Tent Ations

7/24/2019 Tent Ations

1/15

TENTATIONS

PAR

ANDR SPIRE

PARIS

CAMILLE BLOCH

j66, RUE SAINT-HONOR, 366

1920

TENTATIONS

TENTATIONS

PAR

ANDR SPIRE

PARIS

CAMILLE BLOCH

366, RUE SAINT-HONOR, 3661920

Quand l'homme et la femme sontrunis, ia gloire divine rside parmieux.

Talmud.


2/15

CONFIDENCES

Les curs bavardent, les curs se disentTu bats trop fort...

Toi, tu bats trop lentement.

J'ai battu si vite, si vite !

Et moi pas assez encore...Tout m'appelle,

Tout m'attire, m 'entraine,

Les femmes, les larmes, les livres,

Les villes, les fleuves, le ciel.

PRUDERIE

Maintenant que je vieillis,Que mon sang se glace,

Je me surprends, parfois, parler de vertu,

A mdire des jeunes gens sensuels.

puissance de l'habitude,

Et de l'exemple des vieilles gens!

Pensais-tu ainsi, autrefois.

Lorsque le printemps te chassait par les rues.

Et te faisait galoper vers l'amour,

Comme une bte en rut ?

14

Quand tu ne pouvais serrer une mainSans que ton coeur dfaille,

Ni t'asseoir contre un jeune corpsSans que ton corps devienne fou.

Et tu vas bouder, maintenant,

Et faire fi,

Et regarder d'un il prude

Ces bouches rouges, ces yeux brillants?


3/15

Venez, chers enfants, accourez!Voici des bouquets, des guirlandes,Des paroles pour vos chansons !De la musique pour vos danses!

RECITAL

Pourquoi, ce soir, as-tu jou devant cette salle?N'as-tu pas un homme qui t'aime ?

De petites touches blanches, noires,Une bote en forme de harpe,Une chaise haute.Une estrade...

i6 Tu entres.

Sur le fond cru tes joues sont ples.

Chre petite, tu es novice.

Tu as oubli le rouge,

Et tu ne sais pas saluer.

Mais tes mains courent, caressent,Et s'envolent.

Un peu de pose, n'est-ce pas?Toute une salle te regarde.

Pourquoi, si tu aimes les toffesQui gardent ton corps pour un seulFais-tu, par ces petites touches,Chanter ce bois et ce mtal ?

Tes mains frappent, cheminent.Caressent.

Ton petit pied, gant de gris,Compte, glisse, oblique, pique,


4/15

Et se rfugie sous la jupe.

Dans les veines gonfles de ton couTon cur lance ses jets qui nous brlent;Ton front tendu se penche et pointeComme une petite chvre menaante.

Et tes mains caressent, dansent,Et tes paules et tes hanchesEt tes genoux suivent tes mains.

Ah ! si tu aimes les toffes,Ces toffes ne te gardent plus,Et ta chair, et ton cur, et ton me,Leurs rticences, leurs secrets.Tu me les dis, je les connais.Toutes ces notes me les livrent.

i8

Pourquoi joues-tu devant cette salle ?As-tu faim ?

Es-tu dlaisse ?

N'as-tu pas un homme qui t'aime,

Qui te veuille pour lui seul ?

ART POTIQUE

Peuple gt par trop de matres.

Peuple trop riche en souvenirs,

Peuple des chansons et des danses,

Tu savais autrefois inventer tes images,

Chacun de tes baisers crait un mot nouveau.

Maintenant tu rcites.

Qu'as-tu fait de tes sens ?

20

coute-les.


5/15

Murmure, chante ce qu'ils te dictent.

Tout le reste oublie-le.

Quand le vent te caresse la main

Est-ce un dieu qui te prend ?

Une naade quand tu te plonges dans une source?

Ah, ne lis plus!

Ah ! n'apprends plus par cur.

Regarde, coute, flaire, gote, mange!

Jette tes vtements. Laisse le ciel, la mer,

Le soleil, l'air, l'odeur riche des plats

Possder ton corps jeune...

Et tes lvres se mettront toutes seulesA chanter de jeunes chansons.

ASSOCIATIONS

Ma fille, votre cruche est pleine.

L'eau dborde.

A quoi pensez-vous?

Je pense la pluie,Je pense au matin,

Et ses vapeurs,Et sa rose.Ma mre !

Vous pensez a.Je n'y pensais pas.

22

Vous alliez au puits,Moi la fontaine.Vous tiriez la chane.Moi je peux rver !

A quoi rvez-vous, ma fille,Ma fille?


6/15

Au ciment, ma mre, qui capte la source,Au fer qui la mne,

Au fer et aux mines.Aux ports, aux canaux,Et aux bateliers.Et aux terrassiers.Et au fontainier,Et leurs chansons,Et leurs baisers...

Et leurs baisers?

2

Je suis fille, ma mre.Je suis fille,Ma mre.

DAGMARA

Petite fille, petite fille,

Tu erres, depuis hier, dans mon esprit.

Tu jouais au croquet,

Je passe. Je te photographie.

Tu me surprends.

Je te dis : Je vous photographie,

Mademoiselle !

Tu rponds : oh ! Monsieur !

En redressant ton cou brl, et tu souris.

Oui, je te tiens dans ma bote magique.Et j'emporte avec moi, pour toute ma vie.

26 -

Tes yeux noirs, tes cheveux tombants sur tes sourcils,Ta face mince, tes dents d'arabe, ton teint d'olive.Et ton corps souple et maigre, que peignirent mille fois,Sur des cratres d'argile rouge,Des artisans de ton pays.

Tu es fche, tu es fche, fillette ?


7/15

Je vais m'asseoir. Je lis. J'entends des pas.

Tu n'as plus ton maillet; tu t'approches, cambre...

Contre le mur chaud de l'autel tu t'arcboutes,

Et y graves ton nom comme un chevrier sur un htre.

Dagmara, Dagmara, petite Grecque...

RVEIL

Coq qui chantes,

Train qui souffles,

Cur de l'homme,

Qui, entre deux aurores, bats cent mille fois.

Vous avez assez de la nuit.

Des bras s'tirent,S'enlacent,

Le trottoir sonne sous des talons

Et la chausse sous les roues mates

Des charrettes qui bringuebalent

Sur le macadam ingal.

INCANTATION

Vents, souffles, respiration du monde,

vents, par qui nous sommes,

Qui portez la fracheur jusqu' nos langues sches.

Qui nous donnez l'automne

Et les tides lampes de l'hiver,

vents, nous sommes las de ce bleu implacable!

Venez, vers nos ttes brlantes qu'il crase.

Venez, venez vers nous;

Dlivrez-nous avec votre galopade de nuages,

Vos tourbillonnements de branches et de feuilles,


8/15

Et la mare montante de vos voix continues!

BERCEUSE

Mer, parle-moi des galets que tu roules...

N'es-tu jamais lasse ?

Des rochers dont tu fais du sable,

De tes rides, de tes bulles, de tes cumes, de ton odeur ;

Des pins que ta rose fait jaillir de tes les

Et que tes vents tourmentent ;

De tes aubes de lait;

Des poissons, des coquilles, des algues, des mduses

Qui naissent, se fcondent, se balancent en toiEt de tous ceux qui meurent

N'es-tu jamais lasse ?

?2

Parle-moi de la vote du ciel qui t'attire,Des toiles qui voudraient se mirer dans tes eauxEt dont tes vagues brisent, sans cesse, les images.

Du soleil qui te fuit l'aurore, qui t'aspire, t'entrane,Que, le soir, tu voudrais retenir dans ta couche,Qui t'chappe toujours

Parle-moi des galets.N'es-tu jamais lasse f

OCTOBRE

Dans le rose du matin,Au-dessus des bues,Qu'est-ce qu'un toit ?

Au milieu des bouleaux,


9/15

Des peupliers, des chnes.

Et des pins, sur un sol de pierre.

Qu'est-ce qu'un toit ?

34

Et sa fume qui monte,

Muette, vers le ciel,

Avec le bruit des pas, des herses, des charrues,

Du ruisseau dans le val.

Des vannes et des meules,

Des trains et des moteurs.

Et la voix des sirnes qui appelle les bras.

Dans ce matin actifQu'est-ce qu'un toit secretQui abrite des mes?

NOVEMBRE

Les cloches.

Dans les sous-bois dfaits, verts ples et diaphanes

Comme un dernier raisin oubli la treille,Le vent.

Le basset jappe.

Des escadrilles de corbeaux flottent.

Horizontales, verticales ;

Sont-ce des oiseaux ou des feuilles ?

- ^6 -

Le vent dans les fumes,

Sur les tuiles du toit,

Dans i'tre ;

Dans les mailles du tricot de laine gris.


10/15

Qu'il ferait bon, qu'il ferait doux.

Dans son lit, ce matin,

De penser aux faons d'automne qui s'achvent,

A la paille, l'avoine,

Au bl dont les cours grimpent,

Au lait qui devient rare,

Aux oeufs quinze sous !

Mais il y a les cloches,

Les cloches dans le vent de tous les villages du monde.

Et l'on sort...

Et l'on monte, travers les pommiers,

Par le sentier qui colle.

?7

Porter aux morts, dont on a les habits,Le linge, les souliers, la maison, l'hritage.Le sang,

Un pot de fleurs, garni de papier colier.

Que le vent,

Que le vent aura jet par terre

Avant mme qu'on soit sorti du cimetire.

NUAGES

Comme le pasteur au milieude ses vaches, je suis au milieudes uvres saintes.

Rig-Vda.

Je sais que vous tes de petits cristaux de glace,

Ou de l'eau.

Je sais o vont et d'o viennent les vents


11/15

Qui vous ballottent dans le ciel vide ;

Vous passez devant des toiles dont je sais les noms ;

Les rayons des gloires qui vous aurolent et vous percent,

Je les brise dans mon spectroscope

Et je lis les secrets du soleil.

40

Cependant, quand le soir, de ses mains de lumire,M'treint et vous rougit,

De mon cur, de mes lvres, troupeaux saignants du ciel.Pasteurs, archers, colombes, cygnes, ferie, mirage,Je sens monter vers vous dix mille ans de prires.

I

MIDI

Quand midi t'allonge terre,

Suant,

Les oreilles bruissantes,

Au milieu des abeilles trpignant les lavandes

Et les agaves turgescents,

Au milieu des fourmis, des aiguilles de pins,

Des rsines, des gommes, des sves condenses,

des fleurs carquilles,Et, qu' tes pieds, la merDort abrutie entre les rochers rouges

Quand midi te colle terre.

Au milieu des oiseaux engoncs, muets,

Ton linge brlant ta peau comme le foyer d'une lentille.

42

La gorge sche, la bouche sans salive,La nuque treinte, les yeux aveugles,L'esprit vide.


12/15


13/15

Les ciels de cuivre,

Le cyclone qui tord,

Le tremblement de terre qui dchire...

Tu n'as plus peur.

Tu es sre de tout, de demain, de toujours.

Tu as bti, sur le fond tide d'un ancien lac.

Ta ville heureuse qui se gonfle,

Qui dtruit ses jardins, ses vergers, et ses champs

pleins de sueur, de btes et de problmes ;Ta ville de pierre qui pousse entre le ciel et toi.Tu n'as plus peur.Tu es sre de tout, de demain, de toujours.

Sur tes boulevards,

Devant tes boutiques avenantes,

47

Tes hommes aimables babillent,

Tes femmes trottinent et sourient

Comme si jamais leurs cuisses

Ne devaient avoir de varices,

Leur sclrotique devenir jaune.

Tes dputs bavardent et tes prtres se taisent.

Tu ne cres plus de dieux.

TENTATIONS

Nous parlons de Dieu.

Ne t'y laisse pas prendre,

Peuple.

Ce n'est pas le Dieu de tes pres.

Notre Dieu est exsangue, fluide..Pas de viscres, pas de contours.


14/15

Un simple dsir, une ide,Mais si commode entre initis.

Mais les potes sont faibles.Des marbres, une bonne table,Des jardins pour la causerie,

^o

Et des terrasses pour le rveII n'y en a que chez les grands ;

Et les grands ont besoin qu'on te mate.

Prends garde, Peuple,

Prends bien garde !

Nous pourrions vouloir te faire croire

Que ton Dieu-chair est notre Dieu.

TABLE DES MATIRES

TABLE

Confidences 1 1

Pruderie H

Rcital 15

Art Potique 19

Associations 21

Dagmara 2 y

Rveil 27

Incantation 29

Berceuse 3 r

Octobre jj

Novembre jj

Nuages J9


15/15

- 56 -

Midi 41

Tes mes 4}

Ile de France 45

Tentations 49

Tent Ations

Documents

Transcript of Tent Ations