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60 | La Lettre de l’Infectiologue Tome XXVII - n° 2 - mars-avril 2012 ÉDITORIAL Un vaccin contre le paludisme : la lutte continue ! A vaccine for malaria: keep on fighting! L a lutte contre le paludisme est une des priorités de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et les nouvelles sont plutôt bonnes, puisque, dans le cadre du Roll Back Malaria Partnership, le rapport 2011 de l’OMS rapporte une diminution de plus de 50 % des accès palustres entre 2000 et 2010 dans près de la moitié des pays d’endémie, ainsi qu’un nombre de morts estimé à 665 000 en 2010 alors qu’on évoquait 1,5 à 2 millions de morts en 2000 (1). Ces bons résultats, néanmoins variables selon les pays (2), résultent de l’application massive de plusieurs mesures dans de nombreux pays, essentiellement en Afrique : moustiquaires imprégnées d’insecticide, utilisation généralisée des tests de diagnostic rapide du paludisme, traitement de l’accès simple par association de dérivés de l’artémisinine et d’un autre antipaludique, pulvérisations d’insecticides à effet rémanent pour les foyers à risques, traitement préventif intermittent pendant la grossesse. De plus, on espère une diminution supplémentaire de la mortalité avec l’utilisation généralisée de l’artésunate par voie parentérale pour traiter les accès graves (3). C’est dans ce contexte plutôt optimiste que l’analyse intermédiaire d’une étude récente de grande ampleur suggère que le vaccin (RTS,S/AS01) contre le paludisme réduit de moitié la survenue d’au moins 1 accès palustre durant l’année suivant la vaccination, dans une population d’enfants africains (4). Il s’agit d’un essai de phase III randomisé, en double aveugle, réalisé dans 7 pays d’Afrique pour comparer le vaccin RTS à un vaccin ne concernant pas le paludisme (antirabique ou antiméningococcique) dans 2 cohortes d’enfants d’âges différents. Deux schémas vaccinaux par RTS ont été évalués, et l’objectif principal était le taux de protection contre la survenue d’un accès palustre. Le développement du vaccin RTS et la réalisation de cet essai relèvent d’un partenariat entre le laboratoire GlaxoSmithKline Biologicals et le Program for Appropriate Technology in Health Malaria Vaccine Initiative, soutenu par la Bill and Melinda Gates Foundation. Le vaccin RTS est une structure hybride fusionnant l’antigène HbS de l’hépatite B avec un antigène recombinant dérivé d’une protéine de la paroi du sporozoïte de Plasmodium falciparum. Sa forte immunogénicité est liée aux particules vaccinales polymériques et aux propriétés de son adjuvant (l’AS01). De mars 2009 à janvier 2011, 15 460 enfants ont été inclus dans cet essai, qui continue. Quatorze mois après la première dose de vaccin, l’analyse des données concernant les 6 000 premiers enfants inclus dans la cohorte des plus âgés montre une efficacité de 50,4 % en intention de traiter et de 55,8 % en analyse per protocole. Par ailleurs, l’efficacité du vaccin RTS sur la survenue d’un accès grave n’était que de 34,8 %. Globalement, la fréquence des effets indésirables était identique dans les groupes, avec néanmoins un taux un peu plus élevé de convulsions F. Bruneel Service de réanimation médico- chirurgicale, Centre hospitalier de Versailles, Le Chesnay. 1. World Health Organization. World malaria report 2011. Genève : WHO, 2011. 2. O’Meara WP, Mangeni JN, Steketee R, Greenwood B. Changes in the burden of malaria in sub-Saharan Africa. Lancet Infect Dis 2010;10: 545-55. 3. Dondorp AM, Fanello CI, Hendriksen IC et al. Artesunate versus quinine in the treatment of severe falciparum malaria in African children (AQUAMAT): an open-label, randomised trial. Lancet 2010;376: 1647-57. 4. Agnandji ST, Lell B, Soula- noudjingar SS et al.; the RTS, S Clinical Trials Partnership. First results of phase 3 trial of RTS,S/AS01 malaria vaccine in African children. N Engl J Med 2011;365:1863-75. 5. White NJ. A vaccine for malaria. N Engl J Med 2011;365:1926-7.

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60 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVII - n° 2 - mars-avril 2012

ÉDITORIAL

“Un vaccin contre le paludisme : la lutte continue !A vaccine for malaria: keep on fighting!

La lutte contre le paludisme est une des priorités de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Et les nouvelles sont plutôt bonnes, puisque, dans le cadre du Roll Back Malaria Partnership, le rapport 2011 de l’OMS rapporte

une diminution de plus de 50 % des accès palustres entre 2000 et 2010 dans près de la moitié des pays d’endémie, ainsi qu’un nombre de morts estimé à 665 000 en 2010 alors qu’on évoquait 1,5 à 2 millions de morts en 2000 (1). Ces bons résultats, néanmoins variables selon les pays (2), résultent de l’application massive de plusieurs mesures dans de nombreux pays, essentiellement en Afrique : moustiquaires imprégnées d’insecticide, utilisation généralisée des tests de diagnostic rapide du paludisme, traitement de l’accès simple par association de dérivés de l’artémisinine et d’un autre antipaludique, pulvérisations d’insecticides à effet rémanent pour les foyers à risques, traitement préventif intermittent pendant la grossesse. De plus, on espère une diminution supplémentaire de la mortalité avec l’utilisation généralisée de l’artésunate par voie parentérale pour traiter les accès graves (3).

C’est dans ce contexte plutôt optimiste que l’analyse intermédiaire d’une étude récente de grande ampleur suggère que le vaccin (RTS,S/AS01) contre le paludisme réduit de moitié la survenue d’au moins 1 accès palustre durant l’année suivant la vaccination, dans une population d’enfants africains (4).

Il s’agit d’un essai de phase III randomisé, en double aveugle, réalisé dans 7 pays d’Afrique pour comparer le vaccin RTS à un vaccin ne concernant pas le paludisme (antirabique ou antiméningococcique) dans 2 cohortes d’enfants d’âges différents. Deux schémas vaccinaux par RTS ont été évalués, et l’objectif principal était le taux de protection contre la survenue d’un accès palustre. Le développement du vaccin RTS et la réalisation de cet essai relèvent d’un partenariat entre le laboratoire GlaxoSmithKline Biologicals et le Program for Appropriate Technology in Health Malaria Vaccine Initiative, soutenu par la Bill and Melinda Gates Foundation.

Le vaccin RTS est une structure hybride fusionnant l’antigène HbS de l’hépatite B avec un antigène recombinant dérivé d’une protéine de la paroi du sporozoïte de Plasmodium falciparum. Sa forte immunogénicité est liée aux particules vaccinales polymériques et aux propriétés de son adjuvant (l’AS01).

De mars 2009 à janvier 2011, 15 460 enfants ont été inclus dans cet essai, qui continue.

Quatorze mois après la première dose de vaccin, l’analyse des données concernant les 6 000 premiers enfants inclus dans la cohorte des plus âgés montre une efficacité de 50,4 % en intention de traiter et de 55,8 % en analyse per protocole. Par ailleurs, l’efficacité du vaccin RTS sur la survenue d’un accès grave n’était que de 34,8 %. Globalement, la fréquence des effets indésirables était identique dans les groupes, avec néanmoins un taux un peu plus élevé de convulsions

F. BruneelService de réanimation médico-chirurgicale, Centre hospitalier

de Versailles, Le Chesnay.

1. World Health Organization. World malaria report 2011.

Genève : WHO, 2011.

2. O’Meara WP, Mangeni JN, Steketee R, Greenwood B. Changes in the burden of

malaria in sub-Saharan Africa. Lancet Infect Dis 2010;10:

545-55.

3. Dondorp AM, Fanello CI, Hendriksen IC et al. Artesunate versus quinine in the treatment of severe falciparum malaria in

African children (AQUAMAT): an open-label, randomised

trial. Lancet 2010;376: 1647-57.

4. Agnandji ST, Lell B, Soula-noudjingar SS et al.; the RTS,

S Clinical Trials Partnership. First results of phase 3 trial of

RTS,S/AS01 malaria vaccine in African children. N Engl J Med

2011;365:1863-75.

5. White NJ. A vaccine for malaria. N Engl J Med

2011;365:1926-7.

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et de méningites dans le groupe RTS (diff érences néanmoins non signifi catives). La mortalité n’était pas diff érente dans les groupes des 2 cohortes : entre 0,8 % et 1,1 %.

À ce stade, ces données, confi rmant les résultats des études antérieures de cette équipe, représentent un immense espoir dans la lutte contre le paludisme (5). Parmi les diff érents vaccins concurrents, celui-ci est le plus abouti et le plus effi cace. Néanmoins, il faut souligner plusieurs points. Tout d’abord, il n’est pas d’usage de présenter la moitié des résultats d’un essai. On peut imaginer que la concurrence est telle sur ce sujet que les auteurs ont voulu publier ces bons résultats le plus vite possible. Il faut espérer que les résultats défi nitifs de cet essai (prévus pour 2014) seront aussi convaincants. Par ailleurs, ce vaccin n’a pas montré d’eff et sur la mortalité, qui était néanmoins particulièrement faible dans cet essai (biais lié à l’étude ?). En termes de tolérance, la fi èvre et les convulsions plus fréquentes sont probablement à imputer à l’immunogénicité du vaccin RTS. Par ailleurs, il n’y a pas d’explication claire à la fréquence un peu plus élevée de méningites dans le groupe RTS. Ces points sont donc sous surveillance et seront analysés plus fi nement à la fi n de l’essai.

Dès lors, si ces résultats préliminaires très encourageants (50 % de protection à 1 an) sont confi rmés au terme de l’étude (2014), le vaccin (RTS,S/AS01) pourrait être inclus dès 2015 par l’OMS dans le programme mondial de lutte contre le paludisme et pourrait ainsi contribuer au contrôle de cette redoutable infection. Le combat continue pour arriver à remplir les objectifs de l’OMS au niveau mondial : réduire de 75 % le nombre de cas de paludisme et se rapprocher de la mortalité zéro entre 2015 et 2020 (1) !

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