Témoignage de Madame Denise Le FLOHIC née le Graët · Croix de Combattant Volontaire de la ......

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Témoignage de Madame Denise Le FLOHIC née le Graët :sa guerre et sa déportation 1939-1945

Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates comme on allume des::)ambeaux ", non point pour figer ce temps comme un monument de marbre ou de bronze,mais pour faire vivre la mémoire, sentinelle de l'esprit, face à l'oubli

. » Victor Hugo

Officier de la Légion d'honneur (pardécret du 16 Novembre 1964 inséré au JOdu 18 Novembre 1964), médaille remisepar Louis Piriou, président de l'ARC,décernée au titre des services rendus à laRésistance.

Médaille Militaire

Croix de Guerre avec Palme

Croix de Combattant Volontaire de laRésistance

Médaille de la Reconnaissance Française

Médaille d'Honneur du Sénat (remise le24 avril 2011 par le sénateur maire deBourbriac, Yannick Botrel)

Denise Le Flohic, née Le Graët, peude temps après son retourd'Allemagne:

Denise le Graët est née à Bourbriac le 5janvier 1923, dans une famille de 4enfants. Ses parents tenaient un café-restaurant au bas de la place du Centre deBourbriac (aujourd'hui Ty Breiz). Après sascolarité à Guingamp, elle reste à lamaison pour seconder ses parents dans larestauration. L'établissement est de bonneréputation et géographiquement bien situé.Il voit beaucoup de monde et de diversestendances pendant cette période trouble dela guerre. Ainsi, Denise est aux premièresloges pour se faire une opinion sur laprésence allemande sur notre territoire:elle opte pour le camp de la résistance auxarmées de l'occupant. Ses deux frèresaînés, Marcel et Yves sont prisonniers deguerre.

A partir de 1943, elle adhère augroupement du Front National4 dirigé parJean Devienne5 dit «Xavier» puis« François» dans la clandestinité.Elle commence par la distribution dujournal clandestin: « Le Patriote des Côtesdu Nord6», puis elle fait de fausses cartes

4 Créé par le PCF le 15 mai 1941, il avait pourvocation d'unifier en son sein l'ensemble des forcesde la Résistance (FTPF : Francs Tireurs et PartisansFrançais, bras armé du Front National).5 Né le 16 Octobre 1911 à Montigny en Gohelle(Pas de Calais). Avec son équipe restreinte, JeanDevienne va sillonner tout le département pourcréer des comités du Front National: des équipesde cinq à six personnes responsables d'un secteurqui ensuite recrutent autour d'elles, diffusent lestracts et les journaux de F.N. dans lesquels figurentles mots d'ordre et les instructions. Le F.N. secharge également à partir du printemps 1943 detrouver des fermes pour héberger des réfractaires auS.T.O. Jean Devienne a été tué en Indochine.6 Journal du Front National impriméclandestinement à Morlaix, dans l'imprimerie deLouis Boclé, à la demande de François (Jean

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pour les jeunes gens réfractaires au Servicedu Travail Obligatoire 7 (STO), elle assurela liaison entre les groupes de francs tireurset partisans (FfP) du Centre Bretagne(Mellionnec, Kergrist Moëlou, MaëlPestivien ... ) et leur fournit des armes, elledonne des tickets d'alimentation auxnombreux réfractaires de la région ....

Son récit:Dans la nuit du 31 décembre 1940,

Ferdinand Steunou, Louis Derrien, ArthurHamon8

, Raymond Le Guillec (qui était dePlougernével, boulanger chez Thomas àBourbriac) et Albert Toupin se rendentdans la baie de Morlaix afin de rejoindrel'Angleterre par bateau. Malheureusement,lorsqu'ils sont arrivés au pont de la Cordeà Henvic, la mer était basse. Leur tentativeéchoua. A leur retour à Bourbriac, ils sontarrêtés par les allemands. Un citoyen deBourbriac, qui avait pignon sur rue, avaitenvoyé une lettre à la kommandantur àGuingamp. Ils sont internés à la prison deQuimper. Albert Toupin m'a contacté pourme demander de trouver des jeunes fillesde Bourbriac pour être leur marraine. Ainsije suis devenue la marraine d'Albert. Nousleur écrivions assez souvent afin de leurremonter le moral. En juin 1941, ils sontenvoyés en forteresse en Allemagne. Après4 ans de captivité, ils reviendront; seulAlbert Toupin est mort le 24 avril 1944 ..

Devienne) qui affirmait: « le journal est une desplus sûres ressources pour l'alimentationfinancière de nos maquis des Côtes du Nord. Noshommes le vendent dans les villages à 15, 20 ou 30francs l'exemplaire selon la générosité des clients.Chaque numéro nous rapporte plus de cent millefrancs par mois. 1l ne faut pas que notre organed'expression reste en panne, faute de maind'œuvre! »http://histoire.bretagnefree fr/patriote .htm7Institué le 4 septembre 1942, ce n'est que le 16février 1943, qu'une loi impose le Service duTravail Obligatoire (STO). Tous les jeunes gensâgés de 20 à 22 ans peuvent être envoyés de forceen Allemagne. En juin 1943, Sauckel réclamera 220000 hommes, puis en août 1943,500000. Plus tardil en exigera 1 000000.8 Sa sœur Madeleine était avec moi à Ravensbruck.

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« Il n'y avait pas beaucoup de monde àBourbriac qui savait que je distribuais cejournal; je ne le donnais, évidemment, qu'àceux qui militaient comme moi. Je faisaisbeaucoup de vélo pour établir les contactsentre les maquis. Ils se faisaient toujoursde bouche à oreilles, jamais d'écrits. JeanDevienne me fournissait le nécessaire pourétablir les faux papiers et les différentstickets. Il se les procurait dans les mairies.

La veille de la rafle, je dis à ma mère:« Je crois que ça va barder ici », Lesallemands semblaient très nerveux, on lesvoyait sur toutes les routes. Je me suisposée la question: «est ce que je m'envais par derrière la maison, rejoindre lacampagne »?Et je me dis: «je ne peux pas, je ne peuxpas, je ne peux pas faire ça; mes parentssubiront des représailles et ne lessupporteront pas ».

Le dimanche 14 mai, en début d'aprèsmidi, ma mère me dit: « on abaisse lestore et on ferme le café».En fin d'après midi, les allemands ont faitrassembler tous les jeunes gens sur laplace. Ils avaient reçu leur convocationpour le STO qu'ils refusaient. Leurspapiers étaient faux, c'était moi qui lesavait établis.Les allemands sont venus me chercherainsi que mon père.Moi, j'étais sous la bonne surveillanced'un russe blanc qui tenait pointé sur mapoitrine le canon de son fusil.

Je vais vous dire, il y avait desmaquisards qui n'étaient pas sérieux!Ma mère m'a sauvé la vie. Je vais vousexpliquer pourquoi.Quelque temps avant la rafle, un matin, lecar de la CAT (Compagnie Armoricainedes Transports) qui faisait la navette entreGuingamp et Saint Nicolas du Pélem,s'arrête à la maison. Le chauffeur déposeun colis assez volumineux entouré dansune toile de jute. Je n'avais pas regardé lenom du destinataire, mais je pense qu'ilétait à mon nom. Ma mère et moil'ouvrons: quelle surprise! Une radio pourcommuniquer en morse, avec Londres; je

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ne savais pas m'en servir et je ne savaispas qui me l'envoyait. Nous l'avionsentreposée dans la salle de bal attenante aurestaurant. Quelques jours avant monarrestation, ma mère me fait part de sesmauvaises nuits de sommeil depuis laréception de ce colis. Il va falloir s'endébarrasser. Elle prend la brouette et s'enva le déposer en lieu sûr à la périphérie deBourbriac.Imaginez-vous, si les allemands l'avaienttrouvée chez nous? Car après la rafle ilsont envoyé tous les jeunes gens, ainsi quemon père, dans la salle de bal. Moi, ilsm'ont mise dans la cuisine sur une chaise.A un moment donné, j'ai demandé à allerassouvir un besoin naturel.Non, vous n'irez pas dehors! me rétorquaun soldat allemand.Alors je vais aller dans une chambre.Je suis montée à l'étage et c'est là que jeme suis aperçue qu'ils avaient fouillé defond en comble toute la maison ... Je mesuis dit: «s'ils avaient trouvé cette radio,nous aurions été fusillés !».

Lorsque je suis revenue de déportationj'ai questionné ma mère pour savoir siquelqu'un était venu chercher cette radio.Elle me dit: «un homme est venu mais iln'a pas décliné son identité».En fait, il s'était servi de mon nom pourrecevoir ce colis délicat, pour ne pas, lui,se faire prendre. Il s'était dit, elle va sedébrouiller pour camoufler cet outilcompromettant ou alors, les allemandsn'iront pas perquisitionner chez elle carc'est ouvert à tout public!

La veille de mon arrestation, il y avaitOn mariage chez nous: repas du midi et dusoir, suivis du bal de noce. Au cours de lasoirée, certaines personnes s'aperçoiventque quelques maquisards se sont invités aubal. En effet, ils arborent fièrement leursarmes.Puis, subitement, arrivent des gendarmes etdes soldats allemands: grande débandade,frayeur dans l'assemblée. Moi je n'ai rienvu, ni entendu, car j'étais en train de fairela vaisselle; cependant je me suis aperçuequ'il se passait quelque chose.

Dans la section de soldats allemands, il yavait un alsacien qui servait d'interprète. Ilvient me voir et me dit: «dans la petitesalle à côté de la cuisine où se trouventune table et un buffet, j'ai vu des armes etdes munitions sur le haut du meuble. Maisje n'ai rien dit! »En fait, les maquisards ont eu peur et ilsont jeté leurs armes.C'est pour dire que tous les maquisardsn'avaient pas conscience du danger, nipour eux, ni celui d'exposer les autres à lavindicte allemande.

Les faux papiers, je les faisais à la mainet j'avais le tampon de la mairie deBourbriac; par contre je n'avais pas celuide la gendarmerie. Mais deux gendarmescollaboraient: Le Gloan et Guyaumard. Enparticulier le gendarme Guyaumard,originaire de Plestin les Grèves, que jeconnaissais bien. Ils m'avaient dit qu'ilsassuraient une permanence au bureau, tousles mardis, pendant que les autresgendarmes allaient patrouiller. Ainsi lorsde l'établissement de faux papiers et quandle tampon de la gendarmerie étaitnécessaire, je disais aux personnesintéressées de se rendre à la gendarmerie lemardi et d'aller voir monsieur Guyaumardpuisque nous étions de connivence.

Les allemands avaient réquisitionné lamaison Botcazou, à côté du café, et c'est làqu'ils m'ont interrogée une première fois.Ils n'ont jamais admis que Denise Le Graëtétait mon vrai nom; ils soutenaient quec'était mon nom de guerre.A Bourbriac, ont été également arrêtés: lefils du facteur, Roger Bricon, EdouardPavee ainsi que Mazeo (boucher àLanrivain) et bien d'autres que je neconnaissais pas. Ils se sont évadés lors del'attaque du train à côté de Langeais, aprèsnotre départ de Rennes9.

9 Le 6 août 1944, un train de plus de 900prisonniers (militaires américains, déportés françaiset soldats allemands mutins), camouflé en convoimilitaire, part de rennes. Il est l'objet d'unmitraillage par l'aviation anglaise en gare deLangeais. Plus de 90 prisonniers parviennent às'échapper. L'attaque fait 23 morts (dont quinzesoldats américains et anglais, quatre prisonniers

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Puis ils m'ont envoyée à la prison deGuingamp. Comme je n'avais rien, unepersonne est venue m'envoyer deschaussons et une robe de chambre. Lesallemands venaient me prendre pourm'envoyer dans une grande maisonbourgeoise de la rue Saint Nicolas, qu'ilsavaient réquisitionnée. Là, j'ai subiplusieurs interrogatoires. Ils prétendaientque je connaissais un grand responsable dela résistance locale en la personne de JeanDevienne. Mais je leur répondais toujoursla même chose: je ne sais pas ce que vousme reprochez lll l

La veille de l'arrestation, deux jeuneshommes sont venus manger au restaurant;je ne les connaissais pas. Par contre, je lesai bien reconnus dans les locaux de laGestapo, lors des interrogatoires. Lepremier, un dénommé le Corre, est venume présenter deux photos, format cartepostale. Sur l'une, il était en militairefrançais et sur l'autre en uniformeallemand. J'ai pris les photos et les lui aibalancées à la figure en lui indiquant qu'ilétait mieux sur celle où il était habillé enfrançais. Le second s'appelait Le Guilcher,on me l'a présenté, tenu par deux soldatsallemands. Il faisait semblant de traîner sespieds comme s'il avait été torturé. J'ai bienvite compris que c'était une mise en scèneet leur ai dit de terminer cette mascarade.J'ai été interrogée pendant plusieurs jours;j'avais l'impression que ma tête était uneboite de conserve qui se cabossait sous lescoups.Ces deux jeunes hommes étaientoriginaires du côté de Quimper et faisaient'partie de la milice. Le Guicher a été fusilléaprès la guerre, mais Le Corre, je ne saispas ce qu'il est devenu. On a trouvé lerapport qu'ils avaient rédigé sur moi, à lakommandantur de Guingamp.

Avant de quitter la prison de Guingamp,j'ai ramassé mes chaussons et la robe dechambre que l'on m'avait donnés. J'airéussi à trouver un bout de papier, uncrayon et écrit un petit mot à mes parents.

français, un habitant de Langeais et quatreAllemands) et 70 blessés.

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J'ai camouflé cette «lettre» dans uneépaulette de la robe de chambre et ainsimes parents ont eu quelques nouvelles. J'aiquittée la prison de Guingamp le 21 mai1944

Arrivée à la prison de Saint Brieuc, onm'a jetée dans une cellule où se trouvaitune autre jeune femme assise sur le bordde sa paillasse. Elle me demande:Pourquoi vous êtes là ?Je ne sais pas pourquoi, moi, je n'ai rienfait, lui répondis je.Ses questions étaient suffisammentpressantes pour me rendre compte quec'était un mouton. Elle était là pour metirer les vers du nez! Le lendemain matin,un gardien est venu la chercher et je ne l'aiplus jamais revue.Cette prison était crasseuse, les mursétaient maculés de sang. Je pouvais lire lesmessages écrits de leur sang par ceux quiavaient été torturés, qui à leur femme, quià leurs enfants, à leur mère ou à leursproches. Je me demandais bien pourquoiils m'avaient mise dans une telle cellule. Jen'avais qu'une peur, c'était qu'ils mefassent subir la torture de la baignoire'"que j'avais entr'aperçue, lors de monpassage dans le couloir.Les allemands me reprochaient énormé-ment de choses.

Puis j'ai été incarcérée à la prisonJacques Cartier de Rennes le I" juin1944. Nous étions 6 femmes dans la celluleN°1S: Cécile Paumier, Mme Le Corre,Mme Bergeman, Suzanne Delcorte,Albertine dite Betty David et moi, sous lasurveillance d'une femme allemande. Lapitance était maigre mais le moral étaitbon. La libération était proche, du moinsnous le pensions.On nous servait deux fois par jour unbrouet à base de choux!!! Nous n'avionspas le droit de dormir dans la journée,sinon nous l'aurions fait afin de trouver letemps moins long. Nous couchions sur une

10 Le .. . . ds tortionnaires prenaient som e ne paschanger l'eau, pour rendre plus ignoble lasuffocation dans de l'eau souillée par lesprécédentes victimes.

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paillasse avec des poux, des puces et dessouris qui nous courraient dessus la nuit.L'hygiène, il n'en était pas question,quinze jours sans se laver. Nous nouscontentions d'un verre d'eau par jour enplein mois de juillet et il faisait chaud.Nous correspondions entre nous de cellulesen cellules. Betty David transmettait lesnouvelles en tapant avec sa cuillère, sur lestuyaux de chauffage puis elle parlait labouche près du tuyau. Les autres, quandelles avaient reçu le message, retapaientdessus.Le 8 juin 1944, 32 résistants, dont 9espagnols, avaient été sortis des geôles dela prison Jacques Cartier pour êtreexécutés.La Croix Rouge Française nous rendaitvisite. Je me souviens, en particulier desserviettes hygiéniques qu'elle nousdistribuait mais que nous n'utilisions pas.Nous découpions des mouchoirs dedans etnous nous amusions à les broder pourpasser le temps. Léonie le Corre, secrétairede mairie à Notre Dame du Guildo, avaitenvoyé avec elle un morceau d'un caleçonde son mari. Nous avions récupéré le fil dece caleçon pour nous en servir de fil àbroder!De temps à autres, les détenus recevaientdes colis de la maison afin de leur soutenirle moral et obtenir un peu de victuailles Lecontenu était partagé car une grandesolidarité régnait entre nous. Mais moi, jene recevais rien et étais dépitée. A monretour, j'en fis part à ma mère. Elle meconfirma qu'elle en avait expédiés, à

. plusieurs reprises,. Une personne deBourbriac avait même été à Rennes et avaitprofité pour en déposer un à la prisonJacques Cartier. Je me suis dit :les autorités allemandes et leurscollaborateurs français en me frustrantm'auraient usée psychologiquement.

Le vendredi 3 août, les allemands nousont prévenues que nous devions partir pourune destination inconnue et qu'il fallaitpréparer nos affaires. A quatre heures del'après midi, le canon se mit à retentir avecforce; puis les. canons de 75 allemands

ripostèrent. Les hommes, qui devaientégalement rejoindre le convoi, nousrassurèrent en nous criant que lesaméricains allaient arriver et ainsi nous nepartirions pas. Les obus commençaient àtomber tout autour de nous, les plâtres duplafond des cellules tombaient; nousavons commencé à défoncer les portes.Une détonation plus forte que lesautres .... c'était la maison du gardien quiétait touchée. Nous avons réussi à sortir denos geôles et les gardiens français, je doisle dire, nous ont aidées à descendre ausous-sol de la prison afin de nous mettre àl'abri.Les allemands nous affirmaient que nousallions être libérées lorsque la canonnadeaurait cessé. Ils étaient fort aimables, ilsont distribué des conserves, biscuits etconfiture. Ils s'étaient réservés les alcoolsdont ils abusèrent.Nous commencions à faire des projets,nous allions retrouver nos familles ....Le canon cessa puis, vint un officier SS. Ilnous adressa quelques mots: «vous allezêtre libérées, mais il est tard, maintenantc'est la nuit et nous ne voulons pas vouslaisser partir à cette heure. En attendantdemain matin, allez dans vos cellules etdormez ».Après avoir un peu protesté, nous avonsobéi... nous nous tassâmes dans lescellules du bas puisque les autres, auxétages supérieurs, avaient été endom-magées lors du bombardement. Vers quatreheures du matin, une gardienne françaisevint, en pleurant, nous réveiller et nousdire: «Mes pauvres petites, ils vousemmènent» Eh oui! les allemands nousont emmenées.Nous nous sommes rendues en colonnesjusqu'à la Courrouze, un quartier deRennes, puis ensuite nous sommesmontées dans le train qu'ils avaient préparépour nous. Inutile de vouloir essayer denous échapper, les soldats étaient ivres etils nous auraient sûrement tiré dessus.

Le samedi 4 août 1944, le premier charaméricain apparaît à dix heures sur la Place

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de la mairie et le dernier convoi ferroviairequitte la gare de Rennesl1.

Dans ce convoi (appelé «train deLangeais»), composé de wagons àbestiaux, les allemands nous ont entasséescomme des bêtes. Combien étions-nous?50,60 ; en tous les cas nous étions obligéesde rester debout.Mais comme le débarquement avait eulieu, c'était une très grande pagaille sur leréseau ferroviaire. Le convoi pris ladirection de Nantes. Les maquisardsdéboulonnaient les rails, l'aviation anglaiseet américaine pilonnaient les convois. Lepire fut le 6 août 1944, à proximité deLangeais (Vallée de la Loire), le train futimmobilisé par un mitraillage de l'aviationanglaise. Mais rien n'y fait de ladétermination des allemands; lelendemain, les deux locomotives étaientremplacées; une devant et l'autre derrière,tellement il y avait de wagons. On estreparti. Il arrivait que le convoi, après avoirroulé toute la nuit, se retrouve dans lamême gare, le lendemain matin. Nousavions tourné en rond; les maquisardsavaient fait sauter certaines lignes. Noussommes descendues jusqu'à Digoin. Lesallemands vidaient toutes les prisons:Angers, Tours et Dijon, tout le long duparcours.

Au bout de quinze jours, nous sommesarrivées à la caserne du Fort Hatry deBelfort que nous pensions être la dernièrehalte car les Alliés étaient proches. Nous yavons séjourné trois jours, dans deschambres de 50 détenues, deux parpaillasse.La voie ferrée Paris - Belfort - Mulhouse,située au pied même de la caserne, voyait,nuit et jour, passer des convois ; l'arméeallemande se retranchait dans sesfrontières.Les allemands procédèrent à la libérationde 241 prisonniers 12, 52 femmes et 104

Il La veille de la Libération de Rennes , le 2 et 3août 1944, plus de 2 000 personnes sont déportéesvers l'Allemagne. 300 déportés seulement sontrevenus.

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hommes venant de Rennes. Puis ils nousdirent que le lendemain ce serait notre tour.Le lendemain matin, les allemands nousfirent embarquer à nouveau dans deswagons, en nous affirmant qu'ils nousenvoyaient en Suisse ... Lorsque nous avonsembarqué, un cheminot plomba les portesdes wagons (alors qu'elles ne l'étaient pasau départ de Rennes) et il nous a dit:« Cette fois ci, mes enfants, vous passez del'autre côté!!!! »Puis, le convoi 456 quittera Belfort le1er septembre 1944.J'ai encore écrit un petit papier pourdonner des nouvelles à mes parents et jel'ai laissé tomber sur la voie ferrée,pensant que quelqu'un le ferait suivre.Malheureusement il n'est pas parvenu.

Nous sommes arrivées à la gare deFüstenberg près du camp de Ravem-burg'", à 100 kilomètres au nord de Berlin,le 4 septembre. Le convoi était en piteuxétat car nous avons essuyé, à plusieursreprises, des bombardements. La premièrechose que l'on nous à fait subir a été denous mettre nues dans une cour comme unjardin. Là se tenait un SS qui nous faisait

12 Raymond Aron écrit que Pierre Laval était àBelfort avant de partir pour Siegmaringuen, et avaitobtenu des allemands la libération de cesprisonniers, en échange de ceux qui avaient été faitprisonniers à Paris, par les Alliés. D'autresinformations indiquent qu'à la demande expressedu consul de Suède, Nordling, et de la Croix Rougede ne pas faire quitter la France à ce convoi. Lesallemands, pour faire bonne figure, ont accepté enpartie; car d'une extrême rigueur, ils ont libéréceux qui ne possédaient plus de dossier, disparu audépart de Rennes.13 Ravensbrück fut le seul grand camp deconcentration réservé aux femmes. Ce fut Himmlerlui-même qui, à la fin de l'automne 1938, décidad'ériger un camp de concentration pour femmes. Ilétait situé au nord de l'Allemagne, près deFurstenberg. Il fut libéré le 30 avril 1945, parl'Armée Russe. Plus de 92 000 personnes y périrent.La nation la plus représentée fut la Pologne, avecprès de 40000 internées, puis la Russie, 30000internées, l'Allemagne et l'Autriche, et enfin laFrance avec près de 10 000 déportées dont 7 à8 000 sont mortes. Source: «L'impossible oubli »,Fédération Nationale des Déportés et InternésRésistants et Patriotes, août 2009.

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ouvrir la bouche, sûrement pour voir sinous avions des dents en or ou autre métalprécieux, et, écarter les doigts, afin derepérer si nous avions la gale. Ensuite noussommes passées sous la douche et nousnous sommes épouillées. Les gardiensnous ont remis des robes rayées ayant étéportées auparavant par des détenuesmaintenant décédées. Nous portions surcette robe un triangle rouge". Ils nous ontenlevé nos montres, bagues, colliers .... puisregroupées par nationalité. Ils m'ontattribué un numéro matricule: 69845. Ilsnous ont coupé les cheveux; mais lorsqueje suis passée devant la femme polonaisepréposée à cette tâche, je l'ai supplié de nepas le faire et elle m'a dit de vitedisparaître. Ainsi, j'ai pu garder les miens.A trois heures du matin, au retentissementde la sirène, il fallait être debout, sur laplace centrale du camp, pour l'appel. Lapremière fois, je me suis trouvée aupremier rang. Ça n'était pas la meilleuredes places, car les SS étaient devant, avecdes chiens. Ils nous palpaient la poitrinepour voir si nous n'avions pas dissimulé dupapier ou du carton sous nos vêtements,afin de nous préserver un peu du froid, cardébut septembre, en Allemagne de l'Est, ilcommence à geler. Il y avait plusieurstypes d'appels: en plus du « Zëhlappell »pour le contrôle numérique par block, il yavait «l' Arbeitsappell» et enfin, plusexceptionnel, l'appel général pour lecontrôle des effectifs du camp (appel quin'est qu'une longue punition déguisée).Les Zâhlappell, qui se renouvellent matin

. et soir, durent des heures. Les Kommandosextérieurs qui ne partent qu'avec le leverdu jour restent en rang dès 4 heures et ilsne démarrent qu'à 7 heures quand, l'hiver,la neige et le brouillard ne les retardentpas. Le soir, il n'y a pas de limite: deux

14 Porté par tous ceux qui ne correspondent pas auxvaleurs du Reich: Opposants politiques, juifs,tziganes, homosexuels, etc. Pour les différencier, laSS à l'idée de leur faire porter des signes distinctifs,et dans ce système, le triangle rouge était la marquedes individus politiquement opposés au TroisièmeReich: communistes, résistants, objecteurs deconscience, etc

heures est un minimum. Les Allemands setrompent constamment, car dans la journéeil y a eu des mouvements: morts, départ aurevier (infirmerie) regroupements deplusieurs blocks... Les jours suivants,personne ne voulait plus aller sur lepremier rang; il nous semblait avoir pluschaud quand nous étions entourées d' autresdétenues. Combien sont mortes dans cesrangées figées par le froid et l'épuisement?

Les femmes qui distribuaient la soupeétaient appelées des « blokova ». C'était laplupart du temps des polonaises. Souventelles se favorisaient au détriment desfrançaises et des russes. Une gamelle,cuillère, fourchette et pot pour boirel'espèce de café du matin, avaient étédistribués.

Il fallait toujours veiller à ce que l'on nenous les vole pas; le soir nous les mettionssous notre tête. Si tu n'avais pas degamelle, tu n'avais pas de soupe et celam'est arrivé une fois. Quelques jours aprèsune détenue m'a dit: « moi je travaille àun endroit où il y a des enjoliveurs de roued'avion et je vais en prendre un pour teconfectionner une gamelle». Mais ellen'était pas pratique; puis, une autre femmea eu pitié de moi et a réussi à m'en avoirune autre. J'avais confectionné un petitsac, dans une serviette hygiénique, pour lesramasser et je le portais toujours sur moi.

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Nous n'avions pas de couteau, mais jem'en suis procuré un qui avait étéconfectionné avec les moyens du bord. Lasoupe que l'on nous servait était la plupartdu temps faite avec des rutabagas ou destrognons de choux, ou, comme onl'appelait, de la soupe blanche.

Cette soupe, je n'ai jamais su ce qu'il yavait dedans, cela ressemblait à des grainsde riz mais ce n'en était pas. De plus il yavait plein de petits vers comme ceux quel'on trouve dans la farine (descharançons) ; nous nous mettions dans descoins obscurs, pour la manger afin de nepas voir ces bestioles!!! Nous nousdisions: «si nous trions, nous n'auronsplus rien à manger».

Avec une autre serviette, j'avaisfabriqué un bonnet que j'avais donné àMadeleine Hamon, ma copine deBourbriac. On lui avait coupé les cheveuxainsi ce bonnet de fortune atténuait leregard des autres détenues sur son crânechauve.

Nous nous rassemblions par clans etaffinités géographiques. Moi, je metrouvais souvent avec Odette Lavenant,institutrice, originaire de Pabu et d'autresfemmes originaires du côté de Nantes.

Odette et moi dormions dans cesbaraques en bois sur un châlit (cadre de liten bois de 70 centimètres de large, surlequel était posé un sac avec de la paille).Nous montions sur le troisième car ilsétaient superposés. Souvent ceux quin'avaient plus la force de se hisser,restaient dans le deuxième et ceux quiétaient à bout, mouraient sur le plus bas.

. Nous dormions l'une contre l'autre, enchien de fusil, afin d'avoir plus chaud; etlorsque nous voulions changer de côté, onle faisait ensemble. Nous ne dormions pas

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beaucoup. Pour m'endormir je récitaisdans ma tête les prières du chapelet, maiscomme je n'en avais pas, je finissais parm'endormir sans savoir oùj'en étais.

En aucun cas nous ne devions aller dansles autres baraques. Une fois OdetteLavenant et moi avons été dans celle à côtéde la nôtre, dénommée: «baraque destricoteuses ». Les femmes d'un certain âgey étaient regroupées pour tricoter deschaussettes pour l'armée allemande. Deuxfemmes de Guingamp, qui s'appelait toutesles deux Le Gall, mais sans aucun lien deparenté, s'y trouvaient. Malheureusementelles ne sont jamais revenues.

Sur la place, devant les baraques, onvoyait des hommes et des femmes marcheren rond, avec une charge d'au moins 50kgsur le dos, pendant de longues heures. Enfait, ils avaient des chaussures neuves auxpieds, ils «cassaient» la raideur du cuir.Ils assouplissaient le cuir des chaussuresneuves destinées aux soldats allemands.

Au début, les SS nous disposaient enligne, dans une carrière de sable. Nousdevions, avec une pelle, déplacer des tas desable. Gare à celle qui levait la tête ouvoulait s'arrêter! Nous étions sous lasurveillance d'une garde allemandeaccompagnée d'un chien.

Puis, un directeur d'usine est venu, unmatin, sur la grande place. Il choisissait lesfemmes pour les faire travailler, mais il apris les polonaises. Le lendemain, un autreest venu et il a pris les françaises (il y avaitégalement une italienne avec nous). Lescamps de concentration servaientd'immense réserve de main-d'œuvre. Lesfirmes allemandes, liées par contrat auxSS, s'y approvisionnaient pour assurer laproduction de guerre. L'extermination parle travail était aussi l'objectif desdirigeants du IIIè Reich.

Nous avons été conduites à Genshagen,dans l'usine d'aviation Daimler Benz 15 à

15 KZ (Camp de travaux forcés) Daimler-Benzusine «modèle» où travaillèrent au total quelque10000 malheureux. Plus de 500 d'entre aux ylaissèrent leur vie, sans compter les 130 victimes dubombardement d'août 1944. Le refus, après-guerre,

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25 kilomètres de Berlin. C'était comme uncamp, entouré de barbelés et surveillé pardes SS. Nous étions un peu réconfortéescar nous nous disions: «au moins nous nepasserons pas par les fours crématoires».

Elle avait été bombardée par lesaméricains en mars 1944. Un nouveaubombardement, plus efficace, aura lieu enaoût. Il avait neigé peu de temps avantnotre arrivée. Nous devions ramasser lesdécombre, et elle fut assez rapidementremise en état. Ensuite nous avons étédésignées pour les différents halls demontage de moteurs d'avion. Il y en avaittrois et pour ne pas passer de l'un à l'autre,on nous avait collé un point de couleurdans le dos (bleu, rouge et vert). J'avais ungros point bleu.

Nous réparions des vieux moteurs quiensuite étaient expédiés, non loin de là,dans une autre usine pour être remontés.Un ancien prisonnier de guerre de larégion, est venu, après la guerre, me voir.Il m'a dit: « Denise, tu n'étais pas loind'où j'étais. Moi je montais les moteursque vous répariez, dans une usine souter-raine» c'est comme ça que j'ai su ladestination de ces moteurs.

Les 1 100 femmes vivaient sur place:travailler, manger et dormir. Le travail lui-même était pénible, épuisant, sous lasurveillance et la menace constante, nonseulement de coups, mais des « tu vasavoir affaire à Potsdam », c'est-à-dire à laGestapo et au SD (service de sécurité). Lerégime était aussi dur qu'à Ravensburg:lever à trois heures du matin pour l'appel,

. par tous les temps. Pendant que les gardes

de reconnaître les faits, porte sur les dénégationsobstinées des responsables de la firme au sujet del'utilisation de la main-d'œuvre forcée et surtoutdes détenus hommes et femmes des prisons et KZau sein de leurs entreprises. Explicationsembarrassées, faux-fuyants, petits et grandsmensonges, attaques injustifiées, aucun moyen n'aété évité pour tenter de « blanchir» les dirigeantsde la période nazie et la renommée de l'entreprise.Certes, Daimler-Benz n'est pas une exception dansce domaine, et la plupart des firmes ont utilisé lesmêmes moyens.http://www.fndirp.asso.fr/femmes%20daimler-benz.pdf

comptaient et recomptaient, il nous fallaitrester au garde-à-vous. De temps à autre,on nous faisait nous déshabiller sous lemotif de désinfecter les vêtements, mais,vu le nombre, nous restions longtempsnues. En fait, c'était pour mieux noushumilier. Ils nous faisaient lever à troisheures du matin pour compter lescouvertures. A l'appel, si l'une d'entrenous avait été admise au « revier »16, dansla nuit, il fallait impérativement savoir oùelle était. Lorsque l'on se rendait au« revier », qu'importe le motif de santé, lesinfirmières nous donnaient toujours lesmêmes cachets. Il y avait avec nous desfemmes allemandes qui portaient letriangle vert: c'étaient des lesbiennes.Souvent, lorsque l'on se rendait auxtoilettes, elles nous prenaient à partie etnous expulsaient. Avant notre départ, unprisonnier de guerre de Lanrodec medonna un petit sac de semoule, despruneaux et d'autres choses dont je ne mesouviens plus. Une de ces lesbiennes avaitvu que ce monsieur m'avait donné àmanger. Elle vint me voir pour medemander de les lui remettre afin de lescuire. Jamais je n'ai revu cette femme.Lorsque nous avions quelques moments ànous, on s'échangeait quelques recettes decuisine. On se procurait des morceaux depapier dans l'usine et on écrivait là où il yavait encore un peu de place. J'avais untout petit morceau de crayon à papier queje ménageais et que j'utilisais avecprécaution. Ensuite nous pliions ces petitsmorceaux pour les dissimuler. Moi je lesmettais dans une petite boîte rouge danslaquelle il y avait un petit morceau desavon; je me rappelle encore la marque:Gibbs. Un jour, une gardienne m'a surpriseentrain d'écrire la recette des «chouxrouges aux marrons». Elle est venue mesubtiliser le papier sur lequel j'étais en

16 Un revier (abréviation de l'allemandKrankenrevier ou dispensaire), dans le langage descamps de concentration nazis, était un baraquementdestiné aux prisonniers malades des camps deconcentration. La plupart du personnel médicalvenait du corps prisonnier lui-même.

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train de l'écrire. Un monsieur allemand,qui avait eu les pieds gelés sur le frontsoviétique, avait vu la scène et n'avait pasapprécié. Il est allé manifester sonmécontentement auprès de cette gardienne.Cet homme se promenait avec une canne etun petit système de chauffage ambulant etsouvent il nous faisait partager la chaleurque diffusait ce dispositif. Il existait dansce Reich quelques personnes qui avaientencore quelques onces d'humanité. Par lasuite, j'ai confectionné un double fond àma boîte afin de préserver mes recettes: jesuis toujours en possession de ces recettes.La promiscuité était permanente et celalibéra la nature profonde de chacuned'entre nous.

Mais la pression des combats se faisaitsentir de plus en plus. Nous étions prisesen tenaille entre les soviétiques et lesaméricains.

Nous avons été évacuées le 17 avril1945, vers le camp d'OrienburgSachsenhaus-sen'". On m'a, à nouveau,remis un numéro matricule: 8029.

La veille du départ, le 16 au soir, il y aun grand tumulte autour de la baraque.Odette me dit: «je vais voir ce qui sepasse». La baraque à côté de la nôtre

. servait aux allemands pour entreposer lescolis issus des familles et de la CroixRouge. Des détenues avaient pensé aller lapiller. Odette a ainsi fait trois aller-retourset moi pendant ce temps-là, je les cachais,

17 La ville d'Oranienburg-Sachsenhausen est situéeà 30 kilomètres au nord de Berlin. La décision d'yinstaller un camp est prise le 22 février 1933. D'unesuperficie de plus de 600 hectares, 18 sont occupéspar le camp central. Quelque 3 900 détenus maladeset moribonds demeuraient au camp principal, tropfaibles pour être évacués avec les 32 240 autres(hommes et femmes), lancés dans des «marches dela mort» sur ordre du commandant du camp Hôhm.

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sous moi, dans le châlit. J'avais tellementfaim que j'ai pris un paquet que je croyaisêtre du chocolat; Mais, à ma plus grandesurprise, je l'ai craché car c'était dusavon!

Le 21 avril 1945, il faut partir, à pied,rejoindre la mer Baltique. Auparavant, lesSS ont eu le soin de brûler les archives etd'exterminer les « porteurs de secrets» (leschauffeurs des fours crématoires) pour nepas laisser de traces, ni de témoignages.

A la sortie du camp, les SS nous ont misen colonnes, rangées par cinq. Au cours dela marche, si l'une de nous défaillait,c'était le rang qui était rayé!!!!Les allemands sont en tête, puis des SStout le long de la colonne. Cette «marchede la mortl8» va durer 10 jours au coursdesquels je vais devoir parcourir 400kilomètres, pieds nus, car mes galoches meblessaient les pieds.

Pendant tous ces jours, j'aurai connu lafamine, le froid, le dénuement le plusabsolu. Cela fit périr de nombreusescompagnes. Plusieurs fois des femmesquittaient la colonne, un soldat leur tirait,

l8Avec l'avance des troupes de l'Armée Rouge,Himmler décida l'évacuation des camps deconcentration et d'extermination de l'est del'Allemagne, dont Sachsenhausen, Ravensbrück etleurs Kommandos. Dans le but d'exterminer tousles détenus, témoins de leurs abominables crimes,les Nazis décidèrent d'assassiner les derniersdéportés des camps. Ils devaient se rendre vers labaie de Lübeck, où ils auraient probablement étéembarqués sur des navires. Ces derniers auraientensuite été coulés, avec les déportés à bord. Le 21avril 1945, des milliers de déportés deSachsenhausen partent du grand camp vers la baiede Lübeck. Un grand nombre arrive au bois deBelow. Là, à plus d'une centaine de kilomètres deSachenshausen, après avoir marcher, ils rencontrentles autres déportés des Kommandos Heinkel, Speer,Klinker... Les déportés les plus faibles quiralentissent la marche sont abattus sur le bord de laroute par les SS. Cette marche, ralliantSachsenhausen à la baie de Lübeck, nommé par lesNazis la marche d'évacuation fut nommé par lesdéportés la « Marche de la Mort ». De nombreusesplaques commémoratives et de fosses communesjonchent la route, dans les villages allemands duBrandebourg et du Mecklembourg.http://la2gm.unblog.fr/les-marches-de-Ia-mort-et-le-bois-de-below/

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sans état d'âme, une balle dans la tête. Làoù les détenues avaient passé la nuit ou faithalte, on trouvait des cadavres en partiejetés dans les feux de camp et à moitiébrûlés. La Croix Rouge suédoise nous alongtemps cherchées. Comme lesallemands ne voulaient pas encombrer lesgrands axes de circulation afin de laisserles civils partir devant les américains et lesrusses, ils nous faisaient marcher sur despetites routes. Elle ne nous a pas trouvéeset donc nous n'avions rien à manger. Nousavons dû chercher dans la nature desracines et des herbes folles .... boire l'eaucroupie des mares; parfois on apercevaitdes fermes vides car les habitants avaientfui. Là, nous aurions pu trouver quelquespommes de terre ou autres choses decomestible ...mais il n'en était pas question.Par contre, les SS, eux, faisaient ripailletrois à quatre fois par jour.

Nous étions 1 200 françaises! Puis, aubout de 10 jours, les allemands nous ontabandonnées dans le bois Below. Le soirnous nous sommes couchées sur noscouvertures, par terre, lorsqu'une femmes'est décidé à aller voir si les soldatsallemands étaitent toujours présents. Ellene voit personne, seulement une fermeabandonnée depuis peu; du petit lait étaiten train de s'égoutter au dessus d'un évier.Elle revient nous prévenir et ainsi nousavons pu aller dormir dans un hangar où ily avait de la paille. Arrive un prisonnier deguerre français, un prêtre, il nous annonce :«Savez vous mesdames que vous êteslibres? Si vous voulez me suivre, nous

. sommes à 4 Km à Stople, de toute façon jevous donne rendez vous, demain matin, eton s'occupe de vous par la suite ».Seules deux femmes sont parties avec lui etnous nous sommes endormies dans lapaille jusqu'au lendemain matin.

Arrivée à Stople, j'ai rencontré unprisonnier de Lanrodec qui connaissait mafamille, il habitait le même village qu'un

. frère à mon père. En me voyant pieds nus,il est parti me 'chercher des chaussures,malheureusement trop grandes et je lui aidit que je ne pourrai pas marcher avec !

«Attends moi là je vais te prendre troispaires de chaussettes et cela feral'affaire». Lorsque je suis rentrée à lamaison, ma mère me disait de montrer mespieds aux personnes qui venaient mevisiter. J'en avais marre de montrer leschaires qui pendaient. Mais lorsque nousétions sur les routes, je ne sentais pas lemal. Je ne sais pas ce qui nous tenait à cemoment là. J'étais à bout de force. Laveille de notre libération, j'avais ladysenterie et je n'en pouvais plus demarcher sur des corps. J'ai dit à ma copineOdette: «je ne bouge plus, je n'ai plus deforce, Odette je n'en peux plus».«Si si, dit elle; je vais chercher unemeilleure place, garde nos sacs et attentionque l'on ne nous les vole pas ».Elle est revenue me chercher, elle avaittrouvé un meilleur endroit pour se reposer.Le 15 mai 1945, rapatriement vers laFrance.

Nous avons débarqué à Lille où l'onnous a remis des vêtements décents. Jen'avais que la robe rayée (j'ai regretté del'avoir laissée dernière moi), et une vested'aviateur allemand sur le dos. J'ai eu, jeme rappelle encore, un chemisier rose etune paire de chaussures. On nous a permisd'expédier des télégrammes à nos familles.Moi, j'en ai envoyé un à ma tante deGennevilliers pour l'avertir que j'arrivais àla gare du Nord. Mais elle était mortependant ma captivité, je ne le savais pas.Son fils est venu m'accueillir à la gare duNord. Normalement nous devions transiterpar l'hôtel Lutétia, mais, mon cousin a étévoir les autorités et leur a dit: « non ce soirelle va dormir à la maison, et je vouspromets, demain matin elle sera à l'hôtel.J'ai une voiture cachée, cela va me donnerl'occasion de m'en servir» .

Le lendemain matin je me suis rendue àl'hôtel Lutétia pour subir un interrogatoirepar des officiers de l'armée de laLibération. Ils étaient en possession derenseignements sur nous qu'ils avaienttrouvés dans les kommandanturs, lesprisons ... après la débâcle de l'arméeallemande. Ils nous demandaient pourquoi

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nous avions été déportées; certainespersonnes ne savaient même pas pourquoielles avaient été arrêtées.Je ne pesais plus que 37 kgs ; ma peau étaitjaune, mes yeux exorbités. Je suis arrivée àBourbriac le 18 mai 1945 ..

Maintenant que je suis âgée, je peuxparler facilement de tout ça, maisauparavant nous ne parlions qu'entredéportés. On ne nous croyait pas ou alorsnous n'étions pas compris.

Au niveau administratif, on s'est bienoccupé de nous lorsque nous sommesrevenues. Je me suis rendue à Saint Brieucpour établir mes papiers. Il m'a fallu fairedes photos d'identité, le photographe a duse prendre à plusieurs fois car je nesouriais pas et n'avais vraiment pas enviede le faire! En 1946, l'Etat, nous a allouéune bourse pour apprendre un métier oupour se refaire une nouvelle vie; certainesfemmes avaient été déportées deux ou troisans. Moi je suis allée deux ans à Paris, rueCuyas, pour apprendre le métier depédicure. Je me suis mariée le 8 août 1948avec Marius Le Flohic de Lanrivain, et j'aieu deux filles.

Voici l'itinéraire que j'ai griffonné surun bout de papier:La route est longue et dure. Orianenburg,samedi 20 19. Kremunan Wall,Karwio, Gnewikov, Neuruppin,Netzeband, Darsikow, Rossow, Vossoww,Wittstock, Krüssow, Pritzwalk, Laoske,Putlitz, Nettebak, Dreubav, Luckow,

. Marnitz, Tessenow, Slate, Parchin, Stolpe.Le I" mai à 1 Km les boches nousabandonnent en plein bois (quelquesfemmes abattues) . Nous passons la nuitdans le bois, le canon tonne. Les russessont à 2 Km (c'est une vraie. débandade)Le lendemain matin nous montons auvillage pour se ravitailler pain, pomme deterre? nous montons (avec bagages) dans

. une ferme nous passer la nuit dans une

19 Le bout de papier dont parle Denise le Graet esten très mauvais état, les parties du récit ....correspondent à des trous dans ce papier.

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grange il y a de la paille ça va aller; 1 Haprès un prisonnier français arrive et nouscrie (vous êtes libres), immédiatementgrand remue ménage - nuit un peu agitéecar ils revenaient le lendemain midi nouschercher pour se rendre à leur convoi quidoit partir de Stople à IH à 4Km de............ (saccagée par les russes)Neustadt, Ludwigshust (couché en caserne)Eldena, Mallik, Voosure, Jessenitz - le 4dans un camp d'usine (?) tous bien. Enroute pour Celle le 10 un couchésur des paillasses bonne nuit. 14 devantchaque bloc attendons le départ puis on nepart que demain donc départ pour Sulingenpassons une nuit dans un camp lendemaindépart pour Rheine nous sommes très bienreçues, on s'occupe particulièrement despolitiques tous les soldats Français nousentourent nous questionne passons? unenuit dans ce camp lendemain départ pourClève (en ambulance) passons une bonnenuit, lendemain matin attendons le départpour la gare - en route vers la Francepassons le Rhin à 4 H de l'après midi.Webmunster (dimanche 13)Sur carte Silva Vekehriskarte FreistaatHecklenburg

Lorsque je suis revenue d'Allemagne, jen'ai pas revu toutes les personnes quej'avais aidées. Certaines ne se sont pasmanifestées. Je leur ai souvent évité ladéportation, mais moi j'y suis allée. Maisen aucun cas je ne regrette «d'avoir fait ceque j'ai fait» . Je ne blâme pas ce résistantqui m'a dénoncée car il a cédé sous latorture .

J'ai toujours su que je reviendrai, etc'est cet espoir qui m'a permis de rester envie. Bien sûr avec des hauts et des bas!Toutes celles qui ont baissé les bras sontmortes dans les camps. Mon plus grandregret est de ne pas avoir assisté à laLibération de mon pays. »

Propos de Denise le Flohic née le GraëtRecueillis par Jean-Paul Rolland

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On peut se demander pourquoi lesRusses et les Américains ne sont pasintervenus plutôt? En fait, ces camps, ilsne les considéraient pas comme desobjectifs militaires; de plus, en leslibérant, les détenues auraient nécessitéd'être nourries et soignées et devenantainsi un «frein» à leur victoire; en fin,ces colonnes mobilisaient des militairesallemands qui n'étaient pas dans la bataille.

Un récit afin de garder la mémoire carnous entrons dans une période charnière,où la voix des témoins s'estompe, leurvécu devenant peu à peu l 'Histoire, avecun H majuscule. Ne pas oublier n'est pasqu'une affaire d'Histoire ou de mémoire,mais aussi une piqûre de rappel pour leprésent et l'avenir capable de combattre unnégationnisme porté par une idéologietoujours prête à relever.la tête.

Faut-il oublier le passé pour se donnerun avenir? Le travail de mémoire, c'estrevenir sur le passé à partir de nospréoccupations présentes. Pour entretenirce «refus de l'oubli» Pays d'Argoatravive le devoir de mémoire.

Pourquoi faut-il que les jeunesgénérations se souviennent? Ce n'est paspour entretenir un culte morbide, cen'aurait aucun sens, tout au contraire, c'estpour faire acquérir aux plus jeunes cetesprit civique, cet esprit critique, au senspropre du terme. Cet esprit qui permet devivre libre et de garder cette libertéchèrement acquise. La Liberté, la Vérité etla Solidarité ont besoin de volontaires; laFrance a besoin de points de repères danschaque ville et chaque village.

Le témoignage de Denise nous rappellequ'elle était un repère dans son bourg deBourbriac.

RavensbruckJean Paul ROLLAND

A Ravensbruck en AllemagneOn torture on brûle les femmes

On leur a coupé les cheveuxQui donnaient la lumière au monde

On les a couvertes de honteMais leur amour vaut ce qu'il veut

La nuit le gel tombent sur ellesLa main qui porte son couteau

Elles voient des amis fidèlesCachés dans les plis d'un drapeau

Elles voient Le bourreau qui veilleA peur soudain de ces regards

Elles sont loin dans le soleilEt ont espoir en notre espoir.

Poème de René Guy CADOU (1920-1951y2°Pleine poitrine. Éd. Pierre Fanlac. Périgueux. 1946, O.C .. 1.1, p. 348

20 Poète breton né le 15 février 1920 à Sainte-Reine-de-Bretagne en Brière (44) où son père est instituteur; mortle 20 mars 1951 à Louisfert (44).

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