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Janine Pierret Un objet pour la sociologie de la maladie chronique : la situation de séropositivité au VIH ? In: Sciences sociales et santé. Volume 15, n°4, 1997. pp. 97-120. Citer ce document / Cite this document : Pierret Janine. Un objet pour la sociologie de la maladie chronique : la situation de séropositivité au VIH ?. In: Sciences sociales et santé. Volume 15, n°4, 1997. pp. 97-120. doi : 10.3406/sosan.1997.1413 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_1997_num_15_4_1413

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Janine Pierret

Un objet pour la sociologie de la maladie chronique : la situationde séropositivité au VIH ?In: Sciences sociales et santé. Volume 15, n°4, 1997. pp. 97-120.

Citer ce document / Cite this document :

Pierret Janine. Un objet pour la sociologie de la maladie chronique : la situation de séropositivité au VIH ?. In: Sciences socialeset santé. Volume 15, n°4, 1997. pp. 97-120.

doi : 10.3406/sosan.1997.1413

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_1997_num_15_4_1413

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AbstractA subject for the sociology of chronic illness: the HIV-positive situation?In the carly eighties, the sudden outbreak of a new viral illness challenged the medical sciences, whichdid not have sufficient knowledge to propose a cure. Owing to its charactenstics, this stigmatized illnesscreated a special social context. Associated with the return of epidemics and the fear of contagion, AIDSwas not an individual but a collective experience. Hercin, the everyday lives of the HIV-positive and theproblems they have to face are described. The sociology of chronic illness provides an approach forenquiring into various aspects of their lives, in particular: the keeping of the secret of infection as a wayof managing a stigmatized illness ; the reorganization of everyday life in a context of uncertainty; andthe relations between individual biographies and collective history.

RésuméRésumé. Au début des années quatre-vingt, l'arrivée brutale d'une maladie virale est venue ébranler lamédecine et la science qui ne disposaient pas de connaissances suffisantes pour offrir unethérapeutique curative. Les caractéristiques de cette maladie ont alors engendré un contexte social trèsparticulier. En effet, le sida, maladie stigmatisée associée au retour de l'épidémie et à la peur de lacontagion, ne se vit pas individuellement mais s'inscrit dans une expérience collective. Cet article a pourobjectif de rendre compte de la vie quotidienne des personnes séropositives au VIH etasymptomatiques ainsi que des problèmes auxquels elles ont à faire face, à partir de la sociologie de lamaladie chronique. Cette approche permet de questionner et d'approfondir différents aspects tels quel'importance du maintien du secret dans la gestion d'une maladie stigmatisée, la réorganisation d'unevie quotidienne marquée par l'incertitude et les rapports entre biographie individuelle et histoirecollective.

ResumenUn objeto para la sociología de la enfermedad crónica: la situación de los portadores del VIH?En el principio de los años 80, la irrupción brutal de una enfermedad viral destabilizó la medicina y laciencia que no disponían de conocimientos suficientes para proponer una terapéutica curativa. Lascaracterísticas de esta enfermedad dieron origen a un contexto social muy peculiar. El sida,enfermedad estigmatizada asociada al retorno de la epidemia y al miedo del contagio, no es vividoindividualmcnte sino que está inscrito en una experiencia colectiva. El objetivo de este artículo es darcuenta, a partir de la sociologia de la enfermedad crónica, de la vida cotidiana de las personasportadoras del VIH y de los problemas que deben afrontar. Este enfoque permite cuestionar yprofundizar diferentes aspectos tales como la importancia de guardar el secreto en el manejo de unaenfermedad estigmatizada, la reorganización de una vida cotidiana marcada por la incertidumbre y lasrelaciones entre biografía individual e historia colectiva.

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Sciences Sociales et Santé, Vol. 15, n° 4, décembre 1997

Un objet pour la sociologie

de la maladie chronique :

la situation de séropositivité

au VIH ?

Janine Pierret*

Résumé. Au début des années quatre-vingt, l'arrivée brutale d'une maladie virale est venue ébranler la médecine et la science qui ne disposaient pas de connaissances suffisantes pour offrir une thérapeutique curative. Les caractéristiques de cette maladie ont alors engendré un contexte social très particulier. En effet, le sida, maladie stigmatisée associée au retour de l'épidémie et à la peur de la contagion, ne se vit pas individuellement mais s'inscrit dans une expérience collective. Cet article a pour objectif de rendre compte de la vie quotidienne des personnes séropositives au VIH et asymptomatiques ainsi que des problèmes auxquels elles ont à faire face, à partir de la sociologie de la maladie chronique. Cette approche permet de questionner et d'approfondir différents aspects tels que l'importance du maintien du secret dans la gestion d'une maladie stigmatisée, la réorganisation d'une vie quotidienne marquée par l'incertitude et les rapports entre biographie individuelle et histoire collective.

* Janine Pierret, sociologue, CERMES (CNRS-INSERM), 182, boulevard de la Villette, 75019 Paris, France. Ce texte s'appuie sur une recherche réalisée avec D. Carricaburu dans le cadre de l'ANRS qui a donné lieu à plusieurs publications. Il est le résultat d'échanges nombreux et fructueux que nous avons eu depuis 1990.

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Mots-clés : hommes séropositifs au VIH, vie quotidienne, secret, ressources, biographie, sociologie.

À partir des années soixante, la diminution des maladies infectieuses a transformé le paysage pathologique : les maladies chroniques sont progressivement devenues les problèmes de santé dominants des sociétés occidentales. Leurs caractéristiques dessinent une situation mal définie tant pour les professionnels de santé que pour les personnes concernées (Herzlich et Pierret, 1984). Contrairement aux maladies aiguës, elles ne sont pas des épisodes dans la vie des malades mais se confondent avec la vie même. Ainsi ces maladies, souvent invalidantes, s'inscrivent dans la durée et alternent des phases aiguës et des périodes d'accalmie. Au modèle « symptôme-diagnostic-traitement-guérison » se substitue un schéma ouvert et incertain face à un savoir médical souvent en cours de constitution et évolutif. C'est pourquoi à la guérison fait place la gestion de la maladie (Baszanger, 1986). Si cette gestion implique une modification du travail médical et soignant, elle dépasse le seul monde médical et concerne toutes les sphères de la vie sociale dans lesquelles les personnes sont impliquées et ce pour une période indéterminée.

Dès 1975, A. Strauss et B. Glaser ont montré la pertinence d'une approche centrée sur la personne malade et sur les problèmes posés par la maladie chronique dans la gestion de la vie quotidienne (Strauss et Glaser, 1975). Les recherches se sont alors orientées vers l'étude des aspects sociaux et psychologiques de la vie quotidienne avec une maladie chronique. En effet, les malades doivent, jour après jour, faire face à la situation modifiée et gérer les problèmes qui se posent à eux dans les divers lieux de la vie sociale, que ce soit au niveau de la famille, du travail et de la médecine... L'irruption d'une maladie grave et les bouleversements qu'elle entraîne se traduisent alors par des réaménagements dans la vie quotidienne mais aussi par des réajustements, des redéfinitions de soi et des rapports aux autres, en d'autres termes par des modifications biographiques et identitaires (Schneider et Conrad, 1983 ; Corbin et Strauss, 1987 ; Conrad, 1987 ; Gerhardt, 1990 ; Bury, 1982 ; 1991).

Cet article se propose d'étudier les conséquences personnelles et sociales pour des personnes qui vivent avec le virus d'une nouvelle maladie, infectieuse, transmissible et mortelle, celui du sida. Même si les données sur lesquelles s'appuient ce texte sont anciennes et peuvent paraître obsolètes, deux raisons principales justifient de les reprendre. En premier lieu, les problèmes rencontrés par les personnes contaminées par le VIH et asymptomatiquesconduisent à préciser et à reformuler certaines ques-

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tions de la sociologie sur la maladie chronique et suggèrent d'autres pistes d'analyse. En second lieu, les changements récents, tant épidémiologiques (de nouvelles catégories de populations sont atteintes) que médicaux (les espoirs nés depuis mars 1996 avec les trithérapies), incitent à reprendre certaines des questions soulevées dans ce texte à propos d'une situation ancienne, en particulier celles relatives à la dimension collective et partagée de la maladie.

Des interrogations suscitées par le sida

L'apparition, au début des années quatre-vingt, d'une maladie infectieuse, transmissible et mortelle, est venue ébranler l'idée d'une prédominance des maladies chroniques et dégénératives dans les sociétés occidentales. Malgré l'identification du virus du sida, dès 1983, cette nouvelle maladie, contre laquelle il n'y a guère eu de moyens thérapeutiques efficaces avant mars 1 996, bat en brèche les avancées médicales et scientifiques.

À la fin des années quatre-vingt, le sida était toujours synonyme de mort et associé à la résurgence de l'épidémie. L'absence de perspective thérapeutique et un avenir limité contribuent à une méconnaissance des personnes atteintes de sida en tant que malades ayant une affection qui peut s'étendre sur quelques années. On savait pourtant que le sida se caractérisait par une période plus ou moins longue au cours de laquelle « la maladie » ne se déclare pas (1), ce qui le différencie de la plupart des maladies qui sont diagnostiquées quand les symptômes sont manifestes (2). Ces personnes infectées et asymptomatiques étaient, elles aussi, considérées comme des malades, avec une grande incertitude quant à leur durée de vie.

(1) À partir de 1993, les études de cohortes et le suivi des personnes contaminées par le VIH ont permis de mettre en évidence que certaines d'entre elles n'étaient pas malades après 8-10 ans de contamination. Ces personnes sont appelées « asymptomatiques à long terme ». Les résultats de travaux scientifiques, parus en janvier 1995, ont montré que le VIH ne cesse pas pour autant d'être en activité, contrairement à ce que traduisait la dénomination adoptée jusque là, de période de latence (Ho et al, 1995). (2) Cette situation n'est pas sans évoquer ce qui se passe avec le dépistage des gènes de prédisposition et le développement de la médecine prédictive. En effet, de plus en plus de personnes vont apprendre qu'elles sont porteuses d'un gène, voire d'un virus, d'une maladie mortelle dont elles ne savent pas quand elle va se déclencher.

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À partir de 1989, une demande publique de recherche en sciences sociales s'est développée qui s'est massivement orientée vers l'étude de la diffusion de l'information et de la prévention dans la population générale (3). Les travaux sur les personnes atteintes par le VIH sont restés pratiquement inexistants. Pour des sociologues qui travaillent sur la maladie et les malades plusieurs questions se posent alors : pourquoi ce faible intérêt alors que plusieurs recherches ont montré que, même dans le cas de maladies graves et invalidantes, les personnes continuent à espérer et à mettre en place des moyens de réagir ? Comment rendre compte de la situation des personnes atteintes par cette maladie inconnue et qualifiée d'épidémie ?

C'est en réaction à cette absence qu'une recherche sur la vie quotidienne des personnes contaminées par le VIH et asymptomatiques a été entreprise (Carricaburu et Pierret, 1992). Elle a permis, en particulier à des homosexuels contaminés, de s'exprimer dans un cadre universitaire et de s'appuyer sur des sociologues pour faire passer leur message : « Dites leur ce qu'il ne m'est pas possible de dire, je suis homosexuel et séropositif» (Pierret, 1994).

Les cadres d'analyse existants en sociologie, ceux développés pour les maladies chroniques, ont paru pertinents pour étudier cette situation très particulière qui consiste à vivre, sans signe clinique, avec un virus mortel dans un délai bref. En effet, être contaminé par le VIH, c'est être porteur d'un risque de maladie létale à plus ou moins long terme, avec un pronostic incertain quant au déclenchement de la maladie. Il s'agit alors pour les personnes concernées de gérer une vie apparemment sans maladie mais avec une grande incertitude quant à l'avenir. En outre, ces personnes se trouvent dans l'obligation de mettre en place un double système de précautions pour contrôler les risques qu'elles encourent et ceux qu'elles peuvent représenter pour leur entourage. C'est pourquoi nous avons appelé cette période de contamination, « situation à risque de maladie ». Comme elle peut s'étendre sur quelques années, voire plusieurs années comme on le sait aujourd'hui, les personnes atteintes par le VIH se retrouvent dans la situation de vivre avec le virus et de lutter pour maintenir leur état de santé et leur insertion sociale le plus longtemps possible.

(3) Pour un état de la production en sciences sociales, on pourra se reporter à ANRS (1996).

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Méthodologie et cadre de la recherche

Le recueil de données

Cette recherche qualitative, réalisée entre janvier 1990 et juin 1991, s'est appuyée sur des entretiens approfondis auprès d'hommes contaminés, soit à la suite de pratiques sexuelles, soit par l'utilisation de produits sanguins dans le cadre du traitement médical de l'hémophilie (4) (Carricaburu et Pierret, 1992). Trois critères de sélection ont été retenus : le caractère asymptomatique de l'infection VIH, le mode de transmission à l'exception de l'usage de drogue et la date de connaissance de la contamination (entre deux et six ans). Cinquante-trois entretiens de forme biographique, d'une durée moyenne de deux heures, ont été effectués : vingt hommes sont hémophiles, vingt-quatre se présentent comme homosexuels et neuf comme hétérosexuels. Ils vivent à Paris ou dans la région parisienne et sont tous suivis médicalement (5). Ils exercent une activité professionnelle et appartiennent à des catégories sociales moyennes et supérieures. Leur moyenne d'âge est de 36 ans (entre 23 et 65 ans) et 29 vivent en couple. Ces caractéristiques socio-démographiques ne sont pas suffisamment contrastées pour être analysées en tant que telles. Tous les entretiens ont été enregistrés au magnétophone et retranscrits. Ils ont fait l'objet d'une analyse de contenu thématique.

Cadre d'analyse

Pour rendre compte de cette période particulière au cours de laquelle les personnes sont contaminées par le VIH et non malades, les outils conceptuels existants et élaborés à propos de la maladie chronique ont semblé pertinents et susceptibles d'appréhender cette « situation à risque de maladie ». Il s'agit en particulier de s'interroger sur l'interprétation de

(4) Deux sources permettent d'appréhender la situation épidémiologique du sida en 1990 : le rapport sur la prévalence de l'infection par le VIH en France en 1989 estime à 150 000 le nombre de personnes infectées. Les cas de sida au 31 mars 1990 étaient de 9 718 cas cumulés depuis 1982 dont 8 297 hommes soit 85,4 % et plus de la moitié homo/bisexuels. (5) On a retenu une durée d'au moins deux ans de contamination pour qu'ils ne soient plus sous le choc de l'annonce. Ils sont tous infectés par le VIH mais sans symptôme et non encore entrés dans la maladie. Même si l'activité du virus est importante pendant cette phase, on les appellera asymptomatiques.

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la contamination par les personnes atteintes ainsi que sur les modalités d'organisation et de réorganisation qu'elles mettent en place pour continuer à vivre.

Mais comment ces outils allaient-ils permettre de rendre compte des questions spécifiques posées par le sida : comment vivent les personnes contaminées par le virus mortel d'une maladie qui a fait l'objet d'une construction sociale largement médiatisée en termes d'épidémie (Herzlich et Pierret, 1988) ? De plus, par son caractère transmissible et les représentations dont il a fait l'objet, le sida est une maladie qui met en cause les rapports de l'individu avec son entourage. En d'autres termes, à la différence des maladies chroniques déjà étudiées, le sida touche des individus qui appartiennent à des groupes particuliers ou qui sont dans des réseaux parfois marginalisés, dont ils partagent plus ou moins l'histoire.

Le choix de comparer des hommes sélectionnés en fonction du mode de contamination correspond au souci de prendre en compte cette dimension collective. Il a permis de mettre en évidence l'importance des imbrications entre expérience individuelle et histoire collective dans les recompositions biographiques des personnes, aspect qui différencie nettement le VIH des maladies chroniques habituellement étudiées. Trois questions centrales en sociologie des maladies chroniques ont été reprises et discutées : le sens de la contamination et la gestion du stigmate, la mobilisation des ressources pour construire l'espoir et les stratégies d'ajustement autour de la recomposition biographique.

Face à une maladie stigmatisée : maintenir le secret

Avant même que l'on connaisse les manifestations et les répercussions du sida au niveau individuel et collectif, il a été présenté, en particulier par la presse, comme une « punition divine », « la nouvelle lèpre » ou « la malédiction des temps modernes ». Apprendre sa contamination par le VIH, entre 1984 et 1989, c'est donc être confronté à ce discours social particulièrement fort et auquel il est difficile d'échapper. Si toute expérience de la maladie constitue une confrontation aux métaphores produites et imposées par la société (Frankenberg, 1986), dans le cas du sida, c'est aussi et surtout se voir annoncer une mort prochaine. Le sens et les implications de la connaissance du statut sérologique permettent de comprendre pourquoi, dans de nombreux cas, il est maintenu secret. La gestion du secret qui s'est révélée centrale dans cette recherche, prend son sens par rapport au stigmate et constitue le pivot qui va permettre d'inter-

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prêter la façon dont les personnes concernées réorganisent leur vie quotidienne.

Pour E. Goffman, le stigmate constitue : « un attribut qui jette un discrédit profond (sur l'individu) », il précise que : « c'est en termes de relations et non d'attributs qu'il convient de parler » (1975). Par conséquent, le stigmate intervient essentiellement dans les situations d'interaction : « L'individu stigmatisé suppose-t-il que sa différence est déjà connue ou visible sur place, ou bien pense-t-il quelle n'est ni connue ni immédiatement perceptible par les personnes présentes ? Dans le premier cas, on considère le sort de l'individu discrédité, dans le second, celui de l'individu discréditable » (1975). Ainsi, dans le cas de la personne discréditée, elle doit gérer les tensions que provoque sa différence, alors que l'individu discréditable doit savoir contrôler l'information de façon à garder la maîtrise de la situation.

Tous les hommes interviewés dans notre recherche sont séropositifs asymptomatiques et n'ont aucun signe visible, c'est-à-dire qu'ils sont dis- créditables et vont adopter des stratégies diversifiées de diffusion de l'information vis-à-vis de leur entourage. En général, la contamination par le VIH est maintenue secrète et ne se partage que dans des conditions d'intimité particulières et limitées. Cette difficulté à dire la séropositivité repose principalement sur le discours social qui fait du sida « une maladie honteuse ». Elle correspond aussi à la peur d'être confronté avec ce que G. Scambler et A. Hopkins (1986) nomment « le stigmate ressenti » (felt stigma) qui prend, dans le cas du VIH, une dimension particulière dans la mesure où, non seulement le corps est contaminé, mais il est aussi contaminant.

Pour faire face au stigmate, E. Goffman a montré que les personnes ont recours à différentes techniques afin de contrôler l'information relative à leur situation : la dissimulation, l'imputation des signes à une autre origine, le maintien d'une certaine distance, le dévoilement volontaire ou la divulgation (1975). On sait, depuis les travaux de F. Davis (1963), que dissimuler ou détourner l'attention du stigmate relève d'une stratégie de « normalisation ». Dans son travail sur le sida, R. Weitz (1990) souligne que, malgré les spécificités de cette maladie, les personnes contaminées par le VIH ou malades utilisent les techniques de gestion du stigmate déjà connues. En particulier, elles dissimulent la maladie tant qu'elle n'est pas visible ou lui attribuent une autre cause quand elle devient visible, un cancer, par exemple.

Dans le cas de la contamination par le VIH, ce silence s'est révélé central et ne prend pas le même sens selon les divers lieux de la vie sociale. Il correspond à la peur du rejet et d'un licenciement sur le lieu de travail mais aussi au refus de la compassion et au désir de préserver les

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proches et les membres de la famille. Maintenir un tel secret demande une vigilance permanente et un véritable « travail » (Strauss étal., 1982), travail d'autant plus difficile à assurer que l'hémophilie ou l'homosexualité sont connues. En effet, des absences répétées ou bien le moindre signe visible (zona ou herpès) risquent de trahir ce que l'on veut cacher. Mais, dans tous les cas, maintenir secrète sa contamination, c'est aussi vouloir continuer à être considéré comme tout le monde et non comme quelqu'un dont l'avenir est limité. Cette attitude apparaît comme une condition nécessaire afin de vivre le plus normalement possible, tout en permettant à ces hommes de redéfinir leur contexte de vie et de mobiliser un certain nombre de ressources. En revanche, pour les hommes qui décident de dévoiler leur contamination, il s'agit, d'une part, de prendre l'initiative de façon à ne plus avoir à gérer le fait d'être discréditable et, d'autre part, de vouloir exercer un contrôle et une certaine maîtrise sur cette situation particulière.

Face à l'incertitude : mobiliser des ressources pour construire l'espoir

Confrontés à cette situation à risque de maladie depuis un certain nombre d'années, les hommes de l'enquête ont été contraints à des réajustements et à des changements dans leur vie quotidienne. Ces changements s'insèrent dans un contexte dominé par l'incertitude, le risque de transmission et la menace létale. Dans ces conditions, comment ces hommes arrivent-ils à maintenir la volonté de vivre et donc à « construire l'espoir » nécessaire à la vie ? (Pollak, 1990). Nous avons fait l'hypothèse que cette notion, proposée par M. Pollak dans le cadre d'une expérience limite et a priori désespérée, l'expérience concentrationnaire, pouvait se révéler féconde pour rendre compte de cette situation à risque de maladie. La construction de l'espoir prend ici un sens particulier et s'appuie sur la mobilisation de différentes ressources pour éviter le déclenchement de la maladie et lutter contre l'incertitude.

Certaines maladies chroniques peuvent entraîner des limitations dans les différents domaines de la vie sociale : ne pas manger de sucre ou de sel, ne pas faire de sport, ne plus conduire, restreindre ou changer son activité professionnelle. En revanche, les seules limites induites par la contamination par le VIH sont liées à son mode de transmission. Autrement dit, ces limites ne concernent que la sexualité et certaines précautions indispensables pour effectuer les intraveineuses nécessaires au traitement de l'hémophilie. Néanmoins, tous les hommes rencontrés mettent en place des restrictions, c'est-à-dire que d'eux-mêmes, ils modifient leur mode de vie

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en supprimant certaines activités qu'ils estiment incompatibles avec leur nouvelle situation. Par exemple, certains surveillent leurs heures de sommeil, d'autres adoptent une alimentation « saine ». C'est pourquoi on a distingué entre les limites objectives induites par la séropositivité et les restrictions que les personnes élaborent et s'imposent, plus par anticipation que par réelle impossibilité (Carricaburu et Pierret, 1992).

Mais ces restrictions peuvent, en retour, constituer des éléments dynamiques et contribuer à la construction de l'espoir. Pour M. Bury (1982), les ressources mobilisées pour faire face à la rupture biographique créée par la maladie chronique sont de type cognitif et matériel. M. Pollak distingue, dans « V expérience concentrationnaire », les « ressources physiques et incorporées (liées au corps), les ressources relationnelles (...) et les ressources cognitives (compétences certifiées et savoir-faire pratiques) » (1990). La mobilisation sélective de ressources et la volonté de survivre permettent de construire l'espoir dans l'expérience concentrationnaire.

Différentes ressources ont été retrouvées dans cette situation à risque de maladie, qu'il s'agisse des ressources relationnelles et affectives auprès de la famille et de l'entourage mais aussi du mouvement associatif, des ressources cognitives auprès des médecins et des soignants, des ressources corporelles liées au mode de vie, des ressources liées à l'engagement professionnel, spirituel ou associatif. Mais leurs modalités d'organisation et l'objectif qui leur est assigné se sont révélés spécifiques. Nous avons identifié deux dimensions de la mobilisation. Elle s'effectue selon deux modalités distinctes : s'appuyer sur ce qui existe déjà ou élaborer des moyens nouveaux. La mobilisation de ressources anciennes ou nouvelles répond à deux objectifs : aménager la vie quotidienne ou renforcer les capacités de l'individu pour affronter au mieux l'incertitude par rapport à l'avenir. Plus largement, cette construction de l'espoir, dans la situation à risque de maladie qu'est la contamination par le VIH, s'organise autour de la mise en œuvre de diverses ressources destinées à éviter le déclenchement de la maladie et à lutter contre l'incertitude, en d'autres tenues, à maintenir en l'état la situation corporelle et la situation sociale le plus longtemps possible. Les hommes interviewés se différencient sur ces deux dimensions de la construction de l'espoir.

Renforcer ses capacités physiques pour éviter le déclenchement de la maladie

La confiance dans la médecine apparaît comme la ressource essentielle de la situation à risque de maladie. Elle repose sur la croyance dans

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les capacités de la science à trouver des thérapeutiques qui, à défaut de guérir, permettront de continuer à vivre avec le virus. Dès lors, cette relation avec la médecine et les soignants peut être une ressource cognitive et affective (Fox, 1959). Elle s'appuie sur des relations privilégiées avec les soignants auprès desquels on cherche non seulement des connaissances fiables mais aussi une acceptation de ce que l'on est. Par ailleurs, la surveillance régulière, clinique et biologique, rassure même si chaque bilan est précédé d'une période de grandes tensions. Dans un tel contexte, toute annonce concernant l'activité du virus, les nouveaux protocoles et les avancées thérapeutiques a une résonance particulière qui peut, soit conforter, soit remettre en cause l'équilibre construit.

L'attente d'un traitement efficace dans un avenir proche suppose donc de maintenir la situation en l'état, voire de la consolider pour éviter le déclenchement de la maladie. C'est par une attention particulière à leur corps que les hommes homosexuels contaminés cherchent à renforcer leurs capacités physiques. Ils vont essentiellement modifier et surveiller leur hygiène alimentaire et adopter un mode de vie qu'ils estiment plus sain et mieux équilibré. Par ailleurs, certains d'entre eux peuvent essayer de renforcer leurs capacités psychiques, soit en ayant recours à la psychanalyse, soit en se tournant vers la religion ou plus largement vers certaines formes de spiritualité.

Cette confiance dans la médecine, développée et mise en œuvre par les hommes homosexuels, peut difficilement être mobilisée par les hommes hémophiles qui perçoivent leur contamination comme « une faute » de la médecine. D'autant que les relations engendrées par la gestion d'une maladie chronique, présente dès la naissance, s'appuyaient non seulement sur une confiance dans la personne du médecin traitant mais aussi sur l'espoir que la science leur apporterait, à terme, un traitement de type génétique permettant d'envisager l'éradication de la maladie. Pour ces hommes, il s'agit de se maintenir en l'état en s'appuyant sur ce qui existe déjà sans pour autant développer de nouvelles ressources.

Maintenir ou renforcer ses insertions familiales et sociales pour faire face à V incertitude

Parallèlement à la confiance dans la médecine et à ce travail sur le corps, ces hommes cherchent, dans la plupart des cas, à maintenir leurs différentes insertions familiales et sociales. La contamination par le VIH s'inscrit pour eux dans une histoire familiale particulière : dans le cas de l'hémophilie, la famille d'origine a dû gérer les problèmes inhérents à la maladie chronique et assumer son caractère héréditaire ; dans le cas de

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l'homosexualité, soit elle a eu à l'accepter, soit elle l'a refusée ou bien elle n'en a pas connaissance. Pour les hommes hémophiles, la contamination par le VIH étant une conséquence de leur traitement et, par extension, de la maladie que leur a transmise leur mère, elle vient réactiver l'histoire familiale souvent vécue sur le mode de la culpabilité (6). Pour ceux qui sont mariés et dont le couple arrive à surmonter l'épreuve de la contamination, le désir d'un enfant « malgré tout » peut conduire certains (7) à prendre le risque de rapports non protégés et même, par exemple, à développer une solution alternative originale : un homme s'est mis d'accord avec son père afin que celui-ci donne son sperme pour une insémination artificielle qui lui permettra d'avoir « un enfant du même sang ». Le projet d'un enfant est alors une ressource qui permet d'anticiper l'avenir et de continuer la famille. Cependant, lorsque le couple ne résiste pas à la contamination ou quand la solitude devient trop pesante, la famille d'origine constitue un lieu de repli.

Pour les hommes homosexuels, les relations avec la famille d'origine sont marquées par la position qu'elle a face à l'homosexualité. Quand l'homosexualité est acceptée, la contamination par le VIH peut être annoncée et contribuer à resserrer les liens familiaux. Mais, dans la plupart des cas étudiés dans cette enquête, le secret sur la contamination est maintenu aussi longtemps que cela est possible. Malgré le secret et aussi grâce à lui, ces hommes intensifient leurs liens familiaux qui constituent une ressource affective privilégiée. Plus largement, cette valorisation des relations affectives conduit à recentrer les relations sur la « qualité » aussi bien avec la famille qu'avec les amis. Si la vie sexuelle est profondément modifiée par l'adoption du préservatif et des pratiques à moindre risque, en revanche la contamination par le VIH n'est pas un frein à une vie affective stable voire à la constitution d'un nouveau couple (8).

Pour cette population uniquement masculine et relativement jeune (rappelons que la moyenne d'âge est de 36 ans), l'insertion sociale repose principalement sur l'activité professionnelle. Cependant, depuis la contamination par le VIH, elle ne prend plus la même importance pour tous. Si l'investissement professionnel a souvent été un moyen d'intégration et de

(6) Voir à ce propos la thèse de D. Carricaburu (1997). (7) Sur les 20 hommes hémophiles interviewés, 8 sont mariés ou vivent en couple. Aucun n'a contaminé sa conjointe. (8) Sur les 24 homosexuels interviewés, 6 ont toujours vécu seuls et 18 ont vécu plusieurs années avec un autre homme. Parmi ces derniers, 8 n'ont pas changé de partenaire après la contamination, 4 ont formé un autre couple, 3 ont rompu et vivent seuls alors que 3 célibataires ont formé un couple depuis les résultats du test.

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normalisation pour les hommes hémophiles, il semble désormais secondaire et ne peut constituer une réelle ressource. En revanche, le travail est un élément central et constitue un domaine où les prises de risque ne sont pas exceptionnelles pour certains des hommes homosexuels qui peuvent, soit renoncer à la stabilité d'un emploi salarié, soit créer leur propre entreprise. Il s'agit de « prendre le risque de faire ce que Von a envie » mais aussi de construire un contexte de travail où l'on ne sera pas en situation discréditable. Mais c'est aussi vouloir maintenir une situation de normalité le plus longtemps possible.

Des rétroactions entre travail personnel et mobilisation collective

Ce travail de construction de l'espoir, que chacun met en œuvre en mobilisant des moyens qui lui sont propres pour éviter le déclenchement de la maladie et lutter contre l'incertitude, ne peut être dissocié du travail collectif réalisé par l'ensemble des associations. En particulier, la participation à un groupe de pairs peut constituer l'une des ressources essentielles face à l'incertitude, aussi bien pour les médecins que pour les malades (Fox, 1959). Pour un petit nombre d'hommes interviewés, l'engagement associatif constitue une ressource personnelle. En revanche, l'existence même de la mobilisation associative, à partir de fin 1 984, a donné une grande visibilité au sida et, par là, contribué à donner une autre image de la maladie. Cette mobilisation a un retentissement indirect et diffus sur le travail de construction de l'espoir de chacun et ne peut être ignorée.

Les associations de lutte contre le sida présentent l'originalité de ne pas avoir été créées en tant « qu'auxiliaires » des médecins, c'est-à-dire comme des « vecteurs d'informations médicales vulgarisées et des instances de soutien extérieur au champ médical » (Paterson et Barrai, 1 994). Créées dans l'urgence « par le virus lui-même, c' est-à-dire par les personnes atteintes physiquement et/ou affectivement » (Pollak, 1992), ces associations, tout en donnant une meilleure visibilité sociale à la maladie, ont proposé soutien, aide et information aux personnes concernées (Gamson, 1989 ; Ouellette Kobasa, 1990 ; Pollak et Rosman, 1989 ; Hirsch, 1991 ; Adam, 1993). Elles ont également été à l'initiative de certaines innovations, qu'il s'agisse des groupes de parole ou de dispositifs de prise en charge médicales et sociales (Rosman, 1994 ; 1996). Les associations contribuent à poser de façon originale les rapports entre professionnels et volontaires et entre les différentes personnes concernées, qu'elles le soient personnellement ou non (Adam, 1994 ; 1997).

Ces associations révèlent aussi les difficultés rencontrées pour concilier plusieurs objectifs : gérer une sexualité différente, prendre en

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compte les problèmes des malades et mobiliser des moyens pour développer une solidarité dépassant les différences. Néanmoins, elles constituent pour ceux qui s'engagent une ressource et un moyen d'acquérir une compétence. Quant à ceux qui témoignent sur leur maladie, ils peuvent ainsi accéder « à un statut relatif de porte-parole d'une cause collective » et devenir des personnages publics (Pollak, 1988). Plus largement, les associations de lutte contre le sida ont montré que la maladie peut être source de mobilisation collective et ainsi contribuer à modifier l'image de « honte » associée au sida pour en faire une infection qui se chronicise et contre laquelle on lutte au quotidien tout en vivant avec.

En ce qui concerne l'hémophilie, la situation s'inscrit dans une histoire collective liée à l'Association française des hémophiles (AFH), créée en 1955, en tant « qu'auxiliaire » des médecins. Cette association a pu constituer une réelle ressource pour les plus âgés qui y ont trouvé non seulement une aide pour dépasser la singularité de leur situation mais aussi des connaissances médicalisées qu'ils ont pu s'approprier. En revanche, pour les plus jeunes, l'association représente un passé qui n'est pas le leur et une identité collective qu'ils rejettent. Par ailleurs, tout au long des trois années qui ont précédé la généralisation des produits antihémophiliques chauffés (9), l'AFH a minimisé les risques liés à cette nouvelle maladie et a régulièrement cherché à rassurer plutôt qu'à donner l'alarme (Carricaburu, 1993). Dans un tel contexte, le recours à l'activité associative peut difficilement constituer une ressource.

Une autre interprétation donnée au temps

La construction de l'espoir repose donc sur la conviction profonde d'éviter le déclenchement de la maladie grâce à l'attention au corps et aux modifications dans l'hygiène de vie ainsi que sur la confiance que l'on accorde à la médecine comme à la recherche. Mais, lutter contre le déclenchement de la maladie, c'est aussi faire face à l'incertitude en voulant continuer à être quelqu'un comme tout le monde et vivre le plus normalement possible avec une insertion familiale et une reconnaissance professionnelle. La construction de l'espoir, dans la situation à risque de maladie qu'est la contamination par le VIH, est alors indissociable du temps.

(9) À partir du Ier octobre 1985, seuls les produits antihémophiliques chauffés sont remboursés par la sécurité sociale, les produits non chauffés n'ayant jamais été officiellement interdits.

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Analysé dans le cadre de la maladie chronique, en particulier par J. Corbin et A. Strauss (1987) et K. Charmaz (1991), le temps recouvre plusieurs dimensions telles que l'organisation, l'utilisation qui en est faite (dock tinte) et les conceptions personnelles ou le sens qui lui est donné. Dans le cas de la contamination par le virus du sida en phase asymptoma- tique, ces dimensions prennent un sens particulier. D'une part, chercher à développer ses capacités physiques et psychiques afin de mieux résister au virus nécessite des aménagements plus ou moins importants dans l'organisation du temps : préparation des repas, relaxation, consultations, etc. D'autre part, une telle situation, en l'état des possibilités thérapeutiques du début des années quatre-vingt-dix, encore létale, perturbe les perspectives temporelles propres à chaque personne concernée. C'est parce que le temps est compté qu'il engendre un sentiment d'urgence et des tentatives pour maîtriser l'incertitude. Il s'agit alors de chercher à en ralentir le déroulement, non seulement en en profitant mieux, mais en essayant de repousser le déclenchement de la maladie. Tant que l'on reste asympto- matique, la séropositivité, comme catégorie temporelle, peut alors être utilisée comme ressource supplémentaire dans la construction de l'espoir (Pierret, 1996). Ainsi une catégorie biologique — avoir une sérologie positive au VIH — peut devenir une catégorie sociale — la séropositivité — dont la dimension temporelle constitue une ressource supplémentaire dans la lutte contre le déclenchement de la maladie.

L'analyse de cette situation à risque de maladie qu'est la contamination par le VIH a permis de montrer que la lutte contre le temps et l'incertitude prend ici un sens particulier en s'appuyant sur un usage social d'une catégorie biologique. En d'autres termes, la construction de l'espoir consiste à maintenir en l'état la situation corporelle et la situation sociale en mobilisant différentes ressources. Il s'agit donc d'éviter le déclenchement de la maladie et de rester dans cet état de séropositivité le plus longtemps possible jusqu'à ce que des traitements permettent d'envisager des alternatives.

De la biographie individuelle à l'histoire collective

Maintenir le secret pour faire face à une maladie stigmatisée, d'une part, et mobiliser des ressources pour éviter le déclenchement de la maladie et lutter contre l'incertitude afin de construire l'espoir nécessaire à la vie, d'autre part, permettent de comprendre le sens de cette situation à risque de maladie pour les personnes concernées ainsi que les modalités d'organisation du monde qu'elles mettent en place. Mais une telle situa-

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tion conduit également à des interrogations sur soi et à des remises en cause biographiques. En particulier, être discret sur sa contamination et être actif pour garder une certaine maîtrise sur son état, c'est aussi lutter pour contrôler la définition de l'image de soi. Différentes notions sociologiques ont été élaborées pour rendre compte de ces conséquences sur l'identité des personnes et de leurs réaménagements.

Rupture biographique et travail biographique

Pour M. Bury, la maladie est un élément majeur de rupture, ou selon l'expression de A. Giddens (1979), « une situation critique ». Pour se démarquer de l'approche interactionniste qu'il estime trop descriptive et insuffisamment théorisée, il développe une conceptualisation de la maladie chronique en termes de rupture biographique (biographical disrup- tion). M. Bury défend l'idée selon laquelle la maladie chronique entraîne des bouleversements dans les structures de la vie quotidienne et dans les formes de savoir des individus malades. Il distingue trois aspects de la rupture biographique : la rupture dans les comportements allant de soi et dans les systèmes explicatifs habituellement développés par les personnes ainsi que la prise en compte des ressources qu'elles mobilisent pour faire face à la situation ainsi modifiée (Bury, 1982).

En 1991, il reconsidère et approfondit cette notion en introduisant l'idée de contexte, absente de sa définition précédente : « La notion de biographie suggère que, dans la maladie chronique, le sens et le contexte ne peuvent pas être facilement dissociés » ( 1 0) (Bury , 1 99 1 ). Par contexte, M. Bury entend à la fois la politique sociale, le rôle des associations de malades, du consumérisme, des associations caritatives et enfin celui des médias. Mais surtout, il distingue deux types de « sens » : d'une part, en termes de conséquences sur la vie quotidienne de l'individu et, d'autre part, de significations pour la personne malade c'est-à-dire le regard qu'elle porte sur elle-même mais aussi celui qu'elle attribue aux autres (Bury, 1991).

J. Corbin et A. Strauss ( 1 987) proposent la notion de « travail biographique » (biographical work) dont le contenu est proche mais qui semble plus large et plus complet. Il s'agit du travail qui doit être effectué par les personnes afin de faire face à la nouvelle situation créée par l'irruption d'une maladie chronique. Pour ces deux auteurs, la biographie de chaque personne se compose de trois dimensions majeures : le temps biographique (the biographical time), les conceptions de soi (the concep-

(10) Notre traduction.

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dons of self) et les conceptions du corps (the body conceptions). C'est la combinaison de ces trois éléments qui donne la structure et la continuité de chaque biographie pour former ce qu'ils appellent la « BBC chain » (the biographical body conception chain). Lorsqu'elle est interrompue par l'irruption d'une maladie chronique, ce que M. Bury analyse en termes de rupture biographique, chacune des trois composantes de la biographie est alors ébranlée. Le travail biographique consiste donc « à recoller les morceaux de la BBC chain » (putting the BBC chain back together) (Corbin et Strauss, 1987). L'approche de K. Charmaz s'inscrit dans une perspective proche lorsqu'elle centre son analyse sur les conséquences de l'irruption de la maladie en termes d'identité. Elle distingue dans la hiérarchie des identités, différents niveaux plus ou moins valorisés par les personnes malades, parmi lesquels le soi restauré (restored self) correspond à la reconstruction des identités antérieures à la maladie (Charmaz, 1987).

Ces différentes notions permettent d'articuler les significations et les conséquences de la contamination par le VIH sur la vie quotidienne des personnes atteintes et d'examiner leurs traductions en termes de réaménagements biographiques.

Imbrications entre significations et conséquences de la contamination par le VIH

Cette imbrication entre les systèmes d'interprétation développés par les personnes atteintes et les comportements mis en œuvre pour gérer la vie quotidienne est particulièrement forte dans le cas du sida et renvoie à la nature même de cette maladie. En effet, au-delà du processus individuel de recomposition de l'identité, commun à toutes les personnes dont la biographie est gravement perturbée par l'irruption d'une maladie, la contamination par le VIH pose un problème spécifique en inscrivant la maladie dans une dimension sociale forte mais aussi collective qui modèle les expériences individuelles. Comme on l'a vu, les interprétations et les constructions discursives autour du sida sont à la fois fortes et largement répandues dans l'ensemble de la société, c'est-à-dire connues de tous. Le sida est le plus souvent présenté comme « la maladie des autres », de ceux qui vivent différemment, voire qui appartiennent à ce que l'on a appelé « des groupes à risque ». Vivre en étant séropositif implique donc de prendre en compte ce discours et de se situer par rapport à lui.

De plus, l'origine de la contamination étant imputable à des comportements thérapeutiques ou sexuels, individuels et collectifs, tous les hommes interviewés mettent en relation leur contamination avec le passé. Ils sont conduits à un travail auto-réflexif et à un retour sur leur propre

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passé comme sur celui de leur groupe d'appartenance ou de référence. Ce travail, que chacun effectue sur son histoire personnelle, interfère avec la façon dont il reconstruit l'histoire du groupe auquel il se réfère. L'histoire individuelle n'est donc pas isolable d'une histoire collective nécessaire à l'interprétation des biographies individuelles. En d'autres termes, les conséquences de la contamination par le VIH sur la vie quotidienne ne sont pas dissociables de l'interprétation que ces hommes en donnent et qui s'appuie sur la reconstruction de leur passé individuel mais aussi collectif. Ainsi, les spécificités dégagées dans cette analyse renvoient aux caractéristiques mêmes du sida, maladie transmissible ayant pris la forme d'une épidémie et touchant non pas des individus isolés les uns des autres mais des individus qui appartiennent à des groupes ou des réseaux.

Accentuation des composantes identitaires antérieures : la notion de renforcement biographique

Pour tenter de recomposer leur identité et chercher une continuité à leur biographie, les hommes rencontrés mettent donc en relation la situation présente avec la reconstruction de leur passé individuel et collectif et l'interprétation qu'ils en donnent. Cependant, comme le souligne M. Pollak :• « loin de "recoller" les morceaux d'une vie détruite, le regard sur le passé peut rouvrir des plaies qui, de fait, n'ont jamais été cicatrisées » (Pollak, 1990). En effet, pour ces hommes, l'interprétation et la reconstruction du passé ne prennent ni la même forme ni le même sens selon l'origine de la contamination. Néanmoins, ils entrent tous dans un processus complexe de recomposition de leur identité qui se traduit par ce que nous avons appelé un renforcement biographique, c'est-à-dire par l'accentuation de leurs composantes identitaires antérieures à la situation de contamination et relatives à leur hémophilie ou à leurs dispositions homosexuelles (Carricaburu et Pierret, 1995). Si l'idée d'une « identité positive de malade » a pu être avancée (Hcrzlich et Pierret, 1984), nous n'avons pas observé d'élaboration identitaire autour de la notion de scro- positivité. Pour les hommes hémophiles, une telle contamination vient ruiner leurs efforts de normalisation et les renvoie à une logique de maladie à laquelle ils avaient tenté d'échapper : pour eux, être contaminés par le VIH, c'est déjà avoir le sida. En revanche, pour les hommes homosexuels, maintenir la différence entre sida et séropositivité est essentiel car cette notion de séropositivité se révèle être une ressource temporelle, au sens fort du terme. Et même s'ils sont suivis médicalement, la séropositivité est, pour ces hommes, un état qui n'est pas encore la maladie.

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Si l'on admet avec K. Charmaz qu'il existe, chez les personnes malades, une hiérarchie des identités, on peut considérer qu'elle se fait, dans le cas de ces hommes contaminés par le VIH, autour de composantes identitaires antérieures au VIH. Néanmoins, parmi les différentes composantes identitaires présentes avant la contamination, celles qui sont privilégiées sont celles relatives à l'hémophilie ou à l'homosexualité, sachant que la contamination est liée, dans un cas, au mode de traitement et dans l'autre, au mode de vie. De plus, il s'agit d'une contamination collective qui concerne l'ensemble du groupe et pas seulement des individus isolés.

Il serait tentant de rapprocher le « soi restauré » de K. Charmaz, défini comme la reconstruction des identités présentes avant la maladie, de la notion de « renforcement biographique ». Toutefois, ces deux notions nous semblent différentes. Qu'il s'agisse de l'hémophilie ou de l'homosexualité, ces composantes identitaires accentuées depuis la contamination par le VIH, sont particulièrement fortes dans la mesure où elles concernent le corps et sont fondées sur la différence. De plus, elles sont directement impliquées dans l'origine de la contamination. Enfin, ces identités ne sont pas reconstruites, elles sont systématiquement accentuées.

Ce retour sur les composantes identitaires antérieures et leur accentuation conduit aussi à interroger la distinction entre identité sociale et identité personnelle (Goffman, 1975). Le « renforcement biographique », tel que nous l'avons appréhendé, concerne l'identité personnelle. En revanche, au niveau de l'identité sociale, c'est-à-dire de l'affirmation de soi par rapport aux autres, des différences apparaissent entre les hommes hémophiles et homosexuels. En effet, par crainte de la stigmatisation liée au sida, des hommes hémophiles en viennent à dissimuler leur hémophilie, ce qui n'était pas aussi systématique auparavant. Au contraire, les hommes homosexuels interviewés ont tendance à affirmer, voire à revendiquer, une certaine banalisation de l'homosexualité.

Conclusion

Les travaux sociologiques de référence ont surtout étudié les conséquences des maladies chroniques connues sur la vie quotidienne et l'identité des personnes qui doivent gérer durablement cette situation. En revanche, dans ce travail, l'analyse est centrée sur ce que nous avons appelé une situation à risque de maladie et qui concerne des personnes non encore malades mais contaminées par un virus mortel dans un délai relativement court.

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SÉROPOSI VITE AU VIH 115

Les caractéristiques de ce virus transmissible et mortel, ainsi que la charge émotionnelle forte qui entoure le sida, ont permis d'approfondir des thèmes ou de reformuler des notions, en débat dans la sociologie de la maladie. En particulier, le maintien du secret sur la contamination se comprend autant par le poids du discours social que par le désir de continuer à vivre le plus normalement possible. Avoir choisi d'étudier la situation à risque de maladie qu'est la contamination par le VIH a permis d'élaborer la construction de l'espoir qui n'avait pas été jusque là appliquée à une maladie. Cette notion est organisée autour de la mise en œuvre de diverses ressources pour éviter le déclenchement de la maladie, d'une part, et pour lutter contre l'incertitude en maintenant l'état corporel et social, d'autre part. Le maintien du secret se comprend dans cette perspective. L'analyse de la gestion de l'incertitude dans le cas d'une maladie létale non encore déclarée a mis en évidence la façon dont une catégorie biologique, la séro- positivité, peut, dans certaines conditions, constituer une ressource temporelle pour la construction de l'espoir. Maintien du secret sur la contamination et construction de l'espoir permettent de rendre compte des réaménagements identitaires autour de la dimension partagée et collective de cette situation ainsi que des imbrications entre biographie individuelle et histoire collective. La notion de renforcement biographique constitue un approfondissement de la notion de rupture biographique. En effet, être séropositif, ce n'est pas seulement être atteint en tant qu'individu isolé mais c'est aussi être atteint en tant que membre d'un groupe qui en raison de son histoire particulière est frappé massivement. Cette expérience n'est guère comparable avec celle des épidémies d'autrefois qui frappaient des populations de manière beaucoup plus indifférenciée (Hcrzlich et Picrret, 1984)..

Si, aujourd'hui, les personnes vivent plus longtemps et dans de meilleures conditions physiques, il n'est pas évident que les problèmes qui ont été abordés autour du sens de la contamination, des réaménagements du monde dans lequel vivent les personnes et des stratégies d'ajustement qu'elles mettent en place, soient radicalement différents. Tout d'abord, l'analyse du stigmate et le maintien du secret (11) renvoient à la façon dont on réagira collectivement pour faire du sida une maladie comme les autres. En ce qui concerne l'analyse de la gestion de l'incertitude, les personnes seront de plus en plus dans une situation comparable à celle des

(II) Dans une recherche en cours avec Michèle Duroussy sur les changements dans la vie quotidienne des personnes asymptomatiques à long terme, il apparaît que ce problème se pose pour elles, dans les mêmes termes qu'il y a 6 ans et continue à se poser après 10 ans de contamination sans symptôme.

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malades chroniques mais avec des problèmes proches de ceux soulevés dans ce texte, en particulier les moyens mis en place pour éviter le déclenchement de la maladie. Mais c'est surtout l'analyse des stratégies d'ajustement qui devrait être reprise et interrogée car les populations concernées par le VIH se sont diversifiées : le poids de l'histoire collective et les imbrications avec l'histoire individuelle de chacun, sont-ils aussi importants chez les usagers de drogues, les femmes ou les migrants que chez les hommes étudiés en 1990-1991 ?

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SÉROPOSIVITÉ AU VIH 119

ABSTRACT

A subject for the sociology of chronic iilness: the HIV-positive situation?

In the carly eighties, the sudden outbreak of a new viral illness challen- ged the médical sciences, which did not hâve sufficient knowledge to propose a cure. Owing to its charactenstics, this stigmatized illness created a spécial social context. Associated with the return of épidémies and the fear of contagion, AIDS was not an individual but a collective expérience. Hercin, the everyday lives of the HIV-positive and the problems they hâve to face are described. The sociology of chronic illness provides an approach for enquiring into various aspects of their lives, in particular: the keeping of the secret of infection as a way of managing a stigmatized illness ; the reorganization of everyday life in a context of uncertainty; and the relations between individual biographies and collective history.

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RESUMEN

Un objeto para la sociologia de la enfermedad crônica: la situaciôn de los portadores del VIH?

En el principio de los anos 80, la irruption brutal de una enfermedad viral dcstabilizô la medicina y la ciencia que no disponîan de conocimientos suficientes para proponer una terapéutica curativa. Las caracterîsticas de esta enfermedad dicron origen a un contexto social muy peculiar. El sida, enfermedad cstigmatizada asociada al rctorno de la epidemia y al miedo del contagio, no es vivido individualmcnte sino que esta inscrito en una experiencia colcctiva. El objetivo de este articulo es dar cuenta, a partir de la sociologia de la enfermedad crônica, de la vida cotidiana de las per- sonas portadoras del VIH y de los problcmas que deben afrontar. Este enfoque pcrmitc cucstionar y profundizar diferentcs aspectos taies como la importancia de guardar cl secreto en el manejo de una enfermedad estigmatizada, la rcorganizaciôn de una vida cotidiana marcada por la incertidumbre y las relaciones entre biografïa individual c historia colcctiva.