Thérapie génique des adénomes hypophysaires

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78 Ann. Endocrinol., 2006 ; 67, 1 : 78-79 © Masson, Paris, 2006 SEPTIÈMES RENCONTRES NATIONALES DES INTERNES EN ENDOCRINOLOGIE THÉRAPIE GÉNIQUE DES ADÉNOMES HYPOPHYSAIRES Nicolas Chevalier Service d’Endocrinologie-Reproduction-Diabétologie-Lipidologie (Prof. P. Fénichel), CHU de L’Archet, Nice. D’après la communication de A. Barlier (Marseille) lors du Symposium « Adénomes hypophysaires », animé par T. Brue et B. Delemer — 21 e Congrès de la Société Française d’Endocrinologie, Reims, 29 septembre-2 octobre 2004. La pathologie adénomateuse hypophysaire est fréquente (10 à 15 % des séries autopsiques), principalement de types lactotrope, somatotrope ou non fonctionnel. Elle correspond à une prolifération monoclonale de cellules ayant subi des mutations dans leur cascade transcription- nelle (en particulier au niveau du système des protéines G) [1]. De nombreux outils sont actuellement à la dispo- sition du clinicien pour garantir une prise en charge optimale : chirurgie trans-sphénoïdale, radio-chirurgie, agonistes somatostatinergiques, et plus récemment les antagonistes du récepteur de l’hormone de croissance (GH). Cependant, certains adénomes échappent à l’ensemble de ces thérapeutiques, notamment lorsqu’il s’agit de macroadénomes invasifs ; dans cette situa- tion particulière, la thérapie génique pourrait être efficace. MÉTHODE La thérapie génique consiste en l’addition au génome d’une cellule, grâce à un vecteur, viral ou non-viral (lipo- some, complexe protéique), d’une séquence nucléotidique plus ou moins longue, afin d’obtenir une transduction locale du gène transfecté [2, 3]. Plusieurs familles virales sont potentiellement utili- sables, mais seuls les lentivirus et les adénovirus ont la capacité d’infecter à la fois des cellules quiescentes et en division, tout en transférant leur génome à l’hôte. Cependant, les adénovirus peuvent induire une réaction inflammatoire sévère [4] pouvant aboutir à une nécrose tissulaire, d’où l’utilisation préféren- tielle des lentivirus, dérivés du virus de l’immunodéfi- cience humaine de type 1 (VIH-1). Le génome des vecteurs utilisés comporte cinq régions importantes, modifiées par construction plasmidique : les composants structurants (gag et pol), l’enveloppe (env) et deux régions terminales responsables de l’inser- tion génomique, appelées régions LTR, et caractérisées par une répétition de séquences nucléotidiques. Les études menées in vitro, sur tissu animal ou humain, ont montré une grande sensibilité des cellules anté- hypophysaires à la transduction génique, caractérisée par une expression prolongée du transgène marqueur pour des concentrations très faibles de particules virales. CIBLAGE D’EXPRESSION Son but est d’isoler un fragment nucléotidique, appelé promoteur, spécifique du tissu hôte, c’est-à-dire de chaque lignée cellulaire antéhypophysaire humaine. Pour la sous-unité alpha, les fragments nucléotidiques testés (un long et un court) sont fortement transduits, tout en étant spécifiques de la lignée gonadotrope (absence d’expression dans des fibroblastes, des lympho- cytes et d’autres cellules hypophysaires infectés). Le promoteur de la GH est spécifique, mais n’est pas cor- rectement exprimé (seulement 25 % contre 90 % pour le promoteur témoin). Quant à la séquence utilisée pour la prolactine (promoteur proximal de 250 paires de ba- ses), elle est à la fois spécifique et puissante pour cibler les cellules lactotropes, mais également somatotropes. CIBLAGE D’ACTION Il consiste à déterminer un gène utilisable en tant que suppresseur de tumeur, appelé transgène, qu’on conju- guera secondairement à un promoteur pour obtenir une action tissulaire spécifique. Quatre protéines ont été principalement étudiées : — la thymidine kinase, qui peut transformer in situ le ganciclovir en un métabolite cytotoxique et ainsi empêcher le développement d’un adénome somatotrope chez la souris [5] ; la toxine diphtérique, qui joue un rôle similaire [6] ; la tyrosine hydroxylase, en transformant une tyrosine en dopamine, inhibe l’hyperplasie lactotrope habituelle- ment induite par une hyperœstrogénie [7] ; — un récepteur aux œstrogènes tronqué (ER-L540Q), appelé dominant négatif, empêche la prolifération mo- noclonale de cellules somatotropes in vitro [8]. DOMINANT NÉGATIF DE PIT-1 Pit-1 est un facteur transcriptionnel indispensable au développement normal des lignées hypophysaires lacto- trope, somatotrope et thyréotrope. Son absence est res- ponsable de déficits sécrétoires combinés. Il s’agit d’un promoteur hautement spécifique de ces trois lignées cellulaires, avec une expression dans plus de 95 % des

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Ann. Endocrinol., 2006 ; 67, 1 : 78-79 © Masson, Paris, 2006

SEPTIÈMES RENCONTRES NATIONALESDES INTERNES EN ENDOCRINOLOGIE

THÉRAPIE GÉNIQUE DES ADÉNOMES HYPOPHYSAIRES

Nicolas Chevalier

Service d’Endocrinologie-Reproduction-Diabétologie-Lipidologie (Prof. P. Fénichel), CHU de L’Archet, Nice.

D’après la communication de A. Barlier (Marseille) lors du Symposium « Adénomes hypophysaires », animé par T. Brue et B. Delemer— 21

e

Congrès de la Société Française d’Endocrinologie, Reims, 29 septembre-2 octobre 2004.

La pathologie adénomateuse hypophysaire est fréquente(10 à 15 % des séries autopsiques), principalement detypes lactotrope, somatotrope ou non fonctionnel. Ellecorrespond à une prolifération monoclonale de cellulesayant subi des mutations dans leur cascade transcription-nelle (en particulier au niveau du système des protéines G)[1]. De nombreux outils sont actuellement à la dispo-sition du clinicien pour garantir une prise en chargeoptimale : chirurgie trans-sphénoïdale, radio-chirurgie,agonistes somatostatinergiques, et plus récemmentles antagonistes du récepteur de l’hormone de croissance(GH). Cependant, certains adénomes échappent àl’ensemble de ces thérapeutiques, notamment lorsqu’ils’agit de macroadénomes invasifs ; dans cette situa-tion particulière, la thérapie génique pourrait êtreefficace.

MÉTHODE

La thérapie génique consiste en l’addition au génomed’une cellule, grâce à un vecteur, viral ou non-viral (lipo-some, complexe protéique), d’une séquence nucléotidiqueplus ou moins longue, afin d’obtenir une transductionlocale du gène transfecté [2, 3].

Plusieurs familles virales sont potentiellement utili-sables, mais seuls les lentivirus et les adénovirus ontla capacité d’infecter à la fois des cellules quiescenteset en division, tout en transférant leur génome àl’hôte. Cependant, les adénovirus peuvent induireune réaction inflammatoire sévère [4] pouvant aboutirà une nécrose tissulaire, d’où l’utilisation préféren-tielle des lentivirus, dérivés du virus de l’immunodéfi-cience humaine de type 1 (VIH-1).

Le génome des vecteurs utilisés comporte cinq régionsimportantes, modifiées par construction plasmidique :les composants structurants (gag et pol), l’enveloppe(env) et deux régions terminales responsables de l’inser-tion génomique, appelées régions LTR, et caractériséespar une répétition de séquences nucléotidiques.

Les études menées

in vitro

, sur tissu animal ou humain,ont montré une grande sensibilité des cellules anté-hypophysaires à la transduction génique, caractériséepar une expression prolongée du transgène marqueurpour des concentrations très faibles de particules virales.

CIBLAGE D’EXPRESSION

Son but est d’isoler un fragment nucléotidique, appelépromoteur, spécifique du tissu hôte, c’est-à-dire de chaquelignée cellulaire antéhypophysaire humaine.

Pour la sous-unité alpha, les fragments nucléotidiquestestés (un long et un court) sont fortement transduits,tout en étant spécifiques de la lignée gonadotrope(absence d’expression dans des fibroblastes, des lympho-cytes et d’autres cellules hypophysaires infectés). Lepromoteur de la GH est spécifique, mais n’est pas cor-rectement exprimé (seulement 25 % contre 90 % pourle promoteur témoin). Quant à la séquence utilisée pourla prolactine (promoteur proximal de 250 paires de ba-ses), elle est à la fois spécifique et puissante pour ciblerles cellules lactotropes, mais également somatotropes.

CIBLAGE D’ACTION

Il consiste à déterminer un gène utilisable en tant quesuppresseur de tumeur, appelé transgène, qu’on conju-guera secondairement à un promoteur pour obtenir uneaction tissulaire spécifique.

Quatre protéines ont été principalement étudiées :— la thymidine kinase, qui peut transformer

in situ

leganciclovir en un métabolite cytotoxique et ainsi empêcherle développement d’un adénome somatotrope chez lasouris [5] ;— la toxine diphtérique, qui joue un rôle similaire [6] ;— la tyrosine hydroxylase, en transformant une tyrosineen dopamine, inhibe l’hyperplasie lactotrope habituelle-ment induite par une hyperœstrogénie [7] ;— un récepteur aux œstrogènes tronqué (ER-L540Q),appelé dominant négatif, empêche la prolifération mo-noclonale de cellules somatotropes

in vitro

[8].

DOMINANT NÉGATIF DE PIT-1

Pit-1 est un facteur transcriptionnel indispensable audéveloppement normal des lignées hypophysaires lacto-trope, somatotrope et thyréotrope. Son absence est res-ponsable de déficits sécrétoires combinés. Il s’agit d’unpromoteur hautement spécifique de ces trois lignéescellulaires, avec une expression dans plus de 95 % des

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Vol. 67, n° 1, 2006 Septièmes rencontres nationales des internes en endocrinologie

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cellules infectées et qui se prolonge au-delà de soixantejours.

Il existe deux mutations de Pit-1 : une substitutionR271W qui exerce un effet dominant négatif, et unedélétion

Δ

1-126 qui aboutit à la transcription d’une pro-téine tronquée. Exposées de manière indépendante àdes cellules somatotropes, ces deux mutations sontcapables d’inhiber significativement les sécrétions de GHet de prolactine, mais aussi de diminuer la viabilité cellu-laire en induisant une apoptose (modifications du cyclecellulaire comprenant une suppression de la phaseG2/M1 et une augmentation de la phase sub-G1).

CONCLUSION

Les adénomes hypophysaires humains peuvent êtretransduits efficacement par les lentivirus à partir de trèsfaibles concentrations virales.

Les promoteurs spécifiques de la prolactine et de lasous-unité alpha sont suffisamment puissants pour ob-tenir un ciblage efficace des adénomes lactotropes, so-matotropes et non fonctionnels. Le dominant négatif dePit-1 pourrait, quant à lui, être utilisé spécifiquementdans les adénomes somato-lactotropes.

Cependant, la possibilité d’une transduction aux tissussains, en l’absence d’une spécificité exclusive, contre-indique l’utilisation de cette technique de manièresystémique : seule serait envisageable une injectionstéréotaxique combinée au traitement chirurgical par

voie transphénoidale. D’autres études sont donc né-cessaires, notamment

in vivo

, avant de pouvoir espérerappliquer cette technique à échelle humaine.

RÉFÉRENCES

1. Davis JR, Farrell WE, Clayton RN. Pituitary tumours. Reproduc-tion 2001 ; 121 : 363-71.

2. Castro MG. Gene therapy strategies for the treatment of pitui-tary tumours. J Mol Endocrinol 1999 ; 22 : 9-18.

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4. Davis JR, McMahon RF, Lowenstein PR, Castro MG, Lincoln GA,McNeilly AS. Adenovirus-mediated gene transfer in the ovinepituitary gland is associated with hypophysitis. J Endocrinol2002 ; 173 : 265-71.

5. Lee EJ, Anderson LM, Thimmapaya B, Jameson JL. Targetedexpression of toxic genes directed by pituitary hormone pro-moters: a potential strategy for adenovirus-mediated genetherapy of pituitary tumors. J Clin Endocrinol Metab 1999 ;84 : 786-94.

6. Labow D, Lee S, Ginsberg RJ, Crystal RG, Korst RJ. Adenovirusvector-mediated gene transfer to regional lymph nodes. HumGene Ther 2000 ; 11 : 759-69.

7. Williams JC, Stone D, Smith-Arica JR, Morris ID, Lowenstein PR,Castro MG. Regulated, adenovirus-mediated delivery of tyrosinehydroxylase suppresses growth of estrogen-induced pituitaryprolactinomas. Mol Ther 2001 ; 4 : 593-602.

8. Lee EJ, Duan WR, Jakacka M, Gehm BD, Jameson JL. Dominantnegative ER induces apoptosis in GH(4) pituitary lactotrope cellsand inhibits tumor growth in nude mice. Endocrinology 2001 ;142 : 3756-63.