Tournier_double écriture

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Au moment de finir cette thèse, il me reste à remercier toutes celles et tous ceux qui m’ont aidédans mon travail. Je voudrais tout d’abord exprimer ma profonde reconnaissance à Monsieur leProfesseur Gaubert, mon Directeur de Recherche depuis la maîtrise, qui, non seulement avec sonérudition et sa passion pour la littérature, mais aussi avec sa générosité et son soutien moralconstant, a joué un rôle inestimable dans l’accomplissement de ce travail. Je tiens également àmentionner avec reconnaissance ma dette à l’égard de Monsieur le Professeur Vray, qui m’a faitbénéficier de sa connaissance inépuisable de l’oeuvre de Michel Tournier, et qui a bien voulucommenter et corriger le manuscrit à ses différents stades.

Sans les nommer individuellement, je remercie mes amis qui m’ont aidée et soutenue.L’amitié de Jih Jong-Hyun, ses critiques sincères et constructives m’ont été très précieuses.

Je dois beaucoup, enfin, à mon mari Jean-Paul Hollender, à mes deux enfants,Jean-Christophe et Cécilia, et à mes parents qui sont en Corée : tous ont participé à leur manièreà la réalisation de ce travail que je leur dédie.

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de fournir à (son) lecteur épris d’amours et d’aventures l’équivalent littéraire deces sublimes inventions métaphysiques que sont le cogito de Descartes, les troisgenres de connaissances de Spinoza, l’harmonie préétablie de Leibniz, le schématranscendantal de Kant, la réduction phénoménologique de Husserl, pour ne citerque quelques modèles majeurs (VP, 179).

Mon problème, c’était de trouver un passage entre la philosophie et le roman.Entre la vraie philosophie et le vrai roman (philosophie à la Hegel, roman à la

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Zola) en rejetant le “roman philosophique”(Voltaire) qui est faux roman et faussephilosophie. J’y suis parvenu en me servant de grands mythes éternels ettoujours vivants3.

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Il va de soi que ce parallélisme ne fut pas délibéré. Mais outre que L’Ethique est àmes yeux le livre le plus important qui existe après les Evangiles, et que sa leçonest très profondément inscrite dans mon esprit, je remarque que ces trois étapesrépondent à coup sûr à un schéma extrêmement classique et qu’on doit retrouverdans plus d’une doctrine religieuse ou philosophique. Même au niveau le plustrivial -celui de notre vie quotidienne- on en trouverait un lointain équivalent. (VP,235-236)

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Le jardin nain, plus il est petit, plus vaste est la partie du monde qu’il embrasse.Ainsi par exemple le personnage de porcelaine, l’animal de céramique, lepagodon de terre cuite qui peuplent le jardin miniature, plus ils sont petits, plusgrand est leur pouvoir magique de métamorphoser les cailloux et les creux qui

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les entourent en montagnes rocheuses, pics vertigineux, lacs et précipices (M,541).

Il y a une recette infaillible pour écrire un chef-d’oeuvre, c’est de créer un mondeclos. Il y en a d’innombrables exemples. Mais, plus ce monde clos est peuplé,plus cela devient difficile. Ce que j’ai fait avec Robinson et Vendredi, c’était cequ’on pouvait faire de plus facile10.

Je comprends maintenant pourquoi quelques lignes de Descartes m’avaient paruflamber soudain dans la grisaille d’un cours de philosophie. J’avais la certitude

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obscure que cette règle du Discours de la méthode avait un rapport avec lapréoccupation majeure de Nestor : «Faire partout des dénombrements si entierset des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre.» Le grandmérite d’un monde clos sur lui-même, sans ouverture sur le dehors, obéissantaux seules lois internes qu’il s’est données, c’est de faciliter la satisfaction àcette règle fondamentale (RA, 147-148).

Sa gageure, c’est de faire servir sa formation philosophique à des fins littéraires,mais pour écrire, non des contes philosophiques à la Voltaire, mais des romanshumains et sociaux à la manière de Zola, des pièces de théâtre politiques ethistoriques à la Brecht (VV, 314-315).

Au demeurant était-ce bien elle qui s’ennuyait ? N’était-ce pas plutôt les choses,le paysage autour d’elle ? Soudain une lumière livide tombait du ciel. La chambre,la classe, la rue paraissaient pétries dans une boue blafarde où les formes sedissolvaient lentement. Seule vivante au milieu de cette désolation nauséeuse,

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Mélanie luttait avec acharnement pour ne pas s’enliser à son tour dans cette vase(CB, 177-178).

Il est donc possible, il dépend de notre seule force cérébrale de concevoir desensembles d’un degré de cohérence supérieur au «réel » et donc d’un degré deréalité plus élevé. Ces ensembles existent : ce sont les systèmes philosophiques(VP, 157).

C’est une autre oeuvre musicale qui m’a accompagné, la plus riche, la plusrigoureuse, la plus touchante qui fut jamais conçue de tête humaine et réalisée demain humaine, l’idéal insurpassable de toute création qu’aucun créateur (...), jeveux dire l’Art de la fugue de Jean-Sébastien Bach. (...)le grand art déploie samagie et l’oeuvre s’édifie par développement, stretto, réponse, inversion,contre-sujet, coda, miroir, etc. (VP, 128).

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L’un des secrets consiste à écrire la fin du roman avant le début. Ce qui permetd’abord de prévoir exactement où je vais et, ensuite, de ne pas m’effondrer encours de route... Je procède ensuite à un découpage rigoureux. Le livre secompose toujours de deux versants séparés au milieu par une crise (...). Pourobtenir les correspondances, il suffit de travailler simultanément à chacun de cesversants. Je n’hésite pas, s’il le faut, à écrire à reculons17.

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L’idée est plus que la chose, et l’idée de l’idée plus que l’idée. En vertu de quoil’imitation est plus que la chose imitée, car elle est cette chose plus l’effort del’imitation , lequel contient en lui-même la possibilité de se reproduire, et doncd’ajouter la quantité à la qualité. C’est pourquoi en fait de meubles et d’objetsd’art, je préfère toujours les imitations aux originaux, l’imitation étant l’originalcerné, possédé, intégré, éventuellement multiplié, bref pensé, spiritualisé (M,101).

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On est entrain de comprendre aujourd’hui une chose que le 19ème siècle nepouvait même pas pressentir : que le symbole, le mythe, l’image appartiennent àla substance de la vie spirituelle, qu’on peut les camoufler, les dégrader, lesmutiler, mais qu’on ne les extirpera jamais21.

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Le mythe raconte une histoire sacrée ; il relate un événement qui a eu lieu dans letemps primordial, le temps fabuleux des « commencements »23.

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Tout recommence à son début à chaque instant. Le passé n’est que lapréfiguration du futur. Aucun événement n’est irréversible et aucunetransformation n’est définitive. Dans un certain sens, on peut même dire qu’il nese produit rien de neuf dans le monde car tout n’est que la répétition des mêmesarchétypes primordiaux 25.

Autrement dit, le mythe raconte comment, grâce aux exploits des Etressurnaturels, une réalité est venue à l’existence, que ce soit la réalité totale, leCosmos, ou seulement un fragment : une île, une espèce végétale, uncomportement humain, une institution. C’est donc toujours le récit d’une« création » : on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé àêtre27.

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André Gide a dit qu’il n’écrivait pas pour être lu mais pour être relu. Il voulait direpar là qu’il entendait être lu au moins deux fois. J’écris moi aussi pour être relu,mais, moins exigeant que Gide, je ne demande qu’une seule lecture. Mes livresdoivent être reconnus --relus-- dès la première lecture (VP, 189).

(...) entre le haut et le bas, le ciel et la terre, la terre ferme et l’eau, le près et leloin, la gauche et la droite, le mâle et la femelle, etc. Inhérente au réel, cettedisparité met la spéculation mythique en branle ; mais parce qu’elle conditionne,en deçà même de la pensée, l’existence de tout objet de pensée. (...). C’est enappliquant systématiquement des règles d’opposition que les mythes naissent,surgissent, se transforment en d’autres mythes qui se transforment à leur tour31.

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La musique remplit un rôle comparable à celui de la mythologie. Mythe codé ensons au lieu de mots, l’oeuvre musicale fournit une grille de déchiffrement, unematrice de rapports qui filtre et organise l’expérience vécue, se substitue à elle etprocure l’illusion bienfaisante que des contradictions peuvent être surmontées etdes difficultés résolues 33.

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La mythologie, habitée par le mûthos, est un territoire ouvert où tout ce qui se ditdans les différents registres de la parole se trouve à la merci de la répétition quitransmute en mémorable ce qu’elle a sélectionné41.

Plus que de raconter, comme le fait l’histoire, le rôle du mythe semble être derépéter comme le fait la musique. Dans le mythe non seulement le synchronismeest lié au simple redoublement comme cela apparaît lorsqu’il y a des symboles degulliverisation, mais encore à la répétition temporelle et aux structuressynthétiques. Dans le cadre pauvre et diachronique du discours, le mythe ajoute

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la dimension même du « Grand Temps » par sa puissance synchronique derépétition 44.

Le mythe, c’est d’abord un édifice à plusieurs étages qui reproduisent tous lemême schéma, mais à des niveaux d’abstraction croissante. (...). Raconté decette façon le mythe n’est qu’une histoire pour enfant, (...). Mais à un niveausupérieur, c’est toute une théorie de la connaissance, (...). Ce rez-de-chausséeenfantin du mythe est l’une de ses caractéristiques essentielles, tout autant queson sommet métaphysique (VP, 188).

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C’est qu’en effet sous quelque aspect qu’on l’envisage, (Robinson Crusoé) estprésent et vivant en chacun de nous. Son mythe est à coup sûr l’un des plusactuels et des plus vivants que nous possédions, ou plutôt dont nous soyons

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possédés. Il n’est pas inutile de reprendre certains de ces aspects qui sont autantde moules romanesquesdans lesquels nous donnons forme et profil auxhumeurs et aspirations que nous inspire notre commune condition d’hommes du20e siècle finissant (VP, 221).

Il (Gaspard) s’est présenté au total comme une forme vide dans laquelle le monderomantique a précipité tous ses fantasmes, y compris pour finir celui del’adolescent éternel voué à une mort prématurée, parce qu’il refuse lescompromissions de l’adultatet la déchéance du vieillissement (VV, 134-135).

Winnicott a su reconnaître, mieux que Freud, le rôle nécessaire et structurant del’illusion. Il a découvert la fonction de ce qu’il a nommé le « champtransitionnel », champ de l’illusion, producteur d’objets dont la caractéristiquelogique est qu’ils échappent à la dichotomie instaurée par le jugementd’existence qui oppose l’être et le non-être sous le primat du principe de réalité.Ces objets –pour l’enfant et pour l’adulte plus tard dans le champ culturel –sontet ne sont pas ce qu’ils représentent. Cela pose la question des équivalents qu’onpeut leur trouver au niveau collectif et peut-être de l’existence d’un troisième typede processus qui viendrait compléter l’opposition entre processus primaires etprocessus secondaires. Ces processus, que je nomme tertiaires, serviraientd’agents de liaison entre les premiers et les seconds. Au niveau collectif, lemythe aurait cette fonction de lien social entre la réalité subjective, singulière, etla réalité extérieure, collective et politique50.

Les mass media remplacent le voisin par ces héros mythologiques (...). Pourtant,entre mon modeste artisanat de traducteur et les tempêtes publicitaires qui merévélaient la présence du grand public, il y avait la vie, il devait y avoir unemythologie, une autre mythologie, féconde et profonde, qui me permette à la foisde m’exprimer et de trouver le contact du public parce qu’elle l’enrichirait en lefaisant rire, trembler et pleurer, en changeant sa façon de sentir, de voir et depenser, au lieu de l’exploiter en lui vendant de la lessive et du shampooing (VP,178-179).

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L’homme restera bien toujours une machine à fabriquer des mythes, et cela n’estpas grave si le mythe reste l’expression de notre lutte contre l’incomplétude et denotre besoin d’être pleinement. Le danger, c’est que cette machine soittéléguidée de l’extérieur 51.

L’homme ne s’arrache à l’animalité que grâce à la mythologie. L’homme n’estqu’un animal mythologique. L’homme ne devient homme, n’acquiert un sexe, uncoeur et une imagination d’homme que grâce au bruissement d’histoires, aukaléidoscope d’images qui entourent le petit enfant dès le berceau etl’accompagnent jusqu’au tombeau (VP, 191).

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Dès lors la fonction sociale-- on pourrait même dire biologique-- des écrivains etde tous les artistes créateurs est facile à définir. Leur ambition vise à enrichir ouau moins à modifier ce « bruissement » mythologique, ce bain d’images danslequel vivent leurs contemporains et qui est l’oxygène de l’âme (VP, 192).

Qu’est-ce que Don Juan ? C’est le refus de la soumission du sexe à l’ordre, àtous les ordres, conjugal, social, politique, religieux. Don Juann’hésite pas pouraffirmer sa liberté érotique à accumuler toutes les condamnations sur sa tête(VV,36).

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Le lecteur de bon écrivain ne doit pas découvrir des choses nouvelles à salecture, mais reconnaître, retrouver des vérités, des réalités qu’il croit en mêmetemps avoir pour le moins soupçonnées depuis toujours (VP, 205).

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Réécrire le mythe ne constitue pas seulement pour l’auteur une occasion de

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s’interroger sur des phénomènes sociaux, religieux et politiques qui ont marquél’histoire contemporaine. Annexer le récit mythique est aussi pour lui unemanière de dire ses obsessions et de réaliser ses fantasmes 55.

Singularité et répétition créent ainsi des figures caractéristiques. L’imaginationd’un écrivain donné ne paraît s’attacher qu’à un petit nombre de ces figures. Il lesvarie plus qu’il n’en change. (...) On aboutit ainsi dans chaque cas à un petitnombre de scènes dramatiques, dont l’action est aussi caractéristique del’écrivain que les acteurs. Leur groupement compose le mythe personnel. (...) lephantasme le plus fréquent chez un écrivain, ou mieux encore l’image qui résisteà la superposition de ses oeuvres56.

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Structures fantasmatiques typiques (vie intra-utérine, scène originaire, castration,séduction) que la psychanalyse retrouve comme organisant la vie fantasmatique,quelles que soient les expériences personnelles des sujets. (...) Si l’on envisagemaintenant les thèmes qu’on retrouve dans les fantasmes originaires, on estfrappé par un caractère commun : ils se rapportent tous aux origines58.

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C’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux,hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas enrapport avec le projet du moment, (...) mais est le résultat contingent de toutes lesoccasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou del’entretenir avec les résidus de constructions et de déconstructions antérieures61.

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Un mythe, c’est à la fois une belle et profonde histoire incarnant l’une desaventures essentielles de l’homme, et un misérable mensonge débité par undébile mental, un «mythomane» justement (VV,14).

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La destruction de toute trace de civilisation chez un homme soumis à l’oeuvredécapante d’une solitude inhumaine, la mise à nu des fondements de l’être et de

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la vie, puis sur cette table rase la création d’un monde nouveau sous formed’essais, de coups de sonde, de découvertes, d’évidences et d’extases. Vendredi–encore plus vierge de civilisation que Robinson après sa cure de solitude –sertà la fois de guide et d’accoucheur à l’homme nouveau. Ainsi donc mon roman seveut inventif et prospectif, alors que celui de Defoe, purement rétrospectif, seborne à décrire la restauration de la civilisation perdue avec les moyens de bord.(VP, 223)

Par le logos, l’orateur convainc ses auditeurs de la vérité de son argumentationen faisant appel à leur raison ; par le pathos il les rend sympathiques (...), enexploitant les émotions susceptibles d’affecter leur jugement ; et par l’ethos, illeur inspire confiance en leur étalant les raisons de croire à sa véridicité et à lacrédibilité de son discours, à sa compétence et à son jugement, et surtout à sabienveillance envers eux 73.

Que va-t-il arriver dans le monde insulaire sans autrui ? On cherchera d’abord ce

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que signifie autrui par ses effets :on cherchera les effets de l’absence d’autrui surl’île, on induira les effets de la présence d’autrui dans le monde habituel, et enquoi consiste son absence 75.

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Il s’avisa ainsi qu’autrui est pour nous un puissant facteur de distraction, nonseulement parce qu’il nous dérange sans cesse et nous arrache à notre penséeactuelle, mais aussi parce que la seule possibilité de sa survenue jette une vaguelueur sur un univers d’objets situés en marge de notre attention, mais capable àtout instant d’en devenir le centre (VLP, 36).

Le premier effet d’autrui, c’est, autour de chaque objet que je perçois ou dechaque idée que je pense, l’organisation d’un monde marginal, d’un manchon,d’un fond, où d’autres objets, d’autres idées peuvent sortir suivant des lois detransition qui règlent le passage des uns aux autres77.

Il ne craignait plus l’ardeur du soleil, car une croûte d’excréments séchéscouvrait son dos, ses flancs et ses cuisses. Sa barbe et ses cheveux se mêlaient,et son visage disparaissait dans cette masse hirsute. Ses mains devenues desmoignons crochus ne lui servaient plus qu’à marcher, car il était pris de vertigedès qu’il tentait de se mettre debout. (...) il ne se déplaçait plus qu’en se traînantsur le ventre (VLP, 38).

Seuls ses yeux, son nez et sa bouche affleuraient dans le tapis flottant des

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lentilles d’eau et des oeufs de crapaud. Libéré de toutes ses attaches terrestres, ilsuivait dans une rêverie hébétée des bribes de souvenirs qui, remontant de sonpassé, dansaient au ciel dans l’entrelacs des feuilles immobiles (VLP, 38-39).

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Je veux, j’exige que tout autour de moi soit dorénavant mesuré, prouvé, certifié,mathématique, rationnel. Il faudra procéder à l’arpentage de l’île, établir l’imageréduite de la projection horizontale de toutes ses terres, consigner ces donnéesdans un cadastre. Je voudrais que chaque plante fût étiquetée, chaque oiseaubagué, chaque mammifère marqué au feu (VLP, 67).

Il est inutile de se le dissimuler : tout mon édifice cérébral chancelle. Et ledélabrement du langage est l’effet le plus évident de cette érosion. (...), je vois de

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jour en jour s’effondrer des pans entiers de la citadelle verbale dans laquellenotre pensée s’abrite et se meut familièrement, (...). Il me vient des doutes sur lesens des mots qui ne désignent pas des choses concrètes. Je ne puis plus parlerqu’à la lettre. La métaphore, la litote et l’hyperbole me demandent un effortd’attention démesuré dont l’effet inattendu est de faire ressortir tout ce qu’il y ad’absurde et de convenu dans ces figures de rhétorique (VLP, 68).

Et ma solitude n’attaque pas que l’intelligibilité des choses. Elle mine jusqu’aufondement même de leur existence. De plus en plus, je suis assailli de doutes surla véracité du témoignage de mes sens (VLP, 54).

Exister, qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire être dehors, sistere ex. Ce quiest à l’extérieur existe. Ce qui est à l’intérieur n’existe pas. Mes idées, mesimages, mes rêves n’existent pas. Si Speranza n’est qu’une sensation ou unfaisceau de sensations, elle n’existe pas. Et moi-même je n’existe qu’enm’évadant de moi-même vers autrui (VLP, 129).

Il y a à ce stade naïf, primaire et comme primesautier qui est notre moded’existence ordinaire une solitude heureuse du connu, une virginité des chosesqui possèdent toutes en elles-mêmes--comme autant d’attributs de leur essenceintime-- couleur, odeur, saveur et forme. Alors Robinson est Speranza (VLP,97-98).

Alors, Robinson est Speranza. Il n’a conscience de lui-même qu’à travers lesfrondaisons des myrtes où le soleil darde une poignée de flèches, il ne se connaît

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que dans l’écume de la vague glissant sur le sable blond (VLP, 98).

La lumière devient oeil, et elle n’existe plus comme telle : elle n’est plusqu’excitation de la rétine. L’odeur devient narine (...). La musique du vent(...)n’était qu’un ébranlement de tympan. A la fin le monde tout entier se dérobe dansmon âme qui est l’âme même de Speranza, arrachée à l’île, laquelle alors se meurtsous mon regard sceptique (VLP, 98).

La voie étroite et escarpée du salut, d’un certain salut en tout cas, celui d’une îleféconde et harmonieuse, parfaitement cultivée et administrée, forte de l’équilibrede tous ses attributs, allant droit son chemin, sans moi, parce que si proche demoi que, même comme pur regard, c’en serait encore trop de moi et qu’il faudraitme réduire à cette phosphorescence intime qui fait que chaque chose seraitconnue, sans personne qui connaisse, consciente, sans que personne aitconscience... O subtil et pur équilibre, si fragile, si précieux ! (VLP, 100)

Je sais maintenant que si la présence d’autrui est un élément fondamental del’individu humain, il n’en est pas pour autant irremplaçable. Nécessaire certes,mais pas indispensable (VLP, 116).

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Robinson crut découvrir une autre île derrière celle où il peinait solitairementdepuis si longtemps, plus fraîche, plus chaude, plus fraternelle, et que luimasquait ordinairement la médiocrité de ses préoccupations (VLP, 94).

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L’homme de la modernité est (...) un homme faible, désarmé, comme châtré. Isoléégalement. Il est l’homme de la technologie froide et des effets morcelés ;l’homme de l’exil intérieur82.

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Chaque homme a sa pente funeste. La mienne descend vers la souille. C’est làque me chasse Speranza quand elle devient mauvaise et me montre son visagede brute. (...). Ma victoire, c’est l’ordre moral que je dois imposer à Speranzacontre son ordre naturel qui n’est que l’autre nom du désordre absolu (VLP, 50).

Celui qui tue une truie anéantit sa descendance jusqu’à la millième génération.

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Celui qui dépense une pièce de cinq shillings assassine des monceaux de livressterling (VLP, 140).

Je continue de construire, (...). Car si, à la surface de l’île, je poursuis mon oeuvrede civilisation -- cultures, élevages, édifices, administrations, lois, etc. -- copiéesur la société humaine, et donc en quelque sorte rétrospective, je me sens lethéâtre d’une évolution plus radicale qui substitue aux ruines que la solitude créeen moi des solutions originales, toutes plus ou moins provisoires et commetâtonnantes, mais qui ressemblent de moins en moins au modèle humain dontelles étaient parties (VLP, 116-117).

C’était à la fois plus général et plus profond, une certaine dureté, quelque chosede mort qu’il avait jadis remarqué sur le visage d’un prisonnier libéré après desannées de cachot sans lumière (VLP, 89-90).

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Détruire tout cela. Brûler ses récoltes. Faire sauter ses constructions. Ouvrir lescorrals, et fouailler les chèvres et les boucs jusqu’au sang pour qu’ils foncentéperdument dans toutes les directions. Il rêvait de quelque séisme quipulvériserait Speranza, et la mer refermerait ses eaux bénéfiques sur cette croûtepurulente dont il était la conscience souffrante (VLP, 124-125).

Il y a en moi un cosmos en gestation. Mais un cosmos en gestation, celas’appelle un chaos. Contre ce chaos, l’île administrée (...) est mon seul refuge, maseule sauvegarde. Elle m’a sauvé. Elle me sauve encore chaque jour. Cependantle cosmos peut se chercher. (...). Je ne sais où va me mener cette créationcontinuée de moi-même (VLP, 117-118).

L’apparition du double est en général considérée comme signe d’un désaccordintime, qui se produit à l’intérieur même de la personne. Tant que l’homme est«simple», un avec lui-même, un tel désaccord n’existe pas85.

Depuis quelque temps en effet je m’exerce à cette opération qui consiste àarracher de moi successivement les uns après les autres tous mes attributs (...)

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comme les pelures successives d’un oignon (VLP, 88).

Je constitue loin de moi un individu qui a nom Crusoé, prénom Robinson, quimesure six pieds, etc. Je le vois vivre et évoluer dans l’île sans plus profiter deses heures, ni pâtir de ses malheurs. Qui Je ? (VLP, 88).

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Car c’est bien là le merveilleuxde cette histoire. Les deux volets de Robinson surson île, Avant-Vendredi, Avec-Vendredi, s’articulent parfaitement l’un sur l’autre,le drame de la solitude s’exhalant dans un appel à un compagnon, puis setrouvant soudain étouffé, suffoqué par la survenue d’un compagnon en effet,mais inattendu, surprenant, une déception affreuse --un nègre-- contenantpourtant toutes les promesses d’une relance prodigieuse de l’aventure et del’invention. Car il est clair qu’un compagnon tel que Robinson attendait --un autreAnglais, un autre Robinson -- aurait fait retomber l’aventure assez platement (VP,232-233).

En attaquant l’un des poursuivants, il risquait d’ameuter toute la tribu contre lui.Au contraire en tuant le fuyard, il rétablissait l’ordre du sacrifice rituel, (...) lasagesse lui commandait de se faire l’allié des plus forts (VLP, 143).

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Dieu m’a envoyé un compagnon. Mais, par un tour assez obscur de sa sainteVolonté, il l’a choisi au plus bas degré de l’échelle humaine. Non seulement ils’agit d’un homme de couleur, mais cet Araucanien costinos est bien loin d’êtreun pur sang, et tout en lui trahit le métis noir ! Un indien mâtiné de nègre ! Et s’ilétait encore d’âge rassis, capable de mesurer calmement sa nullité en face de lacivilisation que j’incarne ! Mais je serais étonné qu’il ait plus de quinze ans (VLP,146)

Pour moi, Robinson Crusoé est l’homme de la rencontre avec Vendredi. Vendredi,c’est le Noir, le sauvage, l’homme venu d’ailleurs, l’homme du tiers monde. Dansles trente dernières années que nous avons vécues, il n’y a rien de pluscaractéristique, de plus important et aussi de plus instructif pour nous que larencontre de notre monde occidental avec le tiers monde 87.

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Le double est, en gros, la moitié de la personnalité qui a été refoulée par l’autremais lui demeure vitalement liée et la poursuit comme son ombre. Don Quichotte,qui refuse d’être Sancho Pança, ne saurait exister sans lui. Une étrangehiérarchie fraternelle s’établit entre ces deux moitiés d’un seul être qu’unit unevéritable symbiose88.

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Vendredi lui donnait des soucis de plus en plus graves. Non seulement l’Araucanne se fondait pas harmonieusement dans le système, mais (...) il menaçait de ledétruire (VLP, 164).

Je me suis demandé pour la première fois si je n’avais pas gravement péchécontre la charité en cherchant par tous les moyens à soumettre Vendredi à la loide l’île administrée, marquant par-là qu’à mon petit frère de couleur je préférais laterre modelée par mes mains. Vieille alternative en vérité, origine de plus d’undéchirement et de crimes innombrables (VLP, 168-169).

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La fureur qui le possède est sacrée. C’est le déluge noyant sur toute la terrel’iniquité humaine, c’est le feu du ciel calcinant Sodome et Gomorrhe, ce sont lesSept Plaies d’Egypte châtiant l’endurcissement de Pharaon (VLP, 176)».

Le poing écorché de Robinson retombe encore une fois, (...) (Il) est en train dejouer une scène qu’il a déjà vue dans un livre ou ailleurs : un frère rossant à mortson frère sur le revers d’un fossé. Abel et Caïn, le premier meurtre de l’histoirehumaine, le meurtre par excellence ! (VLP, 177)

Un des moindres paradoxes de l’oeuvre n’est pas précisément de voir le thèmegémellaire s’originer dans l’accomplissement d’un meurtre soudain perçu commefratricide. Il fallait sans doute ce paroxysme de violence pour que s’effectuât lacatharsis et que toute chose pût s’inverser en son contraire89.

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Narcisse est victime d’une illusion. Il se prend pour un autre, tel le tout jeune

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enfant qui ne sait pas encore s’identifier dans l’image du miroir. Et cet autre estinsaisissable, et ce reflet est la négation désespérante de tout échange 90

En tournant un peu la tête à gauche, il voit le profil droit de Vendredi. (...).Robinson observe comme sous une loupe ce masque prognathe, un peu bestial,que sa tristesse rend plus buté et plus boudeur qu’à l’ordinaire (VLP, 180-181).

Comment une pareille merveille peut-elle être incorporée à un être aussi grossier,ingrat et vulgaire ? Et si en cet instant précis il découvre par hasard la beautéanatomique stupéfiante de l’oeil de Vendredi, ne doit-il pas honnêtement sedemander si l’Araucan n’est pas tout entier une addition de choses égalementadmirables qu’il n’ignore que par aveuglement ? (VLP, 181)

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Ayant ramassé un fragment de miroir au milieu d’objets domestiques disloqués,(Vendredi) s’y regarda en faisant des grimaces et le présenta à Robinson avec unnouvel éclat de rire (VLP, 185).

Un coup d’oeilau miroir lui révéla même qu’il existait désormais--par un

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phénomène de mimétisme bien explicable-- une ressemblance évidente entre sonvisage et celui de son compagnon (VLP, 191).

Il découvrait ainsi qu’un corps accepté, voulu, vaguement désiré aussi --par unemanière de narcissisme naissant--peut être non seulement un meilleur instrumentd’insertion dans la trame des choses extérieures, mais aussi un compagnonfidèle et fort (VLP, 192).

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Soleil, rends-moi semblable à Vendredi. Donne-moi le visage de Vendredi,épanoui par le rire, taillé tout entier pour le rire (VLP, 217).

Le voici. Saurai-je jamais marcher avec une aussi naturelle majesté ? Puis-jeécrire sans ridicule que (Vendredi) semble drapé dans sa nudité ? Il va, portant sachair avec une ostentation souveraine, se portant en avant comme un ostensoirde chair. Beauté évidente, brutale, qui paraît faire le néant autour d’elle (VLP,221).

A la fin il a souri, comme s’il sortait d’un rêve et s’avisait soudain de maprésence, et prenant mon poignet, il a posé son doigt sur une veine violettevisible sous la peau nacrée et m’a dit d’un ton de faux reproche : « Oh ! On voitton sang ! » (VLP, 225)

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(Les Dioscures) sont plus intimement frères que les jumeaux humains, parcequ’ils se partagent la même âme. Les jumeaux humains sont pluranimes. LesGémeaux sont unanimes (VLP, 231).

Andoar, c’était moi. Ce vieux mâle solitaire et têtu avec sa barbe de patriarche etses toisons suant la lubricité, ce faune tellurique âprement enraciné de sesquatre sabots fourchus dans sa montagne pierreuse, c’était moi (VLP, 227).

Et lorsque je vis mon diable, je le trouvai sérieux, appliqué, profond et solennel :c’était l’esprit de lourdeur, c’est par lui que tombent toutes choses. Ce n’est paspar la colère mais par le rire que l’on tue. En avant, tuons l’esprit de lourdeur !J’aiappris à marcher : depuis lors, je me laisse courir. J’ai appris à voler, depuis lorsje ne veux pas être poussé pour changer de place. Maintenant je suis léger,

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maintenant je vole, maintenant je me vois au-dessous de moi, maintenant un dieudanse en moi92.

C’est plutôt autrui qui troublait le monde. C’était lui, le trouble. Autrui disparu, cene sont pas seulement les journée qui se redressent. Ce sont les choses aussi,n’étant plus par autrui rabattues les unes sur les autres94.

Chacun de ces hommes était un monde possible, assez cohérent, avec sesvaleurs, ses foyers d’attraction et de répulsion, son centre de gravité. (...). Etchacun de ces mondes possibles proclamait naïvement sa réalité. C’était cela

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autrui : un possible qui s’acharne à passer pour réel (VLP, 238-239).

Une pierre roula à l’intérieur et un corps obstrua le faible espace noir. Quelquescontorsions le libérèrent de l’étroit orifice, et voici qu’un enfant se tenait devant

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Robinson, le bras droit replié sur son front, pour se protéger de la lumière (...)(VLP, 252).

L’enfant merveilleux, c’est d’abord la nostalgie du regard de la mère qui en a faitun extrême de splendeur, tel l’enfant Jésus en majesté, (...), c’est unereprésentation inconsciente primordiale où se nouent (...) les voeux, nostalgies etespoirs de chacun. Dans la transparente réalité de l’enfant, elle donne à voir,presque sans voile, le réel de tous nos désirs 97.

Cet être naïf et tendre, un peu sourd, un peu myope, si facilement abusé, si lent àse rassembler devant le malheur. (...) un petit fantôme inconsolable, écrasé parl’hostilité de tous et plus encore par l’amitié d’un seul. Comme si je pouvais vingtannées plus tard prendre son malheur sur mes épaules d’homme, et le faire rire,rire ! (RA, 41-42).

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Les objectifs du narcissisme primaire, l’état de béatitude et d’équilibre absolu,font se rejoindre la fin et l’origine : c’est l’organisation même du mythe dont laformule générale est celle de l’éternel retour, venant au plus loin de l’OEdipe,retour au ventre maternel, pour abolir toute séparation 99.

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Les mythes et les rites initiatiques du regressus ad uterum mettent en évidence lefait suivant : le « retour à l’origine » prépare une nouvelle naissance, mais celle-cine répète pas la première, la naissance physique. Il y a proprement renaissancemystique, d’ordre spirituel, autrement dit accès à un mode nouveaud’existence100.

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Le culte des jumeaux est une conséquence de la croyance en une âme double. Leculte gémellaire est la concrétisation mythique du motif du double. Ce motifémanait de la croyance en une âme double, l’une mortelle, l’autre immortelle 119.

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Maria-Barbara était notre lien. Le propre de notre enfance, c’était la possibilité denous distraire l’un de l’autre, de nous oublier des journées entières, étant assurésde pouvoir retrouver à tout moment un commun port d’attache en Maria-Barbara.C’était elle la source vive où chacun de nous pouvait s’abreuver de gémellitésans se soucier de ce que faisait son frère-pareil (M, 364).

Rien n’est retenu, tout est donné, et pourtant rien n’est perdu, tout est gardé,dans un admirable équilibre entre l’autre et le même (M, 198).

Cette manière d’exorcisme, c’était un rite et une nécessité à la fois, parcequ’après avoir erré séparément le temps d’une journée, il nous fallait pourretrouver notre fonds commun, pour que chacun de nous regagnât ce portd’attache qu’était pour lui son frère-pareil, un effort de purification, (...)dépouillant son frère-pareil pour le rendre identique à lui-même (M, 272).

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C’est un langage très fruste, très émotionnel, sans syntaxe, prisonnier del’instant présent. (...). Mais la cryptophasie a pour conséquence de retarderl’apparition du langage socialisé128.

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Edouard avait été frappé, comme tous ceux qui approchaient Jean et Paul, parl’éolien, cette cryptophasie par laquelle ils communiquaient secrètement entreeux au milieu des voix sans secret de leur entourage. Or, il se souvenaitmaintenant que, dans le Roméo et Juliette de Berlioz, les circonstancesextérieures du drame sont seules exprimées par les choeurs, en paroleshumaines, tandis que les sentiments intimes des deux fiancés ne sont évoquésque par la musique instrumentale (M, 319).

L’éolien, ignorant à la fois la généralité du concept abstrait et la richesse destermes concrets, n’était qu’un embryon de langue, une langue telle qu’en parlentpeut-être des hommes très primitifs, d’un psychisme sommaire (M, 182)».

La parole humaine se situe à mi-chemin du mutisme des bêtes et du silence desdieux. Mais entre ce mutisme et ce silence, il existe peut-être une affinité, voire

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une promesse de l’évolution que l’irruption de la parole oblitère à tout jamais. Lemutisme bestial du petit enfant s’épanouirait peut-être en silence divin si sonapprentissage du tumulte social ne l’embarquait pas irrémédiablement dans uneautre voie. Parce que nous étions deux à le partager, ce mutisme originelpossédait des chances d’épanouissement exceptionnelles, fabuleuses, divines.Nous l’avons laissé mûrir entre nous, il a grandi avec nous. Qu’en serait-il advenusans la trahison de Jean, sans la double amputation ? (...) Je cherche à retrouver,mieux, à porter à une perfection plus grande que celle déjà éblouissante qu’ilavait atteinte le jour maudit (M, 184).

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Peu à peu, une idée audacieuse (...) s’est imposée à mon esprit : ce frère jumeaude Thomas, il n’en était jamais fait mention parce que c’était Jésus lui-même.Thomas n’était donc pas un frère jumeau déparié, mais le Jumeau Absolu, celuidont le pareil ne doit être cherché nulle part ailleurs qu’en Dieu (M, 152).

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Mais quid de la cryptophasie dépariée ? Parce qu’il a perdu son frère-pareil, lecryptophone sera-t-il réduit à l’alternative du silence absolu ou du langagedéfectueux des sans-pareil ? En vérité je suis soutenu par un espoir invérifiable,mais je m’effondrerais s’il venait à être déçu. Cet espoir, c’est que la fausseubiquité à laquelle me condamne la fuite de Jean aboutira--si mon frère-pareildemeure définitivement introuvable-- à quelque chose d’inouï, d’inconcevable,mais qu’il faudrait appeler une ubiquité vraie. De même cette cryptophasie renduevaine par la perte de mon unique interlocuteur débouchera peut-être sur unlangage universel, analogue à celui dont la Pentecôte dota les apôtres (M, 512).

En vérité tout est sacré. Vouloir distinguer parmi les choses un domaine profaneet matériel au-dessus duquel planerait le monde sacré, c’est simplement avouerune certaine cécité et en cerner les limites. Le ciel mathématique des astronomesest sacré parce que c’est le lieu du Père. La terre des hommes est sacrée, parceque c’est le lieu du Fils. Entre les deux, le ciel brouillé et imprévisible de lamétéorologie est le lieu de l’Esprit et fait lien entre le ciel paternel et la terrefiliale. C’est une sphère vivante et bruissante qui enveloppe la terre comme unmanchon plein d’humeurs et de tourbillons, et ce manchon est esprit, semence etparole (M, 158).

La troposphère –ou sphère de trouble—(...), champs des perturbations, chaoshumide et venteux, cohue imprévisible d’interactions et d’intempéries, estdominée par un olympe serein dont les révolutions sont réglées comme uncadran solaire, sphère astrale éternelle, monde sidéral inaltérable (M, 448).

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Cette gémellité dépariée dont je souffrais comme d’une amputation, je l’avaisreportée sur Jésus (...). Mais il ne fallait pas demeurer prisonnier du corps duCrucifié. Il appartenait au Père Théodore de m’ouvrir à la tempête de l’Esprit. (...).Ce qui demeurait le prisonnier du corps du Christ a éclaté et s’est répandujusqu’aux confins de la terre. Le fond commun que je ne trouvais qu’en Jésus,s’est découvert à moi en chaque homme vivant. Ma didymie est devenueuniverselle. Le jumeau déparié est mort, et un frère des hommes est né à sa place(M, 160).

La gémellité m’a toujours passionné. C’est l’archétype du couple. C’est un noeudoù se rejoignent la mythologie, la biologie, la linguistique (ils parlent entre eux unjargon particulier), l’érotique (ils incarnent un inceste d’une pureté absolue) etc.On dirait que tous les autre couples humains --homme-femme, mère-enfant,père-fille, frère-soeur, etc.,-- sont des approches maladroites du modèleinsurpassable 132.

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Le mariage ne créait-il pas une sorte de parenté entre les époux, et puisqu’ils’agissait de deux êtres appartenant à la même génération, cette parentén’était-elle pas analogue à celle qui unit un frère et une soeur ? Et si le mariageentre frère et soeur réels est interdit, n’est-ce pas justement parce qu’il estabsurde de prétendre créer par institution et sacrement ce qui existe déjà en fait? (M, 316)

Roméo et Juliette eux aussi étaient fort dissemblables si l’on voulait bien détaillerleur visage et leur silhouette, mais ils se rapprochaient par une affinité profonde,une ressemblance secrète qui imposait le soupçon qu’ils fussent frère et soeur.En somme, un couple lié par une passion absolue, immuable, inaltérable,suspendue dans un éternel présent revêt forcément la forme fraternelle (M,317-318).

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Différents par le sexe, l’âge et la nationalité, Ralph et Deborah n’ont pas voulu del’union normale, temporelle, dialectique qui se serait épanouie et épuisée dansune famille, des enfants, des petits-enfants. Le fantôme gémellaire qui hante plusou moins tous les couples sans-pareil a poussé celui-là à des extrémités assezrares. Il l’a stérilisé et expédié dans le désert (M, 486).

Petit Daniel, quand dénaissant tu choiras dans mon sein, (...) tu ne seras pas monamant --mot grotesque qui pue le couple hétéro--, tu ne seras même pas monjeune frère, tu seras moi-même (M, 249).

Narcisse avait une soeur jumelle dont il était épris. Cette soeur étant morte, il allacontempler dans une fontaine sa propre image pour y trouver la disparue. Le

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dédoublement pour Narcisse, comme pour Adam, c’est la recherche de l’autrepour l’accomplissement de soi-même134.

Fraternel. Le grand mot est tombé de ma plume. Car le lit est le ventre maternel,l’homme qui vient, dénaissant, m’y rejoindre ne peut être que mon frère. Frèrejumeau, s’entend (M, 249).

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La gémellité m’a rejeté, parce qu’elle est plénitude, entière suffisance, celluleclose sur elle-même. Je suis dehors. Je suis à la porte. Ces enfants n’ont pasbesoin de moi. Ils n’ont besoin de personne (M, 385).

Le vrai malheur, dans le dédoublement de personnalité, est au fond de ne jamaispouvoir vraiment se dédoubler : le double manque à celui que le double hante137.

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Le prodige de la ressemblance gémellaire est avant tout une création de notreétonnement personnel, du trouble de notre imagination. (...). Ce même individu endeux exemplaires est une mise en question de la singularité de tout être, de monêtre, une offense à ma propre identité. Qui suis-je ? (...). C’est un défi à maconviction d’être unique, d’être moi138.

Il me semblait en effet qu’en collant la photo d’un seul de nous deux sur les deuxcartes, on scellait officiellement --et donc peut-être pour toujours et de façonirrémédiable-- une confusion entre nous dont je m’apercevais par la mêmeoccasion que je n’en voulais plus (M, 280).

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Quelqu’un était là, reflété par trois fois dans cet espace minuscule. Qui ? Laquestion à peine posée recevait une réponse qui faisait un bruit de tonnerre :Paul ! Ce jeune garçon un peu pâle, vu de face, de droite et de gauche, figé parcette triple photographie, c’était mon frère-pareil, venu là je ne sais comment,mais indiscutablement présent. Et en même temps, un vide effroyable se creusaiten moi, une angoisse de mort me glaçait, car si Paul était présent et vivant dansle triptyque, moi-même, Jean, je n’étais nulle part, je n’existais plus (M, 285).

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Le clerc de notaire avait disparu et avait fait place à une créaturedrolatique etinquiétante, d’une laideur puissante et envoûtante, à un monstre sacré (CB, 107).

L’image qu’on se faisait généralement de lui, d’après sa voix, était celle d’unhomme dans sa seconde jeunesse, grand, mince, souple, avec une masse decheveux châtains indomptés(CB, 127).

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Les micros avaient l’air d’une tête de vipère dardée sur le visage, sur la bouchede celui qui parlait. Robinet s’avisa que c’était ce serpent électronique hostile etméchant qui opérait sa métamorphose en Tristan Vox (CB, 133).

Dans le couple maléfique qui unit le moi à un autre fantomatique, le réel n’est pas

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du côté du moi, mais bien du côté du fantôme : ce n’est pas l’autre qui medouble, c’est moi qui suis le double de l’autre. A lui le réel, à moi l’ombre. « Je »est «un autre » ; la «vraie vie » est «absente »143.

Je sentais au fond que je le craignais, et je ne pouvais m’empêcher de considérerl’égalité qu’il maintenait si facilement vis-à-vis de moi comme la preuve d’unevraie supériorité --puisque c’était de ma part un effort perpétuel pour n’être pasdominé145.

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On ne peut considérer l’histoire des deux jumeaux comme le déroulementindépendant de deux vies parallèles. Ils font couple. Et le couple, en tant que tel,par ses lois internes d’organisations, d’équilibre, de développement, agit engénéral de façon différenciatrice sur les deux éléments qui le composent146.

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Mais Paul se trompe, il me fait peur, il m’étouffe quand il prétend perpétuerindéfiniment cette enfance et en faire un absolu, un infini. La cellule gémellaire,c’est le contraire de l’existence, c’est la négation du temps, de l’histoire, deshistoires, de toutes les vicissitudes –disputes, fatigues, trahisons, vieillissement-qu’acceptent d’entrée de jeu, et comme prix de la vie, ceux qui se lancent dans legrand fleuve dont les eaux mêlées roulent vers la mort. Entre l’immobilitéinaltérable et l’impureté vivante, je choisis la vie (M, 274).

Le ciel brouillé des météores se permet une avance moyenne de vingt jours sur leciel mathématique. (...). Cela signifie-t-il que Jean, ayant pris le parti de la pluie etdu beau temps, aura toujours sur moi une avance irréductible ? Cela signifie-t-ilqu’à moins de prendre à mon tours le parti des météores, je ne retrouverai jamaismon frère ? (M, 454-457)

Retrouver Jean. Le faire revenir à Bep. Mais en formulant ce dessein, j’en vois unautre, incomparablement plus vaste et plus ambitieux, se profiler derrière lui :assurer ma mainmise sur la troposphère elle-même, dominer la météorologie,

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devenir le maître de la pluie et du beau temps (M, 449).

L’ourdissage --qui est composition, accordement, réunion de centaines de filscouchés ensemble sur l’ensouple -- alors que le cardage est arrachement,discorde, dislocation brutalement obtenue avec deux tapis contraires etenchevêtrés de clous crochus (M, 273).

(...) Berlin, (...) cette pseudocapitale, absurde et tragique symbole de la coupurepar la guerre idéologique entre l’est et l’ouest. J’en ai fait sans grande difficulté lepoint final du grand voyage initiatique des Météores, celui où Paul croit retrouverson frère Jean, et vient y subir les mutilations rituelles qui vont préparer sonapothéose météorologique. (...). Roman apparemment historique Les Météoresélève l’événement à la puissance mythologique en effectuant une déductionromanesque de l’Histoire (VP, 134-135).

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Avec Tournier, l’objectif et le subjectif sont si imbriqués qu’ils accomplissent,comme au cour d’une expérience chimique et pourtant immatérielle, l’union dusingulier et de l’universel, lesquels ne se mêlent et ne surgissent que si l’artisteest capable d’atteindre, par son style, à ce degré de profondeur qui fonde la fableet le mythe147.

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Chaque homme a besoin de ses semblables pour percevoir le monde extérieurdans sa totalité. Autrui lui donne l’échelle des choses éloignées et l’avertit quechaque objet possède une face qu’il ne peut voir de l’endroit où il se trouve, maisqui existe puisqu’elle apparaît à des témoins éloignés de lui. (...). La visionqu’aurait du monde un solitaire --sa pauvreté, son inconsistance-- sontproprement inimaginables. Cet homme ne vivrait pas sa vie, il la rêverait, il n’enaurait qu’un rêve impalpable, effiloché, évanescent (M, 421).

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Qui suis-je ? Une seule question, la seule qui comptera pour moi le jour où j’aurairenoncé à retrouver Jean : quelle différence fondamentale existe-t-il entre unjumeau déparié et un quelconque sans-pareil ? Ou en d’autres termes : ladisparition de Jean devant être considérée comme acquise et définitive, commentvivre encore ma gémellité ? Comment assumer de façon active et vivante monhéritage gémellaire ? (M, 563).

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Le thème de voyage, déplacement dans l’espace assez important pour impliquerun changement de pays-- nous dit le dictionnaire, et nous sommes libresd’interpréter ce «dépaysement» dans un sens métaphorique et métaphysique151.

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On dirait que (les vénitiens) ont éprouvé une secrète satisfaction dans la mort dela soeur jumelle --certes plus riche, plus vénérable, plus religieuse-- mais sanslaquelle ils n’auraient pas existé (M, 433).

un miroir dérapant, distrayant, un miroir centrifuge qui chasse vers sa périphérietout ce qui approche son foyer. (...). Avec un miroir vénitien, Narcisse était sauvé.Au lieu de rester englué à son propre reflet, il se serait levé, aurait serré saceinture, et il serait parti à travers le monde. On changeait le mythe : Narcissedevenait Ulysse, le juif errant, Marco Polo, Phileas Fogg...(M, 431).

Ce qui a retenu mon regard, ce fut au mur un plan de Venise. Je venais dereconnaître deux mains emboîtées --la droite au-dessus de la gauche-- séparéespar le serpent bleu du Grand Canal. (...). Si j’avais eu le moindre doute sur lamission que j’étais venu accomplir à Venise, j’aurais dû me rendre à l’évidence :la clé gémellaire de cette ville m’était apportée dès mon arrivée, comme sur uncoussin de velours (M, 426).

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Ce qui me frappe le plus, c’est qu’elle m’a tutoyé. J’en suis stupéfié, abasourdi.(...). Parce que c’est la première fois qu’on me tutoie. Pendant toute son enfanceJean-Paul n’a entendu que le vous, car la fusion des jumeaux n’allait tout demême pas assez loin pour qu’on nous considérât comme un seul individu. Non,c’était plutôt l’inverse qui se produisait --je veut dire que même séparés l’un del’autre, chacun s’entendait appeler vous, puisque ce qu’on lui disait concernaittout autant que lui son frère momentanément absent. (...), ce tu me blesse, parceque --trivial ou non-- il m’enfonce dans ma nouvelle condition de sans-pareil, et jeme rebiffe de toutes mes forces (M, 451-452).

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C’est par le biais d’autrui que débute la métamorphose de Paul, conduit petit àpetit à ne plus protester devant la méprise et accordé progressivement à la visionde l’autre153.

Notre poursuite prend un sens d’une logique effrayante : je m’engraisse de sasubstance perdue, je m’incorpore mon frère fuyard (M, 539).

Dès l’instant que je sens naître en moi la possibilité d’assumer en totalité lapersonnalité de Jean-Paul, la mort de Jean devient une éventualité acceptable,presque une solution, (M, 492)

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Le jardin et la maison doivent se mêler intimement l’un et l’autre. Les jardinsoccidentaux ignorent cette loi. La maison occidentale est fichée comme une

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borne au milieu du jardin qu’elle ignore et qu’elle contrarie.(...). La maisonjaponaise traditionnelle, (...) par un réseau de passerelles et de galeries paraît sediluer dans le jardin. En vérité on ne sait lequel des deux envahit et absorbel’autre. C’est plus qu’un mariage heureux, c’est le même être (M, 517).

En vérité ces statues sont parfaitement discernables les unes des autres, nefût-ce que par la place qu’elles occupent dans l’espace et qui est propre àchacune. Car telle est l’erreur fondamentale de la pensée occidentale : l’espaceconçu comme un milieu homogène, sans relation intime avec l’essence deschoses, où l’on peut impunément par conséquent les déplacer, les disposer, lespermuter. Peut-être la terrible efficacité de l’Occident découle-t-elle de ce refus del’espace comme organisation complexe et vivante, mais c’est aussi la source detous ses malheurs (M, 528).

(...) les ondulations savantes imprimées dans le sable par le râteau en acier àquinze dents du moine ne sont autres que les vagues, vaguelettes et rides de lamer infinie. (...). Le jardin Zen contient en puissance toutes les saisons de

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l’année, tous les paysages du monde, toutes les nuances de l’âme (M, 526).

Du haut de son mirador Feï Tchang-fang avait vu le marchand du simple, le soir,après la fermeture du marché, devenir soudain petit, minuscule, et entrer dans laplus petite de ses calebasses. (...) A l’intérieur s’épanouissait un jardin de jade.Des grues d’argent s’ébattaient dans un étang de lapis-lazuli entouré d’arbres decorail . Au ciel une perle figurait la lune, un diamant le soleil, une poussière d’orles étoiles. Le ventre du jardin était une grotte de nacre. De son plafondpendaient des stalactites laiteuses d’où suintait un liquide quintessencié. Legénie invita Feï Tchang-fang à sucer les tétons de la grotte, car, lui dit-il, tu n’esqu’un tout petit enfant en regard de l’antiquité du jardin, et ce lait te donnera unelongue vie (M, 536).

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Ainsi le lettré dans sa modeste demeure, le poète devant son écritoire, l’ermitedans sa caverne disposent à volonté de tout l’univers. Il n’est que de concentrerautant qu’il le faut pour disparaître dans le jardin miniature, comme legénie-apothicaire dans sa calebasse. (...) Parfois le sage sort un médaillon de songousset. Il en soulève un couvercle. Un infime jardin apparaît où des banians etdes baobabs entourent des lacs immenses réunis par des ponts arqués. Et lesage devenu soudain gros comme un grain de pavot se promène avecravissement dans cet espace vaste comme le ciel et la terre (M, 541).

Des jumeaux vrais ne sont qu’un seul être dont la monstruosité est d’occuperdeux places différentes dans l’espace. Mais l’espace qui les sépare est d’unenature particulière. Il est si riche et si vivant que celui où errent les sans-pareil esten comparaison un désert aride. Cet espace intergémellaire - l’âme déployée- estcapable de toutes les extensions. Il peut se réduire à presque rien quand lesfrères-pareils dorment enlacés en posture ovale. Mais si l’un d’eux s’enfuit auloin, il se distend et s’affine –sans jamais se déchirer- à des dimensions quipeuvent envelopper la terre et le ciel. Alors la grille de déchiffrement gémellairecouvre le monde entier, et ses villes, ses forêts, ses mers, ses montagnesreçoivent un sens nouveau (M, 573-574).

Mes plaies sont deux jardins japonais et dans cette terre rouge, tuméfiée,bosselée de croûtes noires, crevée de flaques de pus où l’os coupé émergecomme un rocher, il m’appartient de modeler une minuscule réplique du ciel et dela terre... qui me livrera la clé du ciel et de la terre (M, 608).

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Mais ce voyage n’était que la parodie d’une vocation secrète, et il devait memener sous le mur de Berlin à seule fin que j’y subisse les mutilations rituellesnécessaires à l’accession à une autre ubiquité. Et la disparition inexplicable deJean n’était que l’autre face de ce sacrifice (M, 618).

L’opération est plutôt chimique, puisqu’elle conduira à l’effacement du corps, àson osmose : mimétisme du corps devenu fange, mimétisme du corps devenuair. Rose des vents : l’horizontale, c’est la destruction de l’oeuf gémellaire et laséparation des frères-pareils ; la verticale, c’est, vers le bas, l’appel de la terre ;vers le haut, l’aspiration ouranienne. « Ce sont des Dioscures, êtres tombés duciel comme des météores, issus d’une génération verticale, abrupte »154.

Rien ne peut renaître à un état meilleur sans mourir préalablement et subir lapériode de dissociation et de putréfaction de ses principes antérieurs 155.

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Etre prisonnier dans un appartement avec une vieille dame prussienne lorsqu’ona survolé le Groenland, l’Alaska, le Pacifique, traversé en chemin de fer lesmontagnes Rocheuses et la grande Prairie, après avoir vu tant d’espace, êtreréduit à si peu de place, quel pouvait être le sens de ce fantastique retournement? Sur quel jardinjaponais --d’autant plus chargé secrètement d’infinis qu’il estplus douloureusement miniaturisé-- ce rétrécissement brutal allait-il déboucher ?(M, 587).

La mort sans doute. Car voici que le boyau s’achève sur un bouchon de glaiserouge qui s’avance lentement vers lui. Il arrache du sol avec l’énergie du

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désespoir un cric, une barre, un tronçon de poutrelle. Il s’arc-boute (...) lorsque lamâchoire molle et ruisselante se ferme lentement sur son corps crucifié, il sentces pièces dures le broyer comme des dents d’acier (M, 603).

Je suis un cheval rétif, écumant et piaffant sous la douleur du travail. Je suis unefemme en travail, hurlante et cabrée. Je suis l’enfant qui vient de naître : le mondepèse sur lui avec le poids d’une grande souffrance, mais il doit assimiler cettesouffrance, en devenir l’architecte, le démiurge (M, 609).

(...) je constate que je suis en contact immédiat, en prise directe avec le ciel et lesintempéries. J’entrevois la naissance d’un corps barométrique, pluviométrique,anémométrique, hygrométrique. Un corps poreux où la rose des vents viendrarespirer. Non plus le déchet organique pourrissant sur un grabat, mais le témoinvivant et nerveux des météores (M, 610).

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Qu’est-ce que l’absolu ? C’est étymologiquement ce qui n’a pas de rapport, pasde relation. (...) Pour retrouver l’absolu, il n’est que de couper ces liens.Considérer chaque visage et chaque arbre sans référence à autre chose, commeexistant seul au monde, comme indispensable et ne servant à rien (VP, 298).

Ce corps gauche qui remue, qui s’agite, qui pousse des prolongements fabuleuxdans ma chambre, dans le jardin, bientôt peut-être sur la mer et au ciel, je lereconnais, c’est Jean, incorporé désormais à son frère-pareil, Jean-le-Fuyard,Jean-le-Nomade, Jean-le-Voyageur-invétéré (M, 618).

Par la seule vertu de notre bipolarité, nous vivons dans un espace tendu entrenous, tissé d’émotions, brodé d’images, chaud et coloré comme un tapisd’Orient. Une âme déployée, oui, telle était l’âme de Jean-Paul --et nonrecroquevillée comme l’âme des sans-pareils (M, 422).

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Tout est signe, dialogue, conciliable. Le ciel, la terre, la mer se parlent entre euxet poursuivent leur monologue.(...) Doué d’ubiquité, le cryptophone dépariéentend la voix des choses, comme la voix de ses propres humeurs. Ce qui pour lesans-pareil n’est que rumeur de sang, battement de coeur, râle, flatulence etborborygme devient chant du monde pour le cryptophone déparié. Car la parolegémellaire destinée à un seul, par la force du dépariage s’adresse désormais ausable, au vent et à l’étoile. Ce qu’il y avait de plus intime devient universel. Lechuchotement s’élève à la puissance divine (M, 624).

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Tu affirmes cela ce soir. Mais dès les premières lueurs du jour, tu feras lever tonméhari blanc et tu t’éloigneras vers le nord sans te retourner. En vérité, je croisque tu aimes mieux ton chameau et ton désert que moi ! (CB, 286)

L’accusation de Rachel va loin, car elle vise à me placer au seuil del’impuissance, mieux, elle traduit la grande mésentente du couple humain,l’immense frustration des femmes, sans cesse fécondées, jamais comblées (RA,21).

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La puissance sexuelle consiste simplement à différer aussi longtemps quepossible l’acte sexuel. Elle est affaire d’abnégation. (...).Puissance sexuelle esttout l’inverse et comme la négation d’acte sexuel. Elle est l’acte promis, jamaistenu, indéfiniment enveloppé, retenu, suspendu. La femme est puissance,l’homme est acte (RA, 22).

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Alors quel ne devait pas être l’équipage de l’ancêtre fabuleux, hommeporte-femme devenu de surcroît porte-enfant, chargé et surchargé, comme cespoupées gigognes emboîtées les unes dans les autres ! (RA, 35)162

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Combien de fois dans le jardin ou la maison, elle sentit des lèvres se poser sur samain abandonnée ! Alors d’un mouvement doux, elle caressait une tête, unenuque sans regarder le masque batracien levé vers elle avec adoration (M, 18).

La vie partagée qu’il menait avait longtemps paru à Edouard un chef-d’oeuvred’organisation heureuse. Aux Pierres Sonnantes, il se donnait tout entier auxexigences de l’usine et aux soins de Maria-Barbara et des enfants. A Paris, ilredevenait le célibataire oisif et argenté de sa seconde jeunesse. Mais avec lesannées, cet homme peu porté à l’analyse intérieure dut cependant s’avouer quechacune de ces vies servait de masque à l’autre et l’aveuglait sur le vide etl’incurable mélancolie qui constituaient leur commune vérité (M, 24-25).

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Il est exact que, dans la plupart des sociétés, il existe une cérémonie d’initiationpour les garçons. Rien ne se passe pour les filles. Pourquoi ? Sans doute parceque les garçons ne font pas partie dès leur naissance de la communauté deshommes. Elevés par leur mère, ils appartiennent à la société des femmes aussilongtemps que dure leur impuberté. L’initiation marque le passage du garçon dela société des femmes à celle des hommes163.

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La femme-enfant reste sans doute l’un des fantasmes les plus tenaces de lamythologie occidentale. La femme-enfant, la femme-oiseau, avec tous sesattributs, la grâce, la légèreté, la gaieté, certes, mais aussi la coquetterie, lafrivolité, et finalement une certaine débilité mentale. Ainsi doit être la compagnede l’homme dans une société foncièrement patriarcale et phallocratique (VV, 261).

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Non seulement le mari est plus jeune que sa femme, mais il est plus joli ( à elle labeauté forte, intéressante ), moins patient, moins résistant à la fatigue et à lasouffrance, plus frivole. Il aime avant tout s’amuser (VV, 261).

L’homme ne lui suffisait pas. Il lui fallait concevoir par lui et sentir un enfantprendre vie et forme dans sa chair. Alors seulement l’acte serait complet ... ellecirculait, éblouie de bonheur (VV, 264).

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Ils dorment, et, rendus au plus intime d’eux-mêmes, (...). Et c’est ainsi que

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Maria-Barbara les sent le plus près d’elle. Leur ressemblance immaculée estl’image des limbes matriciels d’où ils sont sortis. Le sommeil leur restitue cetteinnocence originelle dans laquelle ils se confondent. En vérité tout ce qui leséloigne l’un de l’autre les éloigne de leur mère (M, 12).

L’amour des parents, si touchant et au fond si enfantin, n’est rien d’autre que leurnarcissisme qui vient de renaître 166.

Je me demande si la pitié qui m’incline vers Daniel n’est pas un avatar de monpetit chagrin, en l’espèce la compassion que m’inspire le petit garçon orphelinque maman a laissé derrière elle. Narcisse se penche sur son image et pleure depitié (M, 247).

Le petit garçon refoule l’amour pour la mère, en se mettant lui-même à la place decelle-ci, en s’identifiant à elle et en prenant sa propre personne pour le modèle à

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la ressemblance duquel il choisira ses nouveaux objets d’amour167.

J’ai toujours pensé que chaque homme, chaque femme, le soir venu, éprouvaitune grande fatigue d’exister ( exister sistere ex, être assis dehors ), d’être né, etpour se consoler de toutes ces heures de bruit et de courant d’air entreprenait denaître à l’envers, de dénaître(M, 247).

Petit Daniel, quand dénaissant tu choiras dans mon sein, quand nous sabreronsensemble, quand nous nous connaîtrons réciproquement avec la merveilleusecomplicité que donne une prescience atavique, immémoriale et comme innée dusexe de l’autre -- le contraire de l’enfer hétérosexuel où chacun est terra incognitapour l’autre -- tu ne seras pas mon amant (...), tu ne seras même pas mon jeunefrère, tu seras moi-même, et c’est dans l’état d’équilibre aérien du coupleidentitaire que nous voguerons à bord de notre grand vaisseau maternel, blanc etobscure (M, 249).

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Son« bain d’au-delà » le surprit par son tour original et grave. Il se souvint que lelimon avait été la matière première dans laquelle l’homme avait été façonné parDieu, et que par conséquent l’ultime aboutissement de la vie rejoignait sesorigines absolues (M, 313).

Il était suspendu dans une éternité heureuse. (...). Aussi bien la différence entre laveille et le sommeil était-elle très effacée dans l’état d’inexistence où il se trouvait(VLP, 106).

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(La grotte) est un retour vers l’innocence perdue que chaque homme pleuresecrètement. Elle réunit miraculeusement la paix des douces ténèbresmatricielles et la paix sépulcrale, l’en deçà et l’au-delà de la vie (VLP, 112).

J’y trouvais, certes, la paix et l’allégresse, mais j’écrasais de mon poids d’hommema terre nourricière. Enceinte de moi-même, Speranza ne pouvait plus produire,comme le flux menstruel se tarit chez la future mère. Plus gravement encore,j’allais la souiller de ma semence. Levain vivant, quel horrible mûrissementn’aurait-il pas provoqué dans ce four gigantesque, la grotte ! Je vois Speranzatoute entière gonfler comme une brioche, boursoufler ses formes à la surface dela mer, crever enfin pour vomir quelque monstre incestueux ! (VLP, 114)

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La présence presque charnelle de l’île contre lui le réchauffait, l’émouvait. Elleétait nue, cette terre qui l’enveloppait. Il se mit nu lui-même. Les bras en croix, leventre en émoi, il embrassait de toutes ses forces ce grand corps tellurique (VLP,126).

Procréer, c’est susciter la génération suivante qui innocemment, maisinexorablement, repousse la précédente vers le néant. A peine les parents ont-ilscessé d’être indispensables qu’ils deviennent importuns. (...). Dès lors il est bienvrai que l’instinct qui incline les sexes l’un vers l’autre est un instinct de mort(VLP, 131).

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Elle était d’abord troublée par une mystérieuse affinité qui paraissait rapprocherces deux sortes d’objets. (...). La carrure massive du pistolet -- arme de poing -- etles rondeurs musculeuses des champignons évoquaient aussi pour elle untroisième objet (...) le sexe d’Etienne Jonchet qui lui avait donné tant de bonheurpendant de longues semaines. Elle découvrit ainsi la complicité profonde del’amour et de la mort (CB, 193).

La terre attire irrésistiblement les amants enlacés dont les bouches se sont unies.Elle les berce après l’étreinte dans le sommeil heureux qui suit la volupté. Maisc’est elle aussi qui enveloppe les morts, boit leur sang et mange leur chair, afinque ces orphelins soient rendus au cosmos dont ils s’étaient distraits le tempsd’une vie. L’amour et la mort, ces deux aspects d’une même défaite de l’individu,se jettent d’un commun élan dans le même élément terrestre. L’un et l’autre sontde nature tellurique (VLP, 132-133).

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Ma barbe a disparu dont les poils végétaient en direction de la terre, commeautant de radicelles géographiques. En revanche ma chevelure tord ses bouclesardentes comme un brasier dressé vers le ciel (VLP, 217-218).

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Pendant des siècles, des millénaires peut-être, force et virilité ont été pour ainsidire synonymes. C’est à ce point que dans l’imagination populaire, le poids et lepoil constituaient des attributs obligés de la force. L’homme fort avait le typepréhistorique, et additionnait l’obésité, la poitrine frisée et la barbe drue (PP, 84).

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Dieu, il a d’abord créé Adam. Puis il a créé le Paradis. Puis il a mis Adam dans leParadis (...). Tandis qu’Eve, (...) elle a été créée dans le Paradis. C’est uneindigène du Paradis (M, 484).

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Non, chère carcasse, maigre et nerveuse, (...), tu ne connaîtras pas leboursouflement de l’obésité hétérosexuelle, ni celui de l’oedème ou de la tumeur.Tu mourras sèche et battante dans une lutte inégale où t’aura jetée l’amour (M,141).

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Vieillir. Deux pommes sur une planche pour l’hiver. L’une se boursoufle etpourrit, l’autre se dessèche et se ratatine. Choisis si possible cette secondevieillesse, dure et légère (VI, 79).

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S’il fallait nécessairement traduire en termes humains ce coït solaire, c’est sousles espèces féminines, et comme l’épouse du ciel qu’il conviendrait de me définir.(...) En vérité, au suprême degré où nous avons accédé, Vendredi et moi, ladifférence de sexe est dépassée, et Vendredi peut s’identifier à Vénus, tout demême qu’on peut dire en langage humain que je m’ouvre à la fécondation del’Astre Majeur (VLP, 230).

Céladon est une face, Alexis est l’autre face. Céladon se dispute avec sa belleamie Astrée. Elle le chasse. Il part désespéré. Peu après, une ravissante bergèrese présente à Astrée. Elle s’appelle Alexis et connaît l’art de plaire aux dames.Bien vite Astrée oublie son chagrin dans les bras de sa nouvelle amie. Or qui estAlexis, en vérité ? Céladon, déguisé en bergère ! Comme quoi il suffit parfois dechanger de sexe pour que tout s’arrange ! (M, 257)

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« J’ai planté toutes mes graines dans ce petit corps. Il faudra que tu cherches unclimat favorable à leur floraison », ou encore : « Il faudrait réunir d’un trait alphaet oméga (RA, 62-63).

Le vrai scandale, ce n’est pas tant l’ogre amateur de chair fraîche ; c’est l’hommemère, le porte-enfant qui pulvérise par sa tendresse la trilogie oedipienne 178.

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Quiconque me verrait manier un petit homme n’y trouverait que brutalité etdésinvolture. Lui ne s’y trompe pas. Dès le premier contact, il comprend que souscette apparente rudesse se cache un énorme et tendre savoir-faire. Avec eux mesgestes sont secrètement capitonnés de douceur (RA, 503).

L’image que j’évoque avec le plus de douceur, c’est celle de la famille de Martine--ses trois soeurs, sa mère, son père, réunis le soir sous la lampe. Moi qui n’aijamais eu de famille, comme j’aimerais m’asseoir parmi eux, m’enfermer danscette cellule close dont l’atmosphère doit être d’une qualité particulière et d’unedensité admirable (RA, 184).

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Depuis que je m’occupe intensément des enfants, il me semble que j’ai moinsd’appétit. (...). J’en viens à délaisser la viande et le lait cru pour un régime plusordinaire. Et pourtant je ne maigris pas ! Tout se passe comme si le contact desenfants apaisait ma faim de façon plus subtile et comme spirituelle (RA, 183).

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J’ai cru d’abord qu’il n’y avait rien de plus enviable au monde que le rôle de cechauffeur-nourricier, et j’ai ardemment envié son sort. Mais sous l’influencepeut-être de cet air indien saturé de mystères et de monstres, j’ai rêvé d’unemétamorphose plus exaltante encore : être le camion-citerne lui-même et, telleune énorme truie aux cents tétines généreuses, donner mon ventre en pâture auxpetits Indiens affamés (CS, 36).

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Or donc en cette plaine roannaise une femme prend la liberté de nouer avec moiun dialogue dont le ton d’insolence familière me pique, mélange d’attrait subi etd’irritation. Ce qui augmente l’irritation, c’est que l’effet produit sur moi est àcoup sûr calculé et voulu par elle. Je me sens manipulé (M, 234).

Intacte, énorme, éternelle, Sodome contemple de haut sa chétive contrefaçon. Jene crois pas que rien puisse sortir de la conjonction de deux nullités (M, 237).

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Pas un pouce de graisse, un monument de muscles souples et pulpeux quiroulent sous une peau soyeuse. Les seins eux-mêmes ne sont plus que la tendredoublure des pectoraux, et gênant à coup sûr moins les mouvements de lamachine musculaire que le sexe encombrant de l’homme. La réussite estéclatante, et, notez-le bien, elle reste strictement dans les limites de la féminité(PP, 85).

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L’être et moi, nous cheminons depuis si longtemps côte à côte, nous sommes desi anciens compagnons que, (...), nous nous comprenons, nous n’avons rien ànous refuser (RA, 14).

Tout est signe. Mais il faut une lumière ou un cri éclatant pour percer notremyopie ou notre surdité. Depuis mes années d’initiation au collège SaintChristophe, je n’ai cessé d’observer des hiéroglyphes tracés sur mon chemin oud’entendre des paroles confuses murmurées à mes oreilles, sans riencomprendre, sans pouvoir en tirer autre chose qu’un doute supplémentaire sur laconduite de ma vie, mais aussi, il est vrai, la preuve réitérée que le ciel n’est pasvide. Or cette lumière, les circonstances les plus médiocres l’ont fait jaillir hier, et

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elle n’a pas fini d’éclairer ma route (RA, 15-16).

S’il me fallait la preuve irréfutable qui fait de moi le légataire de Nestor, il mesuffirait de regarder ma main courir sur le papier, (...). Toute la force de Nestor,tout son esprit dominateur et dissolvant sont passés dans cette main, celle dontprocèdent jour après jour ces écrits sinistres qui sont ainsi notre oeuvrecommune (RA, 54-55).

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L’illusionné, dit-on parfois, ne voit pas : il est aveugle, aveuglé. La réalité a beaus’offrir à sa perception : il ne réussit pas à la percevoir, ou la perçoit déformée,tout attentif qu’il est aux seuls fantasmes de son imagination et de son désir187.

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J’ai été petit et chétif jusqu’à douze ans. Puis je me suis mis à grandirdémesurément, (...). A vingt ans, je mesurais un mètre quatre-vingt-onze et jepesais soixante-huit kilos (RA, 109).

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Mais, monsieur Tiffauges, c’est qu’il vous ressemble ! Ma parole, on dirait votrefrère ! Mais c’est vous, monsieur Tiffauges, c’est tout à fait vous ! (RA, 190).

Je vais par le monde mi-chair, mi-pierre, c’est-à-dire avec un coeur, une maindroite et un sourire avenants, mais aussi en moi quelque chose de dur,d’impitoyable et de glacé sur quoi se brisera inexorablement tout l’humain qui s’yheurtera (RA, 127).

Eclaboussés par le purin, les gens s’écartaient précipitamment en riant ou engrommelant, et le Français, impassible, enveloppé par les vapeurs mielleuses quimontaient sous lui, avait l’impression enivrante que c’était lui --et personned’autre-- qui se soulageait superbement, à la face des manants de son royaume(RA, 356).

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On a sorti hier un cadavre des tourbières de Walkenau, (...). J’avais peur que cesoit toi, d’autant plus que la description qu’on m’en a donnée par téléphonecorrespond assez à ton signalement (RA, 290-291).

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Quand je dis « j’aime la viande, j’aime le sang, j’aime la chair », c’est le verbeaimer qui importe seul. Je suis tout amour. J’aime manger la viande parce quej’aime les bêtes (RA, 112).

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Tous ces enfants bouillent dans un chaudron géant avant d’être mangés, mais jem’y suis jeté par amour, et je cuis avec eux (RA, 516).

Je songe à la résurrection de la chair que nous promet la religion, mais d’unechair transfigurée, au plus haut degré de sa fraîcheur et de sa jeunesse. Jedéploie toute ma peau brune et souillée d’adulte, je tends mon visage bistre etburiné à ces jets de vapeur bouillants, j’enfouis ma figure noire et ravinée danscette fleur de farine, je l’offre à ces houppettes de chair vive pour la guérir de sadisgrâce (RA, 517).

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Je regarde attendri ce beau poupon dodu de limon vivant que je viens d’enfanter,et je reprends goût à la vie (RA, 144).

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Le photographe est avare, avide, gourmand, centripète. (...). Ne disposant pas despouvoirs despotiques qui m’assureraient la possession des enfants dont j’aidécidé de me saisir, j’use du piège photographique (RA, 168).

Chaque photo élève son sujet à un degré d’abstraction qui lui confère du mêmecoup une certaine généralité, de telle sorte qu’un enfant photographié, c’estX--mille, dix mille-- enfants possédés (RA, 169).

Voilà Monsieur Tiffauges qui revient du marché avec sa provision de chairfraîche. Il va maintenant s’enfermer dans le noir pour manger tout ça (RA, 180).

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Don Juan, c’est moi. (...) la scène où Leporello exhibe la liste des conquêtes deson maître et en compte cent quarante en Allemagne, deux cent trente en Italie,quatre cent cinquante en France et mille trois en Espagne exprime assez unevolonté d’exhaustive que je ne connais que trop (RA, 150).

Je sais maintenant ce que sera ma fin : elle sera la victoire définitive de l’hommede pierre qui est en moi sur ce qui me reste de chair et de sang. Elle s’accomplirala nuit où mon destin ayant pris totalement possession de moi, mon dernier cri,mon dernier soupir viendra mourir sur des lèvres de pierre (RA, 151).

Ma joie n’est vraiment complète que si mon rollei pendu en sautoir à mon coupest bien calé entre mes cuisses. Je me plais ainsi équipé d’un sexe énorme, gainéde cuir, dont l’oeil de Cyclope s’ouvre comme l’éclair quand je lui dis « Regarde! »(RA, 167)

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J’ai su très tôt que si je déversais dans un roman mes expériences, mesdéceptions et mes enthousiasmes ayant l’Allemagne pour objet, le personnage

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principal en serait un prisonnier français en 1940, heureux de l’être, etfranchissant le Rhin avec la certitude de ne jamais revenir en France (VP, 105).

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A l’opposé de la France, terre océanique, noyée de brumes, et aux lignesgommées par d’infinis dégradés, l’Allemagne continentale, plus dure et plusrudimentaire, était le pays du dessin appuyé, simplifié, stylisé, facilement lu etretenu (RA, 280).

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Tiffauges défaillait de dégoût en observant ces opérations grossières quiévoquaient quelque assassinat gigantesque, perpétré au coin d’un bois, d’autantplus qu’il avait vite détecté l’affinité profonde qui le liait au cheval, animalphorique par excellence, et qui conférait un trait suicidaire à ces tueries (RA,312).

(Göring) était éclipsé par l’autre, l’ogre de Rastenburg, qui exigeait de ses sujets,pour son anniversaire, ce don exhaustif, cinq cent mille petites filles et cinq centmille petits garçons de dix ans, en tenue sacrificielle, c’est-à-dire tout nus, aveclesquels il pétrissait sa chair à canon (RA, 369).

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L’hitlérisme (...), doctrine d’agriculteurs et de sédentaires, (...). Pour nous, tout estdans le bagage héréditaire, transmis de génération en génération selon des loisconnues et inflexibles. Le mauvais sang n’est ni améliorable ni éducable, le seultraitement dont il est justifiable est une destruction pure et simple (RA, 431-432).

La trajectoire du temps est ici --non pas rectiligne-- mais circulaire. On vit non

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dans l’histoire, mais dans le calendrier. (...). L’hitlérisme est réfractaire à touteidée de progrès, de création, de découverte et d’invention d’un avenir vierge. Savertu n’est pas de rupture, mais de restauration : culte de la race, des ancêtres,du sang, des morts, de la terre... (RA, 413-414)

La moitié de cette foule en uniforme --c’est-à-dire uniformisée, homogénéisée,confondue sous le même drap, le même cuir, le même acier-- s’avance « au pas »--c’est-à-dire au même pas, (...). Cette foule-là est très avancée dans lamétamorphose qui fait de plusieurs millions d’Allemands un seul grand êtresomnambule et irrésistible, la Wehrmacht. Les individus enveloppés dans le

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grand être (...) sont déjà agglutinés, englués, en voie de dissolution (RA, 393).

Cette fois, nul besoin d’interprétation, ni d’aucune grille de déchiffrement. Cettecérémonie qui mêle si obstinément l’avenir et la mort, et qui précipite l’un aprèsl’autre les enfants dans un brasier, c’est bien l’évocation en clair et l’évocationdiabolique du massacre des innocents vers lequel nous marchons en chantant(RA, 444).

Dans tout ce qui touche désormais à l’Allemagne, l’homme est accessoire. (...).Désormais ce drapeau de sang -die Blutfahne- va devenir la relique la plus sacréedu parti nazi (RA, 476-477).

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Il s’agit d’un tremblement tétanique dont toute ma carcasse retentit, et dont mamâchoire est le moteur principal. Je lutte autant que je peux contre cettetrémulation trismique qui fait mes dents s’entrechoquer et des petits jets desalive fuser à l’intérieur de ma bouche (RA, 447).

L’odeur de suint d’enfants m’est vite montée à la tête, et m’a jeté dans une ébriétéheureuse. Joie, pleurs, pleurs de joie ! (...) Puis je les ai mêlés, brassées, pétrispour les serrer massivement dans mes bras. Alors j’ai été secoué de sanglotsconvulsifs, et je me suis demandé –et je me demande encore- si ma raison n’apas commencé à craquer dans cet excès d’émotion. (...) Après cette nuit blanche,je me suis levé ce matin avec des rugissements (RA, 512).

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La leçon de ce soir est d’une évidence effrayante. Toutes les essences que j’aidévoilées et portées à incandescence peuvent demain, ce soir même, changer designe et brûler d’un feu d’autant plus infernal que je les aurai plusmagnifiquement exaltées. Mais la tristesse que me donnaient ces pressentimentsétait si haute et si majestueuse qu’elle se mariait sans peine à la joie grave quej’éprouvais en me penchant sur mes dormeurs (RA, 520-521).

Le cheval n’est pas seulement l’animal-totem de la Défécation, et la bête phoriquepar excellence. L’Ange Anal peut devenir en outre instrument d’enlèvement, derapt, et –le cavalier portant phoriquement sa proie dans ses bras- s’élever auniveau d’une superphorie. Mieux encore ; le rapt peut intervenir alors même quela superphorie est d’ores et déjà acquise, par exemple si un être surhumainarrache au cavalier l’enfant qu’il emporte, comme dans le poème Le Roi desAulnes. Cette balade de Goethe, où l’on voit un père fuyant à cheval dans la landeen serrant sous son manteau son enfant que le Roi des Aulnes s’efforce deséduire, et finalement enlève de vive force, c’est la charte même de la phoriequ’elle élève à la troisième puissance. C’est le mythe latin deChristophe-Albuquerque porté à un paroxysme d’incandescence par la magiehyperboréenne (RA, 469).

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Il (Tiffauges) pressa Barbe-Bleue qui avait pris le trot, (...) Il rejoignit au petitgalop la meute qui entourait le pied de l’arbre, et aboyait inextricablement endirection de ses grosse branches. Un enfant aux yeux mauves était accroupidans la fourche de l’arbre, et se tenait des deux mains aux rameaux (RA, 468).Gilles exaspéré par la déception se lance à sa poursuite avec un meute de chiens.Quelle ivresse de renouer avec ces plaisirs de jadis, mais cette fois pour courreune proie humaine ! Il y a eu d’ailleurs, comme dans une traque classique,débucher, rabat, forlonge, va-l’eau et finalement abois au pied d’un hêtre dans lesbranches duquel l’enfant s’est juché (GJ, 59).

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J’ai toujours soupçonné la tête de n’être qu’un petit ballon gonflé d’esprit(spiritus, vent) qui soulève le corps, le tient en position verticale, et lui retire dumême coup la plus grande partie de son poids. Par la tête, le corps estspiritualisé, désincarné, éludé. Décapité au contraire, il tombe sur le sol, soudainrendu à une incarnation formidable, doué d’une pesanteur inouïe (RA, 538- 539).

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Il appartenait désormais à cette Prusse qui croulait autour de lui, mais il fut hantéjusqu’à son arrivée au château par l’image du Roi des Aulnes, immergé dans lesmarécages, protégé par une lourde nappe de limon, de toutes les attentes, celledes hommes et celle du temps (RA, 531).

Que faire de ces enfants enfermés par moi dans le vase clos de Kaltenborn ? Jesais maintenant pourquoi le pouvoir absolu du tyran finit toujours par le rendreabsolument fou (RA, 541).

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Abreuvé d’horreur, Tiffauges voyait ainsi s’édifier impitoyablement, à travers leslongues confessions d’Ephraïm, une Cité infernale qui répondait pierre par pierreà la Cité phorique dont il avait rêvé à Kaltenborn. Le Canada, le tissage descheveux, les appels, les chiens dobermans, les recherches sur la gémellité et lesdensités atmosphériques, et surtout, surtout les fausses salles de douche, toutesses inventions, toutes ses découvertes se reflétaient dans l’horrible miroir,inversées et portées à une incandescence d’enfer (RA, 560).

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A mesure que ses pieds s’enfonçaient davantage dans la landèche gorgée d’eau,il sentait l’enfant --si mince, si diaphane pourtant-- peser sur lui comme unemasse de plomb. (...). Il devait maintenant faire un effort surhumain pour vaincrela résistance gluante qui lui broyait le ventre, la poitrine, mais il persévérait,sachant que tout était bien ainsi. Quand il leva pour la dernière fois la tête versEphraïm, il ne vit qu’une étoile d’or à six branches qui tournait lentement dans leciel noir (RA,580-581).

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Disons-le, je prenais en haine ma négritude. Et c’est alors que me vient la phrasedu sage à la fleur de lys : « Cette musique déchirante, c’est Satan qui pleuredevant la beauté du monde .» Le pauvre nègre, que j’avais conscience d’être,pleurait devant la beauté d’une Blanche. L’amour avait réussi à me faire trahirmon peuple du fond du coeur (GMB, 22).

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Je me penchai et vis mon reflet trembler sur un miroir noir. La tentation était tropforte. Je retirai tous mes vêtements, et empruntant le tronc de palmier, jedescendis jusqu’au fond du puits. L’eau me montait à la ceinture, et je sentaiscontre mes chevilles les frais remous d’une source invisible. (...) Au-dessus dema tête, je voyais le trou rond de l’orifice, un disque de ciel phosphorescent oùclignotait une première étoile. Un souffle de vent passa sur le puits, et j’entendisla colonne d’air qui le remplissait ronfler comme dans le tuyau d’une flûtegigantesque, musique douce et profonde que faisaient ensemble la terre et levent nocturne, et que je venais de surprendre par une inconcevable indiscrétion(GMB, 37).

Pour la deuxième fois, je découvrais que la grandeur est le seul vrai remède del’amour malheureux. (...). Et ce matin, je voyais la douleur d’une mère élevée àune hauteur sublime, j’entendais les épanchements filiaux du soleil levant et ducolosse de pierre à voix de bébé (GMB, 41).

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J’ai connu alors ce qu’était la rencontre totale de l’amant et de l’aimé, cettevénération tremblante, cet hymne jubilant, cette fascination émerveillée (GMB,219).

L’enfant de la Crèche devenu noir pour mieux accueillir Gaspard, le roi mageafricain. Il y a là plus que dans tous les contes d’amour que je sache. Cette imageexemplaire nous recommande de nous faire semblable à ceux que nous aimons,de voir avec leurs yeux, de parler leur langue maternelle, de les respecter, mot

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qui signifie originellement regarder deux fois. C’est ainsi qu’a lieu l’élévation duplaisir, de la joie et du bonheur à cette puissance supérieure qui a nom : amour(GMB, 220-221).

On ne saurait trop méditer les premières lignes de la Genèse, dit-il. Dieu fitl’homme à son image et à sa ressemblance. Pourquoi ces deux mots ? Quelledifférence y a-t-il entre l’image et la ressemblance ? C’est sans doute que laressemblance comprend tout être- corps et âme- tandis que l’image n’est qu’unmasque superficiel et peut être trompeur. Aussi longtemps que l’homme demeuratel que Dieu l’avait fait, son âme divine transverbéra son masque de chair, de tellesorte qu’il était pur et simple comme un lingot d’or. Alors l’image et laressemblance proclamaient ensemble une seule et même attestation d’origine.Mais dès que l’homme désobéissant eut péché, dès qu’il chercha par desmensonges à échapper à la sévérité de Dieu, sa ressemblance avec son créateurdisparut, et il ne resta que son visage, petite image trompeuse, rappelant commemalgré elle, une origine lointaine, reniée, bafouée, mais non pas effacée. Onconçoit donc la malédiction qui frappe la figuration de l’homme par la peinture oula sculpture : ces arts se font les complices d’une imposture en célébrant et enrépandant une image sans ressemblance. Enflammé d’un zèle fanatique, le clergépersécute les arts figuratifs et saccage les oeuvres, même les plus sublimes dugénie humain. Quand on l’interroge, il répond qu’il en sera ainsi aussi longtempsque l’image recouvrira une dissemblance profonde et secrète. Peut-être un jour,l’homme déchu sera-t-il racheté et régénéré par un héros ou par un sauveur.Alors sa ressemblance restaurée justifiera son image, et les artistes peintres,sculpteurs et dessinateurs pourront exercer leur art qui aura recouvré sadimension sacrée... (GMB, 47-48)

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Certes, j’ai continué à vénérer la Grèce lointaine du fond de mon palais de Nippur,mais j’ai reconnu les limites de son art sublime. Car il n’est ni bon, ni juste, ni vraid’enfermer l’art dans un olympe dont l’homme concret est exclu. L’expérience la

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plus quotidienne et la plus brûlante, c’est pour moi la découverte d’une beautéfulgurante dans la silhouette d’une humble servante, le visage d’un mendiant oule geste d’un petit enfant. Cette beauté cachée dans le quotidien, l’art grec neveut pas la voir, lui qui ne connaît que Zeus, Phébus ou Diane (GMB, 69-70).

En vérité, toute ma vie se joue entre ces deux termes : le temps et l’éternité. Carc’est l’éternité que j’ai trouvée en Grèce, incarnée par une tribu divine, immobileet pleine de grâce, sous le soleil, lui-même statue du dieu Apollon. Mon mariagem’a replongé dans l’épaisseur de la durée, où tout est vieillissement et altération.(...) je sais maintenant que je ne retrouverai la lumière et le repos que le jour où jeverrai se fondre dans la même image l’éphémère et bouleversante vérité humaineet la divine grandeur de l’éternité (GMB, 76).

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Quelque chose d’incompréhensible s’est produit, une rupture, une catastrophe,et la Bible qui s’était ouverte sur un Dieu portraitiste et autoportraitiste, n’a cessésoudain de poursuivre les faiseurs d’images de sa malédiction (GMB, 70).

Lorsqu’il est écrit que Dieu fit l’homme à son image et à sa ressemblance, j’aibien compris qu’il ne s’agissait pas d’une vaine redondance verbale, mais queces deux mots indiquaient – comme en pointillé- la ligne d’une déchirurepossible, menaçante, fatale, qui se produisit en effet après le péché. Adam et Eveayant désobéi, leur ressemblance profonde avec Dieu fut abolie, mais ils n’enconservèrent pas moins comme un vestige, un visage et une chair quidemeuraient le reflet indélébile de la réalité divine. Dès lors une malédiction pesasur cette image menteuse que l’homme déchu promène avec lui (GMB, 211-212).

L’enfant lui-même, un dieu incarné au plus épais de la pauvre humanité, et unecolonne de lumière traversait la toiture de chaume de ce misérable abri. Tout celaavait un sens profond pour moi, c’était la réponse à la question de toute ma vie,et cette réponse consistait dans l’impossible mariage de contraires inconciliables(GMB, 212).

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Le simple geste d’une mère jeune et pauvre, penchée sur son nouveau né, élevésoudain à la puissance divine. La vie quotidienne la plus humble -ces bêtes, cesoutils, ce fenil- baignée d’éternité par un rayon tombé du ciel... (GMB, 213)

Je reste chrétien, bien que converti sans réserve à l’Esprit, afin que le soufflesacré ne balaie pas les horizons sans s’être auparavant chargé de semences etd’humeurs en traversant le corps du Bien-Aimé. L’Esprit avant de devenir lumièredoit se faire chaleur. Alors il atteint son plus haut degré de rayonnement et depénétration (M, 161).

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Je compris que la royauté alliée au dénuement fait sans doute plus sûrement unbandit qu’un mendiant, mais roi-bandit-mendiant ont en commun de se situer enmarge du commerce ordinaire des hommes et de ne rien acquérir par échange outravail. Ces réflexions, s’ajoutant au souvenir du récent coup d’Etat dont j’avaisété victime, me faisaient découvrir la précarité de ces trois conditions, et qu’unordre social s’instaurera peut-être un jour, où il n’y aura plus de place ni pour unroi, ni pour un bandit, ni pour un mendiant (GMB, 91).

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L’archange Gabriel qui veillait au chevet de l’Enfant m’a appris par la Crèche laforce de la faiblesse, la douceur irrésistible des non-violents, la loi du pardon quin’abolit pas celle du talion, mais la transcende infiniment (GMB, 217).

une nourriture transcendante, si bonne qu’elle rassasierait pour toujours, sisavoureuse que celui qui en goûterait une seule fois ne voudrait plus rien mangerd’autre jusqu’à la fin de ses jours (GMB, 181).

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Pour la deuxième fois, ce jeune homme, voué au sucre depuis son enfance, fitainsi connaissance avec l’élément salé dans un baptême d’une inoubliablebrutalité. Son destin lui réservait une troisième épreuve salée, combien plusdouloureuse et plus longue que celle-ci ! (GMB, 189)

En ce temps-là, l’homme participait de la simplicité divine. Le corps et l’âme étaitcoulés d’un seul bloc. La bouche servait de temple vivant –drapé de pourpre,avec son double demi-cercle d’escabeaux d’émail, ses fontaines de salive et sescheminées nasales- à la parole qui nourrit et à la nourriture qui enseigne, à lavérité qui se mange et se boit, et aux fruits qui fondent en idées, préceptes etévidences... La chute de l’homme a cassé la vérité en deux morceaux : une parolevide, creuse, mensongère, sans valeur nutritive. Et une nourriture compacte,pesante, opaque et grasse qui obscurcit l’esprit et tourne en bajoue et bedaines !(GMB, 195)

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Il ne comprit pas l’essentiel de ce discours, mais il le conserva tout entier dansson coeur, soupçonnant qu’il prendrait pour lui un sens prophétique à mesureque son voyage se déroulerait. En tout cas, il ne pouvait plus douter que larecette du rahat-loukoum –pour laquelle il avait en principe quitté son palais deMangalore –s’estompait, prenait des allures de leurre –qui l’avait arraché à sonparadis puéril –ou devenait une sorte de symbole dont la signification restait àdéchiffrer (GMB, 196-197).

Taor ne comprit pas pourquoi cette visite d’un monde souterrain où desgénérations d’hommes avaient travaillé et souffert emplissait son coeur desombres pressentiments (GMB, 202-203).

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Depuis que j’ai quitté la côte de Malabar –où un chat est un chat et où deux etdeux font quatre –il me semble que je m’enfonce dans une plantation d’oignons,car ici chaque chose, chaque animal, chaque homme possède un sens apparent,lequel en cache un second, lequel déchiffré, trahit la présence d’une troisièmesignification et ainsi de suite. Et il en va de même pour moi, tel que je me vois,car il me semble que le jeune homme naïf et niais qui a fait ses adieux à laMaharani Taor Mamoré est devenu en quelques semaines un vieillard plein desouvenirs et de préceptes, et je ne pense pas être au bout de mesmétamorphoses (GMB, 229).

Il comprenait bien que ce qu’il avait vécu cette nuit à Bethléem préparait autrechose, n’était en somme que la répétition maladroite, et finalement avortée, d’uneautre scène où ces deux extrêmes –repas amical et immolation sanglante – setrouveraient confondus (GMB, 233).

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De plus en plus sa vie se construisait à ses propres yeux par étages superposésdont chacun possédait une affinité évidente avec le précédent –il était chaquefois contraint par l’évidence à s’y reconnaître lui-même –mais aussi uneoriginalité surprenante, à la fois âpre et sublime. Il assistait subjugué à lamétamorphose de sa vie en destin (GMB, 238-239).

Seigneur juge, le coeur de l’homme est obscur et trouble, et je ne peux jurer de cequi se cache, même dans le mien. Quant aux motifs qui me poussent à agircomme je fais, j’aurai tout le temps de ma captivité pour les démêler. Qu’il tesuffise de savoir qu’ils sont lucides, fermes et irrévocables (GMB, 249).

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Chez le Sodomite, toute hauteur de vue se résolvait en analyse fondamentale,toute ascendance en pénétration, toute théologie en ontologie, et la joied’accéder à la lumière de l’intelligence était glacée par l’effroi du chercheurnocturne qui fouille les soubassements de l’être (GMB, 261).

C’est moi qui suis le pain vivant descendu du ciel. Si vous ne mangez la chair duFils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui quimange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui (GMB, 267).

Jésus ne se contentait pas de nourrir les hommes, il se faisait immoler pour lesnourrir de sa propre chair et de son propre sang. Le festin et le sacrifice humainn’avaient pas eu lieu simultanément à Bethléem par l’effet du hasard : c’était lesdeux faces du même sacrement, appelées irrésistiblement à se rapprocher (GMB,267).

Quiconque boit cette eau aura encore soif, mais celui qui boira l’eau que je lui

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donnerai n’aura plus jamais soif. Bien plus, l’eau que je lui donnerai deviendra enson propre coeur une fontaine d’eau vive pour la vie éternelle (GMB, 268).

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Un fugitif reflet d’amour dans une existence d’âpreté. Un moment de grâce dansun monde impitoyable. L’instant si rare et si précieux où la ressemblance porte etjustifie l’image, selon le mot de Balthazar (GMB, 99).

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Il s’agit d’une image, c’est-à-dire d’un ensemble de lignes profondémentenfoncées dans la chair, et qui asservissent à la matière quiconque tombe sousleur emprise, (...). L’image est douée d’un rayonnement paralysant, telle la tête deMéduse qui changeait en pierre tous ceux qui croisaient son regard. En effetl’image n’est qu’un enchevêtrement de signes, et sa force maléfique vient del’addition confuse et discordante de leurs significations (...). Pour le lettré, l’imagen’est pas muette. Son rugissement de fauve se dénoue en paroles nombreuses etgracieuses. Il n’est que de savoir lire... (GO, 208-209)

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Cette mystérieuse opération qui, sans rien changer apparemment à la natured’une chose, d’un être, d’un acte, retourne sa valeur, met du plus où il y avait dumoins, et du moins où il y avait du plus (VP, 125).

Comment peut-on prétendre à la fois que le beau ressemble suffisamment au laidpour pouvoir faire partie du même ensemble tout en restant suffisammentdifférent pour pouvoir justifier de l’existence de deux mots séparés ?Visiblement, le beau et le laid n’ont pas disparu, confondus dans une mêmecatégorie qui d’ailleurs ne se justifierait plus puisqu’elle n’aurait aucunecontre-partie pour se définir223.

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L’inversion est un renversement des valeurs qui peut s’observer dans lesdomaines les plus variés : passage du noir au blanc (et réciproquement) dans letirage photographique ; de la gauche à la droite dans un miroir ou dans lelangage héraldique ; du porteur porté, du chasseur chassé, etc. L’inversionmaligne manifeste la présence et l’efficacité du mal. Elle est dérision et cruauté.Un pape prêchant la haine, un tueur vénéré comme un saint, une mère infanticide,une nourriture empoisonnée, une maison croulant sur ses habitants...illustrations de l’inversion maligne227.

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Mais c’est encore de l’agrandissement de l’image et des possibilités d’inversionqu’il offre que découlent les plus rares pouvoirs du photographe. Car il n’y a pasque la métamorphose du noir en blanc et sa réciproque. Il y a aussi la possibilitéen retournant le négatif dans le porte-vue de mettre la gauche à droite et la droiteà gauche (RA, 176).

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A l’impair correspond le limité, le Un, le masculin, la lumière, le droit (à l’opposédu courbe), le bien et la droite ; au pair, l’illimité, le multiple, le féminin, lesténèbres, le mal, la gauche233.

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Je suis ainsi pourvu de deux écritures, l’une adroite, aimable, sociale,commerciale, reflétant le personnage masqué que je feins d’être aux yeux de lasociété, l’autre sinistre, déformée par toutes les gaucheries du génie, pleined’éclairs et de cris, habitée en un mot par l’esprit de Nestor (RA, 55).

Toute la force de Nestor, tout son esprit dominateur et dissolvant sont passésdans cette main, celle dont procèdent jour après jour ces écrits sinistres qui sontainsi notre oeuvre commune. Et le petit oeuf est éclos. Il est devenu cette mainsinistre aux doigts velus et rectangulaires, à la paume large comme un plateau(RA, 55).

Les enfants font procession devant moi, et je les oins... Chacun d’eux s’arrête etme tend sa bouche. Ma main gauche s’élève, l’index et le majeur unis, dans ungeste bénisseur et royal. Bientôt d’ailleurs, elle ne bouge même plus, ma Sinistre,ma Géniale, mon Episcopale, ma Consignataire de vérités apocalyptiques (RA,514).

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Dès lors en effet quid de l’autre main ? Mac Avoy nous le dit : elle palpe etcaresse, et son rôle sensuel et explorateur est fondamental. C’est la grandepourvoyeuse de sensations, de dégoûts et de voluptés. La main gauche –soeurobscure et besogneuse de la droite- mériterait qu’on la mît parfois en lumière (TS,124-125).

Quant à la femme dépouillée de son ombre, elle est plus malheureuse encore, carelle a tout perdu. La femme est l’ombre de l’homme, et l’homme veut vivre dans

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cette ombre, car c’est de là que viennent chaleur et couleur (MA, 148).

Si le respect de l’hérédité et la foi dans le passé sont caractéristiques de la droite,la nature se situe résolument à gauche (...). Le moteur des Météores emprunteson énergie à ce grand débat. (...). Paul se veut le conservateur de l’intimité et desjeux gémellaires, Jean secoue la tutelle de son frère et cède aux charmesinconnus et âpres du monde des « singuliers ». (...). Mais il donne dessatisfactions qui pour maigres et rares qu’elles soient possèdent au goût de Jeanune saveur incomparable, âcre et musquée comme certaines baies du désert.Autant dire que si l’on devait situer politiquement les deux frères, Paul serait àdroite, Jean à gauche (VP, p. 250-252).

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Ils savent dans leur innocence que la main droite est souillée par les contacts lesplus dégoûtants, qu’elle se glisse journellement dans la main des assassins, desprêtres, des flics, des hommes de pouvoir comme une putain dans le lit desriches, alors que la sinistre, l’obscure, l’effacée, demeure dans l’ombre, commeune vestale, réservée aux seules étreintes sororales (RA, p. 53).

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Vous vous regardez dans un miroir. Vous êtes tranquille, tout est en ordre, votrecravate, votre raie, votre sourire. Mais soudain, il s’efface, ce sourire. Car vousvenez de remarquer un détail bizarre, anormal, inquiétant, monstrueux : lebracelet-montre que vous portez au poignet gauche, oui, il est bien là, la montremarche. Seulement pas dans le miroir. L’homme qui s’y reflète, c’est bien vous,indiscutablement. Mais il n’a pas de bracelet-montre (MA, 187-188).

Je songe également à une légende. Les vampires sont des gens comme vous etmoi. Seulement si vous vous placez avec l’un d’eux en face d’un miroir, vousvous y verrez. Le vampire, lui, ne s’y reflétera pas (MA, 188).

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Le Diable a fait un miroir. Déformant, bien entendu. Pire que cela : inversant. Toutce qui s’y reflète de beau devient hideux. Tout ce qui paraît de mauvais sembleirrésistiblement séduisant. Le Diable s’amuse longtemps avec ce terrible joujou,puis il lui vient la plus diabolique des idées : mettre cet infâme miroir sous le nezde... Dieu Lui-même ! Il monte au ciel avec l’objet sous le bras, mais à mesurequ’il approche de l’Etre Suprême, le miroir ondule, se crispe, se tord et finalementil se brise, il éclate en des milliards de milliards de fragments. Cet accident est unimmense malheur pour l’humanité, car toute la terre se trouve pailletée d’éclats,de miettes, de poussières de ce verre défigurant les choses et les êtres. On enramasse des morceaux assez grands pour faire des vitres de fenêtre –mais alorsmalheur aux habitants de la maison ! – et en plus grand nombre des éclatspouvant être montés en lunettes – et alors malheur à ceux qui portent ces sortesde lunettes ! (VP, p. 50)

Satan, maître du monde, aidé par ses cohortes de gouvernants, magistrats,prélats, généraux et policiers, présente un miroir à la face de Dieu. Et par sonopération, la droite devient la gauche, la gauche devient la droite, le bien estappelé mal, et le mal appelé bien (RA, 123).

C’est sous sa forme la plus basse l’expression de la grande inversion malignepartout à l’oeuvre. Des canons plutôt que du beurre, cela veut dire en termesnobles, en termes ordinaires : plutôt la mort que la vie, plutôt la haine quel’amour (RA, pp. 105-106).

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La pureté est l’inversion maligne de l’innocence. L’innocence est l’amour del’être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance del’alternative infernale pureté-impureté. De cette sainteté spontanée et commenative, Satan a fait une singerie qui lui ressemble et qui est tout l’inverse : lapureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l’homme, passion morbide dunéant. (...) L’homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mortautour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la puretéde la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce (RA, 125).

La phorie qui définit l’idéal de la relation entre adulte et enfant s’instauremonstrueusement entre l’enfant et le jouet d’adulte. Le jouet n’est plus porté parl’enfant –traîné, poussé, culbuté, roulé, comme le veut sa vocation d’objet fictif,livré aux petites mains destructrices de l’enfant. C’est l’enfant qui est porté par lejouet –englouti dans le char, enfermé dans l’habitacle de l’avion, prisonnier de latourelle pivotante des mitrailleuses couplées. Je touche ici pour la première fois àun phénomène sans doute capital, et qui est le bouleversement de la phorie parl’inversion maligne (RA, 456).

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Quant au rôle primordial du cheval dans la chasse au cerf, son sens devenaitbien évident. C’était la persécution de l’Ange Phallophore par l’Ange Anal, lepourchas et la mise à mort d’Alpha par Oméga. Et Tiffauges s’émerveillait deretrouver encore une fois de plus à l’oeuvre l’étonnante inversion qui dans ce jeumeurtrier faisait de la bête fuyarde et fessue un principe agressif etexterminateur, et dans le roi des forêts, à la virilité épanouie en buisson capital,une proie forcée, pleurant vainement sa merci (RA, 353-354).

Le cheval n’est pas seulement l’animal-totem de la Défécation, et la bête phoriquepar excellence. L’Ange Anal peut devenir en outre l’instrument de l’enlèvement,du rapt, et –le chevalier portant phoriquement sa proie dans ses bras –s’élever auniveau d’une superphorie (RA, 469).

L’Oberforstmeister lui expliqua qu’une blessure quelconque –plomb de fusil, filde fer barbelé, coup de dague –ou une malformation congénitale d’un testicule setraduit fatalement par quelque faiblesse ou extravagance du bois du côté opposé.Ainsi, non seulement les bois des cerfs n’étaient rien d’autre en somme que lafloraison libre et triomphale des testicules, mais obéissant à l’inversion quiaccompagne classiquement les symboles intensément chargés de signification,l’image exaltée qu’ils en donnaient était retournée, et comme reflétée dans unmiroir (RA, 330-331).

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Il s’agissait en somme d’une prise de possession totale de toute une population,et cela par-derrière, sur un mode retourné, inversé et nocturne (M, 36).

Je m’émerveille de la richesse et de la sagesse d’une décharge (...) Pour moi,c’est un monde parallèle à l’autre, un miroir reflétant ce qui fait l’essence mêmede la société, et une valeur variable, mais tout à fait positive, s’attache à chaquegadoue (M, 93).

Abreuvé d’horreur, Tiffauges voyait ainsi s’édifier impitoyablement, à travers leslongues confessions d’Ephraïm, une Cité infernale qui répondait pierre par pierreà la Cité phorique dont il avait rêvé à Kaltenborn. (...), toutes ses inventions,toutes ses découvertes se reflétaient dans l’horrible miroir, inversées et portées àune incandescence d’enfer (RA, 560).

Vous savez, bien entendu, qu’en termes de blason la droite s’appelle gauche, etla gauche droite ? Tiffauges acquiesça. Il entendait cette règle héraldique pour lapremière fois, mais elle était si conforme à l’inversion droite-gauche qu’ilretrouvait régulièrement quand les symboles menaient le jeu qu’elle lui parutaussitôt familière (RA, 475).

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Pourtant il en est un qui a reconnu Jeanne du premier regard, dès son entréedans la salle du trône. C’est Gilles. Oui, il a immédiatement reconnu en elle toutce qu’il aime, tout ce qu’il attend depuis toujours : un jeune garçon, uncompagnon d’armes et de jeu, et en même temps une femme, et de surcroît unesainte nimbée de lumière (GJ, 13-14).

Il y a un feu en toi. Je le crois de Dieu, mais il est peut-être d’enfer. Le bien et lemal sont toujours proches l’un de l’autre. De toutes les créatures, Lucifer était laplus semblable à Dieu (GJ, 31).

Jeanne la sainte, Jeanne la chaste, Jeanne la victorieuse sous l’étendard de saintMichel ! Jeanne, le monstre en forme de femme, condamnée au feu poursorcellerie, hérésie, schismatisme, changement de sexe, blasphème et apostasie(GJ, 48).

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Il tombe, le visage enfoncé dans la terre noire. Il gît là, comme mort, jusqu’auxlueurs de l’aube. Alors il se lève. Mais quiconque aurait vu son visage auraitcompris que quelque chose s’était transformé en lui, un visage menteur,pernicieux, blasphémateur, dissolu, invocateur des diables. (...) Il va devenirchenille dans son cocon. Puis la métamorphose maligne accomplie, il en sortira,et c’est un ange infernal qui déploiera ses ailes (GJ, 45).

Blanchet ne se trompait donc pas complètement en pensant que Prélatinfluencerait son maître dans le sens du sacré. C’était bien ainsi que l’aventuriertoscan concevait son rôle auprès du hobereau vendéen. Mais il était bien loind’imaginer les voies terribles qu’emprunterait ce salut (GJ, 103-104).

Lumière du ciel et flammes de l’enfer sont plus proches qu’on ne pense.N’oubliez pas que Lucifer –le Porte-Lumière –était originellement le plus beau desanges. On en fait le Prince des ténèbres, le Mal absolu. C’est une erreur !L’homme, pétri de fange et animé par le souffle de Dieu, a besoin d’unintercesseur entre Dieu et lui. Comment voulez-vous qu’il entre directement enrapport avec Dieu ? Il a besoin d’un intercesseur, oui, et qui soit son complice

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dans tout le mal qu’il pense et qu’il fait, mais qui possède aussi ses entrées dansle ciel . Voilà pourquoi l’homme éprouve le besoin de consulter des sorcières, defaire intervenir des mages, de convoquer Belzébuth à des rendez-vous magiques(GJ, 89-90).

Il professait que le pèlerin du ciel –ainsi se nomme l’alchimiste en quête –n’atteintl’un de ces pôles que pour se trouver aussitôt rejeté vers l’autre pôle par unphénomène d’inversion, comme l’excès de froid provoque une brûlure (...). Etcette inversion pouvait être bénigne ou maligne. Le pécheur, plongé dans lesabîmes de l’Enfer, pouvait en rejaillir revêtu d’innocence pourvu qu’il n’ait pasperdu sa foi. Le bûcher des sorcières n’était pas un châtiment (...). C’était uneépreuve purificatrice destinée au contraire à sauver une âme gravement menacée(GJ, 108).

« Pour accéder à une santé supérieure, il faut avoir traversé l’expérienceprofonde de la maladie et de la mort, tout de même que la connaissance du péchéest la condition première de la Rédemption ». « Deux voies mènent à la vie. (...) lapremière est la voie directe, habituelle et honnête. L’autre est une voie mauvaise,elle traverse la mort, c’est la voie du génie »243.

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L’univers satanique manifesté par l’inversion maligne est donc contrefaçon ausens où contrefaire signifie reproduire, imiter, mimer à des fins de dérision :caricature, parodie, singerie (...) ; mais aussi en un second sens de ce verbe :feindre pour tromper, simuler, imiter frauduleusement, oeuvrer en falsificateur,faire passer une fausse monnaie pour une authentique, le mal pour le bien, Satanpour Dieu (...) Ainsi se précisent le processus de l’inversion : mimétique, sonrésultat : la déformation, le rapport à l’objet originel : dénaturation, falsification etau destinataire : tromperie, mystification244.

Si Yahvé aime la chair fraîche et tendre des enfants, le Diable, qui est l’image deDieu, partage ses goûts. (...) Réussissez pour Barron le sacrifice d’Isaac !Offrez-lui la chair de ces enfants que vous immolez. Alors au lieu de vous aviliravec eux, vous vous sauverez, et eux avec vous. Vous descendrez, commeJeanne, au fond du gouffre ardent, et vous en remonterez, comme elle, dans unelumière radieuse ! (GJ, 111-112)

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Qui sait si, un jour, la sorcière de Rouen ne sera pas réhabilitée, lavée de touteaccusation ? Honorée et fêtée ? Qui peut dire si, un jour, elle ne sera pascanonisée en cour de Rome, la petite bergère de Domrémy ? Sainte Jeanne !Quelle lumière ne retombera pas alors sur Gilles de Rais qui l’a toujours suivicomme son ombre ? Et qui peut dire si, dans ce même mouvement, on nevénérera pas son fidèle compagnon : saint Gilles de Rais ? (GJ, 149)

Satan est l’image de Dieu, (...). Une image inversée et difforme, certes, mais uneimage cependant. Il n’est rien de Satan qui ne se trouve en Dieu. C’était d’ailleurssur cette ressemblance profonde que je comptais pour sauver le sire de Rais. (...)Pousser le sire de Rais au plus noir de sa mauvaiseté, puis, par l’opération ignée,lui faire subir une inversion bénigne (...). Il devenait un saint auréolé ! (GJ,147-148)

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Céladon est une face, Alexis est l’autre face. Céladon se dispute avec sa belleamie Astrée. Elle le chasse. Il part désespéré. Peu après, une ravissante bergèrese présente à Astrée. Elle s’appelle Alexis et connaît l’art de plaire aux dames (...)Or qui est Alexis en vérité ? Céladon, déguisé en bergère ! Comme quoi il suffitparfois de changer de sexe pour que tout s’arrange ! (M, 257)

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(...) l’amour humain n’est pas le seul produit d’une fatalité biologique. Il supposecertes une infrastructure anatomo-physiologique, mais, sur cette base, la société,les sociétés construisent un code, une mythologie, un édifice de rêves et desentiments qui ne dépendent que de facteurs culturels. Ainsi l’amour –au senssentimental du mot –est-il une invention qui date de la fin du XI e siècle (VV, 402).

Toute l’hétérosexualité est dans ce genre d’imposture qui tient de cescontrefaçons de corridas où des vachettes remplacent le taureau (M, 111).

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Si la cité saphique n’existe pas, c’est qu’elle s’efface devant la réalité du simplecouple, et là, l’homosexualité féminine regagne tous ses atouts en face de lamasculine. (...) Si Sodome existe –et si Gomorrhe n’existe pas -, c’est quel’homosexuel vit sous le signe de la liberté, l’homosexuelle sous celui de lafidélité. Le couple masculin est la rencontre fugitive et furtive de deux libertés. Acette instabilité, la Cité maudite apporte la compensation de ses murs et de sesairs complices. Le couple féminin trouve en lui-même assez de ressources pourse passer de toute communauté (VV, 250-251).

L’homosexuel est un comédien. C’est un sans-pareil qui a échappé à la voiestéréotypée tracée pour les besoins de la propagation de l’espèce, et qui joue lesjumeaux. Il joue et il perd, mais non sans d’heureux coups. (...) L’homosexuel estartiste, inventeur, créateur. En se débattant contre un malheur inéluctable, ilproduit parfois des chefs-d’oeuvre dans tous les domaines. Le couple gémellaireest tout à l’opposé de cette liberté errante et créatrice (M, 388).

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Nous étions excusables à huit ans de ne pas savoir que le naturel –surtout dansl’ordre artistique, et nous étions en l’occurrence des acteurs, des comédiens–s’acquiert, se conquiert, n’est en somme que le comble de l’artifice (M, 168).

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Il advient alors que l’ensemble des phénomènes se lèvent, se dressent, passentde l’horizontale à la verticale, nous donnent à voir une levée générale des massescolorées, une impérieuse érection. Il s’agit en vérité d’une sublimation,c’est-à-dire du passage direct d’un corps de l’état solide à l’état gazeux, sanspasser par l’état intermédiaire liquide (TS, 60).

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Le beau est par définition fini, équilibré, harmonieux. Le sublime est infini ; ilnous place au bord d’un déséquilibre vertigineux. Le beau a sur notre âme uneffet apaisant, rassurant. Le sublime nous plonge dans une émotion où se mêlentétrangement le plaisir et la terreur. Le beau relève de la qualité, le sublime de laquantité. Enfin le beau invite au jeu, à la divine gratuité d’un paradis sansobligation ni sanction, tandis que le sérieux d’un sublime renvoie à des notionsthéologico-morales, comme celles de prière et de péché, de salut et de damnation(VV, 65-66).

Et il y avait surtout ce brame puissant et mélodieux, musique véritablementélémentaire, inhumaine, qui était à la fois la voix ténébreuse de la terre,l’harmonie des sphères célestes et la plainte rauque du grand bouc sacrifié. (...)La terre, l’arbre et le vent célébraient à l’unisson l’apothéose nocturne d’Andoar(VLP, 209).

Les cors reprirent alors leur chant brumeux et rauque pour saluer la fin de cettejournée, et Tiffauges, dissimulé dans l’ombre du cloître du bois, cherchait en luiles souvenirs qu’éveillait cette musique sauvage et plaintive. Il se trouvait dans lepréau de Saint-Christophe à l’écoute d’une rumeur de mort profonde etdésespérée, puis à Neuilly dans sa vieille Hotchkiss s’acharnant à capter uncertain cri qu’il avait entendu par hasard, qu’il n’avait jamais pu retrouver depuis,mais qui l’avait percé comme d’un coup de lance. (...) Pourtant il eut ce soir-là lacertitude obscure qu’il entendrait plus tard ce chant de mort à l’état pur, et que ce

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ne serait pas pour des cerfs qu’il monterait de la vieille terre prussienne (RA,324-325).

C’est alors que le cri s’éleva. Tiffauges le reconnut aussitôt, et il sut qu’ill’entendait pour la première fois dans son absolue pureté. Cette longue plaintegutturale et modulée, pleine d’harmoniques, certains d’une étrange allégresse,d’autres exhalant la plus intolérable douleur, elle n’avait cessé de retentir depuisson enfance souffreteuse dans les couloirs glacés de Saint-Christophe jusqu’aufond de la forêt de Rominten où elle saluait la mort des grands cerfs. Mais ceséchos plus ou moins lointains n’avaient été qu’une suite d’approchestâtonnantes de ce chant transcendant qui venait de monter avec uneinsoutenable clarté de la terrasse des épées. Il savait qu’il entendait pour lapremière fois à l’état originel la clameur suspendue entre la vie et la mort qui étaitle son fondamental de son destin (RA, 574-575).

Cette apparition, qui fut saluée par un murmure d’extase, ne fit qu’ajouter à lasolennité du festin. (...) (Taor) s’interrompit encore, car on entendit monter duvillage invisible mille et mille petits cris aigus, comme une sorte de pépiement depoussins qu’on égorge (GMB, 229-230).

(les enfants) étaient tous visiblement impressionnés par ce bois de cèdres, cesflambeaux, cette vaste table à la vaisselle précieuse, (...). La nuit était tombée.Des torches résineuses –en petit nombre et dispersées –baignaient la scèned’une lumière douce, discrète et dorée. Dans la noirceur des cèdres, encombréede troncs massifs et de branches énormes, la grande table nappée et les enfantsvêtus de lin formaient un îlot de clarté impalpable et irréel. On pouvait sedemander s’il s’agissait d’une horde de gamins bien vivants, accourus pour serégaler, ou d’une théorie d’âmes innocentes et défuntes flottant comme unefragile constellation dans le ciel nocturne. (...) on vit arriver, sur un brancardporté par quatre hommes, la pièce montée géante, chef-d’oeuvre d’architecture

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pâtissière (GMB, 228).

C’est alors que quelque chose a fondu sur moi, d’une intolérable et déchirantedouceur. J’étais sidéré par une foudroyante bénédiction tombée du ciel. (...) Je nebougeais pas. J’aurais pu demeurer ainsi jusqu’à la fin des temps. Le garage duBallon avait disparu avec ses poutres voilées de toiles d’araignée et ses verrièresencrassées. Les neuf choeurs des anges m’environnaient d’une gloire invisible etradieuse. L’air était plein d’encens et d’accords de harpes. Un fleuve de douceurcoulait majestueusement dans mes veines (RA, 130-131).

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Ce qui me trouble, oui, dans la pitié, c’est l’immense volupté que j’y trouve. (...)J’ai pitié de ces petits qu’on égorge. Je pleure sur leurs tendres corps pantelants.Et en même temps, je ressens un tel plaisir ! C’est si émouvant, un enfant quisouffre ! C’est si beau un petit corps ensanglanté, soulevé par les soupirs et lesrâles de l’agonie ! (GJ, 53-54).

La chair ouverte, blessée est plus chair que la chair intacte, et elle a sesvêtements propres, les pansements, qui sont grilles de déchiffrement pluséloquentes que les vêtements ordinaires (RA, 545). Quand à la plaie elle-même,son dessin, sa profondeur, et même les étapes de sa cicatrisation fournissent àmon désir un aliment combien plus riche et plus inattendu que la simple nuditéd’un corps, aussi appétissant fut-il ! (RA, 547-548)

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Mes grandes poupées moites et souples, je n’oublierai jamais la qualitéparticulière de leur poids mort ! Mes mains, mes bras, mes reins, chacun de mesmuscles en ont appris à jamais la gravité spécifique à nulle autre comparable...(RA, 521).

La mort m’intéresse, (...), il y a, oui, dans le cadavre une vérité... (...) Avez-vousremarqué le petit enfant qui ne veut pas qu’on l’emporte, comme il a la faculté des’alourdir, de se donner un poids mort extraordinaire ? Je n’ai jamais porté demort. Je suis sûre que, si j’essayais, je serais écrasée (CB, p. 161).

Les images de la mort, cruelle ou feinte, envahissent la vie des hommes de cetemps, qui en nourrissent leur rêverie, soit pour stimuler une salutaire oudélicieuse épouvante, soit, suivant une pente qui est celle de l’époque, pours’éblouir, pour perdre le pied, pour ébranler leurs certitudes quotidiennes,insinuer partout l’illusion et l’équivoque : la vie est-elle bien la vie ? elle sembletoute tramée de mort, en même temps vie et mort250.

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La mort n’est plus la substance secrète de la tragédie, le silencieux et invisibleaboutissement de la vie malheureuse ; elle est arrachement à la vie, long crihaletant, agonie déchiquetée en multiples fragments. La mort renaît toujours, dupremier au dernier acte, mêlée à la vie, présente dans des corps sanglants,tordus, convulsés ; c’est la mort théâtrale, la mort vivante252.

C’est le ciel de Seigneur Mistral, sec, pur, froid comme un miroir de glace surlequel glissent de terribles bourrasques. Je me mets le pied dans un nid deserpents bruns à grosse tête ronde et verdâtre qui se transforme, à y regarder deplus près, en un écheveau de bandages herniaires terminés par leur pelote decrin. (...) et j’y vois parfois un tapis galopant se diviser devant mes pas pour serefermer ensuite derrière moi (M, 301).

L’horreur de ce que je découvre est indicible. (...)Daniel est là, à mes pieds. Lesblessures infligées par les rats sont bien pires que je ne pouvais en juger de loin.On dirait qu’ils se sont attaqués à la nuque avec prédilection. (...) Ils se sont aussi

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acharnés sur le sexe. La nuque et le sexe. Pourquoi ? Le bas du ventre, seuldénudé, n’est qu’une plaie sanglante. Je m’absorbe dans la contemplation de cepauvre mannequin désarticulé qui n’a plus d’humain que l’obscénité descadavres (M, 302-304).

Là-haut les rafales rabotent les bords du cratère et y font basculer des paquetsd’immondices. Ici-bas, on a la paix des profondeurs. La ruah... Le vent chargéd’esprit... Le vent des ailes de la blanche colombe symbole du sexe et de laparole... Pourquoi faut-il que la Vérité ne se présente jamais à moi que sous undéguisement hideux et grotesque ? Qu’y a-t-il donc en moi qui appelle toujours lemasque et la grimace ? (M, 304)

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Intense nudité de l’idole à trompe exposé comme une monstrance dans sonreposoir de vêtement. En elle se concentre toute la nudité du monde. Le désirdont elle rayonne est pur, absolument pur, sans mélange de beauté, de tendresseet de grâce ou d’admiration. C’est une force brute, sauvage et innocente. (...) Jevais m’agenouiller. Adorer. Prier. Communier. Boire le lait de cette racine (M,127).

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Analogie des bennes collecteuses et des éléphants. Il faudrait créer une benne àtrompe. Elle s’en servirait pour cueillir les poubelles et les vider dans sonarrière-train. Mais il faudrait aussi que cette trompe affecte la forme d’un pénis.Alors plus besoin de poubelles. Le pénis s’enfoncerait dans l’arrière-train pourson propre compte. Autosodomisation. Cela me ramène au coup sec, àl’ejaculatio mystica de Thomas. Tout se tient, tout conspire, tout est système (M,137).

Pendant toute mon enfance et une partie de ma jeunesse, j’ai commis la faute laplus répandue en Occident : j’en suis resté au corps. J’étais fasciné par le Christ,par le corps nu et torturé du Crucifié. Je rêvais jour et nuit de la joie ineffable quim’illuminerait si je me couchais, nu moi-même, sur ce corps et m’abouchais aveclui comme Elusée avec le jeune garçon de la Sunamite. Oui, j’ai aimé Jésuscomme un amant (M, 150-151).

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Il (le Christ) gisait là, déshabillé de sa croix, mais non moins crucifié, car jedistinguai bientôt Thomas couché sous lui, reproduisant son attitude, gémissantà demi écrasé par le poids de la statue (M, 48).

L’amour –prôné in abstracto –est persécuté avec acharnement dès qu’il revêt uneforme concrète, prend corps et s’appelle sexualité, érotisme. Cette fontaine dejoie et de création, ce bien suprême, cette raison d’être de tout ce qui respire estpoursuivi avec une hargne diabolique par toute la racaille bien-pensante, laïqueet ecclésiastique (RA, 124).

Ce qui les caractérise, c’est la multiplicité des tons dans le récit, le mélange dusublime et du vulgaire, du sérieux et du comique ; ils utilisent amplement lesgenres « intercalaires » : lettres, manuscrits trouvés, dialogues rapportés,parodie de genres élevés, citation caricaturées, etc.258.

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(Göring) montra ainsi que les fumées des cerfs sont à un seul aiguillon, lourdes,semées de distance en distance, alors que celles des biches sont à deuxaiguillons, glaireuses, très noires et inégales. Dures et sèches en hiver, lesherbes fraîches et les jeunes pousses du printemps les attendrissent jusqu’à leurdonner l’aspect de bouses molles et aplaties. Puis l’été augmente leur compacité,les transforme en cylindres dorés dont l’une des bases est concave, l’autreconvexe. En septembre, les éléments se nouent en chapelets. (...) LeReichsmarschall ne se faisait pas faute d’éprouver entre le pouce et l’index laconsistance de ses trouvailles, et même de les approcher de son nez pour enapprécier l’âge, car leur odeur devient aigre avec le temps (RA, 332-333).

Et il se mettait en devoir de peser, mesurer, toiser, étalonner, étiqueter et classerle sujet. (...) Tiffauges apprit ainsi que sous l’angle des cheveux, l’humanité estlissotriche, kymotriche ou oulotriche, qu’il existe trois types principaux dedermatoglyphes –ou empreintes digitales - : en tourbillon, en crosse, ou en arc,qu’on peut être brachyskélique ou macroskélique, selon qu’on a des jambescourtes ou longues par rapport au buste, chamaecéphale ou hypsicéphale selonla hauteur plus ou moins grande de la tête, tapeinocéphale ou acrocéphale selonsa largeur variable, leptorhinien ou chamaerhinien selon la finesse ou l’épaisseurdu nez (RA, 389).

Ce persiflage semble arracher le discours à son objet, les séparer et montrer quetels discours direct d’un genre ( épique ou tragique) est unilatéral, borné, et nepeut épuiser son objet ; la parodie oblige à percevoir les aspects de l’objet qui nese casent plus dans le genre, le style en question. L’oeuvre qui pastiche etparodie introduit constamment dans le sérieux étriqué du noble style direct, lecorrectif du rire et de la critique, le correctif de la réalité, toujours plus riche, plussubstantielle, et surtout plus contradictoire et plus multilingue, que ce que peutcontenir le genre noble et direct259.

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L’accroupissement qu’elles imposent est dans son inconfort plein de vertud’humilité. C’est une manière d’agenouillement à rebours, les genoux pointantvers le ciel au lieu de piquer vers le sol. Ce qui pique vers le sol, c’est oméga quisemble rechercher le contact direct de la terre, comme si elle pouvait aider àl’acte en attirant par une sorte de magnétisme ce qui dans le corps lui ressemblele plus (RA, 95).

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Tout roman dans sa totalité, du point de vue du langage et de la consciencelinguistiques investis en lui, est un hybride. (...) c’est un hybride intentionnel etconscient, littéralement organisé, non point un obscur et automatique amalgamede langages (plus exactement, d’éléments des langages). L’objet del’hybridisation romanesque intentionnelle, c’est une représentation littéraire dulangage 260.

Il faut avoir les yeux crevés par la superstition pour ne pas reconnaître dans ledéploiement des fastes ecclésiastiques la pompe grotesque de Satan, ces mitresen forme de bonnets d’âne, ces crosses qui figurent autant de pointsd’interrogation, ces cardinaux attifés dans leur pourpre comme la Putain écarlatede l’Apocalypse (RA, 117).

Que le bon Dieu me pardonne, mais chaque fois que son instrument de musiqueofficiel, l’orgue, fait entendre sa voix solennelle et dorée, c’est sur les chevaux debois de la fête foraine que je me trouve. Le manège moud sa rengaine véhémenteet endeuillée. (...) L’escadron puéril plane à un mètre du sol, emporté par cettefanfare que souffle en tempête l’orgue limonaire, une vraie usine à musique, avecses soupapes, ses cylindres, ses tambourins, sa forêt de tubulures, et, marquantla mesure d’un geste sec et précis, d’une furie aux seins exorbitants et au regardhalluciné. Le souvenir qui spiritualise toute chose défunte a transformé cettecavalcade en choral contrapunctique, et c’est dans une lumière de vitrail oùmontent des volutes d’encens que je vois tourner, tourner les petits garçons desannées mortes... (RA, 118-119) 262

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Ma grande affaire a toujours été la transmutation romanesque de notions etd’opérations philosophiques. Or l’ontologie jetée dans le creuset romanesque setransforme partiellement en scatologie, je n’y peux rien263.

Nous subissons tous la pression du corps social qui nous impose comme autantde stéréotypes nos conduites, nos opinions et jusqu’à notre aspect extérieur. Lepropre des créateurs est de résister à cette sujétion pour remonter le courant etmettre en circulation leurs propres modèles (VV, 25).

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Ils savent confusément que le néant est aux deux bouts de l’existence, mais ilssont convaincus que la vie bat son plein, et que, pendant ces quelques années, laterre ne trahira pas leurs pieds. Ils se veulent dupes de la cohérence, de lafermeté, de la consistance dont la société pare le réel. Ils sont souvent hommesde science, de religion ou de politique, domaines où le rire blanc n’a pas sa place(VP, 199).

Soleil, délivre-moi de la gravité. (...) Enseigne-moi l’ironie. Apprends-moi lalégèreté, l’acceptation riante des dons immédiats de ce jour, sans calcul, sansgratitude, sans peur. Soleil, rends-moi semblable à Vendredi. Donne-moi levisage de Vendredi, épanoui par le rire, taillé tout entier pour le rire. (...) Cet oeiltoujours allumé par la dérision, fendu par l’ironie, chaviré par la drôlerie de toutce qu’il voit. (...) Ce balancement de la tête sur l’épaule pour mieux rire, pour

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mieux frapper de risibilité toutes choses qui sont au monde, pour mieuxdénoncer et dénouer ces deux crampes, la bêtise et la méchanceté... (VLP, 217)

L’homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernablescar il y a en lui le désir, inné et indomptable, de juger avant de comprendre. Surce désir sont fondées les religions et les idéologies. Elles ne peuvent se concilieravec le roman que si elles traduisent son langage de relativité et d’ambiguïtédans leur discours apodictique et dogmatique. Elles exigent que quelqu’un aitraison ; ou Anna Karénine est victime d’un despote borné, ou Karénine estvictime d’une femme immorale ; ou bien K., innocent. (...) Dans ce « ou bien-oubien » est contenue l’incapacité de supporter la relativité essentielle des choseshumaines, l’incapacité de regarder en face l’absence du Juge suprême. A causede cette incapacité, la sagesse du roman (la sagesse de l’incertitude) est difficileà accepter et à comprendre264.

Il n’y a pas de paix possible entre le romancier et l’agélaste (celui qui ne rit pas).N’ayant jamais entendu le rire de Dieu, les agélastes sont persuadés que la véritéest claire, que tous les hommes doivent penser la même chose et qu’eux-mêmessont exactement ce qu’ils pensent être. Mais c’est précisément en perdant lacertitude de la vérité et le consentement unanime des autres que l’homme devientindividu. Le roman, c’est le paradis imaginaire des individus. C’est le territoire oùpersonne n’est possesseur de la vérité, ni Anna ni Karénine, mais où tous ont le

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droit d’être compris, et Anna et Karénine265.

Et le pauvre vieux piano du cirque, truqué et rafistolé, obéissait merveilleusementà ses mains, et faisait monter la divine mélodie jusque dans les hauteursobscures du chapiteau où se devinaient des trapèzes et des échelles de cordes.Après l’enfer des ricanements, c’était l’hilarité du ciel, tendre et spirituelle, quiplanait sur une foule en communion. Ensuite un long silence prolongea ladernière note, comme si le choral se poursuivait dans l’au-delà (CB, 98).

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Son (Dionysos) irruption, (...), c’est dans la nature, dans le groupe social, enchaque individu humain, une subversion de l’ordre qui, à travers tout un jeu deprodiges, de fantasmagories, d’illusions, par un dépaysement dans uneconfraternité idyllique de toutes les créatures, la communion heureuse d’un âged’or soudainement retrouvé, soit à l’inverse, pour qui le refuse et le nie, vers lebas, dans la confusion chaotique d’une horreur terrifiante267.

Je vis dans l’absolu, dans un monde totalement vertical où chaque être, tel unarbre, plonge au plus profond de la boue et du même mouvement, s’élève au pluspur de l’éther. Je suis incapable de désincarner le sacré et de le repousser dansle domaine de l’abstrait268.

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Tandis que moi, contraint au départ à prendre les gens et les choses carrément àrebrousse-poil, tournant toujours dans le sens contraire de la rotation de la terre,je me suis construit un univers, fou peut-être, mais cohérent et surtout qui meressemble, tout de même que certains mollusques sécrètent autour de leur corpsune coquille biscornue mais sur mesure (M, 40).

Monstre vient de montrer. Le monstre est ce que l’on montre –du doigt, dans lesfêtes foraines, etc. Et donc plus un être est monstrueux, plus il doit être exhibé.(...) Pour ne pas être un monstre, il faut être semblable à ses semblables, êtreconforme à l’espèce, ou encore être à l’image de ses parents (RA, 14).

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Le clerc de notaire avait disparu et avait fait place à une créature drolatique etinquiétante, d’une laideur puissante et envoûtante, à un monstre sacré, (...) Ildécouvrit l’amour ce jour-là, et l’abandon de son costume de clerc et surtout deses chaussures hautes, l’acceptation de sa condition de nain étaient inséparablesdans son esprit de cette éblouissante révélation (CB, 107).

On nous a toujours jugés petits, (...) Et bien c’est faux ! Nous ne sommes paspetits, nous sommes comme il faut, nous sommes normaux, parce que noussommes innocents. Ce sont les autres qui sont anormalement grands, car cettetaille est leur malédiction, la tare physique répondant à leur culpabilité (M, 196).

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271

Dans le prisonnier converti, naturalisé, assimilé, je voyais une image trèsbellement triomphante et provocante de l’amor fati, la force géniale d’un hommequi parvient à transformer en bénédiction un terrible coup du sort, en bonheur laplus désastreuse des fatalités (VP, 104-105).

Ma formule pour la grandeur de l’homme, c’est amor fati. Il ne faut rien demanderd’autre, ni dans le passé, ni dans l’avenir, pour toute éternité. Il ne faut passeulement supporter ce qui est nécessaire, et encore moins se le cacher –toutidéalisme est le mensonge devant la nécessité -, il faut aussi l’aimer 271.

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Comme je suis beau ! Faisan doré au centre d’un troupeau de pintades couleurde cendre, ne suis-je pas le seul mâle de cette basse-cour ? (M, 254)

Mon bonheur, il avait fallu l’inventer, le construire. Je ne suis pas comme lesautres, moi. Les autres, ils trouvent toute leur vie préparée au quart depoil ennaissant, posée au pied de leur berceau. Moi, je n’avais rien trouvé. Il avait fallutout fabriquer, tout seul, en tâtonnant, en me trompant, en recommençant (CB,330).

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Ce qui fait le charme de ma vie, c’est qu’arrivé à l’âge mûr, je continue à mesurprendre moi-même par les décisions ou les options que je prends, et ced’autant plus qu’il ne s’agit pas de caprices ou de tours de girouette, mais bienau contraire de fruits longuement cultivés dans le secret de mon coeur, un secretsi bien gardé que je suis le premier étonné de leur forme, substance et saveur. Ilfaut bien sûr que les circonstances se prêtent à l’éclosion, mais elles s’y prêtentsouvent avec tant d’empressement que le beau et lourd mot destin vient toutnaturellement à l’esprit (M, 222).

Par la reconnaissance, le fatum devient amor fati. Le véritable sujet de cesromans, c’est la lente métamorphose d’un destin en destinée, je veux dire d’unmécanisme obscur et coercitif en l’élan chaleureux et unanime d’un être vers sonaccomplissement (VP, 242).

L’alcool accentuait chez Tiffauges cette vision à distance, spéculative et détachéequ’il appelait par-devers lui son « oeil fatidique » et qui était la mieux appropriée àla lecture des signes du destin (RA, 279-280).

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Qu’est-ce à dire, sinon que nous étions les détenteurs d’un pouvoir visionnairesupérieur, la clé d’un monde mieux vu, plus profondément fouillé, mieux connu,possédé, percé ? (M, 171)

Pour percevoir le relief, il faut voir en même temps de deux yeux. C’est le légerdécalage des deux images –semblables mais pas identiques –qui donnel’impression du relief. Je vis donc dans un monde à deux dimensionsseulement ? -Oui, vous voyez le monde à plat. Il y a pour vous de la droite et de lagauche, du haut et du bas, mais de profondeur, point. C’est la vision du borgne(CS, 146).

Une dame ? Un nez, devrais-je dire, un nez avec une dame derrière. Car de mavieje n’ai jamais vu un nez pareil. Immense, interminable, pointu, dardé vers moicomme un bec de cigogne. Puis ce fut la rue. La ruée bien plutôt, l’enfer. Unhérissement de crocs, une levée de sabres, un déploiement de lances, unecharge de taureaux furieux. (...) J’étais le point de mire d’une haine généralisée,universelle, partout manifeste (CS, 146-147).

D’abord la main plate tendue pour une poignée de main amicale qui s’oppose aupoing serré en boule, prêt à frapper ou pour le moins à maudire. Mais surtout lesourire qui est de tous les gestes le plus plan, celui qui s’accommode le mieux de

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deux dimensions : la bouche se fend en largeur, les yeux se plissent. C’estl’épanouissement de la vie plate. L’enfant le sait bien qui tire la langue, aucontraire, pour retrouver la troisième dimension dans une grimace qui estl’opposé du sourire (CS, 147).

Il lui semblait que l’image plate, édifiante, sage de sa pieuse enfance se gonflaitsoudain d’une force magique, se creusait, se tordait, se précipitait hors de seslimites, comme possédée par un esprit malin. Debout devant les fresques oupenché sur des gravures, il croyait voir se creuser sous ses yeux une profondeurvertigineuse qui l’aspirait, un abîme imaginaire où il avait l’affreuse tentation deplonger, la tête la première (GJ, 82-83).

Crever la surface des choses pour y voir des fantômes s’agiter. (...) Devenirsoi-même l’un de ces fantômes... Par la perspective, le dessin fuit vers l’horizonlointain, mais il s’avance aussi et emprisonne le spectateur. ( ...) La porte s’ouvresur l’infini, mais vous vous trouvez définitivement compromis. C’est ça laperspective ! (GJ, 83)

Ces maisons sous la neige ont quelque chose d’exorbitant, d’agressif. Mieuxencore qu’agressif, c’est progressif qu’il faudrait dire. Elles ne s’enfoncent pasvers le fond de l’horizon, elles s’avancent vers nous. Il y a un dynamisme danscette perspective retrouvée, mais un dynamisme inversé (TS, 132).

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De son enfance piétinée, de son adolescence révoltée, de sa jeunesse ardente–longtemps dissimulée sous l’apparence la plus médiocre, mais ensuitedémasquée et bafouée par la canaille –s’élevait comme un cri la condamnationd’un ordre injuste et criminel. Et le ciel avait répondu. La société sous laquelleTiffauges avait souffert était balayée avec ses magistrats, ses généraux, sesprélats, ses codes, ses lois et ses décrets (RA, 250).

C’est ainsi que lui fût donnée la réponse à la question qu’il se posait depuis sonpassage de Rhin. Il savait maintenant ce qu’il était venu chercher si loin vers lenord-est : sous la lumière hyperboréenne froide et pénétrante tous les symbolesbrillaient d’un éclat inégalé. A l’opposé de la France, (...), l’Allemagnecontinentale, plus dure et plus rudimentaire, était le pays du dessin appuyé,simplifié, stylisé, facilement lu et retenu (RA, 280).

Tout cela lui était donné par le destin, (...) Et voici qu’il avait la révélation que laPrusse-Orientale toute entière était une constellation d’allégories, et qu’il luiappartenait de se glisser en chacune d’elles, non seulement comme une clé dansune serrure, mais comme une flamme dans un lampion. Car il n’avait passeulement vocation de déchiffrer les essences, mais aussi de les exalter, deporter toutes leurs vertus à l’incandescence. Il allait livrer cette terre à uneinterprétation tiffaugéenne, et en même temps, il l’élèverait à une puissancesupérieure, encore jamais atteinte (RA, 282-283).

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(...) je m’interroge parfois sur ma patience et ma docilité depuis que je foule le solallemand. C’est que je me trouve ici constamment confronté à une réalitésignifiante presque toujours claire et distincte, ou alors quand elle devientdifficile à lire, c’est qu’elle s’approfondit et gagne en richesse ce qu’elle perd enévidence. La France me heurtait sans cesse par des manifestationsblasphématoires élémentaires qui surgissaient dans un désert inexpressif. Cen’est pas que tout ce qui se passe ici aille dans le sens du bien et du juste, tants’en faut ! Mais la matière qui m’est offerte est si fine et si grave à la fois que jen’ai ni le temps ni la force de me fâcher quand elle me heurte un peu rudement(RA, 405).

Encore faut-il se garder d’une interprétation purement sans-pareil de ce drame–dont la vraie lecture doit être gémellaire. D’un point de vue singulier, les chosessont simples, d’une simplicité qui n’est qu’erreur et vue superficielle. (...) Telle estnotre histoire réduite aux deux dimensions de la vision sans-pareil. Restaurésdans leur vérité stéréoscopique, ces quelques faits prennent un tout autre sens ets’inscrivent dans un ensemble beaucoup plus signifiant (M, 264).

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Malgré le mystère qui l’entoure, le mécanisme auquel obéit le destin relève d’unelogique assez courante. Qu’est-ce qui m’est arrivé ? Un formidable bond en avantm’a précipité dans la voie qui m’est propre et où je progressais sans doute à pasmenus. J’ai senti d’un coup toutes sortes d’implications dormantes semanifester, élever la voix, prendre le dessus (M, 37).

Ma vision n’est que la petite servante de mon désir. Ancilla Libidinis. Tout est flouautour de moi hormis l’objet de mon désir qui brille d’un éclat surhumain (M, 96).

Cette acuité de mon coup d’oeil s’accommode donc d’une myopie assezgénérale, et mon univers personnel est semblable à un paysage noyé dans uncrépuscule obscur où seuls de rares objets, de rares personnages seraient douésd’une intense phosphorescence (M, 97).

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J’avais onze ans. J’en ai quarante-cinq, et je ne suis pas encore revenu del’émerveillement dans lequel j’avançais comme environné d’une gloire invisiblesous le préau humide et noir du collège. Pas encore revenu... Comme j’aime cetteexpression juste et touchante qui suggère un pays inconnu, une forêtmystérieuse au charme si puissant que le voyageur qui s’y est aventuré n’enrevient jamais. Saisi d’émerveillement, cet émerveillement ne le lâche plus et luiinterdit de revenir vers la terre grise et ingrate où il est né (M, 43).

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Le terme de passion ne définit jamais un sujet ou un objet donné, mais le lien quiles unit ; c’est quand cet objet nous paraît devenu, pour un autre, l’indispensable,l’exigence vitale, ce qui ne peut manquer, que nous parlons de passion ; quelquesoit l’objet, peu importe alors ; il ne se définit que par ce « ne pas pouvoirmanquer » sans faire de l’autre le manquant par excellence, allant jusqu’à cetabsolu du manque à être qu’on atteint par la mort273.

Avoir raison au fond. C’est le ressort principal de tous mes personnages. Ilssavent tous plus ou moins clairement que la réalité ne se distingue du rêve que

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par une plus grande rigueur logique, et que si je parviens à donner à mon rêveune rigueur logique supérieure à celle de la réalité, il surclassera la réalité,prendra sa place et la refoulera dans le domaine des songes creux275.

L’objet sexuel fourni par le cerveau et incarné par la main peut entrer enconcurrence avec ce même objet –réel cette fois –et le surclasser. L’homme enétat de masturbation rêvant d’un partenaire sera gêné par la survenueintempestive de ce partenaire, et préférera retourner à ses rêves, le trompant enquelque sorte avec sa propre image (M, 89).

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Je lui tends une grappe de raisin qu’il attrape avec une vivacité de singe. Je leregarde grappiller. Divine magie ! J’ai fait descendre un jeune garçon d’untableau de la Pinacothèque de Munich, et il est là, chaud et loqueteux à côté demoi (M, 375).

L’image me suffisait. C’était elle que j’aimais, et la jeune fille réelle ne pouvaitm’émouvoir que secondairement, dans la mesure où je trouvais sur ses traits unreflet de l’oeuvre adulée (GMB, 74).

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- ça, monsieur, c’est l’accession à la dimension artistique ! Oui, c’est bien ça,répète-t-il avec satisfaction, l’accession à la dimension artistique. Chaque choseest transcendée par sa représentation en image. Transcendée, oui, c’est bien ça.Le Sahara représenté sur cette toile, c’est le Sahara idéalisé, et en même tempspossédé par l’artiste (GO, 84).

Mage s’est brusquement levé. Il s’approche d’Idriss et le regarde fixement, ce quiaggrave son strabisme. (...) Il va, comme titubant, vers le bureau, et revient avecune feuille de papier à dessin et un marqueur jaune. –S’il vous plaît, dessine-moiun chameau (GO, 141).

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(...) c’est ainsi qu’en pleine solitude, avec mon moteur cassé, j’ai vu arriver lePetit Prince des sables, toi, Idriss (GO, 142).

Il se voyait multiplié par dix, par cent, réduit à une infinité de poupées de cirefigées dans des poses ridicules sous les yeux de la foule massée devant lesvitrines de Tati. Comment se ferait la métamorphose, il n’en savait encore rien(GO, 182).

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J’ai une idée que je voudrais vous soumettre. Voilà : supposez que vousappreniez à faire l’automate ? On vous habille comme les autres mannequins,vosfrères jumeaux. On vous maquille pour que votre visage, vos cheveux, vosmains aient l’air faux, si vous voyez ce que je veux dire. Et vous, raide comme unpiquet dans la vitrine, vous accomplissez quelques gestes anguleux et saccadés(GO, 189).

La photographie promeut le réel au niveau du rêve, elle métamorphose un objetréel en son propre mythe. (...) chaque photo élève son sujet à un degréd’abstraction qui lui confère du même coup une certaine généralité, de telle sortequ’un enfant photographié, c’est X –mille, dix mille –enfants possédés... (RA, 169)

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Le nombre fini de mes négatifs est justement équilibré par la possibilité que j’aide tirer de chacun d’eux un nombre infini d’images positives. L’infini empiriqueramené d’abord au fini de ma collection redevient un infini possible, mais cettefois il ne se déploie qu’à travers moi seul. Par la photographie, l’infini sauvagedevient un infini domestique (RA, 177).

L’idée est plus que la chose, l’idée de l’idée plus que l’idée. En vertu de quoil’imitation est plus que la chose imitée, car elle est cette chose plus l’effortd’imitation, lequel contient en lui-même la possibilité de se reproduire, et doncd’ajouter la quantité à la qualité. C’est pourquoi en fait de meubles et d’objetsd’art, je préfère toujours les imitations aux originaux, l’imitation étant l’originalcerné, possédé, intégré, éventuellement multiplié, bref pensé, spiritualisé (M,101).

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Il tendit ses poignets à Idriss. –Tu vois ces traits blancs sur la peau. Ce sont lescicatrices. -Non, avoua Idriss honnêtement, je ne vois rien. -C’est trop mal éclairéici, expliqua Sigisbert (GO, 135).

Moi je soigne mes petits hommes. Quelques fois j’en fabrique un en assemblantbras, jambes et tête sur un torse. Cela peut donner des disproportionsémouvantes. Ce sont des grands moments. La paternité... (GO, 179)

Mes mannequins jettent le doute sur le paysage. Grâce à eux, les arbres sont unpeu (...) en papier, les rochers en carton, le ciel n’est en partie qu’une toile defond. Quant aux mannequins, étant eux-mêmes déjà des images, leur photo estune image d’image, ce qui a pour effet de doubler leur pouvoir dissolvant. Il enrésulte une impression vraie. C’est absolument la réalité sapée à sa base parl’image (GO, 181).

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La relation du mannequin au vêtement est inverse. Là, c’est le vêtement qui est lepremier. Le mannequin n’est qu’un sous-produit du vêtement. Il est commesécrété par le vêtement. C’est dire sa disgrâce, lorsqu’il se trouve privé devêtements. (...). Ce sont des ectoplasmes de complet-veston, des fantômes derobes, des spectres de jupes, des larves de pyjamas (GO, 175).

Je venais de découvrir la raison d’être des hommes. J’ai longtemps détesté leshommes. C’est vrai, à quoi ça sert ? Mais cette fois j’avais compris les hommes.Les femmes, c’est du linge fin, douillet, parfumé. Les hommes, c’est unportefeuille gonflé de choses secrètes et de billets de banque soyeux et odorant

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(CB, 322-323).

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Tu es un ogre, me disait parfois Rachel. Un Ogre ? C’est-à-dire un monstreféerique, émergeant de la nuit des temps ? Je crois, oui, à ma nature féerique, jeveux dire à cette connivence secrète qui mêle en profondeur mon aventurepersonnelle au cours des choses, et lui permet de l’incliner dans son sens. Jecrois aussi que je suis issu de la nuit des temps (RA, 13).

Et d’abord qu’est-ce qu’un monstre ? L’étymologie réserve déjà une surprise unpeu effrayante : monstre vient de montrer. Le monstre est ce que l’on montre –dudoigt, dans les fêtes foraines, etc. (...) Pour n’être pas un monstre, il faut êtresemblable à ses semblables, être conforme à l’espèce, ou encore à l’image de sesparents (RA, 14).

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Je comprend maintenant pourquoi quelques lignes de Descartes m’avaient paruflamber soudain dans la grisaille d’un cour de philosophie. J’avais la certitudeobscure que cette règle du Discours de la Méthode avait un rapport avec lapréoccupation majeure de Nestor : « Faire partout des dénombrements si entierset des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre. » Le grandmérite d’un monde clos sur lui-même, sans ouverture sur le dehors, obéissantaux seules lois internes qu’il s’est données, c’est de faciliter la satisfaction à

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cette règle fondamentale (RA, 147-148).

Dieu m’est témoin que je n’ai jamais prié pour une apocalypse ! Je suis un géantdoux, inoffensif, assoiffé de tendresse, qui tend ses grandes mains, jointes enforme de berceau. Tu me connais d’ailleurs mieux que je ne me connaismoi-même. Avant que ma parole soit sur ma langue, tu la sais déjà tout entière(RA, 207).

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(Nestor) reprochait aux bons pères –pasteurs de jeunes garçons par professionpourtant, -d’ignorer qu’un enfant n’est beau que dans la mesure où il estpossédé, et qu’il n’est possédé que dans la mesure où il est servi. L’Enfant Jésussur les épaules de Christophe est à la fois porté et emporté. C’est là tout sonrayonnement. Il est enlevé de vive force, et très humblement et péniblementsoutenu au-dessus des flots grondants. Et toute la gloire de Christophe est d’êtreà la fois bête de somme et ostensoir. Dans la traversée du fleuve, il y a du rapt etde la corvée (RA, 85-86).

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Il n’est pas interdit de supposer que ce dernier repas d’un homme certainementconsidérable, d’un roi sans doute, pris avant une mort horrible, mais librementchoisie, ait eu lieu en même temps –la même année, qui sait le même jour, à lamême heure ! –que la Cène, cet ultime repas pascal qui réunit avant la PassionJésus et ses disciples. Ainsi au moment même où la religionjudéo-méditerranéenne prenait son essor au Proche-orient, un rite analoguefondait ici même, peut-être, une religion parallèle, strictement nordique et mêmegermanique (RA, 294).

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Et là, je reviens nécessairement à mes méditations bibliques, à l’Adam archaïqueavant la Chute, porte-femme et porte-enfant, perpétuellement en proie à unetranse érotique –possédant-possédé –dont nos amours ordinaires ne sont quel’ombre pâle. Se pourrait-il que ma vocation surhumaine me fît accéder en decertaines circonstances à l’extase du grand ancêtre androgyne ? (RA, 132)

Je songe à la résurrection de la chair que nous promet la religion, mais d’unechair transfigurée, au plus haut degré de sa fraîcheur et de sa jeunesse. Jedéploie toute ma peau brune et souillée d’adulte, je tend mon visage bistre etburiné à ces jets de vapeur bouillants, j’enfouis ma figure noire et ravinée dans

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cette fleur de farine, je l’offre à ces houppettes de chair vive pour la guérir de sadisgrâce(RA, 517).

Venant après ma veillée auprès de Hellmut, ce farouche baptême a fait de moi unautre homme. Un grand soleil rouge s’est levé tout à coup devant ma face. Et cesoleil était un enfant. Un ouragan vermeil m’a jeté dans la poussière, comme Saulsur le chemin de Damas, foudroyé par la lumière. Et cet ouragan était un jeunegarçon. Un cyclone écarlate a enfoncé ma figure dans la terre, comme la majestéde la grâce ordinante cloue au sol le jeune lévite. Et ce cyclone était un petithomme de Kaltenborn. Un manteau de pourpre a pesé d’un poids intolérable surmes épaules, attestant ma dignité de Roi des Aulnes. Et ce manteau était Arnim leSouabe (RA, 544-545).

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Le mythe construit en pleine terre est trop éloigné des ondes du réel pourpouvoir fonctionner. (...) L’originalité de M. Tournier consiste ici à appliquer latrame initiatique non seulement, comme ont fait tant d’auteurs avant lui, pourorganiser un récit qui renouvelle et enrichit les mythes dans le seul but de lesprolonger, mais également pour véhiculer une analyse mytho-logique ayant pourobjet le fonctionnement et le dysfonctionnement des mythes (et plus en généraldes modèles de structuration) dans l’organisation psychique des hommes 286.

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Pour laisser libre cours à la folie raisonneuse et systématique, rien de tel que de

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donner directement la parole aux personnages. Alors le lecteur se trouve en têteà tête avec un homme qui s’explique, il est exposé de plein fouet à sa force deconviction, tandis que l’auteur caché, effacé, jouit en voyeur de ce face à face(VP, 116).

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(...) ce que Franz haïssait plus que tout au monde, c’était le changement, lanécessité pour lui de s’adapter à une situation, à des personnes nouvelles. (...) Letemps était son cauchemar, le temps au double sens du mot : l’écoulementinexorable des minutes, des heures, des jours, des ans, mais aussi lesalternances de pluie et de beau temps. Le soir, Franz était souvent tenaillé parune sourde angoisse, et il fixait obstinément les yeux au sol en sentant la lumièrebaisser autour de lui, terrifié à l’avance par ce qu’il verrait s’il levait le regard versle ciel, ces édifices de nuages crémeux et bourgeonnants qui s’avançaient à deshauteurs vertigineuses en croulant lentement les uns sur les autres, comme desmontagnes minées, soulevées par un tremblement de terre (M, 71-72).

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Une fois de plus que Tiffauges se trouvait seul, confronté à des hommesgrossiers qui le méprisaient parce qu’il était gauche et taciturne, mais en vérité ilétait le meilleur, le plus fort, le seul élu et innocent, et grâce au destin, il seraitvainqueur de toute cette racaille en ribote (RA, 238). Personne n’avait autant quelui la conscience de son destin, un destin rectiligne, imperturbable, inflexible quiordonnait à ses seules fins les événements mondiaux les plus grandioses (RA,

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249).

Et il semblait bien en en effet que tout cet échafaudage artificiel et extérieur–branlant, mais sans cesse fiévreusement perfectionné –n’avait pour raisond’être que de protéger la formation d’un homme nouveau qui ne serait viable queplus tard. Mais cela, Robinson ne le reconnaissait pas encore pleinement, et il sedésolait des imperfections de son système (VLP, 82).

Découverte merveilleuse (...) Il était possible de changer sans déchoir. Il pouvaitrompre l’équilibre si laborieusement acquis, et s’élever, au lieu de dégénérer ànouveau. Indiscutablement il venait de gravir un degré dans la métamorphose quitravaillait le plus secret de lui-même. Mais ce n’était qu’un éclair passager. Lalarve avait pressenti dans une brève extase qu’elle volerait un jour. Enivrante,mais passagère vision. Désormais il recourut souvent à l’arrêt de la clepsydrepour se livrer à des expériences qui dégageraient peut-être un jour le Robinson

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nouveau de la chrysalide où il dormait encore. Mais son heure n’était pas encorevenue (VLP, 94).

J’ai avancé sur le chemin d’une longue et douloureuse métamorphose. L’hommede la terre arraché à son trou par le génie éolien n’est pas devenu lui-même génieéolien. Il y avait trop de densité en lui, trop de pesanteur et de lentes maturations.Mais le soleil a touché de sa baguette de lumière cette grosse larve blanche etmolle cachée dans les ténèbres souterraines, et elle est devenue phalène aucorselet métallique, aux ailes miroitantes de poussière d’or, un être de soleil, duret inaltérable, mais d’une effrayante faiblesse quand les rayons de l’astre-dieu nele nourrissent plus (VLP, 226-227).

Pour la deuxième fois, ce jeune homme, voué au sucre depuis son enfance, fitainsi connaissance avec l’élément salé dans un baptême d’une inoubliablebrutalité. Son destin lui réservait une troisième épreuve salée, combien plusdouloureuse et plus longue que celle-ci (GMB, 189).

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Le massacre des petits enfants et le goûter du jardin des cèdres. Il avait laconviction qu’une affinité secrète unissait ces deux scènes, que, dans leurcontraste, elles étaient d’une certaine façon complémentaires, et que, s’il étaitparvenu à les superposer, une grande lumière aurait jailli sur sa propre vie, etmême sur le destin du monde. (...) Il comprenait bien que ce qu’il avait vécu cettenuit à Bethléem préparait autre chose, n’était en somme que la répétitionmaladroite, et finalement avortée, d’une autre scène où ces deux extrêmes –repasamical et immolation sanglante –se trouveraient confondus. Mais sa méditationne parvenait pas à percer l’épaisseur trouble à travers laquelle il entrevoyait lavérité. Seul un mot surnageait dans son esprit, un mot mystérieux qu’il avaitentendu pour la première fois depuis peu, mais où il y avait plus d’ombreéquivoque que d’enseignement limpide, le mot sacrifice (GMB, 233-234).

Il sentait l’enfant –si mince, si diaphane pourtant –peser sur lui comme unemasse de plomb. Il avançait, et la vase montait toujours le long de ses jambes, etla charge qui l’écrasait s’aggravait à chaque pas. Il devait maintenant faire uneffort surhumain pour vaincre la résistance gluante qui lui broyait le ventre, lapoitrine, mais il persévérait, sachant que tout était bien ainsi. Quand il leva pourla dernière fois la tête vers Ephraïm, il ne vit qu’une étoile d’or à six branches quitournaient lentement dans le ciel noir (RA, 580-581).

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(...) l’Allemagne était toujours menacée de devenir un théâtre de grimaces et decaricatures, comme le montrait son armée, bel échantillonnage de têtes de jeu demassacre, depuis le Feldwebel au front de boeuf jusqu’à l’officier monoclé etcorseté. Mais pour Tiffauges dont le ciel clouté d’allégories et d’hiéroglyphesretentissait sans cesse de voix indistinctes et de cris énigmatiques, l’Allemagnese dévoilait comme une terre promise, comme le pays des essences pures (RA,

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281).

Qui pèche par les symboles sera puni par eux ! Tiffauges, vous êtes un lecteur designes, je l’ai bien vu, et d’ailleurs vous me l’avez prouvé. Vous avez crudécouvrir dans l’Allemagne le pays des essences pures où tout ce qui passe estsymbole, tout ce qui se passe parabole. (...) Votre vocation vous a fait découvrirla phorie, l’inversion maligne et la saturation. Il vous reste à connaître le comblede cette mécanique des symboles, l’union de ces trois figures en une seule quiest synonyme d’apocalypse (RA, 472-473).

Car il y a un moment effrayant où le signe n’accepte plus d’être porté par unecréature, comme un étendard est porté par un soldat. Il acquiert son autonomie, iléchappe à la chose symbolisée, et, ce qui est redoutable, il la prend lui-même encharge. (...)le symbole n’étant plus lesté par rien devient le maître du ciel. Ilprolifère, envahit tout, se brise en mille significations qui ne signifient plus riendu tout. (...) Mais ne cherchez pas à comprendre, c’est-à-dire à trouver pourchaque signe la chose à laquelle il renvoie. Car ces symboles sont diaboles : ilsne symbolisent plus rien. Et de leur saturation naît la fin du monde (RA, 473-474).

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Où est Jean ? Vous oubliez que je n’ai pas tout à fait écarté l’hypothèse selonlaquelle vous êtes Jean. Alors derrière votre question, j’entends comme un écholointain : où suis-je ? (M, 455)

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L’homosexuel, c’est le Bourgeois-Gentilhomme. Destiné au travail utilitaire et à lafamille par sa naissance roturière, il revendique follement la vie ludique etdésintéressée du gentilhomme (M, 387-388).

Cet homme, petit frère, a porté à son comble la solitude, la singularité, la sujétiontotale et sans merci à un destin, bref tout ce qui nous est contraire, tout ce quicontredit l’essence de la gémellité. (...) Cet homme est un esclave, et nonseulement un esclave, mais un assassin, et je n’en veux pour preuve que sa taillede géant (M, 195).

Chaque homme a besoin de ses semblables pour percevoir le monde extérieurdans sa totalité. Autrui lui donne l’échelle des choses éloignées et l’avertit quechaque objet possède une face qu’il ne peut voir de l’endroit où il se trouve, maisqui existe puisqu’elle apparaît à des témoins éloignés de lui. Il en va jusqu’àl’existence même du monde extérieur qui n’a pour garantie que la confirmationque nos voisins nous en apportent. (...). La vision qu’aurait du monde un solitaire–sa pauvreté, son inconsistance sont proprement inimaginables. Cet homme nevivrait pas sa vie, il la rêverait, il n’en aurait qu’un rêve impalpable, effiloché,évanescent (M, 421).

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(...) un déséquilibré auquel un pays bouleversé par la guerre et par la défaite offrele seul terrain qui convienne à son plein épanouissement. Ne suis-je pasfinalement un autre Victor, et mon seul espoir n’est-il pas que les coups du destinplacent Kaltenborn au niveau et à la merci de la folie qui m’est propre ? (RA, 399)

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C’est que les monstres sont d’un usage très précieux dans les lettres commedans les sciences : ils jettent une lumière neuve et pénétrante sur les autres, lesêtres dits normaux. (...) Car on assiste nécessairement à une restructuration de lavision des choses et des gens : le normal et l’anormal changent leurs places,comme un damier blanc sur fond noir se transforme tout à coup sous l’oeil duspectateur en un damier noir sur fond blanc (VV, 335-336).

Décrire la société française du 18e siècle avec les yeux d’un Persan, voilà quipermet bien des observations savoureuses et des critiques acerbes àMontesquieu. Encore Persan n’est-il pas un monstre. Le monde raconté par unnain –observé dans la perspective de la grenouille, selon une expressionallemande consacrée -, c’est la voie ouverte à des aperçus bouleversants etdévastateurs (VV, 336).

Après en avoir fait le tour objectivement et de l’extérieur, je me suis installé enson centre, décrivant dès lors le monde et les hommes à travers ses lunettes. Etde même que le jumeau Paul m’avait révélé un monde « singulier », de même quemon nain rouge m’avait appris que la terre est peuplée d’hommes-échassiers quititubent sur des jambes fragiles et démesurées, de même Alexandre en devenantmon seul point de vue m’a dévoilé la société hétérosexuelle (VP, 264).

La vision de Dionysos consiste à faire éclater du dedans, à réduire en miettescette vision « positive » qui se prétend la seule valable et où chaque être a saforme précise, sa place définie, son essence particulière dans un monde fixeassurant à chacun sa propre identité à l’intérieur de laquelle il demeure enfermétoujours semblable à lui-même. Pour voir Dionysos il faut pénétrer dans un

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univers différent, où l’Autre règne, non le Même291.

A partir du moment où l’on échappe au gaufrier que vous impose la société, ondevient pervers. Mais en même temps inventif et donc précieux pour unromancier292.

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Les premiers ne peuvent parler que d’eux-mêmes. Sous les dehors les plusdivers (...) c’est toujours d’eux-mêmes qu’ils nous entretiennent. Ils ne peuventêtre vraiment romanciers, selon moi, car il n’y a de vrai roman que peuplé depersonnages nombreux, différents à la fois les uns des autres et de l’auteur, etdont aucun n’occupe l’avant-scène au point d’éclipser les autres (VV, 279).

On lit son journal. Je n’interviens pas. Je n’ai pas à juger. Qu’on n’aille surtoutpas m’attribuer ce qu’il dit. Je n’ai pas à approuver ou à désapprouver. Je ne jugepas. Je le laisse parler. C’est comme si j’avais trouvé dans un tiroir un manuscritinconnu295.

« Madame Bovary, c’est moi. » L’affirmation célèbre de Gustave Flaubert résumetoute l’esthétique du roman. Chaque romancier puise sa substance dans lechamp de sa vie personnelle, soit pour la livrer presque à l’état brut à seslecteurs (Montaigne, Rousseau, Gide) soit pour lui faire subir une distillation quila rend méconnaissable (Flaubert justement, mais à des degrés divers dans LaTentation, Madame Bovary ou L’éducation sentimentale) (VV, 313).

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Le romancier commet une faute s’il s’incarne dans l’un de ses personnages. Ildoit s’incarner dans tous. Balzac savait cela, Gide non. C’est pourquoi il estmalhonnête d’attribuer à un romancier les idées ou les paroles qu’il prête à l’unde ses personnages ; il faudrait citer également comme siennes celles de tous lesautres et préciser que cette imputation se situe au niveau non du réel, mais dupossible296.

Cette nébuleuse où se cherchent mille et mille perversions possibles, c’est nonseulement l’âme d’Abel Tiffauges, mais l’image de celle de son romancier, de toutromancier en général, me semble-t-il. Rien de tel en effet pour enfanter unpersonnage et son univers que cette souplesse polymorphe et exploratoirepropre à la sexualité infantile. Pourtant il ne faut pas céder à l’illusion onirique etconsidérer comme donné dans le réel ce qui n’est que projeté dans l’imaginaire(VP, 122-123).

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L’autographique a triomphé du romanesque. A moins que ce ne soit leromanesque qui triomphe et Tournier serait alors comme vampirisé par sonpersonnage ? 297

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Un article ? En vérité, il s’agissait d’un système du monde, assez complet audemeurant, comprenant ontologie, gnoséologie et épistémologie, morale, logiqueet esthétique. Naturellement tout cela réduit, miniaturisé pour pouvoir tenir dansles limites étroites. (...) Trente ans plus tard, je ne ris pas de trop de cettepremière publication. Si j’ai attendu ensuite vingt ans pour me manifester ànouveau (...), n’est-ce pas que j’avais tout dit d’un seul coup en ces quelquespages ? Mon système compact (...), c’est peut-être encore la base cachée surlaquelle j’édifie mes petites histoires (VV, 310-311)

Le sujet connaissant peut être comparé à une source de lumière projetant un

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faisceau (la conscience) sur des objets plongés dans l’obscurité302.

Dans l’état primaire de la connaissance, la conscience que j’ai d’un objet est cetobjet même, l’objet est connu, senti, etc., sans personne qui connaisse, sente,etc. Il ne faut pas parler ici d’une chandelle projetant un faisceau de lumière surles choses 303. A cette image, il convient d’en substituer une autre : celle d’objetsphosphorescents par eux-mêmes, sans rien d’extérieur qui les éclaire (VLP, 97).

Cette nature sans les hommes ne peut être vue, ressentie, construitesubjectivement par un observateur humain. C’est un objet sans sujet. Un connusans connaissant. Si elle exprime un sentiment, ce n’est pas parce qu’elle seréfracte dans un regard ému, c’est par et pour elle-même, absolument (VV, 318).

(...) Je ne me lasse pas d’observer l’eau qui chaque jour monte et descend aufond du trou. C’est un miroir noir où se reflète ma tête, et que parcourent parfoisde mystérieux frémissements. (...) C’est l’anus, ou le vagin, ou l’intestin de lamaison. Un étrange narcissisme me fait parfois descendre en pleine nuit pourobserver mon puisard. (...) J’ai peiné deux heures pour tirer du trou par quantitésinfimes un sac de très belle terre rousse probablement tout à fait stérile. Je me

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demande si je parviendrais à m’y glisser tout entier comme un foetus(PP, 27-28).

Je me penchais et vis mon reflet trembler sur un miroir noir. La tentation étaittrop forte. Je retirai tous mes vêtements, et, empruntant le tronc de palmier, jedescendis jusqu’au fond du puits. L’eau me montait à la ceinture, et je sentaiscontre mes chevilles les frais remous d’une source invisible. Je m’enfonçaisjusqu’à la poitrine, jusqu’au cou, jusqu’aux yeux, dans l’exquise caresse du flot.Au-dessus de ma tête, je voyais le trou rond de l’orifice, un disque de cielphosphorescent où clignotait une première étoile (GMB, 37).

L’allègre satisfaction de la fenaison. La qualité du rythme, le balancement desdeux bras de droite à gauche –et le corps fait contrepoids par un mouvementinverse de gauche à droite –la lame s’enfonce dans la masse de fleurs, (...),tranche net toute cette matière graminée et la dépose proprement à ma gauche, la

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fraîcheur puissante qui émane des sucs, sèves et laits éjaculés –tout celacompose un bonheur simple dont je m’enivre sans remords. La lame fouettée parle fusil de pierre rose est assez malléable pour que le fil se plie visiblement dansun sens, puis dans l’autre. La prairie est une masse qu’il faut attaquer, entamer,réduire méthodiquement en tournant autour pas à pas. Mais cette masse estfinement composée, amas d’univers vivants et minuscules, cosmos végétal où lamatière est totalement exténuée par la forme (VD).

Lorsqu’il collait ses lèvres avides au trou pour sucer activement le liquide vital, ilvagissait de reconnaissance, et derrière ses paupières abaissées, il voyaitflamber la promesse de Moïse : Enfants d’Israël, je vous ferai entrer dans uneterre ruisselante de lait et de miel (VLP, 113).

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Est-il besoin de dire que cette image –sans doute parce qu’elle illustre avecnoblesse la plus secrète affinité de ces deux maîtres-mots : la mer et la mère –estl’une des plus belles qui furent jamais faites depuis l’invention de laphotographie ? La plus belle peut-être (VD).

Et il faut rappeler ici que ces trois mots fondamentaux –mer, matière et mère –ontune seule et même souche étymologique. Pour ma part, c’est au troisième voletde cet ensemble que va ma préférence, celui-ci chante le limon, la boue féconde,l’eau moirée, les sables volubiles, les blessures infligées à la croûte desséchéepar les flèches solaires, l’éclatement du soleil en mille et mille idoles tremblanteset éblouissantes. J’y vois un retour à la matière vierge et molle avant le Paradis,alors que le Verbe a travaillé à séparer la terre et les eaux pour que la vie pûtnaître (CM, 114).

La fleur est le sexe de la plante, (...) La plante exhibe ses organes génitauxcomme ce qu’elle a de plus brillant et de plus parfumé, (...). Nul doute que le tutu,par sa corolle foisonnante et raidie, ne contribue à l’assimilation de la ballerine etde la rose : la femme-fleur. (...) le tutu célèbre la fesse, qu’il fait minehypocritement de masquer, mais qu’il exalte en vérité par le bouillonnement érigéde ses volants (VD).

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(...) on n’oublie jamais que la fleur est sexe, partie sexuelle de la plante. Il estdonc normal qu’à partir de cette fleur-sexe naisse la femme. Elle se dégage eneffet de ces jeux de corolles, pistils, pétales et étamines (TS, 160).

(...) la teinte fondamentale de la vie qui vient des eaux marines et qui est aussibien putréfaction que germination. La mythologie nous apprend queKronos,ayant tranché les génitoires de son père Uranus à l’aide d’une faucille, jeta le toutpar-dessus le balcon du ciel. La faucille devint l’île de Malte. Les génitoiresflottèrent longtemps au gré des lames, entourés d’une mousse rose et saumâtre.Rejetés sur une grève comme une méduse ensanglantée, il en sortit une femmed’une beauté incomparable qu’on appela Aphrodite (aphros=écume) et qu’on aplus tard identifiée à la Vénus des Latins. C’était cette chair pantelante, fécondeet lourde de vénusité ravissante, bercée par les courants et les remous, queNicolas représentait inlassablement sur ses toiles, la féminité même à l’étatnaissant, et donc chargée de toute sa force originelle (MA, 161-162).

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Il y a une indiscutable affinité entre ces chairs blanches, molles et mûres, et lalourdeur de cette végétation tropicale, gorgée d’humidité chaude. Plantesgrasses et corps gras. Odeurs capiteuses et peau moite. Et c’est bien ainsi, car laforêt vierge enveloppe mieux la nudité laiteuse et lymphatique que les corps secset noirs qui l’habitent naturellement –lesquels se trouvent en revanche mieux àleur place dans les sables et les cailloux des déserts (VD).

J’avais fait des voeux ardents pour que la guerre éclatât, mettant fin à mesproblèmes scolaires. J’étais dévoré par la soif de désordre et de catastrophe quitourmente certains adolescents. J’avais été exaucé en septembre lors del’invasion de la Pologne par les alliés germano-soviétiques (VP, 76).

Il est de son âge d’attendre la survenue de quelque chose ou de quelqu’und’extraordinaire qui va tout renouveler, tout bouleverser, fût-ce une catastropheplanétaire. (...) Je me souviens de la ferveur avec laquelle je priais pour qu’uneguerre éclatât et jetât cul par-dessus tête la société de cloportes où j’agonisais.Je fus exaucé au-delà de mes voeux... (CS, 40, et PP, 123).

Il y a certes le bâillement, mais plus encore une certaine façon d’appuyer sonfront contre la vitre de la fenêtre et de s’abîmer dans la contemplation morosed’une rue déserte où divaguent des créatures fades et indésirables. Il y a unecertaine matité des bruits provenant de l’épaisseur de l’immeuble, une lumièreglauque d’aquarium tombant sur toutes choses d’un ciel uniformément voilé, etfinalement une clameur silencieuse qui brame le désespoir d’exister (CS, 39 etPP, 122).

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Ce phénomène, très fréquent dans l’oeuvre de Tournier fonctionne comme unecitation clandestine qui fait se superposer les deux voix du personnage et del’auteur. Ecriture seconde : celle de l’auteur parlant en son nom propre. Larelation du texte à ce que l’on nomme sa « source » est ici inversée dansl’écriture ; c’est dans le discours élaboré pour le personnage que s’enracine celuide l’auteur310.

Quant à moi, je platonisais sans impatience, habité, conforté, réchauffé par laconviction absolue que l’Allemagne m’appartenait de plein droit et qu’elle meserait offerte en temps voulu débarrassée de sa Wehrmacht et de ses nazis (VP,87).

Avant d’être une réalité, le Canada a longtemps été pour moi un rêve, et je ne doispas être le seul français dans ce cas. Confinés en cette petite Europe, vieillotte etmesquine, nous avons tous besoin de vastes espaces pour déployer les ailes denotre imagination (CS, 141 et JVC, 7).

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Ainsi la faune de Prusse-Orientale venait de déléguer à Tiffauges son premierreprésentant, et il s’agissait d’une bête à demi-fabuleuse, qui paraissait sortir desgrandes forêts hercyniennes de la préhistoire (RA, 276).

La Prusse-Orientale –berceau de la Prusse puisque c’est à Königsberg que futcouronné son premier roi –avait aux yeux des Allemands les contours indécisd’une terre de rêve avec ses chevaliers teutoniques, ses porte-glaives, ses dunesmouvantes où se posent des nuées d’oiseaux migrateurs, avec cette faunefantastique qui mêle l’auroch, le loup et le cygne noir (VP, 110).

Plus encore que l’arbre, le lac, la neige et une faune admirable, c’était pour moi laterre d’un certain commencement, ou recommencement. Paradis terrestre, oui,mais non par ses fleurs et ses fruits, non par un climat mol et délicieux. Paradisterrestre parce que première terre habitée par le premier homme. Le trappeurdans sa cabane de rondins avec son fusil, ses pièges et sa poêle à frire,subvenant seul à tous ses besoins, durement, dangereusement, tel était l’Adamoriginel, patient, ingénieux, athlétique que nous voulions tous être –plutôt quecelui de la Bible déjà encombré d’un père autoritaire, Jéhovah, d’un onclescandaleux, le Serpent, d’une épouse geignarde (JVC, 9-10, et CS, 142).

A l’opposé des fesses des adultes, paquets de viande morte, réserve adipeuse,tristes comme des bosses de chameau, les fesses des enfants, vivantes,frémissantes, toujours en éveil, parfois hâtives et creusées, l’instant d’aprèssouriantes et naïvement optimistes, expressives comme des visages (VD).

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L’homme du Verseau, incarné par le petit Mannekin-Pis de Bruxelles. Scatologieliquide. Paradis de la bonne miction, abondante, dorée, gazouillante. Enfer de lamauvaise miction (calculs, prostate, blocage des reins, etc.). L’homme qui pissedans son jardin, le milieu de son corps s’unit à la terre par un cordon liquide.Communion (VI, 93).

Je trouve assez bon que ces petits viennent offrir sa nourriture quotidienne à macuve septique, sorte d’ogresse coprophage et souterraine, âme noire, gourmandeet immonde de ma maison. Homme solitaire, petit mangeur et auteurparcimonieux, j’ai des inquiétudes de stérilité qui prennent figure de constipationau niveau le plus bas, et me feraient croire parfois que ma cuve septique exhaledes soupirs de reproche (PP, 27).

J’ai cru d’abord qu’il n’y avait rien de plus enviable au monde que le rôle de cechauffeur-nourricier, et j’ai ardemment envié son sort. Mais sous l’influence peutêtre de cet air indien saturé de mystères et de monstres, j’ai rêvé d’unemétamorphose plus exaltante encore : être le camion-citerne lui-même et, telle

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une énorme truie aux cent tétines généreuses, donner mon ventre en pâture auxpetits Indiens affamés. Ainsi l’Ogre, sous le coup d’une inversion bénigne, au lieude manger les enfants, se fait manger par eux (CS, 36 et PP, 191).

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(...) je guérirai heure par heure cette étrange cécité qui l’empêche de voir leschoses et les événements à travers les lettres et les mots. Je lui conférerai cepouvoir magique qui fait surgir d’un tas de papier encré un parc, un manoir, unebelle et une bête, des aventures horribles et superbes, des rires et des larmes.Puis je conduirai sa main sur le papier pour lui apprendre à dessiner des pleins etdes déliés qui sont comme les muscles et les os des lettres (CS, 189, PP, 124).

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Chaque photographe incarne à l’égard de l’image un type d’homme exemplaire.Certains sont des chasseurs, et ils piègent l’image par ruse ou l’arrêtent en pleinvol d’un coup de caméra. D’autres sont des amoureux un peu sadiques qui nereculent pas devant le rapt ou le viol. D’autres encore jouent les maquereaux et latraitent en fille soumise et de fructueux rapport. Il y en a qui paraissent lamépriser et la «prennent» avec une indifférence toute conjugale. Certains enfin laconcertent, la composent, l’enjolivent, la fignolent pour nous l’offrir comme unbouquet savamment agencé (CM, 95-97).

Posséder la photographie de l’être désiré, c’est une grande satisfaction, maisfaire soi-même cette photographie, « prendre » en photo (comme on « brûle eneffigie ») le corps désiré, c’est encore mieux (CS, 107 et PP, 153).

(...) il y a dans la prise de vue photographique –beaucoup plus que dans le dessin–une part de prédation, d’agression, d’attaque qui fait peur quand il s’agit de latourner contre soi-même. (...). On conçoit que le photographe hésite à braquersur son propre visage cette bouche noire qui prend et qui garde avec une rapiditéfoudroyante. Il n’aime pas se faire à lui-même ce qu’il fait si bien aux autres... (CS,100).

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(...) l’oeil du grand photographe joue-t-il le rôle d’une sorte de grille dedéchiffrement lorsqu’il se pose sur une foule ou un paysage. Il invente sesimages en ce double sens qu’il les ramasse et qu’il les crée (CM, 95).

Il s’agit d’une dialectique assez perverse qui alterne cruauté et caresse, mise àmort et glorification. Le pansement prend la relève du drapé classique, plusintime, plus équivoque, puisqu’il habille non la nudité, mais la plaie. Paul Valérydisait : « la vérité est nue, mais sous le nu, il y a l’écorché », entendant par làqu’une réalité plus profonde attend et récompense l’art qui sait être implacable(CS, 79, PP, 106)

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Le véritable sens de la nature morte, c’est plutôt, semble-t-il, de considérer desobjets d’usage –normalement oblitérés à nos yeux par leur utilité –hors de toutusage non seulement actuel, mais possible. Leur présence, habituellement trèseffacée dans notre vie, devient tout à coup exorbitante. Le dessin les fait passerdu relatif à l’absolu. (...) Ce sont des archétypes, des idées platoniciennes (VI, 69).

Celle du premier type s’empare d’un objet –souvent banal, commun, trivial –denotre vie quotidienne et, faisant vide autour de lui, elle l’exalte, le transfigure, elleoutre tous ses attributs jusqu’à en faire l’idole, inutilisable dans sa majesté, d’unfétichisme moderne. L’objet monté en épingle, placé sur un socle, projeté surorbite en plein ciel étoilé, coupé de toute relation avec l’homme ou les autreschoses, devient l’équivalent d’une idée platonicienne (TS, 192).

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Lorsque le paon fait la roue, si l’on a le courage de regarder la vérité en face, ons’aperçoit qu’en fait il se déculotte. Il retrousse sa jupe de plumes pour exhiberson cul et son sexe. C’est le véritable sens de son geste qu’on s’acharnehypocritement à interpréter à l’envers. Sa nature est postérieure, et nonantérieure (PP, 48).

(...) chaque ville se définit de façon irrécusable par la quantité et la qualité de sesdétritus. Densité et niveau économique de la population, travail, habitudesalimentaires, (...) tout est là, et même les détails les plus intimes, les secrets lesplus intimes de chaque habitant. (...). On pourrait à l’aide de tous ces documentsdresser de chaque cité un « portrait ordurier » d’une fidélité insurpassable. Lesdétritus devraient être l’objet d’une archéologie du présent, cette mine devraitavoir ses fouilleurs, ses orpailleurs, ses Champollion (VD).

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Ce sont des pauvres, n’en doutez pas ! Les riches se baignent vraiment, et pourcela ils possèdent slips et maillots de bain, lesquels ont une surface inversementproportionnelle à la fortune de leur propriétaire, de telle sorte que les très richesnagent entièrement nus (VD).

A propos de l’amour, il disait : «Il y a un signe infaillible auquel on reconnaîtqu’on aime quelqu’un d’amour, c’est quand son visage vous inspire plus de désirphysique qu’aucune autre partie de son corps» (CS, 195, et PP, 245)

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Il est vrai que depuis quelques années ils se font bien remarquer avec tout cebruit de pilule, d’avortement, de divorce, et la grande diarrhée démographique dutiers monde. Pouvaient-ils croire qu’ils allaient encore longtemps pouvoir se fairepasser pour l’incarnation même de la nature et de la morale ? (VP, 264)

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Qu’est-ce que l’érotisme ? C’est la sexualité même, considérée comme un absolu,c’est-à-dire dans son refus de servir la perpétuation de l’espèce. (...) A l’inverse,la pilule et l’avortement, dont la fonction est d’enlever son sens procréateur àl’acte sexuel, sont des auxiliaires de l’érotisme. L’homosexualité, originellementcoupée de la procréation, est plus innocemment érotique que l’hétérosexualitéastreinte à ces subterfuges dangereux et criminels (CS, 103 et PP, 152).

Je veux du faste, l’or, l’encens et les grands orgues répondent au besoin dejubilation qui est en notre poitrine, comme la théologie satisfait la fièvre decomprendre qui est en nos cerveau. (...) La chair doit être célébrée. Chaque foisque le sexe apparaît dans les Evangiles, les pharisiens l’attaquent et le Christprend sa défense (...) Pourquoi faut-il que, obéissant à un vieux réflexe victorien,(...)certains d’entre vous fassent chorus à la vague de pudibonderie qui déferle,une fois de plus, pour écraser les pauvres compensations que les frustrés de lachair vont chercher dans les salles obscures ? (...) Subtile, fastueuse et érotique,oui, c’est bien ainsi que je rêve l’Eglise de demain331.

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(...) les première années du petit d’homme sont faites d’arrachements successifs.Tiré du ventre de sa mère comme un renardeau du fond de son terrier, il retrouvedans les bras de sa mère un abri précaire et provisoire, alimenté par des seinscapricieux et parcimonieux. Puis il faut quitter aussi cela ; et il ne lui reste plusquelques minutes par jour que ce dernier refuge, le lit de maman, ce grandvaisseau blanc et obscur où il peut pour bien peu de temps encore coller soncorps au corps originel. Enfin c’est l’expulsion définitive. L’enfant devenu « tropgrand » ne peut plus « décemment » traîner dans le lit de ses parents. L’expulsiondéfinitive et la traversée d’un immense et terrible désert (VP, 24-25).

J’ai toujours pensé que chaque homme, chaque femme, le soir venu, éprouvaitune grande fatigue d’exister (exister sistere ex, être assis dehors), d’être né, etpour se consoler de toutes ces heures de bruit et de courants d’air entreprenaitde naître à l’envers, de dénaître. (...) En ayant toujours chez soi une faussemaman, une pseudo- maman en forme de lit (...). Faire le silence et l’obscurité, seglisser dans les draps, adopter tout nu la position recroquevillée dans la chaleuret la moiteur, c’est faire le foetus. Je dors. Je n’y suis pour personne. Forcémentpuisque je ne suis pas né (M, 247).

Pour moi, le sommeil est un retour bienfaisant à la vie prénatale. Le lit figure tantbien que mal le sein maternel où l’homme se repose d’être né en faisant semblantd’être encore foetus (JVC, 99).

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Tournier répète, Tournier se cite. Et il est difficile de ne pas réagir selon le codede lecture qui nous pousserait à récuser ce manque « d’originalité », de« créativité » ou « d’authenticité ». Quoique prévenus par Alexandre, nous auronspeut-être du mal à apprécier la copie de la copie, ou les subtils « ajouts » etlégères « modifications » qui permettent à l’oeuvre de se « perpétuer »335.

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C’est qu’il y a d’art où il y a création, et qui dit photographie dit d’abord copiemécanique de la réalité. Donc le photographe n’est pas plus un créateur –donc unartiste –que l’élève recopiant une poésie dans son cahier n’est un poète (CM,121).

Car les oeuvres non fictives renvoient à une réalité extérieure à elles dont elles seveulentl’image véridique, c’est-à-dire servile. Elles nient la part de créationqu’elles contiennent comme malgré elles, selon une démarche dont l’ambiguïtén’est pas dénuée de mauvaise foi (VV, 13).

Il reste qu’une oeuvre artistique –photographique ou autre –se doit d’êtrecréatrice. Un grand photographe possède une vision qui lui est propre et quiconstitue la signature de ses oeuvres. Regardez cent photos de Weston, Brassaï,Cartier-Bresson ou Boubat. (...) Vous aurez reconnu le monde qu’il porte en lui etqu’il projette partout où il va. (...), ils faisaient sortir du pavé des villes ou dusable des déserts des visages, des scènes, des paysages qui leur ressemblaient,qui étaient les leurs (CM, 34 et VV, 207).

(...) si une oeuvre d’art doit être « ressemblante », ce n’est pas à son modèleextérieur qu’elle se doit de ressembler, mais à son auteur, comme un enfantlégitime ressemble naturellement à son père. Ici ressemblance veut dire signature(TS, 12-13).

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C’est que les couples hétérosexuels plongés dans les vicissitudes du temps et del’histoire dont ils fournissent eux-mêmes la substance par leur vie et celle de leurenfants sont fascinés par la cellule gémellaire en droit inaltérable, éternelle,stérile (VP, 259).

(...) l’homosexualité et l’inceste pratiqués par des singuliers ne sont que deuxapproches grossières et imparfaites de la gémellité. On ne rend pas compte d’unfait original par sa contrefaçon, on rend compte d’une contrefaçon par l’originalqu’elle imite. (...) En fait, d’inceste et d’homosexualité, la gémellité apparaîtcomme un absolu inaccessible. C’est l’original d’une authenticité indiscutabledont l’inceste et l’homosexualité tirent des copies maladroites (VP, 254-255).

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Aucune trace ici de déchirure, de dislocation, d’écartèlement. La masse en fusionreste entière. Elle est mue par une force d’enroulement sur elle-même. Et, lorsquesurgit l’animal, il n’est pas surprenant qu’il s’agisse du serpent, l’animal qui seconstitue en circuit fermé et amorce sa propre disparition en se mordant le boutde sa queue, en s’avalant lui-même (TS, 161)

(...) parce que entre jumeaux la relation sexuelle est rassurante, c’est le mêmeavec le même, c’est avec moi-même. Une sexualité pas du tout aventureuse, c’estle comble de l’endogamie, et sans risque. Le frère avec le frère, la soeur avec lasoeur, rien ne peut arriver. Pas question de pilule et d’avortement. Et puis alorsvraiment, dans une telle relation, je suis chez moi338.

Rapport très particulier et intime au Japon entre maison et jardin. En France, lacoupure est totale. La maison est posée au milieu du jardin, comme un corpsétranger, et le jardin soumis, domestiqué se doit de s’organiser autour de lamaison et dans l’espace qu’elle lui a laissé. Au Japon au contraire, il y a mélange,symbiose de la maison et du jardin. Certaines parties –galeries, allées tapisséesde nattes, passerelles, etc. –sont aussi bien maison que jardin (C, 177).

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Il advient alors que l’ensemble des phénomènes se lèvent, se dressent, passentde l’horizontale à la verticale, nous donnent à voir une levée générale des massescolorées, une impérieuse érection. Il s’agit en vérité d’une sublimation,c’est-à-dire du passage direct d’un corps de l’état solide à l’état gazeux, sanspasser par l’état intermédiaire liquide (TS, 60).

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(...) dès la deuxième loi du décalogue se trouve promulgué le monopole divin del’image : « Tu ne feras pas d’image peinte ni sculptée. » Il faudra attendre desmillénaires pour que l’homme d’Etat –ce singe de Dieu –retrouve cette tripleopération : autoportrait, diffusion, monopole (PP, 169).

Car l’oeuvre d’art s’adresse nécessairement aux sens, principalement à l’oeil et àl’oreille. Il n’y a de beau que ce qui se voit, s’entend. (...) Esthétique vient d’unmot grec qui veut dire sensation. L’oeuvre d’art, c’est un peu d’éternité qui sevoit. C’est la chair promue à la pérennité (TS, 112).

C’est bien sûr le portrait qui compose, selon l’alchimie la plus mystérieuse, letemps humain et l’éternité divine. Ces deux composantes doivent êtrerespectées, et même exaltées autant que le peut le génie de l’artiste. (...) L’art duportrait tient en fait dans une exigence proprement contradictoire : rejoindrel’universel en approfondissant ce qu’il y a d’unique dans le visage d’un hommeou d’une femme, étroitement situés dans l’espace géographique et les âges del’histoire (TS, 114).

(...) l’art a cherché pendant des siècles le contact avec le visage individuel,irremplaçable, tel qu’on ne l’avait jamais vu, tel qu’on ne le reverrait plus jamais.L’ambition était ambiguë, voire contradictoire, car cette image éphémère,étroitement solidaire d’un certain hic et nunc, pourquoi et comment prétendre la

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douer de l’éternité et de l’universalité de l’oeuvre d’art ? (...) On dirait quel’universel est obtenu grâce à un paroxysme de singularité, ce qui est bien lecomble du paradoxe (PP, 161).

C’est qu’il faut faire entrer le temps dans le jeu du portrait. (...) L’image que j’enferai sera lavée des salissures du moment, des mille petites agressionsquotidiennes, des menues bassesses qu’inflige à tout un chacun la banalitédomestique (GO, 38-39).

Il importe de faire intervenir ici la notion du temps, c’est-à-dire aussi bien letemps mis par le dessinateur à faire son travail –le nombre de séances de pose–que le temps emprisonné dans le visage qui nous est montré. Car le portrait nevaut rien s’il ne reflète que la grimace de l’instant (TS, 120).

Il baignait dans une lumière intemporelle, sans âge, éternelle peut-être, maisvivante pourtant. Oui, ce visage de vingt ans n’avait pas âge, ou plutôt il les avaittous, (...) Comment Urs Kraus pouvait-il réunir des expressions aussicontradictoires, sinon en allant cueillir l’élan vital à sa source même, au point oùtoutes les implications sont encore réunies à l’état virtuel –et c’est au spectateurqu’il incombe de développer telle ou telle âme ayant affinité avec la sienne (M,

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535).

Chaque ligne est faite pour ajouter un trait au portrait et à la biologie d’Emma.Les particularités s’ajoutent aux particularités. Or voici le miracle : plus cettebourgeoise normande du début du 19e siècle est caractérisée, plus elle serapproche de nous. La règle la plus fondamentale de la logique classique est icirenversée (TS, 115).

C’est que le rôle du portraitiste –comme du romancier –est de créer au-delà del’alternative diabolique abstraction vide –individualité sordide un universelconcret où se retrouvent à la fois l’inépuisable richesse du réel et la grandeur dela légende humaine (TS, 116).

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Diverses et en partie tout opposées sont les motivations qui peuvent animerl’étrange comportement de l’artiste dont les yeux vont et viennent du miroir à latoile. On songe naturellement d’abord à Narcisse et à l’amour de soi. « Je ris deme voir si beau en ce miroir ! » semblent chanter Dürer jeune mais aussi Rubensau sommet de sa réussite. (...) A l’inverse, l’autoportrait peut prendre la formed’un aveu et d’une accusation de l’artiste face à la société de son temps : cejour-là, j’étais si seul, si abandonné de tous, qu’il me restait à peindre qu’un seulvisage humain, le mien. (...) Il faudrait ajouter parfois : goût du déguisement, dutravestissement, de la mystification (CS, 98 et PP, 144).

Devant tant d’incertitude, Dürer s’interroge. Il s’interroge en peintre, penché surun miroir et le pinceau à la main. Rarement peintre aura laissé autantd’autoportraits. (...) Dürer ne s’incline plus sur sa propre image pour s’admirer,mais pour se demander –et nous demander à travers un demi-millénaire –quisuis-je ? (PP, 58)

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L’homme, image de Dieu. De quel Dieu ? De Dieu modelant sa propre image dansle limon, c’est-à-dire l’image d’un créateur en train de créer. Nous touchons là àl’essence de l’autoportrait : c’est le seul portrait qui reflète un créateur aumoment de l’acte de création (CS, 99 et PP, 145).

Qu’est-ce que la célébrité ? (...) l’homme célèbre est celui qui est connu de plusde gens qu’il n’en connaît lui-même. A la limite, le comble de la célébrité, ce seraitd’être connu de tout le monde sans connaître personne. Peut-être venons-nousde former là une nouvelle définition de Dieu ? (CS, 149-150)

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Fascinant univers de la mode ! Dialogue muet de la femme, coléoptère exhibé à lapointe d’une épingle –c’est bien cela que veut dire pin-up girl -, et du fétichismeinvisible, inventif, impérieux, souvent homosexuel, fermement décidé à mortifiercette chair autant que l’exigera son âpre passion. (...) Car falbala dévore la chairet il n’y a rien de plus contraire à l’image de la mode que la photo de nu. Dansl’image de la mode, le vêtement est roi, le corps ravalé au rôle de présentoir àvêtements, portemanteau, cintre (CS, 82).

Il y a dans la lumière de ses images une limpidité, une froideur, une parcimoniequi ne se trouvent qu’au-dessus du 60e degré de latitude Nord. Les eaux

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notamment, les milieux lacustres, les miroirs liquides relèvent du lachyperboréen. Et toute fraîcheur donne à la nudité du corps une signification biendifférente de celle qu’elle reçoit au Sud. Ici point de paresse, de langueur,d’abandon à la caresse voluptueuse du soleil. (...) Tout baigne dans une lumièreintemporelle, sans heure, sans passé, sans avenir (CM, 158).

Quant à ce corps qui danse sur la page blanche du ciel ou de la neige finnoise, ilest lui-même aussi désincarné que peut l’être une calligraphie arabe tracée àl’encre de Chine avec le bec d’un calame sur un papyrus immaculé. (...) un corpsdévoré jusqu’à l’os par le signe qu’il incarne. Il y a de l’abnégation, du sacrifice,de l’holocauste dans cette entreprise qui deviendrait tragique sans le rire qui necesse de l’accompagner (CM, 158-159).

Si un tatoué ne trahit pas, c’est que son corps le lui interdit. Il appartientindéfectiblement à l’empire des signes, signaux et signatures. Sa peau est logos.Le scribe et l’orateur possèdent un corps blanc et vierge comme une feuilleimmaculée. De la main et de la bouche, ils projettent des signes –écriture etparole –dans l’espace et dans le temps. Au contraire, le tatoué ne parle, nin’écrit : il est écriture et parole. (...) L’affinité adamique et paradisiaque de cesarts corporels est évidente. La chair n’est pas ravalée au rôle d’outil –outils àpeindre ou à sculpter -, elle se sanctifie dans l’oeuvre qu’elle est devenue (GMB,55-56).

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Le Nouba fait de son corps un grimoire. Il s’identifie à son propre chef-d’oeuvrepictural et sculptural. Ici le verbe s’intègre totalement à la chair. Chaque corps estun poème muet et non écrit. C’est là sans doute le sens profond de ce paradisque Leni Riefenstahl a découvert dans les montagnes du Soudan (CS, 135).

Les gestes de l’Indien qui prépare son riz sous vos yeux vous racontent unelégende, ceux qu’il accomplit en mangeant ont une valeur de sermon. Son visagedévoré par la flamme de son regard nie ardemment tout le reste de son corps, etdonc cette nourriture est d’essence spirituelle (PP, 190 et CS, 35)

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Toucher les mots, effleurer les métaphores, palper la ponctuation, tâter lesverbes, prendre une épithète entre le pouce et l’index, caresser toute unephrase... Comme je comprends bien cela ! Comme je comprends bien qu’un livrepuisse devenir quelque chose de semblable à un petit chat ronronnant sur mesgenoux, et que mes mains parcourent avec une tendresse attentive ! (PP, 223)

La relation de possession, essentiellement ambivalente, se joue dansl’imaginaire, au niveau d’un fantasme fusionnel, sans que le sujet fasse la part dudedans et du dehors, de son propre (son corps, sa langue) et de l’autre (le corpsétranger, le discours)342.

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L’autoportrait n’est-il pas plutôt le recentrement, le déploiement, la prise deconscience et la mise en oeuvre après coup d’une écriture désoeuvrée etdépourvue de but qui se perdait dans le vague champ des imaginations, desgloses et des notes ? (...) Nul autoportraitiste ne forme, du moins initialement, leprojet –sot ou admirable –de « se peindre ». Ce projet (pour autant qu’il secristallise et s’énonce dans le texte) n’est qu’un moment d’une entreprise bienplus fuyante et complexe. (...) ce qu’il reste alors, c’est une écriture plutôt qu’unemimésis du moi343.

Le comédien qui a tenu tous les rôles du répertoire cherche ses vêtements dansson armoire et ne trouve que le pourpoint de Don Juan, la tunique d’Hamlet, ladéfroque de Tartuffe, le péplum de Britannicus. Ainsi le romancier peu à peudépersonnalisé par ses personnages (VI, 49).

(...) à l’appétit dévorant, l’oeuvre, l’oeuvre de pie, la pieuvre... Et quand elle melâche, quand gorgée de ma substance elle commence à rouler de par le monde, jegis exsangue, vidé, écoeuré, épuisé, hanté par des idées de mort (VP, 184).

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Il échappe à ma maîtrise, et se prend à vivre d’une vie propre. J’en deviens alorsle jardinier, le serviteur, pire encore, le sous-produit, ce que l’oeuvre fait sous elleen se faisant. Je vis dans la servitude d’un monstre naissant, croissant,multipliant, aux exigences péremptoires (VP, 184).

Payer de sa personne, se prendre comme objet, puiser en soi-même la matière deson oeuvre. Ce parti pris autophage est chose courante en littérature. « Je suis lamatière de ce livre », écrit Montaigne en tête de ses Essais (CM, 153).

La mort en cette île dont plus personne ne violerait sans doute la solitude avantdes décennies n’était-elle pas la seule forme d’éternité qui lui convenaitdésormais ? (...) Son squelette devrait blanchir sous les pierres de Speranza,comme un jeu de jonchets dont personne ne devrait pouvoir déranger l’édifice(VLP, 251).

Soleil, dieu jaloux, (...) Sous ta domination tyrannique, je me métamorphose dejour en jour en ma propre statue de pierre translucide. Mais j’avoue que cettepétrification est un grand bonheur (GMB, 17).

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(...) livrés au sodium qui travaille inlassablement à dessécher la chair, à y tuertous les germes de putréfaction et à transformer les morts d’abord en poupées deparchemin raide, puis en statues de verre translucide et cassant (GMB, 269).

Le corps était bien là, mais desséché, momifié, dur et raidi comme un mannequinde cuir. Merveilleux climat si radicalement stérile qu’il épargne la putréfaction auxcadavres ! C’est là-bas, dans le grand Sud, qu’il faudrait aller mourir, au fondd’une niche moulant tous les reliefs de mon corps, comme celle où je reposeprésentement... (M, 383).

Un mythe mort, cela s’appelle une allégorie. La fonction de l’écrivain estd’empêcher les mythes de devenir des allégories. (...) En même temps l’écrivaindomestiqué, émasculé, enfermé dans un académisme rassurant, célébré commeune « grande figure » devient lui-même une statue de plâtre qui prend la place deson oeuvre insignifiante, alors qu’au contraire l’oeuvre vivante et proliférante,devenu mythe actif au coeur de chaque homme, refoule son auteur dansl’anonymat et dans l’oubli (VP, 193).

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Le verdict de la mort tombera au moment où mes instants cesseront d’être autantd’attributs nouveaux venant enrichir ma substance pour n’être plus que lespoints successifs d’une translation sans altération (M, 106).

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Chaque soir de la création du monde, nous dit la Genèse, Dieu contempla ce qu’ilavait fait et vit que cela était bien. Dans les paysages de Boubat, il y a toujoursquelque chose de ce regard divin posé comme bénédiction sur la fin d’un jourcréateur (CM, 89).

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« Je n’aurais jamais pensé que des gens aussi ordinaires que nous puissent vivreune aussi grande passion », dit la dactylo au comptable de l’établissement où elletravaille. Mot touchant et profond qui mesure l’exaltation divine que le surhommeimaginaire nous communique en nous touchant la main (VD).

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Avec l’espace, le nu est au portrait ce que le paysage est à la nature morte :rapport de tout à partie du tout. Le seul véritable autoportrait de Dieter Appeltnous le montre soufflant une tache de buée sur le miroir où se reflète son visage :ici la réflexion domine et envahit toute la photographie. Ses autonus en revanches’enracinent profondément dans le paysage. L’argile couvre sa peau d’unecarapace, son visage d’un masque. (...) il est clair que si Dieter Appelt s’imposecette intégration cadavérique au paysage environnant, c’est pour pouvoir àtravers une soumission totale à l’espace s’assurer une mainmise sur le temps(CM, 149-150).

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(...) la personnalité agressive et sado-masochiste du photographe Arthur Tressrecouvre comme un masque celle, devenue méconnaissable, du photographiéMichel Tournier. Cela ressemble à un phénomène de possession démoniaque. Ledémon Tress s’est introduit dans le corps de M.T., et lui dicte des expressions etdes conduites qui sont propres au seul A.T (CM, 15).

Il est vrai que toute oeuvre d’art –qu’elle soit poésie, peinture ou photographie–est nécessairement aussi célébration, car toute création implique amour. Ergo,la pollution décrite par Zola ou Tress est une pollution secrètement aimée (CM,126).

Cette vache porte en pendants d’oreilles deux boîtes de fromage de cette marquesur lesquelles est naturellement reproduite la même vache avec ses pendantsd’oreilles, etc. Cette image de marque offre ainsi à l’oeil une surface saine etsolide, à l’exception de deux petites fondrières –les pendants d’oreilles –où leregard s’enfonce, perd pied, se trouve pris au piège d’un processus infini quin’est freiné que par le rétrécissement que subit l’image à chaque étape (CS, 121et PP, 136).

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Ce rétrécissement est d’une importance majeure, car lui seul met un terme à lafuite vertigineuse dans laquelle nous précipite l’image abîmée. Il est opérantmême dans le cas de l’abîme le plus élémentaire et le plus formel, celui instaurépar deux miroirs placés exactement face à face et reflétant chacun le vide del’autre porté à une puissance incalculable. En somme, il apporte un minimum dematière dans une construction qui sans lui resterait purement formelle (CS, 123 etPP, 137).

Légende... mot admirable entre tous. Du latin légenda, « choses devant êtrelues », il désigne à la fois le texte explicatif qui accompagne une image, et le récitfabuleux que la vie d’un héros devient à mesure qu’il s’enfonce dans la nuit dorée

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du temps (TS, 123).

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Or ceci est hautement symbolique, car le monde entier n’est qu’un amas de clefset une collection de serrures. Serrures le visage humain, le livre, la femme,chaque paysage étranger, chaque oeuvre d’art, les constellations du ciel. Clefsles armes, l’argent, l’homme, les moyens de transport, chaque instrument demusique, chaque outil en général. La clef, il n’est que de savoir s’en servir. Laserrure, il n’est que de savoir la servir...afin de pouvoir l’asservir (CS, 8).

Or si le romancier Sartre n’a pas la force créatrice d’un Céline, c’est qu’il vientd’ailleurs, c’est un immigré de la littérature, il n’est pas né dans le sérail, ildébarque au pays des Lettres venant des régions métaphysiques, et apportedans son baluchon Aristote, Spinoza et Hegel qu’il entend bien associer à sesoeuvres littéraires, même s’il doit les y introduire en contrebande. Cela lui retirede son originalité substantielle, mais il y gagne une dimension supplémentaire(VV, 314).

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350

On dirait que la dimension autobiographique est le moteur de l’oeuvre critique deTournier, même si son moi se trouve toujours caché ou dépassé dans le discoursesthétique350.

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Un livre n’a pas un auteur, mais un nombre infini d’auteurs. (...) Un livre écrit,mais non lu, n’existe pas pleinement. Il ne possède qu’une demi-existence. C’estune virtualité, un être exsangue, vide, malheureux qui s’épuise dans un appel àl’aide pour exister (VV, 12).

Mais être connu sans connaître soi-même, c’est entretenir avec autrui desrelations bizarres, déséquilibrées, d’un certain point de vue trèsdésavantageuses. Un écrivain connu pourrait dire à l’un de ses lecteursanonymes : « Ayant lu tous mes livres, vous savez tout de moi. Et moi enéchange, que sais-je de vous ? Rien. Vous me cernez, vous me dominez, vous mepossédez. ». Ces réflexions ne sont pas sans fondement. Quiconque a publié uneoeuvre littéraire –littéraire, c’est-à-dire où il se livre –s’est senti devenir ventremou étalé sous les pieds de la foule... (CS, 150).

L’écrivain le sait, et lorsqu’il publie un livre, il lâche dans la foule anonyme deshommes et des femmes une nuée d’oiseaux de papier, des vampires secs,assoiffés de sang, qui se répandent au hasard en quête de lecteurs. A peine unlivre s’est-il abattu sur le lecteur qu’il se gonfle de sa chaleur et de ses rêves. Ilfleurit, s’épanouit, devient enfin ce qu’il est : un monde imaginaire foisonnant, oùse mêlent indistinctement –comme sur le visage d’un enfant les traits de son père

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et de sa mère –les intentions de l’écrivain et les fantasmes du lecteur. Ensuite, lalecture terminée, le livre épuisé, abandonné par le lecteur, attendra un autrevivant afin de féconder à son tour une imagination, et, s’il a la chance de réalisersa vocation, il passera ainsi de main en main, comme un coq qui tamponnesuccessivement un nombre infini de poules (VV, 12-13).

S’il s’agit d’un poème, d’un roman ou d’une pièce de théâtre, la présence d’unethèse, exposée explicitement et s’imposant sans ambiguïté, nuit gravement à lavaleur de l’oeuvre. (...) Un roman peut certes contenir une thèse, mais il importeque ce soit le lecteur, non l’écrivain, qui l’y ait mise. Car l’interprétation–tendancieuse ou non –relève de la seule compétence du lecteur, et la pluralitédes interprétations –à la limite aussi nombreuses que les lecteurs eux-mêmes–mesure la valeur et la richesse de l’invention poétique, romanesque ou théâtrale

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du public (VV, 15-16).

Je suis très vexé ! Là, vraiment, je suis furieux contre les critiques qui disent : il ya quarante pages de monologue d’Hérode, c’est lourd, c’est encyclopédique,c’est ennuyeux, il vaudrait mieux les sauter. Alors que pour moi, c’est vraiment lenoyau du roman. Là, vraiment, j’accuse la critique de frivolité et d’infantilisme,parce que mon Hérode, je crois qu’il est indispensable et totalement historiquepuisqu’il n’y a pas un mot d’inventé357.

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(Le héros mythologique) est paradoxalement à la fois le double fraternel dechaque homme et une statue surhumaine qui le met de plain-pied avec l’Olympeéternel. De telle sorte que chaque héros mythologique (...) nous engage dans unprocessus d’autohagiographie. Comme je suis grand, fort, mélancolique ! s’écriele lecteur en levant les yeux du livre vers un miroir. Vraiment, il ne se savait passi beau ! (VP, 226)

Il est « pris ». Il ne peut échapper à ce qu’on lui présente. Pourtant il ne souffrepas, comme il souffrirait si l’emprise sur lui était de nature par exemple matérielleou hypnotique. Il conserve assez de liberté pour qu’il ne puisse se plaindre d’être« victime » d’une violence, même sous forme d’un envoûtement. Au contraire.Comme le dit Racine, il y trouve du plaisir. (...) La réponse est simple : en faisanten sorte que ce soit l’âme elle-même qui invente –ou co-invente avec l’écrivain oul’auteur dramatique –ces sentiments. C’est cela la dimension fictive : cetteco-création par le receveur des images et des impressions qu’il reçoit del’auteur(VV, 21).

La vraie critique doit être créatrice et « voir » dans l’oeuvre des richesses qui ysont indiscutablement, mais que l’auteur n’y avait pas mises. Propositionparadoxale si l’on s’en tient à l’idée habituelle d’un auteur »créant » l’oeuvre,c’est-à-dire en la sortant de lui-même, comme une poupée gigogne en expulseune autre plus petite qui était dans son ventre. Mais elle prend au contraire toutson sens si l’on accepte le principe souvent illustré dans cet essai d’uneautogenèse de l’oeuvre dont l’auteur ne serait lui-même que le sous-produit (VP,209-210).

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360

J’écris avec un idéal de brièveté et de limpidité qu’illustrent des oeuvres commeles contes de Perrault, les fables de La Fontaine, Grimm, Andersen, les Histoirescomme ça pour les petits de Kipling, Nils Holgersson de Selma Lagelöf, Le PetitPrince de Saint-Exupéry, toutes oeuvres qui n’ont pas été écrites pour lesenfants, mais qui sont si bonnes qu’eux aussi peuvent les lire360.

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Quand j’écris, de trois choses l’une : ou bien, cas exceptionnel, je déborde detalent, de génie, je suis au meilleur de ma forme, et j’écris d’emblée une oeuvre sibonne que les enfants peuvent la lire et ça s’appelle Pierrot ou les secrets de lalune, que je considère comme la meilleure chose que j’ai jamais écrite. Ou bien, jerate mon coup et j’écris Vendredi ou les limbes du Pacifique mais j’ai la force dele reprendre, et ça donne Vendredi ou la vie sauvage, qui n’est en rien uneversion pour les enfants mais simplement une version meilleure ; ou bien je ratemon coup, et l’entreprise me paraît désespérée, insauvable et ça donne Le Roides Aulnes. Si j’avais suffisamment de courage et de temps et d’abnégation (...) jeréécrirais Les Météores et Le Roi des Aulnes mais cela me demanderait desannées. Quand à mon prochain roman qui s’appelle La Goutte d’or, eh ! bien,fabricando, j’ai appris à écrire. Je crois qu’il est si bon qu’on pourra le lire à partirde l’âge de dix ans361.

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A travers les deux petites poupées du théâtre italien, ce sont deux visions dumonde qui s’affrontent : la substance contre la surface, la matière contre laforme, l’essence contre l’accident. De grands échos retentissent dans ces puérilsporte-parole. C’est Goethe et Newton séparés sur la théorie des couleurs, c’estParménide contre Héraclite363.

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(...) le conte –d’origine à la fois orientale et populaire – se présente comme unmilieu translucide, mais non transparent, comme une épaisseur glauque danslaquelle le lecteur voit se dessiner des figures qu’il ne parvient jamais à saisirtout à fait (VV, 40).

Le fantôme personnifie assez bien en effet la philosophie du conte noyée dans lamasse de l’affabulation et donc indéchiffrable. Le conte est une nouvelle hantée.Hantée par une signification fantomatique qui nous touche, nous enrichit, maisne nous éclaire pas (VV, 40).

Archétypes noyés dans l’épaisseur d’une affabulation puérile, grands mythestravestis et brisés qui ne prêtent pas moins leur puissante magie à une historiettepopulaire, tel est sans doute le secret du conte, qu’il soit oriental, féerique oufantastique (VV, 43).

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Et toujours le colosse était bafoué, rossé par son minuscule adversaire. EnfinLucien se juchait à cheval sur son cou et enfilait un immense manteau quicouvrait Bob jusqu’aux chevilles. Et ils déambulaient ainsi, devenus un seulhomme de deux mètres cinquante de haut, Bob aveuglé, anéanti par le manteau,Lucien haut perché, impérieux et rageur (CB, 117).

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C’est qu’il n’y a pas d’oeuvre dont je regrette de n’être pas l’auteur. Je n’enconnais pas qui marie aussi heureusement la familiarité la plus quotidienne et lefantastique le plus grandiose (VP, 52).

Il y en eut ainsi dix-neuf, et ces récits étaient tantôt des contes inaugurés par lemagique et traditionnel « il était une fois », tantôt des nouvelles racontées à lapremière personne, tranches de vie souvent sanglantes et sordides. (...) Ilssuivaient le lent travail que cette succession de fictions accomplissait en eux. Illeur semblait que les nouvelles, âprement réalistes, pessimistes, dissolvantes,contribuaient à les séparer et à ruiner leur couple, alors que les contes,savoureux, chaleureux, affables, travaillaient au contraire à les rapprocher. Or, siles nouvelles s’étaient imposées d’abord par leur vérité pesante et mélancolique,les contes avaient gagné au fur de la nuit en beauté et en force pour atteindreenfin un rayonnement d’un charme irrésistible (MA, 46-47).

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Aux premières heures, Ange Crevet, l’enfant haineux et humilié, Ernest lebraconnier, Théobald le suicidaire, et l’affreux père de Blandine, et Lucie, lafemme sans ombre, et quelques autres, toute cette foule grise et austèredégageait une atmosphère de détestation morose. Mais bientôt Angus et le RoiFaust, Pierrot avec sa Colombine, Adam le danseur et Eve la parfumée, le peintrechinois et son rival grec formèrent le cortège étincelant d’une nouvelle noce,jeune et éternelle. Et surtout le dernier conte, celui des deux banquets, quisauvait, semble-t-il, la vie conjugale quotidienne en élevant les gestes répétéschaque jour et chaque nuit à la hauteur d’une cérémonie fervente et intime (MA,47-48).

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(...) le second, parce qu’il était l’exacte répétition du premier, se haussait, lui, àune dimension supérieure. Le premier banquet était un événement, mais lesecond était une commémoration, et si le premier était mémorable, c’est lesecond seul qui lui a conféré rétroactivement cette mémorabilité. Ainsi les hautsfaits de l’histoire ne se dégagent de la gangue impure et douteuse où ils sont nésque par le souvenir qui les perpétue dans les générations ultérieures. (...) Car lesacré n’existe que par la répétition, et il gagne en éminence à chaque répétition(MA, 302).

(...) le conte pour moi rejoint la poésie bien que dans un domaine différent carc’est de la prose. Mais je trouve qu’un beau conte :« Le Chat Botté » de Perrault a

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la même valeur que la « Jeune Parque » de Valéry. Ce sont deux genres brefs quipar leur brièveté, leur densité peuvent atteindre une beauté éblouissante374.

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Le mot transparent comme un concept dans la philosophie, opaque comme unechose dans le poème, doit demeurer translucide dans le roman et mêler en luiautant d’intelligence que de couleurs et d’odeurs (VP, 207).

Il comprenait peu à peu que contre la puissance maléfique de l’image qui séduitl’oeil, le recours peut venir du signe qui alerte l’oreille (GO, 191).

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Je compris alors que l’auteur s’identifiait indiscutablement à cette créaturechialante et gluante, et que cette pièce constituait le numéro de masochisme leplus cruel qui se puisse imaginer (VP, 35).

Nous touchons maintenant un matériau dur... le seul qui dure. Et cela nousrappelle à propos qu’un artiste –écrivain, peintre ou musicien –s’il n’a pas destyle est voué à l’oubli. Seul le style donne à l’oeuvre une chance d’immortalité(TS, 117).

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Claude Lévi-Strauss fondait l’entreprise des Mythologiques, une genèse de lapensée, sur l’évidence qu’un mythe est perçu comme mythe par tout lecteur dansle monde entier ; et, dans le même temps, Georges Dumézil, publiant à l’aube desa troisième vie Mythe et épopée, avouait qu’il n’avait encore jamais compris ladifférence entre un mythe et un conte381.

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S’il a le grand mérite d’y voir les espèces d’un même genre, il n’en reste pasmoins fidèle à la priorité historique du premier sur le second. (...) un genre nepeut donc pas être tenu pour une survivance de l’autre, à moins que l’on postuleque les contes préservent le souvenir d’anciens mythes, eux-mêmes tombés endésuétude. (...) bien au contraire, mythe et conte exploitent une substancecommune, mais le font chacun à sa façon. Leur relation n’est pas celle d’antérieurà postérieur, de primitif à dérivé. C’est plutôt une relation de complémentarité.Les contes sont des mythes en miniature383.

Le premier (conte) est moins strictement assujetti que le second (mythe) sous letriple rapport de la cohérence logique, de l’orthodoxie religieuse et de la pressioncollective. Le conte offre plus de possibilités de jeu, les permutations ydeviennent relativement libres et elles acquièrent progressivement un certainarbitraire385.

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Il n’est pas toujours vrai que le conte marque une « désacralisation » du mondemythique. On parlerait plus justement d’un camouflage des motifs et despersonnages mythiques ; et au lieu de « désacralisation » il serait préférable dedire « dégradation du sacré » (...) si dans les contes, les Dieux n’interviennentplus sous leurs propres noms, leurs profils se distinguent encore dans lesfigures des protecteurs, des adversaires et des compagnons des héros. Ils sontcamouflés, ou, si l’on aime mieux, « déchus », -mais ils continuent de remplir leurfonction391.

Le monde merveilleux du conte aspire à être humanisé, tandis que les miraclesdes légendes attirent l’homme dans la sphère du sacré. Il est certain que dans lageste, la légende et le conte, les événements se rapportent à l’homme même.Dans la première, il est touché par l’extraordinaire ; dans la deuxième, il estporteur du sacré ; dans le conte, il est le personnage agissant porté par desmiracles. Dans le mythe, en revanche, il n’est même pas nécessaire que l’hommeapparaisse : les animaux eux-mêmes peuvent y être les dieux392.

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Pourquoi ? Réminiscence encore, moins univoque sans doute que celle du fruitdéfendu, où il y a du péché originel, du dépucelage, et aussi un rappel de la petitemain ensanglantée de lady Macbeth que « toutes les essences de l’Orient nepourraient laver » (VV, 42).

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Peut-être le comble de l’art consiste-t-il à créer du nouveau en lui prêtant un airde déjà vu qui rassure et lui donne un retentissement lointain dans le passé dulecteur (VP, 205).

Le statut familial et social des héros du conte, leurs conflits et leurs inspirations,leurs fortunes et infortunes, sont autant de signes emblématiques d’uneexpérience transhistorique. (...) En bref, de la condition humaine dans sa banalepérennité398.

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Un grand mythe, c’est d’abord une image vivante que nous berçons etnourrissons en nous, qui nous éclaire et nous réchauffe. De l’image, il a lescontours fixés, semble-t-il, de toute éternité, mais son paradoxe tient dans leforce de persuasion qu’il irradie malgré son antiquité (VV, 28).

(...) l’essentiel de la force de cette histoire vient d’un tour particulier, uniquepeut-être dans l’histoire littéraire, qui consiste à emprunter son efficacitépoétique et émotionnelle successivement à tel grand mythe classique, puis à telautre, évoqué sous une forme subtilement travestie, méconnaissable, mais quilaisse néanmoins transverbérer402 son rayonnement (VV, 169-170)

Il se souvient de poupées gigognes emboîtées les unes dans les autres : ellesétaient toutes creuses et se dévissaient en grinçant, sauf la dernière, la pluspetite, seule pleine et lourde et qui était le noyau et la justification de toutes lesautres (VLP, 106).

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Le conte se présente comme le jeu de meccano dans la caisse de joutes d’unenfant. Il y a des thèmes, pièces fixes, plus ou moins désassemblées, à partirdesquelles le conteur, comme l’enfant, bricole une nouvelle construction. Maisau-delà de ce fonctionnalisme qu’a étudié Propp, il y a aussi la nécessité dumoment, l’imagination du conteur, la transmission et la mémoire : autantd’éléments d’une richesse considérable 403.

Les trois personnages qui animent –Pierrot, Arlequin et Colombine –sont issusde la commedia dell’arte italienne avec leur costume et leur caractère. Pierrot estvêtu de blanc avec une calotte noire. Ses vêtements sont flottants. Arlequin estmoulé dans un collant fait de losanges multicolores. (...) Pierrot est naïf,silencieux et nocturne. Son astre est la lune. Arlequin est roué, loquace, etsolaire. Quant à Colombine, elle est d’abord fiancée à Pierrot, mais elle se laisseséduire par le beau parler d’Arlequin. Tels sont les traits fournis par la tradition,et il reste aux conteurs à les enrichir à leur manière. (...) J’ai donc repris ce thèmedans un bref récit illustré en essayant d’aller plus loin et plus profond dansl’interprétation de la tradition404.

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Vendredi ou la vie sauvage a été écrit avec les enfants. Je veux dire que je leurracontais mon livre au fur à mesure que je l’écrivais. Ils me posaient millequestions et je voyais s’écrire à côté de mon livre Vendredi ou les limbes duPacifique, un autre livre qui était le leur et qui est Vendredi ou la vie sauvage.C’est eux qui me l’ont dicté407.

Je demandais aux enfants : l’explosion a tout détruit sur l’île, que font Vendredi etRobinson ? Je voyais bien que les jeux que je leur avais prêtés dans Les limbesdu Pacifique leur paraissaient un peu courts. J’ai donc inventé avec eux toutessortes de jeux et, en définitive, cette modification me plaît tellement aujourd’huique je vais l’intégrer à la nouvelle version «adulte» qui doit paraître en 1972 chezGallimard, en collection de poche409.

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Dans Vendredi ou les limbes du pacifique, j’écrivais : « Sur la plage, la yole et lapirogue commençaient à s’émouvoir inégalement des sollicitations de la maréemontante. » D’une telle phrase, il y a quinze ans, j’étais très fier. Eh bien, deuxans plus tard, je donnais Vendredi ou la vie sauvage et cette même phrase estdevenue : « Sur la plage, le canot et la pirogue commencent à tourner, atteintspar les vagues de la marée montante411.

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Quand j’ai tiré Vendredi ou la vie sauvage de Vendredi ou les limbes du Pacifique,je n’ai pas laissé une seule ligne inchangée. En revanche les trois quarts du textede Gaspard, Melchior et Balthazar se retrouvent tels quels dans Les Rois Magesracontés par Michel Tournier et je pense que La Goutte d’or que j’écrisactuellement pourra être lu intégralement par un enfant de neuf ans417.

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Je lis à deux niveaux un texte qui s’y prête mais ne s’y attend pas, j’observe desexplications ad usum delphini, des censures, des compromis, de petitestrahisons, de petites lâchetés. Qu’est ce par exemple que ce Vendredi sanscombe rose, sans mandragore, châtré de sa dimension érotique ? Il me choqueque l’auteur lui-même se soit prêté, ou plutôt livré à un tel exercice422.

Vendredi ou la vie sauvage, transposition de transposition, est typiquement unhyper-hypertexte, à certains égards plus proche de son hypo-hypotexte RobinsonCrusoé que ne l’était son hypotexte Vendredi ou les limbes du Pacifique. Cela faitrêver : de correction en correction, de moralisation en moralisation, on imagineTournier finissant par produire une copie conforme de Robinson 423.

Le deuxième Vendredi fait opposition au premier, mais cette confrontationcréatrice a lieu au niveau du discours : l’histoire étant déjà ré-écrite, Tournierpeut passer d’une vocation exégétique et corrective à une vocation pédagogique.L’auto-révision tourniérienne ne relève ni de la névrose ni de l’auto-agression ; leromancier interroge la nature du discours narratif et expose sa dépendance du (etsa complicité avec le) lecteur qui, lui, peut justifier la création romanesque enprivilégiant le discours plutôt que l’histoire424.

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Fini le charabia. Voici mon vrai style destiné aux enfants de douze ans. Et tantmieux si ça plaît aux adultes. Le premier Vendredi était un brouillon, le secondest le propre426.

C’est rendre un très grand hommage aux enfants et admettre, avec moi, qu’uneoeuvre ne peut aller à un jeune public que si elle est parfaite. Toute défaillance laravale au niveau des seuls adultes. L’écrivain qui prend la plume en visant aussihaut obéit donc à une ambition sans mesure429.

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A parcourir les livres ordinaires que l’on donne aux enfants, on dirait qu’il sontdestinés à des brutes insensibles que seuls de véritables tord-boyaux littérairespeuvent émouvoir et intéresser. Le fantastique, la cruauté et la laideur s’y relaientpour vous secouer sans ménagement (VP, 47).

Je n’ai eu aucun mal à tirer Vendredi ou la vie sauvage de Vendredi ou les limbesdu Pacifique. De même, je ferai un jour du Roi des Aulnes et des Météores desversions pour les jeunes. C’est l’urgence des choses nouvelles à écrire quim’empêche de m’y mettre440.

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Si on définit l’intelligence comme la faculté d’apprendre des choses nouvelles, detrouver des solutions à des problèmes se présentant pour la première fois, quidonc est plus intelligent que l’enfant ? Quel adulte serait capable, s’il ne l’avaitpas fait dans son enfance, d’apprendre à écrire, et plus encore d’apprendre à

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parler ex nihilo, sans partir d’une langue déjà acquise ? (RA, 484-485)

Je pense qu’elles (lectures de l’enfance) constituent pour chacun un fondintangible, une base inattaquable sur laquelle se sont édifiées, plus que saculture et son jugement littéraire, sa sensibilité et sa mythologie personnelles.Intangible, inattaquable, oui, car on ne peut pas plus renier ses premièresadmirations qu’on ne peut récuser son bagage héréditaire(VP, 56).

Une adhésion à la fois si tendre et si entière revêt un caractère d’infaillibilité. Cespoètes (...) je continue à les respecter et à les aimer, non par un attachementgâteux au passé, mais parce que je crois qu’en l’occurrence, c’est le petit qui araison, comme disait Raimu dans Marius. En vérité, le petit a toujours raison (VP,56).

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Je guérirai heure par heure cette étrange cécité qui l’empêche de voir les choseset les événements à travers les lettres et les mots. Je lui conférerai ce pouvoirmagique qui fait surgir d’un tas de papier encré un parc, un manoir, une belle etune bête, des aventures horribles et superbes, des rires et des larmes. Puis jeconduirai sa main sur le papier pour lui appendre à dessiner des pleins et desdéliés qui sont comme les muscles et les os des lettres (PP, 124).

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En vérité, traduisant Les limbes du Pacifique en Vie sauvage, j’avais bienl’impression de faire le sens inverse d’un chemin déjà parcouru. Parti d’unmystère très simple, le récit avait d’abord proliféré dans l’abstrait et dans leconcret, dans la métaphysique et dans la technologie primitive, à mesure qu’ils’incarnait dans une situation et dans des personnages. Donc, en un sens, je n’aipu tirer un roman pour l’enfant d’un roman pour adulte que parce que celui-ciavait en quelque sorte été d’abord tiré lui-même de celui-là. A cela près, toutefois,que le roman pour enfant originel était demeuré d’abord informulé450.

(...) je fais comme le sculpteur César qui a commencé par faire descompressions, passant de Vendredi ou les limbes du Pacifique à Vendredi ou lavie sauvage, et ensuite a fait des expansions. Alors je suis entrain de faire uneexpansion451.

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C’est difficile d’appeler conte un récit un peu long. Il faudrait pourtant appelercontes mes trois romans, malgré les six cents pages des Météores. Car il s’agitd’oeuvres procédant d’un enrichissement par déductions d’une idée abstraite452.

(...) c’est l’histoire de l’homme qui s’amuse à brûler, dans les mairies, tout ce quiconcerne les cartes d’identité et les états civils. Et ce faisant, il s’aperçoit ensuiteque dans son quartier les gens se mettent à marcher à quatre pattes (...) ildécouvre à ce moment-là que l’âme humaine est en papier et que si on brûle cetteâme, eh bien, les hommes deviennent des animaux. Et puis vous avez aussi, audébut du Roi des Aulnes, une vie de Saint Christophe (...) qui a quand même étéentièrement réécrite453.

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(...) les mises en abyme fictionnelles semblent pouvoir, comme les synecdoques,se partager en deux groupes : particularisantes (modèles réduits), ellescompriment et restreignent la signification de la fiction ; généralisantes(transpositions), elles font subir au contexte une expansion sémantique dontcelui-ci n’eût pas été capable par lui-même. Rachetant leur infériorité de taille parleur pouvoir d’investir des sens, ces derniers nous placent en effet devant ceparadoxe : microcosme de la fiction, elles se surimposent, sémantiquement, aumacrocosme qui les contient, le débordent et, d’une certaine manière, finissentpar l’englober tout456.

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Ce qui s’oppose à travers Pierrot et Arlequin avec cette logique binaire parlaquelle Lévi-Strauss définit le mythe c’est le féminin et le masculin, le mythe et leroman, le sédentaire et le nomade, le Paradis et l’errance, l’Age d’or et lamodernité, (...), l’un et le multiple, le prismatique et le simple, la profondeur et lasurface, (...). C’est tout l’univers tourniérien avec ses harmoniquesphilosophiques, sa fantasmatique qui se réfléchit dans « Pierrot » et la tentativetourniérienne de concilier mythe et roman dans le duo Arlequin-Pierrot. Lesédentaire représente le paradis perdu de la parole mythique, le nomade lamodernité problématique du discours romanesque. C’est en réalité d’un « portraitde l’artiste en saltimbanque » qu’il s’agit, d’un portrait dans deux saltimbanques,dialogiquement corrélés460.

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(...) dans la Forme savante il (le langage) s’efforce à tel point d’être solide,particulier et unique, qu’on ne peut plus l’imaginer finalement que comme lelangage d’un individu, cet individu ayant le don éminent de pouvoir atteindre,dans une oeuvre définitivement close, la cohésion suprême –mais seulement « iciet ainsi » -et conférant par surcroît à cette oeuvre close l’empreinte solide,particulière et unique de sa personnalité463.

Forme savante ou Forme simple, on peut également parler de « parolespropres » ; mais dans les Formes savantes, il s’agit des paroles propres au poètequi sont l’exécution unique et définitive de la forme, alors qu’il s’agit dans laForme simple des paroles propres à la forme qui s’y donne à chaque fois et de lamême manière une exécution nouvelle464.

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(...) d’abord jeté par quelque impérieux destin sur cette île errante qu’est la pageblanche, il commence par y entasser quantité de matériaux hétéroclites afind’organiser au mieux sa subsistance en établissant sur ceux-ci une parodie depouvoir ; puis, de l’édifice chancelant et complexe du roman naît par explosion lepur monument du récit. Sous la pression des divers imaginaires qui s’yentassent, les limbes éclatent, pour libérer dans l’épure du récit la vraie viesauvage, la vérité toute neuve de la narration et des images466.

Chacun des quatre Irlandais prononça à tour de rôle l’exhortation magnifique du

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mystique Angelus Choiselus : « Entreprends sans peur et coeur léger le voyageaventureux de la vie, de l’amour et de la mort. Et rassure-toi : si tu trébuches, tune tombera jamais plus bas que la main de Dieu ! » Ces paroles prenaient unesignification différente selon qu’elles sortaient de la bouche d’Eléazar, d’Esther,de Benjamin ou de Cora (E, 125-126).

L’Adoration des Mages, trois personnages chargés d’or et de pourpre, venusd’un Orient fabuleux, se prosterner dans une étable misérable devant un petitenfant. Il y eut un silence pendant lequel Gaspard et Melchior s’associèrentcomme une immense galerie de miroirs où ils se reflétaient tous les trois, chaquefois dans l’interprétation d’une époque au génie différent, mais toujoursreconnaissables, un jeune homme, un vieillard et un noir d’Afrique (GMB, 214).

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(...) ce miroir reflétait le jardin du chinois dans ses moindres détails. Mais alors,direz-vous, en quoi cette image était-elle plus belle et plus émouvante que sonmodèle ? C’est que le jardin du Chinois était désert et vide d’habitants, alors que,dans le jardin du Grec, on voyait une foule magnifique avec des robes brodées,des panaches de plumes, des bijoux d’or et des armes ciselées. Et tous ces gensbougeaient, gesticulaient et se reconnaissaient avec ravissement (MA, 298).

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En fait, commémorer consiste à la fois à créer un mythe et à se constituersoi-même en mythe. L’effet d’agrandissement, d’embellissement d’unpersonnage ou d’un fait s’accroît à chaque commémoration, et leur célébrationdevient un fait de société irréversible, où les célébrants se substituentsubrepticement au célébré.

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(...) l’image dans le miroir n’est pas produite par le miroir, ni par la face, ni parcelui qui tient le miroir. L’image n’apparaît que par l’intégration du voyant avec levu. De celui qui voit avec celui qui fait l’expérience. Car si celui qui tient le miroirest absent, il n’y a pas de reflet sur le miroir470.

Voilà la clef du mystère ! Quand tu affrontes la reine de face, durement, sansamour, comme un juge, quand tu la dévisages comme pour compter ses rides ouses cheveux gris, alors tu la jettes dans une solitude qui la désespère et quil’enlaidit. En revanche elle rayonne de beauté et de gaieté quand ton visage est àcôté du sien. Elle t’aime, que veux-tu ! Elle ne s’épanouit que quand vos deuxtêtes sont unies dans le même cadre, vos regards tournés vers le même paysage,vers le même avenir, comme sur une médaille, comme sur un portrait de mariage(MDF, 18).

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(...) l’ourdissage –qui est composition, accordement, réunion de centaines de filscouchés ensemble sur l’ensouple –alors que le cardage est arrachement,discorde, dislocation brutalement obtenue avec deux tapis contraires etenchevêtrés de clous crochus (M, 273).

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L’auteur d’un jardin Zen sait que la fonction du poète n’est pas de ressentirl’inspiration pour son propre compte, mais de la susciter dans l’âme du lecteur.(...) Dans son apparent dénuement, le jardin Zen contient en puissance toutes lessaisons de l’année, tous les paysages du monde, toutes les nuances de l’âme (M ,525-526).

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Vendredi ou les limbes du Pacifique, Gallimard, 1967 (rééd. « Folio » n°133,1972, puisn° 959).

Le Roi des Aulnes, Gallimard, 1970 (rééd. « Folio » n°656, 1975).

Les Météores, Gallimard, 1975 (rééd. « Folio » n°1415, 1977).

Gaspard, Melchior et Balthazar, Gallimard, 1980 (rééd. « Folio » n°1415, 1982).

Gilles et Jeanne, Gallimard, 1983 (rééd. « Folio » n°1707, 1985).

La Goutte d’or, Gallimard, 1986 (rééd. « Folio » n° 1908, 1987).

Eléazar ou La source et le buisson, Gallimard, 1996.

Le Coq de bruyère, Gallimard, 1978 (rééd. « Folio » n°1229, 1980).

Le Médianoche amoureux, Gallimard, 1989 (rééd. « Folio » n°2290, 1991).

Le Vent Paraclet, Gallimard, 1977 (rééd. « Folio » n°1138, 1979).

Le Vol du vampire, Mercure de France, 1981 (rééd. « Folio » n°258, 1994).

Journal de voyage au Canada, Robert Laffont, 1984.

Le vagabond immobile, Gallimard, 1984.

Petites proses, Gallimard, coll. « Folio », n°1768, 1986.

Le Tabor et le Sinaï, Belfond, 1988.

Le miroir des idées, Mercure de France, 1994 (rééd. « Folio » n°2882, 1996).

Le pied de la lettre, Mercure de France, 1994 (rééd. « Folio » n°2881, 1996).

Jardins de curé, Michel Tournier & Georges Herscher, Actes-Sud, 1995.

Célébrations, Mercure de France, 1999.

Miroirs autoportraits, photographies d’Edouard Boubat, Denoël, 1973.

Des clefs et des serrures : Images et proses, Chêne-Hachette, 1979.

Rêves, Complexe, 1979 (photos d’Arthur Tress).

Vues de dos, NRF Gallimard, 1981 (photographies d’Edouard Boubat).

Le Crépuscule des masques : Photos et photographes, Hoëbeke, 1992.

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Vendredi ou la vie sauvage, Flammarion, 1971, (Gallimard, Folio-Junior n°30 et n° 445,1977 et 1984).

Amandine ou les deux jardins, Edition G.P., 1977.

La fugue du petit Poucet, Edition G.P., 1979.

Pierrot ou les secrets de la nuit, Gallimard, 1979, (rééd. Gallimard, coll.«Enfantimages », 1981).

Barbedor, Gallimard, coll. « Enfantimages », 1980.

L’Aire du muguet, Gallimard, coll. « Folio-Junior », 1982.

Que ma joie demeure, Gallimard, coll. « Enfantimages », 1982.

Les Rois Mages, Gallimard, édition illustrée, 1983 (rééd. Gallimard, coll.« Folio-Junior »,1985).

Sept contes, Gallimard, coll. « Folio-Junior », 1984.

Les contes du médianoche, Gallimard, coll. « Folio-Junior », 1989.

La Couleuvrine, revue Je bouquine, mars 1994 (rééd. Gallimard, coll. « Folio-junior »,1999).

Le miroir à deux faces, Seuil Jeunesse, 1994.

Ajar (Emile), La vie devant soi, Ed. François Beauval.

Appelt (Dieter), Morts et résurrections de Dieter Appelt, Paris, Herscher, 1981.

Balzac (Honoré de), Le père Goriot, Ed. François Beauval.

Bernard (Bruce), Chefs d’oeuvre de l’histoire de la photographie. 1840-1940,Paris, AlbinMichel, 1981.

Boll (Heinrich), Les enfants de la mort, Ed. François Beauval («Henri le mal-aimé»).

Buck (Pearl), La Mère, Paris, Ed. François Beauval, 1977 («Utopie etexotisme»).

Clergue (Lucien), Catalogue de l’exposition de Bruxelles, 1974, Ixelles, 1974. - Mers,plages, sources et torrents, arbres, Paris, Ed. Perceval, 1974 (Version écrite dudiscours de réception à l’Académie d’Arles).

Cronin (Archibald Joseph), La Citadelle, Ed. François Beauval.

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Flaubert (Gustave), Madame Bovary, Paris, Ed. François Beauval(«MadameBovary»). -Trois contes, Paris, Gallimard, 1979 (coll. « Folio », n°424).

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Hesse (Herman) , Le Jeu des perles de verre, Ed. François Beauval.

Katan (Naïm), L’Itinéraire pour un adieu à Babylone, Paris, Julliard.

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Beaucoup de ces préfaces et présentations se retrouvent dans Le Vol du vampire.

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«Des éclairs dans la nuit du coeur», Les Nouvelles Littéraires, 26 novembre 1970.

«Petit lexique d’un prix Goncourt. Treize clés pour un ogre», Le FigaroLittéraire, 30novembre 1970.

«Le Noël des petits pervers», Le Nouvel Observateur, 21 décembre 1970.

«Gaspard Hauser, miroir involontaire d’une époque», Le Monde, 26 mars 1971.

«Les petites boîtes de nuit» (sur la photographie), Le Nouvel Observateur, 26 juillet1971.

«Journal-image», Le Nouvel Observateur, 26 juillet 1971.

«Il y a vingt cinq ans. Le Tribunal international de Nuremberg condamnait à mort lesprincipaux chefs nazis», Le Monde, octobre 1971.

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«Quand Michel Tournier récrit ses livres pour les enfants», Le Monde, 24décembre1971.

«Rayée de la carte par les alliés, il y a 25 ans, la Prusse était-elle vraiment le berceaudu militarisme ?», Le Figaro Littéraire, 26 février 1972.

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