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Albin Michel Pierre Delion avec la collaboration de Pascale Leroy Tout ne se joue pas avant trois ans

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Albin Michel

Pierre Delion

avec la collaboration de Pascale Leroy

Tout ne se joue pas avant trois ans

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© Éditions Albin Michel, 2008

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À tous mes amis du collectif«þPas de zéro de conduite pour les enfants de trois ansþ»,

et plus particulièrement au groupe des fondateurs.

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Avant-propos

Il faut le dire haut et fort, et avec véhémenceþ: tout n’estpas joué à trois ans, ou même à sept ans, le fameux âge deraison. On pensait que c’était chose entendue. Hélas, leséchos de l’actualité tendent à affirmer que nous serions tel-lement déterminés par nos gènes et nos premières annéesque, passé la date fatidique des trente-six mois, le destind’un enfant serait tout tracé. En tout cas, il serait prévisi-ble, grâce notamment à quelques signes cliniques, essen-tiellement les plus «þalarmantsþ», présentés à cet âge-là.

Il ne s’agit pas pour autant de nier l’importance ni desgènes ni des trois premières années, mais d’inciter à laprudence… et à la raisonþ! Le développement de l’enfantest en effet pris entre des forces qui le surdéterminent etd’autres qui, au contraire, surgissant des aléas de la vie,des rencontres qu’elle propose, peuvent contribuer àchanger bien des choses, offrant à chacun des possibilitésde «þréparationþ». Ce sont ces dernières que l’on a ten-dance à oublier aujourd’hui.

Tout a commencé en septembreþ2005. L’Institut natio-nal de la santé et de la recherche médicale (Inserm, orga-

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nisation médico-scientifique puissante et justementréputée) publie alors un rapport consacré aux «þtroublesdes conduites chez les enfants1þ». Nous ignorons encoreque fin octobre et début novembre seront chauds dans lesbanlieues des grandes villes françaises, le nombre de voi-tures brûlées n’étant qu’un indicateur très secondaire de lagravité des tensions entre les communautés humaines.

Nous ignorons également que des hommes politiquespréparent des propositions rendues publiques sous formede rapports sur «þla prévention de la délinquanceþ». Dansle rapport Benisti2 notamment, commandé par NicolasSarkozy alors ministre de l’Intérieur3, on lit ainsi que desdispositifs doivent être mis en place, visant «þà dépister,dès les trois premières années de la vie, les enfants dontl’instabilité émotionnelle (impulsivité, intolérance aux frus-trations, non-maîtrise de notre langue) va engendrer cetteviolence et venir alimenter les faits de délinquanceþ».

Parmi les propositions de dispositifsþ: «þDes suivissanitaires et médicaux réguliers doivent être opérés dansles structures de garde de la petite enfance pour détecteret prendre en charge, dès le plus jeune âge, ceux quimontrent des troubles comportementaux. Les servicesde protection maternelle infantile (PMI) peuvent alors

1. Cf. l’article paru dans Le Monde, du 23þseptembre 2005sous la signature de Cécile Prieur.

2. BenistiþJ.þA., «þRapport préliminaire de la commission deprévention du groupe d’études parlementaire sur la sécurité inté-rieureþ», 20þjanvier 2005.

3. Le Monde, 20þjanvier 2006.

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Avant-propos

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entrer en action.þ» En quelques phrases, tout est dit, oupresque. On nous montre comment on peut passerd’une politique de prévention nécessaire et bien articuléeavec la santé publique, notamment en matière de souf-france psychique, à une politique de détournement desforces sanitaires et médico-sociales pour un travail dedépistage à visée prédictive des troubles du compor-tement. À partir de tels rapports, il peut paraître simplede déterminer les aides aux enfants concernés, les devoirsqui doivent s’imposer à leurs parents et, surtout, de dres-ser la liste des futurs suspects de la délinquance, en ban-lieue et ailleurs. Au passage, il est bon d’incriminer tousles services centrés sur l’enfance, responsables d’avoirlaissé «þéchapperþ» les responsables des événements de2005 lorsqu’ils étaient encore jeunes et qu’il était tempsde les «þredresserþ».

À partir de là, le doute n’est plus possibleþ: les conclu-sions et propositions du rapport de l’Inserm et, plusencore, l’utilisation qui peut en être faite par des hommespolitiques plus pressés d’obtenir des semblants de résultatsque rigoureux sur le plan éthique rendent ce rapportextrêmement dangereux, même si, pour l’instant, il sem-ble avoir été mis de côté, au moins en partie. Il n’empêcheque, comme on dit, le ver est dans le fruit…

Lorsque l’on reprend les attendus du rapport, les pro-fessionnels sont invités à repérer des facteurs de risquesprénataux, périnataux, génétiques, environnementaux etliés au tempérament et à la personnalité, comme parexemple des «þtraits de caractère tels que la tendance à lamanipulation, le cynismeþ» et la «þnotion d’héritabilité

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du trouble des conduitesþ». Plus inquiétant encore, lesenfants de trente-six mois présentant des symptômesd’«þindocilité, hétéroagressivité, faible contrôle émotion-nel, impulsivité, indice de moralité basþ» seraient soumisà une batterie de tests, élaborés sur la base des théoriesde neuropsychologie comportementaliste qui permettentde repérer toute «þdévianceþ» à une norme établie selonles critères de la littérature scientifique anglo-saxonne.Avec une telle approche déterministe du développementet suivant un implacable principe de linéarité, le moindregeste d’opposition, les premières bêtises risquent d’êtreinterprétés comme l’expression d’une personnalité patho-logique. Il conviendrait alors de les neutraliser au plus vitepar une série de mesures associant rééducation et psycho-thérapieþ; et, en attendant leur disparition, ils seraientnotés dans un carnet de santé aux objectifs renouvelés.L’administration de médicaments, psychostimulants etthymorégulateurs (régulateurs de l’humeur), devrait per-mettre de venir à bout des plus récalcitrants, à partir desix ans.

L’expertise Inserm, en médicalisant à outrance desphénomènes d’ordre éducatif, psychologique et social,entretient la confusion entre malaise social et souffrancepsychique. La problématique n’est pas nouvelle, hélas.Un auteur comme Jean-Pierre Lebrun avait déjà attirénotre attention dans un texte fort et profond, Un mondesans limite1. À la suite des critiques fondamentales deMichel Foucault, Roland Gori et Marie-José Del Volgo

1. LebrunþJ.-P., Un monde sans limite, Érès, 1997.

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Avant-propos

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parlent de «þbiopolitiqueþ» et proposent le concept de«þsanté totalitaire1þ». Plus récemment, les premiers rédac-teurs de la pétition s’élevant contre le rapport Inserm,Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans, Chris-tine Bellas Cabane et Pierre Suesser, dénonçaient cou-rageusement les tendances dangereuses d’un tel projet desociétéþ: «þEn stigmatisant comme pathologique toutemanifestation vive d’opposition, inhérente au dévelop-pement de l’enfant, en isolant les symptômes de leursignification dans le parcours de chacun, en les considé-rant comme facteurs prédictifs de délinquance, l’aborddu développement singulier de l’être humain est nié et lapensée soignante risque d’être standardisée voire roboti-sée à des fins politiques, sécuritaires. Au contraire, plutôtque de tenter le dressage ou le rabotage des comporte-ments, il convient de reconnaître la souffrance psychiquede certains enfants à travers leur subjectivité naissante etde leur permettre de bénéficier d’une palette thérapeuti-que plus variée, quand bien même c’est la thérapeutiquequi peut apporter une solution, ce qui n’est pas toujoursle cas, en association avec les aspects pédagogiques, édu-catifs, et sous l’égide de la fonction parentale2.þ»

Mon propos n’est pourtant pas de minimiser les choses.Les symptômes évoqués sont évidemment préoccupants.C’est le cas de la froideur affective d’un enfant venant de

1. Del Volgo M.-J., GoriþR., La Santé totalitaire, essai sur lamédicalisation de l’existence, Denoël, 2005.

2. Collectif, Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans,Érès, 2006, p.þ14.

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faire une grosse bêtise et ne semblant pas en éprouver lemoindre regret vis-à-vis des victimes de son acteþ; et dela grande impulsivité, cette difficulté à contenir en soile moindre mouvement envieux… S’il est important derepérer ces signes, encore faut-il savoir dans quel butþ:est-ce pour mettre en place des stratégies visant à lescomprendre afin de mieux les amender ou est-ce, aucontraire, pour en faire des marqueurs prédictifs d’unedélinquance futureþ? La réponse à cette question ne souf-fre pas la moindre ambiguïté de la part des pédopsychia-tres, de leurs équipes soignantes et des professionnels dela petite enfance. Ils sont là pour (aider à) comprendre,et c’est à cette seule condition que leur fonction peut res-ter crédible sur un plan éthique et utile sur un plan théra-peutique. En effet, comment imaginer des parents venir ànotre rencontre pour se faire aider, tout en sachant que laconsultation risque d’étiqueter leur enfant «þfutur délin-quantþ» et d’avoir des conséquences de type répressif pourlui comme pour eux-mêmes (école des parents obligatoire,suspension des allocations familiales…)þ?

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Introduction

Parce qu’ils sont emblématiques des questions qui tra-versent la pédopsychiatrie aujourd’hui, et parce qu’ilsont été mis en débat à la suite des rapports très contestésde l’Inserm, je vais m’attacher dans cet ouvrage aux deuxgrandes situations dans lesquelles un enfant peut présen-ter un trouble du mouvement et des «þagirsþ»þ: les trou-bles avec hyperactivité ou instabilité psychomotrice1 et letrouble des conduites ou trouble des comportements2.Dans la classification américaine, le DSM IV, les trou-bles «þdéficit de l’attention et comportement perturba-teurþ» occupent l’un des chapitres de la description destroubles psychiatriques, au même titre que les troublesenvahissants du développement (passant en revue lesdifférentes formes de l’autisme) et que les troubles de l’ali-mentation (anorexie, boulimie). Y sont décrits successive-

1. L’appellation par des vocables différents, hyperactivité ouinstabilité psychomotrice, des mêmes signes cliniques n’est évi-demment pas due au seul hasard, nous le verrons.

2. Même remarque.

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ment «þle trouble déficit de l’attention/hyperactivitéþ»,«þle trouble des conduitesþ», «þle trouble oppositionnelavec provocationþ» et «þle comportement perturbateurnon spécifiéþ». Ces descriptions sont faites à partir de ceque l’observateur voit devant lui pendant l’examen clini-que. Elles font abstraction active de toute réflexion psy-chopathologique et se privent ainsi délibérément d’unrepérage de la structure du sujet, afin de penser le soin àvenir. S’agit-il d’un enfant présentant un trouble gravede la personnalité dont ce symptôme est un tout petitindicateur, ou bien d’un enfant névrosé passant par unmoment difficile et dont le symptôme sert d’appel sansparolesþ? Pour un professionnel expérimenté, ces des-criptions cliniques ne deviennent significatives qu’àcondition de les référer à l’âge de l’enfant. Or l’introduc-tion de cette classification américaine précise que «þpropo-ser une section à part pour les troubles dont le diagnosticest habituellement porté dès la première enfance, ladeuxième enfance ou l’adolescence, est un exercice depure forme et n’est pas censé suggérer qu’il existe unedistinction claire entre les troubles de l’enfant et les trou-bles de l’adulte1þ». C’est pourtant bien sur cette distinc-tion que repose toute la réflexion des pédopsychiatres, etde tous ceux qui sont préoccupés de psychopathologie etde psychologie développementale. Un simple exemple,celui du vol. Passons sur le cas toujours possible d’unJean Valjean, héros des Misérables, qui vole pour sa sur-vie et celle de sa famille, pour nous intéresser à des situa-

1. Mini-DSM IV, Critères diagnostiques, Masson, 2000, p.þ49.

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Introduction

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tions plus fréquentes. Un adolescent peut voler parcequ’il présente une kleptomanie névrotique, c’est-à-direune impulsion à voler, sans pouvoir empêcher ce gested’aucune manière. Mais, dans d’autres cas, l’adolescent,en volant, souvent d’une façon brutale, révèle sa struc-ture psychopathique, avec le risque de délinquance qui yest habituellement attaché. Il est important de pouvoirdifférencier ces formes de vol pour en comprendre lesraisons et y apporter les réponses adéquates en fonctionde chaque cas particulier. Un enfant de trois ans, oumême de six ans, qui vole se trouve dans des situationstrès sensiblement différentes de ces adolescents. S’atta-cher à différencier ce trouble des conduites qu’est le volen fonction de l’âge de l’enfant est-il un «þexercice depure formeþ»þ? Non, bien au contraire, ce souci fait laraison d’être des professionnels de l’enfance qui vontobserver ces comportements, essayer de les comprendreavec les parents et, quand ces derniers le souhaitent, lesaider à tenter d’en modifier l’évolution lorsqu’ils appa-raissent chez leurs enfants. J’irai même plus loinþ: c’estpar de telles expériences que l’enfant domestique pro-gressivement sa toute-puissance infantile1, si toutefois lesparents la limitent en expliquant comment et pourquoises comportements ne sont pas possibles dans le groupesocial auquel il appartient. Un petit garçon prend unepièce dans le porte-monnaie de son père ou de sa mèreþ;le parent lui dit que l’on ne doit pas faire ça. Ainsi, le

1. Lire à ce propos l’ouvrage de MarcelliþD., L’Enfant, chef defamille, Albin Michel, 2003.

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petit intériorise que, puisqu’il peut prendre du pain dansla huche sans s’attirer cette réflexion, il y a donc une dif-férence entre la pièce de monnaie et le pain. Mais il aquelquefois besoin de vérifier ce qu’il commence toutjuste à comprendre. Donc, il recommence et reprendune pièce. Cette fois, le parent lui explique que prendrede l’argent dans le porte-monnaie de quelqu’un, ças’appelle voler, et que le vol est interdit. Le garçon ad’abord appris la théorie, puis il a fait les travaux prati-ques, et maintenant il a compris que sa conduite devaitintégrer la limitation de certaines de ses envies. Pourapprendre, l’enfant a besoin d’expérimenter, d’autantplus qu’il en est encore au stade de l’intelligence préopé-ratoire tel que l’a décrit Piaget. Cette période, quis’étend de l’âge de deux ans jusqu’à sept ans environ, secaractérise par l’apparition et le développement de lafonction symboliqueþ; c’est elle qui permet l’évocationdes objets associés à une expérience significative. Ainsiprendre de l’argent devient synonyme de vol.

Paradoxalement, quand l’enfant est petit, un écart deconduite est donc plutôt une bonne expérience, à condi-tion que les parents ou ceux qui en tiennent lieu puis-sent s’en servir pour l’aider dans son développement.Plus généralement, dans les cultures où la liberté existe,on peut transgresser à tout âge. Mais l’important est quechacun connaisse le risque qu’il encourt alors. Si laliberté s’arrête là où commence celle de l’autre, la trans-gression s’arrête quand elle connaît et rencontre lalimite. Et c’est bien là que toute une philosophie de lavie se révèleþ: il faut accompagner les personnes pour

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réfléchir avec elles à ce qu’elles ont fait plutôt que decontinuer à poser en permanence des radars comporte-mentaux généralisés sur les routes de leur développe-ment, visant à punir là où il faut au contraire, mesemble-t-il, aider à comprendre. Michel Foucault, dansSurveiller et punir1, avait déjà bien montré comment sesentir et se savoir surveillé «þde partoutþ», sans voir celuiqui surveille ni comment il le fait, appartient à la logiquedu «þpanoptiqueþ» de Bentham. Ce modèle panoptiqueest constitué par une prison en étoile, avec en son centre,un gardien dans une pièce aux vitres sans tain, lui per-mettant de voir sans être vu. Chaque prisonnier sait dèslors qu’il peut toujours être observé, à chaque seconde,grâce à un système de surveillance d’une efficacité redou-table. Aujourd’hui, la pose de caméras de surveillancedans les lieux publics, «þjustifiéeþ» par la menace terro-riste, la multiplication des radars sur les routes, «þjusti-fiéeþ» par la sécurité routière, mais aussi les contrôlesd’identité peu amènes (et bientôt génétiquesþ?), «þjusti-fiésþ» par la lutte contre l’immigration clandestine… nesont pas sans évoquer le panoptique de Bentham – etautres prophéties orwelliennes. Ce philosophe précur-seur avait déjà analysé le ressort intime des systèmes tota-lisants, voire totalitairesþ: perpétuer la dépendance et lasoumission absolues au maître au détriment de l’autono-mie relative et de son corollaire, la liberté. Pour le direen termes freudiens, plus le «þsurveiller et punirþ» tient

1. FoucaultþM., Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gal-limard, 1975.

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lieu d’éducation, plus le sujet aura besoin d’être surveilléen permanence et puni par un surmoi extériorisé. Maisl’éducation au vrai sens du terme n’est pas celaþ: elle doitau contraire enseigner pas à pas à l’enfant à intérioriserles expériences de limitations successives, afin qu’ilpuisse de lui-même adapter son comportement aux loissociales. Précisons ici que l’idée d’un enfant «þparfaitþ»,qui pourrait intérioriser (de lui-même, ce serait encoremieux) tous les interdits et ne jamais franchir la «þlignejauneþ», relève du pur fantasme et conduit tout droit àdes risques de décompensations graves. Ainsi, certainsenfants et adolescents présentant des troubles obsession-nels compulsifs (TOC) passent l’essentiel de leur tempsà se créer des rituels, qui sont autant de limites leur per-mettant de ne pas se laisser aller à accéder à leur propredésir. Mais cela n’a qu’un tempsþ: à bout d’énergie, ilarrive qu’ils «þcraquentþ», tentent de se suicider ou sesentent persécutés en permanence.

Nul doute que, pour un petit en développement, lesexpériences du mouvement, du déplacement, de l’atten-tion portée au monde, même quand elles paraissentexcessives, sont nécessaires pour qu’il puisse prendrepossession de la «þmaison de son corpsþ». C’est en lesexpérimentant que l’enfant découvre peu à peu les diffé-rentes fonctions de son corps au fur et à mesure de sonévolution. Parmi elles, la locomotion, la possibilitéd’écouler son excitation interne par la mise en mouve-ment de sa musculature et de sa motricité, la vivanceémotionnelle qui passe par ces mises en jeu corporelles,sont autant de modalités qui lui donnent l’occasion de

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