Thème :Du traitement de la culpabilité par le droit ... · pénale, le droit pénal coutumier...

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1 Thème :Du traitement de la culpabilité par le droit coutumier, quelle est sa conception et sa base Par : Jean Salem Israël Marcel KAPYA KABESA Assistant à la faculté de DROIT UNIVERSITE DE LUBUMBASHI Numéro téléphone : 0811959142 Mail : [email protected] Numéro du sujet : II/4 Lubumbashi, 10 Avril 2008

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Par : Jean Salem Israël Marcel KAPYA KABESA

Assistant à la faculté de DROITUNIVERSITE DE LUBUMBASHI

Numéro téléphone : 0811959142

Mail : [email protected]

Numéro du sujet : II/4

Lubumbashi, 10 Avril 2008

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INTRODUCTION

Le traitement de la culpabilité en droit coutumier nous

ramène à l’idée de la sanction dans les sociétés primitives

historiquement organisées et le régime juridique applicable selon les

règles ou les normes coutumières préétablies.

En effet, à l’exception des crimes les plus graves qui

requièrent l’intervention du chef coutumier ou de la tribu, le droit

coutumier était civil et son régime de sanction se rapprochait de

l’arbitrage plutôt que de la punition tant que le dommage était réparé

aussi pleinement que possible.

Quelle est alors la conception de la culpabilité ? La

conception de la culpabilité dans les sociétés sous l’empire de la

coutume était différente selon telle catégorie d’individus à telle autre. Il

faut reconnaître que le droit coutumier étant un droit sacro mystique

et se manifestait également à travers un droit magico-religieux, il en

résulte que le régime de la sanction était le reflet des coutumes dans

lesquelles ce droit trouve sa raison d’être et s’exprime en celles-ci.

Pour le peuple habitant le long de la rive entre le Lac Moëro

(au Katanga) et la rivière Luapula (le Balamba, c’est-à-dire, les

riverains), par exemple, le vol d’un œuf était une atteinte grave à la

morale et quiconque se rendrait coupable d’un tel délit serait

punissable d’une peine aussi grave et lourde car, considérait comme

un voleur qualifié.

En effet, le délit de fornication entre jeunes gens, ne

consistait pas dans le marchandage sexuel mais plutôt de la

sympathie des uns et des autres, mais par contre, celui qui, pour la

première fois, aura découvert la nudité d’une fillette pubère et qui

tenterait de coucher avec elle avec écoulement de sang se rendrait

coupable de viol avec paiement des dommages intérêts à la famille

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concernée pour défloraison et paiera la valeur des biens consacrés au

paiement de la dot1 en du mariage2.

Il serait nécessaire de préciser que la conception de la

culpabilité était l’apanage de celui qui alléguait un fait d’en apporter

une preuve (actori incubit probatio) et celle-ci devait être administrée

par une équipe des notabilités du chef mandaté à cet effet.

La base de la culpabilité en droit coutumier se manifestait

dans le sens de la solidarité du groupe dans lequel l’individu se trouve

inclus et qui incarne sa position sociale dans la croyance de la

coutume en vigueur dans une région par rapport à une autre.

Ainsi, par exemple, l’adultère répété avec une femme du

chef pouvait entraîner la peine de mort, mais le plus souvent, le

tribunal s’en tenait à des mutilations (notamment, ablation des

oreilles, des mains ou des yeux ou encore ablation de la verge).

La peine de mort, de l’exécution de laquelle le chef ne

pouvait jamais être témoins, pouvait être appliqué dans les cas

suivants :

- le crime de sorcellerie : l’individu accusé et convaincu après

épreuve ;

- l’homicide injustifiable ou plutôt justifié par une raison

condamnable ;

- l’adultère répété avec une femme du chef.

1 La dot : valeur des biens en argent ou en nature que le fiancé donne à la famille de sa fiancée ou ses parents.Cette solde marque l’alliance entre les deux familles. La loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la familleen son article 363 dispose que « pas de mariage sans dot ».2 Mariage : acte public, solennel et consensuel pour lequel un homme et une femme s’engagent jusqu’au décèspour une commune destinée et perpétuel l’espèce (article 33 du code de la famille).

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PREMIERE PARTIE : LA CONCEPTION DE LA CULPABILITEEN DROIT COUTUMIER, SA CONCEPTION ET SA BASE

Section I. DE L’ORIGINE DU DROIT COUTUMIER CONGOLAISAvant de circonscrire l’évolution historique du droit

coutumier dans notre arsenal juridique, il convient de remonter dans

le temps. En effet, à l’époque de l’Etat Indépendant du Congo, (E.I.C.)

en sigle, c’est l’ordonnance du 14 mai 1886 du Roi souverain qui avait

reconnu l’existence du droit coutumier congolais, elle disposait en ces

termes : « quand la matière n’est pas prévue par un arrêté ou une

ordonnance déjà promulguée, les contestations qui sont portées à la

compétence du Congo seront jugées d’après les coutumes locales ».

La charte coloniale du 18 octobre 1908, dans son article 4,

alinéa 2 disposait que les indigènes non immatriculés du Congo Belge

jouissent des lois qui leur sont reconnues par la législation de la

colonie et par leurs coutumes ni à la législation, ni à la loi publique

coloniale.

De même, l’arrêté de 1938 dans son article 18 indiquait que

‘’les tribunaux indigènes appliquent la coutume pour autant qu’elle ne

soit contraire à l’ordre public universel (3).

Plus proche, la Constitution du 05/04/2003, en son article

149 dispose également que « les cours et tribunaux civils et tribunaux

civils et militaires appliquent la loi et les actes réglementaires ainsi que

la coutume pour autant que celle-ci soit conforme à l’ordre public et

aux bonnes mœurs ».

I.2. LE FONDEMENT JURIDIQUE DU DROIT COUTUMIERAlors que le droit pénal écrit se fonde sur la sanction

pénale, le droit pénal coutumier congolais se fondait plutôt sur la

solidarité qui sublime la vie, et plus exactement la force vitale du

(3) A. SOHIER, Répertoire général de la jurisprudence et de la doctrine coutumière du Congo et du Rwanda- Burundi jusqu’au 31/12/1953, Ed. F. LARCIER, Bruxelles, 1987, p. 23 et suivant

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groupe et de l’individu dont la déstabilisation et la désagrégation

quand on en est privé – vident toute substance à l’individu comme au

groupe et les exposent à tous les aléas. Aussi, priver un individu de

cette solidarité constitue-t-il la sanction pénale la plus grave qu’on

puisse lui infliger ? 4).

Le Professeur KAMPETENGA estime que le droit coutumier

est, comme tout droit basé sur les personnes dans leurs

responsabilités juridiques en tant que personne physique (individu) ou

que personne morale (parentale, lignage, clan).

Mais, comme le dit M’BALE KEBA (5), il faut tout de même

reconnaître avec le Major G. S. ORDRE BROWN que ‘’le droit

coutumier était civil plutôt que pénal’’ et que tout délit, à l’exception

des crimes les plus graves et les plus exceptionnels, était sanctionné

par un système qui se rapprochait de l’arbitrage plutôt que de la

punition tant que le dommage causé était réparé aussi pleinement que

possible, d’autres sanctions n’étaient pas prévues.

De même, a écrit A. SOHIER (1954), ‘’tout manquement du

droit que la conscience réprime au point d’estimer qu’il ne doit pas

entraîner uniquement la réparation du tort causé à la victime, mais

encore un châtiment même si ce châtiment n’est pas infligé par les

représentants officiels de la société, mais par un particulier autorisé

par elle. C’est la vengeance privée quand elle est exercée par un

particulier ou son groupement, la peine quant à elle est prononcée par

les tribunaux. La vengeance ou la peine se distingue de la réparation

civile en ce qu’elles n’ont pas pour but de dédommager la victime, mais

bien de faire subir au coupable un châtiment.

(4) KAMPETENGA LUSENGU B.M., Fondement de la vie en société : Du clan à la Nation, Mémoire du Diplôme d’Etudes Supérieures en Anthropologie, UNILU, Lubumbashi, 1999.(5) M’BALE KEBA : « Afrique noire : Droit » in Encyclopaedia Universalis, Corpus, France, S.A., Paris, 1989, p. 60 et suivant.

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Cet auteur estime que le Droit coutumier se manifeste également à

travers un droit magico-religieux, droit sacré mystique, du ‘’faste’’ et

du ‘’néfaste’’ où se règlent des choses et des affaires que les hommes

ne peuvent trancher et punir que par et avec les mânes des ancêtres,

des esprits de dieux ou opérant « sorciers » et « féticheurs », induisant

des flux maléfiques ou bénéfiques, néfastes ou fastes dans la force

vitale des coupables et des victimes. Ainsi tel droit est dit ‘’coutumier’’,

non parce qu’il résulte des coutumes mais plutôt parce qu’il s’exprime

en celles-ci ou à travers celles-ci (6), alors que la loi 87-010 du 1er août

1987 portant code de la famille se fonde sur la destruction

irrémédiable de l’union conjugale(7).

On peut lire dans l’ouvrage de A. SOHIER que ‘’la coutume

prévoit en cas d’adultère, le paiement d’une indemnité au mari trompé

par complice la femme. Ne convient-il pas de remplacer ces dommages

et intérêts par une amende (8).

SECTION II. LA CULPABILITE EN DROIT COUTUMIER (SA

CONCEPTION ET SA BASE)

Il faut situer le fondement de la sanction pénale en droit

pénal coutumier dans la solidarité entendue par AKELE et SITA (1999)

comme « le sentiment profond de dépendance mutuelle que partagent

tous les membres du groupe (de la société), et comme un principe de

vie auquel communient les vivants et les morts ». Il renchérit en se

référant à A. SOHIER (1954) – elle-même fondée sur « la valorisation

effective au logique et métaphysique des individus au sein du groupe

(de la société) et sur la force vitale, c’est-à-dire, explique le R.P. Placide

TEMPELS que ce rapport interactif et existentiel dans lequel baigne

(6) A. SOHIER, Le mariage en Droit coutumier congolais, Institut Royal colonial belge, Mémoire, coll. In 82, Tome XI, fasc. 3 et dernier, Librairie Falk Fils, Bruxelles, 1943, p. 3.(7) Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille congolais(8) A. SOHIER , Pratique des juridictions indigènes, Ed. Larcier, Bruxelles, 1932, p. 29.

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l’homme mis au contact des mânes, force supérieure et de toutes les

autres forces dites inférieures (animaux, végétaux, minerais, etc.(9)

Pour A. SOHIER, le droit coutumier est également un droit

de l’incrimination, du châtiment et de la réparation à la fois celui du

‘’sacré’’ et de ‘’l’invisible comme le stigmatisent S. COMHAIRE et alii

que les règles pénales, règles civiles et règles magico-religieuses se

confondent-elles souvent dans les mêmes préceptes qui, dans ces

civilisations du verbe-parole, du rythme et du symbole (10) comme le

dit A. SOHIER (1954) sont transmis essentiellement au moyen des

proverbes, maximes et cantiques, réglementant indistinctement tous

les aspects de la vie sociale (11).

A juste titre, l’homme est un animal métaphysique (12)

écrivait A. SOUPIOT, il est indéniable de dire eu égard à ce qui précède

que la conception de la culpabilité en droit coutumier relève du

pouvoir ancestral, lequel se trouve incarné dans la sagesse populaire

transmise de bouche à oreilles par ceux qui sont investis du pouvoir

magico-religieux (chefs de tribus), mais sa base juridique se fonde sur

l’idée de solidarité ou du groupe plutôt de la punition infligée à celui

qui se comporte en marge de la société et des coutumes, les valeurs

morales admises comme étant de droit.

La conception de la culpabilité devient malaisée à établir

car le droit coutumier ne connaît pas la distinction entre les affaires

civiles et les affaires pénales, celles-ci étant l’apanage des particuliers

eux-mêmes qui les soumettent devant les tribunaux coutumiers ainsi

que le chef de tribu. Les chefs n’interviennent que lorsque une

(9) AKELE et SITA, Le droit pénal coutumier congolais, in l’Etat de droit, Revue de la Faculté de Droit, n° 1, Université protestante au Congo, Kinshasa, 1999, p. 25(10) S. COMHAIRE et alii, le nouveau dossier Afrique, situation et perspectives, Marabout Université, Paris, 1971, p. 36.(11) A. SOHIER, Traité élémentaire de droit coutumier du Congo Belge, 2ème Ed. Ferd-Larcier, Bruxelles, 1954, p. 21.(12) A. SOUPIOT, Essai anthropologique de la fonction du droit, Ed. du Seuil, Paris, 2005, p. 2.

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procédure de blocage s’interpose, il s’agit de la preuve de la sorcellerie,

du conflit foncier opposant deux clans ou un groupe des personnes.

SECTION III. LA CONCEPTION DE LA CULPABILITE ET SA BASE

Ici, il sera question de l’enquête sur un tribunal principal

de chefferie de Kisamamba-Kampombwe (Territoire de Kasenga,

District du Haut-Katanga) reconnu par l’arrêté n° 128 du 30 novembre

1933 du commissaire de Province d’Elisabeth.

I. SITUATION GEOGRAPHIQUE ET ADMINISTRATIVE DE CETTE

JURIDICTION

La chefferie de Kisamamba Kampombwe est située à une

douzaine de kilomètres au Nord de Kasenga, en bordure du Luapula.

Elle a une superficie approximative de 150 km2 et une population

totale de 1705 âmes, réparties en 19 petits villages.

Kisamamba Kampombwe représente la branche aînée des

Kisamamba, qui forment trois chefferies échelonnées toutes trois le

long du Luapula : Kisamamba Kibale au sud de Kasenga, Kisamamba

Kampombwe au Nord, et Kisamamba Kikungu entre Kasenga et

Kampombwe.

Ces trois Kisamamba ont une origine commune.

Appartenant au clan mwina ngoma (ngoma est le tambour de danse),

vraisemblablement d’origine lunda, si l’on en croit la tradition, qui les

ferait venir primitivement de l’Ouest, ces Kisamamba quittèrent il y a

environ un siècle les terres du Chef Kifumbe, installé au Bangwelo,

pour venir s’établir sur la rive gauche du Luapula moyen, qui à ce

moment, aurait été inoccupée. Le nom de Kisamamba leur serait

d’ailleurs venu du fait qu’ils étaient originaire de la région du Lac

Bangwelo, direction d’où vient le vent appelé « Kisamamba ».

C’est à peu près à ce moment-là, que se produisirent les

incursions de divers groupes d’indigènes, qui venaient de l’Est et

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formèrent le fond de la population, que nous trouvons actuellement

sur la rive occidentale de Luapula-Moëro.

Dans toute cette région constituant une seule entité

géographique, se développa peu à peu une coutume à peu près

identique. Au premier fond de population, virent se greffer des

éléments d’origines très diverses, ce qui aboutit à un brassage de races

continuel et à la naissance d’une coutume nouvelle, la coutume

Kishila (Bashila signifie les pêcheurs est le terme générique désignant

tous les riverains du Luapula-Moëro), où l’élément mubemba prit la

prépondérance. Les divers dialectes Kishila, qui se parlent au Luapula-

Moëro se rapprochent fortement du Kibemba, au point qu’ils sont

même communément appelés Kibemba.

La chefferie de Kisamamba Kampombwe participe donc de

toutes ces caractéristiques.

Comme dans toutes les régions voisines, l’organisation

sociale y est le matriarcat, et la succession des chefs y est

matrilinéaire. Les chefs Kampombwe appartiennent donc toujours au

clan des Bena Ngoma. Les clans extraordinairement nombreux

représentés dans les chefferies sont très mélangés et la famille

(entendons-là dans un sens quelque peu étendu) est la seule entité

sociale se présentant avec une certaine homogénéité.

II. COMPOSITION DU TRIBUNAL

Coutumièrement, le tribunal est composé comme suit :

1. Le (ou les) (ba) kabilo ;

2. Les bamushika ;

3. Le chef Kisamamba Kampombwe.

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a) Les Bakabilo

Il peut en exister un ou plusieurs. Ils peuvent être de

n’importe quel clan, mais ne sont jamais choisis dans celui du chef,

à savoir, le clan des Bena Ngoma.

Ils sont choisis parmi les indigènes manifestant le plus de

bon sens et le plus de capacité pour intervenir dans la solution des

palabres. Cette charge est théoriquement héréditaire, mais

pratiquement, il peut arriver que celui appelé à succéder au Kabilo

(par voie utérine : frère, cousin maternel, neveu maternel ou petit-

neveu maternel) soit incapable de faire face à ses devoirs. Il est alors

écarté et un autre Kabilo est désigné. Cet autre Kabilo peut être

indifféremment du même clan que le défunt ou d’un autre clan. Sa

valeur personnelle sera seule prise en considération pour fixer le

choix.

Le Kabilo ne porte ni ne reçoit aucun insigne particulier

représentatif de son titre et de sa fonction.

Il est choisi et élu par le chef entouré de ses Bamushika et

du Conseil des notables. Le chef ne peut le désigner de sa propre

autorité, et de toute façon, le Kabilo doit être agréé par les

Bamushika.

Cette institution existe encore. Elle a contribué à subsister

sous l’influence lunda et sous l’influence Muyeke. Sous cette

dernière, le nom de Kabilo eut tendance à disparaître pour faire

place au nom de « Mtoni », qui désigne chez les Bayeke, le dignitaire

chargé du règlement des palabres.

Depuis l’occupation européenne, le langage courant les

désigne – par imitation – sous le nom de « Bajuges ». Ce terme est

naturellement à proscrire, car il est de nature à créer une confusion

dans l’esprit des natifs, qui ne sont que trop tentés de copier notre

organisation judiciaire (comme toute notre organisation en général),

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alors que la volonté du législateur est de faire renaître et de rendre

officielle celle qui leur est propre.

Il existe actuellement deux Bakabilo à Kisamamba

Kampombwe. Ce sont, dans l’ordre de préséance et d’importance :

1. KAPITENI KAOMA, illetré – de clan mwina mumba. Mumba

signifie terre de poterie. Les Bena mumba appartiennent à la

tribu des Baushi, représentés sur le territoire congolais par le

Chef Kiniama du Luapula supérieur.

2. KIMBOKOTO MWANSA, dit KAFWANDA, de clan mwina nsofu.

Lettré. – Nsofu signifie éléphant. Ce clan appartient à la tribu

des Baluba Sanga du Chef Pande.

b) Les Bamushika

Il en existe toujours plusieurs. Ils sont choisis parmi les

notables influents de la chefferie présentant le plus de garantie

d’intégrité.

Comme le Kabilo, ils peuvent être de n’importe quel clan

mais ne sont jamais choisis non plus dans celui du chef.

Théoriquement, cette charge est également héréditaire (par

voie utérine), mais en cas d’incapacité du successeur, il en est désigné

un autre, indifféremment dans le clan du défunt ou dans un autre

clan.

La désignation des Bamushika chez Kampombwe. Ce sont,

dans l’ordre de préséance et d’importance :

1. KIBIMBI LWINO, illettré – de clan mwina nsofu (Basanga de

Pande) ;

2. MFUTA MWILUNDE, illettré – de clan mwina Boa. Boa signifie

champignon. L’aîné de ce clan est le chef Katanga, au Nord

d’Elisabethville ;

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3. SHIENKE KALEMBWE, illettré – de clan mwina lungu. Lungu est

un légume du genre courge. L’aîné des Bena lungu est le chef

rhodésien Kilembwe, près du Lac Bangwelo.

Le mushika et le kabilo correspondent aux « Kapingula ya

milandu » (les examinateurs, instructeurs, trancheurs de palabres) des

Babemba.

Ils sont donc désignés en nom et en nombre par le chef

assisté du Conseil des notables.

Le seul souci déterminant le choix, de même que le rang de

préséance, est celui de l’intégrité et du bon sens des individus, ce qui

fait que le caractère d’hérédité de ces charges n’est pas absolument

intangible.

Le mushika a le pas sur le kabilo. Il occupe un échelon

supérieur dans l’échelle judiciaire ; ce qui ne veut pas dire qu’il forme

une juridiction d’un degré supérieur avec pouvoir éventuel de révision

ou d’appel. Ils font tous partie de la même juridiction.

Le kabilo saisit d’une affaire fait d’abord une tentative de

conciliation. Si cette tentative aboutit, les parties sont renvoyées et le

tribunal n’est pas saisi du litige.

Si elle n’aboutit pas, le kabilo porte l’affaire devant un

mushika, à qui il est encore loisible, seul ou assisté d’un ou de

plusieurs de ses collègues, de tenter un nouvel essai de conciliation. Si

cet essai réussit, le tribunal n’est pas saisi.

La compétence des bakabilo est donc nettement différente

de celle des bamushika. Le rôle du kabilo se borne en quelque sorte à

recevoir les litiges et à faire une première tentative de conciliation. En

cas d’échec, il doit saisir du différend le mushika, qui est le véritable

juge.

Dans le cas où le mushika, saisi d’un litige, le portera

devant le tribunal, s’il s’agit d’une affaire ne présentant pas un

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caractère spécial de gravité, il se contentera de siéger chez lui, assisté

de l’un ou de plusieurs des autres bamushika et d’un ou des bakabilo.

L’absence des bakabilo ne constitue pas une cause de

nullité de la procédure. Mais le tribunal ne peut siéger valablement

qu’avec au moins deux juges, dont au moins un mushika.

Nous avons déjà signalé qu’il existait une certaine

hiérarchie parmi les juges. Il en résulte tout naturellement, que dans

les affaires assez sérieuses, le premier des bamushika sera toujours

appelé à siéger.

Quand il s’agira d’un différend grave, les bamushika en

saisiront directement le chef, qui siégera alors avec tout son tribunal et

ses notables.

b) Le chef

La présence du chef n’est donc pas absolument

indispensable pour constituer le tribunal. Nous avons vu que la

composition du tribunal variera suivant la nature des affaires, qui lui

sont soumises, et que le chef ne sera appelé à siéger au premier

ressort que dans les affaires importantes.

Par ailleurs, les parties ont toujours le droit au recours

judiciaire au chef, quand celui-ci n’a pas siégé au tribunal. En fait, il

n’existe pas deux juridictions différentes, car ce sera absolument le

même tribunal, qui reprendra l’affaire en seconde instance ; ce n’est

que la composition du tribunal, qui aura été modifiée, en ce sens qu’en

plus des premiers juges, siégeront le chef et les notables, dont il se fera

éventuellement assister.

III. PROCEDURE

a) Introduction des affaires

La partie, qui veut introduire une action en justice, se rend

d’abord chez un des bakabilo, porteur de son « lupango », tribut exigé

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de quiconque demande l’ouverture d’une action judiciaire. Ce lupango

sera indifféremment une ou plusieurs poules, une ou plusieurs houes,

ou une pièce d’étoffe. Sa valeur dépendra de la situation sociale et de

la richesse du demandeur, ainsi que de l’importance de l’affaire.

C’est seulement en l’absence – peu probable simultanément

– de tous les bakabilo, que les parties pourront s’adresser directement

à un mushika.

Le kabilo saisi se livrera seul ou avec son ou ses collègues,

à un premier essai de conciliation.

Si celui-ci n’aboutit pas, le kabilo portera l’affaire devant un

mushika, où il y aura une seconde tentative de conciliation. Si elle

aboutit, le lupango est remis au demandeur, seul le chef ayant qualité

pour recevoir ce tribut, mais les parties remettront ordinairement au

conciliateur un petit cadeau quelconque, par exemple un pot de bière.

S’il n’y avait pas de conciliation possible, l’affaire était

portée devant le tribunal et la remise d’un lupango était exigée. Que le

chef siégeât ou non au tribunal, le lupango lui était toujours destiné.

Quand un demandeur était trop pauvre pour payer le

lupango, sa cause n’en était pas moins introduite et entendue, mais il

était alors tenu de travailler pour le chef, jusqu’au moment où le chef

le considérait comme acquitté, ou jusqu’au jour où ses parents avaient

remis au chef la valeur du lupango dû.

Lorsque le litige portait sur la réparation de coups,

blessures ou mutilations faits au plaignant ou à l’un de ses parents,

ou sur la vengeance d’une mort, le lupango consistait en un morceau

de nkula, qui était remis au chef et dont la couleur rouge indiquait

qu’il était question d’une affaire de sang. (Comme nous le verrons plus

loin, dans ces affaires de KILOPA, l’intéressé se frottait aussi le corps

de nkula). Le nkula s’obtient de la façon suivante : on taille jusqu’au

cœur, deux morceaux de l’arbre mukula. Puis on les frotte l’un contre

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l’autre à la façon des concasseurs de millet, et lait au plaignant ou à

l’un de ses parents, ou sur la vengeance d’une mort, le lupango

consistait en un morceau de nkula, qui était remis au chef et dont la

couleur rouge indiquait qu’il était question d’une affaire de sang.

(Comme nous le verrons plus loin, dans ces affaires de KILOPA,

l’intéressé se frottait aussi le corps de nkula). Le nkula s’obtient de la

façon suivante : on taille jusqu’au cœur, deux morceaux de l’arbre

mukula. Puis on les frotte l’un contre l’autre à la façon des

concasseurs de millet, et l’érosion ainsi produite donne une poudre

rouge.

Cette érosion est facilitée par un peu de sable, qui, par le frottement,

fait se détacher les particules de bois.

On prend alors cette poudre et on fait une pâte en l’amalgamant à une

décoction de feuilles de l’arbre Musishia. Cette pâte, en séchant, prend

l’apparence d’un bloc de terre rouge, qui est le nkula. Jadis le nkula

était couramment employé dans les soins corporels ; les indigènes le

mélangeaient à de l’huile et s’en enduisaient le corps. Actuellement, ils

s’en servent encore spécialement pour deux usages : pour aider à la

cicatrisation ombilicale et pour protéger des intempéries la tête des

nouveaux-nés, par l’application d’une couche de nkula mélangé à de

l’huile).

La procédure signalée plus haut, avec le souci de ne déférer

au tribunal du chef que les affaires pour lesquelles toute conciliation

s’est avérée impossible, est encore actuellement en vigueur pour

l’introduction des affaires. La seule chose qui ait disparu, c’est le

lupango, qui était remis au chef. Déjà en 1931, donc avant la

reconnaissance du tribunal par l’autorité administrative, le lupango

avait été remplacé par une taxe d’inscription fixe, qui était versée dans

la caisse de la chefferie.

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16

b) Audience et Jugement

Il n’y avait aucun jour fixe pour les audiences du tribunal.

Un jour était fixé pour l’audience au fur et à mesure que les affaires se

présentaient. Celle-ci se tenait près de la maison du mushika ou dans

l’enceinte de la maison du chef, quand celui-ci siégeait au tribunal. Le

chef prenait alors place sur sa chaise basse (kipona), les bamushika et

les bakabilo étant assis à ses côtés sur des nattes. Les parties en

cause, leurs proches parents et les témoins se tenaient assis par terre

à quelque distance.

Le public n’avait pas accès dans cette enceinte et se tenait

dehors, mais par les fentes de la palissade, il assistait à toute

l’audience et pouvait entendre la sentence prononcée. Le public était

tenu à l’écart uniquement par respect pour la personne du chef.

Personne n’entrait, en effet, dans l’enceinte de la maison du chef sans

y être autorisé.

Il est à noter que, lorsque le tribunal siégeait, tous les

travaux étaient suspendus et tous les indigènes se réunissaient à

proximité, attendant la décision.

Les notables, parents du chef, pouvaient assister à

l’audience. Ils le faisaient toujours lorsque l’affaire était d’importance.

Ils y étaient d’ailleurs très souvent convoqués par le chef lui-même.

L’audience commençait par l’exposé des parties, puis les

témoins étaient interrogés. Quand chacun avait exposé son point de

vue, suivaient des débats contradictoires. Les parties pouvaient se

faire assister de membres de leur famille ou de toute personne qui fût

au courant de l’affaire. Il ne faudrait pas voir là une institution

correspondante à celle de nos avocats. La défense des parties était

admise de la part de leurs parents et de leurs amis, mais à titre

absolument privé, sans qu’il soit question de défenseurs public de

métier ou de rémunération quelle qu’elle soit.

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17

Le chef n’intervenait pas à l’audience ; il la présidait, mais

ne participait pas aux débats. Il appartenait seulement aux bakabilo et

aux bamushika de procéder aux interrogatoires.

Le serment n’était jamais requis ; il ne pouvait être exigé

par le tribunal, mais les parties et les témoins pouvaient y avoir

recours. Habituellement, il consistait à enjamber le corps d’un tout

petit enfant couché sur le sol (un enfant de la famille de celui qui

jurait) en disant : « Si je mens, cet enfant mourra ».

La gravité de ce serment faisait qu’il n’était prêté que dans

les affaires assez graves : accusation de vol, d’adultère, d’homicide. La

partie, qui le désirait, était toujours libre de le prêter, quel que soit le

litige, mais la plupart du temps s’il s’agissait d’un différend peu

important, sa parenté l’en empêchait, tant ce serment pouvait, aux

yeux des indigènes, être lourd de conséquences.

Le serment ainsi prêté pouvait naturellement influer sur la

décision du tribunal, mais il n’avait pas d’autre valeur en droit qu’une

simple déclaration. Il n’engageait que vis-à-vis de la personne sur la vie

de laquelle on jurait (et naturellement de sa parenté).

S’il arrivait que l’enfant vint à mourir, il ne s’ensuivait

qu’une affaire intérieure de la famille, qui pouvait naturellement être

portée devant le tribunal, mais qui constituait une affaire propre,

indépendante de la première.

Il est évident cependant, que si la partie adverse avait

perdu devant le tribunal, elle ne manquait de représenter de nouveau

la cause, arguant de ce décès pour convaincre son adversaire de faux

témoignages et faire modifier à son avantage la première décision

intervenue.

Le faux témoignage reconnu s’entend aux yeux des

indigènes n’était pas juridiquement distingué du simple mensonge. Si

le faux témoignage ou le mensonge avait retardé ou faussé le règlement

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d’une affaire, il en résultait lorsqu’après leur établissement, elle était

représentée, une augmentation de l’indemnité à payer à l’autre partie ;

mais il n’y était attaché aucune sanction pénale, quand le faux

témoignage ou le mensonge était le fait de l’accusé. S’ils émanaient

d’un témoin, il pouvait être prononcé à côté d’une indemnité, une

sanction pénale, pouvant aller, en cas de récidive jusqu’à des

mutilations corporelles.

Une seconde forme de serment était l’épreuve du mwavi, à

savoir, l’épreuve de l’eau bouillante. De même que le serment

proprement dit, cette épreuve n’était jamais ordonnée par le tribunal.

C’est toujours l’accusé lui-même, qui demandait à subir

pour prouver son innocence, ou qui était poussé par les membres de

sa famille. Un indigène, qui était sous le coup d’une accusation n’était

jamais forcé de subir l’épreuve du mwavi, mais s’il s’y refusait, le

tribunal comme toute la population estimait qu’il avait peur parce qu’il

était coupable et rendait sa sentence en conséquence. Ce qui fait qu’il

existait néanmoins pour l’accusé, à défaut d’obligation matérielle, une

obligation morale de se soumettre.

Voici en quoi consistait cette épreuve ; elle pouvait se

présenter de deux façons :

a) Celui qui désirait la subir, appelait le sorcier et lui préparait du

bois et de l’eau. Le sorcier faisait bouillir de l’eau dans un

récipient, qui pouvait avoir jusqu’à environ 40 à 50 cm de

profondeur. Il y laissait ensuite tomber un bracelet en métal.

L’épreuve consistait à enlever le bracelet au fond de l’eau

bouillante sans que la peau présente la moindre trace de brûlure.

Cette opération était recommencée plusieurs fois avec chaque

main. L’accusé retournait alors chez lui et y passer la nuit. Le

lendemain matin, ces bras étaient examinés suivant qu’ils

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présentaient les traces de brûlure, il était considéré comme

coupable ou innocent.

b) Au lieu de déposer un bracelet dans l’eau bouillante, le sorcier

pouvait y placer des fruits séchés des arbres Lukusu et

Lusombo. Ces fruits flottaient à la surface de l’eau. L’épreuve

consistait à les prendre sans se brûler. La superstition voulait

que si l’accusé était coupable au moment où il voudrait saisir les

fruits, ceux-ci s’enfonceraient et l’eau lui monterait sur le bras et

le brûlerait.

Le choix de l’épreuve était laissé au sorcier.

Celle-ci se pratiquait à l’écart du village et le chef ne

pouvait y assister. La cérémonie était organisée par le sorcier, qui,

pour l’occasion, se mettait en tenue d’apparat.

Y assistaient un ou plusieurs bamushika, les parents des

parties et tous ceux qui désiraient. Elle se pratiquait donc sous le

contrôle de la population et celui d’au moins un mushika.

Si les résultats étaient négatifs, l’intéressé ne manquait

naturellement jamais de réclamer des dommages et intérêts parfois

assez considérables aux accusateurs.

D’après les renseignements que j’ai recueillis, l’épreuve du

poison (le kilapo ou serment des Baluba) consistait à administrer soit à

l’accusé, soit à un animal domestique tel qu’une poule, n’aurait pas

existé dans la région.

Lorsque l’audience avait suffisamment mise en lumière, les

éléments de la cause, le tribunal délibérait à huis clos.

C’est alors seulement que le chef intervenait.

Chacun des juges donnait son opinion et le tribunal

s’arrêtait à la décision sur laquelle se faisait l’unanimité.

Si l’examen avait duré jusqu’à la fin du jour, ou que les

juges ne puissent se mettre d’accord, à cause par exemple

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l’insuffisance des éléments d’appréciation, l’affaire était remise au

lendemain ou à un jour ultérieur.

La décision devait toujours être prise à l’unanimité. La voix

du chef était prépondérante, et au besoin, il imposait sa volonté. Il va

sans dire que le chef avait bien soin de ne pas prendre des propos

délibérés, une décision opposée à l’avis de ses juges.

Cette sentence était naturellement connue immédiatement

de tout le village et c’était alors chez les parents et alliés de la partie

qui l’emportait, des cris, des chants, des danses et des beuveries

interminables.

Quand le tribunal siégeait sans le chef, chez un mushika, la

procédure était la même, mais avec moins d’apparat. L’audience se

tenait devant la maison du mushika et tout le monde y était admis.

Les interrogatoires, les délibérations et tout le prononcé de la sentence

y suivaient les mêmes règles.

c) Sanctions et exécutions des jugements

1. Emprisonnement. Le mode d’emprisonnement le plus

courant était la contrainte par corps. L’individu condamné par le

tribunal et qui ne payait pas l’amende ou les dommages et intérêts

prononcés dans le délai fixé par le tribunal (parfois immédiatement

était appréhendé au corps et maintenu en détention jusqu’à ce qu’il se

fût acquitté. S’il tardait trop à s’acquitter, il pouvait être réduit en

esclavage.

Il n’existait pas de local de détention déterminé. Le détenu

était confié à la garde d’un mushika ou d’un kabilo, qui devait le loger

et le nourrir. Il était astreint à travailler pour le chef et pour son

gardien. Il arrivait, quand on craignait sa fuite par exemple, qu’on lui

liât les mains derrière le dos et qu’on lui attachait un billot aux pieds.

Dans le cas d’infraction grave, le chef pouvait ordonner la

mise en détention de l’accusé jusqu’au jour du jugement.

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2. Amende. En règle générale, les différends se réglaient par

le versement des dommages et intérêts à la partie lésée. Le versement

d’une amende à payer au chef n’avait lieu que dans les cas bien

déterminés suivants :

a) Le kilopa : c’est l’amende prévue pour celui qui s’est rendu coupable

d’un crime, une blessure, une mutilation quelconque (crever un œil,

casser un membre,…) et de tout versement de sang. La terre était

souillée et le coupable devait payer une indemnité au chef,

indépendamment de celle qu’il était éventuellement tenu de payer à la

partie lésée.

Il était interdit de se faire justice à soi-même, et celui, qui

pour se venger, en tuer un autre en brousse sans avoir soumis sa

plainte au tribunal du chef, même si sa vengeance était et s’il n’était

pas tenu d’indemniser la famille de la victime, devait payer au chef

l’amende du kilopa. Il en allait de même, si la vengeance n’avait

consisté qu’en blessures ou mutilations.

L’intéressé se présentait d’ailleurs presque toujours lui-

même devant le chef, en revendiquant la responsabilité de son acte, et

en s’offrant de payer le kilopa au chef. A cette occasion, il se maculait

le corps de nkula, pour montrer que c’était pour une affaire de sang

qu’il se présentait devant le chef.

b) Omission de payer le tribut au chef, à savoir par exemple, le

chasseur qui ayant tué un lion ou un éléphant, le cacherait et ne

remettrait pas les dépouilles au chef.

c) Le fait, pour un étranger de chasser ou de pêcher sur les terres

du chef sans autorisation.

d) Dans les affaires très graves, spécialement en cas de récidive (viol

des mineurs, adultère, vol,…), le tribunal pouvait,

indépendamment des autres peines, prononcer une amende à

payer au chef.

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e) Délit d’audience : voir plus loin.

Les amendes allaient, suivant l’importance du délit, de

quelques poules ou une houe à plusieurs esclaves.

La contrainte par corps était exercée jusqu’au paiement.

Elle consistait à travailler pour le chef. Si l’intéressé ne parvenait à

payer, il finissait par devenir l’esclave du chef.

3.Dommages et intérêts.

Ceux-ci constituaient, en fait, la sanction la plus souvent

prononcée par le tribunal. Ils étaient proportionnés au mal causé à la

situation sociale du défendeur et du demandeur, et aux exigences de

ce dernier, et, comme nous l’avons déjà dit, donnait lieu, jusqu’à

l’apurement l’indemnité à payer, à l’exercice de la contrainte par corps.

Dans certains cas, vol, adultère…, le coupable, qui ne

parvenait pas à payer l’indemnité qui lui était réclamée était réduit en

esclavage.

4. Châtiments corporels.

Dans les affaires importantes, le chef pouvait décider qu’en

dehors des peines édictées par le tribunal, le coupable serait soumis à

des châtiments corporels, par exemple :

a) ablation des oreilles, des yeux, ou des mains : en cas de récidives

fréquentes de vol, de mensonge ou calomnie. Ces châtiments

pouvaient s’appliquer aux femmes comme aux hommes ;

b) ablation de la verge : pour adultères répétés. Quand le coupable

était une femme, elle ressortissait à la justice maritale, qui

pouvait se manifester en sévices divers. La plupart du temps, la

répudiation s’ensuivait.

Le DILANGALA (pluriel : malangala) était chargé d’administrer

ces châtiments corporels. Il le faisait à l’écart, en brousse, et le

chef ne pouvait en être témoin.

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c) Le fouet : si le chef le décidait, le dilangala en frappait le

coupable, devant lui, après le prononcé de la sentence. Le fouet

consistait en une espèce de jonc : le kamama ; qu’on appelle

aussi nkodi. Le nombre de coups n’était pas déterminé, et le

patient n’était pas tenu à l’immobilité et à la position couchée. Le

dilangala lui appliquait quelques coups à travers le corps,

jusqu’à ce qu’il parvint à s’enfuir.

Le fouet pouvait être donné également, sur l’ordre du chef,

et toujours par le dilangala, et sur l’heure, à celui qui troublait

l’audience, manquait de respect au tribunal, ou récriminait contre la

sentence rendue. De ces chefs, le coupable pouvait aussi être

condamné à payer une amende.

En dehors de l’exercice de ses fonctions judiciaires, le chef

ne pouvait recourir au fouet ou à tout autre châtiment corporel, sans

commettre un acte arbitraire ou un abus de pouvoir, dont il eût été

immanquablement blâmé par ses notables et par toute la population.

4. Mise à mort. La coutume répugnait au prononcé de la peine de

mort. Elle pouvait cependant être décidée, mais la plupart du

temps, on lui préférait le bannissement.

La peine de mort, de l’exécution de laquelle le chef ne pouvait

jamais être témoin, pouvait être appliquée dans les cas suivants :

a) Crime de sorcellerie. L’individu accusé et convaincu de

sorcellerie après épreuve (l’épreuve pouvait consister en 1)

l’épreuve du mwavi par l’eau bouillante ; 2) le fait de s’en

remettre au sexe de la première bête que tuera un

chasseur envoyé en brousse par le chef ; si c’était un mâle,

l’accusé était considéré comme coupable) était livré au

sorcier, qui le dépeçait vivant et jetait de son corps sur un

bûcher, qu’il allumait en brousse.

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Homicide injustifié ou plutôt justifié par une raison

condamnable. Un parent du mort pouvait s’emparer du

coupable et le traîner devant le chef. S’il n’exigeait pas sa mise

à mort, le chef et son tribunal ne prononçait qu’une forte

indemnité à payer : plusieurs esclaves par exemple deux

femmes ou deux hommes de la famille du coupable (plus

naturellement le kilopa). Ils ne décidaient la peine de mort que

si elle était formellement demandée par les parents de la

victime. Pour ce faire, un de ceux-ci se présentait devant le

chef, s’étant tout maculé de nkula, puis il arrachait

violemment son cache-sexe et en souffletait le chef, en disant

« Tu tueras cet homme ; ou tu n’es pas un chef ».

Il appartenait alors au dilangala d’aller tuer le coupable en

brousse, par la lance, ou la hache, et de remettre ensuite son

cadavre à sa famille, en vue de lui donner une sépulture.

c) L’adultère répété avec une femme du chef : pouvait aussi

entraîner la peine de mort, mais le plus souvent, le tribunal

s’en tenait à des mutilations.

Il convient de noter que le chef ne pouvait jamais décider la

peine de mort, de l’avis contraire de ses notables.

En dehors du cas de sorcellerie, la mise à mort n’était donc

jamais prononcée par le tribunal du chef, si ce n’est dans des cas tout

à fait exceptionnels, quand elle était demandée, en réparation d’un

homicide, dans la forme que nous avons signalé plus haut. Cette

exigence ne pouvait être le fait que d’un homme très puissant, que le

chef et ses notables eussent craint de s’aliéner ou de voir quitter leurs

terres avec ses gens, s’ils ne lui avaient pas donné satisfaction.

Nous avons déjà signalé qu’un indigène lésé par l’homicide

d’un de ses parents ou un adultère qui se vengeait lui-même du

coupable par sa mise à mort, n’était tenu à aucune indemnité vis-à-vis

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de la famille de sa victime, mais devait payer au chef l’indemnité du

kilopa13.

13 Bulletin des juridictions indigènes de 1930 et 1931, Elisabethville, p. 154-170

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DEUXIEME PARTIE : ETAT DE LA JURISPRUDENCE EN DROIT CONGOLAIS ET COMPARE

I. POSITION DU PROBLEME

En droit coutumier, la conception de la culpabilité se révèle

d’une importance capitale, car à la base il y a la coutume qui est

violée, mais au fond, l’ordre social basé sur la solidarité.

En droit coutumier Bemba au Sud du Katanga, le vol d’un œuf

constitue une atteinte grave à la morale et est considérée comme un

vol qualifié ; de même la sorcellerie dans la coutume primitive n’était

pas nuisible, elle était un moyen pour corriger, punir les individus qui

se comportaient en marge des règles établies par la tribu et la

coutume.(14)

En droit pénal écrit, seuls tombent sous la loi les faits qui,

au moment où ils sont commis, sont déjà définis comme constituant

une infraction par le législateur.

Le Professeur NYABIRUNGU estime que la légalité des

incriminations a des conséquences aussi bien pour le législateur que

pour le juge. Il estime que ce principe de l’antériorité obligatoire des

définitions des infractions est une garantie de la liberté et de la

sécurité juridique, car on peut valablement supposer que, dans ce cas,

ces définitions ont été élaborées sans parti pris, dans l’ignorance qui

tomberont éventuellement sous leur application (15).

Ce principe a été tempéré par le décret du 30 janvier 1940

portant code pénal en son article 1er ainsi libellé : « Nulle infraction ne

peut être punie des peines qui n’étaient pas portées par la loi avant

que l’infraction fut commise ; et repris dans la Constitution du

18/02/2006 ; il en est de même de l’article 11 de la Déclaration

(14) Interview accordé au chef coutumier Shula KAMAKOMBWE MWELWA du Territoire de Pweto, le24/01/2008 à 12 heures (katanga, RDC).(15) NYABIRUNGU, op.cit. p. 36.

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Universelle des Droits de l’Homme par l’O.N.U., à laquelle notre Pays,

dans son préambule à la Constitution proclame avoir adhéré.

En droit coutumier, il n’en est pas le cas, la conception de

la culpabilité est l’apanage de la sagesse populaire, de certaines

personnes (notables) qui jouissent d’une expérience individuelle ou

morale.

On peut lire dans les écrits de NYABIRUNGU (op.cit. p. 9),

ainsi, un assassin commencera à errer ici et là, torturé par les remords

de ce qu’il vient de commettre, un peu comme Caïn, après le meurtre

d’Abel. Dans la ‘’légende des sciences’’, Victor Hugo trouve cette

expression : ‘’cet œil me regarde toujours’’ cet œil n’est rien d’autre que

les remords, la sanction d’une règle morale transgressée.

On dira de tel homme qu’il est ruiné et malheureux parce

que son père ou son oncle l’ont maudit, tellement il leur manquait de

respect et ne leur accordait aucune assistance. Et tous les vieux du

village qui ont l’âge du père ou de l’oncle abandonné, commencent à

bouder cet homme, à l’éviter puisque il est un fils irrespectueux e

indigne. 16

La sanction sociale en droit coutumier résulte de la manière

dont chacun peut mener sa vie à guise dans le respect de jus,

coutumes établies par les anciens de tradition ancestrale et compte de

l’expérience de la solidarité ou du groupe.

Pour illustrer cela, il conviendrait de citer par exemple,

voilà un homme qui a 40 ans, n’est pas marié. Lors d’une palabre sur

la vie au foyer ou sur le divorce, les sages ne lui donnent pas la parole

parce qu’il en est indigne.

16 NYABIRUNGU, MS op.cit p. 9

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II. ETAT DE LA JURISPRUDENCE CONGOLAISE

II.1. L’AFFAIRE AMISI TUBILA ET MAUWA SAFALANI

II.1.1. Jugement

La Cour Suprême de Justice (R.D.C.) a eu l’occasion de

rappeler l’importance du principe de la légalité des incriminations,

notamment dans l’affaire ci-dessous :

Le tribunal de Sous-Région de Maniema à Kindu avait, le 04/10/1976,

condamné le Citoyen AMISI TUBILA à une peine d’amende pour avoir

en violation de la coutume retenu le diplôme d’Etat et autres effets de

la citoyenne MAUWA SAFALANI, son épouse.

La Cour Suprême cassa ce jugement avec renvoi en ces

termes « sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens du

demandeur, la Cour Suprême de Justice soulève de justice d’office un

moyen public tiré de la violation de l’article 1er du code pénal et de

l’article 1er de l’ordonnance du 14/05/1886 sur l’application des

principes généraux du droit, en ce que le jugement attaqué a prononcé

une condamnation pénale sans indication de la loi réprimant les faits

soumis au juge ni la coutume qui l’aurait prévue, alors qu’on ne peut

condamner une personne pour une infraction qui n’est pas prévue par

la loi et pour laquelle la coutume qui l’aurait prévue n’a pas été établie

(17).

II.1.2. Appréciation critique du jugement

Par application du droit coutumier par rapport au droit

écrit, il est regrettable que la cour suprême de justice ne se soit pas

fondé sur les éléments retenus par le tribunal de sous-région (tribunal

coutumier), car le constat est que le droit écrit congolais présente des

malaises dans la manière de dire droit, et nombreux ne se voient pas

(17) C.S.J. (Kinshasa), 28/12/1979, Bull. 1984. 357, NYABIRUNGU M.S., Traité de Droit pénal général congolais, Ed. Droit Et Société (DES), Kinshasa, 2001, p. 61.

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condamnés ou acquittés pour des faits jugés répréhensibles par la loi

pénale ou non au mépris de règles coutumières.

Le tribunal coutumier a retenu que Sieur AMISI n’a pas

seulement violée la coutume en prenant le diplôme de son épouse,

mais enfreint la morale et la sagesse en prenant d’autres effets (habits,

vêtements, etc…) qui présente un caractère sacré à la valeur

coutumière de son épouse, ce qui constitue une atteinte grave aux

règles coutumières.

Il est donc loisible de préciser que ce décalage entre la loi

voulue (dite dans des juridictions) et la loi vécue (coutumière) engendre

des problèmes quant à la compréhension de notre droit qui, d’ailleurs,

trouve sa véritable dans les coutumes, saura par excellence et

originale du droit coutumier en Afrique.

II.2. L’AFFAIRE DU CHAT NOIR

II.2.1. Position de la question

La doctrine et la jurisprudence traditionnelles considèrent

que l’infraction surnaturelle ne saurait constituer une tentative

punissable (18).

Il s’agit comme note NYABIRUNGU d’un délit absurde, car le moyen

mis en œuvre est chimérique et ne présente aucun rapport de

convenance d’après l’expérience de la vie avec le résultat recherché.

La doctrine cite par exemple le fait pour un paysan de faire

un pèlerinage afin de tuer son ennemi ; ou encore d’utiliser une prière

ou une formule magique pour obtenir le même résultat.

Tel fut le point de vue de la cour d’appel de Kinshasa qui, dans l’affaire

dite du chat noir a puni le délit absurde.

(18) Emile LAMY L’omission criminelle en droit pénal congolais et propositions législatives, in R.J.C., 1964, p. 225

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II.2.2. Exposé des faits

A, Chef de Service à la Douane vient d’être muté et laisse

sur place deux collaborateurs B et CD qui l’ont remplacé, constate des

irrégularités financières. Alerté par B et C et sentant le danger, A

décide l’élimination physique de D par des moyens magiques. Il

soumet son projet criminel à ses anciens collaborateurs B et C, et ces

derniers contactent à cet effet E, un puissant féticheur, qui marque

son accord moyennant paiement.

Le féticheur tente de tuer D au moyen d’un chat noir fourni par B et C

et sur lequel il pratique des incantations, mais malheureusement sans

succès. Il contacte un autre féticheur qu’il croit plus puissant,

toujours en vain. Finalement, il se résoud à procéder autrement et tue

D d’un coup de fusil.

La Cour d’Appel de Kinshasa (19), saisie de cette affaire

retient contre le féticheur E deux préventions, à savoir, l’assassinat de

D au moyen de fusil et la tentative d’assassinat par des moyens

magiques.

II.2.3. Position de la doctrine

Il est heureux que la Cour d’Appel ait retenu cette solution

pour deux raisons :

- d’abord, même en cas de délit absurde, le délinquant manifeste

sa perversité et sa dangerosité sociale ;

- ensuite, la science moderne, dans la discipline appelée

« parapsychologie », admet la possibilité de l’action à distance par

la parole et la pensée.

« Lorsque l’on réfléchit à la lumière de la science moderne, à la

philosophie qui a cours dans nos coutumes et qui consiste à croire à la

possibilité d’agir contre quelqu’un à distance par la pensée et créer

(19) Arrêt de la Cour d’Appel de Kinshasa, inédit, 4ème feuillet rendu le 08/01/1970, en cause M.M. c/Matutu, Nganga, Mavungu, Bunga et Bongo, rôle 415, cité par BAYONA, Discours à l’audience solennelle de la rentrée judiciaire du 16/10/1976, in Bulletin des arrêts de la Cour Suprême de Justice, 1977, 227-238.

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réellement par la parole, l’on se rend compte que pareille conception

des choses est chose véritable aujourd’hui sur le plan même de la

science officielle. En effet, à l’heure actuelle, des savants et des

hommes de pensée ont pris conscience de la réalité de l’univers

parapsychologique »(20).

Il est, par contre, regrettable que la Cour Suprême de

Justice, saisie de la même affaire, n’ait pas profité de l’occasion pour

faire avancer le droit sur cette question. Elle a esquivé le problème en

considérant simplement qu’il y avait eu assassinat, quelles qu’en aient

été les modalités d’exécution et ne s’est aucunement posé la question

de la tentative d’assassinat par des pratiques fétichistes (21).

II.3. L’AFFAIRE DE SORCELLERIE DU COUPLE MAKONGA ET

MPOLO

Dans une autre affaire jugée par le Tribunal de Grande

Instance de Kinshasa-Kalamu), les difficultés de statuer sur la

sorcellerie apparaissent.

II.3.1. Exposé des faits

Les conjoints MAKONGA et LUYINGA furent poursuivis

pour avoir notamment donné en consommation à la nommée

MATADILA MPOLO, une banane, qui serait mystérieusement

transformée en viande et aurait provoqué, d’une part, une altération de

l’état de santé de la jeune fille, et d’autre part, causé auprès de celle-ci

des apparitions nocturnes du couple. Après avoir retenu l’infraction

d’empoisonnement, qualification tout à fait à rejeter compte tenu des

termes de notre code pénal (décret de 1940 en R.D.C.) qui définissent

cette infraction comme un meurtre, le juge la dit non établie au motif

que le fait des apparitions mystérieuses ne constitue en rien une

(20 ) BAYONA-BA-MEYA, Parapsychologie et droit, in cahier de recherches, « PSI », n° 3, série III, 1982, p. 236.(21) C.S.J. 02/06/1971, R.P. 24, inédit, cité par BAYONA-BA-MEYA, Loc. cit.

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32

infraction, encore que la preuve de ces apparitions mystérieuses et

nocturnes ne pourra jamais être apportée concrètement (22).

II.3.2. Appréciation de la théorie

La question de la sorcellerie a figuré à l’ordre du jour de la

Conférence Nationale Souveraine (C.N.S.) a été traitée par la

commission juridique.

Sur base de l’étude faite par la sous-commission et des

réformes juridiques, la plénière a retenu ce qui suit :

Le problème de la sorcellerie est réel « une grande partie de la

population étant convaincue qu’on peut tuer ou causer du mal par

envoûtement ».

Néanmoins, la preuve demeure difficile à rapporter.

Compte tenu de ce qui précède, il est prudent de ne légiférer, et de

recourir aux textes existants chaque fois que les circonstances de

l’espèce (aveux, témoignages…), la preuve est rapportée quant à

l’intention et aux actes matériels constitutifs de l’une ou l’autre

infraction (23).

La culpabilité en droit coutumier ou en droit écrit étant

difficile à établir faute de moyens de preuve, mais il est

coutumièrement admis l’existence de certains faits pratiques et

chimériques qu’on peut tuer par des forces magiques ou mystiques

étant donné l’étendue du territoire national et l’économie d’élaboration

et la codification de notre arsenal juridique d’inspiration lointaine qui

n’a pas tenu compte des réalités réelles et remarquablement connu

dans notre société.

Dans l’affaire du chat noir et celle du couple MAKONGA

MPOLO, la jurisprudence a seulement confirmé la sorcellerie, mais n’a

pas pu profiter de mettre en clair les moyens par lesquels on peut

(22) Tribunal de Grande Instance de Kinshasa, 27/02/1998, in R.D.A., 1998, 360 note de Léon KYABOBA KASOBWA, cité par NYABIRUNGU, op.cit., p. 246.(23 ) Rapport de la commission juridique de la Conférence Nationale Souveraine, Palais du Peuple, Kinshasa, 1992, pp. 109-110.

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cependant imaginer les poursuites, les moyens de preuve envisagées

permettant de mettre à la portée du public les éléments nécessaires à

l’élaboration d’une norme juridique de portée coutumière applicable

dans la vie communautaire.

3. ETAT DE LA JURISPRUDENCE EN DROIT COMPARE

III.1. LA JURISPRUDENCE FRANCAISE ET BELGE

III.1.1. Etat de la question

Pour qu’un individu soit déclaré coupable, il faut l’existence

de trois éléments : la faute, le dommage et le lien de causalité.

Mais le législateur ne s’est pas contenté de faire du préjudice un

élément constitutif de l’infraction culpeuse. Il en a fait aussi la ‘’pierre

angulaire du système répressif’’(24) car les peines sont déterminées et

varient suivant le résultat.

La question qui se pose est celle de déterminer le lien de

causalité en droit écrit ou en droit coutumier.

R. SAVATIER estime que chacun de ces faits étant lui-même dû à

plusieurs activités ou observations et ainsi de suite. A mesure qu’on

remonte dans le passé, croît donc en progression géométrique, le

nombre des causes de tout dommage. Et il est vrai que si, l’un de ces

faits manquait, le dommage ne serait pas produit (25).

En Afrique, le lien de causalité est toujours la cause du

dommage et ce lien est toujours présumé avoir un mobile chimérique

ou magique d’une main noire agissant à distance par des formules

incantatoires soit pour causer la mort de la victime, soit lancer une

malédiction ou un mauvais sort sur son adversaire.

CARBONNIER écrivait qu’il faut imposer des limites à cette

ascension infiniment lointaine et complexe de tout dommage, de peur

(24 ) ROKOFYLLOS, Le concept de lésion et la répression de la délinquance par imprudence (essai et critique), L.G.D.J., Paris, 1967, n° 34.(25 ) R. SAVATIER, Traité de la responsabilité civile en droit français, 11ème Ed., L.G.D.J., Paris, 1951, n° 457.

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que chaque homme ne soit impliqué « dans tout le mal qui déchire

l’univers »(26).

III.1.2. L’affaire HAZARD

L’affaire HAZARD s’inscrit dans ce cadre (27), le prévenu

avait été auteur d’un accident, et sa victime avait encouru la fracture

d’une côte.

Admise à l’hôpital, elle décéda à la suite d’une méningite purulente.

Hazard fut condamné pour homicide involontaire et, à

propos du lien de causalité, la Cour Suprême s’exprima ainsi.

Qu’ainsi, entre le traumatisme causé par l’accident et les

lésions, il s’est produit un enchaînement ininterrompu de

complications consécutives les unes des autres et que, dès lors, la

faute initiale du demandeur présente avec dommage un lien

nécessaire, direct et certain.

Cette affaire est difficile à établir le lien de causalité en droit

coutumier, car on sous-entend la mort d’un jeune tué par des paroles

mystiques.

III.1.3. Affaire KASONGO et TSHIBOLA

1. Exposé des faits

Dans une interview accordée au chef coutumier KOMBO du

Territoire de Sakania, District du Haut-Katanga, Province du Katanga

en R.D.C. Une affaire était pendante devant la chefferie coutumière de

Kombo de Monsieur KASONGO, jeune homme de 20 ans présumé

avoir volé du maïs dans un champ de la Sœur TSHIBOLA. Ayant

découvert ce dégât, TSHIBOLA tua le jeune KASONGO à l’aide d’une

formule magique. Avant l’enterrement, le cercueil survolait en l’air à la

recherche du présumé tueur du jeune homme jusqu’à la maison

TSHIBOLA qui avoua l’avoir tué par une formule magique et le tribunal

(26) S. CARBONNIER, Droit civil, 4ème Ed., P.U.F., Coll. Thémis, Paris, 1972, p. 322.(27)Cass. Belge, 15/10/1974

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coutumier avait condamné TSHIBOLA pour sorcellerie grâce à la

pratique du survol du cercueil communément appelé ‘’Londola en

langue Bemba’’ qui signifie rechercher l’auteur de la mort (28).

Voilà comment le lien de causalité est toujours source desconflits en Afrique et au Katanga en particulier.

III.2. LA JURISPRUDENCE CAMEROUNAISE1. JUGEMENT N° 831/COR/DU 27/06/1966 DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE NGAOUNDERE CONFIRMÉ PAR LA COUR D’APPEL DE CADAMAOVA. L’ARRÊT N° 80/COR DU 16/12/1999

L’Affaire DILLA SOMON contre KEREBAI Noël

1. Exposé des faits

L’enfant DILLA est malade et conduit chez un tradipraticien

qui relève que celui-ci est victime d’un envoûtement orchestré par les

nommé KEREBAI Noel. Le Sieur DILLA Simon saisit le Tribunal de

Mouaundere, dans le but d’entendre le prévenu condamné pour

pratique de sorcellerie conformément à l’article 251 du code pénal.

L’enquête préliminaire a permis de découvrir au domicile du prévenu

KEREBAI Noël, un sachet en plastic noir contenant des produits

maléfiques dont il se servait pour son entreprise mystique.

Le prévenu ayant reconnu les faits, prétend que ce paquet

lui a été remis par le nommé ZAKI, en fuite pour aller faire du mal au

Sieur DILLA Simon.

Le Tribunal déclare coupable du délit de pratique de

sorcellerie conformément aux articles 74 et 251 du code pénal

camerounais. Cependant, lui accorde de circonstances atténuantes

pour ses aveux spontanés et le condamne à un an d’emprisonnement

ferme.

Le Ministère Public interjette l’appel le 05/04/1999 dans l’acte d’appel,

une critique essentielle est fulminée contre la décision des premiers

(28) L’interview accordée au chef coutumier KOMBO de la chefferie KOMBO, Cité de Kasumbalesa, à 95 km de la Ville de Lubumbashi, Province du Katanga en R.D.C.

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juges. En effet, le Ministère Public reproche aux juges d’instances

d’avoir prononcé une peine très douce pour une infraction aussi grave

que la pratique de la sorcellerie.

2. Jugement du Tribunal de Ngaoundere le 27/06/1996 statuant

en matière correctionnelle

Le Tribunal de Première Instance.

Vu les pièces du dossier de la procédure,

- Attendu que suivant le procès-verbal d’interrogatoire du Parquet

en cas de flagrant délit de Monsieur le Procureur de la

République près le Tribunal de céans statuant en matière

correctionnelle, pour répondre des faits de pratique de

sorcellerie, prévus et punis par les articles 74 et 251 du code

pénal commis courant 1996 à Sindere (Belel) au préjudice de

DILLA Simon ;

- Attendu qu’il y a lieu de statuer par défaut à l’égard du plaignant

qui ne compare pas et par jugement contradictoire à l’égard du

prévenu ;

- Attendu qu’il résulte des faits de la cause que courant avril 1996

au village Sindere (Belel), l’enfant de DILLA Simon tomba malade

et il l’amena chez un tradipraticien qui révéla que l’enfant était

envoûté par deux personnes dont les prévenus KEREBAI Noël et

le nommé ZAKI, ce dernier ayant pris fuite après l’arrestation du

prévenu ;

- Attendu qu’à l’enquête préliminaire, comme au cours des débats

en audience publique, le prévenu a reconnu partiellement les

faits et a déclaré le nommé ZAKI lui avait remis un sachet

contenant des produits maléfiques, en vue d’aller faire du mal à

DILLA Simon ;

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- Que sur insistance de son ami ZAKI, il avait pris le colis pour

aller le garder chez lui ; qu’il ne sait pas trop comment la victime

en était informée et était venue l’interroger à ce sujet ;

- Attendu qu’il est produit aux débats un scellé constitué d’un

sachet en plastic noir contenant lesdits effets maléfiques que le

prévenu reconnaît avoir reçu de son acolyte ZAKI qui a pris fuite

après l’arrestation du prévenu ;

- Attendu de ce qui précède, il résulte suffisante contre KEREBAI

Noël de s’être rendu à Sindere, ressort judiciaire de céans

courant 1996, livré des pratiques de sorcellerie, magie ou

divination susceptible de troubler l’ordre ou la tranquillité

publique ou de porter atteinte aux personnes en détenant les

objets maléfiques qu’ont servi à envoûter l’enfant de DILLA

Simon, plaignant ;

- Attendu que ces faits constitutifs de pratique de sorcellerie et

qu’il y a lieu d’en déclarer le prévenu coupable ;

- Attendu cependant que pour ces aveux spontanés, il y a lieu de

lui accorder le bénéfice des dispositions bienveillantes de l’article

72 sur les circonstances atténuantes ;

- Attendu que les dépenses sont à la charge de la partie qui

succombe ;

Par ces motifs,

Statuant publiquement en matière correctionnelle et ce, premier

ressort par un jugement contradictoire à l’égard du prévenu et par

défaut de la partie civile :

- déclare KEREBAI Noël coupable de pratique de la sorcellerie ;

- lui accorde des circonstances atténuantes pour ses aveux

spontanés à 1 an d’emprisonnement ferme et aux dépens ;

- ordonne la confiscation et la destruction de scellés n° 88/CT/NG

du 14/05/1996.

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3. Arrêt n° 80/COR du 16/12/1996 de la Cour d’Appel de

Cadamaova

Affaire Ministère Public (appelant) contre KEREBAI Noël

(prévenu) et DILLA Simon (partie intimée)

Par Victorine KI.

Assistance de la Cour du jugement n° 831/COR du 27/06/1996

- Vu l’appel du 28/06/1996 ;

- Oui, Monsieur le Président en la lecture de son rapport ;

- Oui, le Ministère Public en ses réquisitions ;

- Nul pour les parties non comparant ;

- Nul les pièces du dossier de la procédure ;

- Et après avoir délibéré conformément à la loi

En la forme

Considérant que l’appel interjeté le 28/06/1996 par le

Ministère Public contre le jugement n° 831/COR rendu le 27/06/1996

par le Tribunal de Première Instance de Ngaoundere est régulier pour

avoir été fait dans les formes et délais légaux.

Considérant que les parties ne comparaissent pas bien

qu’ayant été régulièrement citées ; qu’il s’en suit que la décision est

par défaut contre eux ;

Au fond

Considérant que le ministère public fait grief au premier

juge d’avoir prononcé une peine très douce pour une infraction aussi

grave que la pratique de sorcellerie.

Considérant que le grief est pertinent que la peine d’un an

infligé au premier n’est pas de nature à le dissuader, à récidiver.

Il échet par voie de conséquence de confirmer le jugement

sur la culpabilité et sur la destruction du scellé et de l’amender quant

à la peine dans son aggravation ; et considérant que le prévenu

succombe qu’il importe de mettre les dépenses à sa charge ;

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Par ces motifs

Statuant publiquement par arrêt de défaut à l’égard des

parties, en matière correctionnelle et en dernier ressort.

En forme

Reçoit l’appel

Au fond

Confirme la culpabilité ;

Condamne le prévenu à deux ans d’emprisonnement ferme

de cinquante mille francs d’amende à 100.000 francs conformément à

l’article 251 du code pénal camerounais ;

Confirme le surplus ;

Décerne mandat d’arrêt contre lui.

4.5. Commentaire

L’article 251 du code pénal camerounais qui traite de la

sorcellerie est ainsi libellé « est puni d’un emprisonnement de deux à

dix ans et d’une amende de 5.000 à 100.000 francs celui qui se livre à

des pratiques de sorcellerie (magie ou divination susceptible de

troubler l’ordre et la tranquillité publique ou de porter atteinte aux

personnes, aux biens ou à la fortune d’autrui même sous forme de

rétribution.

De la lecture de l’article 251 du code pénal, il ressort que

les moyens de la sorcellerie sont divers ; détention des produits

maléfiques, de la magie ou de la divination29. Le droit pénal

camerounais reconnaît clairement la pratique de la sorcellerie admise

par le droit coutumier et la légifère d’une manière expresse. Il est donc

souhaitable que le législateur congolais se penche sur la question du

lieu de créer un certain obscurantisme qui met en danger la paix dans

les familles et renvoie la population à créer des tribunaux populaires

au mépris des dispositions légales en la matière.

29 Sorcellerie camerounaise : http//www.afrilex.ubordeau.4.fr

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CONCLUSIONLe traitement de la culpabilité par le droit coutumier, sa

conception et sa base tel est le thème ayant attiré notre attention

particulièrement à l’issue de notre démarche scientifique.

Au demeurant, la conception de la culpabilité en droit

coutumier se ramène à la détermination du régime juridique applicable

soit pour châtier, corriger, punir toute personne qui se comporterait en

marge des règles et usages issus de la coutume.

En effet, il faut reconnaître qu’en dépit du droit pénal écrit

caractérisé par la sanction en vertu du principe « nullum crimen nulla

poena sine lege », le droit pénal coutumier par ailleurs se manifeste par

un système basé sur l’arbitrage que sur la punition (sanction).

Il va sans dire que le droit coutumier est un ensemble des

valeurs sacrés, droit qui procède du mystique ou magies religieux dont

le clivage entre le sacré et le réel se superposant par le recours aux

mânes des ancêtres, à la sagesse incarné dans les autorités

coutumières qui sont soit le chef de tribu ou le chef du village.

Saisir la conception de la culpabilité et sa base en droit

coutumier revient à réfléchir sur la notion même de la coutume qui est

violée par un membre composant la communauté ou un groupe social.

Or, le droit coutumier étant essentiellement clanique, ou le

sens du communautarisme l’emporte que le reflet de l’individualité,

chacun étant considéré par rapport à la société qui le créée, l’éduque,

l’initie au sens de la vie, sa base se trouve liée à l’esprit de solidarité et

du groupe.

Dans les sociétés juridiquement et coutumièrement

organisées, par exemple le vol d’un œuf était un délit grave car on

estime qu’un individu qui vole un œuf est considéré comme un voleur

qualifié ; il en est de même du vol de la viande dans une casserole en

ébullition sur le feu.

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De même l’adultère répété avec la femme d’un chef pouvait

être puni de la peine de mort ou encore des mutilations, l’ablation des

oreilles, des mains, des yeux ou encore de la verge.

Par ailleurs, la sorcellerie dans les coutumes Bemba et

Sanga dans la province sud du Katanga en RDC, n’était pas considéré

comme étant nuisible, mais plutôt était un mécanisme par lequel les

vieux pouvaient châtier les récalcitrants ou ceux qui violeraient la

coutume de manière délibérée.

Comme on peut le remarquer, la conception de la

culpabilité dans les sociétés primitives était basé sur l’idée de

répartition qui procède de l’arbitrage et non et de la punition et sa base

était incarné dan le système de solidarité et l’attachement de l’individu

au groupe dans un ordre traditionnellement organisé.

Il convient donc de préciser que le droit coutumier étant un

droit sacré, mystique, religieux et original procède donc dans les

règlements des différends entre individus ou groupe d’individus

composant une communauté d’un système basé sur l’arbitrage que sur

la punition ; sa conception de la culpabilité reflète la pensée et la

sagesse populaire des anciens, encré dans la coutume, les us et

pratiques envisagés comme valant droit à la fois ordre moral et sens

du communautarisme.

De même sa base juridique est caractéristique de l’élément

psychologique qui consiste dans la croyance dans la sagesse et

l’expérience des vielles personnes dont l’initiation à la pratique secrète,

coutumière ou ancestrale socle des valeurs incarnées par les chefs

coutumiers à travers les mânes des ancêtres morts, qui ne sont pas

morts mais qui se trouvent dans le cœur et les esprits de ceux qui les

invoquent dans le respect de la coutume.

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Le traitement de la culpabilité en droit coutumier étant

l’apanage des tribunaux coutumiers dont les notabilités jouaient un

rôle prépondérant.

S’il est loisible de préciser que la procédure suivie se diffère

de celle envisagée dans le droit écrit qui résulte des moyens de preuves

civiles (présomption, témoignage, aveu…) ou pénales, le droit

coutumier, ne reconnaît pas la preuve par excellence car celle-ci étant

administrée par des pratiques secrets incarnés dans le sens du sacré,

du fétichisme voir mystico-réligieux dont les devins, les vieux sorciers

et les notabilités qui entouraient les chefs de villages ou des tribus

savaient manipuler à juste cause.

Pouvons-nous alors que le sacré est socle du droit

coutumier et la coutume source première et originale de ce droit qui

trouve sa quintessence dans l’oralité des procès et la sagesse populaire

des vieux comme fondement de la paix sociale et communautaire.

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BIBLIOGRAPHIE

I. TEXTES DES LOIS ET JURISPRUDENCES

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1960 ;

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3) Cour suprême de la justice, du 02 juin 1971. RP. 24 inédit ;

4) Cassation Belge du 15 octobre 1974. I.162 ;

5) Cours suprême de justice (Kinshasa 28 décembre 1979) ;

bulletin. 1984, 357 ;

6) Tribunal de grande instance de Kinshasa, 27 février 1998. in

RDA, 360 ;

7) Constitution de la transition du 05 avril 2003 en RDC ;

8) Constitution du 18 février 2006 en RDC ;

9) Arrêt de la cour d’appel de Kinshasa, inédit, 4 juillet, rendu

le 08 janvier 1970 ;

10) Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant code de la famille en

RDC.

II. OUVRAGES ET REVUES

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de droit, revue de la faculté de droit n°1, Université

protestante du Congo, Kinshasa 1979 ;

2) Alain SOUPIOT, Essai anthropologique de la fonction du

droit, éd. Du seuil, Paris 2005 ;

3) Antoine SOHIER : Le mariage en droit coutumier congolais,

institut royal colonial belge, mémoires, Coll. In 82, Tome XI

fascicule 3 et dernier, librairie Falk, fiche, Bruxelles 1943 ;

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4) Antoine SOHIER : Pratique des juridictions indigènes, éd.

Ferninand Larcier, Bruxelles 1932 ;

5) Antoine SOHIER : Traité élémentaire de droit coutumier du

Congo belge, 2ème éd. Ferdinand Larcier, Bruxelles 1954 ;

6) COMHAIRE et ALI : le nouveau dossier Afrique : situation et

perspective, Marabout université, Paris 1971 ;

7) Emille LAMY : l’omission criminelle en droit pénale congolais

et propositions législatives, In RJC 1964 ;

8) Jean CARBONNIER, droit civil, 4ème édition, PUF, coll.

Themis, Paris 1972 ;

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Universalis, corpus I, France SA, Paris 1989 ;

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Kinshasa, 2001 ;

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souveraine, Palais du peuple, Kinshasa 1992 ;

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délinquance par imprudence (essai critique) LGDJ, Paris

1957 ;

13) SAVATIER R. : Traité de la responsabilité civile en droit

français, 11ème éd. LGDJ ; Paris 1951, n°457 ;

14) Sorcellerie camerounaise : http//www.afrilex.urbordeau.4.fr