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Deathtrap/Piège Mortel. 09 09 16 Adaptation G sibleyras. 1 PIÈGE MORTEL De Ira Levin Adaptation Gérald Sibleyras. (Version du 09 09 16)

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Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 1

PIÈGE MORTEL De Ira Levin

Adaptation Gérald Sibleyras.

(Version du 09 09 16)

Deathtrap/Piège Mortel.

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ACTE 1

Scène 1.

Nous sommes dans les années soixante-dix.

Le bureau de Sidney Brown, est une grande pièce, sans doute une ancienne

grange d’une imposante maison coloniale, avec poutres apparentes. Des portes

coulissantes au centre nous font découvrir l’entrée principale de la maison avec le

salon, la cuisine et une amorce d’escalier qui monte à l’étage. Des portes fenêtres à

l’avant-scène droite mènent dans un petit patio. Au fond à gauche, une cheminée

en pierre surement utile pour y brûler des papiers.

Hormis les étagères et un petit secrétaire à deux tiroirs sans intérêt, la pièce est

meublée avec soin avec de jolies antiquités. Les rideaux des portes fenêtres sont

tirés. Quelques chaises, un buffet-bar au fond à droite, où se trouvent les liqueurs,

et au centre, le bureau de travail de Sidney. Sur le bureau, quelques papiers, des

livres, une machine à écrire et un téléphone. Au mur, des affiches de théâtre et

une collection d’objets et d’armes comme des menottes, des pistolets, des masses,

des haches.

Quand le rideau se lève, Sidney est assis à son bureau, en pleine réflexion. La

cinquantaine, il est habillé avec soin. La machine à écrire est recouverte d’une

housse. C’est une belle après-midi ensoleillée d’octobre. Les portes qui donnent

dans l’entrée sont entre ouvertes et Myra Brown passe une tête. C’est une femme

élégante, fine et discrète, dans la quarantaine. Elle porte une robe. Elle entre sans

bruit avec un seau à glace qu’elle pose sur le buffet-bar. Sidney la voit.

SIDNEY

« Piège Mortel ». Deux actes, un seul décor, cinq personnages…

(Il monte un manuscrit relié)

Un joli petit meurtre à l’acte 1, un acte 2 totalement surprenant… Construction

imparable, bons dialogues, quelques rires par ci par là. Hyper commercial.

(Il jette le manuscrit sur le bureau)

MYRA

… Bravo mon chéri, je suis tellement contente pour toi !… Je suis contente pour

nous deux !

SIDNEY

Pourquoi t’es contente ?

MYRA

Ben… c’est ta pièce, non ? C’est l’idée que tu as eue au mois d’août !

SIDNEY

L’idée du mois d’août, comme l’idée du mois de juin, a fini avec toutes les autres

idées… là, dans la cheminée ! Ça, c’est arrivé par la poste ce matin. Et c’est l’œuvre

de…

(Il trouve la lettre qui accompagne le manuscrit)

… Clifford Anderson. Un des morveux qui a assisté à mon dernier séminaire.

(Il lit la lettre avec un « ton de morveux »)

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« Cher monsieur Brown, je me permets de vous envoyer le manuscrit de ma pièce

« Piège Mortel ». Je l’ai finie cette nuit, à deux heures du matin. Votre œuvre - ainsi

que les conseils et les encouragements que vous m’avez prodigués durant le

séminaire - m’ont beaucoup inspiré. C’est pourquoi je tiens à ce que vous soyez le

premier à la lire. Si seulement elle était à moitié aussi bonne que vos pièces, le

temps passé et le prix du séminaire auront été un investissement fructueux. »

MYRA

C’est gentil.

SIDNEY

C’est grotesque !

« Pardon pour la mauvaise qualité de la copie carbone, mais la photocopieuse est

en panne, et je ne pouvais pas attendre un jour de plus pour envoyer mon bébé à

son père spirituel… »

Mon bébé à son père spirituel… Je vais vomir…

« J’espère que vous aurez la gentillesse de m’appeler dès que vous l’aurez lue,

vous me direz si elle est digne d’être envoyée à des producteurs de Broadway etc

etc etc ».

Fils de pute !

(Il balance la lettre)

… Je crois que je vois qui c’est. Un obèse. Malade des glandes. 220 kilos. Je me

demande comment il a eu mon adresse.

MYRA

Par l’université.

SIDNEY

Sûrement.

Il se lève et va au bar.

MYRA

C’est si bon que ça ?

SIDNEY

Succès garanti ! Même un metteur en scène « inspiré » n’arriverait pas à la foutre

en l’air.

(Il se sert un verre)

Le genre de pièce qui tient l’affiche plusieurs années.

MYRA

Tu devrais être fier qu’un de tes élèves écrive une bonne pièce.

SIDNEY

(Il la regarde)

Je ne t’ai jamais dit ça en onze ans de mariage Myra mais cette fois je te le dis… va

te faire foutre !

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MYRA

Je t’en prie !

SIDNEY

Tu sais quoi ? J’ai envie de lui éclater la tête avec cette masse, de jeter le corps

dans un puits et d’envoyer la pièce signée de mon nom à tous les producteurs

importants de Broadway.

(Un temps. Il regarde Myra)

Tu sais quoi ?… c’est la meilleure idée que j’ai eue depuis longtemps.

MYRA

Mon pauvre Sidney.

Elle va l’embrasser et le serrer dans ses bras.

SIDNEY

A quoi ça sert d’avoir une masse à la maison si on s’en sert jamais ?

MYRA

Tu auras une bonne idée toi aussi… et tu écriras une pièce encore meilleure !

SIDNEY

Je ne parierais pas là-dessus… enfin s’il te reste de quoi parier.

MYRA

N’exagère pas, on n’est quand même pas poursuivis pas les huissiers.

SIDNEY

Jusqu’à quand… J’aurais fini par te ruiner.

MYRA

On sera ruinés ensemble. Et je ne regrette rien !

(Elle l’embrasse à nouveau)

Ta prochaine pièce fera un tabac !

SIDNEY

(Il s’éloigne)

… C’est le genre de truc qui met pas du tout la pression, ça.

Il revient et tripote le manuscrit.

MYRA

Pourquoi tu n’appelles pas un producteur ? Peut-être qu’il te donnerait un

pourcentage ?

SIDNEY

Pour lui avoir trouvé la pièce ? Tu parles !

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MYRA

Alors pourquoi tu la produis pas ?! Tu connais assez le métier pour te lancer

comme producteur. Je suis sûre que tu ferais ça très bien.

SIDNEY

Chérie, je suis assez vicieux pour faire un bon assassin, mais pas pour devenir

producteur à Broadway. Tu surestimes mes capacités.

MYRA

Collabore avec lui ! Tu peux certainement faire quelques améliorations. Même si

c’est une bonne pièce, tu peux apporter ton expérience, ta touche personnelle.

SIDNEY

… C’est pas bête…

MYRA

Il serait ravi de travailler avec toi.

SIDNEY

On ferait cinquante/cinquante…

MYRA

Avec ton nom en premier sur l’affiche.

SIDNEY

Son nom commence par A, le mien par B… il faudra lui expliquer qu’on a changé

l’ordre alphabétique.

MYRA

Non, tu seras en premier à cause de ton prestige.

SIDNEY

Le prestige de Sidney Brown, le Roi du Bide !

MYRA

Non ! Sydney Brown, l’auteur de Jeu Meurtrier.

SIDNEY

« Jeu Meurtrier »… Ça fait dix-huit ans mon amour. Dix-huit années qui ont passé

comme ça !

(Il claque des doigts)

Rien ne s’évanouit plus vite que le succès… Tiens c’est bien ça…

(Il note sur un carnet)

Je vais le placer quelque part… un acteur has-been pourrait dire ça, non ?

MYRA

Appelle-le. Il habite où ?

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SIDNEY

Milford.

(Il s’approche du téléphone, regarde la lettre, hésite encore)

Tu es sûre que tu ne préfères pas l’option « masse ».

MYRA

Sûre !… Un cadavre, du sang sur la moquette… sans compter notre voisine, la

voyante, qui sentirait tout de suite les « mauvaises vibrations ».

SIDNEY

Elle est en Hollande, ça fait loin.

MYRA

Helga Dorp n’est pas en Hollande, elle s’est s’installée pour six mois juste à côté de

chez nous. Dans le cottage des Mac Bain. Paul Wyman écrit un livre sur elle.

SIDNEY

Elle est si connue que ça ?

MYRA

Elle est incroyable ! Tom et Nancy Wesson ont dîné avec elle la semaine dernière.

Elle a deviné que Tom avait des douleurs au dos, et que son père aimait les

femmes plus grandes que lui. Elle a prévenu Nancy que leur fille au pair allait

partir sans prévenir - ce qu’elle a fait deux jours plus tard - et elle a retrouvé des

clefs que Nancy avait perdu en 1969, derrière la machine à laver.

SIDNEY

… Mmm… Et elle s’installe dans le cottage juste à côté ?

MYRA

Juste là !

(Elle désigne un endroit précis à cour)

Elle a dû braquer ses radars sur nous… Elle nous écoute sûrement en ce moment.

SIDNEY

Dans ce cas, oublions l’assassinat, Monsieur Anderson s’est trouvé un co-auteur !

Attends… le malade des glandes n’est pas resté jusqu’à la fin… Anderson… je me

demande si ça n’est pas celui qui bégayait.

MYRA

(Elle désigne le téléphone)

Tu peux le savoir tout de suite.

SIDNEY

(Il regarde la lettre, la repose, prend le téléphone compose le numéro qu’il lit sur la

lettre)

Il va me tenir la jambe pendant trois plombes…

(Il attend et raccroche brutalement)

Occupé ! Il est en ligne avec un producteur !

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(Il est préoccupé. Dans une main, il tient le combiné, de l’autre, il garde le téléphone

raccroché. Myra ne le quitte pas des yeux)

Qu’est-ce qu’il y a pour dîner ?

MYRA

Saumon !

SIDNEY

Encore !

MYRA

Oui !… Sidney…

SIDNEY

Quoi ?

MYRA

Tu serais capable de tuer pour une pièce à succès ?

SIDNEY

Enfin, Myra, écoute… Evidemment !

(Vers le cottage d’Helga Dorp)

Je plaisante mademoiselle Dorp !

MYRA

C’est madame. Elle a divorcé.

SIDNEY

Evidemment ! Qui peut rester marier à une voyante ?

(Il est de plus en plus embarrassé. Il boit nerveusement son verre. Myra le fixe)

Me regarde pas comme ça !… Une pièce comme celle-là peut rapporter dans les

deux millions de dollars… Si c’est pas une bonne raison pour tuer quelqu’un ça.

(Il appelle à nouveau)

Ah ! ça sonne… Allô ? Je suis bien chez monsieur Clifford Anderson ? Sidney

Brown à l’appareil…

(Il couvre le combiné avec sa main. A Myra)

Il ne bégaie pas.

(Au tel)

Oui, j’ai fini de la lire il y a à peine un quart d’heure et je dois vous dire que vous

avez là une… une première ébauche très prometteuse. Je disais justement à ma

femme, Myra, que si vous faisiez les corrections nécessaires et si vous rajoutiez

quelques rires par ci par là, vous avez une pièce dans la veine de Jeu Meurtrier, Le

Crime était presque parfait ou Le Limier… Le potentiel est là, c’est certain… Oui, je

sais moi aussi j’étais convaincu que la première version de Jeu Meurtrier était la

bonne et puis finalement, j’ai dû retravailler… Mais bon, écoutez, je me trompe

peut-être… Quelles ont été les réactions des autres lecteurs ?… Ah bon ? A

personne d’autre ?…

(Il jette un rapide regard à Myra)

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Je suis très flatté… Mais enfin y a bien quelqu’un, je sais pas, votre femme, un ami,

un des morv… des élèves de mon séminaire… Ah d’accord… vous vivez avec des

plantes vertes ?… Vous êtes coupé du monde en quelque sorte… c’est idéal… pour

écrire.

(Myra est mal à l’aise)

Moi aussi j’écris, oui. Un polar également, oui… Ça avance très bien. Je me suis

inspiré d’Helga Dorp, une voyante/parapsychologue Hollandaise, ça vous dit

rien ? Elle habite juste à côté de chez nous.

(Il regarde Myra qui désapprouve)

J’ai pas encore de titre… D’ailleurs, à propos, j’aime beaucoup Piège Mortel… oui,

le titre… et la pièce aussi, enfin la première ébauche de la pièce… Bien sûr j’ai des

suggestions, mais ce serait trop long au téléphone. Voulez-vous qu’on se

rencontre, on pourrait travailler sur le manuscrit, scène à scène… Ce soir, si ça

vous va. Vous pouvez venir en voiture, c’est pas très loin… Dans ce cas, prenez le

train jusqu’à Westport et je viens vous chercher à la gare… Regardez les horaires,

Je vous en prie, allez-y, je patiente…

(Il couvre le combiné avec sa main. A Myra)

Sa voiture est en panne. Il garde la maison d’un couple en voyage. Il est

célibataire.

MYRA

… Tu penses qu’il sera d’accord pour une collaboration ?

SIDNEY

J’ai l’impression, oui.

(Au tel)

Oui ?… sept heure vingt neuf ? C’est parfait. Et il y un train qui vous ramène à

New York vers 11 heures, ça ne devrait pas poser de problème… Vous apportez

l’original ? La copie carbone n’est pas très charitable pour mes yeux fatigués… Je

vous retrouve à la gare… Je peux vous appeler Terence ?… Pardon, Clifford,

Clifford, bien sûr. Si j’ai quelques minutes de retard, ne vous inquiétez pas, j’ai

deux trois courses à faire… J’ai une Mercedes bleue… Parfait… Au revoir… A tout à

l’heure.

(Il raccroche et finit son verre)

C’est le client parfait !

MYRA

C’est quoi ces courses ?

SIDNEY

Tu m’as pas dit qu’il fallait chercher ou rendre des livres à la bibliothèque ?

MYRA

Non.

SIDNEY

Je croyais.

(Il regarde son verre, puis Myra)

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La photocopieuse a été réparée mais il voulait attendre au cas où j’aurais des

suggestions à lui faire. Personne ne l’a lue. D’ailleurs personne ne sait qu’il a écrit

une pièce.

MYRA

Et personne ne te verra le prendre à la gare.

SIDNEY

Ça m’a traversé l’esprit. Je suis tellement habitué à inventer des crimes dans mes

pièces !

MYRA

Pourquoi tu lui as demandé l’original ?

SIDNEY

Tu m’as entendu, la copie est difficile à lire. Et puis c’est plus pratique d’avoir

chacun son exemplaire pour travailler. Sinon, on est tout prêt l’un de l’autre, j’ai

peur qu’il sente le graillon.

MYRA

Je suis sûre qu’il a gardé une autre copie du texte quelque part.

SIDNEY

C’est très probable. Et puis tous ses brouillons, ses notes.

Le téléphone sonne. Sidney décroche.

SIDNEY

Allô ? Salut Laurence, comment vas-tu ?… Mmmm, non, je crois pas, non. Je suis

sur un truc, j’ai envie de travailler un peu dessus ce soir… Myra sera ravie de vous

accompagner, attends une seconde.

(Pose sa main sur le combiné)

Ils vont voir un truc français au cinéma…

(Myra fait « non » de la tête)

Je te dépose si tu veux…

MYRA

Non, j’ai pas envie, pas ce soir.

SIDNEY

Laurence ? Non, Myra va passer son tour, elle est crevée. Tu nous appelles demain

pour nous dire ?… Ok, je t’embrasse, à demain.

(Il raccroche)

Tu n’es pas obligé de me surveiller. Je n’assassine que les nuits de pleine lune.

MYRA

Pourquoi tu as menti ? Pourquoi tu ne leur as pas dit que tu attendais une visite ?

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SIDNEY

Parce que ça ne les regarde pas ! Et puis j’ai menti parce que… c’est comme ça, je

suis un menteur !

MYRA

La lune était presque pleine hier soir…

SIDNEY

Ah oui ?

(Myra acquiesce.)

Alors il faudra que je trouve des ressources pour me contrôler. N’hésite pas à me

rappeler cette copie qui traîne sûrement quelque part.

MYRA

… Parce que sans cette copie, tu pourrais… tu arriverais à …

SIDNEY

Je ne crois pas. J’aurais trop peur.

(Il décroche un poignard, le soupèse)

Et puis il y a un monde entre un cadavre couché sur le papier d’une machine à

écrire et un cadavre couché dans ton salon.

(Il replace l’arme sur le mur)

Je suis certain que Clifford Anderson rentrera chez lui en aussi bonne santé qu’il

est arrivé chez nous. Avec son manuscrit sous le bras.

Myra va vers lui, le serre dans ses bras. Il lui embrasse le front.

MYRA

Il va sauter sur l’occasion de collaborer avec toi et bientôt, tu vas écrire TA pièce !

SIDNEY

… C’est une bonne idée…

MYRA

Quoi ?

SIDNEY

Un auteur en manque d’inspiration reçoit une pièce écrite par un des morveux de

son séminaire… C’est un bon début, non ? A condition que la pièce soit bonne et

que l’auteur ait une collection d’armes dans son salon, bien sûr.

MYRA

Note la sur ton carnet.

SIDNEY

Je vais la noter…

(Il tapote sur le manuscrit)

Dommage que le titre Piège Mortel soit déjà pris…

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Myra hésite avant de sortir, puis s’éloigne vers l’entrée et sort à cour.

Sidney continue à considérer le manuscrit, les pensées les plus inavouables

lui passent par la tête pendant que la lumière baisse.

NOIR

Scène 2.

Lumière. La porte d’entrée de la maison s’ouvre, Sidney et Clifford Anderson

entrent. Myra est dans le bureau, elle se précipite pour l’accueillir. Les rideaux

sont tous fermés, les lampes sont toutes allumées. Sidney porte une veste, Myra

est pimpante, (peut-être une autre robe). Clifford est dans la vingtaine, jeune

garçon avenant, un jean, un pull. A la main, une grosse enveloppe.

SIDNEY

… En fait, la maison date de mille sept cent quatre vingt quatre, mais il n’avait plus

de « huit » à la quincaillerie, j’ai mis un sept, je l’ai vieillie de dix ans.

CLIFFORD

C’est magnifique…

SIDNEY

Le Monuments Historiques m’en ont voulu à mort !

MYRA

Bonsoir !

Ils se serrent la main chaleureusement.

SIDNEY

Je te présente Clifford Anderson, ma femme, Myra.

CLIFFORD

Enchanté !

MYRA

Entrez, je vous en prie. Je commençais à m’inquiéter.

SIDNEY

Attention à la poutres…

(Clifford entre dans le bureau, suivi de Sidney.)

Vous pouvez juger l’authenticité d’une demeure coloniale par les bosses sur le

crâne des invités…

Myra sourit nerveusement. Clifford admire l’endroit, il est impressionné.

CLIFFORD

Vous travaillez ici ?

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SIDNEY

Comment vous avez deviné ?

CLIFFORD

La machine à écrire… et toutes ces affiches…

Il visite la pièce, regarde les affiches, Sidney l’observe, Myra lance des

regards à Sidney. Clifford effleure la house qui recouvre la machine à écrire

du Maitre, puis pointe un objet accroché au mur.

CLIFFORD

C’est la masse de « Assassin d’enfants » ?

SIDNEY

Oui ! Et le poignard, c’est Jeu Meurtrier.

(Clifford va toucher la lame du poignard.)

Attention, celui là est coupant. Le faux poignard apparaît seulement dans l’acte 2.

CLIFFORD

(Il s’intéresse à la hache)

La hache de « Pour Un Meurtre Avec Toi » ?

SIDNEY

Oui.

CLIFFORD

Je ne comprends pas pourquoi cette pièce s’est arrêtée au bout de deux

semaines…

SIDNEY

Le fait que les critiques la descendent en flammes a dû jouer.

Clifford continue sa visite.

MYRA

Le train était en retard ?

CLIFFORD

Non. Le train était à l’heure. Monsieur Brown était en retard.

SIDNEY

J’ai dû prendre de l’essence et Franck a voulu vérifier mes niveaux… Et ceux de la

voiture par la même occasion…

CLIFFORD

Vous savez que la première pièce que j’ai vue de ma vie, c’est Dans le Viseur. Avec

ma tante, elle habitait New York. On est allés au théâtre en matinée. J’avais douze

ans.

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SIDNEY

Si vous vouliez me foutre le bourdon, c’est réussi.

CLIFFORD

Pardon, mais c’est à cause de vous que je me suis mis a adoré les polars.

SIDNEY

Moi, c’était Rue des Anges. J’avais quinze ans.

MYRA

On dirait une maladie contagieuse.

SIDNEY

C’est une maladie contagieuse. La polarite ! Obsédé par l’idée de faire fortune avec

une pièce qui a un décor unique et cinq personnages !

CLIFFORD

Je ne suis pas obsédé par l’argent ! J’en veux juste assez pour avoir un jour un

bureau comme celui là. Je n’ai pas écrit Piège Mortel pour l’argent.

SIDNEY

Vous avez le temps de changer d’avis.

CLIFFORD

Je ne crois pas que ce soit une maladie. C’est une tradition théâtrale magnifique.

La recherche obstinée de nouvelles variations sur le même thème. Je me demande

si je vais réussir à ajouter une pierre à l’édifice.

SIDNEY

Qui sait ?

MYRA

Je vous sers quelque chose à boire ?

CLIFFORD

Avec plaisir. Vous avez de la limonade ?

MYRA

Oui, je crois… Sidney ? Un whisky ?

SIDNEY

Non, je vais prendre de la limonade moi aussi.

Un temps laissé à la surprise de Myra. Puis elle va au bar.

CLIFFORD

Elles ont toutes servies dans vos pièces ?

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SIDNEY

Non ! Pas du tout ! J’en ai pas écrit autant. Des amis m’en donnent parfois et je

rôde un peu chez les brocanteurs.

MYRA

Ça, par contre, c’est une maladie !

SIDNEY

(Il sort des clefs de sa poche)

Surtout une bonne excuse pour ne pas travailler.

(Il montre un pistolet en allant vers son bureau)

J’ai trouvé celui là à quelques kilomètres d’ici. Dix-huitième siècle, allemand.

CLIFFORD

Il est magnifique.

SIDNEY

(Il ouvre le tiroir de son bureau)

Comme vous voyez, je prends soin de mon « bébé spirituel »… Il est sous clef !

CLIFFORD

(Il ouvre l’enveloppe)

Et j’ai l’original !

SIDNEY

(Il sort le manuscrit du tiroir).

Tant mieux. Je devrais porter des lunettes mais mon médecin me dit qu’il vaut

mieux s’y mettre le plus tard possible.

(Il tend le manuscrit à l’envers).

Le voilà… Pardon, le voici !

Clifford sourit. Myra se retourne puis revient aux verres et aux glaçons.

Clifford sort un manuscrit de l’enveloppe, entouré d’un caoutchouc.

CLIFFORD

Je ne l’ai pas relié. Pour en faire des photocopies.

SIDNEY

Parfait.

Ils échangent les documents.

CLIFFORD

J’ai aussi un brouillon.

(Il s’appuie sur le bureau)

Il y a une scène entre Diane et Carlo que j’ai peut-être eu tort de couper. Et la

scène Diane/Richard est avant, ils ne savent pas encore que Carlo est revenu…

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SIDNEY

(Assis à son bureau)

Vous avez fait beaucoup de brouillons ?

CLIFFORD

Juste un. C’est pas facile de s’y retrouver mais je l’ai pris au cas où vous voudriez

voir ces deux scènes.

SIDNEY

Bien sûr, ça m’intéresse.

(Clifford sort un autre manuscrit moins ordonné de l’enveloppe)

Je crois que je m’étais fait la réflexion à propos d’une scène Diane/Carlo… c’est

avant le meurtre, n’est-ce pas ?

CLIFFORD

Oui ! Mais j’ai peur que le premier acte soit trop long.

Il donne le deuxième manuscrit.

SIDNEY

Merci. Qu’est-ce qu’il y a d’autres là dedans ?

CLIFFORD

Le plan. Dont je me suis beaucoup éloigné, en fait. J’ai fait comme vous nous l’avez

suggéré, une page par scène. Et puis des notes dont je ne me suis jamais servi.

SIDNEY

Et vous jetiez au fur et à mesure celles que vous utilisiez ?

CLIFFORD

Exactement !

SIDNEY

Je fais pareil.

Myra arrive avec les verres de limonade.

CLIFFORD

J’ai tout mis en vrac dans l’enveloppe avant de partir. Merci.

MYRA

Je vous en prie.

Elle donne le verre à Sidney avec un regard appuyé.

SIDNEY

Merci…

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CLIFFORD

J’ai deux heures de marche de chez moi à la gare. Je suis parti tout de suite après

notre coup de fil.

Myra s’éloigne à jardin.

SIDNEY

Deux heures ?

CLIFFORD

J’ai l’habitude. Je fais pas mal de sport. Je suis passé à ça de la sélection dans

l’équipe de décathlon pour les championnats du monde.

SIDNEY

Ah bon ?

CLIFFORD

Enfin… à ça.

Il écarte un peu plus ses deux mains.

SIDNEY

Il vaut mieux pas vous contrarier, alors.

(Il lève son verre)

A Piège Mortel !

CLIFFORD

A Piège Mortel !

MYRA

A Piège Mortel !

(Sidney se tourne vers Myra. Elle est assise, à jardin, un verre à la main, Un ouvrage

de couture sur les genoux.)

On fêtera ça avec autre chose que de la limonade un jour, si Sidney a raison, et je

suis sûre qu’il a raison.

CLIFFORD

J’espère ! J’ai fêté ça avec de la bière l’autre soir.

MYRA

On en a ! Vous en voulez ?

CLIFFORD

Non, non, c’est très bien. Merci.

SIDNEY

Tu vas rester ici ?

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MYRA

Oui !

CLIFFORD

(Le manuscrit ouvert sur les genoux)

Vous pensez que j’ai trop détaillé la description du décor ? Je décris la place exacte

de chaque objet.

SIDNEY

(Il ouvre l’original et feuillette)

Non… je ne crois pas que… non, c’est parfait au contraire. Vous avez quoi comme

machine à écrire ?

CLIFFORD

Une vieille Smith-Corona.

MYRA

Sidney a plein de bonnes idées pour améliorer la pièce.

CLIFFORD

J’en suis sûr. Je suis pressé de les entendre.

SIDNEY

Tu peux pas coudre dans le salon ?

MYRA

Non ! Il y a plus de lumière ici.

SIDNEY

Je crois pourtant me souvenir qu’il y a dans le salon un magnifique fauteuil

Régence à côté d’une lampe halogène assez puissante pour permettre à un

aveugle de glisser un fil dans le chas d’une aiguille !

MYRA

Justement… c’est trop lumineux ! Et le fauteuil est très bas… Je ne dirai plus rien,

je te le jure.

SIDNEY

Chérie, c’est la première pièce de notre ami Clifford et je suis son premier lecteur.

Je pense qu’il préférerait qu’on reste en tête à tête.

(A Clifford)

Je me trompe ?

CLIFFORD

Non, ça ne me dérange pas du tout, vous pouvez rester madame Brown. Au

contraire, j’ai moins l’impression d’être le sale gosse convoqué dans le bureau du

Proviseur.

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SIDNEY

… Je suis désolé si je vous intimide.

CLIFFORD

C’est normal… vous avez écrit tant de pièces et puis vous connaissez tout… Qui je

suis moi, avec ma vieille Smith Corona. Vous pouvez lire ma pièce Madame Brown,

ça me ferait plaisir.

MYRA

Je vais la lire.

CLIFFORD

(A Sidney)

Je suis curieux de savoir comment les femmes vont réagir à la décision de Diane…

vous savez, à propos du pistolet.

MYRA

Sidney m’en a à peine parlé. Je ne sais même pas qui tue qui.

CLIFFORD

Tant mieux !

(A Sidney)

C’était un peu le problème dans Assassin d’Enfants - si je peux me permettre une

remarque - Dès le levé de rideau, c’était évident que le Docteur Mannheim allait

démolir ce pauvre Teddy. Il n’y avait aucun doute possible. Je veux dire, le public

doit suspecter quelque chose, mais s’il devine ce qui va se passer, il y a moins de

suspense, vous ne croyez pas ?

SIDNEY

Mmmm… Oui, sûrement. Si vous vouliez que Myra lise la pièce, il fallait me le dire.

Vous auriez apporté la troisième copie et elle aurait lu pendant qu’on travaille.

CLIFFORD

(A Myra)

Je ne pensais pas que ça pouvait vous intéresser.

(A Sidney)

Et puis je n’ai pas de troisième copie.

Myra se redresse.

SIDNEY

Vous n’avez pas de troisième copie !?

CLIFFORD

Non. J’en ai qu’une. Je pensais photocopier l’original la pièce une fois terminée.

SIDNEY

Ben évidemment… vous avez raison, c’est plus pratique…

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 19

Les regards de Sidney et Myra se croisent furtivement. Clifford tend son

manuscrit à Myra.

CLIFFORD

Vous pourriez lire celui là et nous, on se passerait les feuilles. Où je peux m’asseoir

à côté de vous.

SIDNEY

Attendez… Laissez-moi réfléchir. Laissez-moi réfléchir…

Sidney est tendu. Myra a du mal à contenir sa nervosité.

MYRA

Monsieur Anderson, Sidney déborde littéralement d’idées à propos de votre pièce.

Je l’ai rarement vu aussi enthousiaste. Il reçoit des pièces tous les jours vous

savez. De son agent, de producteurs ou de jeunes auteurs. Le plus souvent, il ne

les finit même pas et les balance en pestant. Vous n’imaginez pas les horreurs qu’il

profère parfois sur certaines pièces ! Je sais qu’il peut améliorer la vôtre ! Il est

capable d’en faire un triomphe, qui se jouera pendant des années… et rapportera

assez d’argent pour tout le monde.

Un temps.

SIDNEY

C’est ce que tu appelles te taire ?

MYRA

Je ne vais pas me taire ! Je vais dire quelque chose que j’ai sur le cœur depuis

votre conversation téléphonique. Ça n’est pas correct monsieur, d’espérer que

mon mari vous fasse profiter de son talent reconnu dans le monde entier et de

dizaines d’années d’expérience sans contrepartie. Vous n’êtes plus dans une salle

de classe. Le séminaire est fini.

CLIFFORD

C’est lui qui m’a proposé de…

MYRA

(A Sidney)

Et toi, ça n’est pas correct de lui avoir proposé !… C’est moi qui m’occupe de tout

dans cette maison ! J’ai les pieds sur terre et je signe les chèques ! Je vais te faire

une suggestion Sidney, tu vas être surpris, choqué même peut-être, mais je te

demande de m’écouter jusqu’au bout et de réfléchir à ma proposition avant de

répondre… tu me promets de réfléchir à ma proposition ?

(Sidney est sidéré, il fait « oui » de la tête)

Laisse tomber la pièce sur laquelle tu travailles en ce moment ! Oui ! Laisse de

côté ta pièce sur la voyante qui retrouve les criminels et les clefs sous la machine

à laver ! Tu laisses tomber pour l’instant, et tu aides Monsieur Anderson sur sa

pièce ! Collabore avec lui ! Voilà ma suggestion ! Piège Mortel, par Clifford

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 20

Anderson et Simon Brown… A moins que Monsieur Anderson considère que par

respect pour ton âge et ta notoriété, ça doit être dans l’autre sens.

SIDNEY

Laissez tomber ma pièce ?

MYRA

Oui !

SIDNEY

Effectivement, je suis choqué.

MYRA

J’y crois beaucoup. Les gens adorent les voyants qui arrivent à démasquer les

coupables… Mais je te demande de la laisser tomber ta pièce pour l’instant. Fais ça

pour Monsieur Anderson. Il le mérite !

SIDNEY

Merci Myra, c’était très émouvant.

(A Clifford)

Qu’est-ce que vous en dites ?

CLIFFORD

Oh la la !… c’est à moi de décider ?

SIDNEY

Oui, enfin, à tous les deux ! Myra nous a mis le marché en main en quelque sorte.

MYRA

J’ai préféré dire tout ce que j’avais sur le cœur, vous ne m’en voulez pas ?

SIDNEY

Pas du tout, chérie, alors ?

CLIFFORD

Eh bien… tout d’abord, je dois vous dire que je suis très flatté… très honoré, j’ai

encore du mal à croire que le grand Sidney Brown puisse envisager de mettre de

côté sa propre pièce pour s’intéresser à la mienne. C’est dingue quand on y

pense… j’avais à peine douze ans, avec ma tante, à New York, dans ce grand

théâtre et aujourd’hui j’ai la chance d’être en face de…

SIDNEY

Oui, d’accord, c’est bon, on a compris…

CLIFFORD

C’est une occasion en or pour moi et je sais que je devrais la saisir à deux mains !

MYRA

Bien sûr que vous devriez !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 21

CLIFFORD

Mais… comment dire ?… Si j’allais chez le médecin, ou plutôt chez un grand

spécialiste, et qu’il me recommande une opération chirurgicale… eh bien… même

avec tout le respect dû à son expérience et à son savoir, j’aimerais bien avoir un

deuxième avis… vous voyez ce que je veux dire ? Je suis certain que vos idées sont

excellentes monsieur Brown mais, vous avez raison madame, ça ne serait pas

loyal de ma part d’en profiter sans, au préalable, nous mettre d’accord… Du reste,

si j’étais parfaitement honnête, je vous dirais que – de mon point de vue – Piège

Mortel me semble très bien comme ça ! Perfectible, sûrement ! Quelques petits

ajustements ça et là seraient sans doute les bienvenus, mais pas une opération

chirurgicale… J’ai l’impression que, au stade où j’en suis, je devrais faire quelques

photocopies et les envoyer aux agents littéraires que vous nous avez

recommandés. Si jamais ils trouvent que la pièce a besoin d’être retravaillée, je

reviens vous voir en vous suppliant d’accepter la suggestion de madame Brown,

et vos conditions seront les miennes… J’espère que je ne vous ai pas offusqué.

SIDNEY

Pas du tout !

MYRA

Monsieur Anderson, les agents savent rédiger des contrats mais ils n’y

connaissent rien en…

SIDNEY

(Il l’interrompt. Il ramasse les deux manuscrits)

Ça suffit Myra ! On va pas le supplier non plus ! Il est persuadé que sa pièce est un

bijou et qu’il est face à deux vieux ringards !

CLIFFORD

Mais jamais de la vie ! Je ne me permettrais pas ! Je vous suis très reconnaissant

de bien vouloir m’aider, mais…

SIDNEY

Oui, mais je veux plus vous aider ! Tout bien réfléchi, il est hors de question que

j’abandonne ma pièce pour corriger les fautes d’orthographe d’une pièce aussi

insignifiante que Piège Mortel !

(Il rend les deux manuscrits)

Assis toi Myra ! Tu me rends nerveux à rester plantée là en hyperventilation !

Faites comme ça, jeune homme ! Envoyez la pièce à qui vous voulez. Et si jamais

vous considérez qu’il faut faire des corrections, revenez me voir. Qui sait, je serai

peut-être bloqué ! Ça arrive !

CLIFFORD

(Il range les manuscrits dans l’enveloppe)

Merci…

SIDNEY

Mais enfin j’en doute… Je suis déjà à la moitié et ça avance très bien. Sans compter

que j’ai déjà une idée pour la prochaine. Ce sera sur la vie de Harry Houdini !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 22

CLIFFORD

Ah oui ? C’est pas très original.

SIDNEY

Peut-être, mais la magie est très à la mode en ce moment. Houdini a toujours été

un de mes idoles… Cette paire de menottes lui a appartenu.

Il les décroche du mur.

MYRA

(Très nerveuse)

Sidney…

SIDNEY

Calme-toi Myra, Clifford n’est pas le genre à voler une idée ! N’est-ce pas monsieur

Anderson ?

CLIFFORD

Bien sûr que non.

SIDNEY

Tu vois ? Vous saviez qu’Houdini fabriquait lui-même ses accessoires ?

CLIFFORD

Non…

SIDNEY

Génial ce Houdini ! Regardez !

Il lui lance les menottes.

MYRA

Sidney, je t’en supplie !

SIDNEY

Assis-toi Myra !

MYRA

Sidney, je t’en conjure, pour l’amour de Dieu !

SIDNEY

Mais tu n’as rien à craindre ! Clifford est un type bien !

(A Clifford)

Myra panique dès que je parle de mon travail à un collègue. Ne le prenez pas mal,

moi je sais qu’on peut vous faire entièrement confiance… Alors, ces menottes ?

Magnifiques, n’est-ce pas ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 23

Myra s’est reculée, en proie à la plus grande angoisse. Sidney lui lance

quelque coup d’œil pendant que Clifford – son enveloppe posée par terre

contre un pied de la chaise - manipule les menottes.

CLIFFORD

Elles ont l’air… très anciennes.

SIDNEY

Anciennes, mais solides, on ne fait pas la différence avec des vraies.

CLIFFORD

Absolument, oui !

SIDNEY

Je vous en prie.

CLIFFORD

Quoi ? Vous voulez dire… que je les mette ?

SIDNEY

Oui ! Quand on a la chance d’avoir en main des menottes de collection à mille deux

cents dollars, on les essaie !

CLIFFORD

Mille deux cents dollars… ben dis donc…

Et il referme les menottes autour des poignets de Clifford.

Myra grimace.

SIDNEY

Voilà ! Maintenant tournez vos poignets comme ça, appuyez et tirez !

(Clifford s’exécute. Ça ne fonctionne pas.)

Vous l’avez mal fait… il faut que ce soit un mouvement continue…

(Clifford essaie, toujours rien)

Tournez, appuyez, tirez… presque en même temps…

Clifford essaie plusieurs fois. Rien.

CLIFFORD

Non ! Elles ne s’ouvrent pas.

SIDNEY

Ça fonctionnait hier matin. Je les même huilées.

CLIFFORD

(Qui essaie toujours)

Ça prouve que je ne suis pas Houdini…

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 24

SIDNEY

C’est pas grave, j’ai rangé la clef quelque part…

(Il fouille sur son bureau. Clifford essaie à nouveau)

Ne forcez pas, vous risquez de me les abîmer…

CLIFFORD

Pardon…

Il ne bouge plus. Myra et Clifford échangent des regards et des petits

sourires gênés pendant que Sidney cherche toujours.

SIDNEY

La clef, la clef, la clef… Où es-tu petite clef ?…

Il regarde maintenant dans les tiroirs.

Clifford regarde ses poignets entravés, puis Myra et Sidney. Il vient d’avoir

une idée.

CLIFFORD

Vous savez quoi ? Ça pourrait être un bon début de polar !

SIDNEY

Comment ça ?

CLIFFORD

Ben… Un jeune auteur envoie sa première pièce à un auteur plus âgé qui dirigeait

un séminaire d’écriture que le jeune homme a suivi. Personne d’autre n’a lu la

pièce. Le jeune vient rendre visite au plus vieux pour discuter des « améliorations

indispensables à apporter à son œuvre »… Evidemment, il a emporté avec lui les

deux seules copies et toutes ses notes. A supposer que la photocopieuse de

l’université soit en panne – ce qui explique les deux uniques copies - et que la

pièce soit excellente, celui du jeune auteur je veux dire… et à supposer également

que l’auteur plus âgé n’ait aucun projet en vue.

SIDNEY

Ça fait beaucoup de suppositions…

CLIFFORD

Oui mais bon… On y est presque, non ? La seule différence c’est que vous avez La

Femme Libérée et Houdini, deux projets qui vous tiennent à cœur. De plus, Piège

Mortel n’est peut-être pas assez bon pour justifier de commettre un meurtre…

SIDNEY

Effectivement. Vous mettez le doigt sur une nouvelle incohérence.

Il continue à chercher les clefs.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 25

CLIFFORD

… Moi je crois tout de même que c’est une idée intéressante… Qu’en pensez-vous

madame Brown ?

MYRA

Ça ne me plait pas du tout.

SIDNEY

(Face aux armes sur le mur)

… Je les ai peut-être mis quelque part par là…

Clifford recule en fond de scène. Il regarde Myra, puis Sidney qui tripote

nerveusement les différentes armes et enfin les menottes sur ses poignets.

Il réfléchit… de plus en plus…

CLIFFORD

Ah ! J’ai oublié de vous dire, on devrait m’appeler d’une minute à l’autre.

(Sidney lui fait face)

Une copine… vers huit heures et demi… Il est quelle heure là ? Je n’ai pas réussi à

la joindre avant de partir alors je lui ai laissé un mot sur le miroir du salon avec

votre adresse et votre numéro de téléphone. Je vais lui dire à quelle heure arrive

mon train de retour et elle viendra me chercher en voiture à la gare. Deux heures

de marche dans la journée, ça me suffit… Espérons que vous trouviez les clefs

rapidement ou alors il faudra que vous me teniez le combiné du téléphone…

Un temps.

SIDNEY

Comment elle va entrer pour lire votre mot sur le miroir ?

CLIFFORD

Elle a des clefs.

SIDNEY

Vous gardez une maison et vous donnez les clefs à n’importe qui ? C’est pas très

sérieux.

CLIFFORD

Elle est honnête.

SIDNEY

Vous me disiez dans la voiture que vous ne connaissiez personne dans le coin.

CLIFFORD

Elle habite à Hartford. Elle s’appelle Marietta Klenofski et elle est professeur

d’éducation physique.

SIDNEY

Comment avez-vous eu mon numéro, je ne suis pas dans l’annuaire.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 26

CLIFFORD

Par l’université. Ainsi que votre adresse. Je suis très copain avec mademoiselle

Basco.

SIDNEY

Basco ?

CLIFFORD

Une petite rousse… avec du bleu sur les paupières.

SIDNEY

J’espère qu’elle vous a donné le bon numéro, je l’ai fait changer il y a quelques

semaines, un dingue nous dérangeait tout le temps. Et je ne l’ai pas signalé à

l’université. Quel numéro avez-vous laissé à mademoiselle Klenofski ?

CLIFFORD

Je ne m’en souviens pas.

SIDNEY

Deux deux six, trois zéro, quatre neuf ? Ou deux deux six, cinq quatre cinq sept ?

CLIFFORD

Le premier. Trois zéro quatre neuf.

SIDNEY

Le nouveau numéro. J’ai dû prévenir l’université… j’avais oublié… Etrange… ça ne

me ressemble pas.

CLIFFORD

Vous allez la trouver cette clef ?

SIDNEY

Bien sûr.

Il se retourne, va vers le mur.

MYRA

Mon cœur va lâcher.

SIDNEY

(Il attrape quelque chose sur le rebord)

Et pourquoi il lâcherait, chérie ?

(Il se retourne et montre la clef)

Parce que j’ai retrouvé la clef ?

(Il regarde Clifford et Myra)

J’ai l’impression que l’un comme l’autre, vous vous êtes imaginé que j’allais

prendre la masse et faire comme le Docteur Mannheim… Clifford ? C’est pour ça

que vous vous êtes éloigné du bureau ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 27

CLIFFORD

(Il est embarrassé. Il désigne la chaise de bureau)

Vous avez écrit la scène, ça prouve que vous êtes capable d’envisager ce genre de

possibilités…

SIDNEY

C’est juste, c’est très juste… Je vous comprends, moi même, je suis un peu

paranoïaque.

(Il contourne le bureau)

Et toi, femme aimante et fidèle, tu as imaginé la même chose ?

(Myra le regarde sans réponde. Il pose la clef sur le bureau, devant le fauteuil. Et

s’éloigne.)

Onze de mariage et elle me croit capable de commettre un crime sanglant. C’est un

bel exemple d’amour conjugal, vous ne trouvez pas Clifford ?… Allez, enlevez vos

menottes. Piège Mortel est prometteur mais pas à ce point.

Il se place derrière le bureau.

CLIFFORD

(Il va vers le fauteuil du bureau)

Tant mieux !

SIDNEY

Votre meilleure invention, c’est Marietta Klenofski. Bravo ! Je vous félicite.

CLIFFORD

Merci.

Il s’assoit et positionne ses mains dans la lumière de la lampe de bureau

pour se libérer.

SIDNEY

On l’imagine très bien les cheveux mouillés par la sueur après un match de

basket… En revanche, le bleu sur les paupières de Mademoiselle Basco… c’était

trop.

CLIFFORD

C’est vous qui nous avez conseillé d’ajouter ce genre détails pour être plus

convaincant… Vous êtes sûr que c’est la bonne clef ?

SIDNEY

(Il est derrière Clifford)

Houdini arrivait à les ouvrir ligoté sous trois mètres d’eau… et vous n’y arrivez

pas avec…

Il sort un garrot et l’enroule autour de la gorge de Clifford. Il tire sur les

deux poignées. Clifford est soulevé de sa chaise. Il essaie de glisser ses

doigts entre la corde et sa gorge mais n’y parvient pas. Il étouffe. Myra se

met à hurler.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 28

MYRA

Sidney ! Arrête ! Arrête !… Arrête !

SIDNEY

Ne bouge pas Myra ! Ne bouge pas ! Reste où tu es !

MYRA

Mon Dieu Sidney ! Arrête !

Clifford tente d’attraper la tête de Sidney derrière lui avec ses deux mains

toujours menottées. Sidney grimace tant il serre le garrot. Le fauteuil

tombe. Myra se cache le visage dans ses mains. Sidney tente d’éviter les

coups de pieds de Clifford qui se débat de plus bel. Une lampe tombe.

Clifford a réussi à attraper une des mains de Sidney et la tord. Du sang

coule de sa gorge. Myra gémit dans un coin. Sidney traîne Clifford devant la

cheminée. Clifford a les bras ballants, il pose un genou à terre, puis deux.

Sidney l’accompagne sans relâcher sa furieuse étreinte. Il n’y a plus de

doute, Clifford est mort. Sidney relâche le garrot. Il reste à genoux un

instant, puis il prend les poignets de Clifford (toujours attachés) et cherche

le pouls.

Myra sanglote et gémit.

Sidney se lève, il a le souffle court et tremble un peu. Il sort son mouchoir,

s’essuie les mains et le visage. Il regarde Myra. Il remet le fauteuil puis la

lampe en place. Il arrange l’abat-jour de la lampe, sans succès, ses mains

tremblent trop. Il les tient un moment pour qu’elles s’arrêtent. Puis il

prend la clef et s’accroupit pour démenotter Clifford. Il essuie les menottes

avec son mouchoir et le remet en place sur le mur puis revient près du

corps de Clifford. Il est allongé sur un tapis devant l’âtre de la cheminée.

SIDNEY

Pile sur le tapis… On ne pourra pas m’accuser de faire des saletés !

Il s’accroupit à nouveau et récupère le garrot toujours enroulé autour du

cou de Clifford et retourne une partie du tapis sur le cadavre. Il se lève,

essuie le garrot avec son mouchoir et croise le regard de Myra.

SIDNEY

J’ai l’impression que ton cœur a tenu le coup.

MYRA

A peine…

SIDNEY

Il ira se reposer sur la côte d’Azur. Après la Première… Et on va engager une

femme de ménage, tu n’auras plus rien à faire.… Et on va acheter une nouvelle

voiture aussi… une bonne vieille grosse Rolls Royce !

Il y a toujours du sang, avec son mouchoir, il frotte le garrot avec encore

plus de vigueur.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 29

MYRA

On va aller en prison.

SIDNEY

(Il jette son mouchoir dans la cheminée)

Un jeune-futur-auteur disparaît après avoir quitté la maison qu’il était sensé

garder. Les policiers ne vont même pas se déplacer.

Il va remettre le garrot en place sur le mur.

MYRA

En laissant toutes ses affaires. Et sa machine à écrire.

SIDNEY

Et alors ? Tu sais les jeunes aujourd’hui…

(Il descend en fond de scène)

Surtout les futurs auteurs… Peut-être a t-il réalisé qu’il n’avait aucun talent…

(Il prend l’enveloppe et le manuscrit relié)

Alors il est devenu altermondialiste…

(Il ouvre le manuscrit relié et déchire la première page et la jette).

Mieux ! Il a rejoint la secte des Raéliens…

(Il vide l’enveloppe et retire la première page de la copie)

MYRA

Qu’est-ce que tu vas faire de lui ?

SIDNEY

(Il examine l’intérieur de l’enveloppe)

L’enterrer. Derrière le garage. Non, plutôt dans le potager, ce sera plus facile.

Il ouvre le tiroir central du bureau et y glisse les deux manuscrits avant de

le fermer à clefs. Myra met sa tête dans ses mains, elle est anéantie. Sidney

réunit tous les papiers et l’enveloppe vide.

SIDNEY

Prends-toi un cognac ! ça te calmera !

Il va vers la cheminée, contourne le corps de Clifford, craque une allumette

et brûle tous les papiers. Il s’écarte et regarde Myra qui le fixe.

SIDNEY

Sidney Brown is back ! A partir de maintenant, tous nos très chers amis vont TE

voir dépenser MON argent ! Imagine un peu leurs têtes.

(Myra détourne le regard. Sidney va ouvrir les rideaux et ouvre les portes fenêtres en

grand. Il regarde dehors. )

Pleine lune ! Parfait !

(Il revient vers la cheminée et prépare le cadavre pour le transport.)

Je ferais pas ça tous les jours…

(Il retire sa veste, la pose sur une chaise, se frotte les mains)

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 30

Ça t’ennuierait de me donner un coup de main ?

(Elle le fixe et se détourne)

C’est fait Myra ! On ne peut plus revenir en arrière. Par contre on peut éviter que

je me colle un lumbago !

(Myra s’exécute)

Pendant que la lumière descend, Sidney attrape Clifford, enroulé dans le

tapis, par les épaules, Myra soulève les pieds. Ils progressent vers les

portes fenêtres. Sidney en reculant.

SIDNEY

Tu te rends compte… si ça avait été le petit gros !

NOIR

Scène 3.

La lumière monte. Myra est assise, un verre de cognac vide à la main. La clarté de

la pleine lune entre dans le bureau par les portes fenêtres toujours ouvertes.

Elle regarde son verre, se lève et va vers le bar-buffet. Elle se sert à nouveau.

Sidney apparaît dans l’entrée des portes fenêtres, s’essuie les pieds, retire la

poussière de son pantalon, et entre.

SIDNEY

J’en veux bien un double. Je me demande si j’ai pas pris froid, moi.

(ll sort son mouchoir de sa pochette de veston qui est resté sur le fauteuil de bureau

et s’essuie les mains)

Sans compter les ampoules, ma tendinite au coude et la douleur au bas du dos qui

ressemble fort à un début de lumbago.

(Il prend la veste et l’enfile).

Dans Assassin d’Enfants, le docteur Mannheim enterrait Teddy en quarante-cinq

minutes… maintenant, je sais combien de temps ça prend vraiment.

Myra retourne à sa place. Sidney remet sa pochette de veste en place et

ramasse la mauvaise clef des menottes.

SIDNEY

Il faut remplacer le tapis devant la cheminée… J’en ai vu des pas mal dans un

magasin près de la gare.

(Il met la clef dans sa poche, replace le fauteuil, remarque que Myra ne lui a pas

versé son verre. Il prend le verre de limonade sur le bureau et va vers le bar-buffet)

Oh, toi… j’ai l’impression que tu as quelque chose à me dire. Est-ce que tu

m’autorises - avant de prendre la parole – à me préparer le verre que tu ne m’as

pas servi et ensuite, si tu n’y vois pas d’inconvénient, j’irai m’assoir parce que j’ai

mal partout…

MYRA

Je t’autorise.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 31

SIDNEY

A la bonne heure.

(Il se rempli un verre, puis va s’assoir en s’étirant le dos et en se dégourdissant les

jambes. Il s’assoit, s’étire à nouveau pour être le plus confortable possible.)

Je t’écoute !

MYRA

(Après un temps)

Je serais heureuse de profiter de TON argent… mais pas du SIEN. Je sais que tu es

frustré et… embarrassé par notre situation financière, mais ça ne peut pas excuser

ce que tu viens de faire. Comment pourrions-nous profiter de ce succès quand

nous savons tous les deux que c’est SA pièce ! Je ne te comprends plus Sidney. Tu

es un étranger pour moi, et pas depuis cinq heures de l’après-midi. Mais depuis

toujours. Je réalise que tu es très différent de l’homme que je croyais connaître.

(Sidney est troublé)

Je ne suis pas d’accord avec toi, la police ne prendra cette disparition à la légère.

Il nous reste à espérer qu’ils ne trouveront rien de suspect quand ils viendront

nous interroger…

SIDNEY

Pourquoi viendraient-ils ? Il a disparu à Milford, nous sommes à Westport.

MYRA

Ils vont facilement remonter jusqu’à nous, il a eu ton adresse par l’université,

même s’il a menti pour le numéro de téléphone.

SIDNEY

S’ils viennent je leur dirai qu’il m’a écrit pour avoir des conseils. Il m’a écrit une

lettre insignifiante et j’ai répondu… ou pas, peu importe.

MYRA

(Elle se lève et va poser son verre sur le bar)

Dans un mois, si par chance nous n’avons pas été arrêtés, je veux que tu partes. On

aura quelques scènes devant nos amis – tu peux les écrire si ça t’amuse, des

scènes au sujet de l’argent par exemple, tu feras ça très bien – et ensuite tu

déménageras. J’aurais bien aimé que tu emportes le potager avec toi, mais c’est

impossible. Donc, tu me le rachèteras. Puisque tu seras bientôt riche. Tu me le

rachèteras avant la Rolls et tes voyages sur la Côte d’Azur.

(Sidney se lève et va vers elle. Elle est de plus en plus égarée)

Tu achèteras le potager et la maison et le terrain autour. Raymond ou Laury nous

aideront à convenir d’un prix raisonnable.

Elle se retourne, au bord des larmes. Il s’approche d’elle.

SIDNEY

Ma chérie, tu es encore sous le choc…

MYRA

Ne me touche pas !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 32

SIDNEY

Nous venons de vivre une expérience atroce toi et moi. Je suis terrifié à l’idée

d’être pris… Je n’arrive pas à croire que j’ai été assez fou pour faire une chose

pareille. Je donnerai la moitié de l’argent à des bonnes œuvres. Je te le jure ! Ne

prenons aucune décision aujourd’hui, je t’en supplie. Dans quelques jours, quand

nous serons redevenus nous même, les choses seront plus claires…

MYRA

Tu es toi-même ! Tu n’as jamais cessé de l’être ! Et moi aussi. Dans quelques

jours…

On sonne à la porte. Sidney s’immobilise. Myra désigne la porte du doigt.

MYRA

Vas-y : « il m’a écrit une lettre insignifiante monsieur l’inspecteur ! »

SIDNEY

C’est Laurence et Ralph. Ils vont nous assommer avec leur film !

MYRA

(Elle essuie son visage)

C’est sûrement Helga Dorp.

SIDNEY

Qu’est-ce que tu racontes !

(On sonne à nouveau.)

C’est Laurence et Ralph, merde ! On doit leur ouvrir ! ça va aller ? Tu devrais

monter, je leur dirai que tu…

MYRA

Non ! Je reste ici. Je veux te regarder avoir peur que je m’effondre !

On sonne encore. Sidney va vers la porte.

SIDNEY

J’arrive !... Qui est là ?

HELGA (off)

(Elle a un accent allemand)

Je suis voisine… dans maison des Mac Bain. Ouvrez s’il vous plait, il faut que je

parle à vous.

(Sidney se retourne vers Myra qui prend peur)

C’est urgent ! J’ai voulu appeler vous mais vous n’êtes pas dans annuaire ! Ouvre

s’il vous plait !

(Sidney va ouvrir la porte)

Je suis une amie de Paul Wyman. C’est urgent, ouvrez !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 33

SIDNEY

(Il ouvre)

Entrez, je vous en prie.

Helga Dorp entre. C’est une femme solide dans la cinquantaine, elle semble

au comble du désespoir. Elle s’est manifestement habillée à la va vite.

HELGA

Je suis désolée de venir si tardivement mais vous excuser moi quand j’aurai donné

explications !...

(Sidney referme la porte)

Ja, ja… c’est ça, je vois une pièce, un bureau, oui…

(Elle se tient la tête comme si elle ressentait une douleur).

Et de la douleur… de la douleur, beaucoup de douleur… ça vient de là…

(Elle s’approche de Myra, on dirait qu’elle veut la toucher mais n’y arrive, elle en est

comme empêchée)

Tellement de douleur !

SIDNEY

Nous ne sommes pas d’humeur blagueuse aujourd’hui, pardon mais…

HELGA

(Elle voit les armes au mur)

Ah! Encore de la douleur qui vient d’ici ! Mais pourquoi tant d’instruments de

douleur ici ?

SIDNEY

Ce sont des antiquités et des souvenirs de mes pièces. Je suis un auteur.

HELGA

Oui, oui, Sidney Brown. Paul m’a dit. Nous faisons livre ensemble.

SIDNEY

Mon épouse, Myra.

MYRA

Enchantée.

HELGA

Pourquoi vous avez tant douleur chère madame ?

MYRA

Non mais… non, je vais bien.

HELGA

Non non, je vois douleur en vous. Paul a dit pour moi ? Je suis Helga Dorp.

Je suis un grande voyante.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 34

SIDNEY

Un grande voyante, oui, il nous a dit. Mais nous…

HELGA

Ça fait quatre heures que je ressens une grande douleur venant d’ici… et même

plus fort que douleur ! Depuis la fin des informations à la télévision. Tiens à

propos je suis invitée semaine prochaine à la télévision, une émission sur le

voyance, vous regardez moi ?

SIDNEY

Mais oui, bien sûr ! On devrait le noter, Myra.

HELGA

Jeudi soir. Il y aura autre invité, je compris pas pourquoi, mais enfin… Je appelé

information téléphonique, vous êtes pas dans annuaire. Je appelé Paul pour avoir

votre numéro, mais Paul pas à la maison. Je vois lui dans endroit avec murs laqués

rouge en train de manger riz cantonnais avec baguettes. Mais j’arrive pas à savoir

où lui est. Alors j’ai appelé encore les informations pour demander numéro, je dis

« c’est très urgent, il me faut le numéro, je suis Helga Dorp, le grande voyante » et

la fille répond, « si vous êtes votante, alors vous avez qu’à deviner numéro ! »… Je

essayé mais je juste vu deux deux six… c’est début de tous les numéros, oui ? Alors

je préférer venir ici.

(Elle regarde Myra avec sympathie)

Parce que douleur est de plus en plus forte… c’est même plus grande que

douleur…

Elle fait le tour de la pièce une main sur le front.

Sidney et Myra échangent un regard anxieux.

MYRA

Plus grande que la douleur ?

HELGA

Oui. Quelque chose ici effrayant… Non, merci, ça pourrait interférer.

SIDNEY

De quoi ?

HELGA

Le verre que vous alliez me proposer. Je dois garder tête claire. Je ne bois jamais.

Ou alors quand images deviennent trop nombreuses, là je me saoule le gueule.

(Elle va près des armes, d’une main les caresse, l’autre toujours sur le front. Sidney et

Myra se figent quand Helga passe sur le garrot. Elle prend le poignard, le manipule,

ferme les yeux.)

… A été utilisée par belle femme brune. Mais elle faisait semblant.

SIDNEY

C’est incroyable ! C’était dans ma pièce Jeu Meurtrier ! L’actrice qui s’en servait

était une belle femme brune !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 35

HELGA

Sera utilisée à nouveau. Par autre femme. Pas pour un pièce… mais à cause de

pièce… (Elle ouvre les yeux) A cause de pièce, une autre femme va utiliser cette

couteau !

(Sidney et Myra la fixent. Elle remet la dague en place)

Vous devriez ranger ces objets.

SIDNEY

Vous avez raison. Bientôt je vendrai toute la collection. Je commence à en avoir

assez de toute façon.

HELGA

Ce sera peut-être trop tard… je n’aime pas rendre gens malheureux, mais quand

j’ai une vision, je dois parler, oui ?

SIDNEY

Pourquoi ? Vous n’êtes pas obligée. Vous êtes là pour vous reposer n’est-ce pas ?

Et puis vous êtes à l’étranger…

HELGA

Je dois parler ! Puisque Dieu m’a donné ce don, je dois parler ! Il y a danger ici.

Beaucoup danger.

(A Sidney) Pour vous…

(A Myra) Et pour vous. Je sens la mort dans cette pièce. Quelque chose qui appelle

la mort… qui apporte la mort… comme une piège mortel ! C’est correct le mot

piège mortel ?

MYRA

Oui…

SIDNEY

C’est le titre de la pièce sur laquelle je travaille. Il y a un mort dans la pièce, je

pense que c’est ça que vous avez dû… voir. Je travaille ici. A ce bureau.

HELGA

Peut-être…

(Elle tourne autour du bureau, le touche)

Mais je vois la vraie mort.

SIDNEY

J’essaie d’être le plus convaincant possible. Je joue les scènes pendant que je les

écris.

L’attention d’Helga est attirée par la chaise sur laquelle Clifford était assis.

Elle prend le dossier à deux mains, rejette sa tête en arrière. Myra tremble,

Sidney lui pose la main sur l’épaule.

HELGA

Homme… avec bottes… jeune homme !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 36

(Elle ouvre les yeux et fixe Sidney)

Dans cette bureau ! Il vous attaque !

(Ferme les yeux, secoue la tête)

Après c’est confus, très confus.

SIDNEY

… On va se méfier des hommes jeunes en bottes dorénavant, merci. On fera

comme au Japon, tout le monde laisse ses chaussures à l’entrée !

HELGA

Lui assis sur ce chaise et parle de… Diane !

SIDNEY

Il y a une Diane dans la pièce.

HELGA

Et deux autres personnes… Smith et… Colonna. Non ! C’est une seule personne.

Petite. Noir. Il y a un petite homme noir dans pièce, Smith Colonna ?

SIDNEY

Non, j’ai jamais entendu ce nom là.

HELGA

(Ferme les yeux)

C’est images très confusantes…

(Secoue la tête à nouveau)

Non ! C’est parti ! Je vois plus rien.

SIDNEY

Ben dites donc… c’était très impressionnant ! Tu trouves pas chérie ? La façon

dont vous avez deviné les noms des personnages de la pièce, et le coup du

poignard… fantastique !

HELGA

Souvenez-vous de ce que je dis : le poignard sera utilisé à nouveau, par femme, à

cause de pièce. Et jeune homme vous attaque. Ces deux choses, je suis certaine.

Tout le reste, confus.

(A Myra)

Douleur moins forte maintenant, oui ?

MYRA

Oui. Enfin… ça va, merci.

SIDNEY

Quel don extraordinaire ! Je dois dire que j’étais sceptique sur la voyance, mais là,

vous m’avez convaincu !

HELGA

Ça n’est pas toujours agréable d’avoir ce don vous savez.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 37

MYRA

Vous l’avez depuis longtemps ?

HELGA

Depuis toujours. Quand j’étais petite, je pouvais pas jouer à cache-cache… trop

facile. A Noël, mes parents n’emballaient pas les cadeaux, pourquoi gâcher du

papier ? Et adolescente, quand je sortais avec une garçon… quelle horreur, tout ce

qu’il voulait me faire !

SIDNEY

Voulez-vous le boire ce verre maintenant ? J’aimerais bien discuter plus

longtemps avec vous.

HELGA

Non, merci. Je dois rentrer maison. Venez dîner une soir, je vous raconterai toute

ma vie. Ça ferait bonne pièce de théâtre.

(A Myra)

Enfant, vous vivez dans une grande maison avec des volets jaunes, oui ?

MYRA

Oui ! Absolument !

HELGA

Toujours quand pleine lune, je suis en top forme !

(Elle serre la main de Myra)

Bon nuit.

MYRA

Bon… bonne nuit.

HELGA

(Elle s’assombrit, touche la joue de Myra)

Faites attention…

(Elle se tourne vers Sidney et prend sa main)

Vous aussi…

SIDNEY

Ne vous inquiétez pas ! Fini les bottes dans cette maison ! Allez, bon nuit !

HELGA

Bon nuit.

Helga va pour sortir, Sidney l’accompagne, elle se retourne et les pointe du

doigt, presque menaçante.

HELGA

Et souvenez-vous, jeudi prochain, je suis à la télévision !

Elle ouvre la porte et sort. Sidney ferme le verrou et revient dans la pièce.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 38

SIDNEY

Si c’est ça la grande voyante/parapsychologue, on est tranquille.

MYRA

Ça ne t’inquiète pas… toutes ses visions ?

SIDNEY

Non.

MYRA

On va se faire arrêter.

SIDNEY

Je ne vois pas pourquoi. Même en imaginant que la police débarque ici avec Helga

– ce qui est peu probable – qu’est-ce qui se passera ? Elle va lancer tout Scotland

Yard à la recherche d’un petit garçon noir avec des rubans encreurs à la place des

oreilles ?

MYRA

Elle l’a vu assis, dans ce fauteuil ! Elle l’a entendu parler !

SIDNEY

Oui, mais elle a vu l’inverse de ce qui s’est passé !

(Il la prend par les épaules)

Demain je balance ce fauteuil et tout sera terminé. Dans une semaine tout ça sera

de l’histoire ancienne.

(Myra s’éloigne)

… Myra, je ne sais pas ce qui m’a pris… je l’ai imaginé… lui… si jeune… si heureux…

avec sa pièce qui fait le tour de tous les producteurs de Broadway… Attends un

peu avant de prendre une décision… avant de jeter le vieil auteur… Et surtout je

t’en supplie, ne te sens pas obligé d’utiliser ce poignard !

(Myra se détourne, elle ne trouve pas ça drôle)

C’est une blague, pardon… C’est l’autre là avec ses images « confusantes »… Cela

dit, la femme de ménage a intérêt à avoir de solides références.

MYRA

Vends cette collection.

SIDNEY

T’as raison.

(Il va vers le mur)

Je vais la vendre… Mais pas tout de suite. Ce serait louche.

(Il prend le poignard à la main et joue avec)

Incroyable quand même… ça fait dix-huit ans et elle est encore imprégnée de la

présence de Tania.

MYRA

Range-la quelque part.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 39

SIDNEY

(Il ouvre un tiroir du bureau et range le poignard)

Voilà ! Y a plus de poignard !

(Il éteint la lampe de bureau)

MYRA

Tu sais… peut-être qu’au fond de moi j’espérais que tu allais le faire… et en même

temps j’étais horrifiée à l’idée que tu le fasses… Moi aussi j’ai vu l’argent, et ton

nom sur l’affiche…

Sidney va la rejoindre et la prend dans ses bras.

SIDNEY

Tu as essayé de m’en empêcher… tu as fait tout ce que tu pouvais. Je suis le seul

coupable, moi et personne d’autre. Tu m’as aidé à transporter le corps parce que

je te l’ai demandé… Tu étais… trop bouleversée, trop choquée pour réagir… Si par

malheur les choses devaient mal tournées, c’est ainsi que ça s’est passé, et pas

autrement.

(Il lui soulève le menton et l’embrasse sur la bouche)

Mais tout ira bien. Dans quelques semaines on fêtera le succès d’un auteur à

succès… qui fera pâlir d’envie tous les auteurs à succès.

(Elle sourit vaguement ; il l’embrasse rapidement à nouveau)

Allez, on ferme et on va se coucher.

(Il va éteindre une lampe)

Tu crois que le crime peut être un aphrodisiaque ? Mauvaise nouvelle pour les

producteurs de gingembre ! Et pour le ministère de la Justice… sans compter le

Aaaaaah !

Il se met à hurler car au moment où il ferme les rideaux des portes

fenêtres, Clifford lui saisit le bras. Couvert de terre, il entre dans la maison

et brandit un tisonnier. Il essaie de défoncer le crâne de Sidney. Myra est,

immobile, paralysée de terreur. Dans la lumière tamisée, on voit la gorge

ensanglantée de Clifford. Sidney tente de se protéger avec son bras libre.

Clifford lui fait une clé avec l’autre bras et force Sidney à aller vers le

bureau et à poser sa tête dessus. Clifford frappe la tête ainsi posée avec le

tisonnier jusqu’à ce que Sidney ne bouge plus. Myra gémit, elle balbutie

des choses incohérentes. Clifford frappe encore Sidney puis s’arrête, prend

une grande respiration, et se retourne pour marcher vers Myra.

MYRA

Non ! Non ! Je vous en supplie ! Il ne savait pas ce qu’il faisait !

Clifford s’approche et brandit le tisonnier.

MYRA

J’ai voulu l’arrêter !

Elle se protège de son bras avant de s’effondrer dans un fauteuil, haletante,

suffocante, elle se tient la poitrine. Elle se fige un instant, Clifford est prêt à

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 40

la frapper. Les yeux de Myra se révulsent, elle glisse lentement le long du

fauteuil pour s’écrouler par terre. Clifford ne bouge pas. Il l’observe un

instant puis s’agenouille, le tisonnier toujours menaçant. Il attrape le

poignet de Myra. Puis il tâte la gorge. Il baisse son tisonnier et se relève, la

regarde une dernière fois et prend une grande respiration.

CLIFFORD

Elle est morte ! Complètement morte !

Sidney se relève du bureau. Se recoiffe et arrange sa veste. Puis vient à côté

de Clifford et regarde le corps de Myra.

CLIFFORD

Ça a marché.

SIDNEY

Evidemment que ça a marché. Elle a eu des attaques pour moins que ça.

Il regarde le corps de Myra avec tristesse. Clifford regarde Sidney avec

sympathie puis s’éloigne en mettant sous le bras son faux tisonnier. Il

prend un mouchoir, essuie la terre sur son visage et le faux sang de sa

gorge. Sidney soupire en regardant Myra et en se frottant le dos et l’arrière

de la tête.

SIDNEY

Fais attention la prochaine fois, le polystyrène, ça peut faire très mal!

T’as frappé beaucoup plus fort qu’à l’hôtel.

CLIFFORD

C’est le trac de la première… et de la dernière.

Sidney prend le tisonnier de sous le bras de Clifford et va vers les portes

fenêtres.

CLIFFORD

Si ça peut te consoler, c’est pas très agréable de se faire étrangler.

Sidney ouvre les rideaux, sort puis revient sans le tisonnier mais avec le

tapis roulé. Il referme les portes.

CLIFFORD

Et cette Helga Dorp ! C’est moi qui ai failli avoir une crise cardiaque, planqué

dehors.

SIDNEY

(Il referme les rideaux)

J’étais pas loin, moi aussi.

Il déroule le tapis devant la cheminée et le remet en place.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 41

CLIFFORD

Bizarre qu’elle m’ait vu en train de t’attaquer, non ?

SIDNEY

Elle est à côté de la plaque, elle t’a vu te servir d’une arme.

CLIFFORD

C’est le garrot qui lui a brouillé ses visions.

SIDNEY

Imaches très confusantes !

(Il sourit à Clifford)

Il t’en reste sur le nez.

(Il essuie le nez de Clifford puis va vers le bureau).

C’est pas plus mal qu’elle soit venue, finalement. Elle va raconter à tout le monde

qu’elle avait vu la douleur de la crise cardiaque.

(Il allume la lampe de bureau, range un peu)

Ça tombe bien. Je répète à tout le monde que Myra ne se sent pas très bien en ce

moment… Tout concorde, c’est parfait.

CLIFFORD

Je vais chercher mes affaires.

SIDNEY

On a le temps. Je ne vais pas appeler le médecin tout de suite. On ne sait jamais, il

serait capable de la ressusciter. Ce serait dommage.

CLIFFORD

Et si madame Dorp débarque à nouveau ?

Sidney met le garrot accroché au mur dans un tiroir du bureau et remplace

celui du mur par un garrot similaire.

SIDNEY

Pourquoi ? C’est fini, y a plus de « grande douleur ».

CLIFFORD

T’as raison.

SIDNEY

Fais attention, tu mets des saletés partout.

(Il prend le poignard dans le tiroir et l’accroche au mur. Puis il ouvre le tiroir central

et prend les manuscrits)

Je vais peut-être pas les brûler tout de suite, ça prendrait trop de temps.

CLIFFORD

Pourquoi les brûler ? Ce sont des vieux trucs sans intérêt.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 42

SIDNEY

Oui, t’as raison, on pourra s’en servir de brouillon… Non, on s’en fout, allez je les

balance.

(Il les jette dans la cheminée et allume)

Je dirai que j’étais en train de mettre de l’ordre dans mes affaires quand « une

attaque soudaine et inattendue a terrassé ma tendre épouse ».

CLIFFORD

Plus tu restes proche de la vérité, mieux ça vaut.

SIDNEY

Tu es un puits de sagesse mon petit Cliff !

(Ça brûle)

Adieu Piège Mortel… Si seulement tu étais un vrai chef d’œuvre !

CLIFFORD

On pourrait mettre mon bureau ici.

SIDNEY

Attends, j’ai une surprise pour toi.

CLIFFORD

Tu m’as installé dans la buanderie ?

SIDNEY

Pas du tout ! Tu vas travailler ici, dans ce magnifique cabinet de travail, comme

promis.

CLIFFORD

C’est quoi ta surprise ?

SIDNEY

Tu verras. Après les obsèques…

(Il va vers sa machine à écrire)

Je te présente ma Zenobia. Elle la vitesse de la lumière… Epatante la voyante qui

trouve le nom de ta machine à écrire, même si elle s’est trompée, c’est épatant.

CLIFFORD

Je vais me mettre au travail très vite.

SIDNEY

Sur l’idée dont tu m’as parlée ?

CLIFFORD

Non. Une autre. J’ai envie d’écrire une pièce sur un bureau d’aide social, le bureau

d’aide social d’une grande ville.

SIDNEY

Un polar ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 43

CLIFFORD

Non. Je commence à en avoir marre des polars. J’aimerais bien essayer quelque

chose de plus authentique. De plus réaliste.

SIDNEY

(Il fouille dans sa poche et en sort les clefs de la voiture)

Quelle horreur, je vais faire comme si je n’avais rien entendu. Tiens…

(Il lui donne les clefs)

Va chercher tes affaires dans la voiture, je vais appeler le médecin.

CLIFFORD

Ok.

Il sort en laissant la porte ouverte.

Sidney prend le téléphone et compose un numéro. Il est adossé au bureau

et regarde le corps de Myra. Il change d’expression.

SIDNEY

Allô ? Allô ?... Est-ce que le docteur est là ?... Sidney Brown B.R.O.W.N… Pouvez-

vous lui demander de m’appeler le plus vite possible s’il vous plait, c’est très

urgent. Ma femme a eu une crise cardiaque, je suis très inquiet… Deux deux six,

trois, zéro quatre neuf.

Il raccroche et soupire.

Clifford franchit la porte d’entrée avec deux sacs de voyage, une raquette

de tennis et une grande valise. Il pose tout ça.

CLIFFORD

Je prendrai le reste demain. Et j’ai laissé ma machine à écrire dans la voiture.

Il lance les clefs, Sidney les rattrape.

SIDNEY

Le petit monsieur Colonna.

CLIFFORD

C’était drôle ça aussi !... Il arrive ?

SIDNEY

J’ai laissé un message.

CLIFFORD

D’accord…

(Il prend sa valise et sa raquette)

Bon, je te vois plus tard. T’en as pour combien de temps ?

SIDNEY

J’en sais rien. Deux heures. Je vais peut-être devoir aller… avec elle, je sais pas.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 44

CLIFFORD

Ok, allez, ciao.

SIDNEY

Ciao !

(Ils s’embrassent sur la bouche. Clifford s’éloigne.)

Eh ! Cliff !

CLIFFORD

Oui ?

SIDNEY

Le plancher craque méchamment là-haut. Méfie-toi. Prends une douche rapide et

après, au lit et tu bouges plus.

CLIFFORD

Ça marche.

Il sort côté escalier.

Le téléphone sonne. Sidney décroche. Il attend une seconde pour se mettre

dans le « personnage ».

SIDNEY

Allô ? Oui… oui, j’ai très peur. Je lui ai fait du bouche à bouche pendant 10 ou 15

minutes mais…

(Il devient un mari éploré)

Sans résultat… Elle ne bouge plus docteur… ça faisait déjà plusieurs jours qu’elle

n’était pas bien, j’ai voulu vous appeler mais elle a refusé, elle disait que c’était

juste le temps qui…

NOIR.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 45

ACTE II

Scène 1.

Quand le rideau se lève, Clifford est au travail, Sidney ne fait rien. Ils sont assis

face à face, à un double bureau, Sidney à cour, Clifford à jardin. Le bureau de l’acte

I n’est plus là. Les rideaux sont grands ouverts et laissent entrer une belle lumière

du matin. Clifford tape frénétiquement sur sa vieille machine à écrire Smith-

Corona, il est en chemise et porte des bottes. Sidney, avachit sur sa chaise, feint la

nonchalance, il porte un gilet. Une feuille de papier blanche attend sur sa machine

Zenobia.

Parfois, Clifford s’arrête juste un instant pour réfléchir intensément puis repart

sur sa machine. Sidney a de plus en plus de mal à le supporter. Il baille, renifle, se

racle la gorge. Il finit par écrire un mot sur sa machine, il prononce chaque lettre

silencieusement :

SYDNEY

M. E. R. D. E.

Clifford retire la dernière de sa machine, la regarde un instant avant de la

poser sur le manuscrit et de corriger avec un crayon.

SIDNEY

Il s’en passe des choses dans ton bureau d’aide sociale, dis donc.

CLIFFORD

Oui ! Chaque personnage a un destin singulier. La pièce est construite autour de

ces destins.

SIDNEY

Pas d’intrigue, pas de coup de théâtre, pas de rebondissement ?

CLIFFORD

C’est pas un polar. Il s’agit de « vrais gens » qui racontent de « vraies histoires ».

SIDNEY

Fais voir quelques feuilles…

CLIFFORD

Je préfère te le donner à lire quand ce sera fini. Ça t’embête ?

SIDNEY

Non, pas du tout. A la vitesse où tu vas, t’auras fini dans cinq minutes.

CLIFFORD

(Il regarde Sidney avec sympathie)

Et toi ? T’es bloqué ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 46

SIDNEY

Je réfléchis.

CLIFFORD

Oui, c’est ça, t’es bloqué.

On sonne à la porte, Clifford veut se lever, Sidney l’arrête d’un geste de la

main.

SIDNEY

Non ! Ce serait dommage d’interrompre ce flot créatif !

Sidney se lève pour ouvrir. A la porte : Pierre Milgrim, business man dans

la cinquantaine en costume avec un cartable à la main. Clifford continue à

taper à la machine pendant la scène.

SIDNEY

Pierre ! C’est sympa de te voir ! Entre, je t’en prie.

Ils se serrent la main.

PIERRE

Bonjour Sidney, tu vas bien ?

SIDNEY

Ça peut aller je te remercie.

Ils entrent.

PIERRE

Il y a deux trois choses dont je voulais te parler, je te dérange ?

SIDNEY

Pas du tout,

Pierre retire son manteau et le donne à Sidney.

Clifford arrête de taper et se lève pour venir saluer Pierre.

SIDNEY

Je te présente Clifford Anderson… Clifford, voici Pierre Milgrim, un ami.

PIERRE

(Ils se serrent la main)

Enchanté.

CLIFFORD

Enchanté.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 47

SIDNEY

Je pourrais dire « mon avocat », mais il risque de m’envoyer sa facture

d’honoraires.

PIERRE

Je te l’enverrai quand même, je suis venu aussi pour affaire.

SIDNEY

Clifford est un des élèves de mon séminaire de juillet dernier. Il cherchait du

travail, je l’ai engagé comme secrétaire.

CLIFFORD

C’est une chance de pouvoir travailler pour quelqu’un comme monsieur Brown.

PIERRE

(Découvrant le double bureau)

Regarde-moi ça ! C’est une merveille !

SIDNEY

Un double bureau.

PIERRE

Tu l’as trouvé où ?

SIDNEY

A Wilton. La semaine dernière. C’est mieux que d’encombrer la pièce avec deux

bureaux.

PIERRE

Ça a dû te couter bonbon.

SIDNEY

Je peux le déduire de mes impôts, tu crois ?

PIERRE

Sûrement. C’est ton instrument de travail. Il faut qu’Elisabeth le voie, elle va

adorer.

SIDNEY

Comment elle va ?

PIERRE

Bien.

SIDNEY

Et les filles ?

PIERRE

Tout va très bien.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 48

CLIFFORD

Je vais aller faire quelques courses pour ce soir, vous serez plus tranquilles pour

discuter.

Sidney regarde Pierre qui fait un discret « oui » de la tête.

SIDNEY

Ça ne te dérange pas ?

CLIFFORD

Il fallait que je sorte de toute façon.

SIDNEY

Je vais te donner un peu d’argent.

(A Pierre)

J’arrive tout de suite.

PIERRE

Prends ton temps ! Pour l’instant, c’est encore amical.

Sidney va dans une autre pièce.

Clifford sourit en retirant la feuille de sa machine à écrire.

Pierre prend son cartable.

PIERRE

J’adore cet endroit.

CLIFFORD

Moi aussi. C’est un plaisir de travailler ici.

Il met son manuscrit dans une chemise.

PIERRE

Il a l’air d’aller bien.

CLIFFORD

Oui. Il va mieux. Depuis quelques jours, ça va mieux.

(Il met la chemise dans un tiroir qu’il ferme discrètement)

La première semaine a été atroce. Je l’entendais pleurer toutes les nuits… et puis il

buvait. Beaucoup.

PIERRE

Ouais…

CLIFFORD

Mais il s’en sortira. Grâce à son travail, il s’en sortira.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 49

PIERRE

Sûrement… vous avez raison. J’ai toujours envié les auteurs… J’ai essayé d’écrire

une pièce une fois.

CLIFFORD

Ah bon ?

PIERRE

Oui.

CLIFFORD

Et alors ?

PIERRE

… J’ai compris que je resterais avocat.

Sidney revient avec un portefeuille.

SIDNEY

Vingt, ça ira ?

CLIFFORD

Largement. Il faut une salade et du lait. Je vais aller chez Lemieux.

SIDNEY

Prends des yaourts aussi. N’importe quoi, sauf à la prune !

CLIFFORD

A tout à l’heure ou alors, à la prochaine. Enchanté en tous cas.

PIERRE

A bientôt, j’espère.

Clifford sort.

PIERRE

Très sympathique. Et beau garçon.

SIDNEY

Oui… tu crois qu’il est gay ?

PIERRE

… Non. J’ai pas l’impression, non.

SIDNEY

Je me demande s’il est pas gay… Enfin, l’important c’est qu’il fasse correctement

son boulot.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 50

PIERRE

Tu as raison. Ça ne te regarde pas.

SIDNEY

J’avais besoin de quelqu’un pour recommencer à travailler. Les gens auraient…

parlé, si j’avais engagé une femme.

PIERRE

Surtout si elle avait eu moins de 80 ans.

SIDNEY

C’est pour ça que j’ai préféré faire appel à Clifford.

PIERRE

Tu travailles sur quoi ?

SIDNEY

Une pièce sur la voyance. Helga Dorp… tu connais ? Elle habite chez les Mac Bain,

juste à côté.

PIERRE

Oui je sais. Dis-moi, on raconte que… elle a pointé exactement l’endroit où Myra

s’est effondrée.

SIDNEY

Mais non, pas du tout ! Absolument pas ! Elle a dit qu’elle était malade du cœur et

lui a conseillé de consulter… Ce que je répétais à Myra depuis des semaines, du

reste.

PIERRE

(Il reprend son cartable)

C’est incroyable de pouvoir sentir toutes ces choses… je suis sûr que tu vas écrire

un polar formidable là-dessus.

SINDEY

Ça avance pas mal.

Pierre jette un coup d’œil à sa montre et ouvre son cartable.

SIDNEY

Ah, ça y est, la conversation est tarifée.

PIERRE

Il est urgent que tu t’occupes de ton testament. Au jour d’aujourd’hui, s’il t’arrivait

quelque chose, c’est ton cousin du Vermont qui hériterait de ta fortune. Tu veux

sans doute prendre d’autres dispositions.

SIDNEY

Je sais pas. Il faut que j’y réfléchisse.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 51

Pierre sort quelques feuilles de son cartable.

PIERRE

Vaudrait mieux, oui. Voici une estimation - à quelques milliers de dollars près – de

ce qui te revient.

SIDNEY

(Il regarde les feuilles. Il est surpris)

Je ne savais pas qu’il y avait autant d’argent…

PIERRE

Myra ne te disait pas tout. Elle s’occupait très bien de ses affaires, tout est

parfaitement en ordre.

SIDNEY

Combien il faudra laisser aux impôts ?

PIERRE

Pas tant que ça en fait. Elle a bien fait les choses.

SIDNEY

Mmm…

PIERRE

Si tu veux vendre la maison ou les terres, il faudra attendre quelques mois que la

succession soit réglée.

SIDNEY

Bien sûr.

Sidney range les papiers dans le bureau. Pierre regarde sa montre.

PIERRE

On a déjà fini… Tu vois, c’était pas si terrible.

SIDNEY

J’ai de la chance aujourd’hui.

PIERRE

Comment ça se passe ? Tu dictes et il écrit ?

SIDNEY

Non, non. Je tape moi-même. Et après, il retape tout avec les corrections. Il

s’occupe du courrier aussi.

PIERRE

C’est ce qu’il était en train de taper quand je suis arrivé ? Du courrier ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 52

SIDNEY

Non, il écrit sa pièce à lui.

PIERRE

Ah oui, il était à ton séminaire, c’est vrai.

SIDNEY

Il l’a commencée hier et la finira sans doute demain.

Sidney s’attend à ce que Pierre s’en aille mais il ne bouge pas.

PIERRE

J’espère qu’il ne t’a pas volé ton idée sur la voyante. Tu lui en as parlé ?

SIDNEY

Qu’est-ce qui te faire dire ça ?

PIERRE

Il a mis sa pièce dans le tiroir et l’a fermé à clef. Discrètement, mais je l’ai vu.

Sidney réfléchit un instant puis va vers le bureau du côté de Clifford, il

essaie d’ouvrir le tiroir du centre. Il est fermé.

SIDNEY

Mmm

PIERRE

Au fond, c’est peut-être lui qui a peur que tu lui voles son idée.

SIDNEY

Y a peu de chance. Un bureau d’aide sociale… les joies et les misères d’une

poignée de crève la faim, merci beaucoup.

Il essaie d’ouvrir le tiroir à nouveau.

PIERRE

Peut-être qu’il a l’habitude de tout mettre sous clef.

(Sidney tapote nerveusement sur le bureau)

Bon ! Il faut que j’y aille. Je dois à être dans le New Jersey à midi…

(Pierre va prendre son manteau, l’enfile. Sidney l’accompagne et tient son chapeau)

Le chèque de l’assurance-vie est arrivé ?

SIDNEY

Pas encore.

PIERRE

Je vais les relancer.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 53

SIDNEY

(Donne le chapeau)

Oui, je veux bien.

PIERRE

Tu viendras dîner un soir à la maison ?

SIDNEY

Dans une semaine ou deux, quand j’aurai retrouvé un peu de force.

Il ouvre la porte d’entrée.

PIERRE

On fait comme ça. Fais attention à toi.

SIDNEY

Toi aussi… Et embrasse Elisabeth…

PIERRE (off)

J’y manquerai pas !

SIDNEY

… Et les filles.

Il reste un moment sur le pas de la porte. Puis, la referme. Il entre, fonce

vers le bureau, considère le tiroir fermé. Prend des clefs, en essaie une,

sans succès, une seconde, pas mieux. Il réfléchit, tourne autour du bureau

et prend une autre clef dans le tiroir de son côté. Il revient du côté Clifford,

essaie la clef, toujours pas.

SIDNEY

Merde !

Il remet la clef dans son tiroir. Puis il va vers le mur où sont accrochées les

armes et décroche une espèce de stylet. Il revient vers le bureau et tente de

forcer la serrure, assis sur le fauteuil de Clifford.

SIDNEY

Allez, vas-y, putain…

Sans résultat. Vaincu, il remet le stylet en place. Il a une idée : il retire un

des tiroirs à côté du tiroir fermé et tente de glisser son bras pour en

attraper le contenu. Il gémit, souffle. Manifestement sa main est coincée. Il

veut la retirer, il n’y arrive pas.

SIDNEY

Ah merde ! Merde !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 54

Il commence à paniquer, il est coincé. Il regarde la porte d’entrée avec

angoisse. Il tire aussi fort qu’il peut et se dégage enfin. Il s’est blessé au

doigt qu’il porte à sa bouche. Il remet le tiroir voisin enlevé violemment, il

est en rage. Il entend du bruit, cours à la porte pour écouter puis se

précipite vers le bureau vérifier que tout est en place. Il retourne vers les

portes fenêtres qu’il entrouvre. Il revient à son bureau, sort des papiers,

met les choses en désordre pour faire croire qu’il est en plein travail. Il

pose une pile de feuille en évidence de son côté. Clifford entre, il a des sacs

remplis à la main.

SIDNEY

T’as fait vite !

CLIFFORD

Je suis juste allé chez Lemieux, c’est pas loin.

Il ferme la porte derrière lui. Sidney le rejoint, tout sourire.

SIDNEY

Tiens, donne. Je m’en occupe.

CLIFFORD

Non, c’est bon, t’inquiète pas.

SIDNEY

(Il prend les sacs)

Tu fais les courses, je range, c’est normal ! Retourne à ton bureau d’aide sociale !

Sidney va avec les sacs dans la cuisine.

Clifford sort la monnaie de sa poche et la dépose dans une coupe, sur un

meuble.

CLIFFORD

La monnaie est dans la coupe…

(Il retire sa veste)

Et les courgettes sont bio !

Sidney répond quelque chose que l’on ne comprend pas.

Clifford sort une clef de sa poche, s’asseoit à son bureau, et ouvre son

tiroir. Il prend son dossier et referme le tiroir. Il prend la dernière feuille

du document, la parcourt rapidement, puis la place sur le rouleau de sa

machine à écrire et commence à taper.

SIDNEY (off)

Cliff ?

(Clifford arrête de taper.)

Tu peux venir me donner un coup de main ?

Clifford se lève et sort vers la cuisine.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 55

Sidney entre précipitamment par les portes fenêtres. Il va vers le bureau et

échange les deux piles de feuilles.

CLIFFORD (off)

T’es où ?

SIDNEY

(Il sort une petite bouteille de bière de sa poche)

Et toi ?

Il revient vers l’entrée de la cuisine.

Clifford apparaît par les portes fenêtres.

CLIFFORD

Ah, t’es là !

SIDNEY

Je te cherchais. Je pensais que tu n’avais pas entendu.

(Il lui tend la bouteille)

J’ai besoin de ta force légendaire.

CLIFFORD

Une bière ? Déjà ?

Clifford dévisse la capsule.

SIDNEY

Oui, je sais pas ce qui me prend, j’ai envie d’une bière ! Attention, je l’ai un peu

secouée.

CLIFFORD

(Il lui tend la bouteille et la capsule)

Si t’y arrives pas, prends un ouvre-bouteille.

SIDNEY

On peut ?

CLIFFORD

Ben bien sûr.

Clifford sort un mouchoir pour s’essuyer et Sidney repart dans la cuisine.

SIDNEY

… Je pensais que quand ça se dévisse… on pouvait pas utiliser de…

Il est sorti.

Clifford reprend sa place devant sa machine à écrire. Il relit sa dernière

phrase et recommence à taper.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 56

Sidney revient, se verse lentement et avec gourmandise la bière dans un

verre. Clifford tape à nouveau comme un dément.

Sidney s’assied à son bureau, admire la belle couleur de son verre de bière.

Il trempe ses lèvres. Il savoure… C’est parfait. Il attrape la pile de feuille sur

son bureau, prend une autre gorgée, et commence à lire. Son expression

change radicalement. Il manque de s’étrangler. Il tourne une page, c’est

pire ! Il jette un rapide coup d’œil à Clifford qui est tout à son travail. La

consternation de Sidney grandit page après page. Il feuillette le document,

on peut lire sur ses lèvres des « c’est pas vrai »… « c’est pas possible ».

Clifford ne s’aperçoit de rien. Sidney reste un instant les yeux fermés,

immobile, puis il se redresse et fixe Clifford. Celui-ci enlève la feuille de sa

machine et prend un crayon pour corriger. Sidney ne le quitte pas des yeux

et finit sa bière.

SIDNEY

Donc, tu veux plus écrire de polars…

CLIFFORD

(Concentré)

Mmmm…

SIDNEY

(Il boit une gorgée)

Fini les intrigues, les rebondissements, les assassins…

CLIFFORD

Mmmm…

SIDNEY

Tu veux faire quelque chose de vrai ! Du théâtre engagé !

CLIFFORD

(Il sourit)

Arrête s’il te plait… Tu vas finir par y arriver, j’en suis sûr.

SIDNEY

Ouais, t’as raison.

CLIFFORD

Concentre toi… Et me fixe pas comme ça, j’y suis pour rien.

Sidney reprend le document, le pose sur ses genoux et commence à lire.

SIDNEY

« Piège Mortel. Polar en deux actes. »

(Clifford le toise. Sidney lui sourit et tourne la page)

« L’action se déroule dans la maison d’un auteur de théâtre, à Westport dans le

Connecticut. »

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 57

Il tourne la page.

CLIFFORD

Tu m’as volé mon…

SIDNEY

(Il l’interrompt en criant)

« Le décor ! Un bureau, c’est une grande pièce, sans doute l’ancienne grange d’une

imposante maison coloniale, avec poutres apparentes. Des portes coulissantes au

centre, nous font découvrir l’entrée principale de la maison…

(Il les montre)

… avec le salon, la cuisine et une amorce d’escalier qui monte à l’étage. Au mur,

des affiches de théâtre et une collection d’objets et d’armes comme des menottes,

des pistolets, des masses, des haches… »

(Il ferme le document et fixe Clifford)

Autant d’armes dont je vais faire usage dans peu de temps !

CLIFFORD

Pourquoi tu t’arrêtes ? Va jusqu’au bout !… Et ensuite, laisse-moi t’expliquer.

SIDNEY

Pas besoin de m’expliquer ! Tu es complètement dingue !

CLIFFORD

Je veux la même chose que toi Sidney : un succès !

SIDNEY

C’est ça ton succès ?

CLIFFORD

Je l’ai compris l’autre soir. Je te l’ai dit quand tu cherchais la clef des menottes !

C’est une idée géniale pour un polar !

SIDNEY

Un polar dans lequel toi et moi, on provoque une attaque cardiaque qui tue Myra,

c’est ça ton idée ?

CLIFFORD

Oui. A la fin de l’acte 1.

SIDNEY

Quelle est ta définition du mot « succès » ? te faire violer dans les chiottes d’une

prison fédérale ?

CLIFFORD

… Je savais que tu aurais des réticences…

SIDNEY

Des réticences ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 58

CLIFFORD

C’est pour ça que je t’ai menti en prétendant écrire autre chose. Mais je ne veux

pas te mentir Sidney, je suis content qu’on se soit parlé.

SIDNEY

Tu écris une pièce qui va nous mener tout droit en prison ! Et tu me demandes si

j’ai des « réticences » ?… Tu te rends compte de ce que tu es en train de faire

espèce d’imbécile ?

CLIFFORD

Personne ne pourra jamais prouver ce qui a provoqué la crise cardiaque de Myra !

Personne ! Si je pouvais changer les personnages, je le ferais, mais je ne peux pas !

Seul un auteur peut prétendre recevoir la pièce parfaite !

SIDNEY

Et pourquoi pas un compositeur, un romancier ?… Mais pourquoi je discute avec

toi !

CLIFFORD

Une symphonie qui ferait un tabac ? Mais non ! Et où un compositeur trouverait

un garrot qui fait gicler du faux sang ? Comment il ferait pour mettre en scène un

faux meurtre ? Il faut que ce soit un auteur de théâtre ! Un auteur de polars !… Si

tu veux je change la ville, je mets Wilton au lieu de Wesport…

SIDNEY

Y a pas que la ville qu’il faut changer !

CLIFFORD

C’est trop tard Sidney ! La pièce existe déjà !

SIDNEY

Les pièces existent le jour où un connard d’auteur la signe ! Pas avant !

CLIFFORD

Clame-toi et réfléchis, s’il te plait ! Essaie d’imaginer la scène du point de vue du

spectateur… Tout ce que nous avons fait pour convaincre Myra qu’elle était le

témoin d’un vrai meurtre, aura le même effet sur le spectateur. On a joué une

pièce ce soir là, on l’a écrite, on l’a répétée, et Myra a été notre premier public !

SIDNEY

Tu es complètement cinglé !

CLIFFORD

Reconnais que c’est un premier acte exceptionnel !

SIDNEY

Oui ! Et pour nous, l’entracte dure vingt cinq ans.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 59

CLIFFORD

Encore une fois, personne ne peut prouver que c’est vraiment arrivé ! Comment le

pourrait-il ?

SIDNEY

Et si un journaliste te demande : la femme Sidney Brown a bien eu une attaque le

jour où vous êtes allé chez lui, n’est-ce pas ?

CLIFFORD

… No comment !

SIDNEY

Eh bien moi j’ai un « comment » : c’est absolument hors de question ! J’ai encore

un nom et une réputation - un peu défraîchie, je te l’accorde - mais encore

suffisamment solide pour me faire inviter aux soirées de Premières ou pour

donner des séminaires à l’université. Je veux finir ma vie en tant que « auteur de

Jeu Meurtrier », pas comme « le pédé qui a zigouillé sa femme » !

(Il se retourne vers la cheminée)

Oh regarde ! Une cheminée en pierre, elle est sûrement utile pour y brûler des

papiers !

(Il va vers la cheminée avec les papiers à la main)

CLIFFORD

(Il hurle)

Attention Sidney !

(Sidney s’arrête)

Si tu fais ça je quitte cette maison et je vais écrire ma pièce ailleurs !

(Il va vers Sidney)

Donne-moi ça… Donne-moi ça Sidney !

(Sidney lui donne)

Je t’ai aidé à tuer Myra pour avoir la chance de réaliser mon rêve. Et personne ne

m’arrêtera ! Je voulais te convaincre de travailler avec moi mais puisque c’est

impossible…

SIDNEY

… Une collaboration ?

CLIFFORD

C’était ton idée après tout… et je sens bien que ce premier acte est encore un

peu… maladroit… On pourrait former un duo… Brown et Anderson.

SIDNEY

Ça sonne bien…

CLIFFORD

Ah ! Tu vois !

SIDNEY

Il est hors de question de collaborer sur ce projet… Je suis désolé.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 60

CLIFFORD

Ce sera le succès de la prochaine saison ! Tu es prévenu !

(Sidney est perturbé. Clifford, le dossier à la main, réfléchit)

Il vaut mieux que je parte !

SIDNEY

Pourquoi ?

CLIFFORD

Helga dit qu’une femme va utiliser le poignard à cause d’une pièce de théâtre…

elle était peut-être pas si loin de la vérité.

SIDNEY

Ne sois pas ridicule… Je t’aime. Je ne te ferai jamais aucun mal… En plus, j’ai

aucune chance, tu es plus fort que moi !

CLIFFORD

C’est vrai ! Mais ça va être compliqué de travailler ici, si tu es contre le projet.

SIDNEY

Je ferai comme si j’étais pas au courant…

(Clifford feuillette son manuscrit)

Tu as peut-être raison au fond… je suis sûrement un peu… coincé…

CLIFFORD

Mais bien sûr ! Les temps ont changé, aujourd’hui, on peut faire ce qu’on veut…

Tout le monde s’en fout !

SIDNEY

Et je serais pas contre partager les droits du succès de la prochaine saison…

CLIFFORD

Et n’oublie pas l’adaptation cinéma !

SIDNEY

Pierre m’a donné le montant approximatif de la fortune de Myra… c’est encore

moins que je ne pensais. Vingt deux mille dollars… dont la moitié partent aux

impôts. Restent la maison et les terres, mais je ne peux toucher à rien jusqu’à ce

que le testament soit validé. Ce qui, selon lui, peut prendre deux à trois ans.

CLIFFORD

Aïe.

SIDNEY

Et sur l’assurance vie… presque rien.

CLIFFORD

Mon offre tient toujours.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 61

SIDNEY

Moi aussi, tu sais, je me suis dit que le coup du manuscrit envoyé par la poste ça

ferait un bon départ de pièce.

CLIFFORD

Evidemment ! C’est ton idée Sidney ! Moi, je t’ai juste aidé à fignoler quelques

détails, c’est tout.

(Sidney s’interroge. Ils sont maintenant assis face à face. Clifford lui rend la pile de

feuilles vierges. Sidney le prend et sourit.)

… Et c’est une idée géniale !

SIDNEY

Impossible à ouvrir ton tiroir ! C’est Pierre qui m’a fait remarquer que tu l’avais

fermé à clef. J’étais convaincu que tu m’avais volé l’idée de la voyante.

CLIFFORD

Et moi j’étais convaincu de jouer mon rôle à merveille.

SIDNEY

Il est intelligent ce Pierre… Très ennuyeux, mais intelligent…

(Clifford relit sa dernière en souriant. Sidney hésite encore.)

J’accepte ! On s’en fout des autres ! T’as raison ! Ils peuvent dire ce qu’ils veulent !

Ça m’empêchera pas d’avoir un compte en banque bien rempli !

CLIFFORD

T’es sérieux ?

SIDNEY

Brown et Anderson ! Ça sonne de mieux en mieux !

CLIFFORD

Génial ! Tope là !

(Ils serrent la main.)

Je vais mettre Wilton à la place de Westport !

SIDNEY

Laisse Westport ! Qu’est-ce que ça peut foutre !

CLIFFORD

J’arrive pas à la croire ! Moi, Clifford Anderson, je travaille avec Sidney Brown !

SIDNEY

Ça c’est la fin du premier acte.

CLIFFORD

… Le deuxième acte va être plus difficile.

SIDNEY

Non, pourquoi ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 62

CLIFFORD

Le meurtre a lieu au premier acte, deux meurtres plus exactement. Qu’est-ce qui

va se passer au deuxième ?

SIDNEY

J’ai quelques idées…

CLIFFORD

(Il met une feuille dans la machine à écrire)

Il faut un inspecteur de police ! Le cinquième personnage, c’est l’inspecteur !

SIDNEY

Inspecteur Hubbard !

CLIFFORD

Il arrive quand ?

SIDNEY

Continue à travailler sur le premier acte… Je m’occupe du second !

Clifford lui sourit. Il commence à taper. Sidney le regarde avec tristesse et

commence à réfléchir intensément pendant la lumière tombe.

NOIR.

Scène 2.

Quand la lumière remonte, Clifford a une nouvelle chemise. Il est en train

d’aligner une épaisse pile de feuilles. Il semble satisfait. La machine à écrire de

Sidney est recouverte d’une housse. La pièce, dans la pénombre, est calme. La

lampe de bureau et l’ampoule extérieure du perron, sont les seules sources de

lumière. On entend le vent qui souffle dehors. A travers la porte vitrée, on

aperçoit une lampe de poche qui s’approche. Puis, on frappe à la porte. Clifford

pose sa pile de papier et se dirige vers la porte alors qu’on frappe à nouveau.

HELGA

(Qui s’éclaire à travers la porte avec sa lampe de poche)

Monsieur Brown ?… Je être Helga Dorp !

Clifford allume une lampe du salon et ouvre les portes fenêtres.

CLIFFORD

Entrez !… Monsieur Brown n’est pas là.

HELGA

(Avec imper et fichu)

J’ai traversé bois. C’est moins à marcher.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 63

CLIFFORD

(Qui referme les portes)

Il ne devrait pas tarder.

HELGA

Et vous être qui ?

CLIFFORD

Son secrétaire. Clifford Anderson.

HELGA

(Lui tend la main)

Moi je être Helga Dorp ! Je suis un voyante.

CLIFFORD

Je sais. Monsieur Brown m’a parlé de vous. Je crois que vous aviez prédit la mort

de son épouse, c’est ça ?

HELGA

Ja… Ja… pauvre femme, avait beaucoup de douleur… juste là.

(Elle désigne sa poitrine)

Très triste… Une si gentille dame… Monsieur Brown être bien ?

CLIFFORD

Oui, très bien. Il est sorti dîner. C’est la première fois depuis… Il m’a dit qu’il serait

de retour à 10 heures et il est déjà une heure moins le quart.

HELGA

Il va avoir gros orage ! Beaucoup de vent, des éclairs, du tonnerre ! Des arbres

vont tomber !

CLIFFORD

Vous êtes sûre ?

HELGA

Oui ! Ils ont dit à la météo !

(Elle retire son fichu)

Je suis venue emprunter bougies ! Vous avez bougies ? Il n’y a pas chez moi !

CLIFFORD

Je ne sais pas… sûrement. Je vais aller voir ça. Asseyez-vous, je vous en prie.

HELGA

Merci.

(Clifford cherche. Helga va pour s’asseoir puis se redresse.)

Vous portez bottes !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 64

CLIFFORD

(Après un temps)

Oui !… C’est la mode en ce moment. Et c’est très confortable.

HELGA

Vous secrétaire de Monsieur Brown depuis longtemps ?

CLIFFORD

Non ! Je suis ici depuis… trois semaines. Juste après la mort de Madame Brown.

(Helga se détourne, inquiète).

Je vais aller chercher vos…

Il est interrompu par Sidney qui ouvre la porte d’entrée. Il allume une

lumière dans l’entrée et éteint celle du perron. Un imper au-dessus d’un

costume cravate. Il ferme la porte.

SIDNEY

Salut ! Quel ennui cette soi…

CLIFFORD

Bonsoir monsieur Brown ! Madame Helga Dorp est ici !

Ils s’échangent un regard.

SIDNEY

Ah ! Quelle bonne surprise !

HELGA

Bonsoir monsieur Brown…

SIDNEY

(Ils se serrent la main)

Comment allez-vous ?

HELGA

Très bien.

SIDNEY

Vous avez eu mon mot ?

HELGA

Ja… merci.

SIDNEY

Je tenais à vous remercier pour votre lettre. Et pour les fleurs.

CLIFFORD

Avez-vous des bougies ? Il va y avoir un orage et madame Dorp voudrait en

emprunter quelques unes, au cas où.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 65

SIDNEY

Oui ! J’ai des bougies quelque part… Je crois que Myra les rangeait au dessus du

réfrigérateur, sinon, sur une étagère dans la buanderie.

(Clifford sort les chercher. Sidney va accrocher son manteau dans l’entrée.)

Une boite en carton… grise.

Je vous ai vue l’autre soir à la télé… ça n’a pas été un franc succès, n’est-ce pas ?

(Mais Helga lui fait signe de s’approcher)

Que se passe-t-il ?

HELGA

(Elle chuchote)

Moi devoir vous prévenir ! Homme en bottes dangereux ! Lui, vous attaquer !

SIDNEY

(Après un petit temps, avant de comprendre)

Oh mon Dieu !… Avec tout ce qui s’est passé, j’ai complètement oublié ce que vous

m’aviez dit au sujet des bottes !

Le vent souffle dehors.

HELGA

C’est lui ! Je n’ai pas besoin bougies ! J’ai plein bougies ! Mais ce soir, je sens

danger à nouveau dans cette maison ! Et dans cette pièce, j’ai sentiment très fort

de danger ! Vous devez pas rester seul avec lui !

SIDNEY

Eh ben, c’est extraordinaire ce que vous me dîtes là, parce que imaginez vous que

j’ai pris la décision de le renvoyer ce soir ! J’en ai parlé avec mon avocat, et je lui ai

demandé de s’occuper des démarches pour…

HELGA

Aïe !

(Elle désigne la machine de Clifford)

Smith Corona !… C’est sa… ?

SIDNEY

Ja ! Oui !

HELGA

Mais bien sûr ! Corona, pas Colona ! C’est pour ça que je voyais un homme noir qui

s’appelle azertyuiop… Vous devez renvoyer jeune homme ce soir !

SIDNEY

Mais j’allais le faire ! J’allais lui signifier son renvoi ce soir ! Et je ne risque pas de

changer d’avis après ce que vous venez de me dire… Vous l’avez vu m’attaquer ?

Vous êtes sûre ?

HELGA

Comme je vous vois vous, là !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 66

SIDNEY

Entrez Clifford !

Il entre hésitant, avec un boite de bougies à la main. Il la donne à Helga qui

évite son regard.

HELGA

Merci. Je prends que deux.

SIDNEY

Prenez-en autant que vous voulez.

HELGA

Non, non, deux c’est assez !

CLIFFORD

On dirait que ça souffle vraiment dehors !

HELGA

Ja !… Parfois le météo a raison.

(Chuchotant)

Vous voulez je reste ?

SIDNEY

(Idem)

Inutile.

(Fort)

J’espère que vous arriverez avant la pluie.

HELGA

Je traversé bois, c’est moins à marcher !

(A Clifford)

Bonne soirée.

CLIFFORD

Bonne soirée.

Sidney ouvre les portes fenêtres.

SIDNEY

Il fait nuit noire ! Vous allez retrouver votre chemin ?

HELGA

Ja !… J’ai un lampe de poche !

SIDNEY

Alors bonne soirée.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 67

HELGA

Ah !

Helga s’arrête et se retourne, surprise.

SIDNEY

Quelque chose ne va pas ?

Sidney et Clifford échangent un regarde inquiet. Helga est comme pétrifiée.

HELGA

Ma fille est enceinte ! Aaaaah ! ça fait tellement longtemps qu’ils essaient ! Ils sont

allés voir tellement de docteurs ! Je vais devenir enfin mère-grand ! Danke schön

mein liebe gott !… Il faut que je appelle ma fille pour lui annoncer bonne nouvelle !

Elle sort rapidement.

Sidney ferme les portes et les rideaux.

CLIFFORD

Elle t’a dit que j’étais l’homme avec les bottes qui allait t’attaquer, c’est ça ?

SIDNEY

Oui !

CLIFFORD

Elle les a remarquées juste avant que tu arrives. Je peux le retirer si tu préfères.

SIDNEY

Pas la peine. Mais je vais quand même rester vigilant…

CLIFFORD

J’ai fini le premier acte.

Il désigne un tas de feuilles sur le bureau.

SIDNEY

Ah bon ?… T’as dû passer une soirée plus intéressante que la mienne.

Sidney regarde les dernières pages.

CLIFFORD

Je finis avec Julian au téléphone…

SIDNEY

(Il lit avec une moue dubitative)

« Comment vais-je pouvoir vivre sans elle ? »

CLIFFORD

Oui… il veut faire croire au médecin qu’il est brisé, non ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 68

SIDNEY

Mmm…

(Il repose les feuilles)

Le dialogue est un peu à l’eau de rose mais sinon, c’est ça ! Et moi… j’ai le

deuxième acte.

CLIFFORD

Génial !

Un éclair illumine la pièce.

SIDNEY

Enfin, j’espère ! Il y a deux problèmes à régler, tu vas voir, mais si jamais ça

fonctionne, j’ai toutes les scènes… Et c’est plein de rebondissements.

CLIFFORD

J’ai hâte !

Le tonnerre éclate.

SIDNEY

Tu veux pas aller voir si les fenêtres sont fermées ? J’ai l’impression que ça va

cogner ce soir !

CLIFFORD

(Il y va)

Combien de scènes ?

SIDNEY

Trois ! Comme dans l’acte un !

(Clifford est sorti)

J’aime la symétrie !

Sidney enlève sa veste, et la pose délicatement sur le dossier du fauteuil.

Un éclair. Il va vers la cheminée, prend un pistolet, le pointe et fait

semblant de tirer. Puis, à la lumière d’une lampe, il retire le cran de

sécurité et repose l’arme de façon à ce qu’elle soit facile à saisir. Des

éclairs, du tonnerre et le bruit de la pluie qui tombe. La tempête est de plus

en plus violente tout au long de la scène. Sidney regarde autour de lui,

semble satisfait, se frotte les mains, ajuste sa ceinture et attend, tendu.

Clifford revient.

CLIFFORD

Toutes les fenêtres sont fermées.

SIDNEY

Parfait !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 69

CLIFFORD

C’est quoi les problèmes à régler ?

SIDNEY

C’est dans la scène finale. Willard a vendu la mèche à notre inspecteur Hubbard et

il vient chez Julian pour l’arrêter. Julian, qui perd complètement les pédales, tire

sur l’inspecteur et le blesse au bras gauche. Mais comme il n’y a qu’une seule balle

dans le pistolet, il va vers le mur où se trouve les armes pour prendre de quoi

achever l’inspecteur. A ton avis, est-ce qu’un inspecteur, en bonne forme

physique, mais qui n’a qu’un seul bras, peut arriver à bout d’un auteur d’âge

moyen qui a encore ses deux bras ?… Essayons. Moi, je fais Julian, toi, Hubbard.

CLIFFORD

Mon bras gauche est foutu…

SIDNEY

Foutu ! T’es prêt ?

CLIFFORD

Prêt !

Sidney va vers le mur, Clifford, avec un bras, tente de l’en empêcher.

Sidney se dégage assez facilement.

SIDNEY

C’est tout ?

CLIFFORD

Ça suffit pas ?

SIDNEY

Même pas pour une pièce amateur ! Vas-y ! Plus fort !

Ils recommencent. Sidney se dégage à nouveau.

SIDNEY

… Ça va pas…

CLIFFORD

J’ai peur de déchirer ta chemise.

SIDNEY

On va devenir riches et célèbres, Clifford, n’ayons pas peur de sacrifier une vieille

chemise !

CLIFFORD

C’est pas le metteur en scène qui doit régler ce genre de problème ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 70

SIDNEY

Quand on est un auteur professionnel, on donne un manuscrit où tout est

plausible, tout est réaliste. Il me semble l’avoir dit à mon séminaire. Brown et

Anderson ne feront pas exception à la règle ! On recommence !

Ils recommencent à nouveau. Cette fois c’est une vraie lutte. Ils

s’exclament, râlent, pestent. Sidney arrive malgré tout à s’échapper et va

vers le mur.

SIDNEY

Yes ! Ça marche !

CLIFFORD

(Qui retrouve ses esprits)

Regarde ta chemise… Je t’ai griffé le cou, je crois.

SIDNEY

Je survivrai. Le deuxième point, moins fatigant et plus simple…

CLIFFORD

Tant mieux.

SIDNEY

Cette fois je suis l’inspecteur Hubbard et toi, Julian. Va près du mur.

Prends la hache.

(Clifford prend la hache et la tient à deux mains)

Ça fait pas naturel comme ça…

CLIFFORD

Ah bon ? Pourtant… c’est comme ça que je ferais…

SIDNEY

Essaie autrement.

Il essaie de plusieurs façons, ça n’est pas concluant.

CLIFFORD

Non… c’était mieux avant, je trouve.

SIDNEY

D’accord, alors reviens comme avant.

(Il s’exécute et attend)

Maintenant, pose la par terre…

(Un peu surpris, Clifford obéit. Sidney prend le pistolet qu’il avait posé sur la

cheminée et vise Clifford)

Et ne bouge plus… parce que c’est le moment de prendre congé…

(Clifford est stupéfait)

Voilà, Piège Mortel c’est terminé.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 71

Bienvenue dans la vraie vie ! C’est le même pistolet que dans le film « Le Doigt sur

la gâchette »… Tu le reconnais ?… Sauf que cette fois, ce sont de vraies balles. Je

les ai mises hier soir, pendant que tu dormais. Finalement, j’ai pas très envie de

l’écrire cette pièce. Même si – tu as raison – on ne pourrait rien prouver, je suis

résolument trop « coincé » pour faire face à ce genre de scandale. D’autant que tu

risques de te débarrasser de moi un jour ou l’autre… J’ai demandé à Pierre de

vérifier tes antécédents, comme on dit, et il a trouvé quelques petites

malversations… Largement de quoi justifier ton licenciement immédiat. Je suis

rentré, je t’ai signifié ton renvoi, tu es devenu agressif et violent, si bien que la

vision de notre chère Helga Dorp s’est avérée juste. Grâce au ciel, j’ai retrouvé ce

pistolet - pour lequel j’ai un permis en bonne et due forme, je te rassure - et dont

je me suis servi pour me défendre. C’est pas mal, non ? Je suis sincèrement désolé

Clifford, mais j’ai peur que tu sois atteint par la maladie du polar… une maladie

étrange qui te rend prêt à tout sacrifier pour une bonne histoire… Je n’avais pas

imaginé qu’on puisse être malade à ce point… On aurait pu faire un beau duo…

Brown et Anderson… tant pis… ce sera juste Brown… J’ai fini ma réplique… A toi.

CLIFFORD

Qu’est-ce que veux que je te dise ? Je ne vais pas te supplier…

SIDNEY

Non, mais… j’avais imaginé que tu me jures de tout abandonner pour devenir

plombier !

CLIFFORD

Tu m’aurais cru ?

SIDNEY

Non.

CLIFFORD

… Il ne me reste plus qu’à espérer que tu auras pitié de ma jolie frimousse…

SIDNEY

Tu vas me manquer tu sais… Sincèrement, tu vas vraiment me manquer… Je

t’aime… Adieu Clifford !

CLIFFORD

Adieu Sidney !

Sidney hésite un instant puis tire.

Clifford n’a pas bougé.

CLIFFORD

J’ai pensé que ce serait plus dramatique avec le bruit de la détonation alors j’ai

acheté des balles à blanc… J’en ai profité pour acheter des vraies balles pour celui

là…

(Et il prend un pistolet accroché au mur avec lequel il menace Sidney)

Assis-toi mon petit vieux !

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 72

(Sidney est pétrifié à son tour, il ne bouge pas)

Assis j’ai dit ! La surprise, le rebondissement… l’art du coup de théâtre, c’est toi

qui m’as appris ça ! Baisse ton arme.

(Sidney obéit)

Mon problème tu comprends, c’est que j’avais un premier acte formidable, mais je

n’arrivais pas à trouver le second. Très frustrant. Surtout quand on côtoie un

grand maître du polar comme toi… l’auteur de Jeu Meurtrier et de L’instinct de

Mort, que je considère, du reste, plus élégant dans sa construction.

SIDNEY

Nous sommes deux.

CLIFFORD

(Il prend une paire de menottes sur le mur)

Alors, profitons-en, on ne sera pas deux très longtemps…

(Il tend les menottes à Sidney)

Je t’en prie…

SIDNEY

Tu me pries de quoi ? De les mettre ?

CLIFFORD

S’il te plait, oui.

Sidney, de mauvaise grâce, passe un anneau autour de son poignet. Clifford

recule un peu.

SIDNEY

Qu’est-ce que tu comptes faire ?

CLIFFORD

Jubiler, encore un moment… Attache les menottes à l’accoudoir, ne fais pas

l’imbécile… Voilà.

(Sidney s’exécute. Clifford s’assoit sur le bord du bureau.)

Voilà donc quel était mon problème : Sidney ne veut pas m’aider à écrire la pièce,

en tous cas pas de son plein gré. Je m’en suis douté tout de suite. Sidney utilise

trois déodorants différents selon l’heure de la journée, quatre lotions capillaires

selon le taux d’humidité, non… il ne voudra pas faire de scandale. Mais peut-être y

a-t-il un moyen d’exploiter ce cerveau fécond sans qu’il s’en aperçoive ? Alors,

j’écris le premier acte. Et à chaque fois que je quitte le bureau, je ferme le tiroir à

clef, l’air de rien. Tellement « l’air de rien », que Sidney, pourtant si malin, ne le

remarque pas. C’est Pierre, pourtant si ennuyeux, qui s’en aperçoit. Ouf ! Merci

Pierre, sinon, je me serais abaissé à laisser traîner une feuille par inadvertance…

SIDNEY

T’es une merde ! Tu le sais ça ?

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 73

CLIFFORD

(Il lève le pistolet à la hauteur du visage de Sidney)

Tu veux bien répéter ça dans le micro s’il te plait ?

Et voilà donc, Brown et Anderson… J’écris, pendant que Sidney réfléchit. Et il

réfléchit Sidney, j’ai à peine réussi à fermer l’œil la nuit dernière avec toutes ses

allées et venues… C’est pas grave, j’aurai tout le loisir de dormir plus tard. En tous

cas, merci pour le deuxième acte… Pas d’inspecteur Hubbard. C’est l’avocat de

Julian le cinquième personnage. Et Julian finira par tuer Willard… un jeune garçon

innocent qu’il aura corrompu.

SIDNEY

Salopard !

CLIFFORD

Mais Inga Von Brock et le gentil Pierre débarquent ! Elle a eu de mauvaises

vibrations toute la nuit. Willard, mourant, a juste la force de tout avouer au sujet

de Doris et du reste. Julian se suicide. Rideau !

SIDNEY

… C’est tout ?

CLIFFORD

Oui !

SIDNEY

Pas de scène trois ?

CLIFFORD

Pour quoi faire ? Ils sont morts, la pièce est finie !

SIDNEY

C’est pas terrible… Je veux bien y réfléchir encore un peu, si tu veux.

CLIFFORD

Non, merci. Je m’en sortirai tout seul.

(Il glisse son arme dans sa ceinture et fouille dans la veste de Sidney sur le dossier du

fauteuil de bureau)

Il faut que je prépare mes affaires et que j’appelle un taxi. Tu m’excuses, je vais

t’emprunter un peu d’argent…

(Il prend des billets qu’il empoche. Puis il prend les clefs des menottes sur le mur et

les empoche également)

Avant de partir, je te donnerai les clefs. Tu diras à tout le monde que tu m’as

donné mon congé et que je l’ai accepté poliment. Si tu racontes que je t’ai volé ou

si tu me mets des bâtons dans les roues… tu le regretteras, fais-moi confiance.

(Un éclair. La lumière s’éteint, hésite, puis revient.)

T’as vu ça ? On dirait un vrai polar, on s’y croirait, non ?

Allez. A bientôt.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 74

Clifford va vers l’entrée et les escaliers. On ne le voit plus. Sidney se

débarrasse des menottes et prend une petite arbalète sur le mur. Il l’arme

et se précipite à la poursuite de Clifford. Il vise vers le haut.

SIDNEY

Cliff ? C’était celle là les menottes d’Houdini !

Et il tire. On entend un coup de feu, puis le pistolet qui tombe. Puis, on

entend Clifford qui tombe à son tour, une partie de son corps apparaît à

vue. Sidney, qui s’était mis à l’abri du coup de feu, s’approche de Clifford et

ramasse le pistolet, puis va le remettre sur le mur.

La lumière descend puis revient, mais pas complètement.

Sidney pose l’arbalète près de là où il était assis, remet les menottes en

place, et l’arme (chargé à blanc) qu’il a utilisé au préalable, sur le mur. Il est

fébrile. Il va vers l’entrée, saisit le corps de Clifford et le traine dans le

salon, près de la hache. La flèche de l’arbalète a transpercé la poitrine de

Clifford. La lumière descend encore pendant que Sidney met Clifford dans

la position souhaitée.

SIDNEY

(Il s’adresse à une lampe)

Encore un petit effort la lumière s’il te plait… j’en ai plus pour longtemps !

(La lumière remonte un peu)

Voilà, merci.

Sidney retourne au bureau, prend une pile de feuilles de papier et les jette

dans la cheminée. Devant la cheminée, il cherche des allumettes.

La lumière s’éteint.

SIDNEY

Merde !… Des allumettes ! Où sont les allumettes ? Merde !

Des éclairs et le tonnerre, l’orage gronde.

Dans le noir, quelqu’un craque une allumette et allume une bougie.

HELGA

C’est ça vous cherchez, monsieur Brown ? Du feu ?… N’ayez pas peur Sidney. Je

suis là pour vous aider… Vous être mis dans des sales draps, je crois, non ?

SIDNEY

J’ai l’impression, ma chère Helga, que nous sommes tous les deux dans de sales

draps.

HELGA

Qu’est-ce que vous allez faire ? Me tuer ?… C’est mon tour, c’est ça ? D’abord

madame Brown, car c’est bien vous qui avez tué elle, n’est-ce pas ? Puis, le jeune

homme et maintenant…

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 75

SIDNEY

Vous vous trompez Helga. C’est lui qui a tué Myra. Puis ce soir, il a essayé de me

tuer.

HELGA

Alors pourquoi vous voulez brûler preuves ?

SIDNEY

Vous n’y êtes pas Helga. Ce ne sont pas des preuves, c’est un manuscrit, une pièce

de théâtre.

HELGA

Une pièce de théâtre ? Elle parle de quoi ? De meurtres ?… Ça va m’amuser, je

veux bien la lire.

Sidney prend le poignard dans le tiroir du bureau. (Celui qu’il avait rangé

là dans Acte I, scène 3)

Helga prend un pistolet sur le mur d’accessoires. Elle vise Sidney.

HELGA

Vous n’arriverez pas tuer moi avec cette joli poignard, Sidney.

SIDNEY

… Ni vous avec ce pistolet, Helga… parce qu’il n’est pas chargé. C’est un accessoire

de théâtre… Essayez si vous ne me croyez pas.

Elle se rapproche lentement de Sidney.

HELGA

Je peux essayer en tirant sur vous, par exemple.

SIDNEY

… Si vous voulez…

HELGA

Si le pistolet pas chargé, pourquoi je vois tellement de peur dans vos yeux ?

Elle s’approche toujours et enjambe le corps de Clifford qui se soulève, il

n’est pas mort. Il attrape la jambe d’Helga et la fait tomber. On entend

l’arme qui tombe.

Noir.

SIDNEY

J’ai entendu un pistolet tomber… Je me trompe Helga ? Vous avez lâché le pistolet

hein, Helga ?

Lumière.

Deathtrap/Piège Mortel.

09 09 16 Adaptation G sibleyras. 76

Ils luttent. Lui, avec son poignard, elle, avec son pistolet. Chacun tient

l’arme de l’autre. Sidney prend le dessus. Il arrache le pistolet des mains de

Helga. Il tourne le dos à Clifford.

SIDNEY

Reculez Helga ! Reculez !

Helga recule. Sidney la menace. Clifford a saisi la hache qu’il abat sur

Sidney.

Noir.

Lumière.

Nous sommes au théâtre, c’est la première Piège Mortel, une pièce de

Helga Dorp.

PIERRE

(en Brown) Merci d’être venu à cette représentation de Piège mortel. Je tiens à

remercier celle qui est à la fois notre metteur en scène et notre auteur, et qui –

pour ses débuts sur les planches – nous éblouit chaque soir dans son

interprétation : madame Helga Dorp.

FIN.