Un nouvel immunomodulateur pour les formes graves de grippe

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20 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2013 - N°450 Un nouvel immunomodulateur pour les formes graves de grippe Les formes sévères de grippe présentent un risque d’évolution fatale, dont l’ori- gine peut faire autant intervenir des phénomènes immuno-pathologiques que le virus lui-même. Des stratégies thérapeutiques ciblant l’immunité sont ainsi prioritaires, d’autant que l’efficaci- té des antiviraux directs, tels l’oseltami- vir (Tamiflu ® ) ou le zanamivir (Relenza ® ), est à la fois inconstante et menacée par la survenue de mutations de résis- tance dans le génome des souches infectantes. Pour lutter contre cet emballement immu- nitaire, des chercheurs lyonnais, associés à des équipes européennes, ont identifié sur la souris un récepteur. Ce récepteur est le Protease-activated receptor-1 (PAR-1), dont la contribution aux réponses inflam- matoires muqueuses était connue mais dont le rôle dans la grippe n’avait jamais été identifié. En administrant à des souris infectées par un virus grippal de type H1N1 un agoniste de ce récepteur, le TFLLR-NH2, les auteurs observent une augmentation de l’inflam- mation pulmonaire viro-induite, associée à une diminution significative de la survie des animaux. Ces effets font intervenir le plas- minogène, un acteur connu de l’inflamma- tion pulmonaire, et s’accompagnent d’une augmentation précoce de la réplication virale dans le poumon. Des souris géné- tiquement déficientes pour le plasmino- gène (souris plg-/plg-) supportent d’ailleurs mieux l’infection aggravée par l’agoniste de PAR-1 ou d’autres infections sévères, utilisant des inoculums viraux élevés. Les souris sont surtout efficacement proté- gées par l’administration d’un antagoniste de PAR-1, une molécule en développe- ment dénommée SCH79797. Cette pro- tection s’observe au cours d’infections associées à l’agoniste TFLL-NH2, ou lors d’infections utilisant des doses létales de virus. Différents isolats du virus influenza A sont sensibles à ce traitement, y com- pris une souche hautement pathogène de type H5N1 et un variant H1N1, résistant à l’oseltamivir, suggérant un spectre large de l’activité de l’antagoniste. Cette approche expérimentale chez l’animal doit maintenant être confrontée aux essais chez l’homme. De ce point de vue, l’élément rassurant est que des molécules très proches sont déjà en cours d’évaluation clinique chez l’homme comme antithrombotiques. Khoufache K, Berri F, Nacken W, et al. J Clin Invest 2012;doi:10.1172/JCI61667. La muqueuse digestive est aujourd’hui considérée comme un organe lymphoïde à part entière, en raison des très nombreuses formations et cellules lymphoïdes qui y résident. L’infection par le VIH induit de façon très précoce des désordres inflamma- toires de cette muqueuse, qui vont notam- ment se traduire par une augmentation de la perméabilité intestinale favorisant le passage dans la circulation sanguine de nombreux composants microbiens. Ces phénomènes de translocation bac- térienne participent de façon majeure à l’activation immunitaire observée au cours de la maladie à VIH, activation délétère car étroitement associée à la déplétion T et à la progression de la mala- die. Le recours à des combinaisons anti- rétrovirales (ARV) puissantes a transformé le pronostic de cette infection, mais la maîtrise de la réplication virale par ces molécules ne permet pas de rétablir chez les patients leur pleine fonctionnalité intestinale, d’où persistance d’un cer- tain niveau d’activation immune chez la majorité des patients traités. L’équipe de Jason Brenchley au NIAID (National institute of AIDS and infectious disease) s’est proposé de combiner un traitement ARV avec un cocktail de pré- et de probiotiques, pour jouer sur les deux tableaux, maîtrise de la réplication virale et amélioration des fonctions intestinales. Ces suppléments digestifs, à la fois bien tolérés et peu coûteux, avaient déjà montré leur intérêt dans d’autres pathologies digestives d’origine inflammatoire. Les combinaisons ont été évaluées sur des singes macaques infectés par le SIV (Simian immunodefi- ciency virus), modèle proche de l’infec- tion humaine, traités pendant 5 mois soit par des ARV seuls, soit par l’association thérapeutique. Les résultats indiquent un effet synergique des deux types de traitement puisque chez les animaux traités par la combinaison, on constate une nette amélioration des fonc- tions immunitaires de leur tube digestif. Ainsi, les cellules présentatrices d’antigènes qui y résident sont à la fois plus nombreuses et plus fonctionnelles, tout comme les cel- lules T CD4 + présentes localement. L’his- tologie digestive se normalise également sous traitement combiné, avec une dimi- nution de l’inflammation digestive et de la fibrose qui atteint habituellement les follicules intestinaux. Si les chiffres de CD4 en péri- phérie ne sont pas différents entre les deux groupes d’animaux traités, les marqueurs sériques d’activation immune sont réduits chez les singes ayant reçu la combinaison thérapeutique, confirmant ainsi l’hypothèse physiopathologique à la base de ce travail. Ces résultats plaident pour la mise en place rapide d’essais contrôlés chez les sujets infectés, afin de confirmer ou non l’effet adjuvant positif de cette supplémentation en probiotiques digestifs. Klatt NR, Canary LA, Sun X, et al. J Clin Invest. 2013;Jan16. pii: 66227. doi: 10.1172/JCI66227 Des probiotiques pour améliorer l’immunité intestinale anti-VIH

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20 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2013 - N°450

Un nouvel immunomodulateur pour les formes graves de grippeLes formes sévères de grippe présentent un risque d’évolution fatale, dont l’ori-gine peut faire autant intervenir des phénomènes immuno-pathologiques que le virus lui-même. Des stratégies thérapeutiques ciblant l’immunité sont ainsi prioritaires, d’autant que l’efficaci-té des antiviraux directs, tels l’oseltami-vir (Tamiflu®) ou le zanamivir (Relenza®), est à la fois inconstante et menacée par la survenue de mutations de résis-tance dans le génome des souches infectantes.Pour lutter contre cet emballement immu-nitaire, des chercheurs lyonnais, associés à des équipes européennes, ont identifié sur la souris un récepteur. Ce récepteur est le Protease-activated receptor-1 (PAR-1), dont la contribution aux réponses inflam-matoires muqueuses était connue mais

dont le rôle dans la grippe n’avait jamais été identifié.En administrant à des souris infectées par un virus grippal de type H1N1 un agoniste de ce récepteur, le TFLLR-NH2, les auteurs observent une augmentation de l’inflam-mation pulmonaire viro-induite, associée à une diminution significative de la survie des animaux. Ces effets font intervenir le plas-minogène, un acteur connu de l’inflamma-tion pulmonaire, et s’accompagnent d’une augmentation précoce de la réplication virale dans le poumon. Des souris géné-tiquement déficientes pour le plasmino-gène (souris plg-/plg-) supportent d’ailleurs mieux l’infection aggravée par l’agoniste de PAR-1 ou d’autres infections sévères, utilisant des inoculums viraux élevés.Les souris sont surtout efficacement proté-gées par l’administration d’un antagoniste

de PAR-1, une molécule en développe-ment dénommée SCH79797. Cette pro-tection s’observe au cours d’infections associées à l’agoniste TFLL-NH2, ou lors d’infections utilisant des doses létales de virus. Différents isolats du virus influenza A sont sensibles à ce traitement, y com-pris une souche hautement pathogène de type H5N1 et un variant H1N1, résistant à l’oseltamivir, suggérant un spectre large de l’activité de l’antagoniste.Cette approche expérimentale chez l’animal doit maintenant être confrontée aux essais chez l’homme. De ce point de vue, l’élément rassurant est que des molécules très proches sont déjà en cours d’évaluation clinique chez l’homme comme antithrombotiques.

Khoufache K, Berri F, Nacken W, et al. J Clin

Invest 2012;doi:10.1172/JCI61667.

La muqueuse digestive est aujourd’hui considérée comme un organe lymphoïde à part entière, en raison des très nombreuses formations et cellules lymphoïdes qui y résident. L’infection par le VIH induit de façon très précoce des désordres inflamma-toires de cette muqueuse, qui vont notam-ment se traduire par une augmentation de la perméabilité intestinale favorisant le passage dans la circulation sanguine de nombreux composants microbiens.Ces phénomènes de translocation bac-térienne participent de façon majeure à l’activation immunitaire observée au cours de la maladie à VIH, activation délétère car étroitement associée à la déplétion T et à la progression de la mala-die. Le recours à des combinaisons anti-rétrovirales (ARV) puissantes a transformé le pronostic de cette infection, mais la maîtrise de la réplication virale par ces molécules ne permet pas de rétablir chez les patients leur pleine fonctionnalité intestinale, d’où persistance d’un cer-

tain niveau d’activation immune chez la majorité des patients traités.L’équipe de Jason Brenchley au NIAID (National institute of AIDS and infectious disease) s’est proposé de combiner un traitement ARV avec un cocktail de pré- et de probiotiques, pour jouer sur les deux tableaux, maîtrise de la réplication virale et amélioration des fonctions intestinales. Ces suppléments digestifs, à la fois bien tolérés et peu coûteux, avaient déjà montré leur intérêt dans d’autres pathologies digestives d’origine inflammatoire. Les combinaisons ont été évaluées sur des singes macaques infectés par le SIV (Simian immunodefi-ciency virus), modèle proche de l’infec-tion humaine, traités pendant 5 mois soit par des ARV seuls, soit par l’association thérapeutique.Les résultats indiquent un effet synergique des deux types de traitement puisque chez les animaux traités par la combinaison, on constate une nette amélioration des fonc-tions immunitaires de leur tube digestif.

Ainsi, les cellules présentatrices d’antigènes qui y résident sont à la fois plus nombreuses et plus fonctionnelles, tout comme les cel-lules T CD4 + présentes localement. L’his-tologie digestive se normalise également sous traitement combiné, avec une dimi-nution de l’inflammation digestive et de la fibrose qui atteint habituellement les follicules intestinaux. Si les chiffres de CD4 en péri-phérie ne sont pas différents entre les deux groupes d’animaux traités, les marqueurs sériques d’activation immune sont réduits chez les singes ayant reçu la combinaison thérapeutique, confirmant ainsi l’hypothèse physiopathologique à la base de ce travail.Ces résultats plaident pour la mise en place rapide d’essais contrôlés chez les sujets infectés, afin de confirmer ou non l’effet adjuvant positif de cette supplémentation en probiotiques digestifs.

Klatt NR, Canary LA, Sun X, et al. J Clin Invest.

2013;Jan16. pii: 66227. doi: 10.1172/JCI66227

Des probiotiques pour améliorer l’immunité intestinale anti-VIH