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TENNIS DE TABLE Vers une conceptio humaniste de l'entr Les auteurs évoquent le rôle de l'entraîneur qui ne peut faire abstraction dans ses interventions de ses propres représentations. Leur approche est centrée sur la personne en référence à Cari Rogers PAR M. BELLEGARDE, G. DELASSASSEIGNE Q u'en est-il des représen- tations de l'entraîneur, concernant le coups techniques et les sys- tèmes de jeu ? nous voyons une réelle nécessité à avoir des représentations nettes mais larges en termes de tech- nique et de système de jeu. Il ne s'agit pas de faire ou de lais- ser faire n'importe quoi. S'inter- roger sur le temps est indispen- sable et ceci revient à se poser les questions : «est-il perdu ou investi en liberté, adaptabilité, confiance en soi?». Si une cohérence bio- mécanique et tactique sont néces- saires, il convient, dans un cadre structuré, de laisser place à la spé- cificité de la personne, à sa parti- cularité, à son autonomie. Il faut avoir confiance en l'hu- main et en son potentiel créatif, faire place à la tendance actuali- sante [1] à l'oeuvre en chacun de nous. La tendance actualisante, c'est cette force de vie qui pousse vers le développement, vers l'ex- pression de soi. «DANS QUELLE MESURE L'ENTRAÎNEUR EST-IL SUFFISAMMENT CONFIANT EN LUI ET EN L'AUTRE, POUR LAISSER DE LA PLACE À LA CRÉATIVITÉ DU JOUEUR?» [2] La peur de voir les choses lui échapper que ce soit en termes de résultat ou de pouvoir [3], peut induire chez l'entraîneur une conception rigide. Cette capacité de l'entraîneur de permettre au joueur de trouver son expression propre, nous fait concevoir l'activité de l'entraîne- ment davantage comme de la sculpture que comme une construction. Plutôt que de prendre les choses de l'extérieur et de les assembler pour en faire un coup technique ou un système de jeu, il s'agit de partir de ce qui existe à l'état latent chez le joueur et de faire grandir ce potentiel. Partir de l'extérieur dénature inévitablement ses possibilités initiales et ne mène pas vers l'ex- pression du potentiel du joueur, mais vers celle du modèle de l'entraîneur à travers le joueur. Cela a plus de sens, selon nous, de partir de ce qu'exprime le joueur et de le développer pro- gressivement. C'est en ayant une idée de la direction que nous vou- lons prendre, mais en étant centré sur le joueur, que nous allons l'ai- der à s'exprimer, à trouver son maximum d'efficacité, sans nier sa créativité. L'EMPATHIE [4] Pour que la relation entraîneur- entraîné ne souffre pas d'un éven- tuel décalage entre les attentes de EP.S № 333 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008 25 Revue EP.S n°333 Septembre-Octobre 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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TENNIS DE TABLE

Vers une conception plus humaniste de l'entraînement Les auteurs évoquent le rôle de l'entraîneur qui ne peut faire abstraction dans ses interventions de ses propres représentations. Leur approche est centrée sur la personne en référence à Cari Rogers

PAR M. BELLEGARDE, G. DELASSASSEIGNE Qu'en est-il des représen­

tations de l'entraîneur, concernant le coups techniques et les sys­tèmes de jeu ?

nous voyons une réelle nécessité à avoir des représentations nettes mais larges en termes de tech­nique et de système de jeu. Il ne s'agit pas de faire ou de lais­ser faire n'importe quoi. S'inter­roger sur le temps est indispen­sable et ceci revient à se poser les questions : «est-il perdu ou investi en liberté, adaptabilité, confiance en soi?». Si une cohérence bio­mécanique et tactique sont néces­saires, il convient, dans un cadre structuré, de laisser place à la spé­cificité de la personne, à sa parti­cularité, à son autonomie.

Il faut avoir confiance en l'hu­main et en son potentiel créatif, faire place à la tendance actuali­sante [1] à l'œuvre en chacun de nous. La tendance actualisante, c'est cette force de vie qui pousse vers le développement, vers l'ex­pression de soi.

«DANS QUELLE MESURE L'ENTRAÎNEUR EST-IL SUFFISAMMENT CONFIANT EN LUI ET EN L'AUTRE, POUR LAISSER DE LA PLACE À LA CRÉATIVITÉ DU JOUEUR?» [2] La peur de voir les choses lui échapper que ce soit en termes de résultat ou de pouvoir [3], peut

induire chez l'entraîneur une conception rigide. Cette capacité de l'entraîneur de permettre au joueur de trouver son expression propre, nous fait concevoir l'activité de l'entraîne­ment davantage comme de la sculpture que comme une construction. Plutôt que de prendre les choses de l'extérieur et de les assembler pour en faire un coup technique ou un système de jeu, il s'agit de partir de ce qui existe à l'état latent chez le joueur et de faire grandir ce potentiel. Partir de l'extérieur dénature inévitablement ses possibilités initiales et ne mène pas vers l'ex­

pression du potentiel du joueur, mais vers celle du modèle de l'entraîneur à travers le joueur. Cela a plus de sens, selon nous, de partir de ce qu'exprime le joueur et de le développer pro­gressivement. C'est en ayant une idée de la direction que nous vou­lons prendre, mais en étant centré sur le joueur, que nous allons l'ai­der à s'exprimer, à trouver son maximum d'efficacité, sans nier sa créativité.

L'EMPATHIE [4] Pour que la relation entraîneur-entraîné ne souffre pas d'un éven­tuel décalage entre les attentes de

EP.S № 333 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2008 25 Revue EP.S n°333 Septembre-Octobre 2008 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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l'un et les possibilités de l'autre, il est nécessaire de se centrer sur le joueur. Cela nous aide à main­tenir la relation, à rester profon­dément en contact avec le joueur. C'est le moment de faire interve­nir toute notre empathie pour être en contact avec ce que vit et res­sent le joueur. C'est notre capa­cité à entrer dans son monde, sans perdre de vue que c'est bien le sien propre.

LE REGARD POSITIF INCONDITIONNEL [4] Il nous permet d'accepter ce que le joueur vit, ressent, pense, fait, même s'il ne joue pas à fond lors d'une compétition importante, alors que nous avons traversé toute la France pour nous y rendre. Généralement, quand le joueur stagne, nous proposons (pour sortir de cette situation au plus vite) de prendre en compte ce que vit l'équipe entraîneur-entraîné, de le respecter, sans entrer dans la lutte. Cela ne signi­fie pas «entretenir» cette stagna­tion, mais prendre cette étape comme un fait, un droit du joueur et une fois abordés les aspects techniques qui bloquent peut-être les choses, c'est en intégrant cette période, en sentant combien cela fait partie du parcours de l'équipe entraîneur-entraîné que cette stagnation va se dissoudre. Le match appartient au joueur et non à fentraîneur, il en dispose totalement. Là encore, empathie et regard positif inconditionnel

sont de rigueur. Autre­ment dit, si le joueur choisit de «balancer» (laisser aller le match, ne pas lutter), c'est pos­sible. Nous nous adap­tons en cours de match s'il le faut nous passons du « ping » (conseils tactiques) à la personne (ce qu'elle ressent, comment elle vit les choses) en nous effor­çant de ne pas la juger. Pour permettre au joueur d'expérimenter et de vivre ce qu'il a à vivre à cet instant, il est important pour nous d'essayer d'être là quoi qu'il fasse. Il n'y a pas de bonne réponse ou attitude. Il y a l'attitude du joueur et nous la lui laissons. Il peut décider lui-même de ce qui est

juste pour lui (plus ou mois consciemment selon les moments).

Nous lui signifions que nous le laissons expérimenter : « ce match, tu en fais ce que tu veux, mais si tu veux bien, je serai là avec toi, quoique tu en fasses ». Cet accompagnement, le plus inconditionnel possible, permet à l'individu de faire son chemin à travers des expériences de vie, d'aller vers une autonomie accrue. Nous pensons plus riche d'enseignements pour le joueur de l'accompagner sur un match «balancé» que de le laisser livré à lui-même ou de le canaliser à tout prix. Une fois encore, nous essayons de nous centrer sur lui, et si l'athlète ne veut pas parler et partager, on peut lui laisser vivre ce moment dans la solitude. Nous lui offrons une écoute, une pré­sence, mais au joueur d'en dispo­ser tout à fait librement. Voici quelques paroles exprimées à un joueur qui pourraient illus­trer cette compréhension empa-thique et ce regard incondition­nel. Après un match au cours duquel il avait été particulière­ment «absent» et dans l'incapa­cité d'exprimer quelque chose qui serait venu profondément de lui sur le plan du jeu pongiste, la relation de confiance préalable­ment établie a permis un dialogue dont voici un extrait: «je sens que tu « balances », c'est un moment difficile pour toi, même si parfois tu montres un sourire. Et je crois aussi que tu subis plus

cette situation que tu ne la choi­sis, que sur le moment, tu ne peux pas faire autrement». Ces quelques mots ponctués de signaux non verbaux lui ont per­mis de se sentir accepté et au match suivant, d'exprimer pleine­ment son potentiel (même si le match a été perdu face à un adver­saire mieux classé).

LA CONGRUENCE Nous voudrions ici introduire un concept fondamental dans l'ap­proche centrée sur la personne celui de congruence [5]. Selon Cari Rogers, ce concept a deux facettes.

La première, c'est le contact avec soi-même; c'est-à-dire l'ac­cord entre ce que nous vivons profondément et la conscience que nous avons de ce que nous vivons. Si quelqu'un est manifes­tement énervé, qu'il hurle «Mais je suis calme ! », il est dans un état d'incongruence manifeste. L'autre facette, c'est le partage

avec l'autre, c'est-à-dire le choix de dire ou non à l'autre comment nous nous sentons ou ce que nous avons dans l'esprit. Si ces deux conditions sont réunies, nous sommes congruents. Mais cette transparence est à uti­liser avec parcimonie. Il ne s'agit pas d'être hypocrite, mais de se poser la bonne question : « est-ce que ma congruence peut servir la relation entraîneur-entraîné ? ». Si oui, alors elle a sa place ; sinon, alors il vaut mieux garder pour soi ce que l'on ressent et le tra­vailler plus tard.

Cette aptitude, bien utilisée, per­met aussi de prendre soin de nous. Être authentique et ne pas faire les choses à contrecœur per­

met à terme de préserver et d'en­tretenir la relation avec le joueur. La seule limite à cela, c'est notre capacité à offrir cette présence selon les moments. Cette question de limite est très actuelle dans notre réflexion. Malgré tout le sens que cette approche a pour nous, nous ne nous sentons pas encore apte à offrir cela sans en attendre un retour et vivre sereinement la fré­quente absence de reconnais­sance des joueurs. Nous sentons que l'essentiel du travail qui nous attend est dans cette voie.

NOTRE OBJECTIF Il ne s'agit pas d'un challenge sportif, insuffisant à nos yeux par nature, mais d'une perspective plus large. Nous recherchons essentiellement l'épanouisse­ment de la personne [6], le « ping » n'étant qu'un support pour tendre vers cet objectif. Étant centré sur le joueur et sur ses objectifs à lui, il est parfois possible de rejoindre les buts habituels, voire les dépasser (que le joueur atteigne le niveau le plus élevé possible). Il suffit que le joueur soit demandeur de perfor­mance, que ce soit son chemin de réalisation personnelle. Dans ce

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cas-là uniquement, nous lancer avec lui dans une perspective de performance ou de haut niveau prend du sens. Une fois encore, c'est la centration sur le joueur qui va nous donner le type de lien et d'activité à vivre avec cette personne que recherche profon­dément ce joueur? Une aventure vers le haut niveau ? Un soutien d'un autre ordre?

LES RÉSULTATS Expérimentant depuis plusieurs années cette approche, nous avons pu constater des résultats étonnants autant dans le domaine de la performance que dans celui de l'épanouissement des athlètes. La performance n'étant plus conditionnée par les représenta­tions de l'entraîneur qui agissent comme autant de freins lors­qu'elles sont imposées, allant alors à rencontre du potentiel créatif du joueur, ce dernier peut donner sa pleine mesure. Par exemple, tel joueur est devenu champion d'Aquitaine des moins de 11 ans en s'appropriant en 6 mois des savoir-faire dont l'ac­

quisition nécessite en principe 12 à 18 mois pour des joueurs de profil équivalent. Un autre est devenu récemment champion d'Aquitaine des moins de 15 ans avec un rythme d'apprentissage aussi atypique. Les exemples multiples et repro­ductibles nous conduisent aux conclusions suivantes. Quelles que soient les demandes des joueurs, nous avons constaté chez tous et à des degrés divers, un épanouissement qui se traduit par une meilleure relation à l'autre, une capacité à s'exprimer de manière créative et ludique, une autonomie accrue et plus globale­ment un mieux-être général accré­dité par de nombreux sourires. Concernant la performance elle-même, les athlètes avançant à leur propre rythme, ceux dont la demande profonde n'est pas le haut niveau progressent moins vite qu'avec une approche direc­tive ; en revanche, ceux pour qui le haut niveau a profondément du sens, s'approprient, selon nous, plus rapidement les compétences dans un cadre rogerien.

Notre plaisir à entraîner est lié au plaisir de voir à des

moments privilégiés, le joueur «se lâcher», s'ouvrir à la nou­veauté, prendre le risque de se livrer, d'être vivant, tout en sachant que cette capacité est souvent liée à la qualité de notre relation. D'une manière plus générale, c'est dans le lien avec le joueur que nous trouvons l'essentiel des joies de notre activité. Le niveau du joueur est complètement dis­socié du plaisir que prenons à l'entraîner; l'aventure du haut niveau n'est pas une nécessité pour nous, elle est une possibilité, si c'est le désir profond du ioueur#

Michel Bellegarde Brevet d'État d'éducateur sportif

2e degré de tennis de table Gilles Delassasseigne

Brevet d'État d'éducateur sportif 1er degré de tennis de table Entraîneurs à AS Libourne

[email protected]

Références bibliographiques fil ROGERS (C), L'approche centrée sur la personne. Anthologie de textes pré­sentés par H. Kirschenbaum et V. Land Henderson, Randin, 2001. [2] ROHART (J.D.), «Carl Rogers et Pac­tion éducative». Chronique sociale, 2008. [3] ROGERS (C), Un manifeste personna­liste. Fondements d'une politique de la personne, Dunod, 1980. [4] ROGERS (C.) Le développement de la personne, Dunod, 1966. [51 ROGERS (C), L'approche centrée sur la personne. Anthologie de textes pré­sentés par H. KIRSCHENBAUM et V. LAND-HENDERSON, Randin, 2001. [6] ROGERS (C), Liberté pour apprendre? Dunod 1972.

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