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1 Une leçon de mathématiques en 399 BCE (Théétète, 147d2-7) A Mathematical Lesson in 399 BCE (Theaetetus, 147d2-7) Abstract. We continue here the study of the double question of the origins of the theory of irrationality and its role in the geometric exposition of Plato’s Theaetetus. Both questions are closely related, so that any misconception about one impacts on the other. In a previous article in this same review ([Ofman 2010]), we showed the usual reconstructions are at variance with textual evidences, essentially Aristotle’s Analytics, and we gave another one, coherent with them. The second essential testimony concerning the irrationals is found in Plato’s Theaetetus. Its so-called ‘Mathematical part’ (147d-148b) has been considered since the Antiquity, both crucial and problematic, located at it is at the intersection of mathematical, philosophical and historical fields. In [Ofman 2013], we studied the mathematical lesson, as reported by Theaetetus (147d4-7), and we gave a reconstruction of the method of proof consistent with the texts. We complete here the reconstruction of this lesson, and to avoid the problem of circular argumentations, it is (mostly) independent of the translation. Surprisingly, a literal reading leaves very few possibilities. We study more in details the deficiencies of the two most usually accepted methods. Indeed, until now it seems no proposed method has verified all the criteria in Theaetetus’ account. We show how such a lesson can be done (almost) only through drawings, which goes again the prevalent conclusions in the field, since irrationality has been rightly closely connected to the unrepresentable ‘impossible’ (‘aj duvnaton’). And even though some historians of mathematics or mathematicians were interested in the practical problems of the lesson, e.g. its length of time or the needed area for the drawings, it seems no one tried to tackle them globally as parts of one and the same lesson. This study plus the one in [Ofman 2013] is such a try. It presents a complete and rigorous geometric lesson coherent with Plato’s text (almost) entirely done through graphics. It means Theaetetus’ account can be considered as a faithful account of a geometrical lesson (real or written for the needs of the dialogue) about irrationality, around the time of Socrates’ death. As a consequence, it is certainly not, at least in Plato’s view, an allegorical lesson of geometry, and its mathematics is representative of the ones of this period. Because of space requirements, we do not go into the difficult questions of interpretations of some extremely discussed terms, to be studied in another paper as an introduction to the so- called ‘Theaetetus’ theorem’. Résumé. Nous continuons ici l’étude de la double question des origines de la théorie de l’irrationalité et du rôle qu’elle tient dans l’exposition géométrique du Théétète de Platon. Les deux questions sont étroitement liées, en sorte que toute erreur sur l’une a des répercussions sur l’autre. Dans un article précédent de cette même revue, nous avons montré que les reconstructions usuelles ne s’accordaient pas avec les écrits les plus anciens qui nous sont parvenus, essentiellement ceux des Analytiques d’Aristote, et nous en avons donné une autre, en accord avec ceux-ci (cf. [Ofman 2010]). Le deuxième témoignage essentiel concernant l’irrationalité mathématique se trouve dans le Théétète de Platon, plus particulièrement dans ce que l’on appelle sa ‘partie mathématique’ (147d-148b). Depuis l’Antiquité, elle a été considérée à la fois comme cruciale et

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Une leçon de mathématiques en 399 BCE (Théétète, 147d2-7) A Mathematical Lesson in 399 BCE (Theaetetus, 147d2-7)

Abstract. We continue here the study of the double question of the origins of the theory of irrationality and its role in the geometric exposition of Plato’s Theaetetus. Both questions are closely related, so that any misconception about one impacts on the other. In a previous article in this same review ([Ofman 2010]), we showed the usual reconstructions are at variance with textual evidences, essentially Aristotle’s Analytics, and we gave another one, coherent with them. The second essential testimony concerning the irrationals is found in Plato’s Theaetetus. Its so-called ‘Mathematical part’ (147d-148b) has been considered since the Antiquity, both crucial and problematic, located at it is at the intersection of mathematical, philosophical and historical fields. In [Ofman 2013], we studied the mathematical lesson, as reported by Theaetetus (147d4-7), and we gave a reconstruction of the method of proof consistent with the texts. We complete here the reconstruction of this lesson, and to avoid the problem of circular argumentations, it is (mostly) independent of the translation. Surprisingly, a literal reading leaves very few possibilities. We study more in details the deficiencies of the two most usually accepted methods. Indeed, until now it seems no proposed method has verified all the criteria in Theaetetus’ account. We show how such a lesson can be done (almost) only through drawings, which goes again the prevalent conclusions in the field, since irrationality has been rightly closely connected to the unrepresentable ‘impossible’ (‘ajduvnaton’). And even though some historians of mathematics or mathematicians were interested in the practical problems of the lesson, e.g. its length of time or the needed area for the drawings, it seems no one tried to tackle them globally as parts of one and the same lesson. This study plus the one in [Ofman 2013] is such a try. It presents a complete and rigorous geometric lesson coherent with Plato’s text (almost) entirely done through graphics. It means Theaetetus’ account can be considered as a faithful account of a geometrical lesson (real or written for the needs of the dialogue) about irrationality, around the time of Socrates’ death. As a consequence, it is certainly not, at least in Plato’s view, an allegorical lesson of geometry, and its mathematics is representative of the ones of this period. Because of space requirements, we do not go into the difficult questions of interpretations of some extremely discussed terms, to be studied in another paper as an introduction to the so-called ‘Theaetetus’ theorem’. Résumé. Nous continuons ici l’étude de la double question des origines de la théorie de l’irrationalité et du rôle qu’elle tient dans l’exposition géométrique du Théétète de Platon. Les deux questions sont étroitement liées, en sorte que toute erreur sur l’une a des répercussions sur l’autre. Dans un article précédent de cette même revue, nous avons montré que les reconstructions usuelles ne s’accordaient pas avec les écrits les plus anciens qui nous sont parvenus, essentiellement ceux des Analytiques d’Aristote, et nous en avons donné une autre, en accord avec ceux-ci (cf. [Ofman 2010]). Le deuxième témoignage essentiel concernant l’irrationalité mathématique se trouve dans le Théétète de Platon, plus particulièrement dans ce que l’on appelle sa ‘partie mathématique’ (147d-148b). Depuis l’Antiquité, elle a été considérée à la fois comme cruciale et

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problématique, située à l’entrecroisement des domaines des mathématiques, de la philosophie et de l’histoire des sciences. Dans [Ofman 2013], nous avons étudié la leçon mathématique (147d4-7), telle qu’elle est rapportée par Théétète, et nous en avons proposé une preuve cohérente avec les témoignages textuels. Nous complétons ici son étude, et comme précédemment, afin d’éviter le problème des argumentations circulaires, notre analyse est très largement indépendante des diverses traductions. De manière surprenante, une lecture littérale laisse très peu de libertés. Nous revenons plus en détail sur les défauts des deux méthodes les plus usuellement acceptées. De fait, parmi les nombreuses méthodes qui ont été proposée, il semble qu’aucune ne vérifie la totalité des critères du compte-rendu de Théétète. Celle que nous présentons ici est un tel essai. Elle montre que cette leçon pouvait être faite (presque) exclusivement à partir des seules figures. Cela va à l’encontre de l’opinion générale dans ce domaine, l’irrationalité étant, à juste titre, étroitement connectée à ‘l’impossible’ (‘ajduvnaton’) irreprésentable. Quoique certains historiens des mathématiques ou mathématiciens se soient intéressés aux questions pratiques de cette leçon, e.g. sa durée ou l’espace nécessaire pour tracer les dessins, il semble que l’on n’ait guère considéré globalement la totalité de ces problèmes à la fois, comme parties d’une seule et même leçon. C’est ce que nous voudrions faire ici. L’ensemble formé avec notre article précédent ([Ofman 2013]) présente une leçon géométrique complète en accord avec le texte de Platon, rigoureuse et pourtant faite (presque) entièrement graphiquement. En conséquence, le récit de Théétète peut être considéré comme un fidèle récit d’une leçon de géométrie (réelle ou écrite pour les besoins du dialogue) portant sur l’irrationalité, au temps de la mort de Socrate. Cela montre que, au moins aux yeux de Platon, ce n’était certainement pas un exposé géométrique allégorique, et que les mathématiques dont il est question étaient celles pratiquées à cette époque. Pour des raisons de place, nous n’abordons pas les nombreuses et difficiles questions d’interprétation de certains termes très discutés, qui feront l’objet d’un prochain travail, en introduction à ce qu’on appelle le ‘théorème de Théétète’.

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1. Introduction.

i) Le prologue.

Le dialogue proprement dit est précédé d’un prologue entre deux personnages, Euclide1 et Terpsion, que nous allons résumer rapidement. Euclide précise qu’il a mis par écrit le récit que Socrate lui a fait d’une rencontre entre lui-même, un mathématicien Théodore et un jeune Athénien, que la tradition considère comme un futur mathématicien important, Théétète (142c8-d1, 143b5-8). Pour en faciliter la lecture, Euclide l’a mis sous la forme d’une discussion à trois personnages (143b-c), ce qui ne peut manquer de rappeler la forme théâtrale. Toutefois, à l’encontre de celle-ci, le chœur est absent ainsi que toute indication de mise en scène et tout décor2. Contrairement aux autres dialogues socratiques, il s’agit d’une simple succession de discours, l’effacement du narrateur interdisant tout jugement extérieur sur ce qui est dit ou ceux qui parlent. C’est essentiellement une suite de dialogues entre Socrate et l’un des deux protagonistes, les rares fois où les trois paroles s’entrecroisent, sont de brefs intermèdes qui précédent un changement d’interlocuteur. De manière inhabituelle dans l’œuvre de Platon, il semble se défausser ici du travail d’écriture sur un autre. Le récit est de Socrate, sa rédaction d’Euclide (142c-143d)3. En réponse à Socrate lui demandant des nouvelles des jeunes Athéniens qui le fréquentent et suivent son enseignement, Théodore évoque un élève exceptionnellement doué, ouvert et généreux (144a4-b8) ; l’apercevant près de là, il l’appelle, pour qu’il les rejoigne (144d5-7). Il s’agit du très jeune Théétète. Socrate propose alors de discuter ce qu’est la ‘science’ (‘ejpisthvmh’) qu’on pourrait également traduire par ‘connaissance’ ou ‘savoir’ (146a). En réponse Théétète en énumère une série, dont la géométrie. Socrate se moque de lui et de sa ‘générosité’ (146d4-5), car à la question ‘ce qu’est la science ?’, le jeune garçon répond par une multiplicité d’exemples. Suite à cette admonestation, Théétète dit se souvenir soudainement d’un problème similaire, que lui et l’un de ses camarades4, s’étaient posés à la suite d’une leçon de Théodore à laquelle ils avaient assisté. C’est le début de la partie mathématique de l’ouvrage.

1 Euclide de Mégare, et non le mathématicien Euclide d’Alexandrie auteur des Éléments, est selon la tradition le fondateur d’une école philosophique appelée les ‘Mégariques’. Si l’on suit Hermodore cité par Diogène Laërce ([Genaille 1965], I, p. 142), on peut raisonnablement penser qu’il est né à Mégare avant 435. Comme l’attestent de nombreuses traductions des Éléments, il a été longtemps confondu avec le mathématicien d’Alexandrie. 2 Cela n’est en fait pas tout à fait exact. S’il est vrai qu’il n’est aucun décor au sens d’un arrière-fond théâtral, il en existe bien un aux discours, de par les personnages introduits dans le prologue. Le contexte ainsi planté est celui de la géométrie, l’un des personnages étant présenté comme un géomètre connu et âgé, l’autre très jeune mais devant s’y faire un nom, et Socrate lui-même, avouant, ce qui est exceptionnel de sa part, sa compétence en ces matières (145d3-5). Ainsi le décor est planté non au moyen d’images, mais de discours. 3 C’est en ce sens qu’on peut dire avec A. Diès qu’il est écrit ‘presque sous la dictée’ de Socrate ([Dies 1926], notice à sa traduction, p. 121). Si cela n’interdit pas que le dialogue lui-même soit une invention, même dans ce cas l’intention de Platon serait d’exclure une telle interprétation. 4 Ce camarade est nommé Socrate, homonyme du philosophe (147d1), par Platon. Il est traditionnellement désigné dans la littérature par ‘Socrate le jeune’, afin de les différencier.

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ii) Géométrie et représentation. Les indices explicites concernant les méthodes utilisées dans la leçon mathématiques sont rares dans le texte de Platon, et sa reconstruction n'est pas tâche aisée. Pour évaluer et choisir parmi les nombreuses méthodes proposées, on s’est intéressé très généralement aux questions de chronologie. Il s’agissait de savoir si tel ou tel résultat nécessaire était connu ou pas à l’époque du récit, une réponse négative conduisant soit à son rejet, soit à un changement adéquat dans cette méthode. Si une telle démarche a un sens pour un traité de mathématique, écrit par parties et dans la durée, elle est certes toujours nécessaire, mais insuffisante, pour un cours s’adressant à des élèves. Il y a en effet des contraintes pratiques supplémentaires, de temps, de clarté, de simplicité et de lieu. Cela suppose aussi minimiser les appels à des résultats extérieurs et posséder un caractère aussi élémentaire que possible. Enfin, ce n’est pas une simple accumulation de résultats, on ne peut se contenter de preuves partielles, d’exemples, ou d’affirmations à compléter par le lecteur5. Cet idéal de rigueur est explicitement noté par Platon pour les mathématiques (162e8)6. Une leçon a une cohérence, une durée et une manière de procéder qui la rend très largement autonome, et lui permet de figurer dans un ouvrage de philosophie. Nous allons montrer que, sous les conditions imposées par le texte, l’ensemble des résultats rapportés par Théétète, pouvaient être rigoureusement établis dans le cadre des connaissances mathématiques de la fin du Vème siècle, et les démonstrations et les constructions graphiques nécessaires, réalisées dans le cadre d’une leçon. Plutôt que de devoir supposer que cette partie mathématique soit ‘symbolique’ ou encore réduite à un ‘hommage’ à décrypter, il s’agit, si ce n’est d’une leçon ayant réellement eu lieu peu avant la mort de Socrate, du moins une représentation fidèle, narrée par un participant7, de ce qu’un tel cours pouvait être. On a donc là un témoignage fiable des connaissances mathématiques au tout début du IVème siècle BCE, mais également des personnages qu’elle décrit.

5 On retrouve ces trois cas dans les démonstrations des Éléments. 6 ‘w/| eij ejqevloi Qeovdwro" h[ a[llo" ti" tw'n gewmetrw'n crovmeno" gewmetrei'n, a[xio" oujd! eJno;" movnou a]n ei[h.’ (‘Si c’était [de plausibilités] que voulait se servir Théodore ou quelqu’un d’autre parmi les géomètres pour parler géométrie, il ne vaudrait seulement rien’, [Narcy 1995]). Il s’agit certes ici de la rigueur en mathématiques, mais Socrate s’adresse à Théétète qui approuve chaudement : ‘Mais ce ne serait pas juste (‘ouj divkaion’), Socrate [de se servir de plausibilités]. Toi-même le nierait, autant que nous pourrions le faire.’ (‘ajll! ouj divkaion, w\ Swnkrate", ou[te su; ou[te a]n hJmei'" fai'men’, 163a1). Le terme utilisé par Théétète ‘ouj divkaion’ signifie ‘contraire à la coutume, aux règles’, et Théétète s’insurge contre l’idée même d’une telle possibilité. L’idéal de rigueur géométrique n’était donc pas admis par les seuls géomètres, mais bien au-delà, et certainement par ceux qui apprenaient sérieusement les mathématiques comme Théétète, quelque jeune qu’il fût (cf. aussi [Caveing 1998], p. 172-173). Il est encore plus inconcevable que leur professeur transgresse de quelque manière que ce soit cet idéal. En outre, si l’on considère la leçon donnée par Socrate au jeune serviteur du Ménon (82a-85b) elle est rigoureuse (ou du moins pourrait facilement être rendue comme telle). Cela invalide la thèse de ceux qui considèrent que des jeunes garçons devaient se désintéresser des preuves et ne s’occuper que des seuls résultats ([Szabo 1977], p. 65 ; et plus généralement le courant critique, cf. infra, paragraphe 2), ou se contenter d’approximations ([Hultsch 1893]). Cela montre également l’impossibilité de comprendre le passage mathématique en l’isolant du reste de l’ouvrage, et la nécessité de le réintroduire en tant que partie de celui-ci. 7 À savoir Théétète. Son récit étant toutefois, d’après Platon, revu et corrigé par Socrate (143a3-4), pour finalement être mis en forme par Euclide (cf. supra i) et aussi note 3).

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2. Le statut de la ‘partie mathématique’. Elle débute par le récit, rapporté par Théétète à Socrate, d’une leçon de Théodore à

laquelle il a assisté en compagnie de (l’autre) Socrate8. Elle a donné lieu à d’innombrables controverses, et la littérature secondaire la concernant

est immense. L’un des problèmes les plus discutés est la démonstration de Théodore, absente du récit

Une première question concerne l’intérêt même de cette partie, à la fois pour l’histoire des mathématiques et pour son rôle dans le Théétète.

La mise en question de l’importance mathématique et/ou de son exactitude, provient essentiellement d’un petit nombre d’historiens et de commentateurs, que nous regrouperons sous le terme de ‘courant critique’. C’est la lecture d’Arpad Szabo qui considère que les exposés des deux personnages sont triviaux, et les résultats dont ils parlent, bien connus à cette époque, la fin du Vème siècle BCE (cf. [Szabo 1977], p. 63-65).

Ils considèrent qu’il s’agit d’une sorte de compte-rendu d’activité de deux mathématiciens (ou futur mathématiciens) Théodore et Théétète. Mais alors que Théétète et Socrate (le jeune) croient avoir fait de grandes découvertes, ils ont énoncé une suite de banalités, reprenant avec plus ou moins d’intelligence la leçon de Théodore qui, elle-même, se ramène à la seule construction, sans démonstrations, de grandeurs irrationnelles. Leur scepticisme s’étend naturellement à l’importance philosophique de cette partie, Platon se contenterait de donner alors un simple exemple d’unification d’une multiplicité9.

Inversement, nombre de commentateurs, tel M. Burnyeat, pensent que cette partie est importante pour comprendre l’histoire des mathématiques grecques, car elle retrace fidèlement les travaux, ou futures travaux, de Théodore et du jeune Théétète. Mais, en accord avec le ‘courant critique’, ils considèrent que si Platon ne donne pas les méthodes démonstratives, c’est qu’elles ne jouent aucun rôle dans la compréhension du dialogue, leur recherche étant inutile10, ou un jeu pour mathématiciens11.

Si tel était le cas, ce serait certes dommage pour notre connaissance des mathématiques anciennes, mais ce n’est pas ce qui importerait à Platon. Pourtant, on peut invoquer de nombreux témoignages extérieurs au texte, sur l’importance tenue par cette partie, ainsi que l’étroite communion entre mathématiques et philosophie platoniciennes12. Mais le principal argument à l’encontre cette thèse, est qu’elle n’est pas en accord avec le texte, son arrière-plan

8 Dans Le Politique, face à l’Étranger, celui-ci prend la place tenue par Théétète dans le Sophiste. 9 Cette analyse, n’est pas seulement celle du ‘courant critique’. Ainsi T. Heath partage au moins partiellement cette opinion, si ce n’est qu’il la restreint à la seule leçon de Théodore et non à la suite donnée par Théétète (cf. [Heath 1921], p. 205). 10 Myles Burnyeat débute d’ailleurs son commentaire du livre de Platon ([Burnyeat 1998]) directement à partir de 151e1, c’est-à-dire en sautant, entre autres, le passage mathématique, qu’il étudie cependant, de manière indépendante, dans un article ([Burnyeat 1978]). S’il insiste sur son importance et son exactitude pour l’histoire des mathématiques grecques, il pense qu’il ne joue aucun rôle relativement à l’objectif platonicien consistant à amener le lecteur à réfléchir sur ce qu’est le « savoir ». Ce n’est qu’un autre exemple de définition, comme celui de la ‘boue’ (‘phlov"’) donnée précédemment par Socrate (147a, c), si ce n’est qu’il est plus complexe et étendu. Son inclusion aurait pour but de montrer l’excellence de Théétète, annoncée dans la « prophétie » de Socrate, citée dans le prologue et détaillée par Théodore au tout début du dialogue. 11 Ou une ‘fiction poétique’ dit H. Zeuthen, en accord sur ce point avec H. Vogt. Le but de Platon serait alors de donner les contributions respectives apportées par Théodore et Théétète à la théorie de l’irrationalité finalisée chez Euclide ([Zeuthen 1910], p. 398). 12 Le plus connu, est la légendaire inscription (cf. [Saffrey 1968]) au fronton de l’Académie, refusant son entrée aux non-géomètres, et sur laquelle K. Popper fonde une analyse de la conception mathématique de Platon ([Popper 1952], p. 248-250, 253).

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géométrique et la centralité qu’y tiennent les notions mathématiques, en particulier l’irrationalité13.

Elle serait acceptable si Platon écrivait pour nous autres modernes. Mais le texte est destiné à des lecteurs de la Grèce classique qui étaient au fait des résultats mathématiques de l’époque, dont débattaient les Athéniens cultivés, et certainement les membres de l’Académie14. Ainsi Platon et Aristote se contentent d’indiquer de manière si concise les exemples mathématiques, que les historiens des mathématiques ont les plus grandes difficultés à les reconstituer. Et pourtant, ils devaient être immédiatement intelligibles à leurs lecteurs. Platon en donne deux indications dans le Théétète : d’une part, dans le prologue, Théodore, mathématicien venant de l’autre bord de la Méditerranée15, paraît parfaitement connu à la fois de Terpsion et d’Euclide (143b9), et d’autre part Socrate remarque, en passant, que Théodore était suivi d’une troupe nombreuses de jeunes garçons désireux d’apprendre la géométrie (143d8).

La seule explication raisonnable à l’absence d’informations sur les preuves ne saurait être, de l’avis de Platon, qu’on puisse les négliger, mais au contraire qu’elles étaient présentes aux yeux de tous. Comme pour les autres exemples mathématiques, aucun éclaircissement n’était nécessaire. Si problème il y a, c’est le nôtre, 2500 ans après16.

Comme cela a souvent été remarqué, de faibles indices suffisent à reconstituer une démonstration mathématique. Au vu de la multiplicité des méthodes proposées, les départager pourrait s’avérer une tâche impossible. Toutefois, comme on va le voir, les indications données par Platon, couplées à ce que l’on peut savoir des mathématiques de son époque, sont suffisamment discriminantes pour éliminer la plupart des constructions proposées, y compris les plus largement acceptées. Le problème n’est pas de choisir entre elles, mais d’en obtenir une compatible avec les textes. C’est ce que nous allons tenter de faire ici.

13 Plus particulièrement l’opposition lovgo"/ajlovgo". Voir aussi l’analyse de Michel Narcy sur l’aspect circulaire de l’ouvrage dans l’introduction à sa traduction ([Narcy 1995], en particulier p. 17). 14 Socrate, décrit par Platon, n’est certainement pas un mathématicien. Et pourtant, Théétète s’adresse à lui, sûr d’être compris sans avoir même à détailler son sujet. Il en fait même le juge de la qualité du travail fait en commun avec son camarade, l’autre Socrate. Un peu plus tard, Aristote souligne, dès le début de la Métaphysique, l’importance que les mathématiques avaient prise dans l’Académie, et plus largement chez les philosophes (A, 9, 992a35-b1). M. Burnyeat reconnaît d’ailleurs que le dialogue devait être lu devant des gens compétents en mathématique en particulier les membres de l’Académie : ‘Un fois encore, rappelons-nous que l’ensemble tout entier des réussites mathématiques de Théétète devaient être familier à beaucoup dans l’assistance à l’occasion de la première lecture du Théétète à l’Académie’ ([Burnyeat 1978], p. 508). En outre, Platon ne pouvait écrire pour ses seuls disciples ou partisans. Il devait prendre en compte ses adversaires (cf. l’anecdote rapportée par Diogène Laërce, [Genaille 1965], VI, 2, 40). Décrire des événements ou des personnages de manière totalement déformée, c’était offrir ses thèses aux moqueries de ses détracteurs. 15 Il est originaire de Cyrène, une colonie grecque située sur la côte de l’actuelle Lybie. Lorsque Socrate l’aborde, il lui parle comme s’il aurait été naturel de lui demander des nouvelles de Cyrène (143d1-4), ce qui indique qu’il en était parti vraisemblablement peu de temps auparavant, 16 M. Burnyeat n’ignore pas totalement cet aspect puisqu’il écrit, il est vrai à propos de la contribution de Théodore aux mathématiques : ‘le tableau serait naturellement plus claire au premier public du dialogue qui était contemporain de Théétète et de son travail’ ([Burnyeat 1978], p. 503). Et aussi un peu plus loin pour défendre sa position vis-à-vis de la valeur mathématique de cette partie, il remarque : ‘La preuve, et les applications [de la théorie de l’irrationalité] étaient encore à venir, comme le public de Platon devait le savoir’, preuve ajoute-t-il en note, que ‘naturellement nous ne possédons pas’ (ib., p. 511).

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3. Retour sur la leçon de Théodore.

i) La méthode de construction de Théodore. Pour les détails de la preuve de Théodore, nous renvoyons à [Ofman 2013]. Brièvement, il étudiait la rationalité ou l’irrationalité des racines carrées des impairs compris entre 3 et 17. Sa méthode se fondait sur une propriété anciennement connue des carrés parfaits impairs17, et par un procédé géométrique subtil, il en déduisait, en termes modernes, l’irrationalité de la racine carrée des entiers impairs dont le reste de la division par 8 est différent de 118. Nous avons vu que c’était la seule méthode de démonstration compatible avec le texte de Platon (et les connaissances mathématiques du Vème siècle B.C.E.)19. Nous allons étudier ici les figures ou diagrammes à partir desquelles seront établies ces démonstrations d’incommensurabilité. C’est un point essentiel pour décider si ce texte présente un véritable intérêt ou n’est qu’un jeu sans contenu mathématique réel, une figure de style prolongeant l’exemple fourni précédemment par Socrate20. Pour Théodore, il s’agit tout d’abord de montrer les objets sur lesquels il va travailler21. D’après le récit, cela est fait en deux étapes étroitement liées. En effet, Théodore, nous est-il rapporté, a dessiné quelque chose à propos (des côtés) des carrés d’aire entière et montré que certains côtés étaient incommensurables relativement à celui d’un pied de long (147d3-8). La construction a donc eu lieu soit, comme le suggère le texte22, juste avant cette étude sur l’incommensurabilité23, soit dans un cours précédent. Dans ce cas, Théodore devait au moins répéter ces constructions, quitte à se borner au rappel des démonstrations. Pour de simples raisons de durée, ce serait impossible avec les méthodes usuelles. Il ne fait aucun doute que ces constructions passent, d’une manière ou d’une autre, par l’utilisation du théorème de Pythagore24. On a proposé une construction des côtés ‘incommensurables à l’unité’ en quelque sorte récursive, par son application directe, et on serait tenté de la suivre tant elle paraît simple et naturelle25.

17 En termes modernes, tout carré parfait impair est congru à 1 modulo 8. 18 En termes plus savants, pour tout impair n non congru à 1 modulo 8, sa racine carrée est irrationnelle. 19 Cf. [Ofman 2013], §6. Outre expliquer le début au nombre 3 et l’arrêt à 17, la preuve évite la théorie des entiers relativement premiers, car sinon, ainsi que l’avait immédiatement remarqué T. Heath, ([Heath 1921], p. 204-205), on aurait une démonstration d’irrationalité très générale, et non pas comme le rapporte le récit de Théétète ‘au cas par cas’ (‘kata; mivan eJkasthn’). Enfin, comme le veut Théétète, elle s’expose sans difficulté dans le cadre d’une unique leçon. 20 Il s’agit du texte qui amène Théétète à se souvenir brusquement de la ‘partie mathématique’. Socrate y donne un exemple de ce qu’il entend par définition (ce qu’est la boue ou la glaise (phlov")) en opposition à la liste énumérative donnée par Théétète pour définir ce qu’est la science (147a1-c5). 21 Plus loin, Théodore se vante d’avoir abandonné les ‘vaines paroles’ (‘tw'n yilw'n lovgwn’) qu’il oppose à la géométrie (165a2). Il est vrai que dans une longue note, T. Heath soutient que suivant le récit de Théétète, le géomètre n’a pas dessiné de figures. Cela résulte d’une analyse du terme ‘e[grafev’ qui selon lui renverrait ici à une ‘pure’ démonstration, ce qui est très disputé. Quoiqu’il en soit, c’est pour immédiatement ajouter qu’il n’a pas le moindre doute que Théodore dessinait effectivement des figures ([Heath 1921], p. 203, note 2 ; cf. aussi [Knorr 1975], p. 70-71 et et infra, §5.i)). 22 La ligne 147d3 insiste sur l’aspect graphique de la leçon toute entière : ‘peri dunavmewvn ti hJmi'n Qeovdwro" o{de e[grafe’ (‘Théodore ici présent, nous dessinait quelque chose à propos des puissances’ ([Narcy 1995]) ; voir aussi infra, dernière partie. 23 Cf. [Knorr 1975], p. 181 24 La plupart des historiens des mathématiques s’accordent sur ce point ; pour n’en citer que quelques-uns, T. Heath, M. Caveing, W. Knorr. On trouve des traces très anciennes de ce théorème, par exemple chez les anciens Babyloniens. Cf. l’étude de la tablette de ‘Plimpton 322’ (autour du 2ème millénaire B.C.E.) par Neugebauer et al. ([N-S-G 1945]) ou plus récemment Eleanor Robson ([Robson 2002]). 25 Elle est si populaire qu’on lui a donné le nom de ‘spirale de Théodore’. On la trouve par exemple pour les premiers termes chez Hermann Schmidt ([Schmidt 1877], p. 441-442). C’est aussi celle que retient van der Waerden ([Waerden 1963], p. 142), à la suite de son collègue J.H. Anderhub, et elle apparaît à la fois en couverture et dans le texte de l’ouvrage.

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Supposons en effet qu’on ait construit le côté de longueur √ pieds. On trace alors à son extrémité un segment orthogonal de longueur un pied (cf. figure 1 ci-dessous). D’après le théorème de Pythagore, en notant h la longueur de l’hypoténuse du triangle rectangle ainsi formé, on a : h2 = (√ )2+ 1 = n + 1, d’où : h = √ 1 pieds, ce qui permet de procéder de proche en proche.

En commençant par le segment de 1 pied, de long on obtient les racines carrées des entiers successifs, √2 pieds, √3 pieds, ... , d’où un dessin en spirale :

À 17, on a fait un peu moins d’un tour complet (cf. infra, note 28), et si l’on veut continuer, le dessin déjà construit sera recouvert26. Le géomètre n’irait alors pas plus loin, et on comprendrait ainsi l’arrêt en 17. Ce ne saurait être toutefois la méthode de Théodore. Tout d’abord, comme cela a déjà été avancé27, on ne la trouve dans aucun des textes qui nous sont parvenus. Cela n’est toutefois pas décisif, car ce pourrait être une construction personnelle à Théodore, ou particulière à la période pré-euclidienne dont aucune trace ne subsisterait. Mais surtout, elle n’est pas cohérente avec le texte platonicien. D’une part cette construction débute nécessairement par la construction du côté de 1 pied de long, puis de 2 pieds, alors que d’après le récit de Théétète elle commence directement par celui de 3 pieds. D’autre part, elle doit nécessairement passer successivement par tous les entiers jusqu’à 17, alors que le carré de côté 2 pieds (de surface 4, un carré parfait) n’est pas considéré par Théodore qui passe directement de 3 à 5 (147d4). En outre, il devrait traiter le cas des grandeurs paires, ce qui peut être exclu (cf. [Ofman 2013], §6).

26 Dans la traduction française de l’ouvrage de Szabo [Szabo 1977] (mais ni dans l’édition originale en allemand, ni dans la traduction anglaise) le segment qui suit, donnant √18, est dessiné de manière erronée comme aligné avec le côté du premier triangle (figure 9, p. 61). 27 Cf. [Knorr 1975], p. 69-70 et 181.

1 pied

1 pied

1 pied

1 pied

Figure 1

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De plus, la raison qui l’aurait l’empêché de continuer, devoir effacer les premiers triangles, serait d’ordre pictural, mais certainement pas mathématique28, et la construction est bien trop longue pour participer d’une seule leçon. Enfin, il serait très difficile de travailler sur ce dessin, pour des raisons mathématiques de superposition. Ou alors, il faudrait qu’il y ait deux démonstrations sans relation entre elles, tandis que le texte suggère au contraire une unité de la présentation de Théodore29. On peut en conclure que le géomètre n’utilise pas directement le théorème de Pythagore, mais un résultat dérivé, lui permettant de construire les moyennes proportionnelles générales. En termes modernes, il s’agit de la : Proposition A : Soit h la hauteur d’un triangle rectangle construite sur l’hypoténuse. Elle découpe celle-ci en deux segments de longueur respective a et b. Le carré de h est alors égal au produit de a et b i.e. h2 = a b. Dans la terminologie de la proposition II.14, cela s’exprime par : le carré construit sur h est égal au rectangle construit sur a et b. La démonstration suit immédiatement du théorème de Pythagore et de ‘l’identité additive’ : (a + b)2 = a2 + 2ab + b2 qui dans le langage des mathématiciens grecs s’énonce : le carré de côté (a+b) est égal à la somme du carré de côté a et du carré de côté b augmenté de deux fois le rectangle de côtés a et b30. La démonstration de la proposition est alors la suivante :

28 La spirale complète est en effet très esthétique. D’un point de vue pictural, il serait en effet dommage de la gâcher en repassant sur elle. Par contre, mathématiquement ou pédagogiquement, on ne voit pas où se situerait le problème :

Et comme cela avait été souligné par Socrate, Théodore n’était pas un esthète en peinture (145a1-2). On peut également noter l’aspect répétitif du traçage des côtés des triangles, qui n’est guère adapté à un cours pour des enfants. 29 Par exemple [Knorr 1975], p. 72. 30 Géométriquement, on a :

C’est le dessin accompagnant la proposition 4 du livre II des Éléments, si ce n’est que la diagonale DF est tracée. En effet, il s’agit dans cette proposition de prendre un point arbitraire G sur le segment CD, et de tracer tout d’abord le carré de côté GD inclut dans le carré CDEF (correspondant dans notre dessin au carré (b,b)) puis le carré complémentaire (a,a). Plutôt que de les construire, il est beaucoup plus simple de remarquer que le sommet commun de ces deux carrés se trouve sur la diagonale DF, ce qui est soigneusement prouvé dans la démonstration.

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Soit ABC un triangle rectangle et AH sa hauteur. On applique trois fois le théorème de Pythagore :

a) Tout d’abord au triangle ABC, d’où : a2 = b2 + c2 (1) b) Au triangle AHC, d’où : c2 = d2 + h2 (2) c) Au triangle AHB, d’où : b2 = h2 + e2 (3)

En additionnant les égalités (2) et (3), on a : c2 + b2 = d2 + h2 + h2 + e2 = d2 + 2h2 + e2. D’après l’égalité (1), on obtient: a2 = b2 + c2 = d2 + 2h2 + e2. Et puisque a = d + e, ‘l’identité additive’ donne : a2 = (d + e)2 = d2 + 2de + e2, d’où a2 = d2 + 2de + e2 = d2 + 2h2 + e2, et donc : 2de = 2h2, ce qui donne finalement : h2 = de31. Là encore, comme dans la note 30 supra, il faudrait traduire dans le langage des mathématiciens grecs où les carrés algébriques sont des carrés géométriques et les produits des rectangles, à la manière de la proposition 14 du livre II des Éléments d’Euclide32. Une autre façon d’énoncer la proposition est de dire que h est la moyenne proportionnelle de a et b, puisque le résultat de la proposition s’écrit encore : a/h = h/b. Les constructions se ramènent alors à tracer deux segments perpendiculaire et des cercles passant par un point fixe et de rayons croissants à chaque fois d’une unité. Leurs intersections avec le segment vertical donnant le côté des carrés cherchés : Ainsi, la construction du côté de carré 3 pieds33 se fait de la manière suivante :

31 T. Heath pour sa part, pense que la démonstration originale du théorème de Pythagore est une conséquence d’une théorie pythagoricienne primitive des triangles semblables, formalisée au début du livre VI des Éléments ([Heath 1921], p. 148. Dans ce cas la proposition A, qui en est une conséquence évidente (cf. le porisme de la proposition VI.8) ne résulterait pas du théorème de Pythagore, mais le précéderait. 32 Son énoncé est toutefois différent, en tant qu’il s’agit de construire géométriquement le carré de surface égal à un rectangle donné (à savoir dans notre cas celui de côtés CH et HB). La preuve euclidienne est d’une certaine manière plus ‘économique’ (cf. note suivante) car elle n’utilise qu’une fois le théorème de Pythagore. En revanche elle nécessite la construction du cercle de diamètre CB et ‘l’identité soustractive’ : a2

– b2 = (a – b)(a+b), qui est un peu moins évidente que celle du carré d’une somme. Il est bien sûr impossible de décider entre les deux démonstrations, et d’ailleurs, rien n’est moins sûr que Théodore ait démontré ce résultat dans la leçon dont il est question ici. 33 Dans cette partie, le pied qui est une unité de longueur (environ 30 cm), sert d’unité de surface, ce que nous appellerions plutôt un ‘pied carré’. Les termes ‘trivpodo"’, ‘pentevpodo"’, ‘ejptakaidekavpodo"’ (147d3-6) indiquent des carrés d’aire respective 3, 5 et17 pieds (carrés). Les longueurs quant à elles, n’y sont pas exprimées en ‘pieds’, mais indirectement comme les côtés de tels carrés de surface donnée. On pourrait donc penser qu’il n’est pas de confusion possible. Pourtant, l’emploi du nom ‘podiaiva’ (le ‘pied’), par rapport auquel les autres côtés sont mis en rapport, peut prêter à controverse : s’agit-il ici de la longueur d’un pied ou de la surface du carré de côtés un pied, les traducteurs ne sont pas d’accord. Cette ambiguïté ne facilite pas la compréhension du texte. On la retrouve également dans l’argumentation de Socrate sur le doublement de la surface du carré dans le Ménon (82a-85b) (cf. [Canto 1993], note 138, p. 264).

C

B A

H c

b

d

e

h

a

Figure 2

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Figure 3

Il y a 4 étapes :

i) Construction d’un segment AB de longueur 4 pieds ii) Construction du point P sur ce segment le découpant en deux segments

respectivement de longueur 1 et 3 pieds iii) Construction d’un cercle de diamètre AB iv) Traçage de la perpendiculaire en P au segment initial.

Le point C intersection de cette perpendiculaire avec le cercle donne un segment PC de longueur √3 pieds. Cela résulte de la proposition A ci-dessus, en remarquant que le triangle ACB est rectangle en C34. C’est la situation considérée par le commentateur anonyme du Théétète ([Diels-Schubart 1905]), et c’est essentiellement, dans le cas particulier métrique de 3 pieds, la construction de la proposition 14 du livre II des Éléments (et du dessin l’accompagnant)35. La leçon complète conduit aux graphiques suivants :

34 Ce qui suit de la proposition III.31 des Éléments. Ce résultat est considéré comme très ancien, comme tous ceux utilisés ici, ainsi Diogène Laërce cite Pamphile qui attribue à Thalès cette propriété de l’angle circonscrit dans un demi-cercle ([Genaille 1965], I, 1, 24, p. 52). 35 En fait, comme nous l’avons remarqué à la note 32, la démonstration euclidienne est plus ‘économique’ et ‘élégante’, en ce sens qu’elle n’emploie qu’une fois le théorème de Pythagore et n’utilise pas le résultat de l’angle intercepté par le diamètre d’un cercle (à savoir qu’il est droit), c’est-à-dire la proposition III.31. En notant O le centre du cercle (i.e. le milieu du segment AB), elle s’écrit en termes modernes : OC2 = OP2 + PC2 (théorème de Pythagore), d’où puisque OB = OC, on a : OB2 = OP2 + PC2, d’où PC2 = OB2 - OP2 = (OB+OP)(OB-OP) = BP (OB-OP) et puisque OB = OA, on obtient : PC2 = BP (OA-OP) = BP × AP.

1 pied 3 pieds

√3 pieds

P

C

A B

Figure 4

A B O P

1 pied

U

A B E

O P

U

C DC

A B C D E G F

O

U

3 pieds

5 pieds

7 pieds

P

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On continue ainsi jusqu’à 17 pieds. L'intersection X des cercles avec le segment vertical OU donne le côté des carrés cherchés (en termes modernes, les segments OX sont de longueurs respectives √3 pieds, √5 pieds, …, √17 pieds). Le premier cercle est de centre A et passe par P ; son rayon est : PA = PO + OA = 2 pieds. Il intersecte la droite horizontale au point C, et le segment OU en un point X, en sorte que, d’après la proposition A (cf. supra), h = OX est la moyenne géométrique de OP et OC i.e. h2 = 1×3 pieds d’où h = √3 pieds. Le second cercle que l’on considère est celui de centre B passant toujours par P. Il est de rayon : PB = PA + AB = 3 pieds (une unité de plus que le précédent) et intersecte donc la droite horizontale au point E. En notant toujours X son point d’intersection avec OU et h = OX, on aura : h2 = 1 × 5 pieds d’où h = √5 pieds. Et ainsi de suite jusqu’à 17. On obtient ainsi les racines carrées, ou de manière moins anachronique, les côtés des carrés de surface entiers impairs, jusqu’à 17. On est alors amené à tracer 8 figures successives (correspondant aux entiers impairs compris entre 3 et 17) d’après notre construction (et entre 12 et 14 d’après les autres, cf. [Ofman 2013], §6). On comprend le scepticisme de beaucoup sur la possibilité produire dans le temps d’une seule leçon, la totalité de ces constructions, qui en outre ne sont que les préliminaires au sujet principal, l’incommensurabilité des côtés de ces carrés par rapport à l’unité. Il est heureusement possible de tracer la totalité de ces dessins sur un seul graphique en remarquant qu’il s’agit de trouver les intersections de cercles situés sur la même droite (l’horizontale) avec une même droite (la verticale). On obtient alors la figure suivante :

Tous les cercles tracés passent par le point P où PO et tous les segments successifs OA, AB, BC, CD, EF, FG, GH et HI sont de longueur 1 pied.

A B C D E GF HO I P

1 pied

U

Figure 5

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ii) La construction des carrés. Dans le cadre d’un cours de géométrie, où le dessin est le fondement des raisonnements, la construction des carrés est nécessaire. Néanmoins, d’un point de vue pratique, il s’agit de tracer 8 cercles de rayons de plus en plus grands, jusqu’à un peu moins de 10 pieds, ce qui est certes possible, mais demande une grande surface et est peu pratique. De plus, gardant à l’esprit le cadre, cette construction paraît longue et ennuyeuse, surtout pour une audience de jeunes garçons, aussi passionnés soient-ils par la géométrie. Il est donc improbable que Théodore ait construit de cette manière, les côtés puis les carrés associés, un à un (147d5). Comme on va le voir, cela n’est pas nécessaire, et il est possible, sur la même figure, de tracer cercles (du moins les parties nécessaires) et les carrés, en remarquant que :

a) On peut tracer des cercles en conservant la même droite pour diamètre de base et en gardant l’extrémité P fixe, l’autre extrémité variant.

b) Pour passer d’un impair au suivant, le centre du cercle à construire est déplacé d’une unité.

c) Il n’est pas nécessaire de tracer le cercle tout entier mais seulement l’arc de cercle à proximité de la perpendiculaire OU.

On obtient alors la figure suivante :

Une fois les sommets des carrés 3, 5, … 17 pieds tracés sur le segment OU, il s’agit d’obtenir les autres sommets pour compléter ces carrés. Ainsi pour le premier carré, correspondant au côté h = √3 pieds, ayant obtenu le premier côté OQ sur le segment OU, on trace le cercle ce centre O et de rayon h, et son intersection R avec le segment OI donne le deuxième côté. On a ainsi trois sommets du carré cherché (à savoir O, Q et R), il reste à en obtenir le quatrième. La stratégie d’Euclide dans la démonstration de la proposition I.46 est complexe à mettre en œuvre. Mais il est d’autres possibilités, ainsi tracer les deux cercles de rayon h et de centres

4 pieds

√11 √13 √15 √17

√9

√19

2 pieds

3 pieds

B C D F G H IA E

P

1 pied

O

U

√3

√5

√7

1 pied

Figure 6

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respectifs Q et R. Ils se coupent en deux points ; l’un est O, l’autre le quatrième sommet cherché. On peut procéder de même pour les autres carrés. Toutefois il est possible de la simplifier, une fois encore, en remarquant que, comme dans le dessin de la proposition II.4, les quatrièmes sommets de tous les carrés sont sur la diagonale passant par O du premier carré. Plutôt que d’obtenir l’intersection de deux cercles, ce qui est délicat lorsque le diamètre croît, on est ramené à celle d’un cercle avec cette diagonale, ce qui est beaucoup plus simple36. Ces constructions n’exigent, en effet, que des petits arcs de cercles proches de ces droites, ce qui est aisé à faire de manière précise. Enfin les seuls instruments nécessaires pour tracer ces diagrammes sont extrêmement simples : un cordeau, un bâton pour tirer les lignes, et éventuellement pour simplifier le travail tout en étant plus précis, un gnomon37 où serait marquée la longueur de 1 pied.

36 C’est la stratégie adoptée dans la démonstration de la proposition II.4 des Éléments pour la construction des carrés (cf. supra, note 30). L’intérêt est de remplacer le traçage de cercles par celui de droites. 37 Nom générique de toutes sortes d’équerres très polyvalentes, instruments utilisés très tôt en particulier pour les observations astronomiques, puisqu’on les fait remonter aux anciens Égyptiens et Babyloniens.

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iii) Les dessins mathématiques en Grèce ancienne. On voit sur la représentation de la Figure 6 ci-dessus apparaître une difficulté lorsqu’il s’agit de représenter un grand nombre de côtés, c’est-à-dire de racines carrées d’entiers. Lorsque n croît, il devient plus difficile au fur et à mesure, de distinguer les sommets les uns des autres (i.e. entre √ et √ 1 ). On aurait ainsi la raison qui avait amené Théodore à s’arrêter à 17, les sommets des carrés sur le segment OU s’accumulant autour de √19. La thèse d’une interruption pour des considérations pratiques a d’ailleurs été défendue par certains historiens. Le texte toutefois n’indique pas de cause à cet arrêt, si ce n’est un certain étonnement de la part de Théétète, difficilement explicable si la raison est si simple et expliquée par Théodore (147d7)38. Il n’est toutefois pas impossible de produire une traduction compatible avec cette thèse39. Ce serait oublier que les techniques de dessins mathématiques étaient différentes des modernes, utilisant papier ou tableau. Il s’agissait de construire des figures sur le sable ou la terre meuble, dans des endroits ad hoc, ainsi des stades, des jardins ou des plages40. Il était donc possible de tracer des cercles ou des segments de droite beaucoup plus grands que ce à quoi les modernes sont habitués. Ainsi dessiner de nombreux petits arcs de cercles de rayon 3 mètres41 ou plus ne pose aucune difficulté avec un cordeau42. On est alors ramené pour le côté des 4 derniers carrés de Théodore (11 pieds, 13 pieds, 15 pieds, 17 pieds) au graphique de la Figure 7 ci-dessous, à l’échelle 1:5. Certes, un dessin sur le sable, utilisant piquets ou bâtons, est bien moins précis que tracé avec de l’encre sur du papier. Mais à une échelle réelle (cf. infra, note 44), il n’y a aucun problème à distinguer les côtés entre eux, aussi bien que du suivant (19 pieds). 38 Ce qui va à l’encontre d’un arrêt purement aléatoire (soutenue par exemple dans [Szabo 1977], p. 61-65, à la suite de Heinrich Vogt [Vogt 1909 et 1913]). Dans ce cas, Théodore par induction passerait de quelques exemples à la totalité infinie des cas. Cette ligne du Théétète est objet de nombreux débats parmi les commentateurs. Ils concernent les termes ‘pw" ejnevsceto’. Depuis une cinquantaine d’années, la discussion porte essentiellement sur ‘ejnevsceto’, s’il a le sens faible de ‘s’est arrêté’ ou plus fort ‘s’est arrêté à cause d’un obstacle’. Toutefois, et c’est ce qui importe ici, le terme ‘pw"’ ajoute cette composante de questionnement, souvent traduit par ‘je ne sais pourquoi’ ([Dies 1926]), ou ‘je ne sais comment cela se fit’ ([Robin 1950-a]) ou encore ‘quelque chose l’a arrêté là’ ([NAR 1995]), même s’il est parfois supprimé, sans explication (ainsi [Fowler 1921]). 39 On a là un exemple des dangers d’analyse circulaire, interpréter un texte afin qu’il soit en accord avec la méthode mathématique, puis s’appuyer sur cette méthode pour justifier cette interprétation.. 40 ‘On dit que le philosophe Aristippe, disciple de Socrate, s'étant sauvé d'un naufrage sur les côtes de l'île de Rhodes, et ayant aperçu des figures géométriques tracées sur le sable, s'écria en s'adressant à ceux qui étaient avec lui : « Ne craignons rien, je vois des traces d'hommes ! » ([Vitruve 1837], préface au livre VI). Cette anecdote rapportée de manière un peu différente (par exemple le naufrage aurait eu lieu à Syracuse et non Rhodes) apparaît également chez Galien ([Galien 2000], chap. 5). Voir aussi par exemple Aristote notant l’habitude des mathématiciens de tracer des dessins sur le sol (Métaphysique, M 3, 1078a19). Le Ménon est moins explicite, car indirect : lorsque Socrate dessine des figures devant le jeune serviteur, il ne réclame ni instrument, ni support (82a-b). Soit il n’en utilise aucun, soit ils sont disponibles à peu près partout, car ni Socrate, ni Ménon n’étant mathématiciens, il n’est aucune raison qu’ils aient des instruments spécialisés. 41 C’est à peu près la valeur du rayon du cercle qu’il faut tracer pour obtenir le dernier carré correspondant à celui de côté √17 pieds. Il est possible de tracer au cordeau le cercle tout entier, mais cela est pénible, surtout s’il faut répéter l’opération plusieurs fois. Par contre tracer de petits arcs proches de trois droites données est aisé. 42 Des constructions circulaires extrêmement précises de plusieurs dizaines de mètres de rayon sont attestées très anciennement en architecture, ainsi dans certains sites celtiques datant d’un millénaire BCE.

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On pourrait alléguer d’un arrêt pour une cause inverse : la démesure du dessin lorsque le nombre croît43, considérant que les dessins sont à échelle réelle (1:1), ce qui ressort effectivement du texte44, mais aussi une utilisation directe du théorème de Pythagore, à la manière de la spirale de la Figure 1, ce qui, on l’a vu, va à l’encontre du texte de Platon (cf. supra, i)). Si au contraire on suit la construction de la Figure 6, les dessins consistent à construire des segments de longueur au maximum 7 pieds (environ 2,20) ce qui est tout à fait raisonnable45.

43 M. Paiow, s’appuyant sur des textes de Vitruve et des données archéologiques, a soutenu que les dimensions du stade s’opposaient à un tracé plus grand que 15 pieds (environs 4,5 m, [Paiow 1982], p. 95), et il a certainement raison de penser que Théodore est non seulement un excellent mathématicien mais aussi un excellent pédagogue pour attirer autant de jeunes. Mais il a certainement raison de penser que Théodore, tel que décrit par Platon, est considéré par les Athéniens, et sans doute les Grecs en général, non seulement un excellent mathématicien mais aussi un excellent pédagogue pour attirer autant de jeunes. Mais pas plus que l’exclamation socratique ‘a[ristav g! ajnqrwvpwn, w\ pai'de"’ en 148b3, cela n’engage Platon (cf. [Ofman 2010], 7.ii). 44 ‘Théodore (…) faisait apparaître que [ces puissances] n’étaient pas commensurables en longueur avec la ligne d’un pied de long’ (147d3-6). En outre, il serait étrange de souligner la longueur d’un pied de long et de dessiner une autre longueur, ce qui ne pourrait être qu’un objet de confusion pour de jeunes élèves apprenant les mathématiques (cf. infra, note Erreur ! Signet non défini.). 45 Dans le Ménon, Socrate trace quant à lui des figures toutes contenues dans un carré de 4 pieds de côté (cf. 82a-85b), donc d’aire 16 pieds, c’est-à-dire du même ordre de grandeur que les carrés de Théodore. F. Acerbi se demande si le pied (‘podiavia’) utilisé en mathématiques pré-euclidiennes (et même pré-aristotéliciennes) était la mesure véritable (‘un pied’ soit environ 30 cm) ou en réalité un nom symbolique d’une unité graphique dépendant du choix du géomètre traçant un dessin. Un ‘pied’ correspondrait alors à une longueur arbitraire encore appelée ‘pied’ ‘pour d’obscures raisons’ ([Acerbi 2008], p. 121). L’auteur penche pour la seconde possibilité. D’après notre analyse, on ne peut utiliser la leçon de Théodore pour appuyer ce point de vue, ce qui ne va pas à l’encontre de la thèse d’Acerbi qui voit précisément un changement se produire à l’époque d’Aristote, où l’on passerait du ‘pied’ réel à un pied ‘symbolique’. La question a son origine chez Aristote qui pose le problème de savoir comment un mathématicien peut raisonner juste sur une figure fausse (Métaphysique, M 3, 1078a19-20 ; N 2, 1089a23-26 ; Premiers Analytiques, I, 41, 49b35-37 ; Seconds Analytiques, I, 10, 76b38-39).

4

√11

√13

√15

√17

3 = √9

√19

Figure 7

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4. Retour sur le procédé d’anthyphérèse.

i) Méthode et applications.

Une autre proposition d’un arrêt pour une difficulté pratique, mais fondée sur une raison plus théorique, a été défendue par certains historiens et mathématiciens46. La méthode de Théodore serait celle de l’anthyphérèse qui s’avèrerait particulièrement difficile pour le cas 19, ce qui l’aurait incité à s’arrêter avant47. Le terme anthyphérèse est une translittération, plus ou moins fidèle, du grec ‘ajnqufaivresi"’, formé à partir de ‘uJfaivrew’ (‘soustraire’) et ‘anti’ qui donne un sens de ‘réponse’, ‘d’alternance’48. Le substantif lui-même n’apparaît pas chez Euclide, et dans les Éléments c’est une forme verbale qui est utilisé pour introduire ce procédé au début des livres VII et X49. Cette méthode générale a deux aspects, l’un calculatoire, l’autre arithmétique. Le premier permet d’approximer certains rapports, l’autre donne la plus grande ‘mesure commune’, ‘koino;n mevtron’, en termes modernes le Plus Grand Commun Diviseur (PGCD), de deux entiers. Dans les deux cas, il s’agit d’examiner deux nombres ou deux grandeurs inégales a et b. Si on a : a > b, on considère le nombre maximal m de fois qu’on peut ôter b de a, d’où un reste r tel que l’on ait : a = mb + r, et r est nécessairement plus petit que b. On peut alors procéder de même avec le couple b et r, et itérer. Il s’agit donc de soustractions alternatives, du plus petit ôté autant de fois que possible du plus grand. Dans les Éléments, le verbe ‘ajnqufairei'n’ apparaît dans la proposition 1, sa démonstration et celle de la proposition 2 du livre VII et plus loin dans la démonstration de la proposition 3 du livre X. En voici un exemple.

1) Approximation. Soit à approximer le rapport 314/100. 1ère étape : 314 = 3 × 100 + 14 2ème étape : 100 = 7 × 14 + 2 On va alors utiliser l’approximation de 100 par 7 × 14 (donnée à la 2ème étape) :

a) D’après la première étape : 314 est approximé par 3 × (7 ×14) + 14 = 21 ×14 + 14 = 22 ×14, d’où : b) 314/100 est approximé par (22 × 14)/(7 × 14) = 22/7.

2) Plus grande commune mesure. Soit à calculer la plus grande commune mesure des entiers 18 et 8. 1ère étape : 18 = 2 × 8 + 2 2ème étape : 8 = 4 × 2

On est obligé de s’arrêter à la 2ème étape et la plus grande commune mesure à 18 et 8 est 2, ce qui se vérifie facilement car 18 = 9 × 2, 8 = 4 × 2, et 4 et 9 sont relativement premiers.

46 Ainsi H. Zeuthen ([Zeuthen 1910]), O. Becker ([Becker 1933]), H. Rademacher et O. Tœplitz (Rade-Toeplitz 1933], [Tœplitz 1949)], B. van der Waerden ([Waerden 1963]), et plus récemment D. Fowler ([Fowler 1999]). 47 Le très récent travail de S Negrepontis and G Tassopoulos ([Negre-Tasso 2012]) montre que cet intérêt ne faiblit pas. 48 Cf. l’analyse de T. Heath, in [Heath 1998], p. 81. 49 Ce sont les seuls endroits où il apparaît.

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Si le procédé est identique, l’utilisation est différente. Le second cas est le plus complexe, puisqu’il s’agit non seulement de trouver une commune mesure, mais de prouver que c’est la plus grande de toutes. En cela, elle est liée à la théorie des entiers relativement premiers, et se retrouve au livre VII des Éléments qui traite de cette question (propositions 1 et 2)50. Dans son second aspect, l’approximation, ce procédé n’apparaît pas dans les Éléments51. Quant au premier, son extension aux grandeurs intervient au tout début du livre X, pour ne plus être utilisée dans la suite. Si l’on sait comparer les grandeurs, définir leurs rapports, les additionner et les soustraire, c’est-à-dire si l’on a une théorie des rapports des grandeurs, le second procédé, arithmétique, peut leur être appliqué. C’est d’ailleurs de cette façon qu’elle apparaît au début du livre X. Par contre une application analogue à celui du premier exemple, le procédé d’approximation, nécessite un résultat de ‘convergence’, au sens où il faut s’assurer que cette méthode donne des rapports d’entiers, de plus en plus précis du rapport des grandeurs dont on cherche l’approximation. Le procédé d’anthyphérèse pour les grandeurs est plus complexe à mettre en œuvre que pour les entiers, car étant données deux grandeurs, a et b, avec a > b, il n’est pas toujours aisé de calculer le plus grand entier m en sorte que l’on ait mb < a52. Quoiqu’il en soit, l’utilisation d’une telle méthode suppose, dans les deux cas, qu’elle soit partie d’une théorie générale des rapports de grandeurs. Au livre X, c’est la proposition 1 qui fait très certainement le lien avec la théorie générale du livre V53. La définition de grandeurs commensurables pose déjà des questions, par exemple de symétrie54. Ces problèmes ne sont pas abordés par Euclide, qui ne semble pas y accorder grande importance.

50 Proposition VII.1 : ‘Deux nombres inégaux étant proposés et le plus petit étant retranché du plus grand et en alternance, si le reste ne mesure jamais le précédent jusqu’à ce qu’il reste une unité, les nombres initiaux sont premiers entre eux.’ Proposition VII.2 : ‘Étant donnés deux nombres non premiers entre eux, trouver leur plus grande commune mesure.’ (cf. [Vitrac 1991], II). 51 Ni explicitement chez les auteurs ultérieurs. Il peut néanmoins se déduire de calculs dont on a des témoignages plus tardifs, ainsi chez Archimède, mais comme allant de soi, ce qui peut laisser penser qu’ils étaient anciennement connus (cf. [Itard 1962], p. 26-32). 52 En fait, prouver par cette méthode, la seule commensurabilité, peut être difficile. Déjà dans un cas très simple, où a = √m2t et b = √n2t (où m, n, t sont des entiers, i.e. en termes de la géométrie grecque ancienne, a et b sont les longueurs des côtés d’un carré d’aire m2t et n2t), la définition de la commensurabilité conduit à utiliser ‘l’algorithme d’Euclide’ pour calculer le PGCD de m2t et n2t , tandis que la méthode d’anthyphérèse travaille directement avec les racines carrées, ce qui conduit à des calculs plus complexes (on aura à comparer des carrés là où l’algorithme. Comme on le voit, le changement d’unité n’est pas neutre. Bien entendu, de nombreux procédés ont été proposés par les mathématiciens pour simplifier ces calculs (ainsi [Waerden 1963], p. 141-146), ou modifier la méthode ([Heller 1956], p. 13-53). Pour la complexité des constructions nécessaires par exemple dans le cas de ce dernier, cf. [Caveing, 1998], p. 148-157, et aussi [Knorr 1975], p. 123-126. 53 Cf. [Heath 1956], III, p. 15, [Vitrac 1991], III, p. 95. 54 À strictement parler, b et a ne seraient pas commensurables, puisque l’anthyphérèse (soustraction réciproque) ne s’applique pas dans ce cas.

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ii) Anthyphérèse et irrationalité. Nous avons dit en introduction qu’il y a très peu de démonstrations qui ne soient pas en contradiction avec les témoignages des textes. Il est essentiellement deux méthodes, avec leurs nombreuses variantes, qui sont usuellement retenues. Il s’agit d’une part de celle proposée par Zeuthen ([Zeuthen 1910]) fondée sur l’anthynérèse. C’est en quelque sorte une réponse à celle de H. Vogt reprenant la preuve de la proposition (certainement interpolée) 117 du livre X ([Vogt 1909]).

Rappelons brièvement (en termes modernes) la preuve de la proposition X.117 qui se démontre par l’impossible (ou l’absurde)55. On suppose que √2 est rationnelle, donc il existe p et q des entiers que l’on peut choisir, quitte à les diviser par un même nombre, premiers entre eux, tels que √2 = p/q. On a alors : 2 = p2/q2, d’où 2q2 = p2, ce qui implique que p2 est pair, donc p est pair. Il existe donc un entier t tel que p = 2t. D’où : 2q2 = p2 = (2t)2 = 4t2, et donc : q2 = 2t2. Ce qui implique q2 est pair, donc q est pair. On a donc p et q sont pairs, ce qui est impossible puisqu’on les a choisis premiers entre eux. Selon Vogt, Théodore dans sa leçon aurait montré de la même manière l’irrationalité pour les racines carrées des autres entiers de 3 à 17, sauf 4, 9 et 16 qui sont des carrés parfaits. Il suffit de remplacer 2 par ces entiers, pour obtenir la contradiction. Pour soutenir son point de vue, Vogt est conduit à émettre plusieurs suppositions parmi lesquelles :

- Théodore aurait commencé à étudier les mathématiques très tardivement, aux environs de 60 ans, et c’est alors seulement qu’il aurait prouvé l’irrationalité décrite dans le récit de Théétète.

- L’incommensurabilité de la diagonale au côté du carré aurait été prouvée quelques années seulement avant le mort de Socrate56.

- Théodore dans sa leçon se contenterait de résultats bien connus, et choisirait quelques exemples pour s’arrêter arbitrairement à 17. Il aurait alors généralisé, incorrectement par induction au cas de tous les entiers, pour obtenir, sans de véritable preuve que : ‘la racine carrée d’un entier non carré parfait est irrationnel’.

Cela lui permet de rendre compte de la proposition X.117 (cf. ci-dessus), comme origine de la découverte de grandeurs irrationnelles et la concilier avec l’affirmation pythagoricienne, rapportée par Aristote, que toute chose était nombre57. Pour Zeuthen au contraire, l’irrationalité était connue bien auparavant, elle remonte aux anciens Pythagoriciens, voire Pythagore lui-même. La preuve n’est pas la proposition X.117, mais la méthode d’anthyphérèse pour les grandeurs générales, dont parlent les deux premières propositions du livre X. Elle serait donc très ancienne.

55 Pour les détails, nous renvoyons à [Ofman 2010]. 56 Jean Itard est d’accord sur ce point, mais il remarque que le texte de Platon l’infirme, car silencieux sur le cas de 2. D’après lui, cette découverte faisant partie des mathématiques récentes, elle n’avait pas été comprise par Platon ([Itard 1962], p. 34). 57Métaphysique A, 6, 987b28 ; N, 3, 1090a22.

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Zeuthen rejette la thèse de Vogt, et plus généralement celle qui voit l’origine de l’irrationalité dans la proposition X.117. Toute interprétation du texte platonicien doit rechercher une méthode vérifiant deux propriétés essentielles58

- La démonstration doit être faite ‘au cas par cas’ - La démonstration doit être suffisamment originale pour avoir été placée par Platon

dans son ouvrage

La méthode qu’il propose se fonde sur la proposition X.259 : si la suite à laquelle conduit l’anthyphérèse de deux grandeurs ne s’arrête pas, elles sont incommensurables. Il peut sembler délicat de prouver positivement l’infinité d’un procédé, toutefois dans le cas des racines carrées d’entiers, le développement en ce qu’on appelle ‘fractions continues’ montre qu’on aboutit à une suite périodique, le processus ne s’arrêtera donc jamais60.

58 [Zeuthen 1910], p. 407, 422-426. 59 Proposition X.2 : ‘Si de deux grandeurs la plus petite est retranchée de la plus grande de façon réitérée et en alternance, le dernier reste ne mesure jamais le [reste] précédent, les grandeurs seront incommensurables.’ ([Vitrac 1991], III). 60 Considérons par exemple le couple (√2, 1) et appliquons-lui l’anthyphérèse. On aura donc les égalités successives : √2 = 1 + (√2-1) (1ère égalité) ; 1 = 2(√2-1) + (3-2√2) (2ème égalité) ; (√2-1) = 2(3-2√2) + (5√2-7) (3ème égalité) ; …

- Point de vue approximation : En considérant nul le dernier terme de chaque égalité, on obtient les approximations successives pour √2 :

√2 ≈ 1 ; √2 ≈ 3/2 ; √2 ≈ 7/5 ; … - Point de vue ‘fraction continue’ :

On obtient pour √2 la suite de fractions : √2 ≈ 1 ;

puis en ‘négligeant’ (3-2√2) dans la deuxième égalité, on peut remplacer √2-1 par , on a :

√2 ≈ 1 + ;

puis en ‘négligeant’ dans la troisième égalité (5√2-7), on peut remplacer 3-2√2 par (√2-1)/2. D’après la deuxième

égalité, on obtient que 1 est ‘presque’ égal à (√2-1)(2 + ), c’est-à-dire que (√2-1) peut être remplacé par . La

première égalité devient : √2 ≈ 1 + = 1 + = 7/ 5 ; …

On obtient ainsi pour √2 une ‘fraction continue’ de la forme : 1 +

où le terme suivant de la suite s’obtient du précédent en rajoutant au dernier dénominateur. Il est clair que le processus

ne s’arrêtera jamais.

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iii) Pourquoi deux thèses. Depuis l’antiquité tardive, entre un demi et un millénaire après Platon, les preuves de l’incommensurabilité de la diagonale aux côtés du carré, liées aux commentaires de certains passages des Analytiques d’Aristote, étaient des variantes de celle de la proposition X.11761. Celle-ci se généralisant facilement aux cas étudiés par Théodore, on peut donc s’interroger sur l’intérêt de rechercher une démonstration alternative pour sa leçon62. En fait, la thèse de Vogt, on aurait là une situation exceptionnelle63, or aucun texte n’en parle. Mais plus important, il y a deux autres difficultés mises en évidence par Zeuthen au travers des conditions que doit satisfaire la preuve de Théodore.

- Vérifier le critère indiqué par Théétète de démonstrations réalisées au ‘cas par cas’64 et donc éviter, contrairement aux autres méthodes, la théorie des entiers relativement premiers (aboutissant à la proposition VII.22 des Éléments d’Euclide65), qui donne un résultat global.

- Le résultat est suffisamment important et original pour être digne d’être retenu par Platon66. Il est en effet invraisemblable que Platon ait consacré un si long passage mathématique, pour simplement donner un analogue de la boue du début du récit (cf. supra, note 20). D’autant que Théodore est présenté comme un excellent géomètre67, ayant réussi, bien qu’étranger venant d’une lointaine colonie grecque68, à s’attacher à un grand nombre de jeunes garçons désireux de suivre ses cours (143d8-9), Socrate y assistant, lui-même, parfois (145d3)69.

Le premier critère devait suffire à éliminer la démonstration proposée par Vogt, et plus généralement toutes celles fondées sur la proposition X.11770.

61 Cf. [Ofman 2013], chap. I. Voir aussi [Knorr 1975], p. 111-118 et [Caveing 1998], p. 144-145. 62 Dans [Ofman 2010], nous avons montré que cette démonstration ne s’accordait pas avec les textes d’Aristote sur l’origine de l’irrationalité (cf. chap. V, première partie), mais elle pourrait convenir pour une leçon ayant lieu ultérieurement et portant sur d’autres grandeurs que √2. 63 Tout comme aujourd’hui d’ailleurs. Ainsi Aristote pose tel un fait évident la jeunesse de ceux qui sont sur le point de devenir mathématiciens opposés aux philosophes et physiciens : ‘un enfant, qui peut faire un mathématicien, est incapable d’être un philosophe ou même un physicien’ (Éthique à Nicomaque, VI, 9, 1142a17-18 [Tricot 1994]). 64 ‘kai; ou{tw kata; mivan eJkasthn proairouvmeno" mevcri th'" eJptakaidekavpodo"’ (‘prenant chaque puissance une par une jusqu’à celle de dix-sept pieds’ ([Narcy 1995], 147d6-7)). H. Zeuthen se fondait sur deux critères : la leçon de Théodore était suffisamment originale pour que Platon l’ait placé dans son ouvrage et la preuve devait nécessairement être faite séparément pour chaque entier. Voir aussi supra, note 19. 65 Proposition VII.22 : ‘Les nombres les plus petits parmi ceux qui ont le même rapport qu’eux sont premiers entre eux.’ 66 [Zeuthen 1910], p. 407. 67 Cf. par exemple, Théétète, 143d-e, 145a, 145c-d ; Politique 257a ; et aussi supra, note 43. 68 Cf. supra, note 15. 69

‘kai; ga;r ejgwv, w\ pai' parav te touvtou kai; par! a[llwn ou}" a]n oi[wmaiv ti touvtwn epjai?ein’ (‘Et moi aussi [j’apprends des choses qui font partie de la géométrie, de l’astronomie, de l’harmonie et des calculs], mon enfant, de lui et d’autres dont je crois qu’ils entendent quelque chose à ces matières’ ([Narcy 1995]), ‘… que je suppose compétents…’ ([Dies 1926]), ‘… has some expertise in them’ ([Chappel 2004]), ‘... has a professional competence’ ([Bernadete 2006]). T. Heath, se déclare convaincu par le premier argument mais pas par le second ([Heath 1921], p.205). Maurice Caveing accepte les deux ([Caveing 1996, p. 283]), ce qui le conduit à considérer que la première preuve d’irrationalité ne pouvait pas être la proposition X.117. Faute d’alternative, il a tout d’abord penché vers l’anthyphérèse, sans toutefois accepter la preuve proposée par Zeuthen pour la méthode de Théodore (ib., p. 289). 70 En fait, elles ne respectent aucune des cinq conditions qu’impose le texte de Platon (cf. [Ofman 2013], §5), sans compter, si on l’accepte, la seconde condition indirecte de Zeuthen. Pour la critique de cette méthode, voir aussi [Knorr 1975], p. 118.

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i) Les difficultés de l’anthyphérèse. Les incohérences des méthodes fondées sur la proposition X.117 expliquent le succès de la méthode alternative71, celle de l’anthyphérèse72. On s’attendrait même à ce que les premières soient rejetées au profit de la seconde. Pourtant ce n’est pas le cas, et beaucoup d’historiens et commentateurs leur restent attachés. Elle pose en effet, elle aussi, de nombreuses difficultés. Des cinq contraintes imposées par le texte du Théétète73, elle n’en vérifie que l’une, la démonstration ‘au cas par cas’. L’une des questions délicates, qui se pose d’ailleurs à toute interprétation, est celle d’une absence. Le récit de Théétète débute en effet par le carré de surface 3 pieds, continue par celui de 5, et se termine à celui 17, sans citer les intermédiaires. On est donc réduit aux conjectures, sur deux points : quelles sont les aires des carrés étudiées entre 5 et 17, pourquoi l’absence de ceux de 2 et 4 pieds74 ? Il y a pratiquement unanimité parmi les historiens et commentateurs pour admettre que Théodore commence à 3 parce que le cas 2 était déjà bien connu. Quant à 4, c’est le premier carré parfait, et en conséquence il n’aurait pas à être étudié dans une leçon consacrée aux irrationnels. Mais, quant à la période écoulée entre la connaissance de l’irrationalité de √2 (i.e. l’incommensurabilité de la diagonale aux côtés du carré) et celle de la leçon de Théodore, les avis divergent. En effet, si l’on suit la plupart des historiens et commentateurs qui considèrent que la première preuve d’irrationalité est proche de celle donnant la proposition X.117, sa généralisation étant immédiate, cet intervalle doit être très court, une dizaine d’années tout au plus d’après Vogt. Mais est-il vraisemblable qu’en un si court laps de temps, la démonstration de l’irrationalité de √2 soit devenue si bien établie, qu’une leçon de mathématique traitant de l’irrationalité en général, fasse l’impasse sur cette démonstration originelle ? Pour Zeuthen c’est encore plus problématique. Pourquoi, en possession d’une preuve générale, Théodore, dans une leçon mathématique, en utiliserait-il une autre, plus longue et compliquée? La réponse du mathématicien danois est la suivante. Certes les Pythagoriciens, voire Pythagore, connaissaient l’irrationalité de √2. En outre ajoute-t-il, un mathématicien du calibre de Pythagore ne pouvait pas ne pas voir la généralisation de cette irrationalité aux racines carrées d’entiers non parfaits, mais la preuve qu’il en avait n’était pas (entièrement) correcte, et en outre peu disséminée dans le public grec. Théodore découvre les failles de cette prétendue démonstration, et en donne une autre, exacte, à partir de l’anthyphérèse. Toutefois, cela n’explique pas l’absence du premier carré à étudier, celui de 2 pieds, car si la preuve est incorrecte pour 3 et 5 pieds, elle l’est également pour 2 pieds. En outre, il n’est pas de trace dans les textes d’une telle situation75, ni d’aucune forme de démonstration d’irrationalité par anthyphérèse76.

71 Cf. [Knorr 1975], p. 118. 72 Cf. supra, ii) et plus particulièrement la note 60. 73 Cf. [Ofman 2013], §5 74 Pour ces questions, nous renvoyons à [Ofman 2013], §6. 75 Si les Pythagoriciens (ou toute autre école à cette époque) eussent cru avoir prouvé la propriété de décomposition unique (de tout entier en facteurs premiers), que la preuve fût ou non correcte, ils en auraient pu développer aisément l’arithmétique telle qu’on la trouve aux livres VII et VIII des Éléments, ce dont, là encore, il n’est aucune trace historique.

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Si on considère par ailleurs les démonstrations fournies par les partisans de cette méthode, elles sont très algébriques, même si l’on peut après-coup les géométriser. Dans tous les cas, la longueur de chacune d’elles et des constructions géométriques qu’elles nécessitent, interdisent qu’elles puissent avoir été faites, comme le veut le récit de Théétète, dans la durée d’une leçon77. Outre ces difficultés et quelques autres brièvement résumées dans [Ofman 2013], Willbur Knorr récusait également cette méthode, à partir d’autres arguments encore. En particulier, il remarque que l’application de l’anthyphérèse pour prouver l’irrationalité suppose une théorie de la proportionnalité à la manière de celle du livre V des Éléments, et au moins une propriété analogue à celle donnée par la définition V.478, très proche de ce que les modernes, appellent ‘l’axiome d’Archimède’79. Or remarque-t-il, il est invraisemblable que cette propriété ait été connue largement avant Eudoxe, contemporain de Platon. On a argué qu’une généralisation de la méthode de l’anthyphérèse à la théorie des proportions, telle qu’elle a été proposée par Oscar Becker ([Becker 1933]), permettait de rejeter cette critique d’ordre chronologique80. Brièvement, Becker considère qu’une théorie primitive des proportions générale fondée sur l’anthyphérèse, existait avant celle du livre V attribuée à Eudoxe. Deux rapports de grandeurs sont égaux, si précisément leurs anthyphérèses donnent les mêmes résultats81. Plutôt que de fonder l’irrationalité sur la proposition X.2, on pourrait alors la fonder sur celle qui suit, qui en est simplement la contraposée82, donc lui est équivalente83. Une grandeur A sera irrationnelle si son anthyphérèse avec l’unité n’est pas un processus fini84. C’est oublier que cette construction n’a de sens que si l’on montre la ‘convergence’ du processus infini de l’anthyphérèse. À savoir, que les étapes successives de l’anthyphérèse, conduisent à une et une seule valeur, et s’il s’agit du rapport de A et de l’unité, cette valeur

76 Et là où ce procédé devrait être logiquement employé, il ne l’est pas. Ainsi, au livre XIII des Éléments d’Euclide, la démonstration 5 prouve essentiellement, pour certains segments, le modèle récursif auquel on peut aboutir par anthyphérèse. Or ce n’est pas cette propriété qui est utilisée à la proposition suivante pour démontrer leur irrationalité (cf. aussi [Knorr 1975], p. 125). 77 Deux exemples de cas plus compliqués que ceux habituellement développés (√3 et √5) sont donnés par Caveing. Les opérations pour √7 et √13, mêmes décrites dans un cadre algébrique moderne, sont qualifiées de ‘longues et fastidieuses’ ([Caveing 1998], p. 160-161). Zeuthen, et la plupart des partisans de cette méthode procéderont de même, donne d’abord la démonstration algébrique, puis géométrise chaque étape de la démonstration, en prenant les situations les plus simples (ainsi √5 pour le mathématicien danois) (p. 423-424). Mais alors l’argument qui devrait être utilisé pour obtenir le résultat, qui est un raisonnement par l’absurde, disparaît complètement. 78 Définition V.4 : ‘Des grandeurs sont dites avoir un rapport l’une relativement à l’autre quand elles sont capables, étant multipliées, de se dépasser l’une l’autre’ ([Vitrac 1991]). En symbolique moderne, deux grandeurs A et B ont un rapport entre elles s’il existe des entiers m et n en sorte que mA > B et nB > A. 79 ‘De plus, parmi les lignes inégales, les surfaces inégales, les corps solides inégaux, le plus grand dépasse le plus petit d’une grandeur telle que, ajoutée à elle-même, elle peut dépasser toute grandeur donnée ayant un rapport avec les grandeurs comparées entre elles.’ ([Mugler 1970], I, Post. 5). Autrement dit, en langage moderne, si A et B sont toutes deux des lignes (respectivement des surfaces, des solides) telles que B est plus grande que A, pour toute grandeurs C comparable à A et B, il existe un entier m en sorte que l’on ait : m(B-A) > C. 80 Cf. par exemple [Negre-Tasso 2012]. 81 Autrement dit, si A, B, C et D sont des grandeurs, A et B (respectivement C et D) étant des grandeurs comparables, on définit A/B = C/D, si l’anthyphérèse de A et B d’une part, et C et D d’autre part, donnent le même développement (ou en termes modernes, si les fractions continues définies par ces anthyphérèses sont égales, cf. supra, note 60). 82 Si on a une implication ‘P implique Q’, sa contraposée est ‘non Q implique non P’, et ces deux propositions sont clairement équivalentes. 83 Proposition X.3 : ‘Étant donné deux grandeurs commensurables, trouver leur plus grande commune mesure.’ ([Vitrac 1991], III). Cette construction montre que si deux grandeurs sont commensurables, le processus d’anthyphérèse est fini. Par contraposition, on obtient que si ce processus ne finit pas, ces deux grandeurs sont incommensurables, i.e. la proposition X.2. 84 Il n’existe pourtant aucun texte permettant de croire à son utilisation ‘infinie’, c’est-à-dire utilisant ce résultat pour l’obtention de l’irrationalité d’une grandeur (Voir aussi [Szabo 1977], p. 221 ; [Frajese 1962], p. 201). Par ailleurs, un texte de la Métaphysique d’Aristote montre que si une telle méthode a jamais existé, elle ne devait pas être universellement acceptée (Q, 4, 1047b2-13) ; cf. aussi [Knorr 1975], p. 33. Ses partisans peuvent toutefois s’appuyer sur un passage controversé des Topiques d’Aristote (VIII, 3, 158b29-34). À celui-ci, O. Becker (in [Becker 1933]), en ajoute un autre, du même auteur, tiré des Seconds Analytiques (I, 5, 74a18-25). Pour une critique, voir par exemple [Vitrac 1991], II, p. 511-523. Nous ne discuterons pas ici de ces passages, ce qui demanderait une trop longue digression.

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doit être A. Et pour cela, un analogue du ‘postulat d’Archimède’ i.e. de la définition V.4 est nécessaire85. Il faut d’ailleurs souligner que les historiens des mathématiques n’ont généralement accepté la méthode d’anthyphérèse86 qu’avec une certaine réticence, en l’absence d’une autre plus convaincante87.

85 On peut bien entendu considérer avec Zeuthen que cette propriété était prise comme une évidence par les prédécesseurs de la théorie des proportions attribuée à Eudoxe. Il faut remarquer qu’il y a là deux questions. D’une part, l’existence d’une théorie des proportions générale fondée sur l’anthyphérèse, d’autre part son utilisation par Théodore pour démontrer l’irrationalité de certaines racines carrées. Knorr qui rejette la seconde thèse, est un partisan de la première. Il considère même que son auteur est précisément Théétète. Quant à l’erreur concernant l’oubli d’un argument du type ‘postulat d’Archimède’, il pense que la théorie forgée par Théétète était encore défective sur ce point, et qu’elle sera corrigée seulement avec les travaux d’Eudoxe ([Knor 1975], pp. 261, 266, 271). Mais il est impossible que ce manque eût pu échapper à Platon, connaisseur de ces travaux, qui n’aurait pu la laisser passer dans une leçon de géométrie. C’est pourquoi il récuse l’utilisation de l’anthyphérèse chez Théodore (ib., p. 122-126). 86 Comme nous l’avons vu, contrairement aux autres méthodes usuelles, c’est la seule à respecter la méthode ‘au cas par cas’ (‘kata; mivan eJkasthn’), point essentiel de toute reconstruction sérieuse, puisqu’elle se trouve explicitement dans le compte-rendu de Théétète (147d6). Pour les contraintes imposées à toute preuve par le récit de Théétète, cf. [Ofman 2013], §2 et 5. 87 Ainsi Maurice Caveing, l’un des défenseurs de la méthode par anthyphérèse, l’a finalement abandonnée au profit de celle que nous développons dans [Ofman 2013]. Cf. aussi supra, note 71.

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5. Graphismes et preuves.

i) L’aporie de l’irrationalité

Nous avons montré dans ce qui précède, comment la totalité de la leçon d’irrationalité de Théodore avait pu être faite exclusivement d’un point de vue graphique, c’est-à-dire vue sur des dessins. L’importance de la géométrie sur diagrammes, est relevée par la plupart des historiens et commentateurs du Théétète. Théodore dit qu’il a délaissé les vains discours pour la géométrie88, c’est-à-dire ‘les paroles nues’ (‘tw'n yilw'n lovgwn’) au profit ce celles habillées par les dessins (165a2). Et un peu plus loin, dans sa critique du relativisme de Protagoras, Socrate demande au mathématicien de Cyrène s’il pense être ‘mesure en matière de figures’89 plutôt qu’un autre, ou autant que n’importe qui. Cet aspect est souligné dans la partie mathématique par un langage qui, soit directement, soit indirectement, réfère au visible. Théétète rapporte que Théodore ‘dessinait’ (‘e[grafe’) pour ‘faire apparaître’ (‘ajpofaivnwn’) des rapports incommensurables, et ajoute-t-il, ‘il était visible’ (‘ejfaivnonto’) qu’ils étaient en nombre infini. Dans la seconde partie, Théétète et Socrate (le jeune) se proposent d’associer à tout entier une certaine forme quadrilatère (147e-148a), puis de ‘carrer’ (‘tetragwnivzousi’) ce quadrilatère, c’est-à-dire de construire le carré de même surface. Et de conclure qu’on peut faire de même pour les volumes, en associant un corps spatial à tout entier (148b). Toutefois Heath affirme qu’il faut comprendre le terme ‘e[grafe’ non pas au sens de ‘dessiner’ mais de ‘prouver’. Pour cela, il suit le texte grec corrigé par Burnet ([Burnet 1900], p. 263) qui met entre crochets le terme ‘ajpofaivnwn’, lequel serait, dans l’interprétation de Heath, redondant avec ‘e[grafe’. Il s’appuie alors sur certains textes d’Aristote, d’Archimède et d’auteur plus tardifs pour montrer que ce terme a bien le sens de ‘prouver’90. Cette argumentation est problématique. En effet, d’une part il utilise un texte d’Aristote (Topiques, VIII, 3, 158b29-34)), deux textes d’Archimède et enfin plusieurs commentateurs de l’antiquité tardive expliquant que le terme ‘e[grafe’ est synonyme de ‘démontrer’. Mais le texte d’Aristote dont nous avons déjà parlé (cf. supra, note 84), est controversé et il en donne une traduction ad hoc, à l’encontre de la plupart des autres traductions, quant aux autres textes, ils sont tardifs, et il est difficile d’en tirer témoignage pour la signification d’un terme au temps de Platon. Il pourrait en effet s’agir plutôt d’une dérive néo-platonicienne influencée par la conception aristotélicienne de l’emploi des figures en mathématiques91. Knorr qui soutient l’essentiel de la thèse de Heath, est néanmoins en désaccord avec certaines parties de son argumentation ([Knorr 1975], p. 70). Reste à comprendre pourquoi Heath pense qu’il importe de donner ce sens à ‘e[grafe’. La réponse se trouve dans une longue note qui suit sa traduction92. Il s’agit pour l’historien anglais de réfuter Vogt qui, nous l’avons vu, soutient une chronologie très tardive pour la connaissance de l’irrationalité 93. Or suivant nombre d’historiens des sciences, la preuve

88 Cf. supra, note 21. 89 ‘diagrammavtwn pevri mevtron’ (169a3). Au contraire, pour M. Canto ‘diagrammavtwn’ aurait pour sens ‘démonstrations géométriques’, sans nier toutefois qu’il pourrait avoir celui de ‘figures géométrique sensibles’. 90 [Heath 1921], p. 203. 91 M. Narcy note que ‘diavgramma’, qui à l’origine signifiait bien figure, finit par acquérir chez les auteurs néo-platoniciens tardifs, le sens de ‘théorème’ ([Narcy 1995], note 2, p. 46-47). 92 [Heath 1921], p. 203, note 2. 93 Cf. supra, 4.ii).

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d’existence d’un objet mathématique était faite, chez les mathématiciens grecs anciens, au moyen d’un dessin à la règle et au compas. Si Théodore devait prouver l’existence de grandeurs irrationnelles, la connaissance de l’irrationalité était, comme le voulait Vogt, récente, alors que Heath soutient au contraire de son ancienneté. Knorr considère que Heath a fondamentalement raison, même si son argumentation pose parfois problème. Le mot ‘e[grafe’ a certes un sens de dessiner plutôt que de ‘démontrer’ et la correction de Burnet est inacceptable. Enfin la phrase ‘…e[grafe…ajpofaivnwn…’ a un sens d’un processus unique, plutôt que de deux moments disjoints : d’une part la preuve de l’existence des côtés et de l’autre la preuve de leur irrationalité94. Mais il est une autre difficulté, et c’est sans doute principalement celle-là que Heath, par son interprétation, visait à résoudre. En effet, si chez Aristote, puis chez les commentateurs néo-platoniciens95, dessins ou diagrammes sont au fondement de la géométrie, au point de devenir synonyme de démonstration, il n’empêche qu’ils n’ont pas nécessairement, comme le reconnaît Knorr96, le même statut chez Platon. Lorsqu’il parle des mathématiques au livre VII de la République, celui-ci en effet ridiculise le langage de la géométrie qui parle de ‘carrer’ (‘tetragwnivzein’) qu’il oppose à celui de la connaissance (‘gnw'si"’) (527a). Un peu plus loin (529e), c’est la vérité de la figure, c’est-à-dire son exactitude, qui se trouve opposée à celle des relations mathématiques97. Dans Euthydème, il oppose encore les ‘figures géométriques’ (‘diagravmmata’) aux ‘réalités’ (‘o[nta’)98. Et l’auteur de l’Epinomis qui appartenait certainement au cercle de l’Académie, considère que le nom même de ‘géométrie’ est ‘fortement ridicule’99, alors que cette science consiste établir des relations impossibles tant qu’on reste dans l’arithmétique100. Il est vrai que dans le Ménon, Socrate obtient la ‘remémoration’ du jeune esclave précisément par des constructions géométriques. Et c’est en traçant des carrés et leurs diagonales, il l’amène à voir que l’aire du carré formé à partir de la diagonale d’un carré de côtés 2 pieds est le double de l’aire de celui-ci (82b-85b). Mais à la fin de la séance, Socrate loin d’affirmer que le jeune esclave a acquis une connaissance, souligne que ce sont des ‘opinions’ (‘dovxai’) qui ont été suscitées en lui ‘comme un rêve’ (‘w{sper o[nar’). On est donc très loin de la connaissance des ‘réalités’ géométriques101. Il est donc impossible d’affirmer que, du point de vue de Platon, le sens de ‘diagramme’ aurait également celui de ‘démonstration’, et ‘gravfein’ celui de prouver, voire comme l’écrit Heath, qu’il ne peut avoir d’autre sens. En outre, comme le souligne Maurice Caveing, le concept d’irrationalité n’est pas une chose visible, pouvant être appréhendée par les seuls dessins102. Si Théodore se contentait de dessins, il ne pouvait fournir des preuves d’irrationalité, mais seulement construire des grandeurs irrationnelles. Il ne se préoccupait alors non pas tant de démontrer les choses que de simplement les montrer, les exhiber graphiquement. On retrouve ainsi la thèse de Vogt, et

94 [Heller 1956], pp. 34-35 ; [Knorr 1975], p. 71. 95 Knorr cite à l’appui de cette thèse le Commentaire des Catégories d’Aristote par Ammonios, celui de la Métaphysique par Asclépios, celui du livre I des Éléments d’Euclide par Proclus et encore Plutarque (Morale, 1094b) et Diogène Laërce ([Genaille 1965], VIII, 83). 96 [Knorr 1975], p. 73. 97 ‘i[swn h] diplasivwn h] a[llh" tino;" summetri'a"’ (‘l’égal ou le double ou tout autre rapport’ (530a1)). 98 Robin traduit par ‘données réelles’ ([Robin 1950b]), Lamb par ‘les réalités des choses’ (‘realities of things’, [Lamb 1999]), mais M. Canto rapporte ‘o[nta’ aux ‘figures’, et le rend par ‘celles [les figures] qui existent’ ([Canto 1993]). 99 ‘sfovdra geloi'on o[noma’ (990d). 100 La possibilité d’obtenir des moyennes géométriques entre deux entiers, moyennes qui ne sont pas exprimables sous la forme ni d’un entier, ni d’un rapport d’entiers. C’est donc précisément les travaux de Théodore et Théétète qui sont visés. 101 Cf. République V, 476c-d ; VII, 533c, 534c-d. 102 ‘En matière d’incommensurabilité, la figure précisément ne montre rien et les yeux ne peuvent rien voir. Pour les yeux justement, deux grandeurs sont toujours quelque peu commensurables ou quelque peu indiscernables. (…) L’incommensurabilité ne se constate pas, elle se prouve.’ ([Caveing 1998], p. 172). Et de renvoyer aux notions d’égalité et d’inégalité ‘idéales’ du Phédon (74c-75d).

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plus généralement de ce que nous avons appelé le ‘courant critique’103, d’où cette interprétation par Heath de ‘gravfein’, au prix de la suppression de ‘ajpofaivnein’. À refuser cette émendation, la difficulté n’est pas surmontée par une interprétation forte de ce verbe, en tant que référant à l’idée de ‘prouver’104. Car comment prouver par des dessins, ce qui ne peut être rendu visible, telle l’irrationalité ? La traduction ‘prouver via des diagrammes’ proposée par Knorr105 pourrait bien être alors, du point de vue de Platon, un oxymore. Mais nous avons déjà montré que la thèse de Vogt et de Zeuthen sont inacceptables (cf. supra, §§4.iii) et i)), et puisqu’il en est de même pour celle de Heath, il reste à reconsidérer la question.

103 Cf. supra, chap. 2. 104 Knorr montre que dans le Parménide (128b-130a), ‘ajpofaivnein’ intervient en alternance avec ‘ajpodeiknuvnaiv’ ou ‘ejpideiknuvnaiv’ qui ont incontestablement le sens de ‘prouver’ ([Knorr 1975], p. 76-77). 105 ‘Theodorus was proving for us via diagrams…’([Knorr 1975], p. 62). C’est pourquoi M. Caveing préfère ‘rendre évident’([Caveing 1998], p. 172) ou ‘rendre clair’ (ib., p. 176) plutôt que ‘prouver’.

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ii) Irrationalité et diagrammes.

Tout d’abord, l’impossibilité de faire voir quoi que ce soit concernant l’irrationalité, résulte de son étroite relation au raisonnement par l’impossible106, absolument irreprésentable. En fait, cela n’est pas tout à fait exact. S’il est impossible de dessiner l’impossible (i.e. ce qui n’est pas)107, c’est au sens que critique Platon108. À condition de penser au seul raisonnement, et accepter de représenter une chose par une autre, une représentation graphique est possible voire nécessaire109. Il n’est toutefois aucune allusion à une telle situation dans le récit de Théétète, d’autant que dans un cadre arithmétique, une représentation ‘impossible’ est beaucoup plus délicate110. Théétète n’aurait d’ailleurs pu manquer d’attirer l’attention sur une situation si paradoxale, or il présente une leçon de géométrie illustrée par des constructions graphiques, dénuée de toute trace de raisonnement par l’impossible. Pourtant, la leçon porte sur les irrationnels, alors que pour Aristote, et aussi pour Platon, ils servent de modèle à cette forme de démonstration111. Plus précisément, leur modèle est un cas particulier d’irrationalité qui suit de l’incommensurabilité de la diagonale aux côtés du carré ou, en termes actuels, de l’irrationalité de √2. Son absence de la leçon de Théodore a donc un sens qui va bien au-delà de ce qu’on lui reconnaît généralement : la large connaissance de ce cas chez les Grecs anciens à la fin du Vème siècle BCE 112. Que cela soit exact ne fait guère de doute, mais ce ne peut être la seule, ni même la principale raison113. Celle-ci tient dans la méthode de démonstration. En effet, toutes les preuves d’incommensurabilité de la diagonale aux côtés du carré sont fondées sur une démonstration par l’impossible. Au contraire, comme l’atteste le vocabulaire graphique utilisé par Théétète114, celles données par Théodore doivent être des preuves directes, représentables figurativement. Elles ne sauraient donc être applicables à la preuve d’irrationalité de √2. Contrairement aux méthodes généralement admises, celle que nous avons proposée, fonctionne seulement pour les racines carrées impaires115. Dès lors, les difficultés concernant les démonstrations usuelles, en particulier celles qui conduisaient T. Heath à des interprétations difficilement soutenables de certains termes, s’évanouissent. Le texte de Platon témoigne de la géométrie de Théodore, une géométrie du visible, s’accordant avec une vision protagoréenne du monde116, qui recule devant l’impossible. Et comme en témoigne le traité

106 Cf. [Ofman 2010], première Partie, §5 et aussi la troisième partie. 107 Cela même n’est pas absolu, si l’on songe aux peintures en trompe-l’œil, ou aux illusions d’optique et à certains dessins de Maurits Escher, ainsi sa lithographie ‘montée et descente’. 108 Cf. paragraphe précédent, en particulier supra, notes 97 et 98 et aussi République, VI, 510d-e. 109 Nombre de démonstrations par l’impossible sont accompagnées de dessin et elles seraient difficilement compréhensibles sans lui. Ainsi au livre III des Éléments, les propositions 2, 4, 5, 6, 10, 13, … Par exemple dans le dessin de la proposition 2, une droite est représentée par une courbe, mais on raisonne bien sur elle comme sur une droite. 110 Ainsi, il n’est pas facile d’imaginer une figure permettant de visualiser le raisonnement de la démonstration de la proposition X.117. Quant au procédé par anthyphérèse, il n’est pas même besoin de supposer une impossibilité, puisqu’il donne directement que les rapports à l’unité de la racine carrée de 3, 5, … vérifient une propriété que les rationnels ne vérifient pas (un procédé qui ne s’arrête pas). 111 Cf. supra, note 106. 112 Cf. supra §4.i). 113 Ce cas qui est le plus simple, devrait au contraire servir d’introduction dans toute démonstration sur l’irrationalité en général. 114 Cf. paragraphe précédent. On peut d’ailleurs se demander si c’est Théétète qui utilise ce vocabulaire, ou Socrate qui, dans la mise en scène de Platon, a rapporté l’ensemble du récit (cf. prologue, 143a3-4), puis l’a corrigé (144a5-9). 115 La plupart mais pas toutes, cf. [Ofman 2013], §7.i) et en particulier la note 38 ; cf. aussi supra, note 18. 116 Ce que Théétète résume de manière quelque peu alambiquée : ‘oujk a[llo tiv ejstin ejpisthvmh h] ai[sqhsi"’ (‘la science n’est pas autre chose que la sensation’, 151e3) et que Socrate reprend de manière affirmative : ‘ai[sqhsi", fh/v", ejpisthvmh’.

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d’Euclide, elle va céder le pas à un autre type de géométrie, celle qu’on va retrouver dans les Éléments, où le raisonnement par l’impossible devient la preuve par excellence. Maurice Caveing voyait dans ce dialogue ‘un point critique’ de la recherche mathématique, qui ‘clôt toute une période historique’ où la Géométrie s’émancipe de l’Arithmétique117. Si notre analyse est juste, il a raison, mais cette rupture ne concerne pas seulement deux branches des mathématiques, mais deux formes de raisonnement. Ainsi qu’en témoigne Aristote, depuis la première preuve d’incommensurabilité, l’impossible était certes entré, sans doute non sans réticence, en géométrie. Avec la théorie de l’irrationalité, telle qu’elle est développée au livre X des Éléments, et qu’on attribue en grande partie à Théétète, il devient la démonstration de choix en géométrie, la conduisant à s’affranchir des limites du ‘sensible’ ridiculisées par Platon118. On peut effectivement dire que ‘l’instant est passionnant’ pour le philosophe, et que l’enjeu de cette partie est ‘plus philosophique que mathématique’119. La fin du Théétète ouvre en effet sur le Sophiste120, où sera abordée la possibilité de raisonner sur cette forme d’impossible qu’est ‘le faux’ ou ‘ce qui n’est pas’121.

117 [Caveing 1998], p. 185. 118 Cf. paragraphe précédent. 119 [Caveing 1998], p. 186. 120 Théétète, 210d. 121 Sophiste 236e-237a ; cf. [Cordero 1993], note 118, p. 228.

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