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8 et 9 juin 2015 - Beyrouth Avec le soutien de l’AUF Renseignement : Tél : 01.378 799 [email protected] Rue Maamari, Clemenceau, Beyrouth (à côté de l’hôpital Bikhazi) Thorstein Veblen

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8 et 9 juin 2015 - Beyrouth

Avec le soutien de l’AUF

Renseignement :

Tél : 01.378 799 – [email protected]

Rue Maamari, Clemenceau, Beyrouth

(à côté de l’hôpital Bikhazi)

Thorstein Veblen

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Table ronde d’économie politique

L’économie institutionnelle et la pluralité des capitalismes

Université Libano-Française (ULF), Clemenceau, Beyrouth, les 8 et 9 juin 2015

Trop souvent, la pensée économique a conçu le capitalisme comme un système bien défini, la diversité de ses

formes s’inscrivant dans un évolutionnisme unilinéaire. Or, dès la fin du XIXième siècle, Veblen a mis en

évidence un capitalisme spécifique où régnaient les mécanismes de rente également liés à la

financiarisation de l’économie. Cette prédominance de la finance sur l’industrie, pour reprendre

les termes de Keynes, a été freinée pendant près d’un demi-siècle, avant, qu’à nouveau, le

capitalisme financier revienne en force. Or, à ce moment - les années 1980 - la rente pétrolière

enrichit des Etats dont certains n’avaient pas connu la Révolution industrielle. Ceci donne

naissance à de nouveaux « capitalismes politiques », comme eût dit Weber, où les logiques de prébendes et de

redistribution sont essentielles. Les pétrodollars jouent aujourd’hui un rôle déterminant dans la globalisation

financière, héraut de la présente mondialisation. Ce qui montre l’actualité de ce thème.

La table ronde se propose ainsi d’éclairer la diversité des trajectoires du capitalisme, selon une perspective

particulière dite « institutionnelle » qui doit beaucoup à l’œuvre de Veblen et Commons, notamment, pour ce

qui est de l’économie politique. Cette diversité pourra aussi être éclairée par ce que l’histoire, la science

politique et la sociologie ont à dire, s’agissant du processus de production et d’échange des richesses sociales.

Cette rencontre scientifique s’adresse aux enseignants-chercheurs, doctorants, étudiants de Master, mais aussi et

surtout aux décideurs et professionnels intéressés par les mécanismes qui gouvernent nos économies.

Round Table of Political Economy - Institutional economy and the plurality of capitalisms

The economic thought has too often conceived capitalism as being a well-defined system whose multiple forms

are rooted in a linear evolutionism. But since the end of the 19th century, Veblen has highlighted a specific kind

of capitalism where mechanisms of private income have dominated and been closely tied to the financialization

of the economy. This predominance of finance over the industry, as Keynes puts it, had been

slowed down for half a century, before the powerful comeback of financial capitalism. At that

time – the 80s – oil revenues created riches in some countries that had not known yet the

industrial revolution. And this created some new “political capitalisms”, according to Weber,

where logics of prebends and redistribution are very essential. Today, petrodollars play a

determinant role signaling today’s financial globalization, which demonstrates the actuality of this theme.

This round table is thus proposed to clarify the diversity of the paths of capitalism, from a particular perspective

called “institutional” stemming from the work of Veblen and Commons, primarily about the political economy.

This diversity can be thus clarified by what history, political science, and sociology have to say about the

process of production and the exchange of social wealth.

This scientific conference is addressed to instructors-researchers, Ph.D and Master’s students, and especially to

decision-makers and professionals who are interested in the mechanisms governing current economies.

Avec le soutien de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF)

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Table ronde d’économie politique – Programme

Lundi 8 juin 2015

OUVERTURE

10h30 : Myriam CATUSSE, Directrice du département Études contemporaines, Institut Français du Proche-

Orient (Ifpo)

Henri LEBRETON, Conseiller de coopération et d'action culturelle. Directeur de l’Institut Français du

Liban (IFL)

Mohamad SALHAB, Président de l’Université Libano-Française (ULF)

10h45 : pause café

SESSION 1- LA PENSÉE DE VEBLEN

11h00: Le capitalisme entre prédation et illusion : Thorstein Veblen, par Jérôme MAUCOURANT, Maître de

conférences, Université Jean Monnet de Saint-Etienne (France)

11h45: Valeur, marché et progrès dans la pensée de Thorstein Veblen, par Olivier BRETTE, Maître de

conférences, INSA de Lyon, UMR 5206 Triangle (France)

SESSION 2 - APPROCHES INSTITUTIONNELLES CONTEMPORAINES

14h00 : L’économie institutionnelle, l’héritage colonial et le monde arabe. Un essai d’interprétation, par

Abdallah ZOUACHE, Professeur des universités, Sciences Po Lille, membre du CLERSE -UMR 8019

(France)

14h45 : Le capitalisme rentier en Algérie, analyse par l’approche institutionnelle, par Mourad OUCHICHI,

Maître de Conférences, Université de Abderrahmane Mira, Béjaïa (Algérie)

15h30 : pause café

16h00 : Une approche de l'économie politique libanaise : éléments de réflexion à partir de la production

urbaine, par Bruno DEWAILLY, géographe-urbaniste, enseignant au département d'urbanisme de

l'ALBA, Université de Balamand et chercheur associé à l’Ifpo (Liban)

Mardi 9 juin 2015

SESSION 3 - ETAT, CAPITALISMES ET SOCIÉTÉS

9h00 : Proche-Orient arabe : le capitalisme des copains dans une économie périphérique, par Fabrice

BALANCHE, Directeur du GREMMO - Maison de l'Orient et de la Méditerranée, Université Lumière

Lyon 2 (France)

9h45 : Syrie : D’un régime de prédation institutionnalisée à une économie de guerre, par Akram KACHEE,

chargé de cours Science Po Lyon, Chercheur associé au GREMMO (France)

10h30: Pause café

10h45 : La pluralité des capitalismes dans le Machrek Arabe: des Tanzimats Ottomans à la prédominance de la

rente pétrolière, par Boutros LABAKI, Professeur à l’Université Libanaise (Liban)

Le capitalisme pétrolier : un manque à gagner pour les économies arabes,

Poster de Carole Ibrahim, doctorante en économie à l’Université Libanaise

11h30 : CLOTURE par le président de l’Université Libano-Française, Mohamad SALHAB, à partir de

« l’Enquête pour la nature de la paix » de Thorstein Veblen

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Round Table of Political Economy – Schedule

Monday, June 8, 2015

OPENING SESSION

10:30 : Myriam CATUSSE, Directrice du département Études contemporaines, Institut Français du Proche-

Orient (Ifpo)

Henri LEBRETON, Conseiller de coopération et d'action culturelle. Directeur de l’Institut Français du

Liban (IFL)

Mohamad SALHAB, Président de l’Université Libano-Française (ULF)

10:45 coffee break

SESSION 1 - VEBLEN’S THOUGHT

11:00 Capitalism between predation and illusion: Thorstein Veblen, by Jerome MAUCOURANT, Senior

Lecturer, Université Jean Monnet de Saint-Etienne (France)

11:45 Thorstein Veblen on value, market and socioeconomic progress, by Olivier BRETTE, Associate

Professor, INSA de Lyon, UMR 5206 Triangle (France)

SESSION 2 – CONTEMPORARY INSTITUTIONAL APPROACHES

14:00 Institutional economy, the colonial heritage and the Arab world. An essay of interpretation, by Abdallah

ZOUACHE, Professor of Economics, Sciences Po Lille, member of CLERSE, UMR 8019 (France)

14:45 The capitalism of private income in Algeria, The rentier capitalism in Algeria, by Mourad OUCHICHI,

Senior Lecturer, Université de Abderrahmane Mira, Bejaia (Algeria)

15:30 coffee break

16:00 An approach of the Lebanese political economy: reflexion from urban production, by Bruno

DEWAILLY, geographer and urban planner, professor in town planning department of ALBA,

Balamand University and research associate at Ifpo (Lebanon)

Tuesday, June 9, 2015

SESSION 3 - STATE, CAPITALISMS, AND SOCIETIES

9:00 The Arab world of the middle-east: the capitalism of friends in a peripheral economy, by Fabrice

BALANCHE, Director of GREMMO – Maison de l’Orient et de la Meditérannée, Université Lumière

Lyon 2 (France)

9:45 Syria: From an institutionalized regime of predation to an economy of war, by Akram KACHEE,

Associated researcher at GREMMO (France)

10:15 coffee break

10:45 The plurality of capitalisms in the Arab Mashreq: From Ottoman Tanzimats to the predominance of oil

income, by Boutros LABAKI, Professor, Lebanese university (Lebanon)

11:30 : CLOTURE by the president of Université Libano-Française, Mohamad SALHAB, from the ”An

Inquiry into the Nature of Peace and the terms of its perpetuation” of Thorstein Veblen

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Le capitalisme entre prédation et illusion : Thorstein Veblen

Jérôme MAUCOURANT, Maître de conférences, Université Jean Monnet de Saint-Etienne (France)

La première grande dépression du XXIe siècle pose de redoutables défis au savoir économique : sauf très rares

exceptions, les économistes ont été fort surpris par la profondeur de l’effondrement et par l’incapacité des

marchés à régler d’eux-mêmes la question de la dette. Dans ces conditions, ne serait-il pas utile de faire retour

sur des problématiques occultées mais qui peuvent avoir une puissante force de suggestion ? Le travail de

Veblen, penseur d’un capitalisme en voie de financiarisation, témoin attentif des crises bancaires de son temps

et de la naissance d’une banque centrale moderne appartient à ce type de problématique. Veblen est aussi connu

comme l’auteur d’une conception « évolutionniste » de l’économie, véritable défi lancé à la théorie néoclassique

en voie d’édification. C’est en repensant à nouveaux frais ce défi qui implique une autre conception de

l’économie monétaire que l’on peut tirer quelques enseignements sur la dynamique du capitalisme contemporain

et le prix à payer pour sa perpétuation. Bien au delà de la question économiques, le travail de Veblen contribue à

éclairer certaines questions sociales décisives.

Pour bien comprendre la perspective de Veblen, il convient ici de rappeler que celui-ci opère une rupture vis-à-

vis du fondement des grandes théories économiques qui se sont succédé depuis deux siècles : la valeur, que ce

fût sur le mode objectiviste de la « valeur-travail » ou sur le mode subjectiviste de la « valeur-utilité ». Les

concepts de monnaie, capital et finance étaient dérivés de travaux fort différents mais qui s’inscrivaient tous

jusqu’à aujourd’hui dans le paradigme de la valeur. Or, Veblen considère que la possibilité d’une connaissance

rationnelle de l’économie réside essentiellement dans la reconnaissance du caractère « institutionnel » de

l’économie. Ceci signifie que les habitudes et représentations collectives contribuant à organiser les processus

de production, répartition et de consommation des richesses sociales. Mais, ces institutions s’insèrent dans un

univers soumis à une évolution permanente, ce qui a des conséquences théoriques. Le capitalisme, en effet,

puise sa dynamique de plus en plus dans des ressorts sociaux (connaissance collective et système technique). La

« richesse » capitaliste résulte de façon croissante de procédés de captation de l’intelligence et de l’activité

sociale. La survie de la propriété privée aurait été rendue possible par de nouvelles logiques rentières

particulières au capitalisme d’il y a un siècle.

Dans ce nouveau régime économique, dont les présentes techniques d’information et de communication

actualisent encore les virtualités, la monnaie, selon les propres termes de Veblen, devient « la réalité ultime des

choses ». Depuis un siècle, les nouvelles pratiques commerciales, financières et bancaires s’emparent de la

production et nous éloigne du capitalisme de Ricardo, Mill ou Marx. Quand la finance soumet ainsi l’industrie,

il faut comprendre comment les représentations collectives aliénantes sont autant d’images agissantes sur la

société. Veblen devient donc un savant iconoclaste, un briseur de cette économie des images qui serait le secret

de la nouvelle forme que prend le capitalisme au début du XXième siècle. Une forme qui, depuis lors, a connu

bien des avatars déclinés à l’envi grâce aux multiples progrès techniques, mais une forme qui, pour l’essentiel,

demeure un principe toujours organisateur du capitalisme. Autrement dit, les images, qui sont ici autant des

fictions agissantes, sont essentielles à la dynamique du capitalisme depuis la fin du XIXième siècle.

Nous exposerons ainsi, en premier lieu, l’idée que la monnaie n’est pas ce voile qui recouvre la réalité

économique. L’essor du système de crédit n’est, par conséquent, en aucune façon, une transposition raffinée

d’un système idéal de troc, ce fantôme qui hante encore l’esprit de nombres d’économistes et qui contribua à

rendre presque impensable la Grande Récession de 2008. D’ailleurs, Veblen est, peut-être, le premier auteur à

contestant frontalement l’intérêt de la « fable du troc », une manière d’ « histoire conjecturale » selon laquelle

les hommes auraient inventé la monnaie pour faire face aux embarras du troc. En second lieu, il sera montré que

les dispositifs monétaires et financiers, depuis le début de XXe siècle, ne peuvent être compris sans l’empire que

les vested interests exercent sur le système économique. Veblen soutient alors que le Système de la Réserve

Fédérale est, par excellence, une machine produisant de l’illusion de façon à opérer des transferts nécessaires de

richesses au profit de la perpétuation d’un pouvoir de classe. En troisième lieu, les fondements de l’analyse étant

établis, nous proposons une comparaison de Keynes et de Veblen, de façon à mieux situer son rapport à

l’hétérodoxie. La conclusion revient sur le pessimisme de Veblen, car le dépassement du capitalisme lui semble

aussi nécessaire qu’improbable. Ce que n’exclut en rien la possibilité d’un changement radical.

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Valeur, marché et progrès dans la pensée de Thorstein Veblen

Olivier BRETTE, Maître de conférences, INSA de Lyon, UMR 5206 Triangle (France)

L’article se propose d’identifier et d’articuler les principaux apports de l’œuvre de Thorstein Veblen à la théorie

de la valeur économique. Au-delà d’un intérêt strictement historique, il vise à nourrir le débat contemporain sur

la refondation du concept de valeur et sur les fondements institutionnels du progrès socioéconomique.

Veblen offre d’abord des éléments de critique puissants à l’encontre des deux principales traditions de pensée

qui, depuis le milieu du XIXe siècle, ont tenté de justifier la capacité du marché à fournir une mesure objective

de la valeur économique, c’est-à-dire le paradigme marginaliste ou néoclassique et l’évolutionnisme libéral

d’inspiration spencérienne. Les arguments développés par Veblen ont ceci d’original qu’ils visent les

fondements les plus profonds des systèmes de pensée économiques, c’est-à-dire les « préconceptions » des

économistes. A ce titre, ses critiques ont conservé une réelle actualité, malgré les transformations internes que

ces deux traditions de pensée ont connues depuis plus d’un siècle.

En s’attachant à déconstruire méthodiquement les préconceptions des économistes libéraux, Veblen sape les

fondements mêmes d’une supposée objectivité de la valeur marchande. Il montre ainsi que la valeur pécuniaire

ou marchande résulte d’une forme d’évaluation parmi d’autres qui réfère à ses propres critères, ceux de la

« rivalité », lesquels sont notamment irréductibles aux critères d’évaluation industrielle ou productive. Là où la

valeur marchande mesure un « gain différentiel » de nature monétaire, la valeur industrielle mesure une

contribution nette aux conditions matérielles d’existence de la société. Cette irréductibilité n’exclut bien sûr pas

que la recherche du profit puisse produire des effets positifs sur le bien-être matériel de la société. Ce que rejette

Veblen c’est l’idée d’une relation (logique) de nécessité entre l’un et l’autre. Autrement dit, il n’existe pas de

fonction établie permettant de relier ces deux ensembles distincts, que sont celui de la « valeur marchande » et

celui de la « valeur industrielle ».

Ayant mis en évidence l’autonomie des valeurs marchandes et leur irréductibilité à d’autres régimes

d’évaluation, Veblen jette les bases d’une théorie originale et stimulante, quoiqu’inaboutie, du progrès

socioéconomique. En montrant l'impossibilité de tirer de l’agrégation des valeurs marchandes une définition

satisfaisante de la « valeur sociale », il nous invite à nous interroger collectivement sur les moyens et les fins de

l'organisation économique de nos sociétés. L’œuvre de Veblen ouvre ainsi la voie à une réflexion sur les

fondements institutionnels du progrès socioéconomique, qu’un autre économiste institutionnaliste majeur, Karl

Polanyi, poursuivra quelques décennies plus tard et dont les enjeux se manifestent avec une acuité renouvelée

dans le contexte actuel de la crise du capitalisme néolibéral.

Mots-clés : Veblen, valeur, marché, progrès socioéconomique, Polanyi

JEL classifications : A13, B15, B31, B52, D46

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L’économie institutionnelle, l’héritage colonial et le monde arabe. Un essai d’interprétation

Abdallah ZOUACHE, Professeur des universités, Sciences Po Lille, membre du CLERSE -UMR 8019 (France)

L’hypothèse de la malédiction des ressources naturelles est souvent adoptée lorsqu’il s’agit de traiter du monde

arabe. Frankel (2010) fournit un panorama exhaustif de cette littérature. La thèse fait suite à l’observation

suivante : la possession de pétrole, gaz naturel, ou d’une autre ressource naturelle ; principalement de nature

minérale, ne conduit pas de façon automatique au succès économique. Au contraire, il existerait une malédiction

des ressources naturelles puisque de nombreux pays possédant ce type de ressources souffriraient de

performances économiques médiocres, en particulier sur le long terme. Face à ces échecs, la littérature met en

exergue les réussites économiques de nombreux pays ne disposant d’aucune ou de faibles quantités de

ressources naturelles ; comme le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour ou Honk-Kong.

Dans la zone du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, la malédiction de ressources naturelles s’applique à la

présence de pétrole et de gaz en très grandes quantités : on trouve notamment les grands producteurs de pétrole

que sont l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweit, et des producteurs de gaz comme le Qatar ou l’Algérie.

Dans cette zone, certains pays du Golfe sont considérés comme riche : le Qatar, le Koweit et les Emirats Arabes

Unis bénéficient de PIB par tête les plus élevés de la planète ; une observation mettant en question la validité de

l’hypothèse pour les pays arabes. Cependant, cette observation ne s’applique ni au premier producteur de

pétrole, l’Arabie Saoudite, ni aux deux suivants que sont l’Irak et l’Iran. Le Soudan illustre également la

malédiction du pétrole et du gaz pour les pays arabes.

D’autres pays qui ont bénéficié d’une manne plus partielle d’hydrocarbures comme le Liban, la Syrie ou

l’Egypte n’ont pas convergé vers les niveaux de richesse des pays développés. En revanche, le pays qui ne

dispose ni de pétrole, ni de gaz ; la Turquie, est entré dans une phase de convergence économique vers les pays

développés.

Face à ce constat, l’article n’adopte pas l’hypothèse de malédiction des ressources naturelles appliquée au

monde arabe. En effet, la littérature économique citée par Frankel insiste sur le fait que la malédiction des

ressources naturelles opère à travers un effet institutionnel. Aussi, selon nous, l’enjeu analytique majeur est

d’identifier les mécanismes de transmission institutionnelle : par quel(s) voie(s) les institutions affectent-elles la

trajectoire de développement des pays arabes ?

Cet article propose une interprétation des difficultés économiques du monde arabe en faisant appel à une

explication institutionnaliste. La thèse défendue est que les pays arabes ne sont pas victimes d’une malédiction

des ressources mise en évidence par la littérature standard en économie mais d’une mauvaise gestion des

ressources dont l’origine est institutionnelle. Plus précisément, l’héritage colonial est proposé comme canal de

transmission institutionnel des blocages au développement dans le monde arabe. Dans un premier temps, nous

montrons comment l’intégration de l’hypothèse d’héritage colonial dans un cadre néo-institutionnaliste à la

Acemoglu et Robinson (2012) est insuffisante. Aussi, nous privilégions les contributions des anciens

institutionnalistes, notamment John Roger Commons (1934) et Thorstein Veblen (1914), en particulier pour

montrer le rôle des mentalités et des habitudes dans la reproduction d’institutions héritées de la période

coloniale. Dans un deuxième temps, nous appliquons ce cadre institutionnaliste à deux pays arabes : le rôle de

l’héritage colonial dans la stratégie de développement industriel en Algérie après l’indépendance et la

persistance d’institutions politiques au Liban dont l’origine remonte à l’occupation coloniale.

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Le capitalisme rentier en Algérie, analyse par l’approche institutionnelle

Mourad OUCHICHI, Maître de Conférences, Université de Abderrahmane Mira, Béjaïa (Algérie)

La question de la diversité des formes des capitalismes est ancienne dans le débat entre économistes. En effet,

depuis Veblen, la question des évolutions spécifiques des modes de production qualifiés tous par le terme

générique de capitalisme est posée. Déjà, au sein des pays industrialisés, espace traditionnel de la naissance et

d’évolution du capitalisme, la distinction entre les différentes formes est visibles. La mainmise des logiques

spéculatives sur celles de la production, les différents degrés et formes d’intervention de l’Etat, ainsi que le rôle

des compromis entre les firmes et les syndicats dans la régulation des marchés, sont des thèmes majeurs

permettant de distinguer les différentes formes du capitalisme des pays industrialisés1.

Cependant, il est à noter que les recherches s’intéressant aux diverses formes du capitalisme, se sont

essentiellement focalisées sur les pays industrialisés. Or, depuis le début des années 1990, on assiste à

l’élargissement du monde capitaliste, notamment avec la reconversion vers l’économie de marché des pays de

l’Europe de l’Est et ceux qualifiés du Tiers Monde. Cela a donné naissance à un nouveau type de pays dits à

économie de marché mais avec des particularités criantes quant aux formes d’adoption du libéralisme. Ajoutons

à cela le cas des pays émergents tels que les BRIC où on assiste aussi à des formes assez distinguées de

libéralisme classique.

Dans la tradition des fondateurs de l’économie institutionnelle, cette situation constitue un objet d’étude

prometteur pour les économistes institutionnalistes. C’est dans ce sens que nous nous sommes intéressés au cas

de l’Algérie.

En effet, depuis le début des années quatre-vingt-dix, l’économie algérienne a connu un vaste mouvement de

restructurations et de réformes. Aujourd’hui, après plus de 25 ans de réformes et de contre-réformes, l’économie

algérienne est à classer dans ce que Weber appelle le « capitalisme politique ». C’est une économie dans

laquelle la rente pétrolière est la source principale de richesse et où la logique de prédation et de distribution

étouffe toute possibilité de mise en place d’une économie productive. L’hypothèse principale de cette recherche

est que l’économie algérienne n’obéit pas aux lois du marché mais qu’elle est soumise aux injonctions

administratives de l’Etat. Ceci n’est possible qu’à cause de la faiblesse des institutions politiques et

économiques. Laquelle faiblesse s’explique par la nature du régime politique2. Dans ce sens, nous supposons

que l’analyse du système politique, de ses contraintes et ses contradictions, est le point de départ de toute

réflexion sur les problématiques des transitions. Le poids du passé et son influence déterminante sur le

déroulement du passage d’une organisation économique à une autre est, quant à lui, un facteur que nous

questionnerons dans cette perspective.

Mots-clés : Transition Économique, Régime d’Accumulation Rentier, Forme Institutionnelle, néo-

patrimonialisme, volontarisme économique, système politique, Algérie.

1 R Boyer, « le capitalisme à la croisée des chemins », Economie, commerce et mondialisation, n°04, Edition Marinoor,

1997.

2 M.Ouchichi, Les fondements politiques de l’économie rentière en Algérie, Editions Déclic, 2014.

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Une approche de l'économie politique libanaise : éléments de réflexion à partir de la production

urbaine Bruno DEWAILLY, géographe-urbaniste, enseignant au département d'urbanisme de l'ALBA (Université de

Balamand) et chercheur associé à l'Institut Français du Proche-Orient – IFPO (Liban)

Dans l'imaginaire local libanais comme à travers la présentation des données statistiques élémentaires

nationales, l'économie libanaise se caractérise par une économie de services largement dominée par des activités

commerciales avec pour fer de lance un secteur bancaire qui fait la fierté d'une large part de la communauté

nationale.

Sans chercher à infirmer ou à confirmer ces traits, lesquels ne nous apprennent finalement que peu de chose sur

les mécanismes sous-jacents qui corsettent l'économie politique libanaise, nous proposons plutôt de décentrer

notre regard en interrogeant les modalités et effets des comportements sociaux liés à ‒ ou initiés par ‒ des

activités de production. Plus précisément, nous concentrerons notre exposé sur ceux relatifs au champ de la

construction. Non fortuit, ce choix procède du constat que l'objet foncier ou immobilier constitue au Liban des

biens sur lesquels semble se porter un puissant désir collectif.

La diversité professionnelle de ce champ, de ses espaces, voire de ses temporalités, permet une première

appréhension de sa composition et du "poids" de l'économie immobilière. Mais, c'est surtout au travers de

l'analyse des principaux mécanismes, tendances et jeux qui l'animent et irradient la société toute entière que

l'intérêt d'une approche en termes d'"économie des relations" se fait jour.

En effet, l'étude de ces pratiques révèlent différentes modalités d'action qui rendent notamment caduc le postulat

prédominant de l'économie néoclassique d'un acteur économique rationnel, connaisseur de ses désirs et maître

de ses choix. L'étude montre plutôt des agents pris aux jeux de configurations sociales contraignantes, lesquelles

limitent de fait la souveraineté des individus, notamment à travers des fonctionnements mimétiques ("désirs

mimétiques" au sens de R. Girard 1978, 307 sq.) qui participent à l'ordonnancement de la société.

Aussi la compréhension des mécanismes de régulation de l'activité immobilière et de son champ, permet de

montrer que des considérations en termes de valeur utilité ou de valeur travail ne décrivent que très

approximativement l'économie marchande libanaise.

Reprenant l'hypothèse formulée par André Orléan, nous supposons que le désir de monnaie pourrait y définir

prioritairement le jeu marchand. L’objet immobilier serait constitutif du désir de l’autre et non défini par ses

qualités intrinsèques tandis que sa valeur utilité permettrait de contrôler les intériorités des sujets en les rendant

adaptées à la marchandisation, donc, in fine, faciliterait la captation de la monnaie par certains agents

dominants. Et de se demander alors si un tel objet ne serait pas devenu un véritable "modèle-obstacle" au sens

donné par R. Girard (1961).

Dès lors, par l'étude de pratiques immobilières qui prévalent au Liban, nous tenterons de montrer en quoi la

valeur économique n'est pas en soit une donnée objective liée à la substance de ses objets, mais se constitue

plutôt, à l'instar de toutes autres valeurs, au travers d'un jeu de conventions et de croyances collectives, c'est-à-

dire, pour reprendre une expression de John Start Mill, par le truchement d'un polythéisme de valeurs qui permet

d'articuler désir marchand et valeurs politiques, morales et religieuses.

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Proche-Orient arabe : le capitalisme des copains dans une économie périphérique

Fabrice BALANCHE, Directeur du Groupe de Recherches et d'Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient

(GREMMO) - Maison de l'Orient et de la Méditerranée, Université Lumière Lyon 2 (France)

Le système capitaliste ne se diffuse pas de façon uniforme sur la planète. Il se produit une hybridation avec les

structures sociales et culturelles locales. Ainsi la situation et le système économique du Proche-Orient arabe est

caractéristique du capitalisme des copains, c’est-à-dire de la collusion entre les élites économiques et politiques

qui forment des oligopoles et bloquent ainsi l’ascension des nouveaux entrepreneurs. Plus généralement le

fonctionnement de l’économie au Proche-Orient repose sur une trilogie : la peur de l’Etat, la famille et

le commerce ».

L’absence d’Etat de droit et les pratiques prédatrices font qu’il est préférable de s’orienter vers le commerce et

les services plutôt que l’industrie, car cela exige une moindre immobilisation de capital et permet un départ

rapide en cas de problème politique dont la région n’est pas exempte. La famille est le socle de l’entreprise, car

c’est le meilleur moyen de conserver les informations, les pratiques douteuses, les dissimulations qui pourraient

tomber dans l’oreille des contrôleurs fiscaux. Car tout chef d’entreprise possède trois comptabilités : une pour

l’Etat dans laquelle il est déficitaire, une pour ses associés dans laquelle il est à l’équilibre et la véritable

comptabilité dans laquelle il sait les immenses profits qu’il a réalisés. Dans ce système, la loi agit comme une

toile d’araignée, elle arrête les petits et laisse passer les gros. Cela implique des stratégies de dissimulation et de

contournement très élaborées pour les petits et moyens entrepreneurs, voire une volonté de rester « petit » pour

éviter de lier son destin à ceux du pouvoir. C’est particulièrement vrai en Syrie.

Si en France, un entrepreneur hésite à passer le seuil des 10, puis 50 employés car cela implique des contraintes,

notamment celle d’avoir un représentant syndical puis un comité d’entreprise, en Orient, un petit entrepreneur

hésite à augmenter la taille de son entreprise, de peur d’attirer ainsi les yeux des proches du pouvoir. Lors de

mes recherches en Syrie, la plupart des petits entrepreneurs m’ont fait part de cette crainte. Même si les affaires

sont florissantes, il préfère conserver une taille modeste et un bâtiment discret (qu’il m’avait fallu deux heures

pour trouver tellement il était bien dissimulé) par peur d’attirer la convoitise. Un second entrepreneur,

exportateur d’escargot de bourgognes made in Syria, avait repeint sa villa en gris et laissait volontairement la

façade se dégrader. Personne ainsi ne se doutait des immenses bénéfices qu’il réalisait car ses exportations

représentaient 15 à 30% de la consommation française selon les années. C’est encore ce magna de l’huile

d’olive à Tartous qui recevait les paysans et les clients dans un bureau qui n’avait pas changé depuis le Mandat

Français, vendant toujours l’huile d’olives au litre et faisant toujours des avances sur récolte pour conserver un

réseau captif de fournisseurs.

Ce fonctionnement social de capitalisme des copains à toutes les échelles avec une forte orientation vers les

services est renforcé par le système économique global dans lequel se trouve le Proche-Orient : une périphérie

liée à la rente pétrolière.

Le Moyen Orient est dominé par l’économie de la rente pétrolière. Il s’agit pour les acteurs économiques de

capter cette rente. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la création du centre-ville de Beyrouth : destiné

à capter les investissements du Golfe et de la diaspora. Toutes les capitales du Moyen-Orient non pétrolier ce

sont alignés sur le modèle de Beyrouth : Amman, Le Caire et même Damas avec ses projets (« Bab es Salam »

et « La huitième porte »). L’objectif est de capter les capitaux du Golfe, dont le trop plein ne sait où aller.

Même si les pays du Nord restent la principale destination des capitaux du Golfe, car il est plus sûr de placer son

argent dans des Etats de droits qui garantissent la propriété. Une partie des bénéfices sont investis dans le

monde arabe, plus risqué en terme de retour sur investissement, voir même d’investissement tout court, mais

pouvant se révéler très rentable si l’investisseur parvient à réaliser rapidement son projet. Cependant, au

Proche-Orient, ces investissements sont surtout guidés par les Etat du Golfe en vue de dominer les élites

politiques et économiques locales en leur proposant une association. Ce que nous pouvons aussi considérer

comme une rente stratégique. Pour les pétromonarchies du Golfe, les macros investissements sont un moyen de

rendre dépendant le pays en question des capitaux du Golfe. Le personnel politique et les grandes fortunes

locales, à condition, qu’elles soient amies des pétromonarchies, sont ainsi associées aux investissements. Les

conflits Iran – Arabie Saoudite et Qatar – Arabie Saoudite ne peuvent que renforcer ce type de projets

irrationnels d’un strict point de vue économique.

Mais tous les maux de l’économie proche-orientale ne sont pas dus à l’Etat prédateur et à son inscription dans

un système de captation de la rente indirecte. Les pratiques sociales sont responsables des difficultés de

l’ascension sociale.

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Syrie : D’un régime de prédation institutionnalisée à une économie de guerre

Akram KACHEE, chargé de cours Science Po Lyon, Chercheur associé au GREMMO (France)

Les analyses nombreuses de la situation syrienne actuelle s’attachent à décrire les enjeux politiques, militaires,

stratégiques, géopolitiques, sociaux et humanitaires des évènements auxquels nous assistons depuis mars 2011.

Mais la prise en compte des facteurs et aspects économiques est moins fréquemment évoquée. A la suite de

Charbel Nahas, il nous semble important de réfléchir à l’économie de guerre qui se structure sous nos yeux en

Syrie depuis 4 ans, non comme un élément annexe, un corollaire ou une conséquence fâcheuse, mais comme un

paradigme d’analyse à part entière, tant les enjeux financiers et économiques constituent bien « le nerf de la

guerre ».

Mais plus encore, nous souhaitons ici montrer que les facteurs économiques sont la voie par laquelle le conflit

actuel trouve ses racines dans la situation antérieure. En effet, ce que l’on a appelé les « printemps arabes » a

joué le rôle de détonateur en Syrie, les enjeux et interférences régionales et internationales sont nombreuses

autour du dossier syrien. Nous souhaitons, cependant, réaffirmer ici qu’un conflit tel que celui auquel on assiste

en Syrie ne peut se concevoir sans un examen des causes endogènes à l’irruption de violence.

En effet, la situation économique préexistante au conflit et son impact sur la société syrienne permet une lecture

de l’actualité.

Bachar al-Assad a conduit des réformes économiques à compter de son arrivée au pouvoir en 2001 en

s’inspirant des modèles chinois et tunisien : ouverture économique et conservation des structures politiques.

L’interprétation qui a été faite des recommandations du FMI par ce régime autoritaire a conduit à une forme

déviante du libéralisme économique. Ce prétendu libéralisme a finalement conduit, à travers l’appropriation de

l’économie par quelques uns, à ce que Caroline Donati a nommé le « capitalisme des copains ». On a alors

assisté à l’émergence d’une nouvelle classe d’hommes d’affaires illustrée par Rami Makhlouf. Ce cousin de

Bachar al-Assad, à travers la holding « Cham » a exercé une véritable prédation sur l’économie syrienne en

s’assurant le contrôle de près de 65% de l’activité économique.

Ces restructurations ont dépassé le seul niveau économique et ont eu des répercussions sociales et sociétales. Cet

impact peut être décrit selon deux axes.

Tout d’abord, cette politique d’ouverture économique limitée et préemptée a coexisté avec un maintien des

aspects policiers et sécuritaires des institutions syriennes. Ensuite, au niveau économique, on a observé un

creusement des écarts entre les classes moyennes et défavorisées d’une part, et entre les riches et les classes

moyennes d’autre part. Un autre fossé s’est également creusé entre les centres urbains et les périphéries. Tous

ces changements ont modifié la nature des rapports entre le pouvoir et la société syrienne.

Cette économie de prédation a fait subir une forme de violence économique à la société syrienne. L’année 2011

a engagé la Syrie de la voie de la violence économique à la voie de la violence guerrière.

Le mouvement de contestation ayant laissé place à une situation de guerre civile, c’est aujourd’hui à une

configuration d’économie de guerre que nous avons à faire en Syrie. Comme l’écrit Jean-Christophe Rufin, cette

économie de guerre crée, quel que soit le terrain du conflit, une tendance à la radicalisation des groupes armés et

un caractère fragmenté des structures économiques et militaires ou paramilitaires.

Il ne faut cependant pas négliger l’ancrage des acteurs du conflit dans les économies locales. L’armée régulière

syrienne, comme les groupes armés, reproduisent et reprennent à leur compte les systèmes de clientélisme et de

prédation préexistants à différentes échelles. Les pillages s’exercent alors sur l’économie syrienne, sur les civils

ainsi que sur l’aide humanitaire.

Le régime syrien, l’armée régulière, les groupes armés affiliés au régime ou au contraire ceux qui lui sont

opposés, agissent chacun sur les territoires qu’ils contrôlent en organisant une forme d’insécurité contrôlée qui

leur permet de rançonner les populations en échange d’une hypothétique protection.

Etudier en détails la transition d’une économie de prédation à une économie de guerre - reprenant le vocabulaire

de la préemption et du clientélisme préexistants - permet de sortir d’une vision « accidentelle » du conflit pour

reprendre le terme utilisé par Charbel Nahas. La guerre civile actuelle plonge ses racines dans la Syrie d’avant

2011. Les causes du conflit sont sans aucun doute multiples mais le facteur économique constitue un élément

non négligeable d’analyse de la situation.

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La pluralité des capitalismes dans le Machrek Arabe: des Tanzimats Ottomans à la

prédominance de la rente pétrolière

Boutros LABAKI, Professeur à l’Université Libanaise (Liban)

L'économie institutionnelle a un champ d'application privilégié dans le Machrek Ottoman puis arabe. Ceci est

rarissimement souligné de manière explicite, quoique cette approche par l'économie institutionnelle peut

expliquer des changements socio-politico-économiques de notre région.

1- Les Tanzimats et l'expansion du capitalisme européen industriel et commercial à partir du second tiers du

19ème siècle.

Les puissances européennes, en expansion: Angleterre et France en tête, imposent à l'Empire Ottoman décadent,

des changements institutionnels à partir des années 1830, destinés à faciliter l'expansion des intérêts européens,

surtout commerciaux à l'époque. Ils poussent le passage d'un capitalisme périphérique enclavé dans les villes

côtières (Beyrouth, Tripoli, Smyrne) et dans les villes marchés de l'intérieur (Damas, Alep et autres), (toutes

deux relais entre l'Europe et le Moyen Orient à travers le commerce de caravane et le cabotage) à un capitalisme

agricole et industriel dépendant. Les dirigeants ottomans y voient aussi un moyen de moderniser leur Empire

pour assurer sa survie.

Les Tanzimats (Khatti Charif en 1838, et Khatti Houmayoun en 1856) assurent l'égalité entre les sujets de

l'Empire Ottoman, le respect de la propriété privée et favorisent le commerce européen: d’où le Code Foncier, le

Code Civil (Majalleh), le Code de Commerce, le Code du Commerce Maritime, l'institution de tribunaux civils,

mixtes ou ottomans, les réformes monétaires, l'institution d'un institut d'émission (privé): la Banque Impériale

Ottomane et les deux Constitutions de 1876 et de 1908.

On n'a que très peu souligné le rôle de ces changements institutionnels dans le passage d'un capitalisme

périphérique d'enclave, relais urbain du commerce plus ou moins lointain à un capitalisme qui s'enracine dans le

monde rural et agricole. Ce monde fonctionne jusqu'au milieu du XIXème siècle largement en régime

d'autosuffisance, ne dirigeant vers les marchés des villes qu'un surplus limité.

Dans le Bar Ech Cham (Le Levant des Occidentaux ou la Grande Syrie des pansyrianistes) on assiste à une

expansion de la production pour l'exportation: de la soie, du blé, de l'orge, de la laine, puis du coton, dès le

second tiers en XIXème siècle avec aussi l'expansion de la navigation à vapeur. Cela s'accompagne d'un

développement d'une classe d'entrepreneurs agricoles et surtout de commerçants.

Dans ce capitalisme périphérique, le capital commercial est dominant, mais lié dès le milieu du XIXème siècle à

un capitalisme financier en expansion: de par le financement de la dette publique ottomane et celui des activités

commerciales et agricoles croissantes (Banques étrangères et locales, comptoirs de prêts). Ainsi on assiste à un

développement limité d'une bourgeoisie financière locale.

Cette situation perdure et se développe jusqu'à la première guerre mondiale, stimulée par le développement des

chemins de fer, des services urbains, du commerce et des banques européennes dans plusieurs pays.

Après la première guerre mondiale et sous les mandats anglais et français, cette situation se prolonge au Liban,

en Syrie, Palestine, Jordanie, Irak et en Egypte. Elle s'accompagne de la prédominance d'un capitalisme

commercial et agraire surtout.

Après la deuxième guerre mondiale et la fin des mandats, une tendance à l'étatisation de l'économie se dessine

dès la fin des années 50, avec la montée de régimes populistes et nationalistes en Syrie, Egypte et Irak et étatiste

en Jordanie. Cette étatisation se fait dans une certaine mesure au détriment du capitalisme agricole (réformes

agraires), commercial, industriel et bancaire (nationalisations).

Cela dure jusqu'à la fin des années 60.

2- L'extension du capitalisme financier et rentier avec la première (crise pétrolière)

Avec les années 70 et l'irruption massive d'une rente pétrolière en Algérie et en Lybie dans les pays du Golfe et

de la Péninsule Arabe, de même qu'en Irak, au Liban, en Syrie et Egypte à des degrés divers, le capital financier

pétrolier prend le dessus ("réformes" plus ou moins libérales, "ouverture économique"). Il s'accompagne de la

montée d'une nouvelle bourgeoisie locale, des capitalistes du Golfe et leurs Etats, et du recul partiel de l'emprise

étatique: débuts de privatisation, augmentation des rentes pétrolières et financières (intérêts bancaires et autres).

Nous sommes actuellement au cœur de cette période de changements institutionnels de l'économie.

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Clôture à partir de « l’Enquête pour la nature de la paix » de Thorstein Veblen

Mohamad SALHAB, Président de l’Université Libano-Française

Rédigé quelques mois avant l'entrée en guerre des Etats-Unis le 2 avril 1917 aux côtés des Alliés lors de la

première guerre mondiale, l'Inquiry into the Nature of Peace and the Terms of its Perpetuation n'est pas pour

autant un écrit de circonstance. Bien au contraire, Veblen avance dans cet ouvrage un éclairage important sur les

aspects fondamentaux de son œuvre, tout en développant des idées d'une grande originalité sur la guerre et la

paix. Car cette enquête sur la paix et sur les conditions de sa perpétuation est aussi et surtout une enquête sur la

nature et les causes de la guerre, envisagée à la fois du point de vue anthropologique et historique. L'originalité

de Veblen se déploie dans ce texte de manière significative, par rapport aux écrits d'économistes sur le même

thème comme Shumpeter ou encore Keynes. Loin d'être rendue obsolète par les conditions de la guerre et de la

paix dans l'ère post-atomique, elle jette des éclairages inédits pour une réflexion de base sur le phénomène

polémologique. C'est par conséquent cette originalité et cet intérêt d'une réflexion longtemps méconnue -

l'Inquiry n'ayant toujours pas, par exemple, été traduite en français - qui seront mis en exergue en cette clôture

de la table ronde, pointant par la même sa grande actualité.

Thorstein Veblen