Tzu-L Art de La Guerre - Les Treize Articles

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  • L'art de la Guerre (Les Treize Articles)Sun Tzu

    (Traducteur: Pre Amiot)

    Publication: 1772Catgorie(s): Non-Fiction, Philosophie, Histoire, MilitaireSource: http://www.ebooksgratuits.com

  • A Propos Sun Tzu:Sun Tzu was a Chinese author of The Art of War, an

    immensely influential ancient Chinese book on militarystrategy. He is also one of the earliest realists ininternational relations theory. The name Sun Tzu ("MasterSun") is an honorific title bestowed upon Sun Wu, theauthor's name. The character wu, meaning "military", is thesame as the character in wu shu, or martial art. Sun Wualso has a courtesy name, Chang Qing. Source: Wikipedia

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  • Article I De lvaluation

    Sun Tzu dit : La guerre est d'une importance vitale pourl'tat. C'est le domaine de la vie et de la mort : laconservation ou la perte de l'empire en dpendent ; il estimprieux de le bien rgler. Ne pas faire de srieusesrflexions sur ce qui le concerne, c'est faire preuve d'unecoupable indiffrence pour la conservation ou pour la pertede ce qu'on a de plus cher, et c'est ce qu'on ne doit pastrouver parmi nous.

    Cinq choses principales doivent faire l'objet de noscontinuelles mditations et de tous nos soins, comme lefont ces grands artistes qui, lorsqu'ils entreprennentquelque chef-d'uvre, ont toujours prsent l'esprit le butqu'ils se proposent, mettent profit tout ce qu'ils voient, toutce qu'ils entendent, ne ngligent rien pour acqurir denouvelles connaissances et tous les secours qui peuventles conduire heureusement leur fin.

    Si nous voulons que la gloire et les succsaccompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdrede vue : la doctrine, le temps, l'espace, lecommandement, la discipline.

    La doctrine fait natre l'unit de penser ; elle nous inspireune mme manire de vivre et de mourir, et nous rendintrpides et inbranlables dans les malheurs et dans lamort.

    Si nous connaissons bien le temps, nous n'ignorerons

  • point ces deux grands principes Yin et Yang par lesquelstoutes les choses naturelles sont formes et par lesquelsles lments reoivent leurs diffrentes modifications ;nous saurons le temps de leur union et de leur mutuelconcours pour la production du froid, du chaud, de lasrnit ou de l'intemprie de l'air.

    L'espace n'est pas moins digne de notre attention que letemps ; tudions le bien, et nous aurons la connaissancedu haut et du bas, du loin comme du prs, du large et del'troit, de ce qui demeure et de ce qui ne fait que passer.

    J'entends par commandement, l'quit, l'amour pourceux en particulier qui nous sont soumis et pour tous leshommes en gnral ; la science des ressources, lecourage et la valeur, la rigueur, telles sont les qualits quidoivent caractriser celui qui est revtu de la dignit degnral ; vertus ncessaires pour l'acquisition desquellesnous ne devons rien ngliger : seules elles peuvent nousmettre en tat de marcher dignement la tte des autres.

    Aux connaissances dont je viens de parler, il faut ajoutercelle de la discipline. Possder l'art de ranger les troupes ;n'ignorer aucune des lois de la subordination et les faireobserver la rigueur ; tre instruit des devoirs particuliersde chacun de nos subalternes ; savoir connatre lesdiffrents chemins par o on peut arriver un mmeterme ; ne pas ddaigner d'entrer dans un dtail exact detoutes les choses qui peuvent servir, et se mettre au fait dechacune d'elles en particulier. Tout cela ensemble forme uncorps de discipline dont la connaissance pratique ne doitpoint chapper la sagacit ni aux attentions d'un gnral.

  • point chapper la sagacit ni aux attentions d'un gnral.Vous donc que le choix du prince a plac la tte des

    armes, jetez les fondements de votre science militaire surles cinq principes que je viens d'tablir. La victoire suivrapartout vos pas : vous n'prouverez au contraire que lesplus honteuses dfaites si, par ignorance ou parprsomption, vous venez les omettre ou les rejeter.

    Les connaissances que je viens d'indiquer vouspermettront de discerner, parmi les princes qui gouvernentle monde, celui qui a le plus de doctrine et de vertus ; vousconnatrez les grands gnraux qui peuvent se trouver dansles diffrents royaumes, de sorte que vous pourrezconjecturer assez srement quel est celui des deuxantagonistes qui doit l'emporter ; et si vous devez entrervous-mme en lice, vous pourrez raisonnablement vousflatter de devenir victorieux.

    Ces mmes connaissances vous feront prvoir lesmoments les plus favorables, le temps et l'espace tantconjugus, pour ordonner le mouvement des troupes et lesitinraires qu'elles devront suivre, et dont vous rglerez propos toutes les marches. Vous ne commencerez ni neterminerez jamais la campagne hors de saison. Vousconnatrez le fort et le faible, tant de ceux qu'on aura confis vos soins que des ennemis que vous aurez combattre.Vous saurez en quelle quantit et dans quel tat setrouveront les munitions de guerre et de bouche des deuxarmes, vous distribuerez les rcompenses avec libralit,mais avec choix, et vous n'pargnerez pas les chtimentsquand il en sera besoin.

  • Admirateurs de vos vertus et de vos capacits, lesofficiers gnraux placs sous votre autorit vous servirontautant par plaisir que par devoir. Ils entreront dans toutesvos vues, et leur exemple entranera infailliblement celuides subalternes, et les simples soldats concourront eux-mmes de toutes leurs forces vous assurer les plusglorieux succs.

    Estim, respect, chri des vtres, les peuples voisinsviendront avec joie se ranger sous les tendards du princeque vous servez, ou pour vivre sous ses lois, ou pourobtenir simplement sa protection.

    galement instruit de ce que vous pourrez et de ce quevous ne pourrez pas, vous ne formerez aucune entreprisequi ne puisse tre mene bonne fin. Vous verrez, avec lamme pntration, ce qui sera loin de vous comme ce quise passera sous vos yeux, et ce qui se passera sous vosyeux comme ce qui en est le plus loign.

    Vous profiterez de la dissension qui surgit chez vosennemis pour attirer les mcontents dans votre parti en neleur mnageant ni les promesses, ni les dons, ni lesrcompenses.

    Si vos ennemis sont plus puissants et plus forts quevous, vous ne les attaquerez point, vous viterez avec ungrand soin ce qui peut conduire un engagement gnral ;vous cacherez toujours avec une extrme attention l'tat ovous vous trouverez.

    Il y aura des occasions o vous vous abaisserez, etd'autres o vous affecterez d'avoir peur. Vous feindrezquelquefois d'tre faible afin que vos ennemis, ouvrant la

  • porte la prsomption et l'orgueil, viennent ou vousattaquer mal propos, ou se laissent surprendre eux-mmes et tailler en pices honteusement. Vous ferez ensorte que ceux qui vous sont infrieurs ne puissent jamaispntrer vos desseins. Vous tiendrez vos troupes toujoursalertes, toujours en mouvement et dans l'occupation, pourempcher qu'elles ne se laissent amollir par un honteuxrepos.

    Si vous prtez quelque intrt aux avantages de mesplans, faites en sorte de crer des situations quicontribuent leur accomplissement.

    J'entends par situation que le gnral agisse bonescient, en harmonie avec ce qui est avantageux, et, par l-mme, dispose de la matrise de l'quilibre.

    Toute campagne guerrire doit tre rgle sur lesemblant ; feignez le dsordre, ne manquez jamais d'offrirun appt l'ennemi pour le leurrer, simulez l'infriorit pourencourager son arrogance, sachez attiser son courrouxpour mieux le plonger dans la confusion : sa convoitise lelancera sur vous pour s'y briser.

    Htez vos prparatifs lorsque vos adversaires seconcentrent ; l o ils sont puissants, vitez-les.

    Plongez l'adversaire dans d'inextricables preuves etprolongez son puisement en vous tenant distance ;veillez fortifier vos alliances au-dehors, et affermir vospositions au-dedans par une politique de soldats-paysans.

    Quel regret que de tout risquer en un seul combat, enngligeant la stratgie victorieuse, et faire dpendre le sortde vos armes d'une unique bataille !

  • Lorsque l'ennemi est uni, divisez-le ; et attaquez l o iln'est point prpar, en surgissant lorsqu'il ne vous attendpoint. Telles sont les clefs stratgiques de la victoire, maisprenez garde de ne point les engager par avance.

    Que chacun se reprsente les valuations faites dans letemple, avant les hostilits, comme des mesures : ellesdisent la victoire lorsqu'elles dmontrent que votre force estsuprieure celle de l'ennemi ; elles indiquent la dfaitelorsqu'elles dmontrent qu'il est infrieur en force.

    Considrez qu'avec de nombreux calculs on peutremporter la victoire, redoutez leur insuffisance. Combiencelui qui n'en fait point a peu de chances de gagner !

    C'est grce cette mthode que j'examine la situation,et l'issue apparatra clairement.

  • Article II De lengagement

    Sun Tzu dit : Je suppose que vous commencez lacampagne avec une arme de cent mille hommes, quevous tes suffisamment pourvu des munitions de guerre etde bouche, que vous avez deux mille chariots, dont millesont pour la course, et les autres uniquement pour letransport ; que jusqu' cent lieues de vous, il y aura partoutdes vivres pour l'entretien de votre arme ; que vous faitestransporter avec soin tout ce qui peut servir auraccommodage des armes et des chariots ; que lesartisans et les autres qui ne sont pas du corps des soldatsvous ont dj prcd ou marchent sparment votresuite ; que toutes les choses qui servent pour des usagestrangers, comme celles qui sont purement pour la guerre,sont toujours couvert des injures de l'air et l'abri desaccidents fcheux qui peuvent arriver.

    Je suppose encore que vous avez mille onces d'argent distribuer aux troupes chaque jour, et que leur solde esttoujours paye temps avec la plus rigoureuse exactitude.Dans ce cas, vous pouvez aller droit l'ennemi. L'attaqueret le vaincre seront pour vous une mme chose.

    Je dis plus : ne diffrez pas de livrer le combat,n'attendez pas que vos armes contractent la rouille, ni quele tranchant de vos pes s'mousse. La victoire est leprincipal objectif de la guerre.

    S'il s'agit de prendre une ville, htez-vous d'en faire le

  • sige ; ne pensez qu' cela, dirigez l toutes vos forces ; ilfaut ici tout brusquer ; si vous y manquez, vos troupescourent le risque de tenir longtemps la campagne, ce quisera une source de funestes malheurs.

    Les coffres du prince que vous servez s'puiseront, vosarmes perdues par la rouille ne pourront plus vous servir,l'ardeur de vos soldats se ralentira, leur courage et leursforces s'vanouiront, les provisions se consumeront, etpeut-tre mme vous trouverez-vous rduit aux plusfcheuses extrmits.

    Instruits du pitoyable tat o vous serez alors, vosennemis sortiront tout frais, fondront sur vous, et voustailleront en pices. Quoique jusqu' ce jour vous ayez jouid'une grande rputation, dsormais vous aurez perdu laface. En vain dans d'autres occasions aurez-vous donndes marques clatantes de votre valeur, toute la gloire quevous aurez acquise sera efface par ce dernier trait.

    Je le rpte : On ne saurait tenir les troupes longtempsen campagne, sans porter un trs grand prjudice l'tatet sans donner une atteinte mortelle sa propre rputation.

    Ceux qui possdent les vrais principes de l'art militairene s'y prennent pas deux fois. Ds la premirecampagne, tout est fini ; ils ne consomment pas pendanttrois annes de suite des vivres inutilement. Ils trouvent lemoyen de faire subsister leurs armes au dpens del'ennemi, et pargnent tat les frais immenses qu'il estoblig de faire, lorsqu'il faut transporter bien loin toutes lesprovisions.

    Ils n'ignorent point, et vous devez le savoir aussi, que rien

  • n'puise tant un royaume que les dpenses de cettenature ; car que l'arme soit aux frontires, ou qu'elle soitdans les pays loigns, le peuple en souffre toujours ;toutes les choses ncessaires la vie augmentent de prix,elles deviennent rares, et ceux mme qui, dans les tempsordinaires, sont le plus leur aise n'ont bientt plus de quoiles acheter.

    Le prince peroit en hte le tribut des denres quechaque famille lui doit ; et la misre se rpandant du seindes villes jusque dans les campagnes, des dix parties duncessaire on est oblig d'en retrancher sept. Il n'est pasjusqu'au souverain qui ne ressente sa part des malheurscommuns. Ses cuirasses, ses casques, ses flches, sesarcs, ses boucliers, ses chars, ses lances, ses javelots,tout cela se dtruira. Les chevaux, les bufs mme quilabourent les terres du domaine dpriront, et, des dixparties de sa dpense ordinaire, se verra contraint d'enretrancher six.

    C'est pour prvenir tous ces dsastres qu'un habilegnral n'oublie rien pour abrger les campagnes, et pourpouvoir vivre aux dpens de l'ennemi, ou tout au moinspour consommer les denres trangres, prix d'argent,s'il le faut.

    Si l'arme ennemie a une mesure de grain dans soncamp, ayez-en vingt dans le vtre ; si votre ennemi a centvingt livres de fourrage pour ses chevaux, ayez-en deuxmille quatre cents pour les vtres. Ne laissez chapperaucune occasion de l'incommoder, faites-le prir en dtail,trouvez les moyens de l'irriter pour le faire tomber dans

  • quelque pige ; diminuez ses forces le plus que vouspourrez, en lui faisant faire des diversions, en lui tuant detemps en temps quelque parti, en lui enlevant de sesconvois, de ses quipages, et d'autres choses qui pourrontvous tre de quelque utilit.

    Lorsque vos gens auront pris sur l'ennemi au-del de dixchars, commencez par rcompenser libralement tant ceuxqui auront conduit l'entreprise que ceux qui l'aurontexcute. Employez ces chars aux mmes usages quevous employez les vtres, mais auparavant tez-en lesmarques distinctives qui pourront s'y trouver.

    Traitez bien les prisonniers, nourrissez-les comme vospropres soldats ; faites en sorte, s'il se peut, qu'ils setrouvent mieux chez vous qu'ils ne le seraient dans leurpropre camp, ou dans le sein mme de leur patrie. Ne leslaissez jamais oisifs, tirez parti de leurs services avec lesdfiances convenables, et, pour le dire en deux mots,conduisez-vous leur gard comme s'ils taient destroupes qui se fussent enrles librement sous vostendards. Voil ce que j'appelle gagner une bataille etdevenir plus fort.

    Si vous faites exactement ce que je viens de vousindiquer, les succs accompagneront tous vos pas, partoutvous serez vainqueur, vous mnagerez la vie de vossoldats, vous affermirez votre pays dans ses anciennespossessions, vous lui en procurerez de nouvelles, vousaugmenterez la splendeur et la gloire de tat, et le princeainsi que les sujets vous seront redevables de la doucetranquillit dans laquelle ils couleront dsormais leurs jours.

  • L'essentiel est dans la victoire et non dans lesoprations prolonges.

    Le gnral qui s'entend dans l'art de la guerre est leministre du destin du peuple et l'arbitre de la destine de lavictoire.

    Quels objets peuvent tre plus dignes de votre attentionet de tous vos efforts !

  • Article III Des propositions de lavictoire et de la dfaite

    Sun Tzu dit : Voici quelques maximes dont vous devez trepntr avant que de vouloir forcer des villes ou gagnerdes batailles.

    Conserver les possessions et tous les droits du princeque vous servez, voil quel doit tre le premier de vossoins ; les agrandir en empitant sur les ennemis, c'est ceque vous ne devez faire que lorsque vous y serez forc.

    Veiller au repos des villes de votre propre pays, voil cequi doit principalement vous occuper ; troubler celui desvilles ennemies, ce ne doit tre que votre pis-aller.

    Mettre couvert de toute insulte les villages amis, voilce quoi vous devez penser ; faire des irruptions dans lesvillages ennemis, c'est ce quoi la ncessit seule doitvous engager.

    Empcher que les hameaux et les chaumires despaysans ne souffrent le plus petit dommage, c'est ce quimrite galement votre attention ; porter le ravage etdvaster les installations agricoles de vos ennemis, c'estce qu'une disette de tout doit seule vous faire entreprendre.

    Conserver les possessions des ennemis est ce quevous devez faire en premier lieu, comme ce qu'il y a deplus parfait ; les dtruire doit tre l'effet de la ncessit. Siun gnral agit ainsi, sa conduite ne diffrera pas de celledes plus vertueux personnages ; elle s'accordera avec le

  • Ciel et la Terre, dont les oprations tendent la productionet la conservation des choses plutt qu' leur destruction.

    Ces maximes une fois bien graves dans votre cur, jesuis garant du succs.

    Je dis plus : la meilleure politique guerrire est deprendre un tat intact ; une politique infrieure celle-ciconsisterait le ruiner.

    Il vaut mieux que l'arme de l'ennemi soit faiteprisonnire plutt que dtruite ; il importe davantage deprendre un bataillon intact que de l'anantir.

    Eussiez-vous cent combats livrer, cent victoires enseraient le fruit.

    Cependant ne cherchez pas dompter vos ennemis auprix des combats et des victoires ; car, s'il y a des cas oce qui est au-dessus du bon n'est pas bon lui-mme, c'enest ici un o plus on s'lve au-dessus du bon, plus ons'approche du pernicieux et du mauvais.

    Il faut plutt subjuguer l'ennemi sans donner bataille : cesera l le cas o plus vous vous lverez au-dessus dubon, plus vous approcherez de l'incomparable et del'excellent.

    Les grands gnraux en viennent bout en dcouvranttous les artifices de l'ennemi, en faisant avorter tous sesprojets, en semant la discorde parmi ses partisans, en lestenant toujours en haleine, en empchant les secourstrangers qu'il pourrait recevoir, et en lui tant toutes lesfacilits qu'il pourrait avoir de se dterminer quelquechose d'avantageux pour lui.

    Sun Tzu dit : Il est d'une importance suprme dans la

  • guerre d'attaquer la stratgie de l'ennemi.Celui qui excelle rsoudre les difficults le fait avant

    qu'elles ne surviennent.Celui qui arrache le trophe avant que les craintes de

    son ennemi ne prennent forme excelle dans la conqute.Attaquez le plan de l'adversaire au moment o il nat.Puis rompez ses alliances.Puis attaquez son arme.La pire des politiques consiste attaquer les cits.N'y consentez que si aucune autre solution ne peut tre

    mise excution.Il faut au moins trois mois pour prparer les chariots

    pars pour le combat, les armes ncessaires etl'quipement, et encore trois mois pour construire des talusle long des murs.

    Si vous tes contraint de faire le sige d'une place et dela rduire, disposez de telle sorte vos chars, vos bouclierset toutes les machines ncessaires pour monter l'assaut,que tout soit en bon tat lorsqu'il sera temps de l'employer.

    Faites en sorte surtout que la reddition de la place nesoit pas prolonge au-del de trois mois. Si, ce termeexpir, vous n'tes pas encore venu bout de vos fins,srement il y aura eu quelques fautes de votre part ;n'oubliez rien pour les rparer. la tte de vos troupes,redoublez vos efforts ; en allant l'assaut, imitez lavigilance, l'activit, l'ardeur et l'opinitret des fourmis.

    Je suppose que vous aurez fait auparavant lesretranchements et les autres ouvrages ncessaires, quevous aurez lev des redoutes pour dcouvrir ce qui se

  • passe chez les assigs, et que vous aurez par tous lesinconvnients que votre prudence vous aura fait prvoir. Si,avec toutes ces prcautions, il arrive que de trois partiesde vos soldats vous ayez le malheur d'en perdre une, sanspouvoir tre victorieux, soyez convaincu que vous n'avezpas bien attaqu.

    Un habile gnral ne se trouve jamais rduit de tellesextrmits ; sans donner des batailles, il sait l'art d'humilierses ennemis ; sans rpandre une goutte de sang, sans tirermme l'pe, il vient bout de prendre les villes ; sansmettre les pieds dans les royaumes trangers, il trouve lemoyen de les conqurir sans oprations prolonges ; etsans perdre un temps considrable la tte de sestroupes, il procure une gloire immortelle au prince qu'il sert,il assure le bonheur de ses compatriotes, et fait quel'Univers lui est redevable du repos et de la paix : tel est lebut auquel tous ceux qui commandent les armes doiventtendre sans cesse et sans jamais se dcourager.

    Votre but demeure de vous saisir de l'empire alors qu'ilest intact ; ainsi vos troupes ne seront pas puises et vosgains seront complets. Tel est l'art de la stratgievictorieuse.

    Il y a une infinit de situations diffrentes dans lesquellesvous pouvez vous trouver par rapport l'ennemi. On nesaurait les prvoir toutes ; c'est pourquoi je n'entre pasdans un plus grand dtail. Vos lumires et votre expriencevous suggreront ce que vous aurez faire, mesure queles circonstances se prsenteront. Nanmoins, je vais vousdonner quelques conseils gnraux dont vous pourrez faire

  • usage l'occasion.Si vous tes dix fois plus fort en nombre que ne l'est

    l'ennemi, environnez-le de toutes parts ; ne lui laissez aucunpassage libre ; faites en sorte qu'il ne puisse ni s'vaderpour aller camper ailleurs, ni recevoir le moindre secours.

    Si vous avez cinq fois plus de monde que lui, disposeztellement votre arme qu'elle puisse l'attaquer par quatrects la fois, lorsqu'il en sera temps.

    Si l'ennemi est une fois moins fort que vous, contentez-vous de partager votre arme en deux.

    Mais si de part et d'autre il y a une mme quantit demonde, tout ce que vous pouvez faire c'est de hasarder lecombat.

    Si, au contraire, vous tes moins fort que lui, soyezcontinuellement sur vos gardes, la plus petite faute seraitde la dernire consquence pour vous. Tchez de vousmettre l'abri, et vitez autant que vous le pourrez d'envenir aux mains avec lui ; la prudence et la fermet d'unpetit nombre de gens peuvent venir bout de lasser et dedompter mme une nombreuse arme. Ainsi vous tes lafois capable de vous protger et de remporter une victoirecomplte.

    Celui qui est la tte des armes peut se regardercomme le soutien de tat, et il l'est en effet. S'il est tel qu'ildoit tre, le royaume sera dans la prosprit ; si aucontraire il n'a pas les qualits ncessaires pour remplirdignement le poste qu'il occupe, le royaume en souffrirainfailliblement et se trouvera peut-tre rduit deux doigtsde sa perte.

  • Un gnral ne peut bien servir tat que d'une faon,mais il peut lui porter un trs grand prjudice de bien desmanires diffrentes.

    Il faut beaucoup d'efforts et une conduite que la bravoureet la prudence accompagnent constamment pour pouvoirrussir : il ne faut qu'une faute pour tout perdre ; et, parmiles fautes qu'il peut faire, de combien de sortes n'y en a-t-ilpas ? S'il lve des troupes hors de saison, s'il les fait sortirlorsqu'il ne faut pas qu'elles sortent, s'il n'a pas uneconnaissance exacte des lieux o il doit les conduire, s'illeur fait faire des campements dsavantageux, s'il lesfatigue hors de propos, s'il les fait revenir sans ncessit,s'il ignore les besoins de ceux qui composent son arme,s'il ne sait pas le genre d'occupation auquel chacun d'euxs'exerait auparavant, afin d'en tirer parti suivant leurstalents ; s'il ne connat pas le fort et le faible de ses gens,s'il n'a pas lieu de compter sur leur fidlit, s'il ne fait pasobserver la discipline dans toute la rigueur, s'il manque dutalent de bien gouverner, s'il est irrsolu et s'il chancelledans les occasions o il faut prendre tout coup son parti,s'il ne fait pas ddommager propos ses soldats lorsqu'ilsauront eu souffrir, s'il permet qu'ils soient vexs sansraison par leurs officiers, s'il ne sait pas empcher lesdissensions qui pourraient natre parmi les chefs ; ungnral qui tomberait dans ces fautes rendrait l'armeboiteuse et puiserait d'hommes et de vivres le royaume,et deviendrait lui-mme la honteuse victime de sonincapacit.

    Sun Tzu dit : Dans le gouvernement des armes il y a

  • sept maux :I. Imposer des ordres pris en Cour selon le bon plaisir

    du prince.II. Rendre les officiers perplexes en dpchant des

    missaires ignorant les affaires militaires.III. Mler les rglements propres l'ordre civil et l'ordre

    militaire.IV. Confondre la rigueur ncessaire au gouvernement de

    tat, et la flexibilit que requiert le commandement destroupes.

    V. Partager la responsabilit aux armes.VI. Faire natre la suspicion, qui engendre le trouble : une

    arme confuse conduit la victoire de l'autre.VII. Attendre les ordres en toute circonstance, c'est

    comme informer un suprieur que vous voulez teindre lefeu : avant que l'ordre ne vous parvienne, les cendres sontdj froides ; pourtant il est dit dans le code que l'on doit enrfrer l'inspecteur en ces matires ! Comme si, enbtissant une maison sur le bord de la route, on prenaitconseil de ceux qui passent ; le travail ne serait pas encoreachev !

    Tel est mon enseignement :Nommer appartient au domaine rserv au souverain,

    dcider de la bataille celui du gnral.Un prince de caractre doit choisir l'homme qui convient,

    le revtir de responsabilits et attendre les rsultats.Pour tre victorieux de ses ennemis, cinq circonstances

    sont ncessaires :I. Savoir quand il est propos de combattre, et quand il

  • convient de se retirer.II. Savoir employer le peu et le beaucoup suivant les

    circonstances.III. Assortir habilement ses rangs.Mensius dit : La saison approprie n'est pas aussi

    importante que les avantages du sol ; et tout cela n'estpas aussi important que l'harmonie des relationshumaines.

    IV. Celui qui, prudent, se prpare affronter l'ennemi quin'est pas encore ; celui-l mme sera victorieux. Tirerprtexte de sa rusticit et ne pas prvoir est le plus granddes crimes ; tre prt en-dehors de toute contingence estla plus grande des vertus.

    V. tre l'abri des ingrences du souverain dans tout cequ'on peut tenter pour son service et la gloire de sesarmes.

    C'est dans ces cinq matires que se trouve la voie de lavictoire.

    Connais ton ennemi et connais-toi toi-mme ; eussiez-vous cent guerres soutenir, cent fois vous serezvictorieux. Si tu ignores ton ennemi et que tu te connaistoi-mme, tes chances de perdre et de gagner serontgales.

    Si tu ignores la fois ton ennemi et toi-mme, tu necompteras tes combats que par tes dfaites.

  • Article IV De la mesure dans ladisposition des moyens

    Sun Tzu dit : Anciennement ceux qui taient exprimentsdans l'art des combats se rendaient invincibles, attendaientque l'ennemi soit vulnrable et ne s'engageaient jamaisdans des guerres qu'ils prvoyaient ne devoir pas finir avecavantage.

    Avant que de les entreprendre, ils taient comme srs dusuccs. Si l'occasion d'aller contre l'ennemi n'tait pasfavorable, ils attendaient des temps plus heureux.

    Ils avaient pour principe que l'on ne pouvait tre vaincuque par sa propre faute, et qu'on n'tait jamais victorieuxque par la faute des ennemis.

    Se rendre invincible dpend de soi, rendre coup srl'ennemi vulnrable dpend de lui-mme.

    tre instruit des moyens qui assurent la victoire n'est pasencore la remporter.

    Ainsi, les habiles gnraux savaient d'abord ce qu'ilsdevaient craindre ou ce qu'ils avaient esprer, et ilsavanaient ou reculaient la campagne, ils donnaientbataille ou ils se retranchaient, suivant les lumires qu'ilsavaient, tant sur l'tat de leurs propres troupes que sur celuides troupes de l'ennemi. S'ils se croyaient plus forts, ils necraignaient pas d'aller au combat et d'attaquer lespremiers. S'ils voyaient au contraire qu'ils fussent plusfaibles, ils se retranchaient et se tenaient sur la dfensive.

  • L'invincibilit se trouve dans la dfense, la possibilit devictoire dans l'attaque.

    Celui qui se dfend montre que sa force est inadquate,celui qui attaque qu'elle est abondante.

    L'art de se tenir propos sur la dfensive ne le cdepoint celui de combattre avec succs.

    Les experts dans la dfense doivent s'enfoncer jusqu'aucentre de la Terre. Ceux, au contraire, qui veulent brillerdans l'attaque doivent s'lever jusqu'au neuvime ciel. Pourse mettre en dfense contre l'ennemi, il faut tre cachdans le sein de la Terre, comme ces veines d'eau dont onne sait pas la source, et dont on ne saurait trouver lessentiers. C'est ainsi que vous cacherez toutes vosdmarches, et que vous serez impntrable. Ceux quicombattent doivent s'lever jusqu'au neuvime ciel ; c'est--dire, il faut qu'ils combattent de telle sorte que l'Universentier retentisse du bruit de leur gloire.

    Sa propre conservation est le but principal qu'on doit seproposer dans ces deux cas. Savoir l'art de vaincrecomme ceux qui ont fourni cette mme carrire avechonneur, c'est prcisment o vous devez tendre ; vouloirl'emporter sur tous, et chercher raffiner dans les chosesmilitaires, c'est risquer de ne pas galer les grandsmatres, c'est s'exposer mme rester infiniment au-dessous d'eux, car c'est ici o ce qui est au-dessus du bonn'est pas bon lui-mme.

    Remporter des victoires par le moyen des combats a tregard de tous temps par l'Univers entier comme quelquechose de bon, mais j'ose vous le dire, c'est encore ici o

  • ce qui est au-dessus du bon est souvent pire que lemauvais. Prdire une victoire que l'homme ordinaire peutprvoir, et tre appel universellement expert, n'est pas lefate de l'habilet guerrire. Car soulever le duvet deslapins en automne ne demande pas grande force ; il ne fautpas avoir les yeux bien pntrants pour dcouvrir le soleilet la lune ; il ne faut pas avoir l'oreille bien dlicate pourentendre le tonnerre lorsqu'il gronde avec fracas ; rien deplus naturel, rien de plus ais, rien de plus simple que toutcela.

    Les habiles guerriers ne trouvent pas plus de difficultsdans les combats ; ils font en sorte de remporter la batailleaprs avoir cr les conditions appropries.

    Ils ont tout prvu ; ils ont par de leur part toutes lesventualits. Ils savent la situation des ennemis, ilsconnaissent leurs forces, et n'ignorent point ce qu'ilspeuvent faire et jusqu'o ils peuvent aller ; la victoire est unesuite naturelle de leur savoir.

    Aussi les victoires remportes par un matre dans l'art dela guerre ne lui rapportaient ni la rputation de sage, ni lemrite d'homme de valeur.

    Qu'une victoire soit obtenue avant que la situation ne sesoit cristallise, voil ce que le commun ne comprend pas.

    C'est pourquoi l'auteur de la prise n'est pas revtu dequelque rputation de sagacit. Avant que la lame de songlaive ne soit recouverte de sang, tat ennemi s'est djsoumis. Si vous subjuguez votre ennemi sans livrercombat, ne vous estimez pas homme de valeur.

    Tels taient nos Anciens : rien ne leur tait plus ais que

  • de vaincre ; aussi ne croyaient-ils pas que les vains titresde vaillants, de hros, d'invincibles fussent un tributd'loges qu'ils eussent mrit. Ils n'attribuaient leur succsqu'au soin extrme qu'ils avaient eu d'viter jusqu' la pluspetite faute.

    viter jusqu' la plus petite faute veut dire que, quoiqu'ilfasse, il s'assure la victoire ; il conquiert un ennemi qui adj subi la dfaite ; dans les plans jamais un dplacementinutile, dans la stratgie jamais un pas de fait en vain. Lecommandant habile prend une position telle qu'il ne peutsubir une dfaite ; il ne manque aucune circonstancepropre lui garantir la matrise de son ennemi.

    Une arme victorieuse remporte l'avantage, avant d'avoircherch la bataille ; une arme voue la dfaite combatdans l'espoir de gagner.

    Ceux qui sont zls dans l'art de la guerre cultivent leTao et prservent les rgulations ; ils sont donc capablesde formuler des politiques de victoire.

    Avant que d'en venir au combat, ils tchaient d'humilierleurs ennemis, ils les mortifiaient, ils les fatiguaient de millemanires. Leurs propres camps taient des lieux toujours l'abri de toute insulte, des lieux toujours couvert de toutesurprise, des lieux toujours impntrables. Ces gnrauxcroyaient que, pour vaincre, il fallait que les troupesdemandassent le combat avec ardeur ; et ils taientpersuads que, lorsque ces mmes troupes demandaientla victoire avec empressement, il arrivait ordinairementqu'elles taient vaincues.

    Ils ne veulent point dans les troupes une confiance trop

  • aveugle, une confiance qui dgnre en prsomption. Lestroupes qui demandent la victoire sont des troupes ouamollies par la paresse, ou timides, ou prsomptueuses.Des troupes au contraire qui, sans penser la victoire,demandent le combat, sont des troupes endurcies autravail, des troupes vraiment aguerries, des troupestoujours sres de vaincre.

    C'est ainsi que d'un ton assur ils osaient prvoir lestriomphes ou les dfaites, avant mme que d'avoir fait unpas pour s'assurer des uns ou pour se prserver desautres.

    Maintenant, voici les cinq lments de l'art de la guerre :I. La mesure de l'espace.II. L'estimation des quantits.III. Les rgles de calcul.IV. Les comparaisons.V. Les chances de victoire.Les mesures de l'espace sont drives du terrain ;les quantits drivent de la mesure ;les chiffres manent des quantits ;les comparaisons dcoulent des chiffres ;et la victoire est le fruit des comparaisons.C'est par la disposition des forces qu'un gnral

    victorieux est capable de mener son peuple au combat,telles les eaux contenues qui, soudain relches, plongentdans un abme sans fond.

    Vous donc, qui tes la tte des armes, n'oubliez rienpour vous rendre digne de l'emploi que vous exercez. Jetezles yeux sur les mesures qui contiennent les quantits, et

  • sur celles qui dterminent les dimensions : rappelez-vousles rgles de calcul ; considrez les effets de la balance ; lavictoire n'est que le fruit d'une supputation exacte.

    Les considrations sur les diffrentes mesures vousconduiront la connaissance de ce que la terre peut offrird'utile pour vous ; vous saurez ce qu'elle produit, et vousprofiterez toujours de ses dons ; vous n'ignorerez point lesdiffrentes routes qu'il faudra tenir pour arriver srement auterme que vous vous serez propos.

    Par le calcul, estimez si l'ennemi peut tre attaqu, etc'est seulement aprs cela que la population doit tremobilise et les troupes leves ; apprenez distribuertoujours propos les munitions de guerre et de bouche, ne jamais donner dans les excs du trop ou du trop peu.

    Enfin, si vous rappelez dans votre esprit les victoires quiont t remportes en diffrents temps, et toutes lescirconstances qui les ont accompagnes, vous n'ignorerezpoint les diffrents usages qu'on en aura faits, et voussaurez quels sont les avantages qu'elles auront procurs,ou quels sont les prjudices qu'elles auront ports auxvainqueurs eux-mmes.

    Un Y surpasse un Tchou. Dans les plateaux d'unebalance, le Y emporte le Tchou. Soyez vos ennemis ceque le Y est au Tchou. [1]

    Aprs un premier avantage, n'allez pas vous endormir ouvouloir donner vos troupes un repos hors de saison.Poussez votre pointe avec la mme rapidit qu'un torrentqui se prcipiterait de mille toises de haut. Que votre

  • ennemi n'ait pas le temps de se reconnatre, et ne pensez recueillir les fruits de votre victoire que lorsque sa dfaiteentire vous aura mis en tat de le faire srement, avecloisir et tranquillit.

  • Article V De la contenance

    Sun Tzu dit : Gnralement, le commandement du grandnombre est le mme que pour le petit nombre, ce n'estqu'une question d'organisation. Contrler le grand et lepetit nombre n'est qu'une seule et mme chose, ce n'estqu'une question de formation et de transmission dessignaux.

    Ayez les noms de tous les officiers tant gnraux quesubalternes ; inscrivez-les dans un catalogue part, avec lanote des talents et de la capacit de chacun d'eux, afin depouvoir les employer avec avantage lorsque l'occasion ensera venue. Faites en sorte que tous ceux que vous devezcommander soient persuads que votre principaleattention est de les prserver de tout dommage.

    Les troupes que vous ferez avancer contre l'ennemidoivent tre comme des pierres que vous lanceriez contredes ufs. De vous l'ennemi, il ne doit y avoir d'autrediffrence que celle du fort au faible, du vide au plein.

    La certitude de subir l'attaque de l'ennemi sans subir unedfaite est fonction de la combinaison entre l'utilisationdirecte et indirecte des forces. [2]

    Usez gnralement des forces directes pour engager labataille, et des forces indirectes pour emporter la dcision.Les ressources de ceux qui sont habiles dans l'utilisationdes forces indirectes sont aussi infinies que celles desCieux et de la Terre, et aussi inpuisables que le cours des

  • grandes rivires.Attaquez dcouvert, mais soyez vainqueur en secret.

    Voil en peu de mots en quoi consiste l'habilet et toute laperfection mme du gouvernement des troupes. Le grandjour et les tnbres, l'apparent et le secret ; voil tout l'art.Ceux qui le possdent sont comparables au Ciel et laTerre, dont les mouvements ne sont jamais sans effet : ilsressemblent aux fleuves et aux mers dont les eaux nesauraient tarir. Fussent-ils plongs dans les tnbres de lamort, ils peuvent revenir la vie ; comme le soleil et la lune,ils ont le temps o il faut se montrer, et celui o il fautdisparatre ; comme les quatre saisons, ils ont les varitsqui leur conviennent ; comme les cinq tons de la musique,comme les cinq couleurs, comme les cinq gots, ilspeuvent aller l'infini. Car qui a jamais entendu tous lesairs qui peuvent rsulter de la diffrente combinaison destons ? Qui a jamais vu tout ce que peuvent prsenter lescouleurs diffremment nuances ? Qui a jamais savourtout ce que les gots diffremment temprs peuvent offrird'agrable ou de piquant ? On n'assigne cependant quecinq couleurs et cinq sortes de got.

    Dans l'art militaire, et dans le bon gouvernement destroupes, il n'y a certes que deux sortes de forces ; leurscombinaisons tant sans limites, personne ne peut toutesles comprendre. Ces forces sont mutuellement productiveset agissent entre elles. Ce serait dans la pratique unechane d'oprations dont on ne saurait voir le bout, tels cesanneaux multiples et entremls qu'il faut assembler pourformer un annulaire, c'est comme une roue en mouvement

  • qui n'a ni commencement ni fin.Dans l'art militaire, chaque opration particulire a des

    parties qui demandent le grand jour, et des parties quiveulent les tnbres du secret. Vouloir les assigner, cela nese peut ; les circonstances peuvent seules les faireconnatre et les dterminer. On oppose les plus grandsquartiers de rochers des eaux rapides dont on veutresserrer le lit : on n'emploie que des filets faibles et dlispour prendre les petits oiseaux. Cependant, le fleuve romptquelquefois ses digues aprs les avoir mines peu peu,et les oiseaux viennent bout de briser les chanes qui lesretiennent, force de se dbattre.

    C'est par son lan que l'eau des torrents se heurte contreles rochers ; c'est sur la mesure de la distance que se rglele faucon pour briser le corps de sa proie.

    Ceux-l possdent vritablement l'art de bien gouvernerles troupes, qui ont su et qui savent rendre leur puissanceformidable, qui ont acquis une autorit sans borne, qui nese laissent abattre par aucun vnement, quelque fcheuxqu'il puisse tre ; qui ne font rien avec prcipitation ; qui seconduisent, lors mme qu'ils sont surpris, avec le sang-froid qu'ils ont ordinairement dans les actions mdites etdans les cas prvus longtemps auparavant, et qui agissenttoujours dans tout ce qu'ils font avec cette promptitude quin'est gure que le fruit de l'habilet, jointe une longueexprience. Ainsi l'lan de celui qui est habile dans l'art dela guerre est irrsistible, et son attaque est rgle avecprcision.

    Le potentiel de ces sortes de guerriers est comme celui

  • de ces grands arcs totalement bands, tout plie sous leurscoups, tout est renvers. Tels qu'un globe qui prsente unegalit parfaite entre tous les points de sa surface, ils sontgalement forts partout ; partout leur rsistance est lamme. Dans le fort de la mle et d'un dsordre apparent,ils savent garder un ordre que rien ne saurait interrompre,ils font natre la force du sein mme de la faiblesse, ils fontsortir le courage et la valeur du milieu de la poltronnerie etde la pusillanimit.

    Mais savoir garder un ordre merveilleux au milieu mmedu dsordre, cela ne se peut sans avoir fait auparavant deprofondes rflexions sur tous les vnements qui peuventarriver.

    Faire natre la force du sein mme de la faiblesse, celan'appartient qu' ceux qui ont une puissance absolue etune autorit sans bornes (par le mot de puissance il ne fautpas entendre ici domination, mais cette facult qui faitqu'on peut rduire en acte tout ce qu'on se propose).Savoir faire sortir le courage et la valeur du milieu de lapoltronnerie et de la pusillanimit, c'est tre hros soi-mme, c'est tre plus que hros, c'est tre au-dessus desplus intrpides.

    Un commandant habile recherche la victoire dans lasituation et ne l'exige pas de ses subordonns.

    Quelque grand, quelque merveilleux que tout celaparaisse, j'exige cependant quelque chose de plus encorede ceux qui gouvernent les troupes : c'est l'art de fairemouvoir son gr les ennemis. Ceux qui le possdent, cetart admirable, disposent de la contenance de leurs gens et

  • de l'arme qu'ils commandent, de telle sorte qu'ils font venirl'ennemi toutes les fois qu'ils le jugent propos ; ils saventfaire des libralits quand il convient, ils en font mme ceux qu'ils veulent vaincre : ils donnent l'ennemi etl'ennemi reoit, ils lui abandonnent et il vient prendre. Ilssont prts tout ; ils profitent de toutes les circonstances ;toujours mfiants ils font surveiller les subordonns qu'ilsemploient et, se mfiant d'eux-mmes, ils ne ngligentaucun moyen qui puisse leur tre utile.

    Ils regardent les hommes, contre lesquels ils doiventcombattre, comme des pierres ou des pices de boisqu'ils seraient chargs de faire rouler de haut en bas.

    La pierre et le bois n'ont aucun mouvement de leurnature ; s'ils sont une fois en repos, ils n'en sortent pasd'eux-mmes, mais ils suivent le mouvement qu'on leurimprime ; s'ils sont carrs, ils s'arrtent d'abord ; s'ils sontronds, ils roulent jusqu' ce qu'ils trouvent une rsistanceplus forte que la force qui leur tait imprime.

    Faites en sorte que l'ennemi soit entre vos mainscomme une pierre de figure ronde, que vous auriez fairerouler d'une montagne qui aurait mille toises de haut : laforce qui lui est imprime est minime, les rsultats sontnormes. C'est en cela qu'on reconnatra que vous avez dela puissance et de l'autorit.

  • Article VI Du plein et du vide

    Sun Tzu dit : Une des choses les plus essentielles que vousayez faire avant le combat, c'est de bien choisir le lieu devotre campement. Pour cela il faut user de diligence, il nefaut pas se laisser prvenir par l'ennemi, il faut tre campavant qu'il ait eu le temps de vous reconnatre, avant mmequ'il ait pu tre instruit de votre marche. La moindrengligence en ce genre peut tre pour vous de la dernireconsquence. En gnral, il n'y a que du dsavantage camper aprs les autres.

    Celui qui est capable de faire venir l'ennemi de sapropre initiative le fait en lui offrant quelque avantage ; etcelui qui est dsireux de l'en empcher le fait en leblessant.

    Celui qui est charg de la conduite d'une arme, ne doitpoint se fier d'autres pour un choix de cette importance ;il doit faire quelque chose de plus encore. S'il estvritablement habile, il pourra disposer son gr ducampement mme et de toutes les marches de sonennemi. Un grand gnral n'attend pas qu'on le fasse aller,il sait faire venir. Si vous faites en sorte que l'ennemicherche se rendre de son plein gr dans les lieux o voussouhaitez prcisment qu'il aille, faites en sorte aussi de luiaplanir toutes les difficults et de lever tous les obstaclesqu'il pourrait rencontrer ; de crainte qu'alarm par lesimpossibilits qu'il suppute, o les inconvnients trop

  • manifestes qu'il dcouvre, il renonce son dessein. Vousen serez pour votre travail et pour vos peines, peut-tremme pour quelque chose de plus.

    La grande science est de lui faire vouloir tout ce quevous voulez qu'il fasse, et de lui fournir, sans qu'il s'enaperoive, tous les moyens de vous seconder.

    Aprs que vous aurez ainsi dispos du lieu de votrecampement et de celui de l'ennemi lui-mme, attendeztranquillement que votre adversaire fasse les premiresdmarches ; mais en attendant, tchez de l'affamer aumilieu de l'abondance, de lui procurer du tracas dans lesein du repos, et de lui susciter mille terreurs dans le tempsmme de sa plus grande scurit.

    Si, aprs avoir longtemps attendu, vous ne voyez pasque l'ennemi se dispose sortir de son camp, sortez vous-mme du vtre ; par votre mouvement provoquez le sien,donnez-lui de frquentes alarmes, faites-lui natrel'occasion de faire quelque imprudence dont vous puissieztirer du profit.

    S'il s'agit de garder, gardez avec force : ne vousendormez point. S'il s'agit d'aller, allez promptement, allezsrement par des chemins qui ne soient connus que devous.

    Rendez-vous dans des lieux o l'ennemi ne puisse passouponner que vous ayez dessein d'aller. Sortez tout coup d'o il ne vous attend pas, et tombez sur lui lorsqu'il ypensera le moins.

    Pour tre certain de prendre ce que vous attaquez, il fautdonner l'assaut l o il ne se protge pas ; pour tre certain

  • de garder ce que vous dfendez, il faut dfendre un endroitque l'ennemi n'attaque pas.

    Si aprs avoir march assez longtemps, si par vosmarches et contre-marches vous avez parcouru l'espacede mille lieues sans que vous ayez reu encore aucundommage, sans mme que vous ayez t arrt,concluez : ou que l'ennemi ignore vos desseins, ou qu'il apeur de vous, ou qu'il ne fait pas garder les postes quipeuvent tre de consquence pour lui. vitez de tomberdans un pareil dfaut.

    Le grand art d'un gnral est de faire en sorte quel'ennemi ignore toujours le lieu o il aura combattre, et delui drober avec soin la connaissance des postes qu'il faitgarder. S'il en vient bout, et qu'il puisse cacher de mmejusqu'aux moindres de ses dmarches, ce n'est passeulement un habile gnral, c'est un hommeextraordinaire, c'est un prodige. Sans tre vu, il voit ; ilentend, sans tre entendu ; il agit sans bruit et disposecomme il lui plat du sort de ses ennemis.

    De plus, si, les armes tant dployes, vousn'apercevez pas qu'il y ait un certain vide qui puisse vousfavoriser, ne tentez pas d'enfoncer les bataillons ennemis.Si, lorsqu'ils prennent la fuite, ou qu'ils retournent sur leurspas, ils usent d'une extrme diligence et marchent en bonordre, ne tentez pas de les poursuivre ; ou, si vous lespoursuivez, que ce ne soit jamais ni trop loin, ni dans lespays inconnus. Si, lorsque vous avez dessein de livrer labataille, les ennemis restent dans leurs retranchements,n'allez pas les y attaquer, surtout s'ils sont bien retranchs,

  • s'ils ont de larges fosss et des murailles leves qui lescouvrent. Si, au contraire, croyant qu'il n'est pas proposde livrer le combat, vous voulez l'viter, tenez-vous dansvos retranchements, et disposez-vous soutenir l'attaqueet faire quelques sorties utiles.

    Laissez fatiguer les ennemis, attendez qu'ils soient ou endsordre ou dans une trs grande scurit ; vous pourrezsortir alors et fondre sur eux avec avantage. Ayezconstamment une extrme attention ne jamais sparerles diffrents corps de vos armes. Faites qu'ils puissenttoujours se soutenir aisment les uns les autres ; aucontraire, faites faire l'ennemi le plus de diversion qu'il sepourra. S'il se partage en dix corps, attaquez chacun d'euxsparment avec votre arme toute entire ; c'est levritable moyen de combattre toujours avec avantage. Decette sorte, quelque petite que soit votre arme, le grandnombre sera toujours de votre ct.

    Que l'ennemi ne sache jamais comment vous avezl'intention de le combattre, ni la manire dont vous vousdisposez l'attaquer, ou vous dfendre. Car, s'il seprpare au front, ses arrires seront faibles ; s'il se prpare l'arrire, son front sera fragile ; s'il se prpare sagauche, sa droite sera vulnrable ; s'il se prpare sadroite, sa gauche sera affaiblie ; et s'il se prpare en touslieux, il sera partout en dfaut. S'il l'ignore absolument, ilfera de grands prparatifs, il tchera de se rendre fort detous les cts, il divisera ses forces, et c'est justement cequi fera sa perte.

    Pour vous, n'en faites pas de mme : que vos

  • principales forces soient toutes du mme ct ; si vousvoulez attaquer de front, faites choix d'un secteur, et mettez la tte de vos troupes tout ce que vous avez de meilleur.On rsiste rarement un premier effort, comme, aucontraire, on se relve difficilement quand on d'abord dudessous. L'exemple des braves suffit pour encourager lesplus lches. Ceux-ci suivent sans peine le chemin qu'onleur montre, mais ils ne sauraient eux-mmes le frayer. Sivous voulez faire donner l'aile gauche, tournez tous vosprparatifs de ce ct-l, et mettez l'aile droite ce quevous avez de plus faible ; mais si vous voulez vaincre parl'aile droite, que ce soit l'aile droite aussi que soient vosmeilleures troupes et toute votre attention.

    Celui qui dispose de peu d'hommes doit se prparercontre l'ennemi, celui qui en a beaucoup doit faire en sorteque l'ennemi se prpare contre lui.

    Ce n'est pas tout. Comme il est essentiel que vousconnaissiez fond le lieu o vous devez combattre, il n'estpas moins important que vous soyez instruit du jour, del'heure, du moment mme du combat ; c'est une affaire decalcul sur laquelle il ne faut pas vous ngliger. Si l'ennemiest loin de vous, sachez, jour par jour, le chemin qu'il fait,suivez-le pas pas, quoique en apparence vous restiezimmobile dans votre camp ; voyez tout ce qu'il fait, quoiquevos yeux ne puissent pas aller jusqu' lui ; coutez tous lesdiscours, quoique vous soyez hors de porte del'entendre ; soyez tmoin de toute sa conduite, entrezmme dans le fond de son cur pour y lire ses craintes ouses esprances.

  • Pleinement instruit de tous ses desseins, de toutes sesmarches, de toutes ses actions, vous le ferez venir chaquejour prcisment o vous voulez qu'il arrive. En ce cas,vous l'obligerez camper de manire que le front de sonarme ne puisse pas recevoir du secours de ceux qui sont la queue, que l'aile droite ne puisse pas aider l'ailegauche, et vous le combattrez ainsi dans le lieu et autemps qui vous conviendront le plus.

    Avant le jour dtermin pour le combat, ne soyez ni troploin ni trop prs de l'ennemi. L'espace de quelques lieuesseulement est le terme qui doit vous en approcher le plus,et dix lieues entires sont le plus grand espace que vousdeviez laisser entre votre arme et la sienne.

    Ne cherchez pas avoir une arme trop nombreuse, latrop grande quantit de monde est souvent plus nuisiblequ'elle n'est utile. Une petite arme bien discipline estinvincible sous un bon gnral. quoi servaient au roid'Yue les belles et nombreuses cohortes qu'il avait surpied, lorsqu'il tait en guerre contre le roi de Ou ? Celui-ci,avec peu de troupes, avec une poigne de monde, levainquit, le dompta, et ne lui laissa, de tous ses tats, qu'unsouvenir amer, et la honte ternelle de les avoir si malgouverns.

    Je dis que la victoire peut tre cre ; mme si l'ennemiest en nombre, je peux l'empcher d'engager le combat ;car, s'il ignore ma situation militaire, je peux faire en sortequ'il se proccupe de sa propre prparation : ainsi je luite le loisir d'tablir les plans pour me battre.

    I. Dtermine les plans de l'ennemi et tu sauras quelle

  • stratgie sera couronne de succs et celle qui ne le serapas.

    II. Perturbe-le et fais-lui dvoiler son ordre de bataille.III. Dtermine ses dispositions et fais-lui dcouvrir son

    champ de bataille.IV. Mets-le l'preuve et apprends o sa force est

    abondante et o elle est dficiente.V. La suprme tactique consiste disposer ses troupes

    sans forme apparente ; alors les espions les pluspntrants ne peuvent fureter et les sages ne peuventtablir des plans contre vous.

    VI. C'est selon les formes que j'tablis des plans pour lavictoire, mais la multitude ne le comprend gure. Bien quetous puissent voir les aspects extrieurs, personne ne peutcomprendre la voie selon laquelle j'ai cr la victoire.

    VII. Et quand j'ai remport une bataille, je ne rpte pasma tactique, mais je rponds aux circonstances selon unevarit infinie de voies.

    Cependant si vous n'aviez qu'une petite arme, n'allezpas mal propos vouloir vous mesurer avec une armenombreuse ; vous avez bien des prcautions prendreavant que d'en venir l. Quand on a les connaissances dontj'ai parl plus haut, on sait s'il faut attaquer, ou se tenirsimplement sur la dfensive ; on sait quand il faut restertranquille, et quand il est temps de se mettre enmouvement ; et si l'on est forc de combattre, on sait si l'onsera vainqueur ou vaincu. voir simplement la contenancedes ennemis, on peut conclure sa victoire ou sa dfaite, saperte ou son salut. Encore une fois, si vous voulez attaquer

  • le premier, ne le faites pas avant d'avoir examin si vousavez tout ce qu'il faut pour russir.

    Au moment de dclencher votre action, lisez dans lespremiers regards de vos soldats ; soyez attentif leurspremiers mouvements ; et par leur ardeur ou leurnonchalance, par leur crainte ou leur intrpidit, concluezau succs ou la dfaite. Ce n'est point un prsagetrompeur que celui de la premire contenance d'une armeprte livrer le combat. Il en est telle qui ayant remport laplus signale victoire aurait t entirement dfaite si labataille s'tait livre un jour plus tt, ou quelques heuresplus tard.

    Il en doit tre des troupes peu prs comme d'une eaucourante. De mme que l'eau qui coule vite les hauteurset se hte vers le pays plat, de mme une arme vite laforce et frappe la faiblesse.

    Si la source est leve, la rivire ou le ruisseau coulentrapidement. Si la source est presque de niveau, ons'aperoit peine de quelque mouvement. S'il se trouvequelque vide, l'eau le remplit d'elle-mme ds qu'elle trouvela moindre issue qui la favorise. S'il y a des endroits troppleins, l'eau cherche naturellement se dcharger ailleurs.

    Pour vous, si, en parcourant les rangs de votre arme,vous voyez qu'il y a du vide, il faut le remplir ; si voustrouvez du surabondant, il faut le diminuer ; si vousapercevez du trop haut, il faut l'abaisser ; s'il y du trop bas,il faut le relever.

    L'eau, dans son cours, suit la situation du terrain danslequel elle coule ; de mme, votre arme doit s'adapter au

  • terrain sur lequel elle se meut. L'eau qui n'a point de pentene saurait couler ; des troupes qui ne sont pas bienconduites ne sauraient vaincre.

    Le gnral habile tirera parti des circonstances mmeles plus dangereuses et les plus critiques. Il saura faireprendre la forme qu'il voudra, non seulement l'arme qu'ilcommande mais encore celle des ennemis.

    Les troupes, quelles qu'elles puissent tre, n'ont pas desqualits constantes qui les rendent invincibles ; les plusmauvais soldats peuvent changer en bien et devenird'excellents guerriers.

    Conduisez-vous conformment ce principe ; ne laissezchapper aucune occasion, lorsque vous la trouverezfavorable. Les cinq lments ne sont pas partout ni toujoursgalement purs ; les quatre saisons ne se succdent pasde la mme manire chaque anne ; le lever et le coucherdu soleil ne sont pas constamment au mme point del'horizon. Parmi les jours, certains sont longs, d'autrescourts. La lune crot et dcrot et n'est pas toujoursgalement brillante. Une arme bien conduite et biendiscipline imite propos toutes ces varits.

  • Article VII De laffrontement direct etindirect

    Sun Tzu dit : Aprs que le gnral aura reu du souverainl'ordre de tenir la campagne, il rassemble les troupes etmobilise le peuple ; il fait de l'arme un ensembleharmonieux. Maintenant il doit mettre son attention leurprocurer des campements avantageux, car c'est de lprincipalement que dpend la russite de ses projets et detoutes ses entreprises. Cette affaire n'est pas d'uneexcution aussi facile qu'on pourrait bien se l'imaginer ; lesdifficults s'y rencontrent souvent sans nombre, et de toutesespces ; il ne faut rien oublier pour les aplanir et pour lesvaincre.

    Les troupes une fois campes, il faut tourner ses vues duct du prs et du loin, des avantages et des pertes, dutravail et du repos, de la diligence et de la lenteur ; c'est--dire qu'il faut rendre prs ce qui est loin, tirer profit de sespertes mme, substituer un utile travail un honteux repos,convertir la lenteur en diligence ; il faut que vous soyez prslorsque l'ennemi vous croit bien loin ; que vous ayez unavantage rel lorsque l'ennemi croit vous avoir occasionnquelques pertes ; que vous soyez occup de quelque utiletravail lorsqu'il vous croit enseveli dans le repos, et quevous usiez de toute sorte de diligence lorsqu'il ne croitapercevoir dans vous que de la lenteur : c'est ainsi qu'en luidonnant le change, vous l'endormirez lui-mme pour

  • pouvoir l'attaquer lorsqu'il y pensera le moins, et sans qu'ilait le temps de se reconnatre.

    L'art de profiter du prs et du loin consiste tenirl'ennemi loign du lieu que vous aurez choisi pour votrecampement, et de tous les postes qui vous paratront dequelque consquence. Il consiste loigner de l'ennemitout ce qui pourrait lui tre avantageux, et rapprocher devous tout ce dont vous pourrez tirer quelque avantage. Ilconsiste ensuite vous tenir continuellement sur vosgardes pour n'tre pas surpris, et veiller sans cesse pourpier le moment de surprendre votre adversaire.

    Ainsi prenez une voie indirecte et divertissez l'ennemi enlui prsentant le leurre [3] ; de cette faon vous pouvez vousmettre en route aprs lui, et arriver avant lui. Celui qui estcapable de faire cela comprend l'approche directe etindirecte.

    De plus : ne vous engagez jamais dans de petitesactions que vous ne soyez sr qu'elles tourneront votreavantage, et encore ne le faites point si vous n'y tescomme forc, mais surtout gardez-vous bien de vousengager une action gnrale si vous n'tes commeassur d'une victoire complte. Il est trs dangereux d'avoirde la prcipitation dans des cas semblables ; une bataillerisque mal propos peut vous perdre entirement : lemoins qu'il puisse vous arriver, si l'vnement en estdouteux, ou que vous ne russissiez qu' demi, c'est devous voir frustr de la plus grande partie de vosesprances, et de ne pouvoir parvenir vos fins.

    Avant que d'en venir un combat dfinitif, il faut que vous

  • l'ayez prvu, et que vous y soyez prpar depuislongtemps ; ne comptez jamais sur le hasard dans tout ceque vous ferez en ce genre. Aprs que vous aurez rsolude livrer la bataille, et que les prparatifs en seront djfaits, laissez en lieu de sret tout le bagage inutile, faitesdpouiller vos gens de tout ce qui pourrait les embarrasserou les surcharger ; de leurs armes mmes, ne leur laissezque celles qu'ils peuvent porter aisment.

    Veillez, lorsque vous abandonnez votre camp dansl'espoir d'un avantage probable, ce que celui-ci soitsuprieur aux approvisionnements que vous abandonnezsrement.

    Si vous devez aller un peu loin, marchez jour et nuit ;faites le double du chemin ordinaire ; que l'lite de vostroupes soit la tte ; mettez les plus faibles la queue.

    Prvoyez tout, disposez tout, et fondez sur l'ennemilorsqu'il vous croit encore cent lieues d'loignement :dans ce cas, je vous annonce la victoire.

    Mais si ayant faire cent lieues de chemin avant que depouvoir l'atteindre, vous n'en faites de votre ct quecinquante, et que l'ennemi s'tant avanc en fait autant ; dedix parties, il y en a cinq que vous serez vaincu, comme detrois parties il y en a deux que vous serez vainqueur. Sil'ennemi n'apprend que vous allez lui que lorsqu'il ne vousreste plus que trente lieues faire pour pouvoir le joindre, ilest difficile que, dans le peu de temps qui lui reste, ilpuisse pourvoir tout et se prparer vous recevoir.

    Sous prtexte de faire reposer vos gens, gardez-vousbien de manquer l'attaque, ds que vous serez arriv. Un

  • ennemi surpris est demi vaincu ; il n'en est pas de mmes'il a le temps de se reconnatre ; bientt, il peut trouver desressources pour vous chapper, et peut-tre mme pourvous perdre.

    Ne ngligez rien de tout ce qui peut contribuer au bonordre, la sant, la sret de vos gens tant qu'ils serontsous votre conduite ; ayez grand soin que les armes de vossoldats soient toujours en bon tat. Faites en sorte que lesvivres soient sains, et ne leur manquent jamais ; ayezattention ce que les provisions soient abondantes, etrassembles temps, car si vos troupes sont mal armes,s'il y a disette de vivres dans le camp, et si vous n'avez pasd'avance toutes les provisions ncessaires, il est difficileque vous puissiez russir.

    N'oubliez pas d'entretenir des intelligences secrtesavec les ministres trangers, et soyez toujours instruit desdesseins que peuvent avoir les princes allis ou tributaires,des intentions bonnes ou mauvaises de ceux qui peuventinfluer sur la conduite du matre que vous servez, et vousattirer vos ordres ou des dfenses qui pourraient traverservos projets et rendre par l tous vos soins inutiles.

    Votre prudence et votre valeur ne sauraient tenirlongtemps contre leurs cabales ou leurs mauvais conseils.Pour obvier cet inconvnient, consultez-les danscertaines occasions, comme si vous aviez besoin de leurslumires : que tous leurs amis soient les vtres ; ne soyezjamais divis d'intrt avec eux, cdez-leur dans les petiteschoses, en un mot entretenez l'union la plus troite qu'ilvous sera possible.

  • Ayez une connaissance exacte et de dtail de tout ce quivous environne ; sachez o il y a une fort, un petit bois,une rivire, un ruisseau, un terrain aride et pierreux, un lieumarcageux et malsain, une montagne, une colline, unepetite lvation, un vallon, un prcipice, un dfil, un champouvert, enfin tout ce qui peut servir ou nuire aux troupes quevous commandez. S'il arrive que vous soyez hors d'tat depouvoir tre instruit par vous-mme de l'avantage ou dudsavantage du terrain, ayez des guides locaux surlesquels vous puissiez compter srement.

    La force militaire est rgle sur sa relation au semblant.Dplacez-vous quand vous tes votre avantage, et

    crez des changements de situation en dispersant etconcentrant les forces.

    Dans les occasions o il s'agira d'tre tranquille, qu'ilrgne dans votre camp une tranquillit semblable cellequi rgne au milieu des plus paisses forts. Lorsque, aucontraire, il s'agira de faire des mouvements et du bruit,imitez le fracas du tonnerre ; s'il faut tre ferme dans votreposte, soyez-y immobile comme une montagne ; s'il fautsortir pour aller au pillage, ayez l'activit du feu ; s'il fautblouir l'ennemi, soyez comme un clair ; s'il faut cachervos desseins, soyez obscur comme les tnbres. Gardez-vous sur toutes choses de faire jamais aucune sortie envain. Lorsque vous ferez tant que d'envoyer quelquedtachement, que ce soit toujours dans l'esprance, ou,pour mieux dire, dans la certitude d'un avantage rel. Pourviter les mcontentements, faites toujours une exacte etjuste rpartition de tout ce que vous aurez enlev

  • l'ennemi.Celui qui connat l'art de l'approche directe et indirecte

    sera victorieux. Voil l'art de l'affrontement. tout ce que je viens de dire, il faut ajouter la manire

    de donner vos ordres et de les faire excuter. Il est desoccasions et des campements o la plupart de vos gensne sauraient ni vous voir ni vous entendre ; les tambours,les tendards et les drapeaux peuvent suppler votre voixet votre prsence. Instruisez vos troupes de tous lessignaux que vous pouvez employer. Si vous avez fairedes volutions pendant la nuit, faites excuter des ordresau bruit d'un grand nombre de tambours. Si, au contraire,c'est pendant le jour qu'il faut que vous agissiez, employezles drapeaux et les tendards pour faire savoir vosvolonts.

    Le fracas d'un grand nombre de tambours servirapendant la nuit autant jeter l'pouvante parmi vosennemis qu' ranimer le courage de vos soldats : l'clatd'un grand nombre d'tendards, la multitude de leursvolutions, la diversit de leurs couleurs, et la bizarrerie deleur assemblage, en instruisant vos gens, les tiendronttoujours en haleine pendant le jour, les occuperont et leurrjouiront le cur, en jetant le trouble et la perplexit danscelui de vos ennemis.

    Ainsi, outre l'avantage que vous aurez de faire savoirpromptement toutes vos volonts votre arme entiredans le mme moment, vous aurez encore celui de lasservotre ennemi, en le rendant attentif tout ce qu'il croit quevous voulez entreprendre, de lui faire natre des doutes

  • continuels sur la conduite que vous devez tenir, et de luiinspirer d'ternelles frayeurs.

    Si quelque brave veut sortir seul hors des rangs pouraller provoquer l'ennemi, ne le permettez point ; il arriverarement qu'un tel homme puisse revenir. Il prit pourl'ordinaire, ou par la trahison, ou accabl par le grandnombre.

    Lorsque vous verrez vos troupes bien disposes, nemanquez pas de profiter de leur ardeur : c'est l'habiletdu gnral faire natre les occasions et distinguerlorsqu'elles sont favorables ; mais il ne doit pas ngligerpour cela de prendre l'avis des officiers gnraux, ni deprofiter de leurs lumires, surtout si elles ont le biencommun pour objet.

    On peut voler une arme son esprit et lui drober sonadresse, de mme que le courage de son commandant.

    Au petit matin, les esprits sont pntrants ; durant lajourne, ils s'alanguissent, et le soir, ils rentrent lamaison.

    Mei Yao-tchen dit que matin, journe et soirreprsentent les phases d'une longue campagne.

    Lors donc que vous voudrez attaquer l'ennemi,choisissez, pour le faire avec avantage, le temps o lessoldats sont censs devoir tre faibles ou fatigus. Vousaurez pris auparavant vos prcautions, et vos troupesreposes et fraches auront de leur ct l'avantage de laforce et de la vigueur. Tel est le contrle du facteur moral.

    Si vous voyez que l'ordre rgne dans les rangs ennemis,attendez qu'il soit interrompu, et que vous aperceviez

  • attendez qu'il soit interrompu, et que vous aperceviezquelque dsordre. Si leur trop grande proximit vousoffusque ou vous gne, loignez-vous afin de vous placerdans des dispositions plus sereines. Tel est le contrle dufacteur mental.

    Si vous voyez qu'ils ont de l'ardeur, attendez qu'elle seralentisse et qu'ils soient accabls sous le poids de l'ennuiou de la fatigue. Tel est le contrle du facteur physique.

    S'ils se sauvent sur des lieux levs, ne les y poursuivezpoint ; si vous tes vous-mme dans des lieux peufavorables, ne soyez pas longtemps sans changer desituation. N'engagez pas le combat lorsque l'ennemidploie ses bannires bien ranges et de formations enrang impressionnant ; voil le contrle des facteurs dechangement des circonstances.

    Si, rduits au dsespoir, ils viennent pour vaincre oupour prir, vitez leur rencontre.

    un ennemi encercl vous devez laisser une voie desortie.

    Si les ennemis rduits l'extrmit abandonnent leurcamp et veulent se frayer un chemin pour aller camperailleurs, ne les arrtez pas.

    S'ils sont agiles et lestes, ne courez pas aprs eux ; s'ilsmanquent de tout, prvenez leur dsespoir.

    Ne vous acharnez pas sur un ennemi aux abois.Voil peu prs ce que j'avais vous dire sur les

    diffrents avantages que vous devez tcher de vousprocurer lorsque la tte d'une arme vous aurez vousmesurer avec des ennemis qui, peut-tre aussi prudents et

  • aussi vaillants que vous, ne pourraient tre vaincus, si vousn'usez de votre part des petits stratagmes dont je viensde parler.

  • Article VIII Des neuf changements

    Sun Tzu dit : Ordinairement l'emploi des armes relve ducommandant en chef, aprs que le souverain l'a mandatpour mobiliser le peuple et assembler l'arme.

    I. Si vous tes dans des lieux marcageux, dans les lieuxo il y a craindre les inondations, dans les lieux couvertsd'paisses forts ou de montagnes escarpes, dans deslieux dserts et arides, dans des lieux o il n'y a que desrivires et des ruisseaux, dans des lieux enfin d'o vous nepuissiez aisment tirer du secours, et o vous ne seriezappuy d'aucune faon, tchez d'en sortir le pluspromptement qu'il vous sera possible. Allez chercherquelque endroit spacieux et vaste o vos troupes puissents'tendre, d'o elles puissent sortir aisment, et o vosallis puissent sans peine vous porter les secours dontvous pourriez avoir besoin.

    II. vitez, avec une extrme attention, de camper dansdes lieux isols ; ou si la ncessit vous y force, n'y restezqu'autant de temps qu'il en faut pour en sortir. Prenez sur-le-champ des mesures efficaces pour le faire en sret eten bon ordre.

    III. Si vous vous trouvez dans des lieux loigns dessources, des ruisseaux et des puits, o vous ne trouviezpas aisment des vivres et du fourrage, ne tardez pas devous en tirer. Avant que de dcamper, voyez si le lieu quevous choisissez est l'abri par quelque montagne au

  • moyen de laquelle vous soyez couvert des surprises del'ennemi, si vous pouvez en sortir aisment, et si vous yavez les commodits ncessaires pour vous procurer lesvivres et les autres provisions ; s'il est tel, n'hsitez point vous en emparer.

    IV. Si vous tes dans un lieu de mort, cherchezl'occasion de combattre. J'appelle lieu de mort ces sortesd'endroits o l'on a aucune ressource, o l'on dpritinsensiblement par l'intemprie de l'air, o les provisionsse consument peu peu sans esprance d'en pouvoir fairede nouvelles ; o les maladies, commenant se mettredans l'arme, semblent devoir y faire bientt de grandsravages. Si vous vous trouvez dans de telles circonstances,htez-vous de livrer quelque combat. Je vous rponds quevos troupes n'oublieront rien pour bien se battre. Mourir dela main des ennemis leur paratra quelque chose de biendoux au prix de tous les maux qu'ils voient prts fondresur eux et les accabler.

    V. Si, par hasard ou par votre faute, votre arme serencontrait dans des lieux plein de dfils, o l'on pourraitaisment vous tendre des embches, d'o il ne serait pasais de vous sauver en cas de poursuite, o l'on pourraitvous couper les vivres et les chemins, gardez-vous bien d'yattaquer l'ennemi ; mais si l'ennemi vous y attaque,combattez jusqu' la mort. Ne vous contentez pas dequelque petit avantage ou d'une demi victoire ; ce pourraittre une amorce pour vous dfaire entirement. Soyezmme sur vos gardes, aprs que vous aurez eu toutes lesapparences d'une victoire complte.

  • VI. Quand vous saurez qu'une ville, quelque petite qu'ellesoit, est bien fortifie et abondamment pourvue demunitions de guerre et de bouche, gardez-vous bien d'enaller faire le sige ; et si vous n'tes instruit de l'tat o ellese trouve qu'aprs que le sige en aura t ouvert, ne vousobstinez pas vouloir le continuer, vous courrez le risquede voir toutes vos forces chouer contre cette place, quevous serez enfin contraint d'abandonner honteusement.

    VII. Ne ngligez pas de courir aprs un petit avantagelorsque vous pourrez vous le procurer srement et sansaucune perte de votre part. Plusieurs de ces petitsavantages qu'on pourrait acqurir et qu'on ngligeoccasionnent souvent de grandes pertes et desdommages irrparables.

    VIII. Avant de songer vous procurer quelque avantage,comparez-le avec le travail, la peine, les dpenses et lespertes d'hommes et de munitions qu'il pourra vousoccasionner. Sachez peu prs si vous pourrez leconserver aisment ; aprs cela, vous vous dterminerez le prendre ou le laisser suivant les lois d'une saineprudence.

    IX. Dans les occasions o il faudra prendre promptementson parti, n'allez pas vouloir attendre les ordres du prince.S'il est des cas o il faille agir contre des ordres reus,n'hsitez pas, agissez sans crainte. La premire etprincipale intention de celui qui vous met la tte de sestroupes est que vous soyez vainqueur des ennemis. S'ilavait prvu la circonstance o vous vous trouvez, il vousaurait dict lui-mme la conduite que vous voulez tenir.

  • Voil ce que j'appelle les neuf changements ou les neufcirconstances principales qui doivent vous engager changer la contenance ou la position de votre arme, changer de situation, aller ou revenir, attaquer ou vous dfendre, agir ou vous tenir en repos. Un bongnral ne doit jamais dire : Quoi qu'il arrive, je ferai tellechose, j'irai l, j'attaquerai l'ennemi, j'assigerai telleplace. La circonstance seule doit le dterminer ; il ne doitpas s'en tenir un systme gnral, ni une manireunique de gouverner. Chaque jour, chaque occasion,chaque circonstance demande une application particuliredes mmes principes. Les principes sont bons en eux-mmes ; mais l'application qu'on en fait les rend souventmauvais.

    Un grand gnral doit savoir l'art des changements. S'ils'en tient une connaissance vague de certains principes, une application routinire des rgles de l'art, si sesmthodes de commandement sont dpourvues desouplesse, s'il examine les situations conformment quelques schmas, s'il prend ses rsolutions d'unemanire mcanique, il ne mrite pas de commander.

    Un gnral est un homme qui, par le rang qu'il occupe,se trouve au-dessus d'une multitude d'autres hommes ; ilfaut par consquent qu'il sache gouverner les hommes ; ilfaut qu'il sache les conduire ; il faut qu'il soit vritablementau-dessus d'eux, non pas seulement par sa dignit, maispar son esprit, par son savoir, par sa capacit, par saconduite, par sa fermet, par son courage et par sesvertus. Il faut qu'il sache distinguer les vrais d'avec les faux

  • vertus. Il faut qu'il sache distinguer les vrais d'avec les fauxavantages, les vritables pertes d'avec ce qui n'en a quel'apparence ; qu'il sache compenser l'un par l'autre et tirerparti de tout. Il faut qu'il sache employer propos certainsartifices pour tromper l'ennemi, et qu'il se tienne sanscesse sur ses gardes pour n'tre pas tromp lui-mme. Ilne doit ignorer aucun des piges qu'on peut lui tendre, ildoit pntrer tous les artifices de l'ennemi, de quelquenature qu'ils puissent tre, mais il ne doit pas pour celavouloir deviner. Tenez-vous sur vos gardes, voyez-le venir,clairez ses dmarches et toute sa conduite, et concluez.Vous courriez autrement le risque de vous tromper et d'trela dupe ou la triste victime de vos conjectures prcipites.

    Si vous voulez n'tre jamais effray par la multitude devos travaux et de vos peines, attendez-vous toujours toutce qu'il y aura de plus dur et de plus pnible. Travaillezsans cesse susciter des peines l'ennemi. Vous pourrezle faire de plus d'une faon, mais voici ce qu'il y ad'essentiel en ce genre.

    N'oubliez rien pour lui dbaucher ce qu'il y aura de mieuxdans son parti : offres, prsents, caresses, que rien ne soitomis. Trompez mme s'il le faut : engagez les gensd'honneur qui sont chez lui des actions honteuses etindignes de leur rputation, des actions dont ils aient lieude rougir quand elles seront sues, et ne manquez pas deles faire divulguer.

    Entretenez des liaisons secrtes avec ce qu'il y a de plusvicieux chez les ennemis ; servez-vous-en pour aller vosfins, en leur joignant d'autres vicieux.

    Traversez leur gouvernement, semez la dissension parmi

  • leurs chefs, fournissez des sujets de colre aux uns contreles autres, faites-les murmurer contre leurs officiers,ameutez les officiers subalternes contre leurs suprieurs,faites en sorte qu'ils manquent de vivres et de munitions,rpandez parmi eux quelques airs d'une musiquevoluptueuse qui leur amollisse le cur, envoyez-leur desfemmes pour achever de les corrompre, tchez qu'ilssortent lorsqu'il faudra qu'ils soient dans leur camp, et qu'ilssoient tranquilles dans leur camp lorsqu'il faudrait qu'ilstinssent la campagne ; faites leur donner sans cesse defausses alarmes et de faux avis ; engagez dans vosintrts les gouverneurs de leurs provinces ; voil peuprs ce que vous devez faire, si vous voulez tromper parl'adresse et par la ruse.

    Ceux des gnraux qui brillaient parmi nos Ancienstaient des hommes sages, prvoyants, intrpides et dursau travail. Ils avaient toujours leurs sabres pendus leurscts, ils ne prsumaient jamais que l'ennemi ne viendraitpas, ils taient toujours prts tout vnement, ils serendaient invincibles et, s'ils rencontraient l'ennemi, ilsn'avaient pas besoin d'attendre du secours pour semesurer avec lui. Les troupes qu'ils commandaient taientbien disciplines, et toujours disposes faire un coup demain au premier signal qu'ils leur en donnaient.

    Chez eux la lecture et l'tude prcdaient la guerre et lesy prparaient. Ils gardaient avec soin leurs frontires, et nemanquaient pas de bien fortifier leurs villes. Ils n'allaientpas contre l'ennemi, lorsqu'ils taient instruits qu'il avait faittous ses prparatifs pour les bien recevoir ; ils l'attaquaient

  • par ses endroits faibles, et dans le temps de sa paresse etde son oisivet.

    Avant que de finir cet article, je dois vous prvenir contrecinq sortes de dangers, d'autant plus redouter qu'ilsparaissent moins craindre, cueils funestes contrelesquels la prudence et la bravoure ont chou plus d'unefois.

    I. Le premier est une trop grande ardeur affronter lamort ; ardeur tmraire qu'on honore souvent des beauxnoms de courage, d'intrpidit et de valeur, mais qui, aufond, ne mrite gure que celui de lchet. Un gnral quis'expose sans ncessit, comme le ferait un simple soldat,qui semble chercher les dangers et la mort, qui combat etqui fait combattre jusqu' la dernire extrmit, est unhomme qui mrite de mourir. C'est un homme sans tte,qui ne saurait trouver aucune ressource pour se tirer d'unmauvais pas ; c'est un lche qui ne saurait souffrir lemoindre chec sans en tre constern, et qui se croitperdu si tout ne lui russit.

    II. Le deuxime est une trop grande attention conserverses jours. On se croit ncessaire l'arme entire ; onn'aurait garde de s'exposer ; on n'oserait pour cette raisonse pourvoir de vivres chez l'ennemi ; tout fait ombrage, toutfait peur ; on est toujours en suspens, on ne se dtermine rien, on attend une occasion plus favorable, on perd cellequi se prsente, on ne fait aucun mouvement ; maisl'ennemi, qui est toujours attentif, profite de tout, et faitbientt perdre toute esprance un gnral ainsi prudent.Il l'enveloppera, il lui coupera les vivres et le fera prir par le

  • trop grand amour qu'il avait de conserver sa vie.III. Le troisime est une colre prcipite. Un gnral qui

    ne sait pas se modrer, qui n'est pas matre de lui-mme,et qui se laisse aller aux premiers mouvementsd'indignation ou de colre, ne saurait manquer d'tre ladupe des ennemis. Ils le provoqueront, ils lui tendront millepiges que sa fureur l'empchera de reconnatre, et danslesquels il donnera infailliblement.

    IV. Le quatrime est un point d'honneur mal entendu. Ungnral ne doit pas se piquer mal propos, ni hors deraison ; il doit savoir dissimuler ; il ne doit point sedcourager aprs quelque mauvais succs, ni croire quetout est perdu parce qu'il aura fait quelque faute ou qu'ilaura reu quelque chec. Pour vouloir rparer son honneurlgrement bless, on le perd quelquefois sansressources.

    V. Le cinquime, enfin, est une trop grandecomplaisance ou une compassion trop tendre pour lesoldat. Un gnral qui n'ose punir, qui ferme les yeux sur ledsordre, qui craint que les siens ne soient toujoursaccabls sous le poids du travail, et qui n'oserait pour cetteraison leur en imposer, est un gnral propre tout perdre.Ceux d'un rang infrieur doivent avoir des peines ; il fauttoujours avoir quelque occupation leur donner ; il fautqu'ils aient toujours quelque chose souffrir. Si vous vouleztirer parti de leur service, faites en sorte qu'ils ne soientjamais oisifs. Punissez avec svrit, mais sans trop derigueur. Procurez des peines et du travail, mais jusqu' uncertain point.

  • Un gnral doit se prmunir contre tous ces dangers.Sans trop chercher vivre ou mourir, il doit se conduireavec valeur et avec prudence, suivant que lescirconstances l'exigent.

    S'il a de justes raisons de se mettre en colre, qu'il lefasse, mais que ce ne soit pas en tigre qui ne connataucun frein.

    S'il croit que son honneur est bless, et qu'il veuille lerparer, que ce soit en suivant les rgles de la sagesse, etnon pas les caprices d'une mauvaise honte.

    Qu'il aime ses soldats, qu'il les mnage, mais que cesoit avec discrtion.

    S'il livre des batailles, s'il fait des mouvements dans soncamp, s'il assige des villes, s'il fait des excursions, qu'iljoigne la ruse la valeur, la sagesse la force des armes ;qu'il rpare tranquillement ses fautes lorsqu'il aura eu lemalheur d'en faire ; qu'il profite de toutes celles de sonennemi, et qu'il le mette souvent dans l'occasion d'en fairede nouvelles.

  • Article IX De la distribution desmoyens

    Sun Tzu dit : Avant que de faire camper vos troupes,sachez dans quelle position sont les ennemis, mettez-vousau fait du terrain et choisissez ce qu'il y aura de plusavantageux pour vous. On peut rduire quatre pointsprincipaux ces diffrentes situations.

    I. Si vous tes dans le voisinage de quelque montagne,gardez-vous bien de vous emparer de la partie qui regardele nord ; occupez au contraire le ct du midi : cetavantage n'est pas d'une petite consquence. Depuis lepenchant de la montagne, tendez-vous en sret jusquebien avant dans les vallons ; vous y trouverez de l'eau et dufourrage en abondance ; vous y serez gay par la vue dusoleil, rchauff par ses rayons, et l'air que vous yrespirerez sera tout autrement salubre que celui que vousrespireriez de l'autre ct. Si les ennemis viennent parderrire la montagne dans le dessein de vous surprendre,instruit par ceux que vous aurez plac sur la cime, vousvous retirerez loisir, si vous ne vous croyez pas en tat deleur faire tte ; ou vous les attendrez de pied ferme pour lescombattre si vous jugez que vous puissiez tre vainqueursans trop risquer. Cependant ne combattez sur leshauteurs que lorsque la ncessit vous y engagera, surtoutn'y allez jamais chercher l'ennemi.

    II. Si vous tes auprs de quelque rivire, approchez-

  • vous le plus que vous pourrez de sa source ; tchez d'enconnatre tous les bas-fonds et tous les endroits qu'on peutpasser gu. Si vous avez la passer, ne le faites jamaisen prsence de l'ennemi ; mais si les ennemis, plus hardis,ou moins prudents que vous, veulent en hasarder lepassage, ne les attaquez point que la moiti de leurs gensne soit de l'autre ct ; vous combattrez alors avec toutl'avantage de deux contre un. Prs des rivires mmestenez toujours les hauteurs, afin de pouvoir dcouvrir auloin ; n'attendez pas l'ennemi prs des bords, n'allez pasau-devant de lui ; soyez toujours sur vos gardes de peurqu'tant surpris vous n'ayez pas un lieu pour vous retirer encas de malheur.

    III. Si vous tes dans des lieux glissants, humides,marcageux et malsains, sortez-en le plus vite que vouspourrez ; vous ne sauriez vous y arrter sans tre exposaux plus grands inconvnients ; la disette des vivres et lesmaladies viendraient bientt vous y assiger. Si vous tescontraint d'y rester, tchez d'en occuper les bords ; gardez-vous bien d'aller trop avant. S'il y a des forts aux environs,laissez-les derrire vous.

    IV. Si vous tes en plaine dans des lieux unis et secs,ayez toujours votre gauche dcouvert ; mnagez derrirevous quelque lvation d'o vos gens puissent dcouvrir auloin. Quand le devant de votre camp ne vous prsenteraque des objets de mort, ayez soin que les lieux qui sontderrire puissent vous offrir des secours contre l'extrmencessit.

    Tels sont les avantages des diffrents campements ;

  • avantages prcieux, d'o dpend la plus grande partie dessuccs militaires. C'est en particulier parce qu'il possdait fond l'art des campements que l'Empereur Jaunetriompha de ses ennemis et soumit ses lois tous lesprinces voisins de ses tats

    Il faut conclure de tout ce que je viens de dire que leshauteurs sont en gnral plus salutaires aux troupes queles lieux bas et profonds. Dans les lieux levs mmes, il ya un choix faire : c'est de camper toujours du ct dumidi, parce que c'est l qu'on trouve l'abondance et lafertilit. Un campement de cette nature est un avant-coureur de la victoire. Le contentement et la sant, qui sontla suite ordinaire d'une bonne nourriture prise sous un cielpur, donnent du courage et de la force au soldat, tandis quela tristesse, le mcontentement et les maladies l'puisent,l'nervent, le rendent pusillanime et le dcouragententirement.

    Il faut conclure encore que les campements prs desrivires ont leurs avantages qu'il ne faut pas ngliger, etleurs inconvnients qu'il faut tcher d'viter avec un grandsoin. Je ne saurais trop vous le rpter, tenez le haut de larivire, laissez-en le courant aux ennemis. Outre que lesgus sont beaucoup plus frquents vers la source, les eauxen sont plus pures et plus salubres.

    Lorsque les pluies auront form quelque torrent, ouqu'elles auront grossi le fleuve ou la rivire dont vousoccupez les bords, attendez quelque temps avant que devous mettre en marche ; surtout ne vous hasardez pas passer de l'autre ct, attendez pour le faire que les eaux

  • aient repris la tranquillit de leur cours ordinaire. Vous enaurez des preuves certaines si vous n'entendez plus uncertain bruit sourd, qui tient plus du frmissement que dumurmure, si vous ne voyez plus d'cume surnager, et si laterre ou le sable ne coulent plus avec l'eau.

    Pour ce qui est des dfils et des lieux entrecoups pardes prcipices et par des rochers, des lieux marcageuxet glissants, des lieux troits et couverts, lorsque lancessit ou le hasard vous y aura conduit, tirez-vous-en leplus tt qu'il vous sera possible, loignez-vous-en le plus ttque vous pourrez. Si vous en tes loin, l'ennemi en seraprs. Si vous fuyez, l'ennemi poursuivra et tombera peut-tre dans les dangers que vous venez d'viter.

    Vous devez encore tre extrmement en garde contreune autre espce de terrain. Il est des lieux couverts debroussailles ou de petits bois ; il en est qui sont pleins dehauts et de bas, o l'on est sans cesse ou sur des collinesou dans des vallons, dfiez-vous-en ; soyez dans uneattention continuelle. Ces sortes de lieux peuvent trepleins d'embuscades ; l'ennemi peut sortir chaque instantvous surprendre, tomber sur vous et vous tailler en pices.Si vous en tes loin, n'en approchez pas ; si vous en tesprs, ne vous mettez pas en mouvement que vous n'ayezfait reconnatre tous les environs. Si l'ennemi vient vous yattaquer, faites en sorte qu'il ait tout le dsavantage duterrain de son ct. Pour vous, ne l'attaquez que lorsquevous le verrez dcouvert.

    Enfin, quel que soit le lieu de votre campement, bon oumauvais, il faut que vous en tiriez parti ; n'y soyez jamais

  • oisif, ni sans faire quelque tentative ; clairez toutes lesdmarches des ennemis ; ayez des espions de distanceen distance, jusqu'au milieu de leur camp, jusque sous latente de leur gnral. Ne ngligez rien de tout ce qu'onpourra vous rapporter, faites attention tout.

    Si ceux de vos gens que vous avez envoys ladcouverte vous font dire que les arbres sont enmouvement, quoique par un temps calme, concluez quel'ennemi est en marche. Il peut se faire qu'il veuille venir vous ; disposez toutes choses, prparez-vous le bienrecevoir, allez mme au-devant de lui.

    Si l'on vous rapporte que les champs sont couvertsd'herbes, et que ces herbes sont fort hautes, tenez-voussans cesse sur vos gardes ; veillez continuellement, depeur de quelque surprise.

    Si l'on vous dit qu'on a vu des oiseaux attroups volerpar bandes sans s'arrter, soyez en dfiance ; on vientvous espionner ou vous tendre des piges ; mais si, outreles oiseaux, on voit encore un grand nombre dequadrupdes courir la campagne, comme s'ils n'avaientpoint de gte, c'est une marque que les ennemis sont auxaguets.

    Si l'on vous rapporte qu'on aperoit au loin destourbillons de poussire s'lever dans les airs, concluezque les ennemis sont en marche. Dans les endroits o lapoussire est basse et paisse sont les gens de pied ;dans les endroits o elle est moins paisse et plus levesont la cavalerie et les chars.

    Si l'on vous avertit que les ennemis sont disperss et ne

  • marchent que par pelotons, c'est une marque qu'ils ont eu traverser quelque bois, qu'ils ont fait des abattis, et qu'ilssont fatigus ; ils cherchent alors se rassembler.

    Si vous apprenez qu'on aperoit dans les campagnesdes gens de pied et des hommes cheval aller et venir,disperss et l par petites bandes, ne doutez pas queles ennemis ne soient camps.

    Tels sont les indices gnraux dont vous devez tcher deprofiter, tant pour savoir la position de ceux avec lesquelsvous devez vous mesurer que pour faire avorter leursprojets, et vous mettre couvert de toute surprise de leurpart. En voici quelques autres auxquels vous devez uneplus particulire attention.

    Lorsque ceux de vos espions qui sont prs du camp desennemis vous feront savoir qu'on y parle bas et d'unemanire mystrieuse, que ces ennemis sont modestesdans leur faon d'agir et retenus dans tous leurs discours,concluez qu'ils pensent une action gnrale, et qu'ils enfont dj les prparatifs : allez eux sans perdre de temps.Ils veulent vous surprendre, surprenez-les vous-mme.

    Si vous apprenez au contraire qu'ils sont bruyants, fierset hautains dans leurs discours, soyez certain qu'ilspensent la retraite et qu'ils n'ont nullement envie d'envenir aux mains.

    Lorsqu'on