TD DE SCIENCE POLITIQUE : CITOYENNETE, PARTIS,...

55
Licence Science Politique 3 e semestre (2 ème année) AES / Droit / Droits européens 2016-2017 TD DE SCIENCE POLITIQUE : CITOYENNETE, PARTIS, ELECTIONS SEANCE N°9 : LES PARTIS POLITIQUES : DES ENTREPRISES ? Exposé 1 : Anne-Sophie Petitfils, « L'institution partisane à l'épreuve du management. Rhétorique et pratiques managériales dans le recrutement des « nouveaux adhérents » au sein de l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP) », Politix 2007/3 (nº 79), p. 53-76. Exposé 2 : Philippe Aldrin, « Si près, si loin du politique. L'univers professionnel des permanents socialistes à l'épreuve de la managérialisation », Politix 2007/3 (nº 79), p. 25-52. Sujet de dissertation : Les partis politiques : des entreprises ?

Transcript of TD DE SCIENCE POLITIQUE : CITOYENNETE, PARTIS,...

Licence

Science Politique 3e semestre (2ème année)

AES / Droit / Droits européens 2016-2017

TD DE SCIENCE POLITIQUE : CITOYENNETE,

PARTIS, ELECTIONS

SEANCE N°9 : LES PARTIS POLITIQUES : DES ENTREPRISES ?

Exposé 1 : Anne-Sophie Petitfils, « L'institution partisane à l'épreuve du management. Rhétorique et pratiques

managériales dans le recrutement des « nouveaux adhérents » au sein de l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP) », Politix 2007/3 (nº 79), p. 53-76. Exposé 2 : Philippe Aldrin, « Si près, si loin du politique. L'univers professionnel des permanents socialistes à l'épreuve de la managérialisation », Politix 2007/3 (nº 79), p. 25-52. Sujet de dissertation : Les partis politiques : des entreprises ?

L'INSTITUTION PARTISANE À L'ÉPREUVE DU MANAGEMENT Rhétorique et pratiques managériales dans le recrutement des « nouveaux adhérents » au sein de

l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP)

Anne-Sophie Petitfils

De Boeck Supérieur | « Politix »

2007/3 nº 79 | pages 53 à 76

ISSN 0295-2319

ISBN 9782200923822

Article disponible en ligne à l'adresse :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

http://www.cairn.info/revue-politix-2007-3-page-53.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Anne-Sophie Petitfils, « L'institution partisane à l'épreuve du management. Rhétorique et

pratiques managériales dans le recrutement des « nouveaux adhérents » au sein de l'Union pour

un Mouvement Populaire (UMP) », Politix 2007/3 (nº 79 ), p. 53-76.

DOI 10.3917/pox.079.0053

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des

conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre

établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière

que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en

France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h26. ©

De B

oeck S

upérieur

Volume 20 - n° 79/2007, p. 53-76

L’institution partisane

à l’épreuve du managementRhétorique et pratiques managériales

dans le recrutement des « nouveaux

adhérents » au sein de l’Union

pour un Mouvement Populaire (UMP)

Anne-Sophie PETITFILS

Résumé - Cet article a pour objet d’étudier la diffusion d’une rhétorique modernisatrice et de pratiques

managériales (établissement de « contrats d’objectif », classement des fédérations en fonction de leurs

« résultats », promotion de la « responsabilisation », usage du webmarketing…) à l’occasion du recrute-

ment de « nouveaux adhérents » par la direction de l’UMP. Plutôt que de reconnaître comme évidente

l’existence d’un processus général de managérialisation des partis politiques, ce papier s’attache à met-

tre en évidence les conditions sociales qui ont favorisé l’importation de ces techniques. Il révèle combien

leur usage a constitué une ressource essentielle pour des élites en lutte pour la succession de l’ancienne

équipe dirigeante et soucieuses de mettre en scène leurs compétences gestionnaires et leur capacité à

innover et à moderniser le parti. L’affichage récurrent de la modernisation de l’UMP s’insère ainsi dans

une double stratégie de légitimation et de disqualification des « anciennes » pratiques partisanes et par

extension des « anciens » cadres du parti, productrice de tensions au niveau local notamment.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management54

nitialement apparus dans le secteur marchand, le management1 et lescroyances qui fondent sa légitimité sociale, ont, à la fin du XXe siècle, gagnédes domaines qui leur étaient jusque-là peu favorables2. Les partis politi-

ques, en tendant de plus en plus à s’aligner sur des normes de compétence,d’efficacité et de performance, n’ont pas échappé à cette tendance. D’aucunsn’hésitent d’ailleurs plus à les assimiler, au sens propre, à de véritables entrepri-ses3. Si cette importation révèle combien l’entreprise semble apparaîtreaujourd’hui comme un modèle incontesté d’efficacité gestionnaire, elle ne per-met cependant pas de comprendre les logiques sociales propres à ces institu-tions, ni les effets qu’elle a pu produire sur des organisations qui lui étaient apriori étrangères. C’est dans cette perspective que nous nous proposons d’ana-lyser les raisons qui ont présidé à l’usage, par les responsables de l’Union pourun Mouvement Populaire (UMP), d’une rhétorique de modernisation organi-sationnelle et de pratiques que l’on peut qualifier de « managériales » dans leurstratégie de recrutement de « nouveaux adhérents ». L’analyse de cette politiquevolontariste impulsée par la nouvelle équipe dirigeante, vise à spécifier lesmécanismes concrets de diffusion de ces savoir-faire pratiques au sein de l’uni-vers partisan.

Dès son élection à la tête du parti, lors du congrès du Bourget le 28 novembre2004, le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, avait fixé des objectifs à sescadres : doubler le nombre d’adhérents en l’espace d’un an (le chiffre officieldevant passer de 100 000 à 200 000 fin décembre 2005). Les objectifs initiauxatteints, ils ont depuis été réévalués à la hausse4. Pour ce faire, les déléguésnationaux chargés des « nouveaux adhérents » et des fédérations ont eu recoursà toute une panoplie de techniques managériales : des « contrats d’objectifs »ont été fixés aux fédérations, des outils d’évaluation des « performances » ontété développés (classement des fédérations en fonction de leurs résultats), des« enquêtes qualités » ont été menées, une éthique de la « responsabilité » et de la

1. Plutôt que de réifier les contours d’un objet difficilement saisissable, il convient plutôt de l’appréhendercomme une invitation permanente au changement organisationnel, justifiée par un impératif d’adaptationpragmatique aux évolutions sociales incessantes. Il repose sur quelques grands principes généraux : l’auto-nomie, la responsabilité, la valorisation (et l’évaluation) des compétences, la compétitivité, etc. Sur les usa-ges des techniques de management dans l’entreprise : Le Goff (J.-P.), Les illusions du management, Paris, LaDécouverte, 1996.

2. On pense notamment au recours aux techniques managériales dans l’administration (parmi l’abondantelittérature, on retiendra : Chaty (L.), L’administration face au management. Projets de service et centres deresponsabilité dans l’administration française, Paris, L’Harmattan, 1997), mais aussi plus récemment dansl’humanitaire (Collovald (A.), Lechien (M.-H.), Rozier (S.), Willemez (L.), L’humanitaire ou le manage-ment des dévouements. Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur du Tiers-Monde,Rennes, PUR, 2002). Il peut également constituer un nouveau registre avec lequel les maires peuvent com-poser leur rôle, cf. Le Bart (C.), La rhétorique du maire entrepreneur, Paris, Pedone, 1992.

3. Sur Forza Italia, notamment, Hopkin (J.), Paolucci (C.), « The Business Firm Model of Party Organisa-tion: Cases from Spain and Italy », European Journal of Political Research, 35, 1999.

4. De 200 000 adhérents fin 2005, les effectifs de l’UMP devaient atteindre 300 000 adhérents à la fin del’année 2006.

I

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 55

« transparence » a été promue, le « webmarketing » a été rendu plus efficace, etc.Il ne s’agira pas ici d’étudier ce phénomène de mobilisation partisane en détail5

mais de montrer que l’importation de pratiques managériales à l’UMP estmoins tributaire d’une dynamique sociale globale, qu’elle n’est le produit d’uneconfiguration partisane spécifique, caractérisée par l’ouverture de la lutte pourla succession d’Alain Juppé à la tête du parti. Ainsi, notre hypothèse est que lemanagement, entendu comme une nouvelle version de la modernisation orga-nisationnelle, a constitué une ressource symbolique et pratique, essentielle danscette compétition intra-partisane.

Après avoir décrit les techniques de management utilisées, nous analyseronsles conditions partisanes qui ont permis leur introduction et les usages qui enont été faits. Nous montrerons ainsi que l’affichage récurrent de cet impératifde « modernisation » est indissociable d’une entreprise de légitimation de N.Sarkozy, prétendant non désigné et non désiré au trône, et de disqualificationdes « anciens » modes d’investissement et d’encadrement partisans. L’analysed’une configuration locale spécifique, l’UMP dans le Nord, nous permettraenfin d’examiner comment le management s’est saisi des structures et desacteurs locaux. Cela nous amènera, en conclusion, à nous poser la question duchangement institutionnel à différents niveaux, local et national.

Le recours à des techniques de recrutement

managériales

La campagne de recrutement de nouveaux adhérents engagée par la direc-tion de l’UMP a entraîné la mise en place d’outils managériaux dans un doubleobjectif affiché de « moderniser » et d’améliorer l’efficacité du fonctionnementde l’UMP. La stratégie de recrutement était une stratégie multicanaux qui arequis le développement de techniques de mobilisation directe des membrespotentiels et la mise en place de nouveaux modes d’encadrement de la base,visant à « motiver » les cadres locaux du parti. À cette occasion, les instancesdirigeantes de l’UMP ont beaucoup investi le terrain des nouvelles technolo-gies6. La stratégie marketing du parti était calquée sur celle des grandesenseignes : campagnes par courrier électronique à partir de fichiers d’adresses

5. Pour une analyse des logiques de l’engagement des « nouveaux adhérents » à l’UMP, cf. Petitfils (A.-S.),« Les ressorts de l’engagement : l’imbrication des carrières professionnelles et militantes des “nouveauxadhérents” de l’UMP », Communication au colloque de l’IFRESI, CERAPS, CLERSE, « Comment penserles continuités et discontinuités du militantisme ? Trajectoires, pratiques et organisations militantes »,Lille, 8-10 juin 2006. 6. Dans une interview accordée au Journal du Net (15 mai 2006), A. Dassier, consultant internet auprès del’UMP et dirigeant de « L’enchanteur des nouveaux médias » (agence spécialisée dans le web-marketing),estime le coût de l’investissement de l’UMP dans les campagnes internet à 50 000 par mois. Cela repré-sente un coût total d’un million et demi d’euros, soit 5 % du budget total du parti.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management56

commerciaux, achats de liens sponsorisés sur Google7, etc. Les courrielsenvoyés, intitulés « Venez participer à la préparation du projet de 2007 »,étaient signés de la main de N. Sarkozy. Pour reprendre les propres termesd’Arnaud Dassier, consultant auprès de l’UMP, la stratégie du parti s’inspiraitdu modèle de « la poignée de main numérique8 ». Sa mise en œuvre a été sous-traitée à des experts spécialisés dans la mobilisation directe des fonds et de lavente par correspondance. Deux entreprises ont été retenues et se partagent lesmarchés de la consultance et de la mise en œuvre des mobilisations directes parinternet : « Optimus », agence spécialisée dans la collecte de fonds, dont le fon-dateur Alexandre Basdereff siégeait dès 1987 au comité central du RPR et« L’enchanteur des nouveaux médias », dont le président-fondateur est, quant àlui, engagé depuis la fin des années 1980 dans la mouvance libérale. Ces deuxacteurs ont ceci de commun qu’ils sont des acteurs multipositionnés, à la fron-tière entre les univers professionnels et militants et dont les intérêts sont dictéspar ces deux logiques. Formés dans de grandes écoles – le premier est diplôméde l’ESSEC, le second de l’IEP de Paris – ils ont contribué à importer à l’UMP,chacun dans sa spécialité, les dernières technologies, les modèles américainsémergeants ou dominants. Le premier avait participé à l’introduction enFrance, notamment lors des campagnes présidentielles de Jacques Chirac, destechniques de mobilisation directe des fonds des donateurs, le second a, plusrécemment, importé les campagnes d’e-mailing développées par les partis poli-tiques américains. L’on retrouve ici une constante des savoir-faire desconsultants : légitimer des méthodes et des techniques managériales en insis-tant sur leur provenance prestigieuse9.

Par ailleurs, des outils managériaux, directement inspirés des techniques demobilisation des cadres et des commerciaux d’entreprise ont été mis en placepour inciter les cadres locaux à « faire du chiffre ». Selon une logique de projet àcourt terme10, chaque fédération devait initialement doubler en l’espace d’un anle nombre de ses adhérents. Dès le début de l’année 2005, des « contratsd’objectifs » quantitatifs ont ainsi été conclus entre les responsables nationauxen charge de cette campagne et les responsables locaux (secrétaires départe-mentaux et délégués de circonscriptions) :

« Nous avons effectivement fixé des contrats d’objectifs aux fédérations pour

qu’elles se sentent impliquées dans la vie de l’UMP, pour les mobiliser égale-

ment sur les adhérents mais également sur les relations avec les adhérents, sur-

7. Les adhésions internet directement sur le site ou par impression de bulletin représentent 30 % des adhé-sions totales. Interview d’A. Dassier, retranscrite dans le Journal du Net, 15 mai 2006.8. Interview d’A. Dassier, retranscrite dans le Journal du Net, 15 mai 2006.9. Villette (M.), Sociologie du conseil en management, Paris, La Découverte, 2003, p. 76-79.10. Ces objectifs quantitatifs font, d’une certaine façon, entrer le parti dans une logique de projet, dansl’éphémère, le temps court. La campagne présidentielle constitue un horizon, quasi indépassable.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 57

tout avec les nouveaux adhérents. Car la plupart des fédérations, au départ,certaines en tout cas, ont assez mal vécu l’arrivée des nouveaux adhérentsqu’elles ne connaissaient pas. Donc on a été obligé de les rassurer là-dessus et de

leur donner des objectifs quantitatifs et aussi qualitatifs. On leur demandait de

recevoir dans toutes les fédérations et jusque dans les circonscriptions les nou-

veaux adhérents, de débattre avec eux notamment sur les conventions11. »

Les objectifs ont ensuite été réévalués et adaptés aux fédérations. Si certainsdépartements devaient plus que doubler leur nombre d’adhérents (le Nord, lesCôtes d’Armor, la Manche, le Pas-de-Calais, etc.), dans d’autres, les contratsd’objectifs étaient significativement inférieurs à ce qui avait été prévu initiale-ment (Paris, Hauts de Seine, le Var, l’Isère, la Gironde, etc.)12. Ces objectifs « àla carte » ouvraient la possibilité de renégocier avec les responsables nationauxles « performances » à atteindre.

Parallèlement à la conclusion de contrats d’objectifs, les responsables chargésdes nouvelles adhésions et des fédérations ont mis au point des outils d’évalua-tion des résultats. À partir de la fin de l’année 2005, des « tableaux desperformances » des fédérations ont été élaborés et publiés régulièrement dansLe magazine de l’union, envoyé à l’ensemble des adhérents du mouvement. Cestableaux établissaient le classement des fédérations en fonction du nombre totald’adhérents, de leurs « performances » en termes de nouveaux recrutés, dupourcentage des objectifs réalisés et des taux de renouvellement d’adhésions.De même, le site internet national de l’UMP, les sites des fédérations locales,ainsi que le panneau d’affichage installé dans l’entrée du siège du parti met-taient à jour quotidiennement l’effectif global des adhérents, dans un souci affi-ché de « transparence »13. Une éthique de la responsabilisation et del’autonomisation des cadres fédéraux a également été promue :

« Ce que j’apprécie, c’est que l’on se sent un peu plus responsabilisé, c’est-à-dire,on nous dit bien : “Attendez, c’est vous ! Si vous n’avez pas envie de faire cela,faites autre chose !” Quand on se fait engueuler dans les petites réunions à Paris,qu’on va à Paris et que l’on se fait engueuler… […] J’étais avec Sébastien14, ons’en souvient tout les deux ! On avait un petit badge à part. Tout le long de laréunion, on s’amusait à imaginer pourquoi. Enfin, on avait un badge commetout le monde mais dessus, il y avait un petit truc bleu en plus. On nous dit :

11. Entretien avec José Do Nascimento, directeur de la campagne nationale d’adhésions, permanent del’UMP, 35 ans.12. Les quotients multiplicateurs, utilisés pour fixer les contrats d’objectifs, variaient entre 1,2 à 2,2 selonles départements. Par exemple, tandis que la fédération du Nord devait plus que doubler (2,2) le nombrede ses adhérents pour remplir ses objectifs, les Hauts-de-Seine devaient, dans le même temps, multiplierpar 1,2 leurs effectifs.

13. Les responsables nationaux du projet ont beaucoup communiqué autour des chiffres, imputant à N.Sarkozy, à ses interventions publiques, les « bons résultats » enregistrés.

14. Autre délégué de circonscription UMP du Nord, également député.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management58

“Ça, gardez le bien précieusement, vous allez avoir un petit truc à part !”. […] Pour

être à part, on était à part ! On se retrouve dans une petite salle. Alors, on n’était pas

qu’à deux, on était une trentaine, on s’installe. Arrivent Karoutchi, Novelli etc…

Enfin, la fine fleur du parti… On commence à se faire engueuler, fabuleux ! Sur le

fait que, alors, ils avaient les chiffres… “Alors, qui est Monsieur machin ?” Le pau-

vre Monsieur machin : “C’est moi !”. “C’est quoi ça ?” Alors, ils commencent à

prendre les chiffres. Quand on repense à ça, avec Sébastien, on se marre… Alors,

dans ces cas-là, le premier il se fait engueuler, il ne comprend pas ce qui se passe. Le

deuxième… Alors, c’est pareil, ils nous prennent vraiment pour des cons, le pre-

mier il faisait le méchant, le second, le gentil, c’est connu comme truc… Alors, le

deuxième, c’est pareil. Mais il y en a toujours un pour dire : “Hop, hop, hop, je suis

Monsieur machin de la Nièvre, vous faites quoi là ? On est venu pourquoi ?” Alors,

les autres ils disent : “Ho il a raison !”. Du coup, ils ont changé de ton. Moi, j’ai eu le

droit au fait que, effectivement… Alors, j’ai eu dur à expliquer ce que c’était que ma

circonscription avec B. R.15… Sébastien, c’est pareil avec sa circonscription, alors

qu’il fait un boulot formidable. Enfin bon, bref, on s’est fait engueuler16. »

Le système reposait ainsi sur la mise en place de tout un dispositif de répri-mandes verbales des secrétaires fédéraux et des délégués de circonscription quin’auraient pas rempli leurs objectifs. L’acceptation du management passait éga-lement par la croyance en l’existence de chances réelles de promotion ou derécompense. Aussi, les fédérations et circonscriptions les plus performantes sesont-elles vu remettre des gratifications matérielles. Une enveloppe de 5 000 €venait les récompenser. Le calcul des performances des fédérations, l’établisse-ment d’un palmarès, et la mise en place de primes ou de réprimandes sontautant d’instruments qui ont favorisé la concurrence entre fédérations et cir-conscriptions. Mais aussi, de façon plus étonnante, entre le siège national et lelocal. En effet, les adhésions enregistrées directement au siège national du partipar internet, par SMS, par téléphone ou par courrier sont ponctionnées davan-tage que celles réalisées au niveau local. Sur une adhésion simple dont le coûts’élève à 25 euros, lorsque l’adhérent renvoie son bulletin d’adhésion au niveaucentral, le siège retient 15 euros, 10 euros revenant à la fédération. Lorsquel’adhérent s’adresse directement à la permanence de sa fédération, 15 eurosreviennent à cette dernière. Certains délégués de circonscription ont doncappelé leurs militants à non seulement renouveler leur adhésion localement,mais également à aller à la rencontre des adhérents en les parrainant17.

15. Député PS du Nord.

16. Entretien avec un délégué de circonscription du Nord, 41 ans, professeur d’histoire-géographie dans lepublic, ancien cadre de l’UDF.

17. En s’inspirant des techniques de vente par correspondance, les responsables du recrutement des« nouveaux adhérents » ont envoyé des carnets de parrainages à l’ensemble des adhérents de l’UMP. Aubout de « quatre adhésions et de quatre contacts », le parrain reçoit le DVD du congrès du Bourget du 28novembre 2004 ; avec huit adhésions et huit contacts, lui étaient envoyés, outre le DVD du congrès duBourget, le livre de N. Sarkozy dédicacé.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 59

En instaurant tout un ensemble de pratiques managériales, les responsablesde l’UMP contribuent ainsi à redéfinir les principes du militantisme et del’investissement partisans. Par le passage d’une « obligation de moyens » à une« obligation de résultats », par la promotion d’une nouvelle culture partisanefondée sur la « performance »18, le management a pour effet d’aligner les activi-tés militantes sur des normes prétendument associées aux entreprises : l’effica-cité, la rationalisation et la concurrence. Ces transformations des modesd’organisation et d’encadrement partisans ne sont pas sans rappeler certainestendances à l’œuvre dans les principaux partis politiques de gouvernement desdémocraties occidentales dont sont censés rendre compte les modèles du« parti-cartel19 » ou du « parti-entreprise20 ». Quelles que soient les dénomina-tions utilisées, ces modèles ont ceci de commun de mettre l’accent sur la profes-sionnalisation21 et la centralisation accrue de ces organisations et l’importanceprise par les injonctions d’efficience et d’efficacité dans la compétition politi-que. La France n’échapperait pas à cette dynamique générale22. Ces analyses,aussi pertinentes soient-elles, comportent un biais évolutionniste23 et généra-liste, faisant fi des spécificités propres à chaque configuration nationale et à cha-que histoire partisane. Aussi, il convient désormais de spécifier, en lesrecontextualisant, les conditions qui ont rendu possible l’importation de tech-niques de recrutement managériales à l’UMP, et par-là même les usages qui enont été faits.

Les usages stratégiques d’une rhétorique

et de pratiques managériales

À peine deux ans après sa création – entre le premier et le second tour del’élection présidentielle de 2002 –, l’UMP a été successivement ébranlée par sa

18. « Surtout, cette fédération virtuelle permettra de mesurer et de comparer les efforts de chacun sur leterrain. Combien d’adhésions nouvelles ? Combien de parrainages obtenus ? Tout doit être fait pour ren-forcer le maillage UMP sur le terrain. L’internet politique va conduire à une politique du résultat, donc uncomplet changement de culture ». S. Huet, Le Figaro, 22/04/2006.

19. Katz (R.), Mair (P.), « Changing Models of Party Organization and Party Democracy: The Emergenceof the Cartel Party », Party Politics, I (1), 1995 et Mair (P.), Party System Change. Approaches and Interpre-tations, New York, Oxford University Press, 1998.

20. Traduction pour “the business firm model”, cf. Hopkin (J.), Paolucci (C.), « The Business Firm Modelof Party Organisation… », art. cité.

21. Panebianco (A.), Political Parties. Organization and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.

22. Pour une discussion serrée de la pertinence du modèle du parti-cartel dans le cas d’espèce français,Knapp (A.), « Ephemeral Victories ? France’s Governing Parties, the Ecologists, and the Far Right », inMair (P.), Müller (W. C.), Plasser (F.), dir., Political Parties and Electoral Change: Party Responses to Electo-ral Market, Londres, Sage, 2004.

23. Historiquement, les partis de cadres auraient disparu au profit des partis de masse, qui auraient eux-mêmes décliné à la faveur des partis attrape-tout puis du parti-cartel. Mair (P.), Party system change…, op.cit. Pour une critique du modèle du parti-cartel, Sawicki (F.), « Les partis politiques comme entreprisesculturelles », in Cefaï (D.), dir., Cultures politiques, Paris, PUF, 2001.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management60

sévère défaite aux élections cantonales, régionales et européennes24 du prin-temps 2004 et les déboires judiciaires de son président, A. Juppé, entraînant lapublicisation des conflits internes. Dans une tribune parue dans Le Monde, cer-tains parlementaires, responsables de « mouvements » minoritaires25, en ontappelé à un « électrochoc pour l’UMP » tout en dénonçant le manque de démo-cratie interne, de débat et « le mépris » de la direction à l’égard des cadreslocaux, des élus et des adhérents du parti. La démission d’A. Juppé de la prési-dence du mouvement, le 16 juillet 2004, suite à sa condamnation dans l’affairedes emplois fictifs de la mairie de Paris a ouvert une période de succession.C’est dans ce contexte que différents acteurs, à commencer par N. Sarkozy, sesont saisis d’un discours modernisateur, dans une double stratégie de légitima-tion de la nouvelle équipe dirigeante, et de disqualification des anciens modesd’investissement et d’encadrement partisans.

Modernisation et légitimation

Quelques jours avant la démission d’A. Juppé, N. Sarkozy, le challengerencore non déclaré de l’ancien premier ministre, a esquissé les grandes lignes deson projet pour l’UMP : la mise en place d’« un projet renouvelé, de méthodesd’animation modernes, une image d’ouverture mieux affirmée26 ». Lors d’unmeeting à La Baule, il affichait sa volonté de « revoir de fond en comble lesméthodes de fonctionnement de l’UMP ». Dans son discours devant les jeunesdu mouvement, le 4 septembre 2004 aux Universités d’été d’Avoriaz, alors qu’ilavait annoncé la veille sa candidature à la présidence de l’UMP, il affirmait savolonté de « rénover » le parti, par le biais de la promotion de « jeunesresponsables ». Il se posait en chantre d’un « mouvement jeune, libre et créatif,où chacun pourra défendre ses idées, pourra faire entendre sa différence, pouravoir l’opportunité de convaincre les autres ». Le 16 septembre, un peu plusd’un mois avant son élection à la tête de l’UMP27, il déclarait encore vouloir« changer les équipes, changer les idées, changer les méthodes ».

L’usage d’une rhétorique modernisatrice est une constante dans les luttes desuccession, surtout quand le challenger n’apparaît pas comme un héritier légitime.

24. Les candidats de l’UMP n’ont obtenu que 34 % des voix aux élections régionales contre 40 % pour leParti Socialiste (PS), ne réussissant à conserver que deux régions sur vingt-quatre. Aux élections européen-nes, les candidats du PS sont arrivés largement en tête avec un score frôlant les 29 %, tandis que ceux del’UMP ne récoltaient qu’à peine plus de 16,5 %, soit juste 5 points de plus que l’UDF.

25. Tribune du journal Le Monde du 22 juin 2004, intitulée « Un électrochoc pour l’UMP » et cosignée parcinq parlementaires dont Nicolas Dupont-Aignan, président du Mouvement « Debout la République », etle secrétaire général de « La droite libre », Rachid Kaci.

26. Interview de N. Sarkozy dans Le Monde, 11-12 octobre 2004.

27. Le vote des adhérents UMP pour élire leurs représentants s’est déroulé le 21 octobre 2004. La nouvelleéquipe a été investie le 28 novembre 2004 lors du congrès du Bourget. N. Sarkozy a été élu président,J.-C. Gaudin, vice-président et P. Méhaignerie, secrétaire général, recueillant plus de 85 % des suffrages exprimés.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 61

La stratégie déployée par N. Sarkozy n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle utili-sée par J. Chirac en 1976, dans son entreprise de captation de la marque gaul-liste28. Comme lors de la création du Rassemblement Pour la République(RPR), en se présentant comme un rénovateur, il s’agissait, pour l’ancienministre de l’Économie et des Finances, de se démarquer de ses prédécesseurs.Mais l’héritage ne se laisse pas capter facilement, comme en témoigne la tenta-tive de prise de pouvoir du RPR par Philippe Séguin. Après la défaite électoralede 1997, Ph. Séguin fut désigné président du RPR et entreprit de le « réformer »de l’intérieur. Son projet s’est traduit par le renouvellement de la moitié dessecrétaires départementaux. Après avoir fait campagne avec Charles Pasquacontre le traité de Maastricht en 1992, il engagea son parti dans la voie de la rati-fication du traité d’Amsterdam en octobre 1998 et fut réélu en décembre avecplus de 95 % des suffrages des militants29. Exposé aux attaques de proches del’« Elysée30 » et privé du soutien de Ch. Pasqua et d’une partie des cadres locauxdu parti qui ne lui pardonnaient pas d’avoir été écartés, il démissionna de laprésidence du RPR le 16 avril 1999, et se retira de la liste RPR-DL qu’il devaitconduire aux élections européennes. Cet échec que N. Sarkozy connut en tantque secrétaire général du RPR, a sans doute constitué un précédent, contrai-gnant durablement ses représentations de la situation présente et sa stratégie deprise de pouvoir à l’UMP31.

À l’instar du RPR, l’UMP a, elle aussi, été créée par et pour J. Chirac32. A. Juppé,son successeur légitime, avait construit le rôle de président du mouvement àpartir de sa fidélité indéfectible au président de la République. Ne pouvant seprévaloir de la légitimité de l’héritier désigné et fort de cette expérience passée,la marge de liberté de N. Sarkozy était relativement étroite. Dans ce contexte,l’emploi d’une rhétorique modernisatrice peut s’interpréter comme une entre-prise de démarcation par rapport à la définition légitime du rôle de présidentdu mouvement et à ceux qui avaient contribué à la façonner tandis que l’usagede techniques managériales permettait à la nouvelle direction de s’assurer une

28. Cette rhétorique modernisatrice a été utilisée en son temps par J. Chirac lorsqu’il a participé à la fonda-tion du RPR. A. Collovald rappelle les propos de R. Romani : « Ce qui nous intéressait, c’était de construireun parti moderne, un peu sur le modèle américain… Faire appel aux jeunes… Faire un parti plus adapté àl’avenir. On en avait assez des archaïsmes… Le RPR devait être à nos yeux quelque chose de nouveau et demoderne. » (Collovald (A.), Jacques Chirac et le gaullisme, Paris, Belin, 1999, p. 102).

29. Il était alors le seul candidat.

30. Dans sa lettre de démission, P. Séguin dénonce, à mot couvert, les manœuvres des proches de l’Élysée –notamment Bernard Pons, alors Président des « Amis de Jacques Chirac » – et regrette leur absence de sou-tien dans sa campagne. Il revient sur cet épisode de sa vie dans Séguin (P.), Itinéraire dans la France d’enbas, d’en haut et d’ailleurs, Paris, Le Seuil, 2003, p. 496-498.31. Dobry (M.), « Calcul, concurrence et gestion du sens », in Pierre Favre, dir., La manifestation, Paris,Presses de la FNSP, 1990, p. 361 et 363.32. L’UMP s’appelait originellement « Union pour la Majorité Présidentielle ». Sur les enjeux de la créationde l’UMP, Haegel (F.), « Faire l’union. La refondation des partis de droite après les élections de 2002 »,Revue française de science politique, 6, 2002.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management62

adhésion minimale des cadres locaux à ses ambitions, sans procéder aux tradi-tionnelles « épurations » massives qui accompagnent généralement les succes-sions politiques33. Se présenter sous les traits du réformateur avait égalementl’avantage de lui octroyer une nouvelle virginité politique. Depuis son entrée enpolitique en 1974, N. Sarkozy a occupé, sans discontinuité, les plus hautes fonc-tions électives et partisanes au sein du RPR, de sorte qu’il apparaissait, jusqu’àprésent, davantage comme un homme de parti et un tacticien politique habituéà « la cuisine des partis ». 34 35

Ce coup de force symbolique n’a été possible que parce qu’il a su tirer profitde certaines ressources personnelles. S’il ne pouvait se prévaloir, à l’instar de

33. Pour imposer ses fidèles localement, la nouvelle direction a nommé dans la plupart des départementsdes secrétaires départementaux adjoints censés seconder les secrétaires départementaux. Dans le Finistère,le député J. Le Guen a néanmoins été démis de ses fonctions de secrétaire départemental en octobre 2006à l’issue d’un vote des militants, après avoir publiquement réaffirmé son soutien à D. de Villepin.

Né en 1955, N. Sarkozy entre à l’Union des Jeunes pour le Progrès (UJP) à 19 ans, oùil est très vite remarqué par Robert Grossmann (ancien président de l’UJP) à quiJ. Chirac vient de confier la mission de créer un mouvement actif de jeunes au seinde l’Union pour la Défense de la République34. C’est d’ailleurs au sein de cette orga-nisation de jeunesse qu’il rencontre Roger Karoutchi qu’il nommera en 2004 auposte stratégique de responsable national des fédérations. Avec le soutien deCh. Pasqua, puis de J. Chirac, il obtient rapidement des responsabilités nationales.En 1980, il devient président du comité de soutien des jeunes à la candidature deJ. Chirac. À partir de la fin des années 1980, il occupe sans interruption le poste desecrétaire national, avant d’entrer au bureau politique du RPR en 1993. En parallèle,il mène, avec succès, une carrière d’élu local et national. Conseiller municipal deNeuilly-sur-Seine dès 1977, il est élu maire de cette commune en 1983, après avoirévincé Ch. Pasqua. Député de 1988 à 2002 puis président du Conseil général desHauts-de-Seine, il est nommé ministre du Budget (1993-1995) et de la communica-tion (1994-1995) du gouvernement d’Édouard Balladur. En 1993, il prend le parti dece dernier à la présidentielle, contre son mentor politique, J. Chirac. Mais malgré cetépisode qui lui vaut durablement le surnom de « traître », il est successivement dési-gné secrétaire général puis président par intérim du RPR après la démission de Ph.Séguin. En 1999, N. Sarkozy, qui assure l’intérim de la présidence du RPR, a lui-mêmeété désavoué par la base du RPR qui ne lui a pardonné ni son ralliement à É. Balladuren 1995, ni la débâcle de la liste qu’il conduit aux élections européennes de 199935.

34. Audigier (F.), L’Union des jeunes pour le progrès, une école de formation politique (1965-1975), Paris,Presses Universitaires de Nancy, 2005, p. 204-213.

35. N. Sarkozy a, à plusieurs reprises, été désavoué par les militants. En 1997, au lendemain de la défaiteélectorale des élections législatives, il avait été accueilli par des militants qui arboraient des affiches « Sarkosalaud ». De même, après la débâcle des élections européennes de 1999 et s’être fait sifflé par des militantsréunis en meetings, il démissionna de la présidence par intérim du mouvement le 13 juin 1999. Débutseptembre, une trentaine de députés ont lancé, en vain, un appel de soutien à sa candidature à la présidencedu RPR.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 63

son prédécesseur36 et de J. Chirac, de compétences technocratiques, sa profes-sion d’origine et ses relations de proximité avec les milieux patronaux37 don-naient un surcroît de crédit à sa volonté affichée de rénover le parti, notammentdans cet univers partisan spécifique.

Tableau 1 : Députés RPR et UDF de 1993 et UMP de 2002par catégories professionnelles

Sources : Professions des députés élus aux élections générales de 1993 (RPR et apparentés) et 2002 (UMP),à partir des notices biographiques d’annuaires professionnels (Le Trombinoscope, L’informationprofessionnelle du monde politique, Tome 1, « Parlement, gouvernement et institutions »).

Commentaire : Le nombre de députés correspondant est indiqué entre parenthèses, à côté de chaque pourcentage.

En effet, entre 1993 et 2002, les structures sociales du recrutement desdéputés se sont transformées au profit des milieux d’affaires et de l’entre-prise (tableau 1). On peut noter une augmentation de près de 1,5 de la part

36. « C’est le meilleur d’entre nous ». Cette phrase de J. Chirac, souvent reprise par les commentateursautorisés, a contribué à façonner l’image de l’ancien Premier Ministre.

37. En tant qu’avocat d’affaires spécialisé dans l’immobilier, son cabinet a été amené à plaider pour S. Dassaultet de prodiguer des conseils à J.-L. Lagardère lorsqu’il céda La Cinq en 1992. M. Bouygues et B. Arnault furent lestémoins de son mariage avec Cécilia. Par ailleurs, son frère a été vice-président du MEDEF jusqu’en 2005.

Députés de 1993 Députés de 2002

Chefs d’entreprise, cadres dirigeant d’entreprise, administrateurs de société Cadres du secteur privé Ingénieurs Commerçants et assimilés

13 % (46)

6 % (22)4 % (14)2 % (8)

25 % (90)

17 % (63)

10 % (38)5 % (17)3 % (13)

36 % (131)

Professions libérales 28 % (97) 23 % (83)

Cadres supérieurs du public, fonctionnaires des grands corps de l’État Cadres du secteur public et entreprises publiques

11 % (37)

9 % (33)

20 % (70) 8 % (28)

8 % (30) 16 % (58)

Enseignants du supérieur Enseignants du 1er et 2nd degrés

4 % (13)7 % (26)

11 % (39) 4 % (16)7 % (24)

11 % (40)

Journalistes Fonctionnaires catégories B et C Assistante sociale, sage-femme, infirmière Artisans Exploitants agricoles Agents et techniciens du secteur privé Employés du secteur privé Sans profession ou profession non déclarée

1 % (4)3 % (9)0 % (0)

1 % (2)4 % (14)1 % (3)

2 % (6)4 % (15)

15 % (53) 1 % (2)1 % (3)2 % (6)

1 % (4)3 % (13)1 % (2)

1 % (4)5 % (18)

14 % (52)

Total 100 % (349) 100 % (364)

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management64

relative des cadres supérieurs, ingénieurs, entrepreneurs et gros commer-çants entre 1993 et 2002 tandis que la part des professions libérales et descadres supérieurs du public diminuait nettement38. Depuis 2002, la plupartdes députés issus du monde de l’entreprise sont d’ailleurs regroupés au seinde clubs visant à promouvoir la « culture d’entreprise » contre la « cultureadministrative ». Il s’agit, d’une part, du club informel « Générationentreprise », co-présidé par Jean-Michel Fourgous et Olivier Dassault, quirevendique une centaine de députés provenant principalement du RPR et,d’autre part, du mouvement des « Réformateurs », emmené par Hervé Novelliqui comptabilise soixante dix-sept députés majoritairement issus des rangs deDémocratie libérale39. Certains d’entre eux, à commencer par H. Novelli,promu par N. Sarkozy secrétaire national en charge des fédérations, ont joué unrôle actif dans la mise en place des instruments managériaux. Le secrétairenational délégué aux « nouvelles adhésions », Yves Jégo, pouvait également seprévaloir d’une bonne connaissance des entreprises. Si ce député de Seine-et-Marne a commencé sa carrière professionnelle en tant que collaborateur d’élu,il a ultérieurement été directeur général du Comité de développement écono-mique de l’Essonne de 1989 à 1992, avant de devenir directeur du développe-ment d’un cabinet de recrutement, en 1998.

Mais, contre toute attente, ce sont ceux qui pouvaient a priori le moins se pré-valoir de la légitimité sociale du manager, qui se sont les premiers réappropriésces discours. Un mois avant l’élection de N. Sarkozy, J.-C. Gaudin, l’ancienvice-président de l’UMP, a, à son tour, dressé le bilan et les perspectives d’uneUMP renouvelée dans une tribune du Figaro40. Il en appelait à l’émergence de« nouveaux talents », à la « préparation de nouvelles générations de responsa-bles politiques ». L’actuelle secrétaire nationale chargée des nouvelles adhésions,Jeannette Bougrab, a elle aussi repris un discours modernisateur bien qu’étantmembre de l’ancienne équipe : « En fait, il y a eu une vraie volonté de moderni-sation des outils. C’était plus que nécessaire, en France, on a une conception trèsunilatérale de la politique. » Docteure en droit, enseignante-chercheure dansune université parisienne, issue de l’immigration, elle ne pouvait asseoir sa légi-timité sur ses compétences expertes dans le domaine du management41. Elle est,

38. Ces deux catégories ont enregistré une augmentation de 0,8 de leur part relative entre 1993 et 2002.

39. Ces deux clubs sont les seuls mouvements de parlementaires reconnus par l’UMP. Haegel (F.), « Lapluralisme à l’UMP. Structuration idéologique et compétition interne », in Haegel (F.), dir., Partis politi-ques et systèmes partisans en France, Paris, Presses de Science Po, 2007, p. 238.

40. Le Figaro, 28 septembre 2004.

41. En l’absence de légitimité managériale, J. Bougrab a bricolé une présentation de soi consistant à mettre en avant sescompétences expertes tirées de son expérience professionnelle : « S’occuper d’équipe c’est comme s’occuper dans unlaboratoire de recherche, enfin moi je ne suis pas une apparatchik je ne suis pas payée, c’est sur mon temps personnel.À l’université on sait faire, on sait monter des choses. Avec un euro, trois bouts de ficelles. Quand on est universitaire,on est des Mac Giver. Et je crois que, contrairement à ce que beaucoup pensent, à l’université, dans les laboratoires de

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 65

par ailleurs, l’une des seules secrétaires nationales (sur quarante-huit) à nepas exercer de fonction élective. Lors de la succession d’équipe, elle a pour-tant été maintenue au secrétariat national. Elle explique ce maintien par lesraisons suivantes :

« C’est la bonté de N. Sarkozy, les autres auraient sans doute voulu avoir ma tête.C’est lui qui pense qu’il faut qu’il y ait des gens nouveaux, des femmes, des jeunes, desnon élus, issus de l’immigration, tout ça c’est lui, il faut le reconnaître. Je ne suis passûre que cela soit partagé par tout son entourage politique. Il y a des gens exception-nels autour de lui, mais je ne suis pas convaincue que les politiques qui l’entourentpartagent cet avis-là concernant le renouvellement et l’ouverture à la diversité42. »

En l’absence de légitimité démocratique et d’ancrage territorial, cette res-ponsable est maintenue dans une forme de domination. Tandis qu’elle se sen-tait « protégée » dans l’ancienne équipe, notamment par A. Juppé, sa positiondans le parti est désormais précaire – les secrétaires nationaux étant nomméspar le président de l’UMP. Issue d’un milieu qu’elle décrit comme« populaire », fille d’immigrés dont le père « parlait mal le français », dénuée apriori de tout capital social reconvertible en politique, son entrée en politiquetient à son parcours scolaire et notamment universitaire qui lui a permis defaire un stage au conseil constitutionnel et de rencontrer Pierre Mazeaud.Consciente de devoir son maintien au secrétariat national à N. Sarkozy, elle estdisposée à ce que l’UMP remplisse ses objectifs de « nouveaux adhérents ». Ledirecteur exécutif chargé de la campagne nationale de recrutement de« nouveaux adhérents » est, lui aussi, issu de l’ancienne équipe de direction. Ilétait en charge de la mobilisation des fonds des grands donateurs pendant lacampagne de J. Chirac en 2002. Avant la campagne présidentielle, il était direc-teur de cabinet du maire du Havre, Antoine Rufenacht, ancien porte-parole ducandidat Chirac. L’élection passée, il est devenu permanent au siège de l’UMPoù il dirige, depuis 2002, le service des adhésions. Diplômé d’un IEP de pro-vince, il ne peut se prévaloir d’un titre scolaire fortement reconnu socialement,lui permettant une reconversion professionnelle équivalant à sa positionsociale actuelle. Il n’a, par ailleurs, quasiment aucune expérience profession-nelle pouvant être valorisée sur un curriculum vitae – il a travaillé six mois horsdu champ politique.

Ainsi, l’affichage récurrent d’un impératif de modernisation organisation-nelle a été soutenu par différentes stratégies de légitimation (la présidence dumouvement), de conservation ou de subversion de certains membres de la

42.

recherche, de monter des projets, de faire des colloques, de faire beaucoup de choses c’est aussi travailler en équipe etc’est très formateur. Contrairement à ce que les gens pensent, on n’est pas coupé de la réalité, au contraire… »

42. Entretien avec J. Bougrab.

(suite de la note 41 page 64).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management66

direction nationale. C’est l’imbrication, l’entrelacement de divers intérêts et ini-tiatives de personnes ou de groupes qui convergent vers un objectif commun(la réussite de cette politique) dont dépend leur propre avenir en politique, quia contribué à l’acceptation générale, au niveau national du moins, de ce projetet des moyens de le mettre en œuvre. Si leurs trajectoires éclairent les raisonsqui les ont conduits à reprendre à leur compte les discours sur la modernisationdu parti, elles permettent également de comprendre les raisons qui les ontpoussés à entreprendre un travail de disqualification des « anciens » modesd’investissement et d’encadrement partisans.

Modernisation organisationnelle et disqualificationdes « anciens » modes d’encadrement partisans

Bien plus que de moderniser l’institution, il s’agissait, avant tout, de parer leparti, des vertus de la modernité. Les propos de J. Do Nascimento, permanentet directeur de la campagne nationale d’adhésion, révèlent combien l’usage destechniques managériales de mobilisation directe des nouveaux adhérents et demotivation des cadres a été pensé pour « faire moderne » :

« On a souhaité moderniser le parti en utilisant tous les systèmes de communi-

cation moderne. On nous reproche souvent de faire du marketing, c’est peut-

être du marketing mais c’est simplement pour ne pas reprocher au parti politi-

que d’être obsolète et d’être complètement dépassé par les événements. Quand

on a commencé à utiliser des moyens de communication moderne, on nous a

reproché de faire du marketing. C’est un peu le paradoxe de la situation. Car

avant d’être une campagne de recrutement c’est d’abord une campagne d’infor-

mation. On n’a jamais forcé personne à ouvrir un mail43. »

La rénovation organisationnelle du parti se justifierait par une nécessaireadaptation aux récentes transformations sociales. Le rejet des organisationset des discours politiques traditionnels témoignerait d’une transformationdes attentes des citoyens. Les formes d’adhésion et d’investissement mili-tants classiques, jugées « archaïques », disparaîtraient au profit de formesd’engagements plus distanciées44, « à la carte » et plus ponctuelles (engage-ment « post-it ») signes d’une nouvelle « modernité ». Le centralisme desorganisations partisanes, leur bureaucratisation, les aspects « militaires /autoritaires » seraient largement rejetés, tandis que les préférences descitoyens iraient vers des formes d’organisations plus souples, plus participa-tives, plus efficaces car « libérées des pesanteurs » de l’engagement politique« traditionnel » :

43. Entretien avec J. Do Nascimento.

44. Les propos de ces dirigeants rappellent ceux de J. Ion sur les transformations du militantisme (Ion (J.),La fin des militants ?, Paris, Editions de l’atelier, 1997).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 67

« Pendant des années, au RPR, je voyais un petit peu comment cela se passait,en gros les militants c’étaient les colleurs d’affiche. Ils prenaient sur leur tempspersonnel, on ne leur demandait pas leur avis. Aujourd’hui les gens ne peu-vent plus accepter ça et on voit quand même un certain découragement. Onleur donne, quand même, maintenant les moyens de décider et ça c’est impor-tant, on ne peut plus fonctionner comme on a fonctionné auparavant. Le partia perdu beaucoup de militants parce que je crois qu’on ne les respectait pas.On leur demandait de coller les affiches de distribuer des tracts et c’est tout, onne leur demandait pas leur avis sur plein de choses. Aujourd’hui c’estdifférent45. »

« Aujourd’hui ces nouveaux adhérents n’ont pas du tout les mêmes envies queles anciens adhérents, les militants qui étaient prêts à distribuer des tracts à collerdes affiches etc. aujourd’hui ils veulent beaucoup plus de qualitatif, participer àdes débat d’idées. […] C’est une application beaucoup plus qualitative en parti-cipant au débat d’idées en voulant nous faire parvenir leurs attentes, leurs pro-positions. Donc voilà aujourd’hui le profil du nouvel adhérent. C’est d’ailleursce qu’on attendait de lui46. »

Les propos de ce dernier témoignent des attentes que les responsables projet-tent sur ces nouveaux adhérents. En structurant leurs discours à partir degrands principes de divisions sociales (les anciens adhérents / les nouveauxadhérents ; la remise de soi / la participation ; l’archaïsme / la modernité), cesresponsables participent à la solidification d’un antagonisme irréductible entrele RPR, jugé archaïque, et l’UMP, porteur d’une nouvelle « modernité ». LeRPR, et, d’une façon générale, les partis de militants fondés sur l’intégration augroupe, sont présentés comme des modèles d’organisation inefficaces, inadap-tés aux transformations sociales et inaptes au changement. Ils fonctionneraientcomme des repoussoirs :

« En gros, avant, la politique venait d’en haut et les gens n’avaient qu’à se mettreà niveau s’ils voulaient accéder à un parti politique. Pour adhérer, c’était parfoisun parcours du combattant. C’était difficile au RPR mais c’est encore plus diffi-cile au PS car il faut passer des entretiens, être parrainé, s’intégrer dans un cou-rant… Donc on voulait simplifier tous ces mécanismes pour qu’au moins le capde l’adhésion ne soit pas un obstacle pour rentrer dans un parti. Donc, on amodernisé tous les outils, on a mis en place Internet, qui était déjà en place maison l’a rendu beaucoup plus efficace, on a mis en place un numéro, on a fait descampagnes, on a envoyé des mailing, on a montré que l’on pouvait adhérer à unparti politique, que ça pouvait être quelque chose de simple. Et quelque part, ona été au-devant des Français47. »

45. Entretien avec J. Bougrab.

46. Entretien avec J. Do Nascimento.

47. Entretien avec J. Bougrab.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management68

En réifiant les oppositions entre ces deux organisations partisanes, quitte àgrossir le trait au passage, ces discours contribuent tout en « faisant vieillir »davantage le RPR, à « rendre moderne » l’UMP, ses pratiques et sa nouvelleéquipe dirigeante. Ainsi, ces responsables participent à un travail de disqualifi-cation du RPR, de ses modes d’encadrement partisans et de ses anciens leaders,justifié par la méfiance de la nouvelle équipe de l’UMP à l’égard de ses cadreslocaux. En effet, les responsables nationaux du projet ont nourri des doutes surla volonté effective des cadres locaux à recruter des « nouveaux adhérents ».Selon eux, certains secrétaires fédéraux ou délégués de circonscription auraientmanifesté des inquiétudes, voire des réticences face à cette arrivée massive denouveaux adhérents, aux attentes, au profil et aux opinions largement incon-nus, dans les fédérations départementales et les circonscriptions. S’il est vraique le parti au local peut s’apparenter à une contre-société relativement fermée,fonctionnant selon les règles coutumières de la cooptation48, ces modes defonctionnement sont très largement stigmatisés par les cadres nationaux qui yvoient la permanence de pratiques archaïques, renvoyant à des modèles parti-sans périmés :

« L’UMP ne doit pas être un parti d’élus et de notables. Je comprends bien que

dans certaines fédérations on préfère rester entre soi pour conserver un certain

pouvoir, notamment pour les investitures mais cela ne devrait plus être le cas. Si

on veut que les partis des Français soient des partis modernes il faut que cela

redevienne… Mais dans certaines fédérations ils ne jouent pas forcément le jeu.

[…] Mais on a quand même brimé, et Internet a été d’une grande aide. C’est un

contact direct avec les adhérents, sans passer par les cadres locaux49 ! »

Face à ces velléités de résistance, réelles ou supposées, les techniques demanagement qui ont été mises en place ont constitué des instruments de coer-cition politique essentiels. Tandis que les techniques de mobilisation directe ontpermis de court-circuiter les cadres les plus opposés à ce projet, dans le mêmetemps, les contrats d’objectif visaient à les contraindre à « faire du chiffre ». Cesoutils managériaux ont donc constitué une ressource essentielle pour la repriseen main des cadres locaux sur lesquels les responsables n’ont plus le pouvoir denomination et, a fortiori, de destitution50. Le recours au champ lexical du mana-gement (responsabilisation, individualisation, autonomisation, etc.) a participéà l’acceptation de l’usage de méthodes de gestion, pour le moins dirigiste, parles cadres locaux du parti. Derrière l’usage de cette rhétorique managériale, certains

48. Sur le verrouillage par les élus locaux des procédures de recrutement au PS, cf. Weber (H.),« Rénovation du PS : dépasser l’incantation, La revue socialiste, 13, 2003, p. 94 cité par Lefebvre (R.),Sawicki (F.), « Le peuple vu par les socialistes », in Matonti (F.), dir., La démobilisation politique, Paris, LaDispute, 2005, p. 85-86.

49. Entretien avec J. Bougrab.

50. Contrairement aux secrétaires de circonscription du RPR, les délégués de l’UMP sont directement éluspas les adhérents de la circonscription.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 69

d’entre eux pensent déceler la permanence des pratiques dirigistes51, personna-lisantes52 et centralisatrices, dominantes au RPR. Si ces valeurs managérialespromues par le parti ne sont globalement pas remises en cause par les déléguésde circonscription que nous avons rencontrés, certains contestent néanmoinsun décalage entre les discours officiels du parti et les conduites effectives qui sejustifierait par les méfiances des dirigeants de l’UMP envers une base soupçon-née de « chiraquisme » :

« Moi, il y a un problème, qu’en tant que délégué, je connais. J’en ai parlé à

Emmanuelle de Saint Maure, responsable à Paris pour le Nord, je lui en ai parlé

plusieurs fois, elle devait poser la question à Paris. Manifestement, ça a été non.Je souhaitais que la carte de tout nouvel adhérent qui s’était inscrit à Paris, soitenvoyée au délégué, donc à moi, et que je lui porte sa nouvelle carte et une docu-mentation, et que je discute un quart d’heure avec lui. Ça a été non. Résultat, manouvelle adhérente, que j’ai inscrite il y a trois semaines, son chèque a été mis le

lendemain [à la banque] mais elle n’est toujours pas sur le fichier aujourd’hui.

Ça veut dire que dans deux mois seulement, elle va recevoir sa carte. Elle n’auraaucun courrier avant trois mois et il sera déjà temps qu’elle reparte. Elle vapenser : “Il m’a entubé de 10 ”. Je ne sais pas, mais un parti politique, c’est de larelation publique ! Bon, ça correspond aussi à un état d’esprit, parce que la baseest faite d’anciens chiraquiens, donc, il vaut mieux éviter… Ca peut se compren-dre. Mais moi, je considère qu’un parti politique, c’est comme une secte, si on

ne va pas voir les gens, ça ne rentre pas. […] Si on avait été vraiment responsabi-lisé, on nous aurait envoyé les nouvelles cartes d’adhésions pour aller voir lesgens et pour encore en faire plus. Mais ils ne le font pas, donc ils n’ont pas con-fiance en nous. Donc, ils ne nous responsabilisent pas. Il y a le discours et il y a laréalité dans tous les domaines53. »

Par crainte de la résurgence de ce qu’ils perçoivent comme des pratiques« notabiliaires », les cadres nationaux n’ont pas véritablement donné les moyensaux fédérations et à ses cadres de recruter. Aussi bien plus que de responsabiliser,

51. « Le risque c’est de créer des adhérents virtuels. […] Je pense que Sarkozy il a compris ça. C’est pour çaqu’il reçoit régulièrement les nouveaux adhérents dans un grand amphithéâtre. Et c’est pour ça aussi qu’il ainvité – alors, quand Sarkozy invite, ce n’est pas une invitation, c’est un ordre qu’il donne, il s’est inspirédes méthodes du RPR – donc, il a invité les secrétaires départementaux à faire de même dans lesfédérations. » Délégué de circonscription du Nord, 36 ans, adjoint d’une commune suburbaine de Lille,fonctionnaire territorial, ancien cadre local du RPR.

52. Ce délégué de circonscription, ancien adhérent de l’UDF, professeur d’histoire-géographie, expliqueainsi, peu avant dans l’entretien, qu’« un vent nouveau souffle sur le parti », il exprime une certaine fierté àappartenir au parti politique français le plus important en termes d’adhérents, tout en reconnaissant qu’ilne souhaite pas se transformer en « VRP du sarkozisme » : « Alors, je sais bien aussi il ne faut pas que l’onse transforme en VRP. C’est ce que je disais samedi au conseil national, on est les VRP du sarkozisme. Moi,ça ne me dérange pas, j’apprécie beaucoup Sarko, il apporte beaucoup ». Ce qu’il exprime, bien plusqu’une crainte dans l’introduction de savoir-faire managériaux, c’est une certaine réticence à la personnali-sation du parti.

53. Entretien avec un délégué de circonscription du Nord, 62 ans, chef d’entreprise dans l’immobilier,aujourd’hui retraité, ancien cadre local du RPR.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management70

la mise en place d’une politique du résultat a surtout contribué à rejeter la res-ponsabilité sur eux. Ces logiques contradictoires sont source de tensions, eninterne. Aussi, nous voudrions désormais, par l’étude d’une fédération spécifi-que, la fédération UMP du Nord, rendre compte de la gestion pratique de cestensions et des ajustements locaux au management.

Le management saisi par le « bas »

En s’intéressant à la fédération UMP du Nord, nous voudrions désormaissaisir plus finement les effets du management sur les positions institutionnelleset l’économie des pratiques militantes locales. L’étude d’une fédération dépar-tementale de l’UMP est tout particulièrement heuristique dans la mesure où,en ces lieux, l’activité politique repose essentiellement sur l’investissement quo-tidien des cadres locaux, des élus et des fidèles du parti. Contrairement ausiège, le local demeure un terrain privilégié car, compte tenu de la faiblesse desressources dont il dispose, il échappe encore largement au phénomène de pro-fessionnalisation. Avec un peu plus de 2 800 adhérents au 1er janvier 2005, leNord comptait parmi les dix fédérations départementales les plus importantesen termes d’adhérents. À ce titre, elle bénéficie de ressources matérielles aux-quelles des fédérations moins importantes ne peuvent prétendre. Si, dans denombreux départements, les locaux du député font office de permanenceUMP, la fédération du Nord possède ses propres locaux. Elle emploie égale-ment une secrétaire à temps plein payée par le siège national du parti et rému-nère un permanent.

Le secrétaire fédéral, Thierry Lazaro, député du Nord depuis 1993, occupe ceposte particulièrement stratégique, depuis 2002. Avant la création de ce parti, ildirigeait déjà la fédération RPR du Nord. En 1995, il avait ardemment pris partà la campagne de J. Chirac, en dirigeant son comité de soutien dans le Nord,tandis que Jacques Vernier, maire de Douai, et alors secrétaire fédéral, soutenaitÉ. Balladur. Alors que N. Sarkozy se préparait à annoncer officiellement savolonté de conquérir la présidence de l’UMP, Th. Lazaro a, le 22 juillet 2004,écrit à l’ensemble des adhérents pour les inciter à soutenir sa candidature.Pourtant, la commission d’organisation et de contrôle des opérations électora-les de l’UMP venait de préciser que les secrétaires départementaux se devaientde respecter une stricte neutralité. La majorité des parlementaires du Nord et80 % des militants ont suivi cet appel en signant une déclaration de parrainage54

en faveur de N. Sarkozy55. Une fois la nouvelle présidence nationale mise enplace, l’équipe dirigeante de la fédération est restée inchangée. Ce soutien

54. Pour se présenter, tout candidat devait réunir au moins 3 400 parrainages d’adhérents de l’UMP.

55. « À l’UMP, Sarkozy engrange les parrainages », Le Figaro, 5 août 2004.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 71

a priori inattendu a, sans doute, contribué en partie à son maintien à la tête de lafédération UMP du Nord56.

Dans le Nord, l’arrivée de la nouvelle équipe nationale n’a pas entraîné dechangement substantiel auprès des cadres. S’il est vrai que les membres ducomité départemental réunissant l’ensemble des membres des comités de cir-conscription ont été renouvelés à hauteur de 2/5e, en revanche, les délégués decirconscription ont, sauf exception, été réélus en février 200657. A partir desrésultats d’un questionnaire que nous avons fait passer auprès des cadres locauxde cette fédération, nous pouvons présenter quelques unes de leurs propriétéssociales. Il apparaît, tout d’abord, que près de 3/5e ont exercé une profession demanager ou les rapprochant de la direction (profession libérale, chef d’entre-prise, cadre-dirigeant ou cadre du privé, comme du public)58. Si près de la moi-tié d’entre eux n’ont pas suivi d’études supérieures, les « nouveaux »cadres tendent davantage à être diplômés du supérieur59. L’analyse détaillée desprofils de deux d’entre eux : L. C. et G. V. donne à voir ce que sont les trajectoi-res modales de ces deux générations de dirigeants. Le permanent de la fédéra-tion, L. C., semble correspondre aux propriétés sociologiques de ces « anciens »cadres. En l’absence du secrétaire fédéral, c’est lui qui gère le quotidien de lafédération.

Il est issu d’un milieu populaire très fortement politisé. Son père, cheminot,a été pendant une longue partie de sa vie professionnelle délégué à la CGT etmembre du P… : « Mon premier souvenir, c’est d’avoir vu mes frères et sœursen tête de cortège en 36. » Pendant la seconde guerre mondiale, alors que sonpère était prisonnier de guerre à cause de ses activités politiques, l’un de ses frè-res est décédé « de privations ». Il a alors découvert la religion par le biais de laJeunesse ouvrière chrétienne (JOC), et s’est converti au catholicisme. À la libé-ration, il a refusé de rentrer aux Jeunesses communistes et de devenir ouvrier,ce qui lui a valu de rompre avec son milieu familial. Après un séjour d’un an

56. Le règlement intérieur de l’UMP prévoit que les secrétaires départementaux sont « nommés par lebureau politique sur proposition du président de l’UMP après consultation préalable de l’ensemble desparlementaires du département. »

57. En janvier 2006, l’ensemble des adhérents du parti a été appelé à se prononcer sur le renouvellementdes comités de circonscription, siégeant également au comité fédéral. La réforme des statuts de l’UMP,adoptée en janvier de la même année, est, à cette occasion, entrée en vigueur. Elle prévoyait la représenta-tion des « nouveaux adhérents », dans un collège spécifique, à hauteur de leur part au sein des circonscrip-tions. La liste des noms des « nouveaux adhérents » et le nombre de places qui leur était réservé ont étéétablis par le service national des fédérations et envoyés à chaque circonscription. Sur vingt-quatre délé-gués de circonscription à réélire, vingt-et-un candidats sortants sont repassés.

58. Il faut néanmoins relever les limites de cette enquête dont le taux de réponse, 14 %, est faible (71 répon-ses sur 503 questionnaires envoyés).

59. On note le déclin de certaines filières prisées par les anciens cadres, telles que le droit, la science politi-que ou les sciences humaines, tandis que progresse le choix de filières techniques ou liées au managementet au marketing.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management72

dans un monastère, il a embrassé une carrière militaire. À trente-neuf ans, à lasuite d’un conflit avec ses supérieurs, il quitte l’armée :

« Dans l’armée, j’avais passé tout ce que je pouvais passer comme examen. Maisj’ai voulu me prouver que j’étais capable de faire quelque chose dans le civil. Onm’a proposé un emploi, où il fallait démarrer la branche de polyrhétane enFrance, la mousse pour les sièges auto. Je me suis lancé à fond là-dedans et làencore, je ne m’investissais pas en politique, car je n’avais qu’une idée, c’était deprouver que j’étais capable de réussir dans le civil. »

Ne disposant que du certificat d’études, il est devenu directeur d’usine par lebiais de la promotion professionnelle. Mais ce n’est qu’en 1980 qu’il prend sacarte au RPR. Il a gravi petit à petit les échelons partisans à force de patience etd’investissement militant :

« En 1980, les cadres RPR étaient nommés et non élus. J’arrivais, petit militant,je n’avais rien à dire, il fallait que je fasse mes preuves. J’avais la quarantaine pas-sée. Mais je voulais aussi quand même prendre des responsabilités. »

Sa promotion partisane est due au respect des règles en vigueur au sein de cetunivers partisan spécifique et à la déférence qu’il a toujours exprimée envers sahiérarchie. Lorsque l’accession aux postes à responsabilité locale s’est démocra-tisée, il a présenté à plusieurs reprises sa candidature qu’il a accepté de retirersur une demande des élus locaux :

« J’ai présenté ma candidature plusieurs fois, et à chaque fois, on venait me voiren me disant : “C’est bien embêtant, mais nous, on est conseillers municipaux,tu comprends, c’est normal que l’on soit élu. Pour la trésorerie, c’est embêtantque tu maintiennes ta candidature car si tu étais élu, on n’aurait plus de tréso-rier…” Et je retirais ma candidature. J’ai toujours accepté de retirer macandidature. »

Il arborait ses galons militaires et sa croix de Lorraine comme pour signifiersa fidélité indéfectible au parti et à ses leaders. En tant que permanent, il seposait en héraut de l’orthodoxie gaulliste au RPR puis à l’UMP. À près de qua-tre-vingts ans, célibataire et sans enfants, une grande partie de son existencesociale repose sur le sentiment d’être encore utile au parti et sur les relationsqu’il a nouées au fil de ces années de militantisme.

Mais l’élection de N. Sarkozy à la présidence de l’UMP, en novembre 2004, aquelque peu ébranlé l’équilibre partisan et les rétributions du militantisme.Outre l’arrivée de près de 3 500 « nouveaux adhérents », c’est avant tout l’entréed’outsiders qui est venue subvertir les règles du système partisan local. À la ren-trée 2004, en pleine campagne pour la présidence, un jeune manager de 34 ans,G. V., est venu proposer ses services, bénévolement, au secrétaire fédéral.

« Petit à petit, j’ai commencé à rentrer dans les mécanismes de parti, qui meposaient, quand même, pas mal de questions. Moi, qui étais un chef d’entrepriseà la base, je trouvais qu’il y avait des trucs bizarres. Le fonctionnement des rela-

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 73

tions avec les élus. Ce système de non-inscrits. On en a parlé avec Thierry Lazaroet on est arrivé sur l’idée qu’il y avait manifestement des problèmes de fonction-nement à la fédé. Moi, j’ai dit à Thierry : “Si tu veux, je peux t’aider. J’ai un peude temps, si tu veux, je peux faire des choses”. Après discussion, il m’a proposéce poste de chargé de mission fin 2004. »

Issu d’un milieu de centre droit mais non politisé, il était déjà entré au RPRen 1994, le temps de la campagne présidentielle pour soutenir É. Balladur.Quelques années plus tard, en 1997, il a adhéré à Démocratie Libérale aprèsqu’un ami l’eut sollicité. Diplômé de l’IESEG (École privée de gestion et demanagement lilloise ), il a repris la direction de la maison de retraite dont sonpère est le président. C’est par ses compétences gestionnaires et la valeur de sondiplôme, qu’il a pu prétendre à ce poste de chargé de mission à la fédération, etnon en fonction de sa carrière militante. En mettant en avant son expérienceprofessionnelle et en se présentant comme « chef d’entreprise », il a ainsi puconvertir ses compétences managériales, supposées ou réelles, en légitimitépolitique. Sa mission, au final, correspondait à sa formation et à son emploi :restructurer la fédération, motiver les cadres locaux, etc.

« Ma mission, c’était de mettre un peu d’ordre dedans, et puis de monter desprojets car Sarko venait d’arriver, ça allait être la révolution, on allait faire de lapolitique autrement et puis, il fallait faire des choses. Moi, mon boulot, c’était demettre en place des trucs. Par exemple de faire l’accueil des nouveaux adhérents,c’était de répondre à un certain nombre de demandes de Paris pour mettre enplace des animations quand Paris nous le demandait. C’était d’essayer de faireen sorte que les délégués de circonscription travaillent tout court ! De faire en

sorte qu’il y ait un suivi, qu’il y ait derrière une motivation. »

Interpellés par les appels au renouvellement et à la modernisation du candi-dat à la présidence, un certain nombre de managers, à l’instar de celui-ci, ontcru en l’ouverture de l’espace des possibles60. Sa proposition a constitué uneréelle opportunité pour le secrétaire fédéral dans ce contexte de « modernisation »organisationnelle. Les efforts demandés par le nouveau président requerraientde prendre certaines mesures impopulaires (demander aux délégués de circons-cription de « faire du chiffre », les « motiver », éventuellement leur rappeler lerôle de leur mission, etc.) qui risquaient de mettre le secrétaire fédéral en porte-à-faux avec certains de ses délégués de circonscription. Mais G. V. s’est très viteconfronté à certains délégués de circonscription qui voyaient d’un mauvais œilles injonctions de cet impétrant et aux « anciens », qui pensaient avoir légitime-ment gagné le droit d’occuper les positions de pouvoir localement, par le biaisde leur investissement militant. En devenant chargé de mission, délégué au

60. Une part de ces managers (chefs d’entreprise, consultants auprès des entreprises, professions libérales,etc.) a été promue à des postes ad hoc, déconnectés d’un territoire et créés dans la mouvance du participatif(postes de délégués thématiques).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management74

recrutement des nouveaux adhérents et à la gestion quotidienne de la fédéra-tion, il est directement entré en concurrence avec L. C. Si, au départ, les opposi-tions étaient relativement feutrées car G. V. bénéficiait du soutien du secrétairefédéral, très vite, elles sont devenues particulièrement virulentes. Un tournants’est notamment produit lorsque G. V. a, un jour, ôté le portrait du Général deGaulle qui trônait encore dans les locaux de la fédération locale de l’UMP. Tan-dis que G. V. promouvait la rationalisation, la restructuration de la fédération,demandait le droit de renvoyer les délégués de circonscription les moins pro-ductifs, L. C. se plaignait quant à lui de la disparition de la convivialité des ban-quets du RPR. En résumé, tout oppose ces deux responsables : plusieursgénérations, tout d’abord, mais également, leur milieu, leur socialisation fami-liale, les référents idéologiques, les modes d’entrées en politique, les stratégiesdéployées pour se faire leur place en politique, etc. Ils sont porteurs d’une visionconcurrente de l’investissement militant qui engage, au-delà, le devenir même duparti localement. Ce qui se joue ici c’est une lutte symbolique pour la productionet l’imposition des savoir-être et des savoir-faire légitimes dans le parti61

Au fur et à mesure, les soutiens initiaux de G. V. se sont effrités, certains par-lementaires locaux ont commencé à se méfier des ambitions de cet outsider62 :

« Quand tu entends un mec comme Marc-Philippe Daubresse qui dit, en

comité, qu’il va falloir attendre un peu avant de me coopter que je fasse mes

preuves, bon, ça prête à sourire… Je pense que l’on m’a prêté plus d’ambitions

que je n’en avais et aujourd’hui, on se dit : “Pourquoi tu n’en as plus ?” »

Le désenchantement a fini par le gagner lorsque, face à ce qu’il percevaitcomme des « dysfonctionnements » par rapport à l’étalon des entreprises, sesdemandes appuyées de réforme organisationnelle restaient sans réponse63. Deson côté, L. C. a organisé la résistance, donnant lieu parfois à des alliancesimprobables. Après un an d’investissement considérable – sa profession lui per-mettait une présence de près de quarante heures semaines64 – et une lutte parti-culièrement âpre, G. V. finit par quitter ce poste de chargé de mission :

61. Bourdieu (P.), « Espace social et genèse des classes », Actes de la recherche en sciences sociales, 52-53, 1984.62. D. Gaxie pose l’hypothèse que faire preuve d’ambition politique, loin d’être stigmatisé à droite, seraitau contraire encouragé. Nous ne pouvons que rejoindre l’auteur, à ce sujet, tout en nous demandant si ellene doit pas se déployer néanmoins dans les strictes limites autorisées par le champ politique (Gaxie (D.),« Rétributions du militantisme et paradoxes de l’action collective », Revue suisse de science politique,1, 2005).

63. « Les délégués de circonscription font leur boulot comme ils veulent quelque part, même le secrétairefédéral n’a pas de pouvoir sur eux. Je me suis battu à Paris, avec d’autres, pour dire renforcez le rôle dusecrétaire fédéral. Le secrétaire fédéral n’a même pas le droit de demander de virer quelqu’un. On demanded’un côté au secrétaire fédéral qu’il fasse en sorte d’augmenter les adhérents, et d’un autre côté quand il ditquelque chose aux délégués, si les délégués lui répondent “merde”, c’est la même chose. ». C’est nous quisoulignons.

64. Son père en retraite reprenait du service. L’indépendance compte parmi les statuts professionnels quioffrent la possibilité de pouvoir consacrer plus facilement de son temps à la politique.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Anne-Sophie PETITFILS 75

« Faire le clown et prendre tous les coups pour le plaisir de les prendre, c’est trèsformateur, c’est très sympa, mais un an, c’est bien. J’ai laissé tombé parce quej’avais des projets professionnels, et c’est bien tombé que j’ai eu des projets profes-sionnels à ce moment-là parce que je n’avais plus envie de continuer. Les choses sesont faites au bon moment. Aujourd’hui, j’ai de vrais projets professionnels, dontcertains qui seront liés par la force des choses avec le monde politique, puisque jevais travailler pas mal avec les collectivités. Le virus, je l’ai, je pense que je ne pour-rai pas arrêter la politique du jour au lendemain. […] Maintenant, j’ai quandmême un acquis, qui est un réseau relationnel avec un certain nombre de gens. »

Au fur et à mesure que ses soutiens se délitaient, il a préparé sa sortie. Il adepuis créé une entreprise spécialisée dans l’événementiel, notamment politi-que. Si son entrée en politique n’était pas motivée a priori par des mobiles pro-fessionnels, il n’en demeure pas moins qu’il a en même temps que, et eninterrelation avec la fermeture progressive des opportunités partisanes, élaboréune stratégie de reconversion du capital social acquis pendant son passage dansle parti. L. C. a, quant à lui, été réintégré dans ses fonctions. Cet épisode n’apourtant pas été sans laisser de traces. Outre le fait que le portrait du Général deGaulle n’a pas été réinstallé, L. C. tend de plus en plus à valoriser son expériencede directeur d’usine par le biais d’un bricolage identitaire65, tout en passant soussilence son passage dans l’armée.

Même s’il serait hasardeux de tirer des conclusions générales à partir de ceseul cas d’espèce et même s’il est encore trop tôt pour évaluer véritablementl’impact de cette politique de gestion sur l’UMP, il nous est néanmoins apparuque cette version surjouée et rejouée de la modernisation du parti n’avait pasété sans conséquence sur le parti au local. En développant une rhétorique de larénovation des pratiques partisanes, les cadres nationaux ont participé à un tra-vail de délégitimation des formes d’engagement et de militantisme de terrain,contribuant à déstabiliser les structures locales du parti. En en appelant àl’engagement de « nouveaux talents », ils ont suscité les espoirs de jeunes mana-gers désireux d’entrer dans le champ politique et enclins à en subvertir lesrègles. Mais c’était sans compter sur la force d’inertie de cet espace spécifique etla capacité d’adaptation des acteurs en place. Aussi, pour l’heure, il sembleraitque ce qui change réellement avec l’introduction de discours et de pratiquesmanagériales à l’UMP, ce soit moins l’ordre des positions institutionnelles queles représentations et les modes de légitimation des acteurs pris dans le jeu.

65. Le Bart (C.), « Le savoir-faire politique comme bricolage », in Poirmeur (Y.), Mazet (P.), dir., Le métierpolitique, Paris, L’Harmattan, 1999.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

L’institution partisane à l’épreuve du management76

Anne-Sophie PETITFILS prépare actuelle-

ment une thèse de doctorat à l’Université

Lille 2, Centre d’études administratives,

politiques et sociales (CERAPS, CNRS) sous

la direction de F. Sawicki. Son travail de

thèse porte plus généralement sur le renou-

vellement des milieux partisans de l’UMP

au niveau local à partir de l’exemple de la

fédération du Nord de l’UMP.

[email protected]

Elle a récemment présenté une communi-

cation sur le rapport entre les carrières pro-

fessionnelles et l’engagement à l’UMP des

« nouveaux adhérents » (colloque interna-

tional « Comment penser les continuités et

discontinuités du militantisme ? Trajectoi-

res, pratiques et organisations militantes »,

Lille, 8-10 juin 2006).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

SI PRÈS, SI LOIN DU POLITIQUE L'univers professionnel des permanents socialistes à l'épreuve de la managérialisation

Philippe Aldrin

De Boeck Supérieur | « Politix »

2007/3 nº 79 | pages 25 à 52

ISSN 0295-2319

ISBN 9782200923822

Article disponible en ligne à l'adresse :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

http://www.cairn.info/revue-politix-2007-3-page-25.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Philippe Aldrin, « Si près, si loin du politique. L'univers professionnel des permanents socialistes

à l'épreuve de la managérialisation », Politix 2007/3 (nº 79 ), p. 25-52.

DOI 10.3917/pox.079.0025

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des

conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre

établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière

que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en

France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h26. ©

De B

oeck S

upérieur

Volume 20 - n° 79/2007, p. 25-51

Si près, si loin du politiqueL’univers professionnel

des permanents socialistes

à l’épreuve de la managérialisation

Philippe ALDRIN

Résumé - Jusqu’où un parti politique peut-il être « managé » comme une entreprise économique ? L’arti-

cle propose de répondre à cette question à partir d’une enquête sur les permanents du siège national du

Parti socialiste français (PS). Replaçant dans leur perspective historique les épisodes qui ont récemment

opposé ces permanents à la direction du parti, l’analyse suit l’importation du management d’entreprise à

travers différents projets de modernisation de l’administration centrale du PS. Refusant certaines des

transformations produites par ces réorganisations successives sur leurs conditions de travail et de pro-

motion, les permanents ont saisi le registre et les instruments de la protestation salariale. Empreinte

d’une certaine nostalgie pour la fraternité militante des heures historiques du PS, leur lutte montre sur-

tout leur incapacité à freiner le processus d’entreprenarisation – par la rationalisation et l’externalisation

du travail – des entreprises politiques contemporaines et la dépolitisation du salariat traditionnel des

parties de masse.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique26

Au printemps 2005, un conflit assez inédit a agité le siège national du Partisocialiste français (PS)1, mettant aux prises les personnels de l’administration cen-trale – les permanents – et la direction du parti. L’affaire commence quand, enexaminant les documents transmis par cette dernière en vue de la prochaine com-mission mixte paritaire individuelle2, les délégués du personnel découvrent que lesalaire du tout nouveau secrétaire général administratif (SGA) et les primes accor-dées à ses proches collaborateurs dérogent à la convention collective du personneldu PS3. Les délégués refusent de participer à la commission paritaire et organisentune assemblée générale des personnels où vient la plupart des quelque cent vingtsalariés du siège. Le jour même, ils adressent une lettre ouverte4 à FrançoisHollande, premier secrétaire du parti, où sont recensées les pratiques dérogatoiresaux « règles communes » et aux « principes » socialistes telles que des « écarts desalaires et des promotions incompréhensibles » ou des « inégalités flagrantes dansle traitement de la gestion des carrières ». Ce texte affirme que « les relations socia-les entre la direction et le personnel sont dégradées » et appelle à des changementspour que chaque « permanent(e) retrouve le respect, la dignité et la considérationauxquels il(elle) a pleinement droit ». Il s’achève sur ces mots : « Parce que nousne nous résignons pas à cette situation, nous voulons retrouver la fierté de tra-vailler rue de Solferino. » Présent lors d’une deuxième assemblée générale, le pre-mier secrétaire est vivement pris à parti sur les éléments qu’il avance pour justifierle manquement aux conventions salariales5. Après plusieurs rencontres avec lesdélégués des permanents, la direction promet de ramener les rémunérations encause dans la grille fixée par la convention collective. Quelques mois plus tard, leSGA dont le salaire avait constitué la principale pomme de discorde quitte le siège.

Une telle fronde contraste avec la « discipline morale » et « l’abnégation »que l’on prête traditionnellement aux « fonctionnaires » des partis6. De ce seulpoint de vue, le recours à la voice7 des permanents fait question, autant que la

1. Cet article s’appuie sur une enquête réalisée entre 2004 et 2006 au siège du PS (cf. note méthodologique en fin detexte). Je remercie Julien Fretel et Philippe Juhem pour leurs commentaires d’une première version de ce texte.2. Dans le cadre des négociations annuelles obligatoires sur les salaires et la promotion des salariés, la loioblige les employeurs à mettre préalablement à la disposition des délégués syndicaux toute informationutile (Code du travail, art. L 132-27 et s.).3. Les années 1970 marquent un rapprochement du PS avec les milieux syndicaux : « programmecommun » de 1972 (l’extension des droits syndicaux compte parmi les « 20 mesures de rupture avec lecapitalisme »), assises du socialisme (1974) et statuts du parti (incitant les adhérents à militer dans les syn-dicats). Dans cette logique, la direction du PS donne en 1979 une convention collective de son siège natio-nal et y favorise la constitution de sections syndicales (CGT, CFDT et un syndicat « maison », le syndicatdes personnels du PS ou SPPS).4. Lettre ouverte des permanents à François Hollande (inédit), 23 mars 2005.5. F. Hollande aurait invoqué le « pedigree » (énarque, conseiller à la Cour des comptes) du nouveau SGA.6. Weber (M.), Le savant et le politique, Paris, La Découverte, 2003 (1919), p. 149 et s.7. Selon la typologie proposée par Albert Hirschman – prise de parole (voice), défection (exit), loyauté(loyalty) – des voies d’(in)action offertes aux acteurs en désaccord avec la structure où ils sont engagés.Hirschman (A.), Face au déclin des entreprises et des institutions, Paris, Éditions Ouvrières, 1972.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 27

nature de leurs revendications. Étonnamment, celles-ci réfèrent les rapportsavec la direction politique à une dialectique employeur-employés, en mêmetemps qu’elles laissent affleurer le partage des valeurs et principes du parti. Ladénonciation des injustices salariales emprunte le registre des relations profes-sionnelles, mais sans abandonner l’univers de sens militant où elles s’inscrivent.L’ambiguïté de cette prise de parole invite donc à s’interroger sur la situation autravail des permanents socialistes. Qui sont-ils ? Comment sont-ils recrutés ?Par qui et pour quelles missions ? Comment s’articule aujourd’hui leur doublerapport – de militants et de salariés – au parti ? Répondre à ces questions, c’estfaire la sociologie du travail au sein de l’administration centrale du PS ; regarderle parti sous l’angle de l’entreprise, mais d’une entreprise singulière dont lesactivités, les responsables et les agents poursuivent des objectifs politiques.Dans cette posture d’analyse, le siège national du PS doit donc être considéréselon les deux sens du terme entreprise : d’abord, d’après une définitionpositive, comme organisation (collectif doté d’une direction, de statuts, de lapersonnalité juridique, d’un budget et de personnels) engagée dans une acti-vité spécialisée ; ensuite, suivant une perspective plus sociologique, commecadre d’exercice et d’apprentissage d’une pratique professionnelle, c’est-à-dire aussi comme l’expérience quotidienne d’un monde d’interactions et desocialité.

L’application de la notion d’entreprise aux partis reste sujette à débats. Par sasingularité (adhésion à une idéologie, souci de l’intérêt public, abnégation),l’activité politique ne serait pas assimilable aux pratiques et aux logiques del’entreprise économique. Dans la science politique française, le bon usage sem-ble donc admettre la correspondance wébérienne avec l’entreprise (au sens degroupement soudé derrière un chef et tendu vers la conquête du pouvoir)8 maisrenaude aux analogies plus schumpétériennes (métaphore économique duparti comme marque proposant des biens politiques sur un marché électoralconcurrentiel)9. Mais les termes de ce débat se déplacent si l’on considère lespersonnels que les partis, en tant que personnes morales, emploient et rémunè-rent de façon durable. Là, malgré le caractère symbolique, idéologique et collec-tif des biens à produire, il s’agit bien d’une situation d’entreprise où le parti estl’employeur et les permanents les employés. Sur cet aspect, c’est davantage entermes d’accommodation que d’opportunité que se pose la question de latransposition des cadres analytiques de l’entreprise aux partis. Une telle problé-matisation du fait partisan s’inscrit dans le droit fil des travaux qui, depuis deuxdécennies au moins, pointent l’introduction de l’esprit d’entreprise et donc

8. Weber (M.), Économie et société, Paris, Plon, 1971 (1922).9. Pour prendre la mesure de ce débat, nous renvoyons à la controverse qui suivit la parution du « Quesais-je ? » de Michel Offerlé (Les partis politiques, Paris, PUF, 1987) et dont une partie est restituée dansPolitix, 2, 1988.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique28

l’application des modèles d’organisation et de gestion de l’entreprise économi-que aux administrations partisanes10. En France, cette tendance à« l’entreprenarisation »11 des partis s’est accélérée avec le financement public dela vie politique. Au PS comme ailleurs, le management triomphant des années1990 a inspiré les cadres des organisations politiques, désormais soucieux de« professionnaliser » et d’« optimiser » leur activité.

Mais quel est le niveau réel de pénétration des discours et des recettes dumanagement d’entreprise dans les partis ? Et quels en sont les effets ? La prise deparole des permanents socialistes révèle ainsi une certaine mise à distance dutravail discursif, symbolique et relationnel par lequel tout « parti » apparaît à sesacteurs comme une entité réelle et historique12, et non plus seulement commeun cadre de relations réglées et d’action concertée. L’évidence construite duparti13 semble alors se découdre, comme si le sens commun des liens militantsavait perdu de son univocité à l’épreuve d’une certaine forme de managérialisa-tion du travail politique. Avec les événements qu’ont traversés les acteurs de sonsiège national en 2005, le PS est un terrain d’investigation privilégié pour explo-rer les organisations partisanes dans cette double perspective, c’est-à-diresimultanément comme substance symbolique partagée et comme entreprisespécialisée. Dans un premier temps, cet article se propose donc d’interroger leslogiques, les discours et les dispositifs de cette nouvelle organisation du travaildans l’entreprise socialiste, avant de revenir sur ses effets perçus sur le liant mili-tant14 et les résistances diverses qu’elle a suscitées. Nous verrons ainsi que, defaçon paradoxale, la standardisation de l’univers professionnel des permanentssocialistes et les velléités managériales de leurs cadres dirigeants révélentsurtout – à travers les modes d’action et d’interaction de leurs différentsacteurs – que les partis ne sont pas tout à fait des entreprises comme lesautres15.

10. Panebianco (A.), Political Parties. Organizations and Power, New York, Cambridge University Press,1988, et plus récemment : Hopkin (J.), « The Business Firm Model of Party Organization : Cases fromSpain and Italy », European Journal of Political Research, 35, 1999.11. Selon Alain Ehrenberg, dans le discours qui le promeut : « l’esprit d’entreprise fait fonctionner la soli-darité sans l’assistance, mariant l’efficacité à la responsabilité, suscitant l’engagement institutionnel sans lamanipulation des consciences, [et] s’est imposé comme la seule stratégie crédible pour réguler l’imprévisi-ble et gérer l’immaîtrisable. » Cf. Le culte de la performance, Paris, Hachette, 1991, p. 252.12. Pudal (B.), Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de Sciences Po, 1989.13. Réification du parti où les militants arriment les raisons de leur engagement et leurs différents frag-ments biographiques. Cf. Revue française de science politique, 51(1-2), 2001 (« Devenir militant »).14. M. Offerlé écrit : « Étudier un parti, c’est étudier les interactions visibles qui se déroulent dans un cer-tain espace de jeu, c’est insister aussi sur le “liant” invisible qui associe les agents dans une coopérationconcurrentielle », Ibid., p.24.15. Collovald (A.) et al., dir., L’humanitaire ou le management des dévouements, Rennes, PUR, 2002.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 29

Les collaborateurs salariés du siège

dans la division du travail politique

des socialistes

Du militant au salarié du parti : propriétés et trajectoiresdu petit salariat politique

En France, jusqu’à la fin des années 1980, le statut de salarié déclaré n’estqu’une des manières de servir le parti à côté de procédés plus officieux : assis-tants parlementaires ou salariés d’employeurs extérieurs (municipalités adminis-trées par le parti, entreprises ou bureaux d’études « amis ») mis à la dispositiondu parti ; « bénévoles » récompensés par des rétributions de différents ordres(payes non déclarées, octroi d’un logement social ou d’un emploi public, etc.).Les effectifs des collaborateurs salariés par les partis, comme la nature ou lesconditions de leurs activités, restent donc très difficiles à analyser avant la clarifi-cation imposée par les lois sur le financement public de la vie politique. On peutnéanmoins dessiner les traits de la trajectoire-type qui conduit du militantismeau statut de permanent. Compte tenu de la vocation politique de l’employeur,du caractère idéologique et socialement exposé du travail effectué, le recrute-ment des permanents s’opère de façon endogène, au sein des rangs militants.Leur parcours commence généralement par un engagement très actif où ils seconstituent un capital militant pratique mais aussi social, voire affectif16.

Ensuite, en fonction de la disponibilité physique et professionnelle du mili-tant, des ressources et des besoins de l’organisation, ce capital peut être convertien embauche plus ou moins officielle dans le parti. Devenir permanent, c’estaccéder alors à l’identité de militant professionnel17, particulièrement prisée desmilitants qui ne disposent que de faibles ressources nominales – par comparai-son aux personnels de cabinet, aux cadres et surtout aux notables (fortementdotés en capitaux social, culturel, économique et scolaire)18 – et auxquelsreviennent d’ailleurs le plus souvent les postes de permanents.

16. Cf. Matonti (F.), Poupeau (F.), « Le capital militant » et Fretel (J.), « Quand les catholiques vont auparti », Actes de la recherche en sciences sociales, 155, 2004.17. Quintessence du militantisme, la figure du permanent en symbolise traditionnellement les vices ou lesvertus, selon qu’on dénonce son esprit de parti (« Importun et inutilement bavard comme un voyageur decommerce, détesté comme un percepteur, le permanent […] est souvent méprisé parce que l’on supposesans indulgence qu’il serait incapable d’exercer un autre métier après vingt années de cet activisme borné etrépétitif », écrit Yvon Bourdet dans Qu’est-ce qui fait courir les militants ? Analyse sociologique des motiva-tions et des comportements, Stock, 1976, p. 192) ou au contraire qu’on loue son dévouement, comme danscertaines biographies hagiographiques du « Maitron » et autobiographies de permanents. Cf. Mothé (D.),Le métier de militant, Paris, Seuil, 1973 et Spire (A.), Profession permanent, Paris, Seuil, 1980.

18. Sur les effets d’homologie produits par la reconnaissance des différentes espèces de capitaux (social,culturel et économique) dans l’espace partisan, cf. Lagroye (J.), François (B.), Sawicki (F.), Sociologie politi-que, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2003, p. 258-260.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique30

« Moi, j’ai commencé à militer très tôt. C’était un peu (beaucoup même) une

tradition dans la famille. Mon père, qui a été ouvrier toute sa vie, était au PC.

Moi aussi, j’ai commencé par être ouvrier, enfin manutentionnaire, et j’ai tout

de suite adhéré à la CGT. A l’époque, on ne se posait même pas la question.

Quoique ma sœur, si, elle a viré mao. Je ne sais plus si c’était avant ou après…

Mais, bon, en 1973-1974 je me suis retrouvé sans boulot et j’ai adhéré au nou-

veau parti socialiste. Ou l’inverse : j’ai d’abord adhéré au PS, je crois… Bref ! Je

me suis retrouvé à faire la campagne présidentielle. Et voilà ! Avant cela, j’avais

été pas mal actif dans la Jeunesse communiste. J’ai même été au conseil national.

J’savais faire en quelque sorte. Après la campagne, ils avaient besoin de monde,

ils m’ont gardé. […] J’ai un peu tout fait ici mais, pour moi, ça a toujours été un

honneur de travailler ici. Surtout vis-à-vis des autres militants19. » (Permanent

du PS (depuis 1974), 51 ans, sans diplôme)

Dans les années 1970 et 1980 encore, les trajectoires d’insertion dans le mili-tantisme professionnel présentent presque toujours cette combinaison de capi-tal militant pratique et de propriétés sociales faibles (origine sociale modeste,titres scolaires peu valorisés ou absents, situation professionnelle incertaine).De par le caractère clandestin et souvent précaire de leur rémunération, cespostes de permanents sont plutôt envisagés comme un emploi passager, undétour par la politique professionnelle ou un marchepied vers celle-ci. Dans cetteséquence historique, les filières d’enrôlement des permanents sont celles, classi-ques, du socialisme (syndicalisme étudiant, Jeunesses socialistes, etc.) et bientôtde filières nouvelles (combat anti-raciste et mouvements anti-FN)20. Bien sûr,des collaborateurs aux profils différents (mieux dotés en capitaux sociaux, cultu-rels et scolaires) occupent parfois momentanément un emploi de permanentpour suivre leur « patron » nommé au secrétariat national. Mais les traits dumilitant promu correspondent à la réalité dominante de ce petit salariat de lapolitique (par opposition, on le verra, aux collaborateurs de « cabinet ») et com-posent l’image idéalisée du militant méritant distingué par les cadres du parti.

Comptant parmi les incitations au militantisme dont disposent les partis ditsde masse21, les postes de permanents signifient en effet une reconnaissance delégitimité militante par « le parti » et procurent à leurs bénéficiaires un senti-ment de fierté. Dans la « parenthèse militante22 » que connaît le PS dans lesannées 1970, les principaux cadres politiques – certes très fortement dotés en

19. Entretien avec l’auteur, 25 mai 2004.20. Sur le transfert des cadres politiques de SOS-Racisme (créée en 1984) au PS, cf. Juhem (Ph.),« Entreprendre en politique. De l’extrême gauche au PS : la professionnalisation politique des fondateursde SOS-Racisme », Revue française de science politique, 51(1-2), 2001.21. Gaxie (D.), « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science politique, 27 (1), 1977.22. L’expression est employée par Remi Lefebvre et Frédéric Sawicki pour décrire la remobilisation mili-tante qui saisit le PS après Epinay, avant que « l’élite militante » des années 1970 (incarnée par P. Joxe,L. Jospin, J.-P. Chevènement ou M. Rocard) ne le cède à « l’élite experte ». Lefebvre (R.), Sawicki (F.), Lasociété des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauges, Le Croquant, 2006, p. 55 et s.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 31

capitaux scolaires – doivent eux-mêmes leur promotion dans l’appareil à leurintense activité de militants de terrain. Une vision idéalisée de cette période derefondation et d’effervescence militante subsiste d’ailleurs dans l’histoire imagi-naire du siège (re)construite par les générations successives de permanents.

« À l’époque de Mitterrand, il y avait une vraie culture maison. Les permanentsn’étaient pas seulement des petits exécutants mais encore des militants. Lescadres nationaux étaient des espèces de super-militants mais qui étaient vrai-ment à l’écoute des permanents, de la base. Quand un permanent avait entendudes trucs sur un marché ou dans un repas de famille, il pouvait attraper un secré-taire national au passage, dans le couloir, et lui dire : “Voilà, j’ai entendu ça etça… Les électeurs se demandent si ceci ou cela”. Le cadre l’écoutait, prenait desnotes, le remerciait. Aujourd’hui, s’ils ne payent pas des fortunes pour savoir ceque pensent les Français, et si c’est pas estampillé TNS-machin, ça ne vaut rien !Et les permanents, c’est sans doute pareil. D’ailleurs, à cette époque, quand unsecrétaire national partait dans les ministères, il prenait avec lui les permanentsdont il avait apprécié le travail à ses côtés, à Solferino. Aujourd’hui, la plupart nesait même pas ce qu’on fait ni même la tête qu’on a23. » (Permanent du PS(depuis 1988), 42 ans, baccalauréat technique)

La référence à ce passé enchanté – où aurait existé une camaraderie militantecapable de transcender les origines et les propriétés sociales inégales des socia-listes travaillant au siège – conforte et réactive la figure mythique du permanentsocialiste dont il est aujourd’hui difficile d’évaluer la part de réalité et la part defiction collective.

D’un côté, cette figure réinventée du permanent occulte plusieurs constatsqui la contredisent, ou du moins la nuancent fortement, comme la propor-tion très relative des permanents occupés à des tâches explicitement politi-ques ou encore leur grande stabilité dans l’emploi (très faible renouvellementdes effectifs). D’un autre côté, des éléments centraux de la situation au travaildes permanents socialistes ont changé depuis les années 1970 : modalités etprofils de recrutement, normalisation progressive du statut, technicisation etexternalisation du travail politique (communication, marketing électoral,études d’opinion, etc.). À ces dynamiques propres à l’activité politique pro-fessionnalisée s’ajoute la transformation plus générale des conditions du tra-vail salarié en France inspirée des sciences de gestion24 et qui a aussi affectél’entreprise PS. Les personnels n’ont pas vécu ces mutations pareillementselon les conditions, les raisons et le contexte de leur entrée dans le militan-tisme professionnel. On retrouvera donc des effets de position et de généra-

23. Entretien avec l’auteur, le 11 octobre 2005.24. La managérialisation du travail s’exprime par l’obsession de la rentabilité, la règle de l’expertise, laquantophrénie et la valeur « qualité ». Gauléjac (V. de), La société malade de la gestion. Idéologie gestion-naire, pouvoir managérial et harcèlement social, Paris, Seuil, 2005.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique32

tion dans le rapport actuel à l’institution. Et donc dans l’endossement du rôlede permanent25.

La réorganisation du siège de 1993 : les raisons politiquesd’un chantier administratif

L’élément de changement le plus ostensible introduit dans l’univers des per-manents socialistes est incontestablement la réorganisation générale du fonc-tionnement et des services survenue en 1993. Jusqu’aux lois sur le financementpublic de la vie politique26, l’origine comme l’usage de l’argent des partis fran-çais relevaient de pratiques officieuses, souvent illégales mais généralisées àl’ensemble des partis. En introduisant l’argent public dans les recettes de cesderniers, le législateur impose une transparence de leurs comptes et la fin descircuits de financement dits « occultes ». Concernés au premier chef par lesaffaires judiciaires dites « politico-financières27 », les dirigeants du PS engagent,peu de temps après la perquisition du siège national par le juge Van Ruymbeke(janvier 1992), la remise en ordre juridique des moyens financiers, matériels ethumains du parti. Celui-ci emploie alors près de deux cents personnes dontune partie seulement a une existence légale et bénéficie d’un vrai contrat de tra-vail et des conventions salariales définies en 1979. La réorganisation de l’admi-nistration centrale entre donc dans le programme de « rénovation » du parti deLaurent Fabius, élu premier secrétaire par le comité directeur en janvier 1992.Après l’épisode traumatique du congrès de Rennes (1990), il s’agit surtout detrouver un modus vivendi entre les courants dans les instances nationales. Les res-ponsables s’accordent donc aussi sur une « démilitarisation28 » du siège national.Avec les nouvelles contraintes légales et financières, la réorganisation doit assainirles comptes et ajuster les dépenses en personnels aux nouveaux moyens. Pour celal’administration du siège doit se séparer d’un tiers des effectifs « salariés ».

Le fabusien Jean-Luc Cardinal est nommé SGA avec la charge de préparerle chantier. Dans l’équilibre des courants issu du congrès de 1992, il est flan-qué d’un rocardien, Jacques Salvator, nommé délégué général à la coordi-nation (DGC)29. Dans le rapport du comité de pilotage de la réorganisation,

25. L’enchantement de servir une cause juste est rompu quand il y a « désajustement » entre l’idéal objectifsubjectivé et le modèle de conduites et les valeurs défendus réellement par l’institution. Cf. Lagroye (J.),Siméant (J.), « Gouvernement des humains et légitimation des institutions », in Favre (P.) et al., dir., Êtregouverné. Études en l’honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.

26. Lois du 11 mars 1988 (financement proportionnel au nombre de parlementaires) et du 15 janvier 1990(financement conditionné sur les résultats du premier tour et le nombre de parlementaires ; plafonnementdes dons des personnes morales et physiques).

27. Sur les activités du bureau d’études Urba-Technic, cf. Gaudino (A.), L’Enquête impossible, Paris, AlbinMichel, 1990.

28. Mot utilisé par Jacques Salvator, alors délégué général à la coordination du PS.29. Le DGC a en charge l’organisation des organismes centraux avec lesquels il coordonne le travail despermanents.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 33

J.-L. Cardinal pointe l’inadéquation entre une direction politique changeante,toujours plus pléthorique (9 membres après le congrès d’Epinay, 27 après celuide Rennes) et des personnels permanents rendus inefficaces par la recompo-sition chronique des services30. De chaque congrès sort un nouveau secrétariatnational ; et le nouvel équilibre politique se répercute immédiatement surl’organisation du siège. Les services sont redéfinis et proportionnés au périmè-tre de pouvoir de chaque secrétaire ou délégué national à qui ils sont confiés.Des permanents sont déplacés, promus ou « placardisés », plus souvent pourleur sensibilité que pour leurs compétences. Ce système des dépouilles génèredes dysfonctionnements multiples : chaîne de décision floue, utilisation absurdedu matériel, circulation de l’information défaillante, services en doublon et per-sonnels sous-employés. Dénonçant l’absence totale de gestion des personnels,le comité de pilotage propose un « redéploiement des activités vers unemeilleure rationalité du travail » et « une plus grande professionnalisation destâches permettant une meilleure gestion des carrières ». C’est d’ailleurs cesobjectifs – « rationalité » et « professionnalisation » – que ce comité imposedans le dialogue engagé fin 1992 avec les syndicats de salariés (CGT, CFDT et SPPS).

Mais la déroute électorale aux élections législatives de mars 1993 perturbel’équilibre politique encore fragile de 1992 (démission de Fabius). Plus encore :elle réduit mécaniquement et drastiquement la dotation publique versée au PS,comme les possibilités de mise à sa disposition des assistants parlementaires.Pris en tenaille entre les valeurs fondamentales du parti (défense des emplois etdes droits des salariés, respect des principes d’équité et de solidarité) et l’impé-ratif de réduction de la masse salariale, les dirigeants renoncent aux licencie-ments économiques mais incitent au départ volontaire et au reclassement31.Dans ce contexte, les négociations en cours pour la réorganisation prennent desallures de plan social où les représentants du personnel n’ont jamais la main.

La « professionnalisation » en trompe-l’œildes permanents socialistes

Le souci de rationalisation organisationnelle et juridique imprègne donc lanouvelle convention collective et l’accord d’entreprise signés en octobre 1993.Voulue par L. Fabius, achevée et paraphée finalement par M. Rocard, la réorga-nisation repose sur un principe général de spécialisation des services et lavolonté de sanctuariser la distribution des personnels par rapport aux courants

30. Rapport de synthèse des propositions tirées du comité de pilotage concernant la réorganisation du siège duparti et ses conséquences (inédit), décembre 1992.31. Entre 1993 et 1995, plus de 80 salariés quittent « volontairement » le siège ou les associations liées auparti où ils étaient mis à disposition. Certains sont « reclassés » dans les structures périphériques (FNESER,l’hebdomadaire Vendredi, Centre Condorcet, etc.). Mais la situation financière reste fragile : fin 1994, letrésorier national annonce un moratoire sur les augmentations de salaires.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique34

et aux changements de direction politique. La spécialisation consiste à distin-guer deux filières : la filière Animation et études (AE) regroupant les services encharge des « missions d’animation politique » et la filière Administration etmoyens généraux (AMG) dévolue aux « tâches techniques et administratives ».Pour la première fois, les emplois politiques sont explicitement séparés desemplois administratifs. Mais cette spécialisation ne concerne en définitive queles postes les plus bas de la nouvelle classification. En effet, le changement defilière est possible pour tous les personnels ayant un diplôme au moins équiva-lent au BEP32. La filière AE, qui fait l’objet d’une « départementalisation33 »,recouvre à la fois le travail de collaboration avec les organismes centraux, lesfédérations, les élus et les partenaires politiques (syndicats, associations) et toutle travail d’étude sur les différents champs de l’action politique (donne électo-rale, questions de sociétés, politiques publiques). Pour protéger l’administra-tion des turbulences politiques, chaque département est découpé en plusieurssecteurs qui peuvent être placés sous la responsabilité politique de différentssecrétaires nationaux mais dépendent désormais d’une même direction admi-nistrative confiée à un cadre permanent, le « chef de département ». Le SGA,dont la fonction est officiellement réhabilitée34, est placé à la tête de l’organi-gramme administratif. La coordination générale du travail d’animation politi-que est toujours assurée par le DGC35. Les dispositifs de rigidification du nouvelorganigramme sont censés rompre avec le système des dépouilles.

L’un des principaux enjeux des négociations de 1993 est de redéfinir chacundes postes (filière, compétences, grade, rémunération) et de les redistribuer auxsalariés restants, en tenant compte des qualifications, des expériences et del’ancienneté. La commission mixte paritaire exceptionnelle qui clôt ce proces-sus promeut donc un certain nombre de permanents à des positions de cadres(chef de secteur, chef de département), que ce soit d’ailleurs dans la filière poli-tique ou dans la filière administrative. Pour autant, telle que pensée par la direc-tion, la « professionnalisation » promise des permanents se limite en fait à laconsignation et la planification des tâches par niveaux d’emplois. Dans les nou-veaux accords d’entreprise, aucune clause ne reconnaît la dimension politique

32. Soit à partir du niveau 5. L’accord d’entreprise établit trois catégories d’emplois (agents techniques etde bureau / techniciens et secrétaires / cadres) subdivisées en onze niveaux.33. Six départements sont créés : Animation politique ; Communication ; Relations internationales et affai-res européennes ; Environnement, aménagement du territoire, cadre de vie, éducation et culture ; Affairessociales, problèmes sociaux et économiques ; Études et prospectives. Un septième département, directionde l’administration générale, regroupe les services de la deuxième filière.34. La nouvelle convention collective précise que le SGA « coordonne l’activité des services et le fonction-nement administratif des départements en liaison avec leur directeurs ». Neutralisation du siège oblige, sonmandat (quatre ans renouvelables) n’est pas attaché à celui de la direction politique. 35. Le DGC « est en charge des organismes centraux et coordonne l’activité politique des permanents ». Lecaractère politique de cette fonction est inscrit dans la durée de son mandat « liée à celui de la directionpolitique ».

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 35

de l’activité ou de l’employeur. Seuls le caractère endogène du recrutement et ledevoir de discrétion sont vaguement rappelés au titre « Droit syndical » :

« Le PS, compte tenu du caractère particulier des tâches à effectuer, se réserve ledroit de rechercher ses collaborateurs parmi ses adhérents. A tout moment etsur tous les postes de travail, la discrétion la plus absolue est requise de chaqueemployé à l’égard de quiconque36. »

Pour le reste, il n’est fait nullement mention de missions ou conditions parti-culières de travail, ni de références à la temporalité de l’activité ou à l’instabilitédes dirigeants en politique, même pour les postes politiques. À l’opposé d’uneréelle professionnalisation – qui impliquerait la reconnaissance de tâches exclu-sives et spécifiques37 – il s’agit d’un alignement du statut des permanents surcelui des administrations publiques et privées, et donc de la disparition formelledes traits atypiques du militantisme professionnel que sont le don de soi jusqu’àl’abnégation, le caractère aventureux et éphémère de l’activité, le surinvestisse-ment porteur d’une possible promotion dans la carrière de collaborateur politi-que en cas de victoire électorale.

Toutes les règles régissant désormais l’emploi des collaborateurs salariésmarquent cette standardisation : grille de rémunération, grades, salaires, tempsde travail, treizième mois, prime de vacances, congés maternité et parental,avancement de carrières, droits à la retraite. Partout, il est rappelé que les condi-tions de travail des permanents sont celles « déterminées dans le cadre des loisen vigueur ». La semaine de travail est ainsi fixée à 37h30 et « répartie sur cinqjours, du lundi au vendredi ». Et s’il est précisé que « dans les cas exceptionnels »,la direction se réserve le droit de faire effectuer des heures supplémentaires, detelles dérogations ne sont possibles qu’« après accord entre la direction, lesdélégués du personnel et le salarié concerné dans les limites posées par les loisen vigueur ». Dès lors, la participation aux moments imprévisibles de l’activitépolitique devient dérogatoire, consentie exceptionnellement après accord et encontrepartie de compensations (rémunération complémentaire, congé com-pensateur). Avec ce nouveau cadre standardisé de l’emploi des permanentss’amorce une profonde transformation de leur univers professionnel, de la naturede leurs relations avec les cadres politiques et finalement de leur rapport au parti.

Configurations politiques, générations et profils de permanents

De la création du PS (1969) au début des années 1990, les vagues de recrute-ment des permanents coïncident avec la nomination d’une nouvelle équipe diri-geante. On l’a vu, en prenant ses fonctions, chaque nouveau secrétaire national

36. Convention collective du personnel du parti socialiste de 1979 actualisée en 1993, titre 3.37. Chapoulie (J.-M.), « Sur l’analyse sociologique des groupes professionnels », Revue française de sociolo-gie, 14 (1), 1973.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique36

s’entoure de collaborateurs dont il a pu éprouver la fidélité, le dévouement et l’effi-cacité. Au moment de la réorganisation de 1993, plusieurs générations se côtoientdonc dans les différents services du siège. La génération de permanents recrutésentre le congrès d’Épinay (1971) et la victoire de 1981 est la plus nombreuse. Toutau long des années 1970, la refondation du parti a reposé sur l’émergence de cadrespolitiques issus du militantisme (voir supra), dans le sillage desquels ont été recru-tés de nombreux permanents. Parce qu’en 1981 F. Mitterrand installe au siège duPS son QG de campagne présidentielle38, cette première génération participe acti-vement à la victoire historique et y gagne une aura légendaire. Si la victoire ouvredes perspectives de promotion dans la carrière de collaborateur politique (versl’assistanat parlementaire ou mieux vers les cabinets ministériels), voire d’une car-rière élective, seuls quelques permanents suivront « leur » secrétaire nationaldans les ministères. Après la forte vague de recrutement qui accompagne lescampagnes présidentielle et législatives de 1981, le rythme de recrutement des per-manents devient plus faible. Principalement pour trois raisons : d’abord, parceque la victoire de 1981 est suivie d’une série d’avaries électorales pour le PS39 quilimitent durablement ses moyens propres ; ensuite, parce qu’au fil des années etdes élections, les principaux cadres politiques du parti sont devenus de grandsnotables locaux et nationaux possédant leur équipe personnelle de collaborateurs(assistants parlementaires, cabinets des exécutifs locaux ou ministériels) ; enfinparce que, dès la réélection de F. Mitterrand, l’administration et les organismescentraux du parti deviennent l’enjeu de la lutte des courants. Le recrutement sefait donc parcimonieusement et la seule nouvelle vague notable de recrutementssurvient avec la campagne et la victoire de 1997. Si bien que les personnels salariéstravaillant aujourd’hui au siège se distinguent eux-mêmes entre « générationÉpinay » (51 % des effectifs permanents ont été recrutés entre 1971 et 198840) et« génération Jospin » (38 % ont été recrutés après 1997).

Sur la petite centaine de permanents qui subsiste en 1993 après les départs etreclassements, seuls 36 emplois relèvent de la première filière AE (7 directeursde départements, 29 assistants). En 2005, il n’y a toujours que 32 % de perma-nents politiques. Hier comme aujourd’hui, l’essentiel des effectifs est donccomposé d’employés administratifs (filière AMG), presque tous absorbés parles activités du secteur « Organisation ». Les tâches mobilisant le plus de postesAMG sont donc l’accueil et le standard, la sécurité (gardiens de nuit, serviced’ordre, etc.), le courrier, le travail de secrétariat, l’entretien des locaux, la

38. Jouteux (T.), Le parti socialiste dans la campagne de François Mitterrand en 1981, Paris, Fondation Jean-Jaurès, 2005.

39. Cantonales (1982), municipales (1983), européennes (1984) et législatives (1986) voient le PS perdre denombreux sièges.

40. Les données chiffrées pour l’année 2005 sont tirées du fichier des salariés du PS (cf. note méthodologi-que en fin de texte).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 37

réservation-location (restaurants, voitures, salles, traiteurs), la gestion des con-trats (assurances, maintenances de matériels, centrales d’achat). S’y ajoutentquelques emplois de chauffeurs, d’informaticiens et de comptables. Ces per-sonnels administratifs sont durablement installés dans l’emploi de permanentpuisque 61,4 % d’entre eux sont entrés au siège avant 1993. Du coup, et contretoute attente, seul un tiers des effectifs permanents occupe des emplois« politiques ». Leur activité consiste à rédiger des notes, des communiqués depresse et des études (surtout veille médiatique et documentaire spécialisée)mais aussi à faire des suivis de courriers et gérer les contacts extérieurs commeintra-organisationnels de leur service. Les salariés occupant les postes politiquesaffichent un très haut niveau de qualification : 91,8 % sont bacheliers, 78,3 %ont un niveau supérieur ou égal à Bac+2, 43,2 % un niveau supérieur ou égal àBac+4. Si 56,7 % d’entre eux étaient en fonction avant 1993, 42 % ont été recru-tés après 1997. C’est dans cette dernière catégorie que l’on trouve les principauxinstigateurs du mouvement de 2005 et les critiques les plus virulentes formuléescontre la dérive managériale de l’univers professionnel des permanents.

Les militants salariés face aux mutations

du travail de collaboration politique

Bien qu’il reste lié à la production de biens politiques et bien qu’il continuede s’inscrire dans un environnement politique, le travail des permanents de lafilière AE évolue depuis plusieurs années vers des tâches techniques et adminis-tratives valorisant moins qu’auparavant leur réflexion et leur expérience politi-ques de militants. Leurs relations avec les cadres politiques leur paraissent plusrares et plus distantes. En entretien, plusieurs permanents ont spontanémentévoqué « l’esprit d’entreprise » et l’idéologie managériale (souci d’optimisationdes rendements, discours sur la responsabilisation individualisée des objectifs)qui ont saisi les cadres politiques et administratifs, en contradiction avec lesvaleurs socialistes ou leur propre « fonctionnarisation » (sécurité de l’emploi,dépolitisation et planification des tâches, cloisonnement des services). Ce senti-ment s’enracine dans un management et des pratiques de recrutement imitantle monde de l’entreprise économique. Face à cette évolution, la réactivation dela figure mythique du permanent socialiste des années 1970 sert les jeunes per-manents engagés dans la requalification de leur statut, tentant d’imposer unedéfinition des attributions et des compétences propres de leur « métier41 ». Lanormalisation de la situation au travail des permanents socialistes produit deseffets ambigus : une certaine dé-différenciation des comportements salariauxet, en même temps, des formes de résilience militante.

41. Abbott (A.), The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, Chicago Uni-versity Press, 1988.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique38

Moderniser l’entreprise PS : rhétorique et procéduresdu management en politique

Les cadres politiques et administratifs du PS expriment des velléités managé-riales dès les négociations de 1992-1993. Le but affiché alors est d’« améliorer lefonctionnement du siège et de ses services afin de mieux rendre aux militants,aux fédérations, aux élus, les prestations qu’ils sont en droit d’attendre de leurparti42 ». Déjà, le parti est explicitement présenté comme un prestataire devantle meilleur service à ses usagers. Cette évocation du rapport service-usagers etde ses obligations est l’un des expédients rhétoriques éprouvés du discoursmanagérial pour imposer des contraintes plus dures aux salariés (discipline,contrôle, objectifs)43. Dans le même esprit entrepreneurial, J. Salvator ouvre lebilan sur la réforme de 1993 en se félicitant qu’en soit atteint « l’un des objectifsprincipaux, à savoir la synergie, le décloisonnement et une plus grande polyva-lence des permanents du Parti44 ». Il loue ensuite la « meilleure évaluation descoûts », la « plus grande maîtrise des dépenses », la « planification plus faciledes manifestations » et la « réelle prise de conscience de la responsabilité dechacun des partenaires45 ». On retrouve dans ce satisfecit l’un des triptyques cen-traux de la pensée managériale : rationalisation, optimisation, responsabilisa-tion. Conformément à l’idéologie managériale, les permanents ne sont plusdistingués selon des principes hiérarchiques ou fonctionnels mais confondusdans l’appellation faussement égalitaire et supposée gratifiante de partenaires46.En écho à la vulgate du management, les cadres administratifs saluent dès lorsl’autonomie des partenaires laquelle, magie du discours managérial, s’exerce enfait dans un cadre toujours plus circonscrit par la direction. Cette aptitude nou-velle des salariés est expliquée par leur responsabilisation et par l’examen plusjuste et plus individualisé de leur avancement47. Dès cette époque, les responsa-bles socialistes manipulent sans vergogne la langue et les techniques dumanagement : définition d’objectifs, responsabilisation, évaluation sur indica-

42. Rapport de synthèse, op.cit. 43. Dans le « troisième âge de l’esprit du capitalisme », la référence permanente au « client » permet dedéplacer – de façon purement discursive et instrumentale – la justification du contrôle des salariés depuis lahiérarchie de l’entreprise vers la demande extérieure. Cf. Boltanski (L.), Chiapello (E.), Le Nouvel esprit ducapitalisme, Paris, Gallimard, 1999.

44. J. Salvator estime que le siège a correctement assumé « seize manifestations d’ampleur nationale »depuis 1992 (congrès, référendum sur le traité de Maastricht, campagnes cantonales, européennes, prési-dentielles, municipales, etc.). Bilan d’évaluation de la réorganisation de l’activité au siège du parti (inédit),juillet 1995.

45. Ibid. (C’est nous qui soulignons).

46. Selon A. Ehrenberg, dans l’entreprise « post-disciplinaire », celle de l’ère managériale, « on ne demandeplus au personnel subalterne d’exécuter mécaniquement des ordres ou d’appliquer des règles, mais des’impliquer en se comportant comme l’entrepreneur de sa propre tâche ». Cf. Le culte de la performance,op. cit., p. 218.

47. Ces principes de « la gestion de soi » sont caractéristiques du « pouvoir managérial ». Cf. Gauléjac(V. de), La société malade…, op. cit., ch. 4.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 39

teurs de performances, appel à l’expertise extérieure. Quelques mois avant deprendre la tête du PS et d’y parachever le projet de réorganisation, M. Rocard,premier ministre, tentait d’ailleurs – avec sa « politique du renouveau » –d’imposer cette même entreprenarisation aux services publics du pays48.

Après 1993, différents programmes de réorganisation suivront, autantd’ailleurs pour ajuster les services aux équilibres politiques que pour offrir denouvelles possibilités de promotion aux plus anciens permanents. En 1996-1997, la direction fait ainsi réaliser un audit privé qui débouche sur une nou-velle articulation des départements et services autour de quatre « pôles49 ». En2003, chargé d’améliorer le fonctionnement du siège, M. Valls, secrétaire natio-nal à la coordination et à l’organisation, annonce la constitution d’un« véritable pôle de développement qui aura en charge les nouveaux outils d’ani-mation et de développement du parti50 ». Même si l’efficacité des outils et desmesures empruntés au management reste discutable (une politique de manage-ment est censée produire de la motivation et non de la frustration), c’est bienune intention managériale qui traverse ces différents projets : les impératifs bud-gétaires et l’efficience des services déterminent les principes organisationnelset conditionnent la politique de gestion des personnels. Voici ce qu’en ditFrédéric Scanvic, secrétaire général administratif du PS (2005) :

« Même les assistants politiques, ils ne sont pas assez professionnalisés. Du coup,

ils font plutôt office de super-secrétaires. Normalement, les gens ne devraient

pas rester, y compris pour eux, parce qu’après ils tournent en rond. Alors, il faut

pyramider, proposer des perspectives, avoir une véritable politique de gestion

des ressources humaines. […] On peut aller très loin dans le fait de gérer le parti

comme une entreprise. Très loin, sauf que l’actionnaire est différent… Les

actionnaires ici, ce sont les responsables politiques. Ce sont eux qui amènent

l’argent et font vivre le parti51. »

La référence à l’entreprise capitaliste type – société par action – n’est pas seu-lement métaphorique. Le caractère politique de l’activité de l’organisation et deses personnels est plus rappelé ici comme une spécificité que comme un vérita-ble frein à l’entreprenarisation du parti. La dé-différenciation des logiques pro-fessionnelles que cette dernière suppose est d’ailleurs déclinée jusque dans lesmodalités de recrutement qui s’institutionnalisent dans la deuxième moitié desannées 1990.

48. Saint-Martin (D.), « Les consultants et la réforme managérialiste de l’État en France et en Grande-Bretagne : vers l’émergence d’une “consultocratie” », Revue canadienne de science politique, 32 (1), 1999.49. Les quatre grands pôles : réflexion et d’études, actions et élections, gestion de l’entreprise, organisation,manifestation.

50. Projet de réorganisation des services du siège national présenté au secrétariat national, (inédit), septembre2003.

51. Entretien avec l’auteur, le 13 octobre 2005.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique40

De l’enrôlement au recrutement : la fin du modèle historique d’entrée et de promotion dans le militantisme professionnel

Jusqu’à la réforme de 1993, les modalités de recrutement des permanentssont celles de l’enrôlement politique52. La principale voie de recrutement restel’investissement récompensé où joue aussi la recommandation certifiée (uncadre politique soutient, voire impose le candidat). Le capital militant accu-mulé et souvent aussi les liens (réseaux militants croisés avec les réseaux fami-liaux et/ou affinitaires) garantissent la proximité idéologique. Si elles nedisparaissent pas, ces façons de devenir collaborateurs salariés sont doubléesprogressivement de procédures de sélection plus techniques. Sans déclarerouvertement caduc le principe de recrutement militant énoncé dans la conven-tion collective (v. supra), l’établissement de profils de poste et de jurys de recru-tement s’apparente aujourd’hui aux pratiques de toute entreprise.

« Depuis 1993, le recrutement a changé car les permanents ne sont plus véhicu-lés par les secrétaires nationaux. Le but de la réforme de 1993 était de profession-naliser et donc de dépolitiser tout ça et d’arrêter avec le système des dépouilles

en vigueur qui était vraiment contre-productif. Il y avait aussi la volonté de per-

mettre le reclassement professionnel, d’améliorer quelque part l’employabilité

des gens qui étaient passés par le parti, notamment en mettant en place des pos-

sibilités de formation et de mises à disposition. Car, être passé par un parti poli-tique, et notamment par le PS, il ne faut pas croire, c’est discriminant auprès

d’un patron. Aujourd’hui, on marche au profil de poste. On ne pose pas la ques-

tion de l’appartenance politique de façon prioritaire. Il y a une certaine autocen-

sure. Bien sûr, au cours des entretiens, il y a toujours des questions sur la

connaissance de la vie politique, sur la connaissance de la vie du parti et de l’his-

toire du PS. Mais, de toute façon, par capillarité, on sait qui on recrute. Il y a les

recommandations et le jeu des connaissances et des réseaux53. » (J. Salvator,

DGC du PS depuis 1992)

À un mode de désignation et de promotion des collaborateurs salariés fondésur des liens personnels (le permanent doit son recrutement et ses attributions àun cadre politique en retour de son dévouement fidèle à ce dernier et/ou à soncourant), se serait donc substitué un système de recrutement et d’avancementpar profil fondé sur des critères plus objectifs (diplômes, expérience, ancien-neté, tests, etc.) et davantage contrôlé par les syndicats (en commission mixteparitaire).

Ainsi, l’affiliation des permanents à un leader du parti ne favoriserait plusaussi sûrement qu’auparavant la carrière. Mais si, désormais, l’examen des états

52. Duriez (B.), Sawicki (F.), « Réseaux de sociabilité et adhésion syndicale. Le cas de la CFDT », Politix, 63,2003.53. Entretien avec l’auteur, le 14 octobre 2005.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 41

de services et des titres s’impose dans l’évaluation d’un recrutement ou d’unepromotion, les appuis politiques restent déterminants. Néanmoins, en favori-sant la promotion interne, les accords d’entreprise54 ont institué de véritablesperspectives de carrière partiellement découplées des affiliations de courants.Or, avec la règle d’affectation fixe des postes, les cadres nouvellement nommésà la direction nationale ont pris peu à peu l’habitude d’exercer leurs fonctionsau siège avec l’aide de collaborateurs personnels, donc extérieurs au parti, et dese comporter à la manière de directeurs généraux avec la partie de l’administra-tion relevant de leurs attributions – pratique entérinant le transfert du travailproprement politique depuis les salariés permanents vers les personnels dits« de cabinet ». Depuis une dizaine d’années, cette externalisation du travailpolitique a transformé l’orientation des besoins internes et les structuresd’attente des « recruteurs ». Ces logiques s’accommodent des nouvelles modali-tés de recrutement (profilage des postes, jurys et tests d’embauche) qui s’institution-nalisent progressivement et contribuent à l’abandon du modèle historique desélection des militants professionnels.

« Les recrutements sont de moins en moins politiques, et même maintenant

pour les cadres politiques. Aujourd’hui, quand on recrute, on fait des tests. Çane plaît pas à tout le monde mais on teste. Une secrétaire, on lui fait taper un

truc sur un traitement de texte. Les assistants politiques aussi, on les teste. On les

met dans une pièce, on leur donne un gros dossier sur un sujet (la dernière fois

c’était sur la réforme de la PAC) et on demande de faire une note de synthèse

adressée au premier secrétaire et un communiqué de presse. Là, on vient de

recruter un assistant qui n’avait jamais été adhérent au PS. Il nous a fait un truc

très bon. Le communiqué était très bon avec un constat sur la situation, une cri-

tique de ce que le gouvernement n’avait pas su faire, l’indignation du PS et ce

que le parti proposait55. » (Jacques Priol, SGA du PS, 2002-2004)

Ces pratiques sont perçues très négativement par les salariés qui estimentdevoir leur recrutement au fait d’avoir « fait leurs classes » militantes au sein duPS, d’associations satellites (UNEF, MJS) ou « amies » (SOS-Racisme), selon lemodèle historique du militant professionnel. Certaines rumeurs, rapportées pardes permanents, racontent comment de nouvelles recrues n’ont « pris la carte »que six mois après leur embauche au siège. En mobilisant ces récits invérifia-bles, ils trouvent l’occasion de dénoncer le dévoiement d’un parti dont les per-sonnels ne seraient plus prioritairement des militants.

54. La convention précise que : « la direction devra, dans la mesure du possible, choisir les cadres au seindu personnel en fonction. »55. Entretien avec l’auteur, le 2 avril 2004.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique42

Les tourments de la stabilité : une carrière à l’horizon bloqué

La politique est une activité sociale singulière. Un quotidien toujours tenduvers un projet de conquête : étendre les forces militantes, remporter les élec-tions, tenir des territoires, exercer le pouvoir. Les carrières électives, qui sontles plus prégnantes dans cet univers, sont marquées par l’incertitude etl’espoir, tantôt menacées par la défaite, tantôt galvanisées par la victoire. Lespremières générations de permanents socialistes ont vécu au plus près le des-tin des candidats du parti. La normalisation du statut, la sécurisation del’emploi et la dépolitisation du travail des permanents ont matériellement etsymboliquement éloigné ces derniers des logiques de l’environnement oùs’exerce leur activité professionnelle. Ils peuvent suivre un leader et soutenirson courant ; mais malgré cette affiliation ils ont toutes les chances de rester àleur poste. Leurs perspectives de promotion vers les cabinets sont entravéespar l’existence de concurrents externes (mieux dotés en capitaux sociaux etscolaires) et la préférence pour d’autres logiques de recrutements56. Du collec-tif politique, certains permanents disent aujourd’hui ne plus percevoir quel’architecture nue de l’organigramme et les logiques supérieures – managéria-les – de l’institution. Cantonnés pour la plupart à des tâches politiquementpeu valorisées, cloisonnés dans des services spécialisés, ils se sentent en margedu parti. Mais ce mal-être a d’autres causes. Les permanents socialistes com-posent une population vieillissante et fonctionnarisée au sein d’une organisa-tion instable par nature.

La majorité des permanents socialistes, notamment ceux recrutés avant1993, affirme lors des entretiens et dans les questionnaires n’avoir jamais sou-haité « partir » dans les ministères à l’occasion des victoires du parti (1981,1988, 1997) et assure vouloir achever leur carrière dans l’administration dusiège national. Le statut de permanent n’est plus envisagé comme une paren-thèse dans ou avant la vie professionnelle, mais comme une activité salariée àpart entière et durable. Cette tendance à la pérennisation de la « carrière » depermanents contraste fortement avec la figure mythique du militant profes-sionnel qui – paradoxalement en apparence mais très logiquement si l’on con-sidère les valeurs des univers militants – reste le « modèle idéal57 » du métierparce qu’il en cristallise la dignité, la raison d’être et les vertus symboliques.

56. Mathiot (P.), Sawicki (F.), « Les membres des cabinets ministériels socialistes en France (1981-1993). Recrutement et reconversion », Revue française de science politique, 49(1), 1999.57. Hughes (E.), Men and Their Work, Glencoe, The Free Press, 1967 (1958).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 43

Quelques chiffres significatifs à proposdes effectifs salariés du PS (données 2005, n = 108)

La stabilité de la taille des effectifs et leur faible renouvellement entraînent lapérennisation des responsables permanents, et donc le gel des promotionsentre les positions moyennes et hautes de la classification des postes. Si l’essen-tiel de la « génération Épinay » est plutôt bénéficiaire de cette situation etaccepte l’évolution du cadre professionnel dans une posture faite de profession-nalisme et de résignation proche d’une identité de retrait58, il en va différem-

Sexes, âge et diplômes– Âge moyen des effectifs : 44 ans– Âge moyen d’entrée au siège : 31 ans– Durée moyenne de l’emploi au siège : 15 ans– 33,6 % des salariés ont plus de 50 ans (91,5 % ont plus de trente ans)

– Si 13,5 % de la population globale des permanents ont un diplôme de 3e cycle, ces « sur-diplômés » représentent 31 % des permanents recrutés après 1997.

Vagues de recrutements*– 14 % ont été recrutés entre 1970 et 1980– 42 % entre 1981 et 1992– 6,5 % entre 1993 et 1996– 30 % entre 1997 et 2002– 8 % après 2002

(*) Ces chiffres ne peuvent tenir compte des permanents recrutés qui ont ensuite quitté le siège

Répartition par filières– 68 % travaillent pour la filière Administration et moyens généraux (activités non politiques)– 32 % pour la filière Animation et études (activités politiques)

58. Cf. Sainsaulieu (R.), Sociologie de l’entreprise, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 1997, p. 202.

Hommes Femmes

Total 42 % 58 %

Aucun diplôme 6,5 % 11,5 %

BEPC-CAP-BEP 24 % 32,7 %

Bac 10,8 % 18 %

entre Bac et Bac + 4 39 % 30 %

Bac + 5 et > 19,5 % 8 %

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique44

ment pour les plus jeunes salariés qui n’occupent pas systématiquement desfonctions d’animation politique et que très rarement des positions de responsa-bilité. Plus de la moitié des effectifs embauchés après 1997 est affectée à la filièreAMG et dans des emplois subalternes. Certains sont dans des situations detransition, à l’image de ce salarié recruté en 1996, titulaire d’une maîtrise ensciences humaines, qui occupe un emploi d’agent qualifié de sécurité à la« bulle » (surnom de la loge vitrée à l’entrée du siège), où il travaille parfois encompagnie d’un salarié diplômé d’un troisième cycle universitaire de droit.Plus jeunes et plus diplômés que la moyenne des permanents, les salariés de la« génération Jospin » de la filière AE refusent la relégation politique et le man-que de perspectives professionnelles hors-parti qu’elle signifie. Entrés après laréforme de 1993, ils ont presque toujours été recrutés après un entretien et untest d’embauche. Objectivement, leur capital militant pratique ou symbolique(ancienneté de l’engagement, appartenance à une famille politisée à gauche,participation à des événements politiques « historiques ») n’est pas la justifica-tion première de leur embauche. Mais, pour soutenir la comparaison avec lesgénérations précédentes, ils cherchent très visiblement à corriger cette moindrelégitimité militante en déclinant en entretien leur « pedigree » et leurs états deservice militants avant leurs diplômes universitaires. En même temps, ces titresscolaires sont le gage objectif de leur compétence sur lequel s’appuient ces mili-tants pour faire valoir une qualification rivalisant avec celle des personnels decabinets. S’ils ne connaissent que fictivement la légende dorée d’avant 1981, ils s’yréfèrent pour déplorer la bureaucratisation et la dépolitisation de leurs activités.

« Je crois vraiment que la plupart des salariés ont fini par intérioriser la logiqued’entreprise et se dépolitisent eux-mêmes. À part les permanents qui sont extrême-ment militants, les autres se contentent d’effectuer leur job. Ils sont dans une opti-que de service. Pour les anciennes générations de permanents, il y avait toujoursl’espoir qu’en cas de victoire, un secrétaire national parte dans un ministère et qu’ilemmène avec lui les permanents dont il avait apprécié le travail. Aujourd’hui, pourl’instant du moins, il n’y a pas de perspectives pour rebondir professionnellementailleurs… enfin, autrement que par piston individuel. Je crois que ce manque deperspectives de carrière, le fait qu’il n’y ait pas de débouchés, je crois que ça expliquecette espèce d’indifférence ou de nonchalance que l’on peut percevoir dans lesbureaux. Je crois que ça serait différent si les gens avaient l’espoir de faire un jour unpassage dans un ministère… même si c’est pour revenir ici après59. » (Permanent(depuis 1997), 34 ans, titulaire d’une maîtrise de science politique)

On peut rapprocher cette auto-analyse professionnelle de la « générationJospin » de « l’intégration laborieuse » analysée par Serge Paugam60. Contraire-

59. Entretien avec l’auteur, le 26 septembre 2005.60. Paugam (S.), « Formes d’intégration professionnelle et attitudes syndicales et politiques », Revue fran-çaise de sociologie, 40(4), 1999.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 45

ment à une intégration professionnelle idéale – l’« intégration assurée » – où lesalarié possède « la double assurance de la reconnaissance matérielle et symbo-lique du travail et de la protection sociale qui découle de l’emploi », l’intégra-tion laborieuse se caractérise par un rapport négatif au travail (vécu comme peuvalorisant et donc peu épanouissant) et un rapport positif à l’emploi (sûr etgaranti par un CDI)61. Ce type de rapport ambivalent à la situation profession-nelle survient souvent à l’occasion d’une réorganisation des services de l’entre-prise et s’avère la plus propice à l’éclosion d’un conflit avec la direction62,comme en 2005 au siège national du PS.

Différenciation des comportements salariaux et résilience militante

À bien des égards, la fronde de 2005, conduite par de jeunes permanents plusdiplômés que leurs aînés, est une « lutte pour garder le contrôle des tâchesnobles63 ». Investis dans des positions de représentants syndicaux, ils dénoncentdès 200464 le manque de valorisation des permanents par les secrétaires géné-raux, les effets néfastes de la professionnalisation et refusent toutes les formesd’externalisation. Si la réticence devant la perspective d’un conflit ouvert avecles cadres politiques a d’abord circonscrit cette posture revendicative à unepetite minorité de permanents, leur contestation a fait résonance avec le senti-ment très largement partagé chez les permanents d’avoir été peu à peu dépossé-dés de leurs attributions les plus valorisantes : participer aux équipes descampagnes nationales, préparer les congrès et les conventions, travailler aucontact des grands leaders nationaux. Sentiment forgé sur la progression del’externalisation, qui affecte déjà la documentation (la revue de presse proposéeaux cadres et personnels est réalisée par un institut spécialisé)65, avec le recoursà l’expertise extérieure (études commandées à des cabinets privées, à des insti-tuts de sondages) et la sous-traitance des actions de communication majeures(confiées à des agences spécialisées)66.

Le manque d’occupation des salariés tient autant aux effets traditionnels dela temporalité politique (calendrier électoral, congrès) qu’à la technicisationcroissante des activités de la politique. La position officielle des cadres adminis-tratifs consiste à déplorer « la sous-traitance à l’extérieur de production politique

61. On peut supposer qu’avant 1993, les permanents étaient plus proches de « l’intégration incertaine »,marquée par un rapport positif au travail (vécu comme passionnant et valorisant) et un rapport négatif àl’emploi (jugé précaire et mal payé). Ibid.

62. « La protestation est la forme de mécontentement la plus probable pour les salariés proches de l’inté-gration laborieuse. », Ibid.

63. Dubar (C.), Socialisation et identités professionnelles, Paris, Armand Colin, 1990.

64. Fin 2004, la cellule CGT diffuse un tract pour l’établissement d’une « charte des permanents ».

65. Beaucoup de tâches non politiques sont déjà sous-traitées (nettoyage des locaux, éclairage et sonorisa-tion des grands meetings) ou menacées de l’être (reprographie, logistique événementielle).

66. Sur cette tendance, cf. Panebianco (A.), Political Parties…, op. cit.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique46

qui induit une déqualification, de fait, des permanents et leur démotivation » et« le manque d’impulsion par absence physique ou politique des secrétairesnationaux67 ». Plus officieusement, ils évoquent le sur-effectif du siège, legsd’un cycle historique antérieur de fonctionnement du parti et composé de sala-riés aux compétences aujourd’hui inadaptées face à l’hyper-professionnalisa-tion du travail politique. En entretien, ils parlent volontiers du siège commed’une « usine à dépression », offrant de faibles opportunités de promotioninterne et peu de missions intéressantes (plutôt confiées à des collaborateursextérieurs ou à des « mercenaires » jugés plus efficaces) :

« J’ai pris ma carte au PS en 1979. À l’époque, il y avait tout le monde au siège,tout le temps, même les week-ends. En leur collant une convention collective, iln’est plus possible d’arriver à les faire bosser. Appelle un samedi à Solférino, tuverras… y’a personne. Les élus sont devenus dans leur tête des hauts-fonction-naires et les permanents des petits fonctionnaires. Au départ, permanent, c’estpas un vrai boulot. Or, là, on a entraîné toute une génération à immédiatementse fonctionnariser. Il y a trop de personnels pour les besoins réels du siège. C’estlà, à mon avis, que la dérive vers l’entreprise s’est amorcée. Va parler à un mili-tant de productivité ! Non, franchement ? C’est hallucinant ! Si tu parles auxpermanents de productivité, tu en fais des salariés comme les autres et ça ne peutplus fonctionner. Business oblige, tu prends ailleurs tes collaborateurs68. »(Cadre de la fonction publique territoriale, ancien secrétaire fédéral, 47 ans).

La fin d’une relation privilégiée avec les grands personnages du parti, la rup-ture d’horizon dans le travail de collaboration politique et sa clôture sur unecarrière bureaucratique rendent problématique l’identité tant professionnelleque militante des permanents. Le type de missions et le niveau d’expertise deséquipes de « cabinet » constituées autour des cadres nationaux ne laissent fina-lement aucun espace où les permanents pourraient se rendre disponibles et uti-les auprès d’eux69. De surcroît, ces collaborateurs politiques de « cabinet », parleurs propriétés sociales et relationnelles70, monopolisent les opportunités depromotion dans le travail de collaboration politique (ministères, exécutifslocaux, etc.) autrefois entrouvertes aux permanents du siège. Travailler dans lapolitique sans faire de politique génère une frustration, un sentiment de déclas-sement, qui n’est surmontable que par l’invention de nouvelles formes de valo-

67. Salvator (J.), Bilan d’évaluation…, op. cit.68. Entretien avec l’auteur, le 22 février 2006.69. Selon Richard Katz et Peter Mair, les partis contemporains valorisent davantage l’expertise que ledévouement dans leurs recrutements. Katz (R.), Mair (P.), eds., How Parties Organize ? Change and Adap-tation in Party Organizations in Western Democracies, London, Sage, 1994. Sur la place des experts au PS, cf.Bachelot (C.), « Les experts au Parti socialiste. Réseaux et modalités de recours à l’expertise », communica-tion au Colloque de l’AFSP, Les tendances récentes de l’étude des partis politiques dans la science politiquefrançaise : organisations, réseaux, acteurs, Paris, 31 janvier-1er février 2002 (http://www.afsp.msh-paris.fr/archives/2002/partistxt/bachelot.pdf).70. Mathiot (P.), Sawicki (F.), « Les membres des cabinets… », art. cit.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 47

risation au travail, individuelles ou collectives. Les permanents socialistesl’ont trouvé en luttant ensemble contre certaines décisions de la direction.La référence déclarée à l’opposition employeur-employés concrétise à lafois l’aboutissement d’un processus de normalisation de l’univers profes-sionnel des permanents et une façon de repolitiser leur position dans et surle parti.

À ce titre, l’épisode de 2005 donne à voir la fin d’une forme historique dulien partisan, où les permanents représentaient la base militante auprès descadres nationaux, et l’installation d’un nouveau type d’interaction où une par-tie des permanents agit en militants d’entreprise71 (syndicalistes) contre lesdécisions « patronales » et un certain management. L’un des symptômes decette tendance est la réinterprétation de la disjonction avec les cadres politiquesen termes de lutte des classes. Coupés du travail politique, les permanents per-dent du même coup le contact privilégié avec les responsables politiques natio-naux72. Sans cette collaboration quotidienne fondée sur un combat militantpartagé, les facteurs de distinction sociale (diplômes, salaires, milieu social,goûts culturels, loisirs, registres de langage…) sont plus prégnants et accen-tuent le sentiment de distance sociale.

« Moi, j’ai un peu connu ça mais c’était déjà la fin de cette époque. Les vieux dela vieille, ceux qui étaient ici dans les années 1970, ils s’en souviennent et ils nousle racontent. À l’époque, les secrétaires nationaux, c’était pas des “fils de”,comme Moscovici ou Marisol Touraine, ou des types qui payent l’impôt sur la for-tune. Y’avait pas de coupure sociale entre les permanents et ces “gens”… Moi,maintenant, je dis “ces gens”… on hésite même à les tutoyer mais je me force à lefaire même si y’a des camarades qui n’osent plus les tutoyer… “Ces gens”. C’estdingue ! On est au Parti so-cia-liste. Y’a une espèce de rupture, un fossé.. oui, unfossé… un fossé social, économique. Et ça ne s’arrange pas. Au contraire73 ! » (Per-manent (depuis 1988), promu dans la filière AE en 1999), 39 ans, niveau DEUG)

De ce point de vue, la dépolitisation et le discours managérial ont mis au jourles tendances oligarchiques qui travaillent toute entreprise partisane74. Bien sûr,pour un militant, la position de permanent présente toujours l’intérêt d’unaccès au cœur de la vie politique, dispensant de fortes rétributions immatériel-les comme l’acquisition d’une solide culture politique et générale ou le senti-ment d’appartenir à une famille idéologique mais aussi affective. Mais au siège

71. Erbès-Seguin (S.), « Relations entre travailleurs dans l’entreprise en grève. Le cas de mai-juin 1968 »,Revue française de sociologie, 11(3), 1970.72. Contribuer au « continuum relationnel » entre le candidat et le peuple est un aspect valorisant du travailde collaborateur politique déjà présent chez les premiers agents électoraux. Cf. Miquet-Marty (F.), « Lesagents électoraux. La naissance d’un rôle politique dans la deuxième moitié du XIXe siècle », Politix, 38,1997.73. Entretien avec l’auteur, le 12 octobre 2005.74. Michels (R.), Les partis politiques, Paris, Flammarion, 1971 (1914).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique48

du PS le capital de relations75, traditionnel dispensateur de gratifications tantmatérielles que symboliques pour les membres du réseau partisan, et avec luil’esprit de famille76 propre à la sociabilité militante, semblent s’épuiser. La nomi-nation de F. Scanvic au poste de SGA en 2005 va cristalliser ce problème. C’estl’occasion pour une partie des permanents d’endosser la posture du militantd’entreprise et donc de retourner leur savoir-faire militant contre la direction.

Le nouveau SGA incarne de façon outrée l’entreprenarisation du siège. Énar-que, ancien chef des services d’une grande collectivité territoriale, il prend sesfonctions avec le titre de « directeur général » du siège, une rémunération horsgrille (11 000 euros quand la paye de la majorité des permanents se situe entre2 000 et 3 000 euros) et se flanque de nouveaux collaborateurs directs (gratifiésde primes exceptionnelles). Ces contournements de la convention collective etle discours managérial abrupt du SGA galvanisent les partisans d’une mobilisa-tion salariale. Après l’assemblée générale et la lettre ouverte (voir supra), la délé-gation de permanents reçue par le premier secrétaire rejette l’audit et laréévaluation des augmentations de salaires que celui-ci leur propose. Assurésdu bien-fondé de leur revendication, les responsables du mouvement durcis-sent leur discours et rédigent un manifeste intitulé « Les raisons de la colère ».En exergue de ce texte, ils placent un extrait de la Déclaration de principes duPS où le parti s’engage à agir « par de nouvelles formes d’organisation économi-que et sociale donnant aux salariés une véritable citoyenneté dans l’entreprise ».Dénonçant à nouveau les « droits régulièrement bafoués », le « dialogue socialinexistant » et les « privilèges », ils réclament « une gestion équitable du person-nel et respectueuse de (la) convention collective77 ».

« Nos accords prévoient que les ouvertures de postes doivent faire l’objet d’unepublication préalable auprès des permanent-e-s, pour favoriser les promotionsinternes et utiliser les compétences du Parti. Cette procédure est socialement légi-time et son efficacité, avérée. Il est inadmissible que l’on embauche à l’extérieur, àdes tarifs non conformes à nos règles, alors qu’il y a, au sein même de la Maison,des permanent-e-s qui peuvent accomplir ces missions, à la satisfaction générale.[…] Il est inadmissible tant financièrement qu’humainement de cumuler recrute-ment externe et mise au placard de permanent-e-s en fonction. […] Nous ne sou-haitons pas voir ressurgir les pratiques que des années d’effort et de dialoguetendent à éliminer dans cette Maison, grâce à la Convention collective de 199378. »

75. D. Gaxie rappelle que « les contacts à l’intérieur du parti favorisent l’édification d’un capital de rela-tions et en constituent même la source unique pour ceux qui sont dépourvus d’un autre capital social »(« Les rétributions du militantisme… », art. cit.).

76. Cf. Mischi (J.), « Travail partisan et sociabilités populaires : observations localisées de la politisation

communiste », Politix, 63, 2003.

77. « Manifeste. Les raisons de la colère », mars 2005. La convention collective est y qualifiée de « loifondamentale ».

78. Ibid.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 49

Après le départ de F. Scancic, Maurice Braud, ancien syndicaliste et cadrepermanent (directeur du Département International), est nommé au poste deSGA. Son profil, son statut et son mode de promotion sont en tous pointsconformes aux règles établies en 1993. Cette nomination marque une victoire dela dialectique professionnelle mais aussi la part prise par les syndicats, notam-ment la section CGT, dans la médiation des revendications salariales. L’argu-mentation contre les « recrutements externes » mobilise le registre de la justiceet du droit. Derrière ce repli sur la règle (qui pourtant bureaucratise le travail),la posture syndicale marque une repolitisation d’une partie des permanents qui,en endossant le rôle de militants d’entreprise, consolident leur intégration pro-fessionnelle et font émerger une nouvelle conscience de groupe79. Pour autant,dans les actes comme dans les mots, cette dé-différenciation des relations pro-fessionnelles reste en deçà du seuil d’une vraie rupture de l’entre-soi idéologique.

« Ils ont cherché à nous professionnaliser. Avant, on était plutôt dans des arran-gements “maison”. Chacun donnait quelque chose. Et ça marchait plutôt bien.Puis, ils ont voulu changer tout ça. En gros, ils se sont pris pour des chefsd’entreprise et nous, on s’est pris pour des salariés… Ils se sont vus comme despatrons. On leur a montré qu’on pouvait être des syndicalistes purs et durs.Quand je dis ça, je veux dire qu’on s’est rapproché du droit du travail maisbon… on peut pas aller jusqu’au rapport de force… Non, quand même ! Maisça s’est pas mal durci80. » (Permanent (depuis 1992), licence de Lettres, 42 ans)

Entreprise politique versus collectif militantou les liens défaits de l’entre-soi socialiste

La situation au travail des permanents socialistes illustre l’évolution desadministrations centrales et donc du petit salariat des partis politiques. À labureaucratisation, qui est une tendance déjà ancienne tendant à couper les mili-tants salariés des jeux politiques pour servir la seule direction, s’est ajoutée plusrécemment l’introduction des logiques managériales. Comme partout, lamanagérialisation passe par l’imposition aux salariés de la culture du service, del’individualisation des objectifs et de l’optimisation du rapport ressources-résultats. Ce dernier point favorise l’externalisation qui, en politique, se traduitpar la dispersion hors du parti des missions autrefois confiées principalementaux collaborateurs permanents dès lors concurrencés par diverses catégories deprofessionnels, tous extérieurs au militantisme qu’il s’agisse des détenteursd’une expertise hautement technique et labellisée (instituts d’opinion, agencesde communication) ou d’employés d’entreprises de sous-traitance. Ce décen-trement progressif des permanents dans les activités des organismes centraux

79. Forme de socialisation très active, le conflit « rétablit l’unité de ce qui a été rompu ». Simmel (G.), Le Conflit,Paris, Circé, 1995.

80. Entretien avec l’auteur, le 27 juin 2006.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique50

du parti est accentué par la présence des collaborateurs « cabinet » entourant lescadres nationaux. Ces différents éléments affectent le monde d’interactions despermanents et donc l’entre-soi militant – ou sa fiction instituante – qui sem-blait précédemment unir, dans une même équipée, responsables politiques etmilitants salariés du siège. En éliminant les principes de collaboration politiqueoù se nouaient leurs relations, la reconfiguration du travail politique fait dispa-raître les dispositifs d’euphémisation qui pouvaient maquiller la distancesociale, culturelle et idéologique qui les a toujours séparés81. À ce titre, les effetsde la managérialisation exacerbent les tendances oligarchiques qui travaillentordinairement les univers partisans.

De façon paradoxale, la fronde de 2005 peut donc se comprendre autantcomme une dé-différenciation des comportements salariaux que comme lavolonté des permanents de restaurer une posture militante émoussée par la« fonctionnarisation » de leur emploi et la rationnalisation du travail politique.Les formes et les termes de la mobilisation portent sur une position à requalifierqui, à bien y regarder, n’est pas seulement salariale. La lutte pour un cadre detravail collectivement et individuellement acceptable82 se réfère à des principesgénéraux de respect et de justice mais aussi à un âge d’or des militants profes-sionnels socialistes (voir supra). À travers l’évocation d’un passé qu’ils n’ontpour la plupart pas vécu – et qui n’a sans doute jamais existé dans la formeidéale qu’ils lui prêtent aujourd’hui – les permanents revendiquent au fondune position dans l’institution qui remettrait en accord leur ethos militant avecle statut banalisé de salariés83. Transfigurés en militants d’entreprise, une par-tie d’entre eux conteste la dérive ancillaire de leur place dans l’organisation dutravail politique et tente de se poser en aiguillon moral et social de la direction.De la sorte, ils repolitisent leur rôle de militants-salariés en incorporant les cli-vages idéologiques du parti dans les relations professionnelles. Face aux por-teurs du projet managérial qui sont souvent rocardiens (Salvator, Priol,Scanvic), passeurs des principes de modernisation et d’efficacité gestionnairequ’ils ont pu expérimenter en dirigeant des grandes collectivités territoriales(Priol, Scanvic), ils tendent à se « gauchiser » tant dans leur discours que dansleur affiliation aux courants du PS (« Nouveau monde », « Emmanuellistes »,opposition au traité constitutionnel européen). Mais, pas plus dans le bras defer de 2005 que lors des négociations de 1993, les permanents n’ont été en situa-tion de faire reconnaître une fonction politique ou un domaine de compétences

81. Katz (R.), « Parties as Linkage : A Vestigial Function ? », European Journal of Political Research, 18, 1990.82. À la façon des guichetiers de La Poste récemment. Cf. Hanique (F.), Le Sens du travail. Chronique de lamodernisation au guichet, Ramonville, Erès, 2004.83. Le travail d’ajustement permanent entre « les dispositions des personnes qui peuplent les institutions et ceque le fonctionnement de ces derniers semble exiger » passe aussi par la façon dont ceux-ci « remodèlent(l’institution) en agissant ». J. Lagroye et J. Siméant, « Gouvernement des humains… », art. cit.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

79

Philippe ALDRIN 51

spécifiques84. Devant l’irrésistible entreprenarisation du travail politique,l’expression récente de leur « colère » témoigne d’une certaine désobjectivationdu collectif militant85 et marque la fin d’un quiproquo sur leur latitude réelle àagir dans et sur le parti.

84. Pour une comparaison avec une autre « professionnalisation » politique, celle des élus : Lehingue (P.),« Vocation, art, métier ou profession ? Codification et étiquetage des activités politiques. Les débats parle-mentaires sur le statut de l’élu local (décembre 1991-janvier 1992) », in Offerlé (M.), dir., La Professionpolitique XIXe-XXe siècle, Paris, Belin, 1999.85. Alors que les raisons et les bénéfices réels de l’engagement appartiennent habituellement au refoulé dudiscours militant. Au point que D. Gaxie parle de scotomisation pour évoquer cette occultation des diver-ses gratifications du militantisme, « à la fois aperçues et refusées ». Gaxie (D.), « Rétributions du militan-tisme et paradoxes de l’action collective », Revue suisse de science politique, 11(1), 2005.

Note méthodologique

Alors que d’autres partis avaient été approchés, seuls les responsables administra-

tifs et politiques du PS ont accepté les principes d’une enquête sur les salariés de

leur siège national. Entre le printemps 2004 et le printemps 2006, ils ont donc

autorisé la présence (intermittente) d’un observateur extérieur. Ils ont également

accepté la diffusion d’un questionnaire (contenant 25 items et une demande facul-

tative de coordonnées pour réaliser un entretien) auprès des salariés du siège et des

fédérations. Au total : seize entretiens de type biographique ont été réalisés, aux-

quels il faut ajouter de nombreux échanges moins formalisés et une relation régu-

lière avec certains enquêtés ; trente-quatre questionnaires (hors fédérations) ont

été renseignés.

Malgré les entretiens et les questionnaires recueillis les concernant, les salariés des

fédérations socialistes ont été finalement écartés de cette enquête pour deux raisons :

ils ne constituent pas un corps de salariés cohérent et unifié ; ils ne bénéficient pas de

la convention collective du siège national.

En plus des documents administratifs, notes de services, études et tracts mis à dis-position par les enquêtés, le secrétariat général a permis la consultation du fichier

du personnel de l’année 2004-2005. Ces fiches – anonymées – de 108 salariés du

siège national contenaient pour chacun d’eux les données suivantes : sexe ; âge ;date d’entrée au PS ; grades, fonctions et filières occupés successivement au seindu PS ; formation initiale et formations interne et continue ; emplois etemployeurs précédents.Pour le concours décisif qu’ils ont apporté à la réalisation de ce travail, je remercie Jac-

ques Priol et Frédéric Scanvic (secrétaires généraux administratifs), Jacques Salvator

(délégué général à la coordination), Manuel Valls (secrétaire national à l’organisation et

à la coordination), Stéphane Cahen (délégué CGT des personnels) et tout particulière-

ment Pierre Kanuty (assistant, secteur Communication) et Yasmina Ali Ouladj (assis-

tante, Premier secrétariat).

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur

Si près, si loin du politique52

Philippe ALDRIN est docteur en science

politique et maître de conférences en socio-

logie à l’Université Robert-Schuman (Stras-

bourg III). Ses recherches portent sur la

production sociale du politique à travers

l’étude du travail, de l’information et des

institutions politiques. Il travaille actuelle-

ment sur la politique de communication de

la Commission européenne. Membre du

Groupe de sociologie politique européenne

(CNRS, IEP de Strasbourg), il y anime, avec

Jean-Michel Utard, un séminaire sur les

usages politiques et scientifiques du

concept d’« espace public européen ».

[email protected]

Il a notamment publié : « S’accommoder du

politique. Economie et pratiques de l’informa-

tion politique », Politix, 64, 2003 et Sociologie

politique des rumeurs, Paris, PUF, 2005.

D

ocum

ent té

lécharg

é d

epuis

ww

w.c

airn.info

- U

niv

ers

ité d

e L

ille 2

- -

85.1

70.2

09.1

48 -

04/0

9/2

015 1

5h

26. ©

De B

oeck S

upérieur