Un sujet qui fâche

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ALL 6,80 €/BEL 5,95 €/CAN 9,25 $CAN/ DOM 6,20 €/ESP 6,20 €/GR 6,20 €/ITA 6,20 €/LUX 6,00 €/MAR 55,00 DH/MAY 7,50 €/PORT CONT 6,20 €/CH 10,20 FS/TOM AVION 1500,00 XPF/TOM SURFACE 850,00 XPF/TUN 6,20 TND OCTOBRE 2010 - N° 766 P our en finir avec les tabous P our en finir avec les tabous En complément du documentaire La blessure, la tragédie des Harkis sur T 05067 - 766 - F: 5,20 E SAUVONS L’HISTOIRE FRANÇAISE GÉNÉALOGIE

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Ils ne sont ni une minorité ethnique ni une tribu ni un groupe de mercenaires... mais des supplétifs de l’armée française, engagés dans l’Algérie en ébullition.

Transcript of Un sujet qui fâche

ALL 6,80 €/BEL 5,95 €/CAN 9,25 $CAN/ DOM 6,20 €/ESP 6,20 €/GR 6,20 €/ITA 6,20 €/LUX 6,00 €/MAR 55,00 DH/MAY 7,50 €/PORT CONT 6,20 €/CH 10,20 FS/TOM AVION 1500,00 XPF/TOM SURFACE 850,00 XPF/TUN 6,20 TND

OCTOBRE 2010 - N° 766

Pour en finir avec les tabousPour en finir avec les tabous

En complément du documentaire La blessure, la tragédie des Harkis sur

T 05

067 -

766

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SAUVONS L’HISTOIRE

FRANÇAISE

GÉNÉALOGIE

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Parachutiste, ce lieutenant-colonel est l’auteur de Commando « Georges » et L’Algérie d’après. Légion étrangère - Harkis - OAS (Dualpha, 2009).

Ancien officier, historien et conférencier, son livre, La France dans la guerre 39-45 (Pygmalion), a été couronné, en 2010, par l’association la Saint-Cyrienne.

Auteur de OAS, histoire d’une guerre franco-française (Seuil, 2002) et des chapitres sur la guerre d’Algérie dans Histoire secrète de la Ve République (La Découverte, 2006).

Spécialiste de l’histoire des migrations en Méditerranée. Son ouvrage le plus récent sur ce thème : Idées reçues sur les Pieds-Noirs (Cavalier Bleu, 2009).

Octobre 2010

Une passion françaiseQuatrième volet de notre campagne. L’Histoire ren-

contre toujours un énorme succès auprès du public. La

preuve avec les livres, le cinéma et la télévision. Sans

oublier les 61 % de familles françaises qui se livrent à la

généalogie. Et de nouveaux témoignages, cette fois issus

du très nombreux courrier que vous nous avez adressé.

Harkis : pour en finir avec les tabousPour accompagner le documentaire, La Blessure, la Tra-

gédie des harkis, diffusé le lundi 20 septembre à 20 h 35

sur France 3, nous rouvrons le dossier de ces supplétifs

de l’armée française durant la guerre d’Algérie.

Les tournois de légendedu « bon roi René »Au XVe siècle, les cours d’Angers et d’Aix-en-Provence

deviennent des hauts lieux de l’art chevaleresque.

54 Maîtresses et favorites, des dames à poigne

Du XVe au XIXe siècle, ces infatigables séductrices aux

ambitions affichées ont joué, à des degrés divers, un rôle

dans la politique de leurs royaux amants.

60 Le scandale du vol des bijoux de la BégumLe 3 août 1949, dans une rue de Cannes, une ex-Miss

France et son mari l’Aga Khan se font braquer par un

gang de malfrats corses qui bénéficient de protections.

62 À la mort de Nasser, le retour des extrémistes

Le 29 septembre 1970, disparaît celui qui incarne, mal-

gré des revers, la fierté des Égyptiens et du monde arabe.

Ce décès marque le début d’une nouvelle ère avec l’émer-

gence des mouvements radicaux.

Des expositions, une pièce de théâtre, des DVD, un CD,

et un festival…

Les Prix HistoriaPour la première fois, Historia décerne ses récompen-

ses à des ouvrages historiques et à leurs auteurs dans

quatre genres populaires : le roman, le roman policier,

la bande dessinée, la biographie. Sans oublier le Prix

spécial du Jury, coup de chapeau de la rédaction.

Monsieur Vincent passe chez le notaire

Benoît

Denfert-Rochereau

Le vase de Soissons

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Ancien professeur, égyptologue de formation. Parmi ses derniers titres : Atlas des Hébreux et Atlas de la découverte de l’Égypte, parus chez Autrement.

Journaliste, longtemps spécialisé dans les affaires politico-criminelles, il vient de faire paraître, chez Pygmalion/Flammarion, Le Vol des bijoux de la Bégum.

Romancier, biographe, essayiste, couronné par l’Académie française, son Dictionnaire des favorites (Pygmalion) vient de sortir en librairie.

Professeur à Toulouse-Le Mirail, il a publié plusieurs livres sur la décolonisation. Le plus récent : La Guerre d’Algérie, histoire et mémoire (CRDP d’Aquitaine, 2008).

Livres : Les Prix Historia 2010, p. 73

Débat : Sauvons l’Histoire ! p. 6 Une passion française

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En 1954, l’Algérie française ce sont 9,5 millions d’habitants, répartis ainsi : un « Français » pour neuf « Français musulmans ». Aux descendants européens (pour moitié d’origine française), majoritairement catholiques, se sont ajoutés des juifs séfarades. Ce melting-pot méditerranéen (984 000 personnes)

s’est forgé une culture qu’illustrera la caricaturale famille Hernandez. L’école républicaine, la saignée de 1914-1918 et l’exceptionnelle mobilisation de la Seconde Guerre mondiale ont exacerbé le sentiment patriotique. Cette communauté, à faible natalité, ne vit pas dans l’opulence : les trois-

quarts ont un niveau de vie de 20 % inférieur à celui des Français de métropole. Les agriculteurs représentent moins d’un actif sur dix. Devenus urbains, les Français d’Algérie sont essentiellement employés, ouvriers, commerçants, artisans, fonctionnaires et petits entrepreneurs. Enracinés depuis

M e r M é d i t e r r a n é e

Wilaya IV

Wilaya V

Wilaya VI

Azazga

La Calle

Souk Ahras

Clairefontaine

Tébessa

Philippeville

Guelma

Aïn Beida

Kenchela

Collo

Aïn M’lila

Biskra

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El MiliaDjijeli

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Saint-Arnaud

Corneille

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Aïn Temouchent Beni-Saf

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MAROC

La population européenne en 1954

moins de 11%

de 11 à 18 %

de 23 à 26 %

de 45 à 50,7 %

a

plusieurs générations, ils se sentent porteurs d’une civilisation avancée. Ils votent dans un « premier collège », dominent les postes de décision. Face à eux, le groupe majoritaire (8,4 millions de personnes) des « Français musulmans », qui se divise entre arabophones ( pour les deux tiers) et berbérophones. S’y ajoute

l’antagonisme latent des Kabyles envers les « Arabes ». La natalité est très soutenue (3,2 % de croissance par an). Les campagnes pauvres, où règne un analphabétisme important, génèrent un fort exode rural vers les villes côtières. Certains accèdent à la pleine citoyenneté française (jusqu’en 1944, ils devaient renoncer à leur

statut personnel). Les « Français musulmans » votent dans un « second collège ». La plupart vivent mal la désagrégation de leurs sociétés traditionnelles et leur acculturation, dans un monde au cadre directif à la fois judéo-chrétien et laïc. Un extraordinaire creuset pour la rébellion. Jean-Louis Donnadieu

Chott Melrhir

Chott el-Hodna Wilaya I

Wilaya II

Wilaya III

BôneLa Calle

Souk Ahras

Clairefontaine

Tébessa

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TiziOuzouBordj

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Dra el Mizan

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Bou Saâda

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50 km

L’implantation de la rébellion dans la population musulmane au printemps 1956Douars acquis et en majorité favorables au FLN

Douars pénétrés par le FLN

Zones où des indices de ralliement à l’armée française ont été enregistrés

Zones de ralliement à l’armée française

Délimitation des wilayas au 1er octobre 1958

A L G É R I ETUNISIE

G r a n d e K a b y l i e

Pe t i t e K a b y l i e

A u r è s

S a h a r a

Fille de harki, née en Algérie. Fils de harki, né en Prov

Taouès Coll-Titraoui« Personne ne nous enlèvera l’image digne de nos pères qui nous ont appris une certaine idée du courage, du devoir, de l’honnêteté, de la fierté. »

Goût d’amertume

Mon père nous a toujours raconté ses guerres. Celle de 39-45 dans la Ire Armée française sous les ordres du général de Monsabert. Puis

il est rentré en Algérie, s’est marié avec ma mère qui était de la même tribu, dans la région de Tocqueville, proche de Sétif, en Kabylie. Ils se sont installés sur leurs terres près de Melouza, un village malheureusement devenu célèbre à cause du massacre de ses habitants, en 1957, par le FLN. Dès l’âge de 4 ans, j’ai toujours vu mon père en uniforme. Malgré la guerre, nous étions très heureux. La seule chose qui m’a marqué et qui me marque encore aujourd’hui, c’est son absence lorsqu’il partait en opération. Cette absence me faisait peur, je craignais qu’il ne meure au combat. Étant l’aînée de la famille, j’ai trois frères, mon père m’a donné le sens des responsabilités. Aller faire les courses, récupérer les petits à l’école – et Dieu sait que les attentats ne manquaient pas. Je me souviens également des discussions entre élèves sur la situation. J’ai très tôt partagé les nuits d’angoisse avec mes parents, surtout lorsque les rebelles venaient attaquer la caserne de nuit.Mon père était pour moi un héros. Il faisait partie d’une compagnie de GMS (Groupe Mobile de Sécurité) qui assurait l’ordre et la sécurité de la population. Un héros car, à trois mois de notre départ pour la France, en mars 1962, il a échappé à un attentat qui le visait ainsi que deux de ses amis harkis. Je garde l’image de mon père qui, après une opération de plusieurs jours, rentrait à la maison vivant mais épuisé. Un héros car, deux mois avant notre départ d’Algérie, il a été hospitalisé, à Sétif, et de son lit il veillait aux démarches administratives nécessaires pour notre départ en métropole. Un héros

car, une fois en France, il travailla à l’ONF (Office National des Forêts). Il y sauva des vies des flammes et a obtenu l’ordre national du Mérite pour ce fait. Il fit aussi appel à la générosité des harkis du Logis d’Anne, près de Jouques, pour soutenir une famille métropolitaine en difficulté. Je possède la dédicace de la personne remerciant les harkis pour leur geste de solidarité. Un héros car il nous a inculqué une certaine idée du courage, du devoir, de l’honnêteté et une certaine fierté. Un héros pour mes frères et moi car nous aimions l’écouter pendant les longues soirées d’hiver, quand il nous racontait sa guerre. Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir suffisamment eu le temps de le faire parler et de l’enregistrer sur l’histoire de notre famille.Je suis fière du combat et du choix de mon père, même si nous sommes encore et toujours à demander que justice soit rendue aux harkis, que les responsables politiques ont du mal à tenir leurs engagements pour reconnaître leur abandon et leurs massacres, sans oublier les échecs du plan emploi pour la seconde génération. Malgré ces difficultés, nous les enfants de harkis sommes devenus les parents de nos parents devant la carence des structures mal adaptées pour répondre aux attentes de la communauté. Nous sommes fiers et heureux de nous en occuper. Personne ne nous enlèvera l’image digne de nos pères. Aujourd’hui mon père repose en paix en Provence, au milieu de ses amis harkis. Que puissent un jour les générations à venir se souvenir qu’ils furent des hommes d’honneur, loyaux, et qu’ils se sont battus pour la paix et la liberté des hommes. Taouès Coll-Titraoui, élue locale, fille de Lakdar Titraoui,

harki, médaillé militaire 39-45.

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Mon père, le bachaga Boualam, ancien militaire, est à l’origine de la création des harkas. Il a longtemps plaidé au plus haut niveau de

l’État le fait que les appelés du contingent n’avaient pas leur place dans cette guerre subversive, parce qu’ils ne connaissaient ni le terrain ni la mentalité musulmane. Je vais vous étonner, mais c’est peut-être la seule guerre, où la signature d’une paix importait peu car le plus dramatique pour les harkis, c’était l’indépendance de leur pays. Ils savaient très bien que si la France quittait ces départements, français depuis cent trente ans, ils devaient absolument la suivre pour sauver leur vie et celle de leurs familles. Eux de tout temps, même dans les périodes de combat les plus difficiles, ont assumé leur choix de fidélité à la France. Malheureusement, c’est la France qui n’a ni assumé, ni respecter sa parole.Jusqu’à son départ de Lamartine, ce 18 mai 1962, et bien après son installation en métropole, mon père a essayé par tous les moyens de faire rapatrier ses hommes et leurs familles. Il a participé à toutes les opérations permettant de rapatrier des harkis autres que ceux de sa harka. Ceux qui ont pu gagner la France ont été parqués dans des camps par le pouvoir de l’époque et maintenus jusqu’en 1975. Mon père a pu éviter cet internement pour les siens. Ce qui n’est pas le cas pour la majorité sauvée par des militaires, officiers pour la plupart, se fichant des représailles de leur hiérarchie mais fiers d’avoir tenu parole jusqu’au bout. Un coup fatal leur a été porté quand il a fallu que chaque harki, paie, pour choisir de conserver la nationalité française. Pour ceux abandonnés à la vindicte du FLN, ce sera la mort dans d’atroces souffrances. Bien évidemment que je suis fier de mon

père. De tout temps ma proche famille, qui a donné plus de trente-deux morts pour la France, dont mon frère Abdelkader, assassiné en 1958, a été à son service. Mais la France a eu très peu l’occasion d’en être véritablement et sincèrement reconnaissante en assumant ses responsabilités. C’est ce que mon père a espéré jusqu’à sa disparition en 1982. En vain. Français, nous pensions l’être depuis toujours, par le sang versé, et pas seulement le jour où mon père est ressorti du tribunal d’instance d’Arles avec les certificats de nationalité française dont il venait de s’acquitter… S’intégrer à la France, nous y avons toujours œuvré. C’est la France qui ne nous a pas intégrés, dans les grandes pages de son histoire…Pour les nôtres, le plus dur, bien évidemment, a été la différence de cultures. Mais avec le temps, chacun a essayé de trouver sa place dans le respect mutuel et l’importance du travail. Nos aïeux ont fait un choix, à nous de le faire vivre et de l’honorer jusqu’au bout. Je ne me considère pas Français, je suis un citoyen français. Mes anciens se sont battus pour cela et l’ont chèrement payé. C’est à eux que je le dois. À personne d’autre. Le seul regret que j’ai, c’est de ne pas être né sur la terre de mes ancêtres. J’ai vu le jour en 1965, sur celle qui nous a accueillis, entre la plaine de la Crau et le delta de Camargue, peut-être pas les bras ouverts. Mais c’est cette terre qui m’a nourri qui verra grandir nos enfants. Celle pour laquelle les nôtres se sont battus, celle qu’ils ont libérée du joug nazi. Je suis éleveur de chevaux, des purs-sangs arabes, tout comme l’étaient avant moi mes ancêtres depuis plusieurs générations. Lahcène Boualam, fils du bachaga Boualam, éleveur de

chevaux.

ence. Deux témoignages pleins d’enseignements.

Lahcène Boualam« Mon seul regret, c’est de n’être pas né sur la terre de mes ancêtres. Mais je suis éleveur de chevaux arabes comme ils l’étaient depuis des générations. »

ou pointe de fierté ?

D.R

.

« Cette enquête fait le tri entre la légende, l’histoire et la mémoire. Elle re-vient sur l’état de la police après-guerre »

Le 3 août de cette année-là, une ex-miss France et son mari, le prince Aga Khan III, se font braquer en pleine rue et dérober une fortune en

joyaux. Il découle de cette affaire une enquête invraisemblable…

Le scandale du vol des bijoux de

la Bégumavocats de la défense et des parties ci-viles. « Les millions de bijoux qui man-quent sont détenus par Bertaux : je peux le prouver ! » poursuit Valantin, bombant le torse, frappant du pied et cognant la barre des témoins. L’énor-mité des accusations portées par le di-recteur de la PJ dépasse l’entendement et prend le tribunal de court. Il prétend posséder les preuves de ce qu’il avance mais n’en présente aucune.

Tous ceux qui connaissent bien le dossier, et notamment les juges et policiers marseillais, savent par-faitement que Valantin ajuste les faits pour fabriquer « sa » vérité. Cela dure depuis près de quatre ans. Du jour où Pierre Bertaux, nommé directeur gé-néral de la Police pour faire le ménage dans une administration encombrée d’inutiles depuis la Libération, a dé-cidé de se passer des services de Va-lantin à la tête de la PJ. « Si c’est comme ça, on va remuer la m… et ça ne sen-tira pas bon !» l’a prévenu Valantin, le poing menaçant, avant d’aller se poser en victime devant les journalistes : « Mon éviction est liée à l’affaire du vol des bijoux de la Bégum » répète-t-il depuis quatre ans. En travaillant sur l’affaire dans les premiers mois de l’enquête, après l’identification de Leca, le patron de la PJ a mis la main

gum, scintillante comme un arbre de Noël de la place Vendôme, s’étalent à la une des magazines. Dénoncés par un indicateur, quatre des cinq auteurs de l’agression – François Sanna, Barthé-lémy Ruberti, Jacques Benedetti, Paul Mondoloni – sont arrêtés six mois plus tard. Une partie des bijoux est resti-tuée dans des conditions rocamboles-ques. Identifié dès les premiers jours de l’enquête, le chauffeur du gang a dé-finitivement disparu. Dans un bain de chaux vive, dira-t-on. Quant à Paulo Leca, 43 ans, l’organisateur du vol, il est toujours en fuite avec trois mil-lions six cent mille euros en bijoux.

Georges Valantin, directeur de la Police judiciaire, dit savoir pour-quoi. « Leca est protégé, déclare-t-il devant la Cour. L’homme qui a pré-paré, organisé et couvert de son nom le vol des bijoux de la Bégum, c’est Pierre Bertaux, le directeur général de la Police nationale ». L’accusation assomme la salle, figeant les vingt-six

Par Jean-Pax Méfret

Le scandale éclate le 10 juillet 1953 dans la salle des Assises d’Aix-en-Provence où la Cour juge les auteurs du plus spectaculaire hold-up de ce milieu du siècle. Six millions d’euros de joyaux raf lés, en deux minutes chrono, le 3 août 1949, sur les hauteurs de Cannes. Un gang de voyous corses a braqué la Cadillac du prince milliardaire Aga Khan III, descendant direct de Mahomet et qua-rante-huitième Imam héréditaire des Ismaéliens, courant minoritaire de l’Islam chiite. Son épouse, la Bégum Om Habibeh, une Française d’origine modeste, élue Miss France en 1930, a été contrainte de donner ses bijoux dont une bague supportant un dia-mant de vingt-deux carats. Chaque année, l’Aga Khan III, cent cinq kilos sur la balance, recevait de ses fidèles son poids en or. Le vol est audacieux mais prévisible : les photos de la Bé-

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. Une femme étincelante dans toute sa splendeur, incarnation d’un luxe et d’un raffinement poussés à l’extrême. Yvette Labrousse devient, par son mariage avec le 48e leader des Ismaéliens, la Bégum, l’équivalent d’une reine et se convertit à l’islam sous le nom d’Om Habibeh.

fet du Rhône, en 1947 après un pas-sage au ministère des Transports, en tant que directeur de cabinet de Jules Moch dont il est le protégé. Il n’a pas oublié Leca. Les deux hommes se sont revus, épisodiquement. Bertaux a de l’empathie voire du respect, pour son camarade de galères. Pour lui il reste, ainsi qu’il le déclarera en Cour d’assises, soulevant l’indignation du tribunal, « sinon un honnête homme, un homme d’honneur ». Mais jamais – plusieurs enquêtes judiciaires l’éta-bliront – il n’a aidé le voyou dans ses opérations criminelles. Valantin sera d’ailleurs condamné en 1958 et en 1960 à de lourds dommages et intérêts, pour les graves et délirantes accusations qu’il a portées contre Pierre Bertaux. Leca, à la même époque, le 11 mai 1960, se constituera prisonnier et passera deux ans derrière les barreaux. On ne retrouvera jamais le reste du butin.

Et, comme de nombreux voyous, il a su doser son comportement sous l’Occu-pation ; profitant des uns par nature, aidant les autres par conviction.

En 1941, au camp de Mauzac en Dordogne où il est détenu pour in-soumission, il a fraternisé avec des résistants dont Pierre Bertaux, un normalien, agrégé d’allemand et plus jeune docteur ès lettres de sa géné-ration. L’intellectuel est fasciné par le voyou aux yeux froids. A la fin de la guerre, Bertaux, compagnon de la Libération, est devenu Commissaire de la République à Toulouse puis pré-

sur un certificat de patriotisme établi, le 26 avril 1945, par Pierre Bertaux en faveur de Paulo Leca, qui a connu des ennuis à la Libération. L’imagination hasardeuse de Valantin a fait le reste.

Malgré son aspect fragile et sa petite taille, Paulo Leca, 47 ans, est un voyou de haut vol. Bien avant l’affaire des bijoux de la Bégum, il s’est déjà fait un nom dans le Milieu en attaquant, en 1938, dans la banlieue de Marseille, un wagon blindé chargé de lingots d’or. Condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité, il a réussi à se faire acquitter en deuxième ins-tance. Depuis la fin de la guerre, tout en continuant ses sombres affaires, il affiche une façade honorable et vit en couple avec la fille du président de la Société des auteurs dramatiques. Grâ-ce à celle qui l’appelle admirativement son « gentleman gangster », Paulo a élargi ses relations au beau monde.

Historia rétablit chaque mois une vérité historique, en allant à l’encontre d’une notion aussi communément admise qu’erronée.

. Pour avoir comploté contre le roi, l'évêque d'Angers fut enfermé au château de Loches, dans une de ces terribles boîtes en fer pendant onze ans.

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Le souverain règne dans une période particulièrement troublée. Pour asseoir son autorité, il est obligé de se montrer impitoyable

Louis XI n’était ni plus ni moins cruel qu e s e s c o nt e m -porains. Le roi de France qui régna de 1461 à 1483 a été la victime d’une lé-

gende noire. Elle s’est bâtie dès son vivant. Encore dauphin, s’opposant à son père, on le soupçonne de l’avoir fait empoisonner pour monter sur le trône. Plus tard, son intense activité diplomatique, empreinte de cynisme et de sournoiserie selon ses adversai-res, le fait surnommer l’Universelle Aragne (araignée). Ennemi acharné du duc de Bourgogne Charles le Témé-raire, qu’il finit par vaincre, les chro-niqueurs bourguignons le décrivent comme cruel. Les cages de fer dans lesquelles il enferme ses prisonniers, les tortures qu’il inflige à ses ennemis et le sang de fillettes qu’il boit pour soi-gner ses maladies participent du por-trait noir de ce monarque. Il est décrit comme rusé, fourbe, réaliste avant d’être loyal, n’hésitant pas à faire pas-ser son intérêt et la raison d’État avant la parole donnée ou l’honneur.

Louis XI est ainsi un roi qui trahit les idéaux chevaleresques à une époque de transition entre la féodalité et la Renaissance. Il se méfie de la no-blesse et vit dans l’obsession d’un com-plot. Ses tenues sont d’une sobriété légendaire, s’habillant en bourgeois, aimant se mêler discrètement au peu-ple et s’affublant de chapeaux sur les-

quels il arbore des gourmettes ou des médailles. Les fastes de la cour lui dé-plaisent. Il affectionne des manières grossières et privilégie la compagnie de gens humbles comme son méde-cin et son barbier. Ce goût bourgeois se retrouve dans son pragmatisme, sa cupidité qui confine à l’avarice. Très pieux, il comble de privilèges les abbayes et les églises. Très supersti-tieux, il s’entoure d’astrologues.

La Renaissance et plus tard le XVIIIe siècle, soucieux de faire du Moyen Âge une période d’obscuran-tisme, érigent Louis XI au rang de symbole de cette époque barbare. La Révolution française perpétue ce som-bre portrait, faisant du roi l’archétype du tyran. S’appuyant sur cette tradi-

tion, les romantiques du XIXe siècle reprennent, diffusent et amplifient la légende. De nombreux auteurs s’inté-ressent à ce souverain qu’ils présen-tent comme l’emblème d’un Moyen Âge noir, gothique et barbare. Walter Scott, Balzac, Alexandre Dumas, Vic-tor Hugo, entre autre, consacrent des œuvres à Louis XI. Il incarne à la fois la fin de la féodalité, emblème de la tyrannie et de l’obscurantisme, mais également le premier roi moderne, s’appuyant sur la bourgeoisie, artisan de l’unité du royaume et de la nais-sance de la nation française. À la fin du XIXe siècle, l’école républicaine continue de véhiculer cette image d’un monarque hypocrite et cruel. Pa-rallèlement, certains jacobins en font le champion du centralisme politique, précurseur de l’État moderne. Loin de ces caricatures ou des utilisations du personnage de Louis XI, le comporte-ment de ce souverain n’a guère différé de celui de ses contemporains. Olivier Tosseri

Louis XI était un roi excessivement cruel