent plus que jamais comparer pour choisir. La norme nest plus la fidlit mais la recherche du plus bas cot. Nologisme justement cr en 1973 pour traduire le concept anglo-saxon de marketing, la mercatique, qui dsigne lensemble des techniques et des actions grce auxquelles une entreprise dveloppe la vente de ses produits, de ses services, en adaptant sa production aux besoins du consommateur , accompagne depuis sa naissance aux Etats-Unis au dbut des annes 1920 lessor de la socit de consommation, mais cest partir des annes 1950, [que] les sciences humaines sont solidement ancres dans le marketing et [que] chaque 24

discipline apporte son concours (Dortier, 2011). Selon lauteur, ce sont tour tour la psychanalyse de Freud, la psychologie de la motivation de Maslow, la psychologie sociale pour les tudes dopinion, les sondages ou les focus groups, la sociologie des styles de vie (inspire des idaux types de Max Weber) qui propose de dcrire les profils des consommateurs, jusqu la smiologie qui seront introduites dans le champ de la mercatique au service du capitalisme et du dveloppement de la socit de consommation. Dans un monde de plus en plus complexe, la fidlisation des clients devient un enjeu majeur pour lentreprise comme en attestent ces quelques chiffres rcents issus de Customer Genius de Peter Fisk (2009) qui reprend diffrentes sources dont Frederick F. Reichheld dans son ouvrage The Loyalty Effect (1996/2001) : 1. 20% de vos clients font 80% de votre chiffre d'affaires ; 2. 10% de vos clients font 90% de vos profits ; 3. Un client trs satisfait en parle 3 personnes ; 4. Un client mcontent en parle 12 ; 5. Un client trs mcontent en parle 20 ; 6. 98% des clients mcontents ne se plaignent jamais, ils se contentent de vous quitter ; 7. Les expriences ngatives psent pour 65% des clients perdus ; 8. 75% des expriences ngatives n'ont pas de rapport avec le produit ; 9. La raison principale pour laquelle les clients vous quittent est le fait qu'ils ne sont pas considrs ; 10. Recruter un client cote trois fois plus cher que de le fidliser ; 11. Reconqurir un client mcontent cote 12 fois plus cher ; 12. Sur une priode de 5 ans, une socit arrive conserver en moyenne 20% de ses clients ; 13. 5% d'augmentation de la fidlit augmente vos profits de 25 55% ; Cest donc dans le champ du marketing quapparat et se dveloppe la notion de fidlisation prenant sa source la croise des chemins entre dveloppement technologique (informatique notamment), progrs en Sciences Humaines et changement de rapports entre employeur et employ, producteur et consommateur.

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3.3. Le concept de fidlit du consommateur en marketingSelon l'Encyclopdie du marketing, la fidlisation est la nature d'une stratgie marketing conue et mise en place dans le but de permettre aux consommateurs de devenir puis rester fidles au produit, au service, la marque, et/ou au point de vente [...]. La fidlisation repose aujourd'hui sur une vritable gestion de la relation client (CRM pour Customer Relationship Management). (Jean-Marc Lehu, 2004) Mais cette dfinition na de sens quaujourdhui, aprs presque un sicle pass tenter de dfinir la notion de fidlit, notamment depuis les annes 90 comme le rappelle Auriacombe, Chalamon et Le Loarne (2005) : La littrature sur la fidlit [] vise rpondre trois questions : quels sont les dterminants de la fidlit, ou comment agir sur la fidlit des clients pour mettre en uvre des stratgies de fidlisation ? comment la fidlit se manifeste-t-elle ? ou quest-ce que la fidlit ? quels construits permettent de relier les dterminants de la fidlit ses manifestations : la satisfaction et la qualit perue ? Ou plutt la confiance et lengagement ? Historiquement, ds les annes 20, Copeland (1923) sest intress lattitude du consommateur aux Etats-Unis mais, avec le dveloppement du marketing paralllement celui du behaviorisme en Sciences humaines dans les annes 50, cest le comportement du consommateur qui focalise lattention des chercheurs. Ces derniers sintressent alors la rgularit et la rptition des actes dachat pour essayer de prvoir le comportement du consommateur (Brown, 1952 et Cunningham, 1956). Depuis cette date, ltude du comportement du consommateur sest poursuivie et enrichie passant de la notion binaire de fidlit exclusive (client fidle ou infidle) celle discrte de multi-fidlit. Dans le mme temps, les outils de mesure de la fidlit se sont dvelopps ainsi que les modles prdictifs du comportement, profitant du dveloppement de loutil informatique. Dans un second temps, et paralllement, les chercheurs se sont intresss aux mcanismes qui permettent dexpliquer lacte dachat. Il ne sagit plus de prvoir le comportement du consommateur mais de comprendre ce qui dans son attitude explique sa fidlit la marque. 26

Ce courant de la recherche sur la fidlit du consommateur correspond lavnement du cognitivisme en Sciences Humaines et, comme lui, il sinscrit initialement en raction vis-vis de son prdcesseur. Depuis les annes 90 ces deux approches se sont rejointes et lon considre aujourdhui que : La fidlit vritable est la combinaison dune attitude relative favorable avec un comportement de r-achat favorable. Elle se distingue de la fausse fidlit ou de linertie, o seul le comportement de r-achat est favorable mais pas lattitude. Elle se distingue tout autant de la fidlit latente o seule lattitude est favorable mais pas le comportement (Dick & Basu, 1994, cit par Auriacombe et al., 2005). De ces deux courants dtudes initiaux que faut-il retenir, en particulier si lon envisage de les importer dans le champ de la formation par apprentissage ?

3.3.1. Ltude du comportement du consommateurLe courant behavioriste sappuie sur des faits observables et quantifiables. La mise en place de bases de donnes de plus en plus complexes permet de mesurer avec prcision et sans discussion possible le nombre dachats, leur frquence, leur enchainement, etc. Elle permet galement de sintresser aussi bien chaque individu que dtablir des modles prdictifs pour des groupes aux caractristiques bien dfinies sur la base des thories probabilistes les plus rcentes. Quil sagisse dun individu ou dun groupe, ltude du comportement a volu de la fidlit exclusive la multi-fidlit. Si cette dernire rend mieux compte de la ralit, son utilisation rend encore plus complexe la mesure de la fidlit. Cette problmatique de mesure nest pas nouvelle pour le courant behavioriste puisque le choix de seuils (de nombre dachat, de frquence dachat, etc.) se posait dj initialement. En effet, si un consommateur achte plusieurs marques dun mme produit, partir de quel moment peut-on le considrer comme fidle ? On le voit, la force de la dmarche behavioriste repose avant tout sur la possibilit daccumuler et dexploiter des observations du comportement du ou des consommateur(s) face un acte dachat.

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Sa faiblesse rside dans la subjectivit du seuil de mesure partir duquel on dfinit la fidlit du client qui pourra tre fidle selon une mthode et infidle pour une autre. Enfin, cette dmarche ne propose aucune explication du choix opr par le client. Pourquoi les consommateurs choisissent-ils telle marque plutt que telle autre ?

3.3.2. Ltude de lattitude du consommateur vis--vis de la marqueCest la question laquelle sest attel le courant attitudinal. A linverse du courant prcdent, celui-ci se situe en amont de lachat et sattache identifier les dterminants du comportement dachat. Le principal reproche formul lgard de ce courant rside dans le dcalage possible entre la volont dachat identifie par ltude et sa traduction concrte. Comme pour la dmarche prcdente la problmatique de la mesure sest pose de manire prgnante, passant de la notion de marque prfre, trop simpliste et peu raliste mais qui prsente lintrt de distinguer la fidlit vraie de la fidlit trompeuse (spurious loyalty), celle dveloppe par Jacoby et Kyner (1973) qui permet une classification continue de la fidlit en procdant des comparaisons et des mesures de distance entre les prfrences dclares des consommateurs pour telle ou telle marque. Une autre mthode de mesure sest intresse aux efforts que le client est prt fournir pour disposer de sa marque prfre dans le cas o celle-ci serait non disponible (rupture de stock) ou plus chre. Malgr une sophistication croissante de la mesure, le principal cueil de la dmarche demeure et plusieurs tudes sont venues tayer le caractre variable dans le temps de la mesure de la fidlit par ce type dtude attitudinale. Si la prudence reste de mise quant la validit des rsultats obtenus, lavantage de la mthode attitudinale repose essentiellement sur son caractre explicatif et les mesures defforts permettent dintroduire la diffrence entre une fidlit passive et une fidlit active dite vritable.

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3.3.3. De la fidlit discrte et transactionnelle la fidlit continue et relationnelleIl faut donc attendre 1973 pour voir merger la premire tentative de synthse des deux courants ralise par Jacoby et Kyner avec la dfinition suivante : La fidlit la marque est une rponse comportementale, non alatoire, exprime dans la dure par une unit de dcision, concernant une ou plusieurs marques et dtermine par un processus psychologique dvaluation et de prise de dcision. Cette approche multidimensionnelle est complte par celle choisie par Dick et Basu (1994) pour qui la fidlit la marque se dfinit par la relation entre le choix rpt et lattitude relative qui conduit la classification reproduite ci-aprs (Tableau 3). Rptition de lachat Forte Faible Fidlit (Vritable) Fidlit latente Fausse fidlit Absence de fidlit

Attitude relative

Forte Faible

Tableau 3 : Classification des diffrents comportements dachat par Dick et Basu (1994)

A travers ces deux courants le concept de fidlit passe de ltat discret (fidlit exclusive ou multi-fidlit de la thorie behavioriste) ltat continu (classification continue de la fidlit de la thorie attitudinale) mais il demeure ltat transactionnel car la plupart de ces tudes sont quantitatives et sintressent lacte dachat et non la relation qui lie ventuellement le (ou les) consommateur(s) la marque. A la mme poque (dans les annes 1970/1980), lvolution du marketing orient produit vers le marketing orient client donne naissance la notion de marketing relationnel. Jusque-l il sagissait pour lentreprise de vendre tout prix un produit, dornavant il sagit de concevoir un produit en tenant compte des attentes du client que lon souhaite fidliser. Ce tournant qui met la relation entre lentreprise et ses clients au cur de la fidlisation prend toute sa dimension avec ltude qualitative ralise par Fournier et Yao (1997). Au-del de la critique quelle contient lencontre de la dfinition propose par Jacoby et Kyner, lintrt essentiel de cette tude qualitative est dinsister sur la ncessaire prise en compte de la relation entre le consommateur et la marque dune part et dintroduire le rle des motions dans la prise de dcision du consommateur dautre part. 29

Il sensuit que la fidlit du consommateur la marque nest plus quune des composantes de la relation qui lie le consommateur et la marque dont la personnalisation frle lanthropomorphisme. Cest dans ce contexte quapparaissent et se dveloppent les diffrentes notions suivantes : lengagement envers la marque (brand commitment), lui-mme dclin en de nombreuses formes (explicite, implicite, affectif, calcul, etc.), tel point quil nest pas possible den donner une dfinition consensuelle ; la confiance en la marque (Morgan & Hunt, 1994) qui est parfois considre comme lune des composantes de lengagement au mme titre que lattachement la marque (motionnel ou non); lidentification la marque ou appartenance ; la satisfaction vis--vis de la marque et bien dautres, cette liste ntant pas exhaustive.

Caractristiques remarquables de lengagement Identification un objet Disposition attitudinale Attachement Force de lattitude envers la marque Dsir de maintenir une relation apprcie Orientation long terme en faveur dune relation Volont de poursuivre la relation Intention de fidlit Volont de stabilit Escompte dun bnfice de la relation Volont du client daccepter des sacrifices court terme pour retirer des bnfices suprieurs long terme Acceptation dun sacrifice pour la poursuite de la relation

Rfrences Crosby et Taylor (1983) Gundlach et al. (1995) Kapferer et Laurent (1992), Beattie et Kahle(1988), Geyer et al. (1991), Fournier (1998), Coulter et al. (2003), Gurviez (1998) Samuelsen et Sandvik (1997) Moorman, Zaltman et Deshpande (1992) Anderson et Weitz (1989) Ganesan (1994), Morgan et Hunt (1994) Gurviez (1998), Lacoeuilhe (2000) Simon (2001) Bloemer et Kasper (1995) Dwyer et al. (1987), Moulins (1998) Anderson et Weitz (1992) Dwyer et al. (1988), Morgan et Hunt (1994)

Tableau 4 : caractristiques de l'engagement (Terrasse, 2006)

De toutes ces notions celle dengagement est la plus forte et la plus riche, cette dernire tant elle-mme considre comme une composante de la fidlit. Cest ce quaffirme Christophe Terrasse dans sa thse (2006) o il propose de retenir que la condition attitudinale qui 30

caractrise la fidlit vritable est le dsir du consommateur de poursuivre la relation avec la marque, c'est--dire son engagement (commitment) envers la marque. . On lui doit le tableau reproduit ci-dessus (Tableau 4) qui synthtise sa revue de littrature sur la notion dengagement. Sans rentrer dans le dtail des rfrences listes, ce tableau permet de mesurer les nombreuses caractristiques de lengagement identifies par lauteur et surtout de percevoir la complexit dans laquelle est projet le concept de fidlit avec lmergence du rle des motions.

3.3.4. ConclusionSi le marketing relationnel achve de transformer la fidlit discrte et transactionnelle issue du courant behavioriste en une fidlit continue et relationnelle, il en complexifie grandement lappropriation et il semble exister autant de dfinitions de la fidlit du consommateur que de cas particuliers dans les catgories de biens ou de service commercialiss. Ds lors, que faut-il retenir de cette revue de littrature ? Trs certainement ce qui fait consensus c'est--dire en particulier que la fidlit au sens large est forme dune composante comportementale et dune composante attitudinale. Pour la composante comportementale nous conviendrons quelle est la manifestation de la fidlit du consommateur ds lors que lon sentend sur le positionnement du curseur qui distingue le consommateur fidle du consommateur infidle. Quant la composante attitudinale retenons quelle est indissociable de la relation entre lindividu et la marque quelle que soit lmotion retenue pour valoriser cette relation et quen marketing, la mesure de cette composante se ralise par tude de march ou enqute de satisfaction, c'est--dire par un questionnaire. Si lon retient la dfinition de Christophe Terrasse selon laquelle lengagement est la composante attitudinale de la fidlit vritable, lapproche choisie par Frisou (2000) retient particulirement notre attention en ce sens quelle boucle la boucle en liant les composantes comportementale et attitudinale dans une sorte de cercle vertueux : La confiance dans la marque ou dans le partenaire nest pas le seul facteur qui stimule lengagement sur le long terme. Cette tude vient en effet de montrer limpact des comportements dachats successifs sur la volont du client de sengager. Le poids de cette exprience passe avec la marque (Siriex, Dubois, 1999) souligne lintrt dune approche de la relation dchange tourne davantage vers les modes de conceptualisation 31

du comportement. Les achats et les r-achats effectus par le client, leurs renforcements subsquents, lhistoire de lapprentissage de la relation dchange, et ltendue du cadre daction dans lequel sinscrit la relation, permettraient de comprendre la dynamique des comportements qui structurent la relation dchange. (p. 79) Il y aurait donc bien deux composantes la fidlit, lune comportementale et lautre attitudinale mais de surcroit ces deux composantes seraient lies dans une forme de renforcement mutuel au sein duquel les motions (ici lengagement et la confiance) jouent un rle dterminant.

3.4. La fidlit : une thorisation sociologique en lien avec la thorie des motionsLa revue de littrature effectue dans le domaine du marketing laisse un got amer, un sentiment dparpillement et dinachev. Les tudes sont nombreuses et chacune apporte sa pierre ldifice mais on ne voit pas se dgager de dfinition satisfaisante et consensuelle de la fidlit. Cest certainement la raison pour laquelle James Connor (2007) affirme dans la prface de son ouvrage : My honours thesis illustrated how under-theorised the concept [of Loyalty] is, particulary in consumer capitalism, where the term has acquired even more sites of manifestation, such as frequent flyer loyalty programs. (p vii) Pourtant, nombreux sont les articles scientifiques qui sintressent la loyaut dans les diffrents domaines abords par James c) : La famille, la nation, le sport et la culture. Il en existe galement un grand nombre dans le domaine de la consommation, celui des loyalty programs , comme on la vu prcdemment. Cependant, quils traitent de marketing, de management ou de gestion, tous ces articles proposent une dfinition de la fidlit du consommateur comme une variable dont ils tentent de dterminer les attributs. Pour James Connor (2007), la loyaut doit tre considre comme lune des motions la base mme de la construction de nos socits et de nos cultures : So much of our foundational social mythology uses loyalty or the conflict that a clash of loyalty creates (p vii). 32

Selon lui, bien quils concernent diffrents aspects de la loyaut, tous les travaux prcdents nintgrent pas la multitude des situations sociales et des interactions qui sy jouent auxquelles le concept de loyaut est pourtant rattach. Sappuyant sur la thorie des motions labore par le sociologue Jack Barbalet (1992, 1998, 2002), Connor sattache dmontrer que la loyaut est une motion travers lutilisation de sources issues de la culture populaire de la civilisation occidentale (et anglo-saxonne en particulier). Il met ainsi en vidence trois composantes centrales de son concept de loyaut : Layered Loyalty : que lon pourrait traduire par loyaut stratifie . La loyaut est en fait compose de diffrentes loyauts qui sont autant de strates de loyaut qui vont du niveau micro (rester loyal un ami) au niveau macro (tre loyal envers sa nation). Tout individu appartenant une structure sociale va faire lexprience de ces diffrentes loyauts, en particulier loccasion de situations conflictuelles qui vont naitre entre elles. Cette composante prend en considration la notion de puissance de la loyaut, celle-ci tant corrle lanciennet du sentiment, de limplication ou de lengagement : our previous commitments will influence the strength of our loyalties (p. 130). Dans sa dmonstration, lauteur indique que la proximit sociale joue un rle essentiel : the stronger and tighter the[ir] immersion in a particular social milieu the more likely that loyalty will surface (p. 131). En dautres termes, le renforcement de la loyaut ne peut se faire qu travers le temps, ce qui rejoint lapproche de Frisou (2000) vue au paragraphe prcdent, et explique en particulier que pour Connor la famille et les amis font partie de la premire strate, la plus importante, sur lchelle de la loyaut.

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Identity (lidentit) : cest la composante la moins dveloppe par lauteur. Retenons quil considre que lexprience de loyaut vcue par chaque individu contribue la construction de sa personnalit. La loyaut est alors considre comme un mdia de rgulation entre individus ou entre un individu et un groupe ou une organisation. Cette composante se caractrise par les notions dappartenance et dattachement.

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Motivation to action (le moteur de laction) : Cest la composante qui fait le lien avec la thorie des motions de Barbalet (2002). Connor considre que lexprience vcue

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de loyaut guide nos choix daction au prsent du fait du caractre prdictif des consquences de ce choix : When an actor engages in an activity they are making a prediction about what may happen as a consequence of those activities (whether it is consciously reflected upon or not). Feelings can help guide that process and, consequently, I postulated that the presence of a loyalty allows an actor to predict what may happen in the future and thus act accordingly. (p. 133) Cette notion introduit lattente de rciprocit sous-jacente toute attitude de fidlit et les qualits motivationnelles et dengagement quelle prsuppose. Il ressort de louvrage de Connor que la loyaut doit tre considre comme une motion tant lappel la loyaut dun individu fait apparatre des rponses charges de sentiments, ces rponses sentremlant avec dautres tats motionnels comme la fiert, la colre ou la tristesse. Le concept de loyaut tel quil est dfini par Connor claire largement la revue de littrature effectue dans le domaine plus particulier du marketing. Sa thorie englobe et donne du sens lensemble des propositions voques au chapitre 2.3, en particulier celles qui concernent lapproche relationnelle du marketing, c'est--dire la composante attitudinale de la fidlit, dont il faut ici reconnaitre quelle semble tre la plus pertinente dans une tentative de transposition du concept de loyaut la formation par apprentissage. En effet, si la formation par apprentissage, qui est une formation professionnelle, sinscrit a priori naturellement dans une articulation entre logique sociale et logique didactique (Fabre, 1994), tout semble indiquer quelle se roriente, en particulier pour les apprentis de niveau V et IV, vers une forme dducation (au sens de Fabre), c'est--dire de formation psychosociologique qui articule logique sociale et logique psychologique comme en tmoigne le rsum de larticle de Gille Moreau (2008) : [] le salut de lapprentissage na t possible quen amplifiant ce quil incorporait dcole, id est en linstitutionnalisant et en le scolarisant . Or, quil sagisse dadaptation socio-professionnelle (logique sociale) ou de dveloppement personnel (logique psychologique), le rle des motions est crucial dans le dveloppement de lidentit du form (lapprenti). Les tudes sur les ruptures de contrat dapprentissage montrent le rle essentiel des relations dans la formation par apprentissage et les volutions rcentes du systme ducatif dans le 34

cadre de la rnovation de la voie professionnelle font la part belle la prise en compte de chaque form dans ce qui fait sa spcificit en introduisant notamment l accompagnement personnalis . Ce dernier saccompagne de la rsurgence de la notion de comptence dont il semble avr quelle exigera des enseignants (continuera-t-on les appeler ainsi encore longtemps ?) quils fassent appel lutilisation doutils nouveaux comme celui de lentretien dexplicitation ou autres analyses de pratiques vocation rflexive dont lmotion est un lment cl (Vermersch, 2004), comme elle lest de la mmorisation daprs toutes les tudes rcentes (P. Huguet, laboratoire de psychologie cognitive ple 3C, formation personnelle, 31 mars 2010).

3.5. La fidlit en formation par apprentissage : proposition de dfinitionSelon le code du travail (2011), les Centre de Formation dApprentis [CFA] dispensent aux jeunes travailleurs titulaires d'un contrat d'apprentissage une formation gnrale associe une formation technologique et pratique qui complte la formation reue en entreprise et s'articule avec elle (Article L.6231-1). Par dfinition un CFA est donc une entreprise de production de services si lon se place du point de vue de lapprenti. Du point de vue de lentreprise, dune branche professionnelle, voire dune institution publique, le CFA pourrait tre considr comme une entreprise de production de biens (des salaris ou des citoyens), mais ce nest pas langle de vue qui nous intresse ici. En effet, notre tude sintresse la fidlit suppose des apprentis envers le centre de formation. Nous ne nous intresserons donc pas la fidlit ventuelle des autres partenaires envers le CFA, bien que la fidlit relative de lemployeur comme celle des familles mriteraient dtre prises en considration tant le rle de ces acteurs est important dans le choix de ltablissement de formation. Dans ce qui suit, nous considrerons donc le CFA comme une entreprise de production de services destination de ses clients : les apprentis. Avec Andr Barcet et Jol Bonamy (1999) nous admettrons que dans le cadre dune relation qui tend s'individualiser entre le producteur et le client [] la notion de service a tendance se diluer dans une notion de marchandisation et la sparation entre bien et service a de moins en moins de pertinence (pp. 93-94). Cette assertion est dimportance car elle permet

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dimporter dans le champ des entreprises de service la notion de fidlit la marque hrite de celle des entreprises de production de biens. Avec Gilles Moreau (2003) nous admettrons que : L'apprentissage offre aux jeunes d'origine et de destine essentiellement populaires, un cadre pour quitter le statut trs dpendant d'lve, o les satisfactions sont de leur point de vue rares. Ils parviennent ainsi une forme d'autonomie institutionnelle et parentale laquelle ils n'avaient aucune chance d'accder en persistant dans le systme scolaire. Ce faisant, ils accdent une autonomie juvnile, au modle du jeune consommateur et souverain que le dveloppement de l'ducation parentale librale et l'accroissement massif des taux d'accs au lyce et l'universit ont impos depuis les annes 1970 au sein de la jeunesse franaise. Deux lments retiennent particulirement notre attention dans cette dfinition de lapprenti formule par Gilles Moreau : dune part, il est la recherche de satisfactions quil ne trouve plus sous le statut dlve et, dautre part, le fait daccder lapprentissage lui permet daccder au modle de jeune consommateur . A cela sajoute le fait que les apprentis sont des jeunes de plus en plus soumis linfluence du marketing et que par consquent celui-ci fait aujourdhui partie de leur culture et de leur systme de valeurs comme en attestent les dernires volutions de la recherche en marketing qui vont jusqu se demander si la fidlit une marque ne relverait pas davantage de la fidlit aux actions marketing (Frisou, 2010). Pour toutes ces raisons, on saccordera retenir le modle de fidlit emprunt au marketing relationnel pour tester notre hypothse que lon formulera ainsi : (H0) Le dveloppement dactions visant intresser les apprentis aboutit une prvention du dcrochage travers leur fidlisation. Cette dernire se manifeste dun point de vue comportementale et attitudinale.

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4. MthodologieLobjectif de notre enqute est de dterminer si un lien existe entre la prvention du dcrochage en apprentissage et une forme de fidlisation des apprentis. Notre premier travail consistait donc dterminer ce que peuvent tre les composantes comportementales et attitudinales de la fidlit dans le champ de la formation par apprentissage. Nous avons privilgi une approche par analogie qui est dtaille au paragraphe 4.2. Passe cette difficult, nous tions confronts celle du choix de la population tudier et de la mthodologie retenir. Evidemment, le fait davoir mis une hypothse prcdemment implique le choix dune mthodologie exprimentale mais nous souhaitons expliquer ici pourquoi notre problmatique a dbouch sur la formulation dune hypothse. En premire approche notre tablissement constituait un sujet de choix pour mener notre enqute, notamment pour des raisons personnelles et professionnelles dvaluation des rsultats observs, dune part, et de la stratgie mise en uvre, dautre part. Cette solution prsentait galement lavantage de disposer rapidement de toutes les donnes chiffres sur une priode de temps assez longue (4 ans) et den avoir une connaissance fine puisque nous tions lorigine du recueil de ces donnes. Nous savions dexprience que ces donnes sensibles (effectifs, ruptures, abandons, taux dassiduit, etc.) auraient t difficiles obtenir dautres CFA tant donne notre fonction au sein dun tablissement concurrent 10. De plus, la rcolte de ces donnes, la diffusion de questionnaires ou la ralisation dentretiens auprs dapprentis des autres CFA auraient ncessit plus de temps que ce dont nous disposions. Sans compter quil aurait fallu trouver un CFA o lun des phnomnes (baisse des abandons ou fidlit) sexprime. Comment montrer un lien entre les deux sinon ? Autant dlments qui plaidaient pour que notre terrain denqute soit notre lieu de travail.

Bien que nous nayons pas le temps de ltayer ici, il nous semble avr que le contexte difficile et parfois concurrentiel de dveloppement des centres de formation dapprentis a conduit lexistence dune forme de mfiance entre tablissements. Ce propos est relativiser selon le contexte (gographique, conomique, etc.).

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Mais, comme le rappellent Abernot et Ravenstein (2009), lidal de posture du chercheur est [l] extriorit pour [la mthodologie] exprimentale (p. 70). Le choix dintervenir dans notre tablissement aurait donc d saccompagner plutt dune mthodologie clinique dont les mmes auteurs indiquent quelle ne peut tre envisage par les tudiants de master nayant pas de formation psychologique. (p. 81). Ce qui est loin dtre notre cas puisque, fort dune licence de mathmatiques, nous sommes plutt d obdience scientifique. Quel casse-tte ! Au final notre choix sest port sur une mthodologie exprimentale sappuyant sur les donnes issues de notre tablissement car nous avons considr que nous tions en mesure de faire preuve de lobjectivit ncessaire dune part et que, dautre part, bien quimpliqu dans la vie de ltablissement, notre influence sur les diffrentes variables navait pu se situer quen amont de la recherche et donc de manire totalement non corrle avec cette dernire.

4.1. Le contexteLe CFA des Lyces du Pays dArles occupe des locaux au sein du lyce Charles Privat Arles. Ce dernier est un lyce professionnel qui accueille des publics trs varis : 351 lycens professionnels dans 4 filires plutt industrielles ; 24 collgiens en classe de 3me DP6 ; 27 lves en difficults dans une classe de CAP nouvelle chance gre par la Mission gnrale dinsertion (MGI) ; un nombre variable de stagiaires de la formation continue car le lyce est membre du GRETA Ouest 13 ; et bien sur 161 apprentis dans 3 filires : automobile, coiffure et restauration.

Lannexe B dtaille lorganisation du CFA et prcise son offre de formations (carte des formations).

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4.2. Le choix dune mthode 4.2.1. De la mesure de la fidlit dun point de vue comportementaleNotre modle de rfrence est celui du marketing relationnel dans lequel la fidlit est forme : dune composante comportementale ; dune composante attitudinale.

Pour importer la notion de fidlit dans le champ de la formation par apprentissage, nous avons choisi de procder par analogie. Dans un premier temps il sagissait didentifier le (les) produit(s) ou service(s) que propose le CFA pour tenter de dterminer ce qui, dans la formation par apprentissage, relve de la composante comportementale de la fidlit. A premire vue, et si lon sen tient au code du travail (2011) : Les centres de formation d'apprentis dispensent aux jeunes travailleurs titulaires d'un contrat d'apprentissage une formation gnrale associe une formation technologique et pratique qui complte la formation reue en entreprise et s'articule avec elle. (Article L6231-1) La composante comportementale est gnralement assimile une suite dachats rpts ce qui, relativement la dfinition fournie par la loi, pourrait correspondre deux cas de figure : 1. Dans le cadre dune formation en apprentissage, cette notion d acte rpt prend son sens avec celui de la notion dalternance. Dans de nombreux CFA, cette alternance est dune semaine au CFA toutes les trois semaines environ sur deux ans11. On voit bien un cycle se former, assimilable la rptition de lacte dachat. Toutes les trois semaines lapprenti doit nouveau acheter du CFA. On peut alors distinguer lapprenti fidle, celui qui va au terme de sa formation, de lapprenti infidle, celui qui

Cest le cas Arles pour les CAP et BP. Les Bac Pro ont un rythme dalternance qui est plutt dune semaine sur deux. Dautres tablissements font le choix dune alternance de quelques jours par semaine au CFA. Le choix dun rythme plutt que lautre fait dbat depuis longtemps, y compris chez nos voisins allemands souvent cits en exemple en matire dapprentissage. (Communications personnelles avec des directeurs de CFA Berlin)

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abandonne en cours de formation. Cette vision binaire de la fidlit (fidle/infidle) devient discrte si lon introduit la question de lassiduit au CFA. Le taux dassiduit permettrait alors de mesurer le degr de fidlit de lapprenti envers le CFA. Mais la fidlit rduite cette dfinition aurait tout de la fidlit trompeuse vue au 3.3.2 (spurious loyalty) puisque lapprenti doit revenir au CFA : il est li par un contrat qui impose sa prsence au CFA ;

2. On peut galement assimiler lacte dachat rpt au fait de poursuivre sa formation dans le mme tablissement ou de redoubler si lon choue lexamen. Mme si cette dcision semble relever du seul choix de lapprenti, elle est souvent contrainte par diffrents critres difficilement mesurables : poids des diplme dans une filire (le BP Coiffure est indispensable pour ouvrir un salon alors quil ne faut aucun diplme pour ouvrir un restaurant), influence du contexte familial, etc. Pour toutes ces raisons, la fidlit mesure uniquement laune de ce comportement risquerait galement dtre une fidlit trompeuse. Ne loublions pas, la mesure du comportement seffectue dans le temps . Si lon retient les critres ci-dessus (taux dabandon, dassiduit, de poursuite de formation et de redoublement) comme reprsentatifs de la composante comportementale de la fidlit de lapprenti, il convient de pouvoir les mesurer dans la dure et sur des effectifs significatifs. Nous nous y essayons dans la premire partie de nos rsultats prsents au chapitre 5.

4.2.2. la mesure de la composante attitudinaleLa fidlit ne peut se rduire sa composante comportementale, a fortiori lorsque celle-ci peut tre trompeuse comme nous lavons vu au paragraphe prcdent. Il faut donc

imprativement mesurer la composante attitudinale pour nous assurer quil sagit bien dune fidlit vraie. En ce qui concerne lattitude de lapprenti fidle, rien ne semble la distinguer de lattitude du client fidle. Elle doit se traduire par lexistence dune (ou plusieurs) variable(s) motionnelle(s) : engagement, attachement, appartenance, motivation, etc. explicative(s) du phnomne de fidlit.

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Dautre part, le parallle entre activits de service et formation prend encore plus de sens lorsquil sintresse aux situations dadversit, c'est--dire celles o la fidlit du client est mise lpreuve, soit par une offre concurrente, soit par un pisode dinsatisfaction. (NGoala, 2003). Si lon procde de nouveau par analogie, quest-ce quune offre concurrente ? Dans les cas de figures cits plus haut on peut proposer : 1. toute offre de nature concurrencer le fait de venir au CFA ou de poursuivre sa formation. Ce qui ouvre un champ relativement vaste et laisse place aux conflits de loyaut voqus par Connor : amis, famille, employeur, hobbies, etc. A titre dexemple, on peut citer le cas de tel apprenti engag dans une formation en BP restaurant (4 annes de formation) qui, malgr de bons rsultats, a abandonn quelques semaines de lexamen pour devenir leveur de faisan avec le pre de sa copine. Ou tel autre qui lutte pour choisir entre poursuivre sa formation et cder aux sirnes de lentreprise qui linvite abandonner pour travailler temps plein ;

2. une autre formation (diffrente de celle suivie) ou un autre CFA que ce soit pour la mme formation ou pour une poursuite dtudes ventuelle (ou un redoublement) ; Quant l pisode dinsatisfaction au CFA pour un apprenti, il peut galement prendre de trs nombreuses formes : insatisfaction quant aux rsultats obtenus, insatisfaction quant la qualit des relations noues, insatisfaction lie la contrainte de prsence voque plus haut, incident au sens le plus large, etc. Cest cette ide de situations dadversit qui est reprise dune autre faon par Bernard Dubois et Gilles Laurent lorsquils sintressent la fidlit la marque travers les situations dachat (1999) et quils dveloppent un questionnaire dans lequel ils introduisent les notions doffre concurrente et dpisode dinsatisfaction . En effet, si la fidlit behavioriste se mesure laune dun historique (dachat pour un client, de relev de prsence pour un apprenti), la fidlit cognitiviste est gnralement mesure par questionnaire. Pour tenter de mesurer la fidlit des apprentis nous avons donc choisi dlaborer un questionnaire en respectant les rgles du marketing relationnel cest--dire une enqute de satisfaction qui propose une mesure la fois de la satisfaction et de lengagement. 41

Notons que dautres approches auraient pu tre envisages. Notamment une approche qualitative qui, travers des entretiens raliss auprs de diffrents segments de population concerns (apprentis encore prsents, apprentis risque , anciens apprentis ayant abandonn, voire auprs des formateurs, etc.) aurait tent de mettre en vidence le rle des motions dans la fidlit constate (ou non) ou les conflits de loyaut voqu par Connor (2007). Malheureusement, notre position hirarchique vis--vis de ces populations aurait certainement induit un biais dans notre tude. Ces individus ne nous auraient-ils pas renvoy ce que nous voulions entendre ? Les rsultats de cette enqute font lobjet de la seconde partie du chapitre 5.

4.3. Llaboration du questionnaire : entre thorie et pratiqueCommenons par avouer que llaboration du questionnaire ne sest pas faite sans difficult. En ralit il sagit dun travail de professionnel qui demande une pratique rgulire et une exprience importante avant dobtenir un rsultat pertinent. Les diffrentes recherches que nous avons menes sur llaboration dune enqute de satisfaction nous ont permis disoler quelques rgles essentielles qui ont guid notre travail. Autant le dire tout de suite, nos sources en la matire se sont construites essentiellement sur Internet, de site en site, en nous appuyant sur notre capacit trier et retenir linformation lorsquelle nous paraissait pertinente et suffisamment fonde. Une liste des sources utilises se trouve en fin de mmoire, nous les avons distingues de la bibliographie, mais nous ne serons pas en mesure de dire ici quelles rgles relvent de quel site tant il sagit dune synthse. Voici les points cls que nous avons essay de respecter tout au long de la construction de ce questionnaire : 1. La mise en place dun comit de pilotage et le test du questionnaire : conformment ce qui est conseill par tous les guides mthodologiques, nous avons essay dlaborer ce questionnaire en partenariat. Faute de temps suffisant nous navons pu runir lquipe pdagogique pour un travail denvergure. Nous avons donc choisi de solliciter les avis de deux de nos collgues ce qui a permis doprer quelques choix dlicats, dautant que pour les mmes raisons de temps, nous navons pas pu tester le questionnaire sur un chantillon, ce qui est regrettable ; 42

2. la conception du questionnaire : initialement nous souhaitions rcuprer les informations nominatives issues de notre base de donnes pour chacun des jeunes ayant rpondus afin, dune part, de ne pas poser de questions redondantes aux apprentis (et allonger inutilement le questionnaire) et, dautre part, de disposer dinformations complmentaires sur le parcours du jeune au